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Débats du Sénat (Hansard)

Débats du Sénat (hansard)

3e Session, 37e Législature,
Volume 141, Numéro 15

Le mardi 24 février 2004
L'honorable Dan Hays, Président


LE SÉNAT

Le mardi 24 février 2004

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

VISITEURS DE MARQUE

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je vous signale la présence à notre tribune de l'honorable Dragoljub Micunovic, président du Parlement de Serbie-Monténégro. Il est accompagné de M. Milorad Drljevic, président adjoint, Serbie-Monténégro; du professeur Zarko Korac, député; de M. Borislav Banovic, député, et de M. Branko Marjanac, ministre-conseil et chargé d'affaires pour la Serbie au Canada.

Messieurs, nous vous souhaitons la bienvenue au Sénat du Canada.

[Français]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

LES ARCHIVES NATIONALES

L'ÉTAT DU BÂTIMENT

L'honorable Viola Léger: Honorables sénateurs, comme des centaines de milliers de téléspectateurs, dimanche soir à Radio-Canada, j'ai vu l'état pitoyable de nos archives à la Bibliothèque nationale du Canada. J'ai été scandalisée des faits relatés par le journaliste Paul Toutant surtout après la réconfortante cérémonie des Jutra.

La vérificatrice générale, Mme Sheila Fraser, a dénoncé dans son rapport l'état lamentable du bâtiment qui abrite les Archives nationales à Ottawa; plus de 30 000 pièces de la collection ont déjà été perdues à tout jamais.

Cependant, ce que j'ai vu dimanche soir me dépasse. J'étais outrée de voir ces documents d'une si grande valeur, des documents qui ont 400 ans tels que les originaux des mémoires de Champlain, fondateur de Québec, les relations des Jésuites, de précieux documents historiques, en quasi-ruine, en danger d'être perdus à tout jamais. À la fin du reportage, on a vu les oeuvres de Victor Hugo, déjà ruinées par une précédente inondation. Ces images ont été un véritable choc pour moi.

J'ai été sous le choc de voir des tuyaux qui coulent, des fils d'électricité qui peuvent surchauffer et donc faire partir à tout moment tous les gicleurs, de voir nos documents historiques, la mémoire de notre pays, rongés par l'eau, les moisissures et la lumière des néons. L'administrateur général de la Bibliothèque nationale, M. Roch Carrier, lui-même écrivain, n'a pas encore osé confier ses archives personnelles à l'organisme qu'il dirige.

L'édifice où est conservée la collection des journaux du Canada n'est guère mieux favorisé. Nous avons vu des ouvrages qui tombent en poussière, mangés par les champignons en raison du manque de contrôle de l'humidité. Une perte presque totale. L'avenir culturel est bâti sur un passé qui doit absolument être rescapé immédiatement avec les moyens nécessaires. Il est anormal que le budget de la Bibliothèque nationale n'ait pas changé depuis 1990, alors que la collection grossit de 3 p. 100 par année.

Ce que les Canadiens et les Canadiennes ont vu dimanche soir à Radio-Canada est indigne d'un pays comme le nôtre qui se veut respectueux de son passé pour mieux faire face à son avenir.

[Traduction]

LE MOIS NATIONAL DU COEUR

L'honorable Wilbert J. Keon: Honorables sénateurs, comme un grand nombre d'entre vous le savent, aujourd'hui, dans le cadre du Mois national du cœur de cette année, nous soulignons la Journée du coeur sur la Colline du Parlement. J'aimerais saisir l'occasion qui m'est offerte de sensibiliser davantage les gens à la prévention et au traitement des maladies du coeur au Canada et de m'attaquer rapidement à deux autres questions qui se rapportent actuellement au système de soins de santé au Canada. Les maladies du coeur et les accidents cérébrovasculaires demeurent la principale cause de décès, d'hospitalisation et d'augmentation des coûts liés aux médicaments sur ordonnance au Canada. On évalue à plus de 18 milliards de dollars l'incidence de cette tendance sur notre économie et on s'attend à ce qu'elle augmente avec le vieillissement de la population. La situation requiert plus de recherches et une amélioration des méthodes de traitement des maladies du coeur et, surtout, de meilleurs mécanismes de prévention.

Les maladies du coeur et les accidents cérébrovasculaires sont plus facilement évitables qu'on ne le croit en général. Sur les neuf facteurs de risque les plus courants qui contribuent aux maladies du coeur, seulement trois échappent à notre contrôle: le vieillissement, l'hérédité et le sexe, et il se peut que l'on puisse prochainement intervenir au niveau de l'hérédité. Les personnes âgées, les personnes qui ont des antécédents familiaux de cardiopathie et les hommes sont les plus susceptibles d'être victimes de maladies du cœur. Cependant, le tabagisme, l'hypertension, l'obésité, le manque d'activités physiques régulières, l'hypercholestérolémie et le diabète sont les facteurs de risque sur lesquels on peut exercer un contrôle. Par exemple, on peut prévenir l'hypertension et le cholestérol en réduisant la consommation de sel, de graisses saturées ainsi que de graisses et d'huiles hydrogénées. D'autres changements, petits mais importants, peuvent être apportés à nos habitudes de vie quotidiennes pour réduire le risque de cardiopathie.

Nous devons promouvoir avec plus de vigueur un mode de vie qui englobent toutes les saines habitudes et nous concentrer sur l'élimination des facteurs de risque évitables qui contribuent aux contraintes des maladies du cœur sur notre système de soins de santé. Le Mois du cœur est une excellente période pour reconnaître les facteurs qui nous mettent à risque et pour modifier en conséquence nos habitudes de vie.

À ce moment-ci, j'aimerais faire quelques observations sur la section du discours du Trône intitulée «Partenaires d'un Canada en santé».

(1410)

Une des principales préoccupations que suscite le système actuel est le temps d'attente pour obtenir des diagnostics et des traitements importants. Les Canadiens craignent de plus en plus que les services disponibles ne satisfassent pas leurs besoins. De ce fait, le système de santé ne rallie plus le soutien du public.

L'inefficience des listes d'attente est attribuable à de sérieuses lacunes de gestion. On note un manque d'uniformité dans les critères d'inscription des patients sur les listes et dans les méthodes utilisées pour évaluer le temps d'attente. En outre, très peu d'indications montrent qu'il y a des vérifications.

Honorables sénateurs, le principe fondamental qui sous-tend le régime de soins de santé public est que tous les Canadiens doivent avoir accès à des soins de qualité en temps opportun. Si l'on ne respecte pas ce principe risque, la population pourrait en venir à ne plus approuver le système de soins de santé. Comment peut-on raccourcir les listes d'attente et mieux les gérer?

Je recommande trois mesures correctives: la normalisation des méthodes d'évaluation du temps d'attente, l'élaboration de procédures uniformes pour la classification des patients inscrits sur les listes d'attente et la création de solutions de rechange aux listes d'attente, notamment en redirigeant les patients à des cliniciens individuels et à des institutions ailleurs.

À l'heure actuelle, certaines de ces mesures...

Son Honneur le Président: C'est à regret que j'informe l'honorable sénateur que son temps de parole est écoulé.

L'OPEN DE LOS ANGELES

FÉLICITATIONS À MIKE WEIR

L'honorable Francis William Mahovlich: Honorables sénateurs, dimanche dernier, il y a eu une invasion asiatique à Los Angeles, en la personne de Shigeki Maruyama. Il était à sept coups du meneur avec 15 trous à jouer. Lorsque Mike Weir et Shigeki se sont approchés du vert du 18e trou, ils étaient à égalité. Mike Weir a gardé son sang froid et a calé un roulé, remportant ainsi l'open de Los Angeles.

Au cours des semaines et des mois à venir, l'Amérique se prépare à accueillir le célèbre tournoi des Maîtres dont Mike Weir est le champion en titre. Cette année encore, il aspire à ce titre comme on peut le voir d'après sa performance lors des derniers tournois. C'est avec beaucoup d'enthousiasme que le Canada attend ce tournoi.

LA CÉLÉBRATION DE L'AÏD AL ADHA

L'honorable Mobina S. B. Jaffer: Honorable sénateurs, le mercredi 11 février, le premier ministre, des membres du Cabinet, des sénateurs et des députés de tous les partis politiques, ainsi que des ambassadeurs et des membres de la communauté musulmane étaient présents sur la colline du Parlement pour participer à l'une des grandes fêtes musulmanes, l'Aïd Al Adha. Cette fête sert à commémorer le fait que le prophète Abraham était prêt à sacrifier son fils aîné Ismaël à Allah. Il en est venu à représenter l'esprit de sacrifice que tout disciple d'Allah devrait porter dans son cœur.

L'Association of Progressive Muslims of Ontario, organisme à but non lucratif qui accueille dans ses rangs tous les musulmans, a organisé cet événement important. Sous la direction de son président Mobeen Khaja et de son vice-président Zul Kassamali, l'association travaille à établir des ponts et à favoriser une meilleure compréhension entre la communauté musulmane et les autres dénominations religieuses.

Cette année, l'Association of Progressive Muslims a honoré deux personnalités politiques. Elle a remis à notre collègue, le sénateur Prud'homme, une plaque sur laquelle on peut lire: «Son dévouement à l'égard des causes justes, ses 40 ans au service du public, sa contribution à la démocratie parlementaire, son amitié pour la communauté musulmane et d'autres communautés.»

L'association a également honoré le regretté très honorable Pierre Elliott Trudeau pour l'héritage durable qu'il a légué aux Canadiens. C'est la promotion qu'il a faite de la tolérance à l'égard de toutes les croyances et de la reconnaissance de toutes les personnes, quelles que soient leurs croyances religieuses, leurs origines ou leurs valeurs, qui a été à l'origine de la vision du multiculturalisme qui constitue le fondement de la société canadienne moderne. Les Canadiens doivent beaucoup à M. Trudeau pour sa vision.

Honorables sénateurs, je sais que vous allez vous joindre à moi pour féliciter le sénateur Prud'homme de ses réalisations.


AFFAIRES COURANTES

LE BUDGET DES DÉPENSES DE 2004-2005

DÉPÔT DE DOCUMENTS

L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer le Budget des dépenses de 2004-2005, parties I et II, le Plan de dépenses du gouvernement et le Budget principal des dépenses.

[Français]

BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT

DÉPÔT DU RAPPORT VISÉ À L'ARTICLE 104 DU RÈGLEMENT

L'honorable Yves Morin: Honorables sénateurs, conformément à l'article 104 du Règlement du Sénat, j'ai l'honneur de déposer le rapport des dépenses du Comité mixte permanent de la Bibliothèque du Parlement pour la deuxième session de la trente-septième législature.

(Le texte du rapport figure à la page 203 des Journaux du Sénat d'aujourd'hui.)

[Traduction]

LE BUDGET DES DÉPENSES DE 2004-2005

AVIS DE MOTION VISANT À AUTORISER LE COMITÉ DES FINANCES NATIONALES À ÉTUDIER LE BUDGET PRINCIPAL DES DÉPENSES

L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, je donne avis que demain, le mercredi 25 février 2004, je proposerai:

Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à étudier, afin d'en faire rapport les dépenses projetées dans le Budget des dépenses pour l'exercice se terminant le 31 mars 2005, à l'exception du crédit 10 du Parlement.

AVIS DE MOTION VISANT À RENVOYER LE CRÉDIT 10 AU COMITÉ MIXTE PERMANENT DE LA BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT

L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, je donne avis que demain, le mercredi 25 février 2004, je proposerai:

Que le Comité mixte permanent de la Bibliothèque du Parlement soit autorisé à étudier les dépenses projetées au crédit 10 du Parlement contenu dans le Budget des dépenses pour l'exercice se terminant le 31 mars 2005; et

Qu'un message soit transmis à la Chambre des communes pour l'en informer.

[Français]

SÉCURITÉ NATIONALE ET DÉFENSE

AVIS DE MOTION VISANT À AUTORISER LE COMITÉ À ÉTUDIER LES PRESTATIONS ET SERVICES OFFERTS AUX ANCIENS COMBATTANTS, LES ACTIVITÉS COMMÉMORATIVES ET LA CHARTE

L'honorable Michael A. Meighen: Honorables sénateurs, je donne avis qu'à la prochaine séance du Sénat, je proposerai:

Que le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense soit autorisé à entreprendre une étude sur:

a) les prestations et services offerts aux anciens combattants ayant servi au cours de guerres ou d'opérations de maintien de la paix en reconnaissance des services qu'ils ont fournis au Canada, et plus particulièrement:

- l'accès à des lits prioritaires pour les anciens combattants dans les hôpitaux communautaires;

- la disponibilité de centres d'hébergement et de meilleurs soins à domicile;

- l'uniformisation des services dans tout le Canada;

- la surveillance et l'agrément des établissements de soins de longue durée;

b) les activités commémoratives organisées par le ministères des Anciens Combattants pour rappeler à tous les Canadiens les réalisations et les sacrifices des anciens combattants;

c) la nécessité de réviser la Charte des anciens combattants pour souligner le droit à des soins préventifs, au soutien de la famille, à des traitements et à des prestations de réinstallation.

Que les mémoires reçus et les témoignages entendus sur la question dans la deuxième session de la trente-septième législature soient déférés au Comité;

Que le Comité présente son rapport au plus tard le 30 juin 2004.

LES LANGUES OFFICIELLES

LE STATUT BILINGUE DE LA VILLE D'OTTAWA—PRÉSENTATION DE PÉTITIONS

L'honorable Michel Biron: Honorables sénateurs, conformément à l'article 4h) du Règlement du Sénat, j'ai l'honneur de déposer en cette Chambre les pétitions de 107 signataires demandant de déclarer Ottawa, la capitale du Canada, une ville bilingue reflétant la dualité linguistique du pays.

Les pétitionnaires prient le Parlement de considérer les points suivants:

Que la Constitution du Canada reconnaît le français et l'anglais comme les deux langues officielles de notre pays, ayant un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du gouvernement du Canada;

Que l'article 16 de la Loi constitutionnelle de 1867 désigne la ville d'Ottawa comme le siège du gouvernement du Canada;

Que les citoyens ont le droit, dans la capitale nationale, d'avoir accès aux services offerts par les institutions du gouvernement du Canada dans la langue officielle de leur choix, soit en français, soit en anglais;

Que la capitale du Canada doit être le reflet de la dualité linguistique qui est au cœur de notre identité collective et qui caractérise la nature même de notre pays;

Par conséquent, les pétitionnaires demandent au Parlement de confirmer dans la Constitution du Canada qu'Ottawa, la capitale du Canada, doit être déclarée officiellement bilingue en vertu de l'article 16 de la Loi constitutionnelle de 1867 et 1982.

(1420)

L'honorable Gérald-A. Beaudoin: Honorables sénateurs, conformément au paragraphe 4h) du Règlement, j'ai l'honneur de déposer en cette Chambre les pétitions de 41 signataires demandant de déclarer Ottawa, la capitale du Canada, ville bilingue, reflétant la dualité linguistique du pays. Les pétitionnaires prient le Parlement de considérer les points suivants:

Que la Constitution du Canada reconnaît le français et l'anglais comme les deux langues officielles du pays, ayant un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du gouvernement du Canada;

Que l'article 16 de la Loi constitutionnelle de 1867 désigne la ville d'Ottawa comme le siège du gouvernement du Canada;

Que les citoyens ont le droit, dans la capitale nationale, d'avoir accès aux services offerts par les institutions du gouvernement du Canada dans la langue officielle de leur choix, soit en français, soit en anglais;

Que la capitale du Canada doit être le reflet de la dualité linguistique qui est au cœur de notre identité collective et qui caractérise la nature même de notre pays.

Par conséquent, les pétitionnaires demandent au Parlement de confirmer dans la Constitution du Canada qu'Ottawa, la capitale du Canada — la seule mentionnée dans la Constitution —, doit être déclarée officiellement bilingue en vertu de l'article 16 de la Loi constitutionnelle de 1867 et 1982.


[Traduction]

PÉRIODE DES QUESTIONS

LE PARLEMENT

LA SÉPARATION DES POUVOIRS ENTRE LE PARLEMENT ET LA MAGISTRATURE

L'honorable Jerahmiel S. Grafstein: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Selon les journaux d'hier, l'ancien premier ministre aurait été cité à comparaître à une audience civile de la Cour fédérale au sujet de politiques gouvernementales. C'est la deuxième fois que je lis récemment dans les journaux que les tribunaux font fi, à mon avis, de la séparation des pouvoirs entre la magistrature et le Parlement. J'ai également lu récemment que les tribunaux avaient cité l'actuel premier ministre à comparaître à une audience judiciaire.

Le gouvernement a-t-il examiné la question? Est-il conscient de la séparation des pouvoirs entre le Parlement et la magistrature, séparation qui est indispensable à la protection des privilèges du Parlement?

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, il est clair qu'un simple citoyen, ce qui est maintenant le cas de l'ancien premier ministre Jean Chrétien, peut être cité à comparaître à la condition que le tribunal soit convaincu que son témoignage est utile dans l'affaire dont le tribunal est saisi et que les questions qui seront posées à l'ancien premier ministre ou à n'importe qui occupant de telles fonctions sont pertinentes et ne touchent pas à la confidentialité du Cabinet ou d'autres questions. C'est ce que je comprends de la situation devant les tribunaux de l'Alberta, cette semaine.

En ce qui concerne n'importe quel parlementaire — et si je ne m'abuse, un membre du Cabinet ou le premier ministre n'a pas de privilèges supérieurs à ceux de tout autre sénateur ou député à l'autre endroit — l'interprétation judiciaire varie quelque peu. Comme le sénateur Grafstein l'a déclaré, le premier ministre Paul Martin s'est vu demander de comparaître en tant que témoin, à l'instar de l'ancien ministre des Finances, John Manley. Les tribunaux semblent maintenant accepter le critère de la pertinence de leurs preuves, mais également le fait que les intéressés ne sont pas contraignables dans les 40 jours précédant le commencement d'une session parlementaire ou suivant la fin d'une session. Comme le sénateur Grafstein le sait, il y a d'autres interprétations, mais c'est ce que je constate être la position actuelle des tribunaux.

Le sénateur Grafstein: Honorables sénateurs, je crois comprendre — et je peux me tromper — que l'ancien premier ministre a été appelé à comparaître par les tribunaux alors qu'il était premier ministre. Si je ne m'abuse également, car nous n'avons pas tous les faits là-dessus, au départ, le gouvernement a rejeté cette requête et par la suite, l'ancien premier ministre a choisi de s'y plier.

Ce n'est pas ce qui me préoccupe. Ce qui m'inquiète, c'est que les tribunaux semblent ne plus faire la distinction entre la séparation des pouvoirs, en assignant à comparaître des ministres à titre de ministres et non en tant que simples citoyens — ces derniers pouvant être contraints à témoigner.

Ce qui me frappe, c'est que s'il y a une séparation des pouvoirs dans le cadre de n'importe quelle question, il devrait y en avoir une entre d'une part, le premier ministre et un membre du Cabinet discutant de la politique publique et d'autre part, les tribunaux poursuivant leurs propres fins. Ce faisant, on usurpe — et je pèse bien mes mots — les pouvoirs du Parlement et ainsi, les tribunaux vont se distinguer eux-mêmes du Parlement comme l'assemblée législative suprême du pays.

Honorables sénateurs, c'est un sujet important qui touche à la question de la séparation constitutionnelle des pouvoirs. Je m'excuse, car je n'ai pas donné le préavis approprié, mais j'espère que le leader du gouvernement au Sénat s'adressera aux avocats de la Couronne, aux conseillers constitutionnels pour déterminer si les tribunaux ont violé le principe de la séparation des pouvoirs, comme je le crois, en fonction des renseignements préliminaires et sommaires dont je dispose...

Son Honneur le Président: Veuillez en venir à votre question.

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, si ce que le sénateur Grafstein a dit représente sa position et celle d'autres honorables sénateurs, il s'agira sans aucun doute d'une question que notre Chambre voudra aborder à une date ultérieure de la façon appropriée.

LE PREMIER MINISTRE

LE RAPPORT DE LA VÉRIFICATRICE GÉNÉRALE—LE PROGRAMME DE COMMANDITES—LE RÔLE

L'honorable Gerry St. Germain: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. La culture de la corruption imprègne le Parti libéral d'un océan à l'autre aux échelons les plus élevés.

Des voix: Oh, oh!

Le sénateur St. Germain: Ça fait mal, n'est-ce pas? Ai-je touché un nerf sensible?

Nous apprenons maintenant que les ministres, ainsi que leur personnel, savaient pertinemment que le Programme des commandites était une caisse noire secrète à la disposition des bons amis libéraux ayant des projets valables.

Le sénateur Rompkey: Un peu comme Airbus.

Le sénateur St. Germain: Honorables sénateurs, Jamie Kelley, membre de longue date du Parti libéral, a expliqué comment cela fonctionnait. Il n'était pas nécessaire de présenter une demande; il n'y avait aucune procédure à suivre. Il suffisait d'écrire une lettre à Pierre Tremblay, au ministère des Travaux publics, d'énoncer ses titres et qualités en tant que libéral, de se croiser les bras et d'attendre qu'une agence de publicité s'occupe de blanchir l'argent. Quoi de plus facile pour un brave libéral, n'est-ce pas?

(1430)

Nous savons également que le ministre de l'Environnement a apparemment transmis personnellement le dossier de M. Kelley au ministre Gagliano.

Le leader du gouvernement au Sénat s'imagine-t-il que les Canadiens vont croire que le premier ministre Martin ne savait rien de ces manigances alors que même les adjoints de circonscription d'un bout à l'autre du pays donnaient des conseils sur la manière de puiser de l'argent dans cette cagnotte secrète?

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, ce n'est et ce n'était un secret pour personne qu'il existait un programme appelé le Programme de commandites. Des demandes ont été reçues non seulement de la province de Québec, mais aussi d'un peu partout au pays. N'importe quel adjoint de circonscription ayant un brin de jugeotte se devait d'être au courant de ce programme et, lorsqu'une occasion valable se présentait de présenter une demande au titre de ce programme, il se devait de s'en occuper. C'est exactement ce qui s'est passé, à mon avis, dans le cas de l'adjoint du ministre de l'Environnement à Victoria.

