Aller au contenu
Séances précédentes
Séances précédentes
Séances précédentes

Débats du Sénat (Hansard)

2e Session, 41e Législature,
Volume 149, Numéro 148

Le jeudi 4 juin 2015
L'honorable Leo Housakos, Président

LE SÉNAT

Le jeudi 4 juin 2015

La séance est ouverte à 13 h 30, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de la famille de notre ancien collègue, le regretté Alasdair Graham, notre cher Al. Nous accueillons sa fille, Eileen Barrett, qui est accompagnée de son époux, George, de leur fils, George et de leur fille, Maria Barrett, ainsi que de leur gendre, Anthony Casimiri.

Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!


DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Le décès de l'honorable Alasdair Graham, C.P.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j'ai reçu un avis du leader de l'opposition, qui demande, conformément à l'article 4-3(1) du Règlement, que la période consacrée aux déclarations de sénateurs soit prolongée aujourd'hui pour rendre hommage au regretté sénateur Alasdair Graham, qui est décédé le 22 avril dernier.

Je rappelle aux sénateurs que, conformément à notre Règlement, les interventions des sénateurs ne peuvent dépasser trois minutes et qu'aucun sénateur ne peut parler plus d'une fois.

Toutefois, il est entendu que nous pouvons continuer de rendre hommage à notre ancien collègue pendant la période des déclarations de sénateurs. Nous disposerons donc de 30 minutes pour lui rendre hommage. S'il reste du temps après les hommages, il sera utilisé pour d'autres déclarations.

Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole pour rendre hommage aujourd'hui à notre regretté collègue, l'ancien leader du gouvernement au Sénat et un très fier sénateur, Al Graham, qui est décédé le 22 avril.

Chers collègues, pour moi, Al était un ami de longue date. Nous avions en commun une grande passion pour notre province, la Nouvelle-Écosse, un profond engagement envers les valeurs libérales et le Parti libéral et, bien entendu, l'amour de la politique. Toutefois, nous n'avons jamais servi au Sénat ensemble. Vous comprendrez donc que mes remarques aujourd'hui seront de nature personnelle, que j'évoquerai comment nos vies se sont croisées plutôt que de parler de la carrière brillante et fructueuse d'Al au Sénat, sur laquelle d'autres parleront plus longuement.

Al incarnait l'idée de « joyeux combattant ». Il faisait preuve d'un grand dévouement et suscitait un enthousiasme contagieux pour toutes les choses et toutes les causes qui comptaient pour lui : ses racines cap-bretonnaises, le Parti libéral du Canada, le Sénat, L'Arche et, surtout, sa famille.

La politique était capitale dans la vie d'Al Graham. Il aimait du fond du cœur la politique parce qu'elle concerne les gens. Pour lui, la politique était un moyen d'aider les autres, surtout ceux qui, pour toutes sortes de raisons, n'ont pas été traités de façon équitable et n'ont pas eu les mêmes chances de réussir. La vie politique lui offrait le moyen des corriger ces injustices.

Il partageait ses valeurs avec les membres de sa famille. Son fils, Danny, a suivi ses traces en politique et il est devenu chef du Parti libéral de la Nouvelle-Écosse.

Nos liens et notre amitié remontent à loin. Nous nous sommes côtoyés pendant plusieurs décennies d'activités politiques souvent tumultueuses au sein du Parti libéral de la Nouvelle-Écosse et du Parti libéral du Canada. En fait, j'ai appris tout récemment qu'il avait proposé mon père au poste de chef du Parti libéral de la Nouvelle-Écosse en 1962, une expérience qui — comme la mienne 24 ans plus tard — n'a pas été couronnée de succès. C'est donc la preuve que ce n'est pas toujours bien de suivre les traces de son père.

Al était un ami à toute épreuve. Il était présent lors des périodes les plus difficiles et lorsque la popularité du parti était à son plus bas. On pouvait toujours compter sur lui pour remonter le moral des troupes et donner l'espoir en des jours meilleurs, même quand cette perspective était très peu probable. C'était un infatigable travailleur en campagne électorale; pour lui, aucun déplacement n'était trop long, aucune localité n'était trop petite et aucune campagne, aussi désespérée soit-elle, ne valait pas la peine d'être menée.

Il a été mon prédécesseur et celui du sénateur Moore à titre de président du Parti libéral de la Nouvelle-Écosse. J'ai eu l'honneur d'être nommé sénateur pour combler le siège qu'il a laissé vacant lors de sa retraite du Sénat.

Al Graham aimait beaucoup le Sénat, où il a siégé avec distinction de 1972 à 2004. En tant que sénateur, il était un membre actif de nombreux comités. Il a également occupé le poste de leader adjoint du gouvernement puis, de 1997 à 1999, celui de leader du gouvernement au Sénat; il a aussi été ministre régional de la Nouvelle-Écosse.

Les libéraux fédéraux dans notre province traversaient alors une période difficile. Une fois de plus, Al a répondu à l'appel sans hésitation, et il l'a refait avec une grâce extraordinaire en 1999.

Sa foi dans le pouvoir de la démocratie et des valeurs démocratiques ne se limitait pas au Canada. Tout au long de sa carrière, au Sénat et pendant sa retraite, Al a parcouru le monde afin de promouvoir les idéaux démocratiques et d'aider les démocraties fragiles à s'établir. Il a dirigé de nombreuses missions de surveillance du processus électoral partout dans le monde.

Après sa retraite du Sénat, Al est devenu le premier ambassadeur et parrain national de L'Arche Canada, un organisme créé par un autre grand Canadien, Jean Vanier, et voué à la création de communautés inclusives pour les adultes qui ont des besoins spéciaux. C'était, pour Al, une des activités les plus importantes de sa vie.

Toutefois, il ne fait aucun doute qu'une des réalisations dont Al était le plus fier, c'était sa famille. Comme l'ont souligné ses enfants, Al reconnaissait que le mérite revenait, en grande partie, à sa défunte épouse, Jean, qui s'était occupée d'élever 10 enfants. Al était fier, à juste titre, des réalisations de ses enfants et de leur famille, à qui il avait inculqué les valeurs du dur labeur et du service public.

Al Graham est décédé le 22 avril, à Halifax, entouré de ses proches, qui l'ont accompagné tout au long de cette épreuve, qu'il a affrontée avec courage, alors que son état de santé se dégradait.

Le 27 avril, la basilique St. Mary's, à Halifax, était remplie d'amis, de proches et d'admirateurs venus pour célébrer la vie de cet homme remarquable. Son fils, Danny, a prononcé un éloge touchant qui, à mon avis, a bien exprimé la nature profonde d'Al Graham à titre de père de famille et de fonctionnaire. Avec éloquence et beaucoup d'humour, Danny a rendu hommage à un homme qui a tant donné à sa famille, à sa province et à son pays.

Chers collègues, le Canada a perdu un fonctionnaire dévoué, la Nouvelle-Écosse, un véritable patriote, et la famille Graham, son patriarche. Je suis sûr que tous les sénateurs se joignent à moi pour offrir nos plus sincères condoléances aux membres de sa famille, dont certains sont des nôtres aujourd'hui dans la tribune des visiteurs.

L'honorable Marjory LeBreton : Honorables sénateurs, nous pleurons tous le décès récent de l'honorable Alasdair Graham. Je vais laisser le soin à d'autres de souligner ses réalisations, et elles étaient nombreuses, au Sénat, au pays et, comme le sénateur Cowan vient de le mentionner, dans le monde. Je vais simplement vous faire part de mes réflexions personnelles et d'une histoire vraie, unique et intéressante qui nous a fait bien rire au fil des ans.

Al Graham était un partisan enthousiaste et impénitent du Parti libéral. Vous comprenez donc pourquoi nous nous entendions si bien. J'étais son contraire conservatrice.

(1340)

Nous nous appelions « cousin » et « cousine », au grand étonnement de nos collègues respectifs. « Êtes-vous vraiment des cousins? », nous demandaient-ils? Pas vraiment, non, même si nous avions un certain lien de parenté. Voyez-vous, la fille du sénateur Graham, Eileen, qui est à la tribune aujourd'hui, est mariée avec mon cousin germain George Barrett, qui est aussi à la tribune. George et Eileen ont trois enfants : Maria ainsi que les jumeaux George et Anna. D'ailleurs, George, Maria et son mari sont eux aussi à la tribune. Mon cousin et Eileen ont donné à Al trois de ses nombreux petits-enfants. Il était tellement fier de ses enfants, de ses petits-enfants et de ses arrière-petits-enfants.

Nous disions souvent que mon cousin George était sans doute le seul Canadien à avoir des liens de parenté avec deux leaders du gouvernement au Sénat, un libéral, son beau-père, et une conservatrice, sa cousine germaine.

Voici maintenant la primeur promise. En août 1979, le très honorable John Diefenbaker s'est éteint. Après ses funérailles d'État, qui ont eu lieu ici, à Ottawa, on a fait monter la dépouille de M. Diefenbaker dans un train à bord duquel, accompagnée d'un vaste groupe de personnes de tous les horizons, elle a entrepris son ultime voyage vers son dernier repos, en Saskatchewan. Le train en question a fait de nombreux arrêts en chemin pour donner l'occasion à des milliers de Canadiens de rendre hommage à leur ancien premier ministre. Al Graham était à bord; il représentait le Parti libéral du Canada, dont il était le président à l'époque.

Comme plusieurs d'entre vous le savent, M. Diefenbaker comptait plusieurs personnages hauts en couleur dans son entourage : de nombreux et loyaux fidèles, mais aussi quelques opportunistes qui, à un moment ou un autre, avaient réussi à attirer son attention ou à susciter son affection. Au fur et à mesure que cette étrange troupe cheminait lentement vers l'Ouest, avec Al Graham et les représentants des médias, les anciennes rancunes ont refait surface, et les querelles d'autrefois n'ont pas tardé à reprendre de leur vigueur. Elles cessaient uniquement lorsque le train faisait escale pour mieux permettre aux Canadiens de se recueillir auprès de la dépouille de M. Diefenbaker.

Lorsque le train repartait, les batailles reprenaient de plus belle; les relations malmenées et les sentiments froissés étaient fréquents, en particulier dans le wagon-bar, tard en soirée. Cela a duré plusieurs jours et plusieurs nuits, et Al Graham faisait tout ce qu'il pouvait pour rester hors de la mêlée. Quand le train est enfin arrivé à Saskatoon, les gens sont débarqués silencieusement, les deux factions belligérantes tentant de s'éviter mutuellement. Une seule personne a survécu à cette crise et est restée en bons termes avec tous les gens à bord du train, et cette personne, vous l'aurez deviné, c'est Al Graham. Cette histoire est véridique et, au fil des ans, elle est entrée dans l'histoire politique. J'entends encore son rire lorsqu'il racontait les détails de cet étrange périple en 1979.

Je tiens à offrir mes plus sincères condoléances aux membres de la grande famille Graham, et en particulier à Eileen, George, Anna, Maria et George père, ainsi qu'à sa famille politique et à ses collègues. Ce fut pour moi un grand honneur et un plaisir de connaître Al Graham; je le considérais comme un ami et je sais que lui aussi me considérait comme une amie.

L'honorable Jim Munson : Honorables sénateurs, ceux d'entre nous qui ont eu la chance de côtoyer la famille Graham savent qu'on appelait le sénateur Graham « oncle Al » ou « Big Al ». J'ai connu Al au début des années 1970, lorsque j'étais un journaliste enthousiaste sur la Colline du Parlement, et grâce à des amis, à des relations familiales et à d'autres relations politiques du domaine maritime.

Il semblait toujours pressé. Je sais qu'on surnommait l'ancien sénateur Hugh Segal le « joyeux combattant », mais je crois que le même surnom s'applique à Al Graham. Il serait peut-être plus juste de le surnommer le « joyeux voyageur ». À titre de président du Parti libéral du Canada, il était prêt à tout moment à tout faire et à aller n'importe où pour son premier ministre, Pierre Elliott Trudeau.

Lorsque nous étions appelés à faire des reportages sur les activités du premier ministre, on dirait que nous voyions toujours Al Graham arriver le premier dans la moindre ville du pays, pour y rassembler les troupes et veiller à ce que, quelques jours plus tard, lorsque M. Trudeau arriverait, la salle soit pleine de partisans libéraux enthousiastes.

À cette époque, il y avait suffisamment de députés libéraux pour former une bonne équipe de hockey. Big Al en était le capitaine. Je dois dire qu'il était plus facile de jouer contre lui que contre ses fils. Sa famille est une légende du hockey.

Ses enfants l'aimaient et il les aimait. Son éternel sourire et son enthousiasme communicatif définissaient sa personnalité, mais Al Graham savait également faire preuve de sensibilité, travailler avec sérieux et manifester son engagement indéfectible. C'est aujourd'hui, le 4 juin, le 26e anniversaire du massacre de la place Tiananmen, et je suis sûr que, si Al Graham était encore parmi nous, il aurait pris la parole au Sénat pour parler des droits de la personne.

Le joyeux voyageur prenait très au sérieux la défense des libertés démocratiques et des droits de la personne. Il parcourait le monde pour prendre part à des missions d'observation électorales. L'une d'entre elles est particulièrement mémorable. En 1986, le sénateur Graham faisait partie des observateurs électoraux aux Philippines. La corruption du régime Marcos qu'il avait pu voir là-bas l'avait hérissé. À l'époque, le sénateur Graham avait affirmé que les observateurs électoraux avaient pu constater de nombreux cas d'irrégularités, de fraude, d'achat de votes et d'intimidation.

La communauté philippine du Canada n'a jamais oublié les paroles courageuses du sénateur Al Graham, et elle était, elle aussi, à son chevet lorsqu'il est décédé en avril, à Halifax. Voilà qui en dit long sur l'homme.

En fin de compte, je crois qu'on peut mesurer la valeur d'une personne non pas en regardant ce qu'elle affirme vouloir faire, mais bien ce qu'elle a accompli. C'est là que la volonté entre en ligne de compte.

Le sort des personnes handicapées, en particulier les adultes ayant des besoins spéciaux, fait également partie des causes qui me tiennent à cœur. Comme on l'a indiqué, le sénateur Graham a été le premier ambassadeur et parrain national de L'Arche Canada. Nous savons que le mouvement de L'Arche a été fondé par Jean Vanier, le fils de l'ancien gouverneur général Georges Vanier. Al était un véritable apôtre de l'altruisme. Le joyeux voyageur se consacrait avec ferveur à cette cause.

Lorsqu'il est décédé, L'Arche Canada a écrit ceci :

[...] nous nous souvenons d'Al aujourd'hui comme d'un serviteur de la cause publique dévoué, d'un grand homme d'État et d'un homme doué d'une grande sagesse et de beaucoup de compassion.

Comme l'a dit mon leader, le sénateur Cowan, beaucoup d'entre nous ont participé aux funérailles d'Al à la basilique-cathédrale St. Mary's à Halifax. Je n'avais jamais entendu une si belle interprétation de la chanson « Amazing Grace ». C'était la chanson idéale pour marquer le moment.

Ces mots, tirés de la nécrologie d'Al, décrivent parfaitement l'homme :

[...] Al possédait une sensibilité terre-à-terre propre au Cap-Breton et la capacité extraordinaire de communiquer avec les gens de toutes les couches de la société. Il voyait la beauté en chacun et traitait tout le monde avec dignité.

Pour moi, honorables sénateurs, Al Graham était un ami qui m'a enseigné, en montrant l'exemple, ce qu'un bon sénateur peut faire. Merci.

[Français]

L'honorable Dennis Dawson : Honorables sénateurs, je vais en profiter à mon tour pour rendre hommage au sénateur Al Graham. Un peu comme mon collègue, le sénateur Cowan, je suis arrivé au Sénat après que le sénateur Graham ait quitté cette Chambre, mais j'avais eu l'occasion de le croiser régulièrement auparavant.

[Traduction]

Nous nous sommes croisés pendant de nombreuses années au Parti libéral et c'est de cette époque que je parlerai aujourd'hui. Je sais que d'autres sénateurs souhaitent prendre la parole, alors je vais essayer d'être bref.

Entre 1976 et 1980, il a été président du Parti libéral du Canada. C'était une époque où les pressions politiques étaient énormes et le climat politique très tendu, en raison de l'arrivée au pouvoir, en 1976, du Parti Québécois. Il y a eu un référendum en 1980 et il était très important d'avoir une forte présence politique au Canada et, plus particulièrement, au Québec.

Durant cette période animée et houleuse, Al a fait preuve d'une détermination toute mesurée et a su positionner le Parti libéral afin qu'il soit prêt à faire une contribution solide et positive aux débats passionnés de l'époque. Il a évité de mettre inutilement de l'huile sur le feu d'un débat très émotif, car, en 1980, les gens s'affrontaient.

C'était à l'époque où les sénateurs libéraux pouvaient être actifs au sein du Parti libéral. Ils pouvaient non seulement être actifs, mais ils pouvaient également assurer la présidence du Parti libéral. J'ai eu l'occasion, et j'en parlerai brièvement, de voyager avec Al lorsqu'il était président de notre parti.

Le sénateur Gil Molgat a été président du parti. Marie Charette-Poulin en a été présidente et Dan Hays en a également été président. Je pourrais en nommer plusieurs autres. J'estime qu'ils ont fait du bon travail. Cela dit, je dois admettre qu'Anna Gainey recueille plus d'argent que la majorité d'entre eux l'ont fait. Anna Gainey organise plus d'activités et attire les membres en plus grand nombre. Sénateur Cowan, j'imagine qu'ils peuvent se débrouiller sans nous.

C'était le bon vieux temps. Lorsqu'Al Graham était président, il a travaillé activement à jumeler des circonscriptions. À l'époque, les libéraux du Québec détenaient 74 des 75 sièges, alors nous pensions que nous pouvions dire aux gens comment mener leur campagne. Nous avons été jumelés à des circonscriptions dans l'Ouest du pays. Nous avons effectué de nombreuses tournées.

(1350)

Une des anecdotes qu'il aimait raconter à mon sujet traduisait bien son sens de l'humour et sa grande maîtrise de la politique. Nous nous étions rendus dans un très petit village francophone de la Saskatchewan, Leoville, qui comptait une centaine d'habitants. Dans le centre de conférence — tout était dans le même édifice —, une affiche disait ceci : « Le caucus itinérant du Parti libéral présidé par le sénateur Al Graham va s'arrêter ici. Ce caucus compte également pour membre Cliff McIsaac, député de The Battlefords—Meadow Lake, et deux députés bien connus, Louis Hébert et Dennis Dawson. » Al adorait me taquiner à ce sujet : « Dennis, tu t'es fait voler la vedette sur l'affiche et, qui plus est, par un type qui est mort il y a 350 ans. »

Il aimait dire que les efforts de ce genre obligeaient les députés et les sénateurs à faire preuve d'un peu de modestie de temps à autre.

Al Graham était un parfait gentleman, qui a consacré ses talents et son énergie à améliorer la vie de ses concitoyens en militant au sein du Parti libéral du Canada.

Voici ce qu'Al Graham a déclaré à la suite du décès d'Allan MacEachen, un monument du Cap-Breton — et je crois que ces paroles s'appliquent aussi à lui : « [Allan MacEachen] a transmis l'âme du Cap-Breton au reste du Canada. Il a donné au reste du Canada ce que son coin de pays avait de mieux à offrir. Il mérite pleinement les hommages que nous lui rendons aujourd'hui. »

Je tiens à transmettre mes plus sincères condoléances aux membres de sa famille et à ses amis, ainsi qu'à remercier les Néo-Écossais de nous avoir permis de compter sur une personne aussi bienveillante et éminente dans notre vie. Merci beaucoup.

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, j'interviens aujourd'hui pour rendre hommage à l'un de nos anciens collègues et à un ami, l'honorable sénateur Al Graham, qui est décédé en avril dernier.

Longtemps avant qu'il devienne sénateur, l'engagement d'Al Graham à servir les Canadiens, et particulièrement le Parti libéral, était déjà exceptionnel.

En 1972, le premier ministre Trudeau l'a nommé au Sénat et, plus tard, il est devenu président du Parti libéral du Canada. C'est à cette époque que je suis arrivée au Canada, en tant que réfugiée, et c'est son leadership inspirant qui m'a fait croire que je pouvais, moi aussi, faire partie de ce beau pays qu'est le Canada.

Plus que tout, le sénateur Graham a travaillé sans relâche auprès de l'Internationale libérale. Il a parcouru le monde, souvent à ses frais, pour créer des liens avec des libéraux du monde entier. Il croyait sincèrement que l'inclusion et des liens étroits mèneraient le Canada et le monde vers un avenir plus prospère. Le fruit de son travail est visible, car le Parti libéral est plus diversifié que jamais.

Le sénateur Graham et moi avons souvent voyagé ensemble, lui à titre de sénateur et moi à titre de vice-présidente du Parti libéral du Canada. Nous sommes allés à Amsterdam, à Barcelone, à Oxford et à bien d'autres endroits.

Le sénateur Graham m'a bien souvent incitée à livrer mon message avec du miel, mais j'y ai échoué lamentablement. Je lui ai dit que j'étais Indienne et que j'aimais les mets épicés. Par conséquent, je ne pourrais jamais être comme lui. Il communiquait toujours son opinion avec un sourire.

Sénateur Al, encore aujourd'hui, quand j'attaque avec rudesse, je pense à vous par la suite. J'aimerais pouvoir me souvenir de vous avant de parler. J'essaie d'y arriver.

Je remercie la famille d'Al de l'avoir partagé avec nous. Le Parti libéral et le Canada sont plus forts, grâce au travail qu'il a réalisé en notre nom. Merci de votre sacrifice.

C'est le cœur lourd que nous disons au revoir à l'honorable Al Graham. L'héritage qu'il laisse au Sénat et au Parti libéral du Canada vivra à jamais.

L'honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, nous nous rappellerons son rire grave et chaleureux. Al aimait la vie, et il avait beau prendre son travail et ses nombreux projets sociaux très au sérieux, il avait un excellent sens de l'humour.

Comme on l'a mentionné, le sénateur Graham a exercé les fonctions de leader adjoint et de leader du gouvernement au Sénat. Lorsqu'Al est parti à la retraite, le sénateur John Lynch-Staunton, leader de l'opposition conservatrice à l'époque où Al était leader et leader adjoint du gouvernement, a dit de celui-ci qu'il faisait toujours des pieds et des mains pour se montrer conciliant à l'égard d'une opposition responsable. Le sénateur Lynch-Staunton a dit que, étant donné que le sénateur Graham était toujours en mesure de comprendre la position de l'opposition, le sénateur et lui pouvaient toujours trouver une solution. Je pense que nous convenons tous que c'était une excellente façon d'accomplir ce qu'il fallait accomplir au Sénat dans l'intérêt de tous les Canadiens.

Honorables sénateurs, je connaissais le sénateur Graham depuis longtemps. Comme la mienne, sa famille allait à l'église St. Joseph à Sydney, au Cap-Breton. Lorsque j'ai commencé à enseigner à l'école St. Joseph, chaque classe ou presque comptait un enfant de la famille Graham car, après tout, ils étaient 10 dans la famille. Lors de mon assermentation au Sénat en juin 2000, le sénateur Al était mon parrain.

Al Graham a grandi au Cap-Breton, dans les localités de Dominion et de Glace Bay. Pendant son enfance, on lui a inculqué un grand esprit communautaire et un amour de la famille.

Il faut avoir les pieds sur terre et n'avoir aucune prétention lorsqu'on grandit au Cap-Breton; c'était certainement le cas d'Al. Il pouvait établir des liens avec n'importe qui : premiers ministres, mineurs de charbon, métallos et entrepreneurs. Il traitait tout le monde avec dignité.

Il était toujours fascinant de voir Al dans un milieu politique ou social. Qu'il se trouve dans un salon ou dans une salle paroissiale, Al parlait toujours à tout le monde; c'est le genre de personne qu'il était.

Al Graham adorait Cap-Breton, et il parlait souvent fièrement de son patrimoine et de l'influence qu'il avait eue sur sa vie.

Le 6 février 2003, le sénateur Graham a pris la parole devant un groupe d'étudiants émérites du Collège universitaire du Cap-Breton, qui s'appelle maintenant l'Université du Cap-Breton. Il a dit ce qui suit :

Dans ma propre vie, lorsque je me remémore mon enfance à Dominion et à Glace Bay, je pense à la culture propre à l'industrie du charbon et aux codes non écrits sur l'entraide, la bravoure, la loyauté et la fraternité. Ces codes donnaient force et compassion aux collectivités qui vivaient toutes les difficultés et toutes les insécurités d'une industrie dangereuse. J'ai su très tôt que c'étaient ces codes non écrits qui faisaient de notre collectivité l'une des plus fortes en Amérique du Nord.

Il a ajouté ceci :

[...] des générations de mineurs et leur famille puisaient leur force de la puissance de la collectivité et des valeurs et de l'humanité des ressources humaines, à savoir une richesse plus importante que l'or.

Honorables sénateurs, je crois que nous pouvons tous convenir que cette expérience et ce patrimoine ont bien préparé Al Graham pour son parcours de vie.

Tout au long de sa vie, Al était déterminé à améliorer la vie de tous les Canadiens, en particulier ceux de son cher Cap-Breton. Il était un fier Cap-Bretonnais et un grand Canadien. Merci.

L'honorable Wilfred P. Moore : Honorables sénateurs, je veux également rendre hommage au regretté honorable B. Alasdair Graham, qui a été mon parrain lorsque j'ai été nommé au Sénat en 1996. Il est né en 1929 à l'Hôpital St. Joseph's à Glace Bay, au Cap-Breton. Son père, Jack, est décédé plusieurs mois avant sa naissance. Al a grandi dans la maison Glebe, dans la paroisse Immaculée-Conception, à Dominion, où il a été élevé par sa mère, Genevieve, et son oncle, le père Charlie MacDonald.

Comme d'autres l'ont dit, le sénateur Graham a grandi dans une ville minière. Il disait lui-même que « la culture engendrée par l'industrie du charbon enseignait l'entraide aux gens ». Il n'a jamais oublié cette leçon apprise durant l'enfance et l'appliquera dans le contexte national et international.

En 1950, il reçoit son diplôme de l'Université St. Francis Xavier, à Antigonish.

C'est en tant qu'étudiant qu'Al entreprend sa carrière de journaliste, en travaillant pour le Xavierian, le journal de l'université. Il passe ensuite au Chronicle Herald, puis à La Presse Canadienne, à la CBC et au Casket, l'hebdomadaire d'Antigonish, à titre de rédacteur en chef. Il fait également son entrée dans le monde de la radiodiffusion en tant que commentateur des matchs des équipes de football, de hockey et de basketball de l'Université St. Francis Xavier.

Avec une famille de plus en plus nombreuse, qui comptera éventuellement cinq garçons et cinq filles, les dépenses augmentent et il est nécessaire de travailler davantage. Al a déjà déclaré : « Il semble que je devais changer d'emploi chaque fois que Jean et moi avions un nouvel enfant. Tout le monde à Antigonish savait que j'occupais sept ou huit emplois en même temps à un moment donné. »

En 1958, il se présente aux élections fédérales à Antigonish, pour être balayé par le raz de marée Diefenbaker. Il retourne à l'enseignement pendant une courte période avant de venir à Ottawa, en 1965, pour travailler en tant qu'adjoint spécial du ministre du Travail, l'honorable Allan J. MacEachen.

En 1966, il retourne à la radiodiffusion en devenant vice-président et directeur général de Middlesex Broadcasting, à London, en Ontario.

En 1967, Al Graham est nommé secrétaire exécutif de DEVCO, à Sydney, en Nouvelle-Écosse, avec le mandat d'étendre l'économie locale au-delà de l'exploitation du charbon.

En 1972, Al Graham est nommé au Sénat par Pierre Elliot Trudeau, où il représente la division sénatoriale The Highlands, en Nouvelle-Écosse. En 1975, il devient président du Parti libéral du Canada et servira deux mandats.

En 1979, les libéraux de la Nouvelle-Écosse approchent le sénateur Graham pour qu'il se présente au poste de premier ministre de la province après le départ de Gerald Regan. La petite histoire veut que la famille ait tenu un vote sur la question. Il y a eu égalité des voix. Jean, l'épouse d'Al, elle-même une fine politicienne, a refusé de briser l'égalité. Donc, Al demeurerait à Ottawa pour y poursuivre son bon travail.

(1400)

Au sein du gouvernement Chrétien, il a occupé les postes de leader du gouvernement au Sénat et de ministre régional responsable de la Nouvelle-Écosse. Il a occupé ces fonctions avec distinction de 1997 à 1999.

Sur la scène internationale, le sénateur Graham a joué un rôle actif au sein de l'Internationale libérale — dont il a été le vice-président — à compter de 1997. Il a aussi été membre du National Democratic Institute for International Affairs, un organisme de Washington au nom duquel il a surveillé les élections dans de nombreuses démocraties en développement.

Il a relaté ces expériences dans le livre qu'il a publié en 1996, qui s'intitulait The Seeds of Freedom : Personal Reflections on the Dawning of Democracy.

Après sa retraite du Sénat en 2004, Al a continué de servir la population et de contribuer au bien public à titre d'ambassadeur et de parrain national de L'Arche Canada, comme on l'a déjà mentionné.

Au nom du Sénat, où il a servi le Canada avec tant de distinction, j'offre mes plus sincères condoléances à ses 10 enfants, à ses 24 petits-enfants et à ses 4 arrière-petits-enfants.

J'aimerais conclure mon intervention en citant le sénateur Graham, car je crois que ses propos sont fort révélateurs :

Au fond, le Sénat lui-même a l'importance qu'on veut bien lui donner. C'est à peu près la même chose pour la vie publique. Beaucoup de gens ont besoin d'aide, et je suis toujours prêt à les appuyer. Pour moi, c'est une vie très passionnante.

Merci, sénateur Graham.

Des voix : Bravo!

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d'une délégation de la United Korean Commerce and Industry Association, dirigée par M. Bongsup Lee. Il est accompagné de chefs d'entreprise de toutes les régions du Canada. Ces gens sont ici, sur la Colline, pour participer au troisième forum économique Canada-Corée. Ils sont les invités de la sénatrice Martin.

Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le Nouveau-Brunswick

La commémoration de la tragédie à Moncton

L'honorable Rose-May Poirier : Honorables sénateurs, en raison de la tragédie inimaginable qui s'est produite à Moncton, le 4 juin restera à jamais un jour de tristesse et de douleur dans cette communauté pacifique et chaleureuse. Une année s'est écoulée depuis qu'un jeune homme a compromis la sécurité de toute la collectivité durant deux jours, faisant ainsi perdre à Moncton un peu de son innocence. Le plus tragique, c'est que la ville a perdu trois de ses meilleurs citoyens, qui consacraient leur vie à protéger celle de leurs voisins.

Lorsque nous vivons au sein de petites collectivités où le taux de violence est faible, nous avons parfois tendance à tenir pour acquise la sécurité dont nous jouissons. C'est lorsque des crises ou des tragédies surviennent que nous prenons conscience des énormes sacrifices consentis par ces agents et par leurs familles. Les membres de tous les organismes d'application de la loi au Canada, tant ceux qui sont morts en devoir que ceux qui ont assuré notre sécurité par le passé et ceux qui l'assurent aujourd'hui, méritent notre vive gratitude, notre profond respect et notre appui sans réserve pour leur travail remarquable.

Honorables sénateurs, cette tragédie a secoué Moncton. La collectivité a été mise à l'épreuve, mais elle a montré sa ferme volonté de se relever et d'aller de l'avant. Les élans de générosité envers les familles des victimes, les nombreux projets visant à commémorer les victimes, ainsi que la façon dont tous les résidents se sont unis durant cette période difficile illustrent le dynamisme et la détermination des citoyens de Moncton. Cette triste journée est difficile pour les gens de cette collectivité, mais il faut qu'ils sachent qu'ils ne sont pas seuls.

Honorables sénateurs, je vous invite à vous joindre à moi pour rendre hommage aux victimes et à leurs familles. Je dis aux familles et aux amis des agents David Ross, Fabrice Gevaudan et Douglas Larche, ainsi qu'aux deux policiers blessés, les agents Eric Dubois et Darlene Goguen, que leur sacrifice et leur perte ne seront pas oubliés. Vous serez toujours présents dans nos pensées et nos prières.

Honorables sénateurs, je vous remercie.

[Français]

Le décès de Jacques Parizeau, G.O.Q.

L'honorable Joan Fraser (leader adjointe de l'opposition) : Honorables sénateurs, tout comme la sénatrice Bellemare il y a deux jours, je prends la parole pour rendre hommage à feu l'honorable Jacques Parizeau.

[Traduction]

C'était un homme plus grand que nature, doté d'un talent et d'une personnalité à l'avenant. Il faisait partie de cette génération de Québécois absolument extraordinaires qui ont transformé non seulement le Québec, mais aussi le Canada, tant au provincial qu'au fédéral. Durant ces années, nous avons été très chanceux d'avoir des gens d'un tel calibre et d'une telle qualité des deux côtés de notre grand débat national.

[Français]

À l'époque de l'élection du Parti Québécois, j'étais journaliste économique à Montréal. En même temps, on produisait aussi de temps en temps un hebdomadaire à Radio-Canada. C'est dans ce contexte que j'ai eu le plaisir de connaître M. Parizeau, qui était ministre des Finances au sein du premier gouvernement du Parti Québécois. L'exemple par excellence d'une personne heureuse dans son travail, c'était Jacques Parizeau lorsqu'il était ministre des Finances. Il adorait cela. Plus tard, lorsqu'il est devenu premier ministre du Québec, il n'avait pas l'air d'un homme aussi heureux. Par contre, à titre de ministre des Finances, il était vraiment bien, et il adorait son travail. Il aimait débattre avec les gens. Il avait même, à cette époque-là, le don des astuces, mais ses astuces faisaient toujours partie du franc-jeu. Lorsqu'on lisait ses budgets, il fallait lire attentivement chaque note pour y trouver l'astuce du jour. Les preuves étaient toujours là si on avait l'intelligence de les chercher.

Un beau jour, en juin 1977, il m'a convoquée à son bureau à Québec, vers 17 h 30 un vendredi après-midi. Je ne savais absolument pas de quoi il s'agissait, mais j'étais journaliste économique, et, comme il s'agissait du ministre des Finances, je m'y suis rendue. J'en garde un souvenir qui incarne le Jacques Parizeau pour qui j'avais tant de respect.

Il m'a demandé de m'asseoir et m'a dit : « C'est le bureau de Maurice Duplessis. » — « Oh! », ai-je dit — « Mais maintenant, moi je suis là. » Il a ouvert un tiroir et il s'est versé — juste pour lui — un bon petit scotch. À ce moment-là, bien détendu, il m'a dit : « Bon, je veux vous offrir un emploi. » — « Quoi? » — « Oui! »

Il voulait que je sois la représentante du Québec auprès du milieu financier. Je l'ai regardé et j'ai dit : « Bon, merci pour le compliment, mais franchement... D'abord, je suis archifédéraliste; deuxièmement, je suis journaliste, pas relationniste. » Il m'a dit : « Le premier, ce n'est pas un problème. Que vous soyez fédéraliste ou pas, je sais que vous feriez un travail honnête. Mais le deuxième, c'est un problème, parce que le journalisme, c'est quelque chose qu'on a dans la peau, qu'on ne peut pas abandonner. »

J'ai trouvé sa réponse d'une grande sensibilité. Il n'a plus jamais fait quelque réflexion que ce soit à ce sujet. Cependant, pendant que j'étais là, je lui ai demandé une entrevue exclusive, qu'il m'a accordée et qui a fait la manchette le lendemain. J'en étais très fière. Personne ne savait comment j'avais eu accès au ministre.

Je n'oublierai jamais cet homme voué à l'indépendance du Québec — moi qui suis tellement vouée à l'unité du pays — et qui m'a dit : « Là n'est pas le problème. Je vous fais confiance. » C'était un grand homme, empreint de dignité et d'honnêteté, qui nous a bien servis, même lorsqu'il n'était pas de notre côté.

[Traduction]

Le décès du brigadier-général Sydney Valpy Radley-Walters

L'honorable Larry W. Smith : Honorables sénateurs, aujourd'hui, je veux souligner le 71e anniversaire du jour J en rendant hommage à un héros militaire du Canada décédé le 21 avril 2015, le brigadier-général Sydney Valpy Radley-Walters.

Valpy est né à La Malbaie, près de la péninsule gaspésienne, en 1920. Il était le fils du révérend Sydney Radley-Walters et il avait trois sœurs. Il a obtenu son diplôme du collège Bishop de l'Université Bishop's en 1940, à l'âge de 20 ans.

Celui que beaucoup de gens appelaient « Rad » s'est enrôlé à titre d'officier d'infanterie dans le régiment des Fusiliers de Sherbrooke, qui devait devenir le 27e Régiment blindé du Canada. En février 1942, le régiment a été envoyé à Debert, Nouvelle-Écosse, pour y suivre un entraînement avec les blindés. Ensuite, en octobre de la même année, le régiment s'est embarqué pour l'Angleterre.

Le 6 juin 1944, le capitaine Rad était le commandant en second de l'Escadron C, qui a débarqué sur les plages de la Normandie, dans le cadre de la mission du jour J. Au terme de 10 jours de combats intenses, Rad fut promu major et commandant de l'Escadron A.

La survie reposait sur la maîtrise de certaines compétences et le succès de Rad reposait sur les trois principes fondamentaux suivants : le bien-être de ses soldats, qui était primordial, les innovations sur le champ de bataille et sa pratique qui consistait à diriger ses hommes en étant devant eux sur la ligne de front.

Un exemple qui illustre à quel point Rad se préoccupait de ses hommes était l'habitude qu'il avait de s'intéresser à chacun de ses soldats, ce qui lui permettait de savoir que quelque chose n'allait pas lorsque ceux-ci se portaient mal physiquement ou psychologiquement. Il utilisait une technique qui consistait à déplacer des hommes vers l'arrière de l'équipe pour qu'ils se reposent. Sur le champ de bataille, Rad a improvisé pour protéger ses hommes en demandant à des mécaniciens de souder des pièces de chars abîmés sur les chars de son unité pour assurer une meilleure protection et en ajoutant des sacs de sable sur le fond des chars pour protéger les hommes contre les mines. Il a entraîné ses hommes à se couvrir mutuellement et à frapper le point le plus vulnérable des chars blindés ennemis. On a reconnu à son unité la gloire d'avoir mis hors de combat l'as allemand des blindés, le « baron noir », Michael Wittmann, de la 101e Division.

(1410)

Sydney Valpy Radley-Walters s'est fait décerner l'Ordre du service distingué et la Croix militaire pour son leadership exceptionnel et sa bravoure comme chef d'escadron. En 1945, il a été promu au rang de lieutenant-colonel, ce qui a fait de lui, à 25 ans, le plus jeune commandant de régiment.

À la fin de la guerre, il était au premier rang des as des chars, l'as des as des alliés occidentaux et donc du Canada. Il a été reconnu au Musée canadien de la guerre comme l'as des chars du Canada pendant la Seconde Guerre mondiale.

Après la guerre, Rad est resté dans l'armée. À 27 ans, il a épousé Patricia Holbrook, avec qui il a eu quatre fils. En 1957, il était le commandant des 8th Canadian Hussars et il a été promu brigadier général en 1968. Il a été commandant de la 2e Brigade d'infanterie et commandant de la BFC Petawawa. En 1971, il a été promu commandant du Centre d'instruction au combat de la BFC Gagetown, au Nouveau-Brunswick. En 1974, à sa retraite, il a reçu l'Ordre du mérite militaire à titre de commandant, et il est resté pendant huit ans colonel des 8th Canadian Hussars. En 1980, il est devenu colonel commandant du Corps blindé royal canadien.

Même une fois retraité, Rad a continué à donner des conférences au Collège de commandement et d'état-major des forces terrestres canadiennes, à Kingston, en plus de prendre part à de nombreuses visites didactiques des champs de bataille de la Normandie.

Honorables sénateurs, c'est un plaisir de vous faire découvrir cette tranche d'histoire militaire en espérant perpétuer le souvenir du courage et des qualités de chef de Sydney Valpy Radley-Walters, mais aussi de sa joie de vivre et de son rire contagieux, car cet homme débordant de courage et d'énergie est un homme dont tous les Canadiens peuvent être fiers.


[Français]

AFFAIRES COURANTES

Le commissaire aux langues officielles

La Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels—Dépôt des rapports annuels de 2014-2015

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, les rapports annuels de 2014-2015 du commissaire aux langues officielles, conformément à l'article 72 de la Loi sur l'accès à l'information et à l'article 72 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[Traduction]

Projet de loi sur le renforcement des peines pour les prédateurs d'enfants

Projet de loi modificatif—Dépôt du vingt-neuvième rapport du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles

L'honorable Bob Runciman, président du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, dépose le rapport suivant :

Le jeudi 4 juin 2015

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a l'honneur de présenter son

VINGT-NEUVIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi C-26, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, édictant la Loi sur la banque de données concernant les délinquants sexuels à risque élevé (infractions sexuelles visant les enfants) et modifiant d'autres lois en conséquence, a, conformément à l'ordre de renvoi du mardi 12 mai 2015, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans amendement.

