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Débats du Sénat (Hansard)

Débats du Sénat (hansard)

3e Session, 40e Législature,
Volume 147, Numéro 17

Le jeudi 15 avril 2010
L'honorable Noël A. Kinsella, Président


LE SÉNAT

Le jeudi 15 avril 2010

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

La Pologne—Les victimes de la tragédie

Minute de silence

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je demanderais aux honorables sénateurs de se lever et d'observer une minute de silence en ce jour de deuil national, afin de souligner la tragédie qui a frappé la République de Pologne, le 10 avril 2010, et qui a coûté la vie à son président, Lech Kaczynski, et à des dirigeants politiques, militaires et civils polonais.

(Les honorables sénateurs observent une minute de silence.)

[Traduction]

Honorables sénateurs, je vous signale qu'un livre de condoléances se trouve du côté ouest du foyer du Sénat, sous le portrait de Sa Majesté la reine. Toutes les personnes qui le souhaitent sont invitées à y exprimer leurs condoléances.

[Français]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, j'aimerais signaler la présence à la tribune, cet après-midi, de Mme Jean-Robert Gauthier.

Mme Gauthier est accompagnée par la famille et des amis de notre ancien collègue, l'honorable sénateur Jean-Robert Gauthier.


DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Hommages

Le décès de l'honorable Jean-Robert Gauthier, C.M.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, en vertu de l'article 22(10) du Règlement, le leader de l'opposition a demandé que, pour la séance d'aujourd'hui, la période des déclarations de sénateurs soit prolongée afin de rendre hommage à l'honorable sénateur Jean-Robert Gauthier, décédé le 10 décembre 2009.

Je rappelle aux sénateurs que, conformément au Règlement du Sénat, les interventions des sénateurs ne peuvent dépasser trois minutes et qu'aucun sénateur ne peut parler plus d'une fois.

Les honorables sénateurs sont-ils d'accord pour que les hommages au sénateur Gauthier continuent durant les déclarations de sénateurs, pour une durée maximale de 30minutes, et que le temps qu'il restera après les hommages soit utilisé pour d'autres déclarations de sénateurs?

Des voix: D'accord.

L'honorable Claudette Tardif (leader adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, c'est un honneur et un privilège pour moi de rendre hommage à notre ancien collègue, l'honorable sénateur Jean-Robert Gauthier, pour qui j'éprouvais énormément d'admiration et de respect.

Je peux dire sans équivoque que les communautés francophones ont toujours eu en Jean-Robert Gauthier un allié précieux. L'honorable Marie Poulin nous disait, en décembre, que l'honorable Jean-Robert Gauthier a su incarner la vraie signification de l'expression «avoir le courage de ses convictions».

Élu en 1972 et réélu à six autres reprises à la Chambre des communes, il a servi les citoyens de sa circonscription d'Ottawa-Est, devenue Ottawa-Vanier, ainsi que les citoyens de tout le pays, avec passion et acharnement.

Il a été responsable de nombreux portefeuilles: celui de secrétaire parlementaire du ministre d'État chargé des affaires urbaines, de leader parlementaire de l'opposition officielle, de leader en Chambre du Parti libéral, de whip et de porte-parole de la fonction publique, de la Société canadienne des postes, du Conseil du Trésor, et surtout, de la cause qui lui tenait le plus à cœur, les langues officielles.

Lors de ces dix années de loyaux services au Sénat, de 1994 à 2004, l'honorable Jean-Robert Gauthier a siégé à pas moins de neuf comités sénatoriaux, notamment en tant que vice-président et président du Comité permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure.

De 1972 à 2004, Jean-Robert Gauthier s'est consacré à son travail parlementaire pendant officiellement 31 ans, 11 mois et 24 jours. Toutefois, il s'est officieusement intéressé à la politique bien avant d'être élu, et aussi bien après avoir pris sa retraite du Sénat.

C'est grâce à son projet de loi S-3 que, depuis 2005, la Loi sur les langues officielles exige que les institutions fédérales prennent des mesures positives pour appuyer le développement des communautés de langues officielles et promouvoir la pleine reconnaissance et l'usage de l'anglais et du français à travers le pays.

Grand défenseur de la francophonie canadienne, son œuvre a permis de mettre en valeur le fait français à travers le Canada et la dualité linguistique au sein de la société canadienne. Au cours des sept dernières années, le sénateur Gauthier a orchestré annuellement le concours national d'essai littéraire du Fonds Jean-Robert Gauthier, auquel j'ai eu le privilège de participer à titre de présidente d'honneur pendant trois ans.

Ce concours visait à stimuler, auprès des jeunes francophones de partout au pays, une réflexion sur leurs valeurs et intérêts communs.

(1410)

Cette initiative n'est qu'un exemple parmi d'autres de l'appui continu que Jean-Robert Gauthier offrait aux jeunes générations, aux étudiants et aux francophones de part et d'autre du Canada. Je sais que la communauté franco-albertaine se joint à moi pour offrir à sa femme, Monique, à ses enfants et à ses petits-enfants ses plus sincères condoléances.

L'honorable Gerald J. Comeau (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui pour rendre hommage à l'un de nos anciens collègues, le sénateur Jean-Robert Gauthier, avec qui j'ai eu le grand plaisir de servir à la Chambre des communes et au Sénat.

Au cours de ses 32 années au Parlement, le sénateur Gauthier fut reconnu comme un homme de grande conviction dans le dossier des communautés de langues officielles. Il s'est toujours porté à la défense de la communauté franco-ontarienne avec courage, sans réserve et avec enthousiasme. Il a joué un rôle de premier plan dans la campagne du Fonds de la résistance S.O.S. Montfort, et son dévouement à la cause des minorités francophones est reconnu partout au Canada.

Le sénateur Gauthier a reçu bien des éloges au cours de sa carrière, notamment le Prix Boréal de la Fédération des communautés francophones et acadienne en 1998, l'Ordre de la Pléiade, l'Ordre de la Francophonie et du dialogue des cultures, l'Ordre de la Légion d'honneur en 2002, l'Ordre du Canada en 2007 et l'Ordre de l'Ontario en 2009. L'Université d'Ottawa lui a décerné, en 1996, un doctorat honorifique en éducation.

J'ai eu l'honneur de travailler avec le sénateur Gauthier sur de nombreux dossiers. Par exemple, comme nous étions insatisfaits de la manière dont le Comité mixte permanent des langues officielles fonctionnait à l'époque, nous avions pris l'initiative de former notre propre Comité des langues officielles, ici, au Sénat.

Malgré une grande résistance de la part du leadership des deux Chambres — le sénateur Carstairs s'en souviendra, puisqu'elle était leader de la Chambre à ce moment —, le sénateur Gauthier a fait preuve de la détermination qui l'a toujours caractérisé et a fini par gagner sa cause. En octobre 2009, le Sénat a créé son propre Comité permanent des langues officielles, qui fonctionne très bien depuis.

Il était très facile de connaître sa position sur les questions du jour, en particulier si elles touchaient de près ou de loin la francophonie canadienne.

Le sénateur Gauthier était un homme de principe, dévoué à la francophonie, et en particulier aux groupes francophones minoritaires de l'Ontario.

Honorables sénateurs, comme je l'ai dit en cette enceinte lorsqu'il a pris sa retraite, en octobre 2004, le sénateur Gauthier s'est distingué par sa persévérance et son courage et dans le dossier de l'avancement de la dualité linguistique au Canada. Il aura apporté une aide précieuse au Parlement.

Malgré une maladie grave qui en aurait arrêté bien d'autres, le sénateur a persisté dans ses efforts pour défendre sa collectivité. Rien ne semblait freiner son enthousiasme pour cette cause.

Je suis heureux d'avoir connu le sénateur Jean-Robert Gauthier et d'avoir travaillé à ses côtés. À Monique et à sa famille, j'exprime mes plus sincères condoléances.

L'honorable Pierre De Bané: Honorables sénateurs, «Convaincre [...] sans révolution et sans haine». Voilà une citation bien choisie pour résumer la vie et l'action d'un grand homme politique, le regretté sénateur Jean-Robert Gauthier. L'histoire de la carrière politique exemplaire de Jean-Robert Gauthier, c'est aussi l'histoire de 40 ans de lutte pour le respect de la dualité linguistique au Canada. Nous avons longtemps siégé sur la même banquette, à la Chambre des communes.

À titre de député libéral, cet homme de principe et d'intégrité a su gagner le respect de tous les Canadiens. Au détriment de son avancement personnel, il s'opposa très fort à une expression, «là où le nombre le justifie», lors du vote historique pour le rapatriement de la Constitution en 1982. Bien que toute simple, cette clause représentait à ses yeux l'enchâssement constitutionnel d'une qualification inacceptable du droit des citoyens canadiens d'être servis dans la langue de leur choix. Ce geste a marqué la conscience collective des communautés de langues officielles en situation minoritaire du pays. L'honorable Jean-Robert Gauthier demeure, à ce jour, l'une des figures les plus influentes et un porte-étendard de la francophonie canadienne.

Sentinelle infatigable des langues officielles, il a travaillé inlassablement jusqu'aux dernières heures de son mandat avec nous, ici même au Sénat. Les legs de cet ancien collègue sont nombreux. Le projet de loi S-3, son dernier projet de loi, donna du «mordant» à la Loi sur les langues officielles. Grâce aux efforts du sénateur Gauthier, les institutions fédérales sont désormais responsables de prendre des mesures positives pour assurer le développement des communautés de langue française en situation minoritaire.

De plus, sa fondation organise chaque année un concours d'essai dans les institutions postsecondaires de tout le pays. En échange de bourses d'études, l'honorable sénateur Gauthier puisait à même la force vive de notre nation, la jeunesse, pour lui demander conseil sur les questions relatives à la dualité linguistique. Épris de justice sociale, Jean-Robert Gauthier prêta main-forte aux malentendants en sensibilisant les institutions fédérales aux besoins des services de sténotypie, d'interprétation et de sous-titrage en temps réel. Malgré la maladie, son bureau fourmillait d'amis, d'intervenants et de partenaires venant lui demander des conseils, son concours ou son patronage.

Doté d'une grande intelligence et d'un amour profond pour son pays, Jean-Robert Gauthier était un homme convaincu et convaincant. Capable de s'indigner devant les injustices, il était doté du courage et de l'habileté politique nécessaires pour combattre les injustices avec une passion inséparable de sa nature entière et généreuse.

Avec tous mes collègues, je m'incline devant ce très grand homme. Madame Jean-Robert Gauthier, je vous remercie.

L'honorable Pierre Claude Nolin: Honorables sénateurs, j'aimerais témoigner mon appréciation au sénateur Gauthier. C'est l'appréciation d'un Québécois. Lorsque je l'ai rencontré pour la première fois au Sénat, j'avais déjà entendu parler de lui, car il était député à l'époque, mais je ne l'avais pas vraiment côtoyé. Lorsque je l'ai rencontré au Sénat, je me voyais encore comme un Québécois aveuglé par l'aisance de sa majorité. En découvrant sa détermination, j'ai compris comment les francophones, les Canadiens français en situation minoritaire, doivent vivre quotidiennement avec ce que je tiens pour acquis. Ces acquis sont partagés par la grande majorité des Canadiens français québécois, qui ne sont pas en mesure d'en apprécier l'importance.

Lorsqu'on côtoie des personnes comme le sénateur Gauthier, on peut mieux apprécier leur importance. Ce sont eux qui font que notre pays est l'un des plus beaux au monde.

(1420)

Merci beaucoup à vous, qui allez certainement porter la flamme de ses batailles. Vous êtes la preuve vivante qu'il a fait tout cela avec amour; vous pouvez en témoigner et nous vous en remercions.

L'honorable Lowell Murray: Honorables sénateurs, le champion du bilinguisme, Jean-Robert Gauthier, que j'ai connu et beaucoup admiré, aurait certainement insisté pour que quelqu'un, parmi nous, prononce au moins quelques phrases dans la langue de Shakespeare, l'autre langue officielle de notre pays.

[Traduction]

Les parlementaires défendent de nombreuses causes et assument maintes obligations. Celles-ci sont dictées par leurs électeurs, leur région, leurs collègues de caucus, leur parti politique, sa plateforme électorale et son chef, l'intérêt national, leurs propres principes, convictions et opinions, ainsi que leur conscience éclairée. Par conséquent, leur attention est souvent partagée et ils essaient de trouver un juste équilibre. Personne n'a mieux réussi ce tour de force que feu notre ami et collègue, Jean-Robert Gauthier.

[Français]

Les droits des minorités linguistiques, dont il était le grand défenseur, les préoccupations des membres de la fonction publique, qu'il avait à cœur, le sort du Parti libéral fédéral, qui lui avait confié des postes clés comme ceux de whip en chef et de leader parlementaire aux Communes, ce sont là autant d'intérêts légitimes dont la coexistence est toujours délicate et parfois difficile. Jean-Robert Gauthier avait accepté le défi de concilier ces diverses responsabilités. Il avait accepté le défi d'un travail quotidien, ardu et complexe. En fin de compte, cet engagement de la part de parlementaires comme Jean-Robert Gauthier et comme nous tous est indispensable à l'unité canadienne.

Il s'est écoulé plus d'un quart de siècle depuis que Jean-Robert et moi avons coprésidé le Comité mixte sur les langues officielles, lui en tant que représentant de la Chambre, et moi en tant que représentant du Sénat. Au Sénat, nous avons travaillé ensemble au Comité sénatorial permanent des finances nationales, notamment sur les réformes importantes apportées à la Loi sur la fonction publique. Ces expériences m'ont laissé avec une profonde admiration à l'égard de l'homme, de son intégrité et de sa conception du service public.

[Traduction]

Il était vraiment un parlementaire et un Canadien exemplaire.

[Français]

L'honorable Maria Chaput: Honorables sénateurs, c'est un grand honneur pour moi de prendre la parole aujourd'hui afin de rendre hommage à l'un des grands parlementaires canadiens de notre histoire.

Le regretté sénateur Jean-Robert Gauthier fut un homme exceptionnel. Il représenta avec conviction les intérêts des francophones du Canada et, jusqu'à la fin de ses jours, lutta en faveur de l'égalité de nos deux langues officielles.

C'est l'honorable Jean-Robert Gauthier lui-même qui, en 1977, proclama ceci:

Le minimum à atteindre dans toutes les provinces serait le droit de vivre dans sa langue maternelle, le droit des parents

de faire instruire leurs enfants dans la langue maternelle de leur choix [...], le droit de communiquer avec le gouvernement et les instances publiques dans la langue officielle de son choix et le droit de se défendre en justice dans l'une ou l'autre des langues officielles.

Si, aujourd'hui, nous nous rapprochons quelque peu de ce «minimum à atteindre», c'est grâce à la ténacité de Jean-Robert Gauthier.

Que ce soit à titre de conseiller scolaire, député ou sénateur, il n'a jamais hésité à rappeler aux Canadiens et à leurs gouvernements successifs l'importance des communautés de langues officielles au sein de la fédération canadienne.

