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Débats du Sénat (Hansard)

Débats du Sénat (hansard)

2e Session, 37e Législature,
Volume 140, Numéro 53

Le mercredi 7 mai 2003
L'honorable Dan Hays, Président


LE SÉNAT

Le mercredi 7 mai 2003

La séance est ouverte à 13 h 30, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

MOTHERS AGAINST DRUNK DRIVING (LES MÈRES CONTRE L'ALCOOL AU VOLANT)

L'honorable Marjory LeBreton: Honorables sénateurs, des représentantes de Mothers Against Drunk Driving (Les mères contre l'alcool au volant), ou MADD Canada, sont venues à Ottawa hier et aujourd'hui rencontrer des ministres, des parlementaires et des membres du personnel. Elles exhortent les parlementaires à présenter une nouvelle mesure législative pour que les lois régissant la conduite avec facultés affaiblies soient plus efficaces, que les routes soient plus sécuritaires et que le nombre de décès et de blessures causés par la conduite avec facultés affaiblies diminue.

Les porte-parole de MADD Canada sont toutes des mères qui ont connu directement la tragédie et la douleur causées par la perte d'êtres chers. Elles sont venues demander instamment une nouvelle mesure législative pour accroître les pouvoirs des forces policières, exclure certaines défenses, éliminer la condamnation avec sursis et engager le Parlement à examiner régulièrement les lois sur la conduite avec facultés affaiblies. Les mesures proposées par MADD Canada sont réalisables. Le Parlement peut facilement présenter et mettre en œuvre des politiques à ce sujet.

À la suite de ces deux jours de rencontre, MADD Canada va rendre public un rapport sur le Parlement fédéral pour la fête des mères. Ce rapport va préciser les prochaines étapes à suivre pour rendre les lois sur la conduite avec facultés affaiblies au Canada plus efficaces.

Je tiens à remercier ces mères d'avoir passé ces deux derniers jours à Ottawa. Il faut énormément de courage et de détermination à ces bénévoles de MADD Canada pour venir au Parlement partager leur expériences personnelles et exprimer leurs espoirs.

Ces mères courageuses sont Louise Knox, de St. Paul's, en Alberta, qui est la présidente nationale de Mothers Against Drunk Driving; Helen Hoeflicker, de Surrey, en Colombie-Britannique; Cathy Unsworth, de Sarnia, en Ontario; Carolyn Swinson, de Toronto, en Ontario, une ancienne présidente de MADD; Sandra Di'Quinzio, de Montréal, au Québec; et Karen Dunham, de Saint Jean, au Nouveau-Brunswick.

J'espère que les sénateurs accueilleront ces femmes quand elles viendront les voir à leur bureau.

LA DÉFENSE NATIONALE

LE REMPLACEMENT DES HÉLICOPTÈRES SEA KING—LA CAPACITÉ DU SIKORSKY

L'honorable J. Michael Forrestall: Honorables sénateurs, j'étais relativement jeune et je jouais au base-ball à Shearwater à l'époque où le Sikorsky HORS était déjà le pilier de notre flotte aéronavale. L'entreprise Sikorsky a été présente durant toute ma vie d'adulte.

Depuis un jour ou deux, j'ai lu par hasard que la Sikorsky Aircraft Corporation allait recevoir le trophée prestigieux Robert J. Collier édition 2002, qui lui est décerné pour le nouvel hélicoptère moyen S-92. Avec le EH-101 et l'appareil d'une autre compagnie, l'hélicoptère Sikorsky est un excellent candidat, pour remplacer le Sea King.

Compte tenu de l'importance du Sikorsky pour le programme de l'hélicoptère maritime, je tenais à signaler ce fait aux sénateurs. Cela prouve bien qu'il existe une capacité technologique que nous avons le devoir d'aller chercher et d'adopter. Si nous négligeons de le faire à ce stade crucial du programme de remplacement, nous risquons de commettre une erreur irréparable.

Dans les jours à venir, un délai crucial va venir à échéance, un délai au bout duquel tous les candidats devront avoir répondu à un document de plusieurs milliers de pages énonçant les critères établis par le gouvernement. Je doute sérieusement que tous les soumissionnaires pour le remplacement du Sea King pourront y satisfaire. J'en suis désolé. J'aurais voulu que ce soit le cas.

Quoi qu'il en soit, je tenais à rappeler aux sénateurs que, si nous n'agissons pas rapidement, nous pourrions nous retrouver sans hélicoptères pour effectuer nos missions de surveillance maritime, et peut-être pour les 15 ou 20 prochaines années. Ce n'est tout simplement pas acceptable.

(1340)

LE DÉCÈS DE JACK DONOHUE

HOMMAGE

L'honorable Consiglio Di Nino: Honorables sénateurs, le 16 avril 2003, le Canada a perdu un grand homme. Originaire des États-Unis, Jack Donohue est venu au Canada il y a environ trente ans avec le mandat de mettre sur pied un programme national de basket-ball. Il a bel et bien réalisé sa mission. Sous sa gouverne, le basket-ball canadien a atteint de nouveaux sommets et a été acclamé non seulement sur la scène nationale, mais aussi sur la scène internationale. En qualité d'entraîneur de l'équipe nationale, poste qu'il a occupé pendant dix-sept ans, Jack a mené le Canada à de nombreuses victoires, notamment à l'occasion des Jeux mondiaux universitaires où nous avons décroché la médaille d'or et aux Jeux olympiques de 1980, à Los Angeles, où nous sommes arrivés en quatrième place.


PÉRIODE DES QUESTIONS

LES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

LES ÉTATS-UNIS—LA PARTICIPATION AU SYSTÈME DE DÉFENSE ANTIMISSILES—L'EFFET SUR LA POLITIQUE CONTRE LA MILITARISATION DE L'ESPACE

L'honorable Douglas Roche: Honorables sénateurs, le leader adjoint du gouvernement acceptera-t-il ma question et verra-t-il à ce que je reçoive une réponse de la part du leader du gouvernement au Sénat, demain? Si oui, je poserai ma question.

Le gouvernement envisage de participer à des discussions officielles avec les États-Unis au sujet du système de défense contre les missiles balistiques. Étant donné que le système de défense terrestre au moyen d'intercepteurs diffère du système de la «Guerre des étoiles» proposé il y a quelques années, le Canada pourrait participer à ce système.

Le gouvernement est-il conscient que le projet de défense terrestre est indissociablement lié aux plans américains visant à placer des armes dans l'espace et que, par conséquent, en se joignant au programme de défense antimissile des États-Unis, le Canada sonnera le glas de la politique canadienne contre la militarisation de l'espace?

Il y a peu de temps, le gouvernement a déclaré qu'il serait «ravi de lancer une initiative» en vue d'une convention internationale interdisant la mise en place d'armes dans l'espace. Que fait le gouvernement à cet égard? Réalise-t-il que faire la promotion d'une convention internationale interdisant la militarisation de l'espace et joindre le système de défense antimissile sont deux gestes incompatibles?

[Français]

L'honorable Fernand Robichaud (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, je prends note de la question de l'honorable sénateur Roche. Nous y répondrons dans les plus brefs délais.

[Traduction]

Le sénateur Roche: Honorables sénateurs, en raison de l'urgence de ce dossier, celui-ci devant être soumis au Cabinet la semaine prochaine pour la poursuite de l'étude, le leader adjoint du gouvernement au Sénat pourrait-il me garantir que j'aurai une réponse à ma question demain?

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, aux termes de notre Règlement, les sénateurs ne peuvent poser une question au leader adjoint du gouvernement au Sénat. Ils ne peuvent s'adresser qu'aux ministres et aux présidents de comités. Le sénateur Robichaud a pris la question du sénateur Roche en délibéré. Toutefois, le leader adjoint ne peut répondre à d'autres questions, particulièrement celles qui portent sur le délai dans lequel une réponse doit être fournie.

Le sénateur Roche a posé sa question et elle a été prise en délibéré. Il faudra attendre pour voir ce qui arrivera.

Le sénateur Roche: Honorables sénateurs, j'ai dit ce que j'avais à dire.


LE CODE CRIMINEL
LA LOI SUR LES ARMES À FEU

PROJET DE LOI MODIFICATIF—MESSAGE DES COMMUNES

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, le Sénat a reçu un message de la Chambre des communes concernant les amendements qui ont été apportés par le Sénat au projet de loi C-10, Loi modifiant le Code criminel (cruauté envers les animaux et armes à feu) et la Loi sur les armes à feu. Ce message est accompagné d'un autre message daté du 6 mai 2003:

ORDONNÉ — Que, relativement aux amendements apportés par le Sénat au projet de loi C-10, Loi modifiant le Code criminel (cruauté envers les animaux et armes à feu) et la Loi sur les armes à feu, la Chambre est d'accord avec le Sénat pour scinder le projet de loi en deux parties, à savoir le projet de loi C-10A, Loi modifiant le Code criminel (armes à feu) et la Loi sur les armes à feu, et le projet de loi C-10B, Loi modifiant le Code criminel (cruauté envers les animaux), mais

Que la Chambre, tout en désapprouvant toute atteinte à ses droits et privilèges par l'autre Chambre, renonce dans ce cas-ci à insister sur ces droits et privilèges, étant entendu que cette renonciation ne pourra être interprétée comme un précédent; et

Qu'un message soit envoyé au Sénat pour en informer Leurs Honneurs.

ATTESTÉ:

Le greffier de la Chambre des communes,
William C. Corbett

(1350)

Le sénateur Forrestall: Devons-nous applaudir maintenant?

Des voix: Oh, oh!

RECOURS AU RÈGLEMENT

L'honorable John Lynch-Staunton (leader de l'opposition): Honorables sénateurs, j'aimerais discuter du message que Son Honneur vient de lire. Hier la Chambre a adopté deux projets de loi, l'un portant le numéro C-10A et l'autre le numéro C-10B. Ces deux projets de lois sont inscrits comme ayant été adoptés par la Chambre des communes le 9 octobre 2002. Je n'ai pas l'intention de contester cela.

Si ces deux projets de loi ont été adoptés par la Chambre des communes et nous ont été renvoyés, où en est le projet de loi C-10B, dont le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles est actuellement saisi? Une note inscrite sur le projet de loi C-10B des Communes dit:

Conformément à l'ordre adopté par le Sénat le 4 décembre 2002 et l'ordre adopté par la Chambre des communes le 6 mai 2003 de scinder en deux parties le projet de loi C-10 tel qu'adopté par la Chambre des communes le 9 octobre 2002 (projets de loi C-10A et C-10B).

Cette note paraît également sur le projet de loi C-10A. Les deux indiquent qu'ils ont été adoptés par la Chambre des communes le 9 octobre 2002 comme étant le projet de loi C-10, et le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles est toujours saisi de l'un d'eux.

Avant que nous ne fassions quoi que ce soit, quelqu'un, quelque part, pourrait-il nous aider à y voir clair dans tout ce fouillis? Il semble que la Chambre ait délibéré sur un projet de loi dont notre Comité des affaires juridiques et constitutionnelles est toujours saisi. Comment la Chambre peut-elle adopter un projet de loi dont un comité sénatorial est toujours saisi?

