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Débats du Sénat (Hansard)

2e Session, 43e Législature
Volume 152, Numéro 36

Le vendredi 30 avril 2021
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le vendredi 30 avril 2021

(Conformément à l’article 3-6(1) du Règlement, le Sénat a été rappelé pour se réunir en ce jour, au lieu du 4 mai 2021 tel qu’ordonné antérieurement.)

La séance est ouverte à 12 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, avant de commencer les déclarations de sénateurs, permettez-moi de vous dire que j’espère que vous êtes tous en sécurité et qu’il en est de même pour vos familles. Par respect des directives en matière de santé publique, je suis à St. John’s, et je présiderai la séance à distance.

Permettez-moi de vous dire d’entrée de jeu que j’apprécie grandement votre collaboration pour assurer le succès de cette mesure, et que je compte sur votre compréhension lorsqu’il y aura des moments d’apprentissage.

Dans l’éventualité où je perdrais la connexion, ou si nous éprouvons des difficultés techniques, la Présidente intérimaire présidera la séance jusqu’à ce que ces difficultés techniques soient corrigées. Si elle n’est pas disponible, le greffier en avisera le Sénat, et la séance sera par la suite suspendue, les cloches se faisant entendre pendant cinq minutes avant qu’elle ne reprenne.

Une fois de plus, chers collègues, permettez-moi de vous remercier de votre collaboration.

Finances nationales

Autorisation au comité de siéger en même temps que le Sénat

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, je propose :

Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à se réunir le vendredi 30 avril 2021, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l’application de l’article 12-18(1) du Règlement soit suspendue à cet égard.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)


[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

L’organisme VETS Canada

L’honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, les êtres humains ont besoin de bienveillance et de compassion. Ces sentiments s’épanouissent et ont un effet d’entraînement lorsqu’on en fait preuve envers son prochain tout comme envers soi-même. Je crois que vous constaterez que lorsqu’on tend la main pour aider son prochain, c’est nous-mêmes que nous aidons dans le processus.

Nos vétérans forment un groupe qui a particulièrement besoin de notre aide compte tenu des traumatismes qu’ils ont souvent vécus. Je suis récemment devenue ambassadrice pour VETS Canada, un organisme qui aide les vétérans dans le besoin, et j’aimerais vous en parler brièvement.

VETS Canada est un mouvement populaire qui a été fondé en 2010 par Jim Lowther, un vétéran, lorsqu’il a constaté que certains vétérans sans famille s’étaient retrouvés à la rue, dans des situations dangereuses, après avoir glissé entre les mailles du système. Jim et sa femme, Debbie, ont formé une petite équipe à Halifax, en Nouvelle-Écosse, afin de rechercher ces vétérans à risque et sans abri dans le but de les aider à réintégrer la vie civile. Au fil des ans, leur initiative a évolué pour devenir un organisme qui offre diverses formes d’aide aux vétérans dans le besoin. Cela va de l’aide pour payer l’épicerie ou une facture d’électricité à du soutien émotionnel ou en santé mentale. Une des principales devises de l’organisme est : « Ils ont tant donné. C’est à nous de leur rendre la pareille. »

VETS Canada offre des services d’un océan à l’autre, notamment dans trois centres de soutien sans rendez-vous et par le truchement de plus de 1 400 bénévoles. À ce jour, l’organisme a contribué au traitement de plus de 12 000 dossiers d’anciens combattants et a aidé à loger 984 vétérans.

L’un des projets de l’organisme qui connaît le plus de succès et qui produit le plus de bienfaits est le programme Guitares pour VETS, qui remet à des vétérans ou à des militaires toujours de service qui souffrent du trouble de stress post-traumatique ou d’un autre handicap lié à leur service une guitare usagée, mais en bon état, puis leur offre 10 cours gratuits auprès d’un enseignant, l’idée étant d’offrir « à nos héros le pouvoir thérapeutique de la musique ».

VETS Canada reconnaît également les difficultés uniques aux anciennes combattantes. Dans le cadre de sa campagne « Take A Walk In Her Boots », l’organisme livre du matériel à des refuges pour femmes. VETS Canada collabore également avec des refuges pour sensibiliser la population aux besoins particuliers des anciennes combattantes et lui enseigner les questions à poser pour aider le mieux ces dernières.

Honorables sénateurs, j’ai l’honneur d’appuyer ce noble organisme et je vous invite à vous documenter sur les précieux services qu’il offre aux militaires. Nous pêchons parfois plus par oubli que par indifférence. N’oublions pas nos vétérans, n’oublions pas VETS Canada et passons de la parole aux actes.

Remerciements

L’honorable Michael Duffy : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour vous dire adieu. Je prendrai ma retraite le 27 mai, jour de mon 75e anniversaire.

J’ai passé la majeure partie de ma vie d’adulte à faire des reportages sur les affaires publiques. Cela a donc été un grand honneur pour moi d’être nommé ici, au Sénat, pour servir le public. Quand je repense au jour où j’ai prêté serment en 2009, tant de souvenirs et tant de visages, de personnes que je voudrais remercier, me reviennent en mémoire.

Tout en haut de ma liste, il y a l’amour de ma vie, Heather. C’est une femme généreuse, sensible et attentionnée, qui a été à mes côtés et un rayon de lumière tous les jours, même les plus sombres. Je tiens à remercier mon personnel dévoué, Mary McQuaid, Melanie Mercer, Diane Scharf, Andrea Guzzo et Bev Muma. Aux nombreux employés dévoués et professionnels du Sénat, je dis merci.

Je ne m’attarderai pas sur les événements de 2013. Ils sont racontés dans le hansard. Mais je dirai ceci à propos de l’avenir du Sénat : le Sénat est confronté à de graves problèmes qui menacent son existence même. Le Sénat n’est pas constitué d’élus et n’a de comptes à rendre à personne d’autre qu’à lui-même. Malheureusement, ce concept revisité signifie que les sénateurs ne bénéficient pas de l’équité procédurale dont jouit tout autre résident du Canada. Même la Charte des droits ne s’applique pas ici.

Je présume que la plupart des Canadiens trouveraient inacceptable, puisque nous sommes en démocratie, que la Charte ne s’applique pas au Sénat. Malheureusement, les sénateurs progressistes apprennent qu’il n’est pas simple d’apporter des changements au Sénat. Cela me rappelle les paroles de l’honorable Hugh Segal, qui, au moment de prendre sa retraite, a souhaité que le Sénat :

[...] défende l’importance centrale et incontestable de la primauté du droit, de l’application régulière de la loi et de la présomption d’innocence, ces pierres angulaires de notre mode de vie démocratique, peu importe ce que les forces obscures — parfois au sein du gouvernement, parfois dans l’opposition, au sein du corps policer ou dans les médias — pourraient chercher à nous dicter ou à nous imposer.

Où en est la réforme du Sénat depuis que le sénateur Segal a prononcé ces mots il y a sept ans? Pas très avancée, j’en ai bien peur. Pourtant, en dépit des problèmes du Sénat, je suis convaincu que le Canada est promis à un brillant avenir, à l’instar de ma province, l’Île-du-Prince-Édouard.

(1210)

Lorsque la COVID le permettra, Heather et moi espérons que vous viendrez visiter notre belle île, où, en 1864, est née l’idée de créer un pays qu’on appelle le Canada. Merci.

Les infrastructures du Nunavut

L’honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, le 14 avril 2021, ma collectivité de résidence, Iqaluit, a été touchée par un premier cas de COVID-19. Aujourd’hui, 11 nouveaux cas ont été confirmés, pour un total de 61 cas actifs. Hier, il y a eu 15 nouveaux cas confirmés. En sa qualité de capitale du Nunavut, Iqaluit est une plaque tournante pour les déplacements et l’éclosion s’est propagée à d’autres communautés, par exemple à Kinngait, où six nouveaux cas ont été confirmés depuis que le premier cas été découvert le 19 avril, et à Rankin Inlet, où deux personnes ont reçu un résultat positif le 24 avril. Les résultats des tests indiquent qu’il s’agit du variant britannique B-117, ce dernier étant reconnu pour être plus agressif et plus contagieux, même pour les personnes qui ont été vaccinées.

Grâce aux vaillants efforts du Dr Patterson et des travailleurs de première ligne dans la capitale et ailleurs sur le territoire, un peu plus de la moitié de la population adulte des Nunavummiuts a été vaccinée à ce jour. Le premier ministre conserve une attitude calme et rassurante dans son rôle de leader alors que cette éclosion inquiétante progresse. Toutefois, on sent que la communauté ressent de la frustration et qu’elle s’agite. Comme vous le savez, il arrive souvent que les habitants de cette région du pays vivent entassés dans une petite maison où il est difficile de respecter les consignes d’isolement. Je connais une jeune mère qui a contracté la COVID-19 et qui doit vivre dans une maison surpeuplée avec ses enfants en bas âge. Je suis convaincu qu’elle n’est pas la seule dans cette situation.

On estime que plus de 400 logements sont nécessaires pour combler la pénurie de logements à Iqaluit seulement. Plus de 3 000 logements sont requis dans l’ensemble du territoire. Il y a des limites à ce qu’on peut faire avec le versement initial — soit l’expression utilisée par le ministre Vandal — de 25 millions de dollars qui est prévu dans le récent budget. La construction d’un logement à Iqaluit coûte 587 $ le pied carré à la Société d’habitation du Nunavut. À l’heure actuelle, une planche de contreplaqué de trois quarts de pouce qui est bonne d’un côté coûte 210 $. À de tels prix, on ne pourrait construire que de 45 à 50 logements, ce qui est nettement insuffisant par rapport aux besoins. Cette projection ne tient même pas compte des coûts requis pour viabiliser les terrains et apporter les améliorations nécessaires aux infrastructures pour de nouveaux logements, ni des coûts d’entretien et de rénovation pour rendre les logements existants conformes aux normes.

En raison de la pandémie de COVID-19, nous vivons une crise au beau milieu d’une crise et nous avons besoin d’aide. Il faut établir des échéanciers clairs et des coûts précis pour savoir si et quand le Nunavut obtiendra le financement des infrastructures dont il a désespérément besoin, surtout pour le logement. Dans le Sud, les investissements dans les infrastructures réduisent la durée des déplacements des navetteurs. Dans le Nord, les dépenses d’infrastructure globales permettent de sauver des vies. Qujannamiik. Matna. Koana. Merci. Taima.

La Journée du Parcours vers la liberté

L’honorable Thanh Hai Ngo : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour souligner la Journée du Parcours vers la liberté, qui sera marquée par des célébrations en ligne partout au pays et dans le monde entier. En cette occasion très importante pour le Canada, nous soulignons l’exode de centaines de milliers de réfugiés de la mer vietnamiens, qui ont fui la persécution communiste après l’invasion du Vietnam du Sud par les forces communistes du Vietnam du Nord, en violation flagrante des Accords de paix de Paris et de l’Acte de la Conférence internationale sur le Viet-Nam, et après la chute de Saïgon le 30 avril 1975. En dépit d’efforts diplomatiques et militaires considérables pour instaurer une paix durable et des courageuses opérations de maintien de la paix et de surveillance des Forces canadiennes visant à appliquer des dispositions précises des Accords de paix de Paris, des centaines de milliers de réfugiés en quête de liberté ont fui par la mer, où ils ont bravé les éléments, ont été victimes d’attaques de pirates et ont connu la famine. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, près de 250 000 personnes ont péri en mer. Après la guerre, on estime que 65 000 Vietnamiens du Sud ont été exécutés et que 1 million de Vietnamiens du Sud ont été envoyés dans des prisons ou des camps de rééducation communistes.

Aujourd’hui, nous célébrons aussi l’accueil chaleureux du Canada. Le Canada a accueilli plus de 120 000 réfugiés vietnamiens à bras ouverts. C’est cet élan de générosité et d’hospitalité sans précédent qui a valu aux Canadiens la médaille Nansen du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés en 1986. C’est la seule fois où une telle distinction a été accordée à un pays entier.

Honorables sénateurs, lors de la Journée du Parcours vers la liberté, nous soulignons aussi la profonde humanité du Canada et l’accueil incroyable d’un pays où nous sommes tous fiers de vivre. Pour ce geste, la communauté vietnamienne du Canada sera toujours reconnaissante. Merci.

La Semaine nationale de sensibilisation au don d’organes et de tissus

L’honorable Stan Kutcher : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour vous raconter une histoire qui s’est passée dans ma province. Elle m’a été racontée par Martha, l’une de mes belles-filles, la mère de deux de mes petits-enfants et une médecin gériatre qui exerce à l’Île-du-Prince-Édouard.

Voici donc l’histoire d’Hannah, qui est née et qui a grandi dans la belle vallée de l’Annapolis. Elle était intelligente, chaleureuse, gentille, drôle, énergique et pleine de vie. Même si elle vivait avec des douleurs dues à la maladie de Crohn, elle se plaignait rarement. Danseuse de tango accomplie, titulaire d’un diplôme en physique, d’un diplôme en météorologie et d’une maîtrise en physique de l’atmosphère, elle étudiait pour devenir enseignante. Hannah vivait sa vie pleinement. Elle avait pour parents Darrell, un procureur de la Couronne, et Sandi, une directrice d’école et pour sœur Martha. Lorsque Martha et notre fils Matt se sont mariés, Hannah est devenue comme une autre fille dans la famille. Elle a conquis nos cœurs.

Un soir, Hannah a commencé à avoir un mal de tête intense. Elle s’est plainte, ce qui était contraire à son habitude, et s’est rendue à l’hôpital. L’attente a été longue. Enfin, on lui a fait passer une tomodensitométrie. Hannah était pleine de vie lorsqu’elle est entrée dans la salle d’examen, mais elle ne l’était plus quand elle en est ressortie. Elle a fait une grave hémorragie cérébrale. Malheureusement, la vie est souvent injuste.

Plus tard, des lettres de remerciement sont arrivées. Des inconnus avaient reçu un don qui allait prolonger leur vie : des reins, des poumons et un pancréas, cadeaux d’Hannah. Ses tissus — ses os, sa peau, ses valves cardiaques, ses cornées — ont également été donnés à d’autres personnes qui en avaient besoin.

Malheureusement, seul un tiers des Canadiens qui pourraient vivre une vie plus longue et productive grâce à un don d’organe en reçoivent un. Il faut faire mieux. Récemment, la Nouvelle-Écosse a adopté une loi créant le consentement automatique pour le don d’organes, une première en Amérique du Nord. Malheureusement, au niveau fédéral, le Canada n’a pas encore fait grand-chose pour encourager et promouvoir le don d’organes.

Ce sont les histoires de Hannah et d’autres personnes comme elle qui nous font prendre conscience à la fois de la tragédie et de la promesse que représente le don d’organes. Grâce au don d’organes, la famille de Hannah a pu donner un sens à sa mort prématurée. Les membres de sa famille ont trouvé un certain réconfort dans le fait que d’autres familles aient pu passer plus de temps avec leurs proches, des instants en échange desquels ils auraient donné n’importe quoi. Sa mort a préservé d’autres vies.

Honorables sénateurs, la Semaine nationale de sensibilisation aux dons d’organes et de tissus a eu lieu du 18 au 24 avril. Nous pouvons attirer l’attention sur la nécessité nationale de transformer une mort tragique en un don de vie pour de nombreuses personnes. Nous pouvons encourager les Canadiens à devenir des donneurs et nous pouvons donner l’exemple en nous engageant à être nous-mêmes des donneurs d’organes et de tissus.

Histoire de boucler la boucle, quelques années après le décès de Hannah, son père Darrell a retrouvé la vue grâce à deux greffes de cornée, provenant de deux donneurs différents. Merci.

Le décès de l’agent Marc Hovingh

L’honorable Gwen Boniface : Honorables sénateurs, dimanche, la Fondation du monument commémoratif de la police de l’Ontario tiendra, à distance, sa 22e cérémonie commémorative annuelle. Cette cérémonie permet aux policiers et aux familles d’honorer la vie des policiers ontariens qui sont morts dans l’exercice de leurs fonctions.

Cette année, j’aimerais prendre un instant pour rendre hommage à l’agent Marc Hovingh, qui a tragiquement perdu la vie il y a cinq mois. L’agent Hovingh, policier chevronné, a passé 28 ans au sein de la Police provinciale de l’Ontario. Il a travaillé dans les détachements d’Apsley et de Bancroft avant de déménager à l’île Manitoulin en 1999, après que sa famille et lui furent tombés amoureux de cette belle île.

Le 19 novembre, l’agent Hovingh est mort dans une fusillade après avoir répondu à un appel à propos d’une intrusion sur une propriété. Il avait 52 ans. Marc était un mari aimant pour Lianne et un père dévoué pour Laura, Nathan, Elena et Sarah. Ses amis l’on décrit comme un homme de foi, qui était bon et loyal. Il adorait faire de la voile, construire des choses et s’amuser. Ce « doux géant » adorait taquiner les gens et savait aussi rire de lui-même, autant d’occasions de voir son fameux sourire aux dents écartées, selon Albert, son frère.

(1220)

Carson Pardy, surintendant de police en chef, a dit ceci :

Le décès de Marc a eu des répercussions dans l’ensemble de la communauté, qu’on pense à l’église qu’il fréquentait, à ses amis et voisins, aux jeunes dont il était l’entraîneur ou à sa famille de la Police provinciale de l’Ontario.

La famille Hovingh a reçu un soutien formidable de la communauté. Dans son éloge funèbre, son épouse Lianne a décrit ces vagues de soutien comme « un océan d’amour et de prières qui nous ont gentiment abrillés et réconfortés ». Beaucoup de gens, dont plusieurs ne connaissaient pas Marc et sa famille, ont grandement soutenu la famille.

Quand le corps de Marc a été ramené chez lui pour le service, les rues étaient bordées de premiers intervenants, de joueurs de tambour des Premières Nations et de résidants de l’île.

Marc répétait souvent que c’était une énorme chance de pouvoir servir la communauté. Il le faisait avec compassion, dévouement et humilité. Sa foi transparaissait dans sa façon de traiter tous ceux qu’il rencontrait. Ses collègues ont dit qu’il avait agi en héros pendant ses derniers instants et que ses gestes avaient permis d’éviter d’autres décès.

Chers collègues, il est vrai que la plupart des Canadiens ont vécu enfermés chez eux au cours de la dernière année, mais n’oublions pas que les familles comme les Hovingh vivent non seulement les contraintes du confinement, mais aussi les souffrances causées par une perte inimaginable. Nous leur offrons nos sincères condoléances et exprimons notre gratitude envers les policiers pour le travail qu’ils font tous les jours auprès de la collectivité pour assurer notre sécurité.

Je vous invite à prendre un moment le 3 mai pour réfléchir aux sacrifices consentis par les agents de police qui servent et protègent l’Ontario.

Merci. Meegwetch.


AFFAIRES COURANTES

La justice

L’Énoncé concernant la Charte en ce qui a trait au projet de loi C-29—Dépôt de document

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, un énoncé concernant la Charte préparé par le ministre de la Justice ayant trait au projet de loi C-29, Loi prévoyant la reprise et le maintien des opérations au port de Montréal.

Le Sénat

Adoption de la motion tendant à prolonger la séance d’aujourd’hui et à autoriser le Sénat à se réunir en comité plénier afin d’étudier la teneur du projet de loi C-29

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, je propose :

Que, nonobstant toute disposition du Règlement, toute pratique habituelle ou tout ordre antérieur, lorsque le Sénat siège aujourd’hui :

1.la séance continue jusqu’à minuit ou à la fin des Affaires du gouvernement, selon la première éventualité, mais sous réserve des dispositions du paragraphe 7 du présent ordre;

2.le Sénat se forme en comité plénier au début de l’ordre du jour afin d’étudier la teneur du projet de loi C-29, Loi prévoyant la reprise et le maintien des opérations au port de Montréal;

3.le comité plénier sur la teneur du projet de loi C-29 reçoive :

a)des représentants du Syndicat des débardeurs du port de Montréal SCFP, section locale 375, pour un maximum de 65 minutes;

b)des représentants de l’Association des employeurs maritimes, pour un maximum de 65 minutes;

c)l’honorable Filomena Tassi, c.p., députée, ministre du Travail, et l’honorable Omar Alghabra, c.p., député, ministre des Transports, accompagnés d’un maximum de trois fonctionnaires chacun, pour un maximum de 125 minutes;

4.le comité plénier sur la teneur du projet de loi C-29 lève sa séance au plus tard 255 minutes après le début de ses travaux;

5.durant la comparution de chaque groupe de témoins devant le comité plénier, les remarques introductives soient limitées à un maximum de cinq minutes;

6.si, au cours du comité plénier, un sénateur n’utilise pas l’entière période de 10 minutes prévue pour les interventions à l’article 12-32(3)d) du Règlement, les réponses des témoins y comprises, il puisse céder le reste de son temps à un autre sénateur;

7.les dispositions de l’article 16-1(8) du Règlement puissent être invoquées à n’importe quel moment au cours de la séance d’aujourd’hui, s’il y a un projet de loi en attente de la sanction royale, pourvu que, si le Sénat arrive à la fin des Affaires du gouvernement avant d’avoir reçu le message de la Couronne, la séance soit suspendue en attendant le message.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

L’ajournement

Préavis de motion

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, je donne préavis que, plus tard aujourd’hui, je proposerai :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au mardi 4 mai 2021, à 14 heures.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Projet de loi de 2021 sur les opérations au port de Montréal

Première lecture

Son Honneur le Président annonce qu’il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-29, Loi prévoyant la reprise et le maintien des opérations au port de Montréal, accompagné d’un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-6(1)f) du Règlement, je propose que la deuxième lecture du projet de loi soit inscrite à l’ordre du jour de la présente séance.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(Sur la motion du sénateur Gold, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la présente séance.)

[Français]

La Loi sur le Parlement du Canada

Projet de loi modificatif—Première lecture

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat)dépose le projet de loi S-4, Loi modifiant la Loi sur le Parlement du Canada et apportant des modifications corrélative et connexes à d’autres lois.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Gold, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Première lecture

Son Honneur le Président  annonce qu’il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-218, Loi modifiant le Code criminel (paris sportifs), accompagné d’un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Plett, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)


[Traduction]

PÉRIODE DES QUESTIONS

La santé

La distribution des vaccins contre la COVID-19

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, avant de poser ma question au leader du gouvernement, si vous me le permettez, j’aimerais mentionner que notre leader adjointe n’est pas des nôtres aujourd’hui, car, depuis quelques jours, sa famille et elle sont au chevet de sa mère, qui est mourante. Elle ne devrait pas être absente encore longtemps. Par conséquent, nos pensées et nos prières accompagnent la sénatrice Martin en ce moment.

La question que j’aimerais poser aujourd’hui s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

(1230)

Sénateur Gold, même si le vaccin contre la COVID-19 de Johnson & Johnson a été approuvé il y a près de deux mois, la première livraison n’a eu lieu que cette semaine. Aucune date n’a été confirmée pour la deuxième livraison, même si on nous a parlé de quelque part en juin. La livraison de Moderna qui a été reçue mercredi avait du retard et elle ne contenait que la moitié des doses que l’on avait prévues.

Le Canada ne recevra pas de sitôt des vaccins d’AstraZeneca en provenance du Serum Institute de l’Inde compte tenu de la crise qui sévit là-bas. Les vaccins d’AstraZeneca que nous avons reçus jusqu’à maintenant viennent d’un prêt des États-Unis ou d’un programme qui vise d’abord à aider les pays en développement.

Monsieur le leader, moins de 3 % des Canadiens sont entièrement vaccinés. Compte tenu de tout cela, comment le premier ministre peut-il affirmer qu’il n’a aucun regret à propos de la campagne de vaccination du gouvernement?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question, sénateur.

On m’a informé que, jusqu’à maintenant, le gouvernement a livré près de 14 millions de doses de vaccins aux provinces et aux territoires. Chaque semaine en mai, 2 millions de doses du vaccin de Pfizer seront livrées au pays. C’est donc dire que, à partir de la semaine prochaine, le Canada devrait recevoir au total entre 10,3 millions et 12,3 millions de doses, incluant des vaccins de Moderna. Encore une fois, il s’agit du total de tous les types de vaccins.

Alors, la réponse brève à votre question est que le gouvernement continue de dépasser ses prévisions concernant l’approvisionnement en vaccins pour le plus grand nombre de personnes au pays. En outre, les provinces et les territoires font de l’excellent travail pour vacciner la population.

Le sénateur Plett : Ma question visait à savoir si le premier ministre peut affirmer n’avoir aucun regret. À en juger par votre réponse, j’ai l’impression que vous convenez qu’il n’a aucun regret à propos de l’échec lamentable de la campagne de vaccination du gouvernement.

J’ai une question complémentaire, sénateur Gold, et j’espère que votre réponse sera un peu plus directe et à l’avenant. Comme je l’ai dit plus tôt, le Canada a pris des vaccins d’AstraZeneca dans des stocks destinés à certaines des personnes les plus vulnérables au monde. Le Canada est le seul pays du G7 à avoir retiré des vaccins — plus de 300 000 doses, pour être exact — du programme COVAX.

Monsieur le leader, je crois comprendre que le premier ministre va prononcer un discours à l’occasion d’un concert mondial virtuel auquel participeront plusieurs célébrités. Il doit y parler de l’importance de la coopération internationale afin de stopper la pandémie. Monsieur le leader, pouvez-vous nous dire si le premier ministre va dire à ces célébrités comment son incapacité à fournir suffisamment de vaccins aux Canadiens l’a amené à piller les stocks de vaccins destinés aux pays en développement?

Le sénateur Gold : Sénateur, je vous remercie de votre question, mais les hypothèses et les affirmations que vous faites au sujet du programme COVAX sont inexactes, tout simplement. Le Canada est un contributeur important à COVAX et, selon les règles du programme, il a augmenté sa contribution au-delà de ce qui était requis et demandé pour aider — comme le Canada le fera — d’autres pays dans le monde. De plus, le programme a permis au Canada, grâce à des investissements supplémentaires, de se procurer des vaccins pour les Canadiens.

Le Canada est en voie de recevoir au moins 49 millions de doses de vaccins d’ici la fin du trimestre à venir, d’ici la fin juin. Nous regrettons toutes les vies perdues, les répercussions sur les familles et les conséquences si funestes sur la santé mentale et physique des Canadiens, ainsi que sur les entreprises. Cependant, le gouvernement du Canada continue de travailler jour et nuit et fait tout son possible. Compte tenu du nombre de doses que nous avons reçues et que nous prévoyons de recevoir dans les mois à venir, le gouvernement du Canada fait tout ce qu’il peut, et c’est du bon travail, pour protéger les Canadiens.

Les affaires étrangères

Les relations sino-canadiennes

L’honorable Thanh Hai Ngo : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, le 17 mars 2021, j’ai reçu une réponse écrite d’Affaires mondiales Canada au sujet du nombre de Canadiens détenus de façon arbitraire en Chine. Dans sa réponse, le ministère dit ce qui suit :

En date du 15 février 2021, on comptait 119 Canadiens détenus en Chine élargie (Chine continentale, Hong Kong et Taïwan).

Sénateur Gold, il est embarrassant et profondément choquant qu’Affaires mondiales Canada décrive Taïwan, cet acteur respecté sur la scène internationale et cette démocratie dynamique qui respecte la primauté du droit et les droits de la personne, comme une composante de la « Chine élargie ».

Pourquoi Taïwan a-t-elle été incluse dans cette liste, monsieur le sénateur?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question, qui soulève un point important. Je n’ai pas la réponse, mais je me renseignerai et je communiquerai la réponse au Sénat.

Le sénateur Ngo : Sénateur Gold, j’ai une question complémentaire à poser. La politique d’une seule Chine est désuète, trompeuse et est contraire aux résultats recherchés, car elle laisse entendre que Taïwan, un partenaire fiable qui partage les mêmes vues que nous, qui est une nation souveraine et indépendante depuis plus de 70 ans, est complice du régime tyrannique de la Chine communiste, de sa diplomatie des otages et de ses constantes violations des droits de la personne.

À la fin de février, un projet de loi a été déposé à la Chambre des représentants des États-Unis qui vise l’abandon de la politique d’une seule Chine par les États-Unis, la reprise des relations officielles avec Taïwan et le lancement de négociations en vue de conclure un accord de libre-échange entre les États-Unis et Taïwan.

Sénateur Gold, quand le gouvernement va-t-il abolir la politique obsolète d’une seule Chine et reconnaître Taïwan pour ce qu’elle est vraiment?

Le sénateur Gold : Merci de votre question. Le Canada entretient depuis longtemps une relation avec Taïwan et l’a soutenue à de nombreux égards.

Je n’ai pas la réponse à votre question. Comme les sénateurs le savent, la nature et la portée des relations entre le Canada et la Chine, aussi compliquées et complexes soient-elles, font l’objet d’un examen par le gouvernement. Lorsque j’aurai une réponse, je la transmettrai volontiers au Sénat.

[Français]

L’innovation, les sciences et le développement économique

Les brevets sur les vaccins contre la COVID-19

L’honorable Marie-Françoise Mégie : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Cette année, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) célèbre la Semaine mondiale de la vaccination du 24 au 30 avril sous le thème « Les vaccins nous rapprochent ». La campagne nous a montré que la vaccination permet aux gens de renouer des liens et qu’elle contribue ainsi à améliorer la santé de chacun. Dans le monde d’aujourd’hui où tout est relié, une épidémie qui se déclenche n’importe où constitue une menace partout.

Alors que nous avons investi beaucoup d’argent public en faveur de la recherche et du développement des vaccins, ce partenariat public-privé s’est fait jusqu’ici au profit des entreprises, et nous accusons un retard dans l’atteinte de l’objectif ultime de vacciner tout le monde, partout dans le monde. C’est sur les doigts d’une main que l’on peut compter les gens qui ont été vaccinés à Haïti, mon pays d’origine.

Le mutisme du Canada à l’OMC quant aux demandes liées à la levée des brevets sur les vaccins contre la COVID-19 n’aide pas à endiguer la pandémie. Le Conseil des aspects des droits de propriété intellectuelle de l’OMC se réunit aujourd’hui pour étudier la demande de l’Afrique du Sud et de l’Inde au sujet des brevets. Afin de garantir un accès équitable et rapide aux vaccins, est-ce que le Canada sera solidaire des 55 pays membres qui le demandent en appuyant la levée des brevets sur les vaccins afin de mettre un terme le plus tôt possible à la pandémie de COVID-19 dans le monde?

(1240)

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie, sénatrice, d’avoir soulevé cette question.

Le gouvernement s’est engagé à assurer un accès équitable aux vaccins efficaces contre la COVID-19 dans le monde entier. La COVID-19 ne sera pas vaincue tant que la vaccination n’aura pas été donnée partout.

On m’a informé que, dès décembre 2020 et peut-être avant, lorsque les parties ont demandé une dérogation à l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, le gouvernement du Canada a pris contact avec les partisans de cette dérogation afin de mieux comprendre leurs préoccupations. Le gouvernement a travaillé activement avec des partenaires internationaux pour soutenir de manière proactive les efforts du directeur général de l’OMC visant à renforcer le rôle de l’organisation dans le dialogue mondial avec le secteur pharmaceutique afin d’accélérer la production et la distribution équitable des vaccins dans le monde.

Le gouvernement s’est engagé à trouver des solutions consensuelles à ce problème important.

[Traduction]

Les affaires étrangères

La pandémie de COVID-19—L’aide pour l’Inde

L’honorable Ratna Omidvar : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, je resterai dans le sujet de la COVID, mais je me tournerai vers l’Inde. Comme nous le savons tous, l’Inde brûle — littéralement et métaphoriquement — avec 300 000 nouveaux cas et 3 000 morts chaque jour, ce qui est probablement en deçà de la réalité. Si rien n’est fait, l’Inde pourrait se retrouver avec plus de 1 million de cas par jour et perdre totalement le contrôle de la situation, avec des répercussions à l’échelle mondiale, y compris au Canada.

Je rappelle à mes collègues qu’en février, l’Inde est venue en aide au Canada en lui expédiant des vaccins. Le temps est maintenant venu de nous montrer généreux en retour et d’envoyer du matériel indispensable, comme des respirateurs et des composants. D’autres pays le font, comme le Royaume-Uni. Le financement de 10 millions de dollars à la Croix-Rouge indienne qu’a annoncé le premier ministre constitue un pas dans la bonne direction. À l’instar de mes collègues du Sénat qui entretiennent des liens étroits avec le sous-continent indien, je souhaite remercier le premier ministre pour ce premier pas, mais je veux savoir si le Canada enverra des fournitures médicales indispensables?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie ma collègue d’avoir soulevé cette question. C’est avec inquiétude et compassion que le gouvernement et la population du Canada suivent la situation en Inde et ses conséquences horribles pour la population de ce pays.

Le gouvernement du Canada est en communication avec le gouvernement de l’Inde. Je vous remercie d’avoir mentionné l’offre que le Canada a déjà faite. Je peux assurer au Sénat que le Canada continuera de faire tout ce qu’il peut pour appuyer l’Inde en cette période extrêmement difficile.

La sénatrice Omidvar : Merci de votre réponse, sénateur Gold. Comme nous le savons tous, les Canadiens sont des gens généreux. Déjà, des collectes de fonds sont organisées, notamment par des Indo-Canadiens. Nos concitoyens ouvrent leur portefeuille pour venir en aide à l’Inde en cette période de crise. Ils veulent savoir si le gouvernement du Canada versera une somme équivalente à ces dons comme il l’a déjà fait pour d’autres catastrophes.

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Je félicite les gens qui ont pris de telles initiatives. Je n’ai pas la réponse à la question, mais je serai très heureux de m’informer sur cet important sujet. Je communiquerai la réponse au Sénat dès que possible.

La sénatrice Omidvar : Merci.

L’agriculture et l’agroalimentaire

L’innovation

L’honorable Robert Black : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, l’agriculture est l’une des seules industries à avoir connu une croissance économique en 2020. Tandis que les industries canadiennes ont subi une décroissance de 5 %, l’industrie agricole, elle, a connu une croissance de 7 %. Le secteur agricole a certainement démontré sa résilience à maintes reprises durant cette période difficile.

La semaine dernière, la ministre des Finances a présenté le budget de 2021, et j’ai été heureux d’entendre que le secteur agricole et les collectivités rurales obtiendront de l’aide pour des enjeux clés comme les infrastructures à large bande et le soutien des travailleurs étrangers temporaires. Cela dit, je suis curieux d’en apprendre davantage sur la façon dont le gouvernement prévoit favoriser la croissance continue de cette industrie.

Honorables collègues, de plus en plus d’agriculteurs se rapprochent de la retraite chaque année. Cependant, peu de jeunes Canadiens considèrent l’élevage de bétail ou l’agriculture en général comme étant un choix de carrière attrayant. Malheureusement, cela signifie que nous risquons de connaître une pénurie de producteurs au cours des prochaines années. Étant donné que ce secteur est le seul à croître en cette période difficile et que les experts s’attendent à ce que la demande continue de stimuler cette croissance en cette période difficile, j’estime que nous avons l’obligation de montrer aux jeunes que l’agriculture présente des occasions aussi vastes que les champs de notre pays. Nous savons qu’il est impératif d’investir dans l’innovation aujourd’hui pour améliorer et renforcer nos industries de demain. J’espère que, dorénavant, le secteur agricole sera soutenu, d’autant plus que le gouvernement a souligné que les ressources dans les secteurs manufacturiers, y compris l’agriculture, constitueront le fondement de la nouvelle économie durable du Canada. D’ailleurs, le budget de 2020 prévoit 7,2 milliards de dollars pour le Fonds stratégique pour l’innovation, dont 2,2 milliards de dollars serviront à appuyer des projets novateurs dans l’ensemble de l’économie, y compris dans les secteurs de l’agriculture et des sciences de la vie.

Sénateur Gold, de ces 2,2 milliards de dollars, combien seront consacrés à soutenir l’agriculture et à encourager la croissance dans ce secteur si important?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie le sénateur de sa question et de ses efforts soutenus pour défendre le secteur agricole canadien. Le gouvernement sait bien que le secteur agricole et agroalimentaire joue un rôle clé dans l’économie canadienne et qu’il aura un rôle clé à jouer dans la relance de cette dernière et dans l’avènement d’un avenir durable et novateur.

Je vous remercie également de m’avoir informé à l’avance de la teneur de votre question. J’ai ainsi pu demander au gouvernement qu’il me donne des détails concernant l’investissement de 2,2 milliards de dollars dans le Fonds stratégique pour l’innovation et la façon dont cette somme sera répartie. On m’a informé de ce qui suit. Il n’y a pas de fonds attribués à des secteurs en particulier. C’est plutôt un programme général qui accepte des projets agricoles et agroalimentaires. Comme vous le savez sans doute, le fonds a soutenu le Réseau canadien d’automatisation et d’intelligence artificielle de l’agroalimentaire en 2019 et une installation de pointe du secteur de la volaille en Ontario l’année d’avant. Le sénateur a une connaissance unique de certaines initiatives qui pourraient être présentées au Fonds stratégique pour l’innovation afin d’attirer les jeunes en agriculture et je suis certain que ses suggestions seraient appréciées et reçues avec enthousiasme.

La justice

Le projet de loi C-22—La possibilité d’apporter des amendements

L’honorable Wanda Elaine Thomas Bernard : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, les Autochtones représentent 31 % des détenus dans les pénitenciers fédéraux, et cette proportion grimpe à 44 % dans le cas des femmes. Comme le ministre de la Justice l’a déclaré dans son discours sur le projet de loi C-22, « ces chiffres sont renversants [...] »

Selon certaines données préliminaires sur le système carcéral fournies par le gouvernement, le projet de loi C-22 pourrait surtout réduire les peines d’emprisonnement des accusés et des détenus non racialisés, mais laisser une fois de plus pour compte les Autochtones, et plus particulièrement les femmes autochtones.

Le gouvernement s’est engagé à réduire le nombre de peines beaucoup trop sévères à l’endroit des Autochtones. Cela dit, le gouvernement acceptera-t-il des amendements destinés à faire en sorte que le projet de loi C-22 atteigne cet objectif?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie la sénatrice de sa question et de l’intérêt soutenu qu’elle porte à cet important projet de loi.

Le gouvernement prend des mesures très progressistes à l’égard de la réforme du droit pénal. Aucun gouvernement n’avait encore éliminé de peine minimale obligatoire du Code criminel jusqu’à ce jour.

On m’a aussi informé que la proportion de Canadiens noirs condamnés à des peines dans des prisons fédérales pour avoir importé ou exporté de la drogue était passée de 33 % en 2007 à 43 % en 2017. Pire, la proportion de délinquants autochtones emprisonnés pour des infractions impliquant une arme à feu et passibles d’une peine minimale obligatoire a plus que doublé.

(1250)

Le projet de loi C-22 élargit aussi l’accès aux ordonnances de sursis, alors que cet accès était restreint auparavant. On m’a signalé que, selon un sondage réalisé par un chercheur universitaire, plus de 80 % des femmes autochtones qui avaient reçu une ordonnance de sursis avant la mise en œuvre des restrictions imposées par le gouvernement précédent n’auraient pas été admissibles à une telle ordonnance de sursis en vertu des nouvelles lois. Dans l’affaire Sharma, la Cour d’appel de l’Ontario a souligné que l’accessibilité restreinte aux ordonnances de sursis nuisait aux mesures de redressement découlant du principe Gladue.

Le gouvernement est toujours prêt à examiner des suggestions d’amélioration des lois. Cela dit, à ma connaissance, les seuls changements prévus pour le moment sont ceux qui figurent dans le projet de loi que vous avez mentionné.

Les relations Couronne-Autochtones

Le logement des Autochtones

L’honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, dans le budget de 2021, le gouvernement a octroyé ce que le ministre Vandal a appelé un versement initial de 25 millions de dollars pour le logement au Nunavut. Par ailleurs, la Société d’habitation du Nunavut n’a reçu qu’une fraction, soit 4,9 millions de dollars, des 79 millions de dollars qu’elle a demandés dans le cadre de l’Initiative pour la création rapide de logements.

Étant donné la crise urgente du logement dont j’ai parlé dans ma déclaration aujourd’hui et les conditions épouvantables des logements surpeuplés qui sont exacerbées et mises en évidence par la crise actuelle de la COVID au Nunavut, ma question est la suivante. Le gouvernement accordera-t-il immédiatement les 500 millions de dollars demandés par la Nunavut Tunngavik Incorporated pour atténuer la crise du logement qui sévit depuis longtemps au Nunavut et ce, à même les 4,3 milliards de dollars prévus dans le récent budget pour les infrastructures autochtones? Merci.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question, sénateur Patterson. Tout le monde mérite d’avoir un logement sûr et abordable.

Les 25 millions de dollars prévus dans le budget de 2021 dont le sénateur a parlé sont destinés à des projets à court terme cette année, qui permettront de construire 100 nouveaux logements. C’est un début, mais il reste encore beaucoup de travail à faire.

En ce qui concerne l’Initiative pour la création rapide de logements, on m’a informé que le gouvernement cherche des fonds supplémentaires pour appuyer davantage de projets méritoires à la lumière du nombre de demandes qui ont été présentées à ce jour et de leur qualité. Toutefois, je n’ai pas encore d’information au sujet du processus de demande au titre du Fonds d’infrastructure aux communautés autochtones de 4,3 milliards de dollars, qui est fondé sur les distinctions, prévu dans le budget de 2021, ce qui était l’objet de votre question. Je vais m’informer et je vous ferai part de ce que j’ai appris.

Cependant, j’ajouterais que le Nunavut bénéficiera aussi des 2,5 milliards de dollars d’argent frais par l’entremise de la Société canadienne d’hypothèques et de logement. J’espère qu’il s’agit aussi d’un pas dans la bonne direction pour combler la pénurie de logements dont vous parlez.

La santé

La distribution des vaccins contre la COVID-19

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma prochaine question s’adresse au sénateur Gold et concerne une question que j’ai soulevée à plusieurs reprises cette année, à savoir le délai de quatre mois entre les deux doses de vaccin contre la COVID-19.

On a appris mercredi dernier qu’un hôpital de Montréal était aux prises avec une éclosion de COVID-19 : au moins 14 membres du personnel aux urgences ont contracté le virus. La plupart des médecins, du personnel infirmier et des commis infectés avaient reçu une première dose du vaccin, mais pas la deuxième. De même, un médecin spécialiste en médecine intensive à Toronto a déclaré sur les médias sociaux qu’il voyait des patients aux soins intensifs qui avaient contracté la COVID-19 alors que leur période d’attente avant de recevoir la deuxième dose était bien avancée.

Monsieur le leader, le fait de retarder la deuxième dose bien au-delà de ce que les fabricants recommandent a des conséquences réelles. Si le gouvernement est si confiant en ce qui concerne l’approvisionnement en vaccins, pourquoi faut-il encore attendre quatre mois entre les deux doses?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Sénateur, je vous remercie de votre question. Toutes nos pensées accompagnent les personnes qui souffrent de la COVID-19 et les travailleurs de première ligne qui sont souvent exposés au danger.

La décision du gouvernement du Canada et les conseils qu’il a donnés reposent sur des recommandations de professionnels et de scientifiques. Les provinces ont aussi obtenu des recommandations de leurs propres spécialistes. De façon générale, prolonger la période entre la première et la deuxième doses est la meilleure décision, et celle qui est le plus appropriée afin que le plus grand nombre possible de Canadiens reçoivent une première dose. Agir ainsi visait à aplanir la courbe et à freiner la propagation le plus rapidement possible.

Or, l’arrivée et la propagation de nouveaux variants ont considérablement compliqué la situation. Néanmoins, le gouvernement estime que le fait de suivre ces conseils et de les diffuser — bien entendu, je parle au nom du gouvernement fédéral, mais je pense qu’il en est de même pour les provinces — était la bonne décision, tout compte fait.

Le sénateur Plett : Monsieur le leader, je suis certain que les 14 employés de la salle d’urgence vous diraient qu’ils ne sont pas d’accord en ce qui a trait à l’information erronée sur laquelle le gouvernement fédéral fonde, à l’évidence, ses décisions.

Monsieur le leader, vous et d’autres représentants du gouvernement vous entêtez à dire que le report était une décision des provinces. Or, les provinces dépendent entièrement de l’approvisionnement en vaccins géré par le gouvernement Trudeau. Le Comité consultatif national de l’immunisation l’a affirmé très clairement : sa recommandation concernant le report de quatre mois était uniquement fondée sur le piètre approvisionnement en vaccins.

Monsieur le leader, aucun autre pays dans le monde n’a repoussé la deuxième dose de quatre mois. Reconnaissez-vous que cette situation est directement attribuable aux défaillances de l’approvisionnement en vaccins du gouvernement Trudeau?

Le sénateur Gold : En bref, la réponse est non. Je vous remercie de votre question. Le Comité consultatif national de l’immunisation a appuyé la possibilité de reporter la deuxième dose de quatre mois tout au plus, dans le but de maximiser le nombre de personnes étant partiellement immunisées. Je l’ai répété à de nombreuses reprises, le Canada, même s’il n’a aucune capacité de production sur son territoire, a fait un excellent travail et se classe parmi les meilleurs pays du G20 pour le nombre de vaccins inoculés à sa population.

[Français]

La justice

Les peines minimales obligatoires

L’honorable Josée Forest-Niesing : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Les tribunaux canadiens de tous les niveaux ont déclaré inconstitutionnelles les peines minimales obligatoires au motif qu’elles sont inefficaces, injustes et cruelles. Les peines minimales obligatoires sont aussi extrêmement coûteuses, et de nombreuses études confirment qu’elles ne découragent pas la criminalité. Nous savons également qu’elles ont eu pour effet inacceptable d’augmenter le nombre de personnes incarcérées tout en ayant un impact disproportionné sur les personnes autochtones, noires et racialisées, et sur les femmes, en particulier.

Le projet de loi C-22, qui vise à éliminer un certain nombre de peines minimales obligatoires, repose manifestement sur la prise en compte de ces échecs, et je salue cette étape importante et opportune vers un régime de détermination de la peine plus juste.

Cependant, je me demande pourquoi les peines minimales obligatoires ne seraient pas toutes éliminées. Sénateur Gold, quel avantage le gouvernement voit-il à préserver la cinquantaine de peines minimales obligatoires qui demeureraient au Code criminel?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question, sénatrice.

Le gouvernement fait un pas en avant très important en éliminant un grand nombre de peines minimales obligatoires, comme je l’ai déjà mentionné dans ma réponse à la question de la sénatrice Bernard. Il est certain qu’il en reste toutefois plusieurs, comme vous l’avez mentionné, et le gouvernement est toujours en train d’évaluer les prochaines étapes.

Cependant, ce qui est important pour nous à titre de parlementaires, c’est de mettre la main à la pâte aussitôt que nous recevrons le projet de loi afin de l’étudier en profondeur. Je vous remercie de votre approbation en principe de ce pas en avant que représente le projet de loi C-22.

(1300)


[Traduction]

ORDRE DU JOUR

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, conformément à l’ordre adopté plus tôt aujourd’hui, je quitte maintenant le fauteuil pour que le Sénat se forme en comité plénier sur la teneur du projet de loi C-29, Loi prévoyant la reprise et le maintien des opérations au port de Montréal. Le comité sera présidé par la Présidente intérimaire, l’honorable sénatrice Ringuette. Afin de faciliter la distanciation appropriée, elle présidera le comité à partir du fauteuil du Président.

Projet de loi de 2021 sur les opérations au port de Montréal

Étude de la teneur du projet de loi en comité plénier

L’ordre du jour appelle :

Le Sénat en comité plénier afin de recevoir des représentants du Syndicat des débardeurs du port de Montréal SCFP, section locale 375, et de l’Association des employeurs maritimes, ainsi que l’honorable Filomena Tassi, c.p., députée, ministre du Travail, et l’honorable Omar Alghabra, c.p., député, ministre des Transports, accompagnés de fonctionnaires, relativement à la teneur du projet de loi C-29, Loi prévoyant la reprise et le maintien des opérations au port de Montréal.

(La séance est suspendue et le Sénat se forme en comité plénier sous la présidence de l’honorable Pierrette Ringuette.)


La présidente : Honorables sénateurs, le Sénat s’est formé en comité plénier pour étudier la teneur du projet de loi C-29, Loi prévoyant la reprise et le maintien des opérations au port de Montréal.

Honorables sénateurs, durant un comité plénier, les sénateurs s’adressent à la présidente, mais ne sont pas obligés de se lever. Conformément au Règlement, le temps de parole est de 10 minutes — questions et réponses y comprises. Cependant, tel qu’ordonné plus tôt aujourd’hui, si un sénateur n’utilise pas tout son temps de parole, il peut céder le temps qu’il lui reste à un autre sénateur.

Le comité accueillera des représentants du syndicat, suivis d’un représentant de l’employeur, puis de la ministre du Travail et du ministre des Transports.

