Aller au contenu
Séances précédentes
Séances précédentes
Séances précédentes

Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 42e Législature,
Volume 150, Numéro 71

Le mardi 15 novembre 2016
L'honorable George J. Furey, Président

LE SÉNAT

Le mardi 15 novembre 2016

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

Le Sénat

Adoption de la motion tendant à autoriser l'accès aux photographes pour la présentation des nouveaux sénateurs

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, sachez qu'il y a eu des consultations et qu'il a été convenu d'admettre des photographes sur le parquet du Sénat aujourd'hui et demain, mercredi, pour qu'ils puissent photographier la présentation des nouveaux sénateurs.

Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

(1410)

Nouveaux sénateurs

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur d'informer le Sénat que le greffier a reçu du registraire général du Canada les certificats établissant que les personnes suivantes ont été appelées au Sénat :

Yuen Pau Woo

Patricia Bovey

René Cormier

Nancy Hartling

Gwen Boniface

Kim Pate

Présentation

Son Honneur le Président informe le Sénat que des sénateurs attendent à la porte pour être présentés.

Les honorables sénateurs suivants sont présentés, puis remettent les brefs de Sa Majesté les appelant au Sénat. Les sénateurs, en présence du greffier, prêtent le serment prescrit et prennent leur siège.

L'honorable Yuen Pau Woo, de North Vancouver, en Colombie-Britannique, présenté par l'honorable Peter Harder, C.P., et l'honorable George Baker, C.P.;

L'honorable Patricia Bovey, de Winnipeg, au Manitoba, présentée par l'honorable Peter Harder, C.P., et l'honorable Murray Sinclair;

L'honorable René Cormier, de Caraquet, au Nouveau-Brunswick, présenté par l'honorable Peter Harder, C.P., et l'honorable Pierrette Ringuette;

L'honorable Nancy Hartling, de Riverview, au Nouveau-Brunswick, présentée par l'honorable Peter Harder, C.P., et l'honorable Elaine McCoy;

L'honorable Gwen Boniface, d'Orillia, en Ontario, présentée par l'honorable Peter Harder, C.P., et l'honorable Vernon White; et

L'honorable Kim Pate, d'Ottawa, en Ontario, présentée par l'honorable Peter Harder, C.P., et l'honorable Lillian Eva Dyck.

Son Honneur le Président informe le Sénat que chacun des honorables sénateurs susmentionnés a fait et signé la déclaration des qualifications exigées prescrite par la Loi constitutionnelle de 1867, en présence du greffier du Sénat, commissaire chargé de recevoir et d'attester cette déclaration.

(1430)

Félicitations à l'occasion de leur nomination

L'honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci, Votre Honneur, et bienvenue à nos nouveaux collègues.

Il y a quelques mois, lorsque j'ai pris la parole à l'occasion de mon assermentation, j'ai admis être à la fois enchanté et terrifié à l'idée de participer aux travaux de cette auguste assemblée. Permettez-moi de vous dire que je suis toujours enchanté.

J'ajoute que, étant donné l'envergure des réalisations accomplies par les sénateurs que nous accueillons aujourd'hui, je crois bien que mon trac n'est pas près de disparaître.

[Français]

Les curriculum vitae et les réalisations de nos nouveaux membres — dans les secteurs public, privé et bénévole — donnent aux Canadiens de bonnes raisons d'afficher un véritable optimisme envers le Sénat modernisé que nous sommes en train d'édifier. Outre leurs nombreuses réalisations professionnelles, nos nouveaux collègues sont des bénévoles et d'importants contributeurs à leurs collectivités.

[Traduction]

À partir d'aujourd'hui, ils consacreront leurs multiples talents à faire du Sénat une institution réfléchie vouée à servir et à représenter la population.

Je me permets de prendre quelques minutes pour résumer les réalisations des nouveaux sénateurs.

Commençons par Yuen Pau Woo, qui vient de la Colombie-Britannique. Comme plusieurs d'entre vous le savent, il est un spécialiste des relations qu'entretient le Canada avec l'Asie et prône l'ouverture en ce qui a trait aux échanges commerciaux et à la circulation des capitaux et des personnes.

(1440)

Il a quitté sa Malaisie natale pour venir s'installer au Canada à l'âge de 16 ans grâce à une bourse d'études. Il a concrètement aidé de nombreuses entités — privées et publiques — à comprendre l'importance de l'Asie pour leur travail et pour l'avenir du pays. Lorsqu'il occupait les fonctions de président et chef de la direction de la Fondation Asie Pacifique, de 2005 à 2014, il a dirigé une expansion majeure de l'organisation et il a mené une campagne visant à faire valoir l'importance croissante de l'Asie pour le Canada et dans le monde. Entre autres rôles, il a collaboré avec les dirigeants des Premières Nations et siégé à de nombreux conseils consultatifs, conseils d'administration et comités. Veuillez accueillir avec moi le sénateur Yuen Pau Woo.

Originaire du Manitoba, la sénatrice Patricia Bovey est une historienne de l'art, une conservatrice et une conseillère en arts accomplie. Ancienne directrice de deux galeries d'art canadiennes de marque, la sénatrice Bovey enseigne à l'université et compte à son actif de nombreuses conférences et publications. Elle a participé à des examens de politiques culturelles à l'échelle fédérale et provinciale, en plus d'avoir fait partie — à titre de membre ou de présidente — du conseil d'administration de plusieurs organismes artistiques du pays, comme le Musée des beaux-arts du Canada et le Conseil des arts du Canada. Dans ses engagements bénévoles, elle a notamment présenté des ateliers pour les leaders de la jeunesse musulmane et siégé au conseil consultatif des patients de l'Hôpital St-Boniface. Soyez la bienvenue au Sénat.

Nous accueillons en outre deux sénateurs du Nouveau-Brunswick.

[Français]

René Cormier est un professionnel du milieu des arts et de la culture au Canada, et un leader de la francophonie à l'échelle internationale. Son travail est ancré dans son expérience et dans sa vie en tant que Néo-Brunswickois francophone. Il a été président de la Commission internationale du théâtre francophone, directeur du Théâtre populaire d'Acadie, président de la Fédération culturelle canadienne-française et membre du conseil d'administration de la Conférence canadienne des arts. Le sénateur Cormier est reconnu pour sa capacité de bâtir des ponts entre des groupes culturels qui sont souvent d'une grande diversité. Bienvenue, sénateur.

[Traduction]

En plus du sénateur Cormier, le Nouveau-Brunswick sera aussi représenté par l'une des plus grandes défenseures des causes qui touchent les femmes de sa province, Mme Nancy Hartling. Au fil de sa carrière axée sur les enjeux sociaux et familiaux, elle a défendu, à l'échelle locale, provinciale et nationale, les intérêts socioéconomiques des parents célibataires et de leurs enfants. Elle a fondé l'organisme sans but lucratif Support to Single Parents Inc., dont elle a aussi été directrice exécutive durant 34 ans, ainsi que St. James Court Inc., un complexe résidentiel abordable destiné aux familles monoparentales. Bref, la sénatrice Hartling joue un rôle de premier plan dans la promotion du changement social dans sa province. Soyez la bienvenue, sénatrice.

La carrière de Gwen Boniface est jalonnée de premières. Reconnue dans le monde entier pour la profonde influence qu'elle a eue sur le rôle des femmes dans la police, la sénatrice Boniface a été la première femme à accéder au grade d'inspecteur au sein de la Police provinciale de l'Ontario, à être nommée commissaire de la PPO et, pour faire bonne mesure, à devenir présidente de l'Association canadienne des chefs de police.

Elle a aussi exercé ses compétences à l'étranger. Pendant trois ans, elle a été inspectrice en chef adjointe de l'Inspectorat de la Garda Síochána d'Irlande, où elle avait la tâche de réformer le service de police national. Elle a ensuite occupé les fonctions de spécialiste de la criminalité transnationale organisée à la Division policière des Nations Unies, où elle a élaboré un plan pour lutter contre le crime organisé dans les pays qui sortent d'un conflit.

La sénatrice Boniface a aussi été des principaux intervenants à déclencher des réformes visant à renouer les liens entre la police et les communautés des Premières Nations. Elle a reçu l'Ordre de l'Ontario en 2001 en reconnaissance de son service rendu à la province et de son travail avec les communautés des Premières Nations. Bienvenue au Sénat.

Grande défenseure de la justice sociale, Kim Pate a travaillé avec les femmes incarcérées, en plus de leur apporter du soutien en vue de leur réinsertion dans la société. À titre de directrice de l'Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry, elle a également mieux fait comprendre les besoins spéciaux des femmes autochtones, qui sont surreprésentées dans les établissements correctionnels fédéraux, et de celles qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale. Professeure à temps partiel à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa, elle a rédigé de nombreux articles dans des publications universitaires et a participé à des programmes de mentorat pour des femmes et des étudiants en droit. Elle siège à de nombreux conseils d'administration et groupes consultatifs et a été nommée membre de l'Ordre du Canada en 2015. La sénatrice Pate vient de l'Ontario. Je vous demande de vous joindre à moi pour lui souhaiter la bienvenue.

Honorables collègues, en votre nom à tous, je tiens à dire que j'ai hâte de travailler avec tous les nouveaux sénateurs qui sont entrés en fonction aujourd'hui et avec ceux qui le feront au cours des jours à venir.

L'honorable Joseph A. Day (leader des libéraux au Sénat) : Honorables sénateurs, je me joins au leader du gouvernement pour souhaiter la bienvenue à nos six nouveaux collègues. Votre bagage impressionnant, très bien décrit par le sénateur Harder, contribuera certes à la mine de connaissances qui existe déjà dans cette enceinte.

Vous vous joignez au Sénat durant une période excitante de modernisation et de renouveau, et je vous encourage tous à garder l'esprit ouvert à mesure que vous apprenez à connaître cette institution. Vos expériences de vie riches et variées seront infiniment utiles lorsque vous examinerez minutieusement les mesures législatives, ainsi que lorsque vous vous forgerez votre propre opinion quant à la meilleure façon d'améliorer le Sénat afin qu'il puisse jouer son rôle de Chambre de second examen objectif.

[Français]

Au nom du caucus libéral du Sénat, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada et je me réjouis à l'idée de collaborer avec vous tous dans les jours à venir. Bienvenue.

[Traduction]

L'honorable Elaine McCoy : Honorables sénateurs, je suis heureuse d'ajouter ma voix à celle des autres leaders au Sénat, à titre de coordonnatrice du groupe des sénateurs indépendants, et de souhaiter la bienvenue à tous nos nouveaux collègues. Je n'ai pas pu m'empêcher de me souvenir de la journée où je suis arrivée ici, et je suis sûre que tous les sénateurs qui souriaient se rappelaient aussi leur première journée. Je m'attendais à ce que les nouveaux sénateurs aillent tous s'asseoir à la place qu'occupait le sénateur White, parce que c'est à cet endroit qu'on m'avait conduite. Juste à côté de moi se trouvait le sénateur Cowan, qui était à l'époque — et est encore — membre du caucus libéral. En face de moi, il y avait le sénateur Norm Atkins, qui est décédé depuis et qui était membre du caucus du Parti progressiste-conservateur. Juste devant moi, à droite, il y avait quelqu'un du Parti conservateur du Canada.

Depuis ce temps, je me suis beaucoup déplacée au Sénat, et il en va de même pour tous les sénateurs. Je ne me rappelle plus combien de banquettes j'ai occupées. Je me faisais à un moment donné la réflexion que, dans cette enceinte, nous sommes tous dans le même bateau. Nous travaillons ensemble et, conformément à nos responsabilités, nous accordons toute notre attention aux questions difficiles et lourdes de conséquences qui nous sont soumises. Nous donnons notre avis et nous œuvrons dans l'intérêt du Canada. Alors, nous vous souhaitons la bienvenue au Sénat, où vous mettrez la main à la pâte et où nous sommes tous appelés à collaborer pour aider le Canada à être le meilleur pays que nous puissions construire.

[Français]

L'honorable Claude Carignan (leader de l'opposition) : Honorables sénateurs, j'aimerais ajouter quelques mots aux propos qui ont été prononcés. J'ai préparé un discours pour souhaiter la bienvenue de façon plus officielle à nos nouveaux collègues demain. C'est un honneur pour nous de vous recevoir en cette Chambre.

Comme je l'ai affirmé publiquement, vous êtes des membres de l'élite, des personnes de haut calibre issues de divers milieux, et vous êtes les bienvenus.

(1450)

Votre apport sera important pour nous. Vous arrivez à un moment extrêmement opportun, car nous avons amorcé un travail de modernisation d'envergure. Vous pourrez contribuer avec toute votre énergie, votre expérience et votre expertise à ce mouvement qui est souhaité.

Je dois également souligner que vous faites partie des 961 personnes qui ont eu l'honneur de siéger en cette Chambre en 150 ans d'histoire. C'est un privilège extraordinaire que de siéger en cette Chambre. Vous vous rendrez sûrement compte que c'est l'un des plus beaux emplois qu'on puisse occuper au Canada, mais qu'il est aussi assorti de responsabilités énormes.

Vous avez la chance d'être nommés par un premier ministre qui vous a conféré une légitimité, mais aussi une grande liberté de vote dans le cadre de laquelle il vous demande d'améliorer les lois qui sont adoptées à l'autre endroit. Il vous demande d'améliorer ou de corriger les lois qui seront proposées, et il vous donne toute l'autorité morale pour le faire. Il s'agit d'un grand privilège que nous avons tous.

C'est avec grand plaisir que je vous souhaite la bienvenue au nom de tous les membres de mon caucus.


[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Le décès de Leonard Cohen, C.C., G.O.C.

L'honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs,

Sonnent les cloches qui étaient
Oublie le sacrifice parfait
Tout se fissure et même l'amour
Ainsi entre le jour

Certains auront reconnu peut-être les paroles de la chanson Anthem, enregistrée en 1992. Pour ceux qui ne le savent pas, l'auteur est le poète lauréat canadien Leonard Cohen, qui vient de nous quitter.

Nous avons appris jeudi que M. Cohen était décédé. Des quatre coins du monde ont afflué tout de suite, sur les médias sociaux, des messages de célébrités, de politiciens et de gens de tous les horizons exprimant leur chagrin. Telle était l'influence de Leonard Cohen et de son œuvre.

En tant que Montréalais, comme M. Cohen, j'ai été particulièrement attristé par la nouvelle de son décès. Malgré sa renommée, ses voyages dans le monde, sa connaissance des autres cultures et des autres religions glanée au hasard de ses pérégrinations, il n'a jamais renié ses origines. Ce trait caractéristique de sa personne s'est manifesté une dernière fois de manière éloquente lors de son enterrement, qui a eu lieu discrètement, loin des projecteurs. Avant même que le monde apprenne sa disparition, il avait déjà été inhumé près de ses parents, à Montréal, la ville où il a grandi.

Leonard Cohen occupe une place spéciale dans mon cœur à cause de son attachement pour la Grèce. Lorsqu'il était dans la vingtaine, il s'est établi en Grèce et y a vécu pendant deux décennies. À son arrivée dans ce pays, il n'y avait pas d'électricité à l'île d'Hydra, où il avait élu domicile. On dit que c'est à cet endroit que Cohen a commencé à écrire la chanson Bird on the Wire ou l'oiseau sur le fil, qui témoigne du changement de paysage à Hydra, lorsque les poteaux et les fils téléphoniques et électriques ont été installés et que Cohen s'est mis à apercevoir des oiseaux perchés sur les fils à la fenêtre de sa chambre. C'est magnifique de simplicité.

Leonard Cohen a reçu de nombreux éloges tout au long de sa vie, mais celui qui illustre peut-être le mieux sa personnalité est celui qu'a rédigé son fils, Adam, vendredi dernier, que je cite :

Alors que j'écris ces lignes, je pense aux traits de personnalité uniques que présentait mon père, à savoir un mélange d'autodérision et de dignité, une élégance qui n'intimide pas, un charisme sans audace, des bonnes manières fleurant l'ancien continent et une œuvre monumentale.

Il aurait voulu remercier son père pour bien d'autres choses, poursuit-il, sentiment que nous partageons certainement.

Cela dit, nous serons éternellement reconnaissants à Leonard Cohen de l'œuvre qu'il nous a laissée. Leonard Cohen, une vraie légende canadienne.

[Français]

L'honorable Chantal Petitclerc : Honorables sénateurs, permettez-moi de joindre ma voix à celle du sénateur Housakos pour souligner le fait que, la semaine dernière, le Canada a perdu l'un de ses plus grands poètes et chanteurs. Pour le Montréalais Leonard Cohen, c'était « closing time », comme il le chantait lui-même.

À 82 ans, il a lancé son dernier album intitulé You Want it Darker, qui est paru il y a à peine quelques mois et qui a été salué par la critique. Cet album nous rappelle le talent indéniable de cet artiste qui a traversé les décennies en touchant au cœur toutes les générations. C'est pourquoi il laisse dans le deuil non seulement sa famille, ses proches et sa ville de Montréal, mais aussi tous les Canadiens.

Je suis moi-même une grande admiratrice de M. Cohen, et j'ai eu le privilège de le voir en spectacle à cinq reprises. Que ce soit à Montréal, à New York ou à Melbourne, en Australie, chaque fois, j'ai été bouleversée par la façon dont il touchait les gens par ses mots, sa grande générosité, sa tendresse envers ses musiciens, son sens de l'humour un peu noir, et par la clarté avec laquelle il appréhendait la vie.

Depuis son premier livre, paru en 1956, jusqu'à son dernier album, les thèmes universels qu'il explorait sont restés les mêmes : l'amour, la religion, le pouvoir et la mort. Il nous rappelait sans cesse que la vie n'est certes pas facile, mais qu'elle est incroyablement riche d'expériences et de bonheur.

Sa voix unique l'a fait connaître aux quatre coins de la planète, et c'est le monde entier qui pleure son départ. De Paris à Los Angeles, en passant par Londres, les artistes n'ont eu que de bons mots sur son talent, sa gentillesse et l'impact qu'il a eu dans leur vie.

Dans le quotidien The Guardian, on pouvait lire ceci le 11 novembre dernier : « Art lasts; life doesn't. » C'est un mince réconfort, mais il est vrai que Leonard Cohen restera parmi nous grâce à son art. Malgré cette consolation, permettez-moi de lui dire : « Merci, monsieur Cohen, vous allez nous manquer. »

[Traduction]

L'honorable Serge Joyal, C.P., O.C., O.Q.

Félicitations pour sa distinction d'Advocatus Emeritus que lui a décernée le Barreau du Québec

L'honorable Joseph A. Day (leader des libéraux au Sénat) : Honorables sénateurs, j'interviens aujourd'hui pour saluer notre collègue le sénateur Serge Joyal, qui a reçu récemment une distinction honorifique du Barreau du Québec. La distinction d'Advocatus Emeritus est attribuée « [...] parmi les membres qui se distinguent par l'excellence de leur carrière professionnelle, leur contribution exceptionnelle à la profession ou encore leur rayonnement exceptionnel dans leur milieu social et communautaire, lequel a rejailli sur la profession d'avocat. ».

Les lettres Ad. E., pour Advocatus Emeritus, s'ajoutent désormais à son nom. Elles expriment bien modestement son énorme contribution au Parlement, aux lois et à la société.

Le sénateur Joyal a consacré sa carrière à la défense des droits et libertés, selon la primauté du droit. Que ce soit en tant que parlementaire, juriste ou simple citoyen, il a constamment et résolument fait avancer ces principes.

[Français]

Je cite une partie de la lettre de la proposante concernant sa candidature :

Cette contribution particulière de Me Joyal à l'évolution de la règle de droit a été soulignée lors de son élection en 2015 à titre de membre spécial à la Société Royale Canada dans le texte même de la citation : « un juriste crédité d'une contribution atypique dans la reconnaissance des droits et libertés émergents qui ont transformé la société. Il les défend simultanément au Parlement et devant les tribunaux, renouvelant ainsi la définition du rôle traditionnel d'un parlementaire. »

[Traduction]

En fait, le sénateur Joyal est un exemple de sénateur dont le travail est reconnu à la fois au sein et en dehors de l'institution et qui devrait nous servir de modèle à tous.