Son Honneur le Président: Il s'agit là d'un rappel au Règlement.

Le sénateur Lynch-Staunton: En effet.

L'honorable Anne C. Cools: Honorables sénateurs, je me demande si nous pourrions tous obtenir une copie du message que Son Honneur a lu. Le leader de l'opposition, de par son titre, a fort probablement pris connaissance du message. Cependant, peut-être que des copies du message pourraient être distribuées à tous les sénateurs pour que nous puissions savoir exactement de quoi nous discutons.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je demanderai qu'une copie du message que j'ai lu soit distribuée.

Le sénateur Cools: J'aimerais prendre la parole une fois que nous l'aurons reçue. Il est évident que ce genre de messages peut donner lieu à un débat. Par conséquent, ce serait bon d'en avoir un exemplaire sous les yeux.

Son Honneur le Président: Je ne suis pas convaincu qu'un message de cette nature venant de l'autre endroit puisse faire l'objet d'un débat. Les propos du sénateur Lynch-Staunton sont considérés comme un recours au Règlement portant sur le déroulement approprié de nos travaux. Je viens de lire un message de la Chambre.

Madame le sénateur Cools désire-t-elle ajouter quelque chose?

Le sénateur Cools: Puisque nous intervenons dans le contexte d'un recours au Règlement, il y aurait peut-être lieu de clarifier la situation. Je crois que les messages peuvent faire l'objet d'un débat et je crois que nous avons débattu de cette question en décembre dernier. Selon moi, on peut débattre de ces messages et on peut même leur donner suite. Je crois aussi que de tels messages peuvent être renvoyés aux comités.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je serai très clair. Je n'ai pas vu le message avant qu'il en ait été donné lecture. Le message fait mention des deux projets de loi adoptés à la Chambre.

Dans la liste intitulée Progrès de la législation qui est régulièrement présentée dans nos Journaux, sous la rubrique Projets de loi émanant du gouvernement, Chambre des communes», il est indiqué que le projet de loi C-10B a été renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Hier, ou ce matin, nous avons reçu à nos bureaux un exemplaire d'un projet de loi, le projet de loi C-10B, tel qu'il a été adopté à l'autre endroit. Comment le même projet de loi peut-il se trouver simultanément devant les deux Chambres? Si la Chambre des communes a adopté le projet de loi, à quel titre le texte qui est encore appelé projet de loi se trouve-t-il maintenant devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles?

Quelqu'un a murmuré qu'il s'agissait d'une «étude préliminaire». Il n'en est rien.

Je regrette de ne pas avoir été en mesure d'être là la journée où quelqu'un a proposé que le projet de loi soit divisé. Je pense que le Sénat a commis une grave erreur en faisant cela sans tout d'abord s'adresser à la Chambre des communes pour lui dire que nous avions le sentiment qu'il serait préférable que son projet de loi soit divisé et pour lui demander si elle était d'accord ou non. Au lieu de cela, on me dit que le ministre de la Justice, qui était derrière la barre, a poussé le Sénat à prendre cette décision tout à fait sans précédent qui va à l'encontre des souhaits de la Chambre des communes.

Le sénateur Robichaud: Non, pas du tout.

Le sénateur Lynch-Staunton: Nous en sommes maintenant rendus à cette procédure confuse alors qu'un projet de loi est étudié à deux endroits différents en même temps. Je voudrais des éclaircissements avant que nous allions de l'avant.

Le sénateur Cools: Honorables sénateurs, les questions deviennent de plus en plus complexes. En plus des questions que le sénateur Lynch-Staunton a soulevées concernant la nature de la division du projet de loi et le point de savoir si le projet de loi C-10B est un projet de loi, j'ai maintenant en main une copie du message dont le deuxième paragraphe dit:

Que la Chambre, tout en désapprouvant toute atteinte à ses droits et privilèges par l'autre Chambre, renonce dans ce cas-ci à insister sur ces droits et privilèges, étant entendu que cette renonciation ne pourra être interprétée comme un précédent;

Si je comprends bien ce que je lis, l'autre endroit a jugé que le Sénat avait porté atteinte à ses droits et privilèges. Permettez-moi de relire ce paragraphe pour que les choses soient très claires:

Que la Chambre,...

— c'est-à-dire l'autre endroit, la Chambre des communes —

... tout en désapprouvant toute atteinte à ses droits et privilèges par l'autre Chambre,...

— c'est-à-dire le Sénat —

... renonce dans ce cas-ci à insister sur ces droits et privilèges...

Honorables sénateurs, l'autre endroit a conclu que le Sénat avait porté atteinte à ses privilèges. Les gens de l'autre endroit ont jugé que nous avions commis une infraction et ils disent qu'ils n'insistent pas pour que des mesures soient prises relativement à l'infraction que nous avons commise.

Si une autre institution, l'autre endroit, a conclu que nous avions commis une infraction, nous devrions vérifier quelle est la nature de cette infraction. Toutefois, dans tous les débats qui ont suivi, il n'est jamais arrivé, que je sache, que le Sénat admette quelque infraction que ce soit. Il s'agit très clairement d'un jugement, d'un ordre de la Chambre de communes disant que le Sénat a commis une infraction, et nous devons assurément étudier la question.

Son Honneur le Président: D'autres sénateurs voudraient-ils exprimer leur opinion sur ce rappel au Règlement?

[Français]

L'honorable Fernand Robichaud (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, nous avons eu cette discussion lorsque le Sénat a demandé au comité de scinder le projet de loi en deux projets de loi distincts. Le comité a présenté son rapport à la Chambre du Sénat, dans lequel il était fait mention de la scission de ce projet de loi et a recommandé que le projet de loi C-10A soit adopté sans amendement. Le rapport du comité a été adopté au Sénat. Un message a ensuite été envoyé à l'autre endroit l'informant que le Sénat avait scindé le projet de loi en deux projets de loi distincts, et lui demandant — comme on le fait d'ailleurs lorsqu'on apporte tout amendement — d'adopter le projet de loi scindé tel que nous le lui avions renvoyé.

(1400)

En fait, ce projet de loi comprenait, d'une part, ce que nous avons inclus dans le projet de loi C-10A et, d'autre part, ce que nous avons laissé dans le projet de loi C-10B. La Chambre des communes n'a traité que d'un seul projet de loi. En scindant le projet de loi et en informant l'autre endroit que nous avions agi de cette façon, nous étions tout à fait dans notre droit.

Je crois fermement que lorsqu'un projet de loi quitte l'autre endroit pour venir ici, nous sommes maîtres de nos procédures sans, bien sûr, vouloir empiéter ou diminuer les privilèges de l'autre endroit. Je pense que c'est exactement ce que nous avons fait.

La Chambre des communes est d'accord avec notre décision de scinder ce projet de loi en C-10A et C-10B et accepte le projet de loi C-10A sans amendement. L'autre partie, C-10B, est maintenant en comité et celui-ci en fera rapport. Le projet de loi reviendra à la Chambre avec ou sans amendement. Un autre message sera acheminé à la Chambre de communes pour savoir si elle est d'accord avec le projet de loi C-10 tel qu'adopté par notre Chambre.

Je ne vois pas cette façon de faire comme étant bien compliquée. On invoque les privilèges; pourtant, nous avons été très prudents lorsque nous en avons fait l'étude et lorsque nous avons envoyé le message à l'autre Chambre. Nous leur demandions d'adopter ce que nous avions fait.

Notre Chambre conserve son indépendance et ses privilèges, sans pour autant empiéter sur les privilèges de l'autre Chambre.

[Traduction]

Le sénateur Lynch-Staunton: Honorables sénateurs, si je peux me permettre, je vais lire le message que le Sénat a fait parvenir aux Communes après avoir décidé de scinder le projet de loi. Il se trouve à la page 289 des Journaux du Sénat, en date du 4 décembre 2002. Voici le texte:

Ordonné: Que le Greffier reporte ce projet de loi à la Chambre des communes et l'informe qu'il a scindé le projet de loi en deux: le projet de loi C-10A [...] et le projet de loi C-10B [...], les deux projets de loi étant annexés au message à titre d'Appendices «A» et «B» respectivement; et

Que le Greffier l'informe en outre que le Sénat: a) souhaite le consentement de la Chambre des communes à la scission du projet de loi C-10; b) a adopté le projet de loi C-10A sans amendement; et c) poursuit son étude du projet de loi C-10B.

En d'autres termes, la Chambre des communes s'est fait dire: «Nous vous renvoyons l'ensemble du projet de loi. Nous estimons que vous devez le scinder. Donnez-nous votre accord sur le projet de loi C-10A, et attendez nos observations sur le projet de loi C-10B.»

Au lieu de cela, la Chambre a empiété sur nos privilèges — et il se peut que les députés soient quelque peu trop pointilleux en ce qui concerne les leurs — et décidé de nous renvoyer les projets de loi C- 10A et C-10B. En effet, ils n'ont absolument pas tenu compte du fait que le projet de loi C-10B est toujours à l'étude ici. Ils ont même décidé effrontément et sans nous avertir que le geste qu'ils avaient posé ne devrait pas être considéré comme un précédent. Pour ma part, je vais certes considérer à compter de maintenant que c'est un précédent. Toutefois, le projet de loi C-10B ne leur a pas été renvoyé autrement que comme faisant partie intégrante du projet de loi C- 10, étant entendu que nous étions d'accord avec le projet de loi C- 10A et que nous espérions qu'il en serait de même de leur part, et que nous les avisions que le projet de loi C-10B était toujours à l'étude et leur serait renvoyé en temps opportun avec ou sans amendement.

Ils ont plutôt décidé de ne pas tenir compte de la dernière partie de l'avertissement. La Chambre nous a renvoyé les projets de loi C-10A et C-10B. Peut-être est-ce en train de devenir une question de privilège. Toutefois, je n'irai pas jusque-là. C'est un rappel au Règlement qui mérite d'être étudié.

L'honorable Jack Austin: Honorables sénateurs, je ferai deux observations au sujet de ce rappel au Règlement.

Premièrement, le message n'est absolument pas précis. C'est un message général qui est ainsi libellé:

Que la Chambre, tout en désapprouvant toute atteinte à ses privilèges ou à ses droits par l'autre Chambre...

Je souligne qu'aucun droit ou privilège n'est mentionné. Par conséquent, c'est essentiellement et exclusivement une réserve. Toutefois, la question soulevée par le sénateur Lynch-Staunton est une tout autre chose.

Si nous nous reportons à l'article 80 du Règlement, nous constatons que l'on y dit ce qui suit:

Si un projet de loi émanant du Sénat a été adopté ou rejeté, aucun autre sur le même sujet ne sera présenté au cours de la même session.

À mon avis, la question sur laquelle Son Honneur devrait se pencher est celle de savoir si, en divisant le projet de loi, nous avons effectivement créé de nouveaux projets de loi, ou encore si ceux-ci demeurent un prolongement d'une ancienne mesure législative.

Le sénateur Cools: Honorables sénateurs, le sénateur Austin a souligné de façon claire et brillante l'énorme complexité des questions qui nous ont été soumises.

