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Débats du Sénat (Hansard)

Débats du Sénat (hansard)

1re Session, 38e Législature,
Volume 142, Numéro 31

Le jeudi 3 février 2005
L'honorable Daniel Hays, Président


 

 

LE SÉNAT

Le jeudi 3 février 2005

La séance est ouverte à 13 h 30, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

VISITEUR DE MARQUE

Son Honneur le Président : Je vous signale la présence à notre tribune du lord Beaverbrook.

Au nom des sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.


DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

LA LIBÉRATION DU CAMP D'AUSCHWITZ-BIRKENAU

LE SOIXANTIÈME ANNIVERSAIRE

L'honorable Jerahmiel S. Grafstein : Honorables sénateurs, Auschwitz revêt un caractère tragique tant pour la famille de ma mère que pour celle de mon père. Uniquement deux personnes de la très nombreuse famille de ma mère, qui vivait en Pologne avant la Seconde Guerre mondiale, ont été rescapées d'Auschwitz.

La famille de mon père a quitté l'Autriche, il y a plus de deux siècles, pour s'établir dans le sud de la Pologne dans un petit village non loin d'Auschwitz. Une partie de la famille paternelle a émigré en France et en Belgique. Mon père, sa soeur et leurs frères aînés, à l'exception d'un, ont immigré au Canada, un après l'autre, au début du siècle dernier. Le frère aîné de mon père, toute sa famille étendue et ses cousins, quelque 63 personnes en tout, sont restés en Pologne et, en 1940, ont été transportés à Auschwitz, non loin de leur paisible village — ils y ont tous trouvé la mort à l'exception de deux d'entre eux.

Le 27 janvier dernier, lorsque nous avons commémoré le soixantième anniversaire de la libération d'Auschwitz, qu'exigions-nous exactement de nous-mêmes ? Que devions-nous faire? De quoi devions-nous nous rappeler?

En hébreu, le mot « mémoire » se rend par zachor. Les rabbins nous disent que ce mot, zachor, n'est pas passif parce qu'il envisage à la fois le passé et l'avenir. Bien que nous ne devions jamais oublier le passé, nous vivons dans le présent. Zachor est un verbe impératif. Zachor ne peut ignorer le présent parce que l'origine d'Auschwitz et de l'Holocauste était la haine de l'autre — une haine et une peur déraisonnées et exaltées de l'autre.

En juillet 2002, l'Assemblée parlementaire de l'OSCE s'est réunie à Berlin, au Reichstag, sur les lieux mêmes où les odieuses lois nazies ont été adoptées dans les années 30, pour examiner et adopter à l'unanimité une résolution que je coparrainais, exhortant les parlementaires des 55 États membres et des autres pays à étudier et à combattre la recrudescence insidieuse de l'antisémitisme dans l'espace de l'OSCE, y compris au Canada. Au cours des trois dernières années, des incidents antisémites ont éclaté et se sont multipliés d'un bout à l'autre du Canada, sans compter tous ceux qui se sont produits depuis la présentation initiale au Sénat de la résolution contre l'antisémitisme.

Le 21 novembre 2002, j'ai donné avis d'une motion relative à l'examen de la résolution de l'OSCE, qui a stagné au Feuilleton pendant presque un an et demi. Le 3 février 2003, la résolution a été soumise à l'unanimité pour étude au Comité sénatorial permanent des droits de la personne, qui a tenu des audiences pendant plusieurs heures le 19 avril 2004. Le comité est resté saisi de la question jusqu'à la dissolution du Parlement le 23 mai 2004.

La résolution de l'OSCE est longue, mais, en partie, elle demande d'explorer :

[...] des moyens efficaces pour prévenir l'antisémitisme et en s'assurant que les lois, les règlements, les pratiques et les politiques sont conformes aux engagements de l'OSCE à l'égard de l'antisémitisme.

À l'heure actuelle, le Canada a du retard par rapport à un certain nombre de pays qui ont examiné et appliqué la résolution et qui ont formulé des recommandations. Pourquoi commémorer Auschwitz quand on n'a pas l'intention de prendre de mesures pour éradiquer l'antisémitisme contemporain? J'exhorte le Comité sénatorial permanent des droits de la personne à remettre la résolution à l'ordre du jour et à examiner soigneusement la question de savoir comment les Canadiens de la génération actuelle et des générations futures pourront éradiquer le virus contagieux de l'antisémitisme qui a animé et planifié Auschwitz et l'Holocauste.

Comment pouvons-nous enseigner à nos enfants le respect d'autrui? Honorables sénateurs, comment pouvons-nous espérer que nos enfants apprennent à respecter les différences si le Sénat lui-même reste indifférent aux actes flagrants de haine et de discrimination qui sont perpétrés à notre époque?

Des voix : Bravo!

TERRE-NEUVE-ET-LABRADOR

L'ENTENTE SUR LES RECETTES PROVENANT DE L'EXPLOITATION DU PÉTROLE MARIN

L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, je félicite tous ceux qui ont participé aux négociations de l'entente sur les ressources extracôtières avec Terre- Neuve-et-Labrador, en particulier le premier ministre, qui a tenu sa promesse et qui l'a fait pour toutes les bonnes raisons.

Il savait qu'il ne s'agissait pas simplement d'une entente sur le pétrole, mais également de la nécessité de redresser des injustices passées et d'aider une province placée dans une situation économique très difficile. Il était au courant de notre dette de dix milliards de dollars et il connaissait les montants qu'on doit consacrer chaque année au remboursement de cette dette. Il savait que nous étions faibles et qu'il pouvait nous aider à nous rendre forts. Il était conscient de ce qu'il devait faire et c'est ce qu'il a fait.

Le premier ministre Danny Williams doit également être félicité. Il savait que nous n'étions pas une province démunie, mais plutôt une province incapable de conserver ses ressources. Il savait que malgré nos ressources, sur le plan financier, nous faisions du sur place et nous n'avions aucun espoir de rattraper un jour notre retard. Il savait que si on nous donnait un nouveau départ équitable, nous pourrions non seulement subvenir à nos besoins, mais apporter une forte contribution à notre nation. Il savait que même si le poisson avait disparu, les hydrocarbures étaient toujours là et que ce serait notre dernier et meilleur espoir. Il savait que c'était maintenant ou jamais et sa détermination et sa persévérance nous ont permis de réussir là où ses prédécesseurs avaient échoué. Il savait ce qu'il avait à faire et il l'a fait.

Ceux d'entre nous qui ont suivi de près les négociations savent que d'autres personnes ont joué un rôle important. Le ministre John Efford a apporté à ce débat toute sa passion et les honorables sénateurs devraient savoir que le sénateur George Furey a joué un rôle clé en précisant la position de la province et en permettant une communication moins chargée d'émotion.

Nous avons adhéré à ce pays il y a moins de 60 ans. Nous étions le seul pays indépendant à nous joindre au Canada. Nous avons apporté avec nous une côte très étendue le long de laquelle on retrouvait une vie maritime très riche et d'énormes réserves pétrolières. Nous avions également une énergie hydroélectrique abondante et de grandes ressources minières. Pourtant, malgré tout cela, nous sommes devenus peu à peu de plus en plus dépendants.

Grâce à cet accord, nous ne serons plus tournés vers le passé, mais vers de nouveaux horizons. Cela ne veut pas dire que les temps difficiles sont terminés. Le simple remboursement de la dette limitera notre capacité d'éduquer nos citoyens et de les garder en bonne santé. Cependant, nous avons maintenant une bonne chance de nous en sortir. Grâce à cet accord, nous pouvons devenir des Canadiens à part entière.

Des voix : Bravo!

LE DÉCÈS DE ROY FRASER ELLIOTT, c.r., C.M.

L'honorable W. David Angus : Honorables sénateurs, j'interviens aujourd'hui avec beaucoup de tristesse pour vous signaler le décès, mercredi dernier, à Toronto d'un Canadien vraiment remarquable, un homme que j'ai eu le privilège de connaître en tant qu'ami et camarade loyal pendant près de 50 ans.

Roy Fraser Elliott a eu une vie variée et productive, qui a laissé sa trace au Canada. Lundi après-midi, l'église Grace on-the-Hill de Toronto était pleine à craquer de personnes dont il a touché la vie d'une multitude de façons, qui étaient venues de près et de loin pour célébrer sa vie.

Comme on dit en français, Fraser Elliott avait beaucoup de cordes à son arc. Ce fut un brillant avocat, un homme d'affaires et un entrepreneur astucieux, un protecteur sensible des arts et un généreux bienfaiteur qui a contribué à d'innombrables causes et institutions. C'était également un fin collectionneur et un sportif passionné. Il adorait le golf et la pêche au saumon. Son esprit de compétition, tellement évident dans sa vie professionnelle et ses affaires, se manifestait également sur les parcours de golf.

(1340)

Fraser est né à Ottawa le 25 novembre 1921. Il était le fils de Colin Fraser Elliott, qui avait consacré sa vie à la fonction publique et occupé les fonctions de sous-ministre du Revenu national et d'ambassadeur au Chili. Fraser avait obtenu un baccalauréat en commerce de l'Université Queen's en 1943, une licence en droit d'Osgoode Hall en 1946 et une maîtrise en administration des affaires de Harvard en 1947. Bien que fier Ontarien, Fraser s'était aventuré à Montréal, dans la belle province de Québec, où sa carrière extraordinaire a pris forme et a évolué pendant les 30 années suivantes avant qu'il décide, en 1976, de la poursuivre à Toronto. Il avait rapidement maîtrisé les arcanes du droit civil et avait prêté serment comme membre du Barreau du Québec en 1948. Il s'était lié d'amitié avec le protégé son père, un brillant fiscaliste du nom de Heward Stikeman, qui venait de rentrer à Montréal après avoir passé neuf ans à Ottawa comme avocat pour le gouvernement, dont deux ans comme conseiller spécial du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, où il avait le mandat de concevoir une nouvelle législation fiscale complète pour le Canada.

En 1952, ces jeunes gens brillants et ambitieux ont fondé, à titre de partenaires égaux, leur propre cabinet d'avocats fiscalistes et d'affaires, Stikeman & Elliott. Ils se complétaient magnifiquement : Stikeman était l'intellectuel visionnaire et le puriste du droit, tandis qu'Elliott faisait office d'homme d'affaires pragmatique. Aujourd'hui, Stikeman Elliott est un cabinet international qui compte près de 400 avocats. Fraser s'y trouvait encore, il y a seulement deux semaines.

Pour Fraser Elliott, le travail acharné, la concentration, la loyauté, l'intégrité et le jugement étaient les éléments clés du succès. Il croyait sincèrement que le succès et la fortune s'accompagnent de l'obligation d'en restituer une part à la société. Il a toujours encouragé ses collègues et ses associés à s'impliquer et à s'intéresser aux affaires publiques.

L'astuce dont Fraser a fait preuve comme homme d'affaires s'est manifestée en dehors de son cabinet de droit, dans plusieurs affaires commerciales qui lui ont rapporté une fortune confortable. Son entreprise favorite, qui est aussi la plus connue, est la CAE Électronique Ltée. En 1951, M. Stikeman avait investi dans CAE, qui n'était alors qu'une petite entreprise naissante de technologie. Fraser est devenu président du conseil d'administration.

Son Honneur le Président : Je regrette de vous interrompre, honorable sénateur, mais votre temps de parole est écoulé.

LE DÉCÈS DE LAWRENCE O'BRIEN

L'honorable Ethel Cochrane : Honorables sénateurs, je veux aujourd'hui rendre hommage à Lawrence O'Brien, député de Labrador, qui est récemment décédé à seulement 53 ans. Même s'il était jeune et s'il n'était à Ottawa que depuis 1996, on peut dire que la liste de ce que Lawrence a fait pour la population de sa collectivité, de sa province et de son pays est assez longue.

Tout au long de sa vie, Lawrence a servi sa communauté, que ce soit comme enseignant à des enfants ou à des adultes, ou comme échevin. Il s'est toujours efforcé d'améliorer les choses pour ses semblables. Il n'a pas changé lorsqu'il est arrivé à Ottawa pour occuper le siège laissé vacant par un de nos collègues. Il était de tous les combats, que ce soit pour réclamer une augmentation des quotas de chasse au phoque, pour garder les vols d'entraînement de l'OTAN au Labrador ou pour créer un drapeau régional.

Cependant, la plus grande réalisation de Lawrence est survenue, je crois, en 2003, lorsque le nom de notre province est officiellement devenu Terre-Neuve-et-Labrador. Cela n'a pas été facile. Il a fallu un amendement constitutionnel. Cependant, c'était un geste durable qui avait une immense importance symbolique pour la population de notre province. J'ai eu le plaisir de parler en faveur de cet amendement ici au Sénat, et j'étais extrêmement heureuse de faire avancer la cause que Lawrence avait présentée avec tant de passion.

Cependant, à côté de ces réalisations qui, j'en suis sûre, seront retenues par l'histoire, ce sont les actions beaucoup plus discrètes dont je me souviendrai. Je me souviens par exemple de tous ces témoignages racontés par les gens qui ont rencontré Lawrence O'Brien. Par exemple, lorsqu'il est intervenu personnellement pour s'assurer que des voyageurs dont l'avion était retenu au Labrador ont pu se rendre chez eux pour les fêtes. Et cette autre fois où il a veillé à ce qu'une électrice de sa circonscription obtienne en deux semaines tout le matériel dont elle avait désespérément besoin de matériel pour démarrer son entreprise à la maison.

Ce sont des choses dont nous entendons rarement parler et que nous voyons rarement, mais ce sont ces gestes qui nous donnent le meilleur portrait de Lawrence O'Brien. En octobre dernier, il a fait la manchette lorsqu'il a quitté son lit d'hôpital pour venir à Ottawa voter sur le discours du Trône. Beaucoup ont été étonnés d'un tel acte de loyauté et de dévouement, mais je dois dire que cela était tout à fait typique de Lawrence.

Honorables sénateurs, le premier ministre a dit ceci de Lawrence :

Cet homme avait le sens de l'honneur, il avait des principes. C'était un homme déterminé [...] mais par-dessus tout, c'était un homme du Labrador.

Je ne saurais mieux dire que le premier ministre.

Je transmets mes sincères condoléances à son épouse, Alice, et à leurs deux enfants.

LE MOIS DE L'HISTOIRE DES NOIRS

L'honorable Donald H. Oliver : Honorables sénateurs, c'est avec une très grande fierté que je m'adresse à vous aujourd'hui en cette enceinte afin d'attirer votre attention sur l'importance du Mois de l'histoire des Noirs.

Chaque année, nous fêtons le Mois de l'histoire des Noirs afin de souligner la vivacité de l'histoire et de la culture des Noirs ainsi que l'apport de ceux-ci à notre pays. En outre, je crois que ce mois doit consister en une période de réflexion pendant laquelle les Canadiens pourraient se demander de quelle façon ils peuvent améliorer la situation des Noirs et, en fait, de toutes les minorités visibles du Canada.

Honorables sénateurs, je tiens à vous faire remarquer qu'il reste encore beaucoup à faire. Le racisme est encore enraciné dans la société canadienne. Il est présent dans la fonction publique, dans les écoles et dans la police.

Dans la fonction publique, par exemple, les minorités visibles ne représentent que 7,4 p. 100 des effectifs, bien qu'elles constituent plus de 15 p. 100 de l'ensemble de la population. Parmi les minorités visibles du Canada, le Conference Board du Canada a récemment indiqué que les Noirs forment, avec 32 p. 100, le groupe le plus susceptible de faire l'objet de racisme.

Par ailleurs, le profilage racial constitue toujours un cancer qui ronge nos services de police. Ainsi, les hommes et les femmes de race noire qui sont des membres honorables de la société sont arrêtés, interpellés et interrogés, simplement en raison de la couleur de leur peau. Le système de justice pénale de l'Ontario a signalé qu'en 1995, 50 p. 100 de tous les hommes afro-canadiens avaient été interpellés ou interrogés par la police au cours des deux dernières années, par rapport à 25 p. 100 des hommes de race blanche. Également, honorables sénateurs, seuls trois Canadiens de race noire ont eu le privilège de servir notre pays dans cette salle du Sénat. Qui plus est, parmi les 89 sénateurs qui siègent actuellement au Sénat du Canada, seuls quatre font partie de minorités visibles, soit un pourcentage inacceptable de 4,5 p. 100.

Cette année, nous, les Canadiens de race noire, fêtons le 400e anniversaire de notre présence au Canada. Mathieu da Costa, un navigateur et explorateur portugais, est arrivé au Nouveau Monde aux côtés de Samuel de Champlain en 1605. Au cours des 400 années qui se sont écoulées depuis l'arrivée de da Costa, la culture des Noirs au Canada a subi des transformations profondes. Nous sommes en effet passés de l'esclavage à la liberté. Nous avons participé aux deux guerres mondiales. Les Noirs ont contribué à faire du Canada le pays que nous connaissons aujourd'hui, mais ils demeurent marginalisés et ils ne jouissent pas d'un traitement égal. Une opposition à la diversité existe toujours. Le racisme continue à faire obstacle à notre progrès et cette situation doit changer.

Nous célébrons le Mois de l'histoire des Noirs afin de rappeler à tous les Canadiens, d'un océan à l'autre, que le but de l'égalité est loin d'être atteint. Il s'agit d'une période de réflexion qui rappelle aux Canadiens que la lutte contre le racisme systématique doit se poursuivre tant que nous ne l'aurons pas éliminé de notre société. C'est le moment de célébrer l'histoire et la culture des Noirs de même que de faire la promotion d'un pays où chacun jouit d'un traitement égal, sans égard à la couleur de sa peau.

Honorables sénateurs, c'est le genre de Canada que je veux et c'est le genre de Canada que nous devons mettre en place.


(1350)

AFFAIRES COURANTES

LE CODE CRIMINEL

PROJET DE LOI MODIFICATIF—PREMIÈRE LECTURE

L'honorable John G. Bryden présente le projet de loi S-24, Loi modifiant le Code criminel (cruauté envers les animaux).

(Le projet de loi est lu une première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons- nous le projet de loi une deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Bryden, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la séance d'après-demain.)

[Français]

LE PROGRAMME NATIONAL D'APPRENTISSAGE ET DE GARDE DES JEUNES ENFANTS

AVIS D'INTERPELLATION

L'honorable Rose-Marie Losier-Cool : Honorables sénateurs, conformément à l'article 56 et au paragraphe 57(2) du Règlement, je donne avis que, le mercredi 9 février 2005 :

J'attirerai l'attention du Sénat sur le futur programme national d'apprentissage et de garde des jeunes enfants, et plus particulièrement sur le personnel qui assurera les services offerts en vertu de ce programme.


[Traduction]

PÉRIODE DES QUESTIONS

LES TRANSPORTS

LA COLOMBIE-BRITANNIQUE—L'EFFET DE LA CONGESTION DES COULOIRS COMMERCIAUX—LE DOUBLEMENT DE VOIES SUR LA LIGNE DE CHEMIN DE FER DU CANADIEN PACIFIQUE

L'honorable Noël A. Kinsella (leader de l'opposition) : Honorables sénateurs, comme le temps alloué à la période des questions hier n'a pas permis d'aller au bout d'un échange de questions et de réponses très intéressantes de la part de l'honorable leader du gouvernement au Sénat concernant les problèmes de transport sur la côte ouest, il y avait une question que je voulais poser.

Au cours de l'échange d'hier, il a été question du problème que soulève le transport ferroviaire à travers les Rocheuses jusqu'à la côte ouest. À l'heure actuelle, le Canadien Pacifique n'a qu'une voie qui traverse les Rocheuses. Le terrain est fort difficile et il se produit souvent des accidents tels que des éboulements, et les journaux nous apprennent que la voie est obstruée. Il est étonnant de constater la vitesse à laquelle se produit alors un engorgement du trafic. Nous avons appris qu'on envisageait un doublement de la voie de la ligne du Canadien Pacifique.