Il est clair que cette procédure n'était pas satisfaisante et enfreignait les règles. Ce n'est pas la faute de M. Anderson ni de son adjoint. Les lacunes dans le processus entourant le programme de commandites font l'objet d'énormément d'activité, notamment une enquête en bonne et due forme par le Comité des comptes publics. Beaucoup d'efforts sont déployés pour aller au fond des choses et savoir ce qui s'est vraiment passé.

Je voudrais dire aussi à l'honorable sénateur St. Germain que ses grands discours et sa vertueuse indignation n'impressionnent personne.

Des voix: Bravo!

Le sénateur St. Germain: Cela n'impressionne peut-être pas les libéraux et je n'essaie d'ailleurs pas d'impressionner les libéraux.

LES TRAVAUX PUBLICS ET LES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

LE RAPPORT DE LA VÉRIFICATRICE GÉNÉRALE—LE PROGRAMME DE COMMANDITES—LE RÔLE DES MINISTRES

L'honorable Gerry St. Germain: Honorables sénateurs, M. Anderson n'était pas en faute, mais il était manifestement au courant de l'affaire. Un ministre a fermé les yeux et permis que tout se fasse sans demande officielle, sans procédure à suivre; il suffisait simplement d'écrire à un membre du personnel aux Travaux publics.

Le leader du gouvernement au Sénat était-il au courant de l'existence de cette caisse noire? Mon bureau ne le savait certainement pas. Le bureau du leader du gouvernement a-t-il profité de cette caisse noire?

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, mon bureau se trouve à côté de celui du sénateur, et je n'ai rien entendu de son bureau et il n'a rien entendu du mien à propos du Programme de commandites. J'ignorais tout de cette affaire, et jamais personne ne l'a portée à mon attention.

En outre, les sénateurs ne font pas souvent de travail de circonscription, contrairement aux députés pour qui cela constitue leur principale tâche.

Je tente d'aider d'autres députés de ma province de temps à autre, ce que les gens d'en face ne font peut-être pas, mais je n'ai jamais eu de travail de circonscription à faire.

Le sénateur St. Germain: Honorables sénateurs, le sénateur était dans la vallée du Fraser et il s'est entretenu avec des habitants de la ville et du district de Langley au sujet de questions de circonscription qui lui sont propres. Si cela n'est pas du travail de circonscription, je me demande bien ce que c'est. Je sais, pour ma part, que j'effectue pas mal de ce genre de travail. En effet, en tant qu'ancien député de la Chambre des communes d'une circonscription de la Colombie-Britannique, je suis souvent appelé à traiter de questions concernant l'immigration.

Une question a été soulevée au sujet d'un de nos événements annuels en Colombie-Britannique où des fonds étaient recueillis. J'ai parlé au leader du gouvernement à ce sujet pour le prévenir que cette question pourrait être soulevée. Or, le leader du gouvernement dit à notre chambre qu'il ne fait pas de travail de circonscription. Je pense qu'il en fait. Toutefois, je ne dis pas qu'il était au courant de quoi que ce soit concernant le Programme de commandites.

Je voudrais en outre que tous les sénateurs sachent que je n'écoute pas aux portes du bureau du leader du gouvernement au Sénat. Même si nous sommes voisins, je respecte tout ce qu'il fait.

La semaine dernière, le premier ministre nous a donné l'assurance qu'il a parlé à tous les ministres au sujet de leur connaissance d'activités inacceptables. Le premier ministre voudra peut-être expliquer que les activités inacceptables comprennent les caisses noires à la disposition uniquement de bons libéraux. Ce n'est pas ce que nous disons; c'est ce que dit M. Kelley.

Durant cette entrevue avec le premier ministre, le ministre Anderson a-t-il parlé de l'aide qu'il a accordée à M. Kelley pour l'obtention de fonds destinés à son festival — je ne mets pas en doute la légitimité du festival, mais bien la façon dont l'argent a transité par une agence de publicité — par l'entremise de la caisse noire libérale ou cela était-il considéré comme un comportement acceptable au sein du caucus libéral ou du Cabinet libéral?

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, j'ai dit que je ne faisais pas de travail de circonscription, mais je reçois des demandes et je les transmets aux députés pour qu'ils s'en chargent. Qu'il soit bien clair que, pour ma part, je tiens à appuyer les députés de ma province. Le sénateur n'agit peut-être pas de la même façon avec les députés de sa province. C'est un choix qui est laissé à chacun de nous.

En ce qui concerne la demande de construction d'un passage supérieur à Langley — elle est présentée par une ville et une municipalité aux autorités provinciales et fédérales —, j'ai pris la parole dans cette ville pour promouvoir la cause de la Glenugie Winery. J'espère que les honorables sénateurs ne m'en voudront pas si je parle d'une entreprise de Langley, en Colombie-Britannique. J'ai accepté cette demande et je l'ai transmise au caucus libéral de la province.

Quant à la question portant sur le ministre Anderson et la demande adressée au Programme de commandites, j'ai donné une réponse exhaustive. Il est parfaitement normal qu'un député et un adjoint de circonscription, qui sont au courant d'un programme public — et tout député qui fait son travail doit l'être —, présentent une demande aux termes de ce programme.

Les lacunes dans l'administration du programme ont été en très grande partie révélées par le gouvernement et la vérificatrice générale. Ces lacunes n'ont rien à voir avec le ministre Anderson ni avec son adjoint.

LE RAPPORT DE LA VÉRIFICATRICE GÉNÉRALE—LE PROGRAMME DE COMMANDITES—LA DISPONIBILITÉ DE FONDS

L'honorable Gerry St. Germain: L'honorable sénateur a dit tout à l'heure, à propos d'une autre question, que nous sommes censés être tous égaux. J'ai travaillé dans la vallée de Pemberton. Il y avait là-bas une équipe de rameurs de calibre mondial. Nous avons cherché à leur obtenir du financement des autorités fédérales. Pas moyen.

J'ai une question à poser au leader du gouvernement au Sénat. Tous les députés étaient-ils au courant de l'existence de ce fonds et de son mode de fonctionnement? Dans l'affirmative, comment se fait-il que cette information ne devient publique que maintenant? Il est évident que seuls les députés libéraux étaient au courant de l'existence de cette caisse noire, des modalités d'administration et de la façon d'obtenir des fonds.

J'ai travaillé avec des députés de ma province et je travaillerais avec n'importe quel député. Le leader du gouvernement au Sénat a tort de laisser entendre que je ne le fais pas. Je travaillerais même avec lui. Il le sait. J'ai travaillé avec les sénateurs Lawson et Austin sur des initiatives diverses, et je continuerai de le faire.

Tout semble indiquer que ce fonds de commandite était administré d'une telle façon qu'il n'était accessible qu'aux libéraux. Dans le cas contraire, comment a-t-il été présenté aux autres députés? Excluons les sénateurs; contentons-nous de parler des députés.

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, j'ai appris qu'un certain nombre de députés de tout le Canada ont présenté des demandes de financement en vertu du Programme de commandites et que des fonds leur ont été accordés. J'inclus des députés de l'opposition. Si l'honorable sénateur veut une liste des non-libéraux qui ont présenté une demande et reçu des fonds en vertu de ce programme, j'obtiendrai cette information pour lui.

Des voix: Bravo!

LE RAPPORT DE LA VÉRIFICATRICE GÉNÉRALE—LE PROGRAMME DE COMMANDITES—LE RÔLE DES FONCTIONNAIRES

L'honorable Marjory LeBreton: Honorables sénateurs, loin de moi l'idée d'impressionner quiconque avec cette question, mais j'aimerais essayer d'aller au fond des choses. C'est une histoire triste et sordide.

(1440)

Honorables sénateurs, nous avons appris aujourd'hui, grâce à Canada AM, que des allégations de corruption au plus haut niveau du Parti libéral touchent toutes les régions du pays: blanchiment d'argent, voyages pour faire des achats dans des boutiques de luxe pour les épouses de personnalités politiques de premier plan et condos pour un divertissement spécial de nature douteuse, le tout à même l'argent des contribuables, courtoisie d'agences de publicité proches des libéraux. Dimanche, nous avons lu dans le Sun d'Ottawa que des bouteilles de vin coûteuses — 4 500 $ la bouteille — ont été achetées grâce à ce système occulte.

Le leader du gouvernement au Sénat peut-il nous dire qui sont ces gens, pendant combien de temps cette pratique a eu cours et combien d'argent a été soutiré aux Canadiens qui travaillent dur? Ces révélations sont choquantes, tristes et sordides.

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je ne sais absolument pas à quoi fait référence l'honorable sénateur LeBreton. Je n'ai pas regardé Canada AM ce matin. Je ne sais pas qui a dit quoi à propos de quoi, ni quoi que ce soit au sujet des affirmations qu'elle fait. Je vais cependant écouter l'émission et aller me renseigner.

Le vocabulaire de l'honorable sénateur LeBreton n'est pas celui que j'utiliserais moi-même, et j'aimerais mettre en garde les autres sénateurs contre des allégations formulées par des personnes anonymes au sujet de personnes anonymes. À mon avis, ce n'est pas dans ce genre de recherche de la vérité que l'appareil politique, à l'initiative du gouvernement actuel, est engagé.

Le sénateur LeBreton: Je crois que ce qui se passe, c'est que beaucoup de gens qui jusqu'ici avaient peur de parler s'adressent aux journalistes. Je crois que c'est de là que viennent ces histoires.

LE RAPPORT DE LA VÉRIFICATRICE GÉNÉRALE—LE PROGRAMME DE COMMANDITES—LE RÔLE DES MINISTRES

L'honorable Marjory LeBreton: Honorables sénateurs, des allégations sont faites au sujet de ministres de l'actuel Cabinet. Il y a une semaine environ, le premier ministre a déclaré avoir eu des entretiens avec les membres de son conseil des ministres au sujet d'activités inacceptables. De toute évidence, quelque chose n'a pas été abordé lors de ces conversations.

Le premier ministre a-t-il rencontré ses ministres et tenu des conversations privées avec chacun d'entre eux pour leur demander de lui dire ce qu'ils savent?

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, rien n'indique qu'on ait caché quoi que ce soit de pertinent au premier ministre.

LE RAPPORT DE LA VÉRIFICATRICE GÉNÉRALE—LE PROGRAMME DE COMMANDITES—L'ALLÉGATION DE BLANCHIMENT D'ARGENT

L'honorable Terry Stratton: Honorables sénateurs, le scandale du blanchiment d'argent empire. La fin de semaine dernière, Greg Weston écrivait dans le Sun d'Ottawa que des deniers publics avaient servi à l'achat de vin Château Pétrus à 450 $ la bouteille pour des hautes personnalités du gouvernement...

Le sénateur LeBreton: Quatre mille cinq cents.

Le sénateur Stratton: Lors d'un voyage d'Équipe Canada à Hong Kong, un dirigeant d'une firme de publicité a payé le vin consommé au repas, un Pétrus, afin que le coût ne figure pas sur la demande de remboursement des frais du gouvernement. Ce coût a donc été payé par la firme de publicité, qui en a demandé le remboursement au gouvernement au titre d'autres frais.

Le leader du gouvernement au Sénat peut-il nous dire quelle est l'ampleur de cette pratique et combien cela a coûté aux contribuables?

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je veux simplement renvoyer l'honorable sénateur à la réponse que j'ai donnée au sénateur LeBreton. À ma connaissance, l'allégation est sans fondement. Je vais me renseigner, mais des allégations anonymes faites par des personnes anonymes au sujet d'autres personnes n'ont pas la moindre valeur.

Le sénateur Stratton: Honorables sénateurs, il n'y a pas que le vin qui a été acheté et blanchi; les frais des expéditions spéciales de pêche au saumon à 3 500 $ par personne par jour ont été payés par des agences de publicité et, en guise de prime, une caisse de Château Pétrus est donnée en cadeau.

Le leader du gouvernement peut-il nous dire si ces pratiques scandaleuses et vénales ont cessé ou si les Canadiens apprendront qu'encore davantage de leurs impôts ont été blanchis dans d'autres achats exotiques?

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, est-ce que les allégations de l'honorable sénateur Stratton concernent une personne en particulier, un employé du gouvernement du Canada, un ministre, un parlementaire? Ne fait-il que jeter de la poudre aux yeux ou dispose-t-il de renseignements précis? Est-il prêt à dire au Sénat qui il accuse de quoi?

LE RAPPORT DE LA VÉRIFICATRICE GÉNÉRALE—LE PROGRAMME DE COMMANDITES—LE RÔLE DES ORGANISMES MANDATAIRES DE L'ÉTAT

L'honorable Gerald J. Comeau: Honorables sénateurs, voilà bien deux semaines que la vérificatrice générale a publié son rapport sur la corruption gouvernementale et le blanchiment d'argent. Mme Fraser a exposé plusieurs exemples de sociétés d'État préparant des chèques sur la foi d'un appel téléphonique sans contrat préalable et même sans une facture. Avec la suspension des présidents respectifs de VIA Rail, de la Banque de développement du Canada et de Postes Canada, le premier ministre a-t-il l'intention de chercher à savoir si ces actes ont pu être commis sans être découverts lors des vérifications annuelles de ces sociétés d'État? Le premier ministre a-t-il demandé la raison pour laquelle ces activités n'ont pas été mises au jour par la vérification?

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, le premier ministre a demandé au président du Conseil du Trésor de se renseigner pour obtenir cette information et de demander aux sociétés d'État mentionnées dans le rapport de la vérificatrice générale pourquoi elles n'avaient pas mis en place des mesures de contrôle adéquates et si, après avoir pris conscience de l'absence de tels contrôles, elles ont réagi sans délai, premièrement en mettant en place de telles mesures de contrôle et, deuxièmement, en vérifiant et en analysant les événements et en cherchant à apprendre qui en était responsable.

Le sénateur Comeau: Honorables sénateurs, est-ce que le leader du gouvernement voudra bien nous dire si la vérificatrice générale aura accès aux livres desdites sociétés d'État et si celles-ci seront assujetties à la Loi sur l'accès à l'information? De cette façon, nous pourrons donner aux Canadiens l'assurance que des activités semblables ne se reproduiront pas, qu'elles ne seront pas camouflées par une vérification interne et que la vérificatrice générale, qui jouit de la confiance et du respect des Canadiens, prendra des décisions concernant les livres de ces sociétés d'État.

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, chacune des sociétés d'État que vient de mentionner le sénateur Comeau, à savoir Postes Canada, VIA Rail et la Banque de développement, bénéficient des services de firmes privées de vérificateurs bien connues et très réputées. J'espère qu'il n'est pas allégué qu'elles n'ont pas fait leur travail ou qu'elles ne font pas preuve du plus haut niveau de compétence en faisant leur travail.

En ce qui concerne le reste de la question, elle comporte d'intéressants enjeux de politique gouvernementale. Comme le savent les honorables sénateurs, ces trois sociétés d'État sont des sociétés commerciales qui exercent leur activité dans la sphère commerciale et qui détiennent des informations exclusives. Par conséquent, il n'est même pas sûr que la Loi sur l'accès à l'information pourra s'appliquer à elles.

En ce qui a trait à la possibilité de confier un rôle permanent à la vérificatrice générale, cette dernière est d'avis qu'elle-même et son bureau devraient être investis d'un tel rôle, et la question est présentement à l'étude.

L'honorable Noël A. Kinsella (leader adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, pour que les choses soient bien claires, le gouvernement compte-t-il accorder un décret spécial à la vérificatrice générale si elle en a besoin pour pouvoir examiner les livres de Postes Canada?

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, si j'ai bien compris, cette question est actuellement à l'étude.

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL

LA SURVEILLANCE DES SERVICES DE RENSEIGNEMENT

L'honorable A. Raynell Andreychuk: Honorables sénateurs, l'une des choses que le rapport de la vérificatrice générale nous a apprises, c'est que les activités des services de sécurité et de renseignements du Canada ne font pas l'objet d'un niveau de contrôle et de transparence constant. La plupart des Canadiens seront également étonnés de constater le nombre de ministères, d'organismes et de services relevant d'un ministère qui sont en mesure de recueillir des informations. Le grand nombre de ces organismes et le peu de mesures de surveillance prévues à leur égard ouvrent grand la porte aux possibilités d'abus de pouvoirs.

Par exemple, je crains que les services qui sont soumis à des mesures de contrôle puissent charger les services qui sont surveillés de moins près de remplir en leur nom certaines tâches pouvant constituer un abus de pouvoir ou un acte répréhensible. Cela est d'autant plus préoccupant que le contexte législatif actuel accorde beaucoup moins d'importance aux droits de la personne et à la protection de la vie privée qu'à la sécurité.

(1450)

Ma question à l'intention du leader du gouvernement au Sénat est la suivante: pourquoi certains services gouvernementaux responsables de la collecte de renseignements sont-ils soumis à une surveillance alors que d'autres ne le sont pas?

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, il s'agit là à mon avis d'une question de politique gouvernementale qui attire grandement l'attention à l'heure actuelle.

Le sénateur Andreychuk: Honorables sénateurs, je sais que la ministre McLellan aura un certain rôle de surveillance à jouer. Toutefois, dans un contexte législatif démocratique comme le nôtre, les actions du gouvernement devraient faire l'objet d'une surveillance. Nous avons dû nous battre pour que le SCRS obtienne le mandat de surveiller les actes du gouvernement. Dans la foulée du 11 septembre, une loi antiterroriste a été adoptée, mais nous ne savons toujours pas quels niveaux de contrôle sont en place, ni à quel point on fait fi de nos droits. Combien de temps nous faudra-t-il pour l'apprendre?

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, je ne peux pas vous dire combien de temps cela prendra. Je peux simplement vous dire que cette question fait actuellement l'objet d'une étude.

Je désire également informer le Sénat que j'ai reçu une lettre du sous-ministre adjoint, dont une copie a été envoyée au leader de l'opposition, l'honorable sénateur Lynch-Staunton. On peut y lire qu'il serait bon que le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense ainsi qu'un comité semblable dans l'autre endroit collaborent à l'examen d'un mécanisme parlementaire qui pourrait être institué pour traiter des questions de sécurité nationale. La première démarche consisterait à inviter les parlementaires des deux comités à se réunir pour établir le mandat.

La proposition préconise l'adoption d'un mécanisme ressemblant à celui qui est en place au Royaume-Uni, en Australie et dans certains autres pays, qui permettrait aux membres de cette Chambre ainsi qu'aux membres de l'autre endroit d'être reconnus comme parlementaires ayant un droit de regard sur ces questions. Ces parlementaires seraient assermentés au Conseil privé, dans le cas de ceux qui ne sont pas déjà conseillers privés. Ils auraient certaines obligations concernant la communication des renseignements qu'ils sont autorisés à recevoir à titre de conseillers privés.

Un point à considérer est la possibilité pour les parlementaires d'accepter de s'abstenir d'interventions partisanes dans ces questions. Par exemple, si madame le sénateur Andreychuk siégeait à un tel comité, il lui faudrait s'abstenir de poser des questions comme celles qu'elle vient de me poser.

Le sénateur Andreychuk: Honorables sénateurs, c'est précisément ce qui me préoccupe. Nous devons continuer d'être vigilants et veiller à la sécurité. La mesure que le gouvernement propose est censée justement nous permettre de le faire.

Autre point qui mérite autant d'attention: les limites qu'il faut imposer aux organismes qui s'occupent de sécurité et la nécessité de ne pas compromettre outre mesure nos droits humains, civils et privés. Les mécanismes qui ont été mis en place soulèvent une certaine polémique dans d'autres pays, mais ces mécanismes ne représentent que la moitié du travail. Il faut être certain que nous prenons toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la protection. C'est ainsi que j'interprète les paroles du leader du gouvernement au Sénat.

Oui, je serais prête à siéger à un tel comité et je renoncerais volontiers à mon rôle partisan pour que la sécurité du Canada soit ce qui compte avant tout.

Il y a cependant en même temps une chose qui m'inquiète énormément: parallèlement à tous ces efforts que nous déployons pour mettre en place ces mesures de sécurité, nos droits s'effritent, notamment les droits protégeant les renseignements personnels. Je demande: faut-il payer un tel prix?

J'espère que le gouvernement fera la part des choses lorsqu'il se penchera sur les questions entourant la sécurité et la protection. Ce sont des questions à double tranchant.

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, je suis tout à fait conscient de l'opposition entre la sécurité publique pour tous les citoyens canadiens et les droits et libertés de chacun. Il y a toujours un compromis à faire. Faire la part des choses est difficile. Tous doivent y travailler.

LA VÉRIFICATRICE GÉNÉRALE

LE PROGRAMME DE COMMANDITES—LA PUBLICATION DU RAPPORT

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je tiens à répondre maintenant à une question que m'a posée hier l'honorable sénateur Angus, à laquelle je m'étais engagé à répondre aujourd'hui.

Pour paraphraser la question, l'honorable sénateur a demandé: quand le gouvernement a-t-il reçu le rapport de la vérificatrice générale; et à quel moment le premier ministre a-t-il été mis au courant du contenu de ce rapport?

La vérificatrice générale a mis à la disposition du gouvernement précédent des copies de son rapport peu avant la date prévue du dépôt en novembre. Cela fait partie du processus de vérification que de mettre des copies du rapport à la disposition des ministères visés par la vérification et d'en discuter avec eux.

La vérificatrice a également adopté la pratique de communiquer ses rapports aux organismes centraux, à savoir le Bureau du Conseil privé, le Conseil du Trésor et le ministère des Finances, à des fins d'information, une fois le rapport dans sa forme finale.

Conformément au processus habituel, l'actuel premier ministre a été informé des conclusions de la vérificatrice générale peu après être devenu premier ministre.