Premièrement, je tiens à souligner la différence entre les messages et la formulation du Sénat et de la Chambre des communes. Le message de la Chambre des communes précise que l'on est d'accord avec la division en deux du projet de loi par le Sénat. Le Sénat, lorsqu'il a adopté ces mesures, a précisé clairement qu'il divisait le projet de loi C-10 en deux projets de loi.

Les sénateurs se rappelleront que j'ai déjà soulevé la question à l'automne. J'avais alors demandé comment il pouvait se faire que deux projets de loi de la Chambre des communes prennent leur origine au Sénat. Je crois avoir employé, en fait, l'analogie de l'éléphant qui accouche d'une girafe, ou quelque chose du genre.

Il me semble évident que le message de la Chambre des communes n'est pas conforme à ce que le Sénat lui-même dit avoir fait. L'ordre qui avait été donné ici aussi bien qu'au comité était clairement de scinder le projet de loi C-10 en deux projets de loi distincts. Je remarque que le message de la Chambre des communes parle ici de «deux parties».

J'avais cru comprendre qu'une fois scindé, le projet de loi C-10 n'existerait plus en tant que tel. Le sénateur Sparrow a demandé maintes et maintes fois ici où était le projet de loi C-10, s'il s'était évaporé ou avait disparu. Je le répète, le projet de loi C-10 est un projet de loi intéressant. Il apparaît, disparaît et réapparaît sans cesse. Cela en fait plutôt une curiosité.

Je ne suis plus sûre qu'il s'agisse ici d'un recours au Règlement. Je crois que cela va plus loin qu'un recours au Règlement. C'est peut- être de l'ordre de la question de privilège. Le leader adjoint du gouvernement vient de dire que le Sénat avait le droit de scinder le projet de loi et que ce message était parfaitement réglementaire. Ou le Sénat avait ce droit, ou bien il ne l'avait pas. Ce ne peut pas être les deux à la fois. Dans son message, la Chambre des communes déclare clairement qu'elle désapprouve que le Sénat ait atteint à ses privilèges. Par conséquent, la Chambre des communes ne croit pas que le Sénat agissait dans les limites de ses propres privilèges.

(1410)

La Chambre des communes a exprimé très clairement son point de vue. Ne se limitant pas à affirmer qu'elle désapprouvait les mesures prises par le Sénat en violation de ses privilèges, la Chambre se montre même un peu audacieuse en s'assurant de nous en faire part. Elle ne s'est pas contentée de prendre position. Elle a tenu à nous en aviser pour être sûre que nous sommes au courant, ce qui est assez étrange. Elle nous dit de ne pas recommencer.

Honorables sénateurs, le phénomène est très intéressant: le ministre de la Justice, M. Cauchon, a pris l'initiative de scinder le projet de loi ici, au Sénat. Le ministre s'est assis ici, derrière le barreau, dans ce fauteuil à grand dossier, tandis que la motion donnant instruction au comité de scinder le projet de loi était adoptée, et ce, après qu'il eut dit à la Chambre des communes qu'il était indivisible. Le ministre ayant fait cela, le Sénat ayant scindé le projet de loi et les sénateurs ayant été informés par la direction et d'autres personnes qui s'y connaissent que le Sénat agissait dans les limites de ses privilèges, nous voilà maintenant saisis d'un message de la Chambre des communes. Le message dit clairement que la Chambre des communes désapprouve cette violation de ses privilèges, mais a décidé de ne pas nous en tenir rigueur et de ne pas convoquer le Président du Sénat ou d'autres sénateurs à comparaître devant elle pour répondre d'une violation de ses privilèges.

Tout cela est vraiment bizarre, honorables sénateurs. Pour moi, ce message témoigne de la situation dans laquelle se trouvent les projets de loi C-10, C-10A et C-10B. En ce qui me concerne, ce message constitue une atteinte aux privilèges du Sénat. Je ne suis d'ailleurs plus convaincue que l'affaire puisse être réglée dans le cadre d'un simple recours au Règlement. Ce message mérite une étude sérieuse.

Ce message devrait être renvoyé à un comité pour être soigneusement examiné. Beaucoup de sénateurs peuvent peut-être l'accepter, mais je n'accepte pas que la Chambre des communes nous informe par message qu'elle désapprouve le fait que moi, sénateur Cools, de concert avec d'autres sénateurs, j'ai en quelque sorte porté atteinte à ses privilèges. J'ai l'impression, en ce moment, que c'est la Chambre des communes qui porte atteinte à mes privilèges en nous adressant ce message qui, quoi qu'en puissent dire certains d'entre nous, met en doute sinon la moralité, du moins le caractère constitutionnel de nombreux sénateurs.

Je ne sais pas comment nous allons procéder. Les honorables sénateurs se souviendront qu'à ce moment, beaucoup craignaient que le projet de loi C-10A ne franchisse pas les trois lectures au Sénat par suite de la division. Beaucoup de sénateurs, aussi bien au Sénat qu'au comité, se sont inquiétés de la façon de procéder et de la façon dont le projet de loi était scindé. Pour ma part, j'étais d'avis qu'il fallait obtenir le consentement de la Chambre des communes très tôt dans le processus.

Le sénateur Cools: Honorables sénateurs, cette affaire est très grave.

Son Honneur le Président: Je m'en rends bien compte. Sénateur Cools, votre revue de l'affaire est très importante. Il y a au moins un autre sénateur qui souhaite prendre la parole, et il m'incombe de déterminer à quel point j'en ai entendu suffisamment de la part des sénateurs pour être en mesure de me prononcer sur le recours au Règlement.

Puis-je savoir combien de sénateurs souhaitent prendre la parole à ce sujet?

Le sénateur Forrestall: Nous le souhaitons tous!

Son Honneur le Président: Il y a trois autres sénateurs qui souhaitent parler. Je voudrais rappeler aux honorables sénateurs de limiter leurs observations au point de procédure qui est en cause. Je leur en serais très reconnaissant. Quant aux motifs et à l'historique, je peux les trouver en consultant d'autres sources.

Le sénateur Cools: Je serais enchantée de céder la parole à un autre sénateur et de reprendre ensuite. Toutefois, je tiens à souligner que ce message porte atteinte à nos privilèges.

[Français]

L'honorable Gérald-A. Beaudoin: Honorables sénateurs, je désire revenir sur le mot le plus important. Nous avions décidé de renvoyer le projet de loi à l'autre Chambre, qui était la seule Chambre à pouvoir scinder le projet de loi C-10. Le plus important était que l'autre Chambre dise si elle était d'accord ou non.

[Traduction]

Le terme «accord» est très important.

[Français]

Si l'autre Chambre dit: «On accepte ce message du Sénat et on est prêts à scinder le projet de loi», il est scindé à la Chambre, qui seule peut le faire. Cela pourrait être un projet de loi de finances.

On ne s'est pas opposés à l'article 53 de la Constitution parce que l'accord a été donné dans l'autre Chambre. C'est le premier point. Au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles et au Sénat, j'ai toujours dit qu'il ne fallait pas parler des projets de loi C-10A et de C-10B, mais de «l'étude 10A» et de «l'étude 10B». Mon intervention a été consignée au dossier du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Notre intention était très claire. C'est la raison pour laquelle je suis très intéressé par l'intervention du leader de l'opposition. Il est vrai que le même projet de loi ne peut être à deux endroits en même temps.

Notre travail n'a porté que sur le projet de loi C-10. Il n'y avait qu'un seul projet de loi devant nous. On a suggéré de le scinder.

J'ai toujours préféré que l'on parle des études 10A et 10B. Si on avait suivi cette ligne de pensée, il n'y aurait jamais eu de problème. À certains endroits, on parlait de C-10A et C-10B. Si l'autre Chambre est d'accord avec la scission du projet de loi — parce qu'il n'y en a qu'un — à ce moment, elle peut le faire.

La Chambre l'a fait avec le mot «concur». On a vérifié les précédents. L'autre précédent qui n'a pas réussi, c'est celui où l'autre Chambre n'avait pas employé le mot «concur». Dans ce cas-ci, on l'a dit. On n'a jamais eu deux projets de loi en même temps parce qu'on n'avait pas le pouvoir de le scinder. J'ai consigné deux fois devant le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles que c'était une étude qu'on faisait et que je n'aimais pas la décision d'utiliser l'expression «projets de loi C-10A et C-10B», mais c'est arrivé.

Le sénateur Bolduc: On a un problème.

Le sénateur Beaudoin: Oui, on a un problème. L'autre problème, c'est que la Chambre puisse renoncer à certains privilèges. Cela fait partie de ce que j'appelle lex parliamenti, en droit. Nous sommes deux Chambres législatives et nous avons le droit de soulever et de défendre nos privilèges. Mais si l'autre Chambre nous donne son concours, c'est tout ce que nous lui demandions, à savoir procéder à la scission du projet de loi; elle l'a fait.

(1420)

Je dis bravo sur le plan juridique. Je ne parle pas du projet de loi, c'est autre chose. Je ne parle que de la procédure parlementaire.

Je crois qu'on aurait mieux fait de parler d'une étude. On peut avoir une étude à deux endroits, mais avoir deux projets de loi à deux endroits, ce n'est pas facile et on le constate aujourd'hui. En ce qui a trait à la question de privilège toutefois, l'autre Chambre avait le droit d'y renoncer si elle le voulait. Est-ce qu'ils nous attaquent? Il s'agit d'un autre débat.

Bien sûr, une Chambre ne peut pas dicter ses volontés à l'autre. Nous sommes deux Chambres législatives. On a un projet de loi et on veut le scinder en deux parties. Les deux parties ont dit oui. On aurait dû employer le mot «étude» mais on ne l'a pas fait, malheureusement.

Est-ce que tout cela est à l'eau? J'ai toujours dit que du moment où la Chambre des communes dit: «nous donnons notre concours», le projet de loi C-10 devient les projets de loi C-10A et C-10B. Évidemment, il est scindé. Étant donné que le Comité des affaires juridiques a fait une étude et qu'on a précisé dans le dossier que ce n'était qu'une étude, cela ne va pas à l'encontre du mandat du Comité des affaires juridiques. On a fait notre travail. On saura s'il faut apporter des amendements et on réglera le problème.

Je parle du plan purement procédural. D'après moi, même si ce n'est pas parfait — tout n'est pas parfait en ce bas monde — au moins, le projet de loi a été scindé. On peut adopter une autre attitude. L'erreur commise est qu'on n'aurait jamais dû parler des projet de loi C-10A et C-10B, mais bien de l'étude de C-10A et C- 10B. On n'aurait jamais eu de problèmes de cette façon. Cette opinion est purement personnelle.

Le sénateur Prud'homme: Qui n'engage pas votre parti.

Le sénateur Beaudoin: Pas du tout.

Le sénateur Lynch-Staunton: Honorables sénateurs, je voudrais répondre au sénateur Beaudoin. Oui, la Chambre des communes a accepté de scinder le projet de loi. L'argument n'est pas là. L'argument s'appuie sur le fait que la Chambre des communes n'a pas respecté la décision du Sénat lorsque nous lui avons retourné le projet de loi C-10, l'informant que nous voulions le scinder et que déjà le projet de loi C-10A était approuvé ici. Le message, en date du 4 décembre 2002, indique que le greffier informe, en outre, que le Sénat poursuit son étude du projet de loi C-10B.