À ce que j'ai compris de l'échange d'hier, les responsables de l'industrie ferroviaire en Colombie-Britannique et les clients commerciaux espèrent que le processus de doublement de la voie sur cette ligne sera accéléré. Il y a parfois beaucoup de chinoiseries administratives qui retardent le processus. Tous les Canadiens savent que, peu importe où l'on vit, le doublement de voies peut y avoir des retombées économiques pour tout le pays. De plus, étant donné que les Canadiens d'un océan à l'autre sont fiers du fait que les Olympiques d'hiver doivent avoir lieu à Vancouver en 2010, une certaine urgence s'ajoute à la question du doublement des voies sur les lignes du Canadien Pacifique.

Le gouvernement fédéral est-il prêt à collaborer davantage avec le Canadien Pacifique pour accélérer le processus du doublement des voies en Colombie-Britannique?

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, je suis heureux d'entendre cette question. Je crois qu'en donnant ma réponse, j'ai mentionné le fait que le Canadien Pacifique envisageait d'augmenter sa capacité de transport ferroviaire, en partie au moyen d'une doublement de voies, sur la ligne qui part du port de Vancouver pour traverser les Rocheuses. Je ne voulais pas donner à entendre qu'il y aurait un doublement de voies sur toute la ligne, mais que le Canadien Pacifique, en gérant la circulation ferroviaire dans les deux sens, pourrait augmenter la capacité étendant le doublement de voies. À ce qu'on m'a dit, l'augmentation de la capacité ferroviaire coûterait probablement plus d'un demi-milliard de dollars.

La question de la capacité de transport ferroviaire à partir du port de Vancouver est à l'étude au gouvernement fédéral, au ministère des Transports et aux autres ministères concernés. Je ne possède pas d'autres renseignements que je pourrais donner à l'honorable sénateur maintenant.

LA SOCIÉTÉ RADIO-CANADA

L'UKRAINE—LES COUPES À RADIO-CANADA INTERNATIONAL

L'honorable A. Raynell Andreychuk : Honorables sénateurs, je voudrais parler de la programmation de RCI pour l'Ukraine. En 2004, on avait annoncé que cette programmation ferait l'objet de coupes à compter du 28 janvier 2005. En raison de la restructuration du budget de RCI, la programmation pour l'Ukraine a été réduite et d'autres pays ont été ajoutés, ce que je ne remets pas en cause.

Toutefois, compte tenu de ce qu'on a appris depuis que le gouvernement canadien a pris cette décision de concert avec la SRC, il serait opportun de revenir sur le sujet et de renforcer les services internationaux destinés à l'Ukraine. L'ancienne programmation était variée et je félicite RCI d'avoir mis l'accent sur le service public, car c'est très important.

Les élections en Ukraine ont montré qu'il y avait un manque d'information impartiale partout dans le pays. Même si l'élection du président Iouchtchenko permet d'entrevoir une réforme démocratique en Ukraine, je crois que le gouvernement canadien doit appuyer ces efforts. Ce n'est pas le moment de réduire le service de programmation ukrainien.

À la question que j'ai posée précédemment, l'honorable leader a répondu que cette affaire relevait strictement de la SRC et que la SRC était indépendante. Toutefois, après des discussions avec la SRC et d'autres représentants du gouvernement, la question n'apparaît pas si simple.

Au nom du gouvernement canadien, le MAECI négocie avec la SRC pour déterminer la programmation qui figurera sous la rubrique des services internationaux. Je ne remets pas en cause les décisions prises l'an dernier, mais la donne a complètement changé. Un appel lancé au gouvernement et à la SRC n'a rien donné. Le 28 janvier, les programmes ont fait l'objet de coupes radicales.

À la SRC, on m'a dit ne plus avoir de fonds et n'avoir reçu du gouvernement aucune indication d'une volonté de revoir cette question.

Le gouvernement canadien serait-il disposé à se pencher de nouveau sur cette question pour voir si d'autres fonds ne pourraient pas être affectés à la programmation ukrainienne en cette période importante, afin de favoriser le vent de réforme et de changement qui souffle en Ukraine?

(1400)

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, je ne conteste pas la description des faits que présente le sénateur Andreychuk. J'ai moi aussi étudié la question depuis cet échange de questions et de réponses, et j'ai constaté que RCI entretenait un dialogue constant avec Affaires étrangères Canada au sujet des priorités du Canada quant aux auditoires à rejoindre à l'étranger par nos émissions.

Comme madame le sénateur Andreychuk l'a dit, cette priorité a été établie il y a plus d'un an et la SRC, soucieuse de servir les intérêts du Canada, a accepté la recommandation d'Affaires étrangères Canada au sujet de la modification des priorités de radiodiffusion.

Comme madame le sénateur Andreychuk l'a dit, les événements survenus en Ukraine ont devancé les décisions de RCI et l'avis donné par Affaires étrangères Canada, et aucune des deux parties n'a modifié ses priorités au vu de l'évolution de la situation.

J'ai discuté de la question avec un représentant de la SRC et un représentant du ministère des Affaires étrangères. Je ne peux faire état de changements qui auraient été apportés, mais je puis dire que je suis intervenu vigoureusement pour qu'on rétablisse le service qui existait auparavant.

Enfin, je n'ai pas proposé d'octroyer de nouvelles ressources financières à la SRC. Le financement de cette société est une question d'une incroyable complexité. J'ai simplement demandé aux responsables d'utiliser leurs propres ressources pour rétablir le service, car il est clair, à la lumière de ce qui se passe aujourd'hui, que c'est une priorité majeure de propager les valeurs canadiennes et de faire valoir par ces émissions l'intérêt du Canada pour l'Ukraine et le développement de sa démocratie.

Le sénateur Andreychuk : Honorables sénateurs, je comprends parfaitement la position actuelle de la SRC. Elle a réparti entre un certain nombre de pays les fonds prévus pour les services internationaux. Il était tout bonnement impossible, à la dernière minute, de retirer des fonds à des émissions diffusées ailleurs. Toutefois, je demande instamment une injection ponctuelle d'argent pour les services internationaux pendant une seule année. Le gouvernement du Canada a dépensé au moins 5 millions de dollars, et sans doute beaucoup plus, selon moi, pour observer le déroulement des élections. Il s'agit d'une étape cruciale dans l'évolution de l'Ukraine, et le Canada peut faire quelque chose pour que cet investissement porte fruit. Il faut que les Ukrainiens entendent du Canada un message leur disant que nous continuons de les appuyer et que nous souhaitons toujours que l'Ukraine soit un pays fort, renouvelé par des réformes.

Maintenir ce service à ce stade crucial compléterait l'investissement que nous avons fait dans l'observation des élections. Il s'agit d'une situation particulière. Il n'est pas nécessaire de puiser dans les ressources financières de la SRC, car il s'agit de services internationaux. Je demande au leader du gouvernement au Sénat d'aborder la question avec le gouvernement et le premier ministre.

Le sénateur Austin : Honorables sénateurs, je le ferai avec plaisir.

Comme l'a mentionné l'honorable sénateur, après que la décision fut prise, différentes ressources ont été rassemblées en vue de la télédiffusion au Brésil et dans d'autres régions de l'Amérique du Sud et, de fait, les ressources liées à l'Ukraine ont été transférées. Il faudra du temps pour remettre ces ressources en place, si effectivement la décision va dans ce sens.

Je peux assurer à l'honorable sénateur que j'interviens auprès du ministre des Finances pour en faire une question spéciale. L'honorable sénateur a de nouveau abordé la question, et l'appui d'autres sénateurs serait un atout.

Le sénateur Andreychuk : Honorables sénateurs, j'aimerais ajouter que Radio-Canada attend un signal du gouvernement. Je crois donc qu'il y a place à la discussion. Il faut que cette question soit abordée à titre de question spéciale. S'il y a un moyen de rendre service à l'Ukraine, cela pourrait représenter un bon exemple des mesures constructives que nous pourrions prendre dans d'autres cas, et il ne serait pas très compliqué d'ajuster les effectifs actuels et les ressources disponibles pour que le format soit davantage axé sur les affaires publiques, ce qui constitue un besoin criant à l'heure actuelle.

Le sénateur Austin : Cette série de questions et de réponses démontre bien l'importance de la télévision publique au Canada.

LES FINANCES

LE SUPPLÉMENT DE REVENU GARANTI—LA POSSIBILITÉ DE L'AUGMENTER

L'honorable Gerald J. Comeau : Honorables sénateurs, le mois dernier, le sénateur Downe a écrit au premier ministre pour demander une majoration du Supplément de revenu garanti versé aux aînés les plus pauvres du Canada. Je tiens à féliciter le sénateur Downe de son initiative. J'ai cependant trouvé curieux qu'il ait besoin d'écrire une telle lettre. En effet, au cours de la campagne électorale de l'année dernière, le premier ministre avait promis d'ajouter un total de 1,5 milliard de dollars au SRG sur cinq ans.

Le leader du gouvernement au Sénat peut-il nous expliquer quoi il n'y a pas encore eu d'annonce au sujet du moment ou des détails de cette majoration? Peut-il nous indiquer ce qui retarde l'augmentation du Supplément de revenu garanti?

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, la réponse évidente, c'est que le gouvernement a reçu une foule de demandes concernant la façon de dépenser l'excédent budgétaire. Le ministre des Finances procède encore à ses consultations prébudgétaires. Par conséquent, les instances du sénateur Downe et du sénateur Comeau arrivent à point nommé. Je veillerai à ce que la question du sénateur Comeau soit portée à l'attention du ministre des Finances.

LE DÉVELOPPEMENT SOCIAL

LE SUPPLÉMENT DE REVENU GARANTI—LA COMMUNICATION DE L'INFORMATION

L'honorable Gerald J. Comeau : Honorables sénateurs, je félicite le sénateur Downe de l'interpellation qu'il a lancée en octobre dernier. À ce moment, il avait exprimé sa préoccupation du fait que plusieurs milliers d'aînés dans le besoin ne reçoivent pas le Supplément de revenu garanti parce qu'ils ne se rendent pas compte qu'ils y sont admissibles ou ont omis, pour d'autres raisons, de présenter une demande.

Dans les trois mois et demi qui ont passé depuis que cette préoccupation a été exprimée au Sénat, le leader du gouvernement a-t-il obtenu des renseignements sur ce qui s'est fait pour régler le problème? A-t-il été informé de nouvelles initiatives? Si c'est le cas, a-t-il quelque chose de concret à annoncer au Sénat au sujet des moyens de faciliter l'accès au SRG pour ces aînés? Ce sont les plus pauvres de la société. Nous devons faire tous les efforts possibles pour qu'ils obtiennent ce qui leur est dû en vertu des lois du Canada.

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, la question de mettre des renseignements publics à la disposition des demandeurs éventuels est à l'étude depuis que la question a été encore soulevée. Bien entendu, il incombe à tous les Canadiens de s'informer de ce qui est disponible. La question est donc de savoir à quel point les fonctionnaires responsables doivent se montrer proactifs et à combien s'élèverait le coût d'une telle initiative.

Est-il facile de cerner le groupe qui vous intéresse, sénateur Comeau? Comment pouvons-nous prendre contact avec ses membres? Quelle aide devons-nous leur offrir et quel en serait le coût? Il est évident que tout le monde souhaite que les aînés qui ont besoin du SRG puissent l'obtenir.

Le sénateur Comeau : Honorables sénateurs, je suis heureux que le leader ait posé ces questions. J'ai en fait une suggestion à lui faire. Je crois que cela a été également proposé par le sénateur Downe, que je félicite encore de son initiative.

(1410)

L'Agence du revenu du Canada a des contacts réguliers avec Développement social Canada. Les deux organismes se parlent régulièrement. De même, lorsque le gouvernement du Canada veut percevoir l'impôt sur le revenu, par exemple, il communique avec certains ministères provinciaux. De toute évidence, si le gouvernement fédéral peut avoir des contacts avec les ministères provinciaux pour percevoir des impôts auprès des citoyens, il ne devrait pas être beaucoup plus difficile pour une agence fédérale de parler à une autre agence fédérale.

Je conviens volontiers qu'il incombe aux Canadiens d'informer le gouvernement fédéral, mais il y a des gens qui ne connaissent pas comme nous les programmes du gouvernement. Nous devons faire les efforts nécessaires pour encourager le gouvernement à agir de la même façon qu'il le fait quand il doit accéder à l'information d'autres ministères pour percevoir les impôts. Pourquoi le gouvernement fédéral n'encourage-t-il pas ces ministères à prendre contact avec les aînés pour qu'ils puissent percevoir ce qui leur est dû au titre du SRG?

Le sénateur Austin : Je suis tout à fait d'accord avec l'esprit de ce qui a été dit, mes j'ai des observations à formuler au sujet du processus préconisé. Les renseignements fiscaux sont confidentiels et ne sont donc pas échangés avec d'autres ministères, sauf dans des circonstances exceptionnelles.

L'honorable sénateur a parlé des provinces. L'agence agit à titre de percepteur d'impôt pour le compte de la plupart des provinces. Elle collabore donc avec ces provinces au sujet de certains types de renseignements.

L'une des difficultés qu'il y a à joindre les personnes admissibles au SRG tient essentiellement au caractère confidentiel des renseignements fiscaux. Quelles recherches peut-on faire? Le programme envisagé semble encore une fois limité à une forme ou une autre d'avis au public, d'annonces et de publicité. Nous espérons que des Canadiens qui connaissent des personnes âgées admissibles au SRG pourront jouer un rôle dans la communication de l'information aux demandeurs éventuels.

Le sénateur Comeau : J'ai une dernière suggestion. Lorsque ces aînés demandes le crédit pour TPS — la plupart d'entre eux le font —, le service responsable, qui ne relève pas de l'agence du revenu, pourrait leur adresser un avis leur demandant s'ils ont envisagé de demander le SRG.

Le sénateur Austin : Merci. Je vais transmettre cette suggestion.

LES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

LA CHINE—LA VISITE DU PREMIER MINISTRE—LES FUNÉRAILLES DE L'ANCIEN PREMIER MINISTRE ZHAO ZIYANG

L'honorable Donald H. Oliver : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Au cours de son récent voyage en Chine, le premier ministre a déclaré :

On ne défend pas les droits de la personne simplement en faisant des déclarations. On défend les droits de la personne en faisant preuve de persistance et de constance.

Il semble qu'au cours de son récent voyage en Chine, le premier ministre n'ait fait ni l'un ni l'autre en ce qui concerne le décès de l'ancien chef du Parti communiste Zhao Ziyang. Il a très peu parlé de M. Zhao, sauf pour critiquer un parlementaire canadien qui tenait à présenter ses respects à la famille de M. Zhao et manifester son appui au mouvement en faveur de la démocratie.

Le leader du gouvernement au Sénat pourrait-il nous dire de quelle façon la répugnance apparente du premier ministre à parler de M. Zhao au cours de sa visite en Chine pourrait être la marque d'une « défense persistante et constante des droits de la personne »?

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, permettez-moi de donner un préambule à ma réponse à cette question. J'ai bien connu l'ancien premier ministre Zhao Ziyang. À l'automne 1983, j'ai négocié l'invitation à l'Expo 86 que le Canada a faite à la Chine. Le premier ministre Zhao est venu participer à ces négociations, notamment vers la fin.

J'ai aussi négocié la visite d'État qu'il a faite au Canada en décembre 1983 et en janvier 1984, et j'ai été le ministre accompagnateur du premier ministre Zhao pendant les trois semaines ou presque de cette visite.

Puis, en 1984, j'ai pu rendre visite une ou deux fois au premier ministre Zhao, à Beijing. Contrairement à Jason Kenney, j'ai connu le premier ministre Zhao. Jason Kenney a accompagné le premier ministre en Chine pour favoriser et faciliter le développement des relations entre les deux pays.

Le premier ministre Zhao est un personnage important de l'histoire politique chinoise. Son rôle fera longtemps l'objet d'études.

C'est au cours de rencontres privées que le premier ministre Paul Martin a exprimé ses condoléances aux dirigeants chinois. Il n'a pas été invité à poser un geste public concernant la position politique en Chine de l'ancien premier ministre Zhao.

Moi aussi, à ce moment particulier le mois dernier, j'ai pensé devoir exprimer mes condoléances aux dirigeants chinois et, dans les deux cas, on les a reçus avec grâce. Il n'y a rien eu de négatif de la part des dirigeants chinois. Toutefois, un geste posé publiquement par un représentant du gouvernement du Canada, soit le premier ministre ou moi-même, en tant que membres du gouvernement du Canada, n'aurait pas été conforme à notre rôle et à nos responsabilités sur la scène internationale.

Je reviens à Jason Kenney, qui a décidé pour ses propres raisons de faire un geste politique spectaculaire. Bien sûr, il y a eu des précédents en Chine. Un ancien collègue du Parlement, Svend Robinson, a fait un geste retentissant en déroulant une banderole sur la place Tiananmen. Il est très facile de faire les manchettes en posant de tels gestes, mais il l'est beaucoup moins de construire une relation de confiance pas à pas. Tenter d'illustrer la valeur du régime en place au Canada au moyen de manifestations dont le seul but est d'attirer les médias, ça n`a rien de constructif.

Enfin, je signale que M. Kenney a appelé les journalistes et les a invites à l'accompagner à la résidence de Zhao Ziyang. Il n'a pas fait cet appel au nom de Jason Kenney, mais il a délibérément organisé un événement médiatique dans le but de profiter de la réaction politique qu'il y aurait au Canada. Il n'était donc pas présent aux discussions sur les droits de la personne et sur les valeurs canadiennes.

Immédiatement après sa manifestation, M. Kenney a quitté la Chine. Il n'est pas resté avec le groupe qui accompagnait le premier ministre, ce qui soulève certainement, dans mon esprit, des questions sur la récente pratique voulant que des membres de l'opposition se déplacent avec le premier ministre pour favoriser les relations intergouvernementales avec des pays étrangers.

LA CHINE—LA VISITE DU PREMIER MINISTRE—LES PROPOS SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

L'honorable Donald H. Oliver : Ma question portait sur les droits de la personne. Au cours de sa visite, le premier ministre a aussi fait remarquer que la Chine avait réalisé des progrès considérables au chapitre des droits de la personne. Cette affirmation a étonné de nombreux Canadiens qui croyaient que le dossier de la Chine au fil des ans a toujours été médiocre. L'observation du premier ministre a sans doute surpris aussi les journalistes canadiens d'origine chinoise qui n'ont pu obtenir de visa pour le suivre dans ses déplacements en Chine ainsi que les journalistes canadiens qui ont été harcelés par les autorités chinoises durant la visite. Où sont les progrès considérables réalisés ces dernières années par la Chine dans la défense constante des droits de la personne, dont a parlé le premier ministre?

(1420)

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, le comportement de Jason Kenny n'avait rien à voir avec les droits de la personne, mais tout à avoir avec l'opportunisme politique.

En ce qui concerne le reste de la question du sénateur, j'ai largement répondu aux questions cette semaine sur la façon dont le Canada s'emploie à aider la Chine à améliorer son système de droits individuels et juridiques. La Chine réalise d'énormes progrès au chapitre de la liberté sociale et économique de ses habitants.

En résumé, je dirai que le peuple chinois examine d'autres systèmes. Par l'entremise de ses universitaires, de ses penseurs, de ses universités et de ses organismes gouvernementaux, le peuple chinois examine les institutions politiques de l'avenir. Le développement judiciaire et politique en Chine n'est pas arrêté, il se poursuit.

