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Débats du Sénat (Hansard)

2e Session, 43e Législature
Volume 152, Numéro 43

Le mardi 1er juin 2021
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le mardi 1er juin 2021

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

Déclaration de la présidence

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, la semaine dernière, nous avons appris que les restes de 215 enfants autochtones ont été découverts sur les lieux d’un ancien pensionnat à Kamloops, en Colombie-Britannique.

Cette pénible découverte est un rappel consternant de l’héritage extrêmement troublant du système de pensionnats du Canada, et de l’importance de la réconciliation avec nos peuples autochtones.

Au nom de tous les sénateurs, je tiens à exprimer notre tristesse, et tous nos espoirs et nos vœux pour que ces enfants, leurs familles et tous ceux dont la vie a été tragiquement touchée par les pensionnats retrouvent la paix.

J’invite les honorables sénateurs à se lever pour observer une minute de silence en leur mémoire.

(Les honorables sénateurs observent une minute de silence.)

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, après discussion, il y a eu entente pour qu’un représentant du gouvernement et de chaque parti et groupe fasse maintenant une déclaration.

Le pensionnat autochtone de Kamloops

La découverte des restes d’enfants autochtones sur les lieux—Hommages

L’honorable Patti LaBoucane-Benson : Honorables sénateurs, aujourd’hui, nous commémorons et pleurons collectivement la mort de 215 enfants autochtones découverts dans une fosse commune à l’extérieur d’un pensionnat, à Kamloops, en Colombie-Britannique.

Chers collègues, souvent, dans les cérémonies, les aînés autochtones nous rappellent que les enfants ne sont pas notre possession, mais plutôt un cadeau précieux du Créateur. Notre devoir sacré consiste à les aimer et à en prendre soin, à les protéger des préjudices et à les soutenir à toutes les étapes de leur vie.

La réalité, c’est que, pendant plus d’un siècle, 150 000 enfants autochtones ont été enlevés à leur famille et forcés de vivre dans des pensionnats exploités par l’Église et sanctionnés par la Loi sur les Indiens.

Non seulement cette pratique a privé les enfants de l’amour de leur famille, de leur langue et de leur identité, elle a privé les adultes de l’occasion d’accomplir leur devoir le plus sacré envers le Créateur : élever leurs enfants.

Aujourd’hui, nous reconnaissons la douleur et le traumatisme que la découverte de cette fosse commune fait revivre au peuple Tk’emlúps te Secwépemc ainsi qu’à d’autres peuples des Premières Nations et des communautés métisse et inuite au pays. Nous sommes conscients qu’il s’agit probablement d’une seule des nombreuses découvertes de fosses communes à venir. Nous sommes conscients que les enfants décédés étaient probablement terrifiés. S’ils étaient malades, ils ont probablement souffert dans la solitude. Ils ont quitté ce monde sans le réconfort de leurs parents, de leurs grands-parents, de leurs tantes et de leurs oncles.

Honorables sénateurs, il nous faut aussi saluer les enfants qui ont survécu. Un grand nombre d’entre nous ont entendu les souvenirs traumatiques de survivants contraints de creuser les tombes de leurs camarades de classe, de frères, de sœurs et de cousins, contraints de pleurer seuls la perte de leur famille. Les chuchotis de la violence à l’école, de la mort et du désespoir sont transmis d’une génération à l’autre.

Nous reconnaissons que ne pas informer les familles, laissées dans le doute de ce qui avait bien pu arriver à leurs enfants qui ne devaient jamais être revus chez eux, était tout à fait indigne. On les a privées de la tranquillité d’esprit qui leur aurait permis de faire leur deuil et d’accepter la disparition de leurs enfants. Le deuil et le sentiment de perte qui se transmettent d’une génération à l’autre au sein des familles autochtones restent ce qui est le plus lourd à porter dans ce traumatisme historique.

Le 1er juin marque le début du Mois national de l’histoire autochtone. Ce devrait être l’occasion de célébrer la culture, la langue, la résilience et la résistance des Autochtones. Au lieu de cela, nous nous retrouvons à chercher à prendre des nouvelles de nos amis et de notre famille, en espérant que leur chagrin et leur désespoir ne les emportent pas.

La découverte de ce qui reste des corps terrestres des enfants est un rappel brutal qu’il ne faut jamais oublier les enfants qui ont souffert et ceux qui sont morts dans les pensionnats, qu’il faut être plus attentifs à la façon dont ce traumatisme se manifeste dans les communautés, qu’il faut soutenir les initiatives communautaires de guérison des traumatismes historiques qui sont adaptées à la culture et qu’il faut favoriser les cérémonies qui nous aident à surmonter ce chagrin, cette perte et ce désespoir. Cela nous rappelle que nous avons tous un rôle à jouer dans la guérison et la réconciliation si nous voulons surmonter notre douleur collective. Hiy hiy.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends aussi la parole au sujet de l’horrible découverte des restes de 215 enfants qui sont morts au pensionnat autochtone de Kamloops. Nous parlons d’enfants, honorables collègues : 215 vies précieuses ont pris fin beaucoup trop tôt. Toute vie humaine a une valeur intrinsèque, et je suis atterré par la découverte de ces 215 corps. Je suis consterné que les pensionnats autochtones constituent un chapitre bien réel et très sombre de l’histoire de notre pays, un sentiment que nous devrions tous partager.

Je ne pourrai jamais comprendre pleinement la douleur que vivent les survivants des pensionnats autochtones et les familles touchées.

Cette découverte nous rappelle que notre examen collectif du passé est un processus continu. Il ne suffit pas de chercher la vérité une fois; il faut le faire constamment. À mon avis, les excuses officielles que l’ancien premier ministre Stephen Harper a présentées aux survivants des pensionnats autochtones en 2008 représentaient une importante première étape pour jeter les bases du processus de réconciliation avec les peuples autochtones.

Puis, en 2015, le rapport final de la Commission de vérité et réconciliation a montré ce que les peuples autochtones savaient déjà : des milliers d’enfants autochtones ont perdu la vie à la suite de malnutrition, de maladies et de mauvais traitements dans les pensionnats du Canada.

Il pourrait y avoir jusqu’à 6 000 enfants qui sont morts dans ces pensionnats. Cela dit, la quantification des décès ne diminue en rien l’aspect tragique de ce lieu d’inhumation oublié à Kamloops. La découverte faite à Kamloops raconte une tragédie qui secoue tous les Canadiens en ce moment. Elle rappelle aussi des souvenirs douloureux aux personnes qui ont été directement touchées par le système des pensionnats autochtones.