RECOURS AU RÈGLEMENT

L'honorable David Tkachuk: Honorables sénateurs, j'invoque le Règlement.

Étant donné que je n'étais pas présent vendredi, j'ai été surpris de constater qu'il y a eu deux séances du Sénat ce jour-là, comme en font foi les Débats du Sénat du vendredi 20 février. Je renvoie les honorables sénateurs à la page 331 du hansard de ce jour. On y lit:

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, conformément au Règlement, le Sénat s'ajourne automatiquement à la prochaine séance.

Je tiens à citer la règle sur laquelle s'appuie Son Honneur: il s'agit du paragraphe 39(5) du Règlement qui stipule que:

Quand on passe à l'étude d'un article de l'ordre du jour pour lequel on a attribué un temps précis:

b) lorsque la question est mise aux voix conformément à l'alinéa a) ci-dessus, le Président déclare sur-le-champ qu'une motion d'ajournement est considérée comme proposée et adoptée. Il quitte alors le fauteuil jusqu'à l'heure prévue pour la réunion suivante du Sénat.

Honorables sénateurs, à ce moment-là, le Sénat s'était ajourné à la prochaine séance, soit le lundi 23 février. Selon l'alinéa 39(5)b) du Règlement, c'est automatique. Son Honneur devait quitter le fauteuil.

Selon les Débats du Sénat, Son Honneur a alors dit:

Toutefois, le sénateur Kenny souhaite avoir la parole pour demander une permission. Pour cela, il me faut le consentement unanime pour l'autoriser à le faire. Permission accordée?

De quel consentement unanime parlait Son Honneur? Le Sénat s'était ajourné. Il n'y avait aucune séance. Le Règlement est clair. En outre, Son Honneur a clairement dit que le Sénat s'était ajourné.

Mon recours au Règlement concerne mon droit à me trouver au Sénat durant le déroulement de ses travaux. J'ai non seulement manqué une journée pour des raisons indépendantes de ma volonté, mais j'ai aussi manqué des travaux ultérieurs qui n'auraient pas dû avoir lieu parce que le Sénat avait ajourné.

J'ai, en tant que sénateur, le droit de savoir que lorsque la séance du Sénat est ajournée, elle reste ajournée. Nous ne pouvons pas nous mettre à poursuivre nos travaux après que le Sénat a ajourné jusqu'à la prochaine séance.

Il s'agit là d'une grave violation du Règlement du Sénat, honorables sénateurs. Un petit groupe de sénateurs des deux côtés du Sénat, sur l'ordre de Son Honneur, ont accepté de poursuivre les travaux du Sénat alors que le Sénat avait ajourné jusqu'à la prochaine séance.

Mon recours au Règlement remet également en question ce qui a eu lieu durant cette séance du Sénat, qui n'était pas censé avoir lieu du fait de l'ajournement. Il remet en question le statut des deux motions que le Sénat a adoptées. Le Comité de la sécurité nationale et de la défense était-il autorisé à siéger hier après-midi?

L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, je pense que Son Honneur constatera qu'il n'y a pas ici matière à un recours au Règlement. Il a été question de tout cela vendredi. Il est regrettable que l'honorable sénateur n'ait pas été là vendredi pour goûter à tous les plaisirs de cette journée, que tous les autres sénateurs ont connus, mais je suis sûr qu'il était pris par des activités tout aussi valables.

Nous avons traité de cette question. Son Honneur a pris une décision. C'est moi qui ai ajourné le Sénat. Il n'y a pas eu ajournement avant que nous ayons mené à bien tous nos travaux. Nous avons tenu ce débat, auquel ont participé les deux côtés de la Chambre, et j'estime qu'il n'y a absolument pas matière à invoquer le Règlement dans ce cas-ci.

(1500)

Son Honneur le Président: Y a-t-il d'autres honorables sénateurs qui souhaitent intervenir? Si non, sénateur Tkachuk, souhaitez-vous faire une dernière observation?

Le sénateur Tkachuk: Honorables sénateurs, en réponse au sénateur Rompkey, je lis ce qui s'est produit. Je ne lis pas ce qu'il croit qui est arrivé. Je lis ce qui s'est produit et ce qui s'est produit, c'est que le Sénat a été ajourné. Son Honneur a ajourné la séance et c'est automatique, et Son Honneur l'a dit:

Honorables sénateurs, conformément au Règlement, le Sénat s'ajourne automatiquement à la prochaine séance.

Cela est consigné dans le hansard. Je ne l'invente pas. Je me demande — et c'est l'objet de mon recours au Règlement — si le Sénat est ajourné, comment il peut mener ses travaux et si ces travaux sont valides.

L'honorable Sharon Carstairs: Honorables sénateurs, j'éprouve beaucoup de difficulté à trouver l'endroit de la citation faite par l'honorable sénateur. À la page 330 des Débats du Sénat, on peut lire: «(La séance du Sénat est suspendue.)» On lit ensuite: «Le Sénat reprend sa séance.»

Le sénateur Tkachuk: L'extrait que j'ai lu se trouve à la page 331.

Le sénateur Lynch-Staunton: C'est tout près de la fin.

Le sénateur Tkachuk: C'est à la page 331, sénateur Carstairs, tout à la fin, sous la rubrique «Les travaux du Sénat».

Le sénateur Carstairs: Honorables sénateurs, si vous passez à la partie suivante, manifestement après 17 h 30, après le vote:

Honorables sénateurs, conformément au Règlement, le Sénat s'ajourne automatiquement à la prochaine séance. Toutefois, le sénateur Kenny souhaite avoir la parole pour demander une permission. Pour cela, il me faut le consentement unanime pour l'autoriser à le faire. Permission accordée?

L'honorable sénateur d'en face devrait savoir que, malgré le Règlement du Sénat, lorsque la permission est demandée et qu'un consentement unanime est accordé, le Règlement est suspendu. Le Règlement a été suspendu parce qu'il y a eu consentement unanime.

Son Honneur le Président: Voulez-vous faire une dernière observation, sénateur Tkachuk?

Le sénateur Tkachuk: Quelqu'un aurait pu demander la permission de reporter l'ajournement, mais personne ne l'a fait. D'après ce que je crois comprendre, le Règlement affirme clairement que lorsque cette affaire est survenue, et cela est confirmé dans le compte rendu et dans le hansard, cette question était réglée et le Sénat s'était ajourné. Par conséquent, aucune autre question n'aurait dû être étudiée.

L'honorable Anne C. Cools: Honorables sénateurs, il est clair qu'il y a une certaine confusion. J'aimerais dire, en réponse à la dernière intervention, que le consentement unanime est une permission, c'est-à-dire une permission des sénateurs de suspendre le Règlement temporairement. C'est cela le consentement unanime. Le consentement unanime ne peut être utilisé pour créer une motion ou un ordre du Sénat. En d'autres mots, il n'a pas de pouvoir habilitant. Il ne peut créer un pouvoir positif.

Honorables sénateurs, l'ajournement d'office du Sénat est de la même nature qu'un ordre du Sénat. C'est plus qu'une règle. Honorables sénateurs, peut-être devrions-nous avoir un débat un jour sur la différence entre les règles, les ordres et le Règlement. Les règles guident les décisions. Les ordres sont des décisions qui ont déjà été prises.

Le fait est que lorsqu'une décision a été prise, il n'est pas facile de la renverser. Je ne cesse de le répéter. L'abrogation d'un ordre du Sénat nécessite un processus spécial appelé annulation d'un ordre, et il doit y avoir un avis et une motion. Il y a une très grande différence entre ce qui peut être fait dans la présente Chambre par consentement unanime et ce qui peut être fait par ordre du Sénat et par une motion. Peut-être y aurait-il lieu d'avoir à un moment donné un débat pour clarifier ces deux choses, parce que ces erreurs se répètent sans cesse.

Le sénateur Comeau: Bonne observation.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je remercie le sénateur Tkachuk de son recours au Règlement et les honorables sénateurs de leurs interventions.

Je pense qu'il y a deux volets à cette question: le premier, c'est la diligence dont on a fait preuve pour soulever le recours au Règlement. Les motions adoptées avec le consentement unanime portaient sur des questions qui avaient déjà eu lieu. Pour apporter un correctif, si le recours au Règlement était fondé, il aurait fallu que ledit recours ait été invoqué avant que la question à laquelle il s'applique soit close. Il n'est pas dans nos habitudes de revenir en arrière pour annuler quelque chose qui a été fait avec le consentement unanime.

L'autre raison pour laquelle je crois que le recours au Règlement ne s'applique pas aux questions que nous avons réglées dans cette Chambre est bien exposée dans le Beauchesne, sixième édition, commentaire 18, page 7. Je lis les paragraphes 1 et 2. Ils portent sur le consentement unanime.

(1) Tant qu'elle ne déroge pas à son propre Règlement, il est loisible à la Chambre de procéder comme elle l'entend. Toutefois, il est courant qu'elle choisisse de passer outre à telle ou telle de ses règles, du consentement unanime des députés. Elle peut, par exemple, faire franchir à un projet de loi toutes ses étapes en une seule journée, ou modifier à son gré l'ordre habituel de ses travaux ou l'heure de son ajournement.

(2) Il est parfaitement loisible à la Chambre de consentir à une suspension...

Et voici la partie la plus pertinente:

... du Règlement et de convenir unanimement de ne pas tenir compte de la procédure ou de précédents concernant les préavis et autres questions de ce genre.

Il s'agit sans doute du motif le plus solide que nous donnent les ouvrages qui font autorité et sur lesquels nous nous fions ici.

Par conséquent, le recours au Règlement n'est pas fondé.


ORDRE DU JOUR

LES TRAVAUX DU SÉNAT

L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, j'aimerais que l'on commence avec le projet de loi C-4, puis que nous passions aux autres points mentionnés dans les initiatives ministérielles, selon l'ordre dans lequel ils figurent au Feuilleton.

LA LOI SUR LE PARLEMENT DU CANADA

PROJET DE LOI MODIFICATIF—DEUXIÈME LECTURE—AJOURNEMENT DU DÉBAT

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) propose: Que le projet de loi C-4, Loi modifiant la Loi sur le Parlement du Canada (conseiller sénatorial en éthique et commissaire à l'éthique) et certaines lois en conséquence, soit lu une deuxième fois.

— Honorables sénateurs, ceci est peut-être le discours le plus important que je vais prononcer au Sénat — important pour moi et aussi, à mon avis, pour le Sénat. Je vous demande de m'écouter attentivement.

Le 11 février 2004, la Chambre des communes a rétabli un projet de loi qui avait fait l'objet d'un débat intense lorsque nous l'avions étudié la dernière fois que nous nous sommes réunis en novembre 2003. Je fais évidemment allusion à l'ancien projet de loi C-34, qui visait à créer un poste de commissaire à l'éthique pour la Chambre des communes, dont le titulaire serait aussi responsable de la plupart des titulaires de charge publique, y compris au gouvernement, et qui visait aussi à créer un poste de conseiller sénatorial en éthique, qui ferait rapport au Sénat et qui serait comptable à celui-ci.

Le projet de loi C-4, dont nous sommes maintenant saisis aux fins d'approbation de principe à l'étape de la deuxième lecture, vise à remplir l'engagement pris par le gouvernement du premier ministre Paul Martin. Cet engagement a été pris dans le discours du Trône prononcé le 2 février 2004 et mentionné dans le Plan d'action pour la réforme démocratique déposé au Sénat le 4 février 2004.

Le principe fondamental de la mesure législative proposée en vue de modifier la Loi sur le Parlement du Canada est que l'éthique et l'intégrité sont au cœur de la confiance du public dans le gouvernement et le processus démocratique. À l'heure actuelle, aucune question d'intérêt public n'est plus débattue que la notion d'intégrité au sein du gouvernement, du secteur privé et même des institutions religieuses.

Les honorables sénateurs soutiendront peut-être que, pour le moment, nous ne sommes pas visés et qu'aucune question ne menace l'intégrité des sénateurs. À l'heure actuelle, ni le comportement des sénateurs, ni celui de l'institution du Sénat, ne préoccupe les Canadiens. Toutefois, honorables sénateurs, nous sommes partie intégrante du système démocratique fédéral. Le Parlement du Canada, avec les ministères qu'il comprend, suscite depuis un certain temps déjà des préoccupations au sein du public, notamment en ce qui concerne les normes de conduite de certains de ses membres et de certains éléments de la fonction publique. Nous faisons partie d'un grand ensemble institutionnel, en l'occurrence le Parlement et le gouvernement du Canada. Les Canadiens exigent que les institutions responsables de la gouvernance établissent les plus hautes normes objectives pour ce qui est de l'exécution du devoir public.

(1510)

Honorables sénateurs, comme on nous demande maintenant d'intervenir, faisons-le d'une façon qui, d'une part, valorise le mieux nos responsabilités publiques et, d'autre part, réponde aux attentes élevées qu'ont, à juste titre, les Canadiens à l'égard de leurs politiciens et de leurs fonctionnaires.

Le projet de loi C-4 nous est présenté exactement dans la forme qu'il avait lorsqu'il a été adopté à l'autre endroit, le 1er octobre 2003. L'amendement, adopté par le Sénat, au terme de la troisième lecture, le 7 novembre 2003, ne figure pas dans le projet de loi, par suite d'une série de circonstances inhabituelles. Le message que nous avions envoyé à l'autre Chambre après la troisième lecture n'a pas été reçu parce que l'autre Chambre avait déjà ajourné et qu'ensuite il y a eu prorogation du Parlement. Par conséquent, nous avons l'occasion de réexaminer les questions soulevées lors de la dernière session, en l'occurrence d'être véritablement une chambre de second examen objectif, voire de nous préparer à reconsidérer nos propres décisions.

Permettez-moi de décrire brièvement le projet de loi. Il va modifier la Loi sur le Parlement du Canada qui, après la Constitution, régit notre rôle et nos responsabilités. Je le répète, le projet de loi C-4 prévoit la nomination d'un commissaire à l'éthique indépendant pour les députés et les titulaires de charge publique et la nomination d'un conseiller sénatorial en éthique indépendant. C'est tout ce que ce projet de loi va faire. Il ne va pas établir les règles de conduite régissant les activités des sénateurs. Elles seront établies par notre Chambre dans le Règlement du Sénat. Le projet de loi va simplement prévoir la nomination d'un conseiller sénatorial en éthique et préciser son mandat et notamment signaler les motifs pour lesquels il pourrait être renvoyé. Il devra s'acquitter simplement des fonctions que lui confie notre Chambre, et elles seront exécutées entièrement à l'intérieur de notre institution et sous le contrôle exclusif du Sénat.

On le précise bien au paragraphe 20.5(1) du projet de loi qui dit:

Le conseiller s'acquitte des fonctions qui lui sont conférées par le Sénat en vue de régir la conduite des sénateurs lorsqu'ils exercent la charge de sénateur.

Honorables sénateurs, je crois que lorsque nous avons discuté de ce projet de loi au cours de la dernière session, il y avait un consensus général pour dire que le moment était venu de mettre à jour les règles qui régissent notre conduite dans cette enceinte, et que la nomination d'une personne indépendante pour superviser l'application de ces règles serait une bonne chose. Les honorables sénateurs ne s'entendaient pas, par contre, sur le mode de nomination de cette personne indépendante.

Là encore, il ne s'agit pas de savoir si la personne devrait être indépendante, car il est juste de dire que tout le monde dans cette enceinte veut s'assurer que la personne qui tranchera les questions relatives au code d'éthique sera non seulement indépendante, mais sera manifestement perçue comme indépendante du Sénat et du gouverneur en conseil. En d'autres mots, nous ne voulons pas d'un conseiller sénatorial en éthique qui subit ou qui donne l'impression de subir des influences indues dans l'exercice des fonctions prévues par le Règlement du Sénat.

La question clé pour un certain nombre de sénateurs était bien différente. Il s'agissait de préserver l'indépendance de l'institution du Sénat et le droit pour lui de gouverner ses affaires internes sans être assujetti à un contrôle de la part de l'exécutif. C'est un droit parlementaire qui remonte à des temps immémoriaux. Pour cette raison en particulier, un certain nombre de sénateurs se sont dits vivement inquiets de la disposition contenue dans le projet de loi voulant que le gouverneur en conseil nomme le conseiller sénatorial en éthique. On craignait qu'un nom soit proposé sans qu'il y ait une consultation du Sénat.

Il semblait que l'article 20.1 donnait au gouverneur en conseil le rôle de choisir le nom à présenter et au Sénat le rôle d'accepter et de se soumettre. Autrement dit, il semblait que le cabinet du premier ministre, en nous communiquant un nom, dicterait notre choix. On a soutenu que le whip interviendrait et que le cabinet du premier ministre arriverait à ses fins. Puisqu'il faut se préoccuper des apparences, nous nous sommes demandé comment un candidat pouvait sembler indépendant du cabinet du premier ministre si son nom nous était communiqué par le gouverneur en conseil.

Permettez-moi de m'attarder à ce problème. Comme nous le savons tous, il y a une certaine urgence à mettre en place le commissaire à l'éthique indépendant qui est proposé pour les députés et les titulaires de charge publique décrits dans le projet de loi et, en même temps, de mettre en place le conseiller sénatorial en éthique. Étant donné les questions débattues en ce moment et les préoccupations de la population, il importe d'agir rapidement pour renforcer le soutien et le respect envers le Parlement et les institutions gouvernementales.

Toutefois, pour dissiper la principale préoccupation des sénateurs, soit l'indépendance et l'apparence d'indépendance, je propose au nom du gouvernement un mode de nomination du conseiller sénatorial en éthique qui répond à ce double objectif. Permettez-moi cependant de citer le libellé exact de l'article 20.1:

20.1 Le gouverneur en conseil nomme le conseiller sénatorial en éthique par commission sous le grand sceau, après consultation du chef de chacun des partis reconnus au Sénat et après approbation par résolution du Sénat.

Dans cette disposition, rien ne dit si le gouverneur en conseil ou le Sénat doivent proposer le nom. Comme il s'agit d'un élément essentiel pour garantir que l'indépendance du Sénat semble respectée, je prends l'engagement suivant au nom du gouvernement: avant de communiquer au Sénat le nom d'une personne proposée comme conseiller sénatorial en éthique, le leader du gouvernement au Sénat sera autorisé à consulter de façon officieuse les chefs de chacun des partis reconnus au Sénat et d'autres sénateurs et à présenter au gouverneur en conseil les noms des personnes qui, de l'avis du leader du gouvernement au Sénat, ont la faveur des chefs de tous les partis reconnus, ainsi que le soutien de la majorité des sénateurs du parti ministériel et de l'opposition.

À son tour, le gouverneur en conseil fera tous les efforts pour tenir compte des intérêts du Sénat afin que le conseiller soit perçu comme indépendant et soit effectivement indépendant dans l'exercice des fonctions qui lui seront confiées par le code que le Sénat décidera d'adopter.

Honorables sénateurs, le 6 novembre 2003, le sénateur Bryden a affirmé énergiquement dans notre Chambre que le fait de donner au gouverneur en conseil le pouvoir de nommer un haut fonctionnaire du Sénat constituerait le premier empiétement majeur du pouvoir exécutif sur les pouvoirs traditionnels du Sénat. Il a dit plus précisément:

À mon avis, en ce qui concerne le droit légal de l'exécutif — c'est-à-dire le cabinet du premier ministre — de procéder à des nominations — j'ai lu le projet de loi et j'ai appris qu'il y aura des consultations —, le résultat final est que le pouvoir de nomination et de révocation constitue le premier empiétement majeur du pouvoir exécutif sur l'indépendance et l'autonomie du Sénat. Je crains que cela n'ait des incidences à long terme sur le fonctionnement de notre Chambre et sur l'exécution de nos obligations constitutionnelles.

Comme tous les honorables sénateurs, je respecte au plus haut point le sénateur Bryden, et j'ai appris à écouter très attentivement ses arguments et à les prendre au sérieux. Par conséquent, j'ai fait des recherches sur la question. Mes conclusions sont très différentes des siennes. Loin d'être un empiétement sur l'indépendance et l'autonomie de notre Chambre, le fait que le gouverneur en conseil puisse nommer les hauts fonctionnaires du Sénat est en réalité une tradition de notre système parlementaire. Cela fait partie de l'équilibre des responsabilités qui est, et qui a été, utilisé dans notre démocratie parlementaire depuis la Confédération, et cela fonctionne bien. Dans le commentaire 218 de la 6e édition de l'ouvrage Jurisprudence parlementaire de Beauchesne, on précise que:

Il appartient au gouverneur en conseil, et non au président de la Chambre des communes, de nommer les hauts fonctionnaires au service de la Chambre.

Cette règle concerne l'autre endroit certes, mais elle s'applique également à la chambre du Sénat, et c'est ce qui est reflété à l'article 20.1 du projet de loi à l'étude. Par conséquent, loin de corriger une anomalie, l'amendement déposé en novembre dernier par le sénateur Bryden aurait modifié l'équilibre traditionnel des responsabilités dans notre système parlementaire. Cet équilibre a fonctionné efficacement pour la démocratie canadienne jusqu'à ce jour et je suis d'avis qu'il en sera de même dans l'avenir. Je ne crois pas que quiconque au Sénat laisserait entendre qu'un haut fonctionnaire du Sénat qui a été nommé de cette manière a été redevable de quelque façon que ce soit à l'exécutif ou moins enclin à offrir un service de la plus haute qualité à cette Chambre.

(1520)

La nomination de titulaires de charges importantes au Sénat par le gouverneur en conseil est prévue dans notre Constitution, dans nos lois et dans une tradition de longue date qui précède la Confédération. L'article 34 de notre Loi constitutionnelle de 1867 prévoit ce qui suit:

Le gouverneur-général pourra, de temps à autre, par instrument sous le grand sceau du Canada, nommer un sénateur comme orateur du Sénat, et le révoquer et en nommer un autre à sa place.

Dans nos lois, l'article 40 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique est ainsi libellé:

Le gouverneur en conseil peut nommer les personnes suivantes et fixer leur traitement...

c) le greffier du Sénat.