C'est Jean-Robert Gauthier qui a mené d'arrache-pied le combat pour obtenir des écoles françaises homogènes dans la région de la capitale nationale, et il remporta cette victoire haut-la-main.

C'est Jean-Robert Gauthier qui osa tenir tête à M. Trudeau, en 1982, en votant contre le rapatriement de la Constitution. Il voulait que les droits de la communauté franco-ontarienne soient enchâssés dans la Constitution et il refusa de lâcher prise. Il vota selon sa conscience.

En 2005, un projet de loi présenté par l'honorable sénateur fut adopté par le Parlement. Ces amendements à la Loi sur les langues officielles rendirent exécutoire l'engagement du gouvernement fédéral à l'égard des minorités de langues officielles. Ainsi, il «donna des dents» à la loi, ce qui, de ce fait, vint arc-bouter les protections linguistiques.

Les francophones du Canada reconnaissent les efforts de ce parlementaire canadien, son dévouement extraordinaire à la sphère publique et tous les bienfaits qu'il a apportés.

Je me permets de reprendre les paroles de l'ancien ministre ontarien Bernard Grandmaître, qui a dit:

Des gens de la trempe de Jean-Robert Gauthier, il n'y en a pas beaucoup. Il sert déjà d'exemple et il va continuer à servir d'exemple. J'espère que d'autres vont continuer à faire vivre son héritage et à tenir son flambeau.

À Monique Gauthier et à sa famille, je tiens à exprimer mes plus sincères condoléances et mes plus profonds remerciements de l'avoir partagé avec nous.

[Traduction]

L'honorable Hugh Segal: Honorables sénateurs, je crois que je ne m'avance pas trop en disant que je suis le seul sénateur qui, à plusieurs reprises, s'est présenté contre Jean-Robert Gauthier dans la circonscription d'Ottawa-Est ou d'Ottawa-Vanier. C'était une expérience formidable et très formatrice, car je savais pertinemment, élection après élection, que je n'avais aucun espoir de l'emporter, car sa popularité et le respect que lui témoignaient les électeurs étaient incommensurables.

[Français]

Et c'est comme cela dans toute la circonscription, parmi tous les électeurs, jeunes ou âgés, quel que soit leur champ d'action. Je possède dans mon bureau, ici au Sénat du Canada, un drapeau de la province de l'Ontario et un drapeau franco-ontarien. Ils représentent tous deux mon grand respect pour le travail qu'il a toujours fait; pas seulement pour protéger la liberté d'expression,

mais la liberté d'expression en français, partout au pays et spécialement dans la province de l'Ontario, fondée par des francophones et des anglophones.

Le travail qu'il a réalisé pour l'hôpital Montfort a prouvé sa grande capacité à rassembler les gens pour des causes importantes et essentielles.

C'est avec un profond respect que j'exprime mes condoléances, et ce de la part de tous les anglophones de la communauté qui ont travaillé avec lui pour des droits francophones et pour souligner l'immense travail qu'il a fait pour nous tous.

Son Honneur le Président: Je remercie les honorables sénateurs pour ces hommages.

[Traduction]

La Pologne

L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition): Honorables sénateurs, tôt samedi matin, les Polonais ont vécu une tragédie inimaginable lorsque leur président, Lech Kaczynski, sa femme, Maria, de nombreux hauts responsables du gouvernement et hauts gradés des forces armées de la Pologne ont péri dans un écrasement d'avion.

Comme le monde entier le sait maintenant, ces dignitaires se rendaient à Katyn afin de souligner le 70e anniversaire du terrible massacre, survenu en 1940, de près de 22000 officiers, médecins, professeurs, législateurs, agents de police et fonctionnaires perpétré par la police secrète soviétique sur l'ordre de Staline.

L'avion s'est écrasé alors qu'il s'apprêtait à atterrir à l'aéroport de Smolensk, près du site où ces personnes ont été exécutées. Parmi les 96 personnes qui ont péri samedi se trouvaient des proches âgés de certaines des personnes qui ont été assassinées dans la forêt de Katyn.

On ne saurait trop insister sur l'ampleur de cette tragédie. Il n'y a tout simplement pas de mots pour décrire la perte subie et l'ironie de cet accident qui a emporté la vie d'un si grand nombre de dirigeants politiques, militaires, religieux et nommément, en route pour commémorer un massacre ayant décimé une génération précédente de l'élite polonaise.

Quoi qu'il en soit, honorables sénateurs, cette cruelle tragédie peut influencer positivement l'avenir. Bien des gens ont craint qu'elle n'envenime les relations russo-polonaises, qui portent déjà le poids d'une histoire marquée par la méfiance et l'hostilité. Cependant, cette effusion d'émotion au lendemain de cette terrible tragédie marquera peut-être le début du réchauffement des relations entre ces deux pays.

(1430)

On rapporte que les condoléances publiques très sincères de la plupart des hauts fonctionnaires russes ont été fort appréciées par les Polonais, mais aussi par les ressortissants d'origine polonaise dans le monde entier, au Canada notamment.

Lundi, dans l'éditorial du plus important journal polonais, le Gazeta Wyborcza, on pouvait lire ceci:

Si nos deux pays ne peuvent se pardonner dans de telles circonstances, se pardonneront-ils jamais? Une «occasion» pareille ne se représentera jamais. Nous ne pouvons pas nous permettre de la laisser passer.

Honorables sénateurs, la Pologne, aujourd'hui, est en deuil. Les Canadiens d'origine polonaise sont en deuil. Nous partageons tous leur peine.

Nos prières et nos pensées les accompagnent et vont tout particulièrement aux membres de la famille et aux amis des victimes de cette tragédie.

Le Championnat mondial féminin des moins de 18 ans de 2010 de la Fédération internationale de hockey sur glace

Félicitations à l'équipe canadienne de hockey féminin

L'honorable Wilfred P. Moore: Honorables sénateurs, je prends aujourd'hui la parole pour saluer et féliciter l'équipe canadienne de hockey féminin, qui a gagné, chez les moins de 18 ans, la médaille d'or lors du Championnat mondial de la Fédération internationale de hockey sur glace, qui a eu lieu à Chicago la fin de semaine dernière. L'équipe canadienne l'a emporté 5 à 4 en prolongation contre les États-Unis. C'était la troisième fois d'affilée que le Canada et les États-Unis s'affrontaient en finale, les Américaines étant reparties avec l'or les deux premières fois.

Le Canada tirait de l'arrière 3 à 1 après la première période, et 4 à 3 après la deuxième. À seulement huit minutes de la fin de la troisième période, Jenna McParland a égalisé la marque. Trois minutes dix secondes après le début de la prolongation, la capitaine de l'équipe canadienne, Jessica Campbell, a fait dévier le tir de pointe de Brigitte Lacquette, permettant du même coup au Canada de remporter la partie et de mettre la main sur l'or.

Le but en prolongation de Mme Campbell, son septième en cinq matches, aura permis à cette dernière d'accumuler 15 points au total et de se voir décerner le titre de joueuse la plus utile du tournoi. Mme Lacquette, qui a accumulé 13 points, a terminé au deuxième rang. Son ratio plus-moins de plus 15 lui a d'ailleurs valu le titre de meilleure joueuse de défense.

La capitaine-adjointe Jillian Saulnier, d'Halifax, en Nouvelle- Écosse, a quant à elle terminé au quatrième rang, ayant réussi à marquer quatre buts et à accumuler 10 points en cinq parties.

Devant le filet, Équipe Canada pouvait compter sur la gardienne Carmen MacDonald, âgée de 17 ans et originaire de Pictou, également en Nouvelle-Écosse. Celle-ci a réussi à faire 37 arrêts tout au long du tournoi. Avec une moyenne de tirs bloqués de 0,947, Mme MacDonald a été la meilleure du tournoi, ayant accordé en moyenne 1,12 minuscule but en trois matches et demi.

Voici ce que l'entraîneure adjointe Lisa Jordan, qui est aussi entraîneure chef de l'équipe de hockey féminin de l'Université Saint Mary's, avait à dire à propos de Mme Macdonald:

En troisième période, elle a fait deux arrêts époustouflants alors que nous étions en infériorité numérique cinq contre trois. Elle a été hallucinante, et c'est ce qui nous a permis de revenir dans le match et de nous rendre en prolongation. C'est en bonne partie à elle que nous devons notre victoire.

Après la partie, Dan Church, l'entraîneur de l'équipe canadienne, a déclaré:

C'est historique pour nous. C'est notre première victoire dans ce groupe d'âge et nous avons travaillé très fort pour améliorer notre niveau de jeu. Comme c'est le cas de la plupart

des parties opposant le Canada et les États-Unis, la rivalité était vive et les deux équipes ont extrêmement bien joué.

C'est avec beaucoup de fierté que je félicite cette équipe de jeunes athlètes féminines talentueuses. Bravo! Vas-y Canada!

Le décès de Catherine Itzin

L'honorable Nancy Ruth: Honorables sénateurs, Catherine Itzin est décédée cette semaine, à l'âge de 65 ans. Mme Itzin a été une des premières grandes intellectuelles à combattre la sexualisation de la violence dans notre culture. Le journal The Guardian a déclaré qu'elle a influencé beaucoup de politiques britanniques sur la violence et la maltraitance.

Catherine Itzin était une universitaire féministe qui a été responsable de plus de 30 politiques du gouvernement britannique sur les effets de la violence en milieu familial et de la violence sexuelle sur la santé mentale des femmes. Elle a travaillé pour le ministère de la Santé de 1992 à 2008 et a joué un rôle clé dans l'élaboration des politiques de ce ministère sur la violence sexuelle, la maltraitance et l'exploitation.

Ces politiques ont été par la suite incluses dans des documents gouvernementaux comme le plan d'action contre la violence sexuelle et la maltraitance et le plan d'action du Royaume-Uni sur la traite des personnes. Les travaux du professeur Itzin ont été intégrés à différents documents d'orientation du ministère de la Santé, comme la stratégie britannique de prévention du suicide et le livre blanc sur la santé publique.

L'expertise et l'expérience du professeur Itzin sur la question des liens entre la violence sexuelle et la santé mentale étaient sans égales. De 2004 à 2008, elle a présidé six groupes d'experts du ministère de la Santé sur la violence en milieu familial, les abus sexuels contre les enfants, le viol et l'agression sexuelle, la prostitution, la pornographie et la traite des personnes ainsi que les délinquants sexuels adolescents et adultes. Elle n'était pas avare de conseils visant à éduquer les professionnels de la santé sur ce qu'elle appelait «le problème de santé caché».

Née à Iowa City, aux États-Unis, Catherine Itzin est déménagée en Grande-Bretagne à la fin des années 1960 pour terminer son doctorat. Après avoir mis sa carrière en veilleuse pendant une dizaine d'années pour élever ses deux enfants, elle a commencé en 1985 à travailler pour les autorités locales à divers titres dans des programmes de lutte contre la discrimination.

Elle a également occupé divers postes dans les Universités d'Essex, Bradford et Sunderland. De 1999 à 2004, elle a été codirectrice du centre international pour l'étude de la violence et de la maltraitance, à l'Université Sunderland. Par la suite, elle a occupé la chaire de la politique sur la santé mentale de l'Université Lincoln.

Catherine Itzin était une activiste et, en 1987, elle a lancé une campagne contre la pornographie et la censure.

En 1993, son livre, Pornography: Women, Violence and Civil Liberties, a été publié par Oxford University Press. Ce livre est une courageuse tentative pour défendre, de façon cohérente, la réglementation de la pornographie en se fondant sur des arguments empiriques, philosophiques et juridiques.

Dans son introduction, elle annonce ses couleurs en déclarant que les féministes devraient prendre la pornographie pour principale cible de leur activisme parce que:

[...] la pornographie joue un rôle important dans la violence sexuelle faite aux femmes, la discrimination sexuelle et l'inégalité entre les sexes.

Le professeur Itzin fait dans ce livre l'historique de la réglementation, aux termes de la loi contre l'obscénité, surtout en Grande-Bretagne, et fait valoir de façon convaincante que c'est la pornographie qu'il faut réglementer plutôt que l'obscénité.

Ardente féministe dès le début du mouvement, le professeur Itzin n'a jamais eu peur de défendre ses positions, même si ces dernières étaient impopulaires et controversées.

Dans ses temps libres, elle aimait faire de la randonnée dans les collines et passer du temps avec ses petits-enfants. Elle avait tout récemment commencé à rédiger ses mémoires.

Elle laisse dans le deuil son époux, ses enfants et sa mère, et tous ceux d'entre nous à qui son intellect et son leadership vont manquer.


[Français]

AFFAIRES COURANTES

La sécurité publique

Le Service canadien du renseignement de sécurité—Dépôt du rapport public annuel de 2008-2009

L'honorable Gerald J. Comeau (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport public annuel de 2008-2009 du Service canadien du renseignement de sécurité.

[Traduction]

L'étude des questions relatives au cadre actuel et en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada

Dépôt du deuxième rapport du Comité des pêches et des océans

L'honorable Bill Rompkey: Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le deuxième rapport du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans intitulé Le contrôle des eaux de l'Arctique canadien: Rôle de la garde côtière canadienne.

(Sur la motion du sénateur Rompkey, l'étude du rapport est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)

(1440)

Le Sénat

Avis de motion tendant à reconnaître la Journée nationale des anciens combattants de la guerre de Corée

L'honorable Yonah Martin: Honorables sénateurs, je donne avis que, à la prochaine séance, je proposerai:

Que le Sénat reconnaisse et appuie, chaque année, le 27juillet comme étant la Journée nationale des anciens combattants de la guerre de Corée.


PÉRIODE DES QUESTIONS

Les pêches et les océans

Les quotas de crabes des neiges

L'honorable Elizabeth Hubley: Honorables sénateurs, j'ai une question à poser au leader du gouvernement au Sénat. Hier, j'ai posé une question sur la décision de la ministre des Pêches et des Océans de réduire de 63p.100 les quotas de pêche au crabe des neiges. Madame le leader a répondu que cette décision était fondée sur les conseils des scientifiques. Est-ce que ce sont les mêmes conseils scientifiques des rapports de Pêches et Océans Canada qui soulignaient une rapide diminution de la biomasse de crabes des neiges dès 2005?

L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je vais devoir prendre note de la question du sénateur. Je ne connais pas les dates exactes des données scientifiques. J'imagine que la ministre a pris cette décision à la lumière des données scientifiques les plus récentes. De toute façon, je vais tâcher d'obtenir ces renseignements pour le sénateur Hubley.

Le sénateur Hubley: Honorables sénateurs, les rapports du ministère font état d'une diminution des stocks de crabe année après année. Nous sommes passés de 84 900 tonnes en 2004 à 48000tonnes l'an dernier et à seulement 26 100 tonnes cette année.