Son apport à la réforme parlementaire, et tout particulièrement à celle du Sénat, est énorme. N'oublions pas non plus que la réputation que lui a value son ardeur au travail rejaillit sur le Sénat et sur nous tous.

Dans la brochure publiée à l'occasion de la cérémonie tenue en l'honneur des lauréats de cette année, chacun d'entre eux a proposé une citation.

(1500)

Le sénateur Joyal s'est servi de sa citation pour rappeler les principes qui ont guidé son travail.

[Français]

Le droit est indissociable de la sauvegarde des valeurs humanistes qui constituent le socle de notre vie en commun, soit le respect de la dignité inviolable de toute personne, de son autonomie de décision et de sa capacité d'agir librement.

[Traduction]

La restauration du centre Opinicon

L'honorable Bob Runciman : Honorables sénateurs, comme certains d'entre vous le savent, je représente la division sénatoriale des Mille-Îles et des lacs Rideau. Je vais parler aujourd'hui d'une initiative au cœur de la région des lacs Rideau qui a pour but de rendre à une propriété emblématique sa gloire d'antan et de bâtir une économie locale. Il s'agit de la restauration du centre Opinicon, à Chaffey's Lock.

Pavillon de pêche dans le style propre à la région des Adirondacks, le centre Opinicon constitue depuis un siècle un élément structural essentiel de la petite localité touristique où il se trouve. Symbole des jours glorieux de la rivière Rideau, ce vieux bâtiment de bois de forme irrégulière, comportant chambres d'hôte et salle à manger et entouré de petits chalets, d'un magasin général et d'un bar laitier, est situé sur une magnifique propriété de 16 acres sur les rives du lac Opinicon.

À son apogée, des dizaines de guides de pêche, de chasseurs et d'autres employés ont gagné leur vie au centre Opinicon, qui a été exploité par la même famille pendant plus de 90 ans. Cependant, les temps et les goûts ont changé, les riches pêcheurs américains ont cessé de venir et les règles imposées par le gouvernement ont rendu encore plus difficile de gagner sa vie. Le centre a fermé ses portes à la fin de la saison 2012. Ce fut un dur coup pour l'économie locale et régionale et un choc pour les habitants de la région, qui croyaient que le majestueux bâtiment allait demeurer pour toujours.

Mis aux enchères en décembre 2014, le pavillon a été acquis par Fiona McKean et son mari, Tobi Lütke, que vous connaissez peut-être comme président-directeur général de l'une des entreprises technologiques les plus dynamiques de l'heure au Canada, Shopify.

Je suis certain que les nouveaux propriétaires auraient pu trouver des occasions plus lucratives d'investir, mais Mme McKean gardait un souvenir impérissable du temps où, enfant, elle allait tous les jours prendre une crème glacée au bar laitier alors qu'elle séjournait dans un chalet à proximité du centre Opinicon. Cet endroit voulait dire quelque chose pour elle.

La restauration de cette propriété légendaire sous la direction de Mme McKean est certainement une œuvre d'amour, comme le prouvent sans l'ombre d'un doute les vidéos que celle-ci publie sur la page Facebook du centre Opinicon. Le centre est ouvert depuis deux ans, mais le projet de restauration se poursuit, avec l'aménagement d'une nouvelle salle à manger, d'un pub et d'une piscine. Pour l'instant, les nouveaux propriétaires s'investissent dans la collectivité locale en parrainant des soirées cinéma et des concerts gratuits ainsi que d'autres activités communautaires et de bienfaisance.

La collectivité les accueille à son tour. Comme le déclare l'homme d'affaires Dave Brown, de la société du patrimoine de Chaffey's Lock et de la région, les nouveaux propriétaires correspondent tout à fait à l'attitude gagnante des résidants de l'endroit. Pour reprendre les mots de M. Brown, je dirai qu'ils sont la cerise sur le gâteau.

Je rends hommage à Fiona McKean et à Tobi Lütke, qui allient l'ancienne économie et la nouvelle économie. J'en veux pour preuve le fait que ce bâtiment du XIXe siècle est maintenant muni d'un poste de recharge pour les voitures électriques. Cet heureux mariage est littéralement un don du ciel.

[Français]

La Société Santé en français

L'honorable Claudette Tardif : Honorables sénateurs, le 26 octobre dernier, des représentants de tous les réseaux de la Société Santé en français et leurs partenaires ont rencontré plusieurs députés et sénateurs à l'occasion d'une réception sur la Colline du Parlement. Je remercie les sénateurs et les députés qui se sont déplacés en grand nombre pour manifester leur appui aux communautés francophones en situation minoritaire dans le domaine de la santé en français.

Au cours de la semaine, les membres de la Société Santé en français se sont réunis en assemblée générale pour faire le point sur les grandes avancées de la dernière année. Le président de la société, le Dr Aurel Schofield, du Nouveau-Brunswick, a été reconduit dans ses fonctions pour exercer un troisième mandat de deux ans.

La Société Santé en français est devenue un pilier important pour les francophones en situation minoritaire en ce qui a trait à l'accès à des services de qualité en français dans le domaine de la santé tout au long du parcours d'une vie, qu'il s'agisse des soins de santé primaires, des soins à domicile ou des soins de longue durée. De plus, elle établit des bases solides au chapitre de la formation en français des ressources humaines dans le domaine de la santé.

Depuis sa création en 2002, et forte de ses 16 réseaux provinciaux, territoriaux et régionaux et de ses partenaires, la Société Santé en français a fait des progrès importants pour améliorer les services de santé offerts aux milliers de francophones et Acadiens vivant en situation minoritaire dans toutes les régions du pays. Le leadership dont elle a fait preuve a mené à des avancées notables et concrètes.

Les communautés francophones et acadiennes en situation minoritaire attachent énormément d'importance à l'accès aux soins de santé dans leur langue. De nombreuses études démontrent que les barrières linguistiques et culturelles rendent l'accès aux soins de santé plus difficile et qu'elles peuvent nuire à l'établissement d'un diagnostic juste et même compromettre l'adhésion de la personne à son traitement. Il est donc important de servir en français la clientèle francophone qui vit en milieu minoritaire, tout comme il est important de servir en anglais la clientèle anglophone du Québec.

Je tiens à féliciter et à remercier celles et ceux qui contribuent sans relâche au succès de la Société Santé en français.


AFFAIRES COURANTES

L'étude sur les obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne

Quatrième rapport du Comité des droits de la personne—Dépôt de la réponse du gouvernement

L'honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, la réponse du gouvernement au quatrième rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, intitulé Les nombreux oubliés : droits de la personne et transfuges nord-coréens, déposé au Sénat le 20 juin 2016.

[Traduction]

L'étude sur la question de la démence dans notre société

Dépôt du sixième rapport du Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie auprès du greffier pendant l'ajournement du Sénat

L'honorable Kelvin Kenneth Ogilvie : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur d'informer le Sénat que, conformément à l'ordre de renvoi adopté le 23 février 2016 et à l'ordre adopté par le Sénat le 27 octobre 2016, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a déposé auprès du greffier du Sénat le mardi 15 novembre 2016 son sixième rapport, intitulé La démence au Canada : Une stratégie nationale pour un Canada sensible aux besoins des personnes atteintes de démence.

(Sur la motion du sénateur Ogilvie, l'étude du rapport est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)

Pêches et océans

Autorisation au comité de siéger en même temps que le Sénat

L'honorable Fabian Manning : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l'article 5-5a) du Règlement, je propose :

Que le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans soit autorisé à se réunir le mardi 15 novembre 2016, à 17 heures, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l'application de l'article 12-18(1) du Règlement soit suspendue à cet égard.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée.)

(1510)

Finances nationales

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à reporter la date du dépôt de son rapport final sur la conception et l'application du programme de plusieurs milliards de dollars du gouvernement fédéral pour le financement des infrastructures

L'honorable Larry W. Smith : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant l'ordre de renvoi du Sénat adopté le mardi 23 février 2016, la date du rapport final du Comité sénatorial permanent des finances nationales concernant son étude sur la conception et l'application du programme de plusieurs milliards de dollars du gouvernement fédéral pour le financement des infrastructures soit reportée du 31 décembre 2016 au 30 juin 2018.

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, conformément à la motion adoptée par le Sénat le jeudi 3 novembre 2016, la période des questions aura lieu à 15 h 30.


ORDRE DU JOUR

Projet de loi de 2016 pour la mise en œuvre d'une convention et d'un arrangement relatifs à la fiscalité

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat

L'honorable Stephen Greene propose que le projet de loi S-4, Loi mettant en œuvre une convention et un arrangement en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et modifiant une loi relative à un accord semblable, soit lu pour la deuxième fois.

— Mesdames et messieurs, je suis heureux de prendre la parole aujourd'hui, bien que je me retrouve dans une situation que l'on pourrait qualifier de moderne. Je prends la parole en tant que sénateur ne faisant pas partie du gouvernement — et j'en suis fort aise — pour parrainer un projet de loi du gouvernement. Il s'agit du projet de loi S-4, Loi mettant en œuvre une convention et un arrangement en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et modifiant une loi relative à un accord semblable.

J'ai l'honneur d'être l'un des premiers sénateurs — et j'espère qu'il y en aura bien d'autres — qui, malgré le fait qu'ils soient généralement en désaccord avec le gouvernement actuel, ce qui est mon cas, savent reconnaître les bonnes idées et les bonnes politiques lorsqu'elles se présentent, et qui sont prêts à parrainer un projet de loi d'initiative ministérielle au Sénat lorsqu'ils ne sont pas contre les mesures proposées.

Or, non seulement ce projet de loi propose de bonnes mesures publiques, mais il est le résultat de travaux qui ont commencé sous le gouvernement conservateur. D'ailleurs, j'ai parrainé trois projets de loi similaires qui étaient pratiquement identiques à celui-ci au nom des gouvernements conservateurs précédents. Autrement dit, j'ai déjà parrainé des projets de loi parfaitement identiques lorsque je siégeais de l'autre côté du Sénat. Si j'ai déjà appuyé de tels projets de loi auparavant, je ne vois pas pourquoi je ne le ferais pas maintenant, puisque j'ose croire que je suis capable de défendre la même position peu importe de quel côté je me trouve.

Mesdames et messieurs, le projet de loi est le résultat de négociations entre le Canada et Israël en vue de mettre à jour la convention en matière d'imposition d'abord conclue en 1975, entre le Canada et Taïwan en vue de conclure un arrangement sur l'élimination d'obstacles fiscaux au commerce conformément à l'adhésion du Canada à la politique d'une seule Chine et, enfin, entre le Canada et Hong Kong afin de clarifier certaines définitions de l'accord fiscal en place.

La négociation de tels accords prend du temps. Cela ne se fait pas du jour au lendemain, mais plutôt pendant des années de pourparlers. On sait bien que le premier ministre Harper et son gouvernement appuyaient à la fois Israël et Taïwan. Le soutien indéfectible du Canada envers Israël sous l'ancien gouvernement s'appuyait sur le fait qu'Israël soit la seule vraie démocratie du Moyen-Orient. L'appui était réciproque, puisque Stephen Harper a été invité à s'adresser à la Knesset, à Jérusalem, un honneur que le pays n'avait jamais accordé auparavant à un premier ministre du Canada.

En ce qui concerne Taïwan, bien qu'on doive à Trudeau père d'avoir reconnu la République populaire de Chine et établi la politique « une seule Chine », les gouvernements conservateurs qui ont suivi se sont empressés d'accroître la coopération économique entre le Canada et Taïwan et de soutenir l'essor de sa démocratie. L'arrangement négocié entre le Bureau commercial du Canada à Taipei et le Bureau économique et culturel de Taipei situé à Ottawa aura pour effet d'offrir un cadre plus clair aux investisseurs des deux côtés du Pacifique et de stimuler les échanges commerciaux avec Taïwan, des échanges bilatéraux d'environ 7 milliards de dollars par année faisant de Taïwan notre 12e partenaire commercial en importance.

Bref, chers collègues, il s'agit en fait d'un projet de loi de continuité du gouvernement. L'arrangement en question, une entente en fait, est conforme au Modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune proposé par l'OCDE. Il s'ajoute aux 92 autres conventions fiscales que le Canada a établies avec d'autres administrations.

Le projet de loi favorise la continuité du gouvernement et sert l'intérêt public, comme je l'ai déjà mentionné. C'est une bonne politique publique car, en plus de stimuler le commerce grâce à une réduction des retenues d'impôt sur les mouvements de capitaux, il aidera les résidents des deux administrations concernées et leur famille à éviter une double imposition. Personne ne souhaite être imposé deux fois, surtout pas au Canada, où les taux d'imposition combinés peuvent dépasser les 50 p. 100. En l'absence d'une mesure législative comme le projet de loi S-4, c'est toutefois ce qui risque d'arriver aux Canadiens qui travaillent en Israël ou à Taïwan.

Les sénateurs se demandent peut-être pourquoi je dis que le Canada et Israël ont une entente, alors que le Canada et Taïwan ont un arrangement. C'est que les relations diplomatiques complètes existant entre le Canada et Israël permettent une entente formelle. Par ailleurs, conformément à la politique d'une seule Chine, le Canada entretient des relations diplomatiques, économiques et culturelles complètes avec la République populaire de Chine, tout en ayant avec Taïwan des relations économiques et culturelles de moindre envergure. Les relations complètes entre le Canada et Israël se prêtent à une entente; nos relations économiques et culturelles avec Taïwan se prêtent à un arrangement.

Pour les sénateurs qui sont curieux de l'effet qu'aura la conclusion d'un arrangement fiscal avec Taïwan sur les relations du Canada avec la Chine, comme je ne fais pas partie du gouvernement, je ne puis faire de déclaration officielle, mais je peux vous dire que Taïwan a conclu des arrangements similaires avec 30 autres pays et que le Canada et Taïwan coopèrent dans le cadre de nombreux organismes multilatéraux, tels que l'APEC et l'OMC, faisant la promotion d'un programme de libre-échange et de libéralisation économique.

La libéralisation économique et le libre-échange sont au cœur de la politique prônant les accords fiscaux. En tant que conservateur, je suis certes en faveur de toute politique qui vise à réduire les barrières au commerce, à l'investissement et à la mobilité internationale de la main-d'œuvre en atténuant les problèmes et le stress associés à une double imposition. J'ai appuyé un gouvernement qui a signé et négocié un nombre record d'accords de libre-échange, notamment l'accord de libre-échange Canada-Israël, le Partenariat transpacifique et, bien entendu, l'Accord économique et commercial global, ou AECG, entre le Canada et l'Union européenne.

Bien que ces accords soient des initiatives des conservateurs, ils ne représentent pas uniquement les valeurs conservatrices. Les libéraux ont réalisé la valeur du libre-échange durant les années 1990, après s'être rendu compte que le libre-échange entre le Canada et les États-Unis était en fait une bonne chose. De plus, le gouvernement actuel mérite des félicitations pour être parvenu à une entente finale avec l'Union européenne en ce qui a trait à l'AECG.

En conclusion, la convention et l'arrangement concernant la double imposition dont le présent projet de loi propose la mise en œuvre favoriseront la certitude, la stabilité et un meilleur climat d'affaires pour les contribuables et les entreprises au Canada et dans les pays partenaires. Plus important encore, ils aideront à solidifier davantage la position du Canada dans le monde de plus en plus concurrentiel du commerce et de l'investissement internationaux.

Pour toutes ces raisons, j'invite tous les sénateurs à appuyer le projet de loi. Merci beaucoup.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

La Loi sur les Indiens

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suspension du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénatrice Lankin, appuyée par l'honorable sénatrice Petitclerc, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription).

L'honorable Serge Joyal : Honorables sénateurs, je veux vous présenter certaines informations concernant le projet de loi S-3. Lorsque la sénatrice Lankin a présenté le projet de loi, à l'étape de la deuxième lecture, je lui ai demandé des détails concernant la consultation entreprise par le gouvernement au sujet du projet de loi. La sénatrice Lankin s'est engagée à fournir de plus amples renseignements, car l'exposé auquel elle avait assisté n'avait pas couvert cet élément des lois qui touchent les peuples autochtones.

Honorables sénateurs, je veux vous faire part d'une préoccupation que m'inspirent généralement les projets de loi concernant les Autochtones.

(1520)

Au point où nous en sommes dans les relations entre les peuples autochtones et le gouvernement du Canada, relations que le premier ministre qualifie comme étant « de nation à nation », je crois qu'avant de débattre tout projet de loi touchant les droits des peuples autochtones, nous devrions toujours nous demander s'ils ont participé aux discussions et aux échanges préliminaires qui ont précédé la rédaction du projet de loi et son dépôt au Parlement pour examen et adoption.

Je crois que nous en sommes actuellement à ce point. Nous ne devrions jamais, que ce soit au Sénat ou dans l'autre Chambre, amorcer le débat sur un projet de loi avant de nous être assurés que ce processus a été suivi et que les peuples autochtones et le gouvernement du Canada se sont entendus malgré leurs points de vue différents.

Cet aspect du droit constitutionnel canadien est maintenant bien établi. En 2004, la Cour suprême du Canada, dans les arrêts Nation haïda c. Colombie-Britannique et Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique, a clairement dit ce qui suit :

[...] lorsqu'un représentant de la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l'existence potentielle d'un titre ou de droits ancestraux et envisage des mesures susceptibles d'avoir un effet préjudiciable sur ces droits ou ce titre...

... la Couronne à l'obligation légale de consulter les collectivités touchées des Premières Nations.

Je dis cela parce que le projet de loi est essentiellement une mesure rectificative. En effet, il a pour titre : « Loi modifiant la Loi sur les Indiens (élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription) ».

La sénatrice Lankin a décrit d'une façon très éloquente l'objet du projet de loi. Il fait suite à une décision rendue en août 2015 par la Cour supérieure dans l'affaire Descheneaux. Dans cette décision, la cour a accordé un délai au gouvernement pour apporter les changements nécessaires à la Loi sur les Indiens. C'est ainsi que le gouvernement a déposé le projet de loi. Toutefois, celui-ci ne mentionne ni dans ses observations préliminaires ni dans son résumé que le gouvernement a consulté les peuples autochtones. C'est la raison de ma question sur la manière dont on s'y était pris pour consulter les Autochtones, que j'ai adressée à la sénatrice Lankin, il y a deux semaines, lorsqu'elle a présenté le projet de loi.

Je dois remercier la sénatrice Lankin parce qu'elle nous a transmis — je crois que tous les sénateurs ont reçu sa communication le 3 novembre — une note d'Affaires autochtones et du Nord Canada qui parle des consultations entreprises par le gouvernement.

La note nous informe que le gouvernement a consulté un certain nombre d'Autochtones entre septembre et octobre 2016. C'est plus ou moins la période pendant laquelle le projet de loi a été déposé. Si je lis ce qui figure à la page 2 de la note, les consultations ne sont pas encore terminées. J'ai appris qu'il y en aura le 16 novembre avec le Conseil tribal File Hills Qu'Appelle, le 26 novembre avec la nation des Malécites de Madawaska, le 23 novembre avec l'Atlantic Native Women's Association of Canada, le 24 novembre avec les Mi'gmawe'l Tplu'taqnn du Nouveau-Brunswick, le 1er décembre avec les Chefs du Sud du Manitoba et le 2 décembre avec l'Association des femmes autochtones du Québec.

Autrement dit, pendant que nous débattons le projet de loi, des consultations sont en cours. Je sais que nous devons respecter les délais fixés par les tribunaux. Je l'ai moi-même dit, et la sénatrice Lankin aussi. Cela nous met cependant dans une position difficile, car, tout en ayant l'obligation de respecter le délai, nous avons une obligation fiduciaire, comme gouvernement et comme Parlement, surtout au Sénat, envers les peuples autochtones.

À première vue, je ne trouve rien à redire sur le fond du projet de loi. Toutefois, il ne devrait être adopté qu'après la fin des consultations. En effet, d'après la liste des groupes autochtones que j'ai vue — j'ai la liste de tous les groupes consultés jusqu'au 20 octobre —, il reste encore des groupes qui n'ont pas eu l'occasion de présenter leur point de vue.