Les Occidentaux ont tort de croire qu'ils ont toutes les réponses pour la Chine et de s'attendre à ce qu'elle conçoive ses solutions du jour au lendemain. Par exemple, dans le discours sur l'état de la nation qu'il a prononcé hier soir, le président Bush dit clairement que les États-Unis ne tentent pas d'imposer leur modèle de gouvernement et de démocratie aux autres pays, mais qu'ils veulent seulement favoriser le progrès de la liberté dans ces pays.

Le sénateur St. Germain : Au moins, vous appuyez George W., Dieu merci. C'est le premier élément positif que j'entends de la part des libéraux.

RÉPONSE DIFFÉRÉE À UNE QUESTION ORALE

L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer la réponse différée à une question posée le 7 décembre 2004 par le sénateur Gustafson, concernant les objectifs de Kyoto.

L'ENVIRONNEMENT

LES ENGAGEMENTS RELATIFS AU PROTOCOLE DE KYOTO

(Réponse à la question posée le 7 décembre 2004 par l'honorable Leonard J. Gustafson)

Le gouvernement du Canada a toujours su qu'il serait difficile d'atteindre les objectifs de Kyoto. De fait, nous avons fixé un objectif très ambitieux :

  • Le Canada doit réduire ses émissions de 6 p. 100 (sous les niveaux de 1990) alors que sa population et son économie ne cessent de croître;

  • Le Canada compte de nombreuses industries à forte intensité énergétique qui sont axées sur les exportations (par exemple les hydrocarbures, les forêts, les mines et la fabrication). Elles consomment de l'énergie pour extraire et transformer des matières premières afin de produire des biens qui sont utilisés dans d'autres pays;

  • Le Canada a un climat froid et les distances entre ses centres de population sont considérables.

Malgré tout, le gouvernement du Canada a toujours dit qu'il ferait tout en son possible pour atteindre ses objectifs de Kyoto. Au cours des dernières années, il a instauré tout un train de mesures pour réduire les émissions et a engagé 3,7 milliards de dollars pour appuyer leur mise en œuvre. Alors que se profile l'horizon de Kyoto, nous prônons :

  • l'efficacité énergétique à la maison, dans les usines et sur la route car elle offre de nombreuses perspectives de réductions des émissions et d'économies de coûts;

  • le recours aux nouvelles sources d'énergies renouvelables, par exemple l'énergie éolienne et l'éthanol. Le Canada est déjà un pionnier de l'énergie renouvelable grâce à l'hydroélectricité;

  • le piégeage du carbone par les pratiques agricoles et forestières, et par le stockage souterrain.

Le gouvernement appuie activement la mise au point de nouvelles technologies qui fourniront une solution à plus long terme au problème des émissions. Parmi les domaines prioritaires, mentionnons les combustibles fossiles moins polluants, l'hydrogène, l'efficacité énergétique, l'énergie distribuée et les biocombustibles.

Nous ne sommes pas les seuls au Canada à être passés à l'action. Les annonces récentes faites en Ontario et au Québec, les deux plus grandes provinces du Canada, prouvent que d'autres ordres de gouvernement nous ont emboîté le pas. L'industrie et la population canadienne se sont également engagées à agir.

Les nouvelles mesures proposées dans le Plan du Canada sur les changements climatiques, publié en 2002, sont maintenant en train d'être mises en œuvre partout au pays. Cependant, de nouvelles mesures devront être prises pour que le Canada s'engage de manière continue sur la voie des réductions d'émissions. Dans le discours du Trône d'octobre 2004, le gouvernement a réitéré son engagement de lutter contre le changement climatique d'une façon qui produira des résultats durables et à long terme sans nuire à la vigueur de notre économie. Pour atteindre nos objectifs, il nous faudra une vision nationale à long terme mise en œuvre en collaboration avec tous les intéressés et soutenue par des mesures nationales pour réduire les émissions tant dans l'horizon de Kyoto qu'à plus long terme.

Le gouvernement est déterminé à poursuivre les efforts déjà engagés et il continuera de collaborer avec les provinces, l'industrie et les autres intervenants dans sa lutte aux changements climatiques. Dans le budget de 2004, le gouvernement a déjà annoncé son intention de financer davantage les technologies environnementales, par exemple les technologies de l'énergie propre, en investissant 1 milliard de dollars provenant de la vente de nos actions de Petro- Canada. Sous l'égide du Conseil des ministres de l'Énergie, des groupes de travail fédéraux-provinciaux-territoriaux ont été mis sur pied pour élaborer des stratégies d'efficacité énergétique et de gestion de la demande, et des technologies de l'énergie. En outre, nous avons créé un nouveau Comité du Cabinet sur le développement durable et l'environnement. Ce comité est en train d'examiner les progrès déjà accomplis et discutera des mesures à prendre pour aller de l'avant.


ORDRE DU JOUR

SÉCURITÉ NATIONALE ET DÉFENSE

AUTORISATION AU COMITÉ DE SIÉGER EN MÊME TEMPS QUE LE SÉNAT

L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement), conformément à l'avis donné le 2 février 2005, propose :

Que le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense soit autorisé à siéger à 15 h 15, le mardi 8 février 2005, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l'application de l'article 95(4) du Règlement soit suspendue à cet égard.

Une voix : Veuillez vous expliquer.

Le sénateur Rompkey : Honorables sénateurs, le comité tient des audiences sur l'établissement de l'organisme de sécurité dirigé par la ministre Anne McLellan, et les membres veulent entendre son témoignage. La réunion doit avoir lieu à un moment où la ministre est disponible, ce qui explique pourquoi on doit faire ce changement.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, vous plaît-il d'adopter la motion?

(La motion est adoptée.)

[Français]

LA LOI SUR LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

PROJET DE LOI MODIFICATIF—DEUXIÈME LECTURE—AJOURNEMENT DU DÉBAT

L'honorable Pierre Claude Nolin propose : Que le projet de loi S-23, Loi modifiant la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (modernisation du régime de l'emploi et des relations de travail), soit lu une deuxième fois.

— Honorables sénateurs, c'est pour moi un plaisir et un honneur de prendre la parole à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi S-23, qui vise à moderniser en profondeur la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada en matière de relations de travail.

D'entrée de jeu, je tiens à préciser que le projet de loi est une réplique des anciens projets de loi S-24 et S-12 que j'ai déposés respectivement le 23 octobre 2003 et le 12 février 2004.

Comme vous le savez, honorables sénateurs, tous deux sont malheureusement morts au Feuilleton sans avoir été étudiés par le Comité sénatorial des finances nationales. Qu'à cela ne tienne, depuis octobre 2003, j'ai reçu plusieurs témoignages d'encouragement provenant de membres de la GRC, d'associations représentant les agents de divers corps policiers canadiens, de citoyens ainsi que de certains d'entre vous. Je n'en nommerai qu'un, le sénateur Phalen, qui a d'ailleurs pris la parole lors d'un débat en deuxième lecture sur une des mesures précédentes.

À titre d'exemple, l'Association canadienne de la police professionnelle a annoncé hier qu'elle appuyait le projet de loi S- 23 et a invité les membres de cette enceinte ainsi que ceux de l'autre endroit à adopter cette importante législation au cours des prochains mois. À cet égard, le président de l'ACPP, qui regroupe 54 000 policiers municipaux, provinciaux et fédéraux, M. Tony Cannavino, a déclaré :

Nous ne parvenons pas à comprendre pourquoi les membres de la GRC se sont vus refuser les droits d'employés les plus fondamentaux et les plus élémentaires pendant si longtemps. On accorde ces droits et ces mesures de protection à tous les autres policiers du Canada et il est grand temps qu'on les accorde à ceux de la GRC.

Cela dit, sur une note moins réjouissante, certain cas de harcèlement sexuel envers des membres féminins de la GRC ont également été portés à mon attention au cours des dernières années.

Ces témoignages d'appui et ces faits consternants, que je vous présenterai un peu plus loin, m'ont convaincu, au nom de la protection publique et de la transparence, de la nécessité de mener à bien une telle réforme au cours des prochains mois.

Honorables sénateurs, voilà donc pourquoi j'ai redéposé, avant- hier, le projet de loi S-23.

La GRC a été créée en 1873. Depuis 130 ans, ses traditions, le professionnalisme de ses membres et son excellente réputation internationale constituent à la fois une importante source de fierté nationale pour les Canadiens et les Canadiennes, et aussi un vibrant symbole du Canada.

Partout au pays, les membres de la GRC, qu'ils soient affectés au service de la police contractuelle ou qu'ils soient responsables de l'application des lois fédérales dans l'ensemble du pays, n'hésitent pas à faire plusieurs sacrifices afin d'offrir un service de police de premier ordre à la population canadienne.

Or, au cours des dernières années, certains d'entre eux ont sévèrement et énergiquement critiqué, avec raison, les dispositions de leur régime de relations de travail. Par exemple, ils critiquent, avec raison, leurs coûts élevés pour les contribuables canadiens ainsi que leur manque de transparence, d'indépendance, d'équité et d'impartialité.

Au fil des recherches et des consultations qui ont précédé le dépôt de l'ancien projet de loi S-23, j'ai constaté, comme je le démontrerai plus loin, que cette triste situation est à l'origine d'abus de la part de l'employeur, de la détérioration du moral de troupe et de la dévalorisation professionnelle et personnelle de ses membres. Il est également responsable de la frustration et du cynisme des membres de la GRC envers la procédure actuelle de détermination des conditions de travail, d'une part, et les mécanismes désuets et hautement controversés de règlement de griefs et des cas de discipline, d'autre part.

Honorables sénateurs, les membres de la GRC méritent que nous consacrions une partie de nos travaux à la résolution de ces graves problèmes qui peuvent, soit dit en passant, nuire à l'atteinte d'un des principaux objectifs de notre corps policier national, qui est la protection des Canadiennes et des Canadiens.

(1430)

En effet, je crois fermement que la sécurité de nos concitoyens dépend non seulement de l'implantation de meilleures procédures de reddition de comptes au sein de la GRC, mais aussi de la qualité des relations de travail qui y sont pratiquées. En ce sens, le projet de loi S-23 a pour objectif principal l'amélioration des relations de travail afin que la GRC puisse accomplir efficacement son mandat, ni plus ni moins.

Honorables sénateurs, je suis fier d'affirmer que ce projet de loi constitue la première réforme majeure du régime de relations de travail des membres de la GRC depuis l'adoption, en 1986, du projet de loi C-65. Ce dernier avait pour objectif la mise en œuvre d'une série de recommandations énoncées, en 1976, par le rapport de l'importante Commission d'enquête sur les plaintes du public, la discipline interne et le règlement des griefs au sein de la Gendarmerie royale du Canada, mieux connu sous le nom de rapport Marin.

Je n'ai pas l'intention de répéter mot pour mot le même discours que j'ai prononcé en février 2004. J'aimerais plutôt préciser certains éléments du projet de loi afin de bien expliquer la nécessité pour le Sénat de l'adopter.

Selon les données officielles, en excluant les officiers supérieurs, les dispositions du projet de loi s'appliqueraient tout au plus à 15 000 membres de la GRC. Les fonctionnaires fédéraux qui oeuvrent majoritairement au sein des services administratifs de la GRC sont exclus de l'application du projet de loi S-23 puisque leurs conditions de travail ainsi que leur procédure interne de griefs ou de discipline sont déjà régies par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

Cela dit, compte tenu du caractère historique de la réforme que je vous propose aujourd'hui, le projet de loi comporte un préambule. Ce dernier renferme les principes sur lesquels reposent l'application et l'interprétation des dispositions de cette initiative législative. Ainsi, le préambule reconnaît, dans un premier temps, que le droit à l'accréditation et à la négociation collective constituent les principes fondamentaux sur lesquels repose aujourd'hui, après de longues et laborieuses contestations, l'organisation du travail tant dans le secteur privé que dans le secteur public au Canada.

Dans un deuxième temps, il rappelle que les membres de la GRC, contrairement à leurs confrères oeuvrant au sein des autres corps de policiers civils au Canada, n'ont pas accès à ce droit et que cette situation donne lieu à des injustices et constitue une source constante de frustrations et, enfin, compromet la sécurité des Canadiennes et des Canadiens.

Troisièmement, le préambule énonce que l'établissement de relations de travail harmonieuses au sein de ce corps policier favorisera la protection du public puisque les agents de la paix consacreront davantage de temps à bien remplir leurs fonctions auprès de la population, sachant que les représentants d'une association de policiers accréditée défendront leurs intérêts en matière de conditions de travail ou lors d'une procédure interne de griefs ou de discipline.

Enfin, le préambule stipule que la GRC, pour bénéficier de la confiance et du respect de la population, doit être imputable devant les Canadiens non seulement par le biais de la Commission des plaintes du public contre la GRC, mais également par des mécanismes de règlement des cas de discipline et des griefs internes qui respectent les principes d'application générale de la loi — ce que l'on appelle communément en anglais le « due process » —, notamment l'uniformité, l'équité, l'impartialité, l'indépendance et la célérité. Cela dit, le projet de loi S-23 reconnaît aux membres de la GRC, pour la première fois dans l'histoire canadienne, leur droit de se prononcer démocratiquement et librement sur la possibilité de se syndiquer.

Lors de mes deux discours précédents, j'ai amplement expliqué les motifs qui ont poussé le gouvernement fédéral, depuis 1873 et plus particulièrement depuis 1918 — année où un décret fut adopté pour interdire le droit à l'association à la négociation collective aux membres de la GRC — à refuser la syndicalisation de ce corps policier. Sans vouloir refaire cet historique fort captivant, je dirai simplement qu'afin de justifier cette politique, le gouvernement fédéral, tant celui d'aujourd'hui que ceux qui l'ont précédé, a insisté et insiste toujours sur la nécessité de protéger le public en maintenant un corps policer national stable, les tâches particulières des membres de la GRC et leur assujettissement à un code de discipline à caractère paramilitaire et, enfin, l'existence d'un possible conflit de loyauté, c'est-à-dire la possibilité que certains agents de la GRC ne soient loyaux qu'envers leur association de policiers plutôt qu'envers leurs commandants lorsque surviendrait un conflit de travail.

En 1967, les fonctionnaires fédéraux ont obtenu le droit à l'accréditation et à la négociation collective à la suite de l'adoption, par le Parlement, de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Conformément au décret adopté en 1918, une disposition de ce texte législatif a exclu les membres de la GRC de l'application de ce nouveau régime de relations de travail. Or, afin de contrer les efforts de certains membres de la GRC pour obtenir les mêmes droits que les autres fonctionnaires fédéraux, le gouvernement fédéral a abrogé, en 1974, le décret de 1918 et établi, au cours de la même année, le Programme des représentants divisionnaires des relations fonctionnelles. À première vue, la structure organisationnelle de ce programme s'apparente à celle d'une association accréditée dans le cadre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, mais, pour plusieurs raisons que j'ai déjà mentionnées aux cours de mes deux interventions précédentes, il est devenu inefficace au fil des années.

Honorables sénateurs, comme je le mentionnais plus tôt, les membres de la GRC sont exclus de l'application du droit à l'accréditation et à la négociation collective dont jouit actuellement la majorité des agents de la paix oeuvrant au sein d'autres corps policiers civils au Canada et ailleurs dans le monde. Pourtant, depuis sa création, la GRC a beaucoup évolué. De force essentiellement paramilitaire qu'elle était à ses débuts, ce service de police fédérale est devenu aujourd'hui un corps policier civil national qui offre sensiblement les mêmes services que les autres corps policiers canadiens. La majorité de ses activités est consacrée aux services de police qu'elle assure à contrat, que l'on appelle « Services de police contractuelle », dans huit provinces canadiennes — à l'exclusion du Québec et de l'Ontario —, plus de 200 municipalités, 65 communautés autochtones et trois aéroports.

À l'heure actuelle, plus de 60 p. 100 des membres de la GRC sont affectés au maintien de l'ordre dans ces endroits. Ils offrent sensiblement les mêmes services que les corps policiers civils municipaux et provinciaux, à qui on reconnaît le droit à l'accréditation et à la négociation collective. Afin de corriger cette situation, certains membres de la GRC ont décidé de contester devant les tribunaux l'interdiction de former une association d'employés.

(1440)

Ainsi, en 1985, plus de 10 ans après la création du Programme des représentants divisionnaires des relations fonctionnelles, les membres de la Division « C » de la GRC — le détachement de la GRC au Québec — ont formé, sous l'impulsion du sergent d'état- major Gaétan Delisle, l'Association des membres de la Police montée du Québec.

En 1987, M. Delisle a entrepris une longue bataille judiciaire dans le but de faire invalider l'exclusion prévue par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour les membres de la GRC.

Étant toutefois conscient de l'importance de la profession qu'il exerçait, de la nécessité de protéger le public et des pratiques en vigueur au sein des autres corps policiers canadiens, M. Delisle n'a jamais réclamé le droit de grève.

J'ai toujours été étonné du fait que, malgré les difficultés considérables qu'ils ont éprouvées dans ce dossier depuis le début des années 70, les membres de la GRC ont toujours utilisé des moyens pacifiques et légitimes pour faire progresser leur cause.

En comparaison, les policiers de l'Angleterre et du pays de Galles, au Royaume-Uni, ont obtenu le droit à l'accréditation et à la négociation collective, en 1919, il y a maintenant plus de 84 ans, à la suite d'une grève illégale et d'autres moyens de pression axés sur la désobéissance civile.

En septembre 1999, une majorité des juges de la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Delisle c. Canada (Sous-procureur général), ont catégoriquement rejeté l'argument voulant que le droit d'association inscrit dans la Charte garantisse expressément le droit aux membres de la GRC de former une association accréditée en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et, conséquemment, accéder à un régime de négociation collective.

Considérant que les membres de la GRC du Québec avaient pu créer librement une association d'employés indépendante, la majorité a donc conclu que leur droit à l'association n'avait pas été brimé, d'une part, et que la reconnaissance du droit réclamé par M. Delisle revenait exclusivement au Parlement du Canada par le biais d'amendements législatifs, d'autre part.

Fait plutôt étonnant, en décembre 2001, deux ans plus tard, une majorité de juges de la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Dunmore c. Ontario (Procureur général), a contredit le raisonnement établi par la majorité dans l'affaire Delisle. Cette décision a d'ailleurs surpris plusieurs juristes spécialisés en relations de travail.

Dans cette cause, la majorité a statué que la reconnaissance du droit à l'association des travailleurs agricoles de l'Ontario nécessitait expressément la création d'un syndicat.

Honorables sénateurs, l'opinion de la majorité de la Cour suprême dans l'affaire Delisle à l'effet que la modification du régime des relations de travail des membres de la GRC représentait une prérogative du Parlement constitue l'élément déclencheur du processus qui a mené au dépôt du projet de loi S-23.

Toutefois, d'autres facteurs, en plus de ceux que j'ai cités au début de mon discours, m'ont également motivé à aller de l'avant dans ce dossier.

Ainsi, parallèlement au déroulement des procédures judiciaires dans l'affaire Delisle, deux autres associations composées de membres de la GRC ont été créées au Canada, soient l'Association de la Police montée de l'Ontario, en 1990, et l'Association professionnelle de la Police montée de la Colombie- Britannique, en 1992, démontrant ainsi les lacunes du Programme des représentants divisionnaires des relations fonctionnelles et l'existence d'une volonté de réformer le régime de relations de travail au sein de la GRC.

De plus, le 22 septembre 1989, l'ancien commissaire de la GRC, Norman Inkster, a fait une déclaration surprenante au cours d'un interrogatoire devant la Cour supérieure du Québec dans le cadre de l'affaire Delisle.

Selon lui, le Parlement fédéral était l'ultime responsable du régime de relations de travail s'appliquant à la GRC. Dans ce contexte, si la loi était modifiée comme le souhaitait M. Delisle, cela n'affecterait pas outre mesure l'administration de la GRC.