Dans nos usages, le huissier de la verge noire est nommé par le gouverneur en conseil, non pas en vertu d'un pouvoir constitutionnel ou législatif précis, mais parce qu'il s'agissait de la tradition dans les pouvoirs législatifs d'avant 1867 et que cette tradition s'est perpétuée dans le nouveau Parlement du Canada.

Lorsqu'il est question de titulaires de charges importantes au Sénat, les nominations du gouverneur en conseil reposent sur une tradition très forte et de très longue date. En fait, on pourrait soutenir que la tradition du Sénat est encore plus forte que celle de la Chambre des communes, car, bien que la Constitution prévoie l'élection du Président de la Chambre des communes, elle précise que notre Président est nommé par le gouverneur en conseil. D'autres hauts fonctionnaires du Parlement qui sont nommés par le gouverneur en conseil comprennent le vérificateur général, le commissaire à l'information et le commissaire à la protection de la vie privée.

Honorables sénateurs, je crois que nous aurions du mal à soutenir que nous croyons que le gouverneur en conseil peut nommer une personne assez indépendante en qui nous pouvons avoir confiance pour la vérification des comptes publics dans l'intérêt de la population canadienne, mais que nous ne croyons pas qu'il puisse nommer une personne assez indépendante pour conseiller les membres de cette Chambre sur leurs devoirs et responsabilités en matière d'éthique. Il est évident que les événements des dernières semaines n'ont pas suscité la moindre critique à l'endroit de la vérificatrice générale, que personne n'a chuchoté qu'elle se comportait comme si elle était redevable à l'exécutif étant donné la façon dont elle a été nommée.

Au chapitre de la tradition parlementaire qui englobe la protection de l'indépendance traditionnelle du Sénat, je suis d'avis que la nomination des fonctionnaires du Parlement par le gouverneur en conseil va tout à fait dans le sens des précédents qui remontent au début de la Confédération. Toutefois, honorables sénateurs, compte tenu de la nature unique de la charge de cette personne, le gouvernement a fait un pas de plus. Les témoins qui ont comparu devant le Comité du Règlement l'année dernière et ceux qui avaient comparu antérieurement devant d'autres comités parlementaires qui ont étudié la question ont été très clairs: la personne nommée à ce poste doit être une personne qui a l'entière confiance des sénateurs qu'elle servira des deux côtés de la Chambre. L'an dernier, lors de sa comparution devant le Comité du Règlement, Robert Clark, qui était alors le conseiller en éthique de l'Alberta, s'est dit d'avis que la personne qui exercerait de telles fonctions sans pouvoir compter d'emblée sur un vaste appui serait extrêmement sotte. Pour lui, c'était tout simplement inconcevable.

Ted Hughes, un des doyens dans ce domaine, qui est actuellement commissaire aux conflits d'intérêts dans les Territoires du Nord-Ouest, et qui a déjà exercé les mêmes fonctions en Colombie-Britannique, souscrit entièrement à cette évaluation.

Le projet de loi propose une procédure à deux volets pour assurer que le conseiller sénatorial en éthique jouisse ainsi d'un vaste appui. Comme le veut la tradition dans notre système parlementaire, le gouverneur en conseil nommerait le fonctionnaire, mais seulement après avoir consulté le leader du gouvernement au Sénat, comme je l'ai souligné dans mon discours.

Honorables sénateurs, nous avons fait beaucoup de chemin dans ce dossier. La proposition originale du gouvernement était de créer un seul commissaire à l'éthique qui superviserait les codes de conduite des sénateurs et des titulaires de charges publiques. Les sénateurs ont exprimé fermement leur opposition de principe à cette proposition. Elle a été changée, et le projet de loi dont nous sommes maintenant saisis vise à créer un commissaire à l'éthique pour les députés et les titulaires de charges publiques, et un conseiller en éthique distinct pour les sénateurs.

Dans la proposition originale, le commissaire à l'éthique devait être nommé par le gouverneur en conseil, point final. Il n'était pas question de consultation ou d'approbation de la nomination par l'une ou l'autre des Chambres du Parlement. Les sénateurs et les députés se sont fermement opposés à cette proposition. Cela a également été changé, et le projet de loi à l'étude exigerait des consultations préalables auprès du leader de chaque parti reconnu au Sénat et l'approbation de la nomination du conseiller sénatorial en éthique au moyen d'une résolution du Sénat. En même temps, les dispositions du projet de loi dont nous sommes saisis garantissent l'inamovibilité du conseiller sénatorial en éthique, de sorte qu'il ne subisse pas de pressions ou ne soit pas perçu comme pouvant subir des pressions l'amenant à agir d'une manière contraire à la conduite dictée par la justice dans une situation quelconque.

Honorables sénateurs, nous savons à quel point l'inamovibilité est essentielle à l'indépendance et à la perception d'indépendance des juges et des sénateurs également. Le principe n'est pas différent en l'occurrence. C'est nous qui pourrions être conseillés par le conseiller sénatorial en éthique. Pour préserver l'intégrité du Sénat, il nous faut absolument éviter d'être perçus comme pouvant influer, de quelque façon que ce soit, sur les conseils ou les recommandations de ce conseiller, du fait de notre capacité à le démettre de ses fonctions.

Le paragraphe 20.2(1) du projet de loi stipule que le conseiller sénatorial en éthique peut être révoqué seulement si la décision est motivée et seulement «par le gouverneur en conseil sur adresse du Sénat». Autrement dit, honorables sénateurs, le mandat de cette personne ne pourrait pas être annulé simplement sur un caprice du Sénat ou du premier ministre en place. Le premier ministre n'aurait tout simplement pas le pouvoir de révoquer le conseiller sénatorial en éthique. Celui-ci ou celle-ci pourrait être révoqué par le gouverneur en conseil seulement pour des raisons valables et seulement sur adresse du Sénat. En même temps, notre capacité de révoquer le conseiller sénatorial en éthique serait limitée strictement aux situations motivant une telle révocation. La mise en cause du gouverneur en conseil est un autre garde-fou garantissant au grand public canadien, tout autant qu'au conseiller sénatorial en éthique lui-même, que notre conseiller en éthique est vraiment indépendant. En inscrivant ces dispositions dans la loi, nous garantissons que nous-mêmes ou les futurs membres de notre honorable assemblée ne pourront pas changer unilatéralement ces dispositions essentielles.

Honorables sénateurs, je voudrais mentionner expressément le paragraphe 20.2(2) du projet de loi C-4 concernant une vacance. Cette disposition stipule que:

En cas d'absence ou d'empêchement du conseiller ou de vacance de son poste, le gouverneur en conseil peut confier l'intérim à une personne compétente pour un mandat maximal de six mois.

Encore une fois, honorables sénateurs, cela est tout simplement conforme aux pouvoirs prévus dans d'autres lois concernant d'autres hauts fonctionnaires du Parlement. La Loi sur la protection des renseignements personnels, la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur le vérificateur général prévoient la nomination, par le gouverneur en conseil, d'une personne compétente pour assumer le mandat de façon intérimaire en cas d'absence ou d'empêchement du titulaire du poste ou de vacance de son poste. Cela, nonobstant le fait que le commissaire à la protection de la vie privée et le commissaire à l'information ne peuvent être nommés par le gouverneur en conseil qu'après approbation de la nomination par résolution du Sénat et de la Chambre des communes, une procédure semblable à celle exposée dans le projet de loi C-4.

C'est une procédure que nous avons trouvé acceptable et qui a donné de bons résultats relativement au commissaire à la protection de la vie privée, au commissaire à l'information et au vérificateur général, et j'ai confiance qu'il en sera de même en ce qui concerne le conseiller sénatorial en éthique.

D'autres questions importantes ont été soulevées par les honorables sénateurs au cours du débat sur le projet de loi C-34 en octobre et novembre derniers. Je vais maintenant donner mon avis sur les arguments formulés à l'époque.

Dans son discours au Sénat du 22 octobre 2003, le sénateur Joyal a fait part de ses préoccupations au sujet des paragraphes 20.5(2) et 20.6(1), (2) et (3). Je crois important de parler de ces dispositions en particulier. Le paragraphe 20.5(2) se lit comme suit:

Lorsqu'il s'acquitte de ces fonctions, il agit dans le cadre de l'institution du Sénat et possède les privilèges et immunités du Sénat et des sénateurs.

Le paragraphe 20.5(5) stipule que:

Il est entendu que le présent article n'a pas pour effet de restreindre de quelque façon les pouvoirs, droits, privilèges et immunités du Sénat et des sénateurs.

Cette disposition a été ainsi libellée d'après les conseils que M. Mark Audcent, légiste et conseiller parlementaire du Sénat, a donnés au Comité sénatorial permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement. En conclusion, le sénateur Joyal a fait valoir que les articles susmentionnés ne seraient pas respectés par le processus judiciaire parce que, à son avis, l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 stipule que le Sénat ne peut que posséder les mêmes privilèges qui existaient au Parlement britannique au moment de la Confédération. Il fait valoir que, dans la mesure où il n'y avait pas de conseiller en éthique à la Chambre des lords à l'époque, notre Parlement ne saurait, aujourd'hui, conférer pareil privilège à un conseiller sénatorial en éthique. Selon son raisonnement, nous sommes donc prisonniers du passé.

(1530)

Par la suite, le sénateur Joyal nous renvoie cependant à la décision rendue en 1990 dans l'affaire Ross v. Edwards, décision selon laquelle le registre des intérêts utilisé à la Chambre des lords et par le biais duquel les parlementaires de la Chambre des lords déclarent et enregistrent certains titres qu'ils détiennent dans le secteur privé n'est pas un document protégé. Le tribunal a aussi établi clairement que le Parlement a amplement de pouvoirs lui permettant de légiférer pour conférer cette protection.

Honorables sénateurs, le sénateur Joyal conclut que, dans la mesure où les Britanniques n'ont pas légiféré et tant que nous n'avons pas modifié notre Constitution, nous ne pouvons légiférer afin de conférer ce privilège à un conseiller sénatorial en éthique.

Sauf le respect que je dois au sénateur, je ne puis absolument pas souscrire à ses conclusions. Ce que l'affaire Ross v. Edwards nous apprend, c'est que le Parlement a, et a toujours eu d'ailleurs, le pouvoir de légiférer pour conférer ce privilège. Il avait ce pouvoir en 1867, et nous l'avons aussi. Dans l'affaire Ross v. Edwards, le tribunal n'a jamais dit que le fait de conférer cette protection à un registre des intérêts allait au-delà du principe du privilège parlementaire légitime. Le tribunal dit simplement que si l'on veut conférer ce privilège, il faut légiférer à cette fin. C'est ce que nous proposons de faire en l'occurrence.

Les questions que nous abordons dans ce projet de loi cadrent parfaitement avec le privilège parlementaire traditionnel. Dans l'affaire Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général) dont a été saisie la Cour suprême du Canada, madame la juge McLachlin, aujourd'hui juge en chef, a écrit ceci:

L'histoire du privilège exclusif du Parlement et des assemblées législatives de préserver l'intégrité de leurs processus respectifs en punissant, en expulsant et en frappant d'inhabilité ceux qui en ont abusé est aussi vieille que le Parlement lui-même.

Cette prérogative du Parlement est énoncée dans notre Constitution, dans nos lois, notamment dans la Loi sur le Parlement du Canada, et dans nos règles. Le commentaire 33 de la sixième édition de l'ouvrage de Beauchesne explique ceci:

Parmi les privilèges de la Chambre, aucun n'est plus capital que celui de se fixer à elle-même des règles de procédure et de les appliquer. Certaines de ces règles figurent dans la Loi constitutionnelle, mais l'immense majorité provient de propositions de la Chambre qu'il est loisible à celle-ci de modifier ou d'abroger.

Honorables sénateurs, rien n'empêche le Parlement d'adopter une mesure ou une résolution pour clarifier ses privilèges. Ce serait là l'objet du paragraphe 20.5(2).

Le Comité judiciaire du Conseil privé et la Cour suprême du Canada n'y sont jamais allés de main morte dans leur interprétation de la Constitution. Dans les arguments que j'ai fait valoir il y a quatre ans lors du débat sur la Loi sur l'Accord définitif des Nisga'a, j'ai parlé de la doctrine de l'arbre vivant de lord Sankey, dont la Cour suprême du Canada s'est inspirée à maintes reprises. Lorsqu'il est question de souplesse judiciaire, il suffit de se reporter à l'avis de la Cour suprême du Canada dans le renvoi de 1981 et à celui concernant les conventions de la Constitution.

Le sénateur Furey a contribué considérablement au débat sur cette mesure législative lorsqu'il s'est adressé à la Chambre le 6 novembre 2003. Il a commencé en disant: «Je suis tout à fait d'accord avec l'idée d'un conseiller en éthique et d'un code de déontologie pour notre Chambre.» Il a toutefois exprimé des réserves à propos d'un «article dans le projet de loi qui, selon moi, est extraordinaire». Il a voulu faire comprendre aux sénateurs que le paragraphe 20.6(2) qui était proposé mettait le conseiller en éthique au-dessus des lois civiles et criminelles dans l'exercice effectif ou censé tel des fonctions rattachées à ce poste.

Le paragraphe en question est formulé comme suit:

Ils bénéficient de l'immunité en matière civile ou pénale pour les actes accomplis, les rapports ou comptes rendus établis et les paroles prononcées de bonne foi dans l'exercice effectif ou censé tel des pouvoirs et fonctions conférés au conseiller au titre de la présente loi.

Je le répète, les propos du sénateur Furey traduisent clairement ses inquiétudes à l'égard de la définition de «bonne foi» ou des sanctions qui pourraient êtres imposées au conseiller en éthique du Sénat ou aux personnes agissant en son nom lorsque la défense de bonne foi est invoquée avec succès dans le cas de certains actes accomplis.

Bien sûr, les sanctions sont nombreuses dans le cas d'actes qui ne sont pas accomplis de bonne foi. C'est ce que l'on a vu dans la célèbre décision Roncarelli c. le procureur général du Québec. Dans cette affaire, Maurice Duplessis, procureur général et premier ministre du Québec, a pris des mesures pour annuler le permis de vente d'alcool qui avait été octroyé au demandeur, un témoin de Jéhovah. Pour résumer, le tribunal a jugé que le procureur général n'avait pas agi de bonne foi, si bien que les droits de Roncarelli ont été rétablis.

Le sénateur Furey s'inquiète des torts que peut entraîner une défense de bonne foi obtenant gain de cause. Il mentionne la question de la calomnie ou de la diffamation qui en résulte lorsque le conseiller en éthique du Sénat prétend à tort que les déclarations qui sont faites sont exactes. Selon le sénateur Furey, le Sénat serait impuissant pour corriger la situation.

Comme le sénateur Furey le sait, les dispositions prévoyant l'immunité, comme le paragraphe 20.6(2), ne sont pas rares dans les lois fédérales. Le ministre de la Justice m'a informé qu'il existe 93 dispositions dans 54 lois limitant la responsabilité civile ou criminelle des agents chargés d'administrer les lois du Parlement. Ces dernières années, le Sénat a adopté sans protester des dispositions pratiquement identiques pour d'autres mandataires du Parlement, y compris le commissaire à la protection de la vie privée, le commissaire à l'accès à l'information, le commissaire aux langues officielles, le président et les membres de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, les membres de la Commission nationale des libérations conditionnelles et bien d'autres encore.

Si nous regardons les lois provinciales, nous voyons que celles prévoyant la nomination d'un commissaire à l'éthique comprennent également des dispositions visant à limiter la responsabilité du titulaire de ce poste.

Honorables sénateurs, je suis d'accord avec le sénateur Furey sur un point: le simple fait de dire qu'il en a toujours été ainsi ne constitue pas une réponse à ses arguments. Ce qu'il faut se demander, c'est pourquoi il en a toujours été ainsi.

Honorables sénateurs, les exemples législatifs ne sont pas fondés sur l'hypothèse selon laquelle les personnes nommées agiront de mauvaise foi. Chaque personne nommée fait l'objet d'un examen minutieux pour ce qui est de son intégrité personnelle, de sa formation et de son expérience professionnelle. Ces personnes sont ensuite intégrées au processus parlementaire et sont soumises à la considération du Parlement et du gouverneur en conseil. Nous avons examiné en comité plénier des nominations à de tels postes de mandataires du Parlement.

J'admets que, malgré tout cela, le système n'est pas sans faille. Il arrive parfois qu'un mandataire du Parlement ne fasse pas son travail de façon compétente ou n'agisse pas de bonne foi, mais rien n'empêche le Parlement de régler une telle situation. Aux termes du paragraphe 20.2(1), le conseiller sénatorial en éthique peut faire l'objet d'une révocation motivée par le gouverneur en conseil sur adresse du Sénat.

Si le Sénat est d'avis que le conseiller sénatorial en éthique devrait être censuré ou puni, le Sénat peut agir en conséquence pourvu qu'il le fasse en respectant les principes de justice. Le code de déontologie du Sénat sera intégré au Règlement du Sénat et décrira les fonctions et attributions du conseiller sénatorial en éthique. Ces dispositions prévoiront les mesures à prendre dans les situations où le conseiller sénatorial en éthique ne s'acquitte pas comme il se doit de ces fonctions et attributions ou dépasse la limite de ces fonctions et attributions.

Honorables sénateurs, le Sénat garde le plein contrôle sur les tâches et les fonctions que le conseiller sénatorial en éthique est autorisé à remplir et, implicitement, sur les pouvoirs qui lui sont conférés. Le sénateur Furey cite le grand juriste A.V. Dicey ainsi que la Cour suprême du Canada dans l'affaire Susan Nelles pour illustrer qu'il est tout à fait déraisonnable d'accorder une immunité absolue à des fonctionnaires publics». J'approuve parfaitement cette affirmation, mais comme j'espère l'avoir montré clairement, il n'y a aucune «immunité absolue» en vue.

Honorables sénateurs, penchons-nous maintenant sur la bonne raison de l'immunité limitée qui est accordée aux fonctionnaires du Parlement. Le paragraphe 20.6(2) du projet de loi est dans notre intérêt. Des sénateurs ont exprimé des préoccupations concernant la perspective d'une intervention judiciaire dans les activités du conseiller sénatorial en éthique. Des sénateurs sont grandement préoccupés par la question de la confidentialité des renseignements qui seraient confiés au conseiller. Cette protection contre les poursuites en matière civile ou pénale confirme que les activités du conseiller sénatorial en éthique jouissent de l'immunité en cas d'examen judiciaire. Cela permet d'assurer que les renseignements confidentiels qui sont entre les mains du conseiller sénatorial en éthique ne seront pas divulgués advenant une poursuite.

(1540)

Honorables sénateurs, le conseiller sénatorial en éthique peut, si les dispositions du Règlement le permettent, devoir remplir des tâches de nature quasi judiciaire. Le sénateur Furey a comparé le conseiller sénatorial en éthique du Sénat à un policier qui serait au-dessus de la loi. À mon avis, cette fonction est de nature plus judiciaire. Le conseiller sénatorial en éthique est protégé par les privilèges du Sénat qui s'appliquent à lui, mais, en cas de doute, il ne peut être contraint à témoigner et ne peut faire l'objet d'une procédure dans l'exercice de ses fonctions. C'est d'ailleurs là l'objet du paragraphe 20.6(2) du projet de loi. On accorde ainsi au conseiller la même protection accordée aux juges qui doivent avoir la liberté de rendre des décisions sans crainte de représailles externes.

Je tiens également à mentionner qu'il serait très difficile de trouver de bons candidats pour ce poste si le titulaire ne jouissait pas des protections que lui accorde le projet de loi. Sans protection, le conseiller pourrait faire l'objet de processus judiciaires tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du Sénat, y compris des procédures civiles ou criminelles. Je me demande si le sénateur Furey ou tout autre sénateur serait tenté d'accepter cet emploi dans les circonstances.

Enfin, je voudrais commenter brièvement le discours que le sénateur Kroft a prononcé le 6 novembre 2003. Je partage toutes ses observations extrêmement perspicaces sur le projet de loi sur la clarté et conviens avec lui que cette mesure législative nous hante ici. De toute évidence, le sénateur Kroft se préoccupe des questions de l'indépendance et de la méthode de nomination que n'a pu régler le Comité du Règlement, comme il en a fait rapport au Sénat la session dernière. Je ne conteste pas la plupart des arguments qu'il a fait valoir à propos du rôle du Sénat et de l'importance de l'indépendance du Sénat. Je soutiens, par contre, que le processus que j'ai décrit, et qu'appliquera le gouvernement, respecte cette indépendance.

Honorables sénateurs, ayez l'assurance que j'ai examiné attentivement tout ce qu'ont dit les honorables sénateurs ayant participé à l'étude de ce projet de loi au cours de la deuxième session de la présente législature. Je respecte la qualité des arguments avancés par chacun des sénateurs. Cela a mené à la proposition que j'ai faite aujourd'hui et qui tendra à protéger l'indépendance du Sénat, à laquelle nous tenons tant et qui préoccupe grandement tous les honorables sénateurs, comme l'ont éloquemment exprimé les sénateurs Oliver, Joyal, Kroft, Bryden, Milne, Fraser et Carstairs. Nous aurions grandement tort de prétendre qu'un argument était plus valide qu'un autre. Ce qui importe, c'est que nous nous inspirions des sages propos du vicomte Whitelaw, que j'ai cités la semaine dernière dans le cadre de nos délibérations:

J'ai appris qu'une certaine souplesse, unie à une certaine compréhension de la convention, avait permis d'obtenir de bons résultats à la Chambre.

Comme l'a dit le sénateur Kroft, c'est en octobre et novembre derniers que nous avons examiné pour la première fois ce projet de loi. Nous en faisons maintenant le second examen objectif, le premier visant à évaluer notre passion, et le deuxième, notre raison. Personnellement, je suis convaincu que notre décision au sujet du projet de loi C-4 aura des conséquences très importantes pour notre institution. J'en suis venu à la conclusion que le projet de loi dont nous sommes saisis est juste et bon et dans l'intérêt de l'intégrité du Sénat. J'espère que vous vous joindrez à moi et appuierez le projet de loi, et j'attends l'opinion réfléchie du Sénat.