(1410)

En cherchant à faire la lumière sur notre passé, nous ne devons pas laisser l’espoir de nous réconcilier s’éteindre. Il faut continuer de faire face aux moments douloureux de notre histoire collective. Nous devons aux familles qui ont perdu des enfants par la faute du système des pensionnats autochtones et aux survivants de ces pensionnats de poursuivre nos efforts collectifs afin de raviver l’espoir dans l’avenir.

Au nom de l’opposition au Sénat, j’offre nos condoléances, nos pensées et nos prières aux personnes, aux familles et aux communautés autochtones qui souffrent et qui pleurent les disparus. Je me joins à tous mes collègues dans cette enceinte pour observer un moment de silence afin d’honorer la vie et de pleurer la mort de 215 enfants.

Prenons un moment pour honorer leur mémoire. J’espère que ce geste de respect sera source d’un modeste réconfort en cette période difficile. Merci.

L’honorable Dan Christmas : Honorables sénateurs, c’est avec grande tristesse que j’interviens aujourd’hui pour parler de la tragédie incommensurable de la semaine dernière, c’est-à-dire la découverte des tombes des jeunes innocents qui ont péri dans le pensionnat indien de Kamloops en Colombie-Britannique.

Je prends la parole au nom du Groupe des sénateurs indépendants et je remercie le sénateur Woo de me donner l’occasion de le faire. Je vous assure que cela ne sera facile pour aucun d’entre nous. Je ne cherche pas à susciter la colère ou à désigner des coupables, mais je voudrais qu’en jetant un regard sur notre passé, nous prenions conscience des événements tragiques qui jalonnent notre histoire et qui ont façonné notre pays. Nous devons avoir le courage de regarder cette réalité en face.

Pensez aux 215 enfants : les 215 avenirs jamais réalisés, les 215 âmes qui auraient pu changer leur nation, voire le Canada, si leur vie avait été épargnée et si on avait respecté leurs droits et leurs libertés d’êtres humains dont la vie a une valeur égale à celle des autres.

Au lieu de cela, la politique publique de notre pays, soit la Loi sur les Indiens qui a été adoptée en 1876 par le Parlement où nous siégeons aujourd’hui, a fait en sorte que le Canada n’a jamais bénéficié de l’apport de ces personnes et ne les a pas valorisées.

Aujourd’hui, le Canada est balayé par un raz-de-marée de larmes, que nous devons laisser couler. Notre peuple, mon peuple et, oui, votre peuple — vu que c’est ce qu’il est et que c’est ce que nous sommes — sont accablés par le deuil et le chagrin. Nous pleurons la perte de nos bébés, de nos anges, de notre culture et de nos libertés, la rupture avec nos terres et nos traditions ainsi que la façon dont nous devons sans cesse nous battre pour convaincre le Canada qu’il doit comprendre, reconnaître et accepter qui nous sommes ainsi que les aspirations que nous continuons de vouloir réaliser.

Nous vous demandons instamment de comprendre que nous devons collaborer pour confirmer que, dans ce cas-ci, l’existence de cette politique a clairement coûté des vies — la vie de jeunes enfants sans défense et terrifiés. Pensez-y, chers collègues. Pensez à eux et rappelez-vous que tout le monde laisse une empreinte dans ce monde, peu importe sa taille. Soyons l’empreinte de ces enfants. Soyons leur voix.

Honorables sénateurs, je nous exhorte à agir et à informer le premier ministre et Marc Miller, ministre des Services aux Autochtones, que nous devons immédiatement accorder des fonds supplémentaires aux services actuels de soutien en santé mentale dans les communautés autochtones. Nous avons besoin de plus qu’une ligne d’aide téléphonique pour composer avec cette tragédie. À tout le moins, nous avons besoin de cercles de partage en ligne avec du soutien en santé mentale. Il s’agit du strict minimum.

Un auteur bien connu a dit que les larmes doivent se traduire en mots. À titre de sénateurs, versons ces larmes de douleur. Traduisons-les en mots et adoptons les mesures qui s’imposent pour mettre fin à ces pertes de vie horribles et tragiques directement attribuables à une politique gouvernementale que le Canada avait adoptée dans le passé.

Je pourrais évoquer au moins 215 bonnes raisons de prendre de telles mesures, de faire changer les choses, de rompre avec les pratiques passées et de nous employer à faire mieux. Les 215 âmes de ces petits anges et leur souvenir ne méritent rien de moins.

Wela’lioq.Merci.

L’honorable Scott Tannas : Cette découverte est innommable. Pourtant, nous devons en parler.

Les voix de 215 petits anges se sont jointes au chœur des voix qui exhorte les Canadiens à chercher la vérité et à comprendre la monstrueuse tragédie qui s’est déroulée au Canada pendant des décennies. Des enfants ont été enlevés à leur famille et envoyés loin de leur milieu et bon nombre d’entre eux ne sont jamais revenus car ils sont morts apeurés et seuls, sans la présence de leur mère et de leur père pour les réconforter.

Le Canada ne sera jamais le pays que nous souhaitons tant que nous ne reconnaîtrons pas ce chapitre de notre histoire. Nous devons faire le nécessaire pour assurer la réconciliation.

Les héros de la Commission de vérité et réconciliation, ceux qui ont témoigné de la souffrance qu’ils ont vécue et ceux qui les ont écoutés avec courage, ont formulé des appels à l’action clairs dont les résultats sont mesurables.

Pour bon nombre de Canadiens, aujourd’hui est le premier jour de la marche vers la réconciliation. Des Canadiens de toutes les couches de la société et de toutes les confessions et origines raciales ont le cœur lourd, mais sont prêts à passer à l’action.

Que devons-nous faire? Ce soir, avant de m’endormir dans mon lit confortable et sécuritaire, dans ce pays riche et plein de promesses, je lirai les 94 appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Je vais en sélectionner un, et je m’emploierai à y donner suite. Quand ce sera fait, j’en choisirai un autre, et ainsi de suite. En tant que Canadien, c’est de cette façon que j’ai l’intention d’agir et de suivre la voie de l’honneur. C’est comme cela que j’honorerai les enfants perdus du pensionnat de Kamloops et les nombreux autres anges dont je crois que nous entendrons bientôt la voix. Merci.

L’honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, je souhaite tout d’abord souligner que je participe au débat à partir de Mi’gma’ki, territoire ancestral du peuple mi’kmaq.