J’invite maintenant les premiers témoins à se joindre à nous.

(Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, les représentants du Syndicat des débardeurs du port de Montréal SCFP, section locale 375, se joignent à la séance par vidéoconférence.)

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs, nos premiers témoins représentent le Syndicat des débardeurs du port de Montréal SCFP, section locale 375. Je vous invite à vous présenter et à faire vos observations préliminaires d’au plus cinq minutes.

Michel Murray, conseiller syndical, Syndicat des débardeurs du port de Montréal — Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP 375) : Mon nom est Michel Murray, je suis le porte-parole du Syndicat des débardeurs du port de Montréal. Je représente 1 150 hommes et femmes qui exercent le métier de débardeur au port de Montréal. Je suis accompagné du procureur du syndicat, Me Yves Morin.

Je remercie les sénateurs et les sénatrices pour cette invitation. Nous aurons à nous prononcer ou à donner nos commentaires sur le projet de loi spécial déposé par le gouvernement.

Dans un premier temps, depuis l’arrêt Saskatchewan de la Cour suprême, en 2015, il n’y a plus aucun tribunal qui remet en question que le retrait du droit de grève constitue une atteinte substantielle au droit reconnu par l’alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Même l’Organisation internationale du travail (OIT), dont le Canada est signataire de plusieurs accords internationaux, l’a reconnu. Pour bafouer un droit reconnu par la Charte, il faut être en présence d’un caractère urgent. Ces caractères urgents doivent nécessairement être évalués à partir de caractères objectifs.

Le Conseil canadien des relations industrielles s’est déjà prononcé sur le caractère objectif. Il a été saisi d’une requête de l’employeur sur les services essentiels et il a rendu une décision le 8 juin 2020. Il y a eu, au cours de ces auditions pour la partie patronale, 22 témoins et 127 pièces déposées, et 27 journées d’audition sur la nature de la requête de services essentiels de l’employeur. Le tribunal a décidé, le 8 juin 2020, que :

[…] le Conseil est d’avis que la preuve est insuffisante pour qu’il accueille la demande présentée par l’employeur afin que soit maintenue la totalité des services de débardage en cas de déclenchement d’une grève au Port de Montréal. Le Conseil n’est pas convaincu, à la lumière de la preuve présentée, qu’il serait nécessaire de maintenir toutes les activités de débardage, tel que le demande l’employeur, pour prévenir des risques imminents et graves pour la sécurité ou la santé du public.

Je vais revenir sur la nature de « santé et sécurité » un peu plus loin.

En ce qui a trait au caractère économique dont on entend beaucoup parler, je vous rappelle que le Syndicat des débardeurs a participé, en 1996, à des modifications au Code canadien du travail, mieux connues sous le nom de « Vers l’équilibre » , et qui était le rapport Sims. C’était sous un gouvernement libéral et le ministre du Travail était M. Alfonso Gagliano, qui avait fait un travail fantastique pour le syndicat des débardeurs à l’époque. M. Sims avait dit :

Aucune loi ne reconnaît l’incidence économique d’un arrêt de travail comme critère pouvant justifier la désignation de service essentiel. Sans vouloir amoindrir l’importance des répercussions économiques, il existe d’autres moyens de protéger les intérêts en ce domaine.

Donc, ce que nous constatons, c’est que ce projet de loi tente de faire ériger comme critère essentiel le caractère économique. Aucun tribunal n’a reconnu ce critère jusqu’à maintenant, je dirais même que la Cour suprême elle-même, dans l’arrêt Saskatchewan, a prévu que la jurisprudence et les obligations internationales du Canada confirment que dans notre régime de relations de travail, le droit de grève constitue un élément essentiel dans un processus véritable de négociation. Le temps est venu de consacrer constitutionnellement ce droit de grève, et cela se trouve dans l’arrêt Saskatchewan.

Dans une décision plus récente de la Cour suprême, Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, la décision mentionnait :

Cependant, une mesure dont le seul objectif est d’ordre financier et qui porte atteinte à des droits garantis par la Charte ne peut jamais être justifiée en vertu de l’article premier.

Je m’adresse à vous pour vous dire qu’on tente de nous enlever ce droit constitutionnel. Nous aimons croire que les sénateurs et les sénatrices sont les gardiens de cette Charte et des valeurs qui lui sont consacrées; cela ne peut pas être mis au rancart pour des intérêts financiers. L’OIT et la Cour suprême l’ont d’ailleurs protégée par ces décisions.

Je voudrais aborder la question du matériel médical qui a été soulevée lors des différentes audiences à la Chambre des communes. On sait qu’on est en temps de pandémie; le syndicat, sans aucune obligation de sa part, tant l’année dernière qu’au cours des sept derniers jours, a offert à l’employeur de sortir les conteneurs qui contenaient du matériel médical lié à la pandémie, et sans aucune demande de reconnaissance de notre part, car on n’a aucune obligation de le faire, mais à titre humanitaire, et on comprend...

La présidente : Monsieur Murray, je dois vous interrompre. Nous passons maintenant à 60 minutes de questions pour vous.

Le sénateur Carignan : Bonjour, monsieur Murray. Ma question fait suite aux décisions dont vous parlez. Il y a eu plusieurs interventions, notamment en ce qui concerne des décisions du Conseil des relations industrielles et une sur une plainte récente où on traitait de la négociation de bonne foi et où les parties semblaient s’attaquer sur cette question. Le Conseil des relations industrielles a rejeté la plainte de négociation de mauvaise foi, mais a quand même écorché le syndicat en passant. Je vous lis le passage :

Est-ce que le syndicat fait tous les efforts raisonnables?

Le Conseil a de la difficulté à voir d’un bon œil le fait que le Syndicat a déclaré une grève en août 2020 avant même d’avoir fourni à l’employeur les précisions nécessaires concernant ses revendications et sans avoir présenté ses revendications monétaires et salariales. Cela nous semble tout à fait irresponsable et non conforme à un processus de négociation raisonnable.

(1310)

Votre convention collective, qui est échue depuis 2018, a fait l’objet d’avis de négociations et de plusieurs votes dans des assemblées générales afin que vous puissiez vous prévaloir de moyens de pression, y compris la grève. Comment se fait-il qu’en 2021, on ait une décision du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) indiquant que vous n’avez pas encore commencé à négocier ni déposé d’offre?

M. Murray : Les audiences de la CCRI ont eu lieu en août 2019. Le syndicat a pris acte de la décision. L’employeur non plus n’avait pas déposé — c’est ce qui avait été convenu entre les parties — son offre financière. Nous faisions face à de grands enjeux au mois d’août. Cela avait achoppé. Nous avions utilisé notre droit de grève pour tenter d’influencer la table de négociations. Nous nous sommes prévalus de notre droit et, depuis, le syndicat et l’employeur ont tous deux déposé leurs demandes de nature financière.

Le sénateur Carignan : Pour ce qui est de la marchandise, vous avez offert d’aller chercher les conteneurs dans lesquels se trouvait du matériel médical, entre autres. En ce qui concerne les décisions sur les services essentiels que vous avez mentionnées tout à l’heure, au paragraphe 22, on dit :

En 2018, pour une cinquième année consécutive, le Port de Montréal a connu une croissance importante; 39 millions de tonnes de marchandises y ont transité. Les marchandises qui transitent par le Port de Montréal comprennent notamment des biens périssables et des biens dangereux, des produits pharmaceutiques, de l’équipement pour la protection contre les incendies et la protection civile, des plantes à usage médical, des parasiticides, des produits chimiques, des produits alimentaires, des fertilisants, des minerais et des explosifs, pour n’en nommer que quelques-uns.

Dois-je comprendre que tous ces produits peuvent actuellement être entreposés sur des bateaux qui sont arrimés au port ou qu’ils sont en transit, mais en attente quelque part sur la voie maritime, avec les risques que tout cela peut comporter?

M. Murray : Lorsqu’il y a une grève ou un lock-out dans le port de Montréal — il y a déjà eu 21 jours de lock-out au cours des 25 dernières années —, les navires quittent le port de Montréal en direction d’autres ports. Les voies de chemin de fer sont complètement évacuées et sortent du territoire du port de Montréal.

En ce qui a trait à tout ce que vous avez énuméré, mis à part le matériel médical pour lequel j’ai déjà répondu que le syndicat avait fait une offre à la partie patronale.... D’ailleurs, personne ne nous a demandé, depuis le début de la grève, de sortir les conteneurs. Donc, je présume qu’il n’y en a pas à l’heure actuelle dans le port.

Le CCRI a traité cette demande. Il ne faut pas considérer cela comme des services essentiels.

Le sénateur Carignan : Pouvez-vous nous donner le nombre d’heures de rencontres et de négociations que vous avez tenues jusqu’à maintenant avec les représentants de la partie patronale? Avez-vous un calendrier ou toute tenue de registre qui pourrait nous donner une idée du nombre de rencontres qui ont eu lieu, autant pour les négociations que pour la médiation, afin de constater cet échec?

M. Murray : Il y a eu plus de 100 jours de négociation, dont une quarantaine où les parties étaient en attente de la décision du CCRI. Ces audiences ont duré un an et demi. On a reçu la décision seulement l’année dernière, en juin 2020. Nous avons eu une quarantaine de rencontres de négociation, et de part et d’autre, je pense que les parties étaient bien conscientes qu’il y avait une espèce d’attentisme par rapport à la négociation et aux décisions à venir. Il s’agit de ma quatrième négociation avec le port de Montréal. Des négociations de deux ans ou deux ans et demi sont pratique courante. Malheureusement, c’est la structure patronale qui fait en sorte que cela prend autant de temps pour parvenir à une entente entre les parties.

Au port de Montréal, il n’est pas nouveau que la durée des négociations ou le nombre de rencontres prennent autant de temps, monsieur le sénateur.

La présidente : Vous disposez encore de quatre minutes, sénateur Carignan.

Le sénateur Carignan : Je vais aborder la loi spéciale. La possibilité d’une loi spéciale n’entre-t-elle pas un peu dans le jeu des négociations?

Dans le cadre de ma préparation, j’ai lu un article d’un journal syndical selon lequel l’ancien gouvernement conservateur de M. Harper avait clairement indiqué que si une grève éclatait au port de Montréal, il appliquerait une loi spéciale. Cela avait amené les parties à négocier et à signer une convention collective.

Dans ce cas-ci, on ne s’attendait pas nécessairement à ce que le gouvernement Trudeau dépose une loi spéciale, compte tenu des déclarations faites par la ministre au mois d’août.

M. Murray : Je dois vous dire que j’étais à la table des négociations jusqu’à mardi dernier. Selon nous, l’annonce d’une loi spéciale dimanche, annoncée par la ministre du Travail dimanche dernier, a saboté toute chance d’arriver à un règlement. Mardi dernier, l’employeur a quitté la table après que le syndicat a déposé les paramètres d’une offre.

Les détails des négociations passent d’une table de négociation à l’autre, selon les paramètres connus par les parties avec les médiateurs, mais l’employeur a quitté la table. Alors, nous sommes persuadés que cette loi spéciale est loin d’aider le processus de négociations. En fait, elle l’a complètement saboté. L’employeur est en attente de la loi spéciale, de notre point de vue.

J’aimerais souligner qu’avant même l’annonce de la loi spéciale, le syndicat avait envoyé deux avis de grève, en réponse à deux mesures prises par l’employeur. Cela fait sept jours qu’on dit que si l’employeur levait ces deux mesures et respectait les dispositions et les pratiques qui prévalaient le 9 avril dernier, avant qu’il modifie les conditions de travail des débardeurs, le port de Montréal rouvrirait dans les heures qui suivent.

La loi spéciale n’est pas nécessaire. Il suffirait que l’employeur, qui viendra témoigner devant vous après moi, lève ces deux mesures et ramène les dispositions qui prévalaient le 9 avril, et la grève prendrait fin. On a fait cette offre il y a sept jours et depuis, c’est le silence complet du côté de la partie patronale.

[Traduction]

La sénatrice Lankin : Je vous suis très reconnaissante d’être parmi nous, messieurs, et de nous aider à mieux comprendre le contexte dans lequel nous procédons à l’étude du projet de loi.

D’emblée, je dirai que, de mon point de vue, le travail du Sénat consiste principalement, en l’occurrence, à déterminer la constitutionnalité du projet de loi. Notre rôle n’est pas de juger laquelle des deux parties a raison dans le conflit de travail, ou si les deux camps ont raison ou pas. Notre tâche est de comprendre et d’examiner la mesure législative du gouvernement et de déterminer s’il s’agit d’une réponse à la fois appropriée et constitutionnelle.

Aujourd’hui, le représentant du gouvernement au Sénat a déposé un avis constitutionnel, ou un énoncé concernant la Charte, où le gouvernement indique comment, selon lui, le projet de loi est conforme à la Charte. Monsieur Murray, l’énoncé reprend les arguments avancés par la ministre ces derniers jours, concernant la dégradation généralisée de l’économie, les pertes d’emploi et d’autres facteurs qui toucheraient de nombreux secteurs de l’économie canadienne. Elle a fait allusion au fait que le problème est exacerbé par la pandémie, sans toutefois en faire un des arguments principaux.

Cela me laisse bien perplexe. D’abord, des « conséquences économiques de grande ampleur » ne constituent pas, selon moi, un critère en vertu de la Charte. L’article 2 de la Charte garantit la liberté d’association. L’article 1 stipule que le gouvernement peut restreindre ce droit dans des limites raisonnables. Les contestations devant les tribunaux, qu’il s’agisse de l’affaire Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan dont vous avez parlé, qui est allée jusqu’à la Cour suprême et a contribué à établir un seuil ou un critère d’« atteinte substantielle » , ou des décisions du Conseil canadien des relations industrielles, ont établi des critères pour déterminer ce qui constitue un danger pour le public et si ce danger est immédiat. Les circonstances ne montrent pas clairement comment ce projet de loi particulier satisfait ces critères.

(1320)

Vous avez parlé du fait que, même si beaucoup de gens déplorent qu’il y ait eu deux ans de négociations sans accord, il a fallu près de deux ans avant d’avoir la décision sur les services essentiels. Cette décision qui, je pense, a été rendue en août de l’année dernière — au beau milieu de la pandémie, avec tout ce que cela signifie — rejette complètement les arguments de la vingtaine de témoins et d’intervenants et les quelque 100 éléments de preuve qui avaient été présentés par l’association Manufacturiers et Exportateurs du Canada expliquant pourquoi ces services étaient tout à fait essentiels — au sens large —et qu’il ne pouvait pas y avoir de grève.

Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de la constitutionnalité de la chose, en regard de la Charte des droits, et du lien qui existe entre l’article 2, sur la liberté d’association, qui reconnaît le droit de grève, et l’alinéa i), qui prévoit des restrictions à cette liberté et des justifications à fournir à cet égard?

[Français]

M. Murray : Je vais céder la parole à mon procureur, Me Yves Morin, qui est la personne qui pourra le mieux vous répondre à cet effet.

Me Yves Morin, procureur du syndicat, Syndicat des débardeurs du port de Montréal — Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP 375) : Comme M. Murray vous l’a expliqué au début de son allocution, l’arrêt Saskatchewan, en 2015, est venu consacrer ce que le juge Dickson avait dit plusieurs années auparavant. Ce que l’on sait aujourd’hui, de façon claire, nette et précise, c’est que le droit à la grève est reconnu constitutionnellement au Canada; c’est, en effet, l’alinéa 2d) qui protège ce droit. Il y a donc dans ce cas une atteinte substantielle. Quand on abolit le droit de grève, il s’agit d’une atteinte substantielle automatique. On ne peut le faire que si cela est justifié dans une société libre et démocratique, comme vous l’avez exprimé si clairement, madame la sénatrice. En ce moment, on évoque des considérations d’ordre économique. Je ne dis pas que nous ne pouvons pas parler de considérations économiques et qu’elles ne sont pas importantes, mais, depuis très longtemps, au sein même de notre pays, on reconnaît le droit de grève. En 2002, dans la décision Pepsi-Cola, la Cour suprême avait conclu ce qui suit :

[...] notre société en est venue à reconnaître que ces coûts sont justifiés eu égard à l’objectif supérieur de la résolution des conflits de travail et du maintien de la paix économique et sociale. Désormais, elle accepte aussi que l’exercice de pressions économiques, dans les limites autorisées par la loi, et l’infliction d’un préjudice économique lors d’un conflit de travail représentent le prix d’un système qui encourage les parties à résoudre leurs différends d’une manière acceptable pour chacune d’elles [...]

Ceci s’applique quand une grève est tout à fait légale, et cette grève l’est. Les questions ayant trait aux services essentiels et au danger pour la population étaient déjà codifiées dans le Code canadien du travail. Ces questions ont également fait l’objet d’audiences devant le Conseil canadien du travail et une décision a été rendue en juin 2020. Il reste aujourd’hui les pressions économiques. Cela serait mentir que de dire qu’une grève ne sert pas à faire des pressions économiques; une grève sert plutôt aux travailleurs, qui sont les personnes vulnérables dans un conflit, et permet d’assurer un certain équilibre pour être en mesure de négocier de meilleures conditions de travail.

Ce que nous demandons aujourd’hui au Sénat, parce que le projet de loi a été adopté à la Chambre des communes, c’est de changer l’ordre des choses et de mettre au rancart la protection accordée par la Constitution et par l’alinéa 2d) pour des raisons d’ordre financier. Il ne faut pas oublier que les véritables employeurs des débardeurs, en plus de l’Association des employeurs maritimes, qui est une entité qui existe en vertu de l’article 34 du Code canadien du travail, sont cinq compagnies maritimes qui forment un conseil d’administration et qui gagnent des milliards de dollars de profits. Il ne s’agit pas d’un système où les gens qui se trouvent du côté de l’employeur sont mal en point, loin de là. Cela ne veut pas dire que les pressions économiques sont des choses banales ou sans importance. Toutefois, la décision que vous devez prendre sur l’aspect constitutionnel du dossier, c’est d’examiner les faits sous l’angle de la Charte. Vous êtes les gardiens de la Charte. Vous êtes les gardiens de ces valeurs qui s’appliquent à tous les Canadiens. Ce serait trop facile de mettre tout cela de côté. Voilà les principes constitutionnels qui sont en jeu.

[Traduction]

La sénatrice Lankin : Monsieur Morin, je regrette de vous interrompre, mais j’aimerais vous poser une question.

Dans sa décision de 2020, le Conseil canadien des relations industrielles a souligné que le syndicat s’est engagé à s’occuper de toutes les marchandises destinées à Terre-Neuve parce qu’il est conscient du rôle essentiel que joue le service de traversier là-bas et qu’il déchargerait les conteneurs de tous les navires transportant des marchandises destinées à cette province. Vous avez fait cette offre pour les marchandises liées à la pandémie.

J’ai parlé à un employeur il y a deux jours, qui m’a dit que, lors de la dernière grève, quand on demandait aux travailleurs syndiqués de décharger des marchandises, ils le faisaient uniquement lorsque cela respectait les paramètres des accords et l’offre présentée par le syndicat. Cette personne m’a dit que ce n’était pas souvent le cas à cause de problèmes logistiques, et c’est un enjeu que nous avons soulevé.

Pour moi, il n’est pas question de savoir qui est à blâmer, si l’offre est bonne ou si les deux parties font preuve de bonne foi. Ce qui est en cause ici, c’est le fait que nous invoquons essentiellement l’argument de préjudice économique pour prévenir une grève. Pour autant que je sache, il n’y a pas de grève, en particulier dans le secteur privé, dont le but n’est pas d’exercer des pressions financières sur l’employeur, plutôt que de nuire à l’économie nationale. Il doit y avoir un équilibre.

Dans sa décision, le Conseil canadien des relations industrielles a dit clairement, après avoir examiné toutes les preuves, que le droit de grève de ces débardeurs serait irrémédiablement brimé si toutes les marchandises étaient jugées essentielles, ce que fait en réalité la loi de retour au travail. « Cela cause trop de tort et il s’agit d’un travail essentiel. Vous devez reprendre le travail. » Cela va bien au-delà de ce que les tribunaux ou le Conseil canadien des relations industrielles ont accordé par le passé.

Je voudrais aussi savoir si vous êtes au courant que le gouvernement a inclus dans le projet de loi C-14 une disposition qui lui permettrait de se servir des règlements...

La présidente : Sénatrice Lankin, je suis désolée, mais votre période de 10 minutes est terminée. Nous devons passer au sénateur suivant.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à M. Murray. Merci d’avoir accepté l’invitation. J’aimerais que vous nous parliez du climat de travail qui régnait lors des séances de négociations. Comment ce climat a-t-il a évolué depuis 2018? Est-ce que vous avez vu venir la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, c’est-à-dire la fameuse loi spéciale?

M. Murray : Pour être bien honnête, je n’avais pas prévu l’adoption d’une loi spéciale; l’employeur avait pris des mesures économiques contre nos débardeurs, deux fois plutôt qu’une. Nous avons réclamé qu’il lève ses mesures économiques et nous avons, pour notre part, offert de lever nos mesures de grève, qui avaient été adoptées en réaction aux mesures économiques de l’employeur. Nous n’avons encore obtenu aucune réponse. Si l’employeur avait accepté de répondre, le port serait opérationnel depuis sept jours et nous ne serions pas en train de discuter d’une loi spéciale aujourd’hui. Quant au climat, il est évident que...

[Traduction]

Le sénateur Plett : Madame la présidente, l’interprète dit qu’il lui est impossible de faire son travail, alors nous n’entendons rien.

La présidente : Nous allons faire une pause pour tester le système. Merci, sénateur Plett.

(1330)

[Français]

La présidente : Nous allons poursuivre. Il reste encore 8 minutes 45 secondes à cette période de questions.

M. Murray : Pour répondre à vos questions sur le climat de travail et le climat à la table de négociations, je crois que ce climat est respectueux, comme toujours entre les parties. Je suis obligé de vous dire que le problème est le même depuis plusieurs années et qu’il concerne la durée des négociations sur la convention collective. Nous n’avons pas les véritables décideurs devant nous; les compagnies maritimes ne sont pas présentes à la table de négociations. Le président du conseil d’administration de l’Association des employeurs maritimes n’est pas assis à la table de négociations. J’en suis à ma quatrième négociation et j’ai déjà vu un président de conseil d’administration assis devant nous afin que nous puissions...

[Traduction]

Le sénateur Plett : Madame la présidente, les interprètes disent qu’ils n’entendent rien.

La présidente : Sénateur Plett, nous écoutons l’interprétation en anglais et nous l’entendons ici. Je vois le sénateur White dire qu’il l’entend aussi. Par conséquent, sénateur Plett, pourriez-vous peut-être...

Le sénateur Plett : Madame la présidente, ce n’est pas le problème. L’interprète a indiqué qu’elle ne peut pas interpréter les délibérations parce que le volume est trop bas. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est l’interprète.

La présidente : Très bien. Entendez-vous la traduction simultanée, sénateur Plett?

[Français]

M. Murray : En ce qui concerne l’atmosphère entre les parties à la table de négociations, elle est bonne. Le problème a trait à la durée des négociations et il est toujours le même, soit que nous ne sommes pas assis avec les véritables décideurs, qui sont cinq grandes compagnies maritimes multimilliardaires, comme mon procureur vous l’a dit un peu plus tôt. Il est donc tout à fait normal que des conventions collectives prennent deux ans ou deux ans et demi pour être négociées dans notre industrie.

Le sénateur Dagenais : J’aimerais poursuivre dans la même veine. Nous avons beaucoup entendu parler du problème des horaires de travail. Quelles sont les revendications de la partie patronale? Nous comprenons bien qu’il y avait des conditions de travail de 19-21 jours, et on a beaucoup parlé aussi de conciliation travail-famille. Même le premier ministre Trudeau en parle. J’imagine qu’il doit comprendre la situation. Je vous laisse répondre là-dessus.

M. Murray : C’est, effectivement, l’un des principaux enjeux du syndicat. Nous avons soumis des propositions à la table de négociations, sans entrer dans les détails, qui assuraient une meilleure conciliation travail-vie personnelle pour nos membres. Il s’agissait donc de briser le fameux cycle de 19-21 jours. Ceux qui auraient eu moins de travail auraient nécessairement subi une baisse de salaire. Nous n’avons jamais réclamé que ces demandes soient à salaire égal. L’employeur disait qu’il aurait besoin d’une certaine partie de la main-d’œuvre pour combler les absences des gens qui partaient en congé pour réaliser une meilleure conciliation travail-vie personnelle. Nous croyons avoir répondu aux demandes patronales. Malheureusement, l’employeur continue de penser que le statu quo quant aux horaires de travail est la meilleure des choses, ou alors il fait des propositions qui s’appliqueraient à très peu de nos membres. Nous constatons un manque de volonté, en ce qui nous concerne, de la partie patronale en vue d’améliorer la conciliation travail-vie personnelle. Je suis dans l’obligation de vous dire que la modification des horaires de travail que l’employeur avait annoncée est complètement à l’opposé de la conciliation travail-vie personnelle que nous recherchons. Il s’agit d’une atteinte directe aux droits de nos débardeurs. C’est la raison pour laquelle nous avons envoyé l’avis de grève générale illimitée. Si l’employeur établissait les horaires qui prévalaient au 9 avril — et qui sont pratiquement toujours utilisés par les compagnies maritimes, qu’il y ait un, deux ou trois navires dans le port —, nous ne serions pas en train d’examiner un projet de loi spéciale ce matin.

Le sénateur Dagenais : Comme vous l’avez mentionné, les employeurs sont cinq compagnies maritimes, et, selon ce que je comprends, ils se soucient davantage de leurs profits que des intérêts des travailleurs. On parlait de pertes de 25 millions de dollars par jour causées par la grève. Y a-t-il un peu de vérité dans cet énoncé, ou est-ce simplement de la fabulation de la part des employeurs, soit les compagnies maritimes?

M. Murray : Monsieur le sénateur Dagenais, je ne sais pas si le chiffre est exact, mais présumons qu’il l’est. On parle de 25 millions de dollars par jour. Le syndicat a fait une proposition à l’employeur — qui comparaîtra un peu plus tard — il y a sept jours, et, depuis sept jours, l’employeur est silencieux en ce qui concerne l’offre syndicale de lever les mesures qu’il a prises contre nous. Nous étions prêts à interrompre notre grève immédiatement. Depuis sept jours, il n’y a aucune reddition de comptes en ce qui concerne ces 25 millions de dollars de pertes potentielles par jour et la partie patronale est silencieuse. Sinon, on n’en serait pas à examiner un projet de loi spéciale. Le port serait ouvert depuis sept jours, n’eût été le silence de la partie patronale.

Le sénateur Dagenais : J’aimerais revenir sur l’offre de maintien des services essentiels que vos débardeurs ont faite à l’employeur.

M. Murray : Au sujet des services essentiels, le grain est déjà prévu au Code canadien du travail. Nous avons pris un engagement auprès du Conseil canadien des relations industrielles pour l’approvisionnement de Terre-Neuve-et-Labrador dans les deux sens. Cela a été respecté. Pour chaque jour de grève des débardeurs, nous avons respecté notre engagement et le travail a été fait de façon impeccable. Jamais la province de Terre-Neuve-et-Labrador n’a souffert de cette grève. De plus, sans obligation de notre part, étant donné la pandémie, nous avons offert l’été dernier à l’employeur, comme cette année, de lui prêter des débardeurs pour sortir les conteneurs médicaux, le cas échéant, qui se trouvaient dans le port de Montréal. Au cours des sept derniers jours, nous n’avons reçu aucune demande. L’année dernière, l’employeur nous avait fait parvenir une liste de 366 conteneurs et, lorsque nous avons regardé plus attentivement les produits qui se trouvaient dans les conteneurs, nous avons constaté qu’il y avait des poires et du chocolat, ce qui n’est malheureusement pas lié à la pandémie.

J’ajouterai une dernière chose, et vous pourrez faire la vérification auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada : 93 % du matériel médical, y compris les vaccins, entre au pays par les services aériens à l’aéroport Lester B. Pearson. Donc, lorsque l’on vous dit qu’une quantité considérable de matériel médical est bloquée au port de Montréal, je vous affirme que l’employeur ne nous a pas fait de demande en ce sens depuis sept jours. Donc, par association, je suis obligé de vous dire qu’il n’y en a pas.

Le sénateur Dagenais : Est-ce que le refus de vous rencontrer ne serait pas une stratégie de la part de la partie patronale pour vous diriger inévitablement vers une loi spéciale? Cela s’est déjà vu dans d’autres négociations. Il y a de la bonne foi chez les syndiqués, mais parfois, l’employeur reste muet, car il sait très bien qu’il y aura une loi spéciale et que quelqu’un d’autre réglera la convention collective à sa place.

M. Murray : Malheureusement, sénateur Dagenais, je suis obligé de dire que j’abonde dans le même sens. En tout respect pour la ministre Tassi, à partir du moment où elle a annoncé son projet de loi, même si nous avions déjà offert de lever nos mesures de grève si l’employeur levait les siennes pour que le port redevienne opérationnel, force est de constater que l’employeur s’est assis sur ses mains et qu’il n’avait aucune intention de négocier en raison de l’adoption de la loi spéciale.

(1340)

Je vous dirais même que nous avons demandé que ces deux mesures soient rétablies au 9 avril et, au moment où je vous parle, je ne sais même pas si, dans le cadre d’un retour au travail forcé par une loi spéciale, les hommes et les femmes que nous représentons auront les mêmes horaires de travail qui prévalaient le 9 avril et qui sont, en pratique, toujours utilisés. Je nage en plein mystère à ce sujet.

Même si l’employeur dit qu’il a le droit de les utiliser selon la convention collective, ces horaires ne sont pratiquement jamais utilisés, sinon pour punir les débardeurs. Je vais attendre une réponse; je l’ai demandé au ministre et au premier ministre, mais j’aimerais bien savoir si les conditions qui prévalaient le 9 avril seront rétablies.

Le sénateur Dagenais : Je vous remercie beaucoup, monsieur Murray.

Le sénateur Dalphond : D’abord, je voudrais remercier M. Murray et Me Morin d’être à notre disposition aujourd’hui. C’est important d’entendre la vision des parties et une vision provenant directement de leur bouche et non pas celle qu’on entend par la voix des médias et qui peut parfois être incomplète.

J’aimerais continuer dans la lignée des excellentes questions que posait le sénateur Dagenais quant aux modifications qui ont été imposées par l’employeur le 9 avril, sans discussion et unilatéralement, si je comprends bien.

Je comprends que l’une est relative au changement de politique en matière d’horaires de travail et que la deuxième est relative aux heures garanties; pouvez-vous préciser davantage ce sujet?

Je vous pose également une deuxième question tout de suite. Est-ce que la loi spéciale, si elle entre en vigueur, rétablit la convention collective au 1er janvier 2019, ce qui obligera l’employeur à payer les heures garanties?

M. Murray : En ce qui concerne les heures garanties, c’est un échange, sénateur Dalphond, qui existe depuis 50 ans grâce à la disponibilité absolument incroyable des débardeurs. La contrepartie, c’est une sécurité d’emploi qui est la pierre angulaire de notre convention collective.

J’ai compris que l’employeur allait se conformer à cette disposition advenant l’entrée en vigueur d’une loi spéciale. Par contre, nous n’avons aucune garantie qu’il se conformera aux horaires de travail, qui étaient des horaires sans interruption et qui étaient utilisés 99 % du temps, et ce, qu’il y ait un seul navire ou deux navires dans le port. À cet égard, je n’ai aucune réponse.

D’ailleurs, j’ai lu comme vous le projet de loi, où on parle de la prorogation de la convention collective. J’aimerais aussi ajouter que dans la mesure du possible, advenant que ce projet de loi soit adopté par vous, messieurs et mesdames les sénatrices et sénateurs, pour protéger les hommes et les femmes que nous représentons, il faudrait ajouter à l’article 6 que les conditions de travail et les pratiques en matière d’horaires de travail qui prévalaient dans le port de Montréal au 9 avril 2021, donc avant que l’employeur les modifie, continuent d’être appliquées.

Si vous adoptiez ce projet de loi, ce serait la meilleure façon de protéger les hommes et les femmes pour que l’employeur ne continue pas de punir celles et ceux que nous représentons après un retour au travail forcé. Si vous entérinez le retour forcé, ce qu’on ne souhaite pas, il y aura nécessairement une période de médiation qui suivra, et il faut absolument que cela se fasse dans les meilleures dispositions possible.

C’est pourquoi on vous demande de faire cet ajout au paragraphe 6, advenant le cas où vous adoptez le projet de loi, à savoir qu’après la prorogation de la convention collective, les pratiques et les conditions de travail qui prévalaient au 9 avril seront respectées par la partie patronale.

Le sénateur Dalphond : Voici ma troisième question.

Vous dites que vous faites face à une association d’employeurs qui est plutôt absente et qui vous envoie des gens de relations publiques à la table, mais que les vrais décideurs n’y sont pas. J’ai d’ailleurs noté qu’ils n’apparaissaient pas dans les médias, car on ne les voit pas. J’ai bien hâte de les entendre tout à l’heure parce que, depuis le début, ce sont les plus silencieux. On entend le ministre du Travail, on entend le gouvernement et vous, mais eux on ne les entend pas. Cela me laisse croire que vous avez raison de dire qu’ils sont plutôt discrets, sinon absents.

Dans un cadre de cette nature, l’arbitrage ne pourrait-il pas être une solution pour obtenir, par une décision imposée par un tiers, des solutions que ces gens absents ne voient pas l’intérêt de trouver?

L’arbitrage pourrait aussi permettre d’avoir des résultats plus efficaces que d’attendre après ces gens pendant des années.

M. Murray : Tout dépend du résultat, monsieur le sénateur. En tout respect, des conventions imposées laissent beaucoup de traces. C’est un aveu d’échec pour la partie patronale de ne pas avoir réussi à s’entendre avec le Syndicat des débardeurs du port de Montréal, comme plusieurs associations patronales l’avaient fait avant lui. Ce n’est pas la première fois; cela fait 100 ans qu’on existe au port de Montréal et il y a eu plusieurs conventions collectives. C’est donc un aveu d’échec pour cet employeur.

Dépendamment du résultat, en tout respect, quand on a une convention collective qui émane d’un médiateur-arbitre, cela laisse des traces et je suis obligé de vous dire que cela va aussi laisser des traces dans le cœur et l’âme des hommes et des femmes que nous représentons quant à leur engagement à rentrer travailler dans les meilleures dispositions possibles.

Quand on est rendu au point de se faire imposer une convention collective par un médiateur-arbitre, c’est une espèce d’aveu d’échec et je ne suis pas certain que les gens vont conserver la même fierté de travailler pour cet employeur. Une chose est sûre, ils ont retrouvé la fierté d’être représentés par leur syndicat, mais je ne suis pas sûr qu’ils vont garder la même fierté de travailler pour cet employeur.

Le sénateur Dalphond : Si l’arbitrage donne raison aux positions du syndicat, j’imagine que les employés seront fiers du travail que le syndicat a fait.

Est-ce qu’il y a déjà eu des lois spéciales dans les 100 dernières années, ou est-ce la première fois qu’une loi spéciale serait adoptée au port de Montréal?

M. Murray : La dernière loi spéciale remonte au début des années 1970. Dans le domaine portuaire, deux lois spéciales ont été adoptées au port de Vancouver. Les deux lois ont fait l’objet de plaintes monumentales émanant de l’Organisation internationale du travail qui les a qualifiées d’inconstitutionnelles. Je peux même ajouter que les deux lois spéciales adoptées par des gouvernements conservateurs dans le port de Vancouver ne se retrouvent plus dans le corpus juridique de la Chambre des communes.

Le sénateur Dalphond : Bien. Je vais laisser les trois minutes qu’il me reste à mon collègue le sénateur Mercer. Merci encore d’être ici, monsieur Murray.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Je vous remercie d’être ici aujourd’hui. D’autres ports canadiens ont aussi des problèmes de main-d’œuvre, dont certains sont plus graves que d’autres. Le port de Halifax, par exemple, semble bien se porter et la relation entre le syndicat et l’employeur continue d’être harmonieuse. N’y a-t-il pas moyen de tirer des leçons d’autres syndicats et d’autres employeurs pour régler la situation? Le port de Montréal n’est évidemment pas le seul port au Canada et il peut avoir des conditions de travail différentes, mais l’équité salariale et les horaires devraient certainement s’appliquer de la même façon partout au pays. Pourquoi est-ce toujours un problème?

[Français]

M. Murray : Je pense que les considérations de nature salariale des parties ne sont pas encore entendues à la table des négociations, mais en ce qui concerne les demandes, je pourrais vous dire sans me tromper que...

[Traduction]

Le sénateur Plett : Madame la présidente, si vous me permettez d’intervenir — il faudrait arrêter le chronomètre —, je ne sais pas si vous l’entendez aussi, mais l’interprète ne cesse de répéter que le son est inadéquat. Je ne sais pas comment vous faites pour avoir la traduction simultanée dans l’enceinte du Sénat alors que nous ne l’avons pas en ligne. Il est injuste que de nombreux sénateurs n’arrivent pas à entendre ce que disent les témoins. Il faudrait corriger le problème avant de continuer.

La présidente : Je crois que le problème vient de la transmission que nous recevons et que l’interprète reçoit. Le problème ne vient pas de nous, il vient de la transmission.

Le sénateur Plett : Madame la présidente, je m’excuse de vous le dire, mais je me fiche pas mal de savoir d’où vient le problème; c’est une question de privilège. Je n’entends pas ce que disent les témoins, alors si, en 2021, nous ne pouvons pas régler les problèmes pour ce genre de réunions par Internet, alors qu’on cesse de fonctionner de la sorte, sinon, qu’on règle le problème, parce que, selon moi, c’est une question de privilège. Je n’arrive pas à entendre ce qui se passe.

(1350)

[Français]

M. Murray : Je crois que la question portait sur les salaires et l’équité dans les différents ports.

Ce que je peux vous dire au sujet de l’équité, c’est que la question des salaires n’est pas un véritable enjeu à la table de négociations. Cependant, ce que le syndicat a déposé s’inscrit en droite ligne dans les augmentations de salaire qui ont été octroyées, tant à Vancouver qu’à Halifax.

De plus, les offres patronales à la table de négociations sont inférieures aux augmentations de salaire qui ont été accordées, encore une fois, tant à Vancouver qu’à Halifax.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Madame la présidente, avant de céder la parole, je dois donner raison au sénateur Plett. Nous entendrons d’autres témoins plus tard cet après-midi. Si le même problème technique se répète, les interprètes ne seront pas en mesure de faire leur travail. Ils ne sont pas en cause. C’est un problème de son. J’espère donc que l’équipe technique travaille avec les prochains témoins, qui comparaîtront aussi en ligne, afin que le problème ne se répète pas.

Mon temps de parole est écoulé. Merci.

Le sénateur Plett : D’accord. Je veux d’abord confirmer qu’on m’entend assez fort pour que tout le monde puisse comprendre ce que je dis dans les deux langues officielles.

Le sénateur Mercer : C’est toujours le cas.

Le sénateur Dalphond : Il n’y a pas de problème de ce côté-là.

Le sénateur Plett : Messieurs, je veux d’abord vous souhaiter la bienvenue au Sénat du Canada, malgré les problèmes associés aux rencontres de ce type. Nous vous remercions de votre indulgence et, espérons-le, de votre compréhension.

Ma première question porte sur la médiation qui est prévue dans le projet de loi. Selon la mesure législative, la médiation durerait 14 jours et, avec l’assentiment des deux parties, pourrait être prolongée de 7 jours, ce qui donne un total de 21 jours. Toutes les questions en suspens pourraient alors être réglées au moyen de la médiation. C’est ce que le projet de loi propose. À quel point êtes-vous optimistes, messieurs? Avez-vous bon espoir qu’une entente pourra être conclue pendant cette période? Que pensez-vous des dispositions du projet de loi sur le processus de médiation et le possible arbitrage?

[Français]

M. Murray : Je vous répète que, ultimement, nous préférerions nettement qu’il n’y ait pas de loi spéciale qui touche les hommes et les femmes que nous représentons.

Pour les raisons que nous avons mentionnées plus tôt, l’offre que nous avions faite à la partie patronale de lever ces mesures aurait permis de disposer de nos deux avis de grève, et nous ne serions pas en train d’étudier une loi spéciale.

Cela dit, pour ce qui est du nombre de jours et du processus de médiateur-arbitre, nous tenons à féliciter les partis, comme le Parti conservateur, qui ont permis de faire des modifications au projet de loi et d’en retirer l’expression ayant trait à la « dernière meilleure offre ». Il s’agit de l’amendement apporté par la Chambre des communes.

Je soulignerais également, à titre informatif, que, malgré l’adoption de cet amendement, les corrections n’ont toujours pas été apportées au projet de loi que vous avez devant vous. Il y a une coquille à l’alinéa 15(1)c), dans lequel on parle encore d’« offres finales », alors que l’amendement du NPD, qui a été appuyé par le Bloc québécois et le Parti conservateur, a permis de supprimer les mots « last best offer » du projet de loi.

Cependant, tout dépend, monsieur le sénateur, de l’arbitre qui sera nommé. Les parties peuvent soumettre une liste de noms, selon l’expérience qui sera nécessaire. Le milieu du débardage est très particulier. On a besoin de gens qui le connaissent et le comprennent, dans un très court délai. Nous avons notre langage particulier, et il y a des caractéristiques dans ce langage qui sont particulières au débardage. Cela dit, si les sénateurs et les sénatrices adoptent ce projet de loi — ce que nous ne souhaitons pas —, pourrait-on envisager des évaluateurs pour chacune des deux parties, afin d’aider le médiateur-arbitre à mieux comprendre le dossier?

Il n’y a pas beaucoup de gens au Canada qui ont le privilège de bien comprendre la nature de notre industrie. Le CCRI connaît bien l’industrie du débardage, puisqu’il a dû rendre des décisions à plusieurs reprises par rapport à notre industrie.

De plus, monsieur le sénateur, il y a très peu d’arbitres qui connaissent bien notre industrie et qui pourraient, dans un très court délai, aider les parties à s’entendre sur une convention collective ou, ultimement, à rendre une décision qui s’appliquerait et ferait office de convention collective.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Merci. La ministre nous a dit que vous avez déclenché la grève à la suite des mesures prises le 22 avril par l’employeur, qui a avisé le syndicat qu’il allait imposer un horaire particulier qui obligerait les travailleurs à faire un quart de travail complet. Par la suite, le syndicat a fait part de son intention d’interrompre le travail complètement. C’est la ministre qui l’a dit, pas moi.

Je crois comprendre que, selon vous, vous répondiez aux provocations de votre employeur. Cependant, avez-vous pris en considération ou soupesé l’ensemble des conséquences de votre arrêt de travail pour Montréal et l’économie canadienne au moment de prendre votre décision? Selon vous, quelles sont les responsabilités de votre syndicat à l’égard des autres travailleurs du Québec et du Canada pendant cette période de crise nationale?

[Français]

M. Murray : Sénateur Plett, avec tout le respect que je vous dois, bien entendu, nous y avons pensé, puisque nous avons offert à l’employeur de cesser de réclamer cette modification aux horaires de travail et que nous avons aussi offert de lever immédiatement notre avis de grève.

Donc, bien sûr que nous y avons pensé. Nous le répétons depuis sept jours : si l’employeur maintenait les conditions de travail qui prévalaient le 9 avril, tant pour le régime lié à la sécurité d’emploi que pour les horaires de travail, nous ne serions pas devant vous aujourd’hui. Il n’y aurait pas de loi spéciale, le port serait opérationnel et nous serions toujours assis à la table de négociations.

Je répète donc que nous offrons à l’employeur depuis sept jours de rétablir les conditions de travail et les pratiques qui prévalaient le 9 avril.

En ce qui a trait à la pandémie, et au risque de me répéter, nous n’avons aucune obligation de le faire, puisque la décision du CCRI encadrait très bien ce que représentaient les services essentiels. À titre humanitaire, compte tenu de la pandémie et sans obligation de notre part, le syndicat des débardeurs a dit qu’il allait s’occuper des conteneurs de matériel lié à la pandémie. Nous sommes, bien sûr, préoccupés par la pandémie, et nous reconnaissons que nous vivons une période extraordinaire. Exceptionnellement et sans nous attendre à des remerciements, nous étions prêts à pallier les circonstances de cette époque inhabituelle en déchargeant le matériel médical se trouvant dans le port, le cas échéant.

(1400)

[Traduction]

Le sénateur Plett : Je vous remercie de cette réponse. Puisque vous avez dit « avec tout le respect que je vous dois », je tiens à vous assurer qu’il n’y a aucune intention malveillante derrière mes questions. Nous essayons vraiment de tirer certaines situations au clair.

[Français]

M. Murray : J’ai dit : « avec respect », sénateur Plett, je suis désolé.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Tout au long de ce conflit, le premier ministre, qui représente une circonscription de Montréal, ne s’est jamais donné la peine d’intervenir et n’a jamais tenté de trouver une solution.

J’aimerais donc avoir votre opinion. À votre avis, pourquoi le premier ministre a-t-il été aussi passif dans ce conflit? Pourquoi semble-t-il ne pas se soucier de l’avenir du port de Montréal?

[Français]

M. Murray : Avec respect, sénateur Plett, vous me placez dans une drôle de position en me demandant de commenter une question politique. Je suis obligé de vous dire que, ultimement, si vous adoptez ce projet de loi qu’on vous demande de rejeter, c’est le gouvernement libéral qui, si on ne s’entend pas, désignera l’arbitre dans notre dossier. Vous me permettrez donc d’esquiver votre question.

Toutefois, si le premier ministre Trudeau nous appelait, comme on l’a invité à le faire, ou qu’il appelait l’employeur afin de faire rétablir les conditions de travail et les pratiques qui prévalaient le 9 avril, avant que l’employeur prenne des mesures économiques contre nos employés, je serais honoré de parler au premier ministre Trudeau pour lui dire que si l’employeur lève ses mesures, nous lèverions nos deux mesures de grève. Le port pourrait alors rouvrir sans que le recours à une loi spéciale soit nécessaire. Je serais heureux et honoré de parler avec le premier ministre Trudeau dans ce cas.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Merci. Ironiquement, je vous dirai que nous devenons tous des politiciens dans cette enceinte. Avec tout le respect que je vous dois, j’affirme que certaines des questions auxquelles on nous demande de répondre sont de nature politique, et certaines des réponses qu’on nous donne sont parfois quelque peu politiques.

La ministre a déclaré que les détournements permanents vers des ports américains sont probablement dus à la grève et qu’ils pourraient avoir des effets négatifs durables sur le système de transports intégré autour du port de Montréal. Dans quelle mesure cette situation inquiète-t-elle votre syndicat? Prévoyez-vous que cela aura une incidence sur le nombre de travailleurs au port de Montréal?

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci, messieurs, d’être ici pour répondre à nos questions. J’aimerais revenir à vos déclarations sur les conséquences d’ordre économique. Bien sûr, cette grève est légale. Les tribunaux ont confirmé dans leurs décisions que le droit de grève ne peut être retiré lorsqu’il y a des conséquences d’ordre économique, et j’en conviens. Toutefois, vous oubliez de mentionner qu’il ne s’agit pas de conséquences d’ordre économique comme celles qui ont été évaluées à l’époque où les tribunaux se sont penchés sur la question. Nous sommes dans une pandémie. De petites entreprises, qui ont quelques personnes à leur tête, sont au bord de la faillite. Elles éprouvent des difficultés depuis un an et attendent leurs matériels. On ne parle pas de matériel médical, mais de marchandises de toutes sortes qui leur permettent de garder la tête hors de l’eau.

Je vous pose une question difficile qui ne concerne pas la légalité de votre grève, mais plutôt sa légitimité en cette période tout à fait hors de l’ordinaire. Les décisions des tribunaux ne peuvent pas tout expliquer ni le contexte actuel de cette grève.

M. Murray : Nous sommes effectivement préoccupés par les considérations économiques. Au risque de me répéter, depuis sept jours nous avons offert à l’employeur de lever les deux mesures qui touchent nos débardeurs. Nous représentons les hommes et les femmes qui travaillent dans le port de Montréal selon des conditions de travail. L’employeur a été le premier à frapper nos débardeurs avec des mesures économiques pour tenter d’influencer la table de négociation. Nous n’avons pas eu d’autre choix que de répondre à ces mesures par la défensive. Nous sommes à ce point préoccupés par la situation que, depuis sept jours, nous demandons à l’employeur de lever ses mesures afin que nous puissions ensuite lever les nôtres. Si tel avait été le cas, les opérations dans le port auraient repris immédiatement.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je comprends votre différend et aussi le fait que vous soyez insatisfaits de ce changement unilatéral aux conditions de travail. Toutefois, les conséquences ne se résument pas aux intérêts économiques de grandes entreprises. Elles touchent aussi des travailleurs autonomes et beaucoup de gens. Comment pensez-vous avoir la légitimité de faire cette grève? Je comprends que vous la faites pour vos travailleurs, mais elle fait mal à beaucoup de gens au sein de la société. C’est la question que je vous pose.