Je vois ici notre estimée collègue, la sénatrice Lovelace Nicholas, qui a également contesté la Loi sur les Indiens, il y a quelques années, au sujet de la situation des femmes aux termes de cette loi. Le projet de loi à l'étude vise essentiellement à remédier à une discrimination comparable touchant l'inscription.

Je ne veux pas retarder l'adoption du projet de loi, mais je pense que nous devons être très conscients du fait que ce que nous faisons ne correspond pas exactement à la façon dont nous devrions procéder, surtout dans le cas des mesures législatives concernant les Autochtones.

Le sénateur Sinclair était président de la Commission de vérité et de réconciliation. Si vous examinez les recommandations de la commission sous le titre « L'équité pour les Autochtones dans le système judiciaire », aux recommandations 50 et aux suivantes, il est très clair que, avant d'avancer, nous devons nous assurer que les Autochtones connaissent le point de vue du ministère de la Justice et du ministère des Affaires autochtones. Pourquoi? Parce que le Parlement et le gouvernement ont des obligations fiduciaires contradictoires.

D'une part, le gouvernement parle au nom de l'ensemble du Canada et défend les intérêts de tout le pays. De l'autre, il est fiduciaire des droits des Autochtones, fonction qui peut entrer en conflit avec la précédente. Voilà pourquoi la Commission de vérité et réconciliation a recommandé, au paragraphe 51, que les deux avis juridiques soient mis à la disposition des Autochtones pour leur permettre de voir comment ils ont été coincés entre les intérêts de tout le Canada et leurs propres intérêts, qui doivent pourtant être protégés en vertu des arrêts de la Cour suprême du Canada.

Voilà, Votre Honneur et honorable sénateurs, ce que je voulais dire officiellement aujourd'hui à l'étape de la deuxième lecture, parce que c'est un très important élément de l'avenir de nos relations avec les peuples autochtones. Il n'y a pas de mauvaise volonté. J'en suis tout à fait persuadé. Je crois cependant que, en étudiant un projet de loi de cette nature, nous devons respecter l'obligation constitutionnelle que nous avons. Je crois qu'il est particulièrement important de familiariser les nouveaux sénateurs avec notre façon de travailler dans le cas des peuples autochtones, car ce n'est pas la même que pour les autres groupes du Canada.

La responsabilité que nous avons envers les Autochtones lorsque nous débattons de projets de loi qui visent une réparation a été énoncée clairement dans au moins 10 décisions de la Cour suprême. Cependant, si bonne soit l'intention d'un projet de loi, les Autochtones doivent prendre part au débat et à l'étude, et comprendre ce que nous voulons accomplir avec le projet de loi.

Je vous remercie, honorables sénateurs, de m'avoir écouté. Je pense que c'est une chose que nous avons tous en commun, indépendamment de notre allégeance. Je ne crois pas aux allégeances lorsque nous débattons des questions dans ce domaine. C'est notre rôle, comme sénateurs, de veiller à être attentifs à notre devoir et à notre responsabilité constitutionnels envers les Autochtones.

Avec votre consentement, j'aimerais déposer pour les Journaux d'aujourd'hui le rapport du ministère des Affaires indiennes sur les consultations des Autochtones, la consultation qui a été faite plus tôt cet automne et une autre qui sera faite dans les prochaines semaines.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs, pour qu'il dépose le rapport?

Des voix : D'accord.

L'honorable A. Raynell Andreychuk : Le sénateur Joyal répondrait-il à une question?

Le sénateur Joyal : Avec grand plaisir, sénatrice.

La sénatrice Andreychuk : Vous et moi en parlons depuis longtemps. Je me souviens de la Loi sur le contrôle des armes à feu. Je me souviens de modifications aux lois sur la fonction publique, et cetera. Vous avez parlé de notre rôle fiduciaire, mais les tribunaux ont vraiment dit que le gouvernement devait tenir suffisamment de vraies consultations avant de modifier les droits des Autochtones en tenant compte de l'intérêt national. En adoptant le projet de loi à l'étape de la deuxième lecture, est-ce que nous et le gouvernement passons outre à notre responsabilité fiduciaire, en principe, en ne tenant pas suffisamment de vraies consultations?

(1530)

Le sénateur Joyal : Comme les honorables sénateurs l'auront compris, je devrais théoriquement répondre oui. Je vous rappelle par contre que la cour nous a accordé un laps de temps limité pour corriger la Loi sur les Indiens. Je serais incapable de me prononcer sur l'ampleur des consultations, puisque nous n'en sommes pas encore à l'étape de l'étude par le comité, mais à celle de la deuxième lecture. Ce sera au comité de convoquer suffisamment de témoins des peuples autochtones pour être certain que tous les groupes représentant les Autochtones concernés auront eu la chance de se faire entendre à l'intérieur du délai imparti.

Je pourrais vous citer d'autres décisions, mais je m'abstiendrai, parce que vous les connaissez mieux que moi. Je vous vois, vous, le sénateur Ogilvie et bon nombre de nos collègues, et je me rappelle qu'au printemps aussi nous avons dû étudier un projet de loi dans un laps de temps bien précis. C'est la même chose cette fois-ci : d'un côté, les consultations risquent de n'être pas aussi vastes qu'elles le devraient, mais de l'autre, le temps nous presse.

Le comité devrait entamer son étude, et nous aurons alors l'occasion d'entendre les représentants de ces groupes, qui sauront bien nous dire s'ils ont été consultés et s'ils souscrivent à l'objectif général poursuivi ici. Il s'agit d'un processus en deux étapes, et le gouvernement veut s'assurer dès maintenant qu'il se conforme aux directives du tribunal et qu'il agit dans la légalité. Les autres aspects, qui ont trait au registre, à l'appartenance et à la citoyenneté, seront abordés lors de la deuxième phase; le gouvernement aura alors plus de temps pour consulter et se conformer aux objectifs de la cour, mais au moins, la discrimination qui a présentement cours se sera dissipée.

Voilà où nous en sommes. D'une certaine manière, nous sommes pris par les délais imposés par les tribunaux. Certaines discriminations doivent être corrigées séance tenante. D'autres mesures suivront toutefois, et c'est dans ce contexte-là qu'il faut envisager les échéanciers et se rappeler que les groupes concernés doivent être entendus.

Il incombe au comité de nous faire savoir que les Autochtones, leurs droits, ainsi que le devoir du Sénat et du Parlement, ont été respectés conformément à la Constitution, qui exige que nous soyons des fiduciaires honnêtes des peuples autochtones.

(Le débat est suspendu.)

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, il est 15 h 30. Il est temps de passer à la période des questions. La ministre est présente. Le sénateur Joyal pourra utiliser le reste du temps de parole qui lui est alloué après cette période, s'il y a d'autres questions.


PÉRIODE DES QUESTIONS

Conformément à l'ordre adopté par le Sénat le 10 décembre 2015, visant à inviter un ministre de la Couronne, l'honorable MaryAnn Mihychuk, ministre de l'Emploi, du Développement de la main-d'œuvre et du Travail, comparaît devant les honorables sénateurs durant la période des questions.

[Français]

Le ministère de l'Emploi, du Développement de la main-d'œuvre et du Travail

Les organisations syndicales

L'honorable Claude Carignan (leader de l'opposition) : Madame la ministre, ma question porte sur le sujet très important de l'exercice libre et éclairé du droit de se syndiquer ou non. En 2004, la sénatrice Diane Bellemare a déclaré ce qui suit :

[...] nous sommes généralement d'avis qu'il faudrait un scrutin secret pour tous les cas d'accréditation syndicale. Rendre le processus d'accréditation transparent et démocratique, c'est faciliter l'accréditation d'un syndicat auprès des employés et assurer sa légitimité pour de meilleures relations de travail avec l'employeur. [...] la démocratie serait mieux servie par un scrutin secret et les employeurs accepteraient beaucoup plus facilement les résultats du choix de leurs employés de se syndiquer.

Madame la ministre, êtes-vous d'accord avec les propos de la sénatrice qui représente maintenant le gouvernement au Sénat?

[Traduction]

L'honorable MaryAnn Mihychuk, C.P., députée, ministre de l'Emploi, du Développement de la main-d'œuvre et du Travail : Je vous remercie de la question. Le choix entre un système de vérification des cartes et un scrutin secret est un enjeu important. À l'heure actuelle, le Sénat étudie le projet de loi C-4, qui vise à rétablir des relations raisonnables et transparentes entre les travailleurs et les employeurs.

Comme vous le savez, le processus lié au projet de loi était inhabituel. On n'a pas suivi la voie normale pour une mesure législative de cette nature.

Il n'y avait aucune raison de soupçonner que le système de vérification des cartes ne fonctionnait pas. En fait, il a fonctionné très bien pendant des décennies. Les modifications apportées ont rendu la syndicalisation plus difficile et facilité la révocation, ce qui a renforcé l'animosité entre les entreprises et le mouvement syndical. Ce n'est pas ce que nous voulons à l'ère de la quatrième révolution industrielle, qui se caractérise par des changements profonds et rapides.

Nous souhaitons que les relations de travail soient harmonieuses et que le patronat et les syndicats collaborent pour trouver des solutions à l'un des plus gros problèmes qui se posent au Canada et dans tous les pays industrialisés.

La question du vote présente une difficulté particulière puisqu'il y a des cas d'intimidation de la part de l'employeur, ou peut-être même une certaine nervosité.

Nous convenons probablement tous qu'un vote secret ne peut se tenir en toute sérénité dans de pareilles conditions. À l'heure actuelle, il est passablement difficile de tenir un vote dans une salle où l'employeur est présent. Le projet de loi C-4 rétablit un système respectueux qui a donné de bons résultats pour les entreprises et les syndicats pendant des années.

Les régimes à prestations déterminées

L'honorable James S. Cowan : Bienvenue, madame la ministre. Il y a quelques années, notre caucus a adopté la pratique d'inviter les Canadiens à lui suggérer des questions pour que nous les posions à la personne qui occupait alors le poste de leader du gouvernement au Sénat. Nous maintenons aujourd'hui cette tradition lorsque des ministres viennent nous parler.

Le sénateur Carignan se rappellera qu'il y a plusieurs années, lui et moi avons eu un échange au sujet des réflexions du gouvernement de l'époque concernant les régimes de pension à prestations cibles et les prestations différées comme solution de rechange dans la réforme des pensions. Un projet de loi soumis à la Chambre traite de la question des pensions dans la fonction publique, en particulier dans les sociétés d'État.

Au cours de la dernière campagne électorale, le chef du Parti libéral, qui est aujourd'hui premier ministre du Canada, a écrit une lettre au président de l'Association nationale des retraités fédéraux dans laquelle figurait le passage suivant :

À l'approche des élections de 2015, je voudrais rappeler ma position concernant les régimes à prestations cibles. Je continue de penser que, même si ces régimes peuvent convenir dans certains cas, tout changement apporté aux régimes de pension à prestations déterminées ne devrait concerner que les personnes qui adhéreront subséquemment à ces régimes. Les régimes de pension à prestations déterminées, qui ont déjà [été] financés par employés et les retraités, ne devraient pas être transformés rétroactivement en régimes à prestation cible.

(1540)

Est-ce la position du gouvernement du Canada?

L'honorable MaryAnn Mihychuk, C.P., députée, ministre de l'Emploi, du Développement de la main-d'oeuvre et du Travail : Je vous remercie de la question, sénateur Cowan. Je ferai de mon mieux pour y répondre, même si, comme vous le savez probablement, je partage les responsabilités liées à mon portefeuille avec le ministre Jean-Yves Duclos, dont le mandat comprend les systèmes de soutien aux Canadiens. Les régimes de pension relèvent de son mandat, mais je dois dire que je fais partie d'un gouvernement qui comprend et respecte l'importance de la négociation collective et du respect des travailleurs, et qui tient à protéger et à rendre accessibles les prestations offertes aux Canadiens. C'est précisément pour cela que nous avons réussi à négocier une entente avec les provinces canadiennes — ce qui n'est pas une mince tâche — afin d'établir un nouveau régime de cotisation au RPC pour que des centaines de milliers de Canadiens aient un régime de pension suffisamment généreux pour assurer leur sécurité financière lorsqu'ils décideront de prendre leur retraite.

Encore une fois, nous devons tenir compte de tous les éléments du régime de retraite, et nous observons une tendance à délaisser les régimes à prestations déterminées au profit de régimes à prestation cible afin de réduire les coûts.

Nous sommes sensibles aux conditions et aux promesses. Nous voyons la négociation collective comme un partenariat entre le travailleur et l'employeur. De tels détails peuvent être réglés dans le cadre de la négociation collective si elle se fait de façon ouverte et raisonnable.

Le sénateur Cowan : Je peux comprendre et je partage votre avis sur l'importance de la négociation collective. Évidemment, madame la ministre, vous n'êtes pas sans savoir que, dans le cas des employés actuellement syndiqués, l'employeur négocie avec le syndicat. Or, ce qui pose problème dans le cas qui nous occupe, c'est que les employés de société d'État à la retraite ne sont pas représentés par un syndicat. Il n'y a pas de négociation collective entre une société d'État et ses anciens employés.

Le gouvernement entend-il toujours respecter l'engagement pris par le premier ministre de ne pas transformer, de façon rétroactive, les régimes à prestations déterminées — dont profitent actuellement ces anciens employés et auxquels ils ont cotisé pendant toutes leurs années au travail — en régimes à prestations ciblées? Évidemment, il n'y aurait aucun problème si, au nom de ses membres, le syndicat décidait de négocier avec l'employeur en vue de transformer un régime à prestations déterminées en régime à prestations ciblées — je ne sais pas pourquoi il voudrait faire cela, mais il le pourrait, dans le cadre de la négociation collective.

Ce qui m'inquiète — et ce qui inquiète aussi les personnes qui m'ont demandé de poser cette question —, c'est le sort des employés retraités qui ne peuvent pas bénéficier du processus de négociation collective.

Mme Mihychuk : Je vous remercie, monsieur le sénateur. Je prends note de la question et j'obtiendrai une réponse auprès d'Emploi et Développement social Canada, des responsables des pensions et du Conseil du Trésor. S'il s'agit d'un dossier qui relève du gouvernement fédéral, nous allons probablement obtenir une réponse. De toute façon, je vous communiquerai la réponse à votre question.

Le Programme des travailleurs étrangers temporaires

L'honorable Douglas Black : Bienvenue, madame la ministre. L'embauche de travailleurs dans le secteur agroalimentaire de l'Alberta continue de présenter un défi de taille et de nuire à l'économie de cette province déjà mise à rude épreuve. Les chefs de file du secteur agroalimentaire albertain ont été encouragés par le rapport du Comité des ressources humaines de la Chambre des communes, qui a été présenté à l'autre endroit en septembre dernier et qui porte sur les correctifs à apporter au Programme des travailleurs étrangers temporaires.

La Fédération canadienne de l'agriculture a déclaré que le rapport recommande l'adoption d'une approche qui permettrait au secteur agroalimentaire canadien de faire face à la pénurie de main-d'œuvre qui frappe actuellement les producteurs de viande et les producteurs d'aliments pour le bétail de ma province.

Madame la ministre, ne pas agir revient à entraver l'action des entreprises et, partant, la compétitivité du Canada sur le marché mondial.

Madame la ministre, pouvez-vous dire au Sénat quand le gouvernement a l'intention de donner suite à ce rapport afin de remédier une fois pour toutes aux lacunes du Programme des travailleurs étrangers temporaires dans l'intérêt des entreprises agroalimentaires de l'Alberta?

L'honorable MaryAnn Mihychuk, C.P., députée, ministre de l'Emploi, du Développement de la main-d'œuvre et du Travail : Je vous remercie de votre question, sénateur Black. Il est moins courant que par le passé d'entendre parler de la pénurie de travailleurs en Alberta. Je suis très heureuse de constater qu'il y a une certaine reprise dans la province.

Pour ce qui est des travailleurs étrangers temporaires, le comité a fait paraître un rapport auquel nous avons l'obligation de répondre d'ici janvier, je crois. Nous sommes en train d'examiner cette réponse, qui ne tardera donc pas.

Dans l'ensemble, la position du gouvernement se résume à ceci : les Canadiens d'abord. S'il y a des Canadiens qui souhaitent travailler, nous devons penser à eux en premier. Il nous incombe de veiller à ce que chaque Canadien ait la possibilité de participer avec succès à la population active.

Les statistiques de beaucoup de nos collectivités autochtones, surtout dans les Prairies, révèlent un chômage effarant. Je devrais plutôt parler de non-participation à la population active parce que les chiffres du chômage ne tiennent compte que de ceux qui n'ont pas de travail depuis une période relativement courte de 12 mois. Les personnes sans emploi depuis plus longtemps ne sont même pas comptées dans les statistiques. De nombreuses collectivités ne souhaitent même plus coopérer avec Statistique Canada.

Nous estimons qu'il y a des milliers de personnes qui sont prêtes à travailler. D'après certains chiffres que j'ai eu l'occasion de voir, le chômage parmi les jeunes Autochtones dépasse 80 p. 100.

À un moment donné, le ministre Goodale a parlé d'un demi-million de jeunes Autochtones — il faudra que je vérifie ce chiffre — à la recherche d'occasions de travail. C'est un énorme défi pour le Canada.

Le Canada doit s'assurer de fournir les bons services et d'offrir les bonnes occasions qui permettront de répondre aux besoins des entreprises pour qu'elles ne manquent pas de travailleurs. En même temps, nous devons appuyer les travailleurs pour qu'ils puissent participer à la population active.

Nous mettons en œuvre des programmes spéciaux en collaboration avec le gouvernement de l'Alberta pour répondre aux besoins des sociétés qui comptent sur les travailleurs étrangers temporaires. Toutes les entreprises du Canada disent qu'elles préfèrent les travailleurs canadiens et qu'elles les choisiraient s'ils étaient disponibles et avaient les compétences nécessaires.

Nous allons donc faire un suivi et nous assurer d'examiner des programmes tels que BladeRunners, qui trouve du travail à tous les jeunes Autochtones du secteur est de Vancouver ayant recours à ses services. Nous sommes à la recherche de modèles novateurs pouvant nous assurer une main-d'œuvre qualifiée et fiable recrutée dans la population locale.

Lorsque cela est absolument impossible, nous pouvons envisager les travailleurs étrangers temporaires. Ils doivent pouvoir travailler dans de bonnes conditions. Nous devons assurer leur sécurité et leur accorder les mêmes droits et la même protection qu'à tous les autres travailleurs du Canada. Nous avons du chemin à faire à cet égard. Je ne suis pas sûre que tous les travailleurs soient protégés. Nous avons entendu parler d'un certain nombre de cas horribles. Nous avons donc l'intention d'intensifier les inspections sur place. Auparavant, il y avait un programme d'inspection sur papier. Maintenant, nous envisageons des inspections sur place.

Nous augmenterons la protection des travailleurs et, si les entreprises en ont besoin, nous serons là pour les aider. Nous nous montrerons flexibles et collaborerons avec les sociétés parce que nous voulons bâtir une économie forte afin d'augmenter le nombre d'emplois et de trouver les travailleurs pouvant les occuper.

Je vous remercie de votre question.

Le sénateur Black : Merci, madame la ministre. Je conviens bien sûr qu'il y a d'énormes possibilités d'emploi pour les jeunes Autochtones, mais il faut bien se rendre compte entre-temps que le travail ne se fait pas dans les exploitations agricoles car, pour beaucoup des emplois dont nous parlons, les gens qui entrent sur le marché du travail ne veulent pas accepter du travail dans les parcs d'engraissement et les entreprises agroalimentaires. C'est une réalité que nous devons affronter.

Pendant que nous mettons en œuvre les programmes dont vous parlez, il y a des sociétés qui font faillite ou qui quittent le Canada pour aller s'établir aux États-Unis. Nous ne pouvons pas accepter cette situation. Je voudrais donc vous exhorter, madame la ministre, à entreprendre les programmes et les études que vous avez mentionnées, mais, je vous en prie, faites vite.