Je joins aujourd’hui ma voix à celle des gens qui ont déjà réagi à la tragique découverte faite la semaine dernière, celle des restes de 215 enfants, dont certains n’avaient que trois ans — trois ans à peine — et qui ont été enterrés dans des tombes anonymes sur le terrain de l’ancien pensionnat autochtone de Kamloops, en Colombie-Britannique.

Pour bon nombre d’entre nous, les atrocités qui se sont produites semblent impensables, surtout quand les personnes touchées sont les êtres les plus vulnérables de la société, les enfants. Pour beaucoup de membres des communautés des Premières Nations, métisses et inuites, cette nouvelle a toutefois rouvert une ancienne blessure qui n’était pas encore guérie. Les traumatismes et les souffrances que ces communautés ont subis ne sont pas qu’un sombre chapitre de notre histoire : il s’agit d’une réalité quotidienne et incarnée des peuples autochtones.

Honorables sénateurs, nous devons redoubler d’efforts pour remédier à ces torts grâce à des gestes concrets et durables. Il est particulièrement crucial que les personnes non autochtones participent activement à la réconciliation. Nous devons ménager un espace pour écouter les voix des populations des Premières Nations, métisses et inuites, mais écouter ne suffit pas, honorables sénateurs.

Nous devons reconnaître qu’il faut plus que des mots pour donner suite à la douleur que nous avons ressentie à la découverte de ces 215 enfants innocents qui ont été retirés à leur famille et ne sont jamais retournés chez eux. Le travail de la Commission de vérité et réconciliation trace la voie à suivre pour les prochaines étapes. Les gestes que nous poserons contribueront davantage à la vérité, à la guérison et à la réconciliation que des paroles ne pourraient le faire.

(1420)

Honorables sénateurs, nous devons honorer la vie de ces 215 enfants et déplorer, comme le reste de la société, les circonstances de leur décès. Cependant, nous devons aussi assumer notre part de responsabilité et nous engager à faire le travail requis pour parvenir à une véritable réconciliation. J’abonde dans le sens des dirigeants autochtones nous exhortant à donner suite aux recommandations de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, y compris en fouillant tous les terrains des pensionnats autochtones pour nous assurer qu’on n’y trouve pas d’autres restes de personnes autochtones.

Au nom du Groupe progressiste du Sénat, j’offre mes sincères condoléances aux familles et aux communautés des 215 enfants trouvés en Colombie-Britannique, ainsi qu’à tous les Autochtones dont la vie a été touchée par les pensionnats autochtones. Nous vous voyons, nous vous entendons, et nous vous offrons notre soutien.

Honorables sénateurs, nous pouvons et devons faire mieux. Merci.


DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Le pensionnat autochtone de Kamloops

La découverte des restes d’enfants autochtones

L’honorable Mary Jane McCallum : Je remercie le sénateur Rob Black et la sénatrice Martin de m’avoir offert leur temps de parole aujourd’hui. Honorables sénateurs, il s’agit d’une déclaration intergénérationnelle.

Une fosse commune d’enfants — des fils, des filles, des frères et sœurs, des petits-enfants, des leaders potentiels et des agents de changement —, un génocide d’enfants qui n’ont jamais eu l’occasion de vivre leur vie pour la simple raison qu’ils étaient autochtones. L’attachement à leur famille, le lien avec leur culture, leurs espoirs et leurs rêves d’avenir ont tous été dérobés, mais par qui? Cela se poursuit-il encore aujourd’hui?

Ces 215 beaux petits esprits innocents et confiants croyaient au fond de leur cœur que tout irait bien. Ils s’ennuyaient de leur famille et n’ont jamais compris comment ils en étaient arrivés là.

Au pensionnat autochtone, j’étais habitée de sentiments qui ne me quittaient jamais, comme le sentiment d’être complètement seule, abandonnée et déroutée. Le milieu de vie là-bas ne ressemblait pas du tout à ma famille. Je me suis rendu compte que le problème n’était pas l’abandon par mes parents, mais l’abandon par le système, que ce soit l’Église ou le gouvernement qui ait commencé et perpétué ces enlèvements.

Voilà ce qu’est le Canada.

Nos cœurs sont brisés. Le Canada est brisé.

Ayant moi-même fréquenté un pensionnat autochtone à l’âge de cinq ans, j’aurais quelques mots à dire aux parents et aux membres des familles. Je sais que vous m’aimiez. Je ne vous ai jamais oubliés. Vous étiez toujours dans mes pensées, dans mon cœur, dans mes larmes et dans mon être. Comment pourrait-il en être autrement? Je sais que vous ne m’avez pas oubliée, que vous m’avez aimée et gardée dans votre cœur. Ne portez pas le fardeau d’une culpabilité qui n’est pas la vôtre. Vous m’avez trouvée et je suis très heureuse que vous n’ayez jamais abandonné vos recherches. Sachez que je vous ai toujours aimés comme seul un enfant peut aimer. Souvenez-vous de mon rire, de mon esprit et de mon amour de la vie, des histoires et des cérémonies dont j’ai conservé précieusement le souvenir comme autant de legs de votre part que je chérissais.

N’oubliez pas de transmettre les aspects magnifiques de notre culture, car c’est une chose qu’ils n’ont jamais pu nous enlever. Souvenez-vous qu’ils ne peuvent pas nous enlever l’amour que nous éprouvons les uns pour les autres.

Je transmets mes vœux d’amour et de paix aux 215 âmes innocentes et confiantes et à leur famille, à la nation de Kamloops, aux anciens élèves des pensionnats autochtones, à nos familles et aux spécialistes qui ont découvert les dépouilles.

Merci. Kinanâskomitin.

[Français]

La Stratégie nationale sur le logement

L’honorable Éric Forest : Monsieur le Président, d’entrée de jeu, je souhaite offrir avec bienveillance mon appui aux familles autochtones qui se sont vu cruellement arracher de leurs foyers leurs propres enfants.

Chers collègues, dans un mois exactement, au Québec, ce sera le grand déménagement.

Comme chaque année, des familles se retrouveront à la rue ou dans un logement de dépannage, incapables de trouver un logement décent, et ce, sans compter les familles mal logées, qui se résignent à vivre dans un logement insalubre ou mal chauffé.