Respectueusement soumis,

Le président,
BOB RUNCIMAN

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Plett, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)

Projet de loi no 1 sur le plan d'action économique de 2015

Dépôt du quinzième rapport du Comité de la régie interne, des budgets et de l'administration sur la teneur du projet de loi

L'honorable Elizabeth (Beth) Marshall : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer dans les deux langues officielles, au nom du président du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration, le quinzième rapport du comité. Il porte sur la teneur de la section 10 de la partie 3 du projet de loi C-59, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 21 avril 2015 et mettant en œuvre d'autres mesures.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, conformément à l'ordre du Sénat du 14 mai 2015, le rapport est inscrit à l'ordre du jour pour étude à la prochaine séance du Sénat, et le Comité sénatorial permanent des finances nationales est simultanément autorisé à étudier le rapport pendant son étude de la teneur de l'ensemble du projet de loi C-59.

Dépôt du onzième rapport du Comité des banques et du commerce sur la teneur du projet de loi

L'honorable Irving Gerstein : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le onzième rapport du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, qui porte sur la teneur des sections 14 et 19 de la partie 3 du projet de loi C-59, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 21 avril 2015 et mettant en œuvre d'autres mesures.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, conformément à l'ordre du Sénat du 14 mai 2015, le rapport est inscrit à l'ordre du jour pour étude à la prochaine séance du Sénat, et le Comité sénatorial permanent des finances nationales est simultanément autorisé à étudier le rapport pendant son étude de la teneur de l'ensemble du projet de loi C-59.

Projet de loi sur l'accord définitif sur l'autonosmie gouvernementale de Délįnę

Projet de loi modificatif—Première lecture

Son Honneur le Président annonce qu'il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-63, Loi portant mise en vigueur de l'accord définitif sur l'autonomie gouvernementale de Délįnę et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois, accompagné d'un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Martin, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la séance d'après-demain.)

Projet de loi sur la Journée nationale de sensibilisation aux lésions médullaires

Première lecture

Son Honneur le Président annonce qu'il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-643, Loi instituant la Journée nationale de sensibilisation aux lésions médullaires, accompagné d'un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Martin, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la séance d'après-demain.)

Projet de loi sur la sécurité des pipelines

Projet de loi modificatif—Dépôt du treizième rapport du Comité de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Consentement ayant été accordé de revenir à la présentation ou au dépôt de rapports de comités :

L'honorable Richard Neufeld, président du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, dépose le rapport suivant :

Le jeudi 4 juin 2015

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles a l'honneur de présenter son

TREIZIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi C-46, Loi modifiant la Loi sur l'Office national de l'énergie et la Loi sur les opérations pétrolières au Canada, a, conformément à l'ordre de renvoi du jeudi 14 mai 2015, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans amendement.

Respectueusement soumis,

Le président,
RICHARD NEUFELD

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Neufeld, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)

Affaires sociales, sciences et technologie

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à reporter la date du dépôt de son rapport final sur l'incidence croissante de l'obésité

L'honorable Judith Seidman : Honorables sénateurs, au nom du président du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, par dérogation à l'ordre adopté par le Sénat le mercredi 26 février 2014, la date pour le rapport final du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie sur l'incidence croissante de l'obésité au Canada soit reportée du 30 juin 2015 au 30 septembre 2015.


(1420)

[Français]

PÉRIODE DES QUESTIONS

L'emploi et le développement social

Le Programme de mobilité internationale

L'honorable Claudette Tardif : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. L'application de nouvelles règles, sans préavis, imposées par le gouvernement aux gens qui souhaitent immigrer au Canada ne concerne pas seulement les travailleurs étrangers temporaires, mais aussi des centaines d'étudiants étrangers. Des milliers de stages pour étudiants étrangers au Canada sont en péril en raison d'une nouvelle directive du gouvernement fédéral qui rend la tâche difficile aux entreprises qui invitent des stagiaires au pays.

Effectivement, depuis le 21 février dernier, les entreprises qui désirent engager des stagiaires étrangers doivent payer des frais de 230 $ par stagiaire et remplir un long formulaire en ligne. Le gouvernement cherche à décourager les organismes qui veulent engager des travailleurs étrangers dans le cadre de son Programme de mobilité internationale. Monsieur le leader, pourquoi le gouvernement choisit-il de réduire le nombre de stagiaires étrangers au Canada et de rendre la vie difficile aux petites entreprises et aux organismes communautaires qui pourraient en bénéficier?

L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Comme vous le savez, sénatrice, nous disposons d'un système de gestion des demandes pour les travailleurs étrangers. Ce dispositif s'applique également, dans certains cas, selon les conditions des étudiants. Lorsqu'il s'agit de choisir des candidats, nous accordons d'abord la priorité aux travailleurs canadiens, puis aux personnes qui possèdent de l'expérience professionnelle au Canada ou qui participent au programme destiné aux candidats des provinces. Nous accordons la priorité aux étudiants qui ont fait des études postsecondaires, qui possèdent une expérience professionnelle au Canada ou qui ont acquis les compétences nécessaires pour travailler dans l'une des deux langues officielles. Une série d'exigences ont été prévues, selon les différentes situations des immigrants ou des travailleurs étrangers, afin de nous permettre d'optimiser l'utilisation des ressources.

La sénatrice Tardif : Monsieur le leader, il ne s'agit pas d'enlever un emploi à un travailleur canadien. Il s'agit de stages non rémunérés. Selon Judith Laurier, directrice des communications de la Fédération des cégeps, la moitié des 200 employeurs québécois sans but lucratif, qui ont déjà parrainé des stagiaires étrangers auparavant, ne pourront le faire cette année. L'Association des directeurs d'Instituts de technologie de France a indiqué qu'elle sera obligée de choisir d'autres pays pour ses étudiants. Permettez-moi de citer Mme Laurier, qui s'est exprimée ainsi :

Cela nous met dans l'embarras. Nous craignons que d'autres institutions françaises emboîtent le pas et mettent fin à la collaboration avec le Canada. Et si les établissements français remettent en question l'entente France-Canada, cela met en péril nos stagiaires qu'on envoie chez eux.

Comment le gouvernement réglera-t-il la situation de nos étudiants canadiens, qui risquent de perdre de belles occasions de faire un stage international?

Le sénateur Carignan : Sénatrice, comme je l'ai mentionné, nous avons mis en place des mesures pour mettre les Canadiens au premier rang de nos priorités en matière d'emploi. En outre, nous avons mis en œuvre des mesures afin de promouvoir l'insertion professionnelle des étudiants canadiens et étrangers. Nous veillons à ce que ces mesures assurent un juste équilibre entre les droits des Canadiens à obtenir un emploi au Canada et la possibilité pour les employeurs de trouver une main-d'œuvre qualifiée.

La sénatrice Tardif : Ces nouvelles règles menacent une entente historique entre le Québec et la France qui permet d'échanger des centaines de stagiaires chaque année. Plus de 1 000 stages d'étudiants français au Québec sont touchés par les changements apportés par le gouvernement. Des centaines de stagiaires québécois en France sont aussi inclus dans ce différend. Permettez-moi de citer une résolution de l'Association des directeurs d'Instituts universitaires de technologie, qui regroupe 113 établissements en France, et qui a dit ce qui suit :

Ces mesures de verrouillage remettent en cause de façon durable les relations entre les IUT et les établissements canadiens. [L'Association] regrette que ces règles de délivrance des visas stage-coop à l'international aux étudiants de la France aient été changées en cours d'année universitaire sans aucune information préalable de la part des autorités canadiennes.

Les stagiaires français ont besoin de cette expérience pour obtenir leur diplôme, et le fait de changer les règles quelques semaines avant leur départ n'est pas acceptable. Monsieur le leader, quelle solution le gouvernement envisage-t-il pour régler ce problème?

Le sénateur Carignan : Les programmes sont créés à l'aide du système Entrée express, qui gère les demandes liées aux programmes des travailleurs qualifiés, des métiers spécialisés et des candidats des provinces. Ces programmes n'ont subi aucune modification. Les exigences sont toujours les mêmes. Dans le cadre du système Entrée express, seuls les candidats qui ont les meilleures chances de réussir — et non seulement les premiers arrivés pour faire une demande — peuvent se porter candidats à l'immigration canadienne. En ce qui concerne la question du choix selon les compétences, il se fait en fonction des besoins et des qualifications des étudiants. Nous tenons compte des besoins de main-d'œuvre pour accroître la compétitivité des entreprises canadiennes, tout en servant les intérêts des Canadiens d'abord.

La sénatrice Tardif : Monsieur le leader, je croyais que le fait d'attirer plus d'étudiants internationaux faisait partie des objectifs du gouvernement. Alors, pourquoi le gouvernement a-t-il mis en œuvre une réforme sur l'embauche des travailleurs étrangers temporaires qui rend plus difficiles et plus complexes les occasions de stages que nous pouvons offrir à des étudiants qui souhaitent venir chez nous et à nos étudiants qui souhaitent aller ailleurs? C'est sans compter le fait que ces pays se tourneront vers d'autres pays que le Canada.

Le sénateur Carignan : J'insiste sur l'importance de favoriser une immigration qui respecte les paramètres et les objectifs du gouvernement. Vous faites référence sans doute, de façon plus particulière, à l'immigration francophone. La ministre a été très claire par rapport à l'objectif visé de 4 p. 100 d'immigrants francophones hors Québec. Notre gouvernement a élaboré un plan pour atteindre ces objectifs, et nous constatons des résultats concrets en ce qui concerne le système Entrée express. Je sais que le commissaire a formulé des recommandations en matière d'immigration francophone. Soyez assurée que nous en prenons bonne note et que nous poursuivrons nos efforts en vue d'atteindre ces objectifs.

[Traduction]

La santé

Les soins de fin de vie

L'honorable Jane Cordy : Ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Dans une décision unanime rendue le 6 février dernier, la Cour suprême du Canada a déterminé que les personnes ayant des problèmes de santé graves et irrémédiables devraient avoir le droit de demander à un médecin de les aider à mourir. Cette décision invalide la loi actuelle, qui rend illégal le fait d'aider une personne à mettre fin à ses jours.

La Cour suprême a donné 12 mois au gouvernement fédéral pour rédiger un nouveau projet de loi visant à modifier la loi de manière à permettre aux médecins d'aider à mourir une personne adulte capable qui souffre de problèmes de santé lui causant des souffrances qui lui sont intolérables et qui consent clairement à mettre fin à ses jours. Quatre mois se sont écoulés depuis que la Cour suprême a rendu sa décision. Où en est le gouvernement fédéral dans l'élaboration du nouveau projet de loi? Le gouvernement a-t-il commencé à discuter de ses intentions avec les Canadiens?

[Français]

L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Nous tenons compte du jugement et nous allons mener une consultation au cours des prochains mois pour veiller au respect des droits fondamentaux dans le cadre des paramètres qui ont été indiqués dans le jugement de la Cour suprême.

(1430)

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Je comprends que vous puissiez vouloir examiner le jugement, mais quatre mois sont déjà passés. Il ne reste plus que huit mois. Je crains que les progrès réalisés à cet égard ne soient très limités. Dans huit mois, le délai de 12 mois sera écoulé. D'ici là, nous aurons l'intersession d'été, puis des élections. Cela ne laisse pas le temps pour des consultations. Je suis sûre que, de l'autre côté, on se souciera davantage des élections.

Le ministre MacKay a dit en février que ce n'était pas son premier souci de rédiger un nouveau projet de loi avant les prochaines élections. Toutefois, pour beaucoup de Canadiens, la question est très importante. J'ai parlé à beaucoup de gens de ma province, la Nouvelle-Écosse, qui s'inquiètent beaucoup de la décision rendue. Ils souhaitent que les Canadiens puissent contribuer à tout projet de loi qui serait élaboré. Y aura-t-il un processus qui permettra au public de participer? Quels sont les projets du gouvernement?

Vous dites que vous voulez tenir des consultations et que vous avez besoin de temps pour examiner le jugement. Le temps presse. Quatre mois sont passés, il ne reste que huit mois. Il est temps que le gouvernement ait au moins un plan d'action. Beaucoup de gens se soucient de cette question, qu'ils soient d'un côté ou de l'autre. Ils aimeraient avoir leur mot à dire sur la décision que prendra le gouvernement.

Pouvez-vous nous donner autre chose que des platitudes telles que « nous tenons compte du jugement »?

[Français]

Le sénateur Carignan : Sénatrice, il s'agit d'un enjeu extrêmement sérieux et difficile à traiter, que nous voulons examiner de façon prudente. Deux visions distinctes ont été exprimées par rapport à cet enjeu, et nous prendrons le temps nécessaire de mener les consultations appropriées afin d'en arriver, en temps opportun, à un projet de loi qui respectera les paramètres du jugement de la Cour suprême.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Je conviens avec vous qu'il s'agit d'un enjeu extrêmement sérieux. Je suis également d'accord qu'il y a deux visions à cet égard. Il est excellent d'étudier la situation avec prudence, mais il ne nous reste que huit mois. Quatre mois sont déjà écoulés. C'est une question complexe qui touche directement ou indirectement la vie de millions de Canadiens. Les Canadiens veulent participer à la discussion de toute nouvelle mesure législative.

Lorsque vous tiendrez des consultations, qui allez-vous consulter? Quels sont vos projets à cet égard?

[Français]

Le sénateur Carignan : Je vais répéter ce que j'ai dit : nous sommes conscients que la Cour suprême a établi un délai extrêmement serré, et nous croyons pouvoir faire une annonce liée à ce dossier en temps opportun. Il s'agit d'un dossier extrêmement sensible pour de nombreux Canadiens. Nous respectons l'expérience, les perspectives personnelles et les convictions profondes de tous les Canadiens. Nous étudions la décision de la Cour suprême soigneusement et, en vertu de tous les points de vue qui sont liés à cette question délicate, nous entendons faire une annonce dans ce dossier en temps opportun.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Le délai est serré, et il le devient de plus en plus. Le gouvernement demandera-t-il à la Cour suprême une prolongation du délai pour avoir le temps de consulter les Canadiens?

La sénatrice Fraser : Bonne question.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je réitère ma réponse, sénatrice Cordy.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Je vous ai demandé si le gouvernement compte, oui ou non, demander une prolongation du délai d'un an puisque le temps passe si vite. Quatre mois sont déjà écoulés, et il ne reste plus que huit mois du délai que la Cour suprême vous a accordé.

Je veux donc savoir si le gouvernement compte demander une prolongation du délai d'un an accordé par la Cour suprême.

[Français]

Le sénateur Carignan : J'avais compris votre question, sénatrice, et j'ai dit que je réitérais ma réponse selon laquelle nous étions conscients de l'échéancier serré ordonné par la Cour suprême. Nous devrions pouvoir faire une annonce dans ce dossier en temps opportun.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Lorsque je parlerai à des gens de la Nouvelle-Écosse pendant le week-end, je ne crois pas pouvoir les soulager en leur apportant vos réponses qui n'en sont pas. Nous savons tous que, comme vous l'avez dit, le délai est extrêmement serré. Toutefois, les Canadiens demandent à être consultés. Quels sont les projets? Lorsque j'écoute vos réponses, j'ai l'impression qu'il n'y en a aucun, que le délai d'un an s'écoulera, puis que le gouvernement réagira finalement fin janvier pour nous présenter un projet de loi qu'il nous demandera d'entériner les yeux fermés.

Ce n'est pas le genre de mesure législative qui devrait être approuvée sans discussion. C'est le genre de mesure pour laquelle les gens de partout au pays qui se préoccupent grandement de cette question devraient avoir leur mot à dire, peu importe leur point de vue.

Je vous prie de me dire aujourd'hui si les Canadiens seront consultés avant que le gouvernement présente ce projet de loi.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je ne sais plus comment vous répondre. Je ne vois pas ce qui n'est pas clair lorsque je vous dis que nous prenons le temps nécessaire pour étudier ce dossier. Nous avons dit qu'il s'agissait d'un dossier sensible, et que nous mettions sur pied des méthodes afin de connaître l'opinion des Canadiens et d'en tenir compte. Par la suite, nous dévoilerons notre prise de position et nous ferons une annonce en temps opportun.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Pouvez-vous dire aux Canadiens quelles méthodes de consultation vous utiliserez?

[Français]

Le sénateur Carignan : Sénatrice, nous ferons les annonces en temps opportun.


[Traduction]

ORDRE DU JOUR

Les travaux du Sénat

L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) : Honorables sénateurs, conformément à l'article 4-13(3) du Règlement, j'informe le Sénat que, lorsque nous passerons aux affaires du gouvernement, le Sénat abordera les travaux dans l'ordre suivant : le projet de loi S-3, suivi du projet de loi C-2, suivi du projet de loi C-52, suivi du projet de loi C-42, suivi de la motion no 113, suivie du projet de loi C-51, suivi par tous les autres articles dans l'ordre où ils figurent au Feuilleton.

La Loi sur la protection des pêches côtières

Projet de loi modificatif—Message des Communes—Adoption des amendements de la Chambre des communes

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Manning, appuyée par l'honorable sénatrice Batters :

Que le Sénat agrée les amendements apportés par la Chambre des communes au projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur la protection des pêches côtières;

Qu'un message soit transmis à la Chambre des communes pour l'en informer.

L'honorable George Baker : Honorables sénateurs, j'aimerais féliciter de nouveau le Comité sénatorial des pêches et des océans. Ses membres font un travail tout à fait remarquable, comme ceux de tous les autres comités. Chaque jour, notre travail est reconnu dans des décisions rendues par des groupes d'experts, des tribunaux quasi judiciaires et nos tribunaux. Il s'agit de l'une des principales fonctions de nos comités.

Comme les sénateurs le savent, je ne suis pas un adepte de la période des questions dans cette enceinte, et j'ai toujours fait valoir que nous devrions avoir une période pour les comités plutôt qu'une période des questions afin que nos comités puissent être entendus et que nous puissions nous pencher sur ce qu'ils font et sur ce qui se passe. C'est au comité que s'effectue le vrai travail et que la responsabilisation prend tout son sens.

Le sénateur MacDonald : Bravo!

Le sénateur Baker : Au Sénat, la responsabilité à l'égard de la politique du gouvernement ne veut pas dire grand-chose. C'est mon opinion personnelle. Avec la nouvelle session qui approche, il est à espérer que nous serons en mesure de remplacer la période des questions par une période réservée aux comités. La raison pour laquelle je dis cela se trouve dans mes observations d'aujourd'hui au sujet du Comité des pêches.

J'aimerais souligner le travail phénoménal de Fabian Manning, président du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans. Il en sait beaucoup sur la pêche. C'est un sujet qu'il maîtrise. Le comité peut en outre compter sur le sénateur Tom McInnis, qui vient du milieu juridique et qui est lui aussi très versé dans ce domaine.

(1440)

Quant au sénateur Wells, il a siégé au conseil d'administration de plusieurs organismes du secteur des pêches, au Canada comme sur la scène internationale, et il connaît bien cet univers. Le comité compte aussi les membres suivants : la sénatrice Greene Raine, le sénateur Meredith, la sénatrice Poirier, la sénatrice Hubley, la sénatrice Stewart Olsen, le sénateur Munson et la sénatrice Lovelace Nicholas. Le projet de loi à l'étude aujourd'hui — que nous adopterons, je l'espère, puisqu'il s'agit d'une bonne initiative ministérielle — s'est heurté à une certaine opposition de la part du NPD et des libéraux à l'autre endroit. Après examen, je crois que ceux-ci ont fait fausse route et ont mal compris les dispositions législatives en vigueur au Canada dans le contexte de la Loi sur les pêches.

Les gens de l'autre endroit ont consacré toute une audience à un article du projet de loi qui dit ceci :

Quiconque contrevient aux paragraphes 5.6(1) ou (2) commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité :

a) par mise en accusation, une amende maximale de cinq cent mille dollars;

b) par procédure sommaire, une amende maximale de cent mille dollars.

Ils ont conclu, pendant l'audience, qu'il s'agissait d'une amende maximale obligatoire, malgré l'obsession du gouvernement conservateur pour les peines minimales obligatoires. Voilà leur conclusion.

Ils ont passé toute une audience à discuter de ce point et à se demander s'il était légal de prévoir une amende maximale obligatoire de 500 000 $.

J'aimerais rappeler ce que dit la Loi sur les pêches, et qu'elle dit d'ailleurs depuis 50 ans. La loi indique clairement que, dans le cas d'une déclaration de culpabilité par procédure sommaire, l'amende peut atteindre un maximum d'un million de dollars. En cas de récidive, on ajoute un million de dollars à l'amende.

Nous voici avec un comité de la Chambre des communes qui traîne les pieds, dans l'étude d'un projet de loi, parce qu'il s'inquiète d'une amende maximale obligatoire de 500 000 $ alors que la loi existante prévoit 1 million de dollars. Je tenais à le signaler publiquement et à dire que, même s'il y a eu des retards considérables, un blocage et des amendements proposés par les néo-démocrates et les libéraux à l'autre endroit, tout cela est complètement injustifié. Ces députés dénoncent un précédent. Quel précédent, puisque cela se trouve déjà dans la Loi sur les pêches depuis 50 ans.

C'est ce que je voulais signaler d'emblée. Ce qui fait l'importance du projet de loi, toutefois, c'est que le gouvernement du Canada a décidé de rompre avec la tradition et de faire étudier le projet de loi au Sénat pour commencer et aux Communes ensuite. Le Sénat est censé être chargé du « second » examen objectif. Dans ce cas-ci, le gouvernement du Canada s'est dit : « Confions le projet de loi au Sénat d'abord. Que le comité sénatorial recueille les témoignages. Ensuite, nous prendrons le projet de loi et les recommandations du Sénat et nous verrons ce que nous pensons de ces recommandations. »

J'ai assisté aux séances du comité sénatorial, qui a fait une étude minutieuse du projet de loi, et le sénateur McInnis, avocat renommé de la Nouvelle-Écosse, qui s'y connaît fort bien en matière de pêches, a fait valoir un point intéressant : le projet de loi porte sur un régime de sanctions pour les pays étrangers qui pêchent dans ce que nous appelons la zone de l'OPANO, l'Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest, qui s'étend sur 200 milles à partir de tous les points de la côte au Canada : sur la côte Est, autour de Terre-Neuve-et-Labrador, dans le Nord du Québec et dans le golfe du Saint-Laurent. La zone de l'OPANO va ensuite au-delà des 200 milles, jusqu'à quelque 350 milles.

Autrement dit, un groupe d'une vingtaine de pays étrangers décide des quotas de certaines pêches désignées le long des côtes canadiennes. Voilà une organisation remarquable dont on ne trouve l'exemple nulle part ailleurs au monde. Quel autre pays au monde accepterait que 20 pays étrangers fixent ses quotas et aient aussi le droit de pêcher? Pourtant, ainsi vont les choses depuis que nous nous sommes joints au Canada. En disant « nous », je veux parler de Terre-Neuve-et-Labrador. Nous sommes entrés dans la Confédération en 1949. Je m'en souviens fort bien. L'une des choses à considérer, à l'époque, était le fait que des pays étrangers avaient des quotas au large de nos côtes.

Le projet de loi à l'étude prévoit un régime réglementaire de sanctions pour les infractions à la Loi sur les pêches, et il autorise les agents des pêches à monter à tout moment à bord d'un bâtiment étranger à l'extérieur de la zone des 200 milles, sur le plateau continental canadien, pour inspecter les livres, la cargaison, le poisson et à porter des accusations s'il y a eu des manquements aux règles et règlements de l'OPANO. Les agents ont même le droit de faire entrer le vaisseau dans un port canadien et d'intenter des poursuites devant des tribunaux canadiens. C'est comme cela que les choses doivent se passer.

Le projet de loi prévoit donc le régime dont nous aurions eu tant besoin au fil des ans, et le sénateur McInnis a dit, bien franchement : « Très bien. Nous avons maintenant un règlement pour les flottes étrangères dans la zone de l'OPANO, à l'extérieur des 200 milles, mais qu'advient-il des autres flottes qui viennent à l'intérieur de la zone des 200 milles et à l'extérieur de cette zone et qui ne sont pas rattachées au régime de réclamation de l'OPANO, l'Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest? »

Le sénateur a donné l'exemple du thon. Il s'agit d'une ressource d'une grande valeur. Un thon exporté depuis Halifax, en Nouvelle-Écosse, peut valoir 5 000 $.

Les flottes japonaise et américaine pénètrent dans les eaux canadiennes. Elles pêchent le thon tous les ans sans exception. Cela se produira dans environ un mois. Elles poursuivent le thon parce qu'il s'agit du même stock partout dans l'Atlantique et l'océan Indien. C'est le même stock. Ces thons poursuivent le poisson, et la meilleure zone de frai pour le maquereau, qui est leur délice préféré, se trouve dans le golfe du Saint-Laurent, l'un des meilleurs endroits au monde pour les petits poissons et pour le frai.

Lorsque les maquereaux arrivent dans la première semaine de juillet, dans le golfe du Saint-Laurent, les thons remontent au large de la côte américaine. Ils entrent dans le golfe et vont autour de Terre-Neuve-et-Labrador, puis ils décrivent un cercle dans l'Atlantique. En fait, ils capturent la production de maquereaux, à ce moment-là.

Les flottes poursuivent donc le thon. La flotte japonaise croise au large des côtes de la Nouvelle-Écosse, au large des côtes de Terre-Neuve-et-Labrador, et ses navires viennent dans nos ports pour obtenir divers services. Les navires poursuivent le thon. Les quotas de pêche sont établis par la Commission internationale pour la conservation des thonidés, dont le Canada fait partie. Le Canada a un quota. Malheureusement, il est inférieur à celui qui est donné au Japon et aux États-Unis, mais c'est tout de même un quota. Il a été établi au fil du temps.

Le sénateur McInnis a donc soulevé un point intéressant au comité sénatorial : « Vous allez aborder des navires étrangers qui sont régis par l'OPANO, à l'extérieur des 200 milles, qui pêchent le flétan noir et la crevette. » Voilà ce que font ces navires. Il y a à tout moment 20 navires-usines qui pêchent le flétan noir et la crevette, des espèces de fond. Ils utilisent des chaluts et raclent le plateau continental à l'extérieur des 200 milles de façon régulière. À tout moment, on peut trouver là une douzaine de bateaux, et c'est ce qu'ils font. Ils ont des quotas.

(1450)

Le sénateur McInnis avait noté que, si nous nous en prenons à ces bateaux, qu'arrivera-t-il aux autres pêches réglementées, comme la flotte de pêche au thon? N'y a-t-il pas lieu de les réglementer aussi?

Le projet de loi est passé par toutes les étapes d'examen au Sénat. Personne ne s'est opposé aux amendes parce que nous savions, au comité sénatorial, que leur montant était très inférieur à ce que prévoit l'actuelle Loi sur les pêches. Nous n'avions rien à redire aux amendes, et le reste du projet de loi était à la fois nécessaire et attendu. Mon Dieu, il faut vraiment assujettir les flottes étrangères à la réglementation si on réglemente sa propre flotte et que la pêche se fait au même endroit!

Par conséquent, nous avons approuvé le projet de loi et l'avons transmis à la Chambre des communes. Ne perdons pas de vue qu'il s'agissait non d'un second, mais d'un premier examen objectif.

Le ministère de la Justice a ensuite pris le projet de loi — mais ce ne sont que des conjectures — et, se fondant sur les observations du sénateur McInnis, l'a modifié. C'est la raison pour laquelle nous l'avons reçu dans sa forme modifiée. Chacune des modifications apportées traite de la réglementation des flottes de pêche qui n'étaient pas soumises au projet de loi initial, de sorte que cette mesure tient maintenant compte des flottes de pêche au thon et d'autres flottes qui opèrent dans les mêmes zones. Nous devrions avoir le pouvoir de monter à bord de ces navires pour les examiner et les remettre à la justice s'ils ont violé les règles internationales.

Vous pouvez constater la valeur du comité sénatorial, non seulement en mode de second examen, mais aussi en mode de premier examen objectif. À moins d'avoir assisté aux réunions du comité ou d'avoir discuté de ses délibérations, vous ne sauriez pas que le ministère de la Justice a proposé ces amendements après que nous avons approuvé le projet de loi et l'avons renvoyé à la Chambre des communes en lui disant : « Voici un bon projet de loi. » Le projet de loi nous est maintenant renvoyé à nouveau à cause de ce qui s'est dit au comité et de la question parfaitement rationnelle posée par le sénateur McInnis et, je suppose, par d'autres membres du comité. Je crois que le président, le sénateur Manning, avait également dit quelques mots pour indiquer qu'il s'inquiétait de la réglementation de toutes les flottes étrangères à l'intérieur comme à l'extérieur de la zone canadienne.

Je crois que le projet de loi est particulièrement important compte tenu du fait qu'au cours de la dernière année, le gouvernement canadien a pris ce qui a peut-être été la plus importante décision concernant la pêche dans la zone de notre plateau continental. Il aurait dû agir plus tôt, mais il l'a fait à la dernière minute en présentant aux Nations Unies une demande visant à étendre notre contrôle du plateau continental au-delà de 200 milles.

Ce qui m'a choqué, c'est que cette initiative n'a fait l'objet d'aucune publicité. Quelqu'un, au cabinet du premier ministre, n'a pas fait son travail. Le Parti conservateur du Canada aurait dû...

Puis-je avoir cinq minutes de plus?

Son Honneur la Présidente intérimaire : Souhaitez-vous disposer de plus de temps, sénateur?

La sénatrice Martin : Cinq minutes.

La sénatrice Fraser : Cinq minutes.

La sénatrice Tardif : D'accord.

Le sénateur Baker : C'est probablement l'initiative la plus importante à laquelle je puisse penser, qui a consisté à demander l'extension de notre contrôle du plateau continental jusqu'à 350 milles de nos côtes.

Nous attendons avec impatience le jour où, cela accompli, nous pourrons empêcher les flottes étrangères de draguer les fonds marins à l'extérieur de la zone de 200 milles. Cela donnera du travail à des milliers de Canadiens et préservera notre environnement, nos fonds marins et nos pêches. C'est ce à quoi nous pouvons aspirer à l'avenir.

Permettez-moi, en conclusion, de formuler une observation. C'est le premier projet de loi que nous examinons aujourd'hui. Comme le leader au Sénat l'a précisé, le dernier que nous étudierons sera le C-51. Je voudrais signaler que la Loi sur les pêches prévoit un délai de deux ans : dans le cas d'une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité, des poursuites peuvent être intentées à tout moment, mais pas plus tard que deux ans après la date où le ministre a été informé de l'objet des poursuites. Autrement dit, vous pouvez porter une accusation dans un délai de deux ans, si c'est par voie sommaire.

Le projet de loi C-51, dont nous sommes saisis, prévoit une période maximale d'un an, tandis que la disposition visant le SCRS prévoit six mois. Ici, c'est deux ans. Nous pensons que nos pêches sont très importantes, et elles le sont, et nous accordons un délai de deux ans au cours duquel un agent de police ou un agent des pêches peut porter des accusations. Pourtant, nous avons des dispositions liées au terrorisme qui ne prévoient qu'un délai d'un an et un autre de six mois. Qui plus est, la police et le SCRS n'ont pas le droit de porter des accusations. Au bout du compte, la décision est prise par un bureaucrate assis dans son bureau à Ottawa, simplement pour s'assurer que tout est correct.

Ce qui est correct pour la majorité des Canadiens, en ce qui a trait au Code criminel et à la Loi sur les pêches, devrait être acceptable pour toutes les lois futures présentées au Sénat et à l'autre endroit. C'est là l'une des lacunes du projet de loi C-51.

Je félicite le comité qui a étudié le projet de loi C-51 et qui a recommandé une prolongation jusqu'à cinq ans. Cette recommandation illustre la valeur du travail fait par le comité. Malheureusement, celui-ci n'est pas allé assez loin — comme l'a toujours dit le sénateur Dagenais — en ce sens qu'il ne laisse pas les policiers porter des accusations. Mon collègue ne l'a pas dit publiquement au sujet du projet de loi C-51 — et il ne va pas le faire —, mais il le dit pour toutes les autres mesures. Nous devrions suivre son conseil, parce que le sénateur Dagenais est un ancien agent de la paix qui jouit d'une vaste expérience. Pourquoi devrions-nous traiter les dispositions sur le terrorisme différemment des autres dispositions du Code criminel, et en particulier de la Loi sur les pêches?

Honorables sénateurs, je vous remercie de votre attention et, Votre Honneur, je vous remercie des cinq minutes que vous m'avez accordées.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée.)

[Français]

La Loi réglementant certaines drogues et autres substances

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Ajournement du débat

L'honorable Jean-Guy Dagenais propose que le projet de loi C-2, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, soit lu pour la troisième fois.

— Honorables sénateurs, je remercie le sénateur Baker de la très bonne allusion qu'il a faite. Je suis heureux de m'adresser à vous aujourd'hui au sujet d'un projet de loi très important, qui contribuera à la protection de la santé publique et au maintien de la sécurité publique pour l'ensemble des Canadiens.

Le projet de loi C-2, appelé Loi sur le respect des collectivités, vient renforcer le cadre canadien de contrôle des drogues et permettra de protéger nos collectivités partout au pays.

La consommation de drogues illicites est un grave problème. La drogue peut détruire des vies et déchirer des familles. Les drogues illicites rendent nos quartiers moins sécuritaires et ont des effets négatifs sur nos collectivités dans leur ensemble. Notre gouvernement a déjà pris des mesures et, malgré d'importantes améliorations, le niveau de consommation de drogues au Canada demeure préoccupant.

Il semble aussi que d'autres problèmes apparaissent, comme l'utilisation illicite de médicaments d'ordonnance, la conduite avec facultés affaiblies par la drogue et l'augmentation constante de drogues synthétiques sur le marché.

Le projet de loi C-2 témoigne encore davantage de l'engagement permanent du gouvernement fédéral envers la santé des Canadiens et la sécurité des citoyens de ce pays. Le projet de loi C-2 vise donc à modifier la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, ou LRCDAS.

(1500)

La LRCDAS est la loi canadienne réglementant les drogues. Elle vise deux objectifs : la protection de la santé publique et le maintien de la sécurité publique. Cette loi encadre le contrôle des substances qui peuvent altérer les processus mentaux et nuire à la santé des usagers et à toute la société lorsqu'elles sont détournées ou mal utilisées. Cette loi prohibe les activités liées à ces substances, comme la possession, le trafic, l'importation, l'exportation et la production. Bien que de nature prohibitive, la LRCDAS autorise l'utilisation légitime de substances contrôlées, soit par réglementation ou au moyen d'exemptions.

Les exemptions sont permises en vertu de l'article 56 de la LRCDAS, qui confère au ministre de la Santé le pouvoir d'accorder des exemptions pour des activités qui, à son avis, sont nécessaires à des fins médicales ou scientifiques, ou qui sont autrement dans l'intérêt du public. Par exemple, ce pouvoir permet de mener des essais cliniques ou de faire de la recherche universitaire avec des substances contrôlées. Le projet de loi C-2 n'aura pas d'incidence sur les exemptions de cette nature.

Cependant, nous savons que les drogues peuvent poser un risque grave pour la santé publique et la sécurité publique. Ce risque est d'ailleurs amplifié lorsque ces substances sont obtenues d'une source illicite, car elles sont très souvent non réglementées et produites dans des milieux non contrôlés.

Dans cette optique, je voudrais maintenant aborder la question des sites de consommation supervisée. Les drogues consommées dans ces milieux sont illégales et ont été obtenues illégalement. Il est toutefois nécessaire d'obtenir une exemption en vertu de l'article 56 de la LRCDAS pour exploiter un tel site. Sinon, les clients et le personnel pourront être accusés de possession de substances illicites. Dans sa décision concernant Insite, la Cour suprême du Canada a clairement précisé que le ministre de la Santé se réserve le pouvoir discrétionnaire d'accorder ou de refuser une exemption à la LRCDAS et à ses règlements.

Pendant les audiences du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, il a été question de l'utilisation par le ministre de ce pouvoir discrétionnaire et de la nécessité de faire une évaluation objective de toute demande. La loi exige toujours que les décisions soient prises de façon raisonnable, même si cela n'est pas mentionné explicitement.

Le ministre, en vertu de la loi, y compris la common law et la Constitution, doit agir et prendre des décisions de façon raisonnable. Par exemple, lorsque le ministre examine une demande, il doit tenir compte de cette question, et il doit prendre une décision en fonction du bien-fondé de cette demande.

Le ministre doit donc exercer son pouvoir discrétionnaire en fonction de l'objectif de la loi, notamment la protection de la santé publique et le maintien de la sécurité publique. Sa décision doit être prise de bonne foi et être équitable sur le plan procédural, en tenant compte de la nature de la demande et de toute autre considération pertinente. En prenant une décision, le ministre doit également tenir compte de la protection de la santé publique et du maintien de la sécurité publique dans le respect de la Charte. Le projet de loi C-2 repose solidement sur ces principes.

Étant donné la gravité des risques associés à la consommation de drogues illicites, toute demande en vue d'entreprendre des activités liées à ces substances doit être examinée seulement lorsque des critères rigoureux ont été remplis. En tentant de répondre aux besoins des personnes qui ont des problèmes de toxicomanie, nous courons le risque de créer une situation critique liée à la consommation de drogues dangereuses, qui engendrent une très grande dépendance chez les consommateurs.

C'est pour cette raison que le projet de loi C-2 propose d'ajouter un article à la LRCDAS qui vise précisément les demandes d'activités liées à des substances illicites dans les sites de consommation supervisée. Le projet de loi C-2 précise les renseignements qui seront exigés des demandeurs dans le cadre d'une exemption pour des activités liées à des substances illicites dans un site de consommation supervisée comme Insite. Le ministre ne pourra examiner la demande avant que tous les critères requis soient bien remplis.

Au cours de l'audience du comité, nous avons reçu de nombreux témoignages concernant ces critères, et j'aimerais prendre quelques minutes pour rappeler certains points et apporter quelques précisions.

Le projet de loi comporte un certain nombre de critères — en fait, huit critères — qui comprennent l'expression « s'il en existe ». Cela veut dire que le demandeur ne doit fournir l'information au ministre que si elle existe. Si l'information n'existe pas, le demandeur doit l'indiquer clairement dans sa demande, et le critère sera considéré comme ayant été examiné. Nous ne demandons pas aux demandeurs de fournir de l'information qui n'existe pas, et aucune pénalité ne sera imposée à leur demande, le cas échéant. Ceci s'applique aussi aux critères relatifs aux demandes subséquentes.

On a dit aussi que les toxicomanes qui ne consomment plus et qui ont un dossier criminel ne pourraient pas travailler dans un site de consommation supervisée, en raison de l'exigence des vérifications de casier judiciaire. Permettez-moi d'abord de dire que les vérifications de casier judiciaire, aux termes du projet de loi C-2, concordent avec le cadre qui existe actuellement en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et d'autres dispositions réglementaires, par exemple, le Règlement sur les stupéfiants. Les vérifications de casier judiciaire constituent une demande raisonnable, car le risque est élevé pour la santé publique et la sécurité publique lorsqu'il est question de substances illicites.

Ces exigences existent pour aider le ministre à avoir accès à l'information nécessaire qui lui permettra de prendre une décision qui établit, dans le respect de la Charte, un équilibre entre les questions liées à la santé publique et à la sécurité publique en ce qui a trait à ces sites de consommation supervisée.

Le projet de loi comprend aussi l'exigence d'obtenir l'avis des ministres provinciaux ou territoriaux responsables de la santé et de la sécurité publique, du directeur du service de police local et du principal professionnel de la santé publique de la province ou du territoire. Rappelons-nous que la Cour suprême du Canada a déclaré que le soutien ou l'opposition de la collectivité devraient être pris en compte.

Certains témoins sont d'avis qu'un demandeur ne devrait pas avoir à obtenir les opinions de ces personnes, parce qu'elles ne reposent pas sur des données probantes. Selon moi, ces personnes doivent être consultées dans le cadre de leurs fonctions professionnelles, en fonction de leur expérience dans le domaine et des responsabilités qui leur incombent en tant que titulaires de ces postes.

Le projet de loi permet aussi de prendre en considération l'avis des collectivités canadiennes. Il permettrait au ministre, une fois une demande reçue, de publier un avis de demande. Le public disposera alors de 90 jours, à partir de la date de publication de l'avis, pour faire part de ses commentaires et opinions au sujet du site proposé.

Un certain nombre de témoins, à l'étape de l'étude au comité, étaient d'avis que les exigences contenues dans le projet de loi étaient excessives. Je suis d'accord avec mon collègue, qui a dit ce qui suit, et je cite :

Je ne saurais pas comment faire pour établir un de ces sites, ou plus d'un, dans une province, sans avoir à traiter avec les autorités provinciales de santé, les ministères de la Santé.

Il faut traiter avec la police, les administrations municipales et le public. Si on ne fait pas cela, c'est injuste; ce n'est d'aucune façon démocratique [...] Je ne connais pas d'autre solution pour trouver un équilibre entre la santé et la sécurité.

L'ensemble des dispositions du projet de loi C-2 permettra de tenir compte du point de vue des services de police, des professionnels de la santé publique, des administrations provinciales, territoriales ou municipales et du public.