M. Murray : Demandez-vous à nos gens de se sacrifier et d’accepter des conditions de travail qui ne sont pas normales?

La sénatrice Miville-Dechêne : On pourrait différer la grève et attendre que la crise soit passée. On peut faire toutes sortes de choses.

M. Murray : Si l’employeur avait voulu discuter de la possibilité de différer la grève et de toutes sortes de choses, il aurait répondu à notre demande il y a sept jours. Nous sommes bien conscients du fait que nous vivons une période extraordinaire. Nous avons offert de nous occuper des conteneurs de matériels médicaux, s’il y en avait dans le port de Montréal, et nous n’avions aucune obligation de le faire.

La sénatrice Miville-Dechêne : Il ne s’agit pas que des conteneurs de matériels médicaux, mais d’un grand nombre de personnes qui souffrent. Enfin, je vais passer le reste de mon temps de parole à ma collègue.

La sénatrice Saint-Germain : Bonjour, messieurs. Je suis étonnée par une déclaration que vous avez faite hier, monsieur Murray, dans laquelle vous avez dit ceci :

Nous allons contester le projet de loi devant les tribunaux et nous avons déjà déposé une plainte à l’Organisation internationale du travail […]

Je n’insisterai pas sur les longs délais que peut prendre l’Organisation internationale du travail pour rendre une décision. J’essaie toutefois de comprendre votre logique. Si ce projet de loi est adopté et qu’il reçoit la sanction royale, vous dites que l’employeur, depuis sept jours, ne vous répond pas et qu’il a ignoré plusieurs de vos demandes. Or, la loi aura pour effet direct de forcer également l’employeur à s’asseoir à la table et à entreprendre une médiation.

J’essaie de comprendre en quoi l’intérêt des travailleurs que vous représentez et l’intérêt public, en l’occurrence, seront servis. Le projet de loi a été réclamé par le gouvernement du Québec et appuyé par le gouvernement du Canada et la Chambre des communes en entier. J’essaie de comprendre votre logique et en quoi vous contesteriez une loi qui sera adoptée dans un contexte de démocratie.

M. Murray : Dans un contexte de démocratie, les dispositions de la Charte s’appliquent. Or, nous croyons que cette loi est inconstitutionnelle et qu’elle ne passera pas le test des tribunaux. Ce n’est pas demain matin que les tribunaux recevront la plainte du syndicat. Nous croyons, dans un premier temps, que le projet de loi est inconstitutionnel. Pour cette raison, j’ai dit que nous allions le contester, comme les travailleurs de la Société canadienne des postes ont contesté la loi spéciale qui les a forcés à un retour au travail, comme d’autres travailleurs au Canada ont contesté des lois spéciales. On n’a qu’à se référer aux juristes du gouvernement du Québec qui, il y a trois semaines, ont reçu une décision de la Cour d’appel.

Cela étant dit, mis à part la question de la constitutionnalité sur laquelle les tribunaux devront trancher, ce que nous vous disons depuis le début de ces audiences où vous nous donnez le privilège de nous adresser à vous, c’est qu’une loi spéciale ne serait pas nécessaire si l’employeur rétablissait les conditions de travail et les pratiques qui prévalaient le 9 avril. La grève serait levée immédiatement.

(1410)

Alors, on est directement dans l’œil de la tornade, où la responsabilité est mise sur le dos du Syndicat des débardeurs, alors que je trouve que l’employeur s’en sort assez bien quant aux responsabilités qui lui incombent de lever les deux mesures qu’il a prises et de continuer d’appliquer les pratiques qui prévalaient le 9 avril.

Au risque de me répéter, j’espère que vous allez amender le projet de loi afin que les conditions de travail et les pratiques qui prévalaient le 9 avril soient rétablies. L’employeur s’en sort assez bien quant au rôle qu’il a joué pour engendrer le processus dans lequel nous nous trouvons. Je le rappelle, nous n’avons pas dégainé les premiers. Le 21 mars, la trêve s’est terminée. À aucun moment le Syndicat des débardeurs n’a envoyé de préavis de grève. À aucun moment nous n’avons envoyé de préavis de grève depuis la fin de la trêve le 21 mars 2021.

La sénatrice Saint-Germain : Dans ce contexte, pourquoi ne pas faire confiance à la médiation qui forcera également l’employeur à s’asseoir à la table et à vous donner des réponses?

M. Murray : Ai-je l’assurance, madame la sénatrice, que les conditions de travail qui prévalaient le 9 avril... Dans quelles conditions les gens qu’on représente vont-ils retourner travailler si vous forcez un retour au travail? Alors, j’ai deux options...

La sénatrice Saint-Germain : L’intérêt public, où est-il dans cela?

M. Murray : L’intérêt public, on en tient compte depuis sept jours, madame la sénatrice. Nous demandons à l’employeur de lever ces deux mesures et, dans les heures qui suivront, notre grève sera levée.

La sénatrice Saint-Germain : Pourquoi ne pas faire confiance à un médiateur pour juger de l’intérêt public et évaluer les intérêts de l’employeur et de l’employé?

M. Murray : Je vais vous répéter, madame la sénatrice, avec respect, qu’aucune des dispositions du projet de loi ne fait en sorte que les débardeurs que je représente puissent retourner au travail selon les mêmes conditions de travail et les pratiques qui prévalaient au 9 avril quant aux horaires de travail. Alors, si vous me dites que vous allez modifier le projet de loi afin d’y insérer une disposition permettant que les pratiques et les conditions de travail qui prévalaient au 9 avril continuent de s’appliquer, je regarderai et je consulterai...

La sénatrice Saint-Germain : Nous ne sommes pas ici pour négocier une convention collective. Le médiateur sera là pour arbitrer le différend et conclure une entente dans l’intérêt supérieur de toutes les parties.

M. Murray : Non, non, je m’excuse, mais vous forcez un retour au travail, et je ne sais même pas dans quelles conditions mes gens vont retourner au travail. Alors, je ne négocie pas, c’est le Parlement et ultimement le Sénat qui imposent un retour au travail aux hommes et aux femmes qu’on représente. Je vous dis simplement qu’il y a un flou quant aux conditions dans lesquelles nos gens vont retourner au travail.

La sénatrice Saint-Germain : J’en étais à votre analyse de l’impact sur la population et les entreprises du travail que vous faites dans un contexte de pandémie. Quel est-il?

M. Murray : Je ne comprends pas votre question, madame la sénatrice.

La sénatrice Saint-Germain : Ne sous-estimez-vous pas, en particulier dans un contexte de pandémie, l’impact majeur et significatif qu’entraîne le travail de vos syndiqués à titre de service essentiel?

M. Murray : Un tribunal a déjà traité de cette question, madame la sénatrice, mais on ne le sous-estime pas, car cela fait sept jours qu’on a offert à l’employeur de rouvrir le port.

La sénatrice Saint-Germain : Bonne chance, et merci.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, les témoins sont avec nous depuis maintenant 65 minutes. Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, je suis maintenant obligée d’interrompre les délibérations.

Monsieur Murray et monsieur Morin, au nom de tous les sénateurs, je vous remercie de vous être joints à nous aujourd’hui et de nous avoir aidés dans nos travaux concernant ce projet de loi.

Des voix : Bravo!

La présidente : J’invite maintenant le prochain témoin à se joindre à nous.

(Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, le représentant de l’Association des employeurs maritimes se joint à la séance par vidéoconférence.)

La présidente : Notre prochain témoin représente l’Association des employeurs maritimes. Je vous invite à vous présenter et à faire vos observations préliminaires d’au plus cinq minutes.

[Français]

Martin Tessier, président, Association des employeurs maritimes : Honorables sénateurs et sénatrices, je vous remercie de l’occasion qui nous est donnée aujourd’hui de vous parler de l’exceptionnelle situation dans laquelle se trouve le port de Montréal et de répondre à vos questions.

Mon nom est Martin Tessier et je suis le président de l’Association des employeurs maritimes. L’AEM est l’employeur des débardeurs et vérificateurs des ports de Montréal, de Trois-Rivières/Bécancour, de Hamilton et de Toronto. Elle embauche, forme et déploie les employés, en plus de négocier et d’administrer les conventions collectives.

[Traduction]

Selon l’article 34 du Code canadien du travail, l’employeur est l’Association des employeurs maritimes.

[Français]

Dans un premier temps, laissez-moi réitérer le respect que j’éprouve pour les hommes et les femmes qui effectuent le travail de débardage et de vérification. Ils représentent un rouage important de la chaîne logistique et c’est pourquoi ils ont été désignés comme étant des travailleurs essentiels par les différents gouvernements dans le cadre de la pandémie mondiale. Le port de Montréal est une institution publique qui offre un service essentiel à la population.

[Traduction]

Je tiens d’abord à vous dire que nous avons fait tout ce que nous pouvions pour parvenir à une entente négociée. Après 30 mois et plus de 120 jours de négociations avec le concours de quatre médiateurs différents, malgré des événements violents et une trêve de sept mois, force est d’admettre que nous sommes dans une impasse.

Que ce soit bien clair : ce projet de loi ne constitue pas une victoire.

[Français]

C’est l’échec d’une négociation. Aucun des témoins que vous entendez n’a l’esprit à la fête aujourd’hui. L’AEM a fait tous les efforts possibles afin de conclure une entente négociée. Au cours des nombreuses rencontres, nous avons fait plusieurs contre-propositions et plusieurs aménagements, notamment pour les enjeux que le syndicat a publiquement désignés comme étant prioritaires. Je le dis publiquement parce que, dans la réalité, la situation était bien différente derrière les portes closes. Je vous donne à titre d’exemple le déclenchement de la grève d’août 2020. Permettez-moi de citer une décision rendue le 17 mars dernier par le Conseil canadien des relations industrielles à ce propos :

Le Conseil a de la difficulté à voir d’un bon œil le fait que le syndicat a déclaré une grève en août 2020 avant même d’avoir fourni à l’employeur les précisions nécessaires concernant ses revendications et sans avoir présenté ses revendications monétaires et salariales. Cela nous semble tout à fait irresponsable et non conforme à un processus de négociation raisonnable.

[Traduction]

La grève en août dernier a représenté une perte de 600 millions de dollars pour l’économie. De plus, il nous a fallu près de trois mois pour revenir à la normale.

[Français]

L’AEM a tout fait pour conclure une entente négociée. Malgré les multiples rencontres tenues entre les parties, nos pistes d’atterrissage sont manifestement trop éloignées. Je tiens par ailleurs à profiter de l’occasion pour remercier le Service fédéral de médiation et de conciliation de son aide et de son travail acharné, en particulier Mme Audrey-Mélissa Therrien, M. Robert Bellerose et M. Peter Simpson.

[Traduction]

Malgré tous ces efforts, nous sommes loin d’un accord. Même avec des médiateurs pour faciliter un accord, les parties ne sont pas plus près d’en conclure un. Pendant ce temps, notre industrie et le Port de Montréal en subissent les conséquences.

[Français]

L’anxiété et l’incertitude ont un impact sur le marché : nos volumes baissent.

[Traduction]

Une chose est certaine : pas de réservation, pas de port.

[Français]

Des milliers de PME dépendent du port de Montréal, de même que des usines et des travailleurs. La santé et la sécurité des Canadiens sont en jeu. Les tests, les équipements de protection individuelle, les ingrédients médicaux et d’autres équipements médicaux arrivent par le port de Montréal.

Pour terminer, je tiens à le répéter : quoique nécessaire, ce projet de loi n’est pas une victoire pour personne. Tous les témoins qui se présentent devant vous aujourd’hui auraient préféré une autre issue, mais nous sommes devant une impasse.

(1420)

[Traduction]

Il faut immédiatement remédier à cette incapacité à négocier un accord. En des temps et des circonstances exceptionnels, il nous faut des mesures exceptionnelles.

[Français]

Soyez assurés que l’AEM désire toujours un accord négocié.

[Traduction]

Nous sommes déterminés à négocier un accord et nous consacrerons toute notre énergie à l’atteinte de cet objectif.

[Français]

Le syndicat prétend que l’AEM a quitté la table de négociations. Cette affirmation est totalement inexacte. Les médiateurs ont proposé une approche sans précédent et sans préjudice pour rapprocher les parties. Cette approche n’a malheureusement pas fonctionné.

Nous avons alors signifié aux médiateurs que nous ne serions pas en mesure de respecter les demandes du syndicat. Nous leur avons aussi signifié que nous devions évaluer nos options et que nous demeurions disponibles pour les négociations.

Nous vous remercions d’avance de la considération que vous portez à l’étude actuelle. Maintenant, je répondrai avec plaisir à vos questions.

Le sénateur Carignan : Voici ma première question.

J’ai posé la question à M. Murray tout à l’heure et j’ai cité un passage de la décision du Conseil canadien des relations industrielles qui faisait état de l’ensemble de la marchandise qui était en transit ou en suspens. On parle de produits médicaux, mais aussi de fertilisants, d’explosifs, de produits comestibles et périssables; donc, une multitude de produits qui peuvent être dangereux selon les manipulations, l’entreposage et les normes, autant pour la vie ou la sécurité que pour l’environnement.

Pouvez-vous nous expliquer la nature de ces produits qui transitent par le port et l’impact de les laisser en attente au port ou de les rediriger vers d’autres endroits pour le transport?

M. Tessier : Dans un premier temps, merci sénateur pour votre question. Vous devez savoir que 85 % de tout ce qui est consommé au Québec, en Ontario et dans le Midwest américain transite par le port de Montréal. Effectivement, il y a beaucoup de produits qui sont pris en otage et qui ne peuvent pas transiter, qui ne sont pas transférés, que ce soit de la nourriture, des explosifs ou des équipements médicaux.

Bien que le syndicat dise qu’il va déplacer les équipements médicaux, ce n’est pas aussi simple que cela, puisqu’il est difficile de les repérer. Oui, c’est vrai que les représentants ont dit qu’ils le feraient, mais cela a un impact majeur sur tous les produits qui transitent par le port de Montréal. Actuellement, ils n’arrivent pas au port de Montréal.

Maintenant, pour répondre à un autre élément de votre question, lorsque les entreprises décident de transiter vers un autre port, cela pourrait avoir comme effet que ces marchandises ne reviennent pas à Montréal parce qu’il y a peut-être de nouvelles habitudes de consommation qui seront prises. C’est comme nous durant la pandémie, on a changé nos habitudes de consommation, on est allés dans un magasin plutôt qu’un autre, et ces habitudes vont probablement rester; c’est le danger qu’on court au port de Montréal.

Donc oui, il y a des effets liés à la pandémie, mais il y a aussi tous les autres effets sur la marchandise dont la population a besoin au jour le jour.

Le sénateur Carignan : On entend de plus en plus le syndicat et certains analystes dire que, dans le fond, vous tenez un peu plus votre position — ce n’est pas moi qui le dis — et que vous rêvez d’une loi spéciale. Ce serait votre souhait d’avoir une loi spéciale pour avoir un meilleur rapport de force. Avez-vous des commentaires là-dessus?

M. Tessier : Encore une fois, merci pour la question, c’est une excellente question.

J’ai été embauché par l’AEM pour améliorer les relations de travail. J’ai une carrière de négociateur. La pire chose qui puisse arriver à un négociateur, c’est une loi spéciale. C’est la pire chose! Personne ne veut d’une tierce partie qui décide pour lui. On est rendu à un point où c’est l’impasse.

Au risque de me répéter, comme je l’ai dit dans mon allocution, cela dure depuis 30 mois, plus de 120 jours; il y a eu une grève tournante l’été dernier qui a été qualifiée d’irresponsable et déraisonnable, sans que le syndicat fournisse ses demandes financières. On a plusieurs demandes, et actuellement, le syndicat fait toujours état de trois ou quatre demandes majeures, mais je peux vous dire qu’il y en a vraiment beaucoup plus que cela. On est vraiment loin de la piste d’atterrissage. C’est le dernier recours; on ne voulait pas arriver à une loi spéciale.

Cependant, maintenant nous avons le support non seulement d’une médiatrice à temps plein, mais aussi de deux supermédiateurs qui sont venus nous aider, et on n’arrive toujours pas à s’entendre. Ces gens sont avec nous depuis le 6 février et on n’arrive pas à une entente malgré leurs efforts. Je ne pense pas qu’on attendait une loi spéciale. Ce n’est pas notre demande. La loi spéciale devient nécessaire dans le contexte actuel pour protéger les Canadiens.

Aujourd’hui, au point où on en est, ce n’est pas ce que nous souhaitions comme association. Nous sommes l’employeur des débardeurs. Dans le fond, je suis comme un syndicat d’employeur. Donc, quand M. Murray dit que je suis une usine de ressources humaines et qu’on envoie des relationnistes négocier, ce n’est pas représentatif de la réalité. J’ai le même rôle que M. Murray, j’ai autant de pouvoir que M. Murray; c’est nous qui prenons les décisions à la table des négociations. Les cinq lignes maritimes — et il n’y a pas juste des lignes maritimes, il y a des opérateurs de terminal qui siègent à notre conseil d’administration —, nous donnent un mandat et on prend les décisions selon le mandat, comme le syndicat le fait pour prendre ses décisions.

Loin de nous l’idée de vouloir une loi spéciale lorsque nous avons commencé les négociations. Cependant, il faut se rendre à l’évidence, cela fait plus de 30 mois qu’on a le soutien d’un médiateur spécial et on est encore très loin d’une entente.

Le sénateur Carignan : Vous êtes allés devant le Conseil canadien des relations industrielles pour déterminer ce que signifiaient les services essentiels. Il a fallu plus de 20 journées d’audience, beaucoup de témoins et énormément d’énergie. Cela a pris un an et demi, vous avez perdu un an et demi dans ce processus. Le Conseil a rejeté votre demande selon des critères liés au risque immédiat et grave pour la santé. On s’entend pour dire qu’il y a un risque, mais le critère qui accroche c’est « immédiat et grave ».

Croyez-vous que le gouvernement aurait dû amender le Code canadien du travail pour élargir la notion de service essentiel, modifier les critères et faire comme ce qui avait été fait pour les céréales? Les modifications qui touchent les céréales découlent de grèves dans les ports, alors qu’un petit groupe prenait en otage une économie, un secteur, au moyen d’une grève. Cela lui donnait un poids disproportionné sur le plan des relations économiques. On a réglé cela en changeant le Code canadien du travail. Pensez-vous que le gouvernement aurait dû modifier le Code canadien du travail ou devrait le faire?

M. Tessier : Encore une fois, merci pour la question. Je ne suis pas le gouvernement, mais comme je l’ai dit dans mon d’allocution, pour moi, le port de Montréal est un service public et essentiel à la population. Est-ce que le gouvernement devrait changer les lois pour protéger cela? Je vais leur laisser le soin de prendre ces décisions. Ce n’est pas en ménageant les efforts qu’on a tenté de protéger les Canadiens d’un arrêt de travail au port de Montréal. On se plie aux décisions de la Cour et du CCRI.

Malheureusement, moins de trois semaines après la décision en faveur du syndicat, les grèves commençaient au port de Montréal, soit à compter du 29 juin. Après cela, il y a eu des grèves tournantes, et enfin une grève permanente du 10 au 21 août.

Le sénateur Carignan : M. Murray a insisté à quelques reprises pour rétablir les conditions d’avant le 9 avril de la convention collective et les pratiques afférentes. Il a insisté et il a utilisé l’expression « pratiques afférentes » à une quinzaine de reprises dans son témoignage.

Pouvez-vous nous expliquer ce qui s’est passé? Avez-vous changé une pratique ou avez-vous décidé d’appliquer la convention collective à la lettre et c’est ce qui semble créer une difficulté au syndicat?

M. Tessier : À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Selon notre convention collective, on a le droit d’utiliser des horaires par quart, comme on dit, qui obligent les employés à travailler sept heures par jour. Parce qu’on avait une grève de week-end, on a attendu après la semaine de la grève de week-end, et on n’était pas capable de combler nos besoins de main-d’œuvre dans les journées suivantes. Donc, le 22 avril, on a avisé par voie de communiqué qu’on avait l’intention d’utiliser les horaires par quart à partir du 26 avril.

(1430)

Cela fait partie des dispositions de la convention collective. Ce n’est pas un avis au sens du Code du travail en vue de changer les conditions de travail. On a déjà utilisé cet horaire-là. Le syndicat a même fait une demande en ce sens à la table de négociations, et on a reconnu que nous avons le droit de l’utiliser, parce que le syndicat veut qu’on retire cette disposition de la convention collective. De toute évidence, ce n’est pas un horaire qu’on utilise beaucoup, j’en conviens avec M. Murray. Par contre, nous faisons face à une situation exceptionnelle. Nous sommes en pleine pandémie et nous ne sommes pas en mesure de travailler deux jours sur sept. Donc, nous devons être en mesure d’avoir plus de flexibilité opérationnelle. C’est pour cette raison que nous avons pris cette décision.

[Traduction]

La présidente : Merci. Passons à la prochaine sénatrice.

La sénatrice Lankin : Monsieur Tessier, je vous remercie d’être ici avec nous. Je tiens à vous remercier de nouveau pour l’appel téléphonique que vous avez gentiment accepté d’avoir avec moi au début de la semaine.

Je m’intéresse surtout à la question de conformité à la Charte qui entoure le projet de loi et je ne veux pas savoir qui a raison et qui a tort dans le cadre des événements qui se sont déroulés. Je tiens à poser une question à ce sujet par souci de clarté. Lors de la discussion que vous venez d’avoir avec le sénateur Carignan, vous avez parlé d’un changement de l’horaire de travail, soit les horaires à quarts rotatifs, et des dispositions de la convention collective.

Avez-vous aussi apporté des changements aux dispositions sur la sécurité d’emploi? Avez-vous adopté une autre mesure à part les horaires à quart? J’ai cru comprendre que oui.

M. Tessier : Oui, nous en avons apportés. Le 10 avril dernier, nous avons envoyé un avis au syndicat pour lui indiquer que, dans les 72 heures, nous allions modifier les conditions de travail, soit les dispositions sur la sécurité d’emploi concernant les garanties de salaire.

C’est ce que nous avons voulu faire parce que nous avons subi une baisse de volume. Même si le Port de Montréal et le syndicat ne s’entendent pas sur la baisse de volume que nous avons connue, soit 6 % ou 11 %, tout le monde convient qu’une telle baisse a une incidence énorme sur l’employeur et l’industrie. Peu importe la baisse de volume que nous avons subie, tous les ports en Amérique du Nord ont connu une augmentation de volume. À la lumière de ces données et du fait que nous étions le seul port en Amérique du Nord à offrir une sécurité d’emploi et des garanties de salaire, nous n’avions plus les moyens de conserver de telles dispositions dans la convention collective.

Ainsi, pour répondre à votre question, oui, nous avons apportés des changements.

La sénatrice Lankin : Merci. Je voulais qu’il soit clair pour tous que les mesures n’avaient pas été prises en application d’une disposition de la convention collective en vigueur. Je vous remercie de la précision.

En réponse au sénateur Carignan, vous avez fait état de la nature essentielle du travail effectué au port. En fait, l’association a exprimé cette opinion devant le tribunal spécialisé saisi de la question concernant les services essentiels, soit pendant près de deux ans. Je comprends que vous estimiez que ces services sont essentiels. Si j’ai bien compris, vous avez dit qu’ils devraient être considérés comme essentiels notamment dans le cadre régissant l’application du Code canadien du travail. Toutefois, le tribunal a conclu que vous n’avez pas fourni de preuve justifiant vos arguments. J’aimerais que vous confirmiez que cette décision a été rendue à l’été 2020, c’est-à-dire pendant la pandémie.

En ce qui a trait à la constitutionnalité du projet de loi — que ce soit la bonne ou la mauvaise approche —, j’ai l’impression que tout le monde tente de déterminer quelle sera l’ampleur des répercussions économiques, etc. Puisque vous œuvrez dans cette industrie et avez assisté aux audiences concernant les services essentiels, votre compréhension du droit de grève, de la liberté d’association et des garanties qui existent dans la Charte ainsi que de leurs limites est pertinente pour nous.

Vous avez demandé que les services soient désignés essentiels et le tribunal a rejeté cette demande. Croyez-vous que votre opinion prime et devrait, d’une certaine manière, conférer au gouvernement le droit constitutionnel de retirer, essentiellement, le droit de grève et la liberté d’association, lesquels sont garantis par la Charte?

M. Tessier : Je vous remercie de la question. Je ne suis pas au-dessus du gouvernement ou des lois. Quoi que je pense et qui soit important pour moi, je dois suivre les règles. Je dois m’assurer de respecter les règles. Voilà pourquoi nous avons contesté la décision du Conseil canadien des relations industrielles. Nous attendons de voir quelles seront les prochaines étapes dans le dossier.

Tant que la décision tient et qu’elle n’est pas contestée ou modifiée, je vais m’y conformer. Voilà pourquoi nous sommes là. Je n’affirmerai jamais que mon opinion supplante une loi, quelle qu’elle soit.

La sénatrice Lankin : D’accord, je comprends. Merci de votre réponse. Je n’ai pas très bien formulé ma question; elle n’était pas claire.

M. Tessier : Pas de problème.

La sénatrice Lankin : Je m’en excuse.

Le tribunal a rejeté vos arguments concernant les services essentiels. Vous contestez cette décision. Entretemps, après essentiellement trois jours de grève, le gouvernement intervient en déclarant qu’il s’agit de services essentiels, contrairement à l’opinion du tribunal d’experts.

Je reviens au fait que la constitutionnalité du projet de loi risque d’être contestée dans l’avenir.

Disons que vous attendez une décision depuis déjà longtemps, avec tous les témoins que vous avez convoqués — en fait, vous avez contesté une décision et vous attendez de voir ce qu’il adviendra. Puis, le syndicat vous demande de revenir sur la décision de ne pas respecter la disposition sur la sécurité d’emploi de la convention collective, en échange de quoi les employés cesseront la grève et reprendront le travail. Parallèlement, il serait possible de poursuivre les négociations concernant les protocoles relatifs au déchargement qui a été garanti. Pourquoi cette solution n’est-elle pas intéressante? Si la Cour suprême conclut elle aussi que les services au port ne sont pas essentiels, vous ne serez pas plus avancé.

M. Tessier : Voilà une autre excellente question. Tout a commencé avec la grève de l’été dernier. La décision du Conseil canadien des relations industrielles qualifiait la grève de déraisonnable. Cela a occasionné de l’anxiété chez les importateurs et les exportateurs, ce qui a instauré un climat d’incertitude.

Le 21 mars, quand les gens ont réalisé que la fin de la période de trêve approchait, personne n’a voulu se trouver pris au piège au port de Montréal en raison d’une situation semblable à celle qui s’était produite l’été dernier. En effet, il avait fallu trois mois pour que les choses reviennent à la normale et que la chaîne d’approvisionnement soit rétablie.

Ce climat d’incertitude a entraîné une baisse de volume. Une baisse de volume est une mauvaise chose. Si notre réponse au syndicat était de dire que nous allons enlever notre option de modifier les conditions de travail — la deuxième est inscrite dans la convention collective —, cela ne ferait pas notre affaire parce que le volume baisserait encore plus.

Votre question soulève un point que j’aimerais éclaircir. M. Murray répète que nous n’avons jamais répondu à sa demande. Il dit qui si nous enlevions nos deux options, nous mettrions fin à la grève. Cependant, j’ai avec moi un document, que nous avons soumis au comité. C’est très simple. Le 25 avril, le jour avant le déclenchement de la grève générale, nous avons très clairement dit que la situation invoquée pour enlever la garantie du revenu — c’est-à-dire de ne pas payer les heures non travaillées — demeure. Tout le monde s’entend sur le fait que le volume a baissé.

Pour ce qui est d’adopter un horaire de travail régulier dans lequel chaque quart durerait 7 heures plutôt que 5 heures et 20 minutes, il s’agit d’un simple ajustement aux effets de la grève partielle. L’objectif est de maintenir la souplesse de la chaîne d’approvisionnement et de protéger les importations et les exportations des petites et moyennes entreprises. Le recours à la grève fait partie des tactiques que peut employer le syndicat. C’est le syndicat qui choisit de procéder de cette manière. Aujourd’hui, l’Association des employeurs maritimes se prépare en vue de la séance de médiation de demain.

Le syndicat a répondu tout de suite après. Il dit maintenant que...

La sénatrice Lankin : Pourriez-vous être bref, je vous prie? Je n’aurai pas le temps de poser une autre question.

M. Tessier : Oui, bien sûr. Je termine avec une dernière observation.

[Français]

La grève générale illimitée prévue le 26 avril est maintenue, car l’employeur a refusé d’établir les conditions de travail.

[Traduction]

Je crois que nous avons bel et bien répondu à la demande du syndicat. Il a dit que nous avions pris sept jours avant de répondre.

La sénatrice Lankin : Je vous remercie. Je comprends que les deux parties se sentent lésées et souhaitent remettre les pendules à l’heure.

J’aimerais revenir sur la constitutionnalité et les répercussions d’un projet de loi de retour au travail.

(1440)

À ce que je comprends de la décision rendue par le Conseil canadien des relations industrielles, ce ne sont pas des services essentiels. Il est possible de faire appel à d’autres ports, à Halifax ou à Hamilton, où vous exercez aussi des activités. Nous savons qu’une partie des produits a transité par la côte Est, puis a été livrée par camion, ce qui a mené à une baisse de volume à Montréal. Toutefois, la prochaine fois, une grève pourrait avoir lieu à Hamilton ou à Vancouver, et ce serait ce port qui perdrait du volume. Cela fait partie de l’équilibre des pouvoirs entre les employeurs et les travailleurs que la Charte garantit.

J’aimerais que vous répondiez à la question sur la logistique, dont vous avez longuement parlé, plus précisément sur le problème associé au déplacement des activités vers d’autres ports ou à la capacité logistique pour débarquer les conteneurs des navires. J’aimerais que vous m’éclairiez à ce sujet. Merci.

La présidente : Sénatrice Lankin, vos 10 minutes sont écoulées. Nous devons passer à la prochaine période de 10 minutes.

[Français]

Sénateur Dagenais, vous partagerez votre temps de parole avec la sénatrice Griffin.

Le sénateur Dagenais : Monsieur Tessier, je vais poser une question bien directe. Je suis toujours fort agacé quand on étale sur la place publique les salaires et les heures supplémentaires payées à des travailleurs dans le but de les dénigrer. Est-ce que vous trouvez que les débardeurs sont trop payés?

M. Tessier : Je n’ai jamais dit que les débardeurs étaient trop payés.

Le sénateur Dagenais : Ce n’est pas ce qu’on entend sur la place publique. Voici ma deuxième question : ce n’est pas ce que vous avez dit. Les employeurs maritimes vous ont choisi pour les représenter, d’ailleurs c’est vous qui le dites. Comme on l’a entendu de la bouche du représentant syndical, ils ne vous ont pas vu à la table de négociations. Est-ce que vous trouvez cela normal? J’ai pris le temps de lire votre avis de nomination par les employeurs maritimes en juillet 2020. On y dit que vous avez une grande expérience en relations de travail et que vous êtes très intéressé par les relations humaines.

Ne trouvez pas anormal de ne pas être présent à la table de négociations?

M. Tessier : Tout d’abord, je suis présent depuis maintenant près de trois semaines. Deuxièmement, ce n’est pas mon rôle au sein de l’association d’être présent dans les négociations. Voici des exemples. Nous avons conclu une convention collective de neuf ans à Trois-Rivières, et je n’étais pas présent. En septembre, nous avons conclu deux conventions collectives à Toronto et à Hamilton, en trois jours, et je n’étais pas présent. La section locale 1657 à Montréal, qui représente les vérificateurs, a tenu des négociations et je n’étais pas présent. Mon rôle, c’est de faire le pont entre le conseil d’administration et l’équipe de négociations, et mon équipe de négociations est fantastique. J’ai un vice-président aux relations industrielles qui gère une équipe de négociations, et ce sont les membres de l’équipe qui font ce travail en ce moment.

On dit que l’Association des employeurs maritimes est une entité de ressources humaines, mais elle est aussi l’employeur des débardeurs. Notre rôle est de négocier des conventions collectives, de les administrer, d’embaucher, de former et de faire la répartition des employés journaliers pour les besoins opérationnels dans les ports de Trois-Rivières, Hamilton, Montréal et Toronto. Pour ma part, je trouve cela tout à fait normal que, au moment où les discussions ont eu lieu, je n’étais pas là, parce que ce n’est pas mon rôle. Toutefois, quand on arrive à la fin des négociations, comme c’est le cas ici, je suis présent depuis que les médiateurs m’ont demandé d’y être. Je suis présent à la table de négociations tous les jours.

Le sénateur Dagenais : J’ai une dernière question, afin de laisser du temps à ma collègue la sénatrice Griffin. Entre vous et moi, ce ne sera pas la première fois que l’on voit la partie patronale se servir de cette stratégie et de laisser traîner les négociations en se disant qu’il y aura une loi spéciale qui fera le travail à sa place. Parfois, c’est l’impression que nous avons.

M. Tessier : Malheureusement, je ne peux pas gérer les impressions et les perceptions des gens, mais je peux vous assurer, monsieur le sénateur, avec tout le respect que je vous dois, que ce n’était pas l’intention des employeurs maritimes. Ce n’est pas ce que nous voulions faire; nous avons participé à toutes les rencontres durant 30 mois, soit pendant plus de 120 sessions, nous avons fait beaucoup de propositions et je peux vous dire qu’actuellement, si on regarde ce qui a été décrété dans la décision du Conseil canadien des relations industrielles l’été dernier, il y a eu une grève qui a été jugée déraisonnable parce qu’on n’avait même pas encore reçu les demandes salariales. Malheureusement, il peut y avoir un désaccord honnête entre vous et moi sur l’intention de notre association, mais je peux vous garantir que ce n’était pas notre intention.

Le sénateur Dagenais : Je vais maintenant laisser le reste de mon temps de parole à la sénatrice Griffin.

[Traduction]

La sénatrice Griffin : Je vous remercie d’être ici aujourd’hui, monsieur Tessier.

Ma première question porte sur votre site Web, où on peut lire que l’expédition de grains et la manutention de vrac liquide ainsi que les livraisons du service Oceanex vers les provinces de l’Atlantique ne sont pas touchées par la grève. Pourriez-vous me confirmer que c’est bien le cas et m’indiquer quelles catégories de produits n’ont pas de problème d’expédition?

M. Tessier : Les catégories de produits que vous venez de mentionner n’ont pas de problème parce qu’elles sont jugées de nature essentielle. Cette détermination a été faite par le passé.

La sénatrice Griffin : D’accord. Vous dites que c’est quelque chose qui a été reconnu et que cela n’a posé aucun problème.

M. Tessier : Oui, c’est reconnu par le syndicat. Comme M. Murray l’a indiqué, le syndicat s’est montré très coopératif à cet égard, et il s’est assuré que nous avons la main-d’œuvre nécessaire pour effectuer le travail.

La sénatrice Griffin : Merci. Pourriez-vous me dresser une liste générale des types de produits agricoles touchés par la grève?

M. Tessier : Malheureusement, mon rôle consiste à gérer les employés. Je ne suis pas versé dans tout le côté commercial. Je ne répondrai donc pas à votre question parce que je ne connais pas la réponse.

La sénatrice Griffin : C’est une bonne raison de ne pas répondre à la question. Je préside le Comité sénatorial de l’agriculture et des forêts. C’est pourquoi j’ai posé cette question.

M. Tessier : Je suis désolé. J’aurais dû demander à un spécialiste de m’accompagner. Malheureusement, vous devez vous contenter de moi.

La sénatrice Griffin : D’accord. J’ai terminé. J’ai utilisé très peu de mon temps de parole. Par conséquent, si le sénateur Dagenais a une autre question à poser, je vais lui laisser le temps qu’il me reste. Merci.

M. Tessier : Je vous en prie.

[Français]

La présidente : Sénateur Dagenais, avez-vous une autre question? Il reste trois minutes et demie. Nous allons donc passer au prochain bloc de 10 minutes, qui sera partagé entre le sénateur Dalphond et le sénateur Mercer.

Le sénateur Dalphond : Merci, monsieur Tessier, d’être présent aujourd’hui. Nous avons constaté dans les médias que l’on ne vous voyait pas beaucoup, alors nous sommes contents de vous voir, car cela permet aux médias de vous voir aussi. Je comprends qu’il y a deux difficultés depuis le mois d’avril, soit le salaire garanti et les horaires par quarts. Pour le salaire garanti, est-ce que vous êtes d’accord avec moi pour dire que, si la loi spéciale entre en vigueur, l’ancienne convention collective, soit celle de 2013, qui est arrivée à échéance en décembre 2018, s’appliquera et donnera automatiquement aux employés le droit au salaire garanti?

M. Tessier : Effectivement, il s’agit là des dispositions de la loi. Lors de la dernière grève, il y avait eu une période de transition qui nous avait permis de ne pas réintroduire la sécurité d’emploi, car il faut comprendre que nous n’avons plus de wagons de train, plus de marchandises. Donc, nous paierons des gens qui seront probablement à la maison à ne rien faire. Malheureusement, la loi... Malheureusement, si la loi est adoptée, ce n’est pas malheureux pour nous, ni pour le syndicat, ni pour l’économie canadienne. Il n’y aura pas de période de transition. S’il faut reprendre le travail demain, effectivement, on remettra en vigueur les dispositions ayant trait à la sécurité d’emploi, donc la garantie de salaire.

Le sénateur Dalphond : Je comprends que le salaire rétroactif sera versé aussi, car la convention collective s’appliquera depuis le 1er janvier 2019.

M. Tessier : Non, malheureusement le salaire ne sera pas rétroactif. Oui, la convention collective s’applique, mais il y a quand même eu une grève. Pendant la grève, nous ne sommes pas disposés ...

Le sénateur Dalphond : Il n’y a pas de prestations de travail.

M. Tessier : Il n’y a pas de prestations de travail.

Le sénateur Dalphond : Mais il y a eu une période durant laquelle vous avez changé le salaire garanti et la grève, parce que la grève, ce sera le 26 avril.

M. Tessier : Oui, mais il y avait une grève partielle les fins de semaine, donc nous n’étions pas tenus de payer ces heures, car les employés n’étaient pas pleinement disponibles pendant sept jours. Toutefois, si le projet de loi est adopté, on paiera tout le monde demain matin même s’il n’y a pas de travail.

Le sénateur Dalphond : Le deuxième problème, c’était l’horaire de travail par quarts. Vous avez dit plus tôt dans votre présentation que cela avait eu lieu en raison des grèves tenues les fins de semaine. Cela vous a forcés à faire des choses qui sont prévues dans la convention collective, mais qui sont exceptionnelles, parce que ce n’est pas l’horaire habituel et que cela ne reflète pas votre méthode de gestion. La loi fera donc en sorte que la grève durant les fins de semaine ne sera plus possible. Donc, passerons-nous à l’horaire normal?

(1450)

M. Tessier : Si la loi est adoptée, étant donné qu’il n’y a pas de mesures transitoires, on pourrait toujours utiliser les horaires par quarts, mais, en toute franchise, ce n’est pas notre intention. Si la loi est adoptée demain matin, nous supprimerons les horaires par quarts, nous reviendrons aux horaires à relais et nous travaillerons avec le syndicat. S’il y avait d’autres enjeux opérationnels, dans deux ou trois mois, on pourrait utiliser les horaires par quarts, mais si la loi était adoptée demain matin, nous reviendrions aux horaires à relais.

Le sénateur Dalphond : Selon M. Murray, deux irritants ont provoqué la grève : la modification des horaires de travail et la garantie salariale. L’entrée en vigueur de cette loi fera en sorte que, dès demain, on reviendra à l’horaire régulier et aux salaires garantis.

M. Tessier : Oui, parce que la loi calmera l’anxiété et les impacts de cette grève, qui nous a fait perdre du volume pour ce qui est des affaires. La loi calmera les inquiétudes des marchés. S’il y a une loi spéciale, cela veut dire qu’il sera impossible d’exercer des moyens de pression de part et d’autre. Nous serons donc en mesure de remettre en place... Nous allons respecter la loi en ce qui concerne la sécurité d’emploi, nous n’aurons pas le choix. Étant donné qu’il n’y aura plus d’incertitude, on reviendra aux horaires à relais et on supprimera les horaires par quarts. Pour ce faire, nous avons besoin de la disposition de la loi pour dissiper l’inquiétude et l’incertitude des marchés et pour ramener le volume.

Le sénateur Dalphond : Merci. Cela répond à deux des préoccupations qui ont été évoquées plus tôt. Si j’ai bien compris, vous vous dirigez vers un processus de médiation. Vous êtes un expert en médiation. Si votre médiateur constate, après 21 jours, qu’il n’y a pas de possibilité de faire progresser les choses et qu’il n’y a pas de prolongation de part et d’autre, il deviendra votre arbitre. C’est lui qui vous entendra et qui prendra une décision sur chaque point litigieux. Combien de points litigieux y a-t-il actuellement à la table? Est-ce qu’il y en a 160, 25, 12?

M. Tessier : Il y en a beaucoup. Je ne veux pas avancer de chiffre, parce qu’il y a toujours des débats avec le syndicat quand j’avance un chiffre, mais je dirais que c’est autour d’une trentaine actuellement, soit environ 25 ou 30 points litigieux.

Le sénateur Dalphond : Donc, parmi les 25 ou 30 points, vous êtes prêts à accepter que ce soit un tiers qui prendra les décisions?

M. Tessier : Honnêtement, nous en sommes là. Je préférerais en arriver à une entente avec le syndicat, mais nous sommes tellement éloignés dans nos positions respectives que l’intervention d’un tiers est nécessaire. Nous sommes prêts à courir ce risque.

Le sénateur Dalphond : On parle de pertes d’activité à Montréal, et c’est une inquiétude qui me touche. Au sein de votre association d’armateurs — vous opérez à Toronto et à Trois-Rivières, entre autres —, est-ce que le déplacement d’une partie de votre marché se fera dans d’autres ports qui sont occupés par les mêmes opérateurs, que ce soit à Halifax ou ailleurs?

M. Tessier : On ne peut pas parler des mêmes opérateurs, mais des mêmes lignes maritimes. C’est un peu différent. Votre question me permet de faire le point. Ce ne sont pas les lignes maritimes qui sont les décideurs à l’Association des employeurs maritimes. Je veux m’assurer que tout le monde comprend bien, parce qu’on entend beaucoup de choses.

Le sénateur Dalphond : C’est un peu mystérieux pour tout le monde.

M. Tessier : Nous sommes l’Association des employeurs maritimes et nous sommes les employeurs des débardeurs et des vérificateurs à Montréal, Trois-Rivières, Bécancour, Hamilton et Toronto. C’est nous qui prenons les décisions. Je suis comme un président du syndicat des employeurs. J’ai un conseil d’administration, j’ai un mandat et je prends les décisions conformément à ce mandat, un peu comme ce que fait M. Murray avec ses membres.

Halifax et Philadelphie sont des ports que certaines de nos lignes maritimes utilisent. Toutefois, quand on envoie le cargo ailleurs, cela coûte plus cher en frais de transport, ce qui fait le bonheur du CN et du CP .

La présidente : Sénateur Dalphond, il vous reste deux minutes et demie.

Le sénateur Dalphond : Je vais céder le reste de mon temps de parole au sénateur Mercer.

[Traduction]

La présidente : Sénateur Mercer, vous disposez de deux minutes et demie.

Le sénateur Mercer : Je vous remercie, monsieur Tessier, de votre présence. Je vais changer ma question. Vous avez parlé de la baisse de volume au port de Montréal. Y a-t-il des prévisions quant à la viabilité à long terme du port de Montréal si le volume continue de baisser?

M. Tessier : Toute entreprise dont le volume baisse se trouve en danger. Quant aux conséquences sur la viabilité à long terme du port de Montréal si le volume continue de baisser, je ne dispose pas de cette information.

Le sénateur Mercer : Qu’en est-il des conséquences économiques sur le Grand Montréal et sur l’ensemble du Québec si la baisse de volume se poursuit? Y aura-t-il des pertes d’emploi, non seulement au port, mais aussi dans les industries tributaires du port?

M. Tessier : La semaine dernière, on a porté à mon attention une étude montrant que l’économie perdait de 10 à 25 millions de dollars par jour de grève. Je dirais que les conséquences se font sentir au-delà du port de Montréal.

Le sénateur Mercer : Il me semble que ce problème est récurrent. Nous ne sommes pas en train de discuter d’un nouveau problème. Nous n’arriverons jamais à régler une fois pour toutes la relation entre les syndicats et le patronat, mais entrevoyez-vous une solution à long terme qui serait acceptable à la fois pour les employeurs et pour les syndicats?

M. Tessier : Nous avons essayé de trouver une solution pour les services essentiels, mais nous avons essuyé un refus de la part du Conseil canadien des relations industrielles. Selon moi, nous devons bâtir une relation avec le syndicat pour nous assurer de ne pas revivre ce problème la prochaine fois. Nous étions sur le point d’y parvenir à Trois-Rivières, à Hamilton, à Toronto et avec les vérificateurs du port de Montréal. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas y parvenir avec la section locale 375.

La présidente : Sénateur Mercer, votre temps de parole est écoulé. Nous passons à la prochaine période de 10 minutes.

Le sénateur Plett : Monsieur Tessier, à mon tour, je vous souhaite la bienvenue.

Pour des raisons qui la concernent et de son plein droit, la sénatrice Lankin est plus préoccupée que certains d’entre nous par la constitutionnalité du projet de loi. Je fais partie de ceux qui estiment que, pendant toutes les années où j’ai siégé au Sénat, probablement 75 % de l’ensemble des mesures législatives controversées ont donné lieu à une contestation de leur constitutionnalité. En général, leur constitutionnalité finit par être confirmée. Je soupçonne que ce sera le cas également pour le présent projet de loi.

Certains diront qu’il s’agit d’une question politique. Ils ont peut-être raison. À mon avis, le gouvernement actuel réagit plutôt que de prendre les devants, et cela vaut pour ce projet de loi, mais également pour la majorité de ce qu’il fait. Justin Trudeau représente une circonscription de Montréal. Si le député qui représente ma ville ne se donnait pas la peine d’intervenir dans un conflit aussi important pour ma ville que le port de Montréal l’est pour la ville de Montréal, je serais indigné. Selon vous, pourquoi le premier ministre est-il demeuré aussi passif dans ce conflit? Pourquoi ne s’intéresse-t-il pas à l’avenir du port de Montréal? Ou s’y intéresse-t-il?

M. Tessier : Je ne saurais dire s’il s’intéresse ou non à l’avenir du port de Montréal car je ne lui en ai jamais parlé. Je ne ferai aucun commentaire à ce sujet.

Permettez-moi toutefois de vous dire ceci. L’été dernier, la ministre Tassi a discuté avec les deux parties. On m’a alors dit — car ils croyaient vraiment dans la libre négociation —, que je devais travailler plus fort et m’assurer que nous consacrions tous nos efforts à parvenir à une entente négociée. Notre association a donc établi un calendrier à partir de novembre. Nous nous sommes même rendus à Sherbrooke, car le porte-parole du syndicat vit là-bas et que sa famille traversait une période difficile. Nous comprenions parfaitement la situation. Nous n’avions rien contre lui. Nous voulions nous rendre là-bas. L’équipe de négociation s’est rendue là-bas, accompagnée des médiateurs. Ils ont tout tenté. À ce sujet, je crois que la ministre Tassi a tenté de nous aider, d’aider les deux parties en fait, dans la mesure du possible. Maintenant, après 30 mois et plus de 120 jours de négociations, nous sommes dans une impasse.

(1500)

Pour ce qui est de savoir ce que pense M. Trudeau et s’il s’agit ou non d’une question politique, vous constaterez que je ne suis pas un grand politicien. Je n’aurais probablement pas une longue carrière politique, mais je tenais à répondre à votre question.

Le sénateur Plett : Il n’en demeure pas moins que, même si vous n’êtes pas politicien, vous avez réussi à me donner une réponse politique et je vous en remercie.

Bien sûr, à l’instar de la question précédente, je vais vous poser la même question que j’ai posée au syndicat. Le projet de loi propose une période de médiation de 14 jours qui peut être prolongée de 7 jours avec l’accord des parties, pour un total de 21 jours, et pendant laquelle toutes les questions en litige — et vous avez indiqué au sénateur Dalphond qu’il y en a entre 25 et 30 — pourraient être réglées par médiation.