Pénurie de logements locatifs, prix des loyers qui explosent, piètre qualité des logements disponibles, évictions frauduleuses, discriminations : pour les locataires à revenus modestes, la situation est intenable. Le phénomène, autrefois concentré dans les milieux urbains, touche aujourd’hui toutes les communautés. À Rimouski, le taux d’inoccupation des logements de trois chambres atteint 0,2 %, selon le Comité Logement Rimouski-Neigette; l’équilibre du marché est atteint si le taux d’inoccupation est d’environ 3 %.

La crise du logement est telle que les autres maires du Canada en ont fait leur principale revendication lors du dernier budget fédéral. Le budget a d’ailleurs été très décevant pour ceux qui espéraient des gestes concrets à la hauteur des objectifs ambitieux énoncés dans la Stratégie nationale sur le logement. Les sommes nouvellement annoncées visent surtout des programmes pour contrer l’itinérance ou sont destinées aux promoteurs de logements privés et encouragent la création de logements dont le prix des loyers est souvent trop élevé pour les locataires à revenus modestes.

Alors que le gouvernement fédéral tente de stimuler l’économie post-COVID, il me semble qu’il rate une bonne occasion de faire d’une pierre deux coups. En réinvestissant dans la construction de logement social, on stimulerait la création d’emplois et on favoriserait l’accès au logement. Le gouvernement pourrait aussi s’assurer que les fruits de la nouvelle taxe de 1 % sur les immeubles résidentiels appartenant à des non-résidents sont consacrés à la création de logements au lieu d’être versés au Trésor public.

À l’heure actuelle, les mesures visant à augmenter le revenu disponible des familles, telles que l’augmentation des prestations pour nos aînés, les bonifications de l’Allocation canadienne pour enfants et l’augmentation des prestations relatives au logement, sont grugées par l’augmentation rapide des loyers.

Pour soulager la pauvreté de manière durable, c’est incontournable, il faut augmenter l’offre de logements sociaux en vue de stabiliser les prix. Je vous remercie, chers collègues, de votre attention.

[Traduction]

Les tarifs Internet

L’honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, je me joins à mes collègues afin d’exprimer ma plus profonde tristesse à la suite de l’horrible découverte des tombes d’enfants à Kamloops. Je sais que cette triste nouvelle a fait remonter de douloureux souvenirs chez de nombreux survivants des pensionnats autochtones au Nunavut, et je suis de tout cœur avec eux.

Honorables sénateurs, le 27 mai, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes a annulé sa décision de 2019 qui visait à exiger que les trois grandes compagnies de télécommunications du pays, soit Bell, TELUS et Rogers, offrent des tarifs de gros aux plus petits fournisseurs de services Internet.

Quel effet cela aura-t-il pour les Canadiens? Cela nuira grandement à la concurrence partout au pays et entraînera une hausse des coûts d’Internet et des services sans fil pour les Canadiens, qui paient déjà des tarifs parmi les plus élevés au monde. TekSavvy Solutions, un des fournisseurs de services Internet touchés et le plus important fournisseur indépendant de ce genre au pays, a présenté un appel au Cabinet moins de 24 heures après que cette décision eu été rendue. L’entreprise a aussi annoncé qu’elle se retirait de la vente aux enchères du spectre de la bande de 3,5 gigahertz au cours du mois et qu’elle laissait tomber ses plans de réseau sans fil mobile.

Dans son appel, l’entreprise a demandé au Cabinet d’annuler la décision et de démettre de ses fonctions Ian Scott, le président du CRTC, en alléguant qu’il était manifestement partial au vu de déclarations qu’il aurait faites en faveur des trois grandes compagnies de télécommunications. TekSavvy demande aussi au Cabinet de rétablir les tarifs de 2019, d’obliger les entreprises titulaires à verser immédiatement des paiements rétroactifs afin de combler l’écart entre les tarifs provisoires de 2016 et les tarifs de 2019, et de demander au commissaire à la concurrence de s’attaquer aux activités anticoncurrentielles des entreprises titulaires.

Honorables sénateurs, le gouvernement actuel a promis de réduire de 25 % les factures de téléphonie cellulaire dans le cadre de son programme de 2019. Il a fait pression pour que l’ensemble des Canadiens aient accès à un service Internet de base puisque, dans le monde d’aujourd’hui, l’accès à Internet est un droit fondamental.

Si ce revirement choquant du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes devait être maintenu, cela aurait pour effet de condamner les Canadiens à payer des factures de services Internet très élevées sur un marché non concurrentiel. Nous détruisons les PME qui sont des fournisseurs indépendants de services Internet. Nous laissons leurs travailleurs sur le carreau.

J’exhorte les sénateurs à se joindre à moi et à appuyer l’appel de TekSavvy pour que le gouvernement annule cette très mauvaise décision. Merci. Qujannamiik.

(1430)

Le Mois national de l’histoire autochtone

L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, en juin, le Canada souligne le Mois national de l’histoire autochtone.

J’avais l’intention de vous parler des nombreuses réussites autochtones en provenance du territoire des Mi’kmaqs. Je songe notamment à la nouvelle serre pour appuyer la sécurité alimentaire à Potlotek; à Armand Paul et Madison Joe, de Membertou, qui obtiennent leur diplôme de la faculté de droit de l’Université Dalhousie; à la communauté de Paqt’nkek, qui construit sa propre école pour que les enfants apprennent la langue et la culture mi’kmaqs; à Tom et Carol Anne Johnson d’Eskasoni qui font découvrir la langue mi’kmaq dans le film « Poulets en fuite » et dans la série télévisée à succès « Vikings »; à l’artiste mi’kmaq Alan Syliboy et à ses étudiants qui ont peint, à Pictou Landing, des pétroglyphes mi’kmaqs sur un bateau devant être exposé au Musée maritime de l’Atlantique; à Mi’kmaw Kina’matnewey, le collectif éducatif de 12 communautés qui a reçu le Prix du Gouverneur général pour l’innovation, en reconnaissance de son leadership et de sa réussite en matière de promotion de la langue, de la culture et de l’identité tout en affichant un taux de diplomation de 90 %.

Honorables sénateurs, je pourrais poursuivre, car il y a tant de réussites à saluer. Cependant, comme vous, j’ai le cœur lourd après avoir appris l’horrible découverte des restes de 215 enfants des Premières Nations au pensionnat indien de Kamloops.

Que peut-on dire? Il est difficile d’imaginer les gestes de cruauté posés sur les plans personnel, institutionnel et social contre ces enfants innocents, leur famille et leur communauté. Pourquoi cette tragédie s’est-elle produite? Pourquoi a-t-elle été tolérée? Qu’en est-il de notre humanité? Qu’en est-il du respect, de l’amour et de la loi?