Le projet de loi C-2 vise essentiellement à instaurer un équilibre entre la santé publique et la sécurité publique. Puisque nous connaissons les risques associés à la consommation de drogues, les exemptions accordées aux activités liées aux drogues dangereuses, comme l'héroïne, ne devraient l'être que sous réserve du respect de critères très rigoureux. C'est notre responsabilité de les établir clairement.

Les drogues illicites vendues et achetées dans la rue sont dangereuses en soi et elles représentent un danger pour les collectivités où on peut les trouver. Nous savons, par exemple, que le produit de la vente de substances illicites contribue souvent au crime organisé, et que la consommation de ces substances peut accroître les risques pour la santé et la sécurité, en particulier lorsque ces substances ne sont pas réglementées ni évaluées.

[Traduction]

Le crime organisé n'est jamais loin de la consommation de drogue. Il nous incombe de préciser clairement dans quelles circonstances il est permis d'utiliser des drogues.

[Français]

Nous devons assurer un équilibre entre les obligations imposées aux demandeurs et les besoins de la population canadienne, soit les personnes, les organisations et les entreprises qui vont coexister ou cohabiter avec un site de consommation supervisée dans leur collectivité.

L'approche proposée par le projet de loi C-2 établit la structure législative nécessaire pour répondre adéquatement aux préoccupations relatives à la santé publique et à la sécurité publique et, plus encore, elle permet au public et aux intervenants clés d'avoir leur mot à dire.

(1510)

Cette nouvelle approche apportera clarté et transparence dans la façon dont le ministre de la Santé évaluera les demandes d'établissement de sites de consommation supervisée. Chaque demande sera examinée au cas par cas, une fois que l'information requise aura été fournie.

Par l'intermédiaire d'initiatives comme la Stratégie nationale antidrogue et le projet de loi C-2, le gouvernement fédéral s'efforce de réprimer la consommation de drogues illicites et de réduire les méfaits associés à cette consommation dans l'ensemble du pays. J'encourage mes honorables collègues à examiner soigneusement le projet de loi et les avantages qu'il peut apporter sur le plan de la santé et de la sécurité de la population canadienne. Je vous remercie.

[Traduction]

L'honorable Larry W. Campbell : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Dagenais : Oui.

Le sénateur Campbell : Comme vous le savez, sénateur, j'ai énormément de respect pour vous, pour votre expérience et vos connaissances. Ce que je voudrais savoir, c'est la raison pour laquelle nous faisons toujours allusion à ce projet de loi comme relevant du domaine de la « santé et de la sécurité ». Je ne sais pas exactement ce que la toxicomanie a à voir avec la sécurité. Selon votre expérience, retrouve-t-on beaucoup de toxicomanes dans les hautes sphères du crime organisé? Y a-t-il des toxicomanes qui font de l'importation? Je parle de personnes qui sont dans la rue, qui n'ont aucun moyen manifeste de subvenir à leurs besoins et qui ne cherchent qu'à assouvir leur dépendance. Croyez-vous que cela met le public en danger?

[Français]

Le sénateur Dagenais : Effectivement. Je vous remercie de votre question, sénateur. Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il faut aider les gens qui consomment de la drogue. Il n'en reste pas moins que, si je parle de mon passé comme policier, et puisque j'ai visité le site Insite de Vancouver avec mes collègues de la police de Vancouver, il faut tout de même un projet de loi pour réglementer ces sites. Si on demandait aux gens des petites collectivités s'ils veulent d'un site comme Insite dans leur communauté, je ne suis pas sûr qu'ils en voudraient.

Grâce au projet de loi C-2, nous allons non seulement protéger les consommateurs, mais aussi la santé publique. Il faut aussi penser à la sécurité des gens qui vivent aux abords de ces sites. Le projet de loi englobe tout cela. Vous parliez de mon expérience; j'ai visité Insite. Je crois que, oui, Insite peut rendre service et aider les consommateurs de drogues, mais je peux vous dire que les forces policières sont toujours inquiètes — vous le savez, à titre d'ancien maire de Vancouver. Le projet de loi garantira la sécurité de ces sites, s'il y en a d'autres. Je le répète : le projet de loi vise à protéger la santé des Canadiens et la sécurité des citoyens.

[Traduction]

Le sénateur Campbell : J'aimerais préciser quelque chose. Vous semblez croire que le service de police de Vancouver n'appuie pas cela. Je présume que cette impression vous vient des propos tenus par le constable Stamatakis, président de l'Association canadienne des policiers, mais je peux vous assurer que ses opinions ne sont absolument pas celles de la police de Vancouver, de la Ville de Vancouver ou de la Colombie-Britannique.

Croyez-vous honnêtement que quelqu'un voudrait ouvrir un site d'injection supervisée dans une petite ville? Pourquoi? Pourquoi voudrait-on faire une telle chose? C'est le problème que nous avons ici. Croyez-vous vraiment que nous ouvririons un site d'injection dans une petite ville des Prairies, par exemple, où il n'y a aucun toxicomane?

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vous remercie de votre question. Vous parlez de M. Stamatakis, que je connais très bien.

[Traduction]

Le sénateur Campbell : Moi aussi, malheureusement.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'ai aussi connu le chef Chu, de Vancouver. Je pense que le projet de loi vise un ensemble de facteurs et — je le répète — qu'il vise à protéger la santé et la sécurité des Canadiens. Je suis d'accord avec vous pour dire que si, pour une raison quelconque, on devait ouvrir un nouveau site d'injection supervisée — et je sais que le maire de Montréal, Denis Coderre, a évoqué l'ouverture d'un site —, ce ne serait pas dans de petites villes. Ceux qui voudront ouvrir de tels sites auront des critères rigoureux à respecter. Il ne faut pas seulement tenir compte de la taille de la ville, mais plutôt de la question de la santé et de la sécurité des citoyens. Là où il y aura des sites, s'il y a lieu d'en avoir, et en respectant des critères rigoureux, un projet de loi sera en place.

Les projets de loi ne sont pas parfaits. Il faut tenir compte de l'objectif du projet de loi et, dans ce cas-ci, le but est de protéger la santé des consommateurs de drogues, parce que, malheureusement, il faut protéger leur santé, de même que la sécurité des citoyens qui devront vivre aux abords de ces sites.

[Traduction]

Le sénateur Campbell : Je vous remercie, sénateur. J'aimerais proposer l'ajournement en mon nom.

(Sur la motion du sénateur Campbell, le débat est ajourné.)

Projet de loi sur la sécurité et l'imputabilité en matière ferroviaire

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Plett, appuyée par l'honorable sénatrice LeBreton, C.P., tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-52, Loi modifiant la Loi sur les transports au Canada et la Loi sur la sécurité ferroviaire.

L'honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, pour mon intervention, j'utiliserai les notes du sénateur Eggleton. Si vous constatez que les exemples sont axés sur l'Ontario, vous comprendrez pourquoi.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui au sujet du projet de loi C-52, Loi modifiant la Loi sur les transports au Canada et la Loi sur la sécurité ferroviaire. J'appuie l'intention du projet de loi. C'est un pas dans la bonne direction, mais j'ai certaines préoccupations.

À dire vrai, le gouvernement n'a pas été à la hauteur par le passé et il n'a pas fourni les ressources nécessaires pour accroître la sécurité ferroviaire au Canada. Honorables sénateurs, la sécurité ferroviaire devrait être une grande priorité. On constate un accroissement important de l'expédition par chemin de fer de substances dangereuses, tout particulièrement du pétrole. Selon l'Association des chemins de fer du Canada, le nombre de wagons de pétrole est passé de 500 en 2009 à 110 000 en 2014. C'est une augmentation effarante sur une période de cinq ans seulement. Si un train déraille, cela ne compromet pas uniquement l'environnement, cela met également en danger les gens dans les collectivités.

Le déraillement de Lac-Mégantic est un exemple tragique. Il a mené à la destruction d'une grande partie du centre-ville et a tué 47 personnes. Les gens de cette collectivité commencent tout juste à recoller les morceaux.

En Ontario, il y a eu trois déraillements au cours des derniers mois. Dans deux de ces déraillements, des wagons chargés de pétrole brut ont pris feu. L'infrastructure a été détruite, et le secteur a été contaminé. Heureusement, les déraillements ont eu lieu dans des régions éloignées, où les dommages causés n'étaient pas aussi grands.

Toutefois, la sécurité ferroviaire ne touche pas que les régions rurales et les petites villes. À Toronto, on trouve deux lignes de chemin de fer qui servent au transport de matières dangereuses, comme du pétrole brut hautement inflammable, et qui traversent le cœur de la région du Grand Toronto. Ces lignes traversent des secteurs commerciaux achalandés et des quartiers résidentiels densément peuplés et présentent un grave danger pour les citoyens et les collectivités.

Aujourd'hui, le gouvernement dit qu'il a fait de la sécurité ferroviaire l'une de ses priorités, mais les mesures qu'il a prises mettent en cause la véracité de cette affirmation. De 2010 à 2015, le gouvernement a réduit de 20 p. 100 le budget de Transports Canada. Ces compressions visent les gens qui veillent au transport sécuritaire des marchandises d'un bout à l'autre du Canada.

En 2013, le vérificateur général a publié un rapport cinglant sur Transports Canada, dans lequel il indique que le ministère n'a effectué que 26 p. 100 des vérifications de la sécurité ferroviaire nécessaires — il n'a fait que le quart du travail de vérification. Quant à VIA Rail, qui transporte 4 millions de passagers par année, elle n'a fait l'objet d'aucune vérification de sécurité — pas une seule.

Le vérificateur général a aussi constaté que les processus d'inspection en tant que tels ne répondent pas aux besoins puisque le ministère n'inspecte même pas les wagons et les voies ferrées dans le cadre des vérifications de la sécurité. Les vérificateurs ne font que consulter les plans des compagnies de chemin de fer. Le ministère confie l'inspection des voies et des wagons aux compagnies de chemin de fer. Il s'agit d'un problème grave.

Le rapport préliminaire du Bureau de la sécurité des transports quant au déraillement d'un train transportant du pétrole brut ayant eu lieu récemment à Gogama, en Ontario, indique que l'état lamentable de la voie a sans doute joué un rôle dans l'accident. Les wagons, la voie ferrée et un pont ont été détruits dans cet accident, à la suite duquel du pétrole brut s'est déversé dans les cours d'eau de la région. Il y a donc eu des dommages environnementaux.

(1520)

Honorables sénateurs, la tragédie de Lac-Mégantic est survenue en juillet 2013. Quelques mois plus tard, en novembre, le rapport du vérificateur général a été publié. Avons-nous observé des améliorations? Y a-t-il eu une augmentation spectaculaire du nombre d'inspecteurs et de vérifications de sécurité? Malheureusement, la réponse est non.

Le budget de Transports Canada a continué de subir des compressions. Cette année, le gouvernement ne consacrera que 34 millions de dollars à la sécurité ferroviaire. Permettez-moi de mettre les choses en perspective. Le gouvernement prévoit consacrer 42 millions de dollars à la publicité sur le Plan d'action économique — 34 millions de dollars pour la sécurité ferroviaire, mais 42 millions de dollars pour mousser le Plan d'action économique. Je suppose que cela en dit long sur les priorités du gouvernement actuel : la publicité ou les vidéos d'autopromotion.

Par ailleurs, durant la période des questions à la Chambre des communes, le gouvernement a admis n'avoir embauché qu'un seul nouvel inspecteur depuis 2013. C'est tout ce qui s'est passé depuis la publication du rapport accablant du vérificateur général. À l'heure actuelle, il y a 117 inspecteurs, mais seulement un quart des vérifications de sécurité nécessaires sont effectuées. Étant donné que les déraillements de trains sont de plus en plus fréquents, on serait porté à croire que le gouvernement aurait investi plus de fonds. Cependant, après les annonces publicitaires, il ne reste plus d'argent.

Honorables sénateurs, il est important de savoir que le gouvernement tarde à agir dans d'autres domaines de la sécurité ferroviaire. Le gouvernement a annoncé, à juste titre, de nouvelles normes pour les vieux wagons DOT-111 utilisés à Lac-Mégantic et il a fait part de son intention de les remplacer graduellement. Toutefois, leur remplacement devrait s'échelonner sur 10 ans, malgré le fait que le Bureau de la sécurité des transports a indiqué que ces wagons sont dangereux et qu'il faut les retirer dans les plus brefs délais. Hélas, le gouvernement a, une fois de plus, fait la sourde oreille.

Honorables sénateurs, je soulève ces questions parce que c'est le gouvernement qui a créé un tel climat pour la sécurité ferroviaire au Canada. Elles servent aussi à placer le projet de loi C-52 dans son contexte.

Cette mesure législative vise, en gros, à créer un régime d'assurance fondé sur le principe du pollueur-payeur. Ainsi, pour pouvoir faire des affaires au Canada, les sociétés ferroviaires seraient tenues d'avoir un certain montant de couverture d'assurance en cas de déraillement. Le gouvernement a proposé certains niveaux d'assurance selon les différentes catégories de sociétés. Lors de la séance d'information technique, le gouvernement a déclaré que ces seuils reposent sur les données historiques de versements.

Le niveau d'assurance exigé pourrait déjà être insuffisant. Durant une séance d'information technique, les fonctionnaires ont admis que, selon les modifications proposées, la Montreal, Maine and Atlantic Railway, la compagnie ferroviaire impliquée dans l'accident à Lac-Mégantic, aurait été assurée pour 250 millions de dollars. Cela peut sembler beaucoup, mais le coût des dégâts à Lac-Mégantic a déjà été évalué à plus de 500 millions de dollars et il pourrait encore grimper. Cette somme ne serait certainement pas suffisante pour couvrir les dommages.

De plus, Lac-Mégantic est une petite ville. Combien cela aurait-il coûté si le déraillement s'était produit à Toronto, à Montréal, à Vancouver, à Edmonton ou à Halifax, une de nos grandes villes? Le coût aurait été bien plus élevé.

Pour les grandes sociétés ferroviaires, le CP et le CN, le niveau d'assurance exigé par cette mesure législative est de 1 milliard de dollars. Cela peut sembler suffisant, mais il semblerait que ces entreprises sont déjà assurées pour des sommes plus élevées. Pourquoi alors demander moins?

Honorables sénateurs, ce projet de loi crée à juste titre un fonds d'indemnisation auquel les compagnies ferroviaires devront contribuer. Toutefois, il ne s'applique qu'aux cargaisons de pétrole et non aux autres substances et marchandises dangereuses. La Fédération canadienne des municipalités et d'autres se demandaient, lors de leur comparution devant le comité de la Chambre des communes, pourquoi les autres substances n'étaient pas incluses. Le gouvernement écoutera-t-il?

En 1979, il y a eu un déraillement important à Mississauga qui a forcé l'évacuation de plus de 200 000 résidants de leur domicile. Les wagons ne transportaient pas de pétrole. Ils transportaient du propane et du chlore. Ce fut la plus vaste opération d'évacuation en temps de paix de l'histoire de l'Amérique du Nord. Elle n'a été surpassée que récemment par l'évacuation causée par l'ouragan Katrina, en 2005. Le fonds d'indemnisation n'aurait pas couvert le coût de cette catastrophe.

Et que dire des interventions en cas de catastrophe? Qui sont les premiers intervenants? Ce sont, bien évidemment, les pompiers et les ambulanciers. Ils risquent leur vie pour sauver des gens. Les chefs pompiers ont demandé qu'une partie de l'argent du fonds d'indemnisation soit consacrée à la formation, mais le gouvernement n'a pas encore donné suite à leur demande. Pourquoi? Il est certain qu'une partie de l'argent pourrait servir à donner aux premiers intervenants — les pompiers et les ambulanciers — la formation dont ils ont besoin. Ce sont des interventions complexes et difficiles et il serait sensé d'avoir un programme de formation bien financé.

Honorables sénateurs, il y a deux autres aspects troublants que je veux soulever. Premièrement, le projet de loi supprime la définition de « gestion de la fatigue ». Les dispositions actuelles disent que la gestion de la fatigue doit se fonder sur les données scientifiques. Pourquoi cette définition devrait-elle être abrogée? Le gouvernement a-t-il peur de la science? Certains diraient que oui.

La gestion de la fatigue est un sujet très important. Les conducteurs de train travaillent de longues heures dans des conditions difficiles. Nous devrions fonder nos règlements sur les meilleures connaissances dont nous disposons. Ce n'est plus le cas.

Deuxièmement, le projet de loi pourrait nuire à l'environnement à long terme en interdisant tout recours. En gros, le projet de loi ne permet pas aux particuliers ni aux groupes de poursuivre les sociétés ferroviaires si un déraillement a des effets à long terme sur l'environnement. Le gouvernement serait le seul responsable des mesures prises, quelles qu'elles soient. Tant pis si le gouvernement ne reconnaît pas l'impact gouvernemental ou ne lui accorde pas la priorité. Aucun dédommagement ne sera réclamé.

Honorables sénateurs, la sécurité ferroviaire devrait être la priorité absolue du gouvernement, mais, manifestement, le bilan du gouvernement laisse à désirer. Le projet de loi constitue un progrès, mais il faut se pencher sur certains aspects problématiques. J'attends donc les séances du comité avec impatience.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(Le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des transports et des communications.)

Projet de loi visant la délivrance simple et sécuritaire des permis d'armes à feu

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L'honorable Lynn Beyak propose que le projet de loi C-42, Loi modifiant la Loi sur les armes à feu et le Code criminel et apportant des modifications connexe et corrélative à d'autres lois, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, j'ai le plaisir de parrainer le projet de loi C-42, Loi visant la délivrance simple et sécuritaire des permis d'armes à feu, et de prendre la parole à ce sujet aujourd'hui. Ce projet de loi s'appuierait sur les mesures énergiques que le gouvernement a déjà prises pour lutter contre l'utilisation criminelle des armes à feu et pour favoriser un solide système de délivrance des permis au Canada. Il nous permettrait également de poursuivre l'approche équilibrée que nous avons adoptée — une approche qui nous aide à assurer la sécurité des Canadiens tout en allégeant le fardeau administratif des chasseurs, agriculteurs et tireurs sportifs respectueux de la loi.

C'est la première fois en 20 ans que des changements importants seraient apportés à notre méthode de délivrance de permis d'armes à feu au Canada. La chasse, la pêche, le piégeage et le tir sportif font tous partie de notre patrimoine national commun et sont pratiqués par des Canadiens d'un océan à l'autre, dans les villes et villages du pays.

(1530)

Les Canadiens pratiquent ces activités depuis des centaines d'années, et la chasse, la pêche et le piégeage ont permis aux peuples autochtones autant qu'aux premiers colons de se nourrir et de se vêtir. À l'époque, les parents transmettaient leur savoir à leurs enfants de génération en génération. Le gouvernement n'a donc pas d'autre choix que de faciliter la tâche de ceux qui souhaitent s'y adonner, quel que soit leur revenu ou leur origine.

En quoi ce projet de loi facilitera-t-il la tâche des Canadiens et rendra-t-il ces activités plus sûres? Pour commencer, mentionnons les quatre modifications d'importance qu'il apportera au système d'octroi de permis d'armes à feu.

Premièrement, le permis pour possession seulement sera éliminé, et tous les permis de cette catégorie qui sont présentement en circulation seront convertis en permis de possession et d'acquisition. Il s'agira dorénavant du seul permis que pourront se procurer les nouveaux propriétaires d'armes à feu.

En moyenne, les titulaires de permis de possession ont aujourd'hui 60 ans, et la plupart possèdent et utilisent des armes à feu et achètent des munitions depuis plus de 20 ans. Ils connaissent déjà très bien le maniement des armes à feu; il n'y a donc pas lieu de leur faire subir un nouveau processus de certification seulement pour qu'ils puissent s'acheter un nouveau fusil de chasse.

Deuxièmement, le projet de loi permettra aux titulaires de permis d'armes à feu de demeurer les propriétaires légitimes de leurs armes pendant les six mois suivant l'expiration de leur permis sans qu'ils puissent faire l'objet de sanctions pénales simplement parce qu'ils ont des armes à feu en leur possession.

Troisièmement, il rendra obligatoire la formation théorique sur le maniement sécuritaire des armes à feu.

Quatrièmement et dernièrement, il apportera des modifications importantes à l'autorisation de transport et à la manière dont elle s'applique au transport normal d'armes à feu. Pour le moment, chaque fois qu'une personne veut se rendre au champ de tir avec une arme à feu à autorisation restreinte, elle doit remplir une série de formulaires. Elle doit ensuite les faire parvenir au contrôleur des armes à feu, qui les range dans le fond d'un tiroir d'où ils ne ressortent jamais. Ils ne sont pas transmis aux policiers, et il est impossible de les consulter.

Honorables sénateurs, je crois que ce sont des améliorations qui tombent sous le sens et qui doivent être apportées au système de délivrance des permis afin que les propriétaires d'arme à feu respectueux des lois sachent à quoi s'en tenir, tandis que nous assurons la sécurité des Canadiens.

Ce projet de loi aurait pour effet de modifier le Code criminel pour protéger le droit des propriétaires d'arme à feu respectueux des lois de conserver la propriété de leurs armes. Ainsi, le projet de loi ajouterait au Code criminel une définition des armes à feu sans restrictions, ce qui n'est pas le cas actuellement. De plus, nous proposons de donner au gouverneur en conseil le pouvoir d'inclure les armes à feu dans l'une ou l'autre des catégories, sans restrictions ou à autorisation restreinte, selon les facteurs à prendre en considération à un moment ou un autre. Par conséquent, le gouvernement élu aura le dernier mot dans les décisions sur le classement des armes à feu.

Pourquoi est-ce un changement si important? Comme beaucoup l'ont souligné, le gouvernement a déjà le pouvoir d'inclure des armes à feu dans une catégorie plus restrictive, mais il n'a pas le pouvoir de préciser qu'une arme à feu devrait ne pas être soumise à des restrictions. Cette lacune dans la loi est devenue fort évidente le 25 février 2014. Ce jour-là, des dizaines de milliers de Canadiens se sont aperçus que, d'un simple trait de plume, le Programme canadien des armes à feu venait de faire d'eux des criminels.

Unilatéralement, sans consulter le ministre ou d'autres Canadiens, les responsables du programme avaient apporté un changement dans le Tableau de référence des armes à feu. Aucune loi, aucun règlement et pas même un décret n'avaient autorisé ce changement. Il était impossible d'y remédier, et c'est pourquoi ce projet de loi est si important.

Je suis heureux de pouvoir confirmer de nouveau, comme le ministre de la Sécurité publique l'a dit à plusieurs reprises, qu'aussitôt que ce projet de loi aura reçu la sanction royale, le gouvernement remettra les modèles Swiss Arms et CZ858 dans la catégorie des armes à feu sans restrictions.

Ce projet de loi propose aussi des changements importants dans le régime de contrôle des armes à feu en général. Il permettrait de meilleurs échanges d'information entre l'Agence des services frontaliers du Canada et la GRC à propos de l'importation dans un but commercial des armes à feu à autorisation restreinte et des armes à feu interdites au Canada.

C'est important car, en vertu de la loi actuelle, lorsqu'une entreprise importe une arme à feu à autorisation restreinte ou prohibée, elle doit remplir des formulaires et les armes doivent être vérifiées par l'Agence des services frontaliers du Canada à leur arrivée et doivent être enregistrées auprès de la police avant d'être vendues, mais le volume d'armes à feu importées à ces deux emplacements est inégalé. C'est un problème particulier en Colombie-Britannique, et le projet de loi C-42 permettra à la police et à l'ASFC d'échanger des renseignements.

Le projet de loi C-42 clarifie également que le pouvoir discrétionnaire accordé aux contrôleurs des armes à feu en vertu de la Loi sur les armes à feu peut être limité par voie de règlement. Le projet de loi contribuera à faire en sorte, s'il y a lieu et au besoin, que le Programme canadien des armes à feu soit appliqué de façon équitable d'un bout à l'autre du pays.

Enfin, conformément à l'engagement ferme du gouvernement à appuyer les familles et à défendre les victimes d'actes criminels, nous avons également proposé d'apporter un changement important qui nous permettra de mieux protéger les victimes de violence familiale. Plus précisément, le projet de loi modifierait le Code criminel pour renforcer les dispositions qui interdisent la possession d'armes, y compris des armes à feu, aux personnes condamnées pour une infraction liée à la violence familiale. Ainsi, nous pouvons faire en sorte que le régime des armes à feu cible vraiment ceux qui doivent l'être au nom de la sécurité publique — les individus qui ont démontré qu'ils constituent une menace pour la société, et plus particulièrement pour les femmes et les enfants dans leur foyer.

Pour conclure, nous croyons que les mesures proposées dans ce projet de loi sont sensées et équilibrées. Par ailleurs, elles nous permettront de mieux protéger la sécurité publique tout en allégeant le fardeau administratif des propriétaires d'armes à feu respectueux des lois au pays.

Merci beaucoup, honorable sénateurs. J'espère pouvoir compter sur votre appui.

L'honorable Joan Fraser (leader adjointe de l'opposition) : Honorables sénateurs, la sénatrice Hervieux-Payette s'était portée volontaire pour agir à titre de porte-parole de l'opposition sur ce projet de loi. La question l'intéresse au plus haut point. Cependant, comme elle a dû s'absenter du Sénat, elle m'a laissé les notes qu'elle avait préparées sur cette mesure législative. Je serai donc la porte-parole de l'opposition à ce sujet cet après-midi.

Après avoir fait moi-même quelques recherches sur le projet de loi, je dois vous dire que je suis d'accord avec une grande partie de l'analyse qu'elle a faite du contenu de la mesure législative. Ceux qui m'ont déjà entendue parler de questions touchant le contrôle des armes à feu ne seront pas étonnés d'apprendre que, dans l'ensemble, je m'oppose à ce projet de loi.

Le projet de loi contient certaines mesures qui permettront d'améliorer un peu le système actuel, notamment la nouvelle ordonnance d'interdiction de possession d'armes, y compris des armes à feu, et d'autres articles. En effet, le projet de loi prévoit interdire à une personne de posséder des armes à feu à vie si elle a commis un acte criminel avec usage, tentative ou menace de violence contre son partenaire intime, actuel ou ancien, un de ses enfants, son père, sa mère ou toute personne qui réside avec son partenaire intime, actuel ou ancien.

Je pense qu'il s'agit essentiellement de violence familiale. À mon avis, il est tout à fait approprié qu'une personne reconnue coupable de violence familiale ne devrait plus jamais être autorisée à posséder une arme à feu.

Je pense aussi qu'il est bon que les nouveaux demandeurs d'un permis de possession et d'acquisition soient tenus de suivre un cours de maniement des armes à feu, au lieu de simplement subir l'examen en espérant avoir suffisamment de bonnes réponses pour le passer.

Il faut suivre un cours pour apprendre à conduire une voiture. Il va sans dire qu'il faut aussi suivre un cours pour apprendre à manier une arme à feu en toute sécurité.

Je vais maintenant lire les notes préparées par la sénatrice Hervieux-Payette.

[Français]

Alors, vous comprendrez que, à partir de maintenant, le mot « je » implique la sénatrice Hervieux-Payette.

Honorables sénateurs, je prends aujourd'hui la parole en tant que critique du projet de loi C-42, intitulé par son titre abrégé, la Loi visant la délivrance simple et sécuritaire des permis d'arme à feu.

Toutefois, avant d'entreprendre l'allocution de mon discours, j'aimerais rappeler un événement tragique qui est survenu il y a maintenant un an, jour pour jour. Le 4 juin 2014, dans la ville de Moncton, Justin Bourque commet l'un des crimes les plus violents de l'histoire du Canada. Lors d'une chasse à l'homme acharnée, le jeune homme, alors âgé de 24 ans, armé d'un fusil à pompe et d'une arme à feu semi-automatique de calibre .308 de type Norinco M305, atteint cinq policiers de la GRC par balle. Trois d'entre eux décèdent et deux survivent.

Justin Bourque avait le privilège de posséder et d'acquérir de telles armes.

C'est aujourd'hui, honorables sénateurs, que je dois me prononcer sur le projet de loi C-42. Quelle triste coïncidence.

Le ministre Blaney et le gouvernement ont l'intention, dans le cadre du projet de loi C-42, d'octroyer encore plus de privilèges aux propriétaires d'armes à feu restreintes, comme celles que possédait et qu'a utilisées Justin Bourque, tout en réduisant les mesures de contrôle sur les armes à feu, encore une fois.

(1540)

J'ai eu l'occasion d'étudier le projet de loi C-42, et je dois vous avouer que je n'ai pas été impressionnée par les mesures du ministre Blaney. Ce gouvernement a pris la très mauvaise habitude, depuis qu'il est entré au pouvoir en 2006, de rétrograder les mesures de contrôle des armes à feu.

On a vu l'intervention du gouvernement en 2012, avec le projet de loi C-19, qui a aboli le registre des armes à feu pour les armes d'épaule et, maintenant, nous voici devant le projet de loi C-42, qui vient donner encore plus de privilèges aux propriétaires d'armes à feu.

Honorables sénateurs, il me désole de constater que le ministre utilise des arguments simplistes pour promouvoir le projet de loi. Comme il l'a répété maintes fois durant les très courts débats à l'autre endroit, le projet de loi C-42 vise essentiellement à récompenser — et je cite le ministre — les « bons » propriétaires d'armes à feu en leur enlevant des « irritants administratifs ».

Lorsque le ministre a présenté son projet de loi au Comité permanent de la sécurité publique et nationale, à l'autre endroit, le jeudi 23 avril dernier, il a mentionné, et je cite, qu'il :

[...] considère qu'un propriétaire d'armes à feu qui se conforme aux lois constitue un élément de sécurité

accrue. C'est la raison pour laquelle il est important, bien sûr, d'enlever les irritants.

Dois-je rappeler au ministre Blaney et à ce gouvernement que nous vivons au Canada et qu'aucune de nos lois et des dispositions de notre Constitution ne prévoient un droit inhérent de possession ou d'acquisition d'arme à feu?

Dois-je également rappeler au ministre et au gouvernement que la possession et l'acquisition d'armes à feu au Canada sont un privilège et non un droit? La Cour suprême du Canada l'a en effet déclaré de façon unanime en 2005, dans la décision R. c. Wiles. La juge Charron a affirmé ce qui suit, et je cite :

[...] la possession et l'utilisation d'armes à feu ne constituent pas un droit ou une liberté que garantit la Charte, mais un privilège.

En tant que parlementaire, je trouve tout à fait déplorable de constater que le ministre a oublié ces deux importants éléments de notre législation et du droit canadien en matière d'armes à feu lorsqu'il promeut le projet de loi C-42.

Comme je l'ai mentionné plus tôt, honorables sénateurs, les dispositions du projet de loi C-42 accordent essentiellement plus de privilèges aux propriétaires d'armes à feu. Mais à quel prix?

Eh bien, contrairement à ce que le ministre défend, il est évident que l'octroi de ces privilèges porte atteinte à la sécurité publique.

Dans le cadre de mon étude sur le projet de loi C-42, j'ai retenu trois points clés qui étayent cette conclusion et contrecarrent les prétentions du ministre. Il s'agit :

  • premièrement, des changements à l'octroi de permis;
  • deuxièmement, de l'affaiblissement du contrôle sur les armes à feu à autorisation restreinte, incluant les armes de poing; et
  • troisièmement, du renforcement du pouvoir décisionnel octroyé au Cabinet par rapport à la classification des armes à feu.

En premier lieu, il ne fait aucun doute que les changements à l'octroi de permis, prévus par le projet de loi C-42, déconsidèrent la notion de sécurité publique.

L'un de ces changements m'a fortement interpellée et est lié au renouvellement automatique de tous les permis de possession et d'acquisition, et ce, pour toutes les classes d'armes à feu, y compris les armes à feu prohibées.

Honorables sénateurs, si cette mesure est octroyée, il n'y aura plus de dépistage des facteurs de risque de violence et de suicide. Le résultat, c'est qu'il y aura une augmentation des chances que des personnes dangereuses aient accès aux armes à feu.

Cette mesure n'est aucunement bénéfique pour les Canadiens et, surtout, pour les Canadiennes. En effet, une proportion importante des conjoints qui tuent leur partenaire a préalablement un casier judiciaire ou des antécédents de traitements psychiatriques.

Autre constatation inquiétante : le Bureau du coroner en chef de l'Ontario avait affirmé, dans son Rapport annuel du Comité d'examen des décès dus à la violence de 2002, que l'accès aux armes à feu se retrouve parmi les 5 à 10 premiers facteurs de risque dans le décès d'une femme lors d'une situation de violence conjugale.

Enfin, l'octroi automatique de tous les permis risquerait également d'augmenter les facteurs de risque de suicides. Nous savons tous que le suicide demeure un fléau chez nos jeunes. Or, le ministre et le gouvernement font fi de cette triste réalité et compromettent ainsi la sécurité de ces jeunes en adoptant des projets de loi tels que C-42.

En deuxième lieu, il est évident que le projet de loi C-42 encourage l'affaiblissement du contrôle sur les armes à feu restreintes, ce qui inclut les armes de poing et plusieurs autres armes dangereuses.

À titre d'exemple, le ministre Blaney propose que les propriétaires de permis n'aient plus de restrictions quant au transport de leurs armes à l'intérieur de la province où ils demeurent. Ainsi, le projet de loi C-42 abolit les autorisations de transport en les incluant automatiquement aux permis de possession et d'acquisition des armes à feu avec restriction.

Cette mesure est grave, honorables sénateurs, puisqu'elle encourage la circulation d'armes à feu dangereuses à l'intérieur de nos provinces, et ce, sans qu'aucune autorité ne le sache.

En d'autres termes, l'abrogation des autorisations de transport permettrait aux propriétaires d'armes de poing et d'armes à feu semi-automatiques, telles que celles utilisées dans les tueries de Polytechnique, du Collège Dawson et de Moncton, de les transporter librement et en tout temps.

Il est évident que si on encourage la circulation d'armes à feu, on encourage également une augmentation du taux d'homicide.

Puisque le ministre et le gouvernement prennent de plus en plus pour modèle le régime américain des armes à feu, j'ose espérer que quelques statistiques comparatives sur le taux de mortalité et d'homicides entre nos voisins du Sud et le Canada puissent les convaincre que le fait d'affaiblir le contrôle des armes à feu restreintes engendre des répercussions dévastatrices et ne permet en aucun cas d'assurer la sécurité des Canadiennes et des Canadiens.

Pour commencer, saviez-vous, honorables sénateurs, que le taux de mortalité lié aux armes à feu aux États-Unis — un pays où les lois en matière de contrôle des armes à feu sont très faibles — se chiffrait à 10,3 par 100 000 habitants en 2011? Il s'agit de 32 163 décès, selon les National Vital Statistic Reports du U.S. Department of Health and Human Services. Cela représente, si vous voulez, 20 tours, comme celles du World Trade Center, qui s'écroulent chaque année aux États-Unis! Il y avait 2 977 victimes le 11 septembre 2001. Au Canada, pour le même taux et la même année, en 2011, nous n'avons compté que 679 décès, soit 1,9 par 100 000 habitants; 1,9 chez nous, 10,3 chez eux. Merci à la législation et à la jurisprudence canadiennes!

En 2012, le taux d'homicides commis sans arme à feu aux États-Unis se chiffrait à 1,33 par 100 000 habitants, selon le FBI, alors qu'au Canada, le taux respectif était de 1,07 par 100 000 habitants, selon Statistique Canada. C'était le taux d'homicides sans arme à feu. Or, les deux chiffres se comparent plus ou moins.

Toujours la même année, le taux d'homicides commis avec des armes à feu, chez nos voisins américains, était de 3 par 100 000 habitants, ce qui représente un taux six fois plus élevé que notre taux d'homicides avec arme à feu, qui se chiffre à 0,49 par 100 000 habitants.

(1550)

Les chiffres sont encore plus spectaculaires lorsqu'on compare le taux d'homicides de 2012 impliquant des armes de poing, aux États-Unis, qui était de 2,16 par 100 000 habitants, soit sept fois plus élevé que le taux canadien de 0,31 par 100 000.

Le taux est donc six fois et sept fois plus élevé là-bas. Compte tenu de ces chiffres, toute personne raisonnable, saine d'esprit et moyennement intelligente peut facilement constater que, plus les lois sur le contrôle des armes à feu sont faibles, plus on augmente les risques d'homicide. C'est triste, mais c'est la réalité.

Pourquoi le ministre et le gouvernement doutent-ils des Canadiens et des Canadiennes en poursuivant avec tant de zèle leur croisade contre les politiques sur le contrôle des armes à feu? Le troisième point clé de mon discours semble répondre à cette question.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-42 est l'une des mesures les plus inquiétantes que le ministre et le gouvernement tentent de modifier. Le projet de loi C-42 octroie un important pouvoir décisionnel final au Cabinet dans le cadre de la classification des armes à feu.

J'aimerais toutefois préciser un élément. À l'heure actuelle, le Code criminel prévoit un tel pouvoir au Cabinet, mais ce pouvoir est tout à fait différent de celui qui est proposé par le projet de loi C-42.

L'unique pouvoir décisionnel que le Cabinet détient actuellement, par rapport à la classification des armes à feu, consiste exclusivement à modifier la classification d'une arme pour l'inclure dans une catégorie plus restrictive. Grosso modo, c'est le sens qui existe maintenant au Code criminel.

En vertu du projet de loi C-42, le ministre veut octroyer un pouvoir décisionnel au cabinet qui permettrait au pouvoir politique de déclassifier unilatéralement une arme à feu en la rendant plus accessible. Ainsi, le ministre serait autorisé à faire passer une arme à feu restreinte dans la catégorie des armes à feu non restreintes. Ne soyons pas naïfs. Ce changement coïncide avec les difficultés qu'éprouve le ministre de satisfaire, dans le cadre de la loi, les groupes de pression pro-armes dans l'affaire Swiss Arms, qui remonte à l'hiver 2014. De quoi s'agit-il? En 2014, la Gendarmerie royale du Canada a décidé de restreindre les armes de modèle Swiss Arms à la suite d'une enquête. Cependant, sous la pression des lobbyistes qui contestaient cette décision de la GRC, le ministre, incapable de déclassifier l'arme de par la loi, a décidé, par décret, de mettre ce modèle d'arme sous amnistie. Cette décision politique est venue contredire la GRC, pas les bien-pensants libéraux. C'est la GRC qui ne voulait pas déclassifier le modèle Swiss Arms. Donc, cette décision est venue contredire la GRC et a porté atteinte à la sécurité des Canadiens.

Ce pouvoir est très inquiétant, en raison du fait que ce gouvernement ouvre de plus en plus les portes de l'édifice Langevin au groupe pro-armes à feu. Honorables sénateurs, il est tout à fait faux et illusoire de prétendre que le projet de loi C-42 vise à protéger la vie des Canadiens et des Canadiennes. Les trois points clés que je viens de mentionner ne font du projet de loi C-42 qu'une mesure conservatrice préélectoraliste qui vise uniquement à servir les intérêts d'un groupe particulier tout en mettant en danger la sécurité publique des Canadiennes et des Canadiens.

C'est pourquoi, honorables sénateurs, je m'oppose au projet de loi C-42, et je vous invite à faire de même.

Je vous remercie.

[Traduction]

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Beyak, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.)

Projet de loi antiterroriste de 2015

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Fixation de délai—Adoption de la motion

L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement), conformément au préavis donné le 3 juin 2015, propose :

Que, conformément à l'article 7-2 du Règlement, pas plus de six heures de délibérations additionnelles soient attribuées à l'étape de la troisième lecture du projet de loi C-51, Loi édictant la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada et la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, modifiant le Code criminel, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.

— Honorables sénateurs, le projet de loi C-51 est une mesure législative importante qui autorise des institutions fédérales à communiquer de l'information à d'autres institutions fédérales qui ont des compétences ou des attributions à l'égard d'activités portant atteinte à la sécurité du Canada; constitue un cadre législatif en vue de l'identification des personnes qui pourraient participer à un acte qui menacerait la sûreté des transports ou qui pourraient se déplacer en aéronef dans le but de commettre une infraction de terrorisme et en vue de l'intervention à leur égard; criminalise des activités terroristes; et permet de prendre des mesures pour réduire les menaces envers la sécurité du Canada.

Je tiens à rappeler à tous les honorables sénateurs que nombre d'entre nous sont déjà intervenus à l'étape de la troisième lecture et que, par ailleurs, ce projet de loi a déjà fait l'objet d'un examen approfondi. Alors que l'autre endroit l'étudiait encore, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense a procédé à son étude préalable, au cours de laquelle il a entendu 38 témoins.

Le comité a complété l'étude du projet de loi après le débat à l'étape de la deuxième lecture. Avant la fin de l'étude article par article, il avait entendu 20 témoins.

Le projet de loi C-51 demeure une priorité pour le gouvernement. L'adoption de la présente motion garantira l'adoption rapide du projet de loi à l'étape finale de son étude.

Lors des discussions sur le plumitif, nous n'avons pas réussi à en arriver à une entente relativement à l'attribution de temps pour le débat sur le projet de loi C-51. Par conséquent, je demande à tous les sénateurs d'adopter cette importante motion. L'adoption de la motion, puis celle du projet de loi C-51, nous permettront de mieux protéger les Canadiens contre les menaces terroristes, ce qui est le premier devoir de tout gouvernement.