(1550)

Mme Mihychuk : Oui, absolument. Notre objectif — en fait, nous n'avons nullement l'intention de réduire à 10 p. 100 la proportion autorisée de travailleurs étrangers temporaires. Plusieurs entreprises nous ont indiqué qu'un tel changement serait beaucoup trop radical et qu'elles n'arriveraient pas à s'adapter rapidement. Nous devons donc faire preuve de souplesse et collaborer avec les entreprises qui comptent sur ces travailleurs.

Les perceptions changent, comme le montrent certains exemples formidables. La Chambre de commerce de la Saskatchewan a mis sur pied un programme appelé « Let's Try That Twice », qui vise à explorer de nouvelles manières d'embaucher des gens de l'endroit pour le genre de travail en cause.

Je suis fière de dire que j'ai rencontré des représentants de la Canadian Cattlemen's Association ce matin à mon bureau. L'un d'entre eux est propriétaire d'un parc d'engraissement de la région de Calgary et l'autre, un jeune éleveur québécois de 26 ans ayant pris en charge l'exploitation familiale, laquelle emploie six personnes, dont quatre femmes. Une telle proportion est remarquable et c'est ce que je vise pour les Prairies. Nous aussi pouvons le faire. J'en suis consciente. Je me réjouis de travailler avec eux.

L'agroalimentaire a été désigné comme une industrie à haut potentiel de développement économique au Canada. Cette grappe industrielle renferme d'énormes possibilités.

Je suis très impatiente de travailler avec les gens du secteur agricole. Je suis originaire des Prairies. Comme j'ai été moi-même propriétaire d'une ferme, je peux comprendre leur point de vue. Il s'agit d'une industrie très importante et je comprends votre inquiétude.

L'industrie aérospatiale

L'honorable Leo Housakos : Madame la ministre, merci de votre présence aujourd'hui. En juin dernier, avant la relâche parlementaire estivale, le Sénat a pris soin de débattre du projet de loi C-10 qui modifie la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada. Madame la ministre, vous aviez promis 20 millions de dollars à l'industrie aérospatiale du Manitoba afin de compenser la perte sèche que subirait la province à la suite de l'adoption du projet de loi.

Mon collègue, le sénateur Plett, a dû menacer publiquement de retarder l'adoption du projet de loi C-10 pour que le gouvernement se décide à respecter ne serait-ce qu'une partie de cet engagement. Le gouvernement a alors offert d'investir 10 millions de dollars. Le sénateur Plett a continué d'insister pour qu'il verse la somme promise et, la semaine suivante, le gouvernement s'est engagé à investir 15 millions de dollars.

Peu avant le vote, alors que le sénateur Plett prononçait son discours à l'étape de la troisième lecture, le gouvernement a craint que le Sénat ne rejette le projet de loi. Il a finalement respecté son engagement initial et versé 20 millions de dollars.

Pourquoi a-t-il fallu une intervention aussi musclée de la part du Sénat, particulièrement du sénateur Plett, pour que le gouvernement respecte son engagement? Les libéraux n'y voyaient-ils qu'une promesse électorale qu'ils n'avaient pas l'intention de concrétiser? Ou serait-ce que vous-même, madame la ministre, avez fait des promesses électorales improvisées à l'insu du premier ministre?

L'honorable MaryAnn Mihychuk, C.P., députée, ministre de l'Emploi, du Développement de la main-d'œuvre et du Travail : Je vous remercie de votre question. L'industrie aérospatiale est d'une grande importance au Manitoba. J'ai travaillé de près avec cette industrie pendant de nombreuses années à titre de ministre de l'Industrie; je me suis aussi penchée sur les plans détaillés des sites, la formation et le recrutement en tant que ministre du Commerce. L'aérospatiale joue un rôle particulièrement important au Manitoba. C'est un secteur qui nous inspire une grande fierté.

Je suis évidemment très fière de représenter le Manitoba et je défends ardemment ses intérêts. Vous pouvez être certains que je profite de toutes les occasions pour défendre les intérêts de ma région. J'étais donc particulièrement fière quand deux premiers ministres ont communiqué avec moi de façon confidentielle — du moins, c'est ce que je croyais — lorsqu'ils ont commencé à examiner des façons de renforcer l'industrie aérospatiale du Manitoba.

Le gouvernement libéral comprend toute la valeur de l'innovation et de l'esprit d'entreprise. Je suis donc ravie que nous ayons un plan solide pour renforcer l'industrie aérospatiale du Manitoba.

Le sénateur Housakos : Madame la ministre, le Manitoba a-t-il reçu les 20 millions de dollars qui lui avaient été promis lors des dernières élections et qui ont été reconfirmés en juin dernier?

Mme Mihychuk : Eh bien, cela ne concerne pas tout à fait les compétences et la formation, mais je vais essayer de vous répondre à titre de Manitobaine fortement attachée à sa province.

Je peux vous dire que les Manitobains se réjouissent de la possibilité d'élargir le secteur aérospatial. Le précédent gouvernement néo-démocrate provincial et l'actuel gouvernement conservateur se sont penchés sur le dossier.

Je ne suis pas au courant du budget relatif aux transports et ne puis donc répondre à la question. Je pourrais prendre la question en délibéré et voir si je peux vous donner ultérieurement une réponse concluante.

La négociation collective des employés de la GRC

L'honorable Frances Lankin : Bienvenue, madame la ministre, je vous remercie de votre présence. J'aimerais revenir aux observations que vous avez faites sur le droit de mener librement des négociations collectives entre le syndicat et le patronat et vous interroger sur le sort du projet de loi C-7.

Ce projet de loi, qui avait été présenté pour permettre la syndicalisation des employés de la GRC dans l'ensemble du pays, comportait, lorsque nous en avons été saisis, une longue liste d'éléments exclus de la négociation collective, concernant par exemple l'équipement, le harcèlement, bref, toute une série de questions. Le Sénat s'en inquiète, tant du point de vue du droit constitutionnel de la liberté d'association que de la comparaison que l'on peut en faire avec la situation d'autres forces policières dans le pays.

Un certain nombre d'amendements ont été proposés et adoptés en comité ainsi qu'à l'étape de la troisième lecture, avec le soutien d'une nette majorité du Sénat.

Pourriez-vous, madame la ministre, faire le point sur la situation du projet de loi C-7. Nous n'avons constaté aucune mesure prise à la Chambre des communes. Quand pouvons-nous nous attendre à ce que le projet de loi nous soit renvoyé? Quand les agents et les employés de la GRC auront-ils le droit de négocier collectivement toute une série de questions, à l'instar des autres forces de police du pays?

L'honorable MaryAnn Mihychuk, C.P., députée, ministre de l'Emploi, du Développement de la main-d'œuvre et du Travail : Je vous remercie de poser la question.

Pour ce qui est du projet de loi sur la GRC, soit le projet de loi C-7, il relève du mandat des ministres Goodale et Brison, mais je perçois un sentiment de respect du fait que le Sénat apporte des réactions importantes et engagées au texte législatif. Votre réflexion sur les projets de loi est donc importante. Vos recommandations font l'objet d'une discussion sous le signe du respect, de l'honnêteté et de l'ouverture. C'est à peu près tout ce que je peux dire, sauf que votre second examen des projets de loi a été précieux. Il l'a été pour le projet de loi C-14, et vos commentaires au sujet du projet de loi C-7 sont pris très au sérieux.

La sénatrice Lankin : Très rapidement, j'ai une question complémentaire. Comme je connais bien vos antécédents, je sais déjà la réponse à la question de savoir si vous appuyez la libre négociation collective et la négociation d'enjeux comme des dispositions sur le harcèlement.

Pendant les audiences du comité, le commissaire de la GRC a dit essentiellement que ces dispositions et exclusions sont superflues. Nous ne croyons pas, s'il faut prendre ce témoignage au pied de la lettre, qu'il y ait d'autres obstacles.

Accepteriez-vous de parler au ministre Goodale? Je n'ai pas eu la chance de lui poser cette question quand il était ici. Nous avons manqué de temps. Pourriez-vous nous relayer sa réponse?

Mme Mihychuk : Je serai ravie de discuter de la question du harcèlement en milieu de travail. En fait, nous lançons une série de consultations pancanadiennes au sujet du harcèlement, et je travaille de concert avec la ministre Hajdu dans ce dossier.

Même si la GRC a sa propre loi, il est important pour nous d'examiner les milieux de travail où nous n'avons pas constaté de changement de culture. J'ai eu la chance d'assister aux excuses officielles.

(1600)

Il ne fait aucun doute que les femmes sont confrontées à d'horribles cas d'intimidation et de harcèlement en milieu de travail, et cela est totalement inacceptable. Après 38 ans dans l'industrie minière, il nous est arrivé d'avoir d'énormes défis à relever afin de briser le « plafond d'acier inoxydable ».

Le problème du harcèlement est donc généralisé. Nous allons entendre des Canadiennes et Canadiens de tous les horizons qui travaillent dans différents milieux, y compris des policiers. Je parlerai au ministre en votre nom.

L'honorable Jane Cordy : Je remercie la sénatrice Lankin de ses excellentes questions, et je vous remercie, madame la ministre, de vos commentaires au sujet du respect que vous montrez envers le Sénat et les sénateurs pour le second examen objectif qui est mené dans cette enceinte.

Comme la sénatrice Lankin toutefois, je me demande ce qui s'est passé avec le projet de loi C-7. Il semble avoir disparu quelque part dans un puits sans fond. Quand nous examinons la culture en place à la GRC, je sais que des excuses officielles ont été présentées et que des efforts ont été déployés pour changer cette culture. Toutefois, quand nous regardons ce que contenait le projet de loi C-7 lorsqu’il a été présenté au Sénat, nous savions qu’il fallait y apporter des amendements. Pour que la GRC puisse véritablement se syndiquer et être en mesure de composer avec les allégations qui ont été faites à son égard et, dans certains cas, les situations de harcèlement avéré, il fallait que le projet de loi soit modifié.

Quand vous parlerez au ministre, pourriez-vous lui demander à quel moment nous pouvons nous attendre à ce que le projet de loi C-7 revienne devant le Sénat, de la même manière, du moins l'espérons-nous, qu'il a été retourné à la Chambre des communes? Quoi qu'il en soit, quand reverrons-nous le projet de loi C-7 dans cette enceinte? Si nous voulons améliorer les choses pour les membres de la GRC — et si j'en juge par le nombre de lettres qu'ils m'ont fait parvenir, ils veulent de l'action; ils veulent un syndicat qui leur procurera de l’aide et l'assurance que s'ils se trouvent dans des situations difficiles, leur statut de syndiqué leur permettra de lutter pour améliorer leurs conditions de travail à la GRC.

Mme Mihychuk : Je vous remercie de la question. Je me renseignerai volontiers.

Je dois dire que notre programme pour le présent trimestre est bien rempli. Nous avons présenté de nombreux projets de loi et de nombreuses initiatives. Je vais vérifier auprès du ministre pour savoir où ce projet de loi se situe dans la liste de priorités et insister sur le fait que nous voulons qu'il progresse le plus rapidement possible. Je suis très contente d'avoir été invitée à participer au processus avec le ministre Goodale, même si le projet de loi ne relève pas précisément de mon mandat. Je serai donc heureuse de me renseigner davantage et de vous revenir avec une réponse.

La création d'emplois

L'honorable Joseph A. Day (leader des libéraux au Sénat) : Madame la ministre, merci d'être ici. Bien que ma question se rapporte partiellement au sujet des travailleurs étrangers temporaires dont vous avez parlé avec le sénateur Black, elle est davantage axée sur nos travailleurs locaux nationaux temporaires, et plus précisément sur le problème qui concerne le groupe des 15 à 24 ans.

Ces jeunes ont vu la reprise économique entêtée qui a suivi la crise financière mondiale de 2008. Il n'y a pratiquement aucune reprise soutenue des taux d'emploi. Selon les statistiques, beaucoup d'emplois sont créés, mais lorsqu'on cherche à savoir de quel type d'emplois il s'agit, on constate que la plupart sont des emplois temporaires et faiblement rémunérés. La proportion d'emplois qui sont temporaires est passée d'un emploi sur quatre en 1997, soit 25 p. 100 des emplois, à pratiquement un tiers des emplois à l'heure actuelle.

Madame la ministre, nous sommes conscients que le gouvernement a établi son Groupe d'experts sur l'emploi chez les jeunes, et que vous facilitez en même temps l'entrée au pays de travailleurs étrangers temporaires et d'étudiants étrangers qui sont autorisés à travailler. Le nombre de jeunes travailleurs qui entrent au Canada chaque année dans le cadre du programme Expérience internationale et des programmes de réciprocité a également doublé depuis 2006. J'aime ces programmes visant à donner aux étudiants étrangers une expérience canadienne et vice versa. Or, vous faites venir ces jeunes travailleurs étrangers au Canada, alors que nous avons beaucoup de jeunes Canadiens qui n'obtiennent pas de bonnes expériences d'emploi. Cela m'inquiète beaucoup.

Comment conciliez-vous ces approches différentes dans la politique du gouvernement?

L'honorable MaryAnn Mihychuk, C.P., députée, ministre de l'Emploi, du Développement de la main-d'œuvre et du Travail : Je vous remercie de la question. Il est tellement important que nous concentrions notre attention sur les jeunes au Canada. La tendance au travail précaire se renforce. Il est beaucoup plus difficile pour eux de trouver un premier emploi. Il est beaucoup plus difficile pour les jeunes d'acquérir une expérience valable et de rester sur ce type de parcours professionnel que cela ne l'a été pour moi. Les exigences sont tellement plus élevées; la barre est placée plus haut. Il faut au minimum avoir terminé la 12e année. N'oublions pas que, dans les Prairies, 70 p. 100 des Autochtones — dont la cause est une de mes passions, de toute évidence — ne terminent pas l'école secondaire. Soixante-dix pour cent. Sommes-nous prêts à laisser tomber un groupe complet? Je dirais que non.

Il y a des défis énormes. De surcroît, ils n'ont pas connu un redressement semblable à celui que l'on a observé dans d'autres cohortes des mêmes catégories d'âge.

Nous agissons de différentes manières. Évidemment, nous avons augmenté le nombre d'emplois d'été, qui sont passés de 34 000 à 78 500. Ainsi, les jeunes ont une possibilité d'acquérir de l'expérience pratique. Nous avons ouvert le programme aux petites entreprises et elles ont permis une hausse de 200 p. 100 en engageant des jeunes dans leurs ateliers et en leur trouvant un travail valable. Nous poursuivrons ce programme et nous l'élargirons pour y inclure les sciences, les technologies, l'ingénierie et les mathématiques, parce qu'il y a des possibilités dans l'aérospatiale. On examinera les possibilités de carrière dans ces domaines. Ceci constitue un élément des démarches que nous avons entreprises.

L'autre élément est l'apprentissage intégré. Le Canada n'est pas sans rival dans les domaines de l'apprentissage et de l'enseignement coopératif. Nous pourrions faire mieux. D'autres pays du G8 s'en sortent mieux. Nous devons trouver le moyen d'améliorer notre système, parce qu'on entend souvent les entreprises dire : « Nous voulons des jeunes. Nous serions prêts à les engager, mais ils n'ont pas d'expérience. Les travailleurs qualifiés que nous cherchons ne se trouvent pas parmi les jeunes. »

Nous voulons changer la culture des entreprises et considérer l'embauche de ces jeunes gens brillants comme une responsabilité et une chance. Ils sont enthousiastes, pleins d'énergie et très instruits.

Notre population est la plus instruite du monde. Nous ne pouvons pas tolérer que ces jeunes restent dans un sous-sol à jouer à Candy Crush ou aux jeux auxquels ils jouent. Ils veulent travailler. Par ailleurs, beaucoup de ceux qui travaillent ont un petit boulot, parfois deux ou trois, rien que pour joindre les deux bouts.

L'apprentissage en milieu de travail sera une des initiatives majeures du gouvernement. Nous espérons la mettre en place bientôt et avoir sous peu des annonces à ce sujet.

L'industrie s'est réellement mobilisée. Le Conseil canadien des affaires a fixé à 100 p. 100 son objectif de participation des étudiants de niveau postsecondaire à l'apprentissage en milieu de travail. Force est de reconnaître qu'il a placé la barre haut. Si cet objectif était atteint, les jeunes auraient ce niveau d'expérience et ce serait d'une grande aide.

L'expérience professionnelle est la clé. Nous travaillons avec les entreprises, les établissements — collèges et université — et les syndicats. Nous allons investir 85 millions de dollars dans la formation en milieu syndical. Pourquoi? Parce que, quand on examine les données et les recherches, la formation en milieu syndical a un taux de réussite proche de 100 p. 100. Quand quelqu'un passe par un atelier syndical, cette personne est guidée et aidée tout au long des niveaux d'apprentissage 1, 2, 3 et 4; elle bénéficie d'un encadrement, d'un mentorat et d'une aide pour tenir bon dans le système. Les syndicats travaillent avec des entreprises qui sont souvent celles qui fournissent l'équipement de ces centres de formation, ce qui signifie qu'il est à la fine pointe, pour que le travailleur soit pleinement intégré dans l'entreprise et prêt à aller travailler.

C'est un système dans lequel le taux d'obtention du diplôme est proche de 100 p. 100, un chiffre bien différent de la moyenne d'achèvement des programmes d'apprentissage au Canada, qui est décevante. Entre 49 et 52 p. 100 des programmes d'apprentissage entamés sont effectivement achevés.

(1610)

Nous investissons beaucoup d'argent dans les programmes d'apprentissage, mais, compte tenu d'importantes difficultés systémiques, nous n'atteignons pas nos objectifs, puisque nous avons un taux de non-réalisation de 50 p. 100. Nous allons nous pencher sur la meilleure façon de procéder et nous verrons comment les choses iront. Nous avons prévu la somme de 85 millions de dollars. J'espère pouvoir faire une annonce sous peu à cet égard, ainsi qu'au sujet d'Emplois d'été Canada, de l'apprentissage en milieu de travail et de partenariats avec les secteurs d'activité. Nous allons tenter d'aider les jeunes à intégrer le milieu du travail.

[Français]

Les organisations syndicales

L'honorable Jean-Guy Dagenais : Honorables sénateurs, j'espère que la ministre a pris connaissance de l'article paru ce matin dans le Globe and Mail au sujet des manipulations financières criminelles effectuées par des dirigeants syndicaux de l'Association de la Police provinciale de l'Ontario. J'espère également qu'elle est au courant de révélations semblables qui ont été faites à la Commission Charbonneau, qui s'est tenue au Québec.

Le gouvernement précédent avait mis en place des mesures afin de protéger les syndiqués contre les abus potentiels que pourraient commettre leurs dirigeants avec l'argent des cotisations. Même si j'ai déjà été président d'une association de travailleurs, j'ai tout de même défendu personnellement ce projet de loi.

Les syndicats sont devenus de véritables entreprises, voire des empires dans certains cas. Le projet de loi C-377 protégeait les travailleurs syndiqués et le projet de loi C-4 a pour effet de défaire ce que l'ancien gouvernement avait fait.

Mis à part une dette politique du gouvernement actuel envers les puissants chefs de syndicats — je ne parle pas ici des syndiqués, mais bien des chefs syndicaux —, la ministre peut-elle nous expliquer la décision qui a été prise d'exempter les syndicats de l'obligation de déposer leurs états financiers, comme le font toutes les organisations et toutes les entreprises de ce pays?

[Traduction]

L'honorable MaryAnn Mihychuk, C.P., députée, ministre de l'Emploi, du Développement de la main-d'œuvre et du Travail : Le projet de loi C-377 représente une moitié du nouveau projet de loi C-4. Le projet de loi C-377 imposait des obligations financières aux syndicats. De nombreuses personnes ont affirmé que c'était injuste et que cela ne faisait que produire en double des renseignements déjà à la disposition des syndiqués. Qui plus est, cela semblait pénaliser injustement les syndicats par rapport à d'autres organisations ayant des responsabilités semblables, notamment les associations professionnelles.