Que pouvons-nous faire maintenant? Nous pouvons nommer les enfants et les pleurer. Nous pouvons réclamer que l’on donne suite aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et aux appels à la justice formulés dans le cadre de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Nous pouvons adopter des mesures législatives pour protéger les droits de la personne, promouvoir l’autodétermination et faire de la sensibilisation sur ces réalités honteuses. Cependant, que faire de notre relation?

Le grand chef mi’kmaq Norman Sylliboy m’enseigne à faire preuve de Ta’n Wetapeksi’k, une expression qui signifie comprendre d’où nous venons. C’est un principe essentiel à la réconciliation. Là d’où nous venons, la compréhension implique d’écouter et d’honorer l’autre.

Honorables sénateurs, c’est dans cet esprit que j’aimerais conclure en récitant les paroles de Rita Joe, une poétesse mi’kmaq et survivante du pensionnat autochtone de Shubenacadie :

J’ai perdu la parole,

Celle que vous m’avez volée.

Lorsque j’étais petite fille

Au pensionnat de Shubenacadie.

Vous me l’avez arrachée :

Je parle comme vous,

Je pense comme vous,

Je crée comme vous

La confuse ballade de la parole qui est la mienne.

Je parle de deux manières,

Et des deux manières je dis

Que votre voix est plus forte.

Aussi, je vous tends doucement la main et vous demande :

Laissez-moi retrouver ma langue,

Que je puisse vous dire qui je suis.

Wela’lioq.

Hommage aux arts, à la culture et aux traditions autochtones

L’honorable Patricia Bovey : Honorables sénateurs, comme tous les Canadiens, j’ai été choquée par l’horreur de la découverte des corps de 215 enfants autochtones au pensionnat autochtone de Kamloops. Je ne peux imaginer la douleur éprouvée par les survivants des pensionnats et les communautés autochtones, qui revivent ainsi leur passé. Les prières et la compassion sont sincères, mais insuffisantes.

Comment ces vies innocentes ont-elles été volées? J’ai déjà parlé de la conversation poignante que j’ai eue au début des années 1980 avec l’artiste kwakwaka’wakw Art Thompson, un survivant du pensionnat autochtone d’Alberni, sur l’île de Vancouver. J’étais alors directrice du Musée des beaux-arts du Grand Victoria, et je préparais une exposition sur ses incroyables œuvres. Il a demandé à me parler en privé. Quelques heures plus tard, après avoir entendu son histoire, j’étais transformée à tout jamais. J’ai été très attristée qu’Art meure avant la création de la Commission de vérité et réconciliation.

J’ai aussi déjà parlé des œuvres évocatrices poignantes d’artistes canadiens au sujet de l’immoralité et des répercussions des pensionnats autochtones. Nombre d’entre eux expriment leur réalité personnelle. Je me souviens de trois de ces œuvres : The Lesson, par l’artiste albertaine Joane Cardinal Schubert, Sandy Bay, par Robert Houle, et The Assiniboine Fool Society, par Jane Ash Poitras. Elles représentent l’ensevelissement de leurs connaissances et de leurs langues traditionnelles. Ces pensionnats isolés, semblables à des prisons, illustrent le caractère inapproprié de ce programme uniquement colonialiste. La vérité doit surgir.

Au Manitoba, ma province natale, j’ai eu l’occasion de travailler à deux projets de centres culturels devant mettre à l’honneur l’art, la culture et les traditions autochtones. L’un était avec la nation des Dakotas de Sioux Valley près de Brandon, et l’autre avait pour objectif la création d’un centre des arts autochtones dans le Nord du Manitoba. Dans les deux cas, le manque de financement et les tracasseries administratives aux échelons provincial et fédéral faisaient obstacle. Il faut que cela change à l’avenir. La douleur causée par les pensionnats autochtones était manifeste dans mes rencontres avec ces gens. Les récits d’Art Thompson m’ont changée, mais ce fut de nouveau le cas, et doublement.

En 2008, la présidente-directrice générale du Conseil tribal du Keewatin, Sharon McKay, était d’avis que la Galerie d’art d’Affaires autochtones et Développement du Nord Canada devait :

[...] s’inspirer des traditions culturelles autochtones, afin de donner une voix aux Autochtones et de sauvegarder leurs pratiques culturelles pour éviter que celles-ci ne disparaissent. Le lieu doit d’être inclusif, mais aussi protéger les gens et leur permettre de déployer leurs ailes.

Dans le cas du Centre autochtone des Plaines du Nord, il était devenu manifeste en 2006 que le Sud-Ouest du Manitoba avait besoin d’un endroit pour « célébrer les origines et les accomplissements des peuples autochtones » offrant un juste milieu entre la formation et les traditions culturelles. Le rapatriement jouait un rôle essentiel.

Honorables sénateurs, je m’engage à faire tout ce que je peux pour faire avancer la réconciliation. Je crains qu’il y ait d’autres terribles découvertes. La vérité doit l’emporter. Il est temps d’agir. Je vous remercie depuis les territoires du Traité no 1, qui couvrent les terres traditionnelles des Anishinaabes, des Cris, des Oji-Cris, des Dakotas et des Dénés, au cœur de la patrie de la nation métisse.


AFFAIRES COURANTES

Le commissaire à la protection de la vie privée

Dépôt du certificat de nomination et des notes biographiques

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le certificat de nomination et les notes biographiques concernant le renouvellement de la nomination de Daniel Therrien à titre de commissaire à la protection de la vie privée.

Audit et surveillance

Présentation du quatrième rapport du comité

L’honorable David M. Wells : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de présenter, dans les deux langues officielles, le quatrième rapport (provisoire) du Comité permanent de l’audit et de la surveillance, intitulé Autorité intersessionnelle.

(Le texte du rapport figure en annexe aux Journaux du Sénat d’aujourd’hui., p. 582.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?

(Sur la motion du sénateur Wells, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

(1500)

Projet de loi no 1 d’exécution du budget de 2021

Dépôt du deuxième rapport du Comité des peuples autochtones sur la teneur du projet de loi

L’honorable Dan Christmas : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le deuxième rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, qui porte sur la teneur des éléments des sections 10 et 31 de la partie 4 du projet de loi C-30, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 avril 2021 et mettant en œuvre d’autres mesures.