Merci.

Des voix : Bravo!

L'honorable Joan Fraser (leader adjointe de l'opposition) : Cette manie d'avoir recours à l'attribution de temps est scandaleuse et elle fait du Sénat une mascarade.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Fraser : L'attribution de temps est un outil qui figure dans le Règlement pour une bonne raison. Il arrive parfois qu'il soit urgent d'adopter un projet de loi donné ou que les opposants à un projet de loi fassent tellement d'obstruction systématique que le gouvernement n'a pratiquement pas d'autre choix que de présenter ce qui équivaut à une motion de clôture.

Or, dans ce cas-ci, ni l'une ni l'autre de ces possibilités n'est vraie. Rien ne presse. Nous comprenons que le gouvernement veuille que le projet de loi soit adopté avant l'interruption de nos travaux pour l'été, mais nous n'interrompons pas nos travaux aujourd'hui, ni la semaine prochaine, ni la semaine suivante, si je ne m'abuse. Je crois bien que nous sommes ici pour encore au moins trois semaines.

Le projet de loi pourrait faire l'objet d'un débat normal puis, grâce au contrôle du gouvernement sur la majorité des voix au Sénat — malheureusement, à mon sens —, être adopté sans qu'on doive se servir de l'attribution du temps.

(1600)

Au lieu de cela, nous nous retrouvons encore une fois dans la même situation. Il est vrai que certains sénateurs ont pris la parole au sujet du projet de loi, mais il y en a plusieurs autres qui voudraient aussi le faire. Au moins huit sénateurs travaillent dur pour que ce soit chose faite cet après-midi. Dans certains cas, cette situation leur pose de gros problèmes.

D'autres auraient pris la parole la semaine prochaine s'ils n'avaient pas été privés de cette occasion. Pourquoi en sont-ils privés? Pour des raisons de commodité, pour que le gouvernement ait bonne conscience, mais ce ne sont pas de bonnes raisons. Ce ne sont pas des raisons suffisantes.

J'exhorte mes collègues à voter contre cette motion.

L'honorable Joseph A. Day : Honorables sénateurs, je tiens à apporter certaines précisions relativement à l'attribution de temps. Nous avons effectivement fait une étude préalable, mais celle-ci portait sur le projet de loi précédent, c'est-à-dire sur le projet de loi avant que celui-ci soit modifié par la Chambre des communes. C'est le danger lié à une étude préalable faite ici, au Sénat. Nous consacrons notre temps et nos efforts à étudier une mesure législative qui, lorsqu'elle arrive ici, n'est pas la mesure devant faire l'objet d'un second examen objectif.

C'est exactement ce qui s'est produit dans ce cas-ci. Si nous voulons être précis relativement aux statistiques présentées par mon honorable collègue, il faut mentionner que nous avons consacré une journée à l'étude du projet de loi. Je dis bien une journée. Ensuite, nous avons ramené cette mesure au Sénat. Nous avons collaboré en ramenant le projet de loi ici, afin que nous puissions nous en occuper le lundi. Nous avons ensuite consacré une journée aux audiences sur ce projet de loi, qui est ensuite revenu ici. Voilà qu'on nous demande maintenant de renoncer à la possibilité d'en débattre.

Il n'y a pas lieu de recourir à la clôture. Nous avons pleinement collaboré et, comme l'a dit mon honorable collègue, la sénatrice Fraser, rien n'indique que le projet de loi doit être adopté aujourd'hui plutôt qu'au cours des trois prochaines semaines.

Nous savons que nous allons être ici encore trois semaines. Par conséquent, pourquoi ne pourrions-nous pas tout simplement poursuivre notre débat, laisser les sénateurs examiner les amendements qui ont été faits à l'autre endroit, et ensuite adopter le projet de loi dans un esprit de collaboration? Honorables sénateurs, je vous remercie.

L'honorable Anne C. Cools : Honorables sénateurs, j'aimerais dire quelques mots dans le cadre du débat sur la clôture. J'ai le sentiment étrange que je dois faire ce que l'on fait avec des enfants, ou ce que je fais avec mon chien, c'est-à-dire répéter sans cesse les mêmes choses.

On dit que les motions de clôture transforment le Sénat en une dictature. Ces motions sont censées être utilisées rarement et, lorsqu'elles le sont, ce doit être pour de très bonnes raisons : premièrement, la mesure est requise d'urgence par le public, pour l'intérêt public; deuxièmement, la clôture ne peut être utilisée que dans les cas où l'opposition s'est employée de façon soutenue et prolongée à bloquer l'adoption d'une initiative ministérielle dont le public a un besoin urgent, pour l'intérêt public. Je répète que nous parlons ici d'opposition longue et soutenue.

Honorables sénateurs, le Sénat actuel ne sait pas ce qu'est une opposition longue et soutenue.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Cools : Il n'y a pas eu de telles oppositions depuis bien des années. Une opposition soutenue ne s'étire pas sur deux ou trois semaines, mais sur une période très prolongée.

Enfin, et c'est là un dossier très important sur lequel le gouvernement doit se pencher, de telles motions ne peuvent être proposées que par des ministres. Nous parlons ici d'un privilège réservé aux ministres. Le Sénat ne compte aucun ministre. Il n'y a personne ici qui possède le privilège de proposer une telle motion et qui est donc habilité à le faire.

La situation dégénère. Le Sénat ne peut continuer de fonctionner dans cette zone indécise d'illégalité. La règle veut que ce soit un ministre de la Couronne qui utilise ces motions lorsque cela est nécessaire de toute urgence dans l'intérêt public.

Je l'ai déjà dit. C'est environ la quatrième fois que j'y reviens en quelques années. Le recours à ces motions de clôture, de bâillon ou d'attribution de temps, peu importe comment on les appelle, devient une habitude. Ces motions sont censées être utilisées dans des circonstances exceptionnelles. Il n'y a rien d'exceptionnel dans ce cas-ci.

Certains des partisans du gouvernement, de ce côté-là, devraient convaincre le premier ministre de faire accéder un sénateur au rang de ministre, si on veut utiliser ces motions. À défaut de quoi je propose qu'un sénateur audacieux et savant propose une adresse au gouverneur général pour faire en sorte qu'un sénateur devienne ministre de la Couronne. Ainsi, les vœux de la Couronne pourront se concrétiser correctement au Sénat. Merci.

L'honorable Daniel Lang : Chers collègues, je n'allais pas intervenir à propos de la motion de clôture, mais il me semble qu'une mise au point s'impose.

D'abord, en ce qui concerne l'étude du projet de loi C-51, le Comité permanent de la sécurité nationale et de la défense a tenu des audiences pendant six semaines. Il a accueilli 63 témoins en tout. Nous avons donc eu des audiences de comité claires et sérieuses pour étudier le projet de loi. Le représentant du Nouveau-Brunswick fait valoir que, au Sénat, une seule séance a été consacrée au projet de loi. Ce que je veux dire, c'est que nous avons eu de meilleures audiences, à mon avis, qu'il n'y en a eu à l'autre endroit, à dire vrai. Tous les membres du comité sont sans doute de cet avis.

Deuxièmement, je tiens à dire une chose au sujet du projet de loi à l'étude, de la gravité de ce projet de loi sur lequel, je l'espère, nous nous prononcerons aujourd'hui : cette mesure contient des dispositions qui, si elles s'étaient trouvées dans la législation existante à ce moment-là, auraient peut-être bien pu prévenir la mort de l'adjudant Patrice Vincent, au Québec. Le projet de loi abaisse les critères à respecter pour que les services de renseignement et les forces de l'ordre puissent saisir les tribunaux de problèmes très graves et immédiats et intervenir rapidement.

Personne ici ne peut dire si un incident semblable se produira demain, mais c'est tout à fait possible. Rien ne l'empêche. Minimiser ce risque et prétendre que nous pourrions siéger encore un mois pour étudier le projet de loi, cela me semble irresponsable, bien franchement. L'autre point que je...

Le sénateur Moore : Vous attisez la peur? De quoi s'agit-il?

Le sénateur Lang : L'impolitesse est chose courante, parfois.

La sénatrice Cordy : C'est une campagne de peur.

Le sénateur Lang : Je vais conclure mes propos sur le projet de loi à l'étude et sur les délibérations au Sénat et au comité sénatorial. Nous nous intéressons au problème du terrorisme toutes les semaines depuis octobre, depuis ce jour malheureux où nous avons perdu l'adjudant Vincent. On ne saurait sous-estimer la gravité des problèmes que doivent affronter notre société et notre pays.

Je vous dis que la question est importante. Je dis à ma collègue, la sénatrice Cools, que cette mesure est dans l'intérêt public. C'est un projet de loi qui a été dûment étudié, et je crois que nos observations le montrent bien, si les sénateurs se donnent la peine de prendre connaissance des résultats des audiences du comité qui ont été présentés au Sénat.

Je voudrais réussir à persuader tous les sénateurs d'examiner ce projet de loi sous l'angle du bien-être général et de la sécurité de notre pays. Plus tôt il sera adopté et recevra la sanction royale, plus tôt nos services du renseignement et nos organismes d'exécution de la loi disposeront des outils nécessaires pour s'acquitter du travail que nous leur avons demandé de faire.

(1610)

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je n'avais pas l'intention de participer au débat sur cette motion, mais j'ai une question à poser : qu'est-ce qui est si grave? Ce qui est grave, c'est que des gens seront privés de leurs droits. Ce n'est pas le Canada que je connais. Il est très important pour nous de tenir un débat complet sur ces questions.

Au moment d'effectuer l'étude préliminaire, la leader adjointe de l'opposition m'a donné l'assurance que le projet de loi ferait l'objet d'un examen plus approfondi lorsqu'il serait renvoyé au comité. Nous avons eu droit à une journée d'audiences. Nous n'avons pas entendu un seul témoin de confession musulmane, pas un seul membre de la communauté qui sera la plus touchée par ce projet de loi. Pas un seul témoin musulman n'a pu nous parler de la mesure dans laquelle sa communauté sera touchée.

Honorables sénateurs, ce qui est grave, c'est que les droits des gens seront touchés. Nous devons en discuter plus longtemps que les six heures qui ont été attribuées.

Des voix : Bravo!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente intérimaire : À mon avis, les oui l'emportent.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur la Présidente intérimaire : Convoquez les sénateurs.

Les whips ont-ils un avis à formuler quant à la durée de la sonnerie?

La sonnerie retentira pendant 30 minutes. Le vote aura lieu à 16 h 42.

(1640)

La motion, mise aux voix, est adoptée.

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Andreychuk McIntyre
Ataullahjan Meredith
Batters Mockler
Bellemare Nancy Ruth
Beyak Neufeld
Black Ogilvie
Carignan Oh
Dagenais Patterson
Doyle Plett
Eaton Raine
Enverga Rivard
Fortin-Duplessis Runciman
Frum Seidman
Gerstein Smith (Saurel)
Greene Stewart Olsen
Lang Tannas
LeBreton Tkachuk
MacDonald Unger
Maltais Wallace
Manning Wells
Marshall White—42

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Chaput Jaffer
Cools Lovelace Nicholas
Cordy Mitchell
Cowan Moore
Day Munson
Downe Ringuette
Dyck Sibbeston
Fraser Tardif—17
Furey

(1650)

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Rejet des motions d'amendement—Report du vote

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Runciman, appuyée par l'honorable sénateur Boisvenu, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-51, Loi édictant la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada et la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, modifiant le Code criminel, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois;

Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénateur Mitchell, appuyée par l'honorable sénatrice Lovelace Nicholas, que le projet de loi ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié :

a) à l'article 2, à la page 5 :

(i) par adjonction, après la ligne 17, de ce qui suit :

« (1.1) L'institution fédérale qui communique des renseignements en vertu du paragraphe (1) le fait conformément à des politiques clairement établies visant à vérifier la pertinence, la fiabilité et l'exactitude de ces renseignements. », et

(ii) par adjonction, après la ligne 20, de ce qui suit :

« (3) Avant de communiquer de l'information en vertu du présent article, l'institution fédérale doit conclure, avec l'institution fédérale destinataire, une entente écrite qui précise les principes régissant la communication d'information entre elles.

(4) L'entente écrite conclue en application du paragraphe (3) respecte les principes énoncés à l'article 4 et comporte des dispositions sur les modalités de la conservation et de la destruction de l'information partagée, la confirmation de la fiabilité de cette information et son utilisation future.

(5) L'institution fédérale :

a) avise le Commissaire à la protection de la vie privée de toute entente écrite qu'elle prévoit conclure;

b) accorde au Commissaire à la protection de la vie privée un délai raisonnable pour formuler des observations.

(6) Copie de l'entente écrite conclue en application du paragraphe (3) est fournie au Commissaire à la protection de la vie privée. »;

b) à l'article 6 :

(i) à la page 8, par substitution, à la ligne 33, de ce qui suit :

« 6. Le passage du paragraphe 241(9) de »,

(ii) à la page 9 :

(A) par substitution, à la ligne 6, de ce qui suit :

« b) des renseignements confidentiels désignés, s'il »,

(B) par suppression des lignes 25 à 27;

c) à l'article 42, à la page 49 :

(i) par substitution, aux lignes 22 à 25, de ce qui suit :

« mesures qui seront contraires au droit canadien. »,

(ii) par substitution, à la ligne 28, de ce qui suit :

« d'application de la loi et ne l'autorise pas à prendre des mesures qui porteront atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. »

d) à l'article 50, à la page 55, par substitution, à la ligne 4, de ce qui suit :

« 50. (1) L'alinéa 38(1)a) de la même loi est modifié par adjonction, après le sous-alinéa (vii), de ce qui suit :

(viii) examiner l'utilisation, la conservation et la communication subséquente de toute information communiquée par le Service à une institution fédérale, au sens de l'article 2 de la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada, au gouvernement d'un État étranger ou à l'une de ses institutions, ou à une organisation internationale d'États ou à l'une de ses institutions;

(2) L'article 38 de la même loi est modifié »;

e) à la page 55, par adjonction, après la ligne 12, de ce qui suit :

« 50.1 Le paragraphe 39(2) de la même loi est modifié par adjonction, après l'alinéa b), de ce qui suit :

c) au cours des examens visés au sous-alinéa 38(1) a)(viii), est autorisé à avoir accès aux informations qui se rapportent à ces examens et qui relèvent de l'institution fédérale concernée;

d) au cours des examens visés au sous-alinéa 38(1) a)(viii), est autorisé à avoir accès aux informations qui se rapportent à ces examens et qui relèvent du gouvernement d'un État étranger ou de l'une de ses institutions, ou d'une organisation internationale d'États ou de l'une de ses institutions, sur demande présentée au gouvernement, à l'organisation internationale ou à l'institution concernés. »;

« 50.2 La même loi est modifiée par adjonction, après l'article 39, de ce qui suit :

39.1 (1) Si le comité de surveillance a des motifs raisonnables de croire qu'il est nécessaire, pour l'exercice des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la présente loi ou des fonctions attribuées au commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications par la Loi sur la défense nationale, à la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada par la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada ou au Commissaire à la protection de la vie privée par la Loi sur la protection des renseignements personnels, il peut communiquer toute information qu'il peut obtenir ou avoir en sa possession sous le régime de la présente loi :

a) au commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications;

b) à la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada;

c) au Commissaire à la protection de la vie privée.

(2) Le comité de surveillance avise le directeur de son intention de communiquer de l'information visée au paragraphe (1) et lui donne un délai raisonnable pour formuler des observations.

(3) Dans le cas où le directeur s'oppose à la communication de l'information, le comité de surveillance peut refuser de communiquer l'information s'il est convaincu, sur le fondement de motifs raisonnables, que cette communication causerait un préjudice grave à l'exercice par le Service des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la présente loi.

(4) Dans le cas où le comité de surveillance ne tient pas compte de l'opposition du directeur, ce dernier dispose de dix jours pour demander à un juge de surseoir à la communication de l'information.

(5) Le juge peut rendre l'ordonnance de sursis visée au paragraphe (4) s'il est convaincu, sur le fondement de motifs raisonnables, que la communication de l'information causerait un grave préjudice à l'exercice par le Service des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la présente loi.

(6) Le comité de surveillance peut demander à un juge de lever l'ordonnance de sursis au motif que les circonstances ont changé.

(7) Il est entendu que le comité de surveillance peut demander au commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications, à la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada ou au Commissaire à la protection de la vie privée de lui communiquer l'information qu'il estime nécessaire pour l'exercice des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la présente loi. ».

f) à la page 55, par adjonction, après la ligne 20, de ce qui suit :

« 51.1 La même loi est modifiée par adjonction, après l'article 55, de ce qui suit :

PARTIE III.1

COMITÉ PARLEMENTAIRE SUR LE CONTRÔLE DE LA SÉCURITÉ

55.1 (1) Est constitué le Comité parlementaire sur le contrôle de la sécurité, composé de membres des deux Chambres du Parlement, à l'exception des ministres et des secrétaires parlementaires.

(2) Sous réserve du paragraphe (3), le Comité est composé de huit membres, dont quatre sénateurs et quatre députés, et comprend au moins un membre de chacun des partis reconnus au Sénat et à la Chambre des communes.

(3) Si l'une ou l'autre des deux Chambres du Parlement comprend plus de quatre partis reconnus, la composition du Comité est augmentée afin de comprendre un membre de chacun des partis reconnus au Sénat et à la Chambre des communes et de maintenir un nombre égal de sénateurs et de députés.

(4) Les membres du Comité sont nommés par le gouverneur en conseil et exercent leur charge à titre amovible jusqu'à la dissolution du Parlement suivant leur nomination.

(5) Un membre provenant du Sénat ou de la Chambre des communes appartenant à un parti de l'opposition reconnu dans cette Chambre ne peut être nommé au Comité qu'après consultation du chef de ce parti.

(6) Un membre provenant du Sénat ou de la Chambre des communes ne peut être nommé au Comité qu'après approbation par résolution de cette Chambre.

(7) Les membres du Comité cessent d'occuper leur poste s'ils sont nommés ministre ou secrétaire parlementaire ou s'ils cessent d'être sénateur ou député.

(8) Les membres du Comité et les personnes qu'il engage sont tenus, avant d'entrer en fonctions, de prêter le serment de secret et de s'y conformer à la fois lors de leur mandat et après celui-ci.

(9) Pour l'application de la Loi sur la protection de l'information, chaque membre du Comité et chaque personne qu'il engage est une personne astreinte au secret à perpétuité.

(10) Malgré toute autre loi fédérale, les membres du Comité ne peuvent invoquer l'immunité fondée sur le privilège parlementaire en cas d'utilisation ou de communication de renseignements qu'ils ont en leur possession — ou dont ils prennent connaissance — en leur qualité de membre du Comité.

(11) Les réunions du Comité sont tenues à huis clos lorsque la majorité des membres du Comité présents l'estiment nécessaire.

(12) Le Comité a pour mandat d'examiner les activités du Service ainsi que les cadres législatif, réglementaire, stratégique et administratif de celui-ci et d'en faire rapport annuellement à chaque Chambre du Parlement.

(13) Le Comité a le pouvoir d'assigner devant lui des témoins et de leur enjoindre :

a) de déposer oralement ou par écrit sous la foi du serment ou d'une affirmation solennelle si ceux-ci en ont le droit en matière civile;

b) de produire les documents et pièces qu'il juge nécessaires à l'exercice de ses fonctions.

(14) Malgré toute autre loi fédérale ou toute immunité reconnue par le droit de la preuve, mais sous réserve du paragraphe (15), le Comité est autorisé à avoir accès aux renseignements qui se rattachent à l'exercice de ses fonctions et qui relèvent d'un ministère ou d'un organisme fédéral et à recevoir des employés les informations, rapports et explications dont il juge avoir besoin dans cet exercice.

(15) À l'exception des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada visés par le paragraphe 39(1) de la Loi sur la preuve au Canada, aucune des informations visées au paragraphe (14) ne peut, pour quelque motif que ce soit, être refusée au Comité.

(16) Le rapport annuel visé au paragraphe (12) est présenté au président de chaque Chambre du Parlement, qui le dépose devant la Chambre qu'il préside dans les quinze premiers jours de séance de celle-ci suivant la réception du rapport.

(17) Dans le présent article, « Comité » s'entend du Comité parlementaire sur le contrôle de la sécurité constitué au titre du paragraphe (1).

MODIFICATIONS CONNEXES

Loi sur la défense nationale

51.2 La Loi sur la défense nationale est modifiée par adjonction, après l'article 273.64, de ce qui suit :

273.641 (1) Si le commissaire a des motifs raisonnables de croire qu'il est nécessaire, pour l'exercice des fonctions que lui attribue la présente loi ou des fonctions attribuées au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité par la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, à la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada par la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada ou au Commissaire à la protection de la vie privée par la Loi sur la protection des renseignements personnels, il peut communiquer toute information qu'il peut obtenir ou avoir en sa possession sous le régime de la présente loi :

a) au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité;

b) à la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada;

c) au Commissaire à la protection de la vie privée.

(2) Le commissaire avise le chef de son intention de communiquer de l'information visée au paragraphe (1) et lui donne un délai raisonnable pour formuler des observations.

(3) Dans le cas où le chef s'oppose à la communication de l'information, le commissaire peut refuser de communiquer l'information s'il est convaincu, sur le fondement de motifs raisonnables, que cette communication causerait un préjudice grave à l'exercice par le Centre des fonctions que lui attribue la présente loi.

(4) Dans le cas où le commissaire ne tient pas compte de l'opposition du chef, ce dernier dispose de dix jours pour demander à un juge, au sens de l'article 2 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, de surseoir à la communication de l'information.

(5) Le juge peut rendre l'ordonnance de sursis visée au paragraphe (4) s'il est convaincu, sur le fondement de motifs raisonnables, que la communication de l'information causerait un grave préjudice à l'exercice par le Centre des fonctions que lui attribue la présente loi.

(6) Le commissaire peut demander à un juge de lever l'ordonnance de sursis au motif que les circonstances ont changé.

(7) Il est entendu que le commissaire peut demander au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, à la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada ou au Commissaire à la protection de la vie privée, de lui communiquer l'information qu'il estime nécessaire pour l'exercice des fonctions que lui attribue la présente loi.

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada

51.3 La Loi sur la Gendarmerie royale du Canada est modifiée par adjonction, après l'article 45.47, de ce qui suit :

45.471 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, si la Commission a des motifs raisonnables de croire qu'il est nécessaire, pour l'exercice des fonctions que lui attribue la présente loi ou des fonctions attribuées au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité par la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, au commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications par la Loi sur la défense nationale ou au Commissaire à la protection de la vie privée par la Loi sur la protection des renseignements personnels, elle peut communiquer toute information qu'elle peut obtenir ou avoir en sa possession sous le régime de la présente loi :

a) au commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications;

b) au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité;

c) au Commissaire à la protection de la vie privée.

(2) La Commission avise le directeur de son intention de communiquer de l'information visée au paragraphe (1) et lui donne un délai raisonnable pour formuler des observations.

(3) Dans le cas où le commissaire s'oppose à la communication de l'information, la Commission peut refuser de communiquer l'information si elle est convaincue, sur le fondement de motifs raisonnables, que cette communication causerait un préjudice grave à l'exercice par la Gendarmerie des fonctions que lui attribue la présente loi.

(4) Dans le cas où la Commission ne tient pas compte de l'opposition du commissaire, ce dernier dispose de dix jours pour demander à un juge, au sens de l'article 2 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, de surseoir à la communication de l'information.

(5) Le juge peut rendre l'ordonnance de sursis visée au paragraphe (4) s'il est convaincu, sur le fondement de motifs raisonnables, que la communication de l'information causerait un grave préjudice à l'exercice par la Gendarmerie des fonctions que lui attribue la présente loi.

(6) La Commission peut demander à un juge de lever l'ordonnance de sursis au motif que les circonstances ont changé.

(7) Il est entendu que la Commission peut demander au commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications, au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité ou au Commissaire à la protection de la vie privée, de lui communiquer l'information qu'elle estime nécessaire pour l'exercice des fonctions que lui attribue la présente loi.

Loi sur la protection des renseignements personnels

51.4 La Loi sur la protection des renseignements personnels est modifiée par adjonction, après l'article 34, de ce qui suit :

34.1 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, si le Commissaire à la protection de la vie privée a des motifs raisonnables de croire qu'il est nécessaire, pour l'exercice des fonctions que lui attribue la présente loi ou des fonctions attribuées au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité par la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, au commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications par la Loi sur la défense nationale ou à la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada par la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, il peut communiquer toute information qu'il peut obtenir ou avoir en sa possession sous le régime de la présente loi :

a) au commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications;

b) au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité;

c) à la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada.

(2) Le Commissaire à la vie privée avise le responsable de l'institution fédérale de son intention de communiquer de l'information visée au paragraphe (1) et lui donne un délai raisonnable pour formuler des observations.

(3) Dans le cas où le responsable de l'institution s'oppose à la communication de l'information, le Commissaire à la vie privée peut refuser de communiquer l'information s'il est convaincue, sur le fondement de motifs raisonnables, que cette communication causerait un préjudice grave à l'exercice par l'institution fédérale de ses fonctions.

(4) Dans le cas où le Commissaire à la vie privée ne tient pas compte de l'opposition de l'institution fédérale, cette dernière dispose de dix jours pour demander à un juge, au sens de l'article 2 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, de surseoir à la communication de l'information.

(5) Le juge peut rendre l'ordonnance de sursis visée au paragraphe (4) s'il est convaincu, sur le fondement de motifs raisonnables, que la communication de l'information causerait un grave préjudice à l'exercice par l'institution fédérale de ses fonctions.

(6) Le Commissaire à la vie privée peut demander à un juge de lever l'ordonnance de sursis au motif que les circonstances ont changé.

(7) Il est entendu que le Commissaire à la protection de la vie privée peut demander au commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications, au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité ou à la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada, de lui communiquer l'information qu'il estime nécessaire pour l'exercice des fonctions que lui attribue la présente loi.

g) à l'article 57, à la page 57, par suppression des lignes 4 à 31;

h) à l'article 59, à la page 57, par substitution, à la ligne 41, de ce qui suit :

« 85.4 (1) Il »;

Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénatrice Jaffer, appuyée par l'honorable sénatrice Fraser, que le projet de loi ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié à l'article 16 :

a) à la page 25, par substitution, aux lignes 32 à 35, de ce qui suit :

« cinq ans, quiconque, délibérément, par la communication de déclarations, préconise ou fomente une activité terroriste afin d'inciter la perpétration d'un fait — action ou omission — qui constituerait une infraction de terrorisme, exception faite de l'infraction visée au présent article. »;

b) à la page 26 :

(i) par suppression des lignes 1 à 5,

(ii) par adjonction, après la ligne 5, de ce qui suit :

« (1.1) Nul ne peut être déclaré coupable d'une infraction prévue au paragraphe (1) dans les cas suivants :

a) il établit que les déclarations communiquées étaient vraies;

b) il a, de bonne foi, exprimé une opinion sur un sujet religieux ou une opinion fondée sur un texte religieux auquel il croit, ou a tenté d'en établir le bien fondé par argument;

c) les déclarations se rapportaient à une question d'intérêt public dont l'examen était fait dans l'intérêt du public et, pour des motifs raisonnables, il les croyait vraies. »

Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénatrice Fraser, appuyée par l'honorable sénateur Munson, que le projet de loi ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié à l'article 2, à la page 4, par adjonction, après la ligne 7, de ce qui suit :

« 2.1. Il est entendu que la présente loi et les règlements ne portent pas atteinte aux droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada visés à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

L'honorable Lillian Eva Dyck : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui pour vous parler du projet de loi C-51, Loi antiterroriste de 2015. On vient tout juste de nous dire que ce projet de loi établit un juste équilibre et que nous devrions en compléter l'étude aujourd'hui parce que nous avons répondu à la demande des Canadiens en entendant un nombre suffisant de témoins. Cependant, quand nous allons dans la salle de lecture, ce que nous voyons à la télévision c'est que le public est très préoccupé par le projet de loi C-51 et par la façon dont il bafoue ses droits et son droit à la vie privée.

Ce projet de loi est extrêmement controversé, et c'est pourquoi je crois que nous aurions dû en débattre plus longuement au Sénat.

Nous avons tous reçu des centaines et des centaines de courriels de Canadiens à ce sujet. Nous avons tous été ciblés par les provinces et les territoires que nous représentons pour que nous empêchions l'adoption de ce projet de loi. Nous avons reçu des centaines, voire des milliers de courriels écrits par des Canadiens qui nous exhortent à empêcher l'adoption de ce projet de loi.

Encore aujourd'hui, le Toronto Star a publié un article d'Ed Broadbent portant sur le projet de loi C-51 dont j'aimerais vous lire un extrait. Il affirme que les Canadiens devraient insister pour que l'on n'adopte pas le projet de loi C-51. Il indique dans son article qu'il n'est pas trop tard et que nous devons continuer d'exercer des pressions afin que le projet de loi ne soit pas adopté. Voici un extrait de cet article :

Dès le début du débat, l'ancien premier ministre de la Saskatchewan, Roy Romanow, et moi avons demandé au Parlement de rejeter le projet de loi. Nous estimons que le projet de loi C-51 menace nos droits civils et que les protections garanties au titre de la Charte canadienne des droits et libertés relèveront de pouvoirs élargis qui n'ont rien de légal ou de légitime. Nous croyons aussi que le projet de loi ne fait rien pour nous protéger contre la menace terroriste. Nous reconnaissons qu'il faut prendre des mesures sérieuses, soutenues et efficaces pour contenir cette menace. Le projet de loi ne fait rien de tel, mais il porte atteinte aux droits des Canadiens.

Je vous rappelle qu'il s'agit d'un article d'Ed Broadbent. Voici la suite :

Les définitions vagues contenues dans le projet de loi C-51 suscitent de troublantes questions en ce qui concerne les personnes qui peuvent être ciblées et ce qui peut être censuré au titre du projet de loi. Par exemple, le projet de loi ne vise pas qu'à combattre le « terrorisme », il vise aussi à lutter contre les « menaces envers la sécurité du Canada » — expression vague s'il en est une. Comment définira-t-on ce qui constitue une menace envers la sécurité du Canada?

Mon collègue, le sénateur Mitchell, a proposé des amendements au projet de loi qui permettraient d'apaiser les craintes des centaines de Canadiens qui s'inquiètent de l'érosion des droits garantis par la Charte. Le sénateur veut modifier l'article 42 afin d'empêcher la délivrance de mandats qui vont à l'encontre de ce que prévoit la Chambre. Il s'agit d'une question très importante pour les Canadiens et c'est pourquoi ils continuent, à l'heure où nous parlons, de nous envoyer des courriels afin que nous empêchions l'adoption du projet de loi.

Honorables sénateurs, il s'agit d'une question très importante pour les Canadiens, et c'est pourquoi ils continuent en ce moment même à nous envoyer des courriels et à nous demander de bloquer le projet de loi.

Dans son témoignage devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes le 23 mars, notre ancien collègue, l'ancien sénateur Hugh Segal, a affirmé ce qui suit :

En démocratie, l'obligation, de la part des services de sécurité, de rendre compte à l'ensemble du Parlement n'est pas qu'une simple formalité bureaucratique. Au contraire, c'est ce qui permet de faire échec au type de bureaucratie tatillonne pouvant, à son insu, perdre de vue la mission de sécurité dont est investie la démocratie parlementaire, là où le droit et les garanties constitutionnelles, comme la présomption d'innocence et l'application régulière de la loi, doivent protéger tous les habitants, sans égard à leur ethnicité ou origine nationale.

Il soulève un point important, c'est-à-dire que des Canadiens faisant partie de minorités pourraient être visés injustement par ce projet de loi.

Nous avons tous reçu une lettre de l'Association canadienne des libertés civiles, signée par Sukanya Pillay, directrice exécutive et avocate générale, qui dit ceci :

Il y aurait une augmentation exceptionnelle du volume de renseignements échangés entre des institutions et organismes gouvernementaux et des autorités et intervenants étrangers, sans aucune mesure de protection juridique ou mécanisme de reddition de comptes prévus et sans qu'on ait fait la preuve au préalable d'avantages en matière de sécurité. La protection des renseignements personnels serait gravement compromise, sous prétexte que des activités, dont la description est très générale, pourraient porter atteinte à la sécurité du Canada.

Encore une fois, la lettre renvoie au fait que nous ne disposons pas d'une bonne définition de ce qui constitue ou pourrait constituer des activités pouvant porter atteinte à la sécurité du Canada.

Dans l'allocution qu'elle a prononcée hier, la sénatrice Jaffer a soulevé des préoccupations quant à la discrimination systémique. Voici ce qu'elle a déclaré :

[...] nous ne pouvons plus nier que, pour beaucoup de Canadiens, la discrimination sous diverses formes fait partie de la vie quotidienne. Notre politique sur le multiculturalisme est la plus avancée du monde, mais il ne suffit pas de simplement inclure le multiculturalisme dans notre Charte. Pour lutter contre la discrimination systémique, nous devons inclure le multiculturalisme dans toutes les politiques que nous adoptons, y compris dans la façon dont les Canadiens sont surveillés.

Comme vous le savez, chers collègues, la Commission de vérité et réconciliation a publié cette semaine le résumé de son rapport final sur les pensionnats autochtones. Ce rapport corrobore les rapports annuels de Howard Sapers, l'enquêteur correctionnel, qui nous font voir la surreprésentation scandaleusement élevée des Autochtones dans les prisons fédérales. Cette surreprésentation est l'une des facettes de la discrimination systémique contre les Autochtones.

Alors que les Autochtones constituent seulement environ 4 p. 100 de la population canadienne, ils représentaient, en février 2013, 23 p. 100 de la population carcérale dans les établissements fédéraux. Les femmes autochtones sont encore plus surreprésentées que les hommes autochtones dans le système correctionnel fédéral. Elles constituent 34 p. 100 des femmes purgeant une peine fédérale au Canada. Ces statistiques illustrent la discrimination que subissent déjà les Autochtones dans notre système de justice pénale et qui ne fera qu'empirer si nous adoptons le projet de loi C-51.

Voici ce que le juge Sinclair en dit :

Les causes de la surreprésentation des Autochtones dans le système carcéral sont complexes. Les déclarations de culpabilité prononcées contre des délinquants autochtones résultent souvent de l'interaction entre divers facteurs, y compris le legs intergénérationnel des pensionnats autochtones. La surreprésentation des Autochtones dans les prisons est le résultat d'un parti pris systémique dans le système de justice canadien.

Chers collègues, la culture du système de justice est déjà imprégnée d'un parti pris systémique ou de racisme. Les Autochtones font déjà l'objet d'un profilage racial. Il ne fait aucun doute qu'ils continueront de souffrir d'un traitement inéquitable comparativement aux Canadiens d'origine européenne si le projet de loi C-51 est adopté. Le parti pris systémique ou le racisme contre les Autochtones fait partie de la culture canadienne. Cette semaine, le juge Sinclair a expliqué clairement pourquoi. Voici ce qu'il dit :

[...] pendant que les Autochtones étaient rabaissés dans les écoles, que leur culture et leur langue leur étaient arrachées, qu'ils se faisaient dire qu'ils étaient inférieurs, qu'ils se faisaient traiter de païens et de sauvages et qu'on leur faisait sentir qu'ils ne méritaient aucun respect, la même vision des Autochtones était transmise aux enfants non autochtones dans les écoles publiques. Ainsi, la perception que de nombreuses générations de Canadiens non autochtones ont acquise à propos des Autochtones a été souillée par des préjugés.

Le juge Sinclair fait preuve de diplomatie. Il a parlé de « perception souillée », alors que d'autres auraient parlé de « racisme ».

Honorables sénateurs, dans mon discours à l'étape de la deuxième lecture, j'ai expliqué comment la GRC cible et surveille déjà les manifestations autochtones et comment la GRC, dans ses rapports internes, adopte une position que nous pourrions qualifier de discriminatoire ou de raciste en présumant que les manifestants autochtones sont violents ou extrémistes.

Le rapport interne de la GRC de janvier 2014, qui s'intitule Menaces criminelles planant sur l'industrie pétrolière canadienne, dit :

[...] les extrémistes préconisent le recours aux incendies criminels, aux armes à feu et aux engins explosifs improvisés. Tandis que certaines factions [...] comptent parmi leurs alliés des extrémistes autochtones violents.

La GRC prétend cela, alors que rien ne le prouve. Ce sont des préjugés.

Ce document et d'autres révèlent à quel point les autorités canadiennes, comme les policiers, la GRC et les responsables de la sécurité, présument d'emblée qu'il y aura possiblement de la violence lorsqu'elles surveillent des manifestants autochtones. On croit que les manifestants des Premières Nations sont plus violents qu'ils ne le sont en réalité.

(1700)

Étant donné l'absence, dans le projet de loi, de définitions claires du terrorisme et des manifestations, il me semble plus que probable que les Autochtones pourront facilement être considérés comme des terroristes, surtout lorsqu'il s'agit de mouvements de protestation contre des pipelines, par exemple, qui pourraient être considérés comme des infrastructures essentielles. Le projet de loi ne définit pas le terme « protestation ». La protestation est souvent pour les Canadiens autochtones et tous les Canadiens un moyen d'affirmer leurs droits et d'essayer de convaincre l'opinion qu'il faut reconnaître leurs droits.

Les Autochtones et des centaines de milliers d'autres Canadiens s'inquiètent du projet de loi C-51 et craignent l'effritement de leurs droits, tandis que les Autochtones craignent que ne s'érodent leurs droits protégés par la Constitution et leurs droits issus de traités. Le chef national de l'Assemblée des Premières Nations, Perry Bellegarde, a dit craindre que les militants des Premières Nations ne soient injustement qualifiés de terroristes. Selon lui, le projet de loi C-51 risque d'être utilisé pour réprimer davantage la défense des droits et des titres autochtones. De la même façon, le grand chef Stewart Phillip, de l'Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique, croit que le projet de loi C-51 porte directement atteinte à la capacité des Autochtones d'exercer, d'affirmer et de défendre leur titre autochtone protégé par la Constitution et reconnu par les tribunaux, et leurs droits à l'égard de leurs territoires respectifs.

Honorables sénateurs, la sénatrice Jaffer nous a dit que le comité n'a entendu aucun témoin musulman. Il n'a pas entendu non plus un seul chef national ou régional autochtone.

Le sénateur Munson : C'est une honte.

La sénatrice Dyck : Il a entendu Pamela Palmater, qui n'est pas un chef ni une dirigeante. Comment pouvons-nous adopter le projet de loi alors que les dirigeants autochtones n'ont pas pu expliquer comment il les touchera? Le chef Bellegarde a peut-être été invité. Peut-être n'a-t-il pas pu respecter les délais. Pourquoi ne pourrions-nous pas attendre qu'il puisse comparaître? Pourquoi ne pourrions-nous pas laisser un dirigeant autochtone national ou régional venir prendre la parole?

La sénatrice Fraser : Autant de bonnes questions.

Le sénateur Munson : Les comités le font pour les ministres.

La sénatrice Dyck : Absolument. Il s'agit de nations souveraines. Il faudrait tenir compte de leur point de vue.

Nous savons tous que tous les Canadiens s'inquiètent du projet de loi C-51. Il en est question tous les jours aux informations. Nous recevons des courriels tous les jours, toutes les minutes, nous exhortant à faire notre travail de sénateurs. Le fait qu'on n'ait pas convoqué un seul témoin musulman ni aucun dirigeant autochtone reconnu, comme le chef national Bellegarde ou le chef Phillip, montre que le comité n'a pas fait complètement son travail, qu'il n'a pas examiné le projet de loi à fond, car ces témoins auraient dû comparaître. Il est inacceptable qu'ils n'aient pas été sur la liste des témoins.

Le comité aurait dû songer à apporter un amendement que ma collègue, la sénatrice Fraser, a fait inscrire, une disposition excluant toute possibilité de dérogation et qui aurait protégé les droits autochtones reconnus dans la Constitution et les droits issus de traités. Cela n'aurait rien enlevé au reste du projet de loi. C'était la juste chose à faire. Cela ne s'est pas fait. Nous avons l'amendement à étudier. Il devrait être adopté. S'il ne l'est pas, je ne pourrai pas appuyer le projet de loi.

L'honorable Bob Runciman : Honorables sénateurs, j'aimerais répondre brièvement aux amendements proposés par les sénateurs Mitchell et Jaffer.

J'ai jeté un coup d'œil aux amendements que le sénateur Mitchell propose d'apporter à la partie 1 du projet de loi C-51, et il me semble qu'il s'agit simplement d'indications données dans la loi aux institutions gouvernementales pour qu'elles se conforment aux dispositions existantes de la Loi sur la protection des renseignements personnels et suivent les politiques et procédures qui, nous ont-elles dit au comité, sont déjà en place.

Je signale aussi que le nouveau texte prévoit la possibilité, et non l'obligation, de communiquer des renseignements, et que l'article 4 de la loi prévoit des principes définis sur la communication de renseignements, alors que l'article 2 comprend une définition précise de l'« activité portant atteinte à la sécurité du Canada ». Nous avons appris que l'absence de communication efficace des renseignements avait contribué à l'attentat contre Air India, et les mesures à l'étude visent à combler cette lacune. Je ne tiens pas à ajouter des obstacles qui ne feront rien d'autre que ralentir le processus.