Le projet de loi semblait vraiment cibler certaines organisations. Personne ne veut bien sûr laisser entendre que les activités criminelles sont acceptables, peu importe s'il s'agit d'une entreprise, d'un organisme sans but lucratif ou d'une association professionnelle. Cependant, nous savons que cela se produit. Ce genre d'examen et de réflexion n'est donc pas interdit par les normes actuelles qui faisaient déjà partie de la loi avant le projet de loi C-377. En fait, tous les renseignements financiers exigés au titre de l'ancienne mesure étaient suffisants pour découvrir les faits, puis donner suite à ce type d'accusation.

L'objet du projet de loi C-4, en fait, est de faire économiser de l'argent au gouvernement du Canada. Les formalités administratives qui allaient être créées allaient coûter des millions de dollars à l'Agence du revenu du Canada. Le projet de loi allait aussi créer une situation injuste. Il n'est tout simplement pas nécessaire. Les renseignements financiers nécessaires étaient déjà divulgués dans le cadre de l'ancien système, et c'est cette voie que le gouvernement compte suivre.

Le Programme des travailleurs étrangers temporaires

L'honorable Nancy Greene Raine : Merci beaucoup, madame la ministre, d'être venue ici aujourd'hui.

Ma question concerne aussi le Programme des travailleurs étrangers temporaires, et j'espère que vous savez qu'il cause de graves problèmes au secteur du ski dans l'Ouest canadien, où je travaille depuis 40 ou 50 ans.

Dans sa version originale, le Programme des travailleurs étrangers temporaires fonctionnait et était très bien respecté. Les modifications apportées ont engendré toutes sortes de problèmes, même que les pénuries de travailleurs ont doublé de 2014 à 2015. À l'heure actuelle, des établissements ferment des locaux et réduisent leurs heures parce qu'ils n'arrivent pas à trouver suffisamment d'employés. Ils perdent des ventes et refusent des clients. Les répercussions sur les revenus tirés du tourisme au Canada sont importantes : on perd plus de 1 milliard de dollars de revenus directs.

Son Honneur le Président : Excusez-moi, sénatrice Raine. Le temps réservé à la période des questions est écoulé. Si vous pouviez poser rapidement votre question, nous demanderons le consentement pour que la ministre y réponde.

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

La sénatrice Raine : J'aimerais préciser que la ministre connaît les difficultés auxquelles sont confrontés les lieux de villégiature à l'extérieur des villes au Canada. Je sais que le comité de la Chambre des communes a produit un rapport et que vous vous apprêtez à y répondre. Je veux m'assurer que vous comprenez que la situation est critique.

L'honorable MaryAnn Mihychuk, C.P., députée, ministre de l'Emploi, du Développement de la main-d'œuvre et du Travail : Merci de poser cette question. Bien entendu, chaque fois qu'une entreprise aura de la difficulté à trouver des travailleurs, je collaborerai avec elle pour m'assurer qu'elle y arrive, que ce soit des travailleurs étrangers temporaires ou des gens recrutés sur place. Nous savons que, pour certains postes, un travail doit se faire avant l'embauche et nous le ferons certainement. Je pense que l'industrie du tourisme de votre région peut compter sur nous. La dernière chose que nous voulons voir, c'est une entreprise qui déménage ou qui ne trouve pas les ressources humaines dont elle a besoin.

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, la période des questions est maintenant terminée. Je suis convaincu que vous vous joindrez à moi pour remercier la ministre Mihychuk de s'être prêtée à cet exercice.

Je vous remercie, madame la ministre.


ORDRE DU JOUR

La Loi sur les Indiens

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénatrice Lankin, C.P., appuyée par l'honorable sénatrice Petitclerc, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription).

L'honorable Yonah Martin (leader adjointe de l'opposition) : Honorables sénateurs, je propose l'ajournement du débat.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d'un retraité d'Air Canada de la Nouvelle-Écosse, M. Alec McQuinn. Il est accompagné de son épouse, Sheilagh, qui est elle aussi retraitée et qui a fait carrière comme infirmière au ministère des Anciens Combattants, ainsi que de James Bowie, un retraité de Hewlett Packard de l'Ontario et de son épouse, Diane Bowie, une ancienne fonctionnaire fédérale aujourd'hui retraitée. Au nom de tous les honorables sénateurs, bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le Budget des dépenses de 2016-2017

Autorisation au Comité des finances nationales d'étudier le Budget supplémentaire des dépenses (B)

L'honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 3 novembre 2016, propose :

Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à étudier, afin d'en faire rapport, les dépenses prévues dans le Budget supplémentaires des dépenses (B) pour l'exercice se terminant le 31 mars 2017.

— Je serai bref, honorables sénateurs.

Cette motion vise à renvoyer le Budget supplémentaire des dépenses qui a été déposé la semaine dernière au Comité des finances nationales afin qu'il puisse en faire son étude habituelle et nous fasse rapport de ses conclusions avant que nous y mettions la dernière main. Je vous exhorte à l'adopter.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée.)

La Loi sur les aliments et drogues

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénatrice Stewart Olsen, appuyée par l'honorable sénatrice Johnson, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-214, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (cosmétiques sans cruauté).

L'honorable Don Meredith : Honorables sénateurs, j'aimerais parler de ce projet de loi, alors je propose que le débat soit ajourné à mon nom.

(Sur la motion du sénateur Meredith, le débat est ajourné.)

(1620)

La Loi sur l'hymne national

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénatrice Nancy Ruth, appuyée par l'honorable sénateur Tkachuk, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-210, Loi modifiant la Loi sur l'hymne national (genre).

L'honorable Nicole Eaton : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat, je demande que, après mon intervention, le débat demeure ajourné au nom du sénateur Wells.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

La sénatrice Eaton : J'interviens aujourd'hui pour participer au débat sur le projet de loi C-210, Loi modifiant la Loi sur l'hymne national.

Qui aurait cru que les paroles « in all thy sons command » provoqueraient autant de commentaires et un débat aussi vaste?

Examinons les points de vue qui ont été exprimés jusqu'ici dans cette enceinte dans le cadre du débat sur la proposition voulant que notre hymne national respecte le principe de l'égalité des sexes.

Dans le discours qu'elle a prononcé à titre de marraine du projet de loi, la sénatrice Nancy Ruth a parlé avec passion du respect de notre héritage culturel et de son évolution.

Le sénateur Wells nous a mis en garde contre la tentation d'« édulcorer », pour des motifs de rectitude politique, l'hymne que la plupart d'entre nous connaissent depuis l'enfance.

Le sénateur Munson a dit que, selon lui, le projet de loi vise le respect des droits et du rôle des femmes dans la société.

La sénatrice Omidvar a souligné que l'inclusion signifie accroître la visibilité de la diversité et que le langage constitue un pas important dans cette direction.

La sénatrice McCoy nous a exhortés, en tant que « conseil des anciens », à ne pas faire comme on a toujours fait.

Enfin, lors d'un discours des plus émouvants et mémorables, la sénatrice Cools nous a rappelé avec éloquence que notre hymne national est une oriflamme qui nous a été transmise et que nous devons continuer de transmettre. En fait, elle a soutenu qu'il ne nous appartient pas de modifier ou de récrire notre hymne national.

Je lui sais gré de nous avoir rappelé que notre hymne national est, comme elle l'a décrit, un « art sacré ». Je reviendrai dans quelques instants sur cette notion selon laquelle l'hymne est un art.

Honorables collègues, le débat jusqu'à maintenant montre clairement que l'idée de modifier notre hymne national, même légèrement, suscite une passion inhabituelle chez les sénateurs, qui étudient actuellement le projet de loi. C'est là l'enjeu, honorables collègues. À mon avis, l'apport de modifications à notre hymne national équivaudrait à une manipulation de l'histoire.

Même si l'auteur du projet de loi était animé des meilleures intentions, il faut reconnaître que notre hymne national est un instrument de notre histoire, qui nous donne un aperçu d'une époque révolue. Nous vivons dans un monde qui n'a pratiquement aucun respect pour l'histoire. Bien trop souvent de nos jours, on balaie du revers de la main l'importance historique d'une chose, sans égard au riche héritage de notre passé.

[Français]

Voyez par exemple le changement de nom du parc de Vimy, à Montréal, pour celui de l'ancien premier ministre et chef du Parti Québécois, Jacques Parizeau. Cet acte de révision a balayé l'hommage rendu aux 3 500 soldats canadiens qui ont servi vaillamment et donné leur vie pour leur pays, sans parler des 7 000 soldats qui ont été blessés dans ce conflit. Qu'en est-il maintenant de cet hommage à la mémoire des fantassins volontaires, issus de tous les coins du Canada, qui ont combattu pour remporter la plus solide forteresse du front occidental?

[Traduction]

Qu'en est-il de cet hommage commémorant l'un des moments déterminants de notre vie nationale? Peut-on s'étonner que plus de 80 p. 100 des élèves qui étudient l'histoire canadienne pour l'obtention de leur diplôme échouent au jeu-questionnaire sur les rudiments de l'histoire de l'Institut du Dominion? Ou que 78 p. 100 des Canadiens pensent qu'un apprentissage plus poussé de l'histoire du Canada contribuerait notablement à renforcer leur attachement pour le pays?

Churchill a déjà dit ceci :

Étudiez l'histoire, étudiez l'histoire. On y trouve tous les secrets de l'art de gouverner.

Si l'histoire contient réellement tous les secrets de l'art de gouverner, nous ne devrions pas repeindre les portraits du passé et masquer leur signification en les remplaçant par des images du présent.

Nous savons et nous acceptons que le Canada est une société inclusive et progressiste sur le plan social. Cependant, comme l'écrivain albertain Tom Henihan l'a précisé dans une chronique plus tôt cette année, le Canada :

[...] a besoin de symboles et de traditions qui s'inscrivent dans la durée et où il puise son identité. Sinon, le Canada aura l'air [...] d'un pays sans racines culturelles, qui se redéfinit constamment au gré des changements sociaux.

[Français]

Honorables sénateurs, la marraine de ce projet de loi, la sénatrice Nancy Ruth, a elle-même dit que la version anglaise de l'Ô Canada n'est liée à aucun événement précis de notre histoire, qu'elle est le produit d'une jeune nation qui a tracé son chemin au fil du temps.

[Traduction]

Voilà qui devrait suffire en soi à nous convaincre de ne pas faire ce changement.

Dans le cadre du débat actuel, il est important de souligner que les paroles composées en 1908 par Robert Stanley Weir n'ont rien de la poésie misogyne. Elles sont plutôt le reflet d'une société qui s'apprête à connaître une période de transition.

Rien ne nous permet de croire que les paroles font volontairement l'impasse sur un élément du paysage social canadien au début du XXe siècle.

L'égalité des hommes et des femmes est importante, et il faut mettre en valeur ses manifestations concrètes dans la société canadienne. Cependant, il est tout aussi valable de commémorer notre histoire.

[Français]

Il doit y avoir d'autres moyens convenables d'affirmer cela sans pour autant réviser l'histoire.

[Traduction]

Pour cette raison et pour les autres que j'ai présentées, je recommande que nous ne changions pas notre hymne national et que, en le laissant tel quel, nous le considérions comme un rappel du passé important de notre pays ainsi que de la ténacité à toute épreuve des Canadiens, qui ne cessent de grandir et prendre de la maturité pour former une nation forte de sa diversité et de sa vitalité.

Pour situer la question dans son contexte, je voudrais vous faire entendre les réflexions d'une autre personne, Emma Teitel, qui se spécialise dans les droits des femmes et les questions relatives à la communauté LGBT. Voici un extrait d'un article qu'elle écrivait en 2013 dans le magazine Maclean's :

Il est toutefois faux d'affirmer que le fondement de notre nation est une chanson que les jeunes marmonnent après la cloche du matin et avant les parties de hockey. Le véritable fondement de notre nation — la clé de notre identité —, c'est plutôt la Constitution et la Charte des droits et libertés, et elles protègent toutes les deux les droits des femmes et des minorités.

Elle met en garde ceux qui s'élèvent contre les paroles actuelles en disant :

Les paroles de l'hymne, écrites à une autre époque, ne reflètent pas la société dans laquelle elles sont chantées aujourd'hui, ce qui les rend moins mordantes qu'elles ont pu l'être autrefois. Elles ne sont ni blessantes ni offensantes.

Selon Mme Teitel, il est logique :

[...] d'honorer cette époque et d'entonner ces paroles tout en embrassant sans réserve l'égalité des sexes qui s'est imposée au pays depuis. Si les droits des femmes ou la laïcité de l'État étaient menacés — certains réclament que le gouvernement enlève le mot « Dieu » également —, il serait prudent de moderniser l'hymne national. Or, ce n'est pas le cas.

Lorsque notre culture rejette l'héroïsme machiste et la religion institutionnalisée, véhiculer ces choses dans des chants ou des rituels n'est plus dangereux ou offensant et devient pittoresque.

Ce n'est pas seulement pittoresque. C'est historique.

Bien que certains d'entre vous, j'en suis sûre, pourraient s'offusquer à cet égard ou ne pas considérer la chose comme pittoresque, l'argument de l'auteure est clair et juste : la Charte affirme les droits concernés et les protège.

Honorables sénateurs, n'oublions pas que, finalement, comme je l'ai mentionné en faisant référence à l'intervention de la sénatrice Cools, de la musique écrite il y a plus d'un siècle constitue une œuvre d'art — oui, même notre hymne national.

Sohrab Ahmari est un éditorialiste de Londres, dont un article a été publié il y a quelques semaines dans le Wall Street Journal sous le titre suivant : « Vous vous souvenez du temps où l'art était censé être beau? » Le journaliste offre un commentaire mordant sur la notion de beauté dans l'art et son apparente extinction. Il serait sage de réfléchir à son point de vue.

Il a écrit ceci :

Sur la scène artistique contemporaine, le mot « beauté » ne fait même pas partie du vocabulaire. La sincérité, la rigueur formelle, la cohésion, la recherche de la vérité, le sacré et le transcendant — tous ces idéaux autrefois jugés immuables ont été rejetés par le monde artistique pour faire place à son unique objet d'idolâtrie, son alpha et son oméga : la politique identitaire.

Bien sûr, l'identité a toujours été au cœur de la culture. Qui sommes-nous? Quelle est notre nature? Comme individus et comme groupes, de quelle façon nous distinguons-nous les uns des autres, des animaux, des dieux ou de Dieu?

(1630)

Cela m'aide à en arriver à la conclusion que nous ne devrions pas toucher à l'art en prenant l'identité de genre comme prétexte. Nous ne devrions donc pas remanier notre hymne national.

Les sociétés libres ont besoin de l'art pour aspirer à des idéaux éternels tels que la vérité et la beauté, ce qui s'oppose aux aspects transcendants de la nature humaine. L'art nous permet de surmonter les divergences identitaires et de partager un grand patrimoine culturel. Si toute la culture est ramenée à l'échelle de l'identité et des griefs de groupe, la tyrannie n'est pas loin.

Honorables collègues, je peux dire, pour conclure, que nous sommes en 2016. Nos lois, notre société et ses communautés ont réussi, à force de travail, de persistance et de diligence et grâce au bon vieux compromis canadien, à devenir ouvertes, diverses et inclusives.

Quelques jours à peine après le jour du Souvenir, nous devons garder à l'esprit le fait qu'il nous a fallu payer pour cette ouverture, cette diversité et cette inclusivité de notre société.

Dans son discours, la sénatrice Cools nous a exhortés à :

[...] faire advenir le jour où le dernier homme ou la dernière personne tombera au champ de bataille. C'est le sens qu'a voulu donner le juge Weir aux paroles de l'Ô Canada : la quête éternelle de l'harmonie dans les affaires humaines, de la paix et la justice dans notre pays...

Je suis bien d'accord avec elle. Ne touchons pas aux éléments symboliques de notre passé historique sous prétexte de faire un commentaire politique sur la voie que nous voulons emprunter à l'avenir.

Tirons les leçons de notre histoire. Croissons à partir de notre passé et avançons ensemble à grands pas, comme hommes et comme femmes, en célébrant le chemin parcouru sans chercher à récrire l'histoire même qui nous a aidés à arriver là où nous sommes aujourd'hui. Je vous remercie.

L'honorable Pierrette Ringuette : L'honorable sénatrice accepte-t-elle de répondre à une question?

La sénatrice Eaton : Avec plaisir.

La sénatrice Ringuette : Sénatrice Eaton, vous avez dit qu'il s'agit d'un rappel historique de notre passé. Qu'en est-il alors des changements apportés il y a plus de 30 ans par la Charte canadienne des droits et libertés et par l'égalité entre hommes et femmes? Ne pouvons-nous pas les reconnaître?

Je crois que l'hymne national devrait offrir aux Canadiens un incitatif, une vision d'avenir, et pas nécessairement une vision du passé. Sénatrice, c'est un peu comme si on disait que, pour préserver les valeurs historiques, nous ne devrions pas changer nos lois puisqu'elles font partie de notre histoire.

J'aimerais comprendre pourquoi le fait de changer les paroles pour les rendre indépendantes du genre ne constituerait pas une inspiration pour les générations futures de Canadiens.

La sénatrice Eaton : Je ne me flatte pas de pouvoir vous faire changer d'avis. Je crois que l'histoire est l'histoire et que les lois sont les lois. Je ne pense pas que l'histoire doive nécessairement être coordonnée avec les lois actuelles sur l'égalité des sexes.

Vous pouvez dire cela des livres que nous lisons à nos enfants à l'école. Faudrait-il que Peter Pan soit transgenre? En ferons-nous aussi une femme? Allons-nous regarder nos tableaux et dire que, même si Mona Lisa était une femme, nous devrions lui mettre des moustaches pour que ce soit plus équitable? Je crois que nous allons devoir accepter de ne pas être du même avis. Je pense à l'hymne national comme à élément de notre histoire, comme une chose qui nous rappelle la Première Guerre mondiale et ceux qui y ont trouvé la mort. Je ne crois pas qu'il ait quelque chose à voir avec l'égalité des sexes, avec les lois ou avec la Charte des droits.

L'honorable Frances Lankin : Sénatrice, accepteriez-vous de répondre à une autre question?

La sénatrice Eaton : Avec plaisir.

La sénatrice Lankin : Je vous remercie pour vos propos. Ils sont très réfléchis, et je vous ai écoutée attentivement. Vous ne serez pas surprise d'apprendre que je ne suis pas d'accord avec votre conclusion, mais je trouve très valides certains de vos arguments, que j'aurais tendance à appuyer.

Je suis d'accord quand vous dites « qui aurait cru que cela aurait provoqué une réaction aussi polarisée dans la population? »

Lorsque j'examine l'historique de cet hymne, je constate que, même si certains sont d'un autre avis, les archives officielles révèlent que les paroles de l'hymne en anglais étaient à l'origine « thou dost in us command », plutôt que « in all thy sons command ». Elles ont donc été changées à un moment donné. Plus récemment toutefois — et nous pouvons y réfléchir ensemble —, vous avez parlé de cet hymne national que nous chantons depuis notre enfance. Je me souviens, quand j'étais jeune, que nous chantions les paroles en anglais « O Canada, glorious and free », qui sont ensuite devenues « God keep our land glorious and free ».

Il y a donc eu des changements, dont celui-là. Je ne me souviens pas d'une réaction aussi polarisée à ce changement, mais je peux me tromper. Peut-être ai-je simplement oublié ou peut-être étais-je trop jeune à l'époque, oserais-je dire. Je ne me souviens pas de ce moment-là. Ce changement a toutefois suscité une réaction très polarisée, et j'ose avancer que c'est en partie parce qu'il s'agit d'une question de distinction entre les sexes. Au moment où il y a davantage de femmes, et les femmes ont toujours participé à l'effort de guerre, mais au moment où il y en a davantage dans des rôles de combat, il y en a plus qui se blessent et qui meurent, ne seriez-vous pas d'accord pour dire que les changements qui ont été faits par le passé montrent bien que la réaction ne devrait pas être aussi polarisée, et qu'il ne s'agit pas de manquer d'honneur et de respect à ceux qui nous ont précédés?

Son Honneur le Président : Sénatrice Eaton, votre temps de parole est écoulé. Voulez-vous plus de temps pour répondre à cette question?