(Conformément à l’ordre adopté le 4 mai 2021, le rapport est renvoyé d’office au Comité sénatorial permanent des finances nationales et l’étude de ce rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

[Français]

Le commissaire à la protection de la vie privée

Adoption de la motion tendant au renouvellement de la nomination du titulaire

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, je propose :

Que, conformément au paragraphe 53(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, chapitre P-21, L.R.C. (1985), le Sénat approuve le renouvellement de la nomination de M. Daniel Therrien à titre de commissaire à la protection de la vie privée, pour un mandat d’un an.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

[Traduction]

Le Sénat

Adoption de la motion tendant à autoriser le Sénat à se réunir en comité plénier afin d’étudier la teneur du projet de loi C-5

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, je propose :

Que, nonobstant toute disposition du Règlement, toute pratique habituelle ou tout ordre antérieur, lorsque le Sénat siégera le jeudi 3 juin 2021 :

1. le Sénat se forme en comité plénier au début de l’ordre du jour afin d’étudier la teneur du projet de loi C-5, Loi modifiant la Loi sur les lettres de change, la Loi d’interprétation et le Code canadien du travail (Journée nationale de la vérité et de la réconciliation), toutes les délibérations alors en cours au Sénat étant interrompues jusqu’à la fin du comité plénier, qui sera d’une durée maximale de 95 minutes;

2.le comité plénier sur la teneur du projet de loi C-5 reçoive l’honorable Steven Guilbeault, c.p., député, ministre du Patrimoine canadien, accompagné d’un maximum de quatre fonctionnaires;

3. les remarques introductives du témoin durent un total maximal de cinq minutes;

4.si un sénateur n’utilise pas l’entière période de 10 minutes prévue pour les interventions à l’article 12-32(3)d) du Règlement, les réponses des témoins y comprises, il puisse céder le reste de son temps à un autre sénateur.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

Projet de loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité

Préavis de motion tendant à autoriser le Comité de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles à étudier la teneur du projet de loi

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, conformément à l’article 10-11(1) du Règlement, le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles soit autorisé à examiner la teneur du projet de loi C-12, Loi concernant la transparence et la responsabilité du Canada dans le cadre de ses efforts pour atteindre la carboneutralité en 2050, déposé à la Chambre des communes le 19 novembre 2020, avant que ce projet de loi ne soit présenté au Sénat;

Que, aux fins de cette étude, le comité soit autorisé à se réunir, même si le Sénat siège à ce moment-là, l’application de l’article 12-18(1) du Règlement étant suspendue à cet égard.

[Français]

La Loi sur les lettres de change
La Loi d’interprétation
Le Code canadien du travail

Projet de loi modificatif—Première lecture

Son Honneur le Président annonce qu’il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-5, Loi modifiant la Loi sur les lettres de change, la Loi d’interprétation et le Code canadien du travail (Journée nationale de la vérité et de la réconciliation), accompagné d’un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Gold, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

Le Sénat

Préavis de motion concernant l’article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982

L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que le Sénat :

1. rappelle que, malgré l’engagement d’avoir une Constitution entièrement bilingue contenu à l’article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982, des 31 textes formant la Constitution canadienne, à ce jour, 22 ne sont officiels que dans leur version anglaise, dont la quasi-totalité de la Loi constitutionnelle de 1867;

2.demande au gouvernement de considérer, dans le contexte de la révision de la Loi sur les langues officielles, la recommandation de 2018 de l’Association du Barreau canadien d’inclure un article exigeant que le ministre de la Justice du Canada soumette, aux cinq ans, un rapport détaillant les efforts déployés pour mettre en œuvre l’article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982.


[Traduction]

PÉRIODE DES QUESTIONS

La justice

Les consultations qui ont précédé et suivi le dépôt du projet de loi C-15

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Sénateur Gold, vous êtes de Montréal. Ma première question concerne un événement sportif qui opposera Winnipeg à Montréal... désolé, je me suis trompé de notes.

Sénateur Gold, en tant que représentant du gouvernement Trudeau au Sénat, vous devez veiller à la transmission en temps opportun des renseignements que les honorables sénateurs demandent au gouvernement.

En ce qui a trait au projet de loi C-15, on a demandé à maintes reprises au gouvernement de donner la liste complète des intervenants consultés avant et après le dépôt du projet de loi C-15. Le sénateur Patterson et son personnel ont demandé d’obtenir la liste complète à plusieurs reprises.

Lors de la réunion du Comité des peuples autochtones tenue le 7 mai, la sénatrice Stewart Olsen a, elle aussi, demandé à obtenir la liste complète des intervenants consultés. Chaque fois, on a répondu que la liste serait communiquée, mais elle ne l’est toujours pas.

Monsieur le leader, on nous a dit que cette liste existe. Pourquoi le gouvernement Trudeau refuse-t-il de nous la communiquer?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Sénateur, je vous remercie de votre question. Comme l’honorable sénateur le sait probablement, le gouvernement du Canada a déjà publié en ligne un rapport de consultation détaillé qui prend appui sur l’apport de divers intervenants. Ce rapport a contribué à jeter les assises du projet de loi C-15, qui est à l’étude dans cette enceinte.

Afin de respecter ses obligations constitutionnelles, le gouvernement continuera de consulter les communautés et les organisations autochtones dans le but de mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dans le contexte du droit canadien.

En effet, quand le ministre a témoigné devant le comité — témoignage auquel vous avez fait référence —, il a également précisé qu’il prendrait connaissance des observations du Sénat pour orienter la mise en œuvre du plan d’action, qui agira comme moteur. Honorable collègue, je vais certainement m’informer sur l’état d’avancement de toute nouvelle consultation. Toutefois, le Sénat peut avoir la certitude que le gouvernement prend très au sérieux son obligation de mener des consultations, comme il l’a déjà démontré.

(1510)

Le sénateur Plett : Dans ce cas, cela devrait être très simple. Vous dites qu’il y a une liste. Or, selon moi, c’est un autre exemple dans la longue liste des promesses brisées par le gouvernement Trudeau, comme celles de présenter des budgets équilibrés, d’adopter une réforme électorale, de fournir de l’eau potable dans les réserves, de ne pas traîner les anciens combattants devant les tribunaux, de faire en sorte que gouvernement soit ouvert par défaut et de promouvoir la transparence et la reddition de comptes. De toute évidence, ces promesses n’étaient que de vaines paroles de la part du gouvernement Trudeau.