Le sénateur Mitchell semble également avoir négligé le fait qu'il existe des autorisations bien plus larges de communication de renseignements à l'article 8 de l'actuelle Loi sur la protection des renseignements personnels, des autorisations qui semblent s'appliquer exactement à ce que le projet de loi propose.

Enfin, les amendements proposés exposent en détail les fonctions de surveillance et d'examen du commissaire à la protection de la vie privée, mais, là encore, ils ne tiennent pas compte du fait que le commissaire a déjà le pouvoir de faire enquête sur des plaintes et même de lancer des enquêtes sur l'utilisation ou la communication de renseignements, et que ce pouvoir s'étend à de nombreux organismes. Comme le commissaire l'a confirmé lorsqu'il a comparu devant le comité, le projet de loi C-51 ne lui enlève pas ce rôle de surveillance.

En somme, honorables sénateurs, bien que la réaffirmation des pratiques et exigences existantes ait une certaine valeur, je dirai en toute déférence que ces amendements au projet de loi C-51 sont injustifiés.

L'amendement de la sénatrice Jaffer à la partie 3 du projet de loi, au sujet de la nouvelle infraction de fomentation du terrorisme en général, créerait une exigence inutile et complexe en matière de preuve en précisant que le fait de fomenter une activité terroriste doit viser à inciter la perpétration d'un acte de terrorisme. Le libellé actuel du projet de loi C-51 est bien plus clair et plus précis, et il ne comporte pas le type d'échappatoire que la sénatrice propose.

Plus sérieusement, disons que la sénatrice Jaffer propose de créer délibérément des exceptions à l'infraction que constitue le fait de préconiser ou de fomenter des actes de terrorisme. Il me semble très troublant qu'elle propose de rendre légal le fait de fomenter le terrorisme si les communications sont faites à l'appui d'un sujet religieux ou d'un texte religieux ou si elles se rapportent à une question d'intérêt public. Honorables sénateurs, cet amendement approuverait les activités mêmes qui sont la cause profonde d'un grand nombre des dernières menaces terroristes. La religion ne saurait servir de prétexte à la fomentation d'infractions de terrorisme, un point c'est tout, pas plus que les opinions politiques ne justifient la fomentation d'actes de terrorisme.

Les amendements proposés par le sénateur Mitchell à la partie 4 du projet de loi au sujet de l'élargissement du pouvoir du SCRS semblent se fonder sur l'argument présenté par certains témoins portant que l'article en cause obligera les tribunaux à autoriser des violations de la Charte. Comme le ministre de la Justice et des fonctionnaires l'ont souligné à plusieurs reprises, cet argument est tout simplement erroné.

Premièrement, je rappelle aux honorables sénateurs que les tribunaux conservent le pouvoir discrétionnaire de délivrer ou non une telle autorisation. Deuxièmement, c'est l'autorisation judiciaire elle-même qui garantit le respect des dispositions de la Charte. Autrement dit, une mesure prise sans une autorisation judiciaire constituerait une violation de la Charte. C'est l'autorisation judiciaire qui permet de respecter la Charte.

C'est précisément le scénario qui sous-tend la décision rendue récemment par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Spencer. Dans cette affaire, des gestes posés par la police dans le cadre d'une enquête sur la pornographie juvénile afin d'obtenir une adresse auprès d'un fournisseur de services Internet sans avoir de mandat ont été jugés être en violation de la Charte, malgré le fait que ces gestes étaient autorisés en vertu des dispositions existantes de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. La cour a jugé que la même demande accompagnée d'un mandat ne violerait pas la Charte.

Les amendements proposés par le sénateur Mitchell portent aussi sur le pouvoir d'examen du SCRS. Toutefois, il convient de préciser que, contrairement au projet de loi C-51 lui-même, les amendements ne créent pas un pouvoir d'examen nouveau et élargi pour le SCRS. En fait, les pouvoirs conférés au service sont plutôt de nature générale. Je veux aussi mentionner que, en vertu de la Loi sur le SCRS actuelle, le CSARS ne détient pas le pouvoir d'examen que les amendements proposés prévoient dans certaines circonstances qui sont précisées dans des articles de la loi. Je ne pense pas que ces amendements soient nécessaires.

En terminant, les amendements proposent aussi la création d'un nouveau comité parlementaire de surveillance en matière de sécurité.

Le sénateur Moore : Alléluia!

Le sénateur Runciman : Ce dossier a suscité un intérêt considérable et je sais qu'un grand nombre d'entre nous, moi y compris, sont d'avis qu'une telle structure serait appropriée pour l'ensemble du secteur de la sécurité nationale. J'invite le sénateur Mitchell à envisager de présenter son propre projet de loi sur cette question, de façon à ne pas retarder l'adoption du projet de loi C-51.

Je ne mets pas en doute les motifs des sénateurs d'en face, mais je crois que les amendements qu'ils proposent révèlent un manque de compréhension de la nature et de la gravité de la menace qui pèse contre nous. Adopter ces amendements constituerait un recul dans la lutte contre la terreur, et j'exhorte tous les sénateurs à voter contre ces propositions.

Merci.

(1710)

L'honorable Grant Mitchell : J'ai une question à poser au sénateur.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Acceptez-vous de répondre à une question, sénateur Runciman?

Le sénateur Runciman : Oui.

Le sénateur Mitchell : Merci, sénateur Runciman, de vous joindre au débat. Je vous en sais gré.

Je veux clarifier un point. Il y a présentement un projet de loi inscrit au Feuilleton qui prévoit une surveillance parlementaire. À l'origine, cette mesure avait été proposée par le sénateur Segal, avec l'appui de facto du sénateur Dallaire. J'ai repris le projet de loi et j'ai continué le débat. Cette mesure est toujours inscrite au Feuilleton. Si vous vouliez donner votre point de vue et participer au débat, j'en serais très heureux.

J'aimerais vous poser plusieurs questions, mais je vais m'en tenir à une seule. Dans votre réponse à ma préoccupation portant que l'information partagée ne sera pas assujettie à un processus de surveillance, vous avez dit que le commissaire à la protection de la vie privée possède, entre autres, le pouvoir de faire enquête sur une plainte.

Le commissaire à la protection de la vie privée a dit lui-même qu'il n'avait pas les ressources nécessaires pour assurer une surveillance adéquate de ce processus. Par ailleurs, compte tenu qu'il s'agit de la communication d'informations privées, comment une personne qui pourrait vouloir déposer une plainte pourrait-elle savoir qu'il y a matière à déposer une telle plainte?

Le sénateur Runciman : Ce qui peut rassurer, c'est que le ministre lui-même a pris l'engagement de collaborer avec les organismes et d'élaborer...

La sénatrice Cordy : En effet.

Le sénateur Runciman : ... des protocoles de protection de la vie privée et de communication d'information avant que ces dispositions n'entrent en vigueur. Cet aspect est rassurant — du moins, pour moi.

Même quand le commissaire à la protection de la vie privée a comparu devant nous, on nous a clairement indiqué qu'il possède déjà des pouvoirs importants pour répondre à toutes les préoccupations liées à la protection de la vie privée soulevées par bien des gens qui s'opposent à cette mesure législative.

Je le répète, je trouve tout à fait acceptables les pouvoirs actuels du commissaire et j'ai confiance en sa capacité de régler efficacement ces questions à l'avenir.

L'honorable Joseph A. Day : Merci, honorables sénateurs. J'aimerais prendre part au débat sur cette question particulière. Je le dois, me semble-t-il, aux milliers de personnes qui m'ont envoyé des messages pour exprimer leur point de vue. J'ai essayé de répondre au plus grand nombre possible d'entre eux, et je vais continuer à le faire.

Je suis très curieux de savoir ce que le sénateur Runciman répondrait aux courriels que j'ai reçus. Je suis sûr qu'il en a reçu, lui aussi.

J'ai une observation à faire avant de passer au projet de loi proprement dit, et c'est sur quelque chose que le ministre a dit lorsqu'il est venu témoigner devant nous à la fin de nos audiences. Je n'ai pas été aussi rassuré que d'autres quand le ministre a dit qu'il était prêt à envisager d'obliger le Service canadien du renseignement de sécurité à rendre des comptes. L'expression « prêt à envisager » n'a rien de rassurant pour moi. J'en resterai là.

Je tiens à dire qu'il y a énormément de travail à faire. Le projet de loi est gigantesque, quand on y pense. Il comporte cinq parties.

Faisons un survol du projet de loi. La partie 1 édicte la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada, une mesure législative distincte. Pourquoi ne fait-elle pas l'objet d'un projet de loi indépendant pour que nous puissions l'étudier à part? S'il y avait des changements à y apporter, nous pourrions étudier rationnellement les amendements proposés.

La deuxième partie du projet de loi édicte la Loi sur la sûreté des déplacements aériens. Il s'agit d'une autre mesure législative distincte. Elle pourrait sans problème faire l'objet d'un projet de loi indépendant, mais ce n'est pas le cas. Elle est comprise dans ce volume en cinq parties qu'on nous demande d'étudier très rapidement. J'ai déjà dit, d'ailleurs, qu'il n'y avait eu qu'une journée d'audiences au comité.

La partie 3 comprend les changements apportés au Code criminel. Ces modifications auraient pu être étudiées à part. La partie 4 comprend les modifications apportées à la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité et la partie 5, celles apportées à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Honorables sénateurs, voilà les pièces du puzzle qu'on nous demande d'étudier tout d'un coup. Les différentes parties du projet de loi portent sur différentes mesures législatives qui possèdent leurs propres concepts et présentent leurs propres difficultés.

Nous avons déjà entendu de nombreux témoins, même si ce n'est pas particulièrement dans le cadre de l'étude de ce projet de loi. Comme le sénateur Lang l'a dit, le Comité de la sécurité nationale et de la défense s'occupe depuis un bon moment de questions de sécurité. On lui doit notamment une étude sur la radicalisation. Nous nous sommes penchés sur le projet de loi C-44. Nous avons mené une étude préalable du projet de loi C-59, puis nous avons été saisis du projet de loi qui nous occupe et de certains amendements. C'est ce dont il est maintenant question au Sénat.

Nous avons un certain bagage dans le domaine, et nous avons appris à connaître certains témoins qui viennent comparaître devant nous régulièrement dans le cadre des études distinctes que nous réalisons.

Examinons la question très brièvement, honorables sénateurs. Je sais que je vais manquer de temps. Au lieu de discuter des amendements qui ont été proposés, permettez-moi de dire que je les appuie tous. Je serais heureux que nous les approuvions, mais j'ai bien l'impression que même avec les amendements, ce projet de loi ne peut être sauvé. Il ne vaut pas la peine d'essayer d'en faire quelque chose d'acceptable au moyen d'amendements.

Si nous ne rejetons pas l'ensemble du projet de loi, il serait bien que quelques amendements y soient apportés. Comme le sénateur Runciman, je suis fortement en faveur d'exercer une surveillance, mais il faudra débattre de la manière de s'y prendre. Si nous décidons de créer un comité du Sénat et de la Chambre des communes, il faut débattre de sa structure. Il y a bien des aspects dont nous pouvons discuter en ce qui concerne la surveillance et les examens, et ils ne s'excluent pas mutuellement. Nous pouvons faire les deux. En fait, nous devrions faire les deux. Je vous lirai des citations à ce sujet un peu plus tard.

Examinons d'abord la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada, la première mesure législative. Jetons un coup d'œil à l'article 5 du projet de loi, qui est en quelque sorte la première disposition clé sur la « communication d'information » :

[...] une institution fédérale peut, de sa propre initiative ou sur demande, communiquer de l'information au responsable d'une institution fédérale destinataire dont le titre figure à l'annexe 3 [...]

On définit une institution fédérale comme une institution qui figure dans une annexe du projet de loi ou dans la Loi sur la protection des renseignements personnels. À l'annexe 3 dont il est question ici, on énumère les 17 organismes gouvernementaux à qui des renseignements peuvent être communiqués. Il n'existe pas de plan d'ensemble. C'est une communication de renseignements bilatérale mais, comme vous le savez, lorsque des renseignements sont communiqués à si grande échelle, il peut y avoir des fuites, comme nous l'avons vu cet après-midi dans le rapport du vérificateur général. Des fuites se produisent.

Honorables sénateurs, cette communication...

La sénatrice Cordy : Pensez-vous?

La sénatrice Cools : C'est assez inhabituel.

(1720)

Le sénateur Day : Honorables sénateurs, la seule autre question que je dois aborder au sujet de la communication de renseignements est la Loi de l'impôt sur le revenu et le fait que cela a trait à l'impôt sur le revenu et Revenu Canada. À la page 8 du projet de loi figure la partie portant sur la Loi de l'impôt sur le revenu, et il est question des renseignements pouvant être communiqués entre les ministères du gouvernement et les 17 autres institutions qui figurent à l'annexe. L'alinéa b) est ainsi libellé :

[...] s'il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu'ils seraient utiles [...]

Avant que le projet de loi soit présenté, il était question de renseignement confidentiel désigné — ce qui est beaucoup plus restrictif — mais cette précision a été retirée. Maintenant, tous les renseignements sont visés. L'unique critère serait le fait que l'organisme communiquant les renseignements confidentiels, par exemple Revenu Canada, estime que ces renseignements sont pertinents dans une affaire quelconque.

Voilà qui est fort dangereux, honorables sénateurs. C'est l'un des éléments que je voulais soulever relativement à ce projet de loi.

La partie 2 porte sur la sûreté des déplacements aériens. Vous avez entendu un certain nombre de personnes parler du projet de loi sur la sûreté des déplacements aériens, le projet de loi qui figure ici et qui donne un pouvoir discrétionnaire au ministre. La liste d'interdiction de vol est une liste différente. Avant la présentation de cette mesure législative, la loi existante avait pour objet la protection de l'aéronautique. C'était le principe de base. Maintenant, le principe de base est la sécurité, et les processus relatifs à la liste et aux appels sont différents. Le ministre peut, par lui-même, établir la liste en vertu de l'article 8, même s'il ne dispose pas d'un grand nombre de renseignements. Tenter de faire retirer son nom de cette liste est un processus assez intéressant et qui comprend notamment des appels et un contrôle judiciaire.

La partie 3, honorables sénateurs, porte sur le Code criminel. Les seuils ont été réduits en fonction des mandats. Auparavant, dans les mandats, le terme « sera » était utilisé. Le terme « sera » a été remplacé par « soit », de sorte que le nouveau seuil est celui des « motifs raisonnables de croire à la possibilité qu'une activité terroriste soit entreprise ». Il n'est plus nécessaire que la personne qui demande le mandat croit à la possibilité qu'une activité terroriste « sera » entreprise ou qu'elle ait des motifs raisonnables de soupçonner que l'imposition, à une personne, d'un engagement assorti de conditions aura « vraisemblablement » pour effet d'empêcher que l'activité soit entreprise. Auparavant, la personne devait soupçonner que l'imposition de l'engagement était « nécessaire » pour éviter que l'activité terroriste ne soit entreprise.

Le gouvernement abaisse le seuil ainsi. Avons-nous des preuves qu'il fallait abaisser le seuil? Non. Aucune preuve présentée à l'audience ne nous a convaincus.

La partie 4, honorables sénateurs, porte sur le Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS, que nous connaissons tous très bien. Ses représentants sont venus témoigner au comité à différentes occasions. Le projet de loi reconfirme le rôle du SCRS. Il peut exercer ses activités au Canada et à l'étranger. Son nouveau rôle consiste à lutter contre le terrorisme par opposition à recueillir des renseignements. C'est le changement fondamental qui ressort du libellé de cette partie.

En terminant, honorables sénateurs, le projet de loi modifie la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Ces modifications sont tout aussi fondamentales et il faut les examiner en détail pour comprendre ce qui est proposé.

Je vais profiter du temps de parole qu'il me reste pour parler, tout d'abord, des témoins ayant comparu dans le cadre du projet de loi C-51, la Loi antiterroriste. L'Association du Barreau canadien a préparé un excellent traité dans lequel elle a soulevé de très graves préoccupations. Permettez-moi de vous lire un paragraphe tiré du document qu'elle a publié en mars de cette année :

Le gouvernement devrait également indiquer clairement aux Canadiens quelles sont les limites de la loi. Aucune loi, aussi bien rédigée et exhaustive fut-elle, ne peut empêcher tous les actes terroristes. À notre avis, il n'est pas justifiable, ni réaliste, de promettre la sécurité publique en échange du sacrifice des libertés individuelles et des mesures de protection démocratiques. Les deux sont essentielles et complémentaires dans une société libre et démocratique.

La principale question est la suivante : « Le projet de loi atteint-il l'équilibre approprié entre l'augmentation des pouvoirs étatiques de gestion des risques et la protection du droit à la vie privée et des libertés personnelles des citoyens? »

L'équilibre est-il atteint? Voilà la principale question. Vous avez entendu intervenant après intervenant et reçu rapport après rapport. Plusieurs témoins nous ont dit que l'équilibre fait défaut, que ce projet de loi va trop loin et trop rapidement.

Nous avons vu ce qui s'est passé avec la Loi antiterroriste en 2001. C'était la première mesure législative en la matière que nous adoptions après l'attentat contre les tours jumelles à New York. On a parlé d'équilibre à cette époque. Il s'est avéré que certaines des dispositions adoptées à l'époque ont fonctionné, d'autres non. Peu de temps après, le poste d'avocat spécial a été créé.

N'oubliez pas ce qu'est un avocat spécial. Ce n'est pas un avocat qui travaille pour les présumés terroristes. Un avocat spécial est une personne qui a une formation en droit et qui est un ami de la cour, qui veille à l'équité et qui défend les droits des citoyens sans précisément être l'avocat d'un citoyen.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Désirez-vous plus de temps?

Le sénateur Day : Est-ce que je pourrais avoir cinq minutes?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Day : Je vous invite à prendre connaissance du document présenté par l'Association du Barreau canadien. Puisque je l'ai à portée de la main, j'en profite pour parler des mandats judiciaires permettant de faire des perquisitions, des fouilles et des saisies.

Il est important de répéter encore et encore l'argument présenté aujourd'hui par la sénatrice Fraser, parce que ce projet de loi mal rédigé et beaucoup trop général peut effectivement compromettre la Charte des droits et libertés. J'ignore si c'est involontaire, parce que les témoins du ministère de la Justice qui ont comparu devant nous ont affirmé qu'il n'y a pas de problème parce qu'aucun juge ne permettra jamais que cela se produise. Pourquoi accorder ce pouvoir dans ce cas?

Voici ce qu'a déclaré l'Association du Barreau canadien :

Les mandats judiciaires de perquisition, de fouille et de saisie visent à prévenir, et non pas à autoriser, les violations de la Charte. Le juge qui autorise une perquisition ou une fouille n'autorise pas une contravention à la Charte, mais une perquisition ou une fouille qui constituerait autrement une atteinte à la protection accordée par l'article 8. Certains droits garantis par la Charte, comme le droit de ne pas faire l'objet d'une peine cruelle et inusitée et la liberté de circulation, sont absolus, et leur violation ne peut jamais être « raisonnable ».

(1730)

Il est raisonnable, cependant — car cela se trouve dans la Charte —, de s'attendre à ce que les perquisitions et saisies déraisonnables soient interdites. Un juge qui autorise de telles mesures affirme essentiellement que de tels actes ne sont pas déraisonnables. Dans un tel cas, ils ne sont pas contraires à la Charte.

C'est l'essentiel de la question. C'est un point subtil mais important, car, pour beaucoup de droits garantis par la Charte, il n'y pas de circonstance dans laquelle leur violation est raisonnable, mais le libellé du projet de loi semble dire que les droits issus de la Charte peuvent être enfreints sur l'ordre d'un juge. Voilà le problème. Je voulais profiter du fait que j'avais le document sous les yeux pour préciser la chose.

Le commissaire à la vie privée nous a fait part de bon nombre de préoccupations. Il affirme qu'il est exagéré d'accorder de tels pouvoirs à 17 ministères sans qu'ils ne soient assujettis à aucune surveillance.

J'aimerais nommer le professeur Forcese, de l'Université d'Ottawa et le professeur Roach, de l'Université de Toronto, qui nous ont tous deux donné d'excellents témoignages. Ils ont comparu devant nous à plusieurs reprises et nous ont présenté une excellente analyse, notamment au sujet de la communication d'informations.

La Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada, qui figure à la partie 1 du projet de loi, vise les activités qui compromettent la sécurité du Canada. Les témoins ont dit : « C'est un concept nouveau dont la portée étonnamment vaste dépasse de loin toute définition de sécurité qui figure dans le droit canadien en matière de sécurité nationale. » À certains égards importants, il s'apparente à une « approche qui se fonde sur une connaissance totale de l'information », ou à tout le moins à une « vision centralisée de l'information gouvernementale ».

À une époque, nous nous préoccupions du fait que les organismes travaillaient en vase clos. Nous passons à l'autre extrême, où quiconque travaille au gouvernement pourra tout savoir au sujet de tout le monde. Ces experts nous font part de leur extrême inquiétude à ce sujet.

C'est le message que je voulais vous transmettre, honorables sénateurs.

Enfin, je veux vous rappeler une des déclarations de l'ancien premier ministre Jean Chrétien et des nombreux signataires de la note adressée à qui de droit, à tous, à la population canadienne, sur ce sujet :

[...] l'absence d'un mécanisme efficace et complet d'examen des agences de sécurité nationale du Canada fait en sorte qu'il est difficile d'évaluer de manière significative l'efficacité et la légalité des activités de ces agences.

Tous ont affirmé que la question devrait être fouillée davantage et qu'une loi sans mécanismes de surveillance est un problème très grave et très troublant.

Honorables sénateurs, j'espère que vous conviendrez, comme moi, qu'il nous faut faire plus de travail à cet égard avant d'adopter le projet de loi.

Merci.

L'honorable Wilfred P. Moore : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-51, la Loi antiterroriste de 2015.

Nous savons que le terrorisme constitue une menace, tant ici qu'à l'étranger. Les événements sur la Colline du Parlement le 22 octobre et au Québec une semaine plus tôt nous ont montré combien des actes terroristes peuvent détruire des vies et des familles.

Protéger les Canadiens est de la plus haute importance. Nous devons être vigilants et bien informés. Il nous faut lutter activement contre ces menaces parce que leurs conséquences sont dévastatrices.

Nous devons également reconnaître que notre réponse à la menace terroriste doit être dosée. En effet, il faut établir un équilibre entre les droits de la personne, la vie privée et la sécurité, ce qui est délicat.

Au sujet de cet équilibre, le comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme a dit ceci :

La lutte contre le terrorisme est un véritable exercice d'équilibrisme. En effet, le terrorisme constitue, pour la sécurité nationale, un risque singulier, potentiellement catastrophique qui appelle de ce fait une extrême vigilance au niveau du renseignement et une attitude proactive au niveau des activités de police. Or, le Canada est depuis longtemps un défenseur des droits de la personne et de la règle de droit, comme en témoignent la Déclaration canadienne des droits, la common law, le Code civil, la Constitution canadienne, incluant la Charte canadienne des droits et libertés, et la ratification de divers accords internationaux en matière de droits de la personne auxquels il est partie. Il peut donc être difficile, dans certaines circonstances, de garantir l'exercice des libertés civiles et en même temps de protéger la population contre la menace du terrorisme.

Je me souviens lorsque le gouvernement de l'époque avait apporté des changements radicaux à notre infrastructure de sécurité, après les événements du 11 septembre. Je me souviens des préoccupations des Canadiens relativement à la sécurité dans notre territoire, mais aussi à la protection de notre vie privée et de notre liberté. Les Canadiens veulent jouir de la plus grande sécurité possible, mais pas au prix de leur liberté. Ils ne veulent pas que le gouvernement et les organismes d'application de la loi les surveillent, non pas parce qu'ils ont des choses à cacher, mais plutôt parce qu'ils veulent pouvoir vivre comme des citoyens d'une démocratie libre et mûre.

Honorables sénateurs, je pense que, dans l'ensemble, nous avons trouvé un juste équilibre après les événements du 11 septembre, mais maintenant le gouvernement va trop loin. L'équilibre a été rompu et nos libertés ne pèsent pas lourd dans la balance. Cette situation devrait préoccuper chacun d'entre nous, parce nous sommes en train de changer la nature même de notre pays. Nous sommes en train de changer les fondements qui ont fait ce que nous sommes et qui ont fait de notre pays un modèle pour les autres nations.

En outre, le gouvernement a proposé d'importants nouveaux pouvoirs pour nos organismes de sécurité nationale, mais ces pouvoirs ne sont pas assortis de nouvelles ressources à l'avenant.

On nous a dit que le SCRS et la GRC étirent déjà leur budget. En fait, les budgets de ces deux organismes sont réduits depuis un certain nombre d'années. Les dépenses annuelles du SCRS sont passées de 540 millions de dollars en 2012 à 496 millions de dollars en 2013. Par ailleurs, le budget de la GRC a été réduit de 15 p. 100 au cours des quatre dernières années.

Le SCRS a même reconnu que cette situation constituait un défi en soi. Pour ce qui est de la capacité du service de répondre aux exigences de surveillance, le directeur adjoint du SCRS, Jeff Yaworski, a dit ceci au Comité sénatorial de la défense nationale l'automne dernier : « Je serais déraisonnable si je disais que nous parons à toute éventualité. » Honorables sénateurs, les ressources sont tout simplement insuffisantes.

Je n'énumérerai pas tous les aspects de ce projet qui posent problème; je vais plutôt me concentrer sur trois aspects préoccupants.

Premièrement — d'autres ont aussi abordé cet aspect avant moi —, les experts juridiques ont déclaré que les dispositions de ce projet de loi sont probablement inconstitutionnelles. Je sais que cela a quelque chose de familier; c'est comme si l'histoire se répétait.

Le gouvernement n'a cessé de présenter des projets de loi qui ont été déclarés invalides par la Cour suprême du Canada. Ce sera probablement ce qui arrivera aussi à ce projet de loi, et tout cela coûtera très cher aux contribuables.

Comme l'a déclaré l'Association du Barreau canadien :

Le projet de loi C-51 propose plusieurs modifications au Code criminel qui souffrent de manière générale d'incertitudes, d'imprécision et d'une terminologie à la portée excessive. Ces modifications sont, pour cette raison, vulnérables à une contestation constitutionnelle [...]

L'association insiste donc sur le fait que la loi permettrait aux juges de décerner des mandats au Service canadien du renseignement de sécurité, ce qui constitue une violation de la Charte. Comme l'Association du Barreau canadien l'a souligné, selon le processus actuel :

Les mandats judiciaires de perquisition, de fouille et de saisie visent à prévenir, et non pas à autoriser, les violations de la Charte, car la protection qu'elle confère contre les perquisitions, les fouilles et les saisies est assortie d'une réserve : la Charte ne protège que contre les perquisitions, les fouilles et les saisies qui sont « abusives ». Le juge qui autorise une perquisition ou une fouille n'autorise pas une contravention à la Charte, mais autorise la perquisition ou la fouille afin d'empêcher ce qui constituerait par ailleurs une atteinte à la protection accordée par l'article 8 contre les perquisitions, les fouilles et les saisies abusives.

Ce n'est pas le cas en ce qui concerne le projet de loi C-51. L'Association du Barreau canadien indique également ce qui suit :

Les projets d'article 12.3 et 21.1 autorisent toute conduite qui contrevient à la Charte au nom de l'atténuation d'une menace envers la sécurité du Canada dans la mesure où elle n'entrave pas la justice, ne cause pas de lésions corporelles ni ne porte atteinte à l'intégrité sexuelle.

(1740)

Cela va au-delà de la surveillance judiciaire. Comme l'a signalé un groupe :

Cela dénote une incompréhension absolue du rôle du juge au sein du régime démocratique canadien ainsi que de la nature des droits enchâssés dans la Constitution. Un juge a pour rôle d'éviter les infractions à la Charte et de statuer publiquement sur les présumées violations attribuables à l'un des deux autres pouvoirs et non à les avaliser [...]

Le pire, c'est que cette procédure judiciaire se déroulerait en secret et que seul le gouvernement y serait représenté. Aucun avocat spécial n'y représenterait la société en général ou l'accusé. Comme le sénateur Mitchell l'a relevé à l'étape de la deuxième lecture, cette procédure pourrait entraver les poursuites pénales contre les terroristes présumés. L'information obtenue au moyen d'un tel mandat ne serait pas admissible en preuve, car on aurait violé des droits garantis par la Charte.

Autre élément préoccupant du projet de loi, honorables sénateurs : les changements concernant l'arrestation et la détention préventives. La nouvelle loi prolongerait de manière permanente la durée pendant laquelle les policiers peuvent détenir quelqu'un sans porter d'accusations, la faisant passer de trois à sept jours. La disposition ne deviendrait plus caduque après un certain temps, ce qui aurait obligé le Parlement à la reconduire. Par ailleurs, le projet de loi réduirait considérablement le seuil applicable à la détention. Le sénateur Day en a parlé, si je ne m'abuse. Il ne serait plus nécessaire d'avoir des « motifs raisonnables » pour mettre quelqu'un en détention; il suffirait de soupçonner que quelque chose se produira et qu'une arrestation y fera probablement obstacle, ce qui élargirait considérablement le pouvoir discrétionnaire des forces de l'ordre, plus que jamais auparavant dans l'histoire du Canada, et représenterait un changement fondamental pour notre régime et nos pratiques judiciaires.

Honorables sénateurs, ma deuxième grande réserve concerne la mise en commun d'information et ses conséquences sur la protection de la vie privée et des renseignements personnels. Les ministères doivent pouvoir échanger de l'information et il faut décompartimenter l'appareil gouvernemental, c'est vrai, sauf que le projet de loi autoriserait 17 ministères à mettre en commun l'intégralité des renseignements personnels dont ils disposent tout en abaissant le seuil applicable à ceux qui peuvent ainsi être transmis. Les ministères pourraient mettre en commun les renseignements « utiles », et non seulement « nécessaires » ou « proportionnés », du moment qu'ils visent « des activités qui portent atteinte à la sécurité du Canada », libellé vague s'il en est un. Le gouvernement ratisse très large. Qu'entend-il par « activités qui portent atteinte à la sécurité du Canada »? Des groupes qui manifestent de manière légitime risquent de pâtir de cette situation.

Le commissaire à la protection de la vie privée l'a résumé ainsi :

[...] les 17 ministères fédéraux en question seraient en mesure de connaître toutes les interactions de tous les Canadiens avec le gouvernement. Cette information pourrait ensuite être analysée en parallèle avec de l'information recueillie auparavant ou obtenue auprès d'autres sources, y compris des gouvernements étrangers. [...] 17 organisations œuvrant pour la sécurité nationale se verraient conférer des pouvoirs pratiquement illimités pour surveiller les Canadiennes et les Canadiens ordinaires [...]

Honorables sénateurs, il s'agit là d'un pouvoir tout à fait extraordinaire. Non seulement il y aurait échange d'information entre les 17 ministères, mais, comme les experts l'ont aussi souligné, cette information peut être communiquée « à toute personne conformément à la loi, et ce, à toute fin ». Comme on l'a mentionné plus tôt, les juristes Kent Roach et Craig Forcese ont fait remarquer que l'expression « conformément à la loi » est vague et imprécise et qu'elle peut conduire à la divulgation d'information à n'importe qui pour n'importe quelle raison, ce qui est absolument stupéfiant.

L'information pourrait également être communiquée à plus de 100 autres organismes gouvernementaux avec lesquels ces ministères ont des rapports. En outre, le libellé du projet de loi permet la communication d'information à près de 300 organismes ou gouvernements étrangers avec lesquels le Canada a des relations. Et tout cela se ferait à peu près sans surveillance.

Comme le commissaire à la protection de la vie privée l'a signalé, « 14 des 17 organismes énumérés à l'annexe 3 qui sont appelés à recevoir de l'information aux fins de la sécurité nationale ne feront l'objet d'aucune surveillance ni d'aucun examen indépendant distinct ». C'est ce dont on a parlé plus tôt au sujet du projet de loi Segal. Il faut absolument corriger cela, et je me demande pourquoi on ne le fait pas.

Quant au pouvoir du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité de superviser les activités du SCRS, il est très limité. Le comité surveille uniquement les actions du SCRS et l'information qu'il reçoit. Il n'a pas le pouvoir de suivre l'information envoyée à d'autres organismes.

Honorables sénateurs, le dernier point que je veux souligner est le manque de surveillance de nos services de sécurité. J'ai déjà traité de ce point par le passé et d'autres sénateurs l'ont fait aussi. Nous avons besoin d'une surveillance parlementaire. C'est essentiel et, pourtant, un tel mécanisme n'est pas prévu dans le projet de loi.

Chaque année, le gouvernement nous demande d'approuver des budgets de plusieurs milliards de dollars pour les organismes nationaux de sécurité et de renseignement, mais il nous fournit peu de renseignements. On nous demande aussi, à l'occasion, d'adopter des mesures législatives qui ont une vaste portée, comme par exemple le projet de loi C-51, le projet de loi C-44 et, il y a quelques années, le projet de loi S-7, en ne sachant guère quelle est la menace réelle. Les parlementaires n'ont pas accès aux renseignements confidentiels de haut niveau sur les menaces pour le Canada et sur les institutions et politiques qui gouvernent nos organismes de sécurité. Nous sommes tenus dans l'ignorance, alors qu'on nous demande de prendre des décisions qui ont un impact sur la vie d'un grand nombre de Canadiens et qui pourraient changer le tissu social de notre pays. Nous mettons aussi beaucoup trop de pouvoirs entre les mains d'un petit nombre de ministres et nous n'avons aucun moyen de les obliger à rendre des comptes.

Cette situation fait de nous une exception à l'échelle internationale. La majorité de nos alliés de l'OTAN et tous nos partenaires au sein du Groupe des cinq — l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et les États-Unis — ont de meilleurs mécanismes de surveillance que nous en matière de sécurité nationale. Nous venons tout juste d'apprendre la semaine dernière que le Congrès américain — qui est composé de représentants élus — va imposer des restrictions à la National Security Agency et à sa collecte de métadonnées.

Tous ces pays ont un mécanisme de surveillance. Je ne comprends pas pourquoi nous, qui sommes une démocratie mûre, n'en avons pas. Ces pays autorisent certains législateurs approuvés à avoir accès aux renseignements sur les menaces potentielles et à évaluer les politiques, décisions, capacités et ressources du gouvernement pour contrer ces menaces.

Je rappelle aux sénateurs une recommandation cruciale faite par le Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme et adoptée à l'unanimité au Sénat en 2011 :

Que le gouvernement fédéral, à l'instar des gouvernements américain, australien, britannique, français et néerlandais, constitue, par voie législative, un comité composé de membres des deux Chambres du Parlement ayant le pouvoir de surveiller les cadres administratif et stratégique ainsi que les dépenses et les activités des ministères et organismes fédéraux responsables de la sécurité nationale afin de s'assurer qu'ils servent efficacement les intérêts de sécurité nationale, respectent la Charte canadienne des droits et libertés et soient financièrement responsables, bien organisés et bien administrés.

Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas tenu compte de cette recommandation? Pourquoi le Sénat n'amende-t-il pas le projet de loi C-51 de manière à donner suite à cette décision antérieure? Nous avons tous convenu que c'est la bonne décision. Or, nous n'y avons pas donné suite et j'ignore pourquoi.

Honorables sénateurs, nous sommes à une époque énormément complexe et incertaine en raison de la situation géopolitique en pleine évolution, de l'apparition de nouvelles menaces et des changements technologiques. Il est plus que jamais nécessaire d'assurer une surveillance rigoureuse, et il est très important d'adopter une approche qui assure un équilibre entre les droits des Canadiens et notre sécurité collective. Or, le projet de loi C-51 ne répond pas à ces besoins. C'est pourquoi je n'appuierai pas ce projet de loi et j'appuierai les amendements.

L'honorable Lynn Beyak : Honorables sénateurs, j'ai eu et j'ai encore le privilège de siéger au Comité de la sécurité nationale et de la défense avec des membres de mon propre caucus, évidemment, puisque nous avons des vues similaires dans ce dossier, mais aussi avec le sénateur Day, le sénateur Mitchell et la sénatrice Jaffer. Leur engagement et leur dévouement sont remarquables, et je m'en voudrais de ne pas le mentionner. Même si je ne partage pas leur avis, j'ai pour eux le plus grand respect.

Sénatrice Jaffer, nous avons entendu un témoin, mais il a témoigné par vidéoconférence. Donc, en principe, nous avons toutes deux raison. Il s'agissait de Haras Rafiq, directeur de la fondation Quilliam. Il a participé aux audiences par vidéoconférence, n'est-ce pas?

La sénatrice Jaffer : Non.

La sénatrice Beyak : Je suis désolée. Quoi qu'il en soit, il nous a dit être l'ancien directeur du groupe de travail mis sur pied par le gouvernement du Royaume-Uni pour se pencher sur les façons de lutter contre l'extrémisme djihadiste à la suite des attentats à la bombe de 2005 qui ont touché le métro de Londres. Il y a eu également d'autres témoins musulmans à toutes les audiences, mais leur témoignage ne portait pas expressément sur le projet de loi C-51.

(1750)

Ils nous ont dit qu'il faut d'abord repérer nos ennemis si on souhaite les combattre. Si on veut éviter que les rues du Canada soient le théâtre de soulèvements islamistes radicaux comme ceux qu'ont connu Bruxelles, Vienne, Paris et Londres, il faut cesser de jouer à l'autruche et suivre l'exemple de nos alliés.

Aux États-Unis, l'agence centrale de renseignement, la CIA, peut, aux termes de la National Security Act, contrer une menace intérieure au moyen d'un décret. Au Royaume-Uni, conformément à l'article 1 de la Security Service Act, le MI5 peut entreprendre toute activité destinée à protéger la sécurité nationale.

En Norvège, le service de police pour la sécurité a pour mandat de prévenir les crimes contre l'État, y compris le terrorisme, et d'enquêter sur de tels cas. En Finlande, le service de renseignement de sécurité a le mandat de prévenir les crimes susceptibles de mettre en péril le gouvernement ou le système politique et la sécurité interne ou externe, aux termes de l'article 10 de la loi sur l'administration de la police. Nous devons veiller à ce que le SCRS dispose des mêmes outils pour assurer la sécurité des Canadiens. Le projet de loi C-51 leur fournit les outils nécessaires, selon moi.

Pour terminer, j'ajouterais que j'ai des amis musulmans. J'ai travaillé pendant plusieurs années aux États-Unis, dans le domaine de la sécurité nationale. J'ai des amis et collègues musulmans aux États-Unis comme au Canada. Ils font partie d'un groupe qu'ils appellent Muslims Facing Tomorrow. Mes amis musulmans sont tous d'accord avec la déclaration que l'un d'entre eux a faite le 2 octobre 2008 :

L'islam est ma conviction intime, ma conscience [...] [mais] ma foi ne l'emporte pas sur mes devoirs [...] envers le Canada et sa Constitution, que j'embrasse librement [...] Je suis d'abord et avant tout un Canadien [...] Il n'y a que dans les sociétés libres que vous trouverez l'expression de l'islam en tant que foi plutôt que religion politique.

Louise Vincent, sœur de l'adjudant assassiné Patrice Vincent, a dit : « Si le projet de loi C-51 avait existé le 19 octobre [...] Martin Couture-Rouleau aurait fort probablement été en prison et mon frère ne serait pas mort. »

Pour elle et pour les autres victimes, nous devons le projet de loi C-51 aux Canadiens. Nous le devons pour les droits de 35 millions de personnes, sans jamais oublier les droits des minorités, bien entendu, mais dans une optique générale de sécurité nationale. Je vous remercie.

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

Sénatrice, vous avez parlé avec passion, et j'ai le plus profond respect pour ce que vous avez dit. Je souscris à vos propos quand vous parlez de droits préventifs. Nous n'oublierons jamais que, si ces droits avaient existé, le frère de Louise Vincent serait encore vivant. Personne ne le conteste.

Si vous avez écouté mon discours, vous savez que je conteste le fait d'aller trop loin. Ce projet de loi va bien au-delà des droits préventifs.

Sénatrice, pendant la période où j'ai appris à vous connaître et à travailler avec vous sur ce projet de loi, vous avez toujours parlé de dialogue. Croyez-vous que ce projet de loi augmentera ou diminuera le dialogue entre les communautés?

La sénatrice Beyak : Je vous remercie, sénatrice. Je crois vraiment qu'il intensifiera le dialogue. Je crois qu'au Canada, il y a non pas des victimes, mais des vainqueurs. Nous vivons tous ici dans une société libre. Personne au Canada n'est soumis à de la discrimination, ni les membres des Premières Nations, ni les musulmans, ni les Irlandais, ni les Écossais, ni les femmes. Nous avons toujours la possibilité de parler de ces choses. Nous pouvons avoir des désaccords, il est possible que les choses n'aillent pas toujours dans le sens que nous souhaitons, nous pouvons obtenir moins que ce que nous voulons, mais nous pouvons toujours parler. C'est un pays libre, je crois.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup, sénatrice. Vous dites qu'il n'y a pas de discrimination dans ce pays. J'espère que ce sera vrai pour ma fille mais, un jour, j'irai m'asseoir avec vous pour vous parler de la discrimination que j'ai vécue.