On a bien informé la Chambre des communes qu'on retenait le projet de loi C-10B, et, dans le tableau intitulé «Progrès de la législation des Journaux du Sénat», le projet de loi C-10B est identifié comme un projet de loi. On peut penser qu'il s'agit d'un papier quelconque mais légalement, en ce qui a trait à la procédure, c'est un projet de loi.

La Chambre des communes a fait fi de notre volonté et n'a pas accepté le fait que le projet de loi C-10B avait été retenu au Sénat. Elle a décidé de légiférer en passant à l'étape de la troisième lecture des deux projets de loi dont l'un s'appelle C-10B.

De quel droit a-t-elle pu faire fi de la volonté du Sénat en négligeant le fait que le projet de loi est toujours à l'étape de l'étude en comité sénatorial depuis des mois? Comment a-t-elle pu négliger les travaux du comité qui se font avec des témoins appelés à discuter d'un projet de loi afin que le Sénat puisse donner son avis à la Chambre des communes? Comment se fait-il que, tout à coup, comme un cheveu sur la soupe, le projet de loi C-10B est accepté par la Chambre des communes? Nous devrions nous objecter à cette procédure. Ce rappel au Règlement est fondé sur cet argument.

[Traduction]

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, un recours au Règlement est l'occasion de déterminer si une affaire est conforme à notre Règlement, à nos coutumes ou à nos procédures. Il est parfois utile de tenir un débat sur la question, quoique les discussions ou recours au Règlement ne se règlent habituellement pas dans le cadre d'un débat. Je vous ferai observer que si chacun d'entre vous essaie de faire valoir son point de vue, nous risquons d'être ici fort longtemps.

Les honorables sénateurs m'ont demandé, en ma qualité de Président, de déterminer si ces procédures sont conformes au Règlement ou si elles sont, pour une raison ou une autre, discutables. Puis-je leur rappeler qu'il s'agit ici de soumettre au Président des observations utiles ou importantes? Toutefois, lorsque les honorables sénateurs s'engagent dans un échange entre eux et débattent du bien-fondé de tel ou tel argument, l'échange risque de durer longtemps. En définitive, je demanderais aux honorables sénateurs de s'en remettre à la décision, si imparfaite soit-elle, du Président qui statuera sur la question.

L'honorable Noël A. Kinsella (leader adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, certains des points que je voulais soulever ont été discutés. Je passerai donc à un autre sujet qui me préoccupe. Le deuxième paragraphe du message que nous avons reçu de l'autre endroit dit ceci:

Que la Chambre, tout en désapprouvant toute atteinte à ses droits et privilèges par l'autre Chambre...

— le sénateur Cools y a fait référence un peu plus tôt...

...renonce dans ce cas-ci à insister sur ces droits et privilèges...

— c'est le point que je veux souligner —

...étant entendu que cette renonciation ne pourra être interprétée comme un précédent;

Je ne voudrais absolument pas qu'on en déduise que le Sénat est d'accord pour reconnaître que ce qui s'est passé ne constituait pas un précédent, car je crois que c'était bien un important précédent dans l'optique du Sénat. Je voudrais que Son Honneur dise clairement que nous ne pouvons pas modifier le message ou la motion de la Chambre des communes. Cependant, j'exhorte les honorables sénateurs à refuser de reconnaître que ce qui s'était passé ne constituait pas un précédent. En effet, je crois qu'il s'agit d'un précédent que nous voudrons peut-être invoquer un jour. J'attire l'attention de Son Honneur sur ce que dit l'ouvrage d'Erskine May, aux pages 4, 5, 625 et 626, qui donnent une courte liste des textes de référence en matière de procédure concernant le précédent.

Nous devons protéger ce précédent. Je ne commenterai pas les autres aspects puisque d'autres honorables sénateurs l'ont déjà fait.

[Français]

Le sénateur Robichaud: Je suis d'accord avec les propos de mon honorable collègue. Un précédent est créé. On pourra l'utiliser, comme quand la Chambre des communes avait créé un précédent lorsqu'elle avait était saisie du projet de loi C-15 comprenant trois parties dont la pornographie infantile, les armes à feu et la cruauté envers les animaux. Le projet de loi C-10 comprenait deux des trois parties du premier projet de loi C-15 que nous avions scindé et renvoyé à la Chambre des communes.

(1430)

Lorsque nous étudions un projet de loi et que nous l'adoptons sans amendement, nous transmettons un message à la Chambre des communes en mentionnant que le projet de loi a été adopté. Dans ce cas-ci, nous avons adopté une partie du projet de loi sans amendement et nous avons demandé l'accord de la Chambre des communes afin que le projet de loi soit scindé.

L'honorable sénateur Cools disait que la Chambre des communes n'accepte pas cela, mais le contraire est démontré dans ce qui suit:

[Traduction]

... la Chambre est d'accord avec le Sénat pour scinder le projet de loi en deux parties...

[Français]

Il est clair que la Chambre des communes a accepté que ce projet de loi soit scindé. Honorables sénateurs, j'espère vous avoir éclairés. Cependant, la décision vous appartient.

[Traduction]

L'honorable John G. Bryden: Honorables sénateurs, j'ai participé, au sein de notre comité, à pratiquement toutes les discussions concernant ce projet de loi. Dans une large mesure, le comité a agi d'une manière très semblable à celle qu'a décrite le sénateur Beaudoin, d'après mes souvenirs.

Je signale à l'honorable Président que le Sénat a enjoint au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles de scinder le projet de loi. Nous avons fait rapport à ce sujet.

Lorsque nous avons fait rapport de la scission du projet de loi, nous avons fait rapport des projets de loi C-10A et C-10B...

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous n'avez pas fait rapport du projet de loi C-10B.

Le sénateur Bryden: Non, nous avons fait rapport de la scission.

Le sénateur Lynch-Staunton: Oui, c'est tout.

Le sénateur Bryden: Nous avons fait rapport de la scission du projet de loi C-10 en projets de loi C-10A et C-10B.

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous avez gardé le projet de loi C-10B.

Le sénateur Bryden: Nous l'avons gardé, oui. Nous avons suivi les instructions du Sénat en agissant de la sorte. Le Sénat a adopté notre rapport.

Nous avons entrepris en comité l'étude du contenu d'un projet de loi. C'est ce que le sénateur Beaudoin disait sans cesse.

Nous avions demandé au greffier de ramener le projet de loi à la Chambre des communes et d'informer la Chambre que le Sénat avait scindé le projet de loi en deux, soit les projets de loi C-10A et C-10B. Je reviendrai sur l'autre aspect plus tard.

Si on examine attentivement, comme les avocats ont tendance à le faire, ce qui s'est produit lorsqu'on a envoyé ce document pour approbation, on a défini notre demande, de la manière la plus détaillée possible, dans le premier paragraphe ainsi libellé:

Que, relativement aux amendements apportés par le Sénat au projet de loi C-10, Loi modifiant le Code criminel (cruauté envers les animaux et armes à feu) et la Loi sur les armes à feu, la Chambre est d'accord...

Voilà ce qu'on a demandé. On a demandé à la Chambre son accord. La Chambre est d'accord avec le Sénat pour scinder le projet de loi en deux parties, à savoir le projet de loi C-10A et le projet de loi C-10B. En agissant de la sorte, la Chambre a, au moins fondamentalement, essayé de bien faire ce que nous lui demandions, c'est-à-dire d'approuver ce que nous la priions de faire.

Honorables sénateurs, que la Chambre considère qu'il s'agit d'un précédent la regarde. Que nous considérions que c'est un précédent nous regarde. C'est tout ce que je voulais dire.

L'honorable A. Raynell Andreychuk: Honorables sénateurs, nous avons beaucoup parlé, tant au comité qu'ici, de scinder le projet de loi, ce que le Sénat avait ordonné au comité de faire. Pour diviser le projet de loi en deux parties, il fallait demander l'approbation de la Chambre des communes. Il y avait un précédent.

En fin de compte, nous avons envoyé le projet de loi C-10A à la Chambre pour qu'elle l'approuve et nous avons demandé son approbation pour scinder le projet de loi. Toutefois, la Chambre n'était pas encore saisie du projet de loi C-10B. Il était en attente ici. Le projet de loi C-10 est dont demeuré le seul projet de loi qui nous était venu de la Chambre des communes. Pour celle-ci, le projet de loi C-10B n'existait pas. J'ai beaucoup de difficulté à comprendre comment elle a pu parler du projet de loi C-10B comme elle l'a fait.

Je trouve troublant qu'après que nous ayons demandé l'approbation de la Chambre pour scinder le projet de loi, elle ait donné son accord tout en disant qu'elle désapprouvait cette initiative. Si nous acceptons ce message, cela signifie que nous avons fait quelque chose de mal. Nous avons scindé un projet de loi que nous n'aurions pas dû scinder. Le fait que la Chambre nous dise qu'elle désapprouve cette infraction et refuse de considérer cette décision comme un précédent constitue une réprimande.

Je ne pense pas qu'elle en ait le droit. Elle peut refuser d'accéder à notre demande. Mais elle ne peut pas la désapprouver. Elle peut soit la refuser, soit l'accepter. Elle n'a pas comme choix de commenter ce que nous faisons.

Le précédent antérieur était très clair. La Chambre avait refusé d'accéder à notre demande. En l'occurrence, elle aurait pu faire la même chose. Toutefois, elle ne peut pas dire au Sénat ce qu'il doit faire, pas plus qu'elle ne peut nous faire part de sa désapprobation. La Chambre, sans outrepasser ses droits, peut refuser d'accepter le projet de loi tel que nous lui avons renvoyé. Nous pourrions discuter pendant longtemps.

Honorables sénateurs, je pense que le deuxième paragraphe ne se justifie pas et qu'il crée une certaine confusion. Si nous acceptons ce message, nous acceptons, premièrement que nous avons eu tort et, deuxièmement que ce n'est pas un précédent. Pour ma part, j'avais dit que nous avions tort de scinder le projet de loi et que nous empiétions dans un domaine appartenant à la Chambre des communes. C'était pendant nos débats internes.

Si la majorité du Sénat choisit de faire quelque chose, la Chambre n'a pas le droit de désapprouver. Elle a toutefois le droit de décliner la suggestion de scinder le projet de loi.

C'est une énigme. Peu importe si c'est un précédent en face. Ce serait un précédent d'accepter une réprimande de la Chambre des communes. Nous accepterions des instructions sur la façon de nous conduire au Sénat.

L'honorable Lowell Murray: Honorables sénateurs, je reconnais que c'est un peu tard pour moi de soulever cette question. Toutefois, je ne pense pas qu'il y ait matière à rappel au Règlement. Je ne sais pas si le sénateur Lynch-Staunton voulait soulever cette question à titre de rappel au Règlement.

Personne n'a parlé de disposition du Règlement ayant été violée. Nous avons reçu un message de la Chambre des communes. Son Honneur le Président a lu ce message, comme il est tenu de le faire au moment opportun.