La sénatrice Eaton : Oui.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

La sénatrice Eaton : Je vous remercie, sénatrice Lankin, de votre observation judicieuse. Je réalise que l'hymne a été modifié au fil des ans et que ces changements ont suscité de nombreux débats. Personnellement, cela n'a pas commencé avec l'hymne. Ma colère n'a pas été déclenchée par l'hymne. Elle vient du fait que le parc de Vimy a été rebaptisé parc Jacques-Parizeau. Allons-nous récrire les divers chapitres de notre histoire pour être davantage dans l'air du temps?

Je suppose que c'est ce qui m'a fait réfléchir dans l'allocution de la sénatrice Cools au sujet de l'histoire et de la musique comme forme artistique. Devons-nous revisiter le passé ou faut-il simplement l'accepter et continuer d'avancer?

J'ai aussi dit, dans mon allocution, que si la Charte ne garantissait pas l'égalité entre les sexes, cela serait entièrement différent. J'estime que nous avons d'autres moyens d'assurer une plus grande égalité entre les sexes qu'en changeant un autre pan de notre histoire.

Son Honneur le Président : Je vois d'autres sénateurs qui se lèvent, mais, comme le savent les honorables sénateurs, c'est la prérogative de la personne qui a la parole de demander plus de temps pour répondre aux questions. La sénatrice Eaton a seulement demandé du temps pour répondre à la dernière question.

Demandez-vous plus de temps, sénatrice Eaton?

La sénatrice Eaton : Oui, Votre Honneur.

Son Honneur le Président : Pouvons-nous accorder cinq minutes de plus à la sénatrice Eaton?

Des voix : D'accord.

Des voix : Cinq minutes.

L'honorable Jim Munson : Une simple question de base. Vous avez parlé de préserver l'histoire, et je comprends cela. Nous sommes tous des enfants d'une autre époque, il est vrai. Nous venons de célébrer le jour du Souvenir et nous avons affiché notre respect à l'endroit de ceux qui ont combattu pour défendre notre liberté. Le 11 novembre représente un symbole très puissant. Sur une note plus personnelle, vous avez parlé de manipulation. Que diriez-vous à cinq de mes oncles, dont un n'est jamais revenu, et à ma tante qui, elle, est revenue, tante Eileen, qui a combattu pendant la Seconde Guerre mondiale? Que vaut l'histoire pour ma tante et sa participation à l'effort de guerre quand elle entend les paroles « and all thy sons command »?

La sénatrice Eaton : Sénateur Munson, je suis désolée pour votre tante. Il a dû être terriblement éprouvant pour votre grand-mère de perdre autant d'enfants pendant la guerre. Je ne puis parler pour votre tante, mais je sais que ma mère et toutes les personnes de sa génération ont participé à la guerre d'une façon ou d'une autre.

(1640)

Je ne crois pas qu'elle se soit sentie exclue par les mots « all thy sons command ». Elle ne me l'a jamais dit. Votre tante vous en a-t-elle parlé?

L'honorable Anne C. Cools : Je me demande si la sénatrice pourrait nous confirmer un fait que nous connaissons. Il est vrai que les paroles de l'Ô Canada ont été modifiées, mais il est vrai également que ce chant n'était pas encore notre hymne national quand cela a été fait. En fait, l'Ô Canada n'est devenu l'hymne national du Canada qu'en 1980. Auparavant, c'était un chant national bien connu et très populaire. Bien entendu, vous êtes libre de répondre, sénatrice Lankin.

Pourriez-vous confirmer que l'hymne n'a jamais été modifié? Ce qui a été modifié, c'est un chant national antérieur à l'hymne national.

La sénatrice Eaton : Je suis absolument désolée; je ne puis répondre à cette question, sénatrice Cools. Vous m'avez eue. Je vais devoir faire des recherches à ce sujet. Je vous remercie.

(Sur la motion du sénateur Wells, le débat est ajourné.)

Modernisation du Sénat

Premier rapport du comité spécial—Ajournement du débat

Le Sénat passe à l'étude du premier rapport (intérimaire) du Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat, intitulé La modernisation du Sénat : Aller de l'avant, déposé auprès du greffier du Sénat le 4 octobre 2016.

L'honorable James S. Cowan : Chers collègues, comme je n'ai pas l'intention de parler des autres rapports du Comité sur la modernisation du Sénat et qu'il y a beaucoup de choses dont je veux traiter aujourd'hui, je me demande si je pourrais solliciter l'indulgence de mes collègues et obtenir 10 minutes de plus pour présenter mes observations en 25 minutes.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, comme vous le savez, le sénateur Cowan a droit à 15 minutes. Il en demande 25. Est-ce d'accord?

Des voix : D'accord.

Une voix : Non.

Son Honneur le Président : J'entends un « non ». Il nous faut un consensus. Vous disposez de 15 minutes, sénateur Cowan.

Demandez-vous également, sénateur Cowan, que le débat reste ajourné au nom du sénateur McInnis après votre déclaration?

Le sénateur Cowan : Oui, si les sénateurs sont d'accord. Chers collègues, si vous n'y voyez pas d'inconvénients, certaines de mes observations concerneront les caucus et je terminerai la partie correspondant au numéro 8, si tout est en ordre. Je ferai ensuite mes observations cet après-midi.

Son Honneur le Président : Consentez-vous, honorables sénateurs, à ce que le débat reste ajourné au nom du sénateur McInnis?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Cowan : Merci. Comme plusieurs d'entre vous le savent, chers collègues, même si c'est moi qui ai proposé la motion tendant à créer ce comité, l'idée en revient à l'origine à notre regretté collègue et estimé Président, le sénateur Pierre Claude Nolin. Le 8 mai 2014, le sénateur Nolin a proposé en effet de constituer un comité spécial sur la modernisation du Sénat, et je le cite :

[...] pour examiner les façons de rendre le Sénat plus efficace, plus transparent et plus responsable, dans le cadre constitutionnel actuel [...]

Il faut parfois du temps avant qu'une idée fasse consensus. Ce n'est donc qu'à la fin décembre, lorsque j'ai présenté ma motion, que le Sénat a décidé que le temps était venu de constituer le comité.

Je tiens à remercier le sénateur McInnis, le sénateur Joyal et tous les membres du comité du temps et des efforts qu'ils ont consacrés au comité au cours des derniers mois. Bien sûr, ils ne sont pas les seuls. Bien d'autres collègues ont également pris part aux travaux du comité auquel ils ont apporté leurs points de vue et leurs suggestions. Le rapport, nos propres délibérations au Sénat et surtout les changements qui en découleront seront assurément meilleurs grâce à leur participation.

Je tiens aussi à remercier les témoins d'avoir consacré de leur temps pour témoigner ou pour envoyer un mémoire. Je remercie aussi, bien sûr, nos excellents recherchistes et greffiers au bureau qui, par leur expertise, ont considérablement éclairé le travail du comité.

Chers collègues, le comité a produit pour nous un excellent rapport provisoire qui porte à réflexion et que nous allons examiner. Il y présente des propositions visant à rehausser l'efficacité de notre Chambre législative au sein du cadre constitutionnel. Nous nous attacherons à cet objectif de tout premier plan.

Comme je l'ai dit plusieurs fois, notamment dans mon intervention sur ma motion visant à créer ce comité spécial :

[...] le simple remaniement de nos règles ne suffit pas. Nous devons améliorer notre méthode de travail. Au bout du compte, nous ne serons pas jugés sur la manière dont nous gérons notre budget, mais plutôt sur notre efficacité en tant que corps législatif.

J'ai lu les mémoires présentés au Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat. Il devient clair que notre Chambre se trouve devant plusieurs options très différentes. Le représentant du gouvernement au Sénat, le sénateur Harder, est le plus radical — et je dirais même qu'il est légèrement contestataire. Si l'on examine attentivement sa proposition, on comprend qu'il redéfinirait le rôle du Sénat au sein de notre démocratie parlementaire en changeant le mode de fonctionnement des sénateurs.

Je tiens cependant à souligner que je n'ai rien contre le fait que des sénateurs préfèrent prendre part aux travaux de notre Chambre à titre d'indépendants ou de membres de groupes autres que les caucus traditionnels, ni contre l'idée qu'on leur fournisse des ressources. Je suis convaincu que nous devons habiliter et encourager tous les sénateurs à participer pleinement au travail important que les Canadiens attendent de nous. Il est évident que nous devrons modifier certaines règles pour les adapter à la nouvelle réalité du Sénat. Il faudra bien sûr faire cela avec beaucoup de soin et de réflexion.

Il serait plutôt étrange que la Chambre de second examen objectif abandonne ce principe au moment de reformuler ses propres règles et procédures. Cependant, pour bien faire les choses, nous ne sommes pas tenus de ne pas prendre tout de suite certaines mesures. Je ne crois pas qu'il faille toujours attendre d'avoir terminé la longue et complexe rédaction des règles pour essayer une idée.

N'hésitons pas à expérimenter ou à mettre à l'essai une proposition pendant quelque temps. Si elle s'avère efficace, alors nous modifierons les règles. Sinon, nous l'abandonnerons. S'il faut apporter des ajustements, faisons-le. Qui ne tente rien n'a rien.

Il est bien entendu que nous avons déjà suivi cette procédure. Nous en avons vu un exemple plus tôt cet après-midi. L'automne dernier, nous avons décidé d'inviter des ministres à répondre à des questions au Sénat. Je crois que tous les sénateurs, et les ministres que nous avons reçus, ont trouvé cette méthode excellente. En fait, les questions et les réponses se sont avérées plus approfondies, plus respectueuses et même plus instructives que ce qu'on entend à l'autre endroit.

Donc, en pensant à la proposition du représentant du gouvernement au Sénat, je ne m'oppose pas à la possibilité de répondre aux besoins des sénateurs indépendants ou de leur fournir des ressources, mais il me semble que sa vision du Sénat risque d'amenuiser l'efficacité de cette institution au sein de notre démocratie parlementaire. Je trouve que, sans que cela paraisse, il commence à réécrire l'histoire et le but du Sénat et, ce faisant, à étendre le contrôle du gouvernement sur le fonctionnement de notre assemblée, même s'il affirme d'un ton innocent que son gouvernement vise exactement le contraire. Je vais vous expliquer.

Commençons par le sujet brûlant de la partisanerie et de la politique au Sénat. Nous nous entendons tous sur le fait, je crois, que l'indépendance est l'une des caractéristiques importantes et essentielles du Sénat et de chaque sénateur. Dans une allocution que j'ai prononcée ici le 20 avril 2016, je me suis longuement attardé sur la signification de cette indépendance. J'ai parlé de la nécessité absolue pour le Sénat, à titre d'institution, de demeurer indépendant tant de la Chambre des communes que du gouvernement. J'ai expliqué ce que cela implique. J'ai aussi parlé de la responsabilité tout aussi cruciale qu'a chaque sénateur de demeurer indépendant, d'appliquer son jugement d'une manière indépendante et, comme le disait George Brown :

[...] de défendre les intérêts publics contre toute tentative de législation hâtive ou entachée d'esprit de parti.

Je m'écarte des opinions du sénateur Harder lorsqu'il saute du besoin d'indépendance du Sénat — sur lequel nous nous entendons tous — à l'idée qu'il doit être totalement non partisan. À ma grande surprise, il a même essayé de récrire notre histoire lorsqu'il décrit le Sénat en disant qu'il :

[...] ressemble davantage à l'organe indépendant, non partisan et complémentaire que les concepteurs de la Confédération avaient envisagé et que la Cour suprême a préconisé.

Cette affirmation n'est pas vraie du tout. Nous pouvons certainement débattre de l'avenir de notre assemblée, mais discutons-en sans déformer ce qu'était le Sénat à l'origine ou fausser les propos de la Cour suprême du Canada.

(1650)

Le chef de l'opposition, mon collègue, le sénateur Carignan, a souligné dans son témoignage devant le Comité spécial sur la modernisation du Sénat que le Sénat n'avait jamais été un organe indépendant. Le tout premier Sénat établi par Proclamation royale sous le gouvernement de sir John A. Macdonald comprenait un côté du gouvernement et un de l'opposition. Ce dernier se composait de 25 sénateurs libéraux nommés par un conservateur, sir John A. Macdonald. Ces tout premiers sénateurs libéraux se sont regroupés en caucus doté d'un chef de l'opposition qui, selon le sénateur Carignan, était « un libéral férocement partisan ».

Dès sa création, le Sénat a été très politisé. La Cour suprême du Canada n'a pas nié ni rejeté cela. En fait, elle ouvre son renvoi de 2014 en affirmant ceci : « Le Sénat est une des institutions politiques fondamentales du Canada. »

J'en suis moi aussi persuadé. Nous ne constituons pas un nouvel ordre de la fonction publique sous la direction du sénateur Harder. Nous ne sommes pas un club de débat de 90 millions de dollars. Nous ne sommes pas un conseil des aînés. Nous ne sommes pas une sorte de groupe consultatif d'experts. Nous formons l'une des deux Chambres du Parlement du Canada, une institution politique fondamentale qui est indépendante de la Chambre des communes — qui est élue —, et indépendante du gouvernement.

Nous avons pour défi, chers collègues — et chacun de nous doit l'affronter individuellement —, de veiller à ce que la politique ne compromette pas notre indépendance. Selon moi, c'est là que réside le vrai problème.

La sénatrice Bellemare, qui est maintenant représentante adjointe du gouvernement, l'a dit elle-même. Juste avant la semaine de relâche, elle a dit au Sénat que, sous le gouvernement précédent, elle avait cédé aux pressions de ses collègues de l'autre endroit et qu'elle s'était abstenue de voter sur un projet de loi au lieu de voter contre comme ses convictions le lui dictaient. Nous avons là un exemple de politique partisane qui a compromis l'indépendance d'une sénatrice. Pourtant, comme je l'ai dit à la sénatrice Bellemare lorsque c'est arrivé, elle était responsable de ce choix. En effet, chers collègues, cette institution a été conçue avec soin pour protéger chacun de nous de ce genre de pression, pour protéger notre indépendance. C'est pourquoi nous sommes nommés, puis nous conservons nos sièges jusqu'à 75 ans. Nous ne dépendons pas d'autres personnes qui décident si, oui ou non, elles vont signer nos documents de nomination tous les quatre ans, comme c'est le cas des députés de l'autre endroit.

La partisanerie excessive au Sénat ne constitue pas un échec de notre institution. L'esprit partisan est un choix personnel; c'est donc un échec personnel. Je comprends bien qu'il n'est pas facile de résister aux pressions d'amis et de collègues. Je comprends tout à fait. Je l'ai vécu aussi, mais nous devons assumer la responsabilité de nos décisions. Ne prétendons pas qu'elles signalent un échec de notre institution. Nous aurions tort de réécrire nos règles ou de réinventer notre manière de travailler pour éviter d'assumer la responsabilité de nos actes, pour trouver un moyen quelconque de blâmer les règles ou notre caucus pour nos erreurs personnelles.

Je tiens à corriger une autre chose qu'a dite le sénateur Harder à plusieurs occasions. J'ai été surpris et déçu de l'entendre souvent dire que les caucus traditionnels du Sénat sont réglementés par des partis. Il sait que notre caucus n'est pas affilié au Parti libéral du Canada ou au caucus libéral de la Chambre des communes. Nous ne suivons pas les directives d'un membre du Parti libéral ou du gouvernement libéral. Nous partageons leurs valeurs libérales et nous nous nommons le caucus des libéraux au Sénat, mais personne ne réglemente notre façon d'agir, de parler ou de voter — surtout pas le gouvernement libéral.

D'ailleurs, il est paradoxal que les seuls sénateurs qui suivent les directives du gouvernement libéral soient les membres de l'équipe du représentant du gouvernement dirigée par nul autre que le sénateur Harder. Je trouve on ne peut plus paradoxal que ce soient ces trois sénateurs qui demandent à être désignés comme « indépendants » et qui remettent en question l'indépendance de la majorité de leurs collègues au Sénat alors qu'ils sont les seuls à affirmer ouvertement et fièrement dans cette enceinte qu'ils sont ici pour représenter et défendre le gouvernement libéral du premier ministre Justin Trudeau.

Mes honorables collègues se rappelleront que j'ai qualifié de « novlangue orwellienne » certaines déclarations du gouvernement de l'ancien premier ministre Harper. Hélas, je ne peux trouver de meilleure façon de qualifier ce discours.

J'ai commencé mon intervention en disant que je suis préoccupé par la vision du sénateur Harder, parce que je soupçonne qu'elle vise à resserrer plutôt qu'à relâcher l'emprise que le gouvernement exerce sur nos travaux. Je m'explique.

Le sénateur Harder a dit qu'il aimerait se débarrasser du régime de Westminster au Sénat. Je le cite :

À mon avis, au sein d'une institution complémentaire plus indépendante et moins partisane, il n'y aura plus de caucus ministériel organisé et discipliné, alors, par conséquent, il ne devrait plus y avoir de caucus organisé de l'opposition officielle. L'un des changements les plus fondamentaux qui s'opèrent actuellement au Sénat est la disparition du modèle traditionnel de Westminster selon lequel un caucus ministériel organisé et discipliné est opposé à un caucus de l'opposition organisé et discipliné, un modèle largement fondé sur la partisanerie.

Honorables collègues, cette vision est diamétralement opposée à mon interprétation de la vision proposée par le premier ministre Trudeau. J'ai cru comprendre que le premier ministre Trudeau était déterminé à encourager tous les sénateurs à se montrer profondément sceptiques à l'égard du gouvernement, quelle que soit son allégeance politique. Il a dit clairement ce qu'il attendait du Sénat lorsqu'il a annoncé sa vision de la réforme du Sénat, le 29 janvier 2014, ou ce que nous appelons notre jour de l'indépendance.

Voici ce qu'a dit Justin Trudeau, chef du Parti libéral, ce jour-là :

Si le Sénat a un rôle à jouer, c'est assurément de servir de contrepoids au pouvoir extraordinaire que détiennent le premier ministre et son bureau, particulièrement lorsque le gouvernement est majoritaire.

Chers collègues, il nous est impossible de jouer ce rôle si nous ne sommes qu'un groupe désorganisé et morcelé comptant 105 personnes. C'est tout simplement impossible, selon moi.

Vous commencez probablement à entrevoir pourquoi je trouve inquiétant que le sénateur Harder, représentant du gouvernement au Sénat, cherche à démanteler les structures des leaders de l'opposition, ce qui ferait de son bureau la seule structure organisée du Sénat. D'ailleurs, il a souvent répété qu'il faudrait à son bureau 850 000 $ pour accomplir sa tâche. Nous avons été nombreux à trouver cette somme étonnamment élevée, puisque le représentant du gouvernement ne soutient pas de caucus ministériel.

Cette demande peut toutefois sembler plus logique si le sénateur Harder considère que son bureau devrait agir comme leader de facto du Sénat. Mes soupçons à cet effet ont été renforcés lorsque son bureau nous a offert d'organiser des rencontres avec les divers gouvernements, y compris avec les premiers ministres des provinces que nous représentons.

Chers collègues, il ne revient certainement pas au représentant du gouvernement au Sénat de servir d'intermédiaire entre les sénateurs et les régions qu'ils représentent. Le premier ministre Trudeau a indiqué clairement que le rôle traditionnel...

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Cowan, je vous interromps, car votre temps de parole est écoulé. Le débat sera ajourné au nom du sénateur McInnis.

Des voix : Cinq minutes de plus.

Son Honneur la Présidente intérimaire : La question demeurera inscrite au Feuilleton; nous pourrons alors poser des questions.

(Sur la motion du sénateur McInnis, le débat est ajourné.)

[Français]

Cinquième rapport du comité spécial—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénatrice McCoy, appuyée par l'honorable sénatrice Ringuette tendant à l'adoption du cinquième rapport (intérimaire) du Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat, intitulé La modernisation du Sénat : Aller de l'avant (Caucus), présenté au Sénat le 4 octobre 2016.

L'honorable Diane Bellemare (coordonnatrice législative du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je demande que le débat demeure ajourné à mon nom une fois que le sénateur Cowan aura terminé son discours.

(1700)

[Traduction]

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, le consentement est-il accordé pour que le débat sur ce point soit ajourné au nom de la sénatrice Bellemare quand le sénateur Cowan aura terminé?

Des voix : D'accord.