Avez-vous bon espoir qu’un accord pourra être conclu dans ce laps de temps? Quel est votre point de vue général sur les dispositions du projet de loi qui portent sur le processus de médiation et le processus d’arbitrage potentiel? Je pense que vous avez partiellement répondu à la deuxième partie de la question, mais dans quelle mesure pensez-vous qu’un accord pourra être conclu?

M. Tessier : Pourvu que les deux parties aient des demandes réalistes et qu’elles se montrent raisonnables — et je conviens avec M. Murray que l’ambiance à la table de négociation est plutôt bonne, même si nous nous trouvons dans la situation actuelle —, je pense que c’est possible. Cependant, en ce moment, les deux parties sont dans une impasse. Je pense que le délai de 14 jours plus 7 jours supplémentaires pourrait nous aider à nous sortir de l’impasse et à faire avancer les négociations. Les deux parties doivent se rendre compte que, à moins d’une entente, quelqu’un décidera pour elles. Ce ne sera mieux ni pour moi ni pour le syndicat. C’est un risque que tout le monde prend, mais après 30 mois d’efforts de part et d’autre et compte tenu des conséquences sur le port de Montréal, il faut faire quelque chose. Je vais dire la prochaine phrase en français parce que je ne connais pas l’expression en anglais.

[Français]

Le port de Montréal est le poumon économique de l’Est du Canada.

[Traduction]

Cette mesure créera une pression pour les deux parties, ce que je déplore. Comme je l’ai dit, en tant que négociateur, je ne considère pas une loi spéciale comme une victoire mais, après 30 mois, 120 jours et quatre médiateurs, dont deux super médiateurs, il faut admettre que nous sommes arrivés à une impasse. Je crois que le processus proposé était aussi mentionné dans le premier projet de loi, qui a fait l’objet d’un amendement. Je l’avais comparé à une « entente de baseball ». La meilleure offre a été retirée. Elle aurait aussi été positive, mais l’amendement a été rejeté. Si nous pouvons au moins avoir quelqu’un qui nous écoute et qu’il s’agit d’un médiateur, il pourra nous dire : « Vous savez, je crois que le syndicat a raison sur ce point. » Voulez-vous vraiment aller en arbitrage? Non, vous ne le souhaitez pas, parce que vous savez quelle sera la décision.

J’ai déjà travaillé pour Vidéotron; je n’ai pas participé à l’arbitrage à propos du renouvellement de la convention collective, mais j’ai travaillé sur les griefs après un lock-out. J’ai été embauché après ce lock-out pour m’occuper des relations de travail. Nous avions un processus plutôt simple. Nous savions dans quelle direction s’en allait le médiateur, ce qui nous permettait de savoir si nous souhaitions demander une décision. Je peux vous dire que nous avons réglé 700 griefs en deux semaines et demie.

Le sénateur Plett : Merci. Bien entendu, d’entrée de jeu, vous avez dit « si » les deux parties voulaient coopérer. Si les deux parties avaient voulu coopérer, nous n’en serions pas au point où nous en sommes aujourd’hui. On ne voulait donc pas coopérer.

M. Tessier : Je suis d’accord.

Le sénateur Plett : La ministre a affirmé que des détournements permanents vers des ports américains sont probablement dus à la grève et qu’ils entraîneront des effets négatifs durables sur le système de transports intégré autour du port de Montréal. Vous avez hésité à donner votre avis sur les aspects économiques généraux en réponse à la question du sénateur Mercer, mais avez-vous une idée du nombre de sociétés ou d’entreprises qui vous ont dit qu’elles n’auraient plus recours aux services du port de Montréal une fois que cette situation sera réglée?

M. Tessier : Pour répondre à votre question, personne ne me donne directement d’indications parce que je n’entretiens pas de relations commerciales avec les clients concernés. Mes clients sont les exploitants des terminaux et les lignes maritimes. Je leur fournis de la main-d’œuvre. Je suis l’employeur des débardeurs et des vérificateurs. Je ne me mêle pas de ces questions-là.

J’ai entendu dire que certaines compagnies s’en allaient et qu’elles pourraient ne pas revenir. C’est un risque que nous courons, mais je ne suis pas en mesure d’en dire plus long, monsieur.

Le sénateur Plett : Merci. Par ailleurs, selon la ministre, le 10 avril, votre association a fait part, avec un préavis de 72 heures, de son intention de modifier les conditions d’emploi des membres de la section locale 375 du SCFP. Selon cet avis, les employés ne seraient plus assurés de recevoir le salaire minimum hebdomadaire et ne seraient rémunérés que pour les heures travaillées. Le syndicat a parlé d’une augmentation des moyens de pression de votre part, c’est-à-dire de la part de l’employeur.

Selon vous, pourquoi était-ce le moment opportun pour prendre de telles mesures? Je suis sûr que vous n’êtes pas d’accord, mais convenez-vous, comme le syndicat, que vous avez employé des moyens de pression?

M. Tessier : Il est certain que je ne souscris pas à ce que laisse entendre le syndicat. Je crois que j’ai déjà donné des explications sur la raison pour laquelle nous avons pris cette mesure, mais il faut comprendre qu’il s’agit du seul port en Amérique du Nord qui a connu une baisse de volume depuis janvier 2021. Pendant le premier trimestre, il y a eu une baisse de volume directement attribuable à l’incertitude liée aux relations de travail.

Je le précise parce que, l’été dernier, il y a eu une grève que le Conseil canadien des relations industrielles a qualifiée de déraisonnable. Par la suite, en voyant que la trêve tirait à sa fin, tous les importateurs et les exportateurs se sont dit qu’ils ne voulaient pas revivre la même chose que l’été dernier et qu’ils allaient donc commencer à détourner les marchandises vers d’autres ports, et c’est exactement ce qui s’est produit.

Lorsqu’il y a une telle baisse de volume et qu’il n’y a pas suffisamment de travail, nous devons payer les travailleurs pour rester à la maison. Nous avons décidé de les payer pour les heures travaillées. Nous avons supprimé la disposition à ce sujet de la convention collective parce que, au fédéral, nous avons le droit de le faire lorsqu’une convention collective est expirée. Notre intention n’était pas de provoquer le syndicat, mais d’atténuer les conséquences de la baisse de volume au port. Nous savions tous que nous devions conclure une entente négociée le plus tôt possible pour dissiper l’anxiété et l’incertitude liées aux relations de travail, ou recourir à un autre moyen, soit la loi spéciale dont il est question aujourd’hui.

Je tiens à le répéter, ce n’est pas l’objectif de l’association. Nous travaillons avec des médiateurs spéciaux depuis le 6 février dernier et nous aurions de loin préféré conclure une entente négociée.

Le sénateur Plett : Madame la présidente, la dernière fois, on m’a interrompu une minute trop tôt. Encore une fois, je vois qu’il me reste une minute complète. J’ai utilisé un chronomètre cette fois-ci, madame la présidente. Si vous voulez m’interrompre, c’est très bien, alors je vais céder mon temps de parole. De toute évidence, madame la présidente, on m’a pénalisé en m’enlevant une minute la dernière fois, et vous faites la même chose cette fois-ci.

Merci de vos observations, monsieur Tessier.

La présidente : Sénateur Plett, vous n’avez pas été pénalisé la dernière fois. Nous avons arrêté le chronomètre en attendant de régler un problème technique. Personne n’a été pénalisé.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Monsieur Tessier, merci d’être ici. Vous avez fait référence au fait que vous n’avez pas demandé de loi spéciale, évidemment. Je comprends que vous entendez par cela que ce sont plutôt les gouvernements du Québec et de l’Ontario qui l’ont réclamée et que vous n’avez pas souhaité cette loi. Quand je compare ce que les représentants syndicaux ont dit avec ce que vous dites — et c’est souvent ce qu’on entend dans le contexte des relations de travail —, chacun est responsable des délais et chacun est tout aussi responsable de ne pas avoir été ouvert aux demandes de l’autre.

Dans le contexte actuel, où les parlementaires ne sont pas heureux non plus de devoir adopter une loi spéciale, notamment en raison des impacts économiques que vous avez évoqués, j’aimerais en connaître davantage sur les considérations qui vous ont inspiré lors des négociations avec la partie syndicale.

J’aimerais plus précisément savoir ceci : les impacts liés à la pandémie, donc les intérêts économiques, mais aussi les impacts humains pour les entreprises et les citoyens, de même que les considérations économiques liées à des arrêts de travail, à une grève et à des interruptions de services, donc à des moyens de pression, ont-ils également été pris en considération?

(1510)

Je constate que vous avez dit au début que vous n’étiez pas si loin d’une entente, mais après, c’était un peu plus contradictoire. Vous parliez de plus d’une trentaine de dispositions ou d’éléments qui vous séparent de la partie syndicale. J’aimerais que vous m’en disiez davantage sur votre contexte, notamment en ce qui a trait à la pandémie.

M. Tessier : Dans un premier temps, pour m’assurer d’être clair, nous n’avons jamais été près d’arriver à une entente. Si j’ai dit cela, ce n’était pas mon intention. Nous n’avons jamais été près d’arriver à une entente. Effectivement, nous avons évalué tous les impacts et toutes les situations vers lesquelles nous pouvions aller. Nous les avons pris en compte. L’été dernier, nous avions enlevé le paiement des primes de soir et de nuit et nous savions que cela allait causer beaucoup de problèmes. Cependant, en enlevant le paiement des heures non travaillées et en gardant la rémunération au niveau où elle était quand les gens venaient travailler, nous n’y voyions pas d’impact, et le syndicat n’a pas décidé de faire une grève générale illimitée à ce moment-là; il a plutôt fait une grève de week-end. On ne s’attendait pas à ce qu’il fasse une grève à ce moment-là.

D’un autre côté, nous avons décidé de prévoir des horaires de travail à quart au lieu d’horaires à relais. Cette mesure nous est permise par la convention collective. C’est un droit de gestion. Encore une fois, nous ne nous attendions pas à ce que le syndicat déclenche une grève générale illimitée. Pourquoi l’avoir mise en place? C’est parce que dans la semaine qui a suivi la grève de week-end, nous n’étions plus en mesure de répondre à nos besoins opérationnels. Dans notre langage, on parle d’avoir des blancs. Nous manquions d’effectifs. Pour créer plus d’effectifs, nous avons prévu les horaires à quart, comme nous l’avons expliqué à plusieurs reprises. La différence entre les horaires à relais et les horaires à quart fait en sorte que les employés travaillent sept heures par jour au lieu de cinq heures vingt minutes. Donc, nous créons des effectifs qui peuvent venir travailler, et cela nous permet de satisfaire à nos besoins opérationnels.

Nous ne nous attendions jamais à ce que le syndicat déclenche une grève générale illimitée, parce qu’il s’agissait d’horaires réguliers à ce moment-là. Par contre, je ne dirai pas — et il faut être clair — que cela plaît au syndicat. Cependant, devant une situation exceptionnelle, nous devions prendre une mesure exceptionnelle pour continuer à soutenir la santé et la sécurité des Canadiens et l’économie en général, et afin de pouvoir fournir aux PME, aux travailleurs et aux compagnies qui comptent sur le port de Montréal ce dont ils ont besoin.

La sénatrice Saint-Germain : Dans votre esprit, vous évaluez la situation comme étant sans progrès possible autrement qu’avec la loi spéciale, et vous voyez cette situation non pas comme étant une situation qui arrive après 3 jours de grève, mais après 28 à 30 mois de négociations infructueuses, n’est-ce pas?

M. Tessier : Nous sommes clairement dans une impasse. Nous ne sommes pas en mesure de satisfaire aux demandes des syndicats. Nous avons tenté de le faire par tous les moyens, après 30 mois, 120 jours, et à l’aide de quatre médiateurs, dont deux sont parmi les meilleurs médiateurs au Canada, soit le meilleur médiateur au Québec, Robert Bellerose, et le meilleur au Canada, Peter Simpson. Donc, manifestement, nous sommes dans une impasse.

La sénatrice Saint-Germain : Je vous remercie. Je laisse le reste de mon temps de parole à la sénatrice Lankin.

[Traduction]

La sénatrice Lankin : Merci beaucoup. Je vais plutôt céder mon temps de parole à la sénatrice Miville-Dechêne. Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie, sénatrice Lankin.

Monsieur Tessier, je comprends que vous vouliez changer les horaires étant donné que vous aviez une baisse de revenus sur laquelle on ne s’entend pas. En même temps, est-ce que la situation n’était pas trop tendue pour le faire? Compte tenu de l’historique de la situation et des réactions de part et d’autre, n’aurait-il pas été plus sage de maintenir le statu quo pour ne pas donner de poigne au syndicat pour augmenter ses moyens de pression qui ont mené, si je comprends bien, à une grève de fin de semaine et, maintenant, à une grève générale?

M. Tessier : Pour m’assurer que nous parlons des mêmes choses, j’aimerais dire que nous n’avons pas changé les horaires en raison des baisses de revenus. Nous avons retiré la rémunération pour les horaires non travaillés à cause de la baisse des volumes qui a occasionné une baisse de revenus.

Encore une fois, je vous remercie de cette question. Voici les raisons pour lesquelles nous avons bougé à ce moment-ci : plus de 30 mois, 120 jours et une grève jugée déraisonnable l’été dernier. Dans le contexte actuel, nous avions perdu la confiance des importateurs et des exportateurs. Il devenait donc urgent d’agir pour nous assurer d’entrer dans un entonnoir. Nous sommes encore loin d’une entente aujourd’hui. Nous avons encore plusieurs demandes. Je disais qu’il y avait de 25 à 30 éléments, mais des sous-éléments s’ajoutent aussi à cela. Lorsque nous avons pris cette décision, il s’agissait d’une décision éclairée de ne plus payer les heures non travaillées parce que la baisse des volumes entraînait une baisse de revenus.

Quant aux horaires de travail, comme le syndicat a lancé une grève de fin de semaine, nous nous sommes retrouvés avec la pression de faire bouger tous les produits dont les Canadiens ont besoin et de veiller à leur santé et à leur sécurité. Donc, nous avons choisi une option qui est inscrite dans la convention collective dans le but de nous assurer d’être bien en mesure de répondre aux besoins des Canadiens. Je voulais simplement vous dresser le portrait de la situation.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je comprends. J’ai une autre précision à vous demander. Le porte-parole syndical nous a dit que, en termes salariaux, son syndicat emboîte le pas à tous les autres ports. Vous nous avez plutôt dit que les conditions des débardeurs de Montréal étaient supérieures à celles des autres ports. Quelle est la réalité?

M. Tessier : S’agissant des conditions supérieures à celles des autres ports, le syndicat a comparé les augmentations salariales à celles des villes de Vancouver et d’Halifax aussi, mais à la table, c’étaient celles de Vancouver. On ne peut pas comparer le niveau de vie de Vancouver à celui de Montréal. Cependant, il y a un élément crucial : le port de Montréal est le seul port en Amérique à offrir une garantie de revenus, nul autre port n’offre la sécurité d’emploi, et aucun employé dans n’importe quel autre port ne sera payé pour rester à la maison lorsqu’il n’y a pas de travail. Elle est là, la grande différence.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci, ça me va.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, le témoin est avec nous depuis maintenant 65 minutes. Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, je suis maintenant obligée d’interrompre les délibérations.

Monsieur Tessier, au nom de tous les sénateurs, je vous remercie de vous être joint à nous aujourd’hui et de nous avoir aidés dans nos travaux concernant ce projet de loi.

Des voix : Bravo!

La présidente : J’invite maintenant les prochains témoins à se joindre à nous.

(Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, l’honorable Filomena Tassi, l’honorable Omar Alghabra et leurs fonctionnaires se joignent à la séance par vidéoconférence.)

La présidente : Honorables sénateurs, nous accueillons maintenant l’honorable Filomena Tassi, c.p., députée, ministre du Travail, et l’honorable Omar Alghabra, c.p., ministre des Transports.

Madame et monsieur les ministres, j’ai le plaisir de vous accueillir au Sénat. Je vous invite à présenter vos fonctionnaires et à faire vos observations préliminaires d’au plus cinq minutes.

L’honorable Filomena Tassi, c.p., députée, ministre du Travail : Madame la présidente, honorables sénateurs, je tiens d’abord à souligner que je me joins à vous depuis le territoire traditionnel des Haudenosaunees et des Anishnaabek, qui est couvert par le Pacte de la ceinture wampum faisant référence au concept du « bol à une seule cuillère ».

(1520)

J’aimerais aussi souligner la présence de mes collègues : mon ami, l’honorable Omar Alghabra, ministre des Transports; Sandra Hassan, sous-ministre, Programme du travail; Michael Keenan, sous-ministre, Transports Canada; Andrew Brown, sous-ministre adjoint, Direction générale de la politique, du règlement des différends et des affaires internationales; Peter Simpson, directeur général, Service fédéral de médiation et conciliation; et Christian Dea, directeur général, Analyse économique des transports, et chef économiste.

[Français]

Comme le savent les sénateurs, l’arrêt de travail au port de Montréal dure maintenant depuis le 13 avril. Ce qui a commencé comme une grève partielle s’est récemment transformé en une grève complète, générale et illimitée, ce qui a provoqué la fermeture du port.

[Traduction]

Depuis son déclenchement, la grève a énormément nui à l’économie canadienne, et nous nous attendons à ce que la situation s’aggrave considérablement à cause de la récente intensification du conflit.

Tout d’abord, je tiens à préciser clairement que le gouvernement croit que la table de négociations est le meilleur endroit où arriver à une entente. Cela étant dit, en l’occurrence, nous devons agir maintenant pour régler le conflit en cours et prévenir d’autres préjudices.

Les parties ont démontré leur incapacité à s’entendre au cours des deux dernières années et demie, et ce, malgré l’appui important et tangible offert par le gouvernement fédéral. Nous avons nommé des médiateurs fédéraux qui ont participé à plus de 100 séances de négociation. En février, j’ai nommé deux des médiateurs les plus expérimentés pour faciliter le processus. Ils ont travaillé sans relâche pour aider les parties à parvenir à un règlement négocié. Je veux les remercier de leur dévouement et de tout leur travail remarquable.

On observe maintenant les répercussions directes et croissantes de cet arrêt de travail sur les biens essentiels, comme la nourriture et les produits médicaux. Par exemple, des millions de dollars de produits frais s’avarient parce qu’on ne sait pas où les réacheminer, ce qui fait grimper les coûts et exacerbe l’insécurité alimentaire. Les agriculteurs ne réussissent pas à obtenir des engrais importants pour les semailles du printemps, ce qui pourrait donner lieu à de faibles récoltes à l’automne.

Il y a aussi les fabricants de médicaments de Montréal qui dépendent des ingrédients qui arrivent au port dans des conteneurs à température contrôlée. Il est difficile de modifier ces routes d’approvisionnement en raison de l’équipement spécialisé requis pour contrôler la température.

En effet, le Canada a besoin d’infrastructures commerciales fiables pour rester compétitif dans le secteur manufacturier.

La décision du gouvernement de présenter un projet de loi de retour au travail n’a pas été prise à la légère. Je viens de Hamilton, une collectivité imprégnée de traditions syndicales. J’ai grandi avec les valeurs du mouvement syndical. Je respecte et j’admire les contributions fondamentales du mouvement syndical à la création d’un Canada meilleur, plus sûr, plus prospère et plus inclusif. C’est pourquoi l’adoption d’une loi de retour au travail n’est pas une décision que nous prenons à la légère. C’est l’option que nous aimons le moins et nous la prenons avec le cœur lourd.

S’il est adopté, le projet de loi C-29 mettra fin à l’arrêt de travail en cours au port de Montréal et offrira aux parties un processus de médiation-arbitrage neutre pour régler les questions en litige. Il établira aussi une nouvelle convention collective, ce qui accordera au port la stabilité dont il a tant besoin.

Le projet de loi C-29 est une solution de dernier recours. Nous avions espéré ne pas en arriver là, mais malheureusement, il est absolument nécessaire de mettre fin à l’arrêt de travail au port de Montréal avant que la situation ne devienne catastrophique. Nous avons fourni un soutien et des encouragements continus et intensifs à l’Association des employeurs maritimes et à la section locale 375 du Syndicat canadien de la fonction publique pendant plus de deux ans et demi. Pourtant, ils demeurent incapables d’en arriver à une nouvelle convention collective négociée.

Si cet arrêt de travail se poursuit, les conséquences néfastes que nous observons sur les économies nationale et régionales ainsi que sur notre réputation de partenaire commercial fiable sur la scène internationale ne feront que s’alourdir.

Je vous remercie. Nous répondrons maintenant volontiers à vos questions.

La présidente : Je vous remercie, madame la ministre. Honorables sénateurs, pour le moment, c’est la ministre du Travail qui répondra à vos questions. Lorsque le ministre des Transports sera avec nous, je vous le dirai.

Le sénateur Plett : Bienvenue, madame la ministre. Madame la ministre, j’ai trois questions pour vous. La présidente fait vraiment de l’excellent travail pour s’assurer que nous ne dépassons pas notre temps de parole, alors j’espère que vous m’aiderez afin que je puisse poser mes trois questions.

Madame la ministre, dans vos observations à la Chambre, vous avez dit ceci :

Au cours des derniers jours, on a beaucoup accusé le gouvernement de prendre parti dans ce conflit. Je peux assurer à mes collègues que ce n’est pas le cas.

Or, ce sont les travailleurs et les entreprises du Canada qui sont touchés par cet arrêt de travail, alors on aurait pu croire, madame la ministre, que vous auriez pris leur parti.

Au début de la semaine, vos fonctionnaires ont dit aux sénateurs qu’il y avait eu une baisse — peut-être permanente — d’au moins 10 % du trafic au port de Montréal. Le 10 mars dernier, vous avez reçu une lettre des ports de la côte Est des États-Unis. De nombreuses entreprises et associations de l’industrie ont écrit au ministre Alghabra et à vous-même pour indiquer à quel point un arrêt de travail serait néfaste.

Dans ce contexte, madame la ministre, ne vous êtes-vous pas demandé si votre priorité absolue aurait dû être d’empêcher la grève, qui a maintenant des effets dévastateurs sur l’ensemble de l’économie? De plus, n’avez-vous pas pensé que votre rôle le plus important était de protéger l’économie du Canada et que vous n’étiez pas qu’une simple spectatrice dans cette affaire?

Mme Tassi : Je vous remercie de m’avoir posé cette importante question, sénateur Plett. Je vous répète qu’il ne s’agit pas de prendre parti. Le but est d’offrir la possibilité aux parties de poursuivre leurs négociations. Nous savons que les meilleures ententes sont celles qui sont négociées et nous avons fourni tout le soutien requis à cet effet.

Deux médiateurs ont été désignés. Le processus a commencé le 11 octobre 2018. Les médiateurs ont été présents à chaque étape du processus. Initialement, un conciliateur avait été nommé, puis les médiateurs ont pris le relais.

De plus, en février, j’ai fait un effort supplémentaire en confiant le mandat à deux de nos médiateurs les plus chevronnés — l’un d’eux, Peter Simpson, m’accompagne aujourd’hui — afin d’aider les parties à s’entendre. Si nous sommes ici aujourd’hui, c’est entre autres en raison de l’impact économique majeur de ce conflit, qui explique aussi pourquoi nous avons présenté ce projet de loi.

Je vais tenter de respecter votre droit de poser deux autres questions en m’arrêtant ici.

Le sénateur Plett : En fait, madame la ministre, vous avez déjà répondu à au moins la moitié de ma deuxième question.

Vous avez mentionné que la médiation a été soutenue; j’avais noté qu’elle durait depuis deux ans et demi et vous avez parlé de trois ans, je crois. J’aimerais simplement savoir ce qui suit : pourquoi ces efforts n’ont-ils pas produit de résultats satisfaisants, et quand avez-vous appris que ces discussions se butaient à de sérieuses embûches?

Mme Tassi : Je vous dirais que nous suivons l’évolution de la situation depuis le début. Depuis que j’ai été nommée ministre du Travail, je surveille ce qui se passe dans le dossier du port.

Les médiateurs sont là pour soutenir les négociations, et c’est ce qu’ils ont fait depuis deux ans et demi, pendant plus de 100 séances de médiation. Peter Simpson, qui est avec moi aujourd’hui, peut parler des détails de ce processus de médiation. C’est l’un des deux médiateurs chevronnés qui ont été nommés. Nous tenions vraiment à fournir aux parties le soutien dont elles avaient besoin pour arriver à une entente à la table de négociation, et c’est ce que nous avons fait.

Le sénateur Plett : Laissez-moi poser ma prochaine question et, si les 10 minutes allouées ne sont pas écoulées, je serai heureux d’entendre votre fonctionnaire parler brièvement de cet effort de médiation, s’il reste du temps.

La grève a réellement des répercussions terribles, ce dont vous êtes bien consciente. Selon moi, elles auraient pu être évitées si le gouvernement était intervenu plus tôt.

Comme je l’ai mentionné dans mes questions aux deux témoins précédents, le premier ministre représente une circonscription de Montréal. À mon avis, il aurait pu et aurait dû se mêler du dossier.

Madame la ministre, à quel moment avez-vous mis le premier ministre au courant du dossier? À combien de reprises lui en avez-vous parlé directement au cours de la dernière année? Qu’a fait ou dit le premier ministre après ces réunions d’information?

Mme Tassi : Merci de cette question, sénateur. Pour ce qui est de la participation que nous avons eue, je tiens à signaler que les médiateurs ont été présents à la table en tout temps, et j’étais en communication avec les médiateurs simplement pour m’informer sur ce qui se passait à la table, en ce qui concernait le soutien offert par mon ministère : Je me suis informée pour savoir s’ils avaient besoin d’une aide supplémentaire et comment les négociations se déroulaient.

(1530)

Outre les médiateurs, nous avons aussi joint les parties. Nous avons eu un certain nombre de conversations avec les parties pendant lesquelles nous leur avons dit que nous étions conscients que les meilleures ententes sont celles que l’on peut négocier, que nous étions prêts à leur offrir le soutien nécessaire, mais que nous espérions qu’elles arrivent à s’entendre.

J’ai réaffirmé ce message chaque fois que j’ai pu parler aux deux parties, tout comme les autres ministres qui ont pu les joindre, y compris le ministre des Transports, qui sera avec nous aujourd’hui.

Il est à noter que nous avons offert notre soutien à toutes les étapes du processus, que ce soit en faisant appel à des médiateurs ou en communiquant avec les parties. D’ailleurs, lorsque j’ai nommé les deux médiateurs de haut niveau, j’ai écrit aux deux parties afin de les aviser que j’avais nommé des médiateurs tout en leur indiquant de nouveau que les parties devaient trouver un terrain d’entente à la table de négociation et que nous étions prêts à les aider à s’entendre tout au long du processus.

Le sénateur Plett : Évidemment, cela ne répond pas vraiment à mes questions. Contrairement aux autres témoins, qui ont commencé leurs réponses en disant qu’ils ne font pas de politique, vous n’avez rien dit de la sorte, mais votre dernière réponse était quand même quelque peu politique.

Je remercie la ministre, et je suis sûr que la présidente essayait de me dire que mon temps est écoulé.

La présidente : Non, sénateur Plett. J’essayais de vous dire que le ministre Alghabra s’est maintenant joint à nous, au cas où vous souhaiteriez lui poser une question.

Le sénateur Plett : Je vous prie de m’excuser, madame la présidente.

J’aimerais demander à la ministre du Travail si le fonctionnaire qui l’accompagne serait en mesure de nous décrire le processus de médiation, si le temps le permet. Merci.

Mme Tassi : Certainement. Je crois qu’il s’agit d’une question essentielle, et je suis ravie de céder la parole à Peter Simpson, qui va nous l’expliquer.

Le sénateur Plett : Merci.

Peter Simpson, directeur général, Service fédéral de médiation et conciliation, Emploi et Développement social Canada : Je vous remercie de votre question, sénateur et je remercie la ministre. De façon générale, nous avons travaillé dans le cadre de rencontres tenues sur plusieurs jours. Nous pouvions nous rencontrer pendant une semaine, ou quatre jours. Nous travaillions alors jour et nuit, autant que possible. Les discussions étaient intensives. Il s’agissait de discussions exploratoires, sous toutes réserves. Nous avons tenté d’utiliser diverses stratégies pour parvenir à une solution. Nous avons même rencontré les parties plus tôt cette semaine, mais nous ne sommes pas parvenus à combler le fossé.

Le sénateur Plett : Merci beaucoup.

Madame la ministre, je vais revenir sur un point et j’accepterai une réponse générale. Le premier ministre a-t-il été informé régulièrement des problèmes dans ce dossier? Le cas échéant, quelles mesures le premier ministre a-t-il prises?

Mme Tassi : Je sais que le premier ministre a eu des conversations avec le premier ministre Legault et d’autres parties concernées. Évidemment, je ne peux pas parler des discussions du Cabinet. Je vais donc m’abstenir de le faire. Je peux confirmer que le premier ministre a eu des échanges avec des parties concernées.

Le sénateur Plett : Madame la présidente, je vais céder le reste de mon temps de parole à la sénatrice Lankin, qui a manqué de temps, si elle en a besoin.

La sénatrice Lankin : Merci beaucoup, sénateur Plett. Je vous en suis reconnaissante.

Madame Tassi, je cherche surtout à déterminer si le projet de loi que vous avez présenté respecte les critères constitutionnels et les principes de la Charte. Pour moi, une bonne part de la description de ce qui s’est passé entre les deux parties, y compris la durée des négociations, n’a pas d’importance. Ces questions ont de l’importance pour les parties et pour Montréal. Elles n’en ont pas quant à la décision que doit prendre le Sénat. En effet, je pense que le projet de loi pourrait bien être jugé inconstitutionnel.

J’ai lu vos déclarations sur le bien-fondé du projet de loi. J’ai aussi lu l’énoncé concernant la Charte que le représentant du gouvernement a déposé au Sénat plus tôt aujourd’hui. J’ai lu de nombreuses décisions des tribunaux. Vous connaissez sûrement le jugement Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan. Nous pourrions parler de la loi visant les travailleurs des postes et leur syndicat, qui a été adoptée par le gouvernement de l’ancien premier ministre Harper.

Les critères ont été confirmés maintes fois. Il s’agit de déterminer s’il y a ingérence indue. Il s’agit de savoir si la grève présente un danger pour la santé et la sécurité de la population et si elle va à l’encontre de ses intérêts. Ce n’est ni à propos de l’économie en général, ni à propos des répercussions économiques. Ce sont des facteurs que les parties prennent en considération lors des négociations, mais ils ne font pas partie des critères constitutionnels. Je dois dire que la plupart de vos réponses dans les médias et à la Chambre des communes faisaient référence à ces facteurs, avec une allusion au fait que la pandémie aggrave la situation et augmente la nécessité de certains biens.

Dans la décision qu’il a rendue l’été dernier, en pleine pandémie, le Conseil canadien des relations industrielles a indiqué clairement qu’il n’y avait pas de preuve que les services offerts au port de Montréal sont essentiels. Il a précisé clairement qu’il y existe d’autres ports où ces produits peuvent être débarqués — des ports à la fois canadiens et américains —, qu’un arrêt de travail n’entrave pas la circulation des marchandises, que le syndicat a respecté les exigences concernant l’expédition de grains et de produits céréaliers et qu’il a offert d’assurer le transport des marchandises vers Terre-Neuve compte tenu de décisions antérieures rendues à cet égard.

Je ne comprends pas pourquoi, avec toutes les décisions qui ont été rendues par les tribunaux dans le passé, il est justifié maintenant, trois jours après le début de la grève, de retirer aux travailleurs syndiqués le droit à la liberté d’association garanti par la Charte. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi c’est fondamental et pourquoi, selon vous, cette décision survivra à une contestation judiciaire?

Mme Tassi : Merci beaucoup pour cette importante question. Les facteurs que nous avons pris en compte sont les suivants : le déroulement de la négociation collective dans cette ronde de négociations, le respect du droit de grève, l’incidence de l’arrêt de travail et la perspective d’un règlement négocié.

Il y a deux parties à votre question. La première porte sur la question des services essentiels et la décision du Conseil canadien des relations industrielles. Je ne vais pas parler de la décision du CCRI ni de ce qu’elle serait aujourd’hui. Ce que je dirais, c’est que je crois — et je l’ai dit à la Chambre — que la pandémie de COVID-19 a eu un effet cumulatif qui a exacerbé la situation. Nous vivons une situation exceptionnelle à cause de la COVID-19, comme en juin 2020, lorsque le CCRI a rendu sa décision. Les nouveaux coups portés aux chaînes d’approvisionnement et la demande pour des fournitures en lien avec la santé et la sécurité des Canadiens, cela complique la situation. Les répercussions sont plus graves. Il est important que le ministère des Transports nous dise à quoi la situation ressemble. Cela fait partie de la réflexion que nous avons menée.

En ce qui a trait à l’énoncé concernant la Charte, je suis contente que vous ayez en main cette information. Je ne m’y attarderai pas. Le projet de loi prévoit un processus de médiation et un délai de 48 heures pour choisir l’arbitre. Les mesures prises dans le projet de loi sont équitables. Les parties peuvent toujours parvenir à un règlement par la médiation avant de recourir à l’arbitrage, et ils disposent de 21 jours pour le faire. Il est très important de leur en donner ainsi l’occasion.

En ce qui a trait à la constitutionnalité, je dirai que, premièrement, la grève précédente — les deux arrêts de travail qui, au cumulatif, ont représenté 15 jours de grève complète — nous a donné un aperçu des répercussions. Nous avons adopté notre position actuelle après cinq interruptions de travail, suivies de la plus récente. L’arrêt complet du travail a commencé lundi, mais les interruptions ont commencé le 13 avril. Comme l’a mentionné le sénateur Plett, les répercussions de ces interruptions représentent des pertes de 600 millions de dollars pour l’économie. Selon les données que nous avons en ce moment, on estime que les pertes se chiffreront entre 40 et 100 millions de dollars par semaine. C’était mon premier point.

Mon deuxième point porte sur les répercussions pour les Canadiens partout au pays. J’ai ici une lettre de ministres de l’Ontario et du Québec dans laquelle ils soutiennent que, en plus des 19 000 emplois directs et indirects associés au port, près de 250 000 employés à Montréal et 273 000 travailleurs en Ontario pourraient être touchés par cette grève. La question ne se limite donc pas seulement aux travailleurs. Les 1 100 travailleurs du port sont très importants. Nous reconnaissons leur droit de grève, mais l’effet cumulé des cinq arrêts de travail qui ont eu lieu nous fournit des renseignements sur les dommages qu’une grève peut causer aux Canadiens.

(1540)

J’ai soulevé la question de la santé et de la sécurité des Canadiens. À cet égard, il est important que les représentants du ministère des Transports nous expliquent ce que renferment ces conteneurs, et pourquoi il n’est pas réaliste d’adopter l’approche préconisée par le syndicat — qui témoigne, à mon avis, de beaucoup de bonne volonté de sa part —, c’est-à-dire prendre les conteneurs, les décharger et les déplacer. Cette approche engendre des complications. Bien qu’elle fasse l’objet d’une grande volonté et de beaucoup d’enthousiasme, la mise en œuvre de cette approche est, au bout du compte, complexe, compliquée, peu pratique et irréalisable, et ce, pour un certain nombre de raisons.

La sénatrice Lankin : Madame la ministre, merci. Je vais tenter de réserver une partie du temps que le sénateur Plett m’a laissé pour les représentants du ministère des Transports, mais mes prochaines questions s’adressent à vous.

J’ai eu une bonne conversation avec le dirigeant de l’Administration portuaire de Montréal, ainsi qu’avec le président de l’Association des employeurs maritimes, qui m’ont parlé de la situation logistique, alors j’ai en main certaines de ces informations.

Vous avez parlé de la durée des négociations, de la médiation et de tout le reste. Différents témoins nous en ont aussi parlé. Je veux souligner ce point et j’aurai ensuite une autre question. Tout ce processus comprend également deux années de procédures des tribunaux en vue de la prise de décisions sur la question des services essentiels auxquelles ont participé plus de 25 témoins et intervenants et dans le cadre desquelles plus de 100 éléments de preuve très étoffés ont été présentés, ainsi que vos arguments principaux, ceux qui concernent la santé et la sécurité et qui ont été rejetés dans les trois premiers jours de la grève. Maintenant, vous dites que c’était à partir du 13 avril, soit. Vous dites que vous avez des motifs constitutionnels de suspendre la liberté d’association. Je ne suis pas convaincue que ce soit le cas.

Une autre façon d’aborder la question, si on pense à la chose la plus pressante qui vient à l’esprit des gens lorsqu’on vous écoute, c’est de parler des biens et des services nécessaires en ce qui concerne la pandémie, la santé et la sécurité des Canadiens pendant la pandémie.

Le projet de loi C-14, qui est actuellement examiné par le Comité des finances et qui sera examiné par le Sénat et probablement adopté la semaine prochaine, contient une disposition qui permet au ministre de la Santé d’utiliser les pouvoirs de réglementation pour prévenir les pénuries de biens ou de matériel nécessaires, pénuries qui pourraient mettre en danger la santé et la sécurité des Canadiens, pas seulement celles liées aux pandémies, mais de façon plus générale.

A-t-on envisagé d’avoir recours à cette disposition au lieu d’intervenir en privant ces travailleurs syndiqués de leurs droits garantis par la Charte?

Mme Tassi : Madame la sénatrice, d’abord, pour répondre à votre question, l’effet cumulatif que la pandémie de COVID-19 a eu sur les Canadiens nous place dans une position différente aujourd’hui. La pandémie a évolué et la situation a changé, et nous constatons les effets que ces changements ont eus sur les chaînes d’approvisionnement et les travailleurs partout au pays. Cela a eu pour effet de nous placer dans une situation très différente aujourd’hui de celle où nous nous trouvions quand le Conseil canadien des relations industrielles a rendu sa décision. Si on compare les deux situations, soit celle de juin 2020, quand le Conseil a rendu sa décision, et celle d’avril 2021, je dirais que celle d’aujourd’hui est différente à cause des répercussions de la pandémie de COVID-19. Selon moi, il faut vraiment en tenir compte.

J’ai des lettres envoyées par des intervenants, qui reconnaissent l’incidence de la situation sur les secteurs qu’ils représentent. Par exemple, dans le domaine de l’agriculture, la Fédération de l’agriculture de l’Île-du-Prince-Édouard indique à quel point il est important que le gouvernement intervienne parce que les agriculteurs comptent sur les semences et les engrais et sonnent l’alarme parce que, s’ils ne peuvent pas ensemencer leurs terres, il y aura un gros problème.

J’ai de la correspondance de fournisseurs de produits médicaux, qui disent...

La présidente : Madame la ministre, la période de 11 minutes est maintenant terminée. La sénatrice Griffin a maintenant la parole pour une période de 10 minutes.

La sénatrice Griffin : Merci aux deux ministres de s’être joints nous. J’ai des questions à poser à chacun d’entre vous. Je vais commencer par la ministre Tassi.

Je vous remercie d’avoir mentionné la Prince Edward Island Federation of Agriculture. Je connais très bien cet organisme puisque je suis une sénatrice de l’Île-du-Prince-Édouard et que je préside le Comité sénatorial de l’agriculture et des forêts. Ces questions revêtent une grande importance pour moi personnellement.

En tant que ministre responsable du Travail, diriez-vous que le projet de loi de retour au travail a été présenté pour répondre spécifiquement à ce qui se passe au port de Montréal ou s’agit-il d’un précédent qui laisse croire que le gouvernement interviendra au moyen d’une loi de retour au travail s’il y a des conflits de travail dans les ports de Saint John, de Belledune ou d’Halifax?

Mme Tassi : Je vous remercie de m’avoir posé cette importante question, sénatrice Griffin. Cela ne crée absolument pas de précédent. La situation est unique en raison de la pandémie de COVID-19, de la durée du processus de négociation, qui a commencé il y a plus de deux ans et demi, des mesures entreprises par les deux parties pour exercer des pressions — ce qui est leur droit légitime, et nous le respectons entièrement —, et de l’absence de résultat. Nous sommes en pleine pandémie et il est nécessaire d’essayer de redresser l’économie. C’est pourquoi chaque situation est examinée très attentivement.

Comme je l’ai dit, c’est une décision difficile à prendre, car c’est l’option la moins populaire. Toutefois, c’est une décision nécessaire. En ce qui concerne l’avenir du port, ce n’est pas une décision qui crée un précédent.

La sénatrice Griffin : Merci. Conformément à l'article 87.7(1) du Code canadien du travail, les services aux navires céréaliers doivent être maintenus pendant un conflit de travail. Croyez-vous que la loi devrait être modifiée de manière à inclure d’autres produits absolument essentiels, comme les produits pétroliers, pour protéger leur approvisionnement en cas de conflit de travail?

Mme Tassi : Je vous remercie pour votre question, madame la sénatrice. Il faudrait que j’y réfléchisse davantage. J’apprécie la disposition sur les services essentiels que contient le Code du travail, qui parle de soumettre ce genre de problème au Conseil canadien des relations industrielles. L’idée, c’est évidemment de faire en sorte que les biens essentiels puissent être exclus des moyens de pression et qu’il y ait un engagement en ce sens.

Il faudrait que je pense un peu plus à votre question. Si vous voulez me soumettre quelque chose, je serai heureuse d’en prendre connaissance et de l’étudier attentivement.

La sénatrice Griffin : Je rédigerai une note à ce sujet plus tard. Je vous remercie, madame la ministre.

Ma prochaine question s’adresse au ministre des Transports. Je mets une fois de plus mon chapeau de résidante des Maritimes et de la région de l’Atlantique pour vous demander ceci : comme le Canadien Pacifique est maintenant de retour à Saint John et que le Canadien National se rend jusqu’à Halifax, les Maritimes peuvent enfin compter sur un service ferroviaire concurrentiel qui dessert deux ports libres de glaces, ce qui est avantageux pour les expéditeurs.

Monsieur le ministre, la situation actuelle offrirait-elle l’occasion d’investir dans les Maritimes dans le but de renforcer la sécurité économique du Canada? Le gouvernement investira-t-il dans l’accroissement des capacités de ces deux ports, afin qu’ils puissent accepter plus de conteneurs?

L’honorable Omar Alghabra, c.p., député, ministre des Transports : Merci de cette question, sénatrice. Bon après-midi, sénateurs. Merci beaucoup de m’avoir invité et de prendre le temps d’examiner cette mesure législative urgente.

(1550)

Pour répondre à votre question, sénatrice Griffin, je dirai que, dès le début, le gouvernement s’est employé à élargir l’accès commercial et à aider les entreprises et les travailleurs à exporter davantage et à percer de nouveaux marchés. Soulignons que nous sommes le seul pays du G7 à avoir conclu un accord de libre-échange avec tous les autres pays du G7.

Une partie de notre programme consiste à faciliter l’expansion des corridors commerciaux, y compris les ports de la côte Ouest et de la côte Est. Assurément, beaucoup d’investissements ont été faits et, oui, il y a lieu d’investir davantage, car le port d’Halifax, le port de Montréal et d’autres ports sur la côte Est sont extrêmement importants pour l’économie, les travailleurs et les entreprises du Canada.

La sénatrice Griffin : Comme vous le savez, je pense que l’avantage de cette approche, c’est que, advenant d’autres perturbations au port de Montréal, tous les conteneurs touchés pourraient être réacheminés vers des ports canadiens plutôt que des ports de la côte est des États-Unis.

Le gouvernement craint-il que le fait d’accroître les capacités des ports de Montréal et de Québec puisse causer de problèmes environnementaux s’il y a une augmentation de la circulation maritime dans le corridor très étroit du fleuve Saint-Laurent?

M. Alghabra : Merci encore, sénatrice. Je vous assure que tout projet visant à accroître les capacités de n’importe quel port ne peut aller de l’avant sans une évaluation environnementale détaillée, et on doit tenir compte notamment des effets sur le climat et sur les aires marines pour s’assurer que toute perturbation — car il y a normalement des perturbations — ne dépassera pas le seuil tolérable. C’est donc dire que tout projet devra effectivement être soumis à une évaluation détaillée des effets sur l’environnement.

La sénatrice Griffin : D’accord. Merci de vos réponses.

Le sénateur Dalphond : J’aimerais remercier les deux ministres d’être présents au Sénat aujourd’hui. Je pense qu’il est important que nous puissions vous parler à tous les deux pour obtenir plus d’informations sur cet important projet de loi.

Ministre Tassi, il s’est dit beaucoup de choses sur les répercussions qu’aurait l’adoption du projet de loi sur les mesures récemment prises par l’employeur et le syndicat au port. Votre ministère a fait une brève déclaration, et le secrétaire parlementaire a répondu à une question à ce sujet hier, à la Chambre. Pourriez-vous nous en dire plus aujourd’hui?

[Français]

Mme Tassi : Je remercie le sénateur de sa question.

[Traduction]

Je me ferai un plaisir d’y répondre. Le projet de loi stipule que la convention collective signée par les parties et entrée en vigueur en décembre 2018 s’appliquera de nouveau. C’est ce qui s’est passé, essentiellement. Il est important de comprendre que ce sont les parties qui ont négocié cette convention. Ce sont elles qui ont fixé les termes de l’accord. Maintenant, on va revenir en arrière et cet accord-là s’appliquera pleinement. Les parties pourront donc prendre toutes les mesures autorisées par la convention collective. En revanche, toute mesure non permise par la convention devra être annulée; les parties ne pourront pas prendre de mesures non autorisées.

L’exemple que mon secrétaire parlementaire a donné porte sur la question du salaire hebdomadaire minimum. L’employeur a décidé de changer les règles régissant la rémunération et de ne payer que les heures travaillées. Comme ce changement n’aurait pas été autorisé par la convention collective, l’employeur devra annuler cette mesure. Pour répondre à la question, je dirai que tout dépendra de ce que permettent les dispositions de la convention collective que les parties avaient préalablement négociées et acceptées. Ce sont ces dispositions qui prévaudront.

Le sénateur Dalphond : Merci, madame la ministre. Je ne sais pas si vous avez entendu le témoignage de M. Tessier, qui a comparu plus tôt aujourd’hui au nom des employeurs.

Mme Tassi : Non.

Le sénateur Dalphond : Vous savez sans doute mieux que moi qu’il y a en fait deux circonstances qui ont provoqué la grève, soit la décision de l’employeur de ne plus payer le revenu garanti pour sept heures de travail par jour, et la décision de l’employeur de modifier l’horaire de travail. En réponse aux questions que j’ai posées plus tôt aujourd’hui, M. Tessier a dit que, si le projet de loi entre en vigueur demain, il rétablira l’ancien horaire de travail et il veillera à ce que les travailleurs reçoivent le salaire garanti en tout temps, conformément à la convention collective. Je crois comprendre que ce sont là les deux conditions que le syndicat avait posées pour mettre fin à la grève immédiatement.

En raison de votre projet de loi, le représentant de l’employeur nous a confirmé aujourd’hui que les deux exigences posées par le syndicat pour reprendre le travail seront respectées. Je ne sais pas si vous étiez au courant, mais je pense que le projet de loi a produit des résultats qu’on n’a malheureusement pas pu obtenir à la table de négociations.

Mme Tassi : Merci, sénateur. Je n’étais pas au courant. Je n’ai pas regardé l’intervention, puisque je préparais mon témoignage d’aujourd’hui. Je dirais que vous avez bien fait de poser la question. Je suis ravie de la réponse. Je suis heureuse de l’entendre.

Je continue de rappeler aux parties que des services de médiation leur sont offerts. Si elles en viennent à une entente au cours des 24 prochaines heures, nous la respecterons. Même lorsque la médiation commencera, si elles en viennent à une entente, nous la respecterons. Je sais que Peter Simpson est disponible en tout temps pour tenir le rôle de médiateur. Je sais qu’il traîne régulièrement son téléphone avec lui. Dès que les parties feront appel à lui, il se présentera à la table de négociations et l’équipe de médiation leur fournira toute l’aide possible. Il est important que j’aie l’occasion de répéter ce message.

Le sénateur Dalphond : Le projet de loi ne mentionne pas les frais et les coûts de la médiation et de l’arbitrage. Dans la loi de retour au travail de Postes Canada, on indiquait que la Couronne allait réclamer certains frais aux parties. Dans ce cas-ci, les services seront-ils fournis gratuitement aux parties, ou leur seront-ils facturés plus tard?

Mme Tassi : Je vais demander aux personnes qui m’accompagnent d’intervenir. À ce que je comprends, les deux parties devront assumer les coûts, mais j’aimerais que la sous-ministre Sandra Hassan le confirme.

Sandra Hassan, sous-ministre, Programme du travail, Emploi et Développement social Canada : Vous avez tout à fait raison, madame la ministre. Les frais du médiateur-arbitre seront assumés, à parts égales, par les deux parties. Cette disposition se trouve à l’article 13 du projet de loi.

[Français]

C’est donc l’article 13 du projet de loi qui prévoit, de façon explicite, que la rémunération sera partagée à parts égales à la charge de l’association patronale et du syndicat.