Il ne s'agit pas de savoir si le message est recevable ou non, mais plutôt si nous voulons en débattre. Le Règlement du Sénat ne prévoit pas de débat pour ces messages, mais il y a un précédent où un tel message a été renvoyé à un comité. Je me souviens de cela. Si un sénateur veut que nous le fassions, il n'a qu'à le proposer.

Madame le sénateur Cools a peut-être raison en disant que ce n'est pas un rappel au Règlement, mais plutôt une question de privilège. Si c'est le cas, il y a un processus à suivre pour les questions de privilège. Cependant, je ne vois pas de rappel au Règlement, et je ne vois pas comment nous pourrions avoir la discussion qui se déroule depuis quelques instants sous la rubrique des rappels au Règlement.

Le sénateur Cools: Honorables sénateurs, je voudrais remercier le sénateur Andreychuk d'avoir si bien compris et expliqué le point que je tentais de soulever.

(1440)

Je suis également d'accord avec le sénateur Murray pour dire que les questions particulières sur lesquelles le Président est appelé à se prononcer débordent le cadre de ses attributions. Je n'ai pas besoin de répéter ce que d'autres ont déjà dit. Aucun argument clair n'est présenté au sujet de la question des ordres en soi, mais beaucoup d'éléments mentionnés ici aujourd'hui témoignent du fait qu'il y a quelque chose qui ne va pas du tout dans ce message, que nous devons examiner soigneusement l'affaire et prendre position en conséquence.

Si les honorables sénateurs veulent bien regarder les deux nouveaux projets de loi qui viennent d'arriver, le C-10A et le C- 10B, ils y trouveront la mention «Adopté par la Chambre des communes le 9 octobre 2002». Ils verront également la note suivante dans le projet de loi C-10A que je regarde en ce moment:

Conformément à l'ordre adopté par le Sénat le 4 décembre 2002 et l'ordre adopté par la Chambre des communes le 6 mai 2003 de scinder en deux parties le projet de loi C-10 tel qu'adopté par la Chambre des communes le 9 octobre.

Là aussi, il y a quelque chose qui ne va pas. De plus, c'est malhonnête, c'est faux. Cela ne s'est pas produit.

Le sénateur Robichaud: Silence!

Le sénateur Cools: Il y a quelque chose qui ne va pas. Je remercie l'honorable sénateur qui m'a incitée à y jeter un coup d'oeil. Ces questions relèvent du Code criminel. Ce sont des modifications du Code. Ce sont des mesures décidées par le Parlement, qui font des criminels de certaines personnes, qui permettent d'engager des poursuites contre elles. Nous devons à la population du Canada d'adopter des lois conformément aux règles et de nous conformer aux principes constitutionnels qui nous guident, surtout quand nous nous proposons de considérer comme des infractions criminelles des actes qui, pour moi, sont innocents.

Cela va au-delà des attributions du Président. C'est davantage une question de privilège qu'un recours au Règlement. Nous devons trouver un moyen de procéder.

Je veux dire encore une fois qu'il est impossible de monter et de descendre en même temps, tout comme il est impossible d'être d'accord et de ne pas l'être simultanément. On ne peut pas approuver et désapprouver du même coup.

Nous avons affaire ici à un message qui dit, en substance, que les députés sont heureux que nous ayons scindé le projet de loi, même si nous avions tort de le faire. Nous avons affaire ici à un message qui n'est rien d'autre que de l'opportunisme politique. La Chambre des communes nous dit: «Nous ne sommes pas contents de ce que vous avez fait et vous demandons de ne pas recommencer. Ne le faites plus jamais. Toutefois, nous sommes satisfaits du résultat parce qu'il nous convient.»

Le sénateur Robichaud: À l'ordre!

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, nous avons consacré beaucoup de temps à cette affaire. Comme certains sénateurs comprenaient mal le déroulement de cette procédure et sa pertinence, j'ai permis une assez longue intervention. Comme vous le savez, conformément au Règlement, la présidence doit faire savoir au Sénat à quel moment elle en a entendu assez. J'en suis à ce point.

Je rappelle aux honorables sénateurs que la question mentionnée, mais non soulevée — celle de savoir si un message de l'autre endroit peut être débattu — a déjà fait l'objet d'une décision au Sénat le 4 décembre 2002, décision établissant qu'un tel message ne peut pas être débattu. La décision passe en revue les détails de discussions qui ont eu lieu dans des circonstances semblables pour aboutir à la conclusion qu'elles n'étaient pas conformes au Règlement d'alors, pas plus qu'au Règlement d'aujourd'hui.

Nous ne débattons pas le message puisqu'il ne peut pas faire l'objet d'un débat. Toutefois, un certain nombre de questions ont été posées en vue de déterminer si les procédures suivies étaient acceptables. Comme beaucoup d'arguments ont été présentés et que l'affaire n'est pas simple, je rendrai une décision plus tard. Conformément aux arguments du sénateur Murray, la présidence décide parfois qu'il n'y a pas matière à un recours au Règlement et parfois qu'il y a bien matière à un tel recours. Quoi qu'il en soit, je ferai de mon mieux pour prendre une décision et en faire part à la Chambre le plus tôt possible.

[Plus tôt]

LE PROGRAMME D'ÉCHANGE DE PAGES AVEC LA CHAMBRE DES COMMUNES

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je voudrais signaler la présence au Sénat d'un page invité. Il s'agit de Jennifer Wight, de St. Albert, en Alberta, qui suit un programme d'études spécialisé en mathématiques à la faculté des arts de l'Université d'Ottawa. Je lui souhaite la bienvenue.


ORDRE DU JOUR

LA LOI SUR LA STATISTIQUE

PROJET DE LOI MODIFICATIF—TROISIÈME LECTURE—SUITE DU DÉBAT

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Milne, appuyée par l'honorable sénateur Chalifoux, tendant à la troisième lecture du projet de loi S-13, Loi modifiant la Loi sur la statistique.

L'honorable Lowell Murray: Honorables sénateurs, pour des raisons que j'ai déjà expliquées à madame le sénateur Milne, je n'étais pas présent quand elle a ouvert le débat de troisième lecture sur ce projet de loi. Toutefois, comme je le lui en ai donné l'assurance, je me suis empressé le lendemain matin d'aller sur le site Web du Sénat pour lire attentivement le texte intégral de son discours.

Je ne crois pas avoir grand-chose à ajouter à ses arguments ou à sa revue du contexte historique qui, dans le premier cas, étaient assez convaincants et, dans l'autre, tout à fait exact, du moins à ma connaissance.

Après son discours, il y a eu des interventions, des questions et des commentaires de la part du sénateur Comeau et du leader de l'opposition, le sénateur Lynch-Staunton. Il va sans dire que j'ai également lu tout cela avec attention. C'est de ces questions que je parlerai brièvement cet après-midi.

Les points qu'ils ont soulevés sont importants. Il s'agit de questions sérieuses que j'ai envisagées en examinant le projet de loi. Toutefois, leurs considérations les ont conduits à une conclusion que je ne partage pas.

Je ne suis pas en désaccord avec le sénateur Comeau quand il souligne l'importance critique de la vie privée, à titre de droit de tout Canadien. Il n'accepte pas — et moi non plus — ce que je considère, même si je ne suis pas vraiment compétent en la matière, comme une doctrine juridique courante selon laquelle le droit à la vie privée diminue avec le temps et s'éteint en fait au décès d'une personne.

C'est peut-être la doctrine juridique courante, mais je ne crois pas qu'elle soit juste. Si c'est ce que la loi prévoit, nous devrions y remédier en la modifiant.

Le sénateur Comeau estime — et je suis d'accord — que le fait que le gouvernement recueille des renseignements personnels sur chacun ne le rend pas propriétaire de ces renseignements. Il s'agit toujours de renseignements personnels dont le gouvernement a la garde, pour des motifs suffisants de politique publique. Le gouvernement doit être tenu de protéger les renseignements personnels des citoyens canadiens. Ces renseignements ne doivent être rendus publics qu'en cas de pressante nécessité, comme des poursuites au criminel et des choses du même genre.

Dans son intervention, le sénateur Comeau a mis le doigt sur des lacunes qui existent peut-être dans deux lois, la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l'accès à l'information, lacunes qui permettent la divulgation des dossiers du gouvernement 25 ans après leur compilation.

(1450)

J'ajouterais à cela la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, qui a été adoptée il y a de cela plusieurs législatures. Cette loi traite des renseignements personnels recueillis sur des particuliers par des entreprises, à des fins commerciales. Il s'agit, par exemple, des renseignements pris sur vous et moi par des sociétés émettrices de cartes de crédit, ou encore des renseignements personnels recueillis par le pharmacien. Une disposition dans cette loi, que j'ai essayé de faire supprimer au moyen d'un amendement désespéré de dernière minute, autorise la divulgation des renseignements personnels recueillis à des fins commerciales 20 ans après la mort de la personne. Je ne suis pas du tout d'accord avec cela. Si ce n'est pour des procédures criminelles et des causes portées devant les tribunaux, je ne peux concevoir aucune circonstance où des renseignements personnels recueillis à des fins commerciales devraient être rendus publics, même 20 ans après la mort de la personne. Pourquoi les enfants et les petits-enfants du disparu devraient-ils avoir à expliquer la conduite ou les erreurs passées de ce dernier, et composer ensuite avec cela, si c'est ce que leur apprennent ces renseignements? Je ne trouverai la paix que lorsque cette disposition aura été supprimée.

Je reconnais donc la valeur et l'urgence des points soulevés par le sénateur Comeau, et je ferai campagne avec lui dans les mois et les années à venir pour essayer de corriger certaines de ces lacunes. Nous aurons de quoi nous occuper. Peut-être pourrons-nous obtenir l'appui de quelques-uns de nos collègues d'en face. Certains d'entre eux voudront peut-être reprendre la cause que notre ancienne collègue, le sénateur Sheila Finestone, a défendue avec tant de passion tout au long de sa carrière parlementaire. Nous pourrions également réussir à obtenir l'aide du commissaire à la vie privée, bien qu'il ne semble pas partager mon avis concernant l'inclusion dans la Charte du droit au respect de la vie privée. Je rêve peut-être en couleurs, mais je signale aux honorables sénateurs qu'au début des années 80, durant les discussions constitutionnelles, le premier ministre Trudeau et son ministre de la Justice, Jean Chrétien, étaient favorables à l'inclusion de ce droit dans la Charte canadienne des droits et libertés.

Je suis d'accord avec tout ce qu'a dit le sénateur Comeau sur la question du respect de la vie privée.

Le projet de loi S-13 ne traite que des renseignements personnels recueillis par le gouvernement au cours d'un recensement. Les données du recensement sont visées par des lois différentes de celles se rapportant aux autres renseignements personnels recueillis par le gouvernement. C'est du moins ce que nous croyions jusqu'à récemment.