Monsieur le leader, vous pourriez faire un petit effort pour changer cette tendance au secret de la part du gouvernement. Allez-vous vous engager dès aujourd’hui, monsieur le leader, à fournir à cette Chambre une liste complète des intervenants consultés, comme on l’a promis, avant l’étude article par article et la troisième lecture du projet de loi C-15, oui ou non?

Le sénateur Gold : On m’a informé que la liste qui a été fournie est celle que le gouvernement a en sa possession, mais je vais certainement m’informer et transmettre l’information au Sénat.

Les relations Couronne-Autochtones

Les femmes et filles autochtones disparues ou assassinées—Le plan d’action national

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma question s’adresse également au leader du gouvernement au Sénat.

La découverte dévastatrice des restes de 215 enfants sur le site d’un ancien pensionnat autochtone à Kamloops a rempli nos cœurs de tristesse pour ces petits enfants et leur famille. Beaucoup trop de familles autochtones au Canada ont perdu des êtres chers sans jamais savoir ce qui leur est arrivé. Une seule famille est déjà une famille de trop.

Il y a deux ans, le 3 juin 2019, le gouvernement fédéral a reçu le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Au cours des deux dernières années, le gouvernement n’a pas présenté de plan d’action national en réponse au rapport final, comme l’avait pourtant promis le premier ministre le jour de sa publication, en 2019.

Monsieur le leader, quand le gouvernement va-t-il finir par présenter un plan d’action?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. En réponse à l’enquête publique, le gouvernement poursuit ses efforts en collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, les dirigeants autochtones, les survivants et les familles en vue de créer un plan d’action national qui énoncera une feuille de route claire pour assurer la sécurité des femmes, des filles ainsi que des personnes bispirituelles et de diverses identités de genre de la communauté autochtone.

De concert avec ses partenaires, dont plus d’une centaine de femmes autochtones, le gouvernement est déterminé à se doter d’indicateurs et de mesures qui permettront une reddition de comptes quant aux résultats de ce plan, tout en tenant compte de l’évolution de la situation au fil du temps. On me dit que l’élaboration du volet fédéral progresse bien, mais qu’il ne s’agit que d’un seul volet du plan d’action fédéral.

La sénatrice Martin : Monsieur le leader, cela fait deux ans. Nous espérons donc voir le plan d’action très bientôt.

Le rapport final de l’enquête publié il y a deux ans souligne également que même si les femmes autochtones ne formaient que 4 % de la population canadienne en 2016, elles représentaient près de 50 % des victimes de la traite des personnes. Le rapport note les difficultés de coopération entre les divers services de police ainsi que le manque de données fiables sur les réseaux de traite des personnes et les méthodes de recrutement dans les régions ciblées par les trafiquants de personnes.

Monsieur le leader, juste avant l’élection générale fédérale de 2019, le gouvernement Trudeau a réinstauré le Plan d’action national de lutte contre la traite de personnes qu’il avait annulé en 2016. Des 75 millions de dollars alloués à ce plan, quelle somme a été directement affectée à la protection des femmes et des filles autochtones contre la traite des personnes?

Le sénateur Gold : La traite des personnes est une pratique abominable et inacceptable aux conséquences tragiques. Honorable collègue, je n’ai pas les chiffres en main. Je vais me renseigner et vous reviendrai avec une réponse.

[Français]

La santé

Les soins de santé offerts aux personnes transgenres

L’honorable René Cormier : Sénateur Gold, aujourd’hui est le premier jour du Mois de la fierté. Permettez-moi de souligner l’engagement des membres des communautés LGBTQ2+ qui travaillent sans relâche pour une pleine reconnaissance de leurs droits, ici et à l’international. La question des soins de santé est au cœur des préoccupations des membres des communautés LGBTQ2+, elle est même vitale pour les personnes trans qui n’ont pas accès uniformément aux mêmes soins partout au pays. À ce sujet, le rapport du Comité permanent de la santé de la Chambre des communes, intitulé La santé des communautés LGBTQIA2 au Canada, recommandait des actions concrètes du gouvernement fédéral sur ces enjeux, notamment offrir la couverture des hormones et des soins médicaux pour les personnes trans de façon uniforme au pays.

Récemment, des députés de tous les partis ont évoqué publiquement la nécessité d’en faire plus en ce qui concerne les soins de santé pour les personnes trans. Certains prônent l’utilisation de la Loi canadienne sur la santé, et d’autres, l’établissement de standards de soins nationaux.

Sénateur Gold, quelles mesures concrètes le gouvernement prendra-t-il afin d’assurer un accès équitable aux soins de santé pour les personnes trans partout au pays?

Entend-il adopter ou élaborer des standards de soins, comme l’a fait l’Association mondiale des professionnels pour la santé transgenre dans sa publication intitulée Standards de soins pour la santé des personnes transsexuelles, transgenres et de genre non conforme?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci, sénateur, pour la question. Depuis 2000, les Instituts de recherche en santé du Canada disposent d’un Institut de la santé des femmes et des hommes, qui continue de soutenir la recherche sur l’influence du genre et du sexe biologique sur la santé, et d’appliquer les résultats aux défis urgents en matière de santé auxquels font face les hommes, les femmes, les filles, les garçons et les personnes de diverses identités de genre. Votre préavis m’a permis de m’informer auprès du gouvernement. Malheureusement, je n’ai pas encore reçu de réponse, mais lorsque j’aurai des nouvelles du gouvernement, je vous en ferai part dans les meilleurs délais.

Le sénateur Cormier : Sénateur Gold, le gouvernement a fait des investissements importants concernant les soins de santé. Pouvez-vous nous confirmer qu’une part de ces fonds seront réservés à des projets visant en particulier les soins de santé pour les personnes trans?

Le sénateur Gold : Merci pour la question. Il faudra que je m’informe sur ce point et que je vous revienne avec une réponse.

[Traduction]

La distribution des vaccins contre la COVID-19 dans les missions à l’étranger

L’honorable Peter M. Boehm : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, ma question porte sur le plan de vaccination du gouvernement pour les employés travaillant à l’étranger, dans les 178 missions du Canada éparpillées dans 110 pays. Comme vous le savez, ces gens travaillent dans de nombreux ministères et organismes gouvernementaux, et plus de 7 800 personnes, membres du personnel, travaillent dans des ambassades, des hauts-commissariats et des consulats. Environ 25 % d’entre eux sont canadiens, les autres étant des employés recrutés localement dont l’employeur est aussi le gouvernement du Canada.