L'honorable John Lynch-Staunton (leader de l'opposition): Honorables sénateurs, le leader du gouvernement voudrait-il répondre à une question?

Le sénateur Austin: Bien sûr.

Le sénateur Lynch-Staunton: Ma question est la suivante: L'automne dernier, nous avons vécu une expérience malheureuse avec le Comité du règlement qui convoquait des réunions en dehors du créneau ordinairement prévu à cette fin. Par principe, et pour des raisons pratiques, nous nous sommes opposés à cette façon de faire. Nous avons déjà assez de difficulté à envoyer un nombre suffisant de sénateurs aux séances des comités en raison de notre petit nombre, et ce sera encore plus difficile de trouver des sénateurs pour assister à des séances prévues à la dernière minute en dehors des créneaux habituels.

J'espère que le leader du gouvernement conviendra avec moi que l'expérience ne doit pas se répéter et qu'il y a suffisamment de temps à notre calendrier pour que le comité, quel qu'il soit, étudie ce projet de loi à ses heures habituelles de séance. Je peux assurer à l'honorable sénateur qu'on ne s'opposera pas à l'adoption du projet de loi de ce côté-ci.

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, s'il survient un problème en ce qui concerne les heures de séance du comité auquel ce projet de loi est renvoyé, je serai heureux d'entendre le sénateur Lynch-Staunton me le signaler ou de prendre l'initiative d'en discuter avec lui.

Le sénateur Lynch-Staunton: Le leader m'a déjà entendu demander un accord de principe pour qu'aucun comité ne siège en dehors de ses heures habituelles sans l'appui ni l'approbation de l'opposition et pour que cela ne se fasse pas de façon unilatérale, comme l'automne dernier lors de la discussion sur le prédécesseur de ce projet de loi.

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, je ne suis pas prêt à répondre à une question et à donner une assurance avant qu'un problème précis ne survienne. Je m'attends à ce que le comité s'acquitte de ses fonctions dans le cours normal des choses et, si une difficulté devait survenir, je serais tout à fait disposé à discuter de la question avec le leader de l'opposition.

Le sénateur Lynch-Staunton: Est-ce que cela signifie qu'il est tout à fait approprié, et que le leader de l'opposition est d'accord, qu'un comité siège en dehors de ses heures habituelles de séance sans l'appui de l'opposition?

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, les règlements et leur application sont nouveaux pour moi. Les dernières semaines m'ont permis de tirer des leçons intéressantes. James Joyce a déjà dit qu'une erreur est le point d'entrée de la découverte, et pourtant, je ne suis pas prêt à franchir ce point d'entrée.

Son Honneur le Président: Voici une liste que je vais lire aux honorables sénateurs. Je vais donner la parole aux sénateurs qui ont des questions dans l'ordre suivant: les sénateurs Cools, Kroft, Comeau et Andreychuk.

L'honorable Anne C. Cools: Honorables sénateurs, ma question s'adresse à l'honorable sénateur Austin. Je crois que le sénateur Austin a décrit le poste du conseiller sénatorial en éthique comme étant quasi judiciaire.

Ma première question est la suivante: comment le sénateur Austin peut-il décrire ce poste comme étant quasi judiciaire alors que le paragraphe 20.5(2) stipule clairement:

... il [...] possède les privilèges et immunités du Sénat et des sénateurs.

Autrement dit, ce fonctionnaire bénéficie des privilèges cumulatifs et globaux du Sénat et des sénateurs alors que les sénateurs ne bénéficient pas des mêmes privilèges. Par contre, nous avons, à titre individuel, des privilèges en tant que sénateurs, mais il n'y a que le Sénat dans son ensemble qui peut exercer les privilèges du Sénat. Le poste de conseiller sénatorial en éthique serait, selon moi, investi de tous les privilèges du Sénat. Ainsi, un seul individu serait investi de pouvoirs et de privilèges qu'il faut 105 sénateurs agissant de concert pour réunir.

À mon avis, la description du fonctionnaire par le sénateur Austin est inexacte et comporte des lacunes. Ce poste serait investi de tous les pouvoirs inquisitoires et judiciaires du Sénat. Aucune autre personne dans le pays ne dispose d'autant de pouvoirs car elle n'existe pas.

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, j'aimerais qu'il soit aussi clair que possible que le conseiller sénatorial en éthique ne disposerait pas de pouvoirs ou de privilèges plus grands que ceux dont bénéficient chacun des sénateurs. La loi prévoit une responsabilité limitée pour toutes les raisons que j'ai expliquées avec autant de soin dans mon exposé. En ce qui concerne l'expression «quasi judiciaire» que j'ai employée dans mes commentaires, je vais répéter. J'ai dit que le conseiller sénatorial en éthique pourrait être chargé, conformément aux dispositions du Règlement, de responsabilités quasi judiciaires.

Honorables sénateurs, nous décidons du contenu du Règlement. Nous pouvons décider des règles et les créer. Nous avons le contrôle des tâches du conseiller sénatorial en éthique. Aucune loi ne nous impose quoi que ce soit en ce qui concerne la nature des responsabilités du conseiller sénatorial en éthique.

Je le répète. Les dispositions du Règlement que nous décidons d'adopter déterminent la conduite et la tâche du conseiller sénatorial en éthique.

Le sénateur Cools: Je me demande encore comment, mais je passe à mon autre question. Le sénateur Austin a dit que ce poste ne bénéficierait pas de privilèges plus grands que ceux de chacun des sénateurs. Je ne suis pas d'accord et je conteste cela énergiquement. Cependant, je suis certaine que ce poste disposera sûrement d'un budget plus important que celui d'un sénateur. J'en suis certaine.

(1550)

Ma question porte sur les déclarations du sénateur concernant l'indépendance. Pendant que le sénateur Austin parlait, j'ai entendu une inversion de la définition d'indépendance telle que je l'ai étudiée. Le mot «indépendance», lorsqu'on parle des juges, ne signifie pas indépendance par rapport au Parlement. Il signifie indépendance par rapport au roi et au Cabinet — par rapport au pouvoir exécutif.

Dans la société d'aujourd'hui, le mot «indépendance» est utilisé à mauvais escient et on en abuse. L'indépendance judiciaire signifiait que les juges ne pourraient plus être démis de leurs fonctions selon le bon plaisir du roi, soit parce que le roi favorisait soit parce qu'il ne favorisait pas un juge. Cela fonctionnait dans les deux sens. Il y a eu les cas où le roi a favorisé un juge, comme dans le cas du roi Jacques II et du juge George Jeffreys dans les années 1680.

Dans le cadre de la Constitution de notre pays, l'indépendance judiciaire signifie que le sort des juges est remis entre les mains du Parlement. On a retiré ce pouvoir des mains de l'exécutif pour l'attribuer au Parlement. Ce n'est pas ce que l'on voit dans ce projet de loi.

Honorables sénateurs, pendant au moins 500 ans, nous avons eu une situation où les pouvoirs de l'exécutif ont été limités et où l'indépendance signifiait créer une distance entre les juges et le pouvoir exécutif. Pendant des siècles, les parlements ont tenté de réduire l'influence du pouvoir exécutif sur les parlementaires individuels. Ce projet de loi nous fait reculer de quelques centaines d'années.

À quelle autorité constitutionnelle le sénateur Austin s'en remet-il pour proposer une telle innovation dans l'histoire du Parlement? L'indépendance signifie indépendance par rapport au pouvoir exécutif. Pendant 400 ans, le Parlement a évité et a craint l'imposition de tout titulaire de charge en son sein ayant autorité sur les députés.

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, j'estime qu'il est impossible de répondre au sénateur Cools parce que je ne considère pas son intervention comme une question. Je la considère comme une entrée en matière dans le débat sur cette question particulière. J'aimerais qu'elle lise mon discours et qu'elle voie s'il n'y a pas un point en particulier sur lequel nous pourrions discuter dans une partie ultérieure de ce débat.

Ma position est très claire. Il n'y a aucun empêchement constitutionnel au projet de loi C-4. Il est tout à fait constitutionnel. Si le sénateur Cools estime qu'il porte une quelconque atteinte à la Constitution, j'aimerais entendre son point de vue en temps opportun.

Le sénateur Cools: Honorables sénateurs, je crois que la Constitution a un but. Je pense qu'une partie de ce but est de réaliser une harmonie et un équilibre entre les parties constituantes de la Constitution. Pendant des centaines d'années, la Constitution a fait très attention — si je puis dire — de garder les parlementaires loin des griffes du roi.

La question était la suivante: à quelle autorité constitutionnelle le sénateur Austin s'en remet-il pour apporter cette innovation dans l'histoire parlementaire? Je peux assurer l'honorable sénateur que je suis une avide lectrice. Je connais l'histoire.

Il s'agit d'un écart très important par rapport à l'histoire constitutionnelle de notre système. Je veux que le sénateur Austin sache que bon nombre d'entre nous estiment que le premier ministre Martin a l'intention d'apporter un changement. Je veux également lui dire que je suis d'avis, comme un grand nombre de mes concitoyens, que jamais dans toute son histoire le Parlement n'a été aussi faible et pourtant, il s'agit d'une institution très ancienne.

Je ne comprends pas pourquoi, avec ce projet de loi particulier, nous introduirions une innovation qui aurait pour effet de soumettre chaque sénateur aux pouvoirs inquisiteurs d'un titulaire de charge, un serviteur de la reine. C'est de cela dont je parle. Le Parlement a banni les titulaires de charge pendant quelques siècles.

La description que l'honorable sénateur fait des hauts fonctionnaires du Parlement, comme sa description des hauts fonctionnaires de cette Chambre, est incomplète et imprécise à de nombreux égards. Je serais heureuse de le lui démontrer.

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, il incombe à madame le sénateur Cools de démontrer où l'autorité constitutionnelle fait défaut ici. Je pense qu'elle reconnaît cela.

J'ai dit et je répète que la loi permet seulement la création d'une charge. Les pouvoirs et les attributions de cette charge relèvent du Sénat. L'exécutif n'a aucun rôle à jouer pour ce qui est d'établir les pouvoirs et les attributions de cette charge.

Le sénateur Cools: Honorables sénateurs, je peux prouver ce que j'avance en montrant que, depuis maintenant de nombreuses années, la notion de titulaire de charge rémunéré par Sa Majesté est tellement étrangère à notre Chambre qu'aucun premier ministre ni aucun gouvernement ne permet à plus d'un ministre de siéger à notre assemblée. Les titulaires de charge n'ont pas été autorisés à siéger ici à titre de ministre.

Nous pouvons discuter. Il y a énormément de respect mutuel. Cependant, j'espère sincèrement que ce débat se poursuivra dans une grande ouverture d'esprit.

L'honorable Richard H. Kroft: Honorables sénateurs, j'ai une question pour le leader du gouvernement au Sénat. Je remercie le sénateur Austin d'avoir prononcé un discours mesuré et manifestement mûrement réfléchi. Il servira de cadre pour lancer une discussion qui occupera bon nombre d'entre nous pendant un certain temps.

Je ne veux pas contester les questions de fond. Nous aurons le temps de le faire pendant l'étude du projet de loi. Je tiens toutefois à mentionner un point que le sénateur a soulevé deux fois dans son discours et dans sa réponse au sénateur Cools. Nous acceptons tous qu'il n'y a rien d'autre dans ce projet de loi que la mise sur pied de la structure générale de l'emploi. Toutes les règles qui régiront cette charge seront créées par le Sénat. Cependant, je voudrais qu'on me rassure quant à la manière dont ces règles vont évoluer.

Si je comprends bien, le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement étudie actuellement le 51e rapport du comité des Communes qui renferme un code de conduite modèle. Si nous créons effectivement un ensemble de règles qui reflète véritablement les besoins, les désirs et les pouvoirs constitutionnels et l'histoire unique de notre assemblée, j'aurais cru que nous aurions pu partir de zéro et établir un processus élaboré à partir des caucus, un processus ouvert visant à élaborer un projet qui serait fondamentalement et intrinsèquement fait pour et par le Sénat.

Nous avons reçu un modèle élaboré à l'autre endroit et qui est censé servir de base à ce que nous ferons. On peut supposer que le Comité du Règlement produira un rapport à notre intention. Je trouve malheureusement que cela compromet ab initio l'indépendance fondamentale de notre assemblée. Je voudrais qu'on me rassure en me disant que nous pourrons avoir un autre rôle à jouer et que celui-ci ne se limitera pas à décider si nous voulons approuver le code modèle qui nous vient de l'autre endroit.

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, le code, si je comprends bien, a été renvoyé au Comité du Règlement qui est censé l'étudier, mais ce renvoi n'a nullement fait l'objet d'un mandat.

Le Sénat est libre de débattre et d'adopter des règles idoines en fonction de nos besoins. Nous devons reconnaître cependant que le public a des attentes relativement à l'institution du Parlement. La façon de se comporter de la Chambre et le code de déontologie qu'elle décidera un jour de se donner auront sans doute une force de persuasion à bien des égards.

(1600)

Nous ne sommes pas obligés d'imiter la Chambre des communes. Si nous avons une meilleure façon de faire les choses, si nous sommes en mesure de démontrer aux Canadiens la raison d'être de cette meilleure façon de faire les choses, je suppose que nous adopterons la voie la plus susceptible de servir efficacement l'intégrité dans le régime d'administration publique.

Le sénateur Kroft: Honorables sénateurs, il s'ensuit que même si le gouvernement tient manifestement à nous renvoyer la mesure proposée pour son adoption, il n'y a pas nécessairement de lien chronologique entre le code de déontologie et le projet de loi.

Le leader du gouvernement au Sénat est-il d'avis que nous pourrions adopter le projet de loi et ensuite, à loisir — je ne dis pas à notre gré, mais plutôt en prenant le temps qu'il faut pour bien faire les choses — élaborer les règles que nous voudrons que cette mesure finisse par contenir, afin d'éviter d'exercer des pressions sur le Sénat pour qu'il crée un code de déontologie qui coïncidera avec l'adoption du projet de loi proprement dit ou qui la précédera?

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, je remercie le sénateur Kroft de cette question fort utile. L'adoption de ce projet de loi et l'entrée en vigueur du code de déontologie sont deux choses complètement distinctes. Selon moi, il y aura d'abord l'adoption de ce projet de loi, et ensuite le Sénat s'emploiera à élaborer un code de déontologie. Le Sénat devrait faire diligence — je crois que c'est ce que voulait dire le sénateur Kroft — afin de répondre aux attentes de la population et aux besoins institutionnels. Cependant, il n'y a pas de délai, il n'y a pas d'échéancier, et aucun cheminement critique n'a été spécifiquement énoncé. Le Sénat doit se pencher sérieusement sur ce qu'il doit faire pour satisfaire aux normes de déontologie et de transparence dans le contexte des normes que nous nous fixons.

Je ne dis pas qu'il faudra mettre ce code de déontologie en vigueur à un moment précis dans l'avenir. C'est à nous d'en décider en tenant compte de notre responsabilité publique.

L'honorable Gerald J. Comeau: Honorables sénateurs, je vais m'abstenir pour le moment d'exposer en détail les points qui m'inquiètent. Je tiens cependant à féliciter le leader du gouvernement au Sénat de son allocution qui décrit très habilement les perceptions de problèmes et les attentes de la population.

Je peux comprendre pourquoi le premier ministre voudrait créer la perception que nous nous occupons d'un vrai problème, lorsqu'en réalité, le vrai problème est ailleurs. En procédant ainsi, on envoie au public un message disant que le premier ministre s'occupe des problèmes — non pas des vrais problèmes, mais qu'il s'occupe de problèmes. Je suis persuadé que le leader du gouvernement au Sénat supporte mal l'idée que quelqu'un de l'exécutif puisse venir à la Chambre et dans nos bureaux pour parler à notre personnel et consulter des dossiers personnels et des données financières et ainsi de suite. Je suis sûr que c'est une chose qui mettrait le leader du gouvernement mal à l'aise.

Le leader du gouvernement au Sénat a fait allusion au fait qu'on ne peut forcer le conseiller en éthique dont le poste est proposé à comparaître devant les tribunaux en vertu des dispositions relatives à l'immunité. Il disait que c'était une bonne chose afin de protéger le conseiller en éthique, et peut-être des employés trop zélés qui pourraient être rattachés à son bureau. C'est une bonne chose du point de vue du conseiller en éthique. Toutefois, qu'en est-il du Sénat? Que se passerait-il s'y avait un employé trop zélé au bureau du conseiller en éthique qui, du fait qu'il a accès aux dossiers dans le bureau du conseiller en éthique, révélait par inadvertance — et non par des moyens malicieux — des renseignements à caractère personnel au sujet d'un sénateur? Compte tenu de l'immunité qui est proposée aux termes du projet de loi C-4, selon ce scénario, il n'y aurait aucune protection quelle qu'elle soit pour les sénateurs. La question de l'immunité joue dans les deux sens, ce qui est l'objet d'une question que je souhaite poser au leader du gouvernement. Du point de vue du conseiller en éthique dont le poste est proposé, l'immunité est une bonne chose; qu'en est-il de notre point de vue, honorables sénateurs?

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, comme je l'ai dit dans mon discours, le conseiller sénatorial en éthique ne peut être forcé à communiquer quelque information que ce soit au sujet de tout sénateur en particulier — en fait, toute information en sa possession — à n'importe quel tribunal, à n'importe quel moment. Cela nous protège, honorables sénateurs, parce que nous communiquons des renseignements à cette personne et, de ce fait, nous voulons avoir la certitude que ces renseignements seront gardés secrets par le conseiller en éthique et utilisés uniquement aux fins du code de conduite que nous mettrons en place.

Comme je l'ai dit dans mon intervention, s'il y a, par inadvertance, communication de renseignements — par exemple, une mallette, laissée dans une voiture que l'on vole, est ouverte et, au lieu de trouver de l'argent, le voleur de la voiture découvre que le sénateur Austin vit à Vancouver et il communique ce renseignement. Comme je l'ai dit, en vertu de nos propres règles, celles que nous consignerons dans le code de conduite, nous pouvons prendre des mesures. Si c'est bien fondé, cela est possible par voie de résolution du Sénat adressée au gouverneur en conseil. Si l'incident est moins grave, selon l'évaluation que nous en faisons, nous pouvons blâmer, nous pouvons imposer des sanctions disciplinaires, nous pouvons renvoyer toute personne travaillant pour le conseiller sénatorial en éthique si, à notre avis, cette mesure est souhaitable.

La question du sénateur Comeau comprenait une affirmation qui me montrait qu'il n'avait pas très bien compris l'argument que je faisais valoir. Plus précisément, le sénateur a dit que «quelqu'un de l'exécutif puisse venir» au Sénat. Le conseiller en éthique ne viendra pas de l'exécutif; il sera notre haut fonctionnaire. Le conseiller en éthique sera nommé à la suite d'une résolution de cette Chambre, adressée au gouverneur en conseil en vertu d'une pratique constitutionnelle de longue date, de sorte qu'il aura un mandat indépendant — indépendant du gouverneur en conseil et des sénateurs. Ce n'est pas une personne envoyée par le pouvoir exécutif; c'est notre personne.

Le sénateur Comeau: Honorables sénateurs, je ne crois pas que le leader du gouvernement au Sénat ait lu le projet de loi C-4.

Le sénateur Austin: Le sénateur vient de dire que je l'ai examiné attentivement.

Le sénateur Comeau: Honorables sénateurs, on demandera l'avis du leader de l'opposition au Sénat, mais, si cet avis n'est pas accepté, s'il est rejeté, le premier ministre aura fait la nomination. Autrement dit, une fois que la vaste majorité des sénateurs aura sanctionné la nomination faite par le premier ministre — en raison du nombre de sénateurs de l'opposition, nous ne pourrons pas rejeter la recommandation du premier ministre.

En outre, le renouvellement de la nomination du conseiller en éthique sera entre les mains du gouvernement de l'heure, et non de cette Chambre. De plus, en ce qui a trait à une hausse de traitement, le conseiller en éthique sera redevable au gouverneur en conseil — autrement dit, au pouvoir exécutif. En outre, les budgets du conseiller en éthique devront être présentés non pas à cette Chambre, mais au Président du Sénat. Il s'agira d'une nouvelle responsabilité pour le Président du Sénat, étant donné que les budgets sont habituellement examinés par le Comité de la régie interne, des budgets et de l'administration. Par conséquent, le budget du conseiller en éthique sera entre les mains d'un nouveau fonctionnaire de l'exécutif — lequel, dans cette Chambre, sera le Président du Sénat. Ce sont des nouveautés proposées dans ce projet de loi. Traditionnellement, le Président du Sénat préside le Sénat; il n'est pas un fonctionnaire exécutif qui s'occupe des budgets. En vertu de ce projet de loi, le Président examinera et transmettra au Conseil du Trésor le budget du conseiller en éthique et de son personnel. Voilà une toute nouvelle fonction. Lisez le projet de loi.

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, dans mon discours, j'ai cité le projet de loi, puis j'ai énoncé la ligne de conduite du gouvernement, au nom de ce dernier, relativement à la façon dont il abordera la question de la nomination par le gouverneur en conseil, aux termes du projet de loi, tout en honorant et en respectant l'indépendance de cette Chambre. J'invite le sénateur Comeau à lire ma déclaration. J'y indique que le gouvernement cherchera à obtenir l'approbation du leader de chaque parti reconnu au Sénat, d'une majorité de sénateurs de ce côté et d'une majorité de sénateurs du côté de l'opposition. Le sénateur Comeau pourrait peut-être porter une plus grande attention aux propos de mon discours. J'en serais ravi.