[Traduction]

Le sénateur Dalphond : À l’article 15, il y a des mots orphelins qui renvoient aux offres finales, un peu comme les décisions imposées au baseball. Ils ont été supprimés par la Chambre des communes — le passage principal l’a été —, mais ils se trouvent ailleurs dans le projet de loi. Le fait que ces mots soient toujours là pose-t-il problème? M. Murray a dit que nous devrions peut-être amender le projet de loi pour les supprimer.

Mme Tassi : Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette question importante. J’ai eu une conversation avec la sous-ministre et j’ai été bien claire : le médiateur-arbitre, qui sera choisi par les deux parties ou que je nommerai, doit avoir des instructions très claires. Je crois que l’amendement apporté à l’autre endroit est très clair. Le médiateur-arbitre recevra ces instructions afin de bien comprendre les outils dont il dispose.

(1600)

Madame la sous-ministre, vouliez-vous ajouter quelque chose à ce sujet?

Mme Hassan : Non, vous avez bien expliqué la situation.

[Français]

L’ajustement qui a été apporté à la Chambre des communes avait trait, on le comprend bien, à un article spécifique pour éliminer une forme d’arbitrage. Le fait qu’il y ait une référence à l’article 15 peut assurément être pris en compte de façon très directe lorsqu’on nommera le médiateur-arbitre en lui indiquant que le Parlement a parlé et a indiqué quelle était la forme d’arbitrage qui était attendue et que, par conséquent, on s’attend évidemment à ce que l’arbitre utilise cette forme d’arbitrage, qui est la seule à laquelle on fait référence dans le projet de loi qui, s’il est adopté, deviendra loi.

Le sénateur Dalphond : Si je comprends bien ce que vous dites, la compétence arbitrale est définie dans un autre article qui est clair, à savoir que le seul pouvoir, c’est de médier, à défaut de s’entendre pour aller en arbitrage. L’arbitrage se fait en fonction des questions en jeu et chaque partie pourra présenter sa position, puis l’arbitre pourra décider en prenant l’une ou l’autre des positions, ou une position intermédiaire, ou toute autre position qu’il considère comme appropriée; tout cela est clair dans le texte de loi, et les mots qui restent à l’article 15 ne font pas référence à la compétence, mais ce sont des oublis. Quand on lit la loi dans son ensemble, il n’y a pas de doute sur l’intention du Parlement.

Mme Hassan : Vous avez bien résumé, sénateur.

Le sénateur Dalphond : Je vous remercie; je pense que mon temps de parole est écoulé.

Le sénateur Carignan : Je vais poursuivre avec cette question qui est intéressante sur le concept de la dernière offre finale. Cela a été supprimé et M. Murray s’en est félicité. Je sais que les syndicats ne sont pas friands de ce concept de la dernière offre finale. Par contre, M. Murray a également dit très clairement que le syndicat a l’intention de contester la constitutionnalité de la loi dès son adoption.

À partir de là, évidemment, on doit déterminer si la loi est conforme à la Constitution et si elle viole le droit de négociation. Ensuite, l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés évoque le concept de l’atteinte ou de la justification dans le cadre d’une société libre et démocratique, et on retrouve dans ces critères le concept d’atteinte minimale. En 2015, les professeurs Drouin et Trudeau, dans la Revue de droit de McGill, disaient que la formule d’arbitrage des offres finales, où l’on impose à l’arbitre de choisir la dernière proposition formulée soit par la partie syndicale, soit par la partie patronale, est une façon qui porte moins atteinte au processus de négociation collective que l’arbitrage régulier de différend.

En d’autres mots, il est plus susceptible de passer le test de la Charte que le concept de l’arbitrage de différend uniquement. Par conséquent, cela m’inquiète un peu, étant donné que le président du syndicat a dit qu’ils allaient contester la constitutionnalité du projet de loi.

Pouvez-vous me dire si, avant de supprimer la mention relative à ce concept à la Chambre des communes, on a étudié son impact sur le fait de sauver le projet de loi par l’intermédiaire de l’article 1 de la Charte? Pouvez-vous également nous confirmer que ce sont les syndicats qui ont demandé de supprimer cette mention? En effet, si ce sont ces derniers qui ont demandé de l’éliminer, ils seraient bien mal avisés d’invoquer ce concept d’atteinte minimale dans le cadre de la contestation de la constitutionnalité du projet de loi.

[Traduction]

Mme Tassi : Je vous remercie de cette question, sénateur.

En ce qui concerne la façon dont le projet de loi a été rédigé, la disposition relative à l’offre finale était fondée sur le principe d’un traitement question par question. Cela signifie que le médiateur-arbitre aurait le droit d’utiliser les deux outils pour établir les décisions qui seraient prises ultimement. Alors il ne s’agissait pas d’une offre finale pour l’ensemble de la négociation, d’une offre qui avait été faite et que le médiateur-arbitre aurait choisie. À l’origine, dans le projet de loi, l’idée était de traiter les questions une par une.

Ensuite, dans ce processus, le médiateur-arbitre a notre entière confiance. D’ailleurs, comme vous le savez, le projet de loi est fait de façon à donner l’occasion aux deux parties de soumettre des noms dans les 48 heures. J’espère que les parties arriveront à s’entendre quant au choix d’un médiateur-arbitre. Ce serait l’idéal et j’invite les parties à s’entendre à ce sujet.

Nous avons bon espoir que la personne qui sera choisie, soit par les deux parties ou par moi, advenant que les parties n’arrivent pas à s’entendre, sera un médiateur-arbitre ayant les outils, les compétences et l’expérience voulus pour mener le processus de médiation-arbitrage et se servir des outils à sa disposition de façon adéquate.

Pour ce qui est du projet de loi lui-même, oui, il a été amendé à l’autre endroit. Ma sous-ministre et moi, comme nous l’avons dit, vous assurons que le médiateur-arbitre recevra des directives très claires concernant les outils qui sont à sa disposition, et que l’offre finale n’en fera pas partie.

En ce qui concerne la constitutionnalité de l’offre finale, il faudrait que je me penche sur la question afin de déterminer s’il y a des arguments d’ordre constitutionnel. Toutefois, j’aimerais que vous me donniez des précisions, monsieur le sénateur. Parlez-vous de la manière dont c’est actuellement présenté dans le projet de loi ou du fait de se rendre jusqu’à une offre finale, ce qui correspond à chaque élément du processus de négociation qui a eu lieu?

[Français]

Le sénateur Carignan : En fait, ce que les auteurs disent, c’est que le concept de l’offre finale, lorsqu’il est produit, est un élément qui porte moins atteinte au droit de négociation que l’arbitrage de différend.

Comme le critère est l’atteinte minimale, on doit essayer de trouver le processus qui portera le moins atteinte au droit. Il semble, selon ces auteurs, que ce soit l’offre finale qui porte le moins atteinte au droit de négociation. Cela a été affirmé par des professeurs de droit en 2015; je ne pense pas qu’il y ait des jugements là-dessus jusqu’à maintenant , mais je pense que cela vaut la peine de se pencher sur cet impact pour prévenir des arguments futurs quant à la contestation de la constitutionnalité du projet de loi.

Ma deuxième question a trait à l’article 87.7 du Code canadien du travail, qui prévoit que la question des céréales fait partie du concept des services essentiels. La question du transport des céréales figure dans le Code canadien du travail, et elle ne peut pas être supprimée. On peut déterminer ce qu’est un service essentiel lorsque cela ne porte pas atteinte à la santé et à la sécurité en raison d’un risque imminent et grave. C’est, semble-t-il, le critère qui a été retenu, soit le concept de risque imminent et grave.

Je dois vous avouer que cela fait déjà quelques années que je siège au Sénat, et ce n’est pas le premier projet de loi spéciale de retour au travail sur lequel je dois me prononcer. Dans tous les cas, c’est toujours le même argument; premièrement, il s’agit tout le temps du transport, qu’il soit aérien, ferroviaire ou postal, et maintenant il est question du transport portuaire. On en revient toujours à l’argument selon lequel ces services sont essentiels et névralgiques, et que nous devons donc agir et déposer un projet de loi spéciale.

Avez-vous pensé à modifier le Code canadien du travail de façon à élargir la notion des services essentiels, afin que ce concept soit moins restrictif et afin de permettre qu’un port d’importance comme le port de Montréal, par exemple, soit identifié comme un service essentiel? Ou alors, avez-vous pensé à établir une série d’éléments qui seraient considérés comme étant des services essentiels dans le cadre du transport?

(1610)

En bref, on se retrouve à arroser un feu qui vient de se créer. Il me semble qu’un amendement au Code canadien du travail pourrait résoudre ce genre de difficulté, comme on l’a fait dans les années 1980 en modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé, à la suite d’une étude demandée à M. Andrew Sims par le ministre du Travail, si ma mémoire est bonne.

[Traduction]

Mme Tassi : Je vous remercie, sénateur, de cette question fort pertinente.

Comme vous le savez, à l’heure actuelle, ce genre de décision revient au Conseil canadien des relations industrielles, ou CCRI. Je n’ai pas le pouvoir de prendre une telle décision. C’est la responsabilité du conseil. Il tient compte de tous les faits et prend une décision à cet égard.

Depuis ma nomination comme ministre du Travail, peu de gens m’ont demandé d’élargir la notion des services essentiels. Cela ne signifie pas que je ne suis pas prête à envisager une telle option. Écoutez, s’il y a des moyens d’améliorer ce que nous faisons, je suis toujours prête à accueillir des suggestions et des commentaires qui pourraient nous permettre d’y parvenir.

Il existe certaines complications d’ordre pratique que nous devons prendre en considération. J’y ai fait allusion un peu plus tôt. Nous devons reconnaître que les navires transportent toutes sortes de marchandises. Cela complique les choses quand certains biens sont jugés essentiels et d’autres, non. Comment établit-on l’ordre de priorité? Comment s’assure-t-on que les conteneurs de marchandises essentielles peuvent être débarqués sur le quai et déplacés, tandis que d’autres...

La présidente : Madame la ministre, je suis désolée, mais nous devons passer au prochain bloc de 10 minutes.

La sénatrice Ataullahjan : Madame la ministre, j’ai trois questions pour vous. J’espère que j’aurai le temps de toutes les poser.

Dans vos remarques aux Communes, vous avez déclaré qu’après la décision du Conseil canadien des relations industrielles autorisant la poursuite des arrêts de travail, le syndicat avait entrepris une grève partielle le 2 juillet 2020. Il y a eu quatre autres arrêts de travail pendant l’été 2020, chacun ayant une durée plus longue et des répercussions plus importantes que le précédent.

Nous savons quelles répercussions ces arrêts de travail ont eues sur le port de Montréal et sur l’ensemble des entreprises et des travailleurs qui dépendent des activités du port. Les pertes se sont élevées à au moins 600 millions de dollars. Certaines entreprises qui faisaient affaire avec le port de Montréal choisissent maintenant de faire transiter leurs produits par des ports de la côte Est des États-Unis et, de l’avis de vos fonctionnaires, certains contrats pourraient ne jamais revenir à Montréal.

À l’époque, votre gouvernement n’aurait-il pas dû prendre des mesures plus décisives afin d’éviter qu’on en arrive à la situation actuelle? Pourquoi n’avez-vous rien fait?

Mme Tassi : Merci, madame la sénatrice, de cette question. Les torts causés à l’économie, les risques pour la santé et la sécurité des Canadiens, tout cela fait absolument partie des facteurs pris en considération dans la décision d’aller de l’avant avec ce projet de loi.

Il est très important de reconnaître — et je suis heureuse que Peter Simpson soit ici avec nous aujourd’hui — que le Service fédéral de médiation et de conciliation participe aux négociations depuis le 11 octobre 2018. Au départ, nous avions un conciliateur à la table de négociations, puis des médiateurs s’y sont joints. Ce soutien est là depuis tout ce temps. Deux médiateurs ont été nommés. En février, j’ai nommé deux médiateurs principaux supplémentaires — Peter Simpson était l’un d’eux — parce que je voulais vraiment offrir aux parties le soutien voulu pour qu’elles puissent conclure une entente par la négociation.

En plus de cela, des appels et des conversations ont eu lieu avec les parties pour les encourager fortement à conclure une entente. J’ai écrit une lettre lorsque j’ai nommé les deux médiateurs principaux.

Nous devons respecter le processus de négociation collective. Nous savons que les meilleures ententes sont celles qui sont conclues par la négociation. Notre priorité, en tant que gouvernement, était de fournir aux parties le soutien nécessaire pour qu’elles puissent conclure cette entente par la négociation.

Je vais m’arrêter ici, madame la sénatrice, car je sais que vous avez deux autres questions.

La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie, madame la ministre, de me donner l’occasion de poser ces deux questions. Madame la ministre, vous avez souligné que le port de Montréal est le deuxième port à conteneurs en importance au Canada, qu’il traite l’équivalent de plus de 1,6 million d’unités de 20 pieds et 35 millions de tonnes de marchandises manutentionnées, ce qui représente environ 40 milliards de dollars de produits, et que l’arrêt de travail nuit considérablement à l’économie canadienne et perturbe davantage les chaînes d’approvisionnement déjà mises à mal par la pandémie de COVID-19. Vous avez dit que plus la grève durera, plus il est probable que certains contrats ne reviennent tout simplement pas.

Votre analyse de la Charte reprend nombre de ces affirmations pour justifier le projet de loi en question.

Comment se fait-il que tous ces faits n’ont pas été pris en considération lors des arrêts de travail il y a un an? Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour agir?

Mme Tassi : Sénatrice, je le répète, nous sommes intervenus dès le début. Nous travaillons à ce dossier depuis 2018. Il y a eu plusieurs discussions, de même que le soutien offert par le Service fédéral de médiation et de conciliation, disponible 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Plus de 100 séances de médiation ont eu lieu, mais nous respectons le processus de négociation collective. Nous voulions voir les parties arriver à une entente. C’est pourquoi nous avons offert ces mesures de soutien en cours de route. Le respect pour le processus en assure le bon déroulement.

Comme vous l’avez dit — et je vous sais gré d’avoir mentionné ces chiffres, car ils sont importants —, on a eu recours à des moyens de pression à cinq reprises. En fait, ils ont démontré l’importance et la nécessité de notre intervention. Les pertes de 600 millions de dollars justifient celle-ci. Cela est très clair à nos yeux.

Je veux souligner une chose en dernier lieu. On indique souvent que la grève a commencé lundi et que l’avis a été inscrit au Feuilleton dimanche. En fait, la grève a commencé le 13 avril. Ce n’était pas une grève générale, mais c’était une grève. Les effets de cette grève se faisaient sentir au port. Il y a eu grève partielle, c’est-à-dire grève des heures supplémentaires et des activités de fin de semaine, et la question de la formation, laquelle est moins cruciale, mais ce sont les deux choses. Nous démontrons les dommages économiques causés par la situation, qui, combinés avec tout le reste, nous poussent à passer à l’action.

La sénatrice Ataullahjan : Merci, madame la ministre. Au cours de la séance d’information que votre ministère a donnée aux sénateurs au début de la semaine, vos représentants ont fait remarquer que le conflit entre les parties ne se limitait pas à l’argent. Au contraire, ils ont dit que la question d’argent était moins importante que certains des autres problèmes, notamment la sécurité d’emploi et les horaires de travail. Le SCFP a dit la même chose, soit que l’argent n’est pas la principale source de conflit. Les problèmes sont complexes et se sont d’ailleurs avérés insolubles.

Dans ces conditions, n’avez-vous jamais envisagé de mener des interventions plus poussées pour résoudre ce conflit? Pouvez-vous nous faire part des autres mesures que vous avez envisagées, mais que vous n’avez pas prises au cours de la dernière année?

Mme Tassi : En ce qui concerne le ministère, nous avions avant tout l’objectif de donner aux parties le soutien dont elles avaient besoin pour négocier un accord. Nous n’avons cessé de répéter que les meilleurs accords sont conclus à la table des négociations. Nous voulons que les parties trouvent un terrain d’entente. Nous respectons le processus de négociation. Les deux parties ont exercé leurs droits au cours du processus, ce qui a accru la pression, mais aucun accord n’a encore conclu.

Plus précisément, pour répondre à votre question, le Service fédéral de médiation et de conciliation a été présent tout au long du processus. Des ministres se sont entretenus avec les parties pour leur dire à quel point il était important d’en arriver à une entente. Nous sommes conscients des répercussions économiques. Je sais que le ministre Alghabra serait tout à fait disposé à parler de l’impact économique, le sujet que vous soulevez. Je tiens à confirmer que c’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons agi ainsi. Il faut que ce différend soit résolu.

(1620)

La sénatrice Ataullahjan : Madame la présidente, je ne sais pas s’il me reste du temps. Si oui, j’aimerais en faire profiter la sénatrice Lankin.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma première question concernait la prolongation de la convention collective et la réponse a déjà été donnée. Ma deuxième question était liée aux produits essentiels, et la réponse a aussi été donnée.

J’aurais donc une autre question. Ce qui ressort aujourd’hui, c’est que les représentants du syndicat nous ont dit clairement que la grève avait été déclenchée en réponse à ce qu’ils ont perçu comme de la provocation de la part des employeurs. Ils se sont aussi plaints à au moins deux reprises dans leur présentation cet après-midi du fait que les vrais décideurs n’étaient pas à la table des négociations et qu’ils ne parlaient pas avec les bonnes personnes.

Par ailleurs, les représentants de l’Association des employeurs maritimes nous disent que si le projet de loi est adopté, ils accorderont au syndicat ce qu’il demande. Donc, compte tenu de l’implication très importante de votre ministère dans ce dossier depuis 2018, quelle est l’analyse de votre ministère quant à la structure de gouvernance du port de Montréal? Y a-t-il un élément dans ces difficiles négociations qui durent depuis des années qui touche plutôt la structure de gouvernance particulière au port de Montréal? J’aimerais aussi entendre la réponse du ministre des Transports une fois que la ministre du Travail aura répondu. Merci.

[Traduction]

Mme Tassi : Sénatrice Dupuis, je vais demander à ma sous-ministre de répondre à la question. Ensuite, je pense qu’il serait approprié de laisser la parole au ministre des Transports et aux fonctionnaires afin qu’ils puissent donner plus de détails sur les produits et les marchandises. Cette question a été soulevée plus d’une fois. Je pense que cette information n’a pas encore été donnée et j’estime qu’elle est importante pour que chacun d’entre vous puisse prendre une décision pour la suite des choses.

Sandra, je vous laisse la parole pour expliquer la structure de gouvernance.

[Français]

Mme Hassan : Merci de votre question. J’ai écouté comme vous les présentations des représentants du syndicat et de l’Association des employeurs maritimes. Comme vous avez pu l’entendre cet après-midi, le syndicat représente ses membres syndiqués et l’AEM est un regroupement d’employeurs, ce qui est permis en vertu du code.

Donc, la structure de gouvernance fait en sorte qu’ici, ce n’est pas un employeur en particulier, mais bien une association d’employeurs qui est à la table et qui reçoit des instructions de la part des différents employeurs. M. Martin Tessier en est le porte-parole, au même titre que M. Michel Murray est le porte-parole du syndicat.

Alors, le groupe qui offre des services de médiation a traité avec les représentants syndicaux de même qu’avec les représentants de l’Association des employeurs maritimes. Il y a un différend entre les groupes. Je ne peux pas me prononcer pour déterminer si c’est en raison de chacun des éléments qui font l’objet de discussions à la table ou si c’est la structure de gouvernance qui rend la chose plus ou moins compliquée. Cependant, je peux vous dire qu’on a travaillé d’arrache-pied avec les deux groupes de représentants dans ce dossier : celui des employés et celui des employeurs.

[Traduction]

M. Alghabra : Je peux peut-être intervenir maintenant. Je remercie grandement la sénatrice de sa question.

Je vais d’abord parler de la structure de gouvernance. En passant, la structure de l’association des employeurs du Port de Montréal est semblable à celle de l’association des employeurs maritimes de la Colombie-Britannique, sur la côte de la Colombie-Britannique, où se trouvent deux ports : le port de Prince Rupert et le port de Vancouver.

Cela dit, nous sommes actuellement en train d’examiner la structure de nos ports. Nous étudions une proposition visant à moderniser la façon dont les ports sont gérés, et nous cherchons constamment des façons d’améliorer leur structure de gouvernance.

Quant à la question sur les produits qui seront touchés, il est vraiment important de les énumérer, au moins en partie, et je serai heureux de laisser les personnes qui m’accompagnent donner plus de précisions là-dessus.

Je tiens à dire une chose : le réseau de transport national est essentiel non seulement à l’économie du pays, mais aussi à la sécurité et au bien-être des Canadiens. Ce qui complique les choses à l’heure actuelle — comme la ministre Tassi l’a très bien expliqué —, c’est que la COVID a fait disparaître la marge de manœuvre qu’offrait le système. Les perturbations qui ont frappé les transports et l’économie, du côté de l’offre comme de la demande, sont source d’une grande tension. Nous pouvons constater, en ce moment, que le réseau subit une forte tension et que toute perturbation supplémentaire peut se répercuter non seulement sur la région, mais bien sur l’ensemble du réseau.

Parmi les produits qui seront touchés — et qui sont franchement déjà touchés depuis deux ans et demi, en raison de l’incertitude accrue que cause la situation, des perturbations survenues l’an dernier et des perturbations qui durent depuis le 13 avril —, il y a du matériel médical et des ingrédients pharmaceutiques, dont certains sont utilisés dans des médicaments pour traiter la COVID, sans oublier l’équipement de protection individuelle. Du côté des produits exportés, mentionnons le porc, des produits agricoles et des produits forestiers. Parmi les produits importés figurent des engrais pour les agriculteurs et des produits pour le secteur de l’automobile et l’industrie de la construction. Bref, la situation a déjà des effets sur des pans essentiels de notre économie et sur le bien-être des Canadiens.

Comme la ministre Tassi l’a indiqué, nous avons pris beaucoup d’initiatives dans ce dossier. J’ai été nommé ministre des Transports en janvier. Mon prédécesseur, le ministre Garneau, s’était beaucoup investi dans ce dossier. Depuis janvier, j’ai téléphoné trois ou quatre fois à l’association des employeurs pour les encourager à en venir à une entente négociée, puisqu’il s’agit de la solution la plus fiable et la plus viable.

La ministre Tassi ou le médiateur m’ont tenu régulièrement informé. Nous surveillons la situation de près. Nous avons toujours souhaité que les parties en viennent à une entente, ce qui serait, bien sûr, le dénouement idéal.

Nous avons vu ce qui s’est produit lors de la grève l’été dernier, durant ces quelque 19 jours d’interruption, et le genre de conséquences qui en a découlé. Nous pourrions facilement extrapoler sur d’autres conséquences que notre économie et notre bien-être pourraient subir.

(1630)

La ministre Tassi a pris cette décision difficile, mais nécessaire. Nous croyons que c’est ce que les Canadiens attendaient de nous. Nous espérons que les parties en viennent à une entente avant même la médiation, mais cette avenue demeure ouverte pour la suite des choses.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : J’aimerais revenir à une réponse de la ministre à une question de mon collègue le sénateur Carignan. Je m’intéresse, tout comme lui, à la question des services essentiels. Vous avez été interrompue à la fin de votre réponse.

Il ne s’agit pas forcément de faire des exceptions particulières au droit de grève des débardeurs en disant que certains services essentiels — par exemple, de nature médicale — devraient exister, mais, étant donné la complexité, comme vous l’avez dit, de séparer les conteneurs, le gouvernement réfléchit-il à l’idée de modifier le Code canadien du travail pour que l’ensemble du port de Montréal soit un service essentiel?

[Traduction]

Mme Tassi : Merci beaucoup de cette question, madame la sénatrice. En fait, il est possible, en vertu du code, pour l’une ou l’autre des parties de soumettre cette question au Conseil canadien des relations industrielles. C’est cet organisme qui détermine ce qui est un service essentiel. Ce droit existe donc. Il y a un processus à suivre. Le conseil peut prendre une décision. Ce que j’essaie de dire, c’est que la décision qui a été rendue en juin 2020 l’a été dans le contexte d’alors. Je ne suis pas sûre qu’elle serait la même dans les circonstances exaspérantes découlant de la COVID-19. Chose certaine, de nouveaux faits doivent être pris en compte dans l’examen de cette décision.

J’aimerais que le sous-ministre Keenan parle de certains des produits qui sont actuellement dans des conteneurs au lieu d’être livrés parce que c’est un point très important selon moi.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vais préciser ma question. Serait-il donc, à votre avis, pertinent de modifier la définition de ce qui constitue un service essentiel? Chaque fois que vous vous heurtez à cette idée de danger imminent, réfléchissez-vous à cela ou non? De toute évidence, la preuve est très importante.

[Traduction]

Mme Tassi : Cette décision revient, bien évidemment, au Conseil canadien des relations industrielles, qui est un organisme indépendant. Je n’interviens pas dans les décisions qu’il prend. Les parties ont le droit de lui soumettre cette affaire, et j’ai confiance aux décisions qui sont rendues. Les parties peuvent présenter tous les éléments de preuve dont elles disposent pour déterminer les services qui sont essentiels et qui doivent donc être maintenus.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Madame la ministre voulait demander au fonctionnaire qui l’accompagne d’ajouter quelque chose sur les matières bloquées au port.

Michael Keenan, sous-ministre, Transports Canada : Merci. C’est avec plaisir que je parlerai plus en détail de la question des produits qui sont bloqués au port.

[Traduction]

En ce qui concerne les conteneurs à Montréal, outre le débit énorme et les milliers de conteneurs en attente sur le quai en ce moment, il y a 12 navires qui sont bloqués, dont trois qui sont au mouillage, deux qui ont accosté et quelques-uns qui approchent sur le fleuve. Sur chacun de ces navires, il y a des milliers de conteneurs.

Selon la classification qu’utilise l’Agence des services frontaliers du Canada, les conteneurs essentiels sont ceux qui contiennent, par exemple, du matériel important pour la santé, la sécurité et les soins médicaux des Canadiens comme des produits pharmaceutiques, des médicaments, des fournitures médicales, des équipements de protection individuelle, des équipements médicaux, des désinfectants et des savons et ainsi de suite.

Environ 130 de ces conteneurs essentiels se trouvent sur le quai ou bloqués sur ces navires. Selon les dernières informations dont nous disposons, en fait, il y a environ 15 conteneurs sur le quai et plus de 100 sur les navires. Même ceux qui se trouvent sur le quai et qui, en théorie, pourraient être déplacés sont actuellement bloqués, comme ceux sur le navire. Il n’y a aucun moyen de les faire sortir en raison du blocage du fonctionnement du port.

Quelque 30 de ces 130 conteneurs contiennent des fournitures médicales et sanitaires liées à la réponse à la COVID : de l’équipement médical qui pourrait être utilisé pour traiter les patients atteints de la COVID, des équipements de protection individuelle, des désinfectants, et cetera.

Nous ne croyons pas que des vaccins s’y trouvent, puisque les vaccins arrivent en général par transport aérien. Cela dit, il existe un éventail d’autres produits qui sont importants pour la réponse du Canada à la COVID-19 et qui sont, essentiellement, bloqués. En théorie, il devrait être possible de sortir du quai quelques-uns de ces conteneurs, mais il est absolument impossible de débarquer ceux qui sont sur les navires bloqués qui ne peuvent même pas accoster le port en raison de l’arrêt de travail.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une autre question pour la ministre du Travail. Le syndicat nous a dit que l’élément déclencheur de cette grève générale qui, comme vous venez de le dire, bloque des conteneurs importants au port est la décision de l’employeur de modifier unilatéralement certaines conditions de travail, notamment l’imposition d’heures de travail plus longues.

Vous avez dit plusieurs fois que vous suiviez de très près ce conflit et que le gouvernement avait été impliqué à chaque moment. Saviez-vous que cette décision se préparait? Évidemment, je sais bien que l’employeur n’a pas à vous consulter, mais avez-vous été mise au courant et avez-vous expliqué votre position à ce chapitre, ou aviez-vous peur de mettre le feu aux poudres?

[Traduction]

Mme Tassi : Merci, madame la sénatrice, de cette question. Lorsque les parties décident de prendre des mesures, ils m’en avisent 72 heures à l’avance. Cela ne veut pas dire qu’ils prendront effectivement ces mesures. Cela leur en donne le droit si tel est leur choix. Toutefois, elles sont tenues de me donner un préavis de 72 heures avant de procéder.

Il importe de souligner ici que je ne participe aucunement aux négociations. Cela se fait entre les parties. Il ne m’appartient pas de m’immiscer dans les négociations. Je ne peux faire cela.

Mon travail est d’offrir l’aide que le gouvernement fédéral a la possibilité d’offrir au moyen du service de médiation qui, comme je l’ai dit plusieurs fois — je ne dis pas cela parce que Peter Simpson est là —, a fait un travail absolument remarquable. La porte est ouverte 24 heures par jour, 7 jours par semaine. C’est ce en quoi consiste mon rôle, en plus de communiquer avec les parties — non pas pour parler des enjeux négociés, mais pour leur dire que nous voulons qu’elles s’entendent et leur faire comprendre l’importance d’arriver à une entente. Je ne pourrais vous dire combien de fois j’ai dit que nous savons que le processus de négociation collective est important et que nous tenons à ce qu’il ait lieu. Voilà pourquoi nous disons aux parties que nous voulons qu’elles en arrivent à une entente, parce que nous croyons au processus de négociation collective. Nous savons que ce n’est pas facile. Nous savons que cela représente beaucoup de travail. Il faut cependant deux choses : de la souplesse et l’intention réelle d’en arriver à une entente.

Les deux parties m’ont assuré qu’elles en étaient conscientes et qu’elles voulaient continuer la négociation et le dialogue, mais il ne me revient pas de m’ingérer dans les négociations. Cependant, pour revenir à vos questions, nous sommes informés 72 heures à l’avance quant aux actions que les deux parties auront le droit de mener.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Dans ce cas-ci, puisque c’est un exemple particulier de quelque chose qui a mal tourné, vous avez reçu l’information de la partie patronale. Je comprends que vous ne pouvez pas intervenir, mais la médiation est possible.

(1640)

Avez-vous pris des mesures quelconques pour essayer de rapprocher les parties après cette annonce de la partie patronale, selon laquelle les conditions de travail seraient modifiées unilatéralement il y a quelques semaines?

[Traduction]

Mme Tassi : Il est vraiment important de comprendre que chacune des parties a des droits. Cela fait partie du processus de négociation collective. Chacune des parties peut décider des droits qu’elle entend exercer ou pas. Alors ces droits sont à leur disposition...

La présidente : Je suis désolée de vous interrompre, madame la ministre, mais nous devons passer au prochain bloc de 10 minutes.

Le sénateur White : Je remercie les deux ministres de leur présence.

Il y a eu des discussions au sujet du nombre de navires qui ont été détournés, et s’ils avaient été détournés vers des ports américains ou d’autres ports canadiens. Je me demande si vous pourriez nous dire combien de navires ont été détournés vers les États-Unis et ailleurs au Canada.

Mme Tassi : Merci de votre question, monsieur le sénateur. Je vais devoir me tourner vers mon collègue des Transports, qui possède ces détails.

Le sénateur White : Merci.

M. Alghabra : Je vais demander à mon sous-ministre de vous fournir les chiffres, mais j’aimerais d’abord souligner que nous sommes au courant de la situation, qui a en fait commencé avant le début de la grève.

Nous savons qu’en raison de l’incertitude actuelle et du conflit de travail, plusieurs expéditeurs ont décidé de se tourner vers d’autres ports. Certains ont choisi Halifax, mais c’est un plus petit port. La plupart se sont tournés vers les États-Unis. Nous craignons que, si la situation perdure, nous ne récupérions jamais le tonnage perdu.

Je demanderais maintenant à M. Keenan de vous fournir certains chiffres.

M. Keenan : Merci, monsieur le ministre.

Je vais revenir sur la situation que le ministre a décrite, étant donné que la grève et l’incertitude étaient dans l’air depuis un certain temps et que, en août dernier, il y a eu une grève, qui a entraîné beaucoup de détournements. Selon de récentes estimations, avant la dernière série de moyens de pression des deux camps, environ 10 % du volume du port de Montréal étaient détournés vers d’autres ports, surtout ceux d’Halifax, de Newark et de New York, en raison du regain d’incertitude.

Il s’agissait de détournements préventifs, mais, depuis que la situation s’est aggravée, les expéditeurs tentent de trouver des solutions. Bien franchement, ils sont un peu coincés. C’est pourquoi, même s’il y a une grève, des navires se dirigent vers Montréal parce qu’ils n’ont nulle part où aller.

Voilà qui nous ramène à un point que le ministre a soulevé au début, soit les répercussions de l’arrêt de travail. Montréal est le deuxième terminal portuaire à conteneurs en importance au Canada. En temps normal, 275 millions de dollars de produits transitent sur ses quais chaque jour. En temps normal, les navires iraient ailleurs. En ce moment, ils n’ont pas de solution de rechange parce que la chaîne d’approvisionnement mondiale de conteneurs et le système logistique ont atteint leur limite à cause des perturbations liées à la COVID.

Il y a déjà eu des pertes considérables. Nous prévoyons que, plus la grève durera longtemps, plus il y aura de détournements permanents. Actuellement, beaucoup de conteneurs s’accumulent dans le système.

En août dernier, un changement important a eu lieu et un grand nombre de navires ont été redirigés vers Halifax pour décharger leurs conteneurs. Ils ont alors découvert que, en raison des tensions dans la chaîne d’approvisionnement et dans les réseaux de fret au Canada — qui étaient comparables à ceux d’autres pays —, ils avaient du mal à acheminer les conteneurs aux endroits où ils étaient censés aller. Ce n’est qu’en octobre ou même en novembre que certains des conteneurs paralysés par la grève d’août ont pu être envoyés à leur destination.

Énormément de navires ont été redirigés. Nous pensons que ce changement est permanent pour une partie d’entre eux, mais il est difficile de déterminer le nombre exact de navires concernés. À l’heure actuelle, il y a un immense arriéré de conteneurs.

Le sénateur White : Si l’on examinait les projets de loi qui ont été adoptés pour obliger les gens à retourner au travail, je crois que l’on s’entendrait pour dire que, bien souvent, il est question de la circulation de marchandises considérées comme essentielles. Ce fut le cas pour Postes Canada et Air Canada, et ce, seulement depuis mon arrivée au Sénat.

En réalité, il s’agit en quelque sorte d’un expédient, car la même chose pourrait se produire dans n’importe quel autre port, à n’importe quel moment. Une solution semblable a été appliquée au camionnage en Colombie-Britannique, il y a quelques années.

Je vais me reporter à l’arrêt de la Cour suprême rendu en 2015 au sujet de la décision d’un juge de la Saskatchewan, selon qui le droit de grève est protégé par la Constitution. Je fais référence à cet arrêt parce qu’il traite de la nécessité — et je pense que la cour s’est penchée sur la question — d’un autre mécanisme de règlement des différends pour dénouer l’impasse des négociations collectives. Selon moi, l’actuel gouvernement, à l’instar de ceux qui l’ont précédé, ne s’est probablement pas attaqué au problème assez tôt pour éviter que cela se reproduise continuellement et pour mettre en place un mécanisme autre qu’une loi de retour au travail chaque fois que survient une situation du genre.

À quel autre mécanisme pourrait-on avoir recours, selon vous, pour dénouer les impasses de négociations collectives, plutôt que de continuer à légiférer, comme nous le faisons aujourd’hui? Merci, madame la ministre.

Mme Tassi : C’est une excellente question, monsieur le sénateur.

Nous sommes conscients que le processus de négociation collective est extrêmement important. Le droit de déclencher une grève est fondamental pour les syndicats.

Nous sommes dans une situation où, au bout du compte, une partie sera insatisfaite du mode de résolution retenu. Plusieurs possibilités s’offrent à nous pour aller de l’avant. Le défi sera d’amener les deux parties à accepter le mécanisme mis en place, ou toute amélioration à apporter au système. Il faut agir de manière à préserver les droits des deux parties et leur donner la chance de s’exprimer ou de négocier le plus fermement possible. Il doit y avoir un sentiment d’équité de part et d’autre à l’égard du processus. Si nous pouvions réussir à éviter qu’un tel conflit survienne à nouveau, je pense que nous pourrions examiner attentivement tous les aspects pour y parvenir. Toutefois, la clé du succès — et je suis convaincue que ce sera le plus gros défi — sera de faire en sorte que les deux parties acceptent totalement le processus et qu’elles l’appuient et qu’elles sentent que leurs droits ne sont pas compromis.

Le sénateur White : Merci beaucoup, madame la ministre.

Peut-être que la question a déjà été soulevée, mais, pour ce qui est de la reprise des opérations, je crois que, à moins qu’il y ait un changement, le projet de loi oblige les travailleurs à reprendre leurs activités une minute passé minuit, le jour suivant la sanction royale. Je crois que la loi de retour au travail pour Postes Canada prévoyait la reprise à midi le lendemain.

Je me demande si on s’est posé la question à savoir si le port — tant les travailleurs que la direction — pouvait reprendre ses opérations aussi rapidement que l’exige le projet de loi.

Mme Tassi : Je vais laisser la sous-ministre répondre à cette question.

Le sénateur White : Merci.

Mme Hassan : Merci de votre question.

C’est exact : le projet de loi indique que la reprise aurait lieu à l’entrée en vigueur de la loi. En effet, nous avons indiqué à la fin du projet de loi que celui-ci entrera en vigueur dans la première minute du jour suivant. Comme l’a précisé le représentant de l’Association des employeurs maritimes, cela voudrait dire concrètement que dès l’adoption du projet de loi, les deux parties doivent reprendre leurs activités et l’Association des employeurs maritimes devra payer ses employés selon les modalités qui s’appliquaient auparavant — la clause qui avait été enlevée comme le dénonçait le syndicat.

(1650)

Les employés seront appelés à reprendre leur travail, en fonction des besoins opérationnels. Par conséquent, ils seront payés pour retourner au travail à mesure que les navires arriveront et le port pourra les faire revenir pour décharger les navires.

Le sénateur Patterson : J’aimerais d’abord poser une question à la ministre du Travail, puis au ministre des Transports. Madame la ministre, j’aimerais donner suite à la question que le sénateur Plett vous a adressée un peu plus tôt, parce que je ne suis pas certain que vous ayez été claire. Ma question est la suivante: combien de fois avez-vous fait un compte rendu au premier ministre sur la situation au port de Montréal avant la grève actuelle?

Mme Tassi : Je dois vous dire que je ne peux pas divulguer les discussions avec le Cabinet du premier ministre. Je ne peux donc pas vous donner une réponse précise, mais je peux dire que mon équipe a collaboré étroitement avec le Cabinet du premier ministre afin que ce dernier soit toujours au courant de la situation au port de Montréal. Il manifeste un vif intérêt pour ce dossier d’ailleurs.

Le sénateur Patterson : Merci de votre réponse. Je ne vous demanderai certainement pas de divulguer des renseignements confidentiels du Cabinet, et je vous remercie de cette réponse.

Par ailleurs, j’aimerais vous demander si, après avoir obtenu les renseignements que vous lui avez fait parvenir par l’entremise de son personnel, le premier ministre a fait quoi que ce soit dans ce dossier, à part répondre aux appels d’intervenants inquiets.

Mme Tassi : Je pense qu’il faudra poser la question au premier ministre. Cela dit, je sais qu’il s’est entretenu avec son homologue provincial et qu’il a eu des conversations avec des intervenants. Je ne peux pas donner de détails sur l’étendue et le nombre de ces conversations, mais je sais qu’elles ont effectivement eu lieu.

Le sénateur Patterson : Merci. Je vais m’adresser de nouveau à l’honorable ministre du Travail. Le réseau de transport est crucial pour le Canada, et les ports sont des infrastructures d’une importance capitale pour les Canadiens. Évidemment, les Canadiens doivent pouvoir compter sur un système de transport maritime stable et fiable. Je tiens à dire que c’est particulièrement vrai dans une région nordique comme la mienne, le Nunavut, qui est largement tributaire de l’approvisionnement annuel en provenance des ports du Sud, en particulier ceux de Montréal et de Québec.

Madame la ministre, ma question est la suivante. Compte tenu du problème de longue date avec lequel nous avons dû composer aujourd’hui, ne croyez-vous pas que le gouvernement devrait faire le nécessaire pour qu’une situation comme celle-là ne se produise plus jamais? Plus précisément, envisagerez-vous de prendre des mesures pour vous assurer que les services essentiels comme les services portuaires seront maintenus?

Mme Tassi : Comme je l’ai déjà dit, il existe un processus pour l’aspect « services essentiels ». C’est le Conseil canadien des relations industrielles qui s’en occupe. Les deux parties peuvent s’adresser au conseil et présenter leur point de vue. Le conseil prend alors une décision indépendante, fondée sur les éléments de preuve. Ce processus est déjà en place et il permet d’assurer le mouvement continu des biens essentiels.

M. Alghabra : Monsieur le sénateur, j’aimerais ajouter quelque chose à propos de l’importance des infrastructures portuaires. Je tiens à dire que nous sommes absolument convaincus qu’il faut vraiment continuer d’étendre les infrastructures actuelles. C’est pourquoi le budget que nous avons présenté il y a 10 jours prévoit un fonds de deux milliards de dollars pour les corridors de commerce nationaux. Une partie de ce financement sera consacrée à l’infrastructure du Nord, ce qui aidera des régions comme la vôtre.

Le sénateur Patterson : Je suis absolument ravi de l’entendre. Je vous remercie, monsieur le ministre. J’espère que cette promesse deviendra réalité.

Je m’adresse encore une fois à l’honorable ministre des Transports. Votre sous-ministre a parlé des effets négatifs qu’a la situation sur le système de transport intégré autour du port de Montréal et des détournements vers d’autres ports, situés notamment aux États-Unis. Je sais que M. Keenan a offert une réponse. J’aimerais savoir si votre ministère a produit une analyse de ces effets négatifs qui pourrait être déposée au Sénat.

M. Alghabra : Merci beaucoup, sénateur Patterson. Transports Canada a fait une évaluation des conséquences sur notre économie et sur le secteur des transports. Je demanderai aux fonctionnaires s’il est possible de vous transmettre des documents à cet égard.

Le sénateur Patterson : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Plusieurs de mes questions ont déjà été posées. Toutefois, j’aimerais revenir sur le paragraphe 6(1) du projet de loi. Le représentant syndical qui a témoigné devant nous a affirmé que, si les syndiqués obtenaient l’assurance que les conditions de travail revenaient à ce qu’elles étaient le 9 avril dernier, ils mettraient fin à leur grève.

Ils nous ont demandé de modifier le projet de loi pour ajouter des éléments au paragraphe 6(1), ce qui ferait en sorte que les conditions de travail qui prévalaient le 9 avril dernier seraient maintenues, dans l’éventualité d’un retour au travail forcé.

Je sais qu’un amendement est toujours lourd et que cela implique des coûts et un retour à la table de négociations. Pouvez-vous faire en sorte que la convention collective, qui était en vigueur le 1er janvier 2019, soit maintenue jusqu’à la conclusion d’une entente? C’est un peu dans l’esprit du projet de loi d’assurer que les conditions de travail, dans l’éventualité de l’adoption de ce projet de loi, seront celles qui étaient en vigueur le 9 avril dernier.

Le projet de loi reste un peu difficile à avaler. On préfère toujours négocier des ententes. Ce projet de loi peut paraître quelque peu partial par rapport aux employeurs plutôt qu’aux syndicats. Si le législateur prévoit que les conditions de travail qui étaient en vigueur le 9 avril sont celles qui s’appliqueraient, cela faciliterait sans doute les négociations, en plus de l’adoption du projet de loi. J’aimerais entendre votre point de vue à ce sujet.

[Traduction]

Mme Tassi : Merci, sénatrice. Je vois que mon adjointe a levé la main, alors je vais m’en remettre à elle d’abord. Je pourrai toujours ajouter quelque chose après qu’elle aura répondu. À vous, Sandra.

[Français]

Mme Hassan : Merci de votre question, madame la sénatrice. Si le projet de loi entre en vigueur, l’article 6 fera en sorte que la convention collective s’appliquera de nouveau. Par conséquent, la disposition sur la sécurité d’emploi, qui était l’une des dispositions dont le syndicat a parlé, s’appliquera en vertu de l’article 6.

(1700)

Par ailleurs, la deuxième disposition qui a été modifiée est celle qui a trait aux quarts de travail. Cette disposition permet de changer les quarts de travail et est prévue dans la convention collective. Les représentants de l’Association des employeurs maritimes ont, lors de leur comparution cet après-midi, indiqué qu’ils accepteraient de retourner aux conditions telles qu’elles étaient au début du mois d’avril. Par conséquent, étant donné que nous avons une déclaration du représentant des employeurs indiquant qu’ils s’engagent à retourner aux quarts de travail tels qu’ils étaient auparavant, il n’y aurait nul besoin de modifier l’article 6.

Lorsque le syndicat vous l’a demandé plus tôt, parce qu’ils ont comparu avant les représentants de l’employeur, ils ne savaient pas que ces derniers, lorsque vous leur poseriez la question, allaient vous dire qu’ils acceptaient cette demande, qui est une demande importante.

La sénatrice Mégie : Je voudrais céder mon temps de parole à un autre collègue, puisqu’on a déjà répondu à ma question.

[Traduction]

Le sénateur Loffreda : J’aimerais remercier la ministre Tassi et le ministre Alghabra de leur présence.

J’arrive du Comité des finances, alors si la question a déjà été posée ou qu’on y a déjà répondu, je vous prie de m’en excuser, mais je suis de Montréal, et je voulais poser cette question à propos de ce projet de loi important dont nous débattons.

J’aimerais revoir certains chiffres que vous avez fournis à l’autre endroit cette semaine ou il y a quelques minutes. Vous avez dit que l’arrêt de travail actuel touchait plus de 19 000 emplois directs et indirects, qui sont associés au transit dans le port de Montréal, et qu’il pourrait avoir des conséquences sur l’emploi de 250 000 personnes à Montréal et 273 000 en Ontario, qui travaillent dans la fabrication de produits expédiés par conteneurs.

Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez fait ces calculs? Certains soutiennent que la grève actuelle coûte à l’économie entre 10 et 20 millions de dollars par jour. Jusqu’à quel point ces chiffres sont-ils exacts? Cela correspond-il aux prévisions de votre ministère à propos de l’impact de la grève sur l’économie?

Mme Tassi : Merci, sénateur Loffreda. Je prendrai d’abord la parole, puis je la céderai aux représentants du ministère des Transports.

Vous avez tout à fait raison. J’ai bel et bien dit à la Chambre des communes qu’environ 19 000 emplois directs et indirects au port sont touchés.

Les autres chiffres que vous mentionnez — les 250 000 employés dans le Grand Montréal et les 273 000 travailleurs en Ontario — figurent dans une lettre que m’ont écrite plusieurs ministres québécois et ontariens. Dans cette lettre, les ministres provinciaux disent qu’il s’agit du nombre d’emplois pouvant être touchés et demandent au gouvernement fédéral d’agir pour protéger ces emplois. La grève entraîne des pertes hebdomadaires de 40 à 100 millions de dollars.

Je vais maintenant céder la parole au ministre des Transports et à ses collaborateurs pour qu’ils puissent, le cas échéant, fournir des détails supplémentaires.

Le sénateur Loffreda : Merci.

M. Alghabra : Merci, madame Tassi. Je vous remercie de la question, monsieur le sénateur.

Je vais donner quelques exemples pour illustrer les répercussions sur les emplois. Prenons une entreprise forestière qui exporte en Europe et qui ne peut plus envoyer ses produits. Elle risque de perdre des clients de façon définitive parce qu’ils auront trouvé d’autres fournisseurs qui, en passant, pourraient ne pas être canadiens. De plus, parce qu’elle accumule des stocks, elle pourrait finir par devoir mettre à pied des employés. Elle n’a plus besoin d’employés pour fabriquer des produits si elle a des stocks excédentaires.

Je pense aussi à un fabricant de pièces automobiles qui attend la livraison de produits. Comme vous le savez, le secteur automobile fonctionne selon la méthode juste-à-temps. Si les produits sont en retard, il pourrait y avoir des mises à pied à l’usine de pièces qui attend ces produits. Si la livraison n’arrive pas, l’entreprise doit suspendre la fabrication à l’usine.

Ce sont là des exemples des répercussions. Je peux aussi dire que nous avons évalué ce qui s’est passé lors de la grève au port en août dernier. Nous avons constaté les effets sur les travailleurs et l’économie, et nous pouvons facilement déduire les conséquences qu’une fermeture aurait maintenant. En tant que député de l’Ontario, j’ai discuté avec des entreprises de ma région qui ont été touchées par la grève au port de Montréal l’été passé.