L'honorable James S. Cowan : Chers collègues, avant l'interruption, je parlais de l'invitation que le sénateur Harder nous avait envoyée à tous pour proposer d'organiser des rencontres avec les gouvernements et les premiers ministres des provinces que nous représentons. J'avançais que, à mon avis, il n'appartient pas au leader du gouvernement au Sénat de chercher à servir d'intermédiaire entre nous et la région que nous représentons.

Le premier ministre Trudeau a indiqué très clairement que le rôle fondamental du Sénat était de servir de contrepoids à l'incroyable pouvoir du premier ministre et de son cabinet. Quelle crédibilité pouvons-nous avoir quand nous cherchons à défendre les intérêts de notre région devant des propositions du gouvernement si notre accès aux perspectives dans notre province est supervisé, voire orchestré, par le leader du gouvernement au Sénat?

Un tel geste compromet notre propre position à titre de sénateurs représentant leurs régions respectives. Il compromet notre indépendance et notre rôle de contrepoids au gouvernement.

Chers collègues, je siège dans cette assemblée depuis plus de 10 ans. Au cours de cette période, j'ai rencontré tous les premiers ministres qui ont gouverné ma province, la Nouvelle-Écosse, qu'ils aient été conservateurs, néo-démocrates ou libéraux. J'ai eu facilement accès à eux et aux membres de leur gouvernement. Cela fait partie de mon travail.

Il ne me serait jamais venu à l'esprit de demander à un représentant officiel du gouvernement fédéral de m'aider à obtenir cet accès et, moins encore, de se joindre à moi lors d'une telle rencontre, comme cela s'est fait, je crois, au cours des derniers mois. Si c'est l'idée que se fait le sénateur Harder de notre rôle de représentation de nos régions, qu'il soit ouvert et transparent à ce sujet afin que son idée puisse être examinée et débattue ouvertement. Il ne devrait pas, à mon humble avis, envoyer discrètement à des sénateurs des invitations à se joindre à lui lors de rencontres avec nos premiers ministres respectifs.

Puis, la semaine dernière, nous avons reçu l'invitation du sénateur Harder à nous réunir tous à huis clos « pour discuter des affaires du gouvernement à court et à long terme ». Quel est le sujet de cette discussion qu'il veut avoir avec nous tous en privé, dans une salle de réunion à huis clos, et qu'il ne souhaite pas aborder en public dans l'enceinte? Est-ce parce qu'il essaie de transformer l'ensemble du Sénat en caucus du gouvernement qui ne dit pas son nom qu'il nous convoque à une réunion secrète semblable à celle d'un caucus pour discuter des affaires prochaines du gouvernement?

Vous comprendrez donc, chers collègues, pourquoi je soupçonne le gouvernement d'essayer, par l'entremise de son représentant au Sénat, d'exercer un plus grand contrôle sur cette assemblée et ses membres, et non de les contrôler moins, comme on le prétend.

Je m'inquiète également d'avoir entendu parler des caucus en des termes condescendants, comme s'il s'agissait de mauvaises reliques d'un âge d'obscurantisme qui seront abandonnées à une époque utopique post-politique. Je crois que les caucus peuvent améliorer l'efficacité avec laquelle le Sénat remplit son rôle dans notre démocratie parlementaire et je crains que des tentatives pour rabaisser les caucus ne réduisent l'efficacité avec laquelle les sénateurs examinent les mesures législatives présentées par le gouvernement.

Compte tenu de toute la désinformation, permettez-moi d'énoncer les faits concernant le caucus libéral du Sénat. Nous sommes un groupe de personnes venues des horizons les plus divers et aux expériences diversifiées qui partagent un socle fondamental commun de valeurs et de principes qu'on pourrait qualifier de valeurs et principes libéraux traditionnels. C'est à cause de ces valeurs et convictions personnelles que j'ai travaillé de nombreuses années au nom du Parti libéral, tant en Nouvelle-Écosse que dans le reste du Canada. Toutefois, laisser entendre que, partageant ces valeurs, nous sommes en quelque sorte « contrôlés » par le Parti libéral est insultant pour moi et condescendant à l'égard de mes collègues du caucus en tant que groupe. Honnêtement, c'est le genre de propos dénués de tout fondement qui ne fait que discréditer la politique aux yeux de la population.

L'expérience m'a appris — et je présume que c'est le cas de la plupart d'entre nous — que je suis plus efficace quand je travaille avec d'autres personnes issues d'un bout à l'autre du pays qui partagent mes valeurs, mais qui ont leur propre bagage et leur propre expérience à apporter à l'examen d'une question dont le Sénat est saisi. Nous ne pouvons pas tous être experts de toutes les questions présentées à cette assemblée. Je tire énormément profit de l'expertise et des perspectives éclairées de mes collègues du caucus. Il est évident que mes propres opinions et contributions au travail du Sénat se sont affinées à la suite de discussions en caucus, de discussions avec le sénateur Joyal, du Québec, un expert reconnu de la Constitution qui a témoigné à de nombreuses reprises devant la Cour suprême du Canada, avec la sénatrice Dyck, de la Saskatchewan, dont l'engagement envers les Premières Nations et les femmes des Premières Nations est sans égal, avec le sénateur Eggleton, de l'Ontario, qui a milité toute sa vie pour la justice sociale et contre la pauvreté et avec la sénatrice Jaffer, de la Colombie-Britannique, qui parcourt le Canada et le monde entier pour promouvoir les droits des minorités.

Je pourrais continuer et nommer chacun des membres de notre caucus. Je suis fier de siéger au sein d'un caucus avec chacun d'entre eux et de continuer à bénéficier énormément de leurs idées. Chaque membre apporte des connaissances et des perspectives uniques à leur région du pays qui enrichissent les discussions de notre caucus et qui, à leur tour, éclairent nos contributions individuelles aux travaux du Sénat.

Cette expérience n'est certainement pas propre à notre caucus, même si nous aimerions parfois le prétendre. Je suis sûr que d'autres qui font partie d'un caucus organisé partagent ce sentiment et tirent profit des perspectives et contributions de leurs collègues du caucus.

C'est pourquoi l'écrasante majorité des sénateurs depuis la Confédération ont choisi d'intégrer un caucus et c'est pourquoi les législateurs se rassemblent en groupes, en caucus, dans toutes les assemblées démocratiques modernes du monde.

Je veux être clair, parce que c'est quelque chose qu'on semble omettre, à dessein ou non, dans de nombreuses discussions sur cette question : les votes ne sont pas dirigés dans notre caucus. Chaque vote est un vote libre. Personne ne contrôle le vote d'aucun d'entre nous en aucune matière. Nous prenons nos décisions indépendamment et nous en sommes fiers. Cependant, nous choisissons notre vote, éclairés par une discussion sérieuse et confortés par les vastes connaissances et l'expérience de nos collègues au sein du caucus.

Qu'on les appelle des groupes ou des caucus, je crois que cette forme organisationnelle sert l'institution dans son ensemble.

Je veux dire quelques mots au sujet de la proposition d'organiser les sénateurs en caucus régionaux. Je n'y suis pas favorable. Franchement, cette proposition n'a aucun sens à mes yeux.

Je siège dans un Parlement national. Mon rôle de représentant de ma région dans ce Parlement national est renforcé et non compromis par le fait de côtoyer dans un caucus des collègues d'autres régions du pays qui ont une vision semblable à la mienne alors que nous nous attachons tous ensemble à légiférer au nom de tous les Canadiens.

Le sénateur Harder préfèrerait que je ne côtoie officiellement ou formellement en caucus que les sénateurs de ma région du pays, même si leur vision du monde est diamétralement opposée à la mienne. En dehors d'une certaine efficacité administrative, en quoi mon travail s'en trouverait-il amélioré?

Par ailleurs, pourquoi s'attacher au rôle régional dans le cadre d'un remaniement des caucus? Comme le sénateur Carignan l'a indiqué dans sa présentation au Comité sur la modernisation, le Sénat a également pour rôle de défendre les droits des minorités, une responsabilité qui, je le sais, est prise très au sérieux dans cette enceinte. Toutefois, devons-nous être séparés en caucus sur la base de notre religion, de notre identité ethnique, de notre sexe, de notre langue ou de la couleur de notre peau? Certainement pas.

Je le répète à mes collègues, nous sommes membres d'un Parlement fédéral national. Un Parlement fédéral ne serait pas légitime pour le public si le Cabinet ne comprenait pas des représentants de toutes les régions du pays. Le sénateur Harder nous propose le contraire. Il voudrait que les caucus officiellement reconnus en vertu de notre Règlement ne soient pas autorisés à comprendre des représentants venant de l'extérieur d'une région particulière.

Je demande donc ceci au sénateur Harder : est-ce ainsi qu'il veut renforcer l'unité nationale qui, nous le savons tous, est une question qui a causé des préoccupations tout le long de notre histoire? En toute franchise, on pourrait sérieusement soutenir que tout groupe de sénateurs dont les membres ne viennent pas d'au moins deux ou trois des régions du pays ne devrait pas être spécialement reconnu en vertu de notre Règlement. Encore une fois, nous sommes une Chambre nationale.

Chers collègues, je voudrais conclure par un bref commentaire sur la politique. Pour beaucoup de gens, la politique est maintenant un gros mot. Par conséquent, beaucoup de nos discussions visent à débarrasser le Sénat de toute trace de politique partisane. Pendant toute ma vie, j'ai cru que la politique constituait la plus haute vocation pour le citoyen d'une démocratie : c'est l'occasion de contribuer à la plus grande cause possible, celle qui consiste à édifier notre pays et à en faire une place où il fait bon vivre et travailler pour nous-mêmes, nos enfants et les générations à venir. J'ai toujours eu la plus haute considération pour ceux qui participent de tous les côtés à la vie politique de notre communauté, en faisant du bénévolat pour appuyer un candidat, en cherchant soi-même à être élu ou en étant nommé, comme nous, pour servir les Canadiens.

(1710)

Je crois que nous avons ainsi les meilleurs au gouvernement quand ce service est respecté.

Toutefois, comme je l'ai dit, ce point de vue n'est plus largement répandu. Nous en voyons les conséquences partout dans le monde : des gens qui se sont dévoués pour la cause publique sont rejetés parce qu'ils sont politiciens et sont remplacés par des populistes qui se disent antipoliticiens pendant qu'ils cherchent à se faire élire. Certaines des conséquences sont très troublantes, comme nous l'avons vu.

Je crois qu'il est urgent de rétablir l'honneur de la politique. Le travail que nous faisons au Sénat pour moderniser notre institution et notre façon de travailler aura d'importantes incidences à cet égard.

Chers collègues, c'est un honneur d'être appelé à servir au Sénat du Canada. C'est une occasion sans pareille de contribuer à la vie de nos concitoyens et à l'avenir du pays que nous aimons. Nous voulons tous que le Sénat se présente sous son meilleur jour et que chacun de nous fasse de son mieux, à titre de fier membre du Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

L'honorable Frances Lankin : Merci beaucoup. Je suis heureuse d'avoir l'occasion de participer à l'examen de cette motion.

Je dois dire que, durant la courte période que j'ai passée ici, ce discours a malheureusement compté parmi les plus personnalisés, les plus incendiaires et les moins représentatifs des faits que j'ai écoutés. Je le regrette vraiment, parce que j'ai le plus grand respect pour l'honorable sénateur.

Les mots ont un grand pouvoir, et nous leur attribuons un sens qui va peut-être au-delà de leur signification ordinaire. Des mots et des expressions tels que « secret », « cachottier », « à huis clos » et « discrètement » nuisent, dans le contexte où ils ont été utilisés, au débat ouvert dont nous avons besoin pour discuter de l'avenir de notre institution et du rôle que tous les sénateurs doivent jouer.

J'ai été heureuse d'entendre le sénateur Cowan dire qu'il ne s'oppose pas du tout à ce que le groupe des indépendants soit reconnu comme groupe agissant de façon égale au Sénat. J'espère que mes propos ne l'amèneront pas à changer d'avis à ce sujet.

Je demeure préoccupée par les mots utilisés et par certains faits que j'aimerais préciser en fonction de ma façon de voir les choses.

L'honorable Anne C. Cools : Honorables sénateurs, après avoir écouté très attentivement le sénateur Cowan, j'ai écouté aussi attentivement la sénatrice Lankin. Je crois que si la sénatrice Lankin désire se plaindre de la façon dont l'orateur précédent s'est exprimé, elle devrait le faire sous forme de rappel au Règlement. Elle ne peut tout simplement pas le faire en prenant la parole pour critiquer personnellement le sénateur.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Merci, sénatrice Cools, mais je dois signaler que la sénatrice Lankin participe au débat et exprime son point de vue. Ce n'est pas un rappel au Règlement. Elle présente ses vues sur le système des caucus.

La sénatrice Cools : Je disais que son point de vue est profondément personnel et que...

Son Honneur le Président intérimaire : Sénatrice Cools, la sénatrice Lankin a la parole et participe au débat. Si vous le souhaitez, vous pourrez lui poser des questions quand elle aura fini.

La sénatrice Cools : J'aurai une question de privilège à un moment donné.

La sénatrice Lankin : Lorsque je pense au pouvoir du langage, je dois dire que j'ai trouvé assez amusant le fait que le sénateur Carignan a plus tôt accueilli les nouveaux sénateurs en leur disant qu'ils sont des membres de l'élite. Je crois qu'il est le seul sénateur qui ait assez de charme — compte tenu de ce qu'on a dit des sénateurs au cours des dernières semaines — pour faire passer le mot « élite » pour un compliment. Encore une fois, c'est un mot qui a un sens particulier dans le contexte politique.

J'accepte volontiers que mes propos concernant cette motion et l'orientation que nous prenons en matière de modernisation ne soient pas très populaires en ce moment même parmi la majorité collective du Sénat, mais je crois qu'il est important de faire connaître mon point de vue, comme l'a fait l'orateur précédent.

Lorsque j'entends une déclaration selon laquelle il n'y aura plus de caucus partisans à l'avenir ou que le sénateur Harder a dit qu'il n'y aurait plus de caucus partisans à l'avenir, je me souviens du fait qu'il a dit exactement le contraire lorsqu'il a témoigné devant le Comité sur la modernisation. Je l'ai entendu dire explicitement qu'il pourrait y avoir des caucus de tous genres qui se formeraient, qui seraient financés s'ils se conforment au nouveau Règlement du Sénat et qui pourraient être de nature partisane et politique.

Il a dit qu'il chercherait à présenter une proposition permettant d'organiser les travaux du Sénat sur une base non partisane. On a dit plus tôt que le sénateur Harder avait soutenu que nous ne pourrions appartenir qu'à des caucus régionaux. Je tiens à dire ouvertement que je n'appuie pas le principe des caucus régionaux pour plusieurs des raisons que le sénateur Cowan vient de mentionner. Ce qu'on a dit, c'est que, pour l'organisation des travaux du Sénat, nous pourrions nous réunir dans nos divisions pour proposer des candidatures au Comité de sélection, au Comité de l'éthique et à d'autres structures du Comité de la régie interne afin d'organiser les travaux du Sénat.

Par conséquent, ce n'est pas conforme à ce qui a été dit en réalité.

Je pense à la réunion que le sénateur Harder a proposée pour examiner les affaires du gouvernement, qu'il a la responsabilité de présenter au Sénat. Je suis heureuse d'en être informée. Je sais qu'il a proposé et offert d'assister aux réunions de tous les caucus et que son offre n'a pas eu de suites régulières. Il souhaitait informer les gens des questions dont il voulait saisir le Sénat. Encore une fois, on a parlé d'un manque de transparence, de réunions à huis clos et de cachotteries.

Dans le cas du projet de loi C-14, je dirai que nous nous sommes réunis pour essayer d'organiser l'examen des amendements d'une façon rationnelle permettant à tous les sénateurs qui souhaitaient participer de le faire. Nous sommes arrivés à nous entendre. Travaillant de concert avec les greffiers et le personnel juridique du Sénat, nous avons proposé une approche qui nous donnait la possibilité de tenir un débat rationnel, ce qui nous a valu des compliments venant de tous les coins du pays pour notre façon de diffuser l'information et de traiter intelligemment des points de vue controversés, divergents et contradictoires.

Personne ne s'est opposé à cela. Il y a, sur une base quotidienne, des réunions portant sur l'ordre du jour et les travaux du Sénat auxquelles ne participent pas tous les sénateurs, comme le sénateur Cowan l'a suggéré dans la lettre qu'il a envoyée.

Il y a des réunions qui se tiennent dans les caucus pour discuter des affaires du gouvernement. Elles ne sont pas ouvertes et transparentes et ont lieu derrière des portes closes. Ces réunions peuvent avoir lieu de cette façon.

J'ai du mal à m'imaginer venir dans cette enceinte et essayer d'avoir une discussion au sujet des modalités de ces échanges potentiels. Au fait, les rencontres du leader au Sénat ont lieu à huis clos; elles sont secrètes et ne sont pas transparentes, même pour les sénateurs, quelle que soit leur allégeance.

Nous pouvons employer ces termes et nous pouvons faire usage de ces critiques quand ils sont pertinents pour l'argument que nous voulons faire valoir, mais je nous demande d'essayer d'avoir moins recours à de tels propos et d'éviter de rapporter de façon plus ou moins fidèle ce que des sénateurs ont avancé et défendu.

(1720)

Pour moi, l'essentiel, en tant que groupe, c'est de nous tourner vers l'avenir et d'essayer de déterminer, dans un Sénat renouvelé et modernisé, avec une constellation différente, parce qu'il y aura cette constellation différente de caucus, comment transformer ce Sénat en une assemblée qui apporte plus aux citoyens du Canada, qui remplit le rôle qui nous est confié en ce qui concerne la représentation régionale, la défense des droits des minorités et l'examen des implications des mesures législatives eu égard à la Constitution et à la Charte. Comment nous acquitter de cette mission en tirant parti de toute l'expérience que nous avons collectivement, de toutes les perspectives que nous apportons, qu'elles viennent de la droite, de la gauche, d'une minorité ou toute autre perspective, de manière à avoir une diversité cognitive à mettre à profit lors de l'examen des textes?

Certains m'ont dit, séance après séance, que c'est ce qui se fait, que c'est vraiment ce qui a lieu. Excusez-moi, durant le court laps de temps que j'ai passé ici, des sénateurs m'ont dit combien ils sont freinés. Je l'ai constaté. Le sénateur Cowan appelle cela un choix personnel. Si c'est le cas, et je partage son avis, c'est un choix personnel qui a été fait trop souvent. Je nous exhorte à parvenir à un point où nous chercherons à avoir une discussion plus large qui ne soit pas limitée par des prises de position ou des arguments présentés dans l'autre assemblée, à l'autre endroit.

Je pense aussi que l'abandon de l'organisation des travaux aux caprices des structures de pouvoir actuellement en place et aux modalités de leur fonctionnement par le passé fait un tort incroyable à cette institution et aux nouveaux sénateurs nommés. Je voudrais souligner que, dans toutes les discussions qui ont eu lieu pour tenter de faire accepter la proportionnalité aux leaders des deux caucus reconnus dans cette enceinte, de convoquer le Comité de sélection, de permettre qu’il y ait des sénateurs indépendants et de permettre aux nouveaux sénateurs qui arrivent aujourd'hui, demain et la semaine prochaine ainsi qu'aux sénateurs qui sont arrivés au mois d'avril d'avoir une représentation proportionnelle et de pouvoir s'acquitter de leurs responsabilités, il n'y a pas eu de dynamique. Il n'y a eu ni accord ni mouvement et nous en sommes au même point.

Je remplace sans cesse d'autres sénateurs indépendants à des comités. Il n'y a pas de mécanisme qui me permette de le faire officiellement. J'y vais et j’ai une voix, mais je n'ai pas de vote. Je ne peux pas voter en tant que remplaçante à cause du Règlement et en raison d'une absence de volonté d'aller de l'avant et de procéder à ces changements.

Ce dossier est entravé et utilisé comme objet de négociations pour obtenir d'autres choses en aval, notamment une hausse des budgets — je vois des hochements de tête — pour les caucus existants au-delà des chiffres qui résulteraient de l'application de la proportionnalité, en se cramponnant à un rôle d'opposition officielle, quels que soient les chiffres.