Madame le leader confirmerait-elle que les scientifiques du ministère ont remarqué ce déclin et recommandent une réduction des quotas depuis plusieurs années? Ces scientifiques réclament-ils une réduction des quotas depuis plusieurs années? Dans l'affirmative, pourquoi la ministre des Pêches et des Océans n'a-t-elle pas donné suite à ces appels à la conservation et n'a-t-elle pas agi de façon responsable et équilibrée afin de préserver les stocks et la rentabilité de cette pêche?

Le sénateur LeBreton: Honorable sénateurs, la ministre Shea est ministre des Pêches et des Océans depuis un an et demi. Je sais qu'elle respecte beaucoup les conseils qu'elle reçoit, notamment ceux qui reposent sur une information scientifique. Je vais devoir prendre note de la question du sénateur.

Honorables sénateurs, je répète que la ministre se soucie de ceux qui doivent subir les conséquences de cette réduction. Elle collaborera avec les collectivités, les provinces et les régions en cause pour trouver des solutions et les aider à traverser cette période difficile.

[Français]

Les ressources naturelles

L'acquisition par des étrangers des ressources naturelles non renouvelables

L'honorable Céline Hervieux-Payette: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Les ressources naturelles canadiennes non renouvelables telles que le pétrole des sables bitumineux constituent une ressource stratégique pour le Canada et, à ce titre, forment un élément essentiel de notre sécurité nationale.

L'acquisition d'un intérêt minoritaire par la société d'État chinoise Sinopec, pour 4,6 milliards de dollars, avec un droit de veto, doit nous alerter sur les menaces que peuvent poser les compagnies étrangères sur la sécurité nationale canadienne dans le domaine de l'énergie.

Il faut souligner que cette compagnie est contrôlée par l'État chinois, dont l'ouverture au libre marché, comme nous le savons, est à peu près inexistante.

Que compte faire le gouvernement pour protéger l'avantage net du Canada, conformément à l'article 20 de la Loi sur Investissement Canada, puisque nos ressources naturelles non renouvelables sont d'une nature stratégique pour notre pays?

[Traduction]

L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement): Je remercie madame le sénateur de sa question. Elle a été posée au premier ministre lorsqu'il se trouvait à Washington pour participer au sommet sur la sécurité nucléaire dont le président Obama était l'hôte.

Le premier ministre a dit que le gouvernement examinerait l'offre de Sinopec comme il examine tous les investissements étrangers. Le ministre n'approuve que les investissements dont il est établi qu'ils seront probablement à l'avantage de tous les Canadiens.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette: Comme on le sait déjà, le gouvernement en place n'était certainement pas membre du fan club de Petro-Canada, et on parle aujourd'hui d'une société d'État d'un autre pays. L'absence d'intervention de la part du gouvernement constitue une menace sérieuse aux intérêts stratégiques du Canada. Il est urgent de réviser la Loi sur Investissement Canada en vertu de notre capacité de préserver nos entreprises stratégiques, d'y conserver notre liberté de décision et de notre capacité de faire bénéficier les Canadiens et les Canadiennes des retombées en matière d'emploi.

Par conséquent, quand le gouvernement modifiera-t-il la Loi sur Investissement Canada pour assurer que des compagnies étrangères ne constituent pas une menace pour les intérêts économiques, sociaux et environnementaux du Canada?

[Traduction]

Le sénateur LeBreton: Honorables sénateurs, je crois avoir répondu à cette question dans ma première réponse. Le ministre n'approuve les demandes que lorsqu'il est établi que l'investissement sera probablement à l'avantage net de tout le Canada.

L'exportation de bitume

L'honorable Claudette Tardif (leader adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, le sénateur Hervieux-Payette a souligné que la Chine souhaitait importer du bitume brut extrait des sables bitumineux de l'Alberta. Ces importations iraient à l'encontre d'une promesse électorale que le premier ministre a faite en 2008: empêcher toute entreprise d'exporter du bitume brut. Il est vrai que le gouvernement a annoncé hier qu'il tenait à honorer son engagement.

Néanmoins, le Globe and Mail d'aujourd'hui nous apprend que Sinopec a un droit de veto à l'égard du choix crucial entre la valorisation d'une plus grande quantité de pétrole en Alberta et l'exportation de bitume brut pour transformation. En outre, Enbridge Inc., de Calgary, envisage de construire un pipe-line vers la côte ouest pour faciliter les exportations de bitume vers les pays du pourtour du Pacifique.

Vu ces deux éléments qui contredisent l'engagement à ne pas exporter de bitume brut, madame le leader peut-elle nous expliquer comment le gouvernement entend honorer sa promesse?

L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je ne vais ni commenter ni juger les observations publiées dans le Globe and Mail. Je suis tout à fait au courant de l'engagement concernant le bitume. Je vais prendre note de la question du sénateur afin de demander à mes collègues comment ils réagiraient aux propos publiés dans ce journal.

Comme le gouvernement l'a dit, notre promesse électorale tient toujours.

[Français]

L'infrastructure

Internet haute vitesse pour les régions éloignées

L'honorable Francis Fox: Ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat et a trait à l'accès à Internet haute vitesse dans les régions rurales, qui sont par définition mal desservies au pays.

On apprenait la semaine dernière, par la Fédération québécoise des municipalités, que les habitants des régions rurales du pays attendent toujours le financement crucial qui leur permettrait enfin de se brancher à Internet haute vitesse.

Après la création d'un fonds de 225 millions de dollars dans le budget de 2009, le premier ministre Harper avait lui-même réitéré la promesse fondée dans le budget lors de son passage en région, le 30 juillet 2009, en présence du ministre Christian Paradis, en affirmant ceci:

D'ici la fin de l'été, l'accès à Internet à large bande commencera à être offert dans des communautés éloignées des grands centres.

Le gouvernement promettait de débloquer les sommes nécessaires avant la fin de décembre 2009. Pourtant, ces services, tout comme les fonds nécessaires, se font toujours attendre.

Madame le ministre peut-elle nous indiquer quand les Canadiens en région rurale recevront ces fonds dont ils ont grandement besoin afin de profiter des mêmes avantages que leurs concitoyens en milieu urbain?

(1450)

[Traduction]

L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, notre gouvernement est extrêmement fier de son engagement et des progrès réalisés sur le plan de l'élargissement de l'accès aux services à large bande et à Internet partout au pays. En ce qui concerne les commentaires du sénateur au sujet du Québec, je n'ai pas les renseignements détaillés avec moi. Je prends note de la question du sénateur.

[Français]

Le sénateur Fox: Honorables sénateurs, faisant allusion à la promesse de M. Harper et au manque d'action du gouvernement, le président de la Fédération québécoise des municipalités, M. Bernard Généreux, reprochait vendredi dernier au gouvernement de négliger les régions rurales. M. Généreux affirmait ceci: «On est dans le néant total», avant de noter que 40 municipalités québécoises ne reçoivent aucun service Internet, alors que 250 autres sont mal desservies. Au total, 300000Québécois n'ont pas accès à des services Internet adéquats. La Fédération québécoise des municipalités estime que, sur les 225 millions de dollars attribués, 60 millions de dollars devraient revenir aux municipalités du Québec.

Madame le leader du gouvernement au Sénat peut-elle nous confirmer que les municipalités du Québec recevront bel et bien la part qui leur revient de ce budget de 225 millions de dollars?

[Traduction]

Le sénateur LeBreton: Comme l'honorable sénateur le sait, le gouvernement souscrit entièrement à ce fonds. Rien ne permet de croire qu'il ne sera pas réparti équitablement entre les régions rurales du pays. Je vais toutefois chercher à en obtenir la confirmation pour le sénateur.

L'environnement

La réglementation des émissions

L'honorable Grant Mitchell: Honorables sénateurs, les membres du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles ont eu le plaisir ce matin d'entendre le témoignage de Jim Prentice, le ministre de l'Environnement. Tous les membres ont apprécié son excellent témoignage.

Il a dit que, si les États-Unis instaurent un système de plafonnement et d'échanges, le Canada fera de même. Puis, il a fait une déclaration surprenante. Si les États-Unis n'instaurent pas un tel système, le Canada finira probablement par mettre en œuvre une politique en matière de changements climatiques par voie de réglementation.

Pourquoi ce gouvernement conservateur si intransigeant et axé sur le commerce souhaite-t-il abandonner le système de plafonnement et d'échanges, qui a au moins le mérite d'être soumis en grande partie aux mécanismes du marché, au profit de cette vieille méthode des tracasseries administratives? Cela

ne correspond pas à un gouvernement qui prétend être en faveur du commerce et vouloir l'encourager de façon efficace, efficiente et concurrentielle.

L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement): Je suis heureuse que le sénateur ait apprécié la comparution de mon collègue, Jim Prentice, devant le comité. C'est un excellent ministre qui connaît bien le dossier de l'environnement et qui jouit d'une grande crédibilité à cet égard.

Le sénateur sait que, étant donné l'intégration de notre économie et de l'économie américaine, ce serait désavantager considérablement nos entreprises que de ne pas envisager toutes ces questions, comme l'annonce de la semaine dernière à propos des émissions de gaz à effet de serre, comme des questions transfrontalières. Le ministre Prentice a tout simplement fait preuve de la franchise et de l'honnêteté propres à sa personne.

Le sénateur Mitchell: Mon collègue, le sénateur Day, appuie la candidature de M. Prentice à la direction du parti.

Une voix: Vous avez vos propres problèmes.

Le sénateur Mitchell: Le leader a raison de laisser entendre que le véritable enjeu est la compétitivité, c'est-à-dire la façon dont le prix du carbone est établi au Canada comparé aux États-Unis. Cependant, cela ne veut pas dire que le Canada ne peut établir le prix du carbone dans le cadre d'un programme de plafonnement et d'échanges qui ferait concurrence au programme réglementaire américain, beaucoup plus inefficace et lourd sur le plan bureaucratique, tout en se synchronisant avec celui-ci. Y a-t-il quelqu'un au gouvernement qui ait envisagé d'établir un système de plafonnement et d'échanges conçu au Canada qui nous donnerait un avantage concurrentiel par rapport au processus réglementaire plus lourd et inefficace qui sera peut-être mis en place aux États-Unis, plutôt que d'imiter ce dernier?

Le sénateur LeBreton: Honorables sénateurs, je vais résister à la tentation de parler des problèmes de leadership des libéraux et des volte-face de M. Ignatieff dans tous les dossiers, des soins de santé aux garderies; il est passionné, quel que soit le dossier. Cela rappelle Paul Martin, pour qui tous les dossiers étaient prioritaires. Pour M. Ignatieff, tous les dossiers sont passionnants.

Honorables sénateurs, nous avons un ministre de l'Environnement compétent et cultivé qui, non seulement est bon juriste, mais aussi qui connaît bien l'industrie en raison de son parcours. Je suis certaine qu'il y a peu de possibilités ou de solutions auxquelles le ministre Prentice et ses collaborateurs qualifiés au ministère de l'Environnement n'ont pas songé et qu'ils n'ont pas étudiées et prises en considération à mesure que notre réflexion se poursuit dans tous les domaines touchant à l'environnement et à l'énergie. Toutefois, je vais faire part de la suggestion du sénateur au ministre.

L'honorable Tommy Banks: J'adore quand ils chahutent avant même que la question soit posée.

Parlant de faire volte-face, madame le leader se souvient-elle de l'expression «solutions purement canadiennes»?

Des voix: Oh, oh!

Le sénateur Mockler: Ce n'est pas une question.

[Français]

L'infrastructure

Internet haute vitesse pour les régions éloignées

L'honorable Maria Chaput: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat et concerne l'accès Internet à large bande. Au Manitoba, les municipalités rurales n'ont toujours pas accès à Internet à large bande. Plusieurs municipalités se sont regroupées, il y a au moins trois ans, et ont soumis au gouvernement fédéral une demande de financement, avec un plan stratégique et un plan d'action, pour obtenir les fonds qui leur permettraient accès à Internet à large bande.

Madame le leader du gouvernement pourrait-elle s'informer afin de savoir où en est la demande des municipalités du Manitoba?

[Traduction]

L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je me ferai un plaisir de m'enquérir de la situation. Comme je l'ai mentionné, une somme importante est consacrée au Programme d'accès communautaire pour qu'Internet soit accessible partout au pays. Il y a quelque temps, j'ai vu des tableaux intéressants montrant qu'il y a un grand nombre d'utilisateurs de services large bande partout au pays dans les régions rurales. Je n'ai pas compris si le sénateur posait la question au nom d'un groupe ou d'un organisme communautaire en particulier, mais je serai heureuse de me renseigner à ce sujet.

[Français]

Le sénateur Chaput: Plusieurs municipalités du Manitoba s'étaient regroupées pour déposer une demande de fonds.

Réponse différée à une question orale

L'honorable Gerald J. Comeau (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer la réponse à la question posée par l'honorable sénateur Tardif, le 16 mars 2010, concernant la citoyenneté et l'immigration, le règlement sur le statut de réfugié.

La citoyenneté et l'immigration

Le règlement sur le statut de réfugié

(Réponse à la question posée le 16 mars 2010 par l'honorable Claudette Tardif)

Le gouvernement du Canada reconnaît que de nombreuses personnes touchées par la levée, le 23 juillet 2009, de la suspension temporaire des renvois (STR) vers le Rwanda, le Libéria et le Burundi ont noué des liens importants au Canada. Ainsi, nous avons pris des mesures particulières à l'égard de ces personnes.

Nous avons accordé six mois à partir du 23 juillet 2009 (donc jusqu'au 23 janvier 2010 inclusivement) aux personnes frappées d'une mesure de renvoi, à cause du refus de leur demande d'asile ou de toute autre situation, et touchées par la levée de la suspension pour présenter une demande fondée sur des circonstances d'ordre humanitaire. Les personnes qui ont

présenté une telle demande pendant ces six mois ne seront pas renvoyées du Canada tant que leur demande n'aura pas été réglée. Et bien que l'échéance du 23 janvier soit derrière nous, celles qui n'ont pas profité de cette occasion peuvent tout de même demander la résidence permanente pour des circonstances d'ordre humanitaire, la seule différence étant que leur renvoi ne sera pas reporté puisque la période de six mois est terminée.

Les ressortissants du Rwanda, du Libéria et du Burundi dont le dossier est en instance devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, s'ils font l'objet d'une décision défavorable, disposeront de six mois à partir de la date de cette décision pour présenter une demande fondée sur des circonstances d'ordre humanitaire et profiter d'un report de leur renvoi jusqu'au règlement de celle-ci. Ces personnes ont aussi le droit de demander un examen des risques avant renvoi.

Citoyenneté et Immigration Canada est soucieux de rehausser et de préserver la vitalité des communautés francophones en situation minoritaire du Canada, et travaille avec des partenaires fédéraux, provinciaux, territoriaux et communautaires pour encourager les immigrants d'expression française à s'installer dans ces communautés et à s'y intégrer. Ce faisant, il doit toutefois tenir compte de la nécessité de préserver l'intégrité du programme d'immigration dans son ensemble, qui offre des recours aux personnes se trouvant dans des situations exceptionnelles, y compris à celles touchées par la levée de la STR.