L'honorable Jim Munson : Merci, Votre Honneur. Je vais parler ce soir du fait que le projet de loi C-51 jette une ombre sur le journalisme au Canada. Je reviendrai sur ce point un peu plus tard.

La meilleure protection contre les terroristes; quiconque aime la vie souhaite avoir une telle protection. La plupart d'entre nous ressentent encore probablement l'impact des événements violents d'octobre dernier au cours desquels un homme armé a tué un soldat canadien, puis a pris d'assaut le Parlement pour poursuivre son saccage. Nous avons tous ressenti ce jour-là l'horrible présence du terrorisme. Quand la violence a cessé, nous avons pris l'engagement, de concert avec des millions de Canadiens, de faire en sorte que « cela ne se reproduise jamais ».

L'objet déclaré du projet de loi C-51 est d'assurer aux Canadiens une meilleure protection contre le terrorisme. Nous sommes tous en faveur de cette intention, mais il ne suffit pas d'en faire état pour concrétiser l'intention.

Depuis le dépôt du projet de loi C-51 en janvier, le public se plaint amèrement du caractère vague de son libellé et de son contenu ainsi que des effets qu'on peut en attendre. En avril, plus d'une centaine de particuliers et de groupes d'intérêts ont écrit au premier ministre Harper pour l'exhorter à l'abandonner. Le projet de loi ne réussit pas à établir un certain équilibre entre la protection des Canadiens et la sauvegarde des droits et libertés qui nous sont chers et a été précédé de consultations incroyablement bâclées. La lettre met ces points en évidence et souligne l'ensemble des facteurs auxquels nous, parlementaires, devons réfléchir dans l'intérêt de ceux que nous servons.

Journalistes, avocats, environnementalistes, défenseurs des droits de la personne et des libertés civiles et experts en politique sociale, artistes et jeunes, les signataires de la lettre représentent un vaste éventail d'intérêts et de valeurs. Ils sont tous unis dans la conviction que le projet de loi C-51 est dangereux.

Les débats sont couverts par les médias. Des manifestations se déroulent dans les rues. Des messages sont constamment transmis sur les médias sociaux. Les questions posées au sujet du projet de loi ainsi que les réactions du public sont des contributions au processus législatif.

Tous les points de vue ont leur valeur, et il incombe aux sénateurs de respecter les messages et les messagers. Comme j'ai été journaliste pendant la majeure partie de ma carrière, je peux facilement faire miennes les préoccupations de ceux qui s'occupent d'informer les Canadiens. Ils doivent sentir, eux qui se joignent à d'autres manifestants pour bloquer l'adoption du projet de loi C-51, la menace qui pèsera sur leurs normes journalistiques si cette mesure est adoptée.

Il y a trois ans, je me suis joint à d'autres, ici, pour participer au débat sur une interpellation lancée par le sénateur Cowan. Il s'agissait d'attirer l'attention sur le 30e anniversaire de la Charte canadienne des droits et libertés. J'ai choisi de parler de la liberté d'expression, de son importance pour les journalistes, de son importance pour tous les humains, de son importance pour la démocratie.

Étant donné que j'ai couvert des événements dans des pays où la liberté d'expression n'est pas une valeur, mais un motif d'emprisonnement, la différence entre une population informée et une population gardée dans le noir en ce qui concerne le fonctionnement de leurs gouvernements me tient à cœur. Vous m'avez certainement entendu décrire les jours tendus, terribles, horribles qui ont entouré le massacre d'étudiants sur la place Tiananmen. Aujourd'hui, 4 juin, 26 ans plus tard, c'est l'anniversaire de ce drame.

Dans ce pays-là, les libertés civiles n'existaient pas, et elles n'existent toujours pas. Je crois que le projet de loi plairait au gouvernement de Beijing, mais on n'en a pas besoin en Chine parce que « Big Brother » écoute toujours; et à cause du projet de loi C-51, tout le monde écoutera.

Dans les pays non démocratiques et corrompus du monde entier, des journalistes se font tuer et doivent payer le prix s'ils cherchent et font connaître la vérité sur leurs dirigeants et leurs gouvernements. La liberté d'expression, qui précède la démocratie et condamne le statu quo, est une menace pour les dirigeants de ces pays. Pour les citoyens réduits à la pauvreté et incapables d'influencer le fonctionnement de leur pays, c'est une aspiration.

Au Canada, nous tenons la liberté d'expression pour acquise. C'est une erreur. L'histoire d'autres pays et même notre propre histoire nous enseignent qu'elle est le fruit d'une lutte difficile qui a fait des victimes. Comme citoyens d'un pays où les droits de la personne et les libertés fondamentales sont garantis, les journalistes canadiens sont protégés. Ils peuvent travailler avec confiance et mener leurs enquêtes avec passion.

Si le projet de loi C-51 devient loi, les journalistes ne pourront plus compter sur ces garanties. Aucun d'entre nous ne pourra compter comme aujourd'hui sur les garanties des droits et libertés.

L'article 16 du projet de loi apporte des modifications au Code criminel au sujet de la promotion du terrorisme et de la propagande terroriste. Comme l'Association du Barreau canadien le signale dans son mémoire sur le projet de loi C-51, des expressions comme « infractions de terrorisme en général » étendent exagérément l'application des dispositions. À cause d'un libellé comme celui-là pour définir les paramètres de ce qu'est un crime ou ne l'est pas, les Canadiens ne sauront pas à quoi s'en tenir.

(1800)

C'est tellement nébuleux que cela pourrait très bien englober un discours innocent prononcé pour des raisons innocentes. La ligne de démarcation entre ce qui est légal et ce qui ne l'est pas est floue.

Honorables sénateurs, dans une société démocratique, il est nécessaire de défendre son point de vue, de protester et de tenir des débats publics. Souvent, les règles et les règlements administratifs suffisent pour déterminer si de telles activités sont légales. S'ils sont mal définis, cette prédiction des Journalistes pour la liberté d'expression pourrait s'avérer exacte :

Certaines discussions politiques légitimes, que ce soit dans les journaux, sur les sites des médias sociaux ou dans votre boîte de réception de courriels privée, pourraient être criminalisées.

D'autres personnes nous regardent, honorables sénateurs, d'autres pays, notamment des pays européens. Je crois que c'est important dans le cadre de ce débat.

L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l'OSCE, est la plus grande organisation intergouvernementale axée sur la sécurité au monde. Elle a comparé défavorablement le projet de loi C-51 à ce qui se fait à l'étranger pour limiter la liberté d'expression. Contrairement à ce que propose ce projet de loi, seuls les propos qui encouragent directement ou intentionnellement le terrorisme devraient mener à des restrictions touchant la liberté d'expression.

Les gens sont parfois imprudents. Ils peuvent promouvoir par inadvertance des menaces à la sécurité. Ce qui devrait être déterminant, ce sont les intentions. Dans d'autres pays, l'intention importe. Advenant l'adoption du projet de loi C-51, l'application des motifs raisonnables permettant de limiter la liberté d'expression et de saisir des biens matériels n'aura jamais été aussi dangereusement précaire. Il n'est pas exagéré de s'attendre à ce que l'intégrité morale de nos citoyens à l'égard du terrorisme soit affectée et à ce que la discrétion des administrateurs et des responsables de l'application de nos lois ait beaucoup plus de poids.

Voici l'une des nombreuses mises en garde de l'OSCE :

Cette mesure pourrait être particulièrement préoccupante pour les médias, qui ont la responsabilité professionnelle de couvrir le terrorisme et de s'assurer que le public est au courant des menaces et des activités terroristes.

Un autre élément du projet de loi C-51 qui pose problème pour le Canada en général, et tout particulièrement pour les journalistes, c'est la disposition relative à la création de la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada. Craig Forcese et Kent Roach sont des experts dans le domaine du droit et de la sécurité nationale. Depuis la présentation du projet de loi, ils ont publié une série d'articles d'opinion pour des sources d'information nationales et internationales.

Dans un article publié le 11 mars dans le New York Times, ils parlent de l'un des principaux risques liés au projet de loi C-51 et des dispositions concernant la communication d'information. Voici ce qu'ils ont dit :

Offrant une vision très élargie de la sécurité nationale...

— le projet de loi —

... facilite la communication d'information entre les institutions fédérales, et aucune limite solide n'a été établie quant à la façon dont l'information peut être utilisée (ou mal utilisée).

Les modifications proposées dans le projet de loi C-51 entraînent des changements radicaux en matière de protection des renseignements personnels et d'autres préoccupations importantes, des notions depuis longtemps respectées au Canada. Les auteurs font état de leurs constatations et montrent à quel point un tel plan de communication de l'information est inusité au Canada. Selon eux :

C'est une situation tout à fait inusitée pour un pays qui, en 2007, a accepté...

— nous oublions notre propre histoire ——

... de verser des millions de dollars en indemnisation à un citoyen canadien qui avait été victime de torture à l'étranger parce que des renseignements inexacts à son sujet avaient été communiqués.

Il s'agit du cas de Maher Arar.

Pour une raison quelconque, nous semblons avoir oublié cette affaire, madame la Présidente. Cela devrait maintenant faire partie de notre ADN, de notre façon de penser. Ce n'est tout simplement pas correct.

Un volume considérable de renseignements confidentiels circule déjà entre les ministères, notamment des renseignements en matière de santé ou d'impôts, ou encore des renseignements financiers. Il y a trop souvent des atteintes à la vie privée.

Si le projet de loi C-51 est adopté, le gouvernement communiquera davantage de renseignements, et ce, plus fréquemment, sous prétexte qu'il protège la sécurité nationale. Les Canadiens pourraient ne jamais savoir quand ou pourquoi ils font l'objet d'une enquête. Le fait d'accorder moins d'importance à la vie privée qu'à la sécurité aura sans aucun doute des répercussions. Les lois du Canada en matière de protection de la vie privée seront affaiblies. Il y aura également un plus grand nombre d'accusations injustifiées liées à des menaces de terrorisme. Les gens, avec raison, ne feront plus confiance au gouvernement et deviendront méfiants.

Ces changements ainsi que d'autres éléments du projet de loi rendront le travail des journalistes qui doivent communiquer avec des sources pour étoffer leurs articles plus difficile. Il n'y a pas que les journalistes qui seront lésés. Ceux d'entre nous qui comptent sur les médias pour s'informer sur le monde, y compris sur la menace et les risques terroristes, seront eux aussi lésés.

Chaque fois que la liberté d'expression et la protection de la vie privée sont compromises, la capacité des journalistes de s'acquitter de leur responsabilité auprès de leur public et de leurs lecteurs s'en trouve elle aussi compromise. En plus des articles que j'ai mentionnés, il y a plusieurs autres dispositions du projet de loi qui sont incompatibles avec les principes fondamentaux de nos lois fédérales.

Si ces éléments du projet de loi inquiètent les journalistes, nous devrions tous être inquiets. Après tout, le travail que font les journalistes nous concerne tous. Les principes journalistiques consistent à faire la lumière sur certains enjeux, à tenter de découvrir la vérité et à proposer des solutions. Les journalistes savent très bien se servir de leur plume. Les divergences d'opinions et de convictions sont très fréquentes dans le milieu journalistique, et c'est très bien ainsi. Cela nous donne la chance d'en apprendre davantage sur les différentes facettes des enjeux qui forment l'actualité.

Honorables sénateurs, j'aimerais citer la conclusion présentée par l'Association du Barreau canadien. Elle se lit comme suit :

Pour que le projet de loi C-51 atteigne ses objectifs, il ne suffit pas que les Canadiens se sentent plus en sécurité : ils doivent l'être dans les faits, et cette sécurité accrue doit s'accompagner de la conviction bien fondée que le Canada demeure une démocratie qui montre la voie à suivre sur le plan international en protégeant scrupuleusement le droit à la vie privée et les libertés civiles.

Honorables sénateurs, je m'oppose à ce projet de loi. Contrairement aux milliers de Canadiens qui nous supplient de rejeter ce projet de loi, j'ai la chance d'être ici, aujourd'hui, dans la salle où l'on décidera bientôt du sort de ce projet de loi. Chers collègues, j'espère que mes propos vous ont convaincus et que vous vous joindrez à moi lors du vote pour reconnaître que le projet de loi C-51 est une erreur.

Nous pouvons retourner à la case départ et élaborer un nouveau projet de loi qui aura le même objectif important, soit réduire la menace terroriste au Canada. Honorables sénateurs, je vous implore de faire comme moi et d'écouter ce que les Canadiens ont à dire. Vous en arriverez aussi à la conclusion que nous ne pouvons pas atteindre cet objectif au détriment de nos droits et de nos libertés fondamentales.

La sénatrice Cordy : Bravo!

Le sénateur Munson : Honorables sénateurs, en fin de compte, ce projet de loi porte atteinte à notre Charte des droits et libertés, à laquelle nous tenons tant.

L'honorable Daniel Lang : Chers collègues, je suis heureux d'intervenir pour parler du projet de loi C-51. D'entrée de jeu, j'aimerais remercier le vice-président, le sénateur Mitchell, et les sénateurs de l'opposition, y compris la sénatrice Joan Fraser, qui ont accepté de procéder à une étude préalable du projet de loi, afin que nous puissions tenir des audiences et entendre le plus de témoins possibles

En fait, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense a tenu 6 séances et entendu 63 témoins sur le projet de loi C-51. Au cours des audiences du comité, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, qui est responsable du projet de loi, a témoigné à deux reprises pour répondre aux questions des membres du comité.

Je tiens également à souligner que bon nombre des 63 témoins qui ont comparu devant le comité sénatorial sur ce projet de loi n'ont pas pris la parole devant le comité de l'autre endroit, y compris le commissaire à la protection de la vie privée du Canada et les trois principaux organismes d'examen, soit le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, qui examine les activités du Service canadien du renseignement de sécurité; le Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications; et la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC.

Chers collègues, au cours de ses audiences, le comité a examiné de façon exhaustive le projet de loi C-51, contrairement à ce que certains ont affirmé dans cette enceinte. En fait, 14 sénateurs ont participé aux travaux du comité, alors que celui-ci compte 9 membres réguliers. Cela démontre que cette question intéressait vivement les sénateurs de deux côtés de cette Chambre, et les commentaires qu'ils ont exprimés ont été très utiles.

Je tiens à souligner le travail acharné effectué par le sénateur Runciman, le parrain du projet de loi, dans l'intérêt de la sécurité publique du Canada. Il a accompli du très bon travail. Je signale également que les sénateurs Jaffer, Baker, Moore et Bellemare, de même que nos membres, les sénateurs Mitchell, Day, Kenny, Stewart Olson, Dagenais, Beyak, Ngo et White ont aussi participé au débat sur le projet de loi C-51.

(1810)

Chers collègues, bien qu'aucune mesure législative ne soit parfaite, ce projet de loi est un pas dans la bonne direction. Il offre aux forces de l'ordre des outils utiles pour empêcher et perturber les activités liées au terrorisme et faciliter les poursuites ultérieures. Le Canada n'est pas le seul pays à devoir, dans la foulée du 11 septembre, moderniser ses lois antiterrorisme pour réagir à la grave menace des terroristes, qui évolue rapidement. Seul un des 63 témoins estimait que nous n'avions pas besoin de modifier nos lois actuelles.

J'aimerais, chers collègues, rappeler ce qu'a dit le très honorable Jean Chrétien lors de la présentation de la Loi antiterroriste de 2001 à la Chambre des communes. Il a dit :

Il est devenu clair que la terreur fait peser une menace inouïe sur notre mode de vie.

Chers collègues, c'est encore le cas, et plus encore.

J'aimerais aussi revenir au prononcé de la sentence de l'ancien fonctionnaire et terroriste Mohammad Khawaja, qui s'est vu infliger une des plus lourdes peines de l'histoire moderne, bien au-delà des 20 ans sans possibilité de libération conditionnelle. J'aimerais souligner les propos de la Cour d'appel de l'Ontario, qui a cité favorablement ce qu'a dit le juge Durno, de l'Ontario, dans l'arrêt Khalid :

Les infractions de terrorisme constituent la forme la plus ignoble de conduite criminelle. Elles s'en prennent à l'essence même des idéaux démocratiques du Canada. Ceux qui y participent vivent selon une philosophie qui rejette le processus démocratique; leur motivation est unique et fondamentalement contraire à la primauté du droit. C'est une infraction qui a d'énormes répercussions sur la population, son but étant de terroriser les citoyens d'une manière qu'on ne voit pas dans les autres infractions criminelles.

La Cour d'appel de l'Ontario a ensuite largement cité le juge Whealy, dans la décision R. c. Elomar, rendue en 2010 par la Cour suprême de la Nouvelle-Galles-du-Sud, pour décrire ce que représentent des terroristes comme Khawaja. Je cite :

La mentalité forgée par tout ce matériel [extrémiste] peut se résumer comme suit. Premièrement, une haine envers les « kufr », c'est-à-dire les musulmans et non-musulmans qui ne partagent pas leurs opinions extrémistes. Deuxièmement, une intolérance à l'égard du gouvernement démocratique australien et de ses politiques. Troisièmement, une conviction que les musulmans sont obligés, de par leur religion, de poursuivre un djihad violent dans le but de renverser les sociétés démocratiques libérales et de les remplacer par le régime islamique et la charia.

La Cour d'appel de l'Ontario a également cité l'honorable John Major, qui a bien résumé les caractéristiques du terrorisme dans son rapport sur l'attentat terroriste à la bombe contre le vol 182 d'Air India :

Le terrorisme est une menace à l'existence de la société canadienne beaucoup plus grave que le meurtre, les voies de fait, le vol et les autres crimes. Les terroristes rejettent les fondements mêmes de la société canadienne et les mettent en péril.

On ne peut sous-estimer la gravité de la menace terroriste à laquelle fait face le Canada aujourd'hui. En octobre dernier, votre comité a appris que 80 partisans djihadistes étaient revenus au Canada, chacun devant être soumis, selon toute vraisemblance, à une surveillance policière rigoureuse 24 heures par jour et 7 jours par semaine, surtout dans les cas où ceux-ci avaient reçu un entraînement militaire au Moyen-Orient, en Somalie ou au Pakistan. Il y a aussi 93 individus, tous des Canadiens, qui cherchent à fournir un soutien matériel à l'EIIS et à quitter notre pays à cette fin. À cela s'ajoutent 145 Canadiens qui se trouvent actuellement à l'étranger pour fournir un soutien matériel au mouvement djihadiste. Il y a quelques semaines, on a indiqué au comité que le nombre de Canadiens qui appuient l'EIIS a augmenté depuis.

Chers collègues, les plus de 318 individus radicalisés dont je viens de parler soulèvent une vive inquiétude au sein des organismes d'application de la loi. Nous avons été témoins du tort que peuvent causer des extrémistes islamistes radicaux, comme Zehaf-Bibeau et Martin Couture-Rouleau, même lorsqu'ils agissent seuls. Comme on nous l'a dit hier, certains croient que le terrorisme découle du racisme, de la rhétorique et de la maladie mentale. Malheureusement, ce message politique répète un discours dans lequel on blâme la victime — le Canada contre peut-être les musulmans ou les cheiks — afin de rationaliser le mouvement terroriste djihadiste extrémiste.

Honorables sénateurs, Jocelyn Bélanger, professeur au Département de psychologie de l'Université du Québec à Montréal, a comparu au comité le 8 décembre 2014 et il a dit ceci :

Croire que les radicalisés sont des êtres cinglés et qu'ils n'ont pas toute leur tête, c'est commettre notre première erreur en ce qui concerne l'élaboration de stratégies efficaces de lutte contre le terrorisme.

L'hypothèse de l'instabilité mentale reflète plutôt notre incompréhension profonde du processus de radicalisation.

Que certains laissent entendre que le terrorisme est causé par le racisme et par un certain discours manipulateur montre que nous n'arrivons pas à comprendre que, dans ce cas-ci, les principales victimes du terrorisme sont les musulmans, les minorités ismaélienne et ahmadiste, les femmes et les jeunes filles.

Ce discours politique simpliste ne tient pas compte des différents types de terrorisme que le Canada a connus, notamment la crise du FLQ au Québec, les suprémacistes européens et, bien entendu, le terrorisme sikh. Aujourd'hui, la principale menace terroriste au Canada vient des extrémistes djihadistes qui agissent au nom de l'islam. N'oublions pas toutefois les causes extrémistes que d'autres militants défendent ainsi que le cyberespionnage, qui menace quotidiennement la sécurité publique.

Honorables sénateurs, la population musulmane du Canada devrait passer d'ici 15 ans de 950 000 à 2,8 millions de personnes. Nous avons donc besoin des communautés musulmanes modérées pour aider les forces de l'ordre et les Canadiens à combattre l'idéologie djihadiste islamique qui anime ceux qui commettent des actes de terrorisme au nom de la religion. Il est aussi important pour les musulmans que pour l'ensemble des Canadiens que nous abordions franchement la question du terrorisme. Il faut collaborer avec la grande majorité de musulmans modernes afin de dénoncer ensemble l'idéologie extrémiste qui sert à justifier les actes extrémistes et terroristes.

Il ne faut jamais oublier que les fanatiques religieux qui, il y a 30 ans, ont commis un attentat à la bombe à bord du vol 182 d'Air India et qui ont tué 331 personnes, dont 268 Canadiens, n'étaient pas victimes de racisme ou de discours manipulateurs.

Chers collègues, permettez-moi de répondre à certaines objections soulevées à propos du projet de loi C-51 au cours des six dernières semaines. La première objection est celle des ressources. Lorsque le projet de loi a commencé à être débattu, certains se sont dits légitimement inquiets de voir que le gouvernement n'avait pas prévu les ressources nécessaires pour mettre en œuvre le projet de loi. Le gouvernement a répondu à cette critique dans le budget de 2015-2016, qui est à l'étude présentement au Sénat. Des millions de dollars d'argent frais sont alloués à la GRC, au SCRS et à l'Agence des services frontaliers du Canada. De plus, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité voit son enveloppe budgétaire augmenter de 80 p. 100.

La deuxième objection concerne la protection de la vie privée. Le ministre a confirmé au comité que tous les organismes qui recevront de l'information conformément aux dispositions du projet de loi devront procéder à une évaluation des répercussions sur la vie privée en consultation avec le commissaire à la protection de la vie privée.

Les échanges d'information sont très importants pour lutter contre le terrorisme. Votre comité a entendu le témoignage M. Bal Gupta, qui dirige l'association des familles des victimes du vol 182 d'Air India. Si les dispositions contenues dans le projet de loi C-51 avaient été en vigueur il y a 30 ans, cette tragédie n'aurait pas eu lieu. Son épouse ne serait pas morte, et ses enfants auraient encore leur mère.

Cette disposition est essentielle, et je suis rassuré de savoir que le commissaire à la protection de la vie privée prendra son travail au sérieux et fera le nécessaire pour protéger les droits et la vie privée de l'ensemble des Canadiens.

La troisième objection concerne les mandats. Comme nous le savons tous, les mandats sont chose courante dans le contexte juridique entourant les activités policières. Ils sont employés tous les jours pour effectuer, avec le consentement d'un juge, des opérations qui seraient normalement considérées comme une violation des droits de la personne, mais qui doivent avoir lieu quand même pour que la police ou le service de renseignement puissent agir dans le secret. L'opération se déroule dans les meilleurs délais, aussitôt que le juge l'a autorisée, après avoir été convaincu par les preuves lui ayant été fournies. Donner au SCRS le pouvoir de neutraliser des complots sauvera des vies. Permettre à un juge de décerner ces mandats est raisonnable, dans notre processus démocratique, afin d'assurer une certaine surveillance.

(1820)

Le juge John Major, entre autres, a recommandé que des ressources additionnelles soient accordées au CSARS afin qu'il puisse effectuer des vérifications en aval pour s'assurer que le SCRS respectait les mandats accordés. Lorsqu'on lui a demandé, au comité, ce qu'il pensait du fait d'obliger le SCRS à rendre compte de l'exécution des mandats auprès du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, ou CSARS, comme nous le mentionnons dans nos observations, le juge Major a déclaré : « Ce serait certainement un grand pas en avant ».

Chers collègues, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité était favorable à cette obligation relative aux mandats et il a confirmé à votre comité qu'étant donné les nouvelles ressources prévues dans son budget, il aura la capacité de s'acquitter de son mandat.

De plus, en réponse à la question relative aux rapports sur les mandats, le ministre a confirmé au comité qu'il est prêt à tenir compte de la suggestion de notre comité d'obliger le SCRS à rendre compte de l'exécution de ses mandats à son organisme de surveillance, le CSARS.

Chers collègues, votre comité a joint des observations à son rapport, qui a été adopté à l'unanimité par tous les membres. Permettez-moi d'aborder brièvement les observations suivantes.

Premièrement, prolonger de 1 à 5 ans le délai pour le dépôt d'accusations aux termes de l'article 25 de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, qui traite des infractions punissables par procédure sommaire; faire en sorte que la mise en œuvre de la loi n'implique pas de risques inutiles pour l'intégrité physique du personnel de première ligne des compagnies aériennes, des autres employés ou du grand public; envisager d'ajouter ultérieurement « photo ou image acceptable » à la liste des éléments d'information qui peuvent être versés dans la base de données décrite au paragraphe 8(1).

Ce sont des mesures raisonnables sur lesquelles nous voulions attirer l'attention.

Deuxièmement, accroître la capacité du Canada de combattre le terrorisme en utilisant les lois adoptées par le Parlement pour dissuader efficacement les activités terroristes. Pour ce faire, le gouvernement devrait charger une équipe d'avocats spécialisés, au sein du ministère du Procureur général du Canada, des poursuites dans les affaires de terrorisme et s'assurer que les juges choisis pour entendre les affaires de terrorisme ont reçu une formation et possèdent une expertise dans ce domaine. Cette observation reflète les préoccupations du comité sur la nécessité de poursuivre énergiquement toutes les infractions de terrorisme.

Troisièmement, criminaliser l'appartenance à un groupe terroriste « désigné » au Canada ou à un groupe terroriste « de fait » reconnu comme tel par les tribunaux. Chers collègues, votre comité a été surpris d'apprendre l'existence de cette omission dans la loi et souhaite attirer l'attention sur ce problème.

Quatrièmement, aux fins de la responsabilisation, le gouvernement devrait établir dans la loi des autorisations législatives pour que les organismes nationaux chargés de la sécurité puissent mettre en commun l'information opérationnelle, décider de l'entité la mieux placée pour mener chaque enquête, procéder à des enquêtes conjointes et coordonner l'établissement des rapports.

Cette observation contribuerait à aligner les organismes nationaux d'examen de la sécurité sur les ministères, lesquels pourront, grâce à ce projet de loi et aux mesures évoquées par les sénateurs d'en face, communiquer de l'information, dans certaines conditions. Fait intéressant, chers collègues, tous les membres du comité étaient d'accord avec cette observation, parce que c'est le même pouvoir qui a été conféré pour autoriser les 17 ministères à communiquer l'information.

Cinquièmement, le comité a ajouté, et je cite :

Enfin, vu l'évolution rapide des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale du Canada, et l'importance de ce projet de loi pour la protection des Canadiens, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, avec l'approbation du Sénat, procédera à un examen du projet de loi C-51 dans les cinq années suivant sa sanction royale.

Honorables sénateurs, l'adoption du rapport permettrait au Sénat de faire le nécessaire pour effectuer un examen parlementaire des initiatives ministérielles dans les cinq années suivant leur mise en œuvre. Cette mesure a été recommandée par certains intervenants, notamment le professeur Craig Forcese, et le comité a convenu que c'est un rôle raisonnable et responsable que nous, sénateurs, devrions assumer dans le cadre de notre mandat.

Pour conclure, le projet de loi établit un juste équilibre entre les droits des Canadiens et la nécessité de fournir aux responsables de l'application de la loi les outils nécessaires pour prévenir la radicalisation et les menaces des extrémistes. Le SCRS et la GRC ont le mandat de protéger les Canadiens. Le mouvement djihadiste radical auquel sont confrontés les Canadiens est réel, tout comme les menaces cybernétiques et les autres dangers auxquels des militants nous exposent.

La GRC, nos organismes d'application de la loi et nos services de renseignement ont besoin des outils prévus dans le projet de loi C-51 pour faire leur travail. Je vous exhorte à adopter cette mesure législative afin de leur donner ainsi la possibilité de s'acquitter de leur mandat et d'assurer la sécurité du Canada et des Canadiens.

L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole à l'étape de la troisième lecture du projet de loi C-51, Loi antiterroriste de 2015.

Cette mesure législative nous a été présentée et, surtout, elle a été présentée aux Canadiens comme une réponse nécessaire à la suite des événements du mois d'octobre dernier.

Nous nous souvenons tous de ces événements. Dans un premier temps, l'adjudant Patrice Vincent a été tué à Saint-Jean-sur-Richelieu puis, quelques jours plus tard, Michael Zehaf-Bibeau a tué par balle le caporal Nathan Cirillo au Monument commémoratif de guerre du Canada. Il a ensuite pu pénétrer dans l'édifice où nous nous trouvons, avant d'être rapidement abattu par le sergent d'armes Vickers.

Il ne fait aucun doute que cette période a été très difficile pour notre nation. Nous avons encore une fois ressenti notre vulnérabilité face au terrorisme.

Je dis « encore une fois » parce que nous nous souvenons tous du 23 juillet 1985, lorsque 329 passagers et membres d'équipage à bord du vol 182 d'Air India ont été tués — assassinés — par une bombe placée à bord de l'avion à l'aéroport de Vancouver. La plupart des victimes étaient des Canadiens. L'attentat d'Air India reste à ce jour la pire attaque terroriste dans l'histoire de notre pays.

Bien entendu, les événements du 11 septembre sont gravés dans notre mémoire collective. Chacun d'entre nous se souvient de l'endroit exact où il était quand nous avons appris que des avions avaient heurté le World Trade Center à New York. Nous avons tous suivi avec horreur le déroulement des événements de cette terrible journée.

Je ne siégeais pas au Sénat à l'époque du 11 septembre, mais je n'oublierai jamais la fierté que j'ai ressentie quand les parlementaires — tout comme les Canadiens — se sont unis pour faire face à ce défi. Les parlementaires, dont certains se trouvent ici aujourd'hui, se sont débattus pour protéger les Canadiens contre le terrorisme, tout en veillant à ce que nos valeurs, ainsi que nos libertés et nos droits fondamentaux, soient respectés et demeurent intacts.

Le gouvernement du premier ministre Chrétien a réagi à la situation en présentant le projet de loi C-36. Un comité sénatorial spécial a été expressément formé pour procéder à l'étude préalable du projet de loi, chose rare à l'époque. Permettez-moi de lire un paragraphe du rapport préliminaire, qui a été adopté à l'unanimité par le comité :

Les terribles événements du 11 septembre 2001 ont fait comprendre à tous les Canadiens que pour garantir les libertés qui les définissent en tant que pays, ils doivent maintenant résister activement au terrorisme. Le défi est de trouver le juste milieu : il s'agit de fournir aux services chargés d'appliquer les lois et d'assurer la sécurité nationale les outils nécessaires pour protéger les citoyens et pour prévenir les actes terroristes avant leur perpétration, mais sans pour autant compromettre les libertés que notre gouvernement a pour mission de protéger. En effet, les actes terroristes ne doivent pas avoir pour effet de nous faire renoncer à nos principes fondamentaux et à nos garanties démocratiques essentielles.

Ces mots très forts demeurent tout aussi vrais aujourd'hui.

Dans ce contexte, honorables sénateurs, vous comprendrez ma surprise lorsque le sénateur Runciman a présenté le projet de loi C-51 au Sénat, à l'étape de la deuxième lecture, en disant ceci :

Les lois régissant les activités en matière de sécurité nationale au pays ont été créées à une époque où la plus grande menace se résumait à l'espionnage. Les temps ont changé et il faut trouver de nouvelles solutions. C'est pourquoi le projet de loi C-51 a été présenté.

Distingués collègues, malgré tout le respect que je vous dois, ceci n'est pas une façon juste de présenter les choses. C'est comme si le gouvernement cherchait à prétendre que l'administration Chrétien et le Parlement ont fait fi de la menace terroriste, ce qui est tout simplement faux. En réalité, les membres de cette assemblée ont joué un rôle de premier plan pour mettre au point cette réponse. La sénatrice Andreychuk, notre ancien Président, le sénateur Kinsella, le sénateur Joyal et la sénatrice Jaffer, entre autres, peuvent vous parler du travail très sérieux et très méticuleux qu'ils ont fait au sein du comité spécial pour évaluer et peaufiner le projet de loi C-36. Le sénateur Eggleton était ministre de la Défense. Il a comparu devant le comité spécial et je suis convaincu qu'il pourrait vous parler du travail opiniâtre que le gouvernement a fait pour trouver cet équilibre névralgique.

La nature de la menace a-t-elle évolué? Elle a évolué, bien entendu, mais il est faux de dire que nous tentons de faire passer nos lois des années 1950 au XXIe siècle. Cela ne rend pas justice aux gouvernements et aux parlementaires qui se sont succédé. C'est faire abstraction du bon travail accompli au fil des ans par nos organismes de la sécurité et du renseignement pour déjouer les complots terroristes, dont ceux qui ont récemment fait les manchettes — tout ce travail accompli dans le respect de nos lois. Disons-le franchement : en laissant entendre que ce sont les événements d'octobre 2015 qui ont été la sonnette d'alarme, on manque de respect envers les centaines de victimes ayant péri lors de la tragédie d'Air India, qui était un acte terroriste.

(1830)

Nos lois doivent-elles être améliorées et mises à jour pour tenir compte de l'évolution de la menace terroriste? Oui, tout à fait. Est-ce que les événements de l'automne dernier justifient que l'on révise les lois de fond en comble, comme cela a été proposé? Peut-être que oui. Cela dit, à mon avis, le gouvernement n'a pas présenté d'arguments suffisamment convaincants à cet égard. Au contraire, de nombreux témoins et de nombreux Canadiens d'expérience, des gens avertis, ont dit qu'à leur avis, nos lois ne comportent pas de problèmes fondamentaux; ce qui pose problème, c'est plutôt la façon dont elles sont appliquées et les ressources que le gouvernement alloue à leur mise en œuvre.

On a également laissé entendre qu'aujourd'hui, la nature de la menace est telle que s'il faut sacrifier nos droits et libertés fondamentaux pour lutter contre celle-ci, qu'il en soit ainsi. En fait, ce n'est pas simplement une suggestion; c'est ce qui est indiqué dans le projet de loi, comme d'autres l'ont signalé. Je vais aborder cet aspect sous peu.

J'aimerais maintenant vous lire un paragraphe de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration). Cette décision a été rendue le 11 janvier 2002, à peine quelques mois après le 11 septembre. Dans la foulée de ces événements qui ont secoué le monde entier, la cour a écrit — et je tiens à souligner que c'est une décision de la cour, et qu'elle est donc libellée de façon à lui donner tout le poids nécessaire, celui du plus haut tribunal du pays. Voici donc ce que la cour a déclaré :

Ces questions mettent en jeu des préoccupations et des valeurs fondamentales pour le Canada et, de fait, pour l'ensemble de la communauté internationale. D'un côté, il y a le fléau manifeste du terrorisme et le meurtre gratuit et arbitraire de personnes innocentes, situations qui nourrissent l'engrenage de la destruction et de la peur. Pour exprimer la volonté des citoyens, les gouvernements ont besoin des outils juridiques propres à leur permettre de relever efficacement ce défi.

De l'autre côté, il y a la nécessité de veiller à ce que ces outils juridiques ne sapent pas les valeurs jugées fondamentales par notre société démocratique — liberté, primauté du droit et principes de justice fondamentale — et qui sont au cœur de l'ordre constitutionnel canadien et des instruments internationaux dont le Canada est signataire. En effet, ce serait une victoire à la Pyrrhus que de vaincre le terrorisme au prix de notre adhésion à ces valeurs. Le défi du Parlement consiste à rédiger des lois qui combattent efficacement le terrorisme tout en respectant les exigences de notre Constitution et nos engagements internationaux.

Chers collègues, nous ferions bien de réfléchir à ces paroles en étudiant le projet de loi C-51.

Le premier ministre Harper a dit qu'il n'y a pas de liberté sans sécurité. Je suis d'accord avec lui. Je suis convaincu que tout le monde ici l'est. Par ailleurs, la tâche d'un gouvernement — notre tâche en tant que parlementaires — est d'assurer notre liberté, pas de la sacrifier au nom de la sécurité.

Ce fut le défi de nos prédécesseurs et de nos collègues qui ont travaillé ensemble à établir un juste équilibre après les attentats du 11 septembre. Ce fut le défi de la Commission Major, qui avait été chargée d'enquêter sur l'attentat à la bombe commis contre le vol 182 d'Air India et qui avait formulé, dans le rapport final qu'elle a déposé en juin 2010, plus de 60 recommandations, dont un bien trop grand nombre n'ont toujours pas été mises en œuvre, cinq ans après leur présentation au gouvernement.

C'est notre défi, chers collègues, avec l'étude du projet de loi C-51.

Les Canadiens sont de plus en plus nombreux à examiner le projet de loi C-51 — nous le savons grâce aux courriels que nous échangeons — et à demander si nous avons vraiment besoin de donner de tels pouvoirs sans précédent — et ils sont réellement sans précédent — à nos services de sécurité et de renseignement. Qu'est-ce qui prouve que les pouvoirs prévus dans le projet de loi C-51 auraient empêché les gestes posés en octobre dernier? Les gens veulent savoir à quoi le Canada ressemblera quand tout cela sera fait.

Chers collègues, ce sont là des questions pertinentes à poser dans une démocratie, mais nous n'avons reçu aucune bonne réponse de la part du gouvernement.

En effet, dans le cas des fusillades survenues au Monument commémoratif de guerre du Canada et sur la Colline du Parlement le 22 octobre, le premier ministre Harper a lui-même reconnu qu'il est difficile de prédire comment une situation comme celle-là sera gérée en vertu de ces lois, puisque Bibeau n'était pas surveillé par la police. Les fonctionnaires des ministères de la Sécurité publique et de la Justice qui ont tenu des points de presse pour les médias sur le projet de loi C-51 lorsqu'il a été déposé ont refusé d'expliquer comment il aurait pu prévenir les attaques perpétrées à Ottawa et à Saint-Jean-sur-Richelieu.

Au lieu de répondre aux nombreuses questions soulevées par les Canadiens et d'essayer de dégager un consensus, et au lieu d'écouter vraiment les Canadiens lorsqu'ils expriment leurs craintes très réelles au sujet des répercussions du projet de loi, le gouvernement a tout simplement choisi de faire fi des préoccupations et fait souvent valoir que les « citoyens respectueux des lois » n'ont pas à avoir peur de ces nouveaux pouvoirs.

Chers collègues, cette déclaration est méprisante, accusatoire et franchement condescendante; elle n'a pas sa place dans ces discussions. Elle me rappelle quand le gouvernement a dit ceci : on appuie le projet de loi, soit on appuie les pédopornographes. Nous discutons d'un projet de loi qui, comme le commissaire à la protection de la vie privée l'a confirmé, aura d'énormes répercussions sur les droits de tous les Canadiens, y compris les Canadiens ordinaires, qui respectent la loi . Le commissaire a rédigé une lettre qui est parue dans le Globe and Mail, dans laquelle il a dit ceci :

Tous les Canadiens — et non seulement les personnes soupçonnées de terrorisme — seront visés. Le projet de loi C-51 ouvre la porte à la collecte, à l'analyse et à la conservation pour toujours des renseignements personnels de tous les Canadiens pour chercher une aiguille dans une botte de foin.

Comment en sommes-nous arrivés là?

Chers collègues, il est intéressant de comparer la façon dont le gouvernement Trudeau et le Parlement de l'époque ont géré la grande question de déterminer les droits et les libertés à enchâsser dans la Charte avec la façon dont le gouvernement et le Parlement actuels gèrent la grande question d'atteindre un équilibre entre la protection de ces droits et libertés et la sécurité.

Depuis ses débuts, la Charte a été considérée comme un instrument du peuple. Des Canadiens, en nombre sans précédent, ont voulu participer et exprimer leur point de vue. Collègues, leur voix a été entendue. Le sénateur Joyal a coprésidé un comité parlementaire spécial qui a entendu 914 particuliers et 294 groupes au cours d'audiences publiques qu'ont retransmises les chaînes nationales de télévision.

Chers collègues, voilà comment notre grande démocratie a été bâtie et renforcée. Pas en divisant, mais en unifiant. Pas en rejetant l'apport des Canadiens, mais en l'accueillant chaleureusement. Pas en faisant taire les critiques, mais en encourageant un débat sérieux et engagé. Voilà le leadership à son meilleur.

Le Canada, comme d'autres démocraties du monde, est aujourd'hui confronté à un grave défi lié au terrorisme. Nous savons que les droits et libertés qui enrichissent notre démocratie nous rendent en même temps vulnérables au terrorisme et exposent nos citoyens à la radicalisation. La liberté d'expression constitue la pierre angulaire de la démocratie, ce qui signifie que des idées dangereuses peuvent parfois être exprimées dans le cadre du débat.