Le sénateur Loffreda : Je vous remercie de vos réponses. La grève survenue en août dernier a eu des conséquences dévastatrices pour de nombreuses entreprises. Nous savons que les grossistes ont perdu près de 600 millions de dollars de ventes et qu’il a fallu trois mois pour éliminer l’arriéré de produits au port.

J’ai deux questions. Premièrement, de ces 600 millions de dollars de ventes perdus, quelle part a été absorbée par des entreprises canadiennes?

Deuxièmement, outre des données empiriques, existe-t-il des données probantes ou tangibles qui montrent l’incidence de la grève d’août sur les PME et les diverses chaînes d’approvisionnement? Quel a été l’effet d’entraînement sur l’économie et dans quelle mesure ces données ont-elles influencé la décision du gouvernement d’imposer le retour au travail par la voie législative?

M. Alghabra : Merci, monsieur le sénateur. Ce que la grève d’août a coûté à l’économie a été absorbé par l’économie et, techniquement, par les PME et les travailleurs touchés par ce ralentissement ou cette interruption.

Pour répondre à votre question précisément, oui, selon les données que nous avons, 40 % des PME du Québec ont été touchées par la grève de l’été dernier. Autrement dit, quatre entreprises sur dix en ont ressenti les effets à divers degrés, selon leur position dans la chaîne d’approvisionnement.

Mme Tassi : Si je peux me permettre d’ajouter quelque chose avant de laisser la parole au sous-ministre Keenan. Il faut comprendre que, pour ces petites entreprises, il s’agit d’un coup dur. Un conteneur peut représenter l’ensemble de leur investissement. Il faut le comprendre. Les petites entreprises sont durement touchées.

Monsieur le sous-ministre Keenan, vouliez-vous ajouter quelque chose?

M. Keenan : Merci, madame la ministre. Le ministre Alghabra et vous avez répondu à la question. J’aurais un autre point à soulever : en raison du stress subi par les chaînes d’approvisionnement des marchandises et de leur interconnexion — le sénateur l’a déjà souligné —, les effets de la grève d’août ont été ressentis jusqu’à tard pendant l’automne. Les coûts et les perturbations liés au débrayage d’août ont duré plus longtemps que ce à quoi on se serait attendu et cela témoigne de la précarité actuelle des chaînes d’approvisionnement des marchandises.

(1710)

Nous le constatons présentement en raison des répercussions qui découlent des récentes interruptions de travail. Il y a eu des détournements. Par exemple, deux porte-conteneurs se sont dirigés vers Halifax et Saint John et de nombreuses entreprises ont tenté de passer par New York. Or, dans le cas des entreprises qui ont pu faire des détournements vers New York, même si leurs conteneurs peuvent être reçus à New York, ils ne pourront pas se rendre jusqu’à Toronto, parce qu’ils ne pourront pas passer par Chicago. Les pôles intermodaux de Toronto et de Chicago ont été perturbés en raison des effets de la grève à Montréal. Par exemple, les compagnies ferroviaires ont pratiquement cessé le transport intermodal entre Toronto et Montréal et entre Chicago et Montréal. Par conséquent, les produits de certaines entreprises au Canada ont été touchés par le débrayage au port de Montréal, même si ces produits n’avaient pas à passer par le port de Montréal.

Voilà pourquoi les répercussions économiques sont beaucoup plus importantes qu’on pourrait le croire. La chaîne d’approvisionnement en conteneurs subit un stress à cause des perturbations liées à la COVID.

Le sénateur Loffreda : Merci. Ma prochaine question porte sur le transport des marchandises, et vous pouvez y répondre par oui ou par non en raison de la contrainte de temps. Est-ce que, outre cette loi de retour au travail, le gouvernement a préparé un plan d’urgence pour aider les entreprises à acheminer leurs produits? Autrement dit, faisons comme si nous n’étions pas saisis du projet de loi C-29. Advenant d’autres perturbations, comment les entreprises s’adapteraient-elles pour que leurs produits parviennent à leurs clients? Est-ce que des trains ou d’autres moyens de transport étaient prêts à acheminer les produits? Est-ce que d’autres ports étaient en mesure de prendre rapidement la relève? Quel rôle le gouvernement fédéral aurait-il pu jouer pour faciliter la circulation des marchandises et des fournitures?

M. Alghabra : Merci, sénateur. La réponse courte est que oui, nous examinons des options, mais, pour être franc, elles sont limitées, sénateur. Nous sommes limités par les infrastructures existantes. Voilà pourquoi nous sommes fortement en faveur d’investir davantage dans nos infrastructures afin d’augmenter notre capacité portuaire et ferroviaire, mais les options sont limitées. Une chose est sûre, comme lors de la grève précédente, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour faciliter d’autres moyens.

Le sénateur Loffreda : Merci.

La présidente : Madame Tassi et monsieur Alghabra, au nom de tous les sénateurs, je vous remercie de vous être joints à nous aujourd’hui pour nous aider à étudier le projet de loi. Nous souhaitons aussi remercier les fonctionnaires de vos ministères de leur aide. Merci et prenez soin de vous.

Mme Tassi : Merci, madame la présidente. Merci, honorables sénateurs.

M. Alghabra : Merci beaucoup.

La présidente : Honorables sénateurs, les ministres sont avec nous depuis maintenant 125 minutes. Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, je suis maintenant obligée d’interrompre les délibérations.

Madame et monsieur les ministres, au nom de tous les sénateurs, je vous remercie de vous être joints à nous aujourd’hui et de nous avoir aidés dans nos travaux concernant ce projet de loi. Je tiens également à remercier vos fonctionnaires.

Des voix : Bravo!

La présidente : Honorables sénateurs, êtes-vous d’accord pour que la séance du comité soit levée et que je déclare au Sénat que les témoins ont été entendus?

Des voix : D’accord.


Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le Sénat reprend sa séance.

[Français]

Rapport du comité plénier

L’honorable Pierrette Ringuette : Honorables sénateurs, le comité plénier, qui a été autorisé par le Sénat à étudier le projet de loi C-29, Loi prévoyant la reprise et le maintien des opérations au port de Montréal, signale qu’il a entendu lesdits témoins.

[Traduction]

Déclaration d’intérêts personnels

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous informe que l’honorable sénateur Campbell vient de faire une déclaration d’intérêts personnels concernant le projet de loi C-218 et que, conformément à l’article 15-7(1) du Règlement, cette déclaration sera consignée aux Journaux du Sénat.

[Français]

Les travaux du Sénat

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, conformément à l’article 4-13(3) du Règlement, j’informe le Sénat que, lorsque nous passerons aux affaires du gouvernement, le Sénat abordera les travaux dans l’ordre suivant : la deuxième lecture du projet de loi C-29, suivie de tous les autres articles dans l’ordre où ils figurent au Feuilleton.

[Traduction]

Projet de loi de 2021 sur les opérations au port de Montréal

Deuxième lecture

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) propose que le projet de loi C-29, Loi prévoyant la reprise et le maintien des opérations au port de Montréal, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je propose que ce projet de loi soit lu pour la deuxième fois.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Troisième lecture—Débat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5b) du Règlement, je propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois maintenant.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Gold : Honorables sénateurs, je tiens d’abord à vous remercier de vous être réunis un vendredi avec un préavis aussi court pour examiner une question très urgente pour l’intérêt public. Je sais qu’aucun sénateur ne souhaite vraiment être ici aujourd’hui, et, croyez-moi, c’est avec beaucoup de regret et de déception que je prends la parole à titre de parrain du projet de loi C-29, Loi prévoyant la reprise et le maintien des opérations au port de Montréal.

D’entrée de jeu, je serai clair : cette mesure législative est une solution de dernier recours, qui, comme la ministre l’a dit — et je vais le répéter —, n’est pas prise à la légère par le gouvernement, je peux vous l’assurer. Je sais que les 255 députés qui ont voté en faveur du projet de loi au petit matin jeudi n’en ont pas tiré une grande satisfaction. Toutefois, le différend au port de Montréal est dans l’impasse et il s’est aggravé au point où cette mesure législative est devenue essentielle pour protéger l’intérêt public.

Comme vous le savez, les activités au port de Montréal ont été réduites le 13 avril en raison d’un arrêt de travail partiel, et la situation s’est depuis transformée en un arrêt de travail complet à partir du 26 avril, paralysant de fait le port, comme nous l’avons entendu. Les deux parties en question, le Syndicat des débardeurs du port de Montréal — la section locale 375 du Syndicat canadien de la fonction publique — et l’Association des employeurs maritimes négocient depuis septembre 2018, date à laquelle leur ronde actuelle de négociations collectives a débuté. Malheureusement, jusqu’à présent, ils n’ont pas été en mesure de conclure une entente, même après les tentatives répétées du gouvernement du Canada, par l’intermédiaire de ses médiateurs, d’aider les deux parties à trouver un terrain d’entente. Sans entente en vue, on n’entrevoit pas non plus la fin de cet arrêt de travail.

[Français]

Je crois profondément à la liberté d’association et au processus de la négociation collective, mais je suis aussi un sénateur représentant la province de Québec et un Montréalais. Aujourd’hui, mes paroles tiennent compte de ces deux réalités.

À ce titre, malheureusement, je sais qu’il n’y a pas d’autre choix viable que d’adopter ce projet de loi. Nous en sommes arrivés au point où il serait irresponsable de la part du gouvernement fédéral de ne pas intervenir.

[Traduction]

Honorables sénateurs, je vais commencer par décrire brièvement les mesures que le gouvernement fédéral a prises à ce jour pour aider les parties à conclure une entente.

(1720)

Les parties ont entamé les négociations en septembre 2018. Le mois suivant, le Service fédéral de médiation et de conciliation a été mis à contribution, d’abord dans le cadre des efforts de conciliation, puis lors du processus de médiation, qui a commencé en décembre 2018.

Le 2 juillet 2020, le syndicat a entamé une grève partielle avec l’appui de 99 % de ses membres. Cela s’est produit moins d’un mois après la décision du Conseil canadien des relations industrielles, ou CCRI, sur le maintien des activités.

Le conseil a dû se pencher sur les éventuels services qui devraient être maintenus advenant un arrêt de travail, mais aucune des parties n’a pu exercer de moyens de pression. Finalement, le CCRI a établi que, advenant un arrêt de travail, les parties n’auraient pas à maintenir d’autres activités que celles nécessaires au respect de leurs obligations législatives au titre du Code canadien du travail, qui les oblige à continuer de desservir les navires céréaliers. Il a cependant précisé que le syndicat s’est engagé à continuer de desservir deux navires qui approvisionnent Terre-Neuve-et-Labrador.

À la suite de cette décision, les parties étaient en mesure d’entamer une grève ou un lock-out en toute légalité, à condition de respecter le préavis obligatoire de 72 heures. Par la suite, au cours de l’été, il y a eu quatre arrêts de travail dont la durée et les conséquences sont allées en augmentant, puis une grève illimitée à partir du 10 août 2020.

Onze jours plus tard, les parties ont conclu une trêve de sept mois pendant laquelle ils allaient poursuivre les négociations et suspendre les arrêts de travail. Comme nous le savons, cette trêve a pris fin le 21 mars 2021.

[Français]

Chers collègues, tout au long de la trêve et depuis qu’elle est terminée, les parties ont reçu un soutien important et continu de la part des médiateurs fédéraux.

Malgré cela, le 13 avril, l’employeur a modifié les conditions de travail et le syndicat a entamé une grève partielle. L’Administration portuaire de Montréal a déclaré que cet arrêt de travail partiel a réduit sa capacité de 30 %. D’ailleurs, ce montant ne tient pas compte de la réduction des marchandises envoyées par des expéditeurs prudents, qui craignent que leurs marchandises soient touchées par ce différend.

Depuis, la situation s’est envenimée. L’employeur a informé le syndicat qu’il invoquerait les dispositions de la convention collective qui imposent un horaire de travail précis exigeant que les travailleurs effectuent la totalité du quart de travail. Le syndicat a ensuite cessé tout travail au port, à compter de 7 heures le 26 avril.

Pour mettre les choses en perspective, le port de Montréal est le deuxième plus grand terminal portuaire à conteneurs au Canada. Chaque année, il traite plus de 1,6 million d’équivalents vingt pieds et 35 millions de tonnes de marchandises, ce qui représente environ 40 milliards de dollars de marchandises.

[Traduction]

La grève à laquelle nous assistons cause des problèmes en ce moment et pourrait causer des dommages durables à l’économie canadienne. Il convient de noter que bon nombre d’entre vous ont reçu une déclaration écrite de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, ou CCMM, signée par un échantillon représentatif de centaines d’entrepreneurs et de petites entreprises qui dépendent des chaînes d’approvisionnement qui les relient au port de Montréal. Voici ce que dit la note :

Il est essentiel que la fluidité de la chaîne d’approvisionnement soit maintenue. C’est la survie de nombreuses entreprises qui en dépend.

La situation a une incidence sur plus de 19 000 emplois directs et indirects associés au transport de marchandises qui passent par le port de Montréal, notamment dans les industries du rail et du camionnage. Des intervenants ont aussi indiqué que la grève a une incidence sur le mouvement des marchandises essentielles, ce qui pourrait entraîner des pénuries ou des retards dans les soins ou les traitements donnés aux Canadiens — par exemple, livraison retardée de certains ingrédients nécessaires à la fabrication de certains médicaments — et certains produits nécessaires pour des traitements médicaux spécialisés, comme la dialyse. Medtech Canada, association nationale représentant l’industrie de la technologie médicale, a indiqué que la grève pourrait compromettre l’approvisionnement en solutions de dialyse partout au Canada.

Bien que le syndicat ait assuré verbalement qu’il continuerait à charger et à décharger les fournitures médicales urgentes, le blocage du port a fait que des conteneurs essentiels n’ont pas pu être déplacés. Le sous-ministre des Transports, Michael Keenan, a déclaré devant le comité plénier que 15 conteneurs contenant des marchandises essentielles étaient immobilisés. Il avait été informé que 5 de ces 15 conteneurs contiennent des équipements prioritaires liés à la COVID, tandis que les autres contiennent des produits pharmaceutiques et des équipements médicaux.

Le sous-ministre Keenan a aussi déclaré que plus de 100 conteneurs renfermant des marchandises essentielles se trouvaient à bord de quatre navires ancrés au port, en attendant sa réouverture. Étant donné les défis logistiques que représente la tentative d’accoster ces navires uniquement pour décharger certains conteneurs, on ne s’attend tout simplement pas à ce que ces derniers soient déplacés avant la reprise des opérations au port de Montréal.

Par ailleurs, plusieurs intervenants du secteur agroalimentaire ont indiqué que l’arrêt de travail nuit à leur capacité d’expédier des produits agricoles par conteneur et porte atteinte à la réputation du Canada en tant qu’exportateur fiable de ce type de produits. Il nuit aussi à notre sécurité alimentaire puisque les producteurs ont du mal à recevoir des intrants essentiels comme de l’engrais. Karen Proud, PDG de Fertilisants Canada, qui représente de nombreux fabricants et distributeurs de l’industrie des engrais, a dit ceci :

Alors que le Canada continue de combattre la COVID-19, nos citoyens ont besoin d’un approvisionnement alimentaire sur lequel ils peuvent compter. Toute grève signifie que les engrais essentiels n’atteindront pas les agriculteurs de l’Est et de l’Atlantique du Canada. Cette grève menace la sécurité alimentaire à un moment critique.

Certains producteurs d’aliments ont également signalé, avant le début de la grève, qu’ils réachemineraient leurs exportations à d’autres ports, canadiens et américains. Le sous-ministre du Transport, M. Keenan, a témoigné qu’environ 10 % du volume de marchandises à destination du port de Montréal avaient été réacheminés à d’autres ports à titre préventif avant cet arrêt de travail, mais que, bien franchement, de nombreux expéditeurs sont coincés, car la capacité des autres ports est limitée.

Des intervenants de diverses industries, y compris l’agriculture et l’agroalimentaire, la foresterie, le commerce de détail, la fabrication, le transport, le transport maritime et la logistique, ont exprimé de graves préoccupations concernant l’incidence potentielle de l’arrêt de travail. Parmi ces intervenants, mentionnons notamment la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, Manufacturiers et Exportateurs du Québec, l’Association canadienne des importateurs et exportateurs, l’Association canadienne de la distribution de fruits et légumes, la Fédération de l’agriculture de l’Île-du-Prince-Édouard, Soy Canada ainsi qu’Ontario Bean Growers.

Exemples d’inquiétudes exprimées au gouvernement, des fabricants, y compris des fabricants de médicaments et les constructeurs automobiles, risquent de devoir interrompre ou cesser leur production par manque de matériel. Des grossistes de produits alimentaires risquent de voir une partie de leurs produits gaspillée ou détériorée. Des producteurs agricoles risquent de manquer d’engrais. Des fournisseurs canadiens risquent de perdre des clients, ceux-ci préférant faire affaire avec des fournisseurs américains parce qu’ils sont « plus fiables ». Le secteur de la construction risque d’être aux prises avec une pénurie de matériaux alors que l’activité reprend au printemps.

En fait, selon la modélisation économique, la grève entraînerait des pertes de 40 millions de dollars à 100 millions de dollars par semaine pour l’économie canadienne.

[Français]

La grève et l’arriéré qui en résulte devraient entraîner une réduction des heures de travail ou des mises à pied temporaires pour les travailleurs et les entreprises qui ne sont pas en mesure de réacheminer les intrants de production nécessaires par d’autres ports. Par exemple, un raffineur de sucre a indiqué qu’il pourrait devoir suspendre ses activités, car il n’a plus accès au sucre brut par l’entremise du port, ce qui a une incidence sur 215 emplois.

Les intervenants du secteur agroalimentaire ont également indiqué qu’ils s’attendent à des mises à pied à court terme, alors que le système de transport est retardé et que la chaîne d’approvisionnement reposant sur les produits agricoles est interrompue.

Nous savons également que les autres ports de la côte Est du Canada ont eu du mal à gérer l’augmentation du volume des cargaisons qui ont été détournées vers eux à la suite de moyens de pression exercés au port de Montréal à l’été 2020, et que les ports de la côte Est des États-Unis sont déjà extrêmement occupés.

La réalité, c’est que les chaînes d’approvisionnement mondiales et régionales sont déjà très serrées, et il y a donc très peu de possibilités d’accorder de la flexibilité ou de trouver d’autres arrangements efficaces.

Honorables sénateurs, le gouvernement estime qu’il est temps de prendre des mesures décisives.

Je tiens toutefois à ce qu’une chose soit parfaitement claire. Aujourd’hui, nous avons entendu des représentants du syndicat et de l’employeur, ce qui nous a permis de mieux comprendre les enjeux au port. Cependant, chers collègues, lors de l’examen de ce projet de loi, il est important de garder à l’esprit ce qui suit, et je reprends les paroles de la sénatrice Lankin : pour le gouvernement du moins, il n’est pas question ici de choisir un camp. Il ne s’agit pas de savoir qui a fait quoi et quand, qui a peut-être raison et qui a peut-être eu tort. Ce n’est pas un jugement sur la qualité des négociations qui se sont déroulées jusqu’à présent.

(1730)

[Traduction]

Comme le sénateur Harder nous l’a rappelé dans le cadre de nos délibérations sur le projet de loi C-89, avec le syndicat et l’employeur, le gouvernement constitue la troisième partie de la relation tripartite en cause dans la négociation collective. Il a pour tâche de garantir des négociations justes et équitables, mais aussi de concilier ce processus et la manière dont il se déroule avec les autres droits et intérêts essentiels à la bonne marche du pays.

En ce qui concerne les questions soulevées au sujet de la négociation collective, le projet de loi C-29 ferait en sorte que la convention collective qui était en vigueur entre 2013 et 2018 soit prolongée jusqu’à ce qu’une nouvelle convention collective entre en vigueur. Je rappelle aux sénateurs que cette convention collective avait été négociée avec succès par les mêmes parties et qu’elle avait été accueillie très favorablement en 2013. Les parties seraient tenues de respecter toutes les conditions de la convention collective ainsi prolongée jusqu’à la date d’entrée en vigueur d’une nouvelle convention collective.

Toute modification unilatérale apportée par l’une ou l’autre partie deviendrait caduque à l’adoption du projet de loi C-29. Les dispositions contenues dans la convention collective qui est arrivée à échéance le 31 décembre 2018 reprendraient alors effet.

Au bout du compte, chers collègues, le gouvernement propose le projet de loi C-29, une politique publique responsable et équilibrée, en réponse à une situation objectivement nuisible au port de Montréal. Dans le projet de loi C-29, il est question de trouver un juste milieu entre le droit de grève des débardeurs et un éventail d’autres intérêts vitaux, y compris ceux des milliers de personnes qui font les frais de cette grève, comme les entreprises dans la chaîne d’approvisionnement qui subiront des coûts directs et indirects importants associés à ce conflit et dont beaucoup souffrent déjà depuis 13 mois en raison d’une pandémie qui a coûté à d’innombrables Canadiens leur gagne-pain. Pour être franc, le gouvernement doit tenir compte des emplois qui ne seront pas protégés s’il permet à la grève de se poursuivre, car ces emplois seront perdus.

Honorables sénateurs, la nécessité du projet de loi C-29 est reconnue par tous les ordres de gouvernement les plus directement touchés par le conflit, notamment le gouvernement du Québec, le gouvernement de l’Ontario et la Ville de Montréal, qui se trouve à être dirigée par l’une des mairesses les plus progressistes de l’histoire de la ville.

Tous ces ordres de gouvernement sont dirigés par des partis politiques ayant des allégeances et des idéologies très différentes. Cependant, ils ont tous la responsabilité commune de gouverner, ce qui les oblige parfois à prendre des décisions difficiles et contraires à leur idéologie dans l’intérêt général de la région relevant de leurs compétences respectives.

[Français]

Bien qu’une loi de retour au travail soit toujours un dernier recours, pour les parties au différend, le projet de loi C-29 représente un mécanisme de règlement des différends impartial, neutre et efficace qui est conforme aux exigences des développements les plus récents en droit du travail canadien.

[Traduction]

Honorables sénateurs, la mesure législative a été rédigée de façon à respecter les plus récentes décisions des tribunaux concernant la Charte canadienne des droits et libertés. Avec votre permission, j’aimerais aller plus loin et fournir une analyse plus exhaustive de la Charte, à titre de complément à la déclaration du ministre de la Justice.

Comme les sénateurs le savent et comme l’indique l’énoncé concernant la Charte, légiférer le retour au travail des employés du port pourrait mettre en cause la liberté d’expression et la liberté d’association, qui sont protégées au titre des alinéas 2b) et 2d) de la Charte respectivement. Toutefois, invoquer la Charte ne signifie pas nécessairement qu’on la viole.

Comme nous le savons, les droits prévus dans la Charte ne sont pas absolus. L’article premier de la Charte prévoit que les droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte, mais la Charte n’est pas violée si la justification de ces limites peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Honorables sénateurs, le gouvernement est d’avis que le projet de loi C-29 ne viole pas la Charte canadienne des droits et libertés.

Commençons par le droit à la liberté d’association protégé par l’alinéa 2d) de la Charte. La liberté d’association englobe le droit à un processus véritable de négociation collective. Cela comprend le droit de grève en cas d’échec des négociations menées de bonne foi. Il s’ensuit que des mesures du gouvernement qui entravent substantiellement un tel processus constituent une atteinte à la liberté d’association et qu’elles doivent être justifiées par application de l’article 1 de la Charte.

Cela dit, la question de savoir si une intervention législative comme le projet de loi que nous examinons aujourd’hui constitue une ingérence substantielle dans le processus de négociation collective dépend des faits d’un cas particulier, et je vais y revenir dans un instant.

Honorables sénateurs, il est toutefois important de reconnaître que le droit de grève en vertu de la Charte est relativement nouveau sur le plan juridique. En 1987, la Cour suprême du Canada a décidé que le droit de grève n’était pas protégé. Les choses ont changé en 2015, avec la décision de la Cour suprême dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan dont il a déjà été question. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a infirmé des décisions antérieures et elle a reconnu que le droit de grève constituait un aspect du droit à un processus véritable de négociation collective protégé par l’alinéa 2d) de la Charte.

Il faut garder à l’esprit que, comme cette vision d’un droit de grève protégé par la Constitution est encore récente, il y a peu de jurisprudence pour en définir l’étendue. En fait, depuis 2015, seulement deux affaires ont porté sur la constitutionnalité de projets de loi de retour au travail. La première est la décision rendue en 2016 par la Cour supérieure de l’Ontario dans l’affaire du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes c. Sa Majesté du chef du Canada. Une deuxième décision très récente, rendue le 7 avril 2021 par la Cour d’appel du Québec, porte sur l’affaire du Procureur général du Québec c. Les avocats et notaires de l’État Québécois.

La première de ces deux affaires, qui concerne les travailleurs des postes, porte sur une loi de retour au travail adoptée par le Parlement en 2011 à propos de Postes Canada. La deuxième affaire porte sur une loi de retour au travail adoptée en 2015 par le gouvernement du Québec pour ses propres avocats et notaires.

Je parlerai brièvement de ces deux dossiers, mais je tiens tout d’abord à préciser que ces décisions concernent des lois dont le contenu et le contexte diffèrent grandement de ceux du projet de loi à l’étude aujourd’hui.

Il convient aussi de souligner que l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour concernait une loi sur les services essentiels. Elle éliminait complètement le droit de grève d’un vaste éventail d’employés et ne leur fournissait aucun mécanisme neutre de résolution des différends, comme l’arbitrage.

[Français]

C’est un contexte différent de la situation que nous envisageons aujourd’hui. Les employés du port de Montréal ont le droit de grève et ils l’ont maintenant exercé à quatre différentes occasions, notamment par le biais d’arrêts de travail partiels, puis de deux grèves générales.

Bien que le projet de loi C-29 soit un moyen de légiférer pour mettre fin à la grève, il comprend également un processus neutre de règlement des différends, dont je parlerai sous peu.

[Traduction]

Étant donné que la jurisprudence est limitée dans ce domaine et que l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour portait sur des lois très différentes, on ne devrait pas présumer que le projet de loi à l’étude aujourd’hui restreint la liberté d’association telle qu’elle est interprétée par les tribunaux selon la Charte.

Le projet de loi C-29 est rédigé différemment des lois de retour au travail sur lesquelles se sont penchés les tribunaux de l’Ontario et du Québec que je viens de mentionner. En effet, le projet de loi C-29 a été fondé sur les principes qu’explique la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour, afin d’en assurer la conformité avec la Charte.

Chers collègues, bien que le gouvernement soutienne que le projet de loi n’entrave pas substantiellement le processus de négociation collective, il faut reconnaître qu’un tribunal pourrait conclure le contraire et affirmer que le projet de loi constitue une entrave aux droits garantis par l’alinéa 2d) et qu’il doit, par conséquent, être justifié en vertu de l’article premier.

Mais avant de passer aux considérations qui étayent l’opinion selon laquelle le projet de loi C-29 est constitutionnel en vertu de l’article 1 de la Charte, je signale que le gouvernement comprend également que la liberté d’association n’est peut-être pas le seul droit garanti par la Charte qui est mis en cause. Comme l’indique l’énoncé concernant la Charte, le projet de loi C-29 pourrait mettre en cause l’alinéa 2b) de la Charte, car il est possible que l’acte de se retirer du travail pour exprimer son mécontentement à l’égard des conditions d’emploi soit une forme d’expression protégée par la Charte.

En effet, bien que des cours inférieures soient arrivées à cette conclusion, d’autres ont exprimé des réserves par rapport au fait de considérer l’acte de faire la grève comme une forme d’expression protégée par la Charte. En fait, la Cour suprême du Canada a refusé de se prononcer là-dessus dans l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour, et donc la question demeure ouverte.

(1740)

Honorables sénateurs, comme je l’ai dit, il est bien établi en droit que le Parlement peut adopter des lois limitant les libertés, pourvu que de telles lois puissent être justifiées dans une société libre et démocratique. De l’avis du gouvernement, le projet de loi C-29 respecte la Charte.

Le critère à appliquer en vertu de l’article 1 de la Charte consiste à déterminer si l’objectif de la loi contestée est réel et urgent. Le cas échéant, l’analyse se poursuit pour déterminer si la loi établit un équilibre raisonnable entre l’objectif législatif et les conséquences sur les droits touchés, en vérifiant s’il existe un lien rationnel entre la loi et l’objectif, si la mesure porte une atteinte minimale et si la contrainte est proportionnelle aux effets positifs associés à l’objectif législatif. Je vais parler brièvement de chacun de ces éléments tour à tour.

L’objectif du projet de loi C-29 est de freiner les graves répercussions de la grève et de prévenir des pertes économiques majeures et récurrentes pour des entreprises canadiennes, pour leurs employés, et pour ceux qui comptent sur leurs services.

Dans les deux cas d’examen d’une loi de retour au travail depuis l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour, les tribunaux n’ont eu aucun mal à accepter l’idée que la mesure législative visait un objectif urgent et réel.

À la lumière des conséquences graves de la poursuite de l’arrêt de travail, dont j’ai parlé plus tôt et dont nous avons beaucoup entendu parler en comité plénier, le gouvernement est convaincu qu’il serait convenu que l’objectif est urgent et réel.

En ce qui concerne le critère de la proportionnalité en vertu de l’article 1, il s’agit de déterminer si la restriction du droit est rationnellement liée à l’objectif du gouvernement.

Dans le cas de l’arrêt de 2016 concernant la Société canadienne des postes, le tribunal ontarien n’a eu aucune peine à conclure que la mesure législative passait le volet de l’analyse sur le lien rationnel. Le tribunal a conclu que la décision du gouvernement de légiférer pour assurer le retour au travail des employés de Postes Canada était directement liée à son objectif d’éviter les préjudices économiques associés à la grève.

De même, dans la récente décision concernant les avocats et les notaires du gouvernement du Québec, la Cour d’appel du Québec a aisément conclu que la loi provinciale de retour au travail avait un lien rationnel avec l’objectif d’assurer la continuité des services.

En ce qui concerne le projet de loi C-29, l’interdiction des grèves et des lock-out qui est proposée, même si les efforts pour promouvoir une résolution négociée du conflit se poursuivent par ailleurs, est rationnellement liée à l’objectif visant à atténuer les perturbations que pourrait causer la grève et à prévenir les préjudices économiques persistants et importants qui y sont associés.

Dans le deuxième volet de l’analyse de la proportionnalité, la question est de savoir si la loi limite le droit ou la liberté plus que ce qui est raisonnablement nécessaire pour atteindre l’objectif. C’est à cette étape de l’analyse que les lois antérieures de retour au travail ont échoué devant les tribunaux du Québec et de l’Ontario.

Chacun de ces tribunaux a fondé son analyse sur le principe suivant énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour. La juge Abella a écrit au paragraphe [25] au nom de la majorité de la Cour suprême :

Lorsque le législateur limite le droit de grève d’une manière qui entrave substantiellement un processus véritable de négociation collective, il doit le remplacer par l’un ou l’autre des mécanismes véritables de règlement des différends couramment employés en relations de travail. La loi qui prévoit un tel mécanisme de rechange voit sa justification accrue au regard de l’article premier de la Charte. À mon avis, l’absence d’un tel mécanisme dans la PSESA représente ce qui, en fin de compte, rend les restrictions apportées par celle-ci inadmissibles sur le plan constitutionnel.

La loi en cause dans la récente décision de la Cour d’appel du Québec ordonnait aux membres du syndicat de retourner au travail et imposait une négociation à durée limitée ainsi qu’un processus de médiation. Si les parties étaient incapables de parvenir à une entente au bout de trois mois environ, la convention collective précédente serait rétablie pendant environ cinq ans à l’exception des salaires, des primes et des allocations, qui seraient déterminés par la loi.

La loi québécoise ne prévoyait pas de processus d’arbitrage. En cas d’échec des négociations et de la médiation, l’employeur public établirait les modalités d’emploi par l’entremise d’une mesure législative. La Cour d’appel du Québec a jugé que la loi ne portait pas atteinte de façon minimale à la liberté d’association car elle ne comportait aucun véritable mécanisme de règlement des différends.

La Cour d’appel a par ailleurs précisé ceci au paragraphe 112 :

[Français]

Se prévalant de ce pouvoir qui, notons-le, n’appartient à aucun autre employeur, le gouvernement, comme la législature, doit aussi et en tout temps respecter les libertés fondamentales garanties par la constitution, au rang desquelles figure la liberté d’association. Il se trouve que celle-ci, depuis l’arrêt Saskatchewan Federation, a acquis plus de lustre qu’autrefois par l’ajout d’un nouvel attribut. Celui-ci n’est pas le droit à la grève en tant que telle puisque la loi, personne ne s’en étonnerait, continuera d’encadrer étroitement la faculté de se mettre en grève dans la logique déjà ancienne, mais toujours dominante du Wagner Act. Il s’agit plutôt, en contexte de négociation collective, du droit pour les syndiqués exerçant leur liberté d’association, et qui voient une loi, spéciale ou non, supprimer leur droit de grève, d’obtenir simultanément de la part du législateur, en échange de cette suppression, un mécanisme quelconque de règlement des différends. Et ce mécanisme, ajoute explicitement la Cour suprême, doit être véritable et efficace[82]. Je mets ces mots bien en évidence puisque, selon moi, ils fournissent à eux seuls la clé de voûte des pourvois en cours. Voilà ce à quoi la constitution oblige le législateur envers les syndiqués dans un cas comme celui-ci.

[Traduction]

En se fondant sur les conclusions de la Cour suprême dans l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour, la Cour d’appel du Québec a noté qu’un mécanisme véritable et efficace de règlement d’un différend comportera nécessairement un élément d’indépendance ou d’impartialité, en donnant explicitement comme exemple l’arbitrage contraignant. Voici ce qu’on peut lire au paragraphe 116 du jugement :

[Français]

[...] un mécanisme véritable et efficace de règlement d’un différend comportera nécessairement un élément d’indépendance ou d’impartialité, et qu’en tout état de cause cela ne peut être le cas d’un processus par lequel une partie est en mesure, en dernière analyse, de dicter ses conditions à l’autre. L’arbitrage de première convention collective, prévu aux articles 93.1 et suivants du Code du travail, est un exemple parmi d’autres d’un tel mécanisme et passe pour une réelle amélioration du modèle Wagner Act classique.

[Traduction]

Honorables sénateurs, le projet de loi à l’étude aujourd’hui est fort différent de celui dont ont été saisis les tribunaux que j’ai mentionnés. Pour dire les choses simplement, le projet de loi C-29 prévoit un mécanisme de règlement des différends impartial qui respecte les directives énoncées par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour. Le projet de loi C-29 établit en outre un processus impartial de sélection d’un arbitre. Par exemple, les deux parties contribuent à l’établissement d’une liste de candidats. Si les deux parties proposent une même personne, le ministre peut la nommer. Le projet de loi stipule également que toutes les questions sur lesquelles les parties n’ont pas réussi à s’entendre seront soumises à l’arbitrage.

Enfin, rien dans le projet de loi n’incite l’arbitre à privilégier une solution en particulier ni ne vient autrement rompre l’équilibre des rapports de force entre les parties.

Dans l’affaire Société canadienne des postes, la Cour supérieure de l’Ontario a relevé un certain nombre d’éléments préoccupants qui l’ont amenée à conclure que la disposition législative en cause ne respectait pas le principe d’atteinte minimale. Comme je l’ai dit, la disposition législative dans cette affaire avait été élaborée avant que la Cour suprême du Canada n’énonce ses directives dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour et elle n’a donc pu en bénéficier.

Le premier élément préoccupant, dans l’affaire de l’Ontario, était que la mesure législative fixait les hausses salariales et la durée de l’entente. Or, selon les tribunaux, le fait d’exclure ces éléments de la négociation était préjudiciable à la constitutionnalité du projet de loi. À titre de comparaison, le projet de loi C-29 ne prévoit aucune mesure du genre. Le premier élément préoccupant ne s’applique donc pas au projet de loi à l’étude aujourd’hui.

La deuxième préoccupation était que la mesure législative autorisait le ministre à nommer un arbitre sans consulter le syndicat. Comme je viens de le mentionner, ce n’est pas le cas avec le projet de loi C-29.

La troisième préoccupation soulignée dans la décision de la cour ontarienne était que la mesure législative ne permettait pas aux employés de continuer à s’exprimer au moyen de grèves menées dans un lieu précis.

(1750)

Chers collègues, le projet de loi C-29 ne répond certes pas à cette préoccupation. Toutefois, avec tout le respect que je dois à la Cour supérieure de justice de l’Ontario, cela ne veut pas dire qu’un autre tribunal adoptera nécessairement la même approche dans une autre affaire. En fait, l’idée que l’arbitrage et la grève puissent, voire doivent avoir lieu en même temps va à l’encontre du principe fondamental selon lequel il s’agit de deux façons mutuellement exclusives de régler un conflit de travail.

Dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour, la Cour suprême a reconnu ce principe en indiquant que l’arbitrage était une solution de rechange acceptable au droit de grève des travailleurs essentiels.

Il faut également noter que le projet de loi C-29 privilégie une résolution volontaire du conflit en prévoyant que le médiateur ou l’arbitre s’emploie d’abord à obtenir une entente négociée. Qui plus est, comme il est indiqué dans l’énoncé concernant la Charte, le projet de loi C-29 a été présenté uniquement en raison des efforts infructueux en vue de conclure un accord satisfaisant pour toutes les parties dans le cadre du processus de négociation collective, qui dure depuis septembre 2018.

Pour toutes ces raisons, le projet de loi C-29 diffère considérablement de la mesure législative dont les tribunaux de l’Ontario et du Québec avaient été saisis en ce qui concerne son incidence sur le processus de négociation collective et le droit de grève. On a tenu compte des décisions de la Cour suprême dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour afin qu’il soit conforme à la Charte.

La dernière étape de l’analyse de l’article 1 consiste à déterminer si les effets négatifs sur les droits garantis par la Charte sont compensés par les effets bénéfiques de la loi.

Voici ce que j’ai à dire à ce sujet : le gouvernement estime que de laisser les employés poursuivre la grève entraînerait de graves conséquences à long terme pour les entreprises canadiennes, la population et l’économie dans son ensemble. Les avantages du projet de loi, qui permettra d’éviter d’autres contrecoups et d’atténuer les répercussions qui sont déjà ressenties, l’emportent sur les conséquences sur les droits des employés, d’autant plus que les employés négocient sans succès une convention collective depuis plus de deux ans et demi et qu’ils auront accès à un processus de règlement des différends équitable et neutre.

Pour toutes ces raisons, le gouvernement est convaincu que le projet de loi C-29 respecte la Charte des droits et libertés.

Honorables sénateurs, comme vous l’avez entendu — et je vais le répéter — le gouvernement fédéral reconnaît que les ententes négociées sont toujours la meilleure solution. En fait, certains vont même jusqu’à reprocher au gouvernement — et nous en avons été témoins dans cette enceinte aujourd’hui — d’avoir cru si longtemps que les parties allaient résoudre leurs différends et conclure une nouvelle convention collective.

[Français]

Cependant, comme je l’ai clairement indiqué, nous devons trouver un moyen d’aller de l’avant. Les Canadiens et les entreprises canadiennes comptent sur nous.

En fin de compte, du point de vue de la gouvernance, le gouvernement du Canada considère que le projet de loi C-29 est devenu nécessaire pour protéger l’intérêt public.

Les gouvernements du Québec et de l’Ontario, la Ville de Montréal, la Chambre des communes et d’innombrables intervenants ont tous été clairs : ce n’est tout simplement pas viable ou acceptable pour le port de Montréal de rester fermé indéfiniment en pleine période de pandémie, une pandémie qui a déjà causé des dommages importants à notre économie et à notre population.

[Traduction]

Tout comme le gouvernement du Canada, ils estiment que l’adoption du projet de loi C-29 est maintenant la seule façon responsable de procéder.

Honorables sénateurs, j’espère que vous vous joindrez à eux pour faire adopter cette mesure législative, regrettable mais nécessaire. Merci beaucoup.

[Français]

L’honorable Claude Carignan : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-29, Loi prévoyant la reprise et le maintien des opérations au port de Montréal.

La convention collective des débardeurs du port de Montréal est échue depuis décembre 2018. Près de deux années et demie plus tard, nous nous retrouvons devant une impasse dans les négociations entre les parties et face à une catastrophe économique provoquée par la grève générale des débardeurs du port de Montréal. Le gouvernement, après s’être traîné les pieds encore une fois dans ce dossier, dossier névralgique s’il en est un, doit se résoudre à intervenir en adoptant une loi spéciale afin de dénouer ce conflit aux nombreuses ramifications sur l’économie de Montréal, du Québec et du Canada.

Souvenons-nous que, déjà, au mois d’août 2020, une grève de 19 jours a paralysé les activités du port de Montréal. Cette grève, à elle seule, a entraîné des pertes de 600 millions de dollars. Il me semble qu’il s’agissait d’un énorme signal d’alarme que le gouvernement aurait dû entendre et il aurait dû, dès lors, exercer un leadership plus vigoureux.

Même avant la grève de l’été dernier, le gouvernement aurait dû assumer ses responsabilités pour que les parties puissent s’entendre sur une nouvelle convention collective.

Le Code canadien du travail est pourtant clair. On peut lire ce qui suit au paragraphe 105(1) :

Pour les cas où il le juge à propos, le ministre peut à tout moment, sur demande ou de sa propre initiative, nommer un médiateur chargé de conférer avec les parties à un désaccord ou différend et de favoriser entre eux un règlement à l’amiable.

Puis, l’article 107 nous dit ce qui suit :

Le ministre peut prendre les mesures qu’il estime de nature à favoriser la bonne entente dans le monde du travail et à susciter des conditions favorables au règlement des désaccords ou différends qui y surgissent; à ces fins il peut déférer au [Conseil canadien des relations industrielles] toute question ou lui ordonner de prendre les mesures qu’il juge nécessaires.

Malgré tous les pouvoirs qu’a le gouvernement, le fait que l’on se retrouve, après deux ans et demi de la fin de la convention collective des débardeurs du port de Montréal, à devoir débattre d’une loi spéciale de retour au travail pour ces employés est plus qu’étonnant; c’est même décourageant.

Le gouvernement nous dira que son action dans ce dossier a été limitée par la pandémie, mais rien n’est plus faux. Plusieurs médiateurs ont été nommés par le gouvernement pour accompagner les parties dans les négociations. Que s’est-il passé pour que, après plus de 90 rencontres de négociations et malgré la présence de médiateurs représentant le gouvernement, rien ne débloque et qu’on en soit à discuter d’une loi spéciale? C’est troublant.

D’un côté, les syndiqués exercent leur droit de grève pour tenter notamment d’obtenir des améliorations à leur horaire de travail pour mieux concilier travail et vie personnelle. Le 23 avril dernier, un article de Stéphane Bordeleau, publié sur le site Web de Radio-Canada, rapportait ce qui suit :

[...] le président du comité exécutif du syndicat, Martin Lapierre, explique que cet arrêt de travail est devenu nécessaire à la suite de la décision de l’[Association des employeurs maritimes] de modifier unilatéralement les horaires de travail. […] Une décision qui a été reçue comme un acte de provocation par les syndiqués [...]

Le droit à la déconnexion et des questions relatives aux mesures disciplinaires seraient d’autres points en litige importants pour les syndiqués.

D’un autre côté, on le sait, les activités dans tous les ports du Canada, et particulièrement dans le port de Montréal, qui est le deuxième plus important au pays, sont stratégiques, névralgiques et représentent une composante essentielle d’une chaîne logistique fondamentale pour notre économie, à plus forte raison lorsque notre économie est mise à mal, comme c’est le cas actuellement en raison de la crise liée à la COVID-19.

En quelques chiffres, voici ce que représentent les activités portuaires à Montréal. Plusieurs des statistiques suivantes proviennent de la décision du Conseil canadien des relations industrielles du 8 juin 2020, qui est mentionnée dans l’énoncé sur la Charte sur le projet de loi C-29. Avec 20 kilomètres de rivages, le port de Montréal soutient annuellement plus de 19 000 emplois directs ou indirects. Ce sont 40 millions de tonnes de marchandises qui y transitent, pour une valeur annuelle estimée à 100 milliards de dollars, ce qui est gigantesque. Cela représente plus de 2,5 milliards de dollars par année en retombées économiques, car 90 % des exportateurs et des importateurs du Québec et de l’Ontario utilisent cette porte d’entrée et de sortie pour soutenir leurs activités commerciales. J’ajoute ce qui suit, en citant le paragraphe 21 de la décision rendue le 8 juin 2020 :

En 2018, 1,7 million de conteneurs ont transité au Port de Montréal. Environ 2000 navires par année accostent au Port de Montréal et jusqu’à 2500 camions se rendent chaque jour au Port.

Le port de Montréal figure parmi les cinq plus importants ports de la côte Est de l’Amérique du Nord et le plus important port de l’Est du Canada. Relié à plus de 140 pays, il représente une porte d’entrée des marchandises en Amérique du Nord, notamment en provenance de l’Europe, mais aussi, de plus en plus, en provenance de l’Asie.

Des conteneurs transportent du matériel médical utilisé dans le contexte de la crise sanitaire que nous vivons actuellement, mais ce ne sont évidemment pas les seuls biens essentiels qui sont transportés au port. Comme le mentionne le paragraphe 22 de la décision du Conseil canadien des relations industrielles du 8 juin 2020 :

Les marchandises qui transitent par le Port de Montréal comprennent notamment des biens périssables et des biens dangereux, des produits pharmaceutiques, de l’équipement pour la protection contre les incendies et la protection civile, des plantes à usage médical, des parasiticides, des produits chimiques […]

(1800)

Son Honneur le Président : Sénateur Carignan, je regrette de devoir vous interrompre. Vous pourrez poursuivre votre intervention pour le reste de votre temps de parole lorsque la séance reprendra à 19 heures.

[Traduction]

Honorables sénateurs, comme il est 18 heures, conformément à l’article 3-3(1) du Règlement et aux ordres adoptés le 27 octobre 2020 et le 17 décembre 2020, je suis obligé de quitter le fauteuil jusqu’à 19 heures, à moins que le Sénat ne consente à ce que la séance se poursuive. Si vous voulez suspendre la séance, veuillez dire « suspendre ».

Une voix : Suspendre.

Son Honneur le Président : J’ai entendu un « suspendre ». La séance est suspendue pendant une heure.

(La séance du Sénat est suspendue.)

(Le Sénat reprend sa séance.)

(1900)

[Français]

Troisième lecture—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Gold, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice Gagné, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-29, Loi prévoyant la reprise et le maintien des opérations au port de Montréal.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, la séance reprend. Sénateur Carignan, il vous reste 30 minutes.

L’honorable Claude Carignan : Comme je le disais avant la pause, la décision du Conseil canadien des relations industrielles au sujet des marchandises qui transitent indique ce qui suit, et je cite :

Les marchandises qui transitent par le Port de Montréal comprennent notamment des biens périssables et des biens dangereux, des produits pharmaceutiques, de l’équipement pour la protection contre les incendies et la protection civile, des plantes à usage médical, des parasiticides, des produits chimiques, des produits alimentaires, des fertilisants, des minerais et des explosifs [...]

Or, plusieurs matériaux de construction transitent également par le port de Montréal. Comme vous le savez, nous connaissons actuellement une crise réelle du logement. De nombreux chantiers de construction d’habitations sont en marche et plusieurs autres verront le jour. Déjà, on assiste à une flambée des coûts liés aux matériaux de construction. Une raréfaction de la disponibilité de ces matériaux occasionnée par une interruption des activités au port de Montréal accroîtra forcément leurs coûts d’acquisition, ce qui aura un impact direct sur la capacité des Canadiennes et des Canadiens à se loger.

Je vous rappelle ceci, en citant le paragraphe 25 de la décision de juin 2020 du Conseil canadien des relations industrielles :

[...] le Port dessert 110 millions de personnes et […] de nombreux habitants sont approvisionnés en produits essentiels dont dépendent leur santé et leur sécurité.

Je mentionne aussi que 6 300 entreprises utilisent les services du port et que la valeur moyenne des marchandises d’un conteneur est d’environ 50 000 $ ou l’équivalent du salaire annuel moyen d’un Québécois.

De plus, il est question de 250 millions de dollars de recettes fiscales pour les gouvernements, et le corridor de commerce Saint-Laurent–Grands Lacs représente une voie multimodale d’importance majeure pour le commerce nord-américain.

Le rôle du port de Montréal dans l’économie est vital. Il constitue une suite essentielle et tout ralentissement a des impacts non seulement sur le Québec et l’Ontario, mais aussi sur l’ensemble du pays et du secteur du nord-est des États-Unis. Les biens qui transitent par le port de Montréal sont multiples et, dans bien des cas, il s’agit d’articles de première nécessité.