Selon le magazine Pony Express, dans son édition publiée au cours du mois de novembre 2003, cette position a été réitérée à l'automne de la même année par le Caucus des représentants des relations fonctionnelles à la GRC.

Il s'agit de la revue nationale interne et officielle du service de police. Cette dernière rapportait que, lors d'une réunion tenue à Ottawa, le Caucus des représentants des relations fonctionnelles ne s'opposait pas à ce que les membres de la GRC votent sur la question de la syndicalisation si le projet de loi était adopté.

En 1995, l'important rapport du Groupe de travail aux fins de réviser la partie I du Code canadien du Travail — mieux connu sous le nom de commission Sims — rapport intitulé Vers l'équilibre, a recommandé la syndicalisation des membres de la GRC sous le régime d'une autre loi que celui du Code canadien du travail.

Selon la commission, l'adoption d'une telle politique ne nuirait pas au contrôle opérationnel de la GRC ni à la protection de l'intérêt public.

Considérant tous ces facteurs, le projet de loi S-23 accorde le droit à l'accréditation et à la négociation collective en créant à même la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada un régime distinct de celui prévu par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

Afin de favoriser l'implantation de relations de travail harmonieuses au sein de la GRC et d'assurer la crédibilité, la transparence, l'indépendance et le bon fonctionnement de cette initiative, sa gestion sera confiée à la Commission des relations de travail dans la fonction publique, nommée ci-après la commission.

Le projet de loi prescrit une procédure complète et transparente qui permettra, comme je l'ai mentionné plus tôt, aux membres de la GRC de se prononcer démocratiquement et librement sur la création d'une association de policiers.

En ce sens, le projet de loi n'impose pas la formation d'une telle association à l'intérieur de ce corps policier. En l'adoptant, le Parlement n'approuvera que le cadre nécessaire à l'exercice de ce droit comme ce fut le cas, en 1967, lorsque Parlement a adopté la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

Si la réponse, et uniquement à ce moment, d'une majorité de membres de la GRC est positive, l'association ainsi crée agira à titre d'agent négociateur accrédité par la commission afin de négocier avec l'employeur l'amélioration des conditions de travail des membres de la GRC.

L'association s'impliquera également dans la défense d'un employé lors d'une procédure de grief ou de l'imposition d'une mesure disciplinaire.

Compte tenu de l'organisation particulière du travail au sein de la GRC, des tâches qu'accomplissent ses employés ainsi que de la pratique observée dans les autres juridictions au Canada, au Royaume-Uni et en Australie, cette association ne sera formée que de membres de la GRC et, de surcroît, elle ne pourra être affiliée aux grandes centrales syndicales qui regroupent la majorité des fonctionnaires fédéraux.

Des protections contre l'intimidation ou toute autre tactique déloyale de la part de l'employeur visant à empêcher les membres de la GRC de s'associer sont également prévues par le projet de loi. Il n'y a rien de nouveau dans cela. Tous les codes de relation de travail à travers le monde prévoient ce genre de protection.

Une fois le processus d'accréditation dûment complété, le projet de loi S-23 établit une procédure semblable à celle qui existe actuellement au sein de la fonction publique fédérale visant la négociation de bonne foi de la première convention collective des membres de la GRC ainsi que de son renouvellement.

Le projet de loi prévoit également le recours à des mécanismes de conciliation ou d'arbitrage obligatoire en cas d'impasse dans les négociations. L'application de ces deux procédures distinctes de résolution de conflits sera encadrée par la commission.

Ainsi, cette dernière pourra nommer un conciliateur afin de favoriser un rapprochement entre les deux parties ou, selon certains critères, un arbitre indépendant afin de résoudre les questions litigieuses. Les décisions prises en vertu de la procédure d'arbitrage seront exécutoires et sans appel.

Honorables sénateurs, la procédure de négociation collective proposée par le projet de loi S-23 a non seulement pour objectif de favoriser le règlement positif des conflits de travail au sein de la GRC, mais elle vise également à assurer une meilleure protection du public.

En effet, l'implantation de la procédure d'arbitrage obligatoire fait en sorte que, conformément à la pratique observée dans la plupart des autres corps policiers civils au Canada, au Royaume- Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande, les membres de la GRC, en cas d'impasse dans les négociations avec leur employeur, n'auront pas le droit de grève. Je le répète parce que malheureusement certains de mes collègues sont venus me demander, après mes deux derniers discours, si on leur accorderait le droit de grève et la réponse est non. Je le répète, le projet de loi S- 23 n'accorde pas le droit de grève aux membres de la GRC. Cette interdiction comprend également le ralentissement du travail ou toute autre activité concertée de la part des employés ayant pour objet la limitation de leur rendement.

(1450)

À cet égard, le projet de loi est très clair et prévoit l'application de sanctions criminelles lors d'un débrayage illégal. Ainsi, un employé participant ou incitant à une telle manifestation s'expose, suivant une déclaration de culpabilité par procédure sommaire, à une peine d'emprisonnement maximale de six mois ou d'une amende de 1 000 $. S'il s'agit d'un dirigeant syndical, le montant maximal est fixé à 2 000 $. Si l'association de police déclare ou autorise une grève illégale, cette dernière pourrait être condamnée à verser une amende maximale de 10 000 $ pour chaque jour de débrayage. Si des actes de vandalisme, de méfaits ou de troubles de l'ordre public sont perpétrés par certains membres de la GRC au cours des négociations collectives, ces derniers s'exposeront aux mesures disciplinaires prévues par la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada ou à des accusations criminelles.

Honorables sénateurs, j'ai cité plus tôt une série d'arguments faisant en sorte que le gouvernement fédéral a toujours refusé de proposer une réforme semblable à celle prévue par le projet de loi S- 23. Malgré tout, je considère qu'en 2003, ce refus, ainsi que les arguments du gouvernement qui s'y rattachent, n'étaient pas justifiés lorsque j'ai déposé mon premier projet de loi et ne le sont toujours pas. Ils nuisent à la sécurité du public canadien.

Selon moi, le professionnalisme et la retenue démontrés par certains membres de la GRC dans cet épineux dossier, les propos précités de l'ancien commissaire Inkster, les commentaires récents du Caucus des représentants des relations fonctionnelles, les recommandations de la commission Sims, l'évolution de la GRC ainsi que l'interdiction de débrayer prévue par le projet de loi démontrent hors de tout doute que la formation d'une association de policiers accréditée n'aurait aucun effet néfaste sur la protection du public, l'administration de la GRC ou le maintien de la discipline.

Qui plus est, le gouvernement fédéral est à la remorque non seulement des pratiques actuelles des provinces et des municipalités dans ce dossier, mais également de celles d'autres pays du Commonwealth. Mis à part les cas de l'Angleterre et du pays de Galles, que j'ai déjà mentionnés, l'Australie a reconnu le droit à l'accréditation et à la négociation collective à ces policiers en 1942. La Nouvelle-Zélande a fait de même en 1935.

Sur la question du présumé conflit de loyauté et du chaos qui résulterait de la création d'une association de policiers au sein de la GRC, je considère cet argument futile puisque la pratique observée dans d'autres juridictions tend à démontrer qu'il ne s'est jamais réellement produit.

À vrai dire, en tant que parlementaire responsable et soucieux de la sécurité de la population, je me préoccupe davantage de la situation actuelle, où les policiers doivent mener une lutte acharnée pour faire reconnaître leurs droits élémentaires lors d'une procédure disciplinaire ou d'un grief et ce, trop souvent au détriment de la protection du public.

Cela dit, passons maintenant à la deuxième partie du projet de loi, qui a trait aux procédures de griefs et de discipline prévue par la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada.

Honorables sénateurs, le débat entourant la syndicalisation des membres de la GRC a également souvent été associé à l'inefficacité ainsi qu'au manque d'impartialité, de célérité, de transparence et d'indépendance des procédures très complexes ayant trait aux griefs et aux mesures disciplinaires.

Selon une série de rapports publiés au cours des dernières années par le comité d'examen externe de la GRC, les délais entourant le règlement de griefs ou l'imposition d'une sanction disciplinaire sont trop souvent supérieurs à ceux prévus par la loi et parfois, s'étalent sur plusieurs années.

Toujours selon le comité, cette situation entraîne des coûts importants pour la GRC, donc ultimement pour les contribuables canadiens, ainsi qu'une source de tension considérable pour un membre de la GRC, sa famille ou ses collègues, notamment lorsqu'il s'agit du traitement d'une mesure disciplinaire prévoyant une suspension sans solde ou même un renvoi.

Je tiens à souligner que cela peut affecter aussi la confiance des Canadiens et des Canadiennes dans un corps policier civil national efficace et professionnel.

À l'heure actuelle, un membre de la GRC peut déposer un grief relativement à l'application des conditions de travail par l'employeur. Selon la loi, le commissaire de la GRC constitue le dernier niveau d'appel d'une décision rendue par un niveau inférieur en matière de contestation du grief.

Or, avant de prendre sa décision, le commissaire doit référer certaines catégories de griefs au Comité d'examen extérieur de la GRC. Bien que les membres soient nommés par le gouverneur en conseil, ils ne peuvent étudier que les cas référés par le commissaire.

De surcroît, le comité d'examen n'a qu'un pouvoir de recommandation auprès du commissaire, faisant ainsi en sorte qu'il ne dispose d'aucun moyen pour que ses conseils soient exécutoires.

Afin de corriger cette situation, le projet de loi abolit le comité d'examen afin de le remplacer par une procédure d'arbitrage externe et indépendant, semblable à celle prévue dans la fonction publique fédérale. Ainsi, lorsqu'un grief aura franchi tous les niveaux de la procédure de contestation interne, il pourra être renvoyé devant un conseil d'arbitrage où l'employeur, et l'association de policiers, seront représentés et où les coûts seront également partagés entre les deux parties.

Le fonctionnement de ce nouveau mécanisme sera encadré par la Commission des relations de travail dans la fonction publique et les décisions issues de ce processus seront exécutoires.

En ce qui a trait aux mesures disciplinaires graves imposées suite à une infraction au code de déontologie, la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada prévoit que, suivant une plainte déposée par l'employeur, un comité d'arbitrage composé de trois officiers de la GRC soit formé.

Il doit déterminer la sanction appropriée pour prévenir toute forme de récidive de la part du membre. Ce dernier peut en appeler de la décision du comité auprès du commissaire.

Comme dans le cas d'un grief, le comité d'examen peut faire des recommandations au commissaire avant qu'il prenne sa décision.

Dans le cas d'un renvoi ou d'une rétrogradation, la décision est prise par une commission de licenciement ou de rétrogradation, également composée de trois officiers.

Tout comme dans le cas des mesures disciplinaires graves, le membre peut porter sa cause en appel devant le commissaire.

Honorables sénateurs, ces décisions quasi judiciaires qui mettent souvent en cause les droits fondamentaux des membres de la GRC peuvent avoir des effets hautement négatifs sur leur qualité de vie et leur travail, puisqu'ils doivent affronter solitairement et avec peu de ressources ce processus complexe reconnu pour son manque d'indépendance évident.

Honorables sénateurs, j'aimerais vous citer trois cas qui démontrent que cette triste situation ne peut plus durer.

Dans les affaires Laberge c. Officier compétent de la Gendarmerie royale du Canada, en 2000, et Lefebvre c. Officier compétent de la Gendarmerie royale du Canada, toujours en 2000, deux comités d'arbitrage internes ont carrément rejeté les procédures prescrites contre deux membres de la GRC. Ces derniers avaient été suspendus et congédiés à la suite de procédures disciplinaires qui ont duré près de cinq ans.

Cinq ans plus tard, les deux comités d'arbitrage ont déclaré que cela ne tenait pas debout et qu'il fallait réintroduire les employés. Vous voyez l'effet sur le moral des troupes? Individuellement, solitairement, ces deux membres ont dû faire face à un processus totalement dépendant du commissaire, pour se faire dire finalement que la procédure n'était pas bonne et qu'ils devaient la reprendre.

Honorables sénateurs, ceci est inacceptable. Nous devons mettre fin à une telle pratique.

J'aimerais invoquer deux autres dossiers concernant des cas de harcèlement ou d'inconduite sexuelle au sein de la GRC, dont les victimes, encore une fois malheureusement, sont des femmes.

Le 29 août 2003, le Journal de Montréal publiait une importante nouvelle à l'effet que les procédures disciplinaires prévues par la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada seraient inefficaces pour régler des problèmes de harcèlement sexuel au sein de la GRC.

(1500)

La situation est telle que dans une lettre obtenue par ce quotidien, le commissaire de la GRC, M. Zaccardelli, affirme :

Des cas de harcèlement, y compris d'inconduite sexuelle, ont été portés à mon attention, mais les comptes rendus que j'ai reçus sur le traitement de certaines de ces situations sont encore plus troublants.

Je cite le commissaire de la GRC, soit l'ultime responsable de toute cette pyramide. Cela dit, le premier dossier que je vous présente est celui de Mme Terry Lebrasseur. En juin 2003, cette agente de la GRC, qui faisait partie de l'équipe de protection du premier ministre et de son épouse, a déposé une poursuite contre la GRC devant la Cour fédérale pour non-respect des procédures disciplinaires prévues par la loi. Mme Lebrasseur a joint les rangs de la GRC en 1993. De 1998 à 2001, elle affirme avoir reçu d'excellentes évaluations de performance au travail.

Or, en mai 2001, un inspecteur lui aurait conseillé de quitter l'équipe de protection du premier ministre, sinon elle écoperait d'une réprimande. La raison d'un tel geste? Elle aurait simplement indisposé une personne au cours de son travail.

Mme Lebrasseur a refusé cette proposition et, par la suite, a été retirée de l'équipe. Malgré sa demande de révision de la mesure disciplinaire prescrite par l'inspecteur, la GRC aurait refusé de porter l'affaire devant un comité d'arbitrage comme le prévoit la loi.

Dans sa poursuite, Mme Lebrasseur allègue que sa rétrogradation est due au fait qu'entre 1998 et 2000, elle aurait tenté d'informer son employeur du harcèlement sexuel perpétré à son égard par un surintendant de la GRC. Selon elle, les autorités du service de police étaient au courant de la situation mais n'ont rien fait pour la corriger. Mme Lebrasseur poursuit donc son employeur pour dédommagements pour les problèmes économiques, psychologiques et médicaux prétendument engendrés par les procédures disciplinaires à son égard.

L'affaire Lebrasseur n'est pas la seule du genre. En septembre 2003, quatre agentes de la GRC de Calgary ont intenté une poursuite contre leur employeur devant la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta. J'ai récemment appris qu'une entente hors cour est intervenue dans ce dossier.

Cela dit, même si les détails de cette entente ne peuvent être divulgués, permettez-moi tout de même, honorables sénateurs, de résumer les faits afin de vous démontrer l'inefficacité du régime actuel de relations de travail au sein de la GRC.

Dans ce qu'il est convenu d'appeler l'affaire Doe, les quatre policières furent agressées sexuellement par le même sergent et des mesures disciplinaires, après de nombreux délais, ont été prises à son égard. Or, les plaignantes alléguaient que plusieurs officiers de la GRC auraient voulu étouffer l'affaire par le biais de représailles disciplinaires contre elles afin de préserver l'image de la police fédérale. D'autres officiers auraient tenté d'interférer dans les procédures disciplinaires en ne respectant pas pleinement la loi pour la gestion des enquêtes de discipline ou des causes portées devant un comité d'arbitrage.

Enfin, les représentants des relations fonctionnelles ceux qui sont les quasi-représentants syndicaux et qui sont entrés en fonction en 1974 parce qu'on ne leur accordait pas les mêmes droits que ceux accordés aux autres fonctionnaires fédéraux, auraient refusé — et c'est ce qui est le plus honteux — d'appuyer certaines plaignantes dans les diverses étapes des procédures disciplinaires, les forçant ainsi à recourir aux coûteux services d'avocats. Tout comme dans l'affaire Lebrasseur, elles poursuivaient la GRC pour dédommagements.

Honorables sénateurs, ces cas, notamment les poursuites pour harcèlement ou inconduite sexuelle, démontrent l'inefficacité de la loi puisque les membres doivent se référer aux tribunaux pour que leurs droits fondamentaux soient respectés.

Le projet de loi S-23 mettrait fin à cette situation. Ainsi, sans nuire à l'application de mesures disciplinaires ou de renvoi et tout en protégeant la sécurité publique, le projet de loi S-23 abolit le comité d'arbitrage et la commission de licenciement ou de rétrogradation d'une part, et la procédure d'appel devant le commissaire de la GRC d'autre part. Désormais, la sanction sera encore déterminée par l'employeur et suivra la procédure de contestation interne. Toutefois, pour des raisons d'efficacité, d'impartialité et d'indépendance, cette décision pourra être assujettie à la nouvelle procédure d'arbitrage externe et indépendant prévue pour les griefs.

Finalement, par souci de transparence auprès des membres de la GRC et des Canadiens, le projet de loi S-23 prévoit que la Commission des relations de travail dans la fonction publique devra présenter un rapport annuel au Parlement sur l'administration des diverses dispositions de ce projet de loi, comme elle le fait actuellement dans le cadre de l'administration de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

En terminant, honorables sénateurs, certains, comme le commissaire Zaccardelli, que j'ai rencontré en novembre dernier, diront peut-être que les modestes réformes entreprises récemment par la GRC pour améliorer le fonctionnement du programme des représentants divisionnaires — et vous avez vu comment ce système fonctionne bien en Alberta —, la procédure de traitement des griefs et des mesures disciplinaires seraient satisfaisantes pour améliorer les relations de travail et la qualité de vie des membres.

Or, plusieurs personnes que j'ai consultées au cours des derniers mois et qui témoigneront lors de l'étude du projet de loi S-23 devant le Comité sénatorial permanent des finances nationales affirment que ces changements feront bien peu pour rétablir la confiance d'une majorité de membres de la GRC dans le régime actuel de relations de travail.

En d'autres mots, honorables sénateurs, ces modifications et autres qui sont peut-être actuellement étudiées par le gouvernement fédéral, aussi louables soient-elles, ne règleront pas les problèmes de fond qui minent constamment le moral des membres de la GRC.

Honorables sénateurs, en conclusion, le Parlement doit agir rapidement dans ce dossier. Nous avons toujours fait preuve de d'une attitude non partisane et de célérité dans nos travaux parlementaires lorsqu'il s'agit d'améliorer les outils législatifs mis à la disposition des membres de la GRC pour qu'ils combattent efficacement la criminalité dans nos communautés, le crime organisé ou le terrorisme. En ce sens, je crois fermement que le même esprit doit prévaloir tout au long de l'étude du projet de loi S-23.

Cette initiative législative favorisera l'établissement de relations de travail harmonieuses fondées sur la confiance, le dialogue et le respect mutuel. Comme le dit un vieil adage, « Un employé heureux en vaut deux ».

Cet élément est tout aussi important que l'augmentation du budget de la GRC ou les modifications au Code criminel pour permettre à ce corps policier de remplir efficacement son mandat.

En bout de ligne, le projet de loi S-23 sera non seulement à l'avantage de la GRC, mais surtout des Canadiens qui méritent un service policier fédéral de premier ordre.

(Sur la motion du sénateur Rompkey, le débat est ajourné.)

(1510)

PROJET DE LOI ANTI-POURRIEL

DEUXIÈME LECTURE—SUITE DU DÉBAT

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Oliver, appuyée par l'honorable sénateur Cochrane, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-15, Loi visant à empêcher la diffusion sur l'Internet de messages non sollicités.—(L'honorable sénateur Oliver)

L'honorable Donald H. Oliver : Honorables sénateurs, je suis heureux de prendre la parole aujourd'hui pour poursuivre mes observations dans le cadre de la deuxième lecture du projet de loi S- 15, Loi visant à empêcher la diffusion sur Internet de messages non sollicités.