ORDRE DU JOUR

Les travaux du Sénat

Adoption de la motion tendant à changer l'heure du début des séances du mercredi et du jeudi et à modifier l'heure de l'ajournement du mercredi

L'honorable Gerald J. Comeau (leader adjoint du gouvernement), conformément à l'avis donné le 14 avril 2010, propose:

Que, pour le reste de la présente session,

a) lorsque le Sénat siège un mercredi ou un jeudi, il siège à 13 h 30 nonobstant ce que prévoit l'article 5(1)a) du Règlement;

b) lorsque le Sénat siège un mercredi, il s'ajourne à 16heures à moins qu'il ait suspendu ses travaux pour la tenue d'un vote différé ou qu'il se soit ajourné plus tôt;

c) si un vote est différé jusqu'à 17 h 30 un mercredi, le Président interrompe les délibérations immédiatement avant l'ajournement, au plus tard à 16 heures, et suspende la séance jusqu'à 17 h 30, heure de la tenue du vote différé, et que les comités soient autorisés à se réunir durant la suspension de la séance.

(La motion est adoptée.)

(1500)

Projet de loi sur la parité de genre dans les conseils d'administration

Deuxième lecture—Ajournement du débat

L'honorable Céline Hervieux-Payette propose que le projet de loi S-206, Loi visant à assurer la parité de genre dans le conseil d'administration de certaines personnes morales, institutions financières et sociétés d'État mères, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, c'est avec une immense fierté que je prends la parole en cette Chambre pour la deuxième lecture d'un projet de loi qui me tient profondément à cœur. Il me fait également plaisir de le déposer à nouveau à l'occasion de cette nouvelle législature.

Le projet de loi S-206 vise à assurer la parité des femmes au conseil d'administration de toute entreprise cotée en Bourse, des institutions financières et des sociétés d'État du gouvernement fédéral.

Puisque les femmes participent activement au milieu des affaires à titre de propriétaires d'entreprise, d'actionnaires, de dirigeantes, de gestionnaires et d'employées et qu'elles jouent un rôle tout aussi important sur le marché en tant que consommatrices, elles devraient être à parité de représentation dans la gestion des affaires de nos entreprises canadiennes.

Un très grand nombre de femmes au Canada possèdent les compétences et l'expérience nécessaires pour siéger au conseil d'administration des sociétés désignées. Or, la situation des femmes dans la haute direction des sociétés est très loin de refléter l'importance économique des femmes.

Une étude toute récente publiée par la firme Catalyst le mois dernier, portant sur les données de 2009 recueillies auprès des 500 plus grandes entreprises canadiennes et compilées par le Financial Post, est catégorique. Permettez-moi de citer les conclusions de cette étude intitulée: 2009 Catalyst Census: Financial Post 500 Women Board Directors.

[Traduction]

En 2009, les femmes occupaient 14p.100 des sièges des conseils d'administration des 500 plus grandes entreprises canadiennes recensées par le Financial Post, ce qui représente une augmentation de 1p.100 par rapport à 2007. Tant en 2007 qu'en 2009, plus de 40p.100 des conseils d'administration des entreprises ne comptaient aucune femme.

Tant en 2007 qu'en 2009, les conseils d'administration de moins d'une entreprise sur cinq comptaient au moins trois femmes. Près de la moitié des sociétés publiques (cotées en bourse) n'avaient aucune femme au sein de leurs conseils d'administration.

Une précédente étude de la firme Catalyst indiquait qu'en 2001 les femmes occupaient 10p.100 des sièges des conseils d'administration des 500 plus grandes entreprises canadiennes recensées dans le FP500.

[Français]

Comme nous pouvons le constater, les belles paroles et les bonnes intentions véhiculées par plusieurs afin de promouvoir l'égalité des femmes dans les conseils d'administration ne suffisent plus. La nécessité d'une intervention par le Parlement canadien s'impose plus que jamais devant la lenteur des progrès réalisés en matière de parité.

Une autre firme de consultants torontoise, Corporate Knights, en arrive à la conclusion suivante: «Au rythme actuel, en 2020, il n'y aura qu'une femme sur cinq parmi les membres des conseils d'administration.»

Le projet de loi S-206, que j'ai déposé, exige que les sociétés et institutions financières suivantes assurent la parité de représentation des femmes et des hommes au sein de leur conseil d'administration: toute société ayant fait appel au public au sens de la Loi canadienne sur les sociétés par action; toute banque mentionnée à l'annexe 1 de la Loi sur les banques; toute société d'assurances ou société de fiducie et de prêt ayant des valeurs mobilières en circulation; toute association coopérative de crédit. L'exigence de parité vise également les sociétés d'État mentionnées à l'annexe 3 de la Loi sur la gestion des finances publiques.

Ces entreprises disposent de trois ans au maximum pour se conformer à l'exigence de parité.

Je déposerai bientôt un autre projet de loi qui proposera notamment de limiter la participation de tout particulier à quatre conseils d'administration. Par conséquent, des places vont se libérer, et, grâce au projet de loi S-206, nous pourrons les confier à des femmes.

Aux honorables membres de cette Chambre qui verraient un dangereux précédent de la part du Parlement canadien pour la bonne gestion des sociétés, je rappellerai que le gouvernement du Québec a adopté, en 2006, une telle législation. Voici ce que disait le ministre des Finances du Québec de l'époque, M. Michel Audet, lorsqu'il a présenté cette réforme:

Un élément nouveau a été particulièrement salué, celui concernant la représentativité féminine accrue au sein des conseils d'administration: on a demandé aux sociétés d'État d'avoir, d'ici cinq ans, des conseils d'administration constitués, à parts égales, d'hommes et de femmes.

Avec cette mesure, nous reconnaissons que le Québec peut compter sur l'expertise de nombreuses femmes, très qualifiées, qui ont les compétences requises et qui font preuve d'engagement à l'égard de la société.

De plus, le premier ministre du Québec, M. Jean Charest, a poussé l'initiative plus loin en nommant, au sein de ses deux derniers Cabinets, un nombre égal de femmes et d'hommes au conseil des ministres. Voilà un bel exemple qui devrait être suivi par le gouvernement fédéral et par toutes les autres provinces.

De grandes nations industrialisées en Europe ont choisi également de passer à l'action en légiférant pour accroître la représentation des femmes dans les conseils d'administration de leurs sociétés cotées en Bourse.

La Norvège exige, depuis 2006, que 40p.100 de femmes siègent à titre de membres des conseils d'administration de ses entreprises à capital ouvert. L'Espagne a adopté une mesure identique. La France a décidé également d'agir au début de cette année. Le Sénat français étudie présentement une loi adoptée par l'Assemblée nationale visant à faire nommer un minimum de 40p.100 de femmes administratrices dans les conseils de sociétés cotées en Bourse. Le texte de loi propose un quota de 20p.100 aux termes d'un délai de trois ans à compter de l'adoption de la loi. Par contre, le quota minimum de 40p.100 devra être atteint six ans après la promulgation de la loi.

Le prestigieux quotidien The New York Times a consacré en janvier dernier un très long reportage sur les pays européens qui ont adopté des lois favorisant la parité. Le titre est le suivant: Getting Women Into Boardrooms, By Law. Voici ce que rapporte le quotidien new-yorkais:

[Traduction]

Selon une étude sur les plus grandes entreprises européennes publiée par l'institut McKinsey en 2007, les entreprises dont le comité de direction compte au moins trois femmes ont affiché un rendement supérieur au sein de leur secteur; elles ont obtenu un taux de rendement des capitaux propres moyen d'environ 10p.100 et un bénéfice d'exploitation près de deux fois plus élevé. L'étude n'a pas attribué ce rendement à une «masse critique» de femmes, mais elle a révélé que les entreprises ayant une grande proportion de femmes à des postes de très haut niveau tendaient à obtenir un rendement élevé au chapitre de la qualité de la gestion et de l'organisation.

[Français]

Honorables sénateurs, vous ne serez pas étonnés d'apprendre que la parité des femmes et des hommes dans les conseils d'administration permet aux entreprises d'être plus rentables. Plusieurs recherches le prouvent.

[Traduction]

La plus récente étude, intitulée Groundbreakers et réalisée par la société Ernst & Young est positive. En voici un extrait:

Des analyses économiques effectuées par la Banque mondiale, les Nations Unies, Goldman Sachs et d'autres organisations ont révélé une corrélation statistique importante entre l'égalité des sexes et l'indice de développement des pays. Les preuves sont incontestables: les femmes peuvent être de puissants catalyseurs de développement économique.

Plusieurs études réalisées par un large éventail d'organisations, dont Catalyst, l'Université Columbia, McKinsey, Goldman Sachs et le Conference Board du Canada, se sont penchées sur la relation qui existe entre le rendement financier des entreprises et la présence de femmes dans les postes de direction. La conclusion incontestée de cette étude est que plus il y a de femmes dans les échelons supérieurs, plus le rendement financier est élevé.

De nombreux facteurs expliquent ce résultat et, selon cette étude, en voici un: La diversité est une stratégie; la diversité est une des clés du succès. Le texte ajoute:

Une recherche universitaire a démontré qu'à compétences égales, les groupes hétérogènes ont tendance à avoir un meilleur rendement que les groupes homogènes.

[Français]

Nous avons besoin d'administratrices qui amènent de nouvelles façons de se pencher sur les problèmes de gestion et qui rejettent la pensée de groupes qui ont pu contribuer au fiasco financier auquel le monde a été confronté.

(1510)

Honorables sénateurs, plusieurs d'entre vous seront d'accord avec ces propos, mais, tous ne pensent pas ainsi. Un gestionnaire bien connu, Stephen Jarislowsky, a sans doute exprimé tout haut ce que certains croient encore et pensent tout bas quand il a dénoncé tout récemment la loi du Québec sur la parité.

Voici ce qu'il disait:

Parce qu'elles élèvent des enfants, c'est beaucoup plus difficile pour les femmes de devenir de bonnes administratrices. Elles n'ont pas vécu toute leur vie dans cette sorte de culture, elles viennent de l'extérieur. Il y a quelque chose qui manque, c'est cette compétence industrielle.

Dans ses propos, largement rapportés par les médias québécois, M. Jarislowsky a assuré cependant qu'il était en faveur de la parité pourvu que les membres des conseils d'administration fassent preuve de curiosité, de courage et de compétence. Sur ce point, je vous dirai que toutes les femmes seront d'accord avec lui.

Toutefois, le premier ministre Jean Charest a tenu lui aussi à répondre à ce gestionnaire et à défendre la loi québécoise, comme l'a rapporté le quotidien Le Devoir dans son édition du 28 mai 2009. Le premier ministre a fait valoir que la loi québécoise a justement forcé le gouvernement, rapporte l'article:

[...] à sortir des réseaux et des sentiers battus pour faire des nominations. Ainsi, on a pu découvrir des personnes qui autrefois, paraît-il, n'existaient pas, mais qui soudainement, nous étaient proposées.

Mais est-ce vraiment le seul critère de la compétence qui explique le nombre très peu élevé de femmes dans les conseils d'administration, se demande le réputé magazine The Economist, qui a consacré au début de 2010 un numéro complet sur l'ascension des femmes au cours des 40 dernières années? Je cite The Economist:

[Traduction]

Les femmes représentent moins de 13p.100 des membres des conseils d'administration en Amérique. Les postes de cadres supérieurs dans les conseils de gestion et les banques sont dominés par les hommes. En Amérique et en Grande- Bretagne, une travailleuse à temps plein typique gagne seulement 80p.100 du salaire d'un travailleur typique.

Il ne fait aucun doute que les préjugés sont partiellement à blâmer pour cette situation. Cependant, le principal motif de frustration des femmes est plus profond. En effet, ces dernières sont forcées de choisir entre la maternité et leur carrière.

Comme les sénateurs le savent, au Québec, nous n'avons pas à faire ce choix grâce à notre système de garderies. Je poursuis ma lecture de l'article.

Dans le monde des affaires américain, les femmes sans enfants gagnent presque autant que les hommes. Les femmes avec des partenaires gagnent moins d'argent, et les femmes à la tête d'une famille monoparentale en gagnent beaucoup moins. Le coût de la maternité est particulièrement élevé pour les femmes qui grimpent les échelons.

[Français]

Puisqu'il est encore question de compétence entre les sexes, voici les plus récentes données de Statistique Canada, publiées en

juillet2009, qui portent sur les diplômes décernés en 2007 par toutes les universités canadiennes. Vous constaterez que nous avons amplement de candidates qui pourront se qualifier.

En 2007, sur 241 600 étudiants qui ont reçu un diplôme universitaire, près de 61p.100, soit 146 700, ont été décernés à des femmes, ce qui s'inscrit dans la tendance à long terme des femmes, qui sont plus nombreuses à être diplômées que leurs homologues masculins. Depuis 1994, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à tous les niveaux d'études, sauf au doctorat.

Dans ce cas, l'agence fédérale précise qu'en 2007 les universités ont décerné 4 800 doctorats. De ceux-ci, 45p.100 ont été attribués à des femmes, ce qui constitue une hausse considérable par rapport à 36p.100 une décennie plus tôt.

Regardons maintenant les données sur les diplômes décernés selon les domaines d'études. En 2007, dans le secteur Commerce, gestion et administration publique, 22 926 titres universitaires ont été décernés à des hommes comparativement à 25 767, soit 53p.100, à des femmes. Dans le domaine des sciences physiques et de la vie et des technologies, les hommes ont obtenu 7 641 diplômes et les femmes, 11 085 titres, soit 59p.100.

Comme vous pouvez le constater, ces chiffres sont éloquents.

Avec ce nouveau projet de loi, j'amorce la réforme du système financier et de la gestion des entreprises que je vais poursuivre avec d'autres projets de loi. Quand on constate la crise morale que traverse le capitalisme, il est manifestement urgent de renouveler profondément la culture des conseils d'administration.

La parité des hommes et des femmes dans les conseils d'administration fait partie de ces changements absolument essentiels.

[Traduction]

Dans l'étude intitulée Groundbreakers, on indique ce qui suit:

Il n'existe peut-être pas de solution miracle à la crise financière actuelle, mais l'avancement d'un plus grand nombre de femmes à des postes de chef de file semble être une résolution à long terme infaillible, ce qui contribuera à déboucher sur de nouvelles perspectives.

J'aimerais conclure mon intervention en citant un éditorial récent du Globe and Mail, le journal préféré du leader du gouvernement au Sénat, sur la parité des sexes dans les conseils d'administration, qui a été publié en janvier dernier.

Les femmes ont fait beaucoup de progrès au cours des quatre dernières décennies, mais la dernière frontière à franchir, celle du pouvoir, est aussi importante que toutes les frontières précédentes. Les gens au pouvoir doivent prendre les mesures nécessaires pour changer les choses. Ils doivent considérer cette question comme un défi personnel.