Ces points sont peut-être rationnels et nous devrions peut-être les examiner, mais examinons-les dans le cadre d'une discussion ouverte qui ne soit pas centrée sur les représailles politiques, les accusations, la singularisation et, je dirais, le travestissement des positions de sénateurs individuels. Reconnaissons que nous avons des désaccords. Parlons de l'avenir. Est-il dans le modèle de Westminster? Et s'il ne l'était pas? Quelle forme prendrait-il?

Je rends hommage à certains des initiateurs de ce débat. Je songe au sénateur Greene, au sénateur Massicotte et à d'autres qui ont pris part à ce débat et ont remarquablement servi cette institution pour nous aider à nous engager dans cette voie. Je sais qu'il y en a d'autres. Je ne mentionne pas tous ceux et toutes celles qui ont participé.

Je cherche à avoir ces conversations. Ce que j'ai constaté jusqu'ici, c'est que ces conversations ne sont pas menées dans cette enceinte; nous en sommes empêchés par des jeux de retenue, des ajournements et toute une série de choses qui ralentissent le processus. Nous avons une date butoir pour une de ces conversations. Il s'agit de passer le stade du Comité du Règlement d'ici la fin du mois de novembre et il est assez clair que cette conversation ne parviendra peut-être pas au Comité du Règlement dans les délais, sans même parler de l'optimisme du Comité du Règlement pour traiter les questions que nous avons entendues jusqu'ici.

Je suis désolée, mais j'ai beaucoup écouté et j'ai essayé d'inciter patiemment les gens à progresser, et je crois que nous nous sommes heurtés à des murs de briques à chaque étape. Je crois que certaines attitudes professées ne sont pas en phase avec les protestations que j'ai entendues, selon lesquelles nous sommes déjà un groupe de sénateurs indépendants d'esprit et indépendants à tous les égards.

Cela sonne faux à mes oreilles. Si c'est vrai, passons à autre chose, mettons en application ces changements et permettons à tous les sénateurs une représentation équitable et une pleine participation dans cette enceinte.

Des voix : Bravo!

L'honorable Joan Fraser : J'aimerais intervenir dans le débat, dans la mesure où, avec le consentement du Sénat, le débat demeurera ajourné au nom de la sénatrice Bellemare.

Son Honneur le Président : Je crois que cela a déjà été convenu, sénatrice Fraser.

La sénatrice Fraser : Brièvement, en réponse aux observations passionnées de la sénatrice Lankin qui, à bien des égards, incitent à réfléchir. J'aimerais simplement réagir à un ou deux points.

Que ce soit intentionnellement ou pas, sénatrice Lankin, vous pointiez et regardiez directement vers moi lorsque vous avez parlé de résistance à l'octroi de ressources pour les sénateurs indépendants.

La sénatrice Lankin : Non.

La sénatrice Fraser : Si j'ai mal interprété, soit. Je ne suis peut-être pas la seule à avoir pensé que vous me visiez.

Pour que ce soit clair, je crois fermement que, dans le cadre du présent exercice visant à repenser cet endroit, il faudra tôt ou tard se rendre compte que les sénateurs non affiliés, ou quelle que soit la manière dont nous déciderons de les désigner, méritent non seulement des ressources individuelles, mais également des ressources collectives. J'estime qu'il est insensé de prétendre le contraire.

Pour ce qui est du Comité du Règlement, celui-ci attend impatiemment qu'on lui renvoie certains des points et sera très heureux de les étudier le plus tôt possible. Nous avons bien un ou deux autres points à l'ordre du jour, mais, croyez-moi, tous les membres du Comité du Règlement sont conscients du fait que c'est là la grosse tâche qui nous attend. Je répète que j'espère que nous l'entreprendrons bientôt.

J'aimerais rappeler à tous les sénateurs que n'importe qui peut soulever une question, n'importe qui peut exiger la tenue d'un vote et n'importe qui peut refuser un ajournement. Il est possible de retarder les choses assez longuement au Sénat, mais ce n'est pas un problème insurmontable si, de l'avis du Sénat, il s'agit d'obstruction, et non d'un débat sérieux et réfléchi. Nous avons tous déjà vécu ce genre de situation, alors nous savons tous ce que l'on ressent.

En ce qui concerne les points soulevés par le sénateur Cowan, je ne vais pas trahir la confiance de quiconque parce que je ne dispose d'aucun renseignement confidentiel, mais je constate, en observant le sénateur Harder, qui est le représentant du gouvernement, qu'il se retrouve dans une situation dont il n'est pas responsable. C'est le gouvernement qui est responsable, et le Sénat est sur le point de devenir très difficile à gérer.

La sénatrice Cools : Nous y sommes presque.

La sénatrice Fraser : Je ne peux pas vraiment blâmer quiconque pour vouloir tenter de trouver un moyen de régler le problème et d'organiser les choses, afin que les travaux du Sénat puissent se poursuivre. Je ne suis pas d'accord avec le sénateur sur le fait que le recours à des caucus régionaux puisse s'avérer une bonne façon d'organiser les travaux du Sénat. Je crois que cela donnerait lieu à une diminution considérable de l'indépendance de chaque sénateur, car, s'il y a un élément que nous ne pouvons pas changer, c'est bien notre identité régionale.

Aussi longtemps que je siégerai au Sénat, je serai une sénatrice du Québec. Aussi longtemps que siégera la sénatrice Martin au Sénat, elle sera une sénatrice de la Colombie-Britannique. Cela vaut même si le point de vue que je représente et que j'ai à cœur n'est pas le même que celui de la plupart des autres sénateurs de ma province. Si on accorde à la majorité du caucus de ma province le pouvoir de décider quel sénateur peut prendre la parole ou quand un sénateur peut prendre la parole, ou encore si la majorité du caucus peut prendre les mesures qui lui conviennent quant aux travaux du Sénat, je ne serai probablement pas traitée de façon équitable si je fais partie d'une très petite minorité au sein de mon caucus régional. Mon indépendance sera mieux protégée si, comme le sénateur Cowan l'a dit, je peux faire partie d'un groupe de personnes qui partagent mes valeurs et mes principes et qui peuvent tirer parti de la sagesse qui émane d'un peu partout au pays.

(1730)

Je partage aussi les inquiétudes du sénateur Cowan concernant l'incidence qu'aurait sur l'unité nationale le regroupement officiel des sénateurs selon le seul critère des divisions régionales. À long terme, nous risquerions de le payer très cher.

Je dois dire que j'éprouve une certaine sympathie pour la petite équipe qui représente le gouvernement. On lui a confié une tâche extrêmement difficile, et nous devons nous efforcer de collaborer pour en arriver à une solution qui permettra au Sénat de continuer de jouer son rôle. Je ne reproche à personne de faire valoir ses idées sur le meilleur moyen d'en arriver à un résultat souhaitable, même si certaines idées me sont plus sympathiques que d'autres. De très bonnes idées nous ont été soumises.

J'espère que le présent débat se poursuivra, mais qu'il ne s'éternisera pas. Nous devons avancer.

Le sénateur Cowan nous a suggéré d'entreprendre ce qui équivaudrait à des projets pilotes, et nous devrions peut-être retenir sa suggestion. Tandis que nous examinons attentivement les changements plus permanents pouvant être éventuellement apportés au Règlement, nous pourrions procéder à divers essais pour voir ce qui marche et ce qui ne marche pas. Nous devons, en tout cas, éviter de succomber à la paralysie. Nous devons à tout prix l'éviter.

Alors, je ne reproche à personne de s'exprimer et de le faire avec passion, pour défendre sa vision de l'avenir du Sénat et de ce que nous ne devrions pas oublier de préserver, à l'heure où il nous incombe d'être disposés à nous adapter pour assurer au Sénat et au pays tout entier un avenir prometteur, empreint d'un esprit constructif.

[Français]

Recours au Règlement

L'honorable Diane Bellemare (coordonnatrice législative du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j'aimerais invoquer le Règlement. Je voudrais préciser que j'ai trouvé très offensants les propos que le sénateur Cowan a prononcés à mon égard aujourd'hui et la semaine dernière. Ses propos ont eu l'effet d'attaquer mon intégrité et ne sont pas justifiés dans la chronologie des événements qui m'ont amenée à devenir sénatrice indépendante.

Le sénateur Cowan rappelle continuellement et avec mépris le fait que je me sois abstenue de voter lors d'un vote en décembre 2014 concernant le projet de loi C-525, alors que cette démarche a été un élément important dans le cadre de mon affranchissement. Je me suis affranchie de ces caucus partisans.

Lorsque je suis arrivée au Sénat en septembre 2012, j'étais très heureuse de me joindre au caucus conservateur. J'ai toujours été loyale envers celui-ci, mais j'ai toutefois pris des positions lors desquelles j'ai affirmé mon indépendance, d'abord, dans le cadre du projet de loi C-377 en mai 2013 et, ensuite, lors d'une autre bataille, alors que j'essayais de convaincre mes collègues que des changements devaient être apportés au projet de loi C-525. Je me suis abstenue de voter à la fin par respect pour mon caucus; vous pourrez lire mon discours qui est consigné dans les Débats du Sénat. Par la suite, je me suis encore affranchie de mon caucus par rapport au projet de loi C-377; j'ai même été exclue du caucus en raison des positions que j'avais prises en cette Chambre contre ce projet de loi antisyndical. Je suis retournée au caucus par la suite et j'ai finalement décidé, le 8 mars 2016, de devenir sénatrice indépendante.

Or, le sénateur Cowan continue toujours d'insinuer à mon égard, de la façon dont il parle, que je n'ai pas été capable de m'assumer. Il a, à mon avis, attaqué mon intégrité, et c'est comme cela que je le reçois. Je crois que l'on ne doit pas, lors des discours prononcés au Sénat, attaquer des sénateurs de manière aussi personnelle. C'est la raison pour laquelle je tiens à soulever ce rappel au Règlement.

[Traduction]

L'honorable James S. Cowan : Je n'ai certainement jamais eu l'intention d'insulter la sénatrice Bellemare ni d'attaquer son intégrité. J'ai simplement dit, l'autre jour, et je le répète aujourd'hui, que cela est venu de son allusion au fait que, d'une manière ou d'une autre, son abstention était en réalité — si je me souviens bien — un « non conciliant ».

Son abstention était une abstention et je lui ai simplement laissé entendre alors, et je le répète aujourd'hui, que nous faisons des choix et que nous devons assumer nos choix. Je me suis déjà abstenu et j'en ai assumé la responsabilité. Lorsque je vote par un oui ou un non ou que je m'abstiens, c'est un choix personnel. Tout ce que je dis, c'est que nous ne devons pas nous cacher derrière le Règlement ou autre chose pour justifier nos actions.

Nous sommes indépendants ici. Nous devons agir indépendamment, non pas des autres — ce n'est pas ainsi que nous fonctionnons —, mais des influences externes, à défaut de quoi, ce n'est pas un manquement de la part de l'institution, mais bien un manquement personnel.

Cependant, chose certaine, si j'ai dit quoi que ce soit que la sénatrice Bellemare a pris comme portant atteinte à son intégrité, ce n'était pas intentionnel. J'ai simplement décrit les faits comme je les ai vus. Elle a voté comme elle l'a fait. Elle en a assumé la responsabilité, ce que je respecte. J'ai fait un choix différent, et je lui demande de le respecter.

Son Honneur le Président : Comme le savent les honorables sénateurs, bien entendu, l'article 6-13(1) du Règlement dit ceci :

Les propos injurieux ou offensants sont non parlementaires et contraires au Règlement.

Je demanderais donc aux sénateurs d'éviter de prêter inutilement des motivations aux sénateurs qui se joignent au débat. Cela n'a pas sa place dans un débat. Nous débattons du contenu des motions et des projets de loi, et non de ce qui sous-tend les motivations personnelles d'un sénateur pour faire ce qu'il fait.

Je prie donc les honorables sénateurs de tenir des propos modérés et de respecter le décorum pendant tous les débats.

L'honorable Elaine McCoy : Votre Honneur, je crois que la période de débat n'est pas terminée. Je souhaiterais donc savoir si la sénatrice Fraser accepterait de répondre à une question.

La sénatrice Fraser : D'accord.

La sénatrice McCoy : Je cherche à mieux comprendre les règles du Sénat, ce qui est un apprentissage continu pour chacun d'entre nous; le Sénat est décidément une organisation apprenante.

Si j'ai bien compris, madame la sénatrice, vous souhaitez attendre que le Sénat ait renvoyé la question au Comité du Règlement avant d'agir. Je me demande comment vous interprétez l'article 12-7(2)a) du Règlement, qui se lit comme suit :

[...] le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, qui est chargé :

a) de soumettre au Sénat, de sa propre initiative, des propositions visant la modification du Règlement [...]

Comment interprétez-vous ce passage?

La sénatrice Fraser : La formulation est très claire, selon moi. Il est déjà arrivé que certains se demandent si le Comité du Règlement avait le pouvoir d'amorcer des études. Dans ces situations, j'ai fermement fait valoir que le Règlement donne bel et bien au Comité du Règlement le mandat et le pouvoir d'amorcer des études, ce qui sera peut-être nécessaire ici.

L'un des points qui m'embête, toutefois — comme je l'ai mentionné dans une question que j'ai posée juste avant la pause parlementaire, pendant un débat —, c'est que la formulation des motions donne l'impression qu'on demande au Comité du Règlement de faire ceci ou cela. Une fois adoptées, ces motions deviennent des ordres du Sénat. C'est d'autant plus difficile de déterminer si, au fond, ces suggestions servent véritablement les intérêts de notre institution plutôt que ceux de tel groupe ou de tel sénateur. Nous sommes dans une situation encore jamais vue.

(1740)

J'entrevois un certain nombre de solutions. Les sénateurs pourraient s'entendre pour que ces motions restent au Feuilleton et que le Comité du Règlement les étudie et fasse rapport de ses conclusions. Elles pourraient aussi être modifiées afin d'en retirer cet élément-là, ou encore être adoptées telles quelles. Plusieurs options s'offrent à nous. Or, étant donné l'importance des questions en cause et le caractère hautement inhabituel, pour ne pas dire encore jamais vu — du moins en ce qui me concerne —, du libellé de ces motions, je suis d'avis que le Comité du Règlement ferait mieux, du moins pour le moment, de chercher à bien comprendre les volontés de notre assemblée pour mieux les respecter.

Nos réunions se déroulent à huis clos depuis quelques semaines parce que nous avons étudié quelques rapports provisoires et que nous avons planifié les travaux à venir. Il est absolument hors de question que nous discutions de ce qui se dit pendant une réunion à huis clos. Je peux toutefois vous assurer que j'étais tout à fait sincère lorsque j'ai dit vouloir aller de l'avant et je ne crois pas être la seule au sein du comité à être de cet avis.

Ai-je bien répondu à votre question, sénatrice McCoy?

L'honorable Pierrette Ringuette : Sénatrice Fraser, vous avez dit que le Comité du Règlement verrait d'un bon œil qu'on accélère les changements et la modernisation que nous avons entamés et qui s'imposent. Selon moi, la première chose à faire serait d'ordonner que la représentation au sein de tous les comités permanents du Sénat soit proportionnelle. Alors, avant de renvoyer quoi que ce soit au Comité du Règlement, ne croyez-vous pas que le Comité de sélection du Sénat devrait se réunir de nouveau et décréter que, pour la pérennité de notre institution et l'équité des débats qui y ont lieu, les différents caucus et groupes parlementaires doivent être représentés proportionnellement au sein du Comité du Règlement, car nous aurions alors la garantie que les règles qui régissent nos travaux seront revues de manière équitable?

La sénatrice Fraser : Au moins pour l'instant, c'est moi qui préside le Comité du Règlement. À ce titre, j'ai essayé d'éviter de prendre position sur les enjeux particuliers dont font état le rapport provisoire du Comité sur la modernisation et les rapports plus restreints qui en découlent. En passant, c'est une technique très intéressante.

La plupart de mes collègues ont indiqué clairement, ouvertement et publiquement que nous devons adopter la position selon laquelle la composition des comités doit refléter celle du Sénat. J'espère que vous comprendrez, sénatrice Ringuette, que je ne prenne pas position sur les moyens d'y parvenir.

La sénatrice Cools : Je me demande si la sénatrice Fraser répondrait à une question que j'aimerais lui poser.

Peut-être devrions-nous préciser que l'article 12-7(2) du Règlement, auquel il est fait allusion, se lit exactement comme suit :

[...] le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, qui est chargé :

a) de soumettre au Sénat de sa propre initiative, des propositions visant la modification du Règlement [...]

La version anglaise de l'article contient l'expression « from time to time ». Ainsi, le comité est chargé de soumettre des propositions au Sénat « de temps à autre », ce qui signifie « rarement ». Oui, c'est bien cela. Vous avez beau hocher la tête, c'est ce que l'article dit. Je le lis en anglais :

[...] the [...] Committee [...] shall be authorized [...] to propose from time to time, on its own initiative, amendments to the Rules for the consideration of the Senate [...]

Pour cette raison, il ne serait ni juste ni intelligent de reprocher au comité son manque d'initiative en la matière. Voilà des années que l'on remet en question cette règle au sein du comité. On a bien précisé à ces occasions que le Comité du Règlement peut faire des suggestions limitées mais que, quand il s'agit de la refonte totale du Sénat — et c'est de cela qu'il est ici question —, il faut demander un ordre de renvoi du Sénat, qui serait précédé par un débat et un vote au Sénat en vue d'un renvoi au Comité du Règlement. Il s'agit de la politique que suit depuis longtemps le Sénat.

Je me suis fait un devoir d'étudier tous les changements majeurs survenus au Sénat. Il y en a eu en 1905 et en 1968. Chers collègues, le Sénat ne connaît pas les modifications apportées au Règlement, au sujet desquelles il n'y a d'ailleurs pas eu de débat en cette enceinte. Le Sénat n'a pas pris de décisions ni tiré de conclusions à ce sujet. Nous évoluons dans une zone très étrange.

Son Honneur le Président : Je vous demande pardon, sénatrice Cools, mais le temps de parole de la sénatrice Fraser est écoulé. Elle doit demander plus de temps pour répondre.

La sénatrice Fraser : Si la sénatrice Cools pouvait résumer sa question, je saurais gré au Sénat de m'accorder une minute pour lui répondre.

Son Honneur le Président : Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

La sénatrice Cools : Je suis désolée. Je ne vous ai pas entendu.

Son Honneur le Président : La sénatrice Fraser aimerait que vous posiez votre question.

La sénatrice Cools : La sénatrice Fraser confirmerait-elle ma compréhension de l'expression « from time to time » dans cet article du Règlement? La comprend-elle de la même façon que moi, ou à peu près?

La sénatrice Fraser : Tout dépend du sens qu'on donne au mot « même ». Pour moi, l'expression « from time to time » veut dire un peu plus souvent que pour la sénatrice Cools. Je conviens avec elle qu'il ne s'agit pas de quelque chose qu'on fait régulièrement et souvent au cours d'une session.

Je reconnais également que nous sommes engagés collectivement dans une transformation profonde — dans une certaine mesure, réelle, et dans une certaine mesure, potentielle — du Sénat, à laquelle nous devons réfléchir très sérieusement.

Je diverge cependant d'opinion avec elle sur le point où nous devrions conclure nos débats, du moins pour la première étape ou l'étape provisoire, étant donné que le Comité sur la modernisation a déjà effectué le travail initial, et passer à l'étape suivante.

J'avais bien une autre observation à faire, mais je n'arrive pas à m'en souvenir. Je devrai vérifier la transcription, sénatrice Cools, et vous donner une réponse en privé.

Son Honneur le Président : La question demeure ajournée au nom de la sénatrice Bellemare.

(Sur la motion de la sénatrice Bellemare, le débat est ajourné.)

Les travaux du Sénat

L'honorable Diane Bellemare (coordonnatrice législative du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je propose que tous les autres articles restent au Feuilleton jusqu'à la prochaine séance.

Son Honneur le Président : Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

(La séance est levée, et le Sénat s'ajourne à demain, à 14 heures.)

 
Haut de page