Honorables sénateurs, afin de régler le grave problème des pourriels, une politique gouvernementale substantielle s'impose au Canada. Il apparaît évident aux yeux de tous, j'en suis certain, que l'arme qui nous permettra de remporter la guerre contre les pourriels au Canada doit être polyvalente. En effet, il faut que les mesures prises dans les domaines de l'éducation, de la formation, de l'utilisation de la technologie et de l'application de la loi agissent de concert.

En d'autres termes, il est possible de réduire considérablement les pourriels et cela pour se faire avec la collaboration de l'industrie et de la technologie et du secteur public. Jusqu'ici, le gouvernement du Canada est demeuré silencieux, mais grâce à la collaboration de tous les intéressés, soit le secteur public et l'industrie de la technologie, à laquelle s'ajoutent certaines mesures d'autoréglementation de même que le soutien actif et la coopération des FSI, d'organisations internationales, de groupes d'éducation des consommateurs et d'organismes d'exécution de la loi, je suis convaincu qu'il est possible de trouver une solution viable.

Honorables sénateurs, c'est la troisième fois que j'ai l'occasion d'attirer l'attention sur le fléau que sont les pourriels. Je ne vais donc pas répéter les définitions fondamentales du pollupostage ni faire des remarques sur les différents types et les nombreuses formes de pourriels. Je vais plutôt profiter de mon temps de parole pour traiter des tendances observées actuellement un peu partout dans le monde en matière de législation, notamment les exemples de réussite, et indiquer la voie sur laquelle, à mon avis, le Canada devrait s'engager.

[Traduction]

Bill Gates a peut-être le mieux résumé la question lorsqu'il a dit :

Le pourriel est bien plus qu'un désagrément. Il coûte aux entreprises des millions de dollars chaque année et peut porter atteinte aux familles et aux enfants en les exposant à la pornographie ou à des courriels frauduleux.

Le pourriel risque de porter un coup dur au courriel en tant que moyen de communication fiable. Il mine aussi gravement toutes les possibilités que promet Internet aux particuliers, aux entreprises, aux gouvernements et à la société dans son ensemble. Il est temps pour le gouvernement de prendre ses responsabilités et d'agir.

Le Canada tire de l'arrière sur ce chapitre. En effet, les États-Unis, l'Union européenne et l'Australie, notamment, ont une longueur d'avance. Ces pays ont déjà adopté pour la plupart une loi sur la lutte contre la diffusion de pourriel. L'Australie, par exemple, a adopté une nouvelle loi qui est entrée en vigueur en avril 2004, et cette loi a déjà eu des retombées appréciables. On nous a dit, au cours d'une conférence tenue par un groupe de travail en décembre, que la loi était en train de littéralement chasser du pays les expéditeurs de pourriel, et que l'Australie n'allait bientôt plus figurer au palmarès des dix principaux pays diffuseurs de pourriel.

Aux États-Unis, 36 États se sont dotés d'une forme quelconque de loi anti-pourriel. Je dois aussi mentionner la loi fédérale anti- pourriel, intitulée la CAN-SPAM Act, qui a été adoptée par les deux Chambres du Congrès en novembre 2003. Cette loi a été signée par le président Bush — et donc promulguée — en décembre 2003.

À l'instar du Canada, où il y a partage des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les provinces, il y a aux États-Unis les lois fédérales et les lois des États. Ces dernières enchâssent une foule d'exigences et de droits : exigences relatives à l'étiquetage, dispositions interdisant la mystification, mécanismes de non- adhésion, droit d'intenter une action au civil, exigences relatives au blocage des messages électroniques par les fournisseurs de service Internet et criminalisation du pourriel. Comme on peut le lire dans le sommaire de mon projet de loi :

Toute personne peut donner au ministre ou à l'organisme qu'il désigne un avis d'inscription à une liste anti-pourriel, et les personnes qui envoient des pourriels doivent s'assurer que l'adresse du destinataire ne figure pas sur la liste anti-pourriel. La liste n'est pas un document public, et le ministre peut uniquement indiquer si l'adresse figure ou non sur la liste.

Le texte érige en infraction le fait d'envoyer un courriel à une personne dont l'adresse figure sur la liste anti-pourriel. Le récipiendaire doit néanmoins déposer une plainte auprès du ministre avant qu'une procédure puisse être intentée.

En vertu de la loi fédérale américaine, les personnes qui reçoivent un pourriel peuvent demander à l'expéditeur de ne plus leur transmettre des messages de publicité. En outre, la loi prévoit des dispositions interdisant ce qu'il conviendrait d'appeler la « récolte » d'adresses électroniques, qui consiste à recueillir des adresses de courriel à partir des salons de clavardage dans Internet. Elle interdit également l'utilisation d'en-têtes trompeurs. Les courriels de publicité non sollicités doivent être désignés clairement et visiblement comme tels, et une adresse postale valable doit figurer dans le message. Les pourrielleurs sont passibles d'une amende pouvant aller de 250 $ US à un maximum de 6 millions de dollars américains pour chaque courriel frauduleux ou trompeur transmis. De plus, ceux qui utilisent des adresses de retour inexactes ou envoient des messages dont l'objet est trompeur risquent une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à cinq ans. Finalement, la loi permet aux États ou aux fournisseurs de service Internet d'intenter des poursuites au civil en réclamant des dommages-intérêts légaux pouvant atteindre 1 million de dollars américains.

Comme je l'avais indiqué au cours du dernier discours sur le projet de loi C-23 que j'ai prononcé au Sénat à l'étape de la deuxième lecture, le 23 septembre 2003, l'Union européenne a publié la directive 2002/58/EC concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques. Cette nouvelle directive, qui devait entrer en vigueur le 31 octobre 2003, prévoit des mesures de protection contre l'envoi de courriels non sollicités à des fins publicitaires. Les consommateurs doivent être bien informés de l'usage qui est fait des renseignements personnels les concernant aux fins de publicité ultérieure et avoir la possibilité de signifier leur refus. Il est interdit aux expéditeurs de falsifier leur identité, et c'est l'interdiction qu'il faut imposer au Canada.

Une nouvelle pratique vient de se faire jour, et elle prend vraiment de l'ampleur. Il s'agit de l'« hameçonnage ». Cette pratique consiste à envoyer un courriel à une personne en se faisant passer pour une entreprise légitime et établie, le but étant de pousser l'utilisateur à divulguer des renseignements personnels qui seront utilisés aux fins d'usurpation d'identité. Dans le courriel, on demande à l'utilisateur de se rendre sur un site Web donné, où il devra mettre à jour ses renseignements personnels, par exemple son mot de passe, son numéro de carte de crédit, d'assurance sociale ou de compte bancaire, renseignements que l'établissement légitime détient déjà. Toutefois, il s'agit d'un faux site Web créé dans l'unique dessein de voler des renseignements sur l'utilisateur.

Le phénomène de l'hameçonnage est maintenant très répandu. Par exemple, en 2003, on a assisté à la prolifération d'un pourriel de ce genre, donnant l'impression de provenir d'eBay, dans lequel on informait le destinataire que son compte allait être annulé temporairement, à moins qu'il ne clique sur le lien fourni et mette à jour l'information sur sa carte de crédit — que le véritable site eBay possédait déjà. On peut arriver assez facilement à imiter le site Web d'une organisation légitime en usurpant son code HTML. Dans ce cas-là, on voulait laisser croire aux destinataires qu'eBay entrait réellement en communication avec eux et qu'ils allaient ensuite accéder au site d'eBay pour mettre à jour leur dossier. En envoyant des pourriels à un grand nombre de personnes, le hameçonneur peut espérer que son message sera lu par un certain pourcentage de gens qui disposent d'un numéro de carte de crédit inscrit légitimement à eBay. Il s'agit d'un autre type d'abus des pourriels sur Internet.

(1520)

J'ai indiqué plus tôt que l'Australie a récemment promulgué une loi qui impose un certain nombre de restrictions strictes à la distribution de messages commerciaux par voie électronique. Ainsi, ces messages ne peuvent être envoyés qu'aux personnes qui ont explicitement accepté de les recevoir. Ils doivent comprendre une option qui permet de se désabonner facilement et ils doivent être envoyés depuis une adresse de courriel légitime. De plus, la loi interdit les logiciels destinés à générer des listes d'adresses de courriel en vue de l'envoi de pourriels. La loi stipule en outre la mise sur pied d'un organisme de surveillance et de répression des pourriels.

Enfin, le ministère de l'Information et des Communications de la Corée estime que les Coréens reçoivent près d'un milliard de pourriels chaque jour. Le gouvernement de la Corée a promulgué une loi qui exige que les expéditeurs transmettent des renseignements permettant d'entrer en contact avec eux, de sorte que les destinataires puissent choisir de ne pas recevoir les messages de marketing. Ils doivent également indiquer aux destinataires de quelle façon ils ont obtenu leur adresse de courriel. Le gouvernement coréen a également établi des lignes directrices sur le pourriel transmis sans fil qui exigent que tous les annonceurs qui se servent de messages textuels précisent qu'il s'agit d'une publicité et qu'ils joignent les numéros pour les contacter, de manière à s'identifier. Les contrevenants sont passibles d'une amende de 5 millions de won, soit 5 660 dollars canadiens.

Avons-nous besoin d'une loi au Canada?

J'ai présenté mon premier projet de loi anti-pourriel au Sénat il y a près de deux ans et je suis aujourd'hui plus convaincu que jamais qu'une loi s'avère nécessaire au Canada. J'ai rencontré à plusieurs reprises Mme Robillard, l'ancienne ministre de l'Industrie, et elle a joué un rôle déterminant dans la mise sur pied d'un groupe de travail sur le pourriel, qui était composé de leaders de l'industrie et qui était présidé par M. Michael Binder. Ce groupe de travail a réalisé des progrès notables : il s'est ainsi efforcé de persuader les entreprises du Canada que nous avons un besoin urgent d'une loi de ce type.

Toutefois, je souligne à l'intention des honorables sénateurs que l'une de raisons pour lesquelles le groupe de travail n'a pas encore rédigé d'avant-projet de loi est que certains estiment que nous n'avons nullement besoin d'une loi, que nous devons plutôt éduquer les Canadiens afin qu'ils cessent de lire les pourriels et d'effectuer des achats auprès des expéditeurs de ces messages. Précisons toutefois que les inondeurs de pourriels peuvent réaliser des bénéfices même s'ils n'ont qu'un taux de réponse de 0,0001 p. 100, car l'envoi de ces messages est très peu coûteuse. Ainsi, même si presque tous les destinataires suppriment les pourriels, les expéditeurs trouveront sans doute toujours des acheteurs.

Que peuvent penser les Canadiens ou le public en général si nous leur conseillons vivement de prendre des mesures contre les pourriels sans toutefois interdire cette pratique? Nous avons besoin d'une loi qui interdit les pourriels afin d'indiquer clairement aux inondeurs de pourriels que l'utilisation du courriel à cette fin constitue un abus inacceptable au Canada.

En outre, la loi doit être accompagnée de solides mesures d'application. L'organisme ou les organisations qui sont responsables de l'application de la loi doivent disposer des ressources gouvernementales nécessaires pour pouvoir s'acquitter de leur tâche.

Je souhaite maintenant vous parler d'un droit privé d'action. Tout comme la loi ne constitue qu'un aspect de la lutte contre les pourriels, l'application des lois anti-pourriel ne représente qu'une partie d'un arsenal législatif efficace. Afin de tenir compte des limites des organismes d'application de la loi en matière de ressources, la loi doit permettre explicitement un droit privé d'action contre les inondeurs de pourriels. Si on permet, et même encourage, des personnes privées à intenter elles-mêmes une action contre les inondeurs de pourriel, ces actions privées pourraient rehausser l'effet dissuasif des mesures d'exécution du gouvernement. Il s'agit d'un exemple de collaboration entre les secteurs public et privé en vue de la lutte contre le fléau que représentent les pourriels.

Il suffit de regarder l'avalanche d'actions en justice, aux États- Unis, contre les inondeurs de pourriels qui sont intentées par les fournisseurs d'accès Internet en vertu du droit privé d'action que leur donne la loi dite CAN-SPAM. Si les personnes privées sont encouragées à intenter de telles actions, et si elles sont en mesure de le faire, elles peuvent suppléer les organismes de répression qui sont en manque de ressources.

J'ai été avocat plaidant et j'ai souvent intenté des actions en dommages-intérêts généraux. Les dommages-intérêts sont adjugés par les juges ou les jurés, ce qui laisse beaucoup de marge à l'incertitude. Dans le cas des pourriels, je crois fermement que la loi doit fixer le montant des dommages-intérêts. Par exemple, ce montant est de 500 $ par pourriel aux termes de la loi de l'État de Washington et de 100 $ par pourriel aux termes de la loi CAN- SPAM.

Je suis redevable à Phillipa Lawson, directrice exécutive de la Clinique d'intérêt public et de politique d'Internet du Canada de la faculté de droit de l'Université d'Ottawa, de l'excellent document qu'elle a préparé et qui s'intitule Un droit privé d'action accordé par la loi contre les inondeurs de pourriels au Canada. L'étude de Mme Lawson ne mentionne que deux actions en justice contre des inondeurs de pourriels : une action portait sur la contrefaçon et l'usage illégal d'une marque de commerce et l'autre avait trait à une rupture de contrat et a été intentée contre un fournisseur d'accès Internet et un client. Il semble que les droits d'action qui existent au Canada ne sont pas adaptés aux pourriels, qu'il est trop coûteux de s'en prévaloir ou qu'ils sont peu avantageux en ce qui concerne un éventuel dédommagement et que, pour les personnes qui sont victimes des pourriels, le jeu n'en vaut pas la chandelle si les recours existants ne sont pas appuyés par une nouvelle loi. Par conséquent, nous avons de toute évidence besoin d'une loi spéciale anti-pourriel au Canada.

Depuis que je me suis lancé dans la lutte contre le pourriel, j'ai reçu des dizaines de courriels de Canadiens de toutes les couches de la société qui m'encouragent à poursuivre mes efforts. Cela s'explique surtout par le fait que les utilisateurs de courriel en ont assez des pourriels, mais qu'ils ne savent pas à qui se plaindre ni comment adresser leurs plaintes. Au Canada, il n'y a pas d'agence responsable de ce domaine d'activité. Par exemple, le CRTC, le Bureau de la concurrence et le commissaire à la protection de la vie privée ont tous reçu des plaintes au sujet des pourriels. Toutefois, exception faite d'une récente cause qui a fait beaucoup de tapage, aucune décision exécutoire n'a été rendue que ce soit par le commissaire à la protection de la vie privée, le CRTC, le Bureau de la concurrence ou n'importe qui d'autre. Le Bureau de la concurrence et le CRTC ont tous deux affirmé qu'ils n'avaient ni les pouvoirs ni les ressources pour réglementer ce champ d'activité.

Conclusion, la population a clairement besoin d'une instance à qui elle pourrait adresser ses plaintes concernant le pourriel. Elle doit aussi pouvoir compter sur une loi s'attaquant directement aux polluposteurs. D'où la nécessité d'un droit privé d'action.

Que devrait-on trouver dans la loi?

Au Canada, la loi devrait permettre au Bureau de la concurrence et à d'autres organismes d'enquête, notamment le commissaire à la protection de la vie privée, de partager avec leurs homologues d'autres pays les renseignements relatifs aux enquêtes sur les pourriels. Nous en avons besoin pour favoriser la collaboration internationale qui est si nécessaire. Il nous faut aussi empêcher le dédoublement d'efforts parfois contradictoires déployés d'un bout à l'autre du Canada, en mettant sur pied un seul organisme responsable des plaintes concernant les pourriels et de l'application de la loi, et en conférant à cet organisme les ressources nécessaires pour s'acquitter de sa tâche correctement. Nous devons veiller à inclure des amendes assez élevées pour décourager les expéditeurs de pourriels.

Lors de la réunion du groupe de travail, tenue à Ottawa, en décembre 2004, on nous a dit qu'en Australie, l'Australia Communications Authority, ou ACA, pouvait intenter des poursuites au civil contre ceux qui envoient des pourriels et demander l'imposition d'amendes allant jusqu'à un million de dollars par jour.

La loi canadienne devrait permettre aux organismes d'ordonner le dédommagement de ceux qui subissent des préjudices par suite de pourriels et qui ont présenté une demande en ce sens. Ensuite, nos lois doivent permettre aux gouvernements et aux particuliers de s'en prendre aux entreprises qui utilisent les pourriels et qui en envoient, en intentant des actions privées.

Dans le numéro du 12 décembre 2004 du Hill Times, un article paru sur la page en regard de la page éditoriale — rédigé par Mike Eisen, vice-président du contentieux et des affaires de l'entreprise de Microsoft Canada, et intitulé « Il faut que le Parlement adopte une loi anti-pourriel » — soutient que l'absence d'une loi anti-pourriel au Canada demeure un obstacle de taille à l'éradication de pourriels en ce pays.

Dans un document plus général intitulé « Integration Innovation », Microsoft conclut ce qui suit :

Les éléments de cette stratégie anti-pourriel sont comme les pièces d'un puzzle. Toutefois, ces pièces ne peuvent être assemblées qu'avec l'aide de lois efficaces. En l'absence de solides recours au criminel et au civil contre des activités, telles que la cueillette de listes de courriels ou la distribution de courriels frauduleux, les possibilités d'exécution sont fort limitées. À l'heure actuelle, les dispositions anti-fraude du Code criminel représentent une arme contre certains types de pourriels. La Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques confère aux particuliers de nouveaux droits dans les cas où leurs renseignements personnels sont utilisés aux fins de pourriels sans leur consentement. Même si ces lois constituent assurément une partie de la solution, le cadre législatif anti- pourriel au Canada est incomplet. De plus, si le Canada devait adopter une loi comportant des procédures d'exécution efficaces, elle pourrait faire partie des mesures juridiques coordonnées à l'échelle mondiale comme celles que Microsoft a lancées aux États-Unis et au Royaume-Uni.

(1530)

L'article concluait de la façon suivante :

Microsoft souhaite collaborer avec les gouvernements du Canada pour mettre en place des lois efficaces qui feront échouer les efforts de ceux qui utilisent mal les courriels, et qui préserveront la viabilité de ce moyen de communication. En même temps, Microsoft continuera d'investir dans la recherche sur les technologies de filtrage, de coordonner les efforts anti-pourriel de l'industrie et de renseigner les utilisateurs sur les pourriels.

Honorables sénateurs, il y a un appui grandissant venant de l'intérieur et de l'extérieur du gouvernement, tant du secteur privé que public, pour qu'il y ait une loi anti-pourriel au Canada.

Il n'y a aucune gloire à tirer de la rédaction de cette mesure et j'ai hâte de voir le projet de loi S-15 renvoyé rapidement au comité pour que des gens, tels que M. Mike Eisen de Microsoft, des représentants de la Clinique d'intérêt public et de politique d'Internet du Canada de l'Université d'Ottawa, des fonctionnaires du ministère de l'Industrie et d'autres encore, puissent comparaître devant le comité pour donner de vive voix des témoignages sur l'importance d'avoir un droit privé d'action. Il est à espérer que le projet de loi S-15 soit amendé et amélioré de telle sorte que lorsqu'il reviendra au Sénat à l'étape de la troisième lecture, ce soit une mesure législative qui avantagera clairement tous les Canadiens et qui sera jugée acceptable par tous les intéressés.

Merci de m'avoir permis d'intervenir de nouveau au sujet du problème des pourriels au Canada.

Des voix : Bravo!

L'honorable Madeleine Plamondon : Des actions collectives ont-elles déjà été intentées contres des auteurs de pourriels en Amérique du Nord?