[Français]

Honorables sénateurs, c'est dans cet esprit que je vous invite à relever ce défi et à adopter ce projet de loi. Le Parlement canadien a l'occasion de se placer en tête avec d'autres nations industrialisées et d'œuvrer en faveur d'un progrès économique et social dont notre pays a énormément besoin actuellement.

(Sur la motion du sénateur Comeau, le débat est ajourné.)

[Traduction]

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture— Ajournement du débat

L'honorable Tommy Banks propose que le projet de loi C-464, Loi modifiant le Code criminel (motifs justifiant la détention sous garde), soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, le projet de loi dont nous sommes saisis vise à modifier la loi en ce qui a trait à la libération sous caution. Leparrain de ce projet de loi est le député Scott Andrews de Terre- Neuve.

C'est malheureusement un événement précis mais non unique qui l'a incité à vouloir modifier les dispositions législatives concernant la libération sous caution. Cet événement déclencheur est la mort — en fait, le meurtre — de Zachary Turner. J'ose espérer que les sénateurs ont pris ou prendront le temps de regarder Dear Zachary, le film de Kurt Kuenne, dont j'ai envoyé une copie sur DVD à leurs bureaux respectifs. Le visionnement de ce film leur permettra de comprendre la raison d'être de ce projet de loi et en montrera la nécessité mieux que tout ce dont moi ou une autre personne pourrait en dire.

Le projet de loi vise à réduire substantiellement la possibilité — parce que, malheureusement, nous ne pouvons la faire disparaître — que se reproduise la terrible tragédie dont a été victime Zachary Andrew Turner, ou ce qui est arrivé à Shirley Turner ou aux grands- parents paternels de Zachary. Je résume brièvement l'histoire.

Shirley Turner était médecin à Terre-Neuve. Elle a eu une liaison amoureuse de deux ans aux États-Unis avec un confrère médecin appelé Andrew Bagby. En novembre 2001, Andrew Bagby a rompu. Cela se passait à Latrobe, en Pennsylvanie. Le 5 novembre, alors qu'il se trouvait dans un parc de l'État de la Pennsylvanie, le Dr Andrew Bagby a été atteint de cinq balles provenant d'une arme à feu et est décédé. Se voyant désignée comme principale suspecte de ce meurtre, Shirley Turner s'est enfuie chez elle à St. John's, à Terre- Neuve.

Par la suite, l'État de la Pennsylvanie a porté une accusation de meurtre contre Mme Turner. Cette dernière a alors été arrêtée et détenue à St. John's, en attendant d'être extradée pour faire face à l'accusation portée contre elle. Mme Turner a ensuite annoncé qu'elle attendait un enfant du Dr Bagby. On a alors accordé à Mme Turner une libération sous caution et Zachary Andrew Turner est né le 18 juillet 2002.

Les parents du Dr Andrew Bagby, Kate et David Bagby, ont quitté la Californie pour Terre-Neuve, où ils ont demandé la garde de leur petit-fils, dont la mère avait été accusée du meurtre de leur fils.

Le 14 novembre 2002, Derek Green, juge en chef de Terre-Neuve, a ordonné que Mme Turner soit mise en détention sous garde en attendant que le ministre de la Justice du Canada délivre une ordonnance d'extradition. À ce moment-là, les grands-parents Bagby avaient réussi à obtenir une ordonnance stipulant qu'advenant l'incarcération de Mme Turner, ils obtiendraient la garde entière de leur petit-fils.

(1520)

Le 10 janvier 2003, Gail Welsh, juge de la Cour d'appel, a libéré sous caution Mme Turner, en attendant le résultat de son appel interjeté à la suite de l'ordonnance d'incarcération délivrée par le juge Green. Mme Turner a ainsi pu recouvrer la garde de son fils Zachary.

Le processus d'extradition a traîné en longueur et, tôt le 18 août, Mme Turner s'est rendue à Conception Bay South avec son bébé, Zachary, où elle l'a assassiné avant de s'enlever la vie.

Honorables sénateurs, je crois que si tous les faits troublants concernant Mme Turner avaient été communiqués aux autorités pennsylvaniennes, aux personnes responsables de son incarcération, aux services de protection de l'enfance de Terre-Neuve et au personnel médical qui, de temps à autre, avait soigné Mme Turner, si tous ces faits avaient été connus et si la Couronne les avait communiqués clairement et fermement au tribunal terre-neuvien présidé par la juge Welsh dans le cadre d'un plaidoyer s'opposant fermement à la libération sous caution, Zachary Turner serait toujours vivant.

Cependant, malheureusement, rien de tout cela n'a été fait. Je ne pense pas que la Couronne connaissait tous les faits qui militaient contre la libération sous caution de Mme Turner, ni que la Couronne a présenté un exposé rigoureux pour s'opposer à sa libération sous caution.

Le Bureau du défenseur des enfants et de la jeunesse de Terre- Neuve-et-Labrador a chargé le Dr Peter Markesteyn de faire enquête. Le rapport a été publié en octobre 2006. Voici sa conclusion:

Si la Dre Turner n'avait pas été libérée sous caution le 12décembre 2001 ou le 10 janvier 2003, je n'aurais pas été engagé pour faire cette étude. Zachary serait toujours parmi nous.

Lorsque nous tentions de trouver un moyen de prévenir la répétition d'un tel malheur, nous nous sommes d'abord penchés sur la question de la mise en liberté sous caution dans les cas d'extradition. La mise en liberté en attendant une demande d'extradition ne relève pas du même article que la mise en liberté sous caution normale. Les critères sont différents. Dans ce cas, la demande de libération doit prouver, premièrement, que la demande n'est pas présentée à la légère, deuxièmement, que l'accusé se présentera au tribunal et, troisièmement, qu'il n'est pas nécessaire de détenir l'accusé dans l'intérêt du public.

Le juge Welsh a décidé que la futilité d'une demande n'était pas à retenir dans les dossiers d'extradition, ce qui ne laissait que les critères portant sur la comparution et l'intérêt public. Toutefois, la Cour suprême du Canada a déclaré que le critère de l'«intérêt public» était «d'une imprécision inadmissible», ce qui ne laissait alors que le critère de la comparution devant le tribunal. Quels qu'aient été les arguments présentés à la Couronne à cet égard, force est de croire qu'ils n'ont pas été jugés irréfutables.

Nous nous sommes ensuite penchés sur le concept de la détention automatique sans possibilité de libération conditionnelle pour toute personne accusée de meurtre, mais une telle mesure va à l'encontre de mon opposition farouche, et de celle de toute personne raisonnable, au retrait du pouvoir discrétionnaire du juge à cet égard. Une telle mesure irait également à l'encontre du principe de la présomption d'innocence qui est fondamental pour la libération sous caution, et c'est là l'objet du présent projet de loi.

La présomption d'innocence est à la base même de notre système pénal et de notre système de justice. Ce principe signifie que, sans bonne raison appuyant un refus, la libération sous caution sera presque automatiquement accordée à toute personne accusée d'un crime, aussi grave soit-il.

Ces bonnes raisons, celles qui permettraient de refuser la libération sous caution, sont définies très clairement au paragraphe 515(10) qui précise que la libération est presque automatiquement accordée, à moins que l'on puisse prouver que la détention de l'accusé est nécessaire, premièrement, pour garantir qu'il se présentera devant le tribunal, deuxièmement, pour la protection ou la sécurité du public, y compris de la victime et des témoins, en tenant compte de toutes les circonstances, y compris toute probabilité marquée que le prévenu, s'il est mis en liberté, commettra une infraction criminelle ou nuira à l'administration de la justice, et troisièmement, pour ne pas miner la confiance du public envers l'administration de la justice, et ainsi de suite.

C'est la deuxième de ces dispositions que ce projet de loi vise à modifier par l'ajout des mots «ou celle des personnes âgées de moins de dix-huit ans». Le second motif de refus de la mise en liberté sous caution serait alors expliqué ainsi à l'alinéa 515(10)b) du Code criminel:

Sa détention est nécessaire pour la protection ou la sécurité du public, notamment celle des victimes et des témoins de l'infraction ou celle des personnes âgées de moins de
dix-huit ans, eu égard aux circonstances [...]

Honorables sénateurs, ce sont précisément ces mots, «ou celle des personnes âgées de moins de dix-huit ans», qui, s'ils s'étaient trouvés dans la loi sur la mise en liberté sous caution, auraient pu inciter la juge, espérons-le, à prendre certains éléments en considération, ce qu'elle n'a pas fait.

Ce ne sont que quelques mots, et ils peuvent sembler anodins, mais ils peuvent suffire pour inciter les juges à accorder un peu plus d'attention aux enfants concernés par une audience de mise en liberté sous caution, «eu égard», comme le dit le Code criminel, «aux circonstances».

Honorables sénateurs, ce n'est pas simplement un appui unanime, incontesté, de tous les partis que ce projet de loi a reçu dans l'autre endroit, mais un appui délirant d'enthousiasme de tous les côtés. C'est un projet de loi absolument non partisan et, je crois, très utile et pratique qui ne nuit à personne. Plus vite ce projet de loi deviendra loi, plus vite les enfants qui se trouvent dans des situations dangereuses ou potentiellement dangereuses mettant en cause des personnes accusées d'actes criminels, recevront l'attention et, on l'espère sincèrement, la protection des tribunaux.

J'exhorte tous les sénateurs à regarder le film Dear Zachary, qu'ils ont en leur possession. Nous devrons ensuite étudier soigneusement ce projet de loi, le renvoyer rapidement au comité pour examen approfondi et nous empresser de l'adopter pour réduire autant que possible le risque que quiconque ait à subir le sort de Zachary, ou la détresse de ceux qui l'aimaient.

L'honorable Anne C. Cools: Honorables sénateurs, je remercie le sénateur Banks de son initiative. Cette affaire nous a tous touchés profondément. Je remercie le sénateur de tout le travail qu'il a fait dans ce dossier.

D'après ce que j'ai compris après avoir écouté le sénateur, le projet de loi propose une modification des dispositions actuelles du Code criminel concernant la libération sous caution.

Bien des choses ont mal tourné dans cette affaire, mais un fait était clair depuis le début: la personne en question, l'accusée, avait déjà fui un territoire pour se réfugier dans un lieu relevant d'une autre juridiction parce qu'elle ne voulait pas assumer ses responsabilités et faire face aux accusations.

J'ai toujours cru que le critère déterminant de la libération sous caution consiste à savoir si la personne se présentera à son procès. Dans ce cas, on savait déjà que la personne risquait de ne pas se présenter. Si le sénateur a plus d'information sur ce plan, pourrait-il nous en dire plus long? La question sera peut-être soulevée pendant le débat, mais il me semble qu'il était clair depuis le début qu'il fallait craindre que la personne ne se présente pas à son procès.

Le sénateur Banks: Au moment des événements malheureux, Shirley Turner avait été accusée de meurtre par l'État de la Pennsylvanie. Voici comment se sont déroulés les événements le5novembre de cette année-là. Le Dr Bagby a été tué par balle dans un parc de la Pennsylvanie. Je suppose que Mme Turner s'est dit qu'elle serait la principale suspecte. Toujours est-il qu'elle s'est enfuie — et j'emploie ce mot par exprès — à St. John's, sa ville natale, située à Terre-Neuve.

Quelques jours plus tard, l'État de la Pennsylvanie a inculpé Mme Turner pour meurtre. Elle a été arrêtée à St. John's et emprisonnée en attendant que le ministre fédéral de la Justice émette un ordre d'extradition, pour la forcer à faire face aux accusations portées contre elle en Pennsylvanie. Elle a appelé de cet ordre d'extradition et on lui a accordé une libération sous caution en attendant que l'appel soit entendu. Durant ce temps, elle a donné naissance à son fils et obtenu qu'on lui en remette la garde à sa libération. Ensuite, elle a tué son fils et s'est suicidée.

Je crois que le sénateur Cools faisait valoir que, avec du recul, on a l'impression que la situation était on ne peut plus claire. On pourrait croire que la Couronne, si elle avait décidé de s'opposer à la libération sous caution, — ce qu'elle aurait dû faire — aurait eu gain de cause si elle avait eu tous les renseignements pertinents. Trois critères permettent de refuser une libération sous caution. L'un d'eux est la probabilité de comparution, comme l'a dit notre collègue. Le troisième, c'est la possibilité qu'une libération sous caution discrédite l'administration de la justice. Le deuxième, c'est que la personne présente un danger pour elle-même ou pour autrui ou est susceptible de commettre un crime.

(1530)

Dans les deux premiers cas, je crois qu'un juge connaissant tous les faits pertinents aurait tout simplement refusé la libération. En examinant ce cas, j'ai constaté, tout comme Scott Andrews, député de Terre-Neuve-et-Labrador, que la Couronne connaissait certains des faits, mais n'a pas présenté une opposition ferme à la libération sous caution pour des raisons que j'ignore.

Cependant, des faits qui étaient connus auraient, s'ils avaient été mis ensemble, constitué un argument incontestable contre la libération sous caution, notamment le fait qu'au moment de la libération, il y avait huit ordonnances de non-communication contre

Mme Turner. Ces ordonnances avaient été demandées par d'autres personnes avec qui elle avait eu des relations tumultueuses. Des accusations de meurtre pesaient contre elle. Elle avait été placée sous observation médicale en raison de son état psychologique et le reste.

Si tout cela avait été connu et signalé au tribunal, je ne peux pas croire qu'un juge aurait accepté de la libérer sous caution en lui confiant la garde de son enfant.

Lorsque nous avons rédigé le projet de loi, nous avons vérifié s'il était possible de garder en prison toutes les personnes accusées de meurtre. Ce n'est pas possible. Cela va contre tous les principes. Nous avons vérifié s'il était possible de contraindre la Couronne à faire preuve de plus de zèle au moment de déterminer si elle devrait s'opposer avec détermination à une libération. Il n'y a aucun moyen de faire cela. Nous avons vérifié si nous pouvions agir sur le pouvoir discrétionnaire des juges en déclarant que lorsqu'il s'agit d'une accusation de meurtre, par exemple, il doit y avoir une enquête supplémentaire et que les résultats doivent en être présentés au juge, mais on ne peut pas toucher au pouvoir discrétionnaire des juges et les circonstances varient d'un cas à l'autre.

Nous avons examiné bien d'autres possibilités dont la plupart, comme le maintien en détention d'individus accusés de meurtre, ne résisteraient pas à une contestation devant un tribunal parce qu'elles nient la présomption d'innocence.

La mesure est modeste, mais en ajoutant ces mots, le juge examinera les dispositions sur la libération sous caution de l'article 515 du Code criminel et y trouvera les mots «des personnes âgées de moins de dix-huit ans», eu égard aux circonstances. Nous croyons que le juge posera alors la question à la Couronne ou la Couronne posera la question de son propre chef.

Il n'est pas possible de concevoir une loi ou de modifier le Code criminel de façon à exclure toutes les possibilités. Je crois toutefois, et je pense que M. Andrews sera d'accord avec moi, que cet ajout limitera grandement les chances qu'un tel événement ne se reproduise.