Depuis 1905, le cadre juridique régissant le recensement consistait en des règlements adoptés en vertu de la Loi du recensement et des statistiques de 1905 et 1906. De façon générale, ces dispositions ont été intégrées à la Loi sur la statistique de 1918, et d'autres ont été ajoutées dans les lois adoptées en 1948, 1970, 1971 et 1972. Dans les débats précédents, j'ai lu certaines de ces dispositions au Sénat, ce que je ne ferai pas aujourd'hui. En un mot, ces dispositions, règlements et mesures législatives assuraient la confidentialité des données personnelles recueillies par le gouvernement dans le cadre du recensement.

Cela m'amène à l'intervention du sénateur Lynch-Staunton, que je reconnais et respecte en tant que position fondée sur des principes. Cependant, nous devons reconnaître qu'il y avait d'autres dispositions en plus du cadre juridique que j'ai décrit, dont celle qui disait que les données des recensements devaient être transférées aux Archives nationales pour consultation future. Il y a aussi la Loi de 1985 sur la protection des renseignements personnels, qui prévoit la divulgation, après 92 ans, des renseignements personnels que possède le gouvernement.

La question que plusieurs générations de parlementaires et d'autres se sont posée est la suivante: ces plus récentes dispositions nuancent-elles les dispositions antérieures concernant les données du recensement? Ont-elles préséance sur elles? Selon le statisticien en chef, selon le commissaire à la protection privée, et selon ce que disait le ministère de la Justice jusqu'à tout récemment, la réponse est non. J'ajouterai ici qu'il y a eu un groupe spécial formé par M. Manley, si je ne m'abuse, lorsqu'il était ministre de l'Industrie. Ce groupe spécial comptait parmi ses membres M. Gérard La Forest, ancien juge de la Cour suprême du Canada. Le groupe spécial ne voyait aucun problème quant aux conséquences juridiques de la divulgation de toutes les données datant d'avant 1918, était moins certain pour ce qui était des données de 1918 et des années subséquentes et estimait que, pour plus de certitude, il fallait adopter une mesure législative à cet égard.

De toute façon, comme je l'ai dit à l'étape de la deuxième lecture, le ministère de la Justice a fait une volte-face complète dans sa position sur cette question.

Je vais lire aux honorables sénateurs la déclaration faite par le statisticien en chef, M. Fellegi, lorsqu'il a témoigné devant le Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie le mercredi 9 avril. Cela donnera une bonne idée de la situation délicate dans laquelle il s'est retrouvé. Voici ce qu'il a dit:

...on ne peut passer sous silence le fait qu'il y a des opinions juridiques contradictoires. En fait, nous pourrions très bien avoir une opinion juridique qui dirait que, tout compte fait, les données de recensement devraient être divulguées sans restriction après 92 ans. Ce pourrait très bien être la conclusion à laquelle en arriveront les tribunaux.

D'après la dernière opinion juridique provenant du ministère de la Justice, cette solution est la meilleure. [...] d'après l'opinion la plus récente, dans l'état actuel des choses et d'un point de vue purement juridique, les données de recensement ne seront peut-être pas pleinement protégées après 92 ans. Il faudra obtenir certains éclaircissements.

Si c'est là la perception qu'a le ministère de la Justice de l'état du droit, vous comprendrez sûrement la situation difficile dans laquelle s'est retrouvé le statisticien en chef après avoir refusé pendant des années d'autoriser la consultation des archives, et c'est ce qui l'a amené à conclure une entente avec l'actuel archiviste national, l'actuel ministre de la Justice, le ministre Rock et madame le sénateur Milne, la porte-parole des personnes qui s'intéressent à la généalogie et à la recherche historique.

De quel genre de compromis s'agit-il? Permettez-moi un peu de rétrospective. Il y a deux ans, Statistique Canada et le commissaire à la vie privée, M. Bruce Phillips à l'époque, ont trouvé un compromis, lequel a été avalisé par son successeur, M. Radwanski. En bref, le compromis autorisait les particuliers à consulter leurs données personnelles en vue de retracer l'historique de leur famille sous réserve de conditions très sévères. Les historiens étaient également autorisés, sous réserve des mêmes conditions, à consulter les données aux fins de travaux de recherche soumis à l'examen de leurs pairs.

J'ai indiqué mon opposition aux projets de loi d'initiative parlementaire S-15 et S-12 lorsque madame le sénateur Milne les a présentés respectivement en décembre 1999 et février 2001. J'ai toutefois précisé, lors de mon intervention à ce moment-là, que je pourrais appuyer et que j'appuierais un projet de loi qui contiendrait les éléments du compromis dont je viens de parler. Je crois que le projet de loi S-13 renferme ces éléments.

(1510)

M. Radwanski, commissaire à la protection de la vie privée, n'est pas satisfait à cet égard. Il affirme que les conditions qu'on retrouve dans le nouvel accord de compromis conclu par Statistique Canada, le gouvernement, l'archiviste et le sénateur Milne ne sont pas aussi strictes que ce qui était prévu dans l'accord initial et il signale que l'entente actuelle, que ce projet de loi reflète, prévoit un accès sans limite après 112 ans.

Le statisticien en chef était également partie au compromis précédent et il appuie le nouveau projet de loi. Même s'il est d'accord avec M. Radwanski pour dire qu'il y a eu un certain recul dans le nouveau compromis à la suite de l'ajout de la règle des 112 ans, il signale qu'il y a un gain extrêmement important de son point de vue dans le nouveau compromis, soit l'exigence d'un consentement éclairé dorénavant. Un consentement éclairé signifie que les personnes intéressées devront signer pour donner leur consentement à la divulgation éventuelle de cette information, faute de quoi elle ne pourra être rendue publique. Cette disposition ne figurait pas dans l'accord de compromis passé que M. Radwanski a appuyé et c'est très important.

Une fois de plus, j'attire l'attention des honorables sénateurs sur le témoignage de M. Fellegi sur ce point devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie le 9 avril 2003. Il a dit alors:

C'est la différence entre les deux compromis. On a assoupli les règles relatives à l'accès et à la protection. Au plan de la protection, la règle prévoit un consentement éclairé pour ce qui est des recensements futurs. En ce qui concerne la divulgation des renseignements, on prévoit un accès illimité après 112 ans [...]. C'est ce qui caractérise les deux compromis.

Ensuite, s'adressant sans s'en rendre compte au sénateur Lynch- Staunton, il a déclaré:

[...] il est très facile de débattre d'une question en invoquant des principes. Je pourrais facilement justifier de ne faire aucune concession relativement à la confidentialité et de la protéger de façon permanente. C'est un argument facile à défendre sur le plan intellectuel. Mais il est beaucoup plus difficile, intellectuellement parlant, de défendre un compromis. Quoi qu'il en soit, j'appuie pleinement ce compromis, car je suis conscient de l'importance d'équilibrer les divers éléments de l'intérêt public, quoique je ne sois responsable que d'un de ces deux éléments, à savoir l'information statistique. Je ne suis pas responsable de l'autre élément, mais je suis un fonctionnaire et je comprends l'importance d'équilibrer les intérêts publics. J'appuie pleinement ce compromis.

Honorables sénateurs, ce sont les facteurs et le contexte qui m'ont porté à appuyer le projet de loi S-13 comme je l'ai expliqué lorsque nous en avons fait l'étude en deuxième lecture. Ce sont les raisons qui m'ont conduit à m'opposer aux amendements présentés au comité. En effet, ces amendements auraient détruit le consensus, si bien que j'ai décidé de proposer que le projet de loi fasse l'objet d'un rapport sans amendement, motion ayant été adoptée, si je me rappelle bien, avec trois voix de dissidence venant d'en face.

Honorables sénateurs, ce sont les éléments qui m'ont amené à maintenir mon appui au projet de loi à l'étape de la troisième lecture et à vous recommander aujourd'hui de l'appuyer.

L'honorable Gerald J. Comeau: Ma question s'adresse au sénateur Murray et porte sur le fait que, si j'ai bien compris, le projet de loi autorise désormais le gouvernement à rendre publiques, au bout de 92 ans, les données des recensements effectués depuis 1918, y compris celles du dernier recensement. À l'occasion des derniers recensements où j'ai fourni de l'information à Statistique Canada, on s'engageait sur le formulaire à ne pas la divulguer. En appuyant ce projet de loi, le sénateur Murray accepte-t-il que toute l'information que j'ai donnée à l'occasion de recensements où j'ai signé avec le gouvernement du Canada un contrat garantissant la confidentialité de l'information que je fournissais puisse être divulguée au bout de 92 ans, bien que je ne sois pas d'accord avec cela?

Le sénateur Murray: Honorables sénateurs, je vais faire deux observations en réponse à mon collègue. Premièrement, toute cette information ne sera pas rendue publique au bout de 92 ans. Ce ne seront que les renseignements de base qui seront rendus publics. Je pourrais préciser ce que l'on entend par l'expression «renseignements de base», mais je crois que mon collègue sait ce que c'est.

Deuxièmement, ce projet de loi est présenté sous cette forme et comprend de telles restrictions précisément parce que l'on craint que, sans ce projet de loi, l'état du droit au pays aurait permis qu'au bout de 92 ans les gens aient un accès libre non seulement aux renseignements de base, mais aussi à toute l'information personnelle qui devait être fournie dans le questionnaire détaillé.

Le sénateur Comeau: Je crois comprendre que l'information ne faisant pas partie des renseignements de base deviendra entièrement publique au bout de 112 ans, période au bout de laquelle le contrat de confidentialité arrivera à échéance.

Le sénateur Murray: Selon ce que je comprends, l'accès sera libre au bout de 112 ans. Toutefois, le sénateur Comeau répondra à bon nombre de futurs recensements et il aura l'occasion de refuser d'apposer sa signature sur le formulaire de consentement éclairé. En pareil cas, le public ne pourra avoir accès à l'information personnelle que fournira le sénateur.

Le sénateur Comeau: Il y a une chose qui m'a beaucoup agacé tout au long du processus. Je félicite madame le sénateur Milne pour la superbe campagne qu'elle et son groupe ont orchestrée. Je suis conscient de l'importance des renseignements généalogiques. Je m'intéresse moi aussi à l'ascendance.

Cette campagne de lobbying avait pour motif le fait que ces renseignements auraient dû être communiqués. Les lettres que j'ai reçues et nombre des pétitions qui ont été présentées en cet endroit étaient motivées par l'absence de restriction légale. Le sénateur Milne a mentionné, la semaine dernière, que les dossiers du gouvernement deviennent complètement accessibles au public après 25 années. Si aucune restriction n'était imposée à l'égard de tels renseignements, pourquoi avoir une mesure législative? S'il s'agissait uniquement d'une question de droit, pourquoi ne pas être allé en cour et avoir laissé les avocats la régler, au lieu de faire en sorte que le Parlement brise rétroactivement une promesse, au nom du gouvernement, comme on est en train de le faire avec cette mesure? Il ne s'agit pas d'une question d'ordre juridique. Il s'agit d'une mesure législative qui brise rétroactivement une promesse, un engagement que le gouvernement avait pris envers la population. S'il s'agit d'une question d'ordre juridique, saisissez-en un tribunal et laissez les avocats gagner leur vie en la réglant.