Le sénateur Oliver : Oui. Aux États-Unis, on a déposé des recours collectifs contre des expéditeurs de pourriel, mais maintenant que la CAN-SPAM Act a été adoptée, un certain nombre d'expéditeurs de pourriel sont en train de se regrouper et d'entamer des poursuites en vertu de cette loi. De plus, des recours collectifs ont été présentés dans quelques États, mais la CAN-SPAM Act est une loi fédérale.

L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement) : Je voudrais ajourner le débat, mais j'aimerais d'abord dire quelque chose au sujet du CAN-SPAM dont a parlé le sénateur Oliver. Moi, j'ai toujours cru que le SPAM ne venait qu'en boîte. Le seul SPAM que j'aie jamais consommé, il était en boîte.

(Sur la motion du sénateur Rompkey, le débat est ajourné.)

L'ÉTUDE SUR L'ÉTAT DU SYSTÈME DE SOINS DE SANTÉ

DÉPÔT DU PREMIER RAPPORT PROVISOIRE DU COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE—SUITE DU DÉBAT

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l'étude du troisième rapport (premier provisoire) du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie intitulé Santé mentale, maladie mentale et toxicomanie : Aperçu des politiques et des programmes au Canada, déposé au Sénat le 23 novembre 2004.— (L'honorable sénateur Keon)

L'honorable Wilbert J. Keon : Honorables sénateurs, j'interviens aujourd'hui pour parler des rapports sur la santé mentale du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Hier, le sénateur Kirby a souligné l'ampleur des problèmes de la maladie mentale et de la toxicomanie au Canada, qui touchent quelque 4,5 millions de Canadiens, entraînent des coûts directs en santé de 6,3 milliards de dollars et ont des répercussions économiques de l'ordre de 14,4 milliards de dollars. Pire encore, seulement un tiers des personnes souffrant de maladie mentale ou de toxicomanie bénéficient d'une forme quelconque d'aide professionnelle.

Jusqu'à présent, le comité a déposé trois rapports, notamment Santé mentale, maladie mentale et toxicomanie : Aperçu des politiques et des programmes au Canada, ainsi que Politiques et programmes de certains pays en matière de santé mentale et Santé mentale, maladie mentale et toxicomanie : Problèmes et options pour le Canada. Ces trois rapports fourniront le cadre de référence à respecter pour la suite des étapes.

L'examen des politiques et des programmes en vigueur au Canada nous a permis de découvrir certains faits très inquiétants. Nous avons constaté que le Canada était le seul pays du G8 à ne pas disposer d'une stratégie en matière de maladie mentale. Il n'existe aucun programme intégré de prévention, de traitement ou de réadaptation dans le domaine de la santé mentale, aucun lien direct entre la recherche et les services offerts, aucune boucle de rétroaction ni aucune stratégie d'évaluation appropriée.

La tâche qui attend le comité, qui doit formuler des stratégies et des recommandations pour l'avenir, est colossale. D'ici la fin de juin, le comité entendra les témoignages de patients, de spécialistes et de citoyens d'un bout à l'autre du pays, et il espère pouvoir terminer son rapport final avant la fin de l'année.

Dans son deuxième rapport, le comité fait un survol des politiques élaborées en matière de santé mentale en Australie, en Nouvelle- Zélande, en Angleterre et aux États-Unis. Sachez que le Canada accuse un important retard par rapport à ces quatre pays. Oui, même le système de santé américain — que nous, Canadiens, critiquons si ouvertement — a beaucoup à nous apprendre. Je le répète, le Canada est le seul pays du G8 à ne pas disposer d'une stratégie en matière de maladie mentale. Nous résumons cette étude internationale en dégageant cinq grandes tendances.

Premièrement, toute la philosophie en matière de santé mentale s'articule autour du rétablissement. Par rétablissement, on entend le rétablissement du patient jusqu'à ce qu'il puisse fonctionner de nouveau en société.

Deuxièmement, on adopte des plans personnalisés de traitement et de soins prévoyant des programmes de soutien pour les familles et la participation des usagers.

Troisièmement, on vise la prestation de services intégrés au sein de la collectivité tout en insistant sur l'importance du suivi continu à assurer pour éviter le cloisonnement des différents services offerts.

Quatrièmement, on estime qu'il importe d'investir des ressources nationales dans la promotion de la santé mentale, particulièrement dans la mise sur pied de campagnes de lutte contre la stigmatisation et la discrimination.

Cinquièmement, on doit éliminer les inégalités entre les services accessibles à la population, que ces inégalités soient attribuables à la langue, à la culture, à la proximité géographique des services, et ainsi de suite.

Le facteur qui unit ces éléments est l'organisation des services dans le but de répondre le mieux possible aux besoins du patient ou du client. Cette organisation comprend cinq points essentiels.

Le premier est la détermination de mesures faisant intervenir tout le milieu de la santé mentale. Le deuxième est l'établissement de critères visant à mesurer les progrès. Le troisième est la planification détaillée des ressources humaines. Le quatrième est le financement adéquat de la recherche. Le cinquième est l'application efficace des connaissances découlant des recherches effectuées.

Je dirai quelques mots sur le contenu du troisième volume qui résume ce que nous estimons être les enjeux et les options pour le Canada.

La principale question bien sûre — la prestation de soins de santé mentale — passe en premier plan. Nous sommes d'avis que le statu quo n'est pas une option et qu'il doit y avoir d'importants changements. Le système actuel semble conçu davantage en fonction des fournisseurs de soins que des patients. Peut-on en fait vraiment parler de système? Il est fragmenté et non coordonné. C'est une collection de structures non reliées.

Au Canada, nous cherchons un système de traitement des maladies mentales et des problèmes de dépendance qui sera axé sur le patient; qui visera le rétablissement; qui sera adapté pour répondre aux besoins particuliers de patients ou clients en tenant compte des facteurs culturels; qui permettra de faire des diagnostics précoces et de traiter les personnes dès les premiers signes de maladie mentale ou de dépendance; qui permettra d'acquérir de nouvelles connaissances et de mesurer les résultats et faire les ajustements nécessaires selon les progrès. Ce système devra être homogène et offrir des services et de l'aide de grande qualité qui sont bien coordonnés et intégrés.

Nous avons identifié les diverses façons que la maladie mentale se présente, ainsi que ses effets à diverses étapes de la vie. Nous avons parlé des enfants et des adolescents, des Autochtones, des personnes âgées et des personnes dont les besoins complexes nécessitent une attention spéciale. Les services et les soutiens de santé mentale pour les enfants et les adolescents ont été qualifiés d'« orphelin des orphelins ». Enfants et adolescents sont des orphelins dans le système de santé mentale, qui est lui-même l'orphelin de l'ensemble du système des soins de santé. Il est donc essentiel de concevoir des systèmes pour régler ce problème. La bonne nouvelle, c'est que l'Alberta, la Colombie-Britannique et l'Île-du-Prince-Édouard ont commencé à agir. Ils ont mis en œuvre des programmes qui constitueront, je l'espère, des modèles pour les autres provinces et territoires.

(1540)

Les Autochtones, qui, comme on le sait, ont des taux très élevés de santé mentale et de suicide, mettent en évidence les questions culturelles qui se posent. La maladie est la même, mais ses manifestations et les traitements qui réussissent le mieux dépendent dans une grande mesure des valeurs et des perceptions culturelles.

Les aînés atteints de maladie mentale sont vraiment vulnérables. Cela devrait nous inquiéter tous ici puisque nous avançons à grands pas vers cette catégorie.

La honte et la discrimination occupent une place centrale dans notre gestion actuelle de la santé mentale. Le manque relatif d'attention que connaissent les malades mentaux dans notre système est une forme de discrimination. On dit que lorsqu'un organe comme le cœur, le rein ou le foie commence à faire des siennes, la collectivité réagit avec sympathie. Tout le monde en a été témoin à maintes reprises. Quand le cerveau flanche cependant, les gens sont inquiets, méfiants et craintifs. Le comité a besoin de conseils sur la façon d'élaborer une stratégie nationale contre la honte et la discrimination. Il espère y parvenir.

Dans cette étude, comme dans notre étude précédente du rôle fédéral dans la santé des Canadiens, nous attirons l'attention sur le besoin de bases de données nationales. Il est évident que nous ne pourrons pas progresser avant qu'elles ne soient établies. Nous avons également besoin d'un système national d'information. On peut se demander si un tel système suscite des préoccupations particulières en ce qui concerne les malades mentaux. Il est évident que oui. Le fait de parler d'une base de données nationale contenant des dossiers de santé électroniques évoque immédiatement le spectre de l'invasion de la vie privée. Surtout dans le cas de la maladie mentale, c'est une épée à double tranchant. On s'inquiète de la possibilité que l'existence de bases de données permette la divulgation de renseignements sur la santé, qui pourrait nuire aux Canadiens. Nous croyons que cette crainte empêche une gestion efficace de nos systèmes de soins et nous empêche également d'en apprendre davantage sur la façon de les améliorer. Nous devons donc choisir soigneusement nos options, mais nous devons aussi trouver un moyen d'avancer.

La question du financement de la recherche se pose constamment aux Canadiens. A-t-on affecté suffisamment d'argent à la santé mentale? En ce moment, je ne le crois pas. La création d'un Institut des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies a constitué un grand bond en avant. Toutefois, même si cet institut se classe deuxième sur le plan du financement parmi les 13 instituts des ISRC, il est clair que nous n'avons pas actuellement un financement suffisant de la recherche sur la santé mentale.

Quel pourrait être le rôle du gouvernement fédéral dans toutes ces questions? Comme dans toutes les questions de santé, nous avons défini un rôle direct et un rôle indirect. Le premier découle du fait qu'à titre de grand employeur, le gouvernement fédéral est responsable de la santé mentale de ses employés et qu'il constitue le fournisseur de soins de groupes particuliers de la population dont il est responsable, notamment les membres des Premières nations vivant dans les réserves, les Inuits, les détenus des pénitenciers fédéraux, les membres des Forces canadiennes et les anciens combattants, les membres de la GRC, certains immigrants admis et les demandeurs du statut de réfugié. Nous n'avons trouvé aucune stratégie ciblée destinée à améliorer les conditions de l'un quelconque de ces groupes dont le gouvernement fédéral est responsable. En assumant pleinement ses responsabilités dans ce cas, le gouvernement fédéral pourrait devenir un grand chef de file à l'échelle internationale.

Le rôle indirect du gouvernement fédéral découle de sa responsabilité de superviser la santé des Canadiens en général. Malheureusement, la Loi canadienne sur la santé exclut expressément les établissements psychiatriques. Il importe de remédier à cette situation. Comment le gouvernement fédéral peut-il corriger cette approche ambivalente de la place de la santé mentale dans l'ensemble de ses politiques nationales relatives à la santé? Il faut résoudre ce problème. Les services de santé mentale ne peuvent pas continuer ainsi à être coupés du reste.

Bref, nous n'avons pas un plan d'action national pour la santé mentale, ce qui constitue de toute évidence de la discrimination envers un important groupe de Canadiens gravement affectés par la maladie mentale.

Je voudrais maintenant essayer de situer les soins de santé mentale dans le grand contexte du système canadien des soins de santé. À mon avis, les soins de santé mentale ne sont qu'un cas particulier de ce grand système. Nous devons établir un système adéquat de soins primaires intégré dans les services communautaires. En fait, les soins primaires sont un problème universel au Canada. Il suffit, pour s'en rendre compte, de s'établir dans une autre ville et d'essayer de trouver un omnipraticien. Certains d'entre vous ont qui arrivent à Ottawa m'ont demandé de l'aide pour trouver un médecin de famille. Je reçois presque tous les jours des appels de gens qui me demandent de les aider à accéder au système des soins de santé, ici à Ottawa, notre capitale nationale. Ils ne peuvent pas trouver un médecin de famille, ce qui est terrible. Nous avons besoin d'une réorganisation majeure des soins primaires, qui tienne compte de la santé mentale.

Honorables sénateurs, nous devons maintenant reconsidérer les limites de ce que les différents groupes de professionnels de la santé sont autorisés à faire. Même si cela nécessitera une éducation considérable du public, il faut se rendre compte que les médecins de soins primaires sont actuellement surchargés par des tâches que d'autres professionnels, moins qualifiés, peuvent faire aussi bien sinon mieux. Il en est de même des infirmières et d'autres professionnels de la santé. Toutefois, il faudra peut-être reconsidérer les définitions rigides actuelles qui déterminent, par exemple, qui peut écrire une ordonnance pour des médicaments particuliers. Dans le cas de la santé mentale, cela entraînera sûrement une plus grande intégration des nombreux aspects essentiels à la réinsertion sociale du patient.

Qu'est-ce que je prévois pour les prochaines années ou les prochaines décennies? J'envisage une approche axée sur le patient. Elle se situerait dans un cadre concurrentiel assurant une prestation efficace de services de qualité financés par un seul payeur public qui veillera à l'accès universel. Cela est extrêmement important. Je sais que cette recommandation suscite beaucoup de désaccord, mais je crois que nous devons, comme la Grande-Bretagne, séparer le payeur du fournisseur. Le principe du payeur unique et de l'accès universel est sacré, mais le fournisseur doit être celui qui fournit le meilleur service au meilleur prix.

Nous devons en arriver à une meilleure évaluation des résultats des systèmes de santé, à une comparaison des résultats de différentes régions, cliniques, hôpitaux ou médecins. Nous en avons grandement besoin. Comment pouvons-nous juger le système sans faire de comparaisons?

J'aspire à un futur, que j'espère assez proche, dans lequel le patient et sa famille peuvent trouver des soins adéquats, y compris des soins de santé mentale, n'importe où au Canada. Les gens auraient accès à un réseau de soins primaires composé de cliniques pluridisciplinaires reliées à des services communautaires dont elles feraient partie. Le patient et sa famille seraient guidés à travers un système de soins coordonné et intégré, comprenant des stratégies de promotion de la santé, et n'auraient pas besoin de trouver seuls leur chemin. Le système, ou plutôt l'ensemble de systèmes, qui serait coordonné et intégré devrait faire l'objet d'évaluations constantes destinées à assurer un résultat optimal par rapport aux fonds disponibles.

Il est à espérer, honorables sénateurs, que nous pourrons collectivement élaborer une stratégie nationale de santé mentale — ce sera notre dernier document, je l'espère — qui nous placera au niveau des autres pays du G8 et qui donnera aux patients les services qu'ils méritent.

(Sur la motion du sénateur Callbeck, le débat est ajourné.)

(1550)

LES LACUNES FONDAMENTALES DANS L'APPLICATION DU PROGRAMME DU SUPPLÉMENT DE REVENU GARANTI

INTERPELLATION

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Downe, attirant l'attention du Sénat sur les lacunes fondamentales dans l'application du Programme du supplément de revenu garanti pour les personnes âgées à faible revenu.— (L'honorable sénateur Ferretti Barth)

L'honorable Catherine S. Callbeck : Honorables sénateurs, cette interpellation est inscrite au nom du sénateur Ferretti Barth, mais c'est à sa demande que je prends aujourd'hui la parole à ce sujet.

Je suis heureuse de participer à l'interpellation de mon collègue de l'Île-du-Prince-Édouard, l'honorable sénateur Percy Downe, attirant l'attention du Sénat sur les lacunes fondamentales dans l'application du Programme du supplément de revenu garanti pour les personnes âgées à faible revenu.

Comme mes collègues le savent, Développement social Canada administre deux programmes de soutien du revenu — le Régime de pensions du Canada et la Sécurité de la vieillesse. Le programme de Sécurité de la vieillesse est la source de revenu la plus largement accessible pour les Canadiens âgés. Le gouvernement fédéral dépense plus de 26 milliards de dollars chaque année afin d'assurer un soutien au revenu à 3,9 millions de personnes âgées.

Dans le cadre du programme de Sécurité de la vieillesse, le Supplément de revenu garanti fournit des fonds aux personnes âgées à faible revenu qui vivent au Canada qui ont un faible revenu ou n'ont aucun autre revenu. Dans tout le Canada, le Supplément de revenu garanti aide environ 1,4 million de Canadiens, à un coût de 5,8 milliards de dollars. Comme le Supplément de revenu garanti, ou SRG, dépend du revenu annuel de la personne âgée, celle-ci doit en faire la demande chaque année.

La plupart des personnes âgées renouvellent automatiquement leur SRG tout simplement en faisant leur déclaration d'impôt le 30 avril de chaque année. Cependant, comme l'a signalé le sénateur Downe dans son intervention, si la personne âgée ne fait pas de déclaration d'impôt ou ne fait pas de demande d'une manière ou d'une autre, elle ne reçoit pas le revenu supplémentaire auquel elle est éventuellement admissible — un revenu supplémentaire qui peut faire la différence pour une personne âgée qui a du mal à joindre les deux bouts.

Dans son intervention, le sénateur Downe s'est reporté au rapport sur le SRG déposé, en 2001, par le Comité permanent du développement des ressources humaines et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des communes. Dans ce rapport, le comité constate que 220 000 aînés admissibles reçoivent la SV mais non le SRG et que 50 000 autres personnes sont admissibles, mais ne reçoivent ni l'un ni l'autre. De plus, le comité soupçonne que ces chiffres se basent uniquement sur les gens qui ont rempli leur déclaration de revenus et par conséquent ne tiennent pas compte des personnes qui ne l'ont pas fait. Selon le comité, le fait que de gens admissibles ne se sont pas inscrits au programme a une double cause, à savoir la méconnaissance du programme et la complexité excessive du processus de demande.

Depuis la publication de ce rapport, en 2001, comme le sénateur Downe l'a mentionné, le gouvernement fédéral a adopté certaines mesures pour résoudre le problème de la non-inscription. En février et en mars 2002, tout près de 105 000 aînés ont été avisés de leur admissibilité éventuelle au Supplément de revenu par Développement des ressources humaines Canada, sur la foi des renseignements qu'ils ont fournis à l'Agence des douanes et du revenu du Canada relativement à l'impôt sur le revenu. Ces personnes ont reçu un formulaire simplifié, d'une seule page, sur lequel elles n'avaient qu'à déclarer leurs revenus et leur situation familiale, qu'elles n'avaient qu'à signer et renvoyer pour s'inscrire au SRG.

En outre, l'Agence des douanes et du revenu du Canada, au nom de Développement des ressources humaines Canada, a écrit en février 2002 à environ 65 000 aînés qui avaient déclaré un faible revenu sur leur déclaration d'impôt, mais qui ne touchaient ni la SV ni le SRG. Grâce aux mesures adoptées par le ministère en 2001 et en 2002, quelque 75 000 aînés de plus se sont donc inscrits au SRG.

Par ailleurs, le gouvernement fédéral a lancé une campagne publique pour informer les aînés des prestations auxquelles ils avaient peut-être droit et le ministère a entrepris de réviser son processus de demande en vue de le simplifier. L'Agence du revenu du Canada, de son côté, s'est employée à faciliter pour les aînés la déclaration d'impôt sur le revenu.

En janvier 2003, environ 125 000 aînés ont reçu une lettre les invitant à effectuer leur déclaration d'impôt 2002 au moyen de ce service simplifié, créé spécialement pour eux. Par téléphone, ils n'ont qu'à s'identifier, à procéder à quelques mesures de confidentialité, puis à répondre à quelques questions par oui ou par non pour que soit remplie leur déclaration d'impôt.

En outre, afin de s'assurer que les personnes qui reçoivent actuellement le SRG continuent de le faire, l'Agence des douanes et du revenu du Canada a, en janvier 2003, informé par la poste près de 80 000 personnes du troisième âge qui n'avaient pas rempli une déclaration d'impôt, mais recevaient le SRG, des avantages qu'il y a à remplir une déclaration d'impôt, car cela permettrait de renouveler automatiquement leur SRG.