J'espère que j'ai répondu à la question du sénateur.

Le sénateur Cools: Oui, je me souviens d'avoir lu quelque chose sur ce cas à l'époque. Je remercie de nouveau le sénateur d'avoir soulevé cette question. Ce cas n'est pas aussi rare qu'on pourrait le penser. Le meurtre, quant à lui, est un événement rare et inhabituel, Dieu merci. C'est ce genre de situation qui n'est pas aussi rare qu'on pourrait le penser. J'ai hâte de pouvoir parler du discours du sénateur. Je le remercie pour l'énorme travail qu'il a effectué au nom de ce petit bébé.

Le sénateur Banks: Les remerciements doivent surtout s'adresser à M. Andrews.

(Sur la motion du sénateur Marshall, le débat est ajourné.)

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Recours au Règlement— Report de la décision de la présidence

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Martin, appuyée par l'honorable sénateur Lang, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-268, Loi modifiant le Code

criminel (peine minimale pour les infractions de traite de personnes âgées de moins de dix-huit ans).

L'honorable Anne C. Cools: J'invoque le Règlement au sujet du projet de loi C-268, Loi modifiant le Code criminel (peine minimale pour les infractions de traite de personnes âgées de moins de dix-huit ans).

Le projet de loi C-268 est irrecevable car il porte atteinte aux règles du Sénat, au droit établi du Parlement et à l'indépendance constitutionnelle des deux Chambres. Le Sénat est saisi de ce projet de loi sur la base de l'article 86.1 du Règlement de la Chambre des communes, qui ordonne la poursuite de l'étude du projet de loi C-268 après la prorogation, ce qui n'est pas permis en vertu des règles et de la procédure du Sénat. Je soutiens que l'article 86.1 de la Chambre des communes ne peut s'appliquer au Sénat du Canada et n'a aucun pouvoir ou effet sur les travaux du Sénat ou sur les affaires dont le Sénat est saisi ou a été saisi.

Le Sénat avait été saisi du projet de loi C-268 lorsque la Chambre des communes, sans la permission du Sénat, le lui a retiré. Je demande à notre président, le sénateur Kinsella, de déclarer le projet de loi C-268 irrecevable en raison du principe selon lequel Son Honneur ne saurait mettre aux voix une mesure irrecevable. Je lui demande de respecter les règles du Sénat, qui ne permettent pas que les projets de loi soient maintenus après une prorogation et qui ne permettent pas à la Chambre des communes de retirer un projet de loi des mains du Sénat ou de mettre fin à des délibérations du Sénat aux termes d'un ordre ou d'un article du Règlement.

Honorables sénateurs, aux termes de l'article 86.1 du Règlement, la Chambre des communes peut s'accaparer et contrôler des délibérations du Sénat. Ce pouvoir n'est pas fondé d'après le droit du Parlement, conféré au Canada à l'article 18 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867. Cet article confère au Sénat et à la Chambre des communes leurs pouvoirs, privilèges et immunités. En invoquant l'article 86.1 du Règlement, qui contredit l'article 18, la Chambre des communes s'est ingérée dans les affaires du Sénat et a, sans la permission du Sénat, retiré le projet de loi C-268 des mains du Sénat.

Cette action porte atteinte à l'indépendance du Sénat, car le projet de loi C-268 était entre les mains du Sénat et figurait au Feuilleton du Sénat, où il est mort lorsque le Parlement a été prorogé. La mort au Feuilleton et la prorogation sont des conditions qu'on ne modifie pas aisément. Toutefois, malgré la prorogation, le projet de loi C-268 a mystérieusement et d'une manière douteuse quitté le Sénat et a été renvoyé à la Chambre des communes, en vertu d'une procédure inconnue, nous ne savons quand ni à quel moment.

Le 3 mars 2010, en vertu de l'article 86.1 du Règlement, il a fait son apparition à la Chambre des communes, où il été réputé adopté à toutes les étapes, puis, a été renvoyé au Sénat, accompagné d'un message. Au cours de ce processus, avant d'invoquer l'article 86.1 du Règlement de la Chambre des communes, le Président de la Chambre n'a pas signalé ou mentionné que le projet de loi C-268 n'avait pas été renvoyé à la Chambre accompagné d'un message du Sénat.

Honorables sénateurs, la Chambre des communes croit, de toute évidence, que l'article 86.1 lui permet d'exercer une autorité sur le Sénat et les délibérations du Sénat et de retirer des projets de loi des mains du Sénat. La conclusion à laquelle on aboutit inéluctablement, c'est que la Chambre des communes, en vertu

de l'article 86.1 du Règlement, s'est arrogée un pouvoir sur les délibérations du Sénat et s'est arrogée le pouvoir de retirer des projets de loi des mains du Sénat. Le pouvoir que la Chambre des communes s'est arrogée sur le Sénat semble illimité.

Honorables sénateurs, conformément à l'article 86.1 du Règlement, les affaires émanant des députés «sont maintenues d'une session à l'autre».

(1540)

Je ne remets absolument pas en question le pouvoir exclusif de la Chambre des communes à l'égard de ses travaux et des questions dont elle est saisie. Chacune des Chambres a le pouvoir exclusif de gérer ses affaires. Mon recours au Règlement porte uniquement sur la validité et l'applicabilité au Sénat de l'article 86.1 du Règlement de la Chambre des communes et sur la portée de l'application de ses dispositions aux travaux de la Chambre haute.

Honorables sénateurs, conformément au Règlement du Sénat et à cause de la règle royale de prorogation, le projet de loi C-268 est mort au Feuilleton à l'étape de la deuxième lecture au Sénat. Pourtant, la Chambre des communes invoque l'article 86.1 de son Règlement pour dire que comme le projet de loi C-268 était à l'étude au moment de la prorogation, il faut en poursuivre l'étude. Par conséquent, elle l'a retiré du Sénat pour que le président de la Chambre des communes en fasse l'annonce. J'estime que cette façon de faire équivaut à du vandalisme constitutionnel. Le même projet de loi est à la fois mort et vivant et alors que le Sénat en avait été saisi, la Chambre des communes le rapatrie sans que le Sénat intervienne. Le projet de loi est mort dans une Chambre, et vivant dans l'autre, mais les deux Chambres en ont été saisies.

Honorables sénateurs, cette situation n'est conforme ni à la loi constitutionnelle, ni aux bonnes pratiques parlementaires. C'est du vaudou, de la magie noire, ou tout simplement, de la bonne vieille idiotie constitutionnelle, pour ne pas dire de la folie constitutionnelle. La Chambre des communes s'est dotée d'un long bras robotique qui, lorsque son Règlement le permet, se rend au Sénat pour y retirer des projets de loi, à l'insu du Sénat et sans l'autorisation de celui-ci. D'aucuns diront que c'est acceptable, mais ça ne l'est pas. Cette façon de faire constitue un énorme abus de pouvoir, sans compter qu'elle est illégale et antiparlementaire.

Honorables sénateurs, je me penche maintenant sur trois règles parlementaires. Premièrement, les dispositions qui prévoient que chaque Chambre a l'autorité exclusive à l'égard de ses propres affaires et qui précisent la procédure par laquelle le Sénat est saisi des motions et des projets de loi; deuxièmement, les dispositions et le processus concernant le retrait des motions et des projets de loi et la procédure du Sénat pour retirer des motions et des projets de loi inscrits au Feuilleton, et, troisièmement, les dispositions concernant les messages qui permettent aux deux Chambres d'échanger et de communiquer entre elles au sujet des projets de loi.

Premièrement, il y a des dispositions concernant les questions à l'étude dans chacune des Chambres du Parlement. Dans la quatrième édition de son ouvrage intitulé Parliamentary Procedure and Practice in the Dominion of Canada, Bourinot dit ce qui suit au sujet des motions et des projets de loi dont la Chambre est saisie:

Une fois que le Président de la Chambre a donné le libellé d'une motion et l'a mise aux voix, la Chambre, qui en est alors saisie, se prononce ou la traite, conformément aux procédures en vigueur. Elle pourrait être adoptée ou rejetée, remplacée par un amendement ou retirée, avec le consentement unanime de la Chambre.

Honorables sénateurs, eu égard aux motions de deuxième lecture présentées par le sénateur Comeau et le sénateur Martin en octobre 2009, à la motion d'ajournement du sénateur Carstairs en décembre 2009 et à l'intervention du Président du Sénat, le sénateur Kinsella, visant à mettre ces questions aux voix, le Sénat a clairement et incontestablement été saisi du projet de loi C-268. Honorables sénateurs, une fois que le Sénat est saisi d'un projet de loi, seul un ordre du Sénat permet de renverser la vapeur ou de le lui retirer, mais certainement pas un article du Règlement ou un ordre de la Chambre des communes.

Deuxièmement, il y a la disposition concernant le retrait des motions et des projets de loi. Le processus de retrait d'un projet de loi ou d'une motion dont le Sénat est saisi est expliqué dans la Procédure et les usages de la Chambre des communes, de Marleau et Montpetit. Le mot clé est «saisi», honorables sénateurs. Il est écrit:

Une fois qu'un avis a été transféré au Feuilleton et que la motion a été proposée à la Chambre, on considère que la Chambre est saisie de l'affaire et la motion ne peut être retirée du Feuilleton que sur ordre de la Chambre, c'est-à-dire que le député qui l'a présentée doit demander son retrait et la Chambre y consentir à l'unanimité.

Il est évident que la seule façon convenable de retirer le projet de loi C-268 de l'ordre du jour du Sénat aurait été pour l'auteur ou le parrain de la loi — en l'occurrence, le sénateur Martin — d'en faire la demande et d'obtenir l'autorisation et un ordre du Sénat. L'article30 du Règlement du Sénat confirme qu'un sénateur qui a fait une motion peut, avec la permission du Sénat, la retirer.

Honorables sénateurs, j'en viens à la troisième règle, celle des messages, qui porte sur la communication cordiale et digne entre les deux Chambres; en effet, on a toujours estimé que celles-ci ne devraient pas se donner des ordres pour influencer le fonctionnement de l'autre. Dans la 18e édition de l'ouvrage d'Erskine May intitulé Traité des lois, privilèges, procédures et usages du Parlement, un message est décrit de la façon suivante:

Un message est le plus simple et le plus fréquent mode de communication; il en est fait emploi tous les jours, pour envoyer des projets de loi d'une Chambre à l'autre; pour requérir la comparution de témoins; pour échanger des rapports et autres documents; et pour communiquer toutes les questions d'un caractère ordinaire qui se présentent dans le cours des procédures parlementaires.

Honorables sénateurs, j'ignore à quel moment cela s'est produit, mais le projet de loi C-268 a été retiré du Sénat et de son ordre du jour et renvoyé à la Chambre des communes sans l'autorisation du Sénat et sans aucun message du Sénat. Les processus parlementaires établis n'ont pas été respectés. Le Sénat n'a jamais accepté qu'on le dépossède du projet de loi C-268 et n'a ordonné ni qu'il soit renvoyé à la Chambre des communes et qu'il tombe en sa possession, ni qu'un message soit envoyé à l'autre endroit concernant le transfert cordial de l'autorité à l'égard du projet de loi C-268 du Sénat à la Chambre des communes. Le Sénat et la Chambre des communes défendent jalousement leurs pouvoirs et doivent résister à tout empiètement de la part de l'autre. Chaque Chambre est maîtresse de ses propres travaux. Pourtant, il semble que la souveraineté du Sénat ait été subordonnée à l'article 86.1 du Règlement de la Chambre relativement à un projet de loi dont le Sénat avait été saisi.

Honorables sénateurs, la Chambre des communes s'est arrogé un pouvoir démesuré et illicite sur le Sénat et ses délibérations, lui permettant de lui retirer certains projets de loi. Elle prétend également définir les limites de ce pouvoir. Honorables sénateurs, s'étant emparé de ce pouvoir pour retirer des projets de loi au Sénat dans certaines conditions, la Chambre des communes pourrait bientôt se donner le pouvoir de retirer des projets de loi du Sénat dans d'autres conditions. Je pose la question suivante: jusqu'où va ce pouvoir et à quel point est-il légitime? La Loi sur l'Amérique du Nord britannique n'accorde pas un tel pouvoir sur le Sénat à la Chambre des communes, pas plus qu'il n'accorde un tel pouvoir au Sénat sur la Chambre des communes et d'ailleurs le Sénat ne prétend pas avoir un tel pouvoir sur la Chambre des communes. Les deux Chambres possèdent une compétence exclusive sur leurs propres délibérations et coexistent dans le respect de ce qu'on appelle la courtoisie constitutionnelle. Pour beaucoup de nouveaux sénateurs, il importe de prendre note de l'importance de ce terme. Ce qu'on appelle la courtoisie constitutionnelle est la déférence avec laquelle chaque Chambre traite l'autre, leurs compétences respectives et Sa Majesté, surtout en ce qui concerne ce qu'on appelle aujourd'hui le droit de prérogative. Il s'agit d'une courtoisie sans laquelle le Parlement tout entier ne pourrait fonctionner.

Honorables sénateurs, je demande à Son Honneur de déclarer le projet de loi C-268 irrecevable, parce que le Sénat en est saisi en vertu d'un pouvoir que la Chambre des communes exerce sur le Sénat, qui est illicite.

(1550)

Toute cette affaire est un peu étrange. Le phénomène qui
sous-tend le terme «réputé» est des plus intéressants. Je n'ai rien contre le fait que la Chambre des communes maîtrise tout ce qu'elle possède. Je ne me préoccupe pas de cela, ni du fait que la Chambre des communes soit au courant de ses propres affaires, et cetera. Ce qui me préoccupe, c'est la très grande portée de la Chambre des communes, qui exerce son emprise jusqu'au Sénat. C'est une grave question.

Pour tous ceux qui ne cherchent pas à comprendre comment les lois sont constituées ou comment les pouvoirs sont exercés, cela peut sembler peu important, futile et même un peu trop poussé, mais la richesse de la connaissance du Parlement et de ce solide système qui survit depuis bon nombre d'années se trouve dans la maîtrise des détails. La richesse de la connaissance se trouve toujours dans la maîtrise des détails.

L'une des raisons pour lesquelles j'ai lancé ce débat, dans le but de discuter de la pertinence de tout cela, c'est le fait que la Chambre des communes présume que tous les projets de loi d'initiative parlementaire sont réputés avoir survécu d'une session à l'autre. Tout d'abord, la Chambre ne précise pas comment elle récupère ces projets de loi, et c'est ce qui me préoccupe ici. Ces projets de loi sont tout simplement réputés adoptés à toutes les étapes.

J'aimerais partager avec mes collègues sénateurs la définition du mot «réputé». J'ai tous les dictionnaires juridiques dans mon bureau, mais j'ai consulté le Black's Law Dictionary. Voici la traduction de ce que donne le Black's Law Dictionary, septième édition, page 425, pour le terme «deem», qui équivaut au terme «réputé» en français:

Traiter (quelque chose) comme si cela (1) était vraiment autre chose ou (2) comme si la chose avait des qualités qu'elle n'a pas en réalité [...]