Le sénateur Murray: Honorables sénateurs, comme je ne suis plus un initié du gouvernement, il m'est quelque peu difficile de répondre à cette question. Toutefois, vu de l'extérieur, voici comment les choses m'apparaissaient: le gouvernement —son statisticien en chef en tout cas —a très longtemps refusé de mettre ces renseignements à la disposition des recherchistes, et il était, à l'époque, conforté dans son opinion par l'avis du ministère de la Justice.

(1510)

Depuis, le ministère de la Justice est revenu sur sa décision, au vu des dispositions exigeant que les données du recensement soient transmises aux Archives nationales dont le fond est accessible au grand public, et au vu des dispositions de la Loi de 1983 sur la protection des renseignements personnels en vertu desquelles les informations dont dispose le gouvernement doivent être rendues publiques au bout de 92 ans. Le ministère de la Justice a changé d'avis et pris une nouvelle décision qui a placé Statistique Canada dans une position de vulnérabilité, l'exposant aux poursuites du type dont a parlé mon collègue.

Je ne prête de propos à personne, mais il s'agit de ma propre interprétation des choses. Pour éviter une situation plus difficile, les responsables se sont concertés et sont arrivés au compromis reflété dans le projet de loi S-13, que je continue d'appuyer pour toutes les raisons que je viens de citer.

Le sénateur Comeau: Madame le sénateur Milne a déclaré la semaine dernière que les dossiers du gouvernement sont de toute façon mis à la disposition des Canadiens au bout de 25 ans. Il ne m'était pas venu à l'esprit qu'un dossier classé dans les archives du gouvernement pouvait être consulté en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. Si j'ai bien compris, n'importe quel Canadien peut en faire la demande et consulter les dossiers après 25 ans, à l'exception des déclarations de revenus. Si je comprends bien, cela s'applique aux demandes de prêt étudiant ou de permis de port d'arme, en fait, à toutes sortes de dossiers dont nous entendons parler. Toutefois, que se passerait-il s'il devenait possible de consulter certains dossiers au bout de 25 ans, entre autres des dossiers que nous ne connaissons pas? Cette question peut être liée à la préoccupation exprimée par l'honorable sénateur précédemment au sujet de la protection de la vie privée des Canadiens. Il pourrait être intéressant d'examiner ces questions.

Le sénateur Murray: J'ai pris connaissance des propos tenus par mon ami à ce sujet, mercredi dernier, lorsqu'il est intervenu après le sénateur Milne. Je n'ai pas eu l'occasion de me plonger à ce point dans les lois visées.

Quoi qu'il en soit, je dirai que, d'une part, la Loi sur l'accès à l'information et, d'autre part, la Loi sur la protection des renseignements personnels, doivent être lues simultanément. Voilà ma réponse générale à la question. Il y a la règle des 25 ans. Elle s'applique entre autres aux documents du Cabinet et aux procès- verbaux des réunions du Cabinet, comme je l'ai appris, quelque peu à mes dépens, ou m'attends malheureusement à le faire. Je ne m'étais pas rendu compte qu'il en était ainsi jusqu'au jour où j'ai constaté que tous les procès-verbaux des réunions du Cabinet Trudeau, tenues en 1967, au moment de la visite de de Gaulle, avaient été rendus publics en 1992, soit 25 ans après les événements sur lesquels ils portaient. Un nombre considérable de ministres qui siégeaient à ce Cabinet étaient toujours sur la scène politique et les commentaires qu'ils avaient faits en privé au Cabinet ont été divulgués pour informer le public.

La Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels devront être lues en même temps. Je suis très sensible aux points que mon ami a soulevés tels que les demandes de prêt étudiant, pour lesquelles certaines questions sont plutôt indiscrètes, et les demandes concernant l'enregistrement des armes d'épaule. C'est ce que je voulais dire en affirmant que nous ferions mieux de nous pencher là-dessus au cours des prochains mois et des prochaines années.

L'honorable Noël A. Kinsella (leader adjoint de l'opposition): Les renseignements fournis dans le cadre des demandes de prêt étudiant, entre autres, sont fournis volontairement. On fournit les renseignements demandés lorsqu'on présente une demande de prêt étudiant. N'est-il pas vrai qu'on est obligé de fournir les renseignements demandés dans le cadre d'un recensement du Canada sous peine d'être peut-être jeté en prison?

Le sénateur Murray: Oui, c'est vrai, bien que je ne pense pas que nous devions accorder moins d'importance aux renseignements personnels qui sont fournis volontairement lors de la présentation d'une demande de prêt étudiant ou d'enregistrement d'une arme à feu que nous n'en accordons aux renseignements demandés dans le cadre d'un recensement.

Je crois avoir déjà dit au comité qu'il y a des amendes. Le jour même où nous nous rencontrions, le 9 avril, j'ai consulté le site Web du Cape Breton Post comme d'habitude et j'ai vu qu'un citoyen du Cap-Breton avait refusé de fournir certaines informations exigées dans le questionnaire complet en disant: «Le gouvernement a déjà toutes ces données. Divers ministères m'ont demandé ces informations. Je remplis sans cesse des formulaires. C'est fini. Je ne fournirai pas d'informations additionnelles.» Le juge lui a dit que cela ne constituait pas un motif suffisant pour refuser de remplir le questionnaire complet du recensement, il lui a imposé une amende de plusieurs centaines de dollars et l'a laissé libre.

Le sénateur Kinsella: Honorables sénateurs, le sénateur Murray a attiré notre attention sur un revirement complet du ministère de la Justice dans ce dossier. Je crois que ce changement a dû interpeller au plus haut point M. Fellegi, statisticien en chef du Canada. Il s'est trouvé dans une position où il était presque abandonné. En vertu de la décision originale, il disposait d'une bonne marge de manoeuvre.

Le sénateur Murray ne croit-il pas aussi que notre statisticien en chef, l'un des plus hauts fonctionnaires du Canada, doit avant tout protéger l'intégrité des données du recensement et qu'il ne souhaiterait certainement pas que des gestes soient posés qui puissent nuire à cette intégrité? Il était assuré de cette protection, dans le cadre des rouages gouvernementaux, à l'époque où le ministère de la Justice n'avait pas encore changé d'idée. Pourquoi le sénateur croit-il que le ministère de la Justice a fait une telle volte- face et a changé radicalement de position?

Le sénateur Murray: Honorables sénateurs, j'ai une idée. C'est la réponse courte. La réponse élaborée, c'est qu'ils se sont inspirés d'une opinion qui était antérieure à la Loi de 1983 sur la protection des renseignements personnels et qu'ils ne l'ont pas suffisamment modernisée. Je vais leur donner le bénéfice du doute. Quoi qu'il en soit, ils ont complètement changé d'avis. Nous n'avons évidemment pas accès à ces opinions. Les opinions que les juristes offrent aux ministères ne sont habituellement pas publiées.

L'honorable Lorna Milne: Je les ai données au Comité des affaires sociales.

Le sénateur Murray: Je comprends que les opinions sont classées quelque part. Je tiens seulement pour acquis que, comme toutes les opinions juridiques, elles ne sont pas à la disposition du Parlement. Je n'ai pas eu la chance de les examiner. Nous devrions peut-être le faire à un moment donné.

Le sénateur Kinsella: Le statisticien en chef a déclaré très clairement que, au bout du compte, il peut s'en accommoder, et fort bien d'ailleurs. Il a dit appuyer, en fait, le projet de loi en tant que fonctionnaire. Je ne vois pas comment il pourrait faire autrement.

Plus important encore, peut-être, est le témoignage du commissaire à la protection de la vie privée. Je lui ai posé une question et j'aimerais avoir l'avis du sénateur Murray. Je lui ai demandé si, lorsque les divers intervenants en viennent à un compromis de ce genre, le droit en question n'y perd pas. Le commissaire à la protection de la vie privée n'a-t-il pas témoigné lui- même que le compromis sur lequel repose ce projet de loi en est un dans lequel le commissaire à la protection de la vie privée voit le droit à la vie privée comme perdant?

(1520)

Le sénateur Murray: Dans son témoignage du 9 avril, le commissaire à la vie privée a parlé de l'introduction du principe de rétroactivité. Cependant, ce principe avait déjà été soulevé dans le compromis qu'il avait accepté il y a quelques années. Un principe est un principe. Il a raison. La protection de la vie privée n'est pas aussi absolue qu'on ne l'avait cru lorsqu'on avait reçu une autre opinion de la part du ministère de la Justice.

Comme l'a souligné M. Fellegi, lorsqu'on fait un compromis, on gagne d'un côté et on perd de l'autre. Ce qu'on a perdu à l'occasion d'un précédent compromis, on le récupère d'une certaine manière au moyen de cette disposition concernant le consentement éclairé. Les renseignements personnels sur une personne ne seront jamais divulgués à moins que celle-ci ne signe une formule de consentement éclairé. Tel qu'il a été indiqué précédemment, c'est ainsi que l'on procède en Australie.

L'honorable John Lynch-Staunton (leader de l'opposition): Honorables sénateurs, je tiens à rappeler au Sénat qu'il y a des années, sous la direction de M. Pearson, le gouvernement a instauré le numéro d'assurance sociale. On nous avait alors garanti que ce numéro ne servirait que pour des usages gouvernementaux limités. Je me souviens que M. Diefenbaker avait alors signalé qu'une fois qu'on établit une idée comme celle-là, son application se généralise en un rien de temps. C'est ce qui s'est produit avec le numéro d'assurance sociale de nos jours. Il est public. La première chose que vous demande tout établissement de crédit, toute société émettrice de cartes de crédit ou quiconque veut de l'information sur vous, c'est ceci: quel est votre numéro d'assurance sociale? Avec ce numéro, ils ont accès à tous les renseignements sur votre crédit et même plus, bien que, légalement, ils n'aient pas le droit d'agir ainsi. Le gouvernement ne dit pas aux Canadiens qu'ils ont le droit de limiter les renseignements qu'ils fournissent.

J'ai l'impression qu'avec ce projet de loi, nous nous exposons à ce que, plus tard cette année ou dans quelques années, des gens nous demandent de divulguer les données du recensement immédiatement. Je ne serai pas là pour le vérifier, mais j'espère que mes inquiétudes ne seront pas fondées.

J'ai lu le compte rendu des délibérations du comité. Je n'ai pas senti beaucoup d'enthousiasme à l'égard du projet de loi. Le mot «compromis» revient à maintes occasions, ce qui ne me rassure guère. Je suis plus impressionné par la déclaration catégorique que le commissaire à la protection de la vie privée a faite et qui, d'après ce que je vois, n'a été nulle part contestée. Le 9 avril, voici ce qu'il a dit devant le comité:

S'il est adopté, ce projet de loi violera une promesse que des gouvernements successifs ont faite aux Canadiens et annulera de façon rétroactive les droits existants en matière de protection des renseignements personnels.

Le sénateur Murray pourrait-il expliquer comment nous pouvons justifier le reniement de cette promesse qui a été faite aux Canadiens à maintes reprises au fil des ans par de nombreux gouvernements?

Le sénateur Murray: Comme je l'ai dit, je comprends la position du leader de l'opposition, qui est dictée par des principes. Comme je l'ai dit également, je conteste cette affirmation du commissaire. Ce qu'il dit de ce projet de loi était également vrai du compromis qu'il a accepté il y a un ou deux ans.