Notre pays a été bâti sur des principes d'ouverture et d'acceptation des différences, des principes d'égalité indépendants de l'origine ethnique ou nationale et des croyances religieuses. Chers collègues, les droits et libertés inscrits dans la Charte ne sont pas de simples mots jetés sur du papier. Ils représentent ce que nous sommes et ce que les Canadiens souhaitent voir au Canada aussi bien aujourd'hui qu'à l'avenir. Tout comme la Charte a été écrite par tous les Canadiens, il faut que tous les Canadiens participent à la discussion sur les moyens de sauvegarder ces droits et libertés face à la menace du terrorisme.

Malheureusement, au lieu d'affronter ces défis comme une seule nation, au lieu d'inclure et d'engager les Canadiens, en commençant ici même au Parlement, le gouvernement Harper a décidé d'imposer ses propres vues aux Canadiens, en faisant abstraction de toutes les opinions contraires.

Quelque 60 chefs de file du monde des affaires ont écrit une longue lettre ouverte au premier ministre Harper pour lui demander d'abandonner ce projet de loi « irresponsable, dangereux et inefficace ». Les signataires comprenaient des PDG de plusieurs entreprises de haute technologie du Canada.

Plus d'une centaine d'universitaires, dont beaucoup de professeurs de droit de tous les coins du pays, ont écrit une lettre ouverte aux parlementaires pour exprimer leur « profonde inquiétude parce que le projet de loi C-51[...] est une dangereuse mesure législative pouvant avoir d'importantes incidences sur la primauté du droit, sur les droits bénéficiant de garanties constitutionnelles et internationales et sur la santé de la démocratie canadienne ».

Les mêmes signataires ont noté « avec inquiétude » que le projet de loi pourrait se révéler inefficace dans la lutte contre le terrorisme à cause tant de ses lacunes que de son caractère contre-productif puisqu'il peut facilement entraver des activités efficaces de la police, des organismes de renseignement et des autorités judiciaires.

Ils ont tenu à ajouter que les signataires ne sont pas des « extrémistes » et ne contestent pas la réalité des menaces à la sécurité des Canadiens que le gouvernement et le Parlement ont le devoir de protéger.

(1840)

Chers collègues, où en sommes-nous pour que des citoyens, des professeurs de plusieurs grandes universités du pays estiment devoir se défendre d'être des extrémistes lorsqu'ils donnent leur point de vue sur une importante mesure législative comme le projet de loi C-51?

Deux professeurs de droit, qui ne font pas partie des 100 signataires de la lettre, ont été si troublés par les dispositions du projet de loi C-51 qu'ils ont créé des sites web où ils ont publié des analyses juridiques détaillées des dispositions du projet de loi et ont proposé des amendements. Il s'agit du professeur Craig Forcese, de l'Université d'Ottawa, et du professeur Kent Roach, de l'Université de Toronto, qui enseignent tous les deux dans leur faculté de droit respective.

Le 19 février dernier, une lettre ouverte extraordinaire a été publiée dans le Globe and Mail. Elle était signée par quatre anciens premiers ministres, soit Jean Chrétien, Joe Clark, Paul Martin et John Turner, et appuyée par 18 autres éminents Canadiens, dont d'anciens juges de la Cour suprême du Canada, ministres de la Justice et de la Sécurité publique et solliciteurs généraux du Canada, des membres du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité et des commissaires responsables de la surveillance de la GRC et du maintien des lois relatives à la protection des renseignements personnels.

Cette lettre d'opinion commence ainsi :

Nous quatre savons très certainement l'énormité de la responsabilité de protéger le Canada, tâche qu'un premier ministre a toujours en tête.

Évidemment, chers collègues, le premier ministre Chrétien était dans cette position le 11 septembre 2001, lorsque les avions ont percuté les tours du World Trade Center. Le premier ministre Martin était dans cette position le 7 juillet 2005, lorsqu'une bombe a explosé dans le métro de Londres. L'un des autres signataires de la lettre était John Major, ancien juge de la Cour suprême qui a dirigé la commission d'enquête sur l'attentat d'Air India.

L'élément central de leur lettre était leur point de vue partagé selon lequel :

[...] l'absence d'un mécanisme efficace et complet d'examen des agences de sécurité nationale du Canada fait en sorte qu'il est difficile d'évaluer de manière significative l'efficacité et la légalité des activités de ces agences. Ceci soulève d'importants problèmes de protection du public et des droits de la personne.

D'importants problèmes des droits de la personne, oui, mais aussi de protection du public, chers collègues. Autrement dit, procéder comme le propose le projet de loi minerait la sécurité publique plutôt que la garantir.

Bien entendu, ce ne sont pas seulement d'éminents Canadiens qui s'opposent au projet de loi. Une pétition en ligne de l'organisation À l'Action a recueilli plus de 100 000 signatures. J'invite les honorables sénateurs à la lire. Elle est sérieuse et réfléchie, porte sur des questions précises et propose plusieurs amendements bien pensés.

Il y a également un site web qui s'appelle stopc51.ca, où se trouve également une pétition. Nous avons tous reçu beaucoup de lettres et de courriels. Je crois qu'on en a fait parvenir des dizaines de milliers aux parlementaires.

Chers collègues, peu de temps après la parution de la lettre des quatre premiers ministres, j'ai demandé au leader du gouvernement au Sénat s'il pouvait fournir une liste s'éminents Canadiens semblables qui appuient le projet de loi. Sa réponse : Stephen Harper.

Chers collègues, cela en dit très long. Voilà où nous en sommes en tant que nation, après presque 10 ans d'un gouvernement qu'il a lui-même appelé le gouvernement Harper. Les voix de Canadiens de tous les horizons, des premiers ministres, des juges de la Cour suprême, des professeurs et des chefs d'entreprises, ainsi que les voix de gens de la rue, sont rejetées, ignorées et écartées du revers de la main. La seule voix qui compte est celle d'un seul homme : Stephen Harper.

On n'essaie pas d'obtenir l'approbation sociale à cet égard ou au sujet de toute autre question nationale. Chers collègues, ce n'est pas du leadership.

La lutte contre la radicalisation et le terrorisme ne sera pas gagnée par nos seuls policiers et organismes de sécurité. Ce n'est qu'en collaborant tous — les familles, les enseignants et les dirigeants communautaires et religieux — au nom d'une cause commune que nous pourrons la gagner. Ce défi est l'occasion où jamais pour notre gouvernement de nous unir, pas de nous diviser.

Les préoccupations exprimées par nos concitoyens au sujet de cette mesure législative sont réelles et elles sont graves. Notre porte-parole sur ce projet de loi, le sénateur Mitchell, en a très bien décrit certaines, et je sais que d'autres se joindront au débat. Je ne prendrai que quelques minutes pour parler de quelques points particulièrement préoccupants pour un grand nombre de gens.

J'ai mentionné la lettre d'opinion signée par Daniel Therrien, le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, publiée dans le Globe and Mail. Il a répété ses inquiétudes lorsqu'il a comparu devant le Comité de la sécurité nationale et de la défense. Écoutons-le :

À titre de commissaire à la protection de la vie privée du Canada, je crois que la partie 1 du projet de loi C-51, qui concerne la communication de renseignements entre tous les ministères et 17 organismes particuliers aux fins de la sécurité nationale, est une mesure excessive. Même si je conviens que la communication de renseignements que prévoit le projet de loi pourrait, dans certains cas, permettre de déceler de nouvelles menaces, je crois que le prix en matière de vie privée qu'on propose de nous faire payer pour arriver à cette fin est beaucoup trop élevé.

Je vous rappelle, chers collègues, que M. Therrien n'est pas un homme naïf en matière de menace terroriste ou de la nécessité que nos responsables de la sécurité et du renseignement réagissent à cette menace. Avant d'être nommé commissaire à la protection de la vie privée, il a été longtemps conseiller de ministères fédéraux en matière de politiques et d'application de la loi, de sécurité et de renseignement. Vous vous rappelez sans doute que, lorsque le premier ministre Harper l'a nommé au poste de commissaire à la protection de la vie privée, nous étions nombreux à craindre qu'il prenne trop le parti du milieu de la sécurité et du renseignement et pas assez celui des droits à la vie privée des Canadiens.

Alors, lorsque M. Therrien dit que le projet de loi C-51 est une mesure excessive, nous devons prêter attention. Il a confirmé au comité qu'en vertu de ce projet de loi, l'Agence du revenu du Canada pourrait communiquer les renseignements fiscaux des Canadiens à 17 organismes de sécurité nationaux et aux ministères et ce, sans mandat, ni surveillance ou examen.

Il a expliqué que ce ne serait pas limité à l'information fiscale sur les personnes considérées comme une menace pour la sécurité nationale. Je le cite à ce sujet :

[...] d'immenses quantités d'information pourraient être partagées entre ces 17 institutions afin de cerner de nouvelles menaces. Donc on parle ici d'information sur des personnes qui ne constituent pas nécessairement des menaces afin de pouvoir identifier de nouvelles menaces.

Certains pourraient qualifier ce genre d'activité d'expédition de pêche, chers collègues.

Je tiens à être clair : je ne suis pas en train de dire que les représentants de l'État ont de mauvaises intentions. Je suis sûr qu'ils ont les meilleures intentions du monde, notamment celle d'assurer la sécurité des Canadiens, mais les meilleures des intentions peuvent emmener une personne à aller trop loin.

Je ne veux pas entrer dans les détails du texte du projet de loi, mais permettez-moi de vous donner un exemple : une « activité portant atteinte à la sécurité du Canada » peut être une « activité secrète influencée par l'étranger ». À la lecture de cette disposition, la plupart d'entre nous en déduiraient qu'il s'agit des activités des espions étrangers qui seraient à l'œuvre au Canada et nous serions d'accord pour dire que ces activités doivent être visées par la loi. Cependant, chers collègues, nous avons vu le gouvernement actuel lancer des allégations « d'activité secrète influencée par l'étranger » alors qu'il n'était pas du tout question d'espionnage.

Rappelons-nous les vérifications très controversées d'organismes de bienfaisance qui ont été effectuées par l'Agence du revenu du Canada et qui ont été déclenchées par une interpellation de la sénatrice Eaton lors de laquelle elle a allégué ce qui suit :

Il s'agit d'une manipulation politique. D'un trafic d'influence. Des millions de dollars camouflés en dons de charité sont envoyés frauduleusement d'un pays à un autre, vers des comptes bancaires ou des organismes de charité fantômes qui, dans certains cas, ne servent qu'à l'évasion fiscale.

Ces allégations, que j'hésite à rappeler, n'ont jamais été étayées et ressemblent dangereusement à la description d'une « activité secrète influencée par l'étranger ». Les instruments prévus dans le projet de loi C-51 seront-ils employés pour lutter contre de telles activités supposément menaçantes? Notre comité a certainement entendu des Autochtones et des organismes écologistes manifester de fortes objections et indiquer qu'ils craignent sincèrement que ces instruments soient déployés contre eux s'ils exercent leur droit démocratique légitime à la désobéissance civile.

John Bennett, directeur général du Sierra Club du Canada, a témoigné devant notre comité. Il nous a dit que le Sierra Club avait un historique de 100 ans de non-violence et de recherche de solutions démocratiques aux problèmes environnementaux. Mais, selon lui, en vertu du projet de loi C-51, le Sierra Club pourrait facilement faire l'objet d'enquêtes secrètes et d'opérations destinées à nuire à ses activités légales. Il a affirmé au comité que les médias avaient obtenu une copie d'un rapport d'évaluation de la menace criminelle de la GRC qui mentionne le Sierra Club. Il a dit ceci :

La GRC a préparé ce rapport dans le secret. Aucune tentative n'a été faite d'entrer en communication avec le Sierra Club ou pour démontrer le moindre lien entre nos activités et quelques activités illégales ou actes violents. [...]

Nous avons demandé à la GRC de nous fournir des assurances que le Sierra Club ne sera pas emporté dans une enquête autorisée par le projet de loi C-51 en conséquence de ce rapport, et nous nous sommes heurtés à un mur de silence. J'en déduis donc que c'est une possibilité.

(1850)

Honorables sénateurs, que devient le Canada lorsque des groupes légitimes exerçant un droit démocratique fondamental risquent d'avoir des démêlés avec l'État, sans même qu'ils le sachent, puisque tout est fait en secret et à leur insu, ni qu'ils puissent invoquer un droit de recours ou d'appel? Nous avons d'ailleurs appris, il y a quelques semaines, que le Sierra Club fait partie des organismes faisant l'objet d'une vérification de l'Agence du revenu du Canada pour avoir peut-être mené des « activités politiques excessives ». Selon les médias, les vérificateurs devaient se présenter au siège social de l'organisme, à Ottawa, le 11 mai.

Je pose encore une fois la question : que deviendra le Canada lorsque toutes ces dispositions seront mises en œuvre? Une démocratie florissante, où les idées sur les différents sujets d'actualité circulent librement, ou un pays frileux, où la dissension est considérée comme suspecte et où les honnêtes partisans de la pensée critique deviennent, par le fait même une cible?

Comme les sénateurs le savent, mes collègues et moi avons parfois organisé des assemblées publiques où les experts et la population étaient invités à s'exprimer sur diverses questions d'intérêt public. Nous en avons organisé une excellente, dernièrement, sur la sécurité et les droits de la personne. Comme on peut s'y attendre, la discussion a rapidement porté sur le projet de loi C-51. L'un des conférenciers invités, M. Ziyaad Mia, professeur auxiliaire à l'école de droit Osgoode Hall, a parlé éloquemment des répercussions du projet de loi. Il a dit que cette mesure législative crée au Canada une nouvelle culture marquée par la surveillance accrue, le secret et l'affaiblissement des droits et libertés.

Est-ce vraiment ce que nous voulons créer, chers collègues? Est-ce l'héritage que nous voulons laisser aux générations futures?

Cela m'amène aux dispositions probablement les plus controversées du projet de loi, à savoir les nouveaux pouvoirs qui seraient dévolus au SCRS. Le nouveau paragraphe proposé 12.1(3) est incontestablement la disposition la plus controversée. Voici le libellé :

(3) La prise par le Service de mesures pour réduire une menace envers la sécurité du Canada est subordonnée à l'obtention d'un mandat au titre de l'article 21.1 s'il s'agit de mesures qui porteront atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la Charte canadienne des droits et libertés ou qui seront contraires à d'autres règles du droit canadien.

Les sénateurs Carignan et Runciman ont vaillamment essayé de faire valoir que ce paragraphe ne permet pas au SCRS de porter atteinte aux droits et libertés garantis par la Charte. Ils disent qu'il ne l'autorise pas à porter atteinte à la Charte et qu'il mandate plutôt un tribunal de s'assurer, grâce au mandat, que les actions du SCRS respectent la Charte.

Chers collègues, leur argument ne tient simplement pas la route. En tant que législateurs, nous devons comprendre les règles fondamentales de la rédaction législative. Celle-ci n'est pas difficile.

Le paragraphe dit bien que le SCRS ne prendra pas de mesures qui porteront atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, sauf s'il obtient un mandat qui lui permet de le faire. C'est un problème.

Chers collègues, on parle de « mesures qui porteront atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la Charte canadienne des droits et libertés ». Autrement dit, ce paragraphe permet à un tribunal d'émettre un mandat au SCRS permettant à ce dernier de prendre des mesures qui porteront atteinte à un droit ou une liberté garantis par la Charte. Permettez-moi de répéter : l'article permet à un tribunal d'émettre un mandat au SCRS lui permettant de prendre des mesures qui « porteront atteinte » — et non pas qui « porteraient atteinte » — à un droit ou une liberté garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.

Le choix des mots « qui porteront atteinte » plutôt que « qui porteraient atteinte » a fait l'objet d'une controverse. Selon des juristes, cela signifie que le SCRS est tenu de demander un mandat à un juge uniquement s'il sait sans l'ombre d'un doute que les mesures proposées porteront atteinte à la Charte. S'il est possible ou probable qu'il y ait violation de la Charte, il n'est pas nécessaire d'obtenir un mandat, et ce, même si on se rend compte que les mesures portent bel et bien atteinte à la Charte. En vertu du projet de loi C-51, cela serait permis, et aucune autorisation judiciaire ne serait nécessaire.

Évidemment, l'audience devant le juge est secrète, et personne n'est autorisé à contester la demande. Aucun avocat spécial n'est présent pour défendre l'intérêt public que constitue le respect de la Charte. Personne n'est présent pour contester les affirmations du SCRS voulant que le mandat soit nécessaire.

C'est absurde. Le fait d'inclure cette disposition dans le projet de loi et de demander aux juges de la Cour fédérale de masquer l'illégalité et l'inconstitutionnalité flagrante de notre service secret entre totalement en contradiction avec les valeurs et les principes canadiens.

À l'étape de la deuxième lecture, la sénatrice Tardif a bien résumé la situation lorsqu'elle a dit ceci :

[...] aucun autre pays démocratique ne permettrait à un juge d'accorder à un organisme de sécurité, dans le cadre d'une audience secrète, un mandat lui donnant l'autorisation de violer la Constitution.

Chers collègues, les seules limites inscrites dans le projet de loi prévoient que les mesures en question ne peuvent pas causer des lésions corporelles à un individu ou la mort de celui-ci, porter atteinte à l'« intégrité sexuelle » d'un individu ou « tenter volontairement [...] d'entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice ». Très franchement, chers collègues, qu'est-ce que tout cela veut dire lorsqu'on demande à quelqu'un de porter atteinte à la Charte?

Des juristes ont déclaré que cette disposition pourrait autoriser le SCRS à procéder à des extraditions, c'est-à-dire à envoyer des Canadiens se faire torturer à l'étranger.

En 2001, lorsqu'il a adopté le projet de loi C-36, le Parlement a imposé certaines limites aux fameux pouvoirs d'arrestation préventive de la GRC, limites qui sont assouplies aux termes du projet de loi C-51 et qui sont encore en vigueur malgré les débats qu'elles ont suscités. Ces limites continueront de s'appliquer seulement à la GRC, mais en vertu de l'article en question, il semble que le SCRS ait un pouvoir de détention préventive illimité. En ce qui concerne le SCRS, cependant, il ne s'agit pas d'« arrestation préventive », mais bien d'activité perturbatrice.

Chers collègues, pourquoi prendre la peine de limiter les pouvoirs de la GRC en matière d'arrestations préventives si on entend donner au SCRS un chèque en blanc lui permettant d'exercer les mêmes activités sous un autre nom?

J'aimerais vous rappeler ce qu'a dit la Cour suprême en janvier 2002 :

[...] ce serait une victoire à la Pyrrhus que de vaincre le terrorisme au prix de notre adhésion [aux] valeurs [de la Charte].

Le gouvernement Harper est allé encore plus loin. Cette disposition revient à éliminer toutes les protections que nous confère la Charte.

Nous savons tous que la Charte est assortie d'une disposition de dérogation, mais la disposition du projet de loi C-51 va même au-delà de son application. En premier lieu, bien évidemment, il est prévu que la disposition de dérogation peut seulement être invoquée explicitement — autrement dit, il faut que le gouvernement soit disposé à avouer ouvertement aux Canadiens ce qu'il est en train de faire. Ce n'est pas le cas en l'occurrence. C'est comme si le gouvernement agissait dans les ténèbres les plus profondes dans l'espoir que personne ne le remarque.

Tout de même, la disposition autoriserait une violation de la Charte qui dépasse de loin ce qui serait autorisé en vertu de la disposition de dérogation. Celle-ci était limitée de manière à permettre au gouvernement de se soustraire, si vous me permettez l'expression, à seulement certains droits et certaines libertés. Aucune limite de ce genre n'existe dans le projet de loi C-51.

Ce ne sont là que quelques-uns des nombreux problèmes que soulève ce projet de loi. Je n'ai pas abordé les problèmes liés, par exemple, aux modifications proposées au Code criminel, qui ont attiré l'attention de la communauté internationale — et pas d'une manière positive. En effet, la représentante de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe pour la liberté des médias a commandé une analyse de certaines de ces dispositions. Le rapport de l'analyse soulève un certain nombre de préoccupations concernant celles qui limitent la liberté d'expression. L'auteur du rapport arrive à la conclusion « inévitable » que les dispositions en question « ne résisteraient fort probablement pas à une contestation constitutionnelle. »

Chers collègues, si le projet de loi C-51 est adopté sans amendement, le Canada deviendra un pays très différent de celui que nous connaissons. Ce sera un État dont le gouvernement et le Parlement auront renoncé à défendre les valeurs que sont la liberté, la primauté du droit et la justice fondamentale, un pays où ne sont plus sacrosaints les droits et les libertés fondamentales inscrits par les Canadiens dans la Charte — la Charte du peuple — parce qu'on les aura abandonnés au nom de la sécurité.

(1900)

Je veux être clair : je sais que le SCRS et toute notre communauté de la sécurité nationale sont bien intentionnés. Nous avons une fonction publique de tout premier ordre, et cela comprend les organismes de sécurité et de renseignement.

Toutefois, chers collègues, des erreurs se produisent, comme nous avons pu le constater dans le cas de Maher Arar. Paul Cavalluzzo est un avocat très respecté qui a conseillé la commission d'enquête chargée de l'affaire Arar sous la direction du juge Dennis O'Connor. Le gouvernement Harper l'a également nommé comme avocat spécial. Lors de sa comparution devant notre comité de la sécurité nationale et de la défense, il a dit : « Je peux témoigner du fait que les organismes de sécurité nationale, que ce soit la police ou les services de renseignement, commettent des erreurs de bonne foi. » Le risque est aggravé à cause du fait que « ces services opèrent sur la base du renseignement — non pas des preuves, mais le renseignement ». M. Cavalluzzo a ajouté : « Certains, par facétie peut-être, aiment dire que les renseignements ne sont rien de plus que des rumeurs glorifiées. »

Toutefois, chers collègues, nous avons vu des cas où le renseignement s'est trompé du tout au tout, avec les terribles conséquences qui en découlent. Voilà le risque que l'on prend en s'appuyant sur le renseignement plutôt que sur des preuves.

Le risque d'erreurs humaines, de problèmes dus au recours au renseignement par opposition aux preuves, et d'erreurs attribuables au secret dans lequel ces organismes fonctionnent par définition, sans compter les pouvoirs sans précédent que nous conférons à leurs agents, tout cela exige que nous prévoyions une surveillance efficace. Chers collègues, pour le moment, aucun de ces organismes n'est soumis à une surveillance.

Le CSARS, ou Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, est un organisme d'examen des activités du SCRS. Pour la gouverne des sénateurs qui ne connaissent pas le sens précis d'« examen », je dirais que le terme s'applique à des activités faites après coup, habituellement par suite d'une plainte. Par contre, la « surveillance » est une activité permanente qui se produit au cours des opérations de l'organisme.

Il fut un temps où le Bureau de l'inspecteur général exerçait une certaine surveillance sur les activités du SCRS, mais le gouvernement Harper a supprimé ce bureau en 2012 dans l'un de ses projets de loi omnibus d'exécution du budget, le C-38. Il y a aussi la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC, dont le rôle se limite à l'examen des activités de la GRC. Je dois aussi mentionner le Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications, dont le rôle se limite aussi à l'examen.

À l'heure actuelle, aucun organisme de surveillance ne s'occupe des activités de nos organismes de sécurité et de renseignement. En fait, il n'y a même pas d'organisme indépendant d'examen dans le cas de 14 des 17 organismes auxquels le projet de loi C-51 confère des pouvoirs.

Les services d'examen qui existent actuellement ont, je le répète, un rôle limité. Notons, en particulier, qu'ils ne sont pas autorisés à coopérer ou à échanger des renseignements entre eux. Le problème sera aggravé par le projet de loi C-51, qui autorise explicitement 17 organismes à coopérer et à échanger de l'information entre eux. Cette disposition a pour but de régler le problème très réel du cloisonnement administratif, qui figurait parmi les lacunes des services de renseignement qui ont permis aux auteurs de l'attentat contre l'avion d'Air India de si bien réussir leur coup.

Comme les témoins l'ont dit à plusieurs reprises au Comité de la sécurité nationale et de la défense, les organismes d'examen doivent être investis de pouvoirs explicites pour coopérer entre eux et échanger de l'information et pour que leur rôle d'examen, aussi limité qu'il soit, ait des chances de réussir. Compte tenu des serments de secret qui sont prêtés, des pouvoirs explicites sont indispensables. Le projet de loi C-51 ne contient aucune disposition à cet égard.

Par-dessus tout, chers collègues, il y a le fait que nous accordons à nos organismes de renseignement des pouvoirs sans précédent leur permettant de se livrer à des activités de perturbation, de porter atteinte à la vie privée des Canadiens et même de violer les droits et libertés fondamentaux que la Charte garantit aux citoyens, tout cela se produisant à l'insu des intéressés.

Chers collègues, nous ne pouvons pas, de façon responsable, accorder ces pouvoirs sans établir un régime de surveillance complet, solide et intégré. Cela est indispensable à la reddition de comptes en démocratie, principe auquel le gouvernement Harper prétend être très attaché, et cela est essentiel si nous voulons que les Canadiens aient la moindre confiance dans le bon exercice de ces pouvoirs.

Je crois, avec nos anciens collègues, les sénateurs Hugh Segal et Roméo Dallaire, et de nombreux collègues actuels, que nous sommes parvenus à un point tel que rien de moins qu'une surveillance parlementaire ne saurait suffire. Le G7, l'OTAN, le Groupe des cinq — c'est-à-dire le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie et la Nouvelle-Zélande —, tous ces pays ont une capacité de surveillance parlementaire, ou d'une surveillance du Congrès. Tous, sauf le Canada, qui est l'exception. Pourquoi les parlementaires de ces pays ont-ils la confiance de leur gouvernement pour s'occuper des intérêts de la sécurité nationale, et pourquoi les parlementaires canadiens ne l'ont-ils pas?

Le gouvernement Harper a rejeté les demandes de surveillance parlementaire, de toute surveillance, de nos entités chargées de la sécurité, disant que cela faisait double emploi et entraînait des tracasseries administratives inutiles. Comment peut-on faire double emploi avec des pouvoirs qui n'existent pas? Le projet de loi C-377 est un exemple de double emploi et de tracasseries administratives inutiles. La surveillance parlementaire des organismes chargés de la sécurité et du renseignement est essentielle à la protection des Canadiens et de leurs droits et libertés. Ce ne sont pas des tracasseries administratives. C'est une ligne rouge que nous devrions tous défendre.

Chers collègues, le projet de loi C-51 ne prévoit aucune surveillance. Aucune surveillance par une entité indépendante. Même les mécanismes d'examen en place laissent à désirer, et rien, dans le projet de loi, ne comblera de très graves lacunes sur le plan de l'autorité.

Chers collègues, le gouvernement a proposé un projet de loi qui est alarmant parce qu'il risque de violer les droits fondamentaux et les libertés des Canadiens. Le commissaire à la protection de la vie privée, qui a une longue expérience dans le domaine de la sécurité et du renseignement, nous a dit que le projet de loi va trop loin. Il ne propose pas le juste équilibre que les Canadiens attendent et méritent, c'est-à-dire une loi qui protège à la fois leur sécurité et leur vie privée. De plus, compte tenu des pouvoirs proposés dans les modifications de la Loi sur le SCRS, il ne protégera pas et ne prétendra même pas protéger à la fois la sécurité des Canadiens et leurs droits et libertés garantis par la Charte.

Chers collègues, si nous adoptons le projet de loi sans amendement, nous ferons sciemment exactement ce que nos collègues ont refusé de faire après les attentats du 11 septembre, soit laisser la crainte du terrorisme nous amener à abandonner nos principes fondamentaux et des garanties démocratiques essentielles. La Cour suprême du Canada a affirmé fort justement que notre responsabilité envers les Canadiens — rien de moins — est de rédiger des lois qui combattent effectivement le terrorisme et respectent notre Constitution. Si nous adoptons le projet de loi C-51, nous aurons manqué à cette responsabilité.

Des voix : Bravo.

L'honorable Ghislain Maltais (Son Honneur le Président suppléant) : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président suppléant : Nous nous prononcerons sur les amendements dans l'ordre où ils ont été proposés. Le premier sera donc celui du sénateur Mitchell.

[Français]

L'honorable sénateur Mitchell propose, avec l'appui de l'honorable sénatrice Lovelace Nicholas, que le projet de loi ne soit pas maintenant lu pour la troisième fois, mais qu'il soit modifié...

Des voix : Suffit!

Son Honneur le Président suppléant : Vous plaît-il, honorables sénateurs...

Des voix : Non, non.

[Traduction]

Son Honneur le Président suppléant : Puis-je me dispenser d'en faire la lecture?

Nous votons sur le premier amendement. Oui. Êtes-vous prêts à vous prononcer sur le premier amendement?

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président suppléant : D'accord? C'est clair? Aucun problème? Très bien.

[Français]

Adopté.

Pour le second amendement, l'honorable sénatrice Jaffer propose, avec l'appui de l'honorable sénatrice Fraser, que le projet de loi ne soit pas maintenant lu pour la troisième fois, mais qu'il soit modifié, à l'article 16 :

a) à la page 25, par substitution, aux lignes 32 à 35, de ce qui suit :

« cinq ans, quiconque, délibérément, par la communication...

Des voix : Suffit!

[Traduction]

Son Honneur le Président suppléant : Suffit. D'accord.

Il faut une proposition pour le premier amendement.

La sénatrice Fraser : Il a dit qu'il était adopté.

Son Honneur le Président suppléant : L'amendement n'est-il pas adopté? Oui? D'accord. Adopté.

Le sénateur Mitchell : Oui!

Des voix : Non, non!

Son Honneur le Président suppléant : L'amendement est adopté.

Le sénateur Day : Trop tard. Il est adopté.

Son Honneur le Président suppléant : Le deuxième amendement...

Le sénateur Munson : Le premier est réglé.

La sénatrice Cordy : Le premier est réglé, oui.

Le sénateur Munson : Le deuxième.

[Français]

Son Honneur le Président suppléant : Que tous ceux et celles qui sont en faveur de cette motion d'amendement veuillent bien dire oui.

[Traduction]

La sénatrice Stewart Olsen : Où en êtes-vous? Je ne sais plus.

[Français]

Son Honneur le Président suppléant : Que ceux et celles qui sont contre cette motion d'amendement veuillent bien dire non.

[Traduction]

Des voix : Non!

Le sénateur Mitchell : Oui.

Le sénateur Mockler : Non.

Son Honneur le Président suppléant : La motion est adoptée avec dissidence.

La sénatrice Cordy : Non, pas avec dissidence.

(1910)

[Français]

Son Honneur le Président suppléant : À mon avis, les non l'emportent. À l'ordre! S'il vous plaît, un sénateur à la fois.

Un vote est demandé. Y a-t-il entente entre les deux whips? Je vois trois sénateurs debout.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Votre Honneur, je voudrais simplement obtenir une précision. Nous votons sur le deuxième amendement?

La sénatrice Cordy : Oui.

Le sénateur Mockler : Non, nous votons sur le premier amendement.

Le sénateur Munson : Nous proposons une sonnerie d'appel de 15 minutes.

Son Honneur le Président suppléant : Quinze minutes?

Le sénateur Munson : Oui, 15 minutes pour le deuxième amendement, puisque le premier a déjà été adopté.

Son Honneur le Président suppléant : Pour le premier ou le deuxième amendement?

Le sénateur Munson : Pour le deuxième. Le premier a déjà été adopté.

La sénatrice Cordy : Oui, il a été adopté.

Des voix : Non.

Une voix : Ce n'est pas vrai.

Son Honneur le Président suppléant : Un à la fois. À l'ordre!

[Français]

Je crois que le premier amendement a été rejeté. Nous passons maintenant au vote sur le deuxième.

[Traduction]

Le premier amendement a été rejeté.

La sénatrice Cordy : Non, il n'a pas été rejeté.

Son Honneur le Président suppléant : Le premier amendement a été rejeté.

La sénatrice Cordy : Le premier a été adopté.

Le sénateur Tkachuk : Nous votons sur le deuxième amendement.

La sénatrice Jaffer : Le premier a été adopté.

Le sénateur Mitchell : Cela fait des années que je n'ai pas été aussi heureux.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, nous pourrions commencer avec le premier amendement...

La sénatrice Jaffer : Non.

La sénatrice Cordy : Le premier amendement a été adopté.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j'aimerais que l'on commence avec le premier amendement. Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer? Nous allons traiter les amendements...

La sénatrice Cordy : Non.

La sénatrice Fraser : Votre Honneur...

La sénatrice Cordy : Non, je regrette.

La sénatrice Fraser : L'amendement a été adopté.

Le sénateur Mockler : Nous ne votons pas sur le deuxième amendement. Vous savez que nous votons sur le premier.

La sénatrice Fraser : Il a dit qu'il avait été adopté.

Son Honneur le Président : C'est peut-être clair pour certains d'entre vous, mais les greffiers me disent que la situation n'est pas claire et qu'il faut revenir au premier amendement.

La sénatrice Jaffer : Non, non.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, si les greffiers disent que la situation n'est pas claire, le compte rendu n'est pas clair. Le compte rendu ne peut pas être clair si les greffiers disent que la situation n'est pas claire.

La sénatrice Jaffer : Écoutons l'enregistrement.

La sénatrice Stewart Olsen : À l'ordre, s'il vous plaît.

Son Honneur le Président : À l'ordre, s'il vous plaît. Je pense que la volonté du Sénat sera servie si nous pouvons clarifier cette question.

Le sénateur Mockler : C'est exact.

Son Honneur le Président : Je ne pense pas que la situation sera plus embrouillée si nous nous assurons d'avoir la bonne réponse.

La sénatrice Cordy : Sortez l'enregistrement.

Son Honneur le Président : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Le sénateur Munson : Pour le deuxième amendement.

Son Honneur le Président : Nous allons nous occuper des amendements dans l'ordre où ils ont été proposés.

Le sénateur Munson : Votre Honneur, nous avons entendu ce que votre prédécesseur a dit. Il a dit « adopté » en parlant du premier amendement, puis il a ajouté : « Can we move to the second amendment? » C'est ce que nous avons entendu et je pense que l'enregistrement va le confirmer. Par conséquent, que nous devons maintenant voter sur le deuxième amendement.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, les greffiers ne sont pas sûrs que l'amendement a été adopté par la présidence. Par conséquent, la présidence n'a pu clarifier la situation. Je veux que la situation soit claire pour le Sénat. J'aimerais que cette question soit réglée de façon claire.

Le sénateur Mockler : Tout à fait.

Son Honneur le Président : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Nous allons nous occuper des amendements dans l'ordre où ils ont été proposés. Par conséquent, le premier amendement est celui du sénateur Mitchell.

L'honorable sénateur Mitchell, avec l'appui de l'honorable sénatrice Lovelace Nicholas, propose que le projet de loi ne soit pas maintenant lu pour la troisième fois, mais qu'il soit modifié : a) à l'article 2, à la page 5. . .

Des voix: Suffit!

Son Honneur le Président: Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : Non.

Des voix : Oui.

La sénatrice Fraser : Oui, oui.

Son Honneur le Président : Adoptée, avec dissidence. Honorables sénateurs, je pense que le résultat est très clair.

La sénatrice Fraser : Il vient de dire « adoptée ».

Le sénateur Mockler : Rejetée.

Son Honneur le Président : Rejetée, avec dissidence.

La sénatrice Fraser : Il a dit « adoptée ».

La sénatrice Cordy : Monsieur le Président.

Le sénateur Carignan : Il a dit que la motion était rejetée.

Son Honneur le Président : La motion a été rejetée avec dissidence.

La sénatrice Cordy : Non, pas avec dissidence.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur le Président : Je vois trois sénateurs qui se lèvent.

Le sénateur Mockler : C'est exact.

Son Honneur le Président : Y a-t-il une entente au sujet de la sonnerie?

La sénatrice Jaffer : Non, non. Une heure.

Le sénateur Munson : Nous voulons que la sonnerie retentisse pendant une heure.

Son Honneur le Président : Une sonnerie d'une heure.

La sénatrice Jaffer : Une heure, merci.

Son Honneur le Président : Les sénateurs seront convoqués à 20 h 15.

(2010)

La motion d'amendement, mise aux voix, est rejetée.

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Chaput Fraser
Cools Furey
Cordy Jaffer
Cowan Lovelace Nicholas
Day Mitchell
Downe Munson—12

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Ataullahjan McIntyre
Batters Meredith
Bellemare Mockler
Beyak Nancy Ruth
Black Oh
Carignan Patterson
Dagenais Plett
Doyle Raine
Eaton Rivard
Enverga Seidman
Fortin-Duplessis Smith (Saurel)
Frum Stewart Olsen
Gerstein Tannas
Greene Tkachuk
Lang Unger
LeBreton Wallace
Maltais Wells
Manning White—37
Marshall

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Aucun.

Son Honneur le Président : Nous passons maintenant à l'amendement de la sénatrice Jaffer.

(2020)

L'honorable sénateur Jaffer, avec l'appui de l'honorable sénatrice Fraser, propose que le projet de loi ne soit pas maintenant lu pour la troisième fois, mais qu'il soit modifié...

Des voix : Suffit!

Son Honneur le Président : Puis-je me dispenser de lire la motion?

Des voix : D'accord.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les non l'emportent.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur le Président : Je vois un certain nombre de sénateurs, plus de deux, se lever.

Le sénateur Mitchell : Il reste encore une lueur d'espoir.

Son Honneur le Président : Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Des voix : Maintenant.

Son Honneur le Président : Maintenant?

La sénatrice Fraser : Il n'y aura pas de sonnerie.

Le sénateur Munson : Il n'y aura pas de sonnerie. Excusez-moi, mais je suis le whip.

Le sénateur Tkachuk : Imposez-vous, sénateur Munson.

Le sénateur Munson : Le sénateur Mockler et moi avons convenu que nous passerons au vote maintenant. Merci.

Le sénateur Mockler : Je suis d'accord. Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien se lever.

La motion d'amendement, mise aux voix, est rejetée.

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Chaput Fraser
Cools Furey
Cordy Jaffer
Cowan Lovelace Nicholas
Day Mitchell
Downe Munson—12

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Ataullahjan McIntyre
Batters Meredith
Bellemare Mockler
Beyak Nancy Ruth
Black Oh
Carignan Patterson
Dagenais Plett
Doyle Raine
Eaton Rivard
Enverga Seidman
Fortin-Duplessis Smith (Saurel)
Frum Stewart Olsen
Gerstein Tannas
Greene Tkachuk
Lang Unger
LeBreton Wallace
Maltais Wells
Manning White—37
Marshall

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Aucun.

Son Honneur le Président : Nous sommes maintenant saisis de l'amendement de la sénatrice Fraser.

L'honorable sénatrice Fraser, avec l'appui de l'honorable sénateur Munson, propose que le projet de loi ne soit pas lu pour la troisième fois maintenant, mais qu'il soit modifié à l'article 2, à la page 4, par adjonction...

Le sénateur Mockler : Suffit!

Son Honneur le Président : Puis-je me dispenser de lire la motion?

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les non l'emportent.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur le Président : Je vois deux sénateurs se lever. Sénateur Munson, y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Le sénateur Munson : Non. Nous allons voter. Il y a eu assez de sonnerie. Nous allons voter maintenant, Votre Honneur.

Le sénateur Mockler : Votre Honneur, c'est d'accord.

Des voix : Que tous ceux qui sont en faveur de la motion veuillent bien se lever.

La motion d'amendement, mise aux voix, est rejetée.

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Chaput Fraser
Cools Furey
Cordy Jaffer
Cowan Lovelace Nicholas
Day Mitchell
Downe Munson—12

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Ataullahjan McIntyre
Batters Meredith
Bellemare Mockler
Beyak Nancy Ruth
Black Oh
Carignan Patterson
Dagenais Plett
Doyle Raine
Eaton Rivard
Enverga Seidman
Fortin-Duplessis Smith (Saurel)
Frum Stewart Olsen
Gerstein Tannas
Greene Tkachuk
Lang Unger
LeBreton Wallace
Maltais Wells
Manning White—37
Marshall

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Aucun.

(2030)

Son Honneur le Président : Nous reprenons maintenant le débat sur la motion tendant à la troisième lecture du projet de loi.

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : L'honorable sénateur Runciman, avec l'appui de l'honorable sénateur Boisvenu, propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

L'honorable Joan Fraser (leader adjointe de l'opposition) : Votre Honneur, vous mettez aux voix la motion principale après 17 h 30. Dois-je comprendre que, conformément au Règlement, le vote est donc automatiquement reporté au prochain jour de séance?

Son Honneur le Président : Seulement si un vote par appel nominal est demandé. Nous avons sauté aux conclusions un peu rapidement. Il est tard; je comprends.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : Conformément l'article 7-4(5)c) du Règlement, le vote par appel nominal est reporté au prochain jour de séance, à 17 h 30, et la sonnerie retentira à 17 h 15.

La sénatrice Fraser : Sénatrice Marshall, le vote aura-t-il lieu vendredi?

La sénatrice Marshall : Êtes-vous en train de parler de la motion visant à ce que le Sénat s'ajourne jusqu'à mardi?