Puis, on retrouve ce magnifique énoncé dans la colonne suivante:

Le mot «réputé» est un mot utile quand il faut établir une fiction juridique, soit de manière positive en faisant comme si une chose était ce qu'elle n'est pas, soit de manière négative en faisant comme si une chose n'était pas ce qu'elle est [...]

Et, plus loin:

[...] toutes les autres utilisations du mot «réputé» devraient être évitées.

Un autre passage du Black's Law Dictionary dit ce qui suit:

Des expressions comme «réputé nécessaire» ou «rien dans la présente Loi n'est réputé...» sont inacceptables et constituent des déformations inutiles de la langue courante.

Le même dictionnaire poursuit ainsi:

Le mot «réputé» est utile, mais dangereux. Il crée une fiction, et on ne devrait recourir à une fiction que si on ne peut l'éviter.

Je voulais présenter cette définition aux sénateurs. Si je lisais de façon saccadée, c'est parce que j'allais de citation en citation et n'avais pas eu le temps de marquer une pause entre chacune d'entre elles.

Honorables sénateurs, un publiciste célèbre du XIXe siècle, Francis Lieber, a écrit un livre intitulé On Civil Liberty and Self- Government. M. Lieber a toujours appuyé et défendu la notion selon laquelle les libertés civiles d'un peuple se trouvent en réalité dans les règles et les procédures du droit du Parlement, que la véritable garantie des vraies libertés d'un peuple se trouve dans l'ensemble des dispositions qui forment ce que nous appelons le droit du Parlement et en vertu duquel nous créons des lois.

Ceux qui examinent ces questions ont toujours cru que si nous agissions conformément aux principes et aux processus du droit du Parlement, conjointement aux principes et aux concepts de la règle de la prérogative, nous n'adopterions jamais de mauvaises lois, car ces deux domaines du droit renferment tous les principes, maximes, concepts et règles qu'il nous suffit de connaître et que nous pouvons utiliser.

Honorables sénateurs, j'espère que mon intervention a été claire. Il est bien difficile de démêler ces questions et de les expliquer clairement, surtout quand si peu de sénateurs leur accordent de l'attention. Il est souvent facile d'ignorer certains enjeux et de ne pas être conscient de leur importance.

L'honorable Gerald J. Comeau (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, le Sénat n'était plus saisi du projet
de loi C-268 après la prorogation. Il n'existait plus au Sénat. Aucun autre projet de loi n'existait. Nous avons entamé une nouvelle session, et nous avons reçu un projet de loi de la Chambre des communes. Nous n'avons pas repris le projet de loi. Il n'existait plus. La Chambre des communes nous a renvoyé le projet de loi C-268 lors de la nouvelle session.

Les sénateurs pourraient se reporter aux Journaux du 4 mars, date à laquelle nous avons reçu un message de la Chambre des communes, qui sollicitait l'agrément du Sénat. Honorables sénateurs, le Sénat avait accepté de recevoir le message

de la Chambre, qui était accompagné du projet de loi C-268. Le Sénat a ordonné que le projet de loi soit inscrit au Feuilleton. La majorité des sénateurs ont affirmé qu'ils appuyaient le processus utilisé à la Chambre des communes.

Madame le sénateur Cools voudrait que nous nous prononcions sur ce que la Chambre des communes peut ou ne peut pas faire en ce qui concerne l'inscription d'un projet de loi, dans le cas présent le projet de loi C-268, dans son Feuilleton, et la façon dont elle le traite. Il ne revient pas à nous de juger de la façon dont la Chambre des communes a traité le projet de loi C-268. En fait, nous n'avons pas le pouvoir de nous prononcer sur ce genre de chose. Il n'est pas pertinent de déterminer si nous sommes d'accord avec le processus utilisé par la Chambre. C'est le processus que la Chambre a employé. Le 4 mars, elle nous a renvoyé un nouveau projet de loi parce que nous n'étions plus saisis du projet de loi. L'ancien projet de loi n'existait plus.

Honorables sénateurs, en résumé, il n'y a pas de manquement au Règlement. Il s'agit d'un nouveau projet de loi dont nous avons été saisis. Le Sénat en a discuté et l'a inscrit au Feuilleton. Nous nous sommes prononcés sur la question, et il est conforme aux règles d'examiner le projet de loi dans sa version actuelle.

L'honorable Sharon Carstairs: Honorables sénateurs, le sénateur Cools a encore une fois invoqué le Règlement à propos d'une question dont nous, les autres sénateurs, savons peu de choses.

Dans le cas présent, elle explore une piste intéressante. Elle parle de l'autorité exclusive à l'égard du projet de loi. Le projet de loi avait franchi toutes les étapes à la Chambre des communes et il avait été renvoyé au Sénat. Nous en étions saisis. La Chambre des communes a nettement le droit de rétablir ses propres projets de loi. C'est clairement en son pouvoir. Toutefois, selon l'argument soulevé par le sénateur Cools, elle n'était pas saisie du projet de loi. En fait, le projet de loi nous avait été renvoyé.

(1600)

Le sénateur Cools se demande si la Chambre des communes a le droit, selon son Règlement, de rétablir un projet de loi dont elle n'est plus saisie. Si le projet de loi était rendu à l'étape de la troisième lecture à la Chambre des communes, c'est clair qu'à ce moment-là la Chambre en est encore saisie et qu'elle peut le présenter de nouveau, mais ce n'était pas le cas. Le projet de loi avait été renvoyé au Sénat par la Chambre des communes.

La question est donc de savoir si la Chambre a le droit de présenter de nouveau une mesure législative qui n'est plus en sa possession. Si ce projet de loi avait été encore à la Chambre, la question ne se poserait pas. Ce serait tout à fait son droit de le faire. Toutefois, elle a présenté de nouveau une mesure dont le Sénat était saisi.

Selon le sénateur Comeau, le Sénat n'en était pas saisi non plus, puisque le projet de loi est mort au Feuilleton à la prorogation. On pourrait donc dire que ce projet de loi était dans les limbes. Il aurait été intéressant que la Chambre le présente sous un nouveau titre et un nouveau numéro, qu'elle fasse d'un seul coup la première, la deuxième et la troisième lecture, comme elle a le droit de le faire, puis qu'elle le renvoie au Sénat. Ainsi, le projet de loi aurait été d'abord à la Chambre, qui l'aurait adopté avant de le renvoyer au Sénat.

C'est un point intéressant. Honorables sénateurs, je ne sais pas si cet argument est valide, mais je crois qu'il vaut la peine qu'on l'étudie.

Pour remettre les choses dans leur contexte à l'intention des nouveaux sénateurs, je précise qu'un certain nombre de projets de loi du Sénat ont été adoptés et renvoyés à la Chambre des communes, à un moment où la Chambre ne siégeait pas. Ces projets de loi n'étaient plus en notre possession. C'est la Chambre des communes qui en était alors saisie, mais ils sont restés quelque part dans les limbes et n'ont pas été présentés de nouveau.

C'est une question d'initié. Je félicite le sénateur Cools, qui a tout mon respect. Je crois qu'elle est la seule au Sénat qui ait une connaissance approfondie des règles de procédure. Votre Honneur, je vous recommande de prendre en délibéré son recours au Règlement.

L'honorable Joan Fraser: Honorables sénateurs, comme le sénateur Carstairs l'a dit, le sénateur Cools a le don de soulever des recours au Règlement sur des points que personne d'autre n'a remarqués, car nous n'abordons pas les choses dans la même perspective. C'est que je n'ai pas son expérience des recueils de droit, parlementaire ou autre, et je ne sais rien de l'évolution des notions juridiques à travers les siècles.

Avant qu'elle ne prenne la parole aujourd'hui, je tenais pour acquis, comme la plupart d'entre nous sans doute, à peu près ce que le sénateur Comeau a avancé, c'est-à-dire qu'un projet de loi meurt lorsqu'il y a prorogation. Il est mort et enterré; il n'existe plus sous aucune forme que ce soit. Cependant, si la Chambre des communes décide d'adopter un projet de loi ayant la même forme que son prédécesseur et de nous le renvoyer, le projet de loi est recevable.

Toutefois, le fait que ce projet de loi porte le même numéro soulève une question très intéressante, à savoir s'il est toujours valide et, par conséquent, laquelle des deux Chambres en était saisie. Je suis impatiente de connaître la décision de Son Honneur à cet égard.

Aussi, cette question soulève un autre élément sous-jacent que, je l'espère, Son Honneur examinera également. Il s'agit de savoir si la Chambre qui est saisie d'un projet de loi conserve ses droits, en totalité ou en partie, à l'égard d'un projet de loi après la prorogation.

Je ne m'étais jamais arrêtée à cela avant, et je remercie le sénateur Cools de m'y faire réfléchir maintenant. Quoi qu'il en soit, cette question me semble d'une grande importance et la décision qui sera rendue à cet égard aura de l'importance pour nous tous, Votre Honneur.

L'honorable Tommy Banks: Honorables sénateurs, je n'aurais jamais cru que j'interviendrais dans un débat sur une question de procédure, mais celle-ci a retenu mon attention du fait que l'un de mes projets de loi a été visé par l'article 86.1 du Règlement de l'autre endroit, et que j'en ai un autre qui se retrouve dans la même situation.

Je crois également que le sénateur Cools a, comme toujours, soulevé une question pour le moins intéressante. Le sénateur Comeau a probablement raison de dire que, si erreur il y a, elle vient de l'autre endroit et non d'ici. Nous n'avons rien à nous reprocher. Or, comme je tiens à ce projet de loi, je ne voudrais pas que nous nous apercevions, après avoir adopté un projet loi, que quelque chose fait qu'il ne peut devenir loi.

Le statut accordé à un projet de loi lorsqu'il passe d'une Chambre à l'autre constitue l'un des éléments sur lesquels j'aimerais attirer l'attention de Son Honneur. Il s'agit d'une situation qui a attiré mon attention il y a quelques législatures de cela. Un projet de loi d'initiative parlementaire dont j'étais le parrain a été adopté par le Sénat, puis renvoyé à l'autre endroit. Or, il n'a plus été considéré comme un projet de loi d'initiative parlementaire à partir du moment où l'autre endroit en a été saisi. Il a été traité différemment et ne s'est pas retrouvé à la même place dans l'ordre des priorités que le sont habituellement les projets de loi d'initiative parlementaire. Il avait en fait le statut d'un projet de loi du Sénat.

Le projet de loi C-464, dont j'ai parlé avant que le sénateur Cools prenne la parole, n'en est plus un d'initiative parlementaire. La page couverture ne porte plus la mention «M. Andrews». Lorsque mon projet de loi a été renvoyé à l'autre endroit, il ne portait plus la mention «L'honorable sénateur Banks». Ce projet de loi émane de la Chambre des communes. Lorsque nos projets de loi sont renvoyés à cet endroit, ils deviennent des projets de loi émanant du Sénat, et non des projets de loi d'initiative parlementaire.

Par conséquent, l'article 86.1 du Règlement traite des projets de loi d'initiative parlementaire, mais lorsque le projet de loi C-268 est mort au Feuilleton, je ne crois pas que c'était un projet de loi d'initiative parlementaire.

Son Honneur le Président: Est-ce que d'autres sénateurs souhaiteraient participer à ce débat?

Le sénateur Cools: Je remercie les sénateurs de leurs remarques et de leurs commentaires. J'aimerais répondre tout particulièrement aux déclarations du sénateur Comeau. Celui-ci a dit que le projet de loi était mort au Feuilleton. C'est justement un des points que j'ai soulevés: le projet de loi est mort au Feuilleton ici, au Sénat.

Par exemple, imaginons que quelqu'un, quelque part, souhaitait ressusciter le projet de loi au moyen d'une cérémonie vaudou. Cette personne aurait quand même besoin du squelette du projet de loi pour arriver à ses fins. Lorsque Jésus ressuscitait des morts, il suivait généralement le corps. Cette résurrection dont vous parlez — car le projet de loi est mort au Feuilleton, ce qui, soit dit en passant, est ma position — ne répond pas à la question essentielle, qui est la suivante: comment la Chambre des communes a-t-elle fait pour recouvrer le projet de loi du Sénat? Là est la question. Comment peut-elle le recouvrer, par quel processus parlementaire?

Les propos du sénateur Comeau ne répondent pas à cette question. Qui plus est, le nouveau projet de loi C-268, dont nous sommes saisis aujourd'hui, n'est pas une nouvelle mesure législative. Selon l'article 86.1 du Règlement, ce n'est pas un nouveau projet de loi. Cet article dit que les projets de loi d'initiative parlementaire — et, sénateur Banks, il ne fait aucun doute qu'il existe des projets de loi de cette nature — sont maintenus d'une session à l'autre, et ce, malgré la prorogation. On peut présumer que les projets de loi sont maintenus d'une session à l'autre jusqu'à ce que la Chambre des communes ne compte plus un seul des députés qui, à l'origine, avaient voté sur ces mesures législatives.

(1610)

Je ne remets pas en question, comme le sénateur Carstairs le prétend, la capacité de la Chambre des communes de ressusciter des projets de loi, mais n'oubliez pas que les députés ne parlent plus de rétablir ou de ressusciter des projets de loi. Ils n'emploient plus ces termes. Ils parlent plutôt d'en poursuivre l'étude.

Tout ce que je dis, c'est que le Règlement de la Chambre des communes s'applique à ce qui est en sa possession, et non à ce qui se trouve au Sénat.

Chose curieuse, c'est la position adoptée dans les usages du Sénat. Par ailleurs, lorsque le Sénat essaie de ressusciter des projets de loi qui ont été adoptés au Sénat et sont restés en plan à un stade quelconque aux Communes, lorsqu'il prend des mesures pour renvoyer ces projets de loi aux Communes, il ne court-circuite pas le processus. Les sénateurs présentent le projet de loi à l'étape de la première lecture. Le projet de loi suit parfois un parcours plus rapide, mais il est adopté aux étapes de la première, de la deuxième et de la troisième lecture, et il reçoit un nouveau numéro.

Il nous faut comprendre que le Sénat lui-même n'admet pas ce que dit le sénateur Comeau et n'est pas d'accord avec lui. La position des règles du Sénat, c'est que le projet de loi est mort ici, et non aux Communes. C'est la Chambre des communes qui dit que le projet de loi n'est pas mort, malgré ce que nous disons de notre côté. Ce n'est pas aussi simple que certains seraient portés à le croire.

Je voulais établir une distinction entre propriété et possession par la Chambre. Cela n'est guère facile. Ce qu'on entend toujours, c'est que la Chambre est en possession de telle ou telle chose. Un projet de loi appartient conjointement aux deux Chambres du Parlement. Aucune d'elles n'en a la propriété exclusive. Toutefois, chacune d'elles appose sa marque distinctive, si on peut dire, puisque nous avons les projets de loi C et S, ceux des Communes et ceux du Sénat. Mais elles n'en ont pas la propriété, seulement une possession temporaire.