On le voit, le port de Montréal est un poumon économique important pour notre pays. L’incertitude générée par ce conflit de travail a des répercussions à long terme. On n’a qu’à penser au déplacement de l’activité portuaire vers d’autres ports de la côte Est canadienne et américaine. Les acteurs économiques liés au port de Montréal craignent à terme un exode des activités portuaires montréalaises vers d’autres sites plus stables qui ne sont pas bousculés par ces conflits de travail qui perdurent dans le temps. À titre d’exemple, le port de Montréal a constaté une baisse de 6 % du trafic de marchandises pour le quai no 1 en 2021. Il note également une baisse de 11 % du tonnage de conteneurs en mars 2021, comparativement à une baisse de 5,7 % pour l’année 2020, en pleine pandémie. Cette baisse équivaut à 300 000 tonnes de marchandises, l’équivalent de deux tours du Stade olympique. Notons enfin que le port de New York et de New Jersey a quant à lui enregistré une hausse du trafic de marchandises de 12,6 % en janvier et février 2021.

Certains attribuent ces variations — baisses à Montréal et augmentations dans les autres ports — à l’instabilité au port de Montréal qu’ont entraînée les négociations ardues et infructueuses ainsi que les épisodes sporadiques de grève. La grève de l’été dernier a asséné un dur coup à l’activité portuaire montréalaise et au commerce en Amérique du Nord. D’ailleurs, 80 000 conteneurs ont été détournés ou immobilisés. Près de 40 % des PME québécoises craignaient de subir des effets négatifs, car près de 600 millions de dollars de ventes ont été perdus pour les grossistes. Il aura fallu trois mois pour rattraper les retards, et plusieurs entreprises ont décidé de détourner leurs marchandises vers d’autres ports, comme celui d’Halifax. Ces détournements augmentent les coûts de transport, qui sont parfois jusqu’à 20 fois plus élevés que les coûts habituels. Les conteneurs détournés vers le port d’Halifax entraînent des coûts de transport terrestre additionnels qui varient de 300 $ à 700 $ par boîte, et des marchandises sont demeurées au port d’Halifax pendant deux mois à cause de cette grève.

Ces perturbations peuvent représenter des millions de dollars de pertes pour certaines entreprises, par exemple dans les secteurs d’exportation comme l’aluminium, l’automobile ou les matières premières.

Il est donc très urgent que ce conflit de travail puisse se régler pour le bien de tous et, en ce sens, je vous invite, honorables sénateurs, à appuyer ce projet de loi, sachant qu’il est tout à fait du ressort du gouvernement d’agir en cette matière.

Essentiellement, ce projet de loi prévoit deux choses. Il ordonne un retour au travail immédiat sans quoi des sanctions financières importantes seront imposées aux parties qui décideraient de défier la loi, et il donne à un « médiateur-arbitre » le pouvoir de recourir à une formule qui permettra d’adopter une nouvelle convention collective si les parties ne s’entendent pas. Cette formule est la médiation-arbitrage, et celle de l’arbitrage des offres finales, à laquelle je reviendrai plus tard, a été éliminée. Certains se questionnent sur la constitutionnalité d’une telle loi spéciale, qui brime, affirme-t-on, les droits fondamentaux des travailleurs. Qu’en est-il exactement ?

L’alinéa 2d) de la Charte protège la liberté d’association. Les tribunaux ont précisé ce droit, comme le rappelle la Cour d’appel du Québec dans un arrêt rendu plus tôt ce mois-ci, et je cite :

La liberté d’association protège un droit à la négociation collective qui demeure un droit à portée restreinte. Il ne garantit pas l’atteinte de résultats particuliers à l’issue de la négociation.

Le jugement que je viens de citer s’intitule Procureur général du Québec c. Les avocats et notaires de l’État québécois. Cet arrêt mentionne que pour qu’une loi spéciale contrevienne à l’alinéa 2d), il doit être démontré que les mesures de cette loi perturbent l’équilibre des rapports de force entre les employés et l’employeur, de telle sorte que ces mesures entraînent une entrave substantielle à un processus véritable de négociation collective.

D’ailleurs, en 2015, la Cour suprême du Canada a indiqué ceci au paragraphe 25 de l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan :

Lorsque le législateur limite le droit de grève d’une manière qui entrave substantiellement un processus véritable de négociation collective, il doit le remplacer par l’un ou l’autre des mécanismes véritables de règlement des différends couramment employés en relations de travail. La loi qui prévoit un tel mécanisme de rechange voit sa justification accrue au regard de l’article premier de la Charte.

Le dernier passage que je viens de citer est important puisque la suite de mon discours portera sur l’article premier de la Charte. Je suis convaincu que le projet de loi C-29, s’il est contesté devant les tribunaux, sera jugé constitutionnel, ou sera à tout le moins jugé compatible avec l’article premier de la Charte. Rappelons que cet article prévoit qu’une violation à un droit de la Charte — comme celui qui est prévu à l’alinéa 2d) — peut être justifiée dans une société libre et démocratique, si cette violation vise à répondre à un objectif urgent et réel et qu’elle porte minimalement atteinte au droit de la Charte. Le projet de loi satisfait à ces critères. D’abord, la grève au port causera un préjudice sérieux, grave et immédiat à des entreprises et à des secteurs névralgiques, ce qui met également en cause la santé et la sécurité du public. Selon l’article premier de la Charte, ces éléments représentent des objectifs urgents et réels auxquels répond le projet de loi.

Pour vous convaincre de l’intensité de ce préjudice, je cite de nouveau des exemples des conséquences que pourrait avoir une grève au port de Montréal, tirés de la décision du Conseil canadien des relations industrielles du 8 juin 2020 :

[...] s’il y avait une grève ou un lock-out au Port de Montréal, plusieurs médicaments à destination du Québec, de l’Ontario et des États-Unis pourraient être livrés en retard ou être périmés au moment de la livraison.

[...] 48 882 tonnes de produits pharmaceutiques passent par le Port de Montréal au cours d’une année donnée.

[...] la chaîne logistique qui prévaut au Port de Montréal fait en sorte qu’il y a très peu d’entreposage dans les entreprises. Selon le témoin, les entrepôts se trouvent maintenant sur le fleuve Saint-Laurent, en mer, dans les camions ou les trains, ou sur les quais du Port .

(1910)

Étant donné que plusieurs secteurs névralgiques de l’économie reposent sur l’approvisionnement « juste à temps », un préjudice considérable sera causé immédiatement, par exemple dans l’industrie de l’acier, qui dépend du transport par bateau du minerai de fer, si la grève se prolonge pendant plusieurs jours encore.

Si les tribunaux en venaient à conclure que le projet de loi porte atteinte au droit constitutionnel d’association des débardeurs, j’ai pleinement confiance qu’ils jugeront également que le projet de loi constitue une atteinte minimale à ce droit. Je m’explique.

Le projet de loi fait en sorte que les parties seront consultées et il leur permet de s’entendre sur le choix d’un médiateur-arbitre neutre et indépendant. Ce dernier disposera d’un délai de 14 jours, ou, si les parties y consentent, de 21 jours pour poursuivre la médiation avant de procéder à l’arbitrage. Après cette période, les parties peuvent aussi continuer à négocier pour s’entendre sur une nouvelle convention collective sans se voir imposer une convention collective par arbitrage, pourvu que leur accord précède le dépôt du rapport médiateur-arbitre, que ce dernier doit déposer dans les 90 jours suivant sa nomination. Ces éléments du projet de loi offrent une solution de rechange à l’exercice du droit de grève pour maintenir un rapport de force entre les employés et l’employeur afin de négocier la nouvelle convention collective. Cette caractéristique déterminante du projet de loi fait en sorte qu’il permet de respecter le test de raisonnabilité et de justification en vertu de l’article 1. D’ailleurs, en 2015, les professeurs Drouin et Trudeau ont publié un article dans la Revue de droit de McGill, qui disait ce qui suit à la page 438 :

La présence d’un mécanisme de résolution des différends par un tiers neutre et indépendant représente une autre considération importante dans le cadre du test de l’atteinte minimale. En fait, l’absence d’un tel mécanisme risque d’être fatale dans le cas d’une loi interdisant la grève. À ce sujet, plusieurs des lois spéciales de retour au travail [au Canada] étudiées précédemment prévoient une formule de médiation ou d’arbitrage pour régler le différend. Une formule de médiation-arbitrage […] est certes moins attentatoire que le simple arbitrage non précédé d’une médiation ou, à tout le moins, d’une dernière période de négociation directe entre les parties. C’est aussi le cas de la loi qui laisse aux parties le soin de choisir l’arbitre qui interviendra pour trancher leur différend, contrairement à celle qui impose cet arbitre, surtout si son adoption n’est précédée d’aucune consultation à cet égard.

Le projet de loi C-29, en plus de permettre le recours à la formule de médiation-arbitrage, permet également au médiateur-arbitre de recourir à une autre formule, soit celle de l’arbitrage des offres finales. Avant l’amendement apporté par la Chambre des communes, il s’agissait d’un autre élément du projet de loi positif qui appuyait l’idée de respecter le critère de l’atteinte minimale de l’analyse de l’article 1 de la Charte. Je cite encore une fois l’article des professeurs Drouin et Trudeau, publié dans la Revue de droit de McGill en 2015 :

[...] Cette formule impose à l’arbitre de choisir la dernière proposition formulée par la partie syndicale ou la dernière émanant de la partie patronale pour trancher le différend et déterminer les conditions de travail applicables. [...] il est plausible de considérer l’arbitrage des offres finales, précédé d’une période de négociation imposée aux parties en présence d’un médiateur, comme une formule moins attentatoire au processus de négociation collective que l’arbitrage régulier de différend.

Je cite ce passage qui rappelle que le dirigeant syndical, M. Murray, en évoquant l’amendement au projet de loi, s’est félicité du retrait du processus de la meilleure offre. Il serait fort particulier que le syndicat, qui a manifesté son intention de contester la loi, prétende aujourd’hui que le processus de la meilleure offre finale ne respecte pas le critère de l’atteinte minimale.

Le projet de loi propose maintenant un seul processus de médiation et d’arbitrage par un tiers neutre et indépendant, qui pourrait même être choisi par les parties. Cette situation se distingue donc — comme le sénateur Gold l’a très bien expliqué — de l’arrêt que la Cour d’appel du Québec a rendu ce mois-ci. En effet, cet arrêt a jugé inconstitutionnelle la loi provinciale qui ordonnait en 2017 le retour au travail de juristes de l’État québécois, parce que le législateur québécois n’avait pas offert dans sa loi un mécanisme de règlement des différends véritable et efficace, ce qui contrevenait aux conclusions de l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan de la Cour suprême du Canada, que j’ai cité précédemment.

Je conclus donc mon discours en paraphrasant le paragraphe 103 de l’arrêt de la Cour d’appel du Québec. En présentant le projet de loi C-29, le gouvernement a déterminé que la négociation de la convention collective au port de Montréal se trouvait dans une réelle impasse. Il a soupesé l’intérêt public en considérant notamment les préjudices sérieux, réels et graves que causerait au Canada un prolongement, même court, de la grève des débardeurs, y compris les dangers d’une pénurie de biens essentiels en plein milieu d’une pandémie. Le législateur a décidé d’intervenir en présentant une loi de retour au travail. Cette décision fait partie de sa prérogative et les tribunaux devront faire preuve de déférence quant à ce choix social et politique. Toutefois, le législateur a choisi — et il devait le faire, selon moi — de compenser la fin de l’exercice de ce droit de grève par un mécanisme de règlement des différends entre l’employeur et les employés qui permettra de résoudre équitablement, efficacement et promptement l’impasse au port de Montréal, et ce, dans l’intérêt supérieur du pays. C’est pourquoi j’appuie le projet de loi et je vous invite, chers collègues, à faire de même pour qu’il soit adopté dès la fin de cette journée. Merci.

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Je prends la parole à l’étape de la troisième lecture pour exprimer mon appui au projet de loi C-29, loi spéciale visant à forcer le retour au travail des débardeurs du port de Montréal.

À titre de vice-présidente du Comité des transports et des communications, j’ai été sensibilisée aux activités cruciales du port de Montréal et de celui de Prince Rupert, en Colombie-Britannique. Je suis Montréalaise, j’ai été journaliste et je suis donc au fait des relations de travail empoisonnées qui prévalent au port de Montréal, qui sont caractérisées par des lock-out et des grèves dures. Lors d’une grève coûteuse des débardeurs, l’été dernier, des cadres et des agents de sécurité ont rapporté avoir été frappés et agressés par une cinquantaine de syndiqués. Le syndicat des débardeurs a rétorqué que c’était un piquet de grève qui avait mal tourné, car il y avait des briseurs de grève sur place, ce qui a été perçu comme de la provocation. Le discours syndical est parfois brutal. Bien des Montréalais ont été consternés d’entendre le conseiller syndical des débardeurs inviter sur Twitter la mairesse de Montréal, Valérie Plante, et je cite, à « fermer sa gueule », car elle n’en connaissait pas plus que cela sur la situation au port de Montréal. Mme Plante s’inquiétait des effets d’une grève générale sur la métropole. Certes, il y a une impasse dans les négociations. De plus, au début d’avril, la partie patronale a arrêté de payer les heures non travaillées durant une période tendue, ce qui a allumé la mèche. En effet, nous sommes au cœur d’une pandémie, où bien des gens souffrent. Je crois utile de rappeler, sans entrer dans les détails, que les débardeurs de Montréal ont des conditions enviables en comparaison avec leurs collègues d’autres ports canadiens. Un débardeur montréalais dissident de son syndicat nous a écrit ceci, et je cite : « Les salaires sont extraordinaires. Quand tu veux devenir débardeur, tu connais et tu sais ce que c’est le boulot. »

Le droit de grève, qui jouit d’une protection constitutionnelle, est essentiel pour créer un rapport de force entre employeurs et employés. Cela dit, les jugements selon lesquels les conséquences d’ordre économique ne sont pas un argument valable pour limiter ce droit de grève datent d’avant la pandémie.

Donc, l’analyse constitutionnelle du projet de loi C-29 ne peut faire fi du contexte actuel. Bien que nous nous trouvions face à une grève légale, l’exercice de ce droit survient durant une crise humanitaire sans précédent. D’autres droits fondamentaux ont été affaiblis pour faire face à la pandémie. Je pense notamment à la liberté de circulation entravée par le couvre-feu. À mon avis, cette grève générale des débardeurs, en plein milieu de la troisième vague de la pandémie, est légale, mais illégitime, car elle constitue une épreuve de trop pour les autres travailleurs, les entreprises et les commerces qui ont traversé une année infernale ou qui sont au bord de la faillite.

(1920)

Beaucoup d’entreprises, des hôpitaux et des sociétés pharmaceutiques dépendent d’un approvisionnement en marchandises transitant par le port de Montréal.

Deux experts entendus par le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI), en 2019, indiquaient que les chaînes logistiques sont conçues pour être et je cite :

[...]« juste à temps », c’est-à-dire que les produits sont livrés au moment où l’on en a besoin, car les détaillants et les fabricants ont de moins en moins d’entrepôts et dépendent d’arrivages à des moments précis.

On apprend aussi dans ces audiences, que le sénateur Carignan a aussi citées, que 425 000 tonnes de produits dangereux peuvent transiter en un an par le port, et qu’en cas d’arrêt de travail, ces produits sont coincés quelque part, possiblement dans un entrepôt.

De plus, le principal fournisseur de matériel médical pour les établissements de santé, dont le CHUM, reçoit une quantité importante de matériel du port de Montréal.

Cependant, c’était avant le début de la pandémie, et à l’époque, le CCRI avait conclu que ces inconvénients ne constituaient pas un risque imminent et grave pour la sécurité ou la santé du public au sens du Code canadien du travail. Une décision qui fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour d’appel fédérale.

Les débardeurs ne sont pas les seuls à avoir de la difficulté à négocier leur convention collective durant la pandémie. D’autres groupes de travailleurs au Québec sont insatisfaits de leurs conditions de travail. Je pense aux infirmières épuisées qui sont obligées de faire des heures supplémentaires, et qui risquent à tout moment d’être contaminées. Je pense aux enseignants qui doivent se réinventer, se préoccuper constamment des masques des tout-petits, enseigner à leurs élèves en classe et à ceux isolés chez eux. Leurs syndicats ont fait connaître haut et fort leur mécontentement, mais pas en réduisant la cadence ou en refusant les heures supplémentaires. Ils font plutôt des campagnes de publicité chocs qu’on voit en boucle à la télévision — une stratégie syndicale adaptée, et qui ne fait pas de victimes, justement parce qu’on est en pandémie —, parce qu’on ne peut pas se passer de nos services essentiels quand la société entière et les chaînes d’approvisionnement sont à ce point perturbées. N’en rajoutons pas. L’intérêt public doit primer.

Il est vrai que l’ensemble des activités du port de Montréal n’a pas été jugé comme un service essentiel par le CCRI avant la pandémie. Mais le gouvernement devrait-il légiférer en ce sens en modifiant le Code canadien du travail? Le gouvernement fédéral l’a déjà fait pour les produits destinés à Terre-Neuve transitant par le port de Montréal. Il me semble que cette option devrait être examinée. La ministre du Travail, Filomena Tassi, interrogée plus tôt, ne s’est pas avancée sur ce sujet.

En plus de régler le conflit actuel, cette solution permettrait d’éviter le jeu du chat et de la souris auquel se livrent depuis trop d’années les débardeurs et leurs employeurs, qui sont plusieurs grands armateurs, ce qui complique les négociations. Les menaces répétées de paralysie du port font peser un lourd poids sur l’économie de l’Ontario et du Québec.

Des experts estiment que chaque jour de grève coûte entre 10 et 25 millions de dollars à l’économie, et c’est sans compter tous les problèmes de pertes de contrat, de révisions de logistique, de temps et de revenus perdus non seulement pour les entreprises, mais aussi pour leurs employés, qu’il s’agisse par exemple de machinistes, de vendeurs ou de camionneurs.

Un mot sur un restaurateur d’origine vietnamienne à bout de souffle que je connais depuis 20 ans, et qui arrive tout juste à survivre grâce aux commandes pour emporter depuis l’été. La seule menace de grève au port, l’anxiété des marchés, a fait soudain grimper le coût de ses produits d’emballages. Il applaudit la loi spéciale.

Dans ce conflit, les parties négocient depuis déjà trop longtemps sans parvenir à s’entendre. Malgré une centaine de séances de médiation, les grèves de l’été dernier et une trêve de sept mois, aucune entente n’est en vue.

Les activités normales doivent reprendre au port de Montréal, et si, en définitive, c’est le médiateur-arbitre qui écrit la convention collective, une partie comme l’autre pourrait devoir faire face à de mauvaises surprises. Cette menace sera peut-être suffisante pour que syndicat et employeurs s’entendent. Tant mieux si c’est le cas.

Pour toutes les raisons que je viens d’invoquer, je réitère donc que je vais voter pour la loi spéciale. Ce dernier recours est nécessaire.

Je vous remercie.

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Honorables sénatrices et sénateurs, je prends la parole aujourd’hui sur le projet de loi C-29 pour vous faire part de toute mon indignation et vous expliquer pourquoi je vais voter contre cette loi voulant forcer le retour au travail des débardeurs du port de Montréal.

Dans un premier temps, le gouvernement Trudeau nous demande aujourd’hui d’adopter une loi qui, de toute évidence, sera déclarée illégale par les tribunaux d’ici trois ou quatre ans, mais qui, entre-temps, dépouille les débardeurs d’un droit fondamental de faire la grève, et qui va permettre aux employeurs maritimes de retirer aux travailleurs certaines de leurs conditions de travail sans passer par le véritable jeu de la négociation.

Le gouvernement Trudeau ignore aujourd’hui une décision de la Cour suprême dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, rendue en 2015, selon laquelle seules la santé et la sécurité du public peuvent justifier d’enlever le droit de grève par une loi spéciale.

Bien plus, le même tribunal a aussi affirmé dans sa décision que les dommages économiques anticipés ne sont pas une raison pour priver des travailleurs de leur droit de grève. Cela me semble assez clair, et cela semble l’être aussi pour plusieurs experts en droit du travail et en relations de travail qui se sont prononcés publiquement au cours des derniers jours.

Vous avez donc devant vous aujourd’hui non seulement le sénateur que vous connaissez, mais aussi l’ancien chef syndical qui constate avec désolation l’irresponsabilité du gouvernement en place et son manque de respect pour les travailleurs.

Avec le projet de loi C-29, les libéraux rééditent le même jeu qu’ils ont joué avec leur première version de la loi sur l’aide médicale à mourir. Peu importe l’illégalité de leur texte de loi, ils forcent les parlementaires de cette Chambre, du moins ceux qui le feront plus tard aujourd’hui, à adopter une loi qui sera éventuellement déclarée illégale par une cour de justice.

Comment ne pas être indigné devant autant d’arrogance politique et autant de mépris libéral des décisions judiciaires de notre pays?

Comment ne pas être également indigné du mépris des libéraux pour les droits des travailleurs, des droits qui ont été acquis au fil des ans par la voie de la négociation?

De toute évidence, le respect des jugements et des droits des travailleurs ne fait pas partie de l’ADN de M. Trudeau.

Parlons maintenant plus précisément du conflit au port de Montréal.

Tout d’abord, personne ici ne devrait trouver normal que les débardeurs soient sans contrat de travail depuis 2018, comme c’est le cas actuellement.

C’est ce qui arrive quand des employeurs évitent stratégiquement, à mon avis, de négocier, sachant qu’ils peuvent compter sur la complaisance et la complicité du gouvernement en place pour passer des lois qui auront pour effet de brimer les droits des syndiqués.

Les débardeurs du port de Montréal n’ont pas volé leurs conditions de travail actuelles. Ils les ont obtenues au fil des ans au moyen de négociations. Ce sont les employeurs maritimes qui leur ont consenti les conditions de travail actuelles.

Aujourd’hui, si ces mêmes employeurs veulent modifier ces conditions, la logique des relations de travail serait que cela se fasse aussi au moyen de la négociation, et non par le biais d’une loi spéciale du gouvernement qui va désigner un arbitre pour faire fixer sans encadrement les conditions futures des débardeurs.

La stratégie des employeurs maritimes m’apparaît assez claire. Ils ont refusé de négocier sérieusement, ils ont tenté de modifier unilatéralement certaines dispositions sur les horaires de travail, ce qui a entraîné le débrayage de lundi dernier; ils ont surtout dénoncé malicieusement sur la place publique les salaires payés aux débardeurs dans le but de les faire stigmatiser par une certaine partie de la population, et je dirais même par certains politiciens aveuglés.

Dans ce conflit, ce ne sont pas les salaires qui sont en cause, ce sont les horaires de travail. Les débardeurs veulent des améliorations dans le but de mieux concilier le travail et la famille et de ne plus être au travail 19 jours sur 21.

Il me semble avoir déjà entendu le premier ministre Trudeau se décrire comme un homme qui veut valoriser la famille. Encore une fois, force est de constater sa grande capacité d’en parler, tout en faisant le contraire de ce qu’il a promis.

Ceux qui ont pris la peine d’examiner les différentes étapes du conflit actuel sont capables de constater la stratégie des employeurs maritimes.

Historiquement, les cinq employeurs maritimes sont des concurrents qui se disputent le marché du transport maritime à Montréal et se volent littéralement des contrats. Chacun joue son jeu.

Toutefois, quand arrive le temps de négocier, ces mêmes cinq employeurs ont choisi de faire front commun pour affronter le syndicat des débardeurs.

Pour arriver à leurs fins, les employeurs maritimes du port de Montréal ont choisi, il y a moins de deux ans, Martin Tessier, qu’on a reçu aujourd’hui, comme président de leur association.

(1930)

D’où vient M. Tessier? Il vient de chez Bombardier, où comme vice-président des Ressources humaines pendant plusieurs années, il a participé à ce que certains appellent la restructuration. En réalité, il a participé à des mises à pied et a été, à ce titre, le complice des hauts dirigeants de l’entreprise qui sont partis avec des millions de dollars en poche au détriment des petits investisseurs et des payeurs d’impôt qui ont vu leur gouvernement soutenir les opérations douteuses et déficitaires de l’entreprise. Donc, c’est à lui, Martin Tessier, que les employeurs maritimes ont confié la tâche d’affronter le syndicat des débardeurs en nous le présentant dans un communiqué, en juillet 2019, comme un homme dont la capacité de gestion est, et je cite ce communiqué, « résolument orientée vers les relations humaines ».

Toutefois, nous avons appris aujourd’hui que cet homme aux si grandes qualités n’était pas à la table de négociations depuis sa nomination.

Je me permets d’ajouter les informations suivantes pour soutenir ce que je disais sur la stratégie des employeurs maritimes. Pas plus tard qu’hier, la partie patronale publiait un communiqué affirmant que les employeurs maritimes allaient respecter la loi spéciale en rétablissant la sécurité d’emploi et en respectant les dispositions de la convention collective.

Si vous m’avez bien compris, ce communiqué n’est rien d’autre qu’un aveu des employeurs confirmant qu’ils ne respectaient plus la convention collective en vigueur. Dans le monde des relations de travail, nous appelons cela de la pure provocation patronale — une stratégie qui consiste à provoquer une grève en sachant que les libéraux au pouvoir feront une loi spéciale.

Comment peut-on accorder de la crédibilité à M. Tessier? Il y a quelques heures, il a témoigné en Chambre pour nous dire qu’il était prêt à faire aujourd’hui ce qu’il a refusé de faire il y a une semaine, ce qui aurait permis d’éviter la grève et la loi spéciale.

Demandez-vous si les employeurs maritimes avaient déjà en poche une promesse de Justin Trudeau que le Parlement allait intervenir s’ils laissaient pourrir les négociations pour entraîner un débrayage qui fait bien leur affaire. Posez-vous cette simple question avant de sanctionner aveuglément le projet de loi C-29.

Nous avons devant nous une loi inutile, inconstitutionnelle et qui viole un arrêt de la décision de la Cour suprême dans l’affaire Saskatchewan, une loi anti-travailleurs. Nous avons surtout devant nous une loi qui ne règle rien de ce conflit de travail, mais qui vient appuyer un employeur hypocrite qui n’a aucun respect pour les travailleurs du port de Montréal.

Devant un tel comportement, Justin Trudeau et son gouvernement avaient bien d’autres options que le projet de loi C-29, une loi inconstitutionnelle qui matraque les droits des travailleurs. Dans quelques années, un juge statuera de toute évidence l’illégalité de cette loi dont je n’ai pas l’intention d’être complice en l’approuvant aujourd’hui.

Je vais peut-être me répéter. Je n’ai jamais été et je ne serai jamais du genre à approuver les projets de loi des libéraux et de Justin Trudeau, tels quels, les yeux fermés. Je ne fermerai pas les yeux et ne me boucherai pas le nez pour voter en faveur de cette loi spéciale. Je vous remercie.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Votre Honneur, nous n’entendons pas l’interprétation.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, nous allons suspendre la séance cinq minutes pour régler ce problème technique. Est-ce d’accord?

Des voix : D’accord.

(La séance du Sénat est suspendue.)

(Le Sénat reprend sa séance.)

[Français]

L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénatrices et sénateurs, permettez-moi de vous présenter quelques observations, comme juriste et sénateur québécois.

Les premières porteront sur le rôle du Sénat par rapport à la Chambre des communes et au gouvernement, maintenant qu’il s’agit d’une institution non contrôlée par les partis politiques représentés à la Chambre des communes. Les deuxièmes traiteront des droits fondamentaux en jeu, et les troisièmes du contenu du projet de loi C-29 qui est devant nous.

Le grand public ne le réalise peut-être pas encore pleinement, mais plus des trois quarts des membres de cette chambre sont affiliés à trois groupes qui n’ont pas de liens avec les partis politiques ou le gouvernement. Qui plus est, aucun de ces groupes n’impose une position à ses membres à l’égard des votes qui sont tenus au Sénat.

En d’autres mots, une très grande majorité des membres de cette Chambre croit en l’indépendance individuelle et à l’égalité entre les sénateurs et sénatrices. Il s’ensuit que les pratiques anciennes sont désormais révolues. Le gouvernement du jour doit composer avec cette nouvelle réalité, comme c’est le cas aujourd’hui avec la tenue d’un comité plénier composé non seulement de ministres, mais de représentants des deux parties. En passant, il n’y a pas eu un tel exercice à la Chambre des communes, où la loi a été adoptée avec le bâillon.

(1940)

Cette nouvelle indépendance nous permet de mieux nous acquitter de notre mission et de prendre des décisions en nous appuyant sur les faits et en respectant pleinement les droits fondamentaux de tous les Canadiens, comme les droits des peuples autochtones issus des traités, les droits des minorités, et les droits reconnus par la Charte des droits et libertés comme le droit à l’égalité, la liberté d’association et la liberté d’expression.

Je passe maintenant à des commentaires sur les droits fondamentaux auxquels nous faisons face aujourd’hui, une dimension qui doit être prise en considération dans notre discussion et dans notre réflexion à l’égard de ce projet de loi.

Dans le jugement Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, rendu en 2015, auquel le sénateur Gold a fait référence plus tôt, la Cour suprême du Canada s’est prononcée sur la portée du droit d’association, notamment pour y inclure le droit des travailleurs qui se sont associés librement de négocier collectivement et en cas d’échec des négociations et après l’expiration d’une convention collective, d’exercer des moyens légaux de pression pour forcer la conclusion d’une nouvelle entente, dont celui, ultimement, de faire la grève.

La juge Abella, une juriste remarquable qui quittera bientôt la Cour suprême, où elle œuvre depuis 2004, a écrit ceci au nom de la majorité en 2015, et je cite :

L’histoire, la jurisprudence et les obligations internationales du Canada confirment que, dans notre régime de relations de travail, le droit de grève constitue un élément essentiel d’un processus véritable de négociation collective. [...] Le droit de grève n’est pas seulement dérivé de la négociation collective, il en constitue une composante indispensable. Le temps me paraît venu de le consacrer constitutionnellement.

Comme l’ont souligné la majorité des juges de la Cour suprême du pays, le droit de grève favorise l’équité dans le processus de négociation. Il presse les deux parties à négocier de bonne foi, ce qui place les employés sur un pied d’égalité avec leur employeur.

En l’espèce, la dernière convention collective librement intervenue entre l’Association des employeurs maritimes et le Syndicat des débardeurs, SCFP section locale 375, est entrée en vigueur le 20 mars 2013. Cette convention représentait alors l’intention commune des parties. Elle n’a pas été imposée par une loi ou par un arbitre. Elle n’est pas le fruit du hasard, mais d’une longue négociation par des gens expérimentés de part et d’autre. En fait, depuis 1970, toutes les conventions collectives au port de Montréal ont été librement négociées.

Comme vous le savez, les conventions collectives sont par définition d’une durée limitée. Celle convenue en mars 2013 est venue à échéance en décembre 2018. Malheureusement, plus de deux années plus tard, les parties sont toujours incapables de convenir des termes d’une nouvelle convention collective. Si je retiens bien ce qui nous a été dit aujourd’hui lors du comité plénier, il semble que les positions des parties sont éloignées sur une trentaine d’aspects.

C’est dans ce contexte qu’en avril, l’employeur a décidé de modifier les garanties de salaire, puis les modalités sur les heures de travail. Ces gestes se voulaient des réponses aux moyens de pression exercés par les salariés, mais ils ont contribué à intensifier un climat d’affrontement. Les travailleurs ont rétorqué par une grève générale, un droit qui leur est reconnu par la loi. L’intervention d’un médiateur et de nombreux intervenants extérieurs appelant à un retour au statu quo précédant les événements qui ont provoqué la grève n’ont pas réglé la situation.

Entre-temps, les conséquences de cette grève générale — tout à fait légale, je le répète — sont très importantes pour la région de Montréal, l’ensemble du Québec, et de nombreuses entreprises et personnes situées dans l’Est ontarien et dans certaines provinces des maritimes. Ces conséquences, nous dit-on, affectent même certaines entreprises reliées aux fournitures médicales alors que nous traversons une pandémie.

C’est sans doute pour cela que la mairesse de Montréal, le gouvernement du Québec et de nombreux intervenants économiques québécois réclament unanimement l’intervention du gouvernement fédéral. Selon eux, ce qui est en jeu ne se limite pas aux intérêts économiques de l’employeur, mais à la stratégie de développement de Montréal et du Québec et à la fourniture de biens essentiels à des tiers, notamment en raison de la pandémie.

Sur la foi de rapports de médiation, le gouvernement en est venu à la conclusion qu’une entente pour assurer la reprise des activités était impossible. C’est dans ce contexte très particulier qu’il a proposé au Parlement d’adopter une loi spéciale.

Le gouvernement propose alors une loi spéciale comme représentant de la collectivité et non comme un employeur qui force l’autre partie à accepter ses conditions, comme ce fut le cas dans l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, ni pour forcer son intérêt économique, comme dans le cas de la Société canadienne des postes, dont le gouvernement est l’actionnaire principal.

En d’autres mots, l’intervention de l’état est dans ce cas-ci mue uniquement par sa perception de ce qui doit être fait dans l’intérêt public dans toutes ses dimensions. En l’espèce, le projet de loi aura plusieurs effets, dont l’un est l’obligation pour les travailleurs de reprendre le travail ou, en d’autres mots, de mettre fin à leur droit de grève.

À mon avis, une telle intervention est toujours exceptionnellement possible, même si elle met fin à l’exercice d’un droit constitutionnellement reconnu, celui de faire des grèves légales dans l’exercice du droit d’association, pourvu qu’elle satisfait aux critères exigeants de l’article 1 de la Charte des droits et libertés.

Qu’en est-il, en l’espèce? Il y a d’abord la décision du Conseil canadien des relations de travail qui a refusé, dans une décision rendue en juin 2020, de déclarer que le maintien de tous les services requis pour la pleine opération du port constituait des services essentiels. En fonction de la preuve qui avait été faite précédemment devant lui, le Conseil a conclu que l’employeur en demandait trop. Il faut se rappeler qu’on ne saurait qualifier de service essentiel tellement de choses que le droit de grève deviendrait vide de sens.

Je note aussi que la loi aura pour effet de rétablir la convention collective expirée et de prévoir un arbitrage obligatoire à défaut d’entente entre les parties après une période de médiation. Cet arbitrage pourra porter sur l’ensemble des modalités de la convention collective qui sont en litige entre les parties, soit une trentaine de sujets.

En d’autres mots, la loi impose une cessation des hostilités, force une reprise des discussions et, entre-temps, rétablit une convention collective qui avait été librement signée en mars 2013, incluant une obligation de l’employeur de payer pour les heures garanties. Je vous rappelle que c’est la décision de renverser ces heures garanties à la suite de l’expiration de la convention collective qui a provoqué la grève.

Comme toute convention collective, elle encadrera aussi les droits de gérance de l’employeur. Est-ce que l’ensemble de ces mesures constitue une atteinte justifiée et minimale au droit de grève des salariés du port de Montréal? Je comprends que les syndicats soumettront cette question aux tribunaux. J’éviterai donc d’y répondre tout en soulignant que ce dossier m’apparaît bien différent de celui de la Société canadienne des postes, dont l’historique de lois spéciales était plutôt impressionnant.

Voilà pourquoi, Monsieur le Président, je ne voterai ni pour ni contre cette loi, mais je m’abstiendrai si un vote par appel nominal est tenu. En cas de vote de vive voix, ce discours confirmera que je n’ai pas voté en faveur de la loi.

Avant de conclure, je tiens à souligner qu’en réponse à mes questions plus tôt aujourd’hui, M. Tessier, au nom de l’Association des employeurs maritimes, s’est engagé à annuler dès demain matin, si le projet de loi est adopté, les deux modifications unilatérales des conditions de travail des 9 et 22 avril qui ont déclenché la grève générale.

(1950)

Je rappelle que le syndicat a répété à plusieurs reprises depuis une semaine que ses membres reprendraient le travail dès que ces mesures seraient révoquées. Il est bien dommage que la médiation n’ait pas conduit à ce résultat, mais je suis heureux de constater que, dans le cadre des travaux du Sénat, ces engagements de l’employeur, réclamés par le syndicat, ont été enfin exprimés clairement.

Merci. Meegwetch.

L’honorable Tony Loffreda : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi C-29, Loi prévoyant la reprise et le maintien des opérations au port de Montréal. En tant que sénateur montréalais, je crois qu’il est de mon devoir de dire quelques mots sur cette question.

Comme d’autres personnes l’ont déjà expliqué, le projet de loi C-29 vise à mettre fin à l’arrêt de travail en cours au port de Montréal et à offrir à l’Association des employeurs maritimes et au Syndicat des débardeurs — SCFP, section locale 375, un processus neutre de médiation-arbitrage pour résoudre leurs différends.

Nous savons que les deux parties sont à la table de négociations depuis septembre 2018, mais en vain. Depuis, elles ont tenu plus de 100 réunions, une grève a eu lieu en août 2020, et, malgré les bonnes intentions de chacun, nous nous trouvons toujours dans une impasse qui a mené à la grève actuelle. Évidemment, je tiens à remercier les deux parties d’avoir accepté de comparaître devant nous plus tôt cet après-midi.

Je tiens à souligner que je crois au processus de négociation collective et que je reconnais que les Canadiens ont le droit de revendiquer de meilleures conditions de travail et d’exercer leur droit de grève. Je ne remets pas cela en question. Au contraire, je regrette que nous en soyons au point où le gouvernement se voit forcé d’intervenir par l’intermédiaire d’une loi spéciale.

[Traduction]

Dans l’énoncé concernant la Charte au sujet du projet de loi C-29, je note que le gouvernement reconnaît que la mesure législative pourrait mettre en cause deux alinéas de la Charte, y compris l’alinéa qui prévoit que chacun a la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression. Je sais que le gouvernement a présenté ce projet de loi en dernier recours pour éviter que notre économie subisse des contrecoups supplémentaires et pour que les produits recommencent à circuler, tout en permettant aux deux parties de poursuivre les négociations au moyen d’un processus de médiation et d’arbitrage défini dans la loi. J’ai bon espoir que les parties parviendront à résoudre les questions en litige avec l’aide du médiateur-arbitre et qu’une nouvelle convention collective sera conclue.

J’admets qu’appuyer ce projet de loi me met un peu mal à l’aise : je me retrouve dans une position difficile en accordant la priorité aux droits, aux libertés et à la capacité de gagner sa vie de certains Canadiens au détriment des autres. Je ne prends pas cette question à la légère.

Cela dit, je crois aussi qu’il serait mal avisé de seulement prendre en compte les revendications des travailleurs et de réduire ce dossier au droit des travailleurs et à la capacité de négocier une entente collective. Dans mon évaluation de la situation, il m’a semblé important de tenir compte de la vision globale et des effets à court et à long terme de l’arrêt de travail.

J’ai eu du mal à me faire une tête à propos du projet de loi C-29, mais c’est le bien-être général de l’économie canadienne, surtout dans un contexte de pandémie, qui me pousse à l’appuyer. À mon avis, le gouvernement s’efforce de trouver un juste équilibre entre les droits des débardeurs du port et la capacité des entreprises canadiennes d’exporter et d’importer des produits et de mener leurs affaires.

Il m’apparaît évident que si la grève se poursuit, elle nuira à notre économie, aux entreprises et à la main-d’œuvre. On dit que cette grève coûte chaque jour entre 10 et 20 millions de dollars à l’économie du pays. Nous en sommes au cinquième jour.

De plus, des données confirment que l’économie a souffert de l’arrêt de travail de l’été dernier. À titre d’exemple, 80 000 conteneurs ont été renvoyés ou immobilisés. Les grossistes ont perdu près de 600 millions de dollars de ventes, et il a fallu trois mois pour rattraper les retards. Nous savons aussi que des entreprises américaines ont déjà décidé de faire affaire avec des ports américains et que des entreprises canadiennes choisissent maintenant de faire transiter leurs produits par Hamilton et Halifax. Bien que je trouve positif qu’une partie de l’achalandage passe maintenant par d’autres ports canadiens, comme je viens de Montréal, je crains évidemment que ces contrats ne reviennent jamais à Montréal et que la réputation de ma ville soit entachée à tout jamais.

D’après la ministre Tassi :

Cet arrêt de travail touche plus de 19 000 emplois directs et indirects associés au transit par le port de Montréal [...] jusqu’à 250 000 emplois à Montréal et 273 000 emplois en Ontario liés à la production de produits de conteneurs d’expédition seraient touchés par cet arrêt de travail.

Je remercie également la ministre Tassi et le ministre Alghabra d’avoir fourni des détails supplémentaires sur l’impact économique de la grève durant leur comparution devant le comité plénier aujourd’hui.

Je rappelle aux sénateurs que le port de Montréal est le plus grand port de l’Est du Canada, qu’il a des liens avec plus de 140 pays et qu’il est le deuxième port à conteneurs le plus important du Canada. En 2019, plus de 41 millions de tonnes de marchandises y ont transité. En moyenne, plus de 2 000 navires par année, jusqu’à 2 000 camions par jour et entre 60 et 80 trains par semaine passent par le port. Toute cette activité représente environ 40 milliards de dollars en marchandise.

Je comprends que nous étions en pandémie l’an dernier, mais il importe aussi de souligner que le tonnage des cargaisons a baissé de 13,25 % l’an dernier par rapport à 2019. Autrement dit, l’économie ne peut pas supporter un autre arrêt de travail d’une durée indéterminée au port. Et les entreprises, dont beaucoup arrivent à peine à survivre, ne devraient pas avoir à faire face à plus d’incertitude et risquer encore davantage de perdre des revenus et des emplois — pas en ce moment.

[Français]

Un collectif de six grandes organisations, notamment la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le Conseil du patronat du Québec et Manufacturiers et exportateurs du Québec, a demandé au gouvernement d’intervenir dans cette affaire depuis un certain temps, et il a accueilli favorablement le projet de loi C-29. Le collectif, qui comprend aussi plus de 400 signataires, considère que les activités portuaires sont essentielles au bon fonctionnement de l’économie et que le port de Montréal est une infrastructure stratégique sur laquelle nos entreprises doivent pouvoir s’appuyer au moment où elles mettent les bouchées doubles pour assurer leur relance.

(2000)

Le gouvernement du Québec partage aussi cet avis. Le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, croit que le port de Montréal est un service public stratégique pour la relance économique, alors que son homologue aux Transports affirme que l’économie québécoise ne peut se permettre que ce conflit de travail perdure. Effectivement, je suis d’avis que, dans le contexte actuel de la relance économique, alors que nous sommes toujours en pleine pandémie, les entreprises canadiennes ne sont pas en mesure d’absorber d’autres coups. Cet arrêt de travail serait catastrophique pour elles. Certaines personnes ont demandé au gouvernement de défendre les débardeurs du port de Montréal, de protéger leurs droits et de retirer ce projet de loi. Bien que j’accepte le bien-fondé de cette revendication, je crois qu’il faut aussi se soucier du sort de notre économie en général et de celui de nos entreprises, qui doivent pouvoir se fier à un système de transport des biens efficace, fiable et compétitif.

Je tiens à préciser qu’il n’est pas question pour moi de défendre l’intérêt des plus riches en appuyant ce projet de loi, comme l’ont avancé certains politiciens, mais bien l’intérêt des PME du Québec et des travailleurs du Québec. D’ailleurs, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante a affirmé que 53 % des PME québécoises sont d’avis qu’une grève aurait des effets néfastes sur leurs entreprises, et 72 % des répondants ont demandé aux élus d’agir.

Étant donné ces circonstances exceptionnelles et les conséquences négatives anticipées, je suis prêt à appuyer ce projet de loi et j’exhorte le Sénat à ne pas retarder son adoption.

[Traduction]

L’honorable Terry M. Mercer : Honorables sénateurs, aujourd’hui, j’aimerais vous faire part de mes observations sur le projet de loi C-29, qui prévoit la reprise des opérations au port de Montréal. Est-ce qu’on voulait en arriver là? Non, mais je crois qu’il est important d’essayer de comprendre comment on en est arrivé là.

Nous avons entendu les témoignages des deux parties. Évidemment, chaque partie a une vision différente des raisons qui ont mené à cette situation, mais nous devons maintenant nous demander ce que nous pouvons faire.

J’ai grandi près du port d’Halifax. Je suis issu d’une longue lignée de fiers travailleurs syndiqués. Depuis longtemps, les syndicats se battent avec ardeur pour que les travailleurs qu’ils représentent puissent atteindre l’équité salariale, avoir suffisamment de congés, prendre leur retraite dans la dignité et jouir d’une foule d’autres garanties. Je continuerai d’appuyer les syndicats dans cette noble entreprise.

Je reconnais aussi que l’employeur a le devoir de traiter ses employés de manière équitable tout en assurant la rentabilité de l’entreprise, mais quels sont les coûts réels? Les deux parties sont dans une impasse. Je salue les efforts qui ont été déployés de part et d’autre pour trouver un terrain d’entente, mais comme ils n’ont pas abouti à une entente satisfaisante, nous sommes maintenant saisis d’un projet de loi de retour au travail.

Honorables sénateurs, des échanges commerciaux de centaines de millions de dollars et des milliers d’emplois sont en jeu. N’oublions pas non plus que la grève menace la libre circulation des biens et pourrait faire grimper leur coût. En plus de nuire à tous les Canadiens à un moment où ils ne peuvent pas se permettre ce genre de tracas, cette grève ternit notre image de pays commerçant. Il y a beaucoup en jeu.

Il y a déjà eu des grèves dans divers secteurs de notre économie et, dans bien des cas, des ententes équitables ont été conclues. Ce n’est pas le cas ici.

Quel est donc le problème? Est-ce que ce sont les salaires, les horaires, les conditions de travail? Tout dépend à qui vous posez la question. Ce que je sais, c’est que les deux parties doivent arrêter de se blâmer mutuellement et parvenir à une entente. C’est dommage qu’un tel projet de loi s’impose, mais espérons qu’une entente équitable puisse être conclue. J’encourage les deux parties à faire tout en leur pouvoir pour trouver une solution raisonnable, que le projet de loi soit adopté ou non.

Le port de Montréal pourrait subir de graves pertes économiques et pertes de stocks, ce qui ne fera que causer du tort aux Canadiens alors que notre pays se débat avec la troisième vague de cette pandémie mortelle.

Par le passé, le trafic portuaire a été détourné vers le port d’Halifax. Même si nous allons bien sûr accepter cette occasion d’affaires, je ne tolérerai pas que l’on dresse une partie du pays contre l’autre, même si la chaîne d’approvisionnement l’exige. Le port d’Halifax jouit d’une paix constante dans les relations patronales-syndicales depuis des années, et je félicite les syndicats et l’employeur d’avoir respecté et maintenu les ententes. J’espère que toutes les parties concernées continueront à le faire.

Au fil des ans, par exemple, il y a eu aussi de nombreux conflits de travail au port de Vancouver, comme c’est le cas actuellement au port de Montréal.

D’où la question que j’ai posée plus tôt : pourquoi continuons-nous à avoir des négociations difficiles, longues et parfois acrimonieuses? Ne pouvons-nous pas apprendre les uns des autres partout au pays sur la manière de faire les choses correctement et respecter les deux parties?

Bien que je ne souhaite pas d’interruption des chaînes d’approvisionnement, je trouve difficile de voter pour un projet de loi qui mine les efforts du syndicat. Cependant, les dommages causés au port de Montréal et la perte de profits, comme nous l’avons entendu lors d’un témoignage plus tôt, pourraient être importants, et avec le détournement temporaire du transport maritime vers d’autres ports, que ce soit vers celui d’Halifax ou ailleurs le long de la côte Est, il n’y aura pas moyen de compenser tout cela. Cela va nous faire perdre des emplois et nous faire du tort à tous.

Cela dit, chers collègues, j’appuierai le projet de loi dans l’espoir que les deux parties parviendront à une entente convenable, même si elle est forcée. Les Canadiens en dépendent.

Honorables sénateurs, merci.

L’honorable Frances Lankin : Honorables sénateurs, j’aimerais remercier mes collègues qui sont intervenus avant moi. Des observations et des points de vue très intéressants ont été présentés. C’est une bonne discussion. J’ai quelques préoccupations par rapport au processus. J’en parlerai dans un instant. Cela dit, je remercie tous les intervenants de leur contribution.

J’aimerais également remercier le sénateur Gold. Votre exposé était complet, professionnel et sage. Bien entendu, je ne m’attendais à rien de moins de votre part, et à rien de moins de la part d’un avocat très habitué d’enseigner, d’analyser et de déterminer la constitutionnalité. Je vous en suis reconnaissante.

Je vous remercie également de la réponse que vous m’avez donnée lorsque je vous ai appelé plus tôt cette semaine pour demander que le comité plénier inclue à la fois l’employeur et le syndicat et non uniquement les ministres. Je suis très reconnaissante que tous les leaders aient consenti à cette demande que nous ayons pu tenir cette séance aujourd’hui.