À la suite de tous ces efforts, en mars 2004, Développement social Canada a fait savoir que 91 928 personnes âgées de plus qu'en mars 2001 recevaient le SRG. Toutefois, honorables sénateurs, malgré ces mesures, il y a encore des milliers de personnes du troisième âge admissibles qui ne reçoivent pas les prestations auxquelles elles ont droit, et ce sont celles qui en ont le plus besoin.

Honorables sénateurs, les personnes âgées au Canada sont en meilleure situation qu'il y a quelques décennies. Dans un rapport récent, Statistique Canada fait remarquer que de 1980 à 2000, dans les 27 régions métropolitaines de recensement au Canada, le taux des personnes âgées à faible revenu est tombé de 34,1 p. 100 à 20,2 p. 100, d'après des seuils de faible revenu. Cette amélioration est attribuable, pour la plus grande part, à des modifications apportées à des programmes comme la pension de sécurité de la vieillesse, le SRG et les régimes de pension du Canada ou de rentes et du Québec. Toutefois, le revenu moyen des personnes du troisième âge demeure sensiblement plus faible celui de l'ensemble de la population. Les femmes âgées ont des revenus moins élevés que ceux des hommes âgés et les personnes du troisième âge vivant seules ont des revenus plus faibles que ceux des couples.

Les personnes âgées sont une des ressources les plus précieuses du Canada. Elles contribuent à la société de diverses façons, notamment en s'occupant de jeunes membres des familles et en faisant du bénévolat. Environ le tiers de toutes les personnes du troisième âge participent à des activités bénévoles et les personnes âgées font davantage d'heures de bénévolat par année que le reste de la population. Des études ont montré que la valeur marchande de l'aide bénévole prodiguée par les personnes âgées ayant plus de 55 ans atteint 10 milliards de dollars. Si ces bénévoles n'accordaient pas cette aide, le niveau de vie de nos collectivités connaîtrait une baisse saisissante. En notre qualité de législateurs, il nous incombe de veiller à ce que nos personnes du troisième âge reçoivent le soutien du revenu dont elles ont besoin pour continuer d'être en bonne santé et de contribuer activement à leur collectivité.

Je souhaite féliciter le sénateur Downe d'avoir attiré l'attention du Sénat sur cette question et je me joins à lui pour prier le ministre du Développement social de redoubler d'efforts pour garantir que les personnes âgées de l'Île-du-Prince-Édouard et de tout le Canada reçoivent intégralement les prestations auxquelles elles ont droit.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Si aucun autre honorable sénateur ne souhaite prendre la parole, le débat sur cette interpellation sera considéré terminé.

[Français]

L'ASSASSINAT DE LORD MOYNE ET LES CONTRIBUTIONS DU LORD AUX ANTILLES BRITANNIQUES

INTERPELLATION—SUITE DU DÉBAT

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Cools, attirant l'attention du Sénat sur :

a) le 6 novembre 2004 — le soixantième anniversaire de l'assassinat de Walter Edward Guinness, lord Moyne, ministre britannique, homme exceptionnel résidant au Moyen-Orient et dont les responsabilités incluaient la Palestine, à l'âge de 64 ans des suites d'un acte de terrorisme juif au Caire en Égypte;

b) les assassins de lord Moyne, Eliahu Bet-Tsouri, 22 ans, et Eliahu Hakim, 17 ans, du groupe d'extrémistes juifs Stern LeHI, « Lohamê Hérout Israël », (Combattants de la liberté d'Israël), qui, le 6 novembre 1944, l'ont tiré à bout portant lui infligeant des blessures dont il est mort quelques heures plus tard malgré les efforts des médecins personnels du roi Farouk;

c) le procès et la condamnation à mort en 1945 d'Eliahu Bet-Tsouri et d'Eliahu Hakim, exécutés par pendaison à la prison Bab-al-Khalk au Caire le 23 mars 1945;

d) l'échange entre Israël et l'Égypte en 1975 de 20 prisonniers égyptiens contre les dépouilles des jeunes assassins Bet-Tsouri et Hakim, leurs funérailles d'État avec les honneurs militaires et leur réinhumation au Mont Herzl à Jérusalem, le cimetière israélien réservé aux héros et personnalités éminentes, funérailles d'État auxquelles ont assisté le premier ministre Rabin et le député de la Knesset Yitzhak Shamir, qui ont prononcé l'eulogie;

e) Yitzhak Shamir, né Yitzhak Yezernitsky en Pologne russe en 1915, et émigré en Palestine en 1935, pour devenir par la suite le ministre des Affaires étrangères d'Israël de 1980 à 1986, puis premier ministre de 1983 à 1984 et de 1986 à 1992, qui, en tant que chef des opération du groupe Stern LeHI, avait ordonné et planifié l'assassinat de lord Moyne;

f) sur les objections diplomatiques de la Grande- Bretagne aux honneurs accordés par Israël aux assassins de lord Moyne, objections qui ont été transmises par l'ambassadeur britannique en Israël, Sir Bernard Ledwidge, exprimant « le profond regret qu'un acte de terrorisme soit ainsi honoré », le rejet par Israël des représentations de la Grande-Bretagne et la qualification des assassins terroristes par Israël de « héros de la lutte pour la liberté »;

g) mes souvenirs d'enfance à la Barbade, l'énorme contribution faite par lord Moyne aux Antilles britanniques, particulièrement à titre de président de la commission royale sur les Antilles britanniques, 1938-39, connue sous la commission Moyne, et le célèbre rapport Moyne de 1945 qui a ouvert la voie au suffrage universel et au gouvernement représentatif et responsable dans les Antilles britanniques, ainsi que la haute estime que l'on témoigne à l'égard de Lord Moyne dans les Caraïbes orientales.—(L'honorable sénateur Prud'homme, C.P.)

L'honorable Pierre Claude Nolin : Honorables sénateurs, il faut rendre hommage au sénateur Cools, qui nous invite à examiner une série de faits historiques qui, malheureusement, ne sont connus que des peuples qui ont été affectés par la séquence de ces événements tragiques. Il faut la féliciter de nous interpeller sur cette question.

Premièrement, il faut reconnaître que lord Moyne est un personnage — et il faut accepter la parole du sénateur Cools — qui a marqué l'histoire de la Barbade.

(1600)

Les Barbadiens peuvent aujourd'hui clamer avoir entrepris leur propre révolution tranquille — et en tant que Québécois, vous comprendrez que j'utilise cette expression avec une certaine expérience — grâce aux rapports de Walter Edward Guinness, qui était le nom réel de lord Moyne.

Cela dit, le discours du sénateur Cools nous démontre, encore une fois, que la coexistence pacifique des Juifs et des Palestiniens dans une géographie différente et, nons dans une moindre mesure, les autres peuples arabes de la région, est compromise par l'existence de groupes terroristes de part et d'autre, tous plus radicaux les uns que les autres.

Lord Moyne a été assassiné en novembre 1944 par un groupe de jeunes juifs extrémistes. Je ne veux pas entrer dans le débat — d'autres y participeront— sur qui a dirigé le groupe. Celui-ci n'était pas présent au moment de l'assassinat mais il était à l'origine de cette intervention. D'autres sénateurs, beaucoup plus informés que moi, vous entretiendront des détails de ce complot.

Cela dit, à l'époque, ce geste a été condamné par le gouvernement britannique et il, faut le noter, par les leaders sionistes modérés. En novembre dernier, nous commémorions le 60e anniversaire de cet attentat.

Je vais cesser mon intervention à ce stade-ci. J'aimerais vous rappeler que — et vous serez d'accord avec moi — quoi que la cause soit bonne, qu'elle soit importante, quelle vise à protéger des droits et à faire reconnaître des situations de faits inacceptables, la violence ne doit jamais avoir gain de cause, qu'elle que soit la cause pour laquelle on l'invoque. Nous devons tous et chacun et surtout en tant qu'institution, augmenter notre connaissance sur ce qui entoure les racines de ce conflit, nous conforter dans les raisons qui poussent des groupes extrémistes à poser des tels gestes et, enfin, en conclure que si bonne en soit la raison, l'action doit être définitivement réprimandée.

Je crois comprendre que le sénateur Prud'homme demandera l'ajournement du débat. Il est fort important que le débat sur cette interpellation se poursuive et que l'on accorde tout le temps nécessaire à ceux qui veulent intervenir.

(Sur la motion du sénateur Nolin, pour le sénateur Prud'homme, le débat est ajourné.)

LA COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LE PROGRAMME DE COMMANDITES

MOTION—AJOURNEMENT DU DÉBAT

L'honorable Pierre Claude Nolin, conformément à l'avis du 1er février 2005, propose :

Que le Sénat du Canada demande par la présente au gouvernement de maintenir la Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires aussi longtemps qu'il le faudra pour établir les faits et la vérité et qu'il exhorte également le gouvernement à défendre vigoureusement la commission et à rejeter toute tentative qui vise à attaquer l'intégrité du commissaire, M. le juge John Howard Gomery.

— Honorables sénateurs, nous sommes témoins, en lisant les journaux tous les jours, du déroulement d'une commission d'enquête qui a beaucoup d'importance et semble parfois négative. Je vais vous rappeler certaines déclarations faites par ceux qui y ont participé ou qui y ont un intérêt direct. Cette commission d'enquête est importante pour tous les Canadiens et je ne suis pas le seul à le dire. C'est pour cette raison que j'ai décidé de proposer cette motion.

Son Honneur la Présidente intérimaire vient de nous lire la teneur de ma motion. Je ne reprendrai pas le texte car vous avez sans doute tous compris le sens, sinon la lettre de cette motion.

Cette commission d'enquête est importante pour les Canadiens. Tout comme nous, les Canadiens veulent savoir ce qui s'est réellement passé et comment l'argent des contribuables a été dépensé. Ils veulent connaître la vérité, rien que la vérité — pour employer la formule consacrée — toute la vérité. Le mandat de cette commission est d'élucider les causes qui ont entouré l'un des plus grands scandales politiques et gouvernemental de l'histoire du Canada. Chaque nouvelle audience de la commission, comme celle d'hier par exemple, apporte son lot de témoignages contradictoires, de fuites en avant ou de révélations parfois surprenantes, parfois même consternantes sur la façon dont certains fonctionnaires et certains parlementaires auraient contribué à cet énorme fiasco. Il est donc important pour les Canadiens de connaître ce qui a servi à tisser cet écheveau honteux.

Cette commission est aussi importante pour le premier ministre actuel du Canada. Que nous a dit M. Martin suite au dépôt du rapport de la vérificatrice générale? Le 12 février 2004, il a dit :

Les Canadiens doivent savoir que ce gouvernement prend l'entière responsabilité de régler cette affaire. Nous ne tournerons pas le dos à notre responsabilité de savoir ce qui s'est passé et de nous assurer que cela ne se reproduise jamais.

Cette commission est donc très importante pour le premier ministre et pour son gouvernement. Il vient de nous expliquer pourquoi. Lorsque la commission a été créée, le 20 février 2004, le premier ministre a aussi dit ce qui suit, en parlant du mandat de la commission :

Le mandat de la Commission d'enquête est très exhaustif. Il n'y a pas de limites. Cela va vraiment nous permettre d'aller au fond de cette histoire.

(1610)

Quel est-il, ce mandat de la commission? Il est d'expliquer comment le programme de commandites a été créé par le gouvernement; de quelle manière les agences de communication et de publicité ont été sélectionnées; la façon dont le programme de commandites et les activités publicitaires ont été gérés par les fonctionnaires et les ministres responsables; la réception et l'usage, par toute personne ou organisation, de fonds ou de commissions octroyés dans le cadre du programme de commandites; et, toute autre question directement liée au programme de commandites et aux activités publicitaires que le commissaire juge utile à l'accomplissement de son mandat.

Au terme de ses travaux, la commission doit faire des recommandations. Pourquoi des recommandations? Souvenez- vous de ce que le premier ministre a dit aux Canadiens : « On doit aller au fond de cette histoire pour ne plus jamais que cela ne se reproduise. » Il nous faut donc des recommandations. La commission doit énoncer ses recommandations et produire un rapport sur la responsabilité des ministres et des fonctionnaires selon la recommandation de la vérificatrice générale.

Est-ce un mandat difficile pour la commission? Très difficile. On a entendu le juge Gomery lui-même admettre sa naïveté — et ce mot est de moi et non de lui. C'est un mandat difficile, surtout lorsque l'on considère le climat politique explosif qui entoure ce scandale ainsi que les positions privilégiées de nombreux acteurs présumés de cette situation.

Premièrement, vous serez d'accord avec moi, je pense que personne ne peut questionner la réputation du juge Gomery. Je crois que le premier ministre et le gouvernement ont fait un très bon choix en le choisissant comme commissaire. Ceux qui ont tenté d'écorcher cette réputation, je pense, l'ont regretté.

Une demande de récusation a été déposée par les avocats de l'ancien premier ministre Chrétien. Ils se sont fondés sur des déclarations malheureuses — ça aussi, c'est de moi et de personne d'autre — du juge Gomery, notamment lorsque ce dernier s'est demandé comment l'ancien premier ministre Chrétien avait pu autoriser que son nom soit autographié sur des balles de golf et sur ses déclarations faites aux médias.

En effet, lorsque le juge a dit à un journaliste — comme le rapportait le 5 décembre 2004 le National Post :

Soyons francs, M. Guité est un charmant chenapan qui avait réussi à hypnotiser son personnel.

Au cours de la même entrevue, le juge a également endossé le rapport dévastateur, il faut l'avouer, de la vérificatrice générale sur le programme de commandites, et a affirmé que la gestion de ce programme gouvernemental était — je cite le juge — « catastrophiquement mauvaise ».

Si c'était à refaire, est-ce que le juge Gomery redonnerait ce genre d'entrevue aux médias? Je ne crois pas. Je pense qu'il a commis une erreur qu'il ne commettra plus jamais.

Cela étant dit, doit-on s'assurer que la commission survive à ces erreurs? Je crois que oui. C'est pour cela que j'ai décidé de déposer cette motion. Entendons-nous, même si le juge Gomery est un juge de la Cour supérieure du Québec, il ne s'agit pas d'un tribunal régulier; il s'agit d'une commission d'enquête. La latitude autorisée à des commissaires est plus large que celle autorisée à des juges dans un tribunal régulier.

D'ailleurs, voici ce que le juge Gomery nous a dit cette semaine, lorsqu'il a rendu sa décision suite à la demande de récusation qui lui était adressée par les procureurs de l'ancien premier ministre Chrétien.

Avec le recul, je réalise aujourd'hui que j'ai fait une erreur en acceptant de participer à des entrevues avec des journalistes avant Noël. Je conviens également que certaines des remarques que j'ai faites durant ces entrevues étaient regrettables et inappropriées. Mon manque d'expérience avec les médias est évident pour tout le monde et a eu pour effet de détourner l'attention de l'objectif réel de l'enquête, qui est de trouver la vérité [...]

Plus loin, il a ajouté :

... j'ai la ferme conviction qu'une personne raisonnable, bien informée et équitable, comprendra la différence qu'il y a entre commettre une erreur et faire preuve de préjugés.

Après avoir répondu à chacun des arguments soulevés par la requête en récusation des avocats de M. Chrétien, le juge Gomery a conclu que ses propos n'avaient pas donné naissance à une appréhension raisonnable de préjugé. Autrement dit, il n'était pas biaisé et n'avait aucunement tiré de conclusion sur la gestion du programme de commandites.

Pour ceux qui s'interrogent sur le fait que c'est celui à qui on demande de se récuser qui décide, c'est ainsi que les tribunaux du Canada fonctionnent. La première étape de la demande de récusation, est la responsabilité de celui à qui on reproche une situation, et si la décision n'est pas satisfaisante, on n'a qu'à en appeler. C'est ainsi que la procédure fonctionne. Cela peut sembler un peu particulier. Certains auraient voulu que ce soit le juge en chef de la Cour fédérale qui tranche le débat. Peut-être qu'alors, on aurait découvert que les qualités ou les valeurs politiques du juge en chef de la Cour fédérale auraient été mises dans la balance. Là n'est pas mon propos aujourd'hui.

Le juge Gomery a rendu une décision et il a conclu que ses propos n'avaient pas donné naissance à une appréhension raisonnable de préjugé. Autrement dit, il n'était pas biaisé et il n'avait aucunement tiré de conclusion sur la gestion du programme des commandes.

Un deuxième joueur est interpellé dans cette demande de récusation. Le juge Gomery s'est également porté à la défense du procureur principal de la commission d'enquête, dont l'intégrité a été attaquée par la requête des procureurs de M. Chrétien. Qu'a affirmé le juge Gomery?

Me Roy doit être jugé en fonction de son travail pour l'enquête, qui a été professionnel, impartial et objectif. Je lui accorde toute ma confiance.

Je vais terminer, honorables sénateurs, car je vois que la Présidente veut soit m'interrompre, soit se dégourdir les jambes.

Son Honneur la Présidente intérimaire : À l'ordre!

Le sénateur Nolin : J'ai même ressorti deux textes de jurisprudence, mais je ne pense pas avoir le temps de les lire. Ceux qui sont intéressés peuvent m'appeler, il me fera plaisir de leur donner les références.

Une des deux jurisprudences concerne la Commission d'enquête Létourneau sur l'histoire de la Somalie. Un militaire s'est plaint devant la Cour fédérale en prétendant que le juge Létourneau avait une attitude de préjugé envers lui, et la Cour fédérale a, dans un premier temps, donné raison à M. Beno. Par la suite, la Cour d'appel fédérale a renversé sa décision pour dire que le juge Létourneau avait agi comme commissaire, et que même si certaines déclarations pouvaient porter à interprétation, il n'en restait pas moins que le juge Létourneau avait toute la latitude pour juger et parler des décisions.

Lorsque qu'il s'agit de l'opinion d'un tribunal d'appel, encore là notre système veut que ce soit le tribunal d'appel qui l'emporte sur les autres.

C'est la première jurisprudence. La deuxième, un peu moins bien connue, est celle de la Newfoundland Telephone Co. v. Board of Commissioners of Public Utilities, 1992. Encore là, la Cour suprême du Canada a rejeté une requête de la Newfoundland Telephone Co. contre un commissaire de la commission, alléguant que celui-ci avait fait des déclarations avant et pendant l'enquête, prouvant son parti pris évident envers les consommateurs.

(1620)

Je ne vous citerai pas la partie du jugement, mais la Cour suprême a clairement dit que la requête était mal fondée parce que le niveau de récusation disponible aux parties était beaucoup plus bas que devant le tribunal.

Pourquoi, honorables sénateurs, ai-je voulu présenter cette motion?

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Je vais maintenant vous présenter un cours élémentaire de droit.

[Français]

En 1994, le ministre de la Défense de l'époque, David Collenette, a créé une commission d'enquête afin de faire toute la lumière sur la conduite des Forces armées canadiennes déployées en Somalie dans le cadre d'une mission de maintien de la paix, notamment lors de la torture et du meurtre d'un jeune Somalien par des soldats du défunt Régiment aéroporté du Canada. Cette commission a été créée dans l'intérêt de la population. On voulait tout savoir et on voulait aller au fond des choses afin que cela ne se reproduise plus. Que s'est-il passé? La commission a été bâillonnée. Au Sénat, on a essayé de la faire revivre, mais sans succès.

Ma motion est donc fort appropriée. Si vous croyez sérieusement à l'intérêt des Canadiens, adoptez-la!

L'honorable Eymard G. Corbin : Honorables sénateurs, j'aurais quelques questions à poser au sénateur Nolin. Accepte-t-il d'y répondre?

Le sénateur Nolin : Je suis disposé à répondre à vos questions puisque j'ai terminé mes remarques.