Les seuls projets de loi que la Chambre des communes ait jamais sérieusement, et presque avec succès, revendiqués comme les siens propres sont les projets de loi de crédits.

Puis-je vous confier un secret, honorables sénateurs? Nous ne voyons pas beaucoup de projets de loi de crédits rester en plan au Feuilleton au moment de la prorogation, car, à dire vrai, ils sont trop importants, et la plupart des gouvernements s'abstiendront d'ajourner les travaux, de proroger une session ou de dissoudre les Chambres s'ils n'ont pas pu faire adopter ces projets de loi, car ils comprennent la gravité des conséquences.

Par conséquent, si le sénateur Comeau a dit que le projet de loi était mort — ce qui me semble vrai, mais il est mort au Sénat —, il n'explique pas comment le même projet de loi, portant exactement le même numéro, est adopté aux Communes en une fraction de seconde et est renvoyé au Sénat.

La dernière chose dont je voudrais parler, ce sont les communications entre les deux Chambres. Je ne veux pas avoir à répéter. Ce que j'essaie de dire, c'est que, si la Chambre des communes avait voulu obtenir ce projet de loi, ou n'importe quel autre, du reste, parce qu'elle savait, comme tout le monde, que la prorogation allait venir, elle aurait dû nous faire parvenir un message nous demandant de retourner le projet de loi, ce que nous aurions fait, en l'accompagnant d'un message, et elle en aurait repris possession.

Autrement dit, les projets de loi et les motions ne volent pas d'une Chambre à l'autre; ils sont acheminés comme un objet concret. Ils passent par message d'une Chambre à l'autre. Jusqu'à maintenant, je n'ai pas vu de projets de loi voler. Je sais que les projets de loi sont acheminés. On dit que le projet de loi est renvoyé à la Chambre des communes ou au Sénat. Le fait qu'il n'y ait pas eu de messages prouve ce que j'avance.

Le vrai problème qui doit retenir notre attention, c'est que fort peu de sénateurs ont remarqué quelque chose. Cela doit nous préoccuper profondément, car je soulève cette question depuis quelques années déjà dans un comité sénatorial: comment la Chambre des communes récupère-t-elle des mesures qui se trouvent au Sénat?

Quoi qu'il en soit, honorables sénateurs, je vous remercie beaucoup de votre attention. Le véritable enseignement à tirer de tout ceci, c'est que les notions qui nous semblent simples, sans complication et évidentes sont en fait extrêmement complexes, et que nous ne devrions pas prendre tellement de ces notions à la légère.

Son Honneur le Président: Je tiens à remercier tous les sénateurs de leur participation à l'étude du rappel au Règlement que le sénateur Cools a soulevé. Vous m'avez un peu bousculé au cours de cet important échange, car parfois, les métaphores employées m'ont lancé dans une réflexion théologique sur la résurrection et la transformation. Puis, j'ai été attiré dans le domaine de la métaphysique: l'être ou le non-être du projet de loi.

Le sénateur Carstairs, qui a dit qu'il serait peut-être sage de prendre ce recours au Règlement en délibéré, vient toujours à ma rescousse. Je me rappelle l'épigraphe gravée dans les appartements du Président, une citation de Sénèque en latin — Nihil ordinatum est quod praecipitatur et properat —, qui signifie «La précipitation exclut la mesure.» Je vais donc prendre cette question en délibéré et rendre une décision en temps et lieu.

L'érosion de la liberté d'expression

Interpellation—Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Finley, attirant l'attention du Sénat sur l'érosion de la liberté d'expression dans notre pays.

L'honorable Nancy Ruth: Honorables sénateurs, le sénateur Finley a lancé une interpellation sur l'érosion de la liberté d'expression au Canada. Toute interpellation sur la liberté d'expression doit être approfondie, équilibrée et accessible à tous les Canadiens, et nourrie de l'ensemble de nos expériences, opinions, connaissances et propositions.

Je souscris aux propos des sénateurs Finley, Tkachuk, Wallin, Eaton et Duffy et des autres pour dire que la liberté d'expression remonte très loin au Canada et qu'elle est essentielle à notre façon de vivre. Toutefois, je m'oppose au retrait de l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, d'autant plus que les articles 318 et 319 du Code criminel ne prévoient pas de protection fondée sur le sexe ou l'appartenance aux autres catégories énumérées à l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Au Canada, la liberté d'expression n'a jamais été absolue et n'a jamais prévalu sur d'autres droits. Le Canada ne l'a jamais traitée comme une «liberté stratégique», pour citer Alan Borovoy, ni ne la fait respecter aux dépens de tous les autres droits et libertés. Privilégier la liberté d'expression constituerait un changement fondamental en droit et en pratique au Canada. Une interpellation ne peut réaffirmer ce qui n'a jamais été affirmé.

En effet, le Canada affirme une chose très différente dans la Charte canadienne des droits et libertés. Au paragraphe 2b), il est question de:

liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

Il y a d'autres droits, dont le droit à l'égalité aux articles 15 et 28, tout aussi fondamentaux pour notre façon de vivre. Nos différentes lois sur les droits de la personne couvrent également un éventail de droits.

La loi reconnaît la réalité de la vraie vie; nous vivons dans une société complexe et diversifiée, nous venons de différents endroits et nous nous croisons ou nous affrontons très sérieusement les uns les autres. Il est indéniable que nous vivons différemment ces interactions, en fonction de notre histoire de vie et de nos expériences.

Je conviens avec Catharine MacKinnon, la célèbre juriste américaine, que souvent les mots ne sont pas uniquement des mots. L'expression «Ce ne sont que des mots» favorise la personne qui parle. Or, les mots peuvent équivaloir à des gestes qui ont des conséquences concrètes sur la vie de la personne visée ou de leur destinataire.

Je partage l'avis de Mme Mackinnon lorsqu'elle dit que la pornographie, le harcèlement racial et sexuel et les discours haineux sont des gestes d'intimidation, de subordination, de discrimination, voire parfois de terrorisme. Une attaque verbale peut causer autant de dommage qu'une agression physique avec le poing ou avec une arme.

(1620)

C'est précisément parce que nous sommes différents, que nous ne sommes pas identiques, que le conférencier n'est pas moi, qu'il peut faire abstraction de l'effet de ses mots sur moi ou le banaliser. J'estime que cette tension était au cœur de ce qui est arrivé à Ann Coulter à l'Université d'Ottawa. J'avoue que nous ne gérons pas toujours ces tensions aussi bien que nous le pouvons ou le devons, mais nous les minimisons au péril de la nature même de notre pays.

N'est-il pas paradoxal que, dans un débat important sur la façon dont notre société concilie ses libertés et droits fondamentaux, le discours que nous tenons au Sénat est lui-même passionné, car nous disons à propos d'importantes entités publiques qu'elles sont des «censeurs» qui «se servent d'un plaignant et de certains groupes minoritaires favorisés»?

Je suis favorable à une enquête sur les meilleurs moyens de concilier des intérêts divergents, et non sur les moyens de favoriser certains intérêts. Une enquête qui nierait implicitement ou explicitement qu'il existe un désavantage historique et systémique et qu'il faut rechercher l'équilibre serait un mauvais service à rendre à notre population plurielle.

Je m'inquiète plus particulièrement du fait qu'on réclame la suppression de l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cet article interdit la transmission électronique répétée de messages qui risquent fort d'exposer une personne ou un groupe de personnes à la haine ou à un mépris fondé sur un motif de discrimination interdit. Aux termes de cette loi, les motifs interdits sont la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état civil, la situation familiale, le handicap ou une condamnation pour laquelle le pardon a été accordé.

Si l'article 13 disparaissait, les seules interdictions qui subsisteraient seraient les articles 318 et 319 du Code criminel du Canada. Sur le plan juridique, il y a un monde de différence entre les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne et celles du Code criminel. Voici l'une des différences les plus importantes: qui est protégé? Le Code criminel ne protège que certaines personnes, celles qui se distinguent par la race, la religion, l'origine ethnique et l'orientation sexuelle. La deuxième différence importante est la suivante: la norme de la preuve à l'égard de l'intention et des actes.

J'ai remarqué une décision judiciaire rendue récemment au Québec au sujet de Jean-Claude Rochefort. Sur son blogue, il a défendu les actes de Marc Lépine, qui a tué 14 femmes à l'École Polytechnique de Montréal. Comme la cour l'a fait remarquer, ses propos «invitent les hommes à tuer des femmes uniquement parce qu'elles sont des femmes». M. Rochefort qualifie son site de «site d'opinion». Le ministère public n'a pu porter contre M. Rochefort aucune accusation d'incitation à la haine contre les femmes, parce que les articles 318 et 319 du Code criminel n'assurent aucune protection contre la haine fondée sur le sexe.

Il est plus que paradoxal, car les conséquences peuvent être mortelles, que les femmes et les jeunes filles ne puissent bénéficier de ces protections parce qu'il est difficile de distinguer le traitement courant et les actes de haine. Voulons-nous faire abstraction des liens directs et solides qui existent entre le mépris et le manque de respect à l'égard des femmes, d'une part, et la violence contre elles, d'autre part? Dans l'affirmative, nous devons protéger les femmes et les jeunes filles contre les crimes de haine.

L'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne portant sur le discours haineux s'applique à beaucoup de Canadiens. Par contre, un grand nombre d'entre eux n'ont pas droit à la protection accordée par les articles 318 et 319 du Code criminel.

Une étude des meilleurs moyens de protéger les Canadiens contre la haine s'impose peut-être, mais je m'oppose aux propositions qui auraient pour effet immédiat d'exposer un plus grand nombre de Canadiens au risque des crimes de haine sans recours aucun. Il ne faut pas oublier que la plupart des groupes qui seraient lésés par la perte de l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne sont ceux qui sont sous-représentés au Sénat.

L'honorable Percy Mockler (Son Honneur le Président suppléant): Madame le sénateur accepterait-elle de répondre à une question?

Le sénateur Nancy Ruth: Oui.

L'honorable Serge Joyal: J'aimerais attirer l'attention de madame le sénateur sur le fait que, lorsque le Parlement du Canada a modifié l'article 318 du Code criminel, qu'elle a cité dans ses très intéressants commentaires cet après-midi, on a soulevé la possibilité d'inclure l'identité sexuelle dans les interdictions prévues par cet article. Cette proposition a reçu l'appui des deux côtés de la Chambre. Comme le sénateur l'a correctement affirmé, à l'heure actuelle, les crimes motivés par la haine fondée sur le sexe ne sont pas interdits dans le Code criminel.

Le sénateur Murray m'a rappelé que la question du sexe avait alors été soulevée. Nous nous étions rendu compte que cet élément avait été oublié. Je crois que même notre bonne amie, le sénateur Cools, l'avait souligné. Si nous avions apporté une modification au projet de loi d'initiative parlementaire que nous avons reçu de la Chambre des communes, il aurait fallu renvoyer le projet de loi à l'autre endroit. Compte tenu du calendrier, le projet de loi aurait pu disparaître.

Je me souviens toutefois très bien que la question de l'identité sexuelle avait été soulevée. Madame le sénateur serait-elle prête à présenter un projet de loi prévoyant un ajout au Code criminel pour que ses préoccupations à l'égard de cette importante question, qu'elle a soulevée de façon très éloquente cet après-midi, soient prises en compte?

Le sénateur Nancy Ruth: Je remercie le sénateur de sa question. Je ne sais trop. Je vais étudier la question. J'en ai parlé au ministre de la Justice au cours des deux ou trois dernières années et rien n'a encore été fait. J'en ai aussi parlé aux anciennes ministres chargées de la Condition féminine, et je m'adresserai également à la ministre actuelle.

L'honorable Anne C. Cools: Madame le sénateur accepterait-elle de répondre à une question?

Le sénateur Nancy Ruth: Oui.

Le sénateur Cools: L'article 318 du Code criminel mettait l'accent, à l'origine, sur le génocide. C'est pour cela que les expressions «discours haineux», «crime haineux» et «propagande haineuse» forment une sorte d'enchevêtrement obscur.

Madame le sénateur pourrait-elle en dire davantage sur le phénomène du génocide, comme le définit l'article 318? Madame le sénateur n'a peut-être pas une copie du Code criminel sous les yeux.

Le sénateur Nancy Ruth: Non, je n'en ai pas, et je ne sais pas si les connaissances que j'ai me permettent d'en dire davantage sur ce point.

J'aimerais toutefois formuler une dernière observation sur les propos du sénateur, qui a dit que le projet de loi serait rejeté par l'autre endroit s'il comportait des éléments concernant les femmes ou les sexes. C'est une réalité au sein de la société canadienne, bien que peut-être pas dans cet endroit ou à l'autre. Les parlementaires qui ont à cœur de protéger les femmes voient souvent leurs projets de loi rejetés. Ne l'oubliez pas. Quant à moi, je ne laisserai pas démolir la Loi sur les droits de la personne sans faire ma part pour la protéger.

Le sénateur Cools: Je peux peut-être fournir à madame le sénateur l'occasion d'en dire plus sur un autre sujet.

Le sénateur Nancy Ruth pourrait se pencher sur ce phénomène une autre fois. Le thème de l'article 318 est le génocide. Tous les jours, en manquant d'égards ou en tenant des propos méprisants ou blessants, on fait beaucoup de mal sans que cela prenne jamais l'ampleur d'un génocide.

L'honorable Lowell Murray: J'espère que je pourrai participer à ce débat ultérieurement, pas maintenant. J'aurais une question, ou plutôt une observation, à adresser au sénateur Nancy Ruth et, indirectement, au sénateur Cools. J'ai le Code criminel devant moi. J'ai dû courir le chercher au bureau pendant l'intervention du sénateur Nancy Ruth.

Il est vrai que les paragraphes 318(1), (2) et (3) traitent de ceux qui préconisent le génocide, mais l'article 319 est intitulé «Incitation publique à la haine», et il dit ceci:

Quiconque, par la communication de déclarations en un endroit public, incite à la haine contre un groupe identifiable, lorsqu'une telle incitation est susceptible d'entraîner une violation de la paix, est coupable [...]

(1630)

Ces dispositions visent donc beaucoup plus que le génocide. Comme le sénateur Nancy Ruth l'a signalé, les groupes identifiables sont les gens qui se différencient des autres par la couleur, la race, la religion, l'origine ethnique ou l'orientation sexuelle. Malheureusement, cela ne comprend pas le sexe.

(Sur la motion du sénateur Comeau, le débat est ajourné.)

[Français]

L'ajournement

Permission ayant été accordée de revenir aux avis de motion du gouvernement:

L'honorable Gerald J. Comeau (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat et nonobstant l'article 58(1)h) du Règlement, je propose:

Que, lorsque le Sénat s'ajournera aujourd'hui, il demeure ajourné jusqu'au mardi 20 avril 2010, à 14 heures.

Son Honneur le Président suppléant: Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

(Le Sénat s'ajourne au mardi 20 avril 2010, à 14 heures.)


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