(1610)

Quant aux autres détails, fournir des réponses reviendrait à lancer le débat. Nous sommes déjà au cœur d'un débat et je ne m'en étais pas formalisé jusqu'à maintenant parce que je souhaite fournir le plus de renseignements possibles à mes honorables collègues. Toutefois, j'ai la certitude que le sénateur Oliver ne sera pas d'accord avec le sénateur Comeau lorsque viendra le temps de conférer des pouvoirs additionnels au Président. Le sénateur Comeau veut que le Président devienne un fonctionnaire beaucoup plus puissant dans cette Chambre. J'espère que le sénateur Comeau aura une discussion avec le sénateur Oliver à ce sujet.

L'honorable A. Raynell Andreychuk: Honorables sénateurs, j'aimerais poser au sénateur Austin une question complémentaire à celle du sénateur Lynch-Staunton.

Nous, de l'opposition, avec notre petit nombre, avons déjà vu le processus se dérouler avec une hâte, à notre avis, inutile sans que l'on nous donne l'occasion de faire valoir notre position dans le cadre des travaux courants de cette Chambre. Compte tenu de cela, vous pouvez comprendre qu'il existe un certain scepticisme quant à ce qui se passe. Vous pouvez ajouter à cela le fait que j'ai été l'une des personnes qui se sont prononcées et qui ont voté pour M. Radwanski, en pensant que le processus était juste. Ayant reçu les assurances de M. Radwanski et du premier ministre, je pensais que le processus était raisonnable. Le temps nous a démontré qu'il comportait des lacunes. Bien que j'estime que nous ayons été admirablement bien servis par les vérificateurs généraux, commissaires à la vie privée et commissaires à l'information dans le passé, ces deux événements me rappellent non seulement qu'il incombe au gouvernement de créer un changement démocratique, mais qu'il appartient à cette Chambre de s'assurer que le processus que nous suivons est le bon.

Dans son allocution, le sénateur Austin a parlé des préoccupations de certains sénateurs. C'est peut-être une coïncidence qu'ils soient tous de l'opposition. Rien de ce que nous avons dit n'a semblé avoir d'importance. Le sénateur Oliver, évidemment, coprésidait le comité Milliken-Oliver à l'origine. Le sénateur Beaudoin et d'autres sénateurs de ce côté-ci de la Chambre sont intervenus sur le projet de loi.

Si nous avons à cœur notre démocratie, que nous avons affermie au fil du temps, il est crucial que nous ne régressions pas. Présentement, l'opposition n'est pas très nombreuse. À deux reprises nous avons eu des difficultés et maintenant, même le vérificateur général ne sera pas nommé de la façon habituelle. Lorsque nous avons choisi le remplaçant de M. Radwanski, nous avons eu recours à un nouveau processus qui renforçait la participation des membres de l'opposition et du parti ministériel en leur permettant de présenter des évaluations au sujet de la nomination.

Avant que nous entamions ce processus, j'essaie d'obtenir des assurances afin que l'on tienne compte des vues de ceux qui siègent dans l'opposition. Le problème, c'est que le gouvernement doit consulter l'opposition avant que le premier ministre du jour fasse des nominations. Nous avons eu un avant-goût des consultations. Sauf le respect que je vous dois, j'ai un peu peur d'accepter une autre consultation.

Allons-nous recevoir l'engagement que notre avis sera pris en compte? Plus fondamentalement, améliorerons-nous la démocratie en mettant en place un processus de nomination indépendant du premier ministre? En quoi est-ce que l'actuelle nomination par le premier ministre sera différente de celle de M. Wilson? J'ai de la difficulté à répondre à cette question dans ma province.

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, j'apprécie beaucoup les divers points soulevés par le sénateur Andreychuk. Premièrement, je l'exhorte à lire ce que j'ai dit relativement à la façon dont le processus de nomination se ferait, parce que ses questions au sujet de la consultation ne semblent pas tenir compte des mots que j'ai employés ici au nom du gouvernement.

Deuxièmement, en ce qui concerne les lacunes du processus — selon notre collègue — lors de la nomination de M. Radwanski au poste de commissaire à la protection de la vie privée, il n'y avait rien d'irrégulier dans le processus ou dans la façon dont les plaintes ont été traitées lorsque le comportement de M. Radwanski a finalement été rendu public. Aucun processus ne permet d'éviter systématiquement tout préjudice. Les nominations sont faites en se fondant sur les meilleurs renseignements disponibles et en faisant preuve de la plus grande diligence possible, mais la perfection n'existe pas en matière de nominations.

Dans le cas qui nous occupe, nous avons un excellent processus. Se pourrait-il qu'un futur conseiller sénatorial en éthique ne soit pas à la hauteur de nos attentes? Oui, c'est possible, mais nous aurons eu la chance d'examiner son dossier et de faire preuve de la diligence voulue de toutes les façons que j'ai expliquées dans mon discours. Cependant, il n'y a pas de garantie que nous allons obtenir la perfection.

En ce qui a trait à la façon dont cette question sera étudiée, j'ai confiance que nous allons agir d'une manière satisfaisante pour tous les honorables sénateurs en écoutant leurs points de vue et leurs préoccupations à toutes les étapes du projet de loi.

Pour ce qui est des arguments soulevés lors du débat par les honorables sénateurs d'en face, je les ai tous lus, mais je pense que les arguments les plus justes sont ceux qui ont été faits par les sénateurs de ce côté-ci et qu'il fallait y donner suite en raison de leur grande justesse.

Le sénateur Andreychuk: Honorables sénateurs, nous allons devoir débattre de la question de savoir qui a formulé des points de vue pertinents. Je suis d'avis que les points de vue exprimés par toutes les parties étaient pertinents. J'estime que des argument très justes ont été formulés à l'appui de chacun des deux points de vue, et ce tant par des sénateurs d'en face que de ce côté-ci.

J'accepte aussi, avec la plus grande sincérité, le fait que le gouvernement ait l'intention de nous consulter. Je ne veux absolument pas faire de remarques désobligeantes à l'endroit du gouvernement, parce que tel n'est pas notre rôle. La loi dit qu'il y aura consultation; elle ne dit pas que le gouvernement doit accepter notre avis ou qu'il faut en venir à une entente ici. Dans les négociations avec les syndicats, dont j'ai fait l'expérience, chaque partie propose des noms et si une entente ne peut être conclue, un arbitre intervient à l'étape suivante.

(1620)

Cela se résume simplement à une consultation. Le gouvernement actuel traitera peut-être le processus de nomination avec énormément de soin et de doigté, mais comme nous adoptons des lois pour des années à venir, nous devons faire preuve de prudence et ne pas compter uniquement sur la bonne volonté des sénateurs actuels. Il nous faut examiner le libellé en détail. Le projet de loi précise que le registraire consulte, «shall consult» en anglais, certaines personnes. On ne dit pas que les avis exprimés doivent être pris en considération. On consulte simplement, puis on nomme un titulaire. Les mesures de protection sont importantes pour l'avenir. Nous pensons être en mesure de bien nous comporter aujourd'hui, et nous prenons la parole du leader du gouvernement. Il ne faut toutefois pas oublier que la loi restera en vigueur tant qu'elle ne sera pas abolie.

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, je crois que nous devrions poursuivre ce débat à une date ultérieure.

Son Honneur le Président: Sénateur Austin, doit-on conclure que vous ne voulez pas répondre à d'autres questions?

Le sénateur Austin: C'est exact, honorables sénateurs.

Son Honneur le Président: J'ai en ma possession une liste d'intervenants. C'est regrettable, mais notre Règlement est clair. La personne qui a la parole, et dans ce cas-ci, il n'y a aucune limite de temps, peut accepter ou non de répondre à des questions. Malheureusement, il n'est plus possible de poser des questions.

L'honorable Herbert O. Sparrow: Honorables sénateurs, quand le leader acceptera-t-il de répondre à d'autres questions? Un certain nombre de questions ne pourront être posées aujourd'hui et il semble que nous n'aurons pas d'autres occasions de poser au leader du gouvernement des questions concernant le discours qu'il vient de prononcer. Y a-t-il quelque chose dans notre Règlement qui précise quand le leader pourrait répondre à nos questions?

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, si je peux me permettre de répondre à la question, je signale que j'agis ainsi pour que nous ayons le temps d'étudier les autres questions inscrites au Feuilleton, et non pas parce que je refuse de répondre aux questions. Cela fait plus d'une heure que je réponds à vos questions. Toutefois, je serai très heureux de comparaître devant le comité chargé d'étudier ce projet de loi pour répondre aux questions de mes honorables collègues. Si vous me permettez de clore ce débat, je pourrai répondre à vos questions devant le comité. Il y aura, bien sûr, le débat à l'étape de la troisième lecture. Enfin, si le doyen du Sénat, l'honorable sénateur Sparrow, me convoque à son bureau pour une discussion à ce sujet, j'accepterai volontiers son invitation.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, la demande ayant été formulée sous forme de question, je confirme que le Règlement donne le droit au sénateur Austin, à titre de parrain de la motion, de répondre et qu'il pourrait prendre la parole à ce moment-là.

L'honorable Donald H. Oliver: Honorables sénateurs, j'ai reçu à mon bureau aujourd'hui un document dressant la liste des activités des comités du Sénat pour la semaine du 23 février 2004. La question que le sénateur Kroft a posée au leader du gouvernement à la Chambre était importante puisqu'on peut y lire que le Comité sénatorial permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement se penche sur «un code d'éthique à l'intention des sénateurs».

Sur ce, honorables sénateurs, comme je suis arrivé en retard et que j'ai manqué la première partie de l'intervention du leader, je propose l'ajournement du débat.

(Sur la motion du sénateur Oliver, le débat est ajourné. )

ÉNERGIE, ENVIRONNEMENT ET RESSOURCES NATURELLES

AUTORISATION AU COMITÉ DE SIÉGER EN MÊME TEMPS QUE LE SÉNAT

Permission ayant été accordée de revenir aux avis de motion:

L'honorable Tommy Banks: Honorables sénateurs, je demande la permission de déposer la motion suivante parce que le comité que j'ai l'honneur de présider tient une rencontre à 17 heures le mardi, ou dès que le Sénat s'ajourne, ce qui est peu prévisible, et il est difficile de rencontrer des témoins lorsque nous étudions une mesure législative, comme c'est le cas aujourd'hui. Je propose donc:

Qu'avec la permission du Sénat et par dérogation à l'alinéa 58(1)a) du Règlement, le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles soit autorisé à siéger après le vote de 17 h 30 aujourd'hui, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l'application du paragraphe 95(4) du Règlement soit suspendue à cet égard.

J'aimerais préciser que dans le cadre de la mesure législative que nous étudions aujourd'hui, nous devons entendre des témoins de la Colombie-Britannique qui aimeraient bien retourner chez eux ce soir si c'était possible.

Son Honneur le Président: La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, vous plaît-il d'adopter la motion?

(La motion est adoptée.)

PROJET DE LOI DE 2002 SUR LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

DEUXIÈME LECTURE—SUITE DU DÉBAT

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Day, appuyée par l'honorable sénateur Christensen, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-7, Loi modifiant certaines lois fédérales et édictant des mesures de mise en œuvre de la convention sur les armes biologiques ou à toxines, en vue de renforcer la sécurité publique.

L'honorable A. Raynell Andreychuk: Honorables sénateurs, j'interviens pour parler de l'étape de la deuxième lecture du projet de loi C-7, Loi modifiant certaines lois du Canada et édictant des mesures de mise en œuvre de la convention sur les armes biologiques ou à toxines, en vue de renforcer la sécurité publique. À mon avis, ce projet de loi et d'autres projets de loi qui l'ont précédé constituent les plus importantes mesures législatives déposées dans cette Chambre au cours des dix dernières années. Elles touchent les Canadiens de plus près que toute autre mesure législative.

Ce projet de loi en était à la deuxième lecture dans notre Chambre lorsque le Parlement a été prorogé inutilement, à mon avis, au mois de novembre dernier. Le projet de loi a été rétabli et on voudrait maintenant que nous l'expédiions.

Honorables sénateurs, je suis d'avis que ce projet de loi exige une étude approfondie. Il compte une centaine de pages. Dans ces 100 pages, on modifie plusieurs lois. Ces lois concernent, entre autres, l'environnement, la santé, la sécurité et la protection de la population. Elles s'étendent à tous les aspects de la vie des citoyens. Nous empiétons encore une fois petit à petit sur la vie des Canadiens en prétextant que c'est pour les protéger.

Le sénateur Day est intervenu en disant que ce projet de loi permet de protéger encore davantage les Canadiens. Il a raison, dans la mesure où cette loi sera appliquée à bon escient. Ce projet de loi vise notamment à permettre au gouvernement de s'occuper plus efficacement des questions de sécurité. Toutefois, nous avons déjà adopté le projet de loi C-36, la Loi antiterroriste, et j'estime que les mêmes questions qui ont été abordées lors du débat sur le projet de loi C-36 pendant les sessions précédentes doivent être examinées ici. Il ne faut pas se contenter de simplement donner aux Canadiens l'impression que le gouvernement multiplie les initiatives; l'idée est plutôt d'enrichir leurs droits et en même temps d'empiéter le moins possible sur ces droits.

Ce projet de loi a été déposé pour la première fois il y a un certain temps. Dernièrement, toutefois, les pouvoirs conférés aux autorités civiles aux termes de la loi C-36 ont été contestés à la suite de la perquisition au domicile de Juliet O'Neill. Beaucoup de gens, et je suis de ceux-là, ont déploré que l'on ait fouillé la demeure d'une journaliste pour y trouver des renseignements, car un tel geste peut rompre l'équilibre délicat qui est si important pour le bon fonctionnement de notre régime politique, cet équilibre entre la protection d'une pierre angulaire de la démocratie, la liberté de la presse, et la protection efficace de notre sécurité nationale.

La loi C-36 n'a pas modifié la disposition de l'ancienne Loi sur la sécurité nationale qui a permis d'obtenir l'autorisation du mandat de perquisition visant le domicile et le bureau de Mme O'Neill, mais les Canadiens ont associé cette descente aux pouvoirs accrus que confère la loi C-36. Beaucoup de gens ont demandé aux parlementaires de revoir cette mesure législative. S'il est vrai que les pouvoirs qui ont mené aux intrusions dont Mme O'Neill a été victime ne faisaient pas partie de la loi C-36 mais se trouvaient plutôt dans l'ancienne Loi sur la sécurité nationale, quelle peut bien être la raison d'être de la loi C-36?

Comment en sommes-nous arrivés là? Comment avons-nous cédé des pouvoirs et perdu des droits aux termes de la loi C-36 dans l'empressement qui a suivi les événements du 11 septembre 2002, lorsque le gouvernement a dit avoir besoin de ces mesures? Bien entendu, il était trop tôt pour faire un bilan alors.

(1630)

Cependant, nous en sommes maintenant au projet de loi C-7 et nous pouvons faire un bilan. Pourquoi devons-nous nous ingérer dans 23 mesures législatives, réduire les droits des Canadiens et la protection des renseignements personnels des Canadiens en retour de ce qui semble être un accroissement de la sécurité en apparence? En fait, le projet de loi C-7 donne davantage de pouvoirs à l'exécutif sans justifier que chacun d'eux est nécessaire ou aurait été utilisé dans le passé. Tout cela se fait sous le couvert de l'urgence.

Il y a notamment les pouvoirs aux termes de la loi sur les mesures d'urgence. Il y a des pouvoirs aux termes de la loi sur la sécurité nationale pour pratiquement toutes les urgences possibles. En fait, le gouvernement a dit que ce projet de loi permettrait d'accroître l'efficacité et donnerait à l'exécutif la possibilité d'agir plus rapidement. Si c'est le cas, je ne vois rien de mal à ce projet de loi, mais quel contrôle exerce-t-on? Où sont les justifications?

On a pris des raccourcis dans le projet de loi C-7 pour permettre une meilleure réaction, qui ne figure pas dans la loi sur la sécurité nationale, l'ancien projet de loi C-36 ou ailleurs.

Où voyons-nous un contrôle indépendant des activités ministérielles? Nous voyons de plus en plus des droits démocratiques des Canadiens, gagnés de haute lutte, être foulés aux pieds. Les intéressés nous demandent de leur faire confiance. Une bonne démocratie n'est pas fondée sur la confiance, mais sur la vérification, la reddition de comptes et la fiabilité, ainsi que sur la justification des mesures prises.

Le gouvernement a maintenant présenté le projet de loi sur la sécurité publique, le projet de loi C-7, au cours de cette session, pour la quatrième fois. Ce projet de loi a été présenté au préalable sous la forme des projets de loi C-17, C-55 et C-42. À noter que le projet de loi C-42 a été présenté pour la première fois le 22 novembre 2001 pour être retiré et remplacé par le projet de loi C-55. Durant son passage houleux au Parlement, le projet de loi initial a fait l'objet de plusieurs examens, et il a été alors modifié et amélioré. Cependant, les honorables sénateurs dans cette enceinte n'ont pas eu la possibilité d'examiner ce projet de loi complexe, qui porte sur des questions complexes, et il y a encore largement place à l'amélioration dans cette version la plus récente.

Le projet de loi a seulement connu des métamorphoses successives en projet de loi C-42, C-55, C-17 et C-7, lorsque la Chambre des communes a eu l'occasion d'examiner ces questions. Ces questions ont été étudiées à la pièce, ce qui fait qu'il est très difficile de savoir dans quelle mesure nous sommes en sécurité aujourd'hui, comment nos droits ont été érodés et si nous avons réussi à établir le bon équilibre entre la sécurité et d'autres droits. Nous n'avons pas eu l'occasion d'examiner toutes ces questions. Nous sommes pratiquement rendus à la troisième année d'existence du projet de loi C-36, et nous avions convenu de l'étudier; mais là n'est pas la question. Nous avons besoin d'examiner le projet de loi C-36; nous avons besoin de déterminer si le projet de loi C-7 est nécessaire; nous avons besoin d'examiner toute la série de lois antérieures et de voir comment elles ont accru notre sécurité et comment elles ont porté atteinte à nos autres droits.

Il semble encore y avoir un empressement pour l'adoption du projet de loi C-7, puisque mon honorable collègue dit que nous en avons besoin parce qu'il constitue une réponse et une réaction à des questions émergentes. On ne m'a pas encore convaincue qu'il y a des questions législatives émergentes qui nécessitent notre attention. Peut-être que, comme l'a dit le professeur Roche, juriste éminent, nous sommes en train de perdre nos droits à petite dose au nom de la sécurité et que nous continuons à ajouter d'autres projets de loi au nom de la sécurité alors qu'en réalité, ce que nous faisons, c'est grignoter nos droits. Peut-être que la meilleure façon de voir à notre sécurité, c'est de renforcer l'application de la législation existante et d'accorder une plus grande attention aux endroits qui ont été sources de problèmes dans le passé, comme les aéroports et les ports. C'est justement la question qu'examine notre Comité de la sécurité nationale et de la défense.

Le sénateur Lynch-Staunton, dans son discours du 6 novembre 2003, a dit:

Nous devons prendre soin de ne pas adopter de nouvelles lois qui pourraient menacer les libertés fondamentales qui font du Canada ce qu'il est. Le projet de loi C-17 accroît les pouvoirs arbitraires du gouvernement sans prévoir les freins et contrepoids nécessaires à la protection du droit à la vie privée. La marge de manœuvre qu'accordent les ordonnances provisoires est excessive et contraire à nos valeurs fondamentales.

Le projet de loi C-7 modifie 23 lois adoptées par le Parlement et introduit une nouvelle loi. Les parties 1 et 2 du projet de loi modifient la Loi sur l'aéronautique. Elles permettent au ministre de prendre des mesures de sécurité dans le domaine de l'aviation et l'autorisent à demander des renseignements sur les voyageurs aux compagnies aériennes ou aux systèmes de réservations, renseignements qui seraient transmis au ministre des Transports, au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, au ministre du Revenu, à la GRC, au SCRS et au pdg de l'Administration canadienne de la sûreté du transport aérien.

Le projet de loi permet à la GRC et au SCRS ou à leurs mandataires de recevoir et d'analyser des renseignements et de les apparier avec tout autre renseignement ou base de données auxquels ils ont accès. Les renseignements en question peuvent être comparés à des mandats non exécutés pour des infractions graves. Cette disposition a été critiquée par l'ancien commissaire à la protection de la vie privée parce qu'elle permet de se lancer dans des chasses aux sorcières à l'encontre de personnes dont les infractions n'ont aucun rapport avec le terrorisme ou la sécurité des transports.

L'Association du Barreau canadien et le Barreau du Québec ont également exprimé des réserves au sujet de ces pouvoirs. Il y aurait certainement lieu d'examiner de manière plus approfondie cet article du projet de loi. Je m'attends à ce que le comité qui sera chargé d'étudier le projet de loi veuille consacrer du temps à l'audition de témoins, y compris le nouveau commissaire à la protection de la vie privée.

Je signale par ailleurs que les changements apportés aux précédentes versions du projet de loi ont été faits à la suite de questions posées à la Chambre des communes, mais, chose étrange, le projet de loi C-7 comporte un ajout qui confère des pouvoirs plus étendus au ministre de l'Immigration. On se demande bien pourquoi, puisqu'il y a déjà suffisamment d'intrusions. Le gouvernement a répondu que cela avait été fait simplement dans le but de préciser les pouvoirs que le ministre possède déjà. Cependant, si vous jetez un coup d'œil à la partie 11 du projet de loi, aux articles 70, 71, 72 et à l'article proposé 150.1, on y trouve des pouvoirs très étendus permettant de prendre ces renseignements obtenus aux termes de la Loi sur le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration et de s'en servir à des fins très générales, pas seulement pour des raisons de sécurité. Je cite le paragraphe 150.1 (1) du projet de loi:

b) en matière de sécurité nationale, de défense du Canada...

et voici la partie qui m'inquiète —

... ou de conduite des affaires internationales, y compris la mise en œuvre d'accords ou d'ententes conclus au titre de l'article 5 de la Loi sur le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, la communication de renseignements.