La sénatrice Fraser : Votre Honneur, la journée a été longue. Pouvez-vous dire quand le vote aura lieu?

Son Honneur le Président : Ce sera à la prochaine séance du Sénat, à 17 h 30.

La sénatrice Fraser : Nous avons sauté une étape, mais c'est très bien.. C'est bien. Nous acceptons.

L'ajournement

Adoption de la motion

L'honorable Elizabeth (Beth) Marshall, conformément au préavis donné le 3 juin 2015, propose :

Que, lorsque le Sénat s'ajournera après l'adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu'au mardi 9 juin 2015, à 14 heures.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée.)

Les travaux du Sénat

L'honorable Elizabeth (Beth) Marshall : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat, je demande que tous les articles qui restent au Feuilleton demeurent inchangés et que nous passions au Feuilleton des préavis.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

La vérification des crédits parlementaires par le vérificateur général

Interpellation—Ajournement du débat

L'honorable Anne C. Cools, ayant donné préavis le 14 mai 2015 :

Qu'elle attirera l'attention du Sénat sur :

le vérificateur général du Canada et son rôle public de « vérificateur des comptes du Canada »; la mesure prise par le Parlement qu'on appelle la vérification des crédits, laquelle vérification était la raison même de la création d'un poste de vérificateur général indépendant en vertu d'une loi canadienne de 1878 selon l'usage britannique de 1866; la vérification des crédits parlementaires; la vérification des dépenses publiques du gouvernement dans la fonction publique et l'administration fédérale pour vérifier et attester que les deniers publics ont bel et bien été dépensés conformément aux lois de crédits adoptées par la Chambre des communes; le fait que la vérification des crédits a été instaurée dans le but de contribuer au contrôle, par la Chambre des communes, des finances nationales, des recettes publiques et des dépenses publiques; que la Chambre des communes a prééminence dans le contrôle des deniers publics; que la création de la vérification des crédits et son application ultérieure à tous les ministères, sans exception, furent l'une des plus grandes réalisations de la Chambre des communes et du Parlement; que tous les pouvoirs et responsabilités du vérificateur général s'inscrivent dans son mandat de vérificateur des comptes du Canada, et le Sénat n'en fait pas partie puisqu'il ne fait pas partie de la fonction publique ni de l'administration fédérale.

— Honorables sénateurs, j'interviens au sujet du rôle de la vérification et du rôle du vérificateur général du Canada. En Grande-Bretagne, les travaux de vérification visant les comptes publics et les dépenses publiques existent depuis très longtemps. Il y a des vérifications de la Chambre des communes remontant à 1689, et même à l'époque, il était question de commissaires à la vérification, de comités de vérification, et cetera.

Le Haut-Canada et le Bas-Canada furent créés aux termes de l'Acte constitutionnel de 1791. Le contrôle des fonds publics était un dossier très important à propos duquel les premières assemblées législatives coloniales datant d'avant la Confédération se disputaient avec acharnement. Ces conflits, qui portaient sur les finances nationales, les revenus publics et les dépenses publiques, opposaient les assemblées législatives représentatives et les conseils législatifs et leur gouverneur. Les deux parties s'acharnaient sans cesse sur les questions de taxation, de dépenses, de crédits et de contrôle des deniers publics. Les conflits paralysaient les assemblées législatives et politiques et rendaient l'adoption de projets de loi de crédits plutôt difficile, voire parfois impossible. Les Chambres hautes, ou conseils législatifs, rejetaient souvent les lois de crédits venant des Chambres basses, ou assemblées. Au Bas-Canada, ces différends étaient exacerbés par le fait que la Chambre haute et la Chambre basse avaient de la difficulté à exercer leurs fonctions constitutionnelles respectives. Lord Dalhousie, gouverneur du Bas-Canada, devait souvent recourir à la prorogation. Le 9 mars 1824, il s'est adressé aux deux Chambres; on peut lire, à la page 360 des House of Assembly Journals :

Messieurs du Conseil Législatif, Messieurs de l'Assemblée,

Je vais mettre fin à une Session du Parlement Provincial dont je crains beaucoup que le résultat ne soit trouvé être de peu d'utilité au Public; en même temps je dois vous remercier de votre attendance assidue et laborieuse. Mais avant de proroger ce Parlement, je considère qu'il est d'importance pour le pays que j'exprime ici, comme le Représentant de Sa Majesté, mes sentiments sur le résultat général de vos procédés durant les différentes Sessions dans lesquelles je vous ai rencontrés en Parlement. J'exprime ces sentiments avec le désir ardent d'attirer l'attention très sérieuse de chaque Membre de ce Parlement, et de chaque personne qui s'intéresse à la prospérité du Canada [...]

Une prétention a été faite de la part d'une des Branches de la Législature au droit illimité d'approprier le Revenu entier de la Province à sa volonté [...] cette prétention réclamée par l'une, a été formellement contestée par les deux autres Branches du Parlement [...] néanmoins on y a persisté, et on a eu recours au procédé extraordinaire de refuser les Aides [...]

Ce sujet a constamment occupé chaque Session du présent Parlement [...] il a causé des maux incalculables à la Province [...]

En 1827, lord Dalhousie a prorogé la même législature pour la même raison.

Honorables sénateurs, ces assemblées législatives ont mené une chaude lutte afin de jouir des mêmes droits, pouvoirs et libertés qu'en Grande-Bretagne, au premier chef la soumission du contrôle des deniers publics à l'assemblée plutôt qu'à son conseil exécutif ou au gouverneur. Les conflits des assemblées et leurs refus d'attribuer des crédits ont été légendaires. Lord Durham, haut-commissaire et gouverneur général de l'Amérique du Nord britannique, l'a d'ailleurs constaté. Dans son rapport de 1839 sur les affaires de l'Amérique du Nord britannique, il écrit que les assemblées coloniales réclament les mêmes pouvoirs constitutionnels que ceux de la Chambre des communes britannique, soit un gouvernement responsable protégé du fait que le contrôle des deniers publics, aussi bien sur le plan de la fiscalité que des recettes et des dépenses publiques, relève de la Chambre basse. Voici ce que lord Durham écrit à propos du Haut-Canada, à la page 107 :

C'est sur cette question de la responsabilité du Conseil Exécutif que la grande contestation s'est poursuivie longtemps entre le parti Officiel et les Réformistes; car le parti Officiel, comme tous les partis depuis longtemps en pouvoir, ne voulait pas naturellement se soumettre à aucune responsabilité qui abrégerait son règne ou qui entraverait l'exercice de son autorité [...]

Les vues de la grande masse des Réformistes paraissent avoir été limitées, suivant leur expression favorite, à rendre la constitution de la Colonie « une exacte copie » de celle de la Grande-Bretagne; et ils désiraient seulement que la couronne dans le Haut-Canada, comme en Angleterre, confiât l'administration des affaires à des hommes qui possédassent la confiance de l'Assemblée.

(2040)

Honorables sénateurs, les premiers Canadiens ont cherché à établir, avec succès, les principes et les pratiques constitutionnels de ce qu'on appelle la responsabilité ministérielle, selon laquelle les ministres de la reine, qui dépensent les fonds affectés par la Chambre basse, sont choisis parmi les membres de la Chambre basse, soit l'assemblée représentative élue par le peuple, et doivent rendre des comptes à cette assemblée, exactement comme à la Chambre des communes britannique. L'Acte d'union de 1840 a établi les principes de la responsabilité ministérielle et de l'indépendance judiciaire. Cependant, les vastes pouvoirs constitutionnels ont tous été accordés aux termes de la loi de la Confédération, c'est-à-dire l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867. C'est cette loi qui a établi la Chambre des communes du Canada, élue selon le modèle de représentation selon la population. Les articles 53 et 54 de cette loi ont conféré à la Chambre des communes sa primauté en matière de finances nationales et de contrôle des deniers publics. Le Sénat du Canada, la Chambre fédérale qui incarne la Confédération, s'est vu accorder des pouvoirs en matière de finances nationales plus vastes que ceux de la Chambre des lords, à Londres. Le Sénat du Canada a obtenu les pleins pouvoirs lorsqu'il s'agit de bloquer et de réduire — mais pas d'augmenter — les sommes prévues aux termes des projets de loi de crédits, détenant ainsi tous les pouvoirs sauf celui de présenter ce genre de projets de loi.

Honorables sénateurs, avant 1878, la fonction de vérificateur général du Canada était assumée par le sous-ministre des Finances; une seule personne assumait à la fois la fonction de sous-ministre des Finances et de vérificateur général. En 1878, sous le gouvernement du premier ministre libéral Alexander Mackenzie, notre assemblée législative a adopté un nouveau projet de loi sur la vérification, promulguant ainsi l'Acte pour pourvoir à la meilleure audition des comptes publics. C'est ce qu'il nous faut, n'est-ce pas? Nous avons besoin d'une nouvelle loi pour une meilleure vérification des comptes publics. Fondée sur l'Exchequer and Audit Departments Act, une loi britannique promulguée en 1866, notre loi a complètement séparé la fonction de vérification et la charge de vérificateur général des fonctions du ministère des Finances et du gouvernement. On a garanti cette nouvelle indépendance par rapport au gouvernement en permettant au gouverneur général d'accorder au vérificateur général un mandat à vie. Dans la loi, ce mandat à vie est désigné par l'expression « durant bonne conduite ». On se fondait ainsi sur une pratique britannique qui permettait d'accorder ce genre de mandat à certains hauts fonctionnaires dignes de confiance chargés des finances nationales. L'article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit ce genre de mandat pour les juges. C'est également le genre de mandat qui est accordé aux sénateurs. À la page 6 de l'édition de 1889 de son ouvrage intitulé On Parliamentary Government in England, volume II, Alpheus Todd dit que ce genre de mandat :

[...] serait élevé, en termes de salaire et de durée du mandat, au plus haut niveau de dignité et d'indépendance.

Comme les sénateurs et les juges de la Cour supérieure, le vérificateur général du Canada a été « élevé [...] au plus haut niveau de dignité et d'indépendance ». En vertu de la loi de 1878, le salaire du vérificateur général est imputé directement et perpétuellement au Trésor, comme celui des juges nommés en vertu de l'article 96. Ces débits perpétuels sont exclus des projets de loi de crédits annuels et du processus des crédits. Ils sont donc à l'abri d'éventuels votes de confiance. Comme on le sait, une défaite lors d'un vote sur un projet de loi de crédits engage la confiance de la Chambre et oblige le premier ministre et le ministre à démissionner. Il existe, bien entendu, une autre option : le gouverneur général peut décider de dissoudre la Chambre et laisser l'électorat se prononcer dans le cadre de nouvelles élections générales. La protection dont bénéficie le salaire des juges permet à ceux-ci d'éviter les conflits politiques rattachés aux votes de confiance, à la défaite d'un ministre et aux grands enjeux politiques.

Honorables sénateurs, le poste de vérificateur général a été créé en 1878 pour qu'il échappe au contrôle, à la faveur et à la défaveur du gouvernement. Mais de nos jours, les vérificateurs se trouvent au cœur des débats politiques. On les voit quotidiennement intervenir avec panache à propos de politique et d'orientations politiques. En raison des beaux rapports qu'ils présentent à la Chambre des communes, ils sont vus dans les médias et la population comme des représentants du citoyen-contribuable. Sur la foi d'un « pouvoir de vérification » illusoire, ils se sont donné le droit de demander des comptes aux gouvernements, aux législatures, aux députés et maintenant aux sénateurs. En réalité, les vérificateurs ne représentent pas le contribuable et n'ont aucun pouvoir de représentation. De tels gestes vont à l'encontre de la Constitution et sont hostiles au Parlement. Fait regrettable, on a déjà vu une situation dans laquelle la Chambre des communes était partagée au sujet du vérificateur général, lequel avait tout l'appui de l'opposition. Le 1er avril 1970, à la Chambre des communes, le conservateur Robert Stanfield, chef de l'opposition, a présenté une motion de censure à l'endroit du gouvernement libéral de M. Trudeau, qui était alors à couteaux tirés avec le vérificateur général. Comme on peut le lire dans les Débats de la Chambre des communes, à la page 6109 :

Que la Chambre blâme le gouvernement de reprocher à l'auditeur général du Canada d'exercer ses fonctions conformément à la loi; et réaffirme qu'elle soutient le principe de l'examen rigoureux et libre, pour le Parlement, des dépenses du gouvernement, y compris le droit qu'a l'auditeur général de faire des observations dans les cas où le gouvernement...

Êtes-vous prêts?

... fait des dépenses sans se conformer strictement aux affectations parlementaires, et de faire rapport de ces faits et de tous les autres faits qu'il estime devoir porter à l'attention du Parlement.

Chers collègues, cette motion a été rejetée par une vaste majorité des voix, mais elle témoigne de la tentative osée d'ingérence politique du vérificateur général.

Honorables sénateurs, en 1988, en étudiant le Budget principal des dépenses, le Comité sénatorial des finances nationales, dont j'étais membre, a fait une étude sur le vérificateur général et a présenté son rapport le 15 mars. C'était peu de temps après l'adoption de la nouvelle Loi sur le vérificateur général de 1977 qui fut le résultat politique des efforts politiques du vérificateur général James Macdonell pour élargir ses pouvoirs. La campagne effrontée, politique et publique de cet ancien conseiller en gestion chez Pricewaterhouse pour cette loi a porté ses fruits. Il est reconnu pour ses fameuses confrontations bruyantes avec le gouvernement Trudeau. Il a atteint son objectif et il a totalement transformé le poste de vérificateur général et les pouvoirs qu'il détient. Présentée le 1er novembre 1976 à la Chambre des communes par Jean-Jacques Blais au nom du ministre du Conseil du Trésor, Bob Andras, la Loi sur le vérificateur général de 1977 élargit considérablement les pouvoirs de ce bureau et lui confère le pouvoir qui lui avait longtemps été refusé de « valider » les actes du gouvernement, dont les jugements ne sont pas des vérifications. Du début, le vérificateur Macdonell avait cherché à obtenir le pouvoir de déterminer si les dépenses publiques du gouvernement sont économiques, efficaces et efficientes, autrement dit si elles sont optimales. Voici ce qu'on peut lire au paragraphe 7.(2), et aux alinéas 7.(2)d) et 7.(2)e) de la loi :

7.(2) Dans le rapport mentionné au paragraphe (1), le vérificateur général signale tout sujet qui, à son avis, est important et doit être porté à l'attention de la Chambre des communes, notamment les cas où il a constaté que [...]

d) des sommes d'argent ont été dépensées sans égard à l'économie ou à l'efficience;

e) des procédures satisfaisantes n'ont pas été établies pour mesurer et faire rapport sur l'efficacité des programmes dans les cas où elles peuvent convenablement et raisonnablement être mises en œuvre;

Honorables sénateurs, ces dispositions donnent au vérificateur le pouvoir, qui n'a rien à voir avec ses fonctions de vérification, de juger de la réussite des programmes du gouvernement. Ainsi, le mandat du vérificateur ne se limite plus aux vérifications financières, il peut maintenant se prononcer sur les politiques d'intérêt public. Or, celles-ci ont une valeur subjective et qualitative : elles n'ont rien à voir avec le rôle comptable du vérificateur, qui doit exercer un jugement quantitatif. Cette nouvelle forme de vérificateur général n'a pas de responsabilité ministérielle à proprement parler. C'est pourtant cette responsabilité, exclusive au gouvernement et aux deux Chambres du Parlement, qui permet de formuler des jugements qualitatifs et subjectifs sur les politiques d'intérêt public. Elle n'est pas associée au titre de vérificateur général ou à la profession comptable. J'aimerais bien que l'on nous dise en quoi la vérification des dépenses des sénateurs à hauteur de 21 millions de dollars effectuée par le vérificateur général, M. Ferguson, constitue une optimisation des ressources. J'aimerais beaucoup qu'on me l'explique.

Honorables sénateurs, le prédécesseur de M. Macdonell, Maxwell Henderson, a été vérificateur général de 1960 à 1973. Il a donné le ton à ce que Macdonell a qualifié de « révolution de la vérification ». C'est à cette époque que le vérificateur général a commencé à jouer un rôle dans la réglementation des politiques. Les règlements ont force exécutoire. Ils n'ont rien à voir avec les vérifications financières des comptes publics que l'on fait depuis des siècles pour aider les Chambres à contrôler les deniers publics. L'économie, l'efficacité et l'efficience ainsi que l'optimisation des ressources relèvent de la politique, des Chambres du Parlement et du gouvernement, et non du vérificateur général. Le vérificateur général qui a ensuite occupé le poste, Kenneth Dye, a poursuivi dans cette voie et il est même allé plus loin. En 1985, il a intenté une poursuite à la Cour fédérale du Canada contre le Cabinet fédéral. Il s'agit de l'arrêt Canada (Vérificateur général) c. Canada (Ministre de l'Énergie, des Mines et Ressources). Le vérificateur général cherchait alors à obtenir des documents du Cabinet relatifs à l'achat de Petrofina par Petro-Canada, qui a eu lieu en 1981. Ce fut une époque difficile pour le gouvernement. En fait, ce fut aussi une époque très difficile pour les gouvernements provinciaux.

Honorables sénateurs, ces trois vérificateurs savaient très bien que le gouvernement fédéral subissait des pressions. Ce n'est donc pas une coïncidence s'ils sont parvenus à mobiliser les médias — c'est encore une fois ce qui se passe aujourd'hui — et à établir des alliances avec les partis de l'opposition. Sous prétexte d'effectuer des vérifications, ces vérificateurs se sont lancés dans des manœuvres politiques pures et se sont engagés dans de véritables luttes de pouvoir assassines avec les ministres du Cabinet du Canada. Par la suite, les vérificateurs généraux ont continué d'accroître leurs pouvoirs, en les définissant eux-mêmes. Tout cela a causé des torts incalculables à notre système constitutionnel, en plus de restreindre et d'éclipser le rôle que doit jouer le Comité des comptes publics de la Chambre des communes, qui devrait être l'entité ayant le pouvoir de contrôler les deniers publics, que ce soit l'impôt ou les finances nationales.

(2050)

Honorables sénateurs, j'en arrive à la vérification des crédits et aux grandes questions constitutionnelles que pose le rôle de l'actuel vérificateur général du Canada. De nos jours, la vérification des crédits revêt un caractère plus qualitatif qu'anciennement, lorsque l'Angleterre avait, dans les années 1860, mené une vérification des crédits de tous ses ministères, comme l'a fait le Canada un peu plus tard. Une telle démarche nécessitait la présence d'un vérificateur général indépendant. L'affectation des crédits est le processus par lequel la Chambre des communes convient du montant d'argent qui sera tiré du Trésor public afin de payer la fonction publique et les services d'administration publique que procure le gouvernement. Par la voie d'une loi de crédits, la Chambre des communes accorde au gouvernement le pouvoir légal de puiser dans le Trésor. À la page 140 du Dictionary of English Law, volume 1, publié en 1959, Jowitt définit ainsi le terme « affectation des crédits » :

Affecter une chose qui est de droit public, publici juris, consiste à accorder le droit exclusif à cette chose — la personne à qui la chose est affectée en devient le propriétaire [...]

C'est ce que la Chambre des communes fait : elle remet les cordons de la bourse à l'exécutif et à l'administration publique.

La définition se poursuit ainsi :

L'affectation des crédits est le moyen par lequel le Parlement régit la façon dont les fonds publics qui font l'objet d'un vote chaque session sont affectés à différents éléments de dépenses [...] Une loi de crédits est adoptée chaque année à cette fin.

Son Honneur le Président : Consentez-vous à accorder cinq minutes de plus à la sénatrice Cools, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

La sénatrice Cools : À la page 21 de la deuxième édition du Parliamentary Dictionary, publiée en 1964, L.A. Abraham et S.C. Hawtrey définissent ainsi le terme « affectation des crédits » :

Aucune somme ne peut être dépensée autrement que dans un but autorisé par le Parlement : c'est l'une des règles cardinales du système de finances publiques. L'allocation d'une somme d'argent pour des dépenses dans un but donné s'appelle un crédit, et on dit alors que le Parlement affecte l'argent à un usage précis.

Honorables sénateurs, la Chambre des communes, qui, comme le prévoit la Constitution, est la seule des deux Chambres à pouvoir accorder des crédits avec les deniers publics, protège jalousement sa prérogative, comme on peut le voir au Sénat lors des cérémonies de sanction royale de projets de loi de crédits. C'est le Président de la Chambre des communes lui-même qui présente ces projets de loi au gouverneur général. Celui-ci leur donne la sanction royale et remercie les Communes pour leur cadeau généreux à Sa Majesté. De nos jours, les vérificateurs généraux emploient rarement l'expression « vérification des crédits ». J'ai l'impression que le Sénat entend cette expression pour la première fois depuis des lunes. Le vérificateur général dispose d'un budget important et ses constats peuvent être incendiaires. Son rôle doit être examiné et reconsidéré. Dans bien des États, le bureau du vérificateur général porte le titre d'institution nationale de vérification suprême. Il est peut-être temps que les deux Chambres du Parlement et leur chef, le gouverneur général, songent à renouveler la législation sur la vérification des comptes publics et des finances nationales.

(Sur la motion de la sénatrice Fraser, le débat est ajourné.)

Le rôle et la mission du vérificateur général

Interpellation—Ajournement du débat

L'honorable Anne C. Cools, ayant donné préavis le 2 juin 2015 :

Qu'elle attirera l'attention du Sénat sur :

a) le vérificateur général du Canada, titulaire d'une charge créée par une loi dont les pouvoirs se limitent à ceux précisés dans la Loi sur le vérificateur général; et sur ses pouvoirs, en vertu de cette loi, à titre de « vérificateur des comptes du Canada », qui n'incluent pas la vérification du Sénat et des sénateurs; et sur une grande réalisation de la Chambre des communes britannique, à savoir la création de la vérification des crédits, à laquelle tous les ministères sont soumis; et sur cette vérification des crédits, qui a inspiré la loi canadienne de 1878 menant à la création de la charge de vérificateur général du Canada en tant qu'agent entièrement indépendant de ministère des Finances et, plus particulièrement, du gouvernement;

b) sur le rôle du vérificateur général dans la vérification des crédits, qui consiste à vérifier les dépenses du gouvernement et à certifier qu'elles sont conformes à ce que la Chambre des communes a établi et adopté dans sa loi de crédits; et sur l'objectif et le rôle de la vérification des crédits, à savoir l'examen des comptes de crédit des ministères, dont ne fait pas partie le Sénat, qui n'est donc pas soumis à l'examen du vérificateur général;

c) sur l'honorable chef libéral britannique, William Gladstone, réputé pour ses connaissances constitutionnelles, sur sa défense des pouvoirs de la Chambre des communes dans les finances publiques et le contrôle des fonds publics, et qui, à titre de Chancelier de l'Échiquier, a parrainé en 1866 l'Exchequer and Audit Departments Act, qui a servi de base à la loi canadienne de 1878, Acte pour pourvoir à la meilleure audition des comptes publics, qui a créé la nouvelle charge indépendante de vérificateur général du Canada; et sur le fameux et puissant Comité des comptes publics de la Chambre des communes britannique et son 1865 Report from the Committee of Public Accounts, qui précise le rôle de la vérification des comptes publics des ministères;

d) sur ce rapport, qui consigne le point de vue et l'opinion du vérificateur sur son rôle et sa charge qui ne consiste jamais à conseiller, à contrôler ni à réprimander, ni à corriger ou à prévenir, mais bien à détecter; et sur le fait que cette grande réalisation qu'est la vérification des crédits est grandement méconnue des Canadiens, car, récemment, les vérificateurs généraux, selon leur propre définition, ont élargi leur rôle en l'éloignant des fonctions quantitatives et arithmétiques de la vérification pour se concentrer sur des sphères politiques et qualitatives à un tel point que bon nombre de Canadiens croient maintenant, à tort, que le vérificateur général est le représentant des contribuables et le gardien de leur argent, rôle qui revient en fait à la Chambre des communes et non au vérificateur général, qui n'a absolument aucun pouvoir de représentation, puisque ceux-ci appartiennent aux élus, choisis par la population pour la représenter sur le principe qu'il n'y a pas d'impôt sans représentation.

— Honorables sénateurs, la vérification des crédits consistait en une vérification particulière des comptes publics, au moyen de laquelle le vérificateur général vérifiait et attestait que les dépenses du gouvernement étaient conformes aux objectifs dictés et adoptés par la Chambre des communes dans ses lois de crédits. Les articles 53 et 54 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoyaient que ces lois devaient être présentées par des ministres de la Couronne à la Chambre des communes. Le processus de vérification des crédits, reconnu pour son exactitude et sa clarté, s'est avéré une importante réalisation constitutionnelle. Compte tenu des succès obtenus et dès ses balbutiements, le processus en est venu à être appliqué à l'ensemble des ministères du gouvernement. Le 8 février 1866, le grand parlementaire britannique William Gladstone, chancelier de l'Échiquier, a présenté l'Exchequer and Audit Departments Act. La vérification des crédits a dès lors été appliquée à tous les ministères. S'inspirant des réformes britanniques, le Canada a adopté en 1878 l'Acte pour pourvoir à la meilleure audition des comptes publics, qui a également donné lieu à la nomination d'un nouveau vérificateur général indépendant, occupant sa charge à titre inamovible. En ce qui concerne le recours par la Grande-Bretagne à la vérification des crédits, voici ce qu'a déclaré Alpheus Todd à la page 63 du volume II de son ouvrage intitulé Parliamentary Government in England, publié en 1889 :

Il est certainement des plus importants que la vérification des crédits s'applique à tous les secteurs des dépenses publiques, dans la mesure où les comptes financiers présentés chaque année au Parlement ne font pas état de la relation précise entre les subventions et les dépenses liées à chaque service particulier. Le Parlement n'a aucun moyen d'effectuer une comparaison entre les dépenses véritablement effectuées et les crédits prévus auxquels la vérification n'a pas été appliquée.

Honorables sénateurs, cette vérification des crédits réussie a donné lieu à une précision inédite en matière de vérification. Il a ainsi été possible de vérifier et d'attester que les dépenses du gouvernement étaient conformes à ce que la Chambre des communes de la Grande-Bretagne avait établi et adopté. Le fait que le vérificateur général effectuait un examen de chaque ministère du gouvernement et de chaque compte de crédit constituait un grand progrès. Les annexes des lois de crédits énuméraient toutes les sommes d'argent et celles-ci étaient inscrites comme crédits prévus. Chaque crédit prévu correspondait à un compte, et un numéro lui était attribué. Chaque compte faisait l'objet d'une vérification. Cette nouvelle vérification des crédits perfectionnée et son application à tous les ministères, à toutes les dépenses publiques, ont été considérées comme un point culminant à l'égard de la prééminence de la Chambre des communes pour ce qui est de contrôler les deniers publics. La loi britannique de 1866 prévoyait le remplacement du bureau d'audition par le nouveau vérificateur général indépendant, dont le rôle était de vérifier et d'attester les comptes publics. En Grande-Bretagne en 1865, l'année avant l'adoption de la nouvelle loi, qui constitue le fondement de notre loi de 1878, ces questions ont fait l'objet d'un examen minutieux au comité des comptes publics de la Chambre des communes, l'organisme important chargé de contrôler les deniers publics. Le 11 mars 1862, William Gladstone, alors chancelier de l'Échiquier, maître des finances nationales et responsable du contrôle des deniers publics, avait présenté la motion visant à constituer en comité permanent le comité des comptes publics. Le rapport de 1865 du comité des comptes publics clarifiait en quoi consistaient l'objet de la vérification et les fonctions des vérificateurs et il a donné lieu à l'adoption de la loi britannique de 1866. Ce célèbre rapport du comité remettait en question l'idée erronée selon laquelle l'objet de la vérification et les fonctions du vérificateur avaient trait au contrôle des deniers publics. Le rapport faisait état de l'objet véritable de la vérification. Une citation de M. Gladstone figurait au paragraphe 46 de la page 130 :

La véritable mission des vérificateurs de crédits est très bien décrite dans les quelques observations formulées par M. Gladstone lors du débat au cours duquel il avait déjà été question de la résolution de lord Robert Montague (para. 35).

« Le grand chancelier, dit-il, et d'autres honorables membres semblent avoir une conception erronée des éventuels pouvoirs du Bureau d'audition. Le Bureau doit assurer l'exactitude et la justesse des dépenses publiques. En fait, pour simplifier, on pourrait dire qu'il s'agit d'un Bureau de vérification. Or, le Bureau d'audition serait des plus présomptueux si, dans un excès de parcimonie ou d'extravagance, il venait à poser un jugement sur ce que le gouvernement songe à adopter, moyennant la sanction de cette Chambre. Pour ce qui est de la proposition de l'honorable et savant député de Dundalk (Sir G. Bowyer), je dois admettre qu'elle me semble tout à fait irréalisable et inadmissible. Il propose d'accorder au Bureau d'audition des pouvoirs coercitifs de dépôt pour outrage au tribunal ainsi que le pouvoir de diriger les ministères du gouvernement, c'est-à-dire de décider ce qui doit ou non être fait. Je ne crois pas me tromper en disant que c'est la toute première fois que l'on parle d'une telle conception du Bureau d'audition. Par ailleurs, je dois m'y opposer puisque cela donnerait au Bureau d'audition une fonction qui, en réalité, appartient à la Chambre. Cette fonction est celle du Comité des comptes publics, [...], de ce comité qui, grâce aux enquêtes qu'il mène, permet à la Chambre de jouir de la meilleure sécurité qui soit pour effectuer rapidement l'examen nécessaire des comptes publics et pour les présenter à la population. C'est donc avec respect que je souscris aux principes qui ont déjà été énoncés par le Comité des comptes publics en ce qui concerne le Bureau d'audition. »

Honorables sénateurs, après avoir mentionné ce qu'a dit Gladstone sur la différence et la séparation entre la fonction de vérification et la fonction de la Chambre des communes et sur les grands principes qui sous-tendent les finances nationales, le Rapport du comité, citant encore M. Gladstone, ajoute, au paragraphe 47 :

Ce sont de sages paroles. Compte tenu de la fonction importante qu'occupe M. Gladstone au sein de l'administration, on pourrait penser, à première vue, que ses opinions sur l'affaire en question indiqueraient une perception plus claire de ce qui est attribuable au gouvernement plutôt qu'au Bureau d'audition. Mais, il semblerait que les vérificateurs ne sont pas du même avis. Ils ne peuvent considérer le discours du chancelier de l'Échiquier comme témoignant avec force de la vertu d'un principe qu'ils ont maintenu pendant de nombreuses années, bien que sans succès dans certains cas, contre l'inclination de l'exécutif à leur confier diverses fonctions administratives, les fonctions de contrôleurs, de comptables et de chargés de la réglementation des comptes [...] Dans le mémoire détaillé, qui a été présenté au Comité des fonds publics par Sir G.C. Lewis, alors chancelier de l'Échiquier, il était proposé que le Bureau de l'Échiquier soit aboli et que certaines des fonctions plus importantes du contrôleur de l'Échiquier soient transférées au Bureau de vérification. Le comité a renvoyé ce mémoire à M. Romilly, le président du conseil de vérification. Puis, M. Romilly, dans une lettre qui se trouve à l'annexe du rapport du comité, après avoir souligné, en utilisant presque les mêmes mots que M. Gladstone, ce que sont les fonctions spéciales d'un vérificateur, fait ressortir l'incompatibilité entre de telles fonctions et celles d'un contrôleur. "Dans les cas", dit-il, "où il est souhaitable que ce contrôle exécutif direct soit exercé sur les conseillers de la Couronne, celui-ci ne devrait pas être exercé par les personnes chargées de vérifier les comptes." Puis, il ajoute : "Nul doute que, à condition que l'Assemblée législative soit convaincue qu'elle doit être informée de manière rapide et précise de la façon dont l'octroi des fonds publics a été traité par l'exécutif, à condition que l'exécutif soit disposé à travailler en collaboration à la mise en place d'un mécanisme de contrôle efficace et permanent de ses propres travaux, et à condition que la séparation entre les fonctions du Bureau de vérification et celles de l'exécutif soit rigoureusement respectée, aucune difficulté insurmontable ne peut empêcher que ses volontés deviennent réalité."

(2100)

Chers collègues, permettez-moi de répéter certaines de ces paroles cruciales :

Dans les cas [...] où il est souhaitable que ce contrôle exécutif direct soit exercé sur les conseillers de la Couronne, celui-ci ne devrait pas être exercé par les personnes chargées de vérifier les comptes.

Je répète :

[...] à condition que la séparation entre les fonctions du Bureau de vérification et celles de l'exécutif soit rigoureusement respectée [...]

Chers collègues, dans le cadre de cette vérification visant les sénateurs, on a porté atteinte à cette séparation, tout comme cette vérification menée par le vérificateur général du Canada a porté atteinte au Sénat.

Honorables sénateurs, je tiens à souligner que ce rapport du comité britannique a été publié l'année précédant la création d'un nouveau poste de vérificateur général indépendant en vertu d'une loi, en 1866. Les principes qui y ont été établis demeurent encore très pertinents aujourd'hui, dans un contexte où le rôle du vérificateur est mal compris et risque de ne pas être respecté. C'est une évidence. Ainsi, le gouvernement et le vérificateur général ont uni leurs efforts et leurs intérêts, ce qui a donné lieu à une vérification illégale et illicite visant les sénateurs. Une motion du Sénat, proposée par un ministre, a ordonné aux sénateurs de se soumettre eux-mêmes à une vérification illicite. Le vérificateur général, le gouvernement et leurs avocats devraient pourtant savoir que la loi garantissant la souveraineté du Parlement, de même que la Loi sur le vérificateur général, ne donnent aucunement au vérificateur général le pouvoir d'effectuer une vérification visant le Sénat, et surtout, elles ne lui donnent pas le droit d'entreprendre une vérification découlant d'une motion proposée par le gouvernement dans le cadre des initiatives ministérielles.

Honorables sénateurs, dans ce rapport marquant du Comité des comptes publics de la Chambre des communes britannique, rédigé en 1865, les vérificateurs eux-mêmes ont parlé de leur rôle en matière de vérification, au paragraphe 48 :

Si on devait un jour demander au Parlement de confier des fonctions exécutives aux vérificateurs ou de leur donner le droit d'interrompre ou de remettre en question la liberté d'action de l'exécutif, il serait facile de prouver que de telles propositions, même si elles ont à l'occasion été recommandées par la doctrine et la pratique des ministères et si elles ont même parfois déjà été approuvées par le Parlement lui-même, ont été dénoncées maintes fois par les commissaires responsables de la vérification. S'il est permis de supposer que les vérificateurs souscrivent encore aux preuves qui, pendant les six ou sept dernières années, ont été présentées au Parlement au nom du Bureau de la vérification, on pourrait aussi croire qu'ils diraient ceci : « Compte tenu de la vaste expérience que nous possédons à titre de vérificateurs des crédits, nous estimons que nous ne sommes pas tenus de communiquer avec les ministères plus que cela s'avère nécessaire pour obtenir de l'information. Tout ce qui est susceptible de nous associer, directement ou indirectement, aux transactions pécuniaires du gouvernement, ne pourrait que nuire à la crédibilité des rapports que nous sommes tenus de présenter au Parlement sur ces transactions. Par conséquent, nous considérons qu'on ne devrait jamais nous demander de donner des conseils, d'exercer un contrôle ou de faire des remontrances ».

Les vérificateurs ont eux-mêmes conclu qu'on ne devrait jamais leur « demander de donner des conseils, d'exercer un contrôle ou de faire des remontrances ». Honorables collègues, leurs conclusions révèlent le problème et le dilemme que pose la vérification au Sénat. Pourquoi le vérificateur général recommande-t-il que le Sénat soumette les dossiers des sénateurs aux policiers ou à qui que ce soit d'autre? Pourquoi parle-t-il de ce rapport dans les médias, plus particulièrement dans l'Ottawa Citizen? Pourquoi ce vérificateur tente-t-il d'interpréter, de définir et d'appliquer les règles et les politiques du Sénat? Dans son article paru le 26 mai dans l'Ottawa Citizen, Jason Fekete révèle à propos des affaires du Sénat des faits inconnus des sénateurs que l'on refuse de leur communiquer. Les sénateurs sont les derniers informés, et c'est souvent dans les médias qu'ils obtiennent ces renseignements. L'article s'intitule « Les demandes de remboursements de 30 sénateurs posent problème selon le vérificateur général ». Nous devrions le faire venir ici et l'interroger à ce sujet. Voilà qui est accablant.

M. Fekete écrit ceci à la page A6 :

Le rapport du vérificateur général sur les dépenses du Sénat sera présenté la semaine prochaine au Président de la Chambre haute et publié peu après.

D'ailleurs, sait-on qui le publiera?

Selon M. Ferguson, les demandes de remboursement d'environ 10 sénateurs actuels ou anciens sont suffisamment préoccupantes pour soumettre les dossiers à la Gendarmerie royale du Canada pour un examen plus approfondi.

« Ce chiffre est exact », affirme M. Ferguson. « Le rapport final indiquera également que les dépenses d'environ 20 autres sénateurs posent problème. »

M. Fekete cite de nouveau les paroles du vérificateur général :

Si on inclut la dizaine de sénateurs dont le dossier devrait être soumis à la GRC, le rapport ciblera environ 30 sénateurs [...]

M. Fekete cite ensuite le thème proposé par le vérificateur général :

Une grande partie de nos conclusions concernant la vérification des dépenses du Sénat auront trait à la reddition de comptes et à la transparence.

À vrai dire, c'est très transparent.

Chers collègues, il a parlé de « reddition de comptes » et de « transparence ». La même journée, M. Ferguson a participé à une émission de la CBC, Power & Politics, animée par Evan Solomon. Il y a révélé des détails du rapport qui n'avaient pas encore été transmis au Sénat. Cette triste façon de faire les choses est inacceptable. La condition humaine a ceci de tragique que le malheur des autres peut nous inspirer fierté et vanité. Les opinions personnelles et les messages de ce vérificateur ne font pas partie de la vérification financière ni du rôle que doit jouer le vérificateur général à l'égard des comptes publics, c'est-à-dire vérifier et certifier les comptes du Canada, lesquels n'incluent pas, mais absolument pas, les comptes du Sénat.

Honorables sénateurs, voici ce que dit ensuite le paragraphe 48 de ce rapport fondamental publié en 1865 par le Comité des comptes publics de Chambre des communes britannique :

On ne devrait pas nous inviter à discuter de points douteux avec les ministères, ni à les aider dans la conduite de leurs activités. Nous devrions avoir pour rôle non pas de prévenir ou de corriger, mais seulement de détecter. On devrait nous donner comme consigne d'examiner les comptes et les pièces justificatives des différents ministères à la lumière des exigences de la législature, et de signaler au Parlement toute dépense qui nous paraît aller à l'encontre de ces exigences. Il arrivera sûrement, à l'occasion, que certaines des dépenses que nous devons vérifier nous paraissent légitimes ou même louables, mais nous ne devons pas exprimer ces opinions. Nous n'avons aucunement pour tâche d'acquitter ou de condamner; nous devons simplement signaler au Parlement toute infraction à la loi concernant l'affectation des deniers publics, et laisser aux ministères le soin de fournir les explications qu'elles jugent appropriées, et à la Chambre des communes le soin d'établir la peine.

Je répète, ces vérificateurs ont déclaré qu'ils n'avaient pas pour tâche de prévenir ou de corriger, et qu'il ne leur revenait pas d'acquitter ou de condamner. Le vérificateur général a toutefois blâmé publiquement de nombreux sénateurs, alors que le Sénat et les sénateurs n'avaient pas reçu son rapport. Je n'ai pas ce rapport. Je ne sais pas si d'autres sénateurs l'ont déjà.

Le vérificateur général a fait des déclarations dans les médias selon lesquelles 10 sénateurs devraient faire l'objet d'une enquête de la GRC et les dépenses de 20 autres soulèvent des questions. C'est tout un opprobre. En faisant mine de transmettre de l'information, il porte en fait un jugement. Or, ce n'est pas à lui qu'il revient de porter ce jugement, mais bien aux sénateurs et au Sénat. Le seul jugement qui lui revient, une tâche dont il devrait d'ailleurs s'acquitter, consiste à déterminer si le budget qui lui est octroyé en vertu de la loi de crédits de la Chambre des communes est censé servir à lui permettre de dépenser 21 millions de dollars dans le but de soumettre les sénateurs à un audit et de jeter l'opprobre sur eux. Bref, est-ce que les fonds ont été dépensés de la manière établie et adoptée par la Chambre des communes? Le vérificateur général devrait répondre à ces questions et fournir une explication de sa transgression volontaire de la loi du Parlement, du rôle du vérificateur général, de la Loi sur le vérificateur général et de la Constitution.

Le sénateur Mockler : À l'ordre!

La sénatrice Fraser : À l'ordre!

Son Honneur le Président : Madame la sénatrice Cools.

Le sénateur Mockler : À l'ordre! Le Président est debout.

Son Honneur le Président : D'autres sénateurs désirent-ils intervenir à ce sujet?

(Sur la motion de la sénatrice Fraser, le débat est ajourné.)

(La séance est levée, et le Sénat s'ajourne au mardi 9 juin 2015, à 14 heures.)

© Sénat du Canada

Haut de page