Le sénateur Corbin : Il semble que le sénateur Nolin ait fait le tour du poteau et qu'il n'ait pas posé la question fondamentale. Je vois que le sénateur Prud'homme s'approche du sénateur Nolin. Je ne sais pas pourquoi, mais il est dans un mode de migration à l'intérieur de la chambre. Le sénateur Nolin craint-il pas qu'il a oublié quelque chose?

Un parti s'est senti lésé. C'est pour cela qu'on a demandé au juge Gomery de quitter son fauteuil. Que ce soit le sénateur Nolin, le premier ministre, le gouverneur général, le type qui frotte le laiton ici tous les jours ou moi-même, nous avons tous les mêmes droits lorsqu'il s'agit de droits fondamentaux. Une partie lésé a le droit de faire appel à toutes les ressources à la disposition du plus commun des mortels dans ce pays pour assurer sa défense.

Dans ce cas, que M. Gomery se soit récusé ou non, qu'il ait fait un acte de contrition ou non, il me semble que la réputation du premier ministre a été atteinte par des commentaires inappropriés, par une personne sous serment d'office qui ne devrait jamais faire ce genre de commentaires au cours d'une procédure.

J'ai eu l'occasion de parler à des étudiants en droit de l'Université d'Ottawa — que je ne nommerai pas, mais ils nous servent ici tous les jours — et ils m'ont dit : « Mon manuel m'est tombé des mains quand j'ai lu les propos du commissaire rapportés dans les journaux et que j'écoutais l'avocat du premier ministre Chrétien à la télévision. »

C'est vraiment le fond de la question qui est en jeu ici : le droit de Jean Chrétien de se défendre, comme n'importe qui sous le soleil. Vous ne l'avez pas dit!

Chuck Guité a les mêmes droits que vous et moi, le gouverneur général et le frotteur de laiton ici au Sénat, que je respecte beaucoup en passant. Je ne dis pas cela pour dénigrer personne. Je crois que si justice doit être faite dans ce cas, justice doit poursuivre son cours. Ce n'est pas la question de savoir combien cela coûterait si on devait reprendre l'enquête ou combien de temps il faudrait pour assigner quelqu'un d'autre au poste de commissaire afin d'entendre la cause à nouveau. Un individu s'est senti lésé dans ses droits. Est-ce que vous reconnaissez son droit ou non?

Le sénateur Nolin : Oui, sans problème. Je n'ai aucun problème avec le droit de qui que ce soit de demander qu'un juge se récuse s'il considère avoir été lésé dans ses droits fondamentaux. Là où j'ai un problème, c'est que le gouvernement qui a créé cette commission ne fait pas d'efforts pour la défendre. M. Chrétien a tous les droits de vouloir défendre sa réputation et s'il considère que la décision du juge Gomery n'est pas bonne, tout le processus judiciaire lui est ouvert. La Cour fédérale est là pour cela.

Avec cette motion, je veux que le Sénat traite de l'action du gouvernement. Je me base sur ce qui s'est passé en Somalie. Il vaut mieux mettre de la pression que d'attendre qu'il soit trop tard. Je n'ai aucun problème avec les droits de M. Chrétien. Si M. Guité croit que ses droits ont été lésés, qu'il fasse une demande de récusation. Il y a un processus judiciaire en place pour cela. Ma motion ne vise pas M. Chrétien ni M. Guité. Elle vise l'intégrité de la commission afin qu'elle soit protégée par le gouvernement qui l'a créée.

Le sénateur Corbin : Ma deuxième question est la suivante. Le sénateur Nolin a cité le cas du juge Létourneau. Je ne connais pas bien la Newfoundland Telephone Co. Si l'on compare avec ce qui s'est passé dans l'épisode Gomery, il faut faire une distinction. La commission Gomery reçoit l'attention d'un peu tout le monde. J'appuie le fond de cette enquête. Je ne cherche pas à tuer l'exercice. Je parle de quelque chose de plus fondamental, c'est-à-dire la réputation d'un individu. Que cet individu-là soit Gomery, Chrétien, Roy ou n'importe qui, je considère qu'étant donné le contexte de tout cet exercice, le mal que les propos du juge ont pu faire à la réputation d'une personne — soit de M. Guité, soit de M. Chrétien — est beaucoup plus grave que les propos que le juge Létourneau aurait pu tenir dans le mess des officiers sur une base militaire des forces armées. Tous les Canadiens entendent ce qui se passe à la commission Gomery et tout ce qui se dit en annexe de cette même commission. Je ne pense pas que tout le monde ait entendu le même son de cloche dans le cas du juge Létourneau ou dans le cas de la Newfoundland Telephone Co.

Il y a une différence monumentale entre ces affirmations dans le contexte surchauffé qu'on connaît aujourd'hui. Cela crée l'impression que, dans l'opinion publique, on peut se permettre de rire et de se moquer des droits de recours à la justice des individus. Que le juge Gomery se soit excusé, il a posé un acte tout à fait honnête.

(1630)

Personnellement, je crois que, si j'avais été à sa place, après avoir posé cet acte et avoir dit ces paroles, je me serais désisté car je me serais considéré indigne de poursuivre cette enquête! C'est mon opinion.

Le sénateur Nolin : Vous avez tellement raison de soulever l'importance des droits que vous m'incitez à citer le texte de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire de la Newfoundland Telephone Co. Je vous ai expliqué plus tôt ce dont il s'agissait, c'est une commission, non un tribunal.

La cour a conclut qu'il y avait, dans les faits qui lui étaient présentés, l'existence d'une crainte raisonnable de partialité et qu'il était préférable que le commissaire évite de faire des déclarations publiques. Mais elle a ajouté ceci :

Certes, un commissaire peut se permettre, au cours d'une enquête, de faire des déclarations publiques concernant celle- ci. [...] Les membres de la Commission doivent avoir au stade de l'enquête une grande latitude pour faire des commentaires publics. Pourvu que ces déclarations ne témoignent pas d'un esprit à ce point fermé qu'il serait inutile de présenter des arguments contraires, on ne devrait pas pouvoir les attaquer en invoquant la partialité.

La Cour suprême aurait pu refuser d'entendre la cause. Elle a pourtant accepté de l'entendre pour justement essayer de cerner la différence, l'étendue de la latitude dont un commissaire dispose face à un juge. Le processus judiciaire est ouvert à ceux qui se sentent lésés par les déclarations du commissaire.

Cela étant dit, ma motion vise à assurer, par une décision de cette Chambre, que le gouvernement va se tenir debout et vivre avec ses déclarations de l'an dernier.

Oui, c'est important, cela l'était à ce moment-là, cela l'est encore; oui, il faut aller au fond des choses pour que cela ne se reproduise pas. C'est le but de ma motion. On a le cadre jurisprudentiel de l'attitude d'un commissaire. Ceci étant dit, le très honorable Jean Chrétien, M. Guité ou quiconque se sentant lésé par les déclarations du juge, ont toute la latitude nécessaire pour faire ce qu'ils doivent faire devant la Cour fédérale.

L'honorable Pierrette Ringuette : Honorables sénateurs, je ne viens pas d'un milieu législatif ou juridique, mais je crois qu'il y a une différence fondamentale lorsqu'on rapporte une décision concernant des membres d'une commission. On parle à ce moment-là d'une référence faite à plusieurs personnes examinant un dossier. Dans la motion dont vous parlez présentement, on parle d'une personne à qui on a référé un dossier, et non d'un ensemble de personnes.

Je pense qu'on ne peut pas attribuer les mêmes décisions dans un cas semblable. C'est tout ce que je voulais dire.

Le sénateur Nolin : Honorables sénateurs, permettez que je vous donne mon opinion sur l'argument du sénateur Ringuette. Un élément est à considérer. Il est sûr que la commission de Terre- Neuve comprend plusieurs personnes. Dans le cas qui occupait la Cour suprême, un seul commissaire avait fait des commentaires.

Je ne m'objecte pas à ce que l'on essaie de restreindre un peu plus la latitude d'un commissaire. La Cour suprême a tenté de le faire et maintenant la Cour fédérale pourrait décider de faire une distinction et d'accepter votre argument; c'est fort possible. Mais ma motion vise une commission d'enquête qui a été créée par décret par le gouvernement du Canada, et c'est cette commission d'enquête que je veux protéger. C'est seulement cela que je veux faire.

[Traduction]

L'honorable Anne C. Cools : Honorables sénateurs, j'appartiens au groupe de personnes qui s'opposent énergiquement au recours à des commissions royales pour enquêter sur des questions hautement politisées. Je n'étais pas du tout enthousiasmée lors de la création de cette commission. Aujourd'hui encore, je ne comprends pas pourquoi une commission royale a été chargée d'une tâche qui incombe en fait au Parlement. J'espère que ce débat nous permettra de mieux comprendre. Si mon honorable ami lisait le mandat contenu dans le décret de nomination du juge Gomery, il prendrait conscience de l'ampleur des pouvoirs accordés. Il se demanderait qui a fait cette nomination et pourquoi. Il s'interrogerait sur ce qui se passe. Cela m'inquiète profondément.

De plus, la seconde partie du mandat ordonne au commissaire d'examiner les mesures correctives prises par le gouvernement. Vous vous souviendrez que le premier ministre Martin avait inclus une liste d'initiatives que le gouvernement avait prises.

Honorables sénateurs, j'ai beaucoup de difficulté à accepter, premièrement, la création d'une commission royale et, deuxièmement, le fait de conférer au commissaire le pouvoir d'examiner ce qui constitue, à mon avis, les réactions politiques de M. Martin.

Cela étant dit, tout cela constitue un terrible spectacle qui m'a profondément troublée. Je sais que ma question tourne en rond, mais il n'y a pas de doute que la situation a nui à la réputation de M. Chrétien. Je ne peux pas concevoir que cela soit accidentel. Je m'oppose à une commission royale ou à toute commission qui s'arrogerait le droit de juger la conduite politique d'un ancien premier ministre et qui, ce faisant, l'exposerait à des insinuations hautement injurieuses et peut-être même criminelles. J'ai toujours veillé dans le passé à bien comprendre les relations constitutionnelles qu'il convient d'appliquer en toute circonstance. En ce qui concerne la conduite de ce juge, seul le Parlement est habilité à porter un jugement à cet égard. Encore une fois, quand il s'agit de la conduite politique et, au besoin, de plus que la conduite politique de ministres et de premiers ministres, seul le Parlement est autorisé à porter de tels jugements.

La Loi sur les juges en tient compte puisqu'elle contient une exemption qui autorise les juges à faire partie de commissions royales. Il existe une masse de documentation sur le mal qui peut découler de la nomination de juges à des commissions royales dans des circonstances hautement politisées. C'est embarrassant. Je crois que je développerai certains de ces points plus tard.

Honorables sénateurs, la Constitution donne au Parlement le droit de juger la conduite des juges aussi que celle du premier ministre. J'ai l'intention de parler de cette question. Je n'aime pas du tout ce qui se passe. En même temps, je m'inquiète de la possibilité qu'au terme de cette terrible épreuve, nous ne soyons pas plus près de la vérité. Je fais partie de ces parlementaires qui sont consternés de voir le Parlement diminué parce que l'examen de ces importantes questions lui a été retiré pour être confié à cette commission royale.

J'ai fait beaucoup de recherche à ce sujet. L'honorable sénateur est-il parvenu, par suite de ses recherches, à une conclusion quelconque quant à la sagesse, à la prudence et à l'efficacité du recours à des commissions royales dans des circonstances de cet ordre?

(1640)

Le sénateur Nolin : Très brièvement, non.

Le sénateur Cools : Une commission royale est un instrument royal. Je ne sais pas s'il existe un processus permettant à un commissaire de se récuser. Il y en a peut-être. À ma connaissance, cependant, une commission royale est un ordre que donne Sa Majesté pour faire accomplir une certaine tâche. Bien sûr, le commissaire peut dire : « Je ne peux pas le faire, ma santé ne me le permet pas », ou quelque chose du même genre. Toutefois, je ne pense pas qu'un commissaire puisse se récuser par voie de motion. Je ne sais même pas s'il est permis à M. le juge Gomery d'agir de la sorte.

J'ai une opinion arrêtée quant aux propos du juge et j'aurais souhaité qu'il ne tienne pas ces propos excessifs. Toutefois, je ne suis pas convaincue qu'il était approprié de réclamer que le juge — en fait, dans ce contexte, il n'agit pas à proprement parler comme un juge. Nous ne devrions pas dire « le juge ». Nous devrions dire « le commissaire ». Le gouvernement a donné l'impression au public qu'une commission d'enquête est en quelque sorte un procès. Ce n'est pas le cas. La commission Gomery n'est pas un tribunal ordinaire où un demandeur ou un défendeur, par exemple, ou une autre personne, peut demander et obtenir la récusation du juge, qu'on remplace alors d'office. Les commissions royales ne fonctionnent pas ainsi. Or, puisqu'il s'agit d'une commission royale, il faudrait repartir à zéro, il faudrait même créer une nouvelle commission. Lorsqu'il a adopté la Loi sur les enquêtes, le Parlement, dans sa sagesse, n'a jamais prévu que les gouvernements pourraient utiliser les commissions de cette manière.

Je vais exposer plus longuement mon point de vue, mais ces questions sont difficiles et complexes, et nous devons faire en sorte de nous y retrouver.

Le sénateur Nolin : Le droit de remettre en cause l'impartialité d'un commissaire ou d'un tribunal est un droit fondamental. J'aimerais savoir ce que vous pensez d'un tel droit par rapport à une commission royale. Je dois dire que je n'ai pas effectué de recherche à ce sujet.

Le sénateur Cools : En toute justice, il faut reconnaître que tout cela pourrait bien se préparer depuis un certain temps. Le premier ministre Martin continue de parler d'une enquête judiciaire. Je préférerais qu'il parle d'une commission d'enquête. Ce qui fait une différence, c'est qu'une commission n'a que le pouvoir de faire enquête. Elle ne peut pas rendre jugement. On s'attend donc à ce que les membres d'une commission fassent preuve d'impartialité puisque toute personne effectuant ce genre de travail devrait se conduire conformément au mandat conféré par Sa Majesté. Les responsables d'une enquête judiciaire pourraient exercer des pouvoirs juridictionnels, mais ce n'est pas le cas ici.

Les pouvoirs conférés au commissaire sont limités à l'aspect des enquêtes. J'espère que nous pourrons préciser très clairement ce point dans le présent débat. Ce n'est pas la première fois qu'on demande au Parlement d'étudier les implications et les répercussions du recours à ces commissions royales. Par le passé, John Diefenbaker par exemple a eu beaucoup à dire sur le recours à ces commissions.

J'espère que nous pourrons éclaircir certaines de ces préoccupations et bien faire comprendre que ce qui se passe actuellement cause beaucoup de cynisme au pays. Les intrigues politiques sous-jacentes à tout cela sont quasi odieuses.

L'honorable Marcel Prud'homme : Je ne voudrais pas faire perdre le temps de mes collègues, mais mon ami de longue date, le sénateur Corbin, m'incite à le faire.

Je ne me déplace pas. Je suis très heureux où je suis, dans le coin.

[Français]

J'aimerais connaître l'opinion du sénateur Nolin, juriste reconnu, fils de grand juriste également. N'abuse-t-on pas et à grand frais de ces soi-disant commissions royales ou judiciaires? Les gens du comté où j'habite, issus en majorité de la classe ouvrière, qui travaillent souvent au salaire minimum, en sont rendus à regarder cette commission comme un grand spectacle. Ils appellent cela la « Commission des avocats », puisqu'ils semblent être les seuls à tirer profit de cette commission.

Les gens me disent la même chose à propos de la commission Létourneau et de la fameuse Commission des plaintes du public contre la GRC, qui a coûté 26 millions $. Les gens ne voient que les frais d'avocats dans ces commissions qui n'aboutissent nulle part.

Ma question est la suivante : n'y a-t-il pas de plus en plus abus de pouvoir politique — et je ne vise ni l'administration actuelle ni les anciennes que j'ai connues? On gaspille des sommes énormes et on perd de vue le but que l'on poursuit et l'aspect judiciaire. En réalité, s'il y a des voleurs — je vais parler à la Jean Chrétien — , il y a un système judiciaire pour cela. Que le système judiciaire fasse son travail et que le travail policier fasse son enfer. Lorsque je dois expliquer à mes concitoyens que cela va coûter 60, 70 millions — qui sait combien, et ce n'est pas fini, parce que le processus judiciaire n'est pas commencé —, et qu'il ne s'agit que d'un préambule qui peut mener à un processus judiciaire, cela passe difficilement. Il y aura des accusations, des gens qui iront en appel et cela ne finira jamais et entraînera des coûts énormes.

Y a-t-il abus de ces commissions de tous genres pour se tirer de certaines difficultés politiques?

Le sénateur Nolin : Le Parlement du Canada a adopté la Loi sur les commissions d'enquête et le gouvernement a toute la latitude pour s'en servir. Ont-ils bien fait ou non? Il y a un avantage à utiliser la commission d'enquête plutôt que le processus judiciaire dès le départ. Dans le processus judiciaire, il faut commencer obligatoirement par un acte d'accusation. J'accuse telle personne de tel fait et on commence le processus. Dans la commission d'enquête, on procède à un examen. On examine tous les faits. Lorsque je vous ai lu tout à l'heure les éléments du mandat de la commission qui m'apparaissaient être de notre intérêt, vous avez entendu la liste exhaustive de ce que la commission doit accomplir. Son mandat est très large. Le processus d'une commission d'enquête est assez rigoureux.

La loi existe, le gouvernement l'utilise. Des procédures encadrent un tel exercice. Sur la question des avocats, on ne peut pas s'en sortir. Il y aura toujours des gens qui voudront être représentés par des avocats parce que leurs droits risquent d'être bousculés. Nous venons d'en discuter avec le sénateur Corbin et d'autres. C'est un droit constitutionnel que d'avoir accès à un avocat lorsque nos droits risquent d'être mis en danger.

(1650)

[Traduction]

Le sénateur Cools : La Loi sur les enquêtes a été adoptée il y a environ 70 ans et s'inspirait de nombreuses autres versions qui avaient été proposées avant la Confédération. Cependant, le fait est que cette loi avait été adoptée afin de permettre au gouverneur en conseil de procéder à des nominations et d'instituer des commissions royales sans avoir à comparaître devant le Parlement pour demander de l'argent. C'était là l'objet de la loi, de donner au gouvernement l'accès au Trésor.

À l'époque où la Loi sur les enquêtes a été adoptée, le Parlement n'aurait jamais deviné qu'on allait dépenser des sommes aussi énormes. Au cours de sa recherche, l'honorable sénateur est-il venu à songer qu'il serait temps pour le Parlement de revoir la Loi sur les enquêtes et d'examiner soigneusement son utilisation par le gouvernement?

J'ai participé à des comités où on avait envisagé d'étudier toute cette question, notamment le Comité des finances nationales, où j'avais suggéré qu'il était temps que le Parlement fasse cela. Or, le gouvernement s'est toujours opposé à ces propositions. Qu'en pense l'honorable sénateur?

Le sénateur Nolin : C'est une question intéressante, il est vrai, mais je dois répondre non. Je n'ai jamais réfléchi au bien-fondé d'un tel examen.

(Sur la motion du sénateur Losier-Cool, le débat est ajourné.)

[Français]

L'AJOURNEMENT

Permission ayant été accordée de revenir aux avis de motion du gouvernement :

L'honorable Fernand Robichaud : Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)h) du Règlement, je propose :

Que, lorsque le Sénat ajournera aujourd'hui, il demeure ajourné jusqu'au mardi 8 février 2005, à 14 heures.

L'honorable Joseph A. Day (Son Honneur le Président suppléant) : La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée.)

(Le Sénat s'ajourne au mardi 8 février 2005, à 14 heures.)


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