Mon collègue dit que, dès qu'il entend le terme «compromis», il s'inquiète. Le compromis est à la base de notre pays. J'ai essayé d'expliquer que le statisticien en chef, qui a été à la ligne de front pour défendre le secret absolu de ces renseignements, a su voir ce qui s'en venait. Lorsque la position juridique du ministère de la Justice a changé, il a entrevu la possibilité très réelle que les tribunaux jugent, en l'absence de toute autre intervention du Parlement, qu'on devait avoir un accès illimité aux renseignements des recensements après 92 ans. C'est ce qui l'a amené à ce compromis, qu'il appuie sans beaucoup de réserves, somme toute. Il nous a implorés de ne pas adopter les amendements à l'étude au comité à ce moment-là, mais il a donné un appui total au compromis auquel il a contribué, et au projet de loi qui traduit ce compromis.

Dans ce contexte, et d'après mon interprétation de l'évolution de la situation au fil des années où madame le sénateur Milne a présenté ses projets de loi d'initiative parlementaire, j'ai décidé que je devrais appuyer le projet de loi, et c'est ce que je fais.

Le sénateur Lynch-Staunton: Pour être plus clair, j'aurais peut-être dû dire que je ne croyais pas aux compromis en ce qui a trait aux droits fondamentaux des particuliers, et assurément pas en ce qui a trait au droit fondamental du respect de la vie privée. Le fait que le sénateur Murray ait insisté pour que soient incluses des dispositions sur le respect de la vie privée dans la Charte indique, à mon avis, qu'il partage mon point de vue beaucoup plus que son discours ne le laisse croire.

Le sénateur Robichaud: Vous interprétez.

Le sénateur Lynch-Staunton: J'aimerais poser une autre question au sénateur Murray. S'il est adopté, le projet de loi deviendra loi. Toutefois, il ne sera appliqué que par le truchement du processus de réglementation. En vertu de l'article 2, le gouverneur en conseil peut établir les formulaires, les catégories, et ainsi de suite. Le succès ou l'échec de ce projet de loi, s'il est adopté, reposera sur le règlement.

Le comité a-t-il demandé qu'on lui remette une ébauche du règlement afin de s'assurer qu'il tient compte de la nature restrictive de ce projet de loi, quelle qu'elle soit, avant sa proclamation?

Le sénateur Murray: Honorables sénateurs, je souscris généralement à ce qu'a dit indirectement le leader de l'opposition et à ce qu'a dit plus directement le commissaire à la protection de la vie privée, et je préfère donc voir les choses dans la loi plutôt que dans la réglementation.

Toutefois, nous en sommes là. Je dois reconnaître que, même avant la deuxième lecture, le gouvernement a publié sinon la totalité du moins la majeure partie du règlement d'application de la loi. Ce règlement inclut même les formulaires de demande que devront signer les personnes désireuses de faire une recherche sur leurs ancêtres. Les ébauches de formulaires de demande sont là. Le gouvernement les a fournies. On trouve également les formulaires de demande que les historiens devront remplir pour pouvoir effectuer des recherches historiques.

Je crois pouvoir affirmer que nous avons la majeure partie du règlement. Toutes les définitions, notamment, sont contenues dans les documents publiés par le gouvernement. La majeure partie de la documentation a été fournie avant même l'étape de la deuxième lecture, et une partie l'a été par la suite. Autrement dit, la documentation est disponible.

(Sur la motion du sénateur Lynch-Staunton, le débat est ajourné.)

[Français]

LA LOI SUR LES LANGUES OFFICIELLES

PROJET DE LOI MODIFICATIF—DEUXIÈME LECTURE

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Gauthier, appuyée par l'honorable sénateur Morin, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-11, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l'anglais).—(L'honorable sénateur Chaput).

L'honorable Maria Chaput: Honorables sénateurs, je viens endosser les propos de l'honorable sénateur Jean-Robert Gauthier au sujet de son projet de loi S-11, qui vise l'imputabilité des gouvernements par rapport à la mise en oeuvre de l'article 41 de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles.

J'ai écouté le discours du sénateur Beaudoin. Il considère que l'article 41 de la Loi sur les langues officielles est exécutoire et non pas uniquement déclaratoire. Me voici donc, honorables sénateurs, à débattre au Sénat un projet de loi qui, à mon humble avis, doit refléter un véritable engagement du gouvernement fédéral et de ses institutions en faveur du développement et de l'épanouissement des communautés de langues officielles vivant en situation minoritaire.

(1530)

Mon intervention portera sur mon expérience communautaire vécue comme francophone dans l'ouest du Canada et sur l'extrême importance d'adopter une loi qui nous permettra d'intervenir lorsqu'elle ne sera pas respectée. Intervenir en Cour suprême n'est pas notre premier choix, mais quand il s'agit de faire respecter nos droits, nous le faisons: par exemple, l'arrêt Forest au Manitoba et l'obtention et la gestion de nos écoles françaises.

À ce jour, la loi présente s'est avérée insuffisante pour assurer la permanence des diverses initiatives instaurées qui appuient le développement de nos communautés. Les mesures en place, en ce sens, dépendent de la bonne volonté des dirigeants et sombrent dans l'oubli avec le départ des personnes qui les ont initiées. C'est ce que nous récoltons, faute de recours officiel reconnu relativement à l'application de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles.

Notre seule ressource est le Commissariat aux langues officielles. Nous nous retrouvons à loger plainte après plainte, dans un processus long et ardu. Ayant travaillé pendant plusieurs années avec les fonctionnaires de divers ministères fédéraux, j'ai pu remarquer que les gestionnaires de la fonction publique, dans son ensemble, comprennent mal les articles 41 et 42 de la Loi sur les langues officielles.

Nombre d'entre eux n'y lisent que des exigences minimes relatives à la prestation de services dans les deux langues officielles. Ils considèrent généralement que la promotion de cette dualité linguistique relève principalement du ministère du Patrimoine canadien et ne relève pas de leur domaine.

De toute façon, les initiatives des francophones nécessitant des fonds de leurs ministères respectifs répondent rarement à leurs critères. Ce sont des refus continus. Nous avons vu pendant des années des situations où l'élaboration de politiques et de programmes applicables aux francophones à l'extérieur du Québec était fondée sur le seul examen des besoins de la majorité et a ainsi contribué largement à notre assimilation.

Nos communautés ont dû se battre pour quelques miettes provenant de programmes mal adaptés à leur situation. Malgré le cadre de mise en œuvre annoncé en 1994 et ciblant de façon particulière 27 ministères et agences fédérales, le gouvernement n'a pas reconnu dans la Partie VII une l'obligation d'agir. La faiblesse du gouvernement fédéral n'est peut-être pas dans sa volonté, mais dans l'application de celle-ci, qui nécessite la reconnaissance des obligations de ces ministères et des pratiques obligatoires à suivre dans l'application de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles.

Nous devons continuellement être aux aguets et loger des plaintes auprès du Commissariat aux langues officielles: par exemple, une annonce de poste à la GRC n'indiquant pas la nécessité de connaître les deux langues officielles du pays; Air Canada et son affichage; Santé Canada et son refus d'appuyer les initiatives pour les aînés francophones; Postes Canada qui a fermé les petits bureaux de postes dans nos communautés rurales francophones et qui a établi une entente de livraison de services avec l'entreprise privée. Les services en français sont-ils protégés?

Les conséquences sur notre développement sont néfastes. Il en résulte un accès quasi inexistant aux programmes de recherche et de développement pour assurer des données adéquates sur nos communautés; un accès très limité aux programmes et aux services gouvernementaux; un transfert de responsabilités vers les provinces et vers d'autres paliers, tel le secteur privé, sans clause de protection des droits des minorités de langues officielles; le transfert d'importantes sommes fédérales aux provinces, sans obligation pour celles-ci de desservir leurs communautés minoritaires.

De plus, parce que la Partie VII de la Loi sur les langues officielles n'est pas reconnue comme obligeant les instances fédérales à agir en travaillant de concert avec les communautés minoritaires de langues officielles, nous n'avons pas bénéficié de l'arrivée d'un nombre important d'immigrants venu renforcer les rangs de la majorité, faute de politique de sélection et de programme d'intégration approprié.

Nous sommes toujours absents des grandes initiatives fédérales, entre autres, l'initiative du secteur bénévole et communautaire. Est- ce si étonnant, honorables sénateurs, que le pourcentage et la population francophone au Canada continuent à diminuer, plus précisément celle de l'Ouest du Canada.

Les francophones vivant à l'extérieur du Québec ne sont pas des citoyens de second rang. Ils ont le droit de se développer et de s'épanouir dans leur langue. Le fait est que le Canada français reste encore trop souvent oublié dans la vision fédérale fondée sur la reconnaissance de deux entités linguistiques, malheureusement perçues comme étant un Canada anglophone et un Québec francophone.

L'honorable Stéphane Dion vient de déposer son plan d'action et reconnaît que les communautés de langues officielles vivant en situation minoritaire ont des besoins différents en fonction de leur développement et de leur épanouissement. Il propose un cadre administratif pour la mise en œuvre de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles.

C'est une lueur d'espoir, quoique l'inquiétude demeure, car la loi est toujours perçue par les gouvernements comme étant déclaratoire et non pas exécutoire. À ce jour, la loi s'est avérée insuffisante pour assurer notre permanence et appuyer le développement de nos communautés. Les ministères fédéraux ciblés ne réussiront jamais à le faire s'ils n'y reconnaissent aucune obligation.

Le débat entourant le caractère exécutoire de l'article 41 doit viser trois points importants: un processus de reddition de comptes de la part des haut fonctionnaires, c'est-à-dire l'imputabilité, une obligation de consulter les communautés et une obligation de résultats mesurables basés sur des objectifs communs.

C'est le message que je voulais véhiculer aujourd'hui et qui vient appuyer le projet de loi de l'honorable sénateur Gauthier.

Son Honneur le Président: Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix: D'accord.

Son Honneur le Président: Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu une deuxième fois.)

RENVOI AU COMITÉ

Son Honneur le Président: Quand ce projet de loi sera-t-il lu une troisième fois, honorables sénateurs?

(Sur la motion du sénateur Robichaud, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des langues officielles.)

LES TRAVAUX DU SÉNAT

L'honorable Fernand Robichaud (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, le mercredi étant une journée où les comités siègent à 15 h 30, et certains à 16 heures, je propose que tous les articles qui n'ont pas été abordés au Feuilleton soient reportés à la prochaine séance dans l'ordre actuel.

[Traduction]

Son Honneur le Président: Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

L'honorable Terry Stratton: Honorables sénateurs, il y a au Feuilleton un article qui en est à son 15e jour. La Chambre recommande-t-elle que toutes les autres affaires restent au Feuilleton?

Son Honneur le Président: Les honorables sénateurs sont-ils d'accord pour que les autres affaires inscrites au Feuilleton restent à leur place jusqu'à la prochaine séance?

Des voix: D'accord.

(Le Sénat s'ajourne au jeudi 8 mai 2003, à 13 h 30.)


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