(1640)

Honorables sénateurs, l'ajout dans le projet de loi C-7 de pouvoirs plus étendus permettant de procéder à des examens à des fins d'immigration va bien au-delà de la sécurité et permet au gouvernement de faire ou, tout au moins, de donner l'impression de faire quelque chose que je crois inapproprié, à savoir de cibler selon certaines catégories les nouveaux citoyens qui entrent au Canada. Nous craignions que le projet de loi C-36 donne lieu à l'établissement de profils raciaux. Je suis convaincue que nos craintes étaient fondées. Quand on examine maintenant les pouvoirs très étendus qui, à mon avis, sont insérés en douce dans ce projet de loi, on se demande si tous ceux qui auront accès à cette information l'utiliseront aux fins de la sûreté et de la sécurité. Les gens qui auront accès à l'information élargiront-ils leur interprétation d'une manière non prévue lorsque nous aurons adopté cette loi?

Honorables sénateurs, on se demande aussi si les pouvoirs prévus par ce projet de loi sont nécessaires. D'aucuns diront qu'il ne faut pas s'inquiéter parce que nous avons adopté le projet de loi C-36, mais que nous n'avons utilisé aucun des pouvoirs qu'il prévoyait. Eh bien, honorables sénateurs, nous ne le savons pas. Deux articles de la loi C-36 exigeaient le dépôt d'informations, mais dans les deux cas le gouvernement a fait savoir qu'aucune mesure n'avait été prise. Aucun examen des mesures prises par le gouvernement n'a été fait depuis l'adoption du projet de loi C-36. Je voudrais souligner le travail intéressant qui a été effectué par l'International Civil Liberties Monitoring Group en réponse au premier rapport annuel de Justice Canada sur l'application de la Loi antiterroriste, le projet de loi C-36. Ce groupe a fait remarquer qu'on avait tenté d'y recourir.

Honorables sénateurs, c'est presque effrayant que les lois accordant une telle latitude ne fassent l'objet d'aucun suivi. Il n'y a pas de mécanisme de surveillance complet qui assure qu'elles font l'objet d'un suivi approprié.

Toutes les données recueillies sont normalement détruites dans les sept jours. Une fois par année, le commissaire de la GRC et le directeur du SCRS examinent toute information conservée au-delà de la période de sept jours pour veiller à ce qu'elle soit toujours requise pour la sécurité des transports. Toutefois, la loi ne prévoit rien si l'information est conservée au-delà de la période de sept jours pour des raisons non liées au terrorisme ou à la sécurité des transports. Il n'y a pas de disposition de contrôle relativement au maintien de pareils renseignements personnels. Il n'y a pas de disposition prévoyant la production d'un rapport au Parlement sur les données conservées au-delà des sept jours.

Honorables sénateurs, le récent rapport de la vérificatrice générale renferme un chapitre sur les examens indépendants des organismes de sécurité et de renseignement, et j'ai fait allusion à cela dans ma question au leader du gouvernement. Mme Fraser dit:

La surveillance externe exercée sur les organismes chargés de la sécurité et du renseignement, quant à la conformité de leurs activités à la loi et aux directives ministérielles, varie beaucoup d'un organisme à l'autre. Dans certains cas, aucune surveillance n'est exercée. De plus, le niveau de détail des rapports présentés au Parlement varie d'un organisme de surveillance à l'autre.

Les examens indépendants sont importants en raison des pouvoirs d'intrusion conférés aux organismes et aux ministères qui participent à la collecte de renseignements et à l'application de la loi.

Honorables sénateurs, la vérificatrice générale a raison. Si nous voulons conférer des pouvoirs plus importants à nos organismes de renseignement nationaux, il incombe au Parlement de veiller à ce que ces pouvoirs soient exercés de manière responsable. Devrions-nous conférer un pouvoir à l'exécutif? Est-ce nécessaire?

L'automne dernier, l'honorable sénateur Lynch-Staunton a exprimé des inquiétudes au sujet des arrêtés d'urgence qui font double emploi par rapport aux pouvoirs que le gouvernement possède déjà aux termes de la Loi sur les mesures d'urgence. Il y a toutefois une différence fondamentale. Alors que la Loi sur les mesures d'urgence exige que le Parlement soit saisi des arrêtés d'urgence dans les deux jours, les arrêtés dont il est question dans le projet de loi C-7 sont déposés au Parlement dans les 15 jours suivant leur prise. Les arrêtés d'urgence ne seront pas assujettis aux articles 3, 5 et 11 de la Loi sur les textes réglementaires. Le comité sénatorial doit examiner pourquoi la loi qui garantit l'application de la Charte des droits et libertés ne s'applique pas à ces dispositions. Les arrêtés d'urgence confèrent aux ministres des pouvoirs énormes — voire excessifs, de l'avis de certains. Nous devrions nous interroger sur les raisons qui justifient l'inclusion de pareilles dispositions dans le projet de loi et nous demander si elles sont compatibles avec un gouvernement démocratique.

J'aimerais parler de certains aspects du partage de renseignements qui sont prévus dans le projet de loi C-7. Alors que le projet de loi C-44, le deuxième d'une série de trois projets de loi visant à lutter contre le terrorisme, autorisait la communication aux États-Unis de renseignements au sujet de passagers se rendant du Canada aux États-Unis, le projet de loi C-7 élargit ce partage de renseignements. Dorénavant, le Canada fournira à des États étrangers des renseignements sur des passagers à bord de vols qui atterrissent à l'extérieur de notre pays. Certains craignent que les renseignements personnels au sujet de voyageurs soient communiqués à des pays qui ne partagent pas nécessairement les mêmes valeurs que le Canada en matière de droits de la personne.

Honorables sénateurs, nous savons qu'en s'appuyant sur ses lois fiscales, le Canada a conclu des traités fiscaux avec des pays qui, nous en avions la certitude raisonnable, allaient réserver à ces renseignements le même traitement que nous. Le projet de loi C-7 permet toutefois à des gouvernements de conclure des accords et des «ententes» dont la définition reste encore à étudier, et il n'impose aucune restriction à cet égard. On présume que cela est fait dans l'intérêt de notre sécurité, mais il y a lieu de s'interroger sur ce que l'on fera de ces renseignements. À qui seront-ils communiqués? Quel usage en fera-t-on? Nous n'avons pas encore découvert tous les dessous de l'affaire Arar, et cela devrait nous inquiéter.

Honorables sénateurs, il y a encore beaucoup de choses à dire au sujet du projet de loi C-7, mais il y a tellement de répercussions juridiques. En principe, l'opposition, les gens de ce côté-ci, n'affirme certainement pas que nous devrions cesser de nous préoccuper de la sécurité, bien au contraire. Nous croyons que c'est l'un des premiers rôles du gouvernement. Nous ne doutons pas non plus que certaines modifications doivent être apportées à l'égard du transport. Toutefois, nous nous demandons si le projet de loi C-7, sous sa forme actuelle, est absolument nécessaire ou s'il s'agit d'une violation indue de nos droits, de nos libertés et, surtout, du respect de la vie privée.

Où se trouve cet équilibre délicat que nous avons tenté d'obtenir dans le cas du projet de loi C-36, la proportionnalité? Sommes-nous en train de porter indûment atteinte à nos droits démocratiques? Est-ce le bon équilibre à atteindre? Ce sont là des questions de droit. Les arrêtés d'urgence accordent au gouvernement et aux ministres une discrétion ministérielle sans entraves et sans structures. Nous devons étudier le projet de loi attentivement pour nous assurer que ces arrêtés d'urgence respectent les principes de justice fondamentaux.

Je renvoie les honorables sénateurs à un extrait de l'arrêt Parker de 1999.

Le problème dans l'affaire Parker, qui concerne une exemption pour l'usage de la marijuana, n'était pas différent de la question soumise au tribunal dans l'affaire Comité pour la République du Canada c. Canada, 1991, Volume 1, Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada, page 139. Cette affaire concernait la liberté d'expression et la validité de l'article 7 du Règlement sur l'exploitation de concessions aux aéroports du gouvernement.

Madame la juge L'Heureux-Dubé disait que la violation de la liberté d'expression ne pouvait être sauvegardée parce qu'un requérant pourrait demander une autorisation. À la page 214, elle écrit ce qui suit:

Les droits et libertés doivent être protégés et non entravés. Les lois imprécises qui entravent les libertés fondamentales créent une voie parsemée d'incertitude sur laquelle les citoyens ont peur de s'engager, craignant des sanctions d'ordre juridique. L'imprécision ne sert qu'à semer la confusion, et la plupart des gens éviteront d'exercer leurs libertés plutôt que de risquer une sanction.

(1650)

Elle écrit ensuite ceci:

Il est clair que le ministre dispose de «pleins pouvoirs discrétionnaires de faire ce qui lui semble le mieux». En soi, cela peut créer une norme imprécise au point d'être incompréhensible.

Je dirais que ces dispositions du projet de loi C-7 sont imprécises et, par conséquent, incompréhensibles. Elles donnent de vastes pouvoirs aux ministres, sans examen réglementaire et sans mécanisme de surveillance. Je crois donc que, venant s'ajouter aux autres mesures législatives, le projet de loi C-7 s'engage sur un terrain dangereux sans vraiment être avantageux du point de vue de la sécurité.

Ce projet de loi est tellement complexe dans ses interprétations juridiques que le seul endroit où il conviendrait d'analyser ces dispositions serait au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. La question des arrêtés ministériels, les questions de proportionnalité, l'application de la Charte des droits et libertés et l'interprétation de la réglementation sont toutes, à mon avis, des questions juridiques qui nous poseront des problèmes si nous nous attaquons à l'étude de ce projet de loi de plus de 100 pages. Nous sommes tous d'accord pour dire que nous avons besoin de sécurité.

Honorables sénateurs, en terminant, je vais citer ce qu'a dit le ministre de la Justice, Irwin Cotler, au cours de la session précédente, lorsqu'il n'avait pas de pouvoir exécutif. Il a parlé à la Chambre des communes le jeudi 2 mai 2002. Il a énuméré alors certains des problèmes du projet de loi. Lorsqu'il en est venu à parler du fait que les arrêtés d'urgence étaient soustraits à l'application de la Loi sur les textes réglementaires, il a dit ceci:

Cela ne veut pas dire que ces décrets ou règlements ne sont pas assujettis à la Charte, mais bien qu'il n'y a pas de filtre pour éliminer les éléments répréhensibles avant que ces règlements ne soient édictés. Malheureusement, une mesure corrective judiciaire peut s'avérer nécessaire dans un cas où un filtre préemptif aurait pu être utilisé d'abord.

Il parlait du projet de loi C-55 à ce moment-là. Il a poursuivi en disant ce qui suit:

Le projet de loi C-55 /tablit généralement un équilibre raisonnable entre la sécurité et les droits à la protection de la vie privée. Les nouvelles dispositions donnent à la GRC et au SCRS un accès illimité aux renseignements personnels de tous les voyageurs aériens du Canada, tant sur les vols canadiens qu'internationaux, ce qui est également regrettable.

Par exemple, si la GRC peut obtenir et lire les manifestes des lignes aériennes, pour rechercher l'individu visé par un mandat non exécuté pour une infraction punissable par une peine d'emprisonnement de cinq ans ou plus ou pour une infraction aux termes de la Loi sur l'immigration, il semble que cela soit une expansion indue des pouvoirs de la police aux dépens des droits à la protection de la vie privée.

En d'autres termes, si, comme le Commissaire à la protection de la vie privée l'a déclaré, l'article 4.82 proposé se limitait à accorder à la GRC et au SCRS l'accès aux renseignements sur les passagers d'une ligne aérienne dans le seul but d'établir une comparaison avec les bases de données sur des terroristes connus ou soupçonnés, à la condition que tous ces renseignements soient détruits sauf en cas de correspondance avec les bases de données, cela pourrait être considéré comme un exercice légitime du pouvoir de la police aux fins de sécurité.

Le ministre poursuit en donnant d'autres exemples, faisant essentiellement ressortir que le libellé du projet de loi C-7 a une portée juridique considérable dont il faut discuter. Il ajoute, en conclusion, que la Loi de 2001 sur la sécurité publique comporte des aspects importants, dont il a décrit quelques-uns, qui s'inscrivent dans le droit fil d'une loi et d'une politique antiterroriste et de la protection de la sécurité publique et humaine. Il poursuit:

Toutefois, elle comporte aussi des éléments déconcertants [...] qui contaminent le projet de loi et qui doivent être corrigés de façon à ce que nous puissions promouvoir la sécurité humaine sans empiéter inutilement sur les libertés civiles.

Honorables sénateurs, je soutiens que ce projet de loi nécessite le genre d'examen approfondi dont parlait M. Cotler, qui était député à l'époque et qui est aujourd'hui ministre. Ce sont des questions juridiques susceptibles nuire au projet de loi. L'objet de cette mesure législative est peut-être louable, mais ce sont les détails qui posent problème. Ces questions juridiques sont importantes parce qu'elles auront une incidence sur les citoyens.

Qu'arrivera-t-il quand il y aura des arrêtés d'urgence? Est-ce que la réputation d'un citoyen sera entachée? Il y aura ce moyen d'essayer de blanchir sa réputation, mais nous utilisons trop largement le prétexte des activités terroristes. Dans notre zèle pour nous protéger contre le terrorisme, nous ne devrions bafouer ni les droits des citoyens, ni leur réputation, ni leur capacité d'être de véritables citoyens canadiens.

Comme nous l'avons indiqué à l'égard du projet de loi C-36, il est fort peu vraisemblable que les Canadiens fassent l'objet d'un examen approfondi de la part des responsables de la sécurité. Il est plus vraisemblable que les gens venant de certaines parties du monde en particulier soient visés par ce genre d'examen détaillé. Nous ne voulons pas entacher des réputations et nous ne voulons pas nuire à des citoyens. Si nous pouvons, honorables sénateurs, unir nos esprits dans cette enceinte pour imaginer un moyen de faire en sorte que chaque citoyen canadien soit traité de manière égale, juste et équitable, que les pouvoirs du gouvernement se bornent uniquement à ceux qui lui sont absolument nécessaires et que le Parlement soit tenu de rendre des comptes par l'entremise d'un mécanisme de surveillance, alors nous aurons fait notre devoir. Faire moins que cela, ce serait décevoir les Canadiens.

La préoccupation la plus sérieuse ne concerne pas le transport ou la sécurité; l'inquiétude la plus sérieuse concerne les conséquences des articles proposés. Je presse donc les honorables sénateurs de faire en sorte que le comité compétent — à mon avis, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles — ait suffisamment de temps pour examiner ces questions et les comparer aux précédents, afin de s'assurer que l'on ne fera pas subir aux Canadiens, individuellement ou collectivement, un préjudice indu.

Des voix: Bravo!

L'honorable Serge Joyal: Honorables sénateurs, l'honorable sénateur Andreychuk a exprimé un certain nombre d'inquiétudes que je partage. Comme nombre d'autres sénateurs, j'ai lu les précédentes incarnations de ce projet de loi, soit les projets de loi C-55, C-17 et C-35. Madame le sénateur Andreychuk s'est intéressée à certains aspects particuliers du projet de loi, et je la félicite. Il s'agissait d'une tâche essentielle et incontournable. Pour ma part, je m'inquiète de la dynamique de ce projet de loi.

Quelle est cette dynamique? Pour améliorer la sécurité, en général la sécurité aérienne, nous conférons des pouvoirs accrus à divers ministères, notamment aux ministères du Revenu national, de la Citoyenneté, des Transports, de l'Immigration et à divers groupes au sein de l'administration gouvernementale. Il s'agit de pouvoirs exceptionnels qui n'ont jamais été accordés au Canada dans son ensemble.

(1700)

Quels sont ces pouvoirs? Nous donnons aux ministères énumérés plus haut le pouvoir de consulter les dossiers de tous les Canadiens qui ont reçu une peine d'emprisonnement de cinq ans ou plus pour une infraction. Dans le Code criminel, il y a une longue liste d'infractions punissables de cinq ans ou davantage et la plupart de ces infractions ne sont pas liées à des menaces à la sécurité. Il y a beaucoup d'infractions qui n'ont pas d'incidences sur la sécurité. Le projet de loi, dans sa forme actuelle, ne donne pas de liste d'infractions; il ne comporte qu'une large définition de cinq ans ou davantage.

De plus, les renseignements seraient gardés dans le système pendant sept jours. En d'autres termes, lorsque vous montez à bord d'un avion, par exemple, on fait une recherche informatique sur votre nom. Il ressortira peut-être si vous faites l'objet d'un mandat quelconque, même s'il n'a rien à voir avec la sécurité. Les renseignements pourraient être immédiatement transmis à quelqu'un dans l'administration qui, peut-être, vous recherche.

Voilà l'effet de ce projet de loi. On se demande quels mécanismes de contrôle sont en place pour faire en sorte qu'il ne se produise pas d'abus de ce système extraordinaire que nous sommes à mettre en place. Nous avons été témoins en janvier d'un abus de procédure dans le cas de la journaliste dont l'honorable sénateur a fait mention. Lorsque nous accordons des pouvoirs et des immunités supplémentaires à l'administration, nous devons veiller à contrebalancer ces pouvoirs afin de nous assurer que le système ne penche pas en faveur d'une invasion par l'administration de la vie privée des citoyens. C'est là une des dynamiques de ce projet de loi, et ses dynamiques ne sont pas du tout évidentes.

Je me souviens, honorables sénateurs, du moment où le comité spécial est venu dans notre Chambre pour traiter de la première partie du projet de loi antiterroriste. Le comité spécial était présidé par ma voisine de banquette, le sénateur Fairbairn. Une des recommandations clés dans le rapport du comité spécial concernait la surveillance parlementaire. Je me souviens clairement du fait que le sénateur Grafstein a soulevé cette question à maintes reprises et que le sénateur Beaudoin a renchéri.

Honorables sénateurs, j'ai de la difficulté à trouver l'équilibre de ce projet de loi.

Je lisais un discours prononcé le 3 décembre 2001, devant le Canadian Club à Toronto, par le juge en chef Roy McMurtry, de la Cour d'appel de l'Ontario, dans la foulée des événements du 11 septembre. Les questions étaient d'une actualité brûlante à ce moment-là, et chacun voulait se mettre à l'abri sous le parapluie de la sécurité.

Le titre du discours du juge en chef McMurtry était «Le rôle des tribunaux en des temps troublés». À la page 4 de son discours, on lit:

La tâche de l'Assemblée législative et, peut-être, du tribunal, consistera à établir un équilibre entre l'ampleur des craintes suscitées par le terrorisme et le caractère raisonnable des moyens choisis pour le combattre. Cet exercice comprend une analyse quant à savoir s'il y a un lien rationnel entre la menace et la réaction, si la réaction restreint le moins possible les libertés et les limites constitutionnelles et s'il y a équilibre entre les effets nuisibles des mesures et ses effets salutaires.

Le juge en chef a dit que l'application des lois concernant la sécurité peut très facilement être tendancieuse. Tous veulent assurer la sécurité, mais notre Constitution protège les renseignements personnels et les libertés, et les deux doivent être conciliés. Quand on rédige une loi dans les jours suivant une menace, des dommages et le meurtre d'innocents, on est porté dans une direction. On veut tellement protéger les gens. Toutefois, un second examen objectif assure que l'on maîtrise ces pouvoirs si jamais on est porté dans une autre direction.

Honorables sénateurs, il s'agit d'une question juridique très importante, et les tribunaux ont reconnu qu'ils devront se prononcer à ce sujet à un certain moment. Ce projet de loi traite de questions liées à la politique des transports, et je ne suis pas un expert en la matière. Cependant, ses répercussions juridiques sur la protection des renseignements personnels et sur les libertés des Canadiens protégées par la Constitution sont très délicates. J'espère qu'on explorera convenablement ces aspects du projet de loi, qui est volumineux et complexe, car il modifie de nombreuses lois.

C'est la préoccupation que je voulais partager avec les sénateurs. J'espère que, dans son étude, le comité entendra les témoins appropriés et réfléchira à ces questions, car, à mon sens, elles sont au coeur de ce projet de loi.

L'honorable Noël A. Kinsella (leader adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, nous avons entendu des arguments impressionnants cet après-midi au sujet de quelques-unes des préoccupations juridiques et liées aux droits de la personne qui découlent du principe de ce projet de loi. Nous, de ce côté-ci, n'avons rien contre le principe général du projet de loi, mais nous entendons maintenant un argument selon lequel il est primordial et il nous incombe d'examiner en détail les questions liées aux droits de la personne qui entrent en ligne de compte dans ces mesures qui, étant donné l'environnement dans lequel nous vivons, sont peut-être nécessaires maintenant, mais ne l'étaient pas au cours des années passées. Au moment où nous donnons ces pouvoirs supplémentaires à l'État, il nous incombe de veiller à ce que nos valeurs concernant les droits de la personne continuent de transcender ces mesures.

Il y a un changement dans le débat dans lequel nous sommes actuellement engagés qui ne porte pas tant sur le principe du projet de loi que sur l'étape suivante, à savoir l'étude en comité. L'argument qu'on fait valoir, c'est que si nous adoptons ce projet de loi en deuxième lecture, ce soit à la condition qu'il soit renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

L'honorable Jerahmiel S. Grafstein: Honorables sénateurs, je remercie le sénateur Joyal de rappeler au Sénat et à moi-même le rôle que lui et moi avons joué. Bien que nous ne soyons pas membres du comité spécial saisi de cette mesure législative extraordinaire, nous nous sommes intéressés au projet de loi.

(1710)

Une chose me préoccupait alors, et je remercie le sénateur Joyal de me rappeler que ma préoccupation est toujours là, c'est-à-dire que le gouvernement demande des pouvoirs extraordinaires, qui vont bien au-delà des pratiques normales. Je suis aussi frappé maintenant que je l'étais alors de voir qu'il incombe au gouvernement de prouver au comité — je suppose, quand le projet de loi sera renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, que ces pouvoirs extraordinaires sont nécessaires.