Je remercie les personnes qui ont comparu devant le comité plénier pour représenter le gouvernement, les ministères, l’Association des employeurs maritimes et le syndicat.

J’ai également eu l’occasion de parler au téléphone avec le président national du SCFP. Il y a deux jours, j’ai parlé directement à M. Tessier, de l’Association des employeurs maritimes, qui était avec nous un peu plus tôt. D’ailleurs, il m’a appelée pendant la pause du souper pour savoir si j’avais d’autres questions, ce que j’ai vraiment apprécié. Il y a aussi le dirigeant de l’Administration portuaire de Montréal — tous m’ont beaucoup aidée à comprendre les enjeux en fonction des différents points de vue.

Je veux aussi parler du contenu du projet de loi, puisque c’est ce qui est le plus important, mais en ce qui a trait au processus, je trouve complètement inacceptable, même si je comprends qu’il s’agit d’un projet de loi d’urgence, que, avec le peu de temps que nous avons eu pour l’étudier et seulement en comité plénier, nous n’ayons pas pu examiner certaines des questions relatives à la constitutionnalité et au respect de la Charte, alors que c’est l’un des rôles prédominants qui incombent aux sénateurs. Nous avons bien rempli notre rôle en matière de représentativité des régions, et je remercie tous les sénateurs du Québec et de Montréal qui ont pris la parole jusqu’à maintenant pour nous aider à comprendre leur point de vue concernant les impacts économiques. Je ne remets pas en question l’idée qu’une grève puisse avoir des répercussions économiques, en particulier dans le secteur privé. Je crois qu’il est important que nous réalisions que, vu le régime négociations collectives, lorsque les négociations piétinent ou achoppent, l’employeur dispose de droits d’avis de lockout et de lockout et le syndicat, de droits d’avis de grève et de grève. Ces droits ont des répercussions économiques, chaque cas étant particulier et devant être examiné en tant que tel. Au bout du compte, toutefois, chaque partie a, dans la négociation, un pouvoir qui lui est conféré par le régime des négociations collectives.

(2010)

Je respecte tous les points de vue qui ont été exprimés, mais je tiens à préciser ce que je peux accepter ou admettre, ou non. Je ne peux admettre que nous prenions la décision d’appuyer ou non une loi de retour au travail essentiellement en déterminant s’il existe une justification ou des motifs raisonnables pour conclure que l’article 1 de la Charte doit l’emporter sur les droits prévus à l’article 2 de la Charte. Je ne peux accepter qu’on dise qu’il s’agit d’une grève légale, mais illégitime. Je pense que de telles affirmations ne sont que des opinions, et je les respecte comme telles.

Selon moi, si des parties adoptent et suivent un cadre juridique — sans chercher à retarder sciemment le processus ou à se positionner stratégiquement — en utilisant les règles établies de manière temporisatrice, il faut en conclure que ces parties devraient s’entendre. Elles n’y sont pas arrivées. Que faire?

La prochaine étape, à mon avis, n’est pas de dire que trois jours après un arrêt de travail complet, il n’y a plus d’espoir et qu’il faut outrepasser les droits prévus à l’article 2.

Je souhaite simplement poser quelques questions, car je me demande si l’information qui nous a été donnée jusqu’ici nous a tous convaincus. J’ai entendu dire qu’il était possible que Montréal ne récupère pas son tonnage. Les pertes pourraient être de l’ordre de 10 à 20 millions de dollars. Du matériel médical pour soigner la COVID ou d’autres maladies pourrait ne pas être livré. Il y a eu beaucoup d’affirmations, mais celles-ci sont toujours hypothétiques. Notre économie est sous le coup de pressions énormes. La croissance économique se poursuit, mais bien trop lentement. Nous avons besoin d’une reprise. Je suis d’accord avec vous tous sur ce point. Cependant, pourquoi faut-il que dans ce cas précis, les travailleurs du port soient ceux qui assument le coût du mode de fonctionnement des activités de leur employeur — bref, qu’ils le subventionnent.

Je crois que nous n’avons pas reçu assez d’information pour pouvoir débattre de l’aspect constitutionnel aussi attentivement que nous pourrions le faire. De toute évidence, chaque tribunal rendra une décision fondée sur les faits de l’affaire dont il sera saisi. Nous ne pouvons pas prédire les décisions futures. Nous connaissons toutefois les précédents, et ils indiquent clairement qu’il faut avoir des raisons très solides et valables pour empiéter sur ces droits. L’énoncé concernant la Charte que nous avons reçu ne parlait que très vaguement de grandes conséquences économiques. Cela n’a rien d’un critère. Quelle est l’atteinte dont il est question? Quel est le déséquilibre dont il est question? Il est essentiel de réduire ce déséquilibre du mieux possible.

Les parties se sont entendues pour respecter les dispositions du Code du travail en ce qui concerne les grains, bien sûr. Pour ce qui est des services à destination de Terre-Neuve, notons qu’ils ne sont pas mentionnés dans le code, mais que le syndicat et l’employeur se sont entendus à leur sujet et à propos du transport de médicaments, dont ceux qui sont nécessaires pour le traitement de la COVID-19.

Par conséquent, pourquoi des fonctionnaires nous disent-ils qu’il y a actuellement des conteneurs avec des fournitures pour lutter contre la pandémie de COVID-19 qui dorment sur les quais? J’ai posé la question à M. Tessier lors de notre entretien au téléphone. Il ne connaissait pas la réponse. Les fonctionnaires nous ont dit qu’aucun conteneur n’avait été déplacé, mais d’après ce que M. Tessier m’a dit, pendant la dernière grève, lorsqu’on a demandé au syndicat de déplacer des conteneurs conformément à l’entente et à ce que le syndicat s’était engagé à faire de façon volontaire, ces exigences ont été respectées. On n’a pas eu à le demander souvent. M. Tessier m’a dit que c’est une question de logistique.

On n’a pas été en mesure de se pencher de plus près sur cette question de part et d’autre, et encore une fois, je pense qu’au bout du compte, le processus ne nous a pas aidés à régler la question.

Je ne sais pas si la présidente pourrait me dire combien de temps il me reste, mais j’aimerais discuter de la disposition.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous avez sept minutes.

La sénatrice Lankin : Merci beaucoup, c’est très apprécié. J’ai l’intention de présenter un amendement. Je vais donc conclure mes observations sur le projet de loi en disant que je ne prête aucune intention au gouvernement et que je ne l’accuse pas d’adopter une approche antisyndicale. À mon avis, tous les gouvernements et tous les Canadiens subissent d’énormes pressions dans les circonstances actuelles. Le gouvernement cherche un équilibre. Suis-je d’avis qu’il a bien fait les choses? Non. Je crois que les droits constitutionnels n’ont pas fait l’objet d’un examen complet, et que les raisons invoquées ne répondent pas aux critères énoncés dans l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour de la Cour suprême et dans la loi adoptée à l’époque de l’ancien premier ministre Harper pour mettre fin à la grève et au conflit de travail opposant le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes à Postes Canada.

Je veux toutefois présenter un amendement qui porte sur l’un des aspects soulevés par le syndicat, c’est-à-dire le retour aux dispositions de la convention collective et aux conditions de travail qui étaient appliquées jusqu’au 9 avril. Comme vous le savez, le projet de loi permet d’imposer de nouveau la convention collective du 1er janvier 2019. C’est bien, mais les dispositions permettent notamment les modifications unilatérales aux heures de travail qui ont été apportées, et un mécanisme qui ne fait pas partie de ce qui est défini dans la convention collective a donné l’occasion à l’employeur d’apporter les changements relatifs à la sécurité d’emploi.

Le syndicat a exprimé — à juste titre, je crois, compte tenu des circonstances — des craintes concernant le fait que, après avoir dit pendant une semaine que les employés qu’il représente retourneraient au travail si ces deux dispositions étaient supprimées, nous leur disons maintenant qu’elles le seront si le projet de loi de retour au travail est adopté. Or, ces deux dispositions pourraient être rétablies ultérieurement à n’importe quel moment. L’amendement que je propose est important parce qu’il précise qu’on rétablirait la convention collective qui était en vigueur le 9 avril. C’est important parce que cela rétablirait les conditions qui existaient à cette date et les maintiendrait durant tout le processus de médiation-arbitrage. On cherche ici à mieux équilibrer les intérêts des parties.

Le maintien des conditions en vigueur avant leur modification unilatérale par l’Association des employeurs maritimes — décision communiquée à l’avance, mais prise unilatéralement — empêcherait le rétablissement des deux dispositions pendant le reste du processus de médiation-arbitrage. Cette date est importante pour le syndicat. Nous le privons du levier économique que représente la grève, sans nous assurer de supprimer les dispositions de la convention collective et les modifications unilatérales ayant provoqué la grève complète, qui a commencé lundi, suppression qui permettrait de ramener un certain équilibre.

J’estime que ce projet de loi n’a pas été examiné suffisamment longtemps. J’en comprends les raisons, mais je crois qu’il est de notre responsabilité de parvenir à une décision collectivement, au meilleur de notre capacité, sur la question de la constitutionnalité, d’autant plus que les droits protégés par la Charte dont il est question sont primordiaux. Nous ne pouvons simplement les bafouer. Je suis heureuse que le Sénat ait pu se former en comité plénier pendant trois heures cet après-midi, mais cela ne peut se substituer à un examen des décisions passées des tribunaux judiciaires et du Conseil canadien des relations industrielles — lequel, soit dit en passant, possède une expertise particulière concernant le Code canadien du travail et ces dispositions —, qui estime qu’il n’y a pas de raison valable de limiter le droit de grève en déclarant d’autres services comme étant essentiels et qui a tenu compte des décisions de la Cour suprême et d’autres décisions, comme il est tenu de le faire lorsqu’il prend de telles décisions et comme il a la compétence de le faire en tant que tribunal administratif spécialisé.

(2020)

Rejet de la motion d’amendement

L’honorable Frances Lankin : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-29 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à l’article 6, à la page 3, par adjonction, après la ligne 31, de ce qui suit :

« (3) Durant la période qui commence à l’entrée en vigueur de la présente loi et qui prend fin à l’expiration de la convention collective, telle que prorogée par le paragraphe 6(1), les employés bénéficient des conditions d’emploi qui étaient en vigueur au 9 avril 2021. ».

[Français]

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Bellemare, avez-vous une question?

La sénatrice Bellemare : Je voulais aussi parler de l’amendement.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Dalphond, avez-vous une question?

L’honorable Pierre J. Dalphond : Oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Il reste deux minutes pour poser des questions à la sénatrice Lankin.

[Traduction]

Le sénateur Dalphond : Sénatrice Lankin, si votre amendement est adopté, nous devrons renvoyer le projet de loi à la Chambre des communes et attendre sa réponse, ce qui pourrait retarder d’une semaine son adoption. Avez-vous songé aux répercussions sur la situation à Montréal?

La sénatrice Lankin : Merci de votre question. Oui, assurément pour Montréal, pour le Québec et pour l’Ontario, ma province, il faut bien comprendre les impacts économiques potentiels qui ont été mentionnés, alors, oui, j’y ai pensé.

Si on pense à la rapidité avec laquelle nous avons traité les projets de loi concernant les mesures d’urgence en réponse à la COVID, je ne sais pas s’il faudrait une semaine. Il ne faudrait pas nécessairement une semaine. Cependant, il est absolument important que nous nous assurions que le projet de loi respecte le critère de l’atteinte minimale et qu’il réponde au déséquilibre entraîné par la persistance des risques pour les travailleurs causés par la modification unilatérale des dispositions relatives à la sécurité d’emploi. Cet amendement est nécessaire et mènera à une application équitable.

Comme je viens de parler des projets de loi relatifs aux mesures d’urgence en réponse à la COVID, je voudrais souligner que les choses auraient pu être faites différemment. J’en ai parlé lorsque le Sénat s’est formé en comité plénier plus tôt. Le projet de loi C-14 a récemment été renvoyé au Comité des finances, qui en a achevé l’étude aujourd’hui. Le Sénat l’étudiera mardi, je crois. Dans ce projet de loi, il y a une disposition qui permettra au gouvernement de mettre en place des règlements pour protéger les stocks de fournitures médicales et empêcher les pénuries, notamment des stocks de médicaments ou de composants de médicaments.

Je veux aussi souligner qu’on a bien offert de transporter les marchandises en question. Qu’on n’ait pas demandé au syndicat de décharger ces cargaisons en particulier m’indique qu’on a choisi une approche qui a laissé la situation s’envenimer.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Lankin, votre temps de parole est écoulé. La parole est au sénateur Gold.

Le sénateur Gold : Merci, Votre Honneur.

Honorables sénateurs, tout d’abord, sénatrice Lankin, je vous remercie de vos interventions très éclairées et de vos gentils commentaires à propos de mes remarques. J’ajouterai que vous savez à quel point nous vous estimons au Sénat, surtout pour votre détermination à faire respecter la Charte et les droits des travailleuses et des travailleurs. Comme on dit en français :

[Français]

— c’est tout à votre honneur.

[Traduction]

Je ne répéterai pas ce que j’ai dit au sujet de la Constitution. Cependant, votre amendement ne répond pas à bon nombre des questions et des préoccupations que vous avez soulevées. Cela dit, avec tout le respect que je vous dois, honorables sénateurs, je maintiens que cet amendement est à la fois inutile et, à mon avis, inapproprié. Le gouvernement ne peut pas l’appuyer. Permettez-moi d’expliquer pourquoi.

Comme nous le savons, l’article 6 du projet de loi C-29 prévoit clairement que :

La convention collective est prorogée à compter du 1er janvier 2019 jusqu’à la prise d’effet d’une nouvelle convention collective à intervenir entre les parties.

Tout cela signifie que le projet de loi C-29 prévoit explicitement que la convention collective qui s’appliquait de 2013 à 2018 serait prolongée jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle convention collective.

Comme on nous l’a dit et signalé à maintes reprises, cette convention collective est celle qui a été négociée avec succès dans le passé par ces parties. Par conséquent, si le projet de loi C-29 est adopté, les parties seront tenues de respecter toutes les conditions de la convention collective jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle convention collective entre les deux parties.

Il est important de noter qu’aucune modification unilatérale apportée par l’une ou l’autre des parties ne serait maintenue après l’adoption du projet de loi C-29. La convention collective qui a expiré le 31 décembre 2018 serait maintenant en vigueur.

Selon le syndicat, deux mesures mises en œuvre par l’employeur depuis le 9 avril sont en cause, comme nous l’avons entendu. La première mesure concerne les heures rémunérées garanties, y compris les heures non travaillées. Le syndicat, l’employeur et la ministre nous ont confirmé que la mesure ne s’appliquerait plus, car elle n’est pas conforme à la convention collective de 2013-2018.

La deuxième mesure concerne les changements d’horaires de travail. Honorables sénateurs, je tiens à dire que la mesure est conforme à la convention collective que les parties ont conclue en 2013. Par conséquent, il s’agit d’une pratique qui fait partie des relations de travail depuis un certain temps déjà.

Qu’entend-on par là? On entend par là que le syndicat était pleinement au courant que l’employeur pouvait changer les horaires conformément à la convention collective en vigueur conclue entre les deux parties.

Honorables sénateurs, nous devons nous poser la question suivante. Est-ce le rôle du Sénat de supprimer des mesures visant à modifier une convention collective et de supprimer des mesures qui font partie d’une convention collective que les parties ont négociée entre elles?

La convention collective prévoit une mesure objective des conditions qui devraient s’appliquer aux parties pendant la médiation ou l’arbitrage, jusqu’à ce qu’une nouvelle convention soit conclue en suivant le processus prévu dans le projet de loi C-29. L’amendement proposé par la sénatrice Lankin modifierait cette mesure objective. Une question se pose, qui est peut-être théorique pour certains : le Sénat souhaite-t-il modifier d’autres éléments de la convention collective? Plus précisément, est-ce notre travail ou notre rôle de faire une telle chose? Je ne crois pas.

Selon moi, ce n’est pas le rôle du Parlement d’apporter des changements à une convention collective existante. C’est notamment pour cette raison que le gouvernement n’est pas prêt à accepter cet amendement.

Ultimement, et en dépit de tout cela, grâce aux travaux du Sénat, nous savons maintenant que cette mesure, qui respecte néanmoins la convention collective, sera aussi retirée avec le consentement de l’employeur. En effet, en répondant aux questions du sénateur Dalphond, M. Tessier s’est engagé clairement au nom de l’employeur à retirer la mesure concernant les horaires aussitôt que le projet de loi entrera en vigueur. Comme gage de sa bonne foi afin de reprendre les négociations au point neutre, il rétablira les conditions de travail d’avant le 9 avril. Je n’ai aucune raison de douter de l’engagement que M. Tessier a pris devant la Chambre haute du Canada et le grand public.

Par conséquent, même s’il était souhaitable, ce qui n’est pas l’avis du gouvernement, l’amendement de la sénatrice Lankin n’est tout simplement pas nécessaire. De plus, chers collègues, je crois qu’il est important que nous tenions compte des problèmes très concrets que nous aurions si nous renvoyions cet amendement à la Chambre des communes, surtout dans un contexte de gouvernement minoritaire. Nous sommes ici aujourd’hui parce que le Sénat a été rappelé pour étudier le projet de loi C-29 étant donné qu’il s’agit d’un enjeu urgent pour le Canada, particulièrement dans le contexte de la pandémie actuelle. Présenter un amendement à cette étape-ci du processus aurait pour effet de laisser le projet de loi en suspens pendant trop longtemps, même si on imagine un scénario idéal dans lequel le gouvernement obtiendrait l’appui d’un autre parti et pourrait ainsi imposer l’attribution de temps à la Chambre des communes. L’adoption de ce projet de loi serait alors retardée de près d’une semaine.

(2030)

Il n’est pas exagéré d’imaginer un retard d’une semaine, à tout le moins, ce qui entraînerait toutes les conséquences déjà mentionnées, sur lesquelles je ne m’attarderai pas.

Comme le coût de cet arrêt de travail se situe quelque part entre 40 et 100 millions de dollars, selon les estimations, et que des centaines de milliers d’emplois pourraient en souffrir, ce serait un lourd prix à payer pour les Canadiens, alors que nous savons qu’une mesure pourrait être en place dès demain.

Honorables collègues, à mon humble avis, si nous voulons agir de façon responsable, nous devons adopter le projet de loi à l’étude afin que le port de Montréal puisse rouvrir et que les parties entament rapidement le processus de résolution des différends de manière à trouver une solution stable et durable. Je vous remercie de votre attention.

[Français]

L’honorable Diane Bellemare : J’aimerais aussi intervenir contre l’amendement proposé.

Il est évident qu’en entendant M. Murray, conseiller syndical, cet après-midi, ma première réaction a été de me dire que c’était une bonne idée d’amender le projet de loi pour faire en sorte que les conditions de travail prévalant au 9 avril soient rétablies.

Cependant, après que nous avons entendu les témoins, mon avis a évolué.

D’abord, parce que le paragraphe 6(1) du projet de loi est clair, et que l’on rétablit les conditions d’emploi conformément à la convention collective antérieure, ce qui vient régler le problème des salaires pour les syndicats.

Deuxièmement, le témoignage du représentant patronal m’a convaincue sur le fait qu’ils sont prêts à retirer leur proposition concernant les quarts de travail et les échéanciers. De plus, les syndicats ont dit et répété que si ces deux conditions étaient assurées, ils retourneraient au travail et mettraient fin à la grève.

Donc, comme ces deux conditions sont, à mon avis, rétablies dans le contexte du projet de loi et des témoignages que nous avons entendus, et étant donné que ce n’est pas notre rôle d’intervenir dans le processus des négociations, je crois qu’il est légitime de voter en faveur de ce projet de loi pour mettre fin à un conflit très coûteux, et aussi parce que ce projet de loi fait presque l’unanimité au Québec.

En tant que sénatrice du Québec, je voterai contre l’amendement, mais en faveur du projet de loi C-29.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Est-ce que vous voulez participer au débat, sénateur Dalphond?

Le sénateur Dalphond : Oui, madame la Présidente.

[Traduction]

Tout d’abord, je souscris aux propos du sénateur Gold. Il s’est exprimé plus éloquemment que je n’aurais pu le faire.

[Français]

J’ajouterais que je suis aussi d’accord avec ma collègue la sénatrice Bellemare.

Pour ces motifs, je voterai contre l’amendement et je demande que nous mettions la question aux voix.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Est-ce que d’autres sénateurs veulent prendre la parole?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Que tous ceux qui s’opposent à la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Que tous ceux qui sont en faveur de la motion et qui sont présents dans la salle du Sénat veuillent bien dire oui.

Que tous ceux qui sont contre la motion et qui sont présents dans la salle du Sénat veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente intérimaire : À mon avis, les non l’emportent. Je ne vois pas de sénateur qui se lève. La motion est rejetée.

(La motion d’amendement de l’honorable sénatrice Lankin est rejetée avec dissidence.)

[Traduction]

Troisième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Gold, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice Gagné, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-29, Loi prévoyant la reprise et le maintien des opérations au port de Montréal.

L’honorable Tony Dean : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour exprimer mon appui envers le projet de loi C-29 dont nous sommes saisis. J’appuie le projet de loi C-29, qui vise à mettre fin à l’arrêt de travail au port de Montréal pour mettre en place un processus neutre de médiation-arbitrage afin de régler le différend et de conclure une nouvelle convention collective.

Comme beaucoup d’entre vous, j’éprouve de la réticence. Comme beaucoup de gens au Parlement et à l’extérieur du Parlement, j’appuie la libre négociation collective parce qu’elle reflète la réalité des conditions dans le milieu de travail et laisse entre les mains des employeurs, des syndicats et des travailleurs la responsabilité de l’issue des négociations.

Pour ces raisons, l’intervention des gouvernements dans les conflits de travail ne devrait avoir lieu que lorsque l’intérêt public la rend absolument nécessaire. C’est là le pivot de la prise de décision et d’orientation dans les cas relativement rares où l’on envisage l’intervention du gouvernement. Je dis « rares » parce que la vaste majorité des différends relatifs aux négociations collectives au Canada sont résolus par les parties. En fait, on nous a dit que de nombreuses conventions collectives au port de Montréal ont été conclues par les parties. Cela s’explique par la nature équilibrée des régimes de négociations collectives au Canada. C’est grâce à la sagacité des employeurs et des syndicats, et grâce aux compétences et à la persévérance des médiateurs mandatés par le gouvernement.

Plus de 90 % des négociations collectives sont résolues par les parties sur les lieux de travail, cette proportion pouvant atteindre 98 % dans certains secteurs, parfois avec l’aide des services de médiation fédéraux ou provinciaux. Dans les cas relativement rares où les négociations s’enlisent, des médiateurs du gouvernement sont mis à disposition. Dans les circonstances actuelles, les experts du Service fédéral de médiation et de conciliation sont à l’œuvre depuis un certain temps. Ils ne prennent pas ce travail à la légère. Ils ont pour rôle essentiel d’apporter soutien et conseils aux parties au conflit. Leur apport est d’autant plus crucial, chers collègues, que l’intérêt public est en jeu.

Dans la situation actuelle, nous avons appris que les négociations s’étaient étendues sur 30 mois, avec plus de 100 séances, dont beaucoup avec l’appui de conciliateurs et de médiateurs fédéraux et, dans certains cas, comme l’a dit la ministre, par quelques super médiateurs. Ce que je vous dis est loin de décrire les efforts intensifs, souvent discrets et officieux, déployés par les médiateurs fédéraux. Je sais que vous vous joindrez à moi pour les remercier de leurs efforts, et je remercie également la ministre Tassi.

Confrontés à une impasse comme celle-ci, nous sommes instinctivement amenés, chers collègues, à nous demander ce que nous pouvons faire de plus pour en sortir. On se dit qu’il y a sûrement quelque chose de plus à faire. Je connais ce sentiment; je suis passé par là à maintes reprises, à la fois comme agent négociateur, comme médiateur et comme responsable d’un service de médiation, ainsi que comme responsable d’un ministère du Travail.

(2040)

Fort de cette expérience, je peux vous dire que s’il y avait eu le moindre espoir d’arriver à une entente, à court ou à moyen terme, les conciliateurs et les médiateurs qui ont participé à ce processus ces dernières années se seraient évidemment manifestés pour mettre en garde le gouvernement et lui dire : « Vous allez trop vite. » Croyez-moi, ils auraient dit : « Accordons-nous plus de temps. » Les gouvernements prennent les conseils de ce type au sérieux.

Après 30 mois de travail avec les parties, les médiateurs savent ce qui est réalisable et ce qui ne l’est pas. Il serait donc possible que le conflit s’étire encore pendant plusieurs mois, et nous nous retrouverions ici pour avoir la même discussion. Entretemps, le transport de marchandises dont la valeur atteint 270 millions de dollars par semaine serait interrompu, ce qui a des répercussions sur les 19 000 Canadiens dont les emplois sont liés à l’opération du port, à ce qu’on nous dit.

Je ne suis pas spécialiste de la Charte; j’écoute donc ceux qui le sont. Cela dit, en ce qui concerne la Charte, nous avons aussi entendu que l’examen ne se limite pas aux répercussions économiques du conflit. Comme il en a été aussi question dans l’énoncé concernant la Charte que le gouvernement a présenté, des témoins nous ont dit aujourd’hui que le port est une porte d’entrée importante pour l’importation de produits essentiels en conteneurs, dont des fournitures médicales, des produits pharmaceutiques, des aliments et des intrants cruciaux pour les industries agroalimentaires du Québec et de l’Ontario. Il ne fait donc aucun doute que les répercussions dépassent les dommages strictement économiques.

Je ne trouve pas que c’est une décision facile à prendre. J’aime toujours mieux les ententes négociées parce qu’elles sont préférables pour tous les intéressés. Cependant, honorables collègues, une telle solution ne semble pas très probable en l’occurrence. Dans ce cas, le projet de loi C-29 établirait un processus de règlement des différends équilibré, dans le cadre duquel des efforts seraient déployés pour aider les parties et le médiateur-arbitre à parvenir à un consensus. Nous espérons que c’est ce qui se passerait. En l’absence d’un tel consensus, la ministre nommerait toutefois un médiateur-arbitre, probablement à partir d’une liste dressée conjointement, au fil du temps, par l’association patronale et le syndicat. Le médiateur-arbitre aurait ensuite 90 jours pour déposer son rapport, à moins qu’il obtienne une prolongation de la ministre.

Nous aimerions tous que le conflit se règle. Même si je conviens qu’il est peu probable que cela se produise, un règlement par médiation n’est pas complètement impossible.

Je signale que l’arbitrage des propositions finales était l’une des options offertes au médiateur-arbitre dans la version initiale du projet de loi, mais que cette option a été supprimée par l’adoption d’un amendement à la Chambre des communes.

En terminant, je dirais que l’arbitrage des propositions finales rend un peu moins prévisibles les processus d’arbitrage normaux. Cela ajoute un élément de risque et donne au médiateur-arbitre un moyen supplémentaire d’aider les parties à s’entendre ou au moins de réduire les sources de différends. C’est l’un des outils accessibles aux tiers indépendants qu’il vaut la peine d’essayer.

Je ne vais pas poursuivre cette discussion plus longtemps qu’il ne le faut. En conclusion, je vais appuyer le projet de loi tel qu’il a été amendé à la Chambre des communes. Merci.

L’honorable Michael L. MacDonald : Honorables sénateurs, j’ai écouté ce débat avec un esprit ouvert. J’ai écouté les témoignages présentés aujourd’hui. Je ne suis pas intervenu, mais j’aimerais maintenant faire quelques observations.

Qu’est-ce que les témoins nous ont appris aujourd’hui? On nous a répété que nous devions adopter cette mesure législative en raison de la situation liée à la COVID. Nous devons bien entendu veiller à ce que les fournitures médicales parviennent à destination, mais il s’agit là d’une fausse justification. Il est évident que nous souhaitons que les fournitures médicales parviennent à destination. Le syndicat a dit qu’il veillerait à ce qu’elles soient traitées sans exception. De toute façon, les fournitures les plus urgentes seraient expédiées par avion. Par conséquent, tenir des propos alarmistes au sujet de la COVID ne constitue pas, à mon avis, un argument valable ou convaincant.

On nous dit également qu’il s’agit d’un service essentiel. C’est certainement un service important, mais est-il essentiel? Les autorités compétentes ont déjà déterminé qu’il ne s’agit pas d’un service essentiel. Il existe des ports de rechange à celui de Montréal dans l’Est du Canada. Je rappelle aux honorables sénateurs que le port de Saint John, au Nouveau-Brunswick, peut accueillir tout navire normalement accueilli par celui de Montréal, et que celui d’Halifax, en Nouvelle-Écosse, peut accueillir les plus grands navires au monde, des navires que le port de Montréal ne peut accueillir. De plus, tous ces ports sont desservis par des chemins de fer. Rien n’est déchargé à Montréal puis expédié depuis Montréal qui ne peut être déchargé à Halifax ou à Saint John puis expédié depuis Halifax ou Saint John par train ou par camion. Ainsi, l’argument selon lequel ce port est essentiel n’est, encore là, pas très convaincant.

Si le Canada avait une politique et un système de transport adéquats, tirant profit du port de Saint John et des trois ports en eau profonde de la Nouvelle-Écosse, nous ne nous retrouverions pas dans cette situation aujourd’hui, n’est-ce pas?

Évidemment, il est fort intéressant d’entendre l’establishment libéral, lui qui adore vanter les mérites de la Charte des droits et libertés, faire fi de celle-ci quand elle ne fait plus son affaire.

Il est également très amusant de regarder le sénateur Gold et les sympathisants du gouvernement bien embarrassés par ce mépris flagrant de droits qui sont pourtant protégés par la Charte dans ce cas-ci. Je me demande où sont passés tous les défenseurs de la justice sociale. Tous les bolcheviks ont disparu du Sénat.

Évidemment, il faut cependant se préoccuper des emplois. Bien sûr qu’il le faut. Or, qui s’en préoccupait, lors de la dernière législature, lorsque les projets de loi C-48 et C-69 ont été adoptés et que des centaines de milliers d’emplois ont été supprimés en Saskatchewan et en Alberta, et que personne de ce côté-ci du pays n’en a parlé? D’où la question : pourquoi les emplois de la grande région de Montréal sont-ils plus importants que les milliers d’emplois dont je viens de parler? Je crois que tous les emplois au Canada sont importants.

Je trouve tout à fait contestable de demander à des débardeurs d’être de garde 19 jours sur 21. Le prolongement de leurs heures serait justifié s’ils étaient dans un chantier ou dans une région éloignés, mais pas dans le cas présent.

Cela me fait penser au père de ma mère, que je n’ai jamais connu. Il est mort en 1947, à l’âge de 74 ans. Pendant les 15 dernières années de sa vie, il a vécu avec un pied à moitié amputé, parce qu’il avait des quarts de travail de 12 heures et qu’il devait parfois faire deux quarts de travail de suite lorsqu’il travaillait à charger du charbon. Fatigué et épuisé, il a vu le train passer sur son pied. C’est ce qui arrive lorsqu’on a de longs quarts de travail dans des conditions dangereuses.

Il est évident que l’Association des employeurs maritimes savait que le gouvernement allait la sortir d’affaire et qu’elle n’a donc pas jugé nécessaire de trouver une solution. Elle a continué son petit bonhomme de chemin, sachant que le gouvernement s’occuperait d’elle.

Je comprends les préoccupations économiques des gens. Si seulement les préoccupations économiques étaient traitées aussi sérieusement dans d’autres régions du Canada que dans cette situation particulière. Je ne pense pas que la situation à Montréal a été très bien gérée. Par conséquent, je n’appuierai pas le projet de loi et j’encourage les sénateurs à faire de même. Merci.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, je tiens moi aussi à participer au débat et je serai bref.

Je dirais que la principale émotion que je ressens aujourd’hui à l’égard du projet de loi est le découragement. Je suis découragé parce que, au milieu d’une pandémie mondiale qui a causé tant de difficultés à tant de Canadiens, nous sommes obligés de nous attaquer à un problème qui aurait pu — et aurait dû — être évité.

Il ne fait aucun doute que la situation au port de Montréal nuira non seulement au port lui-même et aux personnes qui y travaillent, mais aussi à l’ensemble des personnes et des entreprises qui en dépendent ainsi qu’à l’économie du Québec, voire de tout le Canada.

(2050)

J’estime toutefois que la situation aurait pu être évitée. En ce sens, je suis découragé que le gouvernement ne semble pas savoir ce que signifie l’expression « régler un problème de manière proactive ».

Je dis cela parce que ce conflit sévit au port de Montréal depuis plusieurs années, que la négociation collective est en cours depuis septembre 2018 et qu’il y a eu des arrêts de travail l’année dernière pendant les premiers mois de la pandémie. Pourtant, le gouvernement n’a aucunement réussi à maîtriser la situation et à prévenir le problème auquel nous sommes confrontés aujourd’hui, soit une grève extrêmement dommageable pour toutes les parties concernées.

À chaque étape, le gouvernement a réagi aux événements au fur et à mesure qu’ils se produisaient. Bien entendu, il a nommé des conciliateurs et des médiateurs sur une période de deux ans et demi. Ces médiateurs et conciliateurs ont travaillé avec le syndicat et l’employeur et facilité plus de 100 séances de négociation par médiation.

Cependant, avant le récent arrêt de travail, le syndicat avait quand même organisé cinq grèves distinctes, dont une grève générale illimitée de 11 jours en août 2020. Toutes ces pressions syndicales et la médiation ont eu peu d’effet sur la négociation et sur les démarches visant à trouver une solution. Pourtant, le gouvernement ne s’est pas rendu compte de l’insolubilité du problème et de la nécessité de le régler en pleine pandémie mondiale, alors qu’il était vital de maintenir le plus possible le commerce et l’approvisionnement en fournitures essentielles.

Chers collègues, cet après-midi, j’ai demandé à la ministre si elle avait parlé de la situation avec le premier ministre, qui est député d’une circonscription de Montréal, la ville la plus touchée par cette crise, et je lui ai demandé ce que ce dernier avait fait à ce sujet. Elle n’avait pas de réponse pour moi. Le premier ministre est resté les bras croisés au lieu d’agir proactivement et énergiquement pour résoudre le problème. Par conséquent, aucune action décisive n’a été prise pour éviter les importants arrêts de travail qui se produisent actuellement.

Quelles sont certaines des conséquences de cette inaction? On en a déjà parlé, mais laissez-moi en répéter quelques-unes.

De façon plus immédiate, la grève générale illimitée qui a commencé le 26 avril a interrompu la circulation de 270 millions de dollars de marchandises chaque semaine. La grève menace directement le gagne-pain d’environ 19 000 Canadiens, dont le travail dépend du port. La grève cause des dommages à l’économie canadienne d’une valeur d’environ 40 à 100 millions de dollars par semaine. Plus la grève durera longtemps, plus il y aura de dommages, et pourtant, des sénateurs disent qu’ils n’appuieront pas la mesure législative et qu’ils laisseront ce genre de problèmes économiques coûteux perdurer.

Essentiellement, le problème que nous avons actuellement est que les perturbations économiques causées par la grève sont tellement importantes que, même quand cette dernière sera terminée, la reprise prendra sans doute beaucoup de temps.

Nous savons que l’arrêt de travail de l’an dernier a coûté 600 millions de dollars aux Canadiens. Le volume d’affaires qui passait par le port de Montréal a chuté de près de 10 %. Selon des fonctionnaires qui ont offert une séance d’information aux sénateurs cette semaine, ces pertes pourraient être permanentes, puisque de nombreuses entreprises font désormais passer leurs marchandises par des ports de la côte Est des États-Unis plutôt que par Montréal. C’est donc dire que les pertes permanentes subies l’an dernier risquent probablement de s’aggraver.

Selon un article paru récemment dans le Financial Post, la grève affaiblit encore la crédibilité du Canada à titre de pays manufacturier concurrentiel et doté d’une infrastructure commerciale fiable. L’an dernier, il a fallu trois mois pour rattraper les retards causés par l’arrêt de travail et les perturbations qu’il a entraînées.

Je n’ai pas besoin d’expliquer aux sénateurs les conséquences d’un tel retard dans certains secteurs, comme le secteur agricole. Le port de Montréal traite chaque année près de 900 millions de dollars de produits agricoles conteneurisés. Les producteurs agricoles canadiens savaient très bien que, si l’accès à ce port essentiel était interrompu, les conséquences seraient dévastatrices.

Voici un exemple. Des milliers de tonnes d’engrais importés, dont les agriculteurs ont besoin, passent par le port de Montréal. Des parlementaires de la Chambre des communes ont souligné que, si cette grève se poursuit, jusqu’à un million d’acres de terres de l’Est canadien risquent de ne pas être fertilisées.

Les sérieuses préoccupations concernant la fermeture possible du port de Montréal ont été soulevées à la Chambre par les députés conservateurs, pas plus tard que le mois dernier. Il ne fait donc aucun doute que le gouvernement était au courant du problème. Pourtant, aucune mesure concrète n’a été prise, malgré les arrêts de travail qui ont eu lieu au port l’an dernier.

Dans l’énoncé concernant la Charte que le gouvernement a lui-même produit au sujet du projet de loi, celui-ci soutient que le projet de loi est justifié parce que « la reprise et le maintien des activités portuaires sont importants pour l’ensemble de l’économie canadienne ».

Dans l’énoncé, on affirme :

Le projet de loi empêcherait des préjudices économiques persistants et importants aux entreprises canadiennes, aux employés et à ceux qui dépendent de leurs services.

On y ajoute que « ces préjudices sont aggravés par la pandémie de Covid-19 [...] » et que « de grandes entreprises ont commencé à détourner des marchandises du port [...] »

Tous ces motifs juridiques pour le projet de loi étaient présents et apparents bien avant la grève actuelle. Ils étaient manifestes durant la grève de l’an dernier, qui est survenue également durant la pandémie. Et pourtant, le gouvernement semble avoir été vaincu par l’inertie. Il aurait pu au moins redoubler ses efforts de médiation auprès des deux parties. Il aurait dû s’impliquer beaucoup plus activement et se montrer résolu à ne pas laisser la situation se détériorer au point d’en arriver à un arrêt de travail. Les ministres eux-mêmes auraient dû s’impliquer directement.

Tous les sénateurs dans cette enceinte appuient sans réserve le droit à la négociation collective. Cependant, le gouvernement a aussi comme devoir fondamental de protéger l’économie et l’ensemble des travailleurs et des entreprises du pays pendant la période des plus exceptionnelles que nous vivons actuellement.

La Cour suprême du Canada a elle-même établi que le droit d’association peut être limité quand il est question de services essentiels. Ces limites peuvent être particulièrement nécessaires dans des situations « d’une urgence nationale extrême, mais seulement pendant une période limitée ».

Je crois que peu de gens diraient que la situation actuelle n’est pas d’une urgence nationale extrême. Ce qui m’inquiète énormément, c’est que la façon dont le gouvernement est en train de gérer la crise qui touche actuellement le port de Montréal ressemble à l’approche qu’il adopte de façon générale à l’égard d’un grand nombre de problèmes découlant de la pandémie mondiale. Le gouvernement réagit constamment aux événements à mesure qu’ils se produisent. On pouvait peut-être le lui pardonner pendant les premières semaines de la crise, mais c’est complètement injustifiable maintenant.

Depuis le début de la crise, le gouvernement a rarement pris des mesures proactives qui lui auraient permis de prendre de l’avance. Je pense que c’est pour cela que la plupart des Canadiens ne sont toujours pas vaccinés et que le gouvernement tente essentiellement de régler ces problèmes en empruntant et en dépensant le plus d’argent possible.

Au sujet de la grève au port de Montréal, tout ce que le gouvernement peut faire maintenant, c’est de tenter désespérément de fermer la porte de l’écurie après que le cheval s’est enfui. Le gouvernement a affirmé que le projet de loi permettrait de mettre un frein aux dommages causés à l’économie du Canada, qui est déjà fragilisée en raison de la pandémie de COVID-19.

Sauf que la réalité, honorables collègues, c’est que le mal est déjà fait. Tout ce que le gouvernement peut faire maintenant, c’est de tenter de limiter les dommages.

(2100)

Le gouvernement a dit que la solution proposée dans le projet de loi fournira au syndicat et à l’employeur un processus neutre pour enfin résoudre le conflit qui les oppose depuis plusieurs années et établir une nouvelle convention collective équitable.

Pourquoi donc le gouvernement a-t-il attendu la crise actuelle pour prendre une telle mesure? Au sujet de la crise au port de Montréal, Perrin Beatty, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Canada, a dit ce qui suit :

La crainte d’une deuxième grève en sept mois a perturbé les chaînes d’approvisionnement de l’ensemble des secteurs d’activité et entravé la relance économique du Canada en cette période de grave récession.

Nous pressons tous les membres du Parlement d’adopter rapidement le projet de loi afin de prévenir les lourdes conséquences d’une grève sur la situation de l’emploi et sur la relance économique du Canada.

Honorables collègues, je suis aussi d’avis qu’il faut agir. Je voterai également pour ce projet de loi. J’aurais simplement voulu qu’une telle mesure soit prise beaucoup plus tôt. Merci, honorables collègues.

L’honorable Marilou McPhedran : Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont contribué à ce débat très important. J’ai écouté très attentivement les interventions. J’apprécie particulièrement le point de vue exprimé par la sénatrice Lankin.

Je veux résumer rapidement les arguments qui éclairent la façon dont je vais voter. Pour ce qui est de la sécurité et du matériel médical essentiel, les arguments liés à la COVID-19 et à la pandémie ne tiennent pas la route. Les syndicats ont toujours été disposés à ne pas viser, dans le cadre de leur grève, les cargaisons de matériel médical pour lutter contre la pandémie. De surcroît, la très grande majorité du matériel pour lutter contre la pandémie est transportée par voie aérienne et non par voie maritime.

Différentes personnes aujourd’hui ont parlé de l’affaire Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, dans laquelle la Cour suprême a statué que le droit de grève était protégé par la Charte canadienne des droits et libertés et qu’il constituait un élément essentiel de tout processus de négociation collective efficace dans le système de relations de travail. Ce droit n’est pas seulement un dérivé de la négociation collective, mais une composante indispensable de celle-ci. La grève est un instrument puissant de la négociation collective. Lorsque les négociations de bonne foi échouent, le fait de pouvoir interrompre collectivement les services permet aux travailleurs de continuer de participer activement à l’atteinte de leurs objectifs collectifs en milieu de travail.

Honorables sénateurs, il est certes vrai qu’aucun droit garanti par la Charte n’est absolu. Cependant, les conditions nécessaires pour déroger à ce droit ne sont pas présentes. La Cour suprême a rendu par le passé plusieurs décisions reconnaissant les valeurs consacrées par la Charte — y compris la dignité humaine, l’égalité, la liberté, le respect de l’autonomie de la personne et le renforcement de la démocratie — et protégeant le droit à un processus véritable de négociation collective dans le cadre de l’alinéa 2d) de la Charte.

Le droit de grève est un élément essentiel de la concrétisation de ces valeurs et du processus de négociation collective parce qu’il permet aux travailleurs de se retirer collectivement du travail quand la négociation collective aboutit à une impasse. Les grèves permettent alors aux travailleurs de refuser, de manière concertée, de travailler dans les conditions imposées. Cette action collective lors d’une impasse représente une affirmation des valeurs mentionnées plus tôt.

Je remercie le sénateur MacDonald d’avoir souligné si clairement le coup de force effectué par l’employeur, et la façon dont cela lui a profité.

Le Canada est signataire d’instruments internationaux qui garantissent le droit de grève. Le droit international protège le droit de grève, c’est un fait. Compte tenu du contexte historique et international et de la jurisprudence, il est clair que la capacité de cesser collectivement d’offrir un service dans le cadre de la négociation d’une entente constitue un minimum incompressible du respect de la liberté d’association en matière de relations de travail au Canada, comme le garantit l’alinéa 2d) de la Charte.

La Convention no 98 de l’Organisation internationale du travail mentionne, à l’article 4, ceci :

Des mesures appropriées aux conditions nationales doivent, si nécessaire, être prises pour encourager et promouvoir le développement et l’utilisation les plus larges de procédures de négociation volontaire de conventions collectives entre les employeurs et les organisations d’employeurs d’une part, et les organisations de travailleurs d’autre part, en vue de régler par ce moyen les conditions d’emploi.

Le Canada n’a ratifié cette convention qu’en 2017, ce qui signifie que le gouvernement actuel est bien au fait de ces obligations.

Enfin, l’argument voulant que ces services soient essentiels et que cela justifie de suspendre le droit de grève a clairement été rejeté. Dans sa décision, le Conseil canadien des relations industrielles l’affirme clairement :

En l’espèce, les risques imminents et graves pour la santé et la sécurité du public liés au déroutage des navires, advenant la cessation des activités de débardage au Port de Montréal, n’ont pas été démontrés.

Le conseil ajoute ensuite :

Il est indéniable qu’une grève des débardeurs au Port de Montréal, voire un simple ralentissement des activités, aura des conséquences certaines pour tous les intervenants de la chaîne logistique dont fait partie le Port de Montréal. Les lignes maritimes, les compagnies de logistique, les fabricants, les distributeurs, les réseaux de chemin de fer, l’industrie du camionnage et les destinataires en seront affectés à divers degrés, et des augmentations des coûts de transport et, possiblement, des droits de douane se feront sentir.

Chers collègues, nous avons entendu ces arguments formulés durant notre débat et j’estime très important que nous reconnaissions le fait que le conseil poursuit ainsi :

[...] dans ses décisions antérieures en matière de services essentiels, [le Conseil a indiqué] que le droit de grève est protégé par le Code, au même titre que le droit de lock-out. Ces droits sont exercés par une partie engagée dans un conflit de travail afin d’exercer des pressions économiques sur la partie adverse et de l’inciter à conclure une convention collective.

Le fait de maintenir les services de débardage dans leur intégralité comme le demande l’employeur, advenant le déclenchement d’une grève — et ce, sans une preuve directe et convaincante que ce niveau de service correspond aux exigences de l’article 87.4 du Code — rendrait inefficace l’exercice du droit de grève [...]

La liberté de négocier collectivement est gravement compromise si les employés ne peuvent pas exercer leur droit de grève pour faire contrepoids à la puissance économique de l’employeur.

En conséquence, le Conseil est d’avis que la preuve est insuffisante pour qu’il accueille la demande présentée par l’employeur afin que soit maintenue la totalité des services de débardage [...] Le Conseil n’est pas convaincu, à la lumière de la preuve présentée, qu’il serait nécessaire de maintenir toutes les activités de débardage, tel que le demande l’employeur [...]

En résumé, honorables sénateurs, ceux dont la responsabilité est de réglementer l’industrie ont bien réfléchi à la question, ils ont pris une décision très récemment, et rien de nouveau n’a été proposé dans le projet de loi dont nous sommes saisis. Pour ces raisons, j’appuie le droit de grève et je vais voter contre le projet de loi. Je vous remercie, meegwetch.

Des voix : Le vote!

[Français]

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

[Traduction]

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté, avec dissidence.)

(2110)

Les travaux du Sénat

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, conformément à l’article 16-1(8) du Règlement et à l’ordre adopté plus tôt aujourd’hui, j’avise le Sénat qu’un message de la Couronne concernant la sanction royale est attendu plus tard aujourd’hui.

[Français]

L’ajournement

Adoption de la motion

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné plus tôt aujourd’hui, propose :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au mardi 4 mai 2021, à 14 heures.

— Honorables sénateurs, je propose l’adoption de la motion inscrite à mon nom.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

[Traduction]

Les travaux du Sénat

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je demande le consentement pour qu’il soit réputé que les affaires du gouvernement restantes soient considérées avoir été appelées et reportées.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(La séance du Sénat est suspendue.)

(Le Sénat reprend sa séance.)

(2150)

[Français]

La sanction royale

Son Honneur la Présidente intérimaire informe le Sénat qu’elle a reçu la communication suivante :

RIDEAU HALL

Le 30 avril 2021

Monsieur le Président,

J’ai l’honneur de vous aviser que le très honorable Richard Wagner, administrateur du gouvernement du Canada, a octroyé la sanction royale par déclaration écrite au projet de loi mentionné à l’annexe de la présente lettre le 30 avril 2021 à 21 h 34.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma haute considération.

Le secrétaire du gouverneur général,

Ian McCowan

L’honorable

Le Président du Sénat

Ottawa

Projet de loi ayant reçu la sanction royale le vendredi 30 avril 2021 :

Loi prévoyant la reprise et le maintien des opérations au port de Montréal (projet de loi C-29, chapitre 6, 2021)

(À 21 h 54, conformément à l’ordre adopté par le Sénat le 30 avril 2021, le Sénat s’ajourne jusqu’au mardi 4 mai 2021, à 14 heures.)

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