La mesure initiale n'a pas fait l'objet d'une vérification. Nous n'avons pas de faits, sinon ce que nous rapporte sporadiquement la presse au sujet des effets de cette mesure qu'elle trouve énormes. Nous n'avons pas de faits. Je crois dans les faits bien avant de croire dans une politique, et j'espère que le gouvernement justifiera scrupuleusement la nécessité d'obtenir ces pouvoirs additionnels.

Le fait de réclamer des pouvoirs accrus au nom de l'efficience et de l'efficacité ne répond à aucune des questions soulevées par les sénateurs aujourd'hui. Il ne s'agit pas d'efficience ou d'efficacité, il s'agit de proportion et d'équilibre entre les risques et les droits. J'espère que le gouvernement convaincra le comité que ces pouvoirs extraordinaires sont nécessaires au nom de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement du Canada.

Je suis aussi sceptique que je l'étais au début. Si nous conférons des pouvoirs extraordinaires au gouvernement, nous ne pourrons plus les lui retirer. Par conséquent, la mesure dénaturera ce que nous avons, un royaume pacifique et bon.

L'honorable Gérald-A. Beaudoin: Je propose l'ajournement du débat si aucun autre sénateur ne souhaite intervenir.

L'honorable Joseph A. Day: Honorables sénateurs, je me demande si le sénateur Beaudoin peut nous dire quand il interviendra sur cette question. J'aimerais que le sénateur ait une occasion de formuler ses commentaires, mais nous espérions que le projet de loi serait renvoyé au comité aujourd'hui.

Son Honneur le Président: Une motion a été présentée. Sénateur Beaudoin, voulez-vous répondre?

Le sénateur Beaudoin: Honorables sénateurs, je me propose de parler demain d'un aspect du projet de loi.

Son Honneur le Président: Je pense que cela répond aux questions qu'auraient pu poser les honorables sénateurs.

(Sur la motion du sénateur Beaudoin, le débat est ajourné.)

AGRICULTURE ET FORÊTS

AUTORISATION AU COMITÉ DE SIÉGER EN MÊME TEMPS QUE LE SÉNAT

Permission ayant été accordée de revenir aux avis de motion:

L'honorable Donald H. Oliver, président du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)a) du Règlement, propose:

Que le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts soit autorisé à siéger après le vote aujourd'hui, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l'application du paragraphe 95(4) du Règlement soit suspendue à cet égard.

(La motion est adoptée.)

LE DISCOURS DU TRÔNE

MOTION D'ADOPTION DE L'ADRESSE EN RÉPONSE—REJET DE LA MOTION D'AMENDEMENT—SUITE DU DÉBAT

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Trenholme Counsell, appuyée par l'honorable sénateur Massicotte, tendant à l'adoption d'une Adresse à Son Excellence la Gouverneure générale en réponse au discours qu'elle a prononcé lors de l'ouverture de la troisième session de la trente-septième législature,

Sur la motion d'amendement de l'honorable sénateur Comeau, appuyée par l'honorable sénateur Beaudoin, que la motion soit modifiée par l'ajout de ce qui suit:

«Que le Sénat du Canada déplore que le discours du Trône ne comporte aucune mesure de lutte ni contre la culture de corruption qui a envahi le gouvernement fédéral au cours des dix dernières années ni contre le bris de l'appareil gouvernemental.»—(12e jour de la reprise du débat)

Son Honneur le Président: Comme il est 17 h 15, conformément à l'ordre du jour adopté par le Sénat le 23 février 2004, j'interromps les délibérations pour passer au vote sur la motion d'amendement de l'honorable sénateur Comeau concernant le discours du Trône. Le timbre retentira pendant 15 minutes pour convoquer les sénateurs, de sorte que le vote aura lieu à 17 h 30.

Convoquez les sénateurs.

(1730)

(La motion d'amendement, mise aux voix, est rejetée.)

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Andreychuk Keon
Beaudoin Kinsella
Buchanan LeBreton
Cochrane Lynch-Staunton
Comeau Nolin
Di Nino Oliver
Forrestall St. Germain
Gustafson Stratton—17
Kelleher

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Austin Kenny
Baker Kirby
Banks Kroft
Biron Lapointe
Bryden Lavigne
Callbeck Lawson
Carstairs Léger
Chaput Losier-Cool
Christensen Maheu
Cook Mahovlich
Cools Massicotte
Corbin Mercer
Cordy Milne
Day Moore
De Bané Munson
Downe Pépin
Fairbairn Phalen
Ferretti Barth Plamondon
Finnerty Poulin
Fitzpatrick Poy
Fraser Prud'homme
Furey Ringuette
Gauthier Robichaud
Gill Roche
Grafstein Sibbeston
Graham Smith
Harb Sparrow
Hervieux-Payette Stollery
Hubley Trenholme Counsell
Jaffer Watt—61
Joyal

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Atkins Murray—2

(Sur la motion du sénateur Beaudoin, le débat est ajourné.)

AFFAIRES ÉTRANGÈRES

AUTORISATION AU COMITÉ DE SIÉGER EN MÊME TEMPS QUE LE SÉNAT

Permission ayant été accordée de revenir aux avis de motion:

L'honorable Peter A. Stollery, président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, propose, avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)a) du Règlement:

Que le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères soit autorisé à siéger après 18 heures aujourd'hui, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l'application du paragraphe 95(4) du Règlement soit suspendue à cet égard.

(La motion est adoptée.)

PÊCHES ET OCÉANS

AUTORISATION AU COMITÉ DE SIÉGER EN MÊME TEMPS QUE LE SÉNAT

Permission ayant été accordée de revenir aux avis de motion:

L'honorable Gerald J. Comeau, président du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, propose, avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)a) du Règlement:

Que le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans soit autorisé à siéger après 18 heures aujourd'hui, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l'application du paragraphe 95(4) du Règlement soit suspendue à cet égard.

(La motion est adoptée.)

LE CODE CRIMINEL

PROJET DE LOI MODIFICATIF—DEUXIÈME LECTURE

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Moore, appuyée par l'honorable sénateur Ferretti Barth, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-13, Loi modifiant le Code criminel (fraude sur les marchés financiers et obtention d'éléments de preuve).

L'honorable James F. Kelleher: Honorables sénateurs, je suis heureux de prendre la parole aujourd'hui à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi C-13. Les sénateurs du Parti conservateur du Canada appuient ce projet de loi; nous nous demandons seulement pourquoi le gouvernement a tant tardé.

Le monde entier est au courant depuis un bon moment des scandales financiers qui ont secoué les États-Unis ces dernières années, si bien que «Enron» est devenu synonyme de «scandale financier». L'an dernier, le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a tenu de longues audiences afin de soumettre à un examen intensif et approfondi l'impact de ce scandale sur la confiance des Canadiens à l'égard du marché. Dans son excellent rapport, le comité a fait plusieurs recommandations visant à enrayer la corruption au sein des entreprises et à rétablir la confiance du public dans le marché des valeurs mobilières.

(1740)

Évidemment, on eût été en droit de poser la question: «Les retombées d'Enron, est-ce vraiment notre problème? Après tout, cela s'est passé aux États-Unis. Pourquoi nous en préoccuper, ici, au Canada?»

Enron, Tyco, WorldCom et les autres comptent parmi les plus gros scandales d'entreprises. Ils ont attiré tant d'attention qu'ils ont peut-être éclipsé la série de scandales que le Canada a connue au fil des ans. Qu'il me suffise de mentionner Livent, Bre-X, Cinar, Nortel, Laidlaw et, tout récemment, Hollinger Inc. Ce projet de loi est le bienvenu au Canada en ce sens qu'il devrait contribuer, un peu en tout cas, à rétablir la confiance des investisseurs canadiens.

Honorables sénateurs, permettez-moi de passer en revue les principaux piliers du projet de loi, car j'ai quelques questions à ce sujet qui, je crois, doivent être soulevées. Premièrement, le gouvernement propose d'établir six équipes d'enquête chargées de découvrir les fraudes sur les marchés financiers. Les équipes de sécurité intégrée sur les marchés financiers, qui seront formées d'enquêteurs de la GRC, d'avocats fédéraux et d'autres experts, se consacreront exclusivement aux cas de fraude sur les marchés financiers. Le gouvernement soutient que ces équipes accentueront les efforts pour repérer les criminels au sein des entreprises et décourager la perpétration de crimes de cette nature dans l'avenir.

C'est bien beau de vouloir mettre la main sur les col blancs criminels, mais encore faut-il pouvoir les emprisonner. Il me semble que les criminels financiers ne sont pas difficiles à arrêter. Ils ont tendance à se trahir, et c'est leur avidité sans bornes qui les perdra au bout du compte.

Cela vaut pour tous les criminels de cet acabit, dans tous les horizons sociaux, même pour ceux qui travailleraient dans le secteur public. La seule question qui se pose est de savoir combien de dommages ils peuvent faire avant de se dévoiler. Si nous voulons décourager plus efficacement ces actions, nous aurons plus de succès si une plus grande proportion d'entre eux finit, comme les sénateurs du Comité des banques ne se lassent pas de me l'entendre répéter, «en costume de couleur orange».

Je suppose maintenant que toute cette question est visée en partie dans le projet de loi C-13 dans la proposition du gouvernement relative au durcissement des peines. En vertu de ce projet de loi, les infractions criminelles actuelles de fraude et de fraude ayant des conséquences pour le marché seraient passibles d'une peine maximale de 14 ans, soit quatre ans de plus que l'ancienne peine de 10 ans. La peine maximale pour manipulation frauduleuse de transactions boursières augmenterait de cinq à 10 ans. De plus, certaines circonstances aggravantes, comme l'ampleur des répercussions économiques, pourraient justifier des peines encore plus longues.

Honorables sénateurs, je conviens que des peines plus sévères sont nécessaires et je crois que leur création transmettra le message approprié à l'investisseur canadien, même si je pense que le message est davantage illusoire que réel. Il est très improbable que faire passer la peine maximale de 10 ans à 14 ans suffira à endiguer, de façon quantifiable, les tendances frauduleuses de gens d'affaires qui risquent de tirer des millions de dollars de leurs diverses manœuvres. S'ils ne sont pas dissuadés par la possibilité de passer les 10 prochaines années de leur vie derrière les barreaux, j'ai de la difficulté à imaginer que quatre années supplémentaires fassent une grande différence dans leurs calculs. Il serait peut-être mieux avisé d'augmenter la peine minimale plutôt que la peine maximale.

Honorables sénateurs, ce projet de loi prévoit également la protection des dénonciateurs grâce à la création de deux infractions: l'intimidation des employés et le délit d'initié. Cette dernière infraction prévoit des peines plus sévères que celles qui sont actuellement établies en vertu des lois provinciales sur les valeurs mobilières et s'ajoute à l'interdiction de ce type d'activités en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Encore une fois, j'aimerais dire que ce qui compte ici, ce ne sont pas tant les sanctions elles-mêmes que de faire en sorte qu'elles soient appliquées plus souvent.

Honorables sénateurs, il y a encore d'autres choses dans ce projet de loi, mais j'aimerais utiliser le reste de mon temps pour parler de ce qu'il y a d'extrêmement paradoxal à ce que ce projet de loi soit présenté par le gouvernement actuel. Espérons qu'il augmentera la confiance du public dans les entreprises, mais qu'est-ce que le gouvernement actuel fera pour accroître la confiance des Canadiens dans le secteur public? Les fondements mêmes de cette confiance ont été ébranlés par la stupéfiante ampleur des irrégularités financières du gouvernement libéral. Cela dépasse l'imagination de voir que, alors même que le gouvernement élaborait ce projet de loi, il était enfoncé jusqu'au cou dans les pratiques de corruption financière généralisée qu'il cherchait parallèlement à corriger dans le secteur privé. Je suppose que ce qui est bon pour Jean ne l'est pas pour Paul.

Honorables sénateurs, les contribuables canadiens sont l'équivalent public des actionnaires de sociétés par actions. Ils considèrent que l'argent qu'ils versent au gouvernement est un investissement dans leur avenir, dans l'avenir de leur pays et dans l'avenir du pays de leurs enfants. Ils investissent cet argent durement gagné en croyant fermement que cela leur rapportera des dividendes. Ils investissent en croyant que les personnes auxquelles ils confient leurs économies géreront cet argent pour le bénéfice de tous, et pas seulement pour le bénéfice de quelques élus, comme ce gouvernement l'a fait.

Honorables sénateurs, c'est trahir la population de manière honteuse et inacceptable. C'est une trahison et un scandale du même acabit que ceux qui sont survenus dans le secteur des entreprises, le genre de scandale que ce projet de loi a avait pour objectif de prévenir et de punir.

Honorables sénateurs, le gouvernement libéral devrait savoir qu'il ne suffit pas toujours d'avoir des lois, du moins en ce qui concerne les actionnaires. Parfois, ceux-ci prennent les choses en main, comme ce fut le cas récemment à la société Hollinger Inc. Dans ce cas-là, on a découvert que le président-directeur général se servait de l'argent des actionnaires pour s'enrichir et enrichir ses amis. En très peu de temps, l'homme qui dirigeait la société a appris qu'il ne la dirigeait plus. Les actionnaires ont protesté et le pdg a perdu son emploi.

Bientôt, honorables sénateurs, les actionnaires canadiens auront la possibilité de se prononcer et je ne serais pas étonné que l'homme qui dirige le cabinet du premier ministre perde son emploi, comme c'est arrivé à celui qui dirigeait Hollinger.

Son Honneur le Président: Sénateur Kelleher, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Kelleher: Compte tenu de la source, je n'en suis pas certain, mais j'accepte de l'écouter.

L'honorable Consiglio Di Nino: Honorables sénateurs, il est intéressant de constater que le sénateur a terminé sa participation au débat par un tel commentaire. J'ai en main une étude sur cette question et qui porte un titre étonnant «The Government of Canada: The Ultimate Enron». Je serai heureux de le communiquer à tous ceux que la chose pourrait intéresser.

Ce projet de loi s'adresse de façon évidente au secteur privé. Permettra-t-il d'enrayer le genre d'abus qui se sont produits au gouvernement fédéral? Le sénateur est-il d'avis qu'il sera utile à quelque chose ou devrions-nous préparer une nouvelle mesure législative portant précisément sur le secteur public?

Le sénateur Kelleher: Honorables sénateurs, j'aimerais bien entendre cette réponse aussi.

Je crois que nous aurions besoin d'un peu des deux, sénateur Di Nino.

Le sénateur Di Nino: Un peu des deux quoi?

Le sénateur Robichaud: Bonne réponse.

(1750)

Son Honneur le Président: Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix: Le vote.

Son Honneur le Président: L'honorable sénateur Moore, avec l'appui de l'honorable sénateur Ferretti Barth, propose: Que ce projet de loi soit lu une deuxième fois.

Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

RENVOI AU COMITÉ

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand ce projet de loi sera-t-il lu une troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Moore, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.)

LE CODE CRIMINEL

PROJET DE LOI MODIFICATIF—DEUXIÈME LECTURE—AJOURNEMENT DU DÉBAT

L'honorable Mac Harb propose: Que le projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois, soit lu une deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je suis heureux de parler aujourd'hui du projet de loi C-14. Celui-ci vise à modifier le Code criminel et il propose un certain nombre de changements valables que je vais expliquer dans un instant.

Tout d'abord, je tiens à dire que le projet de loi C-14, l'ancien projet de loi C-32, a reçu l'appui de tous les partis à la Chambre des communes. C'est un projet de loi omnibus petit et gérable qui comprend des modifications essentiellement non controversées, mais certaines d'entre elles sont urgentes.

La première modification proposée vise les dispositions du Code criminel concernant les mandats requis pour faire une perquisition et saisir des armes. En juillet 2002, la Cour d'appel de l'Ontario a établi que le libellé du paragraphe 117.04(1) allait à l'encontre de la Charte parce qu'il n'y était pas fait expressément mention des convictions que devait avoir l'agent de la paix pour obtenir un mandat de perquisition et saisir des armes, des explosifs ou d'autres articles assujettis à la réglementation, Même si les convictions nécessaires pour obtenir un mandat sont peut-être connues et exigées concrètement, il est important qu'il en soit fait expressément état dans la disposition.

Dans les faits, la décision qu'a rendue la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire La Reine c. Earle avait prévu, à l'origine, un délai de six mois pour permettre au gouvernement d'adopter une modification qui réglerait le problème. Cependant, comme quelqu'un en a appelé de cette décision devant la Cour suprême, le délai a été prolongé jusqu'à ce que ce tribunal ait rendu sa décision. Une motion vise actuellement à reporter l'échéance jusqu'à l'automne, l'audience devant avoir lieu le 17 mai 2004. De toute évidence, il serait préférable que nous adoptions cette modification afin de garantir que nos lois respectent clairement les droits reconnus aux Canadiens par la Charte.

Une autre modification urgente qui est proposée dans le projet de loi C-14 concerne le recours à des systèmes de détection d'intrusion. Ces systèmes aussi appelés SDI sont utilisés par le personnel qui gère des systèmes informatiques afin de protéger les ordinateurs contre des attaques qui pourraient leur être préjudiciables ou pour diagnostiquer des problèmes liés à la qualité du service. Ces activités de détection des intrusions visent notamment à assurer le bon déroulement des communications et à maintenir la sécurité et l'intégrité du système informatique et de ses données. Les activités de gestion informatique qui visent à empêcher les intrusions préjudiciables dans un système informatique, comme les vers, les virus et les effractions, sont des activités normales et légitimes.

Des communications personnelles risquent cependant d'être interceptées dans le cadre de ces activités. Notre droit criminel doit clairement protéger contre toute responsabilité criminelle ceux qui ont recours à des mesures de détection d'intrusion à des fins de protection.

Le projet de loi C-14 propose des modifications au Code criminel pour créer, à l'intention des personnes qui exploitent des réseaux informatiques, des exceptions similaires à celles s'appliquant déjà à l'industrie de transmission de données. La Loi sur la gestion des finances publiques est également modifiée dans le but d'autoriser l'administration fédérale à s'adonner à de telles activités.

Honorables sénateurs, l'un des amendements que l'on attendait depuis longtemps porte sur les trappes qu'installent les organisations criminelles afin de protéger leurs activités illicites. Depuis des années, les organismes d'application de la loi, comme les forces policières et les pompiers, s'inquiètent des trappes mortelles qui peuvent les blesser lorsqu'ils répondent à des appels. Les organisations criminelles ont de plus en plus tendance à utiliser des domiciles pour la culture et la production de drogues illicites. Les secouristes, dans ce cas-ci les pompiers, courent désormais un risque supplémentaire, celui d'entrer dans des lieux où des trappes mortelles ont délibérément été installées à l'intention des intrus, qu'il s'agisse de pompiers, de policiers ou de membres de bandes rivales.

Le projet de loi propose une restructuration de l'infraction relative à l'installation de trappes et prévoit une peine plus lourde pour toute personne qui installe une trappe pour protéger un endroit utilisé pour commettre un autre acte criminel. L'installation de trappes mortelles entraîne actuellement une peine d'emprisonnement de cinq ans. Le projet de loi C-14 porterait la peine maximale à dix ans d'emprisonnement dans le but de décourager l'installation de telles trappes. La peine d'emprisonnement maximale passerait à 14 ans lorsque la trappe inflige des blessures corporelles à une personne. Dans les cas où le décès d'une personne est attribuable à une trappe, la peine maximale serait l'emprisonnement à perpétuité.

Comme les honorables sénateurs s'en doutent, cette modification reçoit l'appui de nombreux organismes d'application de la loi ainsi que de l'Association internationale des pompiers qui a fait part de ses préoccupations concernant l'utilisation accrue de trappes mortelles au Canada.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-14 prévoit un petit nombre de modifications de forme. L'une de ces modifications tend à clarifier la loi en ce qui concerne l'usage de la force raisonnable à bord d'un aéronef pour empêcher tout dommage à l'aéronef ou blessure aux personnes à son bord. En vertu de la Convention de Tokyo relative aux infractions et à certains autres actes survenant à bord des aéronefs, tout membre d'équipage ou passager est autorisé à prendre des mesures préventives raisonnables lorsqu'il a des motifs raisonnables de croire qu'une telle mesure est immédiatement nécessaire pour prévenir une infraction qui mettrait en danger la sécurité des personnes à bord.

Honorables sénateurs, les événements qui se sont produits le 22 décembre 2001 illustrent les circonstances visées par ces propositions. Ce jour-là, un Britannique de 29 ans, Richard Reed, a essayé d'allumer des explosifs dans ses chaussures alors qu'il voyageait de Paris à Miami à bord d'un aéronef d'American Airlines. Heureusement, un agent de bord vigilant et un passager déterminé ont fait échouer la tentative de cet individu, qui a par la suite déclaré faire partie du réseau Al-Qaïda. Cet individu a été neutralisé. Un médecin qui se trouvait à bord lui a administré des sédatifs jusqu'à ce que l'aéronef se pose à l'aéroport de Boston, où il avait été détourné. M. Reed a été arrêté.

Honorables sénateurs, ce projet de loi renferme un certain nombre d'autres amendements qui traitent des versions française et anglaise des dispositions législatives ayant trait à cet aspect. Ces versions sont synchronisées de façon à les harmoniser. J'invite les honorables sénateurs à appuyer le projet de loi.

(Sur la motion du sénateur Nolin, le débat est ajourné.)

[Français]

LES TRAVAUX DU SÉNAT

L'honorable Fernand Robichaud: Honorables sénateurs, si Son Honneur le demandait, nous aurions le consentement pour que tous les articles à l'ordre du jour soient reportés à demain sans perdre leur place respective au Feuilleton.

[Traduction]

Son Honneur le Président: Il est proposé que tous les autres points figurant au Feuilleton soient reportés à la prochaine séance du Sénat. Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

(Le Sénat s'ajourne au mercredi 25 février 2004, à 13 h 30.)


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