J’ai fait ce travail-là et je sais combien la situation est précaire quand on se trouve à l’étranger avec sa famille et des personnes à charge, et dans certains cas aujourd’hui, les gens se demandent quand ils vont se faire vacciner. La situation est compliquée par le fait que certains employés se trouvent dans des pays où les vaccins que nous avons approuvés au Canada ne le sont pas là-bas, et vice versa.

Bien sûr, d’autres pays sont un peu en avance sur nous. Je pense aux États-Unis et au Royaume-Uni. Aux États-Unis, le département d’État a décidé que le personnel de ses ambassades serait considéré comme appartenant à la catégorie des travailleurs de première ligne.

Pourquoi ce retard dans l’élaboration d’un plan global? Quand y aura-t-il un plan finalisé? Quand les employés et les personnes à leur charge à l’étranger peuvent-ils s’attendre à être entièrement vaccinés?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie, cher collègue, de soulever la question. Elle est à la fois importante et complexe. Il va sans dire que la santé et la sécurité des employés sont au premier rang des priorités du gouvernement.

Pour répondre à votre question, on m’a informé qu’Affaires mondiales Canada a pris des mesures pour assurer la sécurité et le bien-être de ses employés, afin de prévenir la propagation de la COVID-19 et de s’atteler au travail important qui consiste à défendre les intérêts canadiens à l’échelle mondiale, tout en respectant les directives des autorités sanitaires locales, comme vous l’avez fait remarquer.

Le gouvernement vise à s’assurer que tous les employés aient accès aux vaccins, y compris ceux des missions à l’étranger, qu’il s’agisse des diplomates canadiens, de leurs personnes à charge ou du personnel embauché localement. On m’a informé que les diplomates canadiens et leurs personnes à charge, qui servent à l’étranger à l’heure actuelle, ont été autorisés à se procurer localement des vaccins, le cas échéant. En cas d’indisponibilité locale des vaccins, le Canada fera en sorte de vacciner ces personnes en employant divers moyens, qui pourront varier selon l’emplacement.

(1520)

Le gouvernement continuera de veiller à ce que tout le personnel d’Affaires mondiales Canada qui travaille à l’étranger ait accès aux vaccins dans la mesure du possible.

Le sénateur Boehm : Je sais qu’il s’agit un peu d’une zone grise, mais nos employés recrutés sur place ont aussi des personnes à charge. Comme nous l’avons appris au cours de la pandémie, la vaccination d’un membre de la famille ne constitue pas nécessairement une solution définitive. Y a-t-il des plans pour vacciner également la famille des employés recrutés sur place?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Je n’ai tout simplement pas la réponse, cher collègue. Je vais certainement me renseigner. Je vous encourage, ainsi que votre réseau, à m’aider à cet égard. Merci.

[Français]

Les finances

Le soutien à Air Canada pendant la pandémie

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. Le gouvernement Trudeau nous a vanté les règles rigoureuses qu’il avait imposées en ce qui a trait à la rémunération des dirigeants d’Air Canada dans son plan d’aide annoncé en avril dernier.

Ce matin, on a appris que ces dirigeants se sont accordé 10 millions de dollars de primes pour leur excellente gestion de la pandémie, qui a essentiellement entraîné la mise à pied de quelque 20 000 employés de la compagnie. Je considère que c’est honteux. J’aimerais savoir si la ministre des Finances, Mme Freeland, connaissait l’existence de ces primes au moment de l’entente ou si les dirigeants d’Air Canada ont profité de sa naïveté, comme l’avait fait le gouvernement des États-Unis avec l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, qui coûte aux contribuables canadiens des centaines de millions de dollars par année en compensation à nos producteurs.

Au point où on est rendu, la ministre devrait-elle suspendre l’aide du gouvernement à Air Canada?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de la question. Comme vous le savez, les programmes qui ont été mis en œuvre pour aider les compagnies comme Air Canada ont des règles strictes en ce qui concerne la compensation des dirigeants. Selon les informations dont je dispose, la question des primes, que vous avez mentionnée, était plus préoccupante avant que le gouvernement ait accordé l’appui à Air Canada pour faire en sorte qu’elle puisse continuer.

Le sénateur Dagenais : Comment votre premier ministre, Justin Trudeau, peut-il justifier que sa ministre des Finances n’ait pas d’autres explications à donner que de plaider son incapacité d’agir en ce qui concerne les décisions de la compagnie, dont elle aurait dû demander l’annulation avant de lui donner l’argent des Canadiens?

Le sénateur Gold : Le gouvernement canadien a pris bon nombre de mesures. Ici, dans cette Chambre, j’ai été interpellé par nos collègues au sujet de l’aide ciblée dans le secteur économique, y compris le secteur aéronautique. Je répète ce que j’ai dit à plusieurs reprises : le gouvernement a pris ces décisions pour veiller à ce que ce secteur important de notre économie, avec tous les emplois qu’il représente, soit maintenu en cette période de pandémie.

[Traduction]

L’emploi et le développement social

Le soutien aux jeunes devenus trop vieux pour les foyers d’accueil

L’honorable Wanda Elaine Thomas Bernard : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, quand les jeunes en famille d’accueil atteignent l’âge de la majorité, ils ne reçoivent plus d’aide du gouvernement et ils ne sont pas outillés pour relever les défis financiers et émotionnels qui découlent d’une vie indépendante. Une grave conséquence du fait d’être trop vieux pour être pris en charge est la possibilité de tomber directement dans le système de justice pénale. Les jeunes Autochtones et les jeunes Noirs sont surreprésentés dans le système des familles d’accueil et le système de justice pénale.

Le système des familles d’accueil porte aussi l’héritage des pensionnats, comme on a pu le constater de nouveau cette semaine avec les histoires horribles de mauvais traitement et de génocide qu’ont racontées de nombreux survivants et aînés. De nombreux jeunes Autochtones souffrent encore à cause de ce chapitre de l’histoire du Canada. Les problèmes sont encore très pertinents et actuels.

Les jeunes et leurs défenseurs signalent que la pandémie a exacerbé les nombreuses difficultés liées au fait d’être trop vieux pour être pris en charge. Ce segment de la population risque de sombrer dans l’oubli alors que le reste du Canada, lui, rebâtit en mieux.

Sénateur Gold, comment le gouvernement fédéral collabore-t-il avec les provinces et les territoires pour s’attaquer au problème des jeunes qui sont trop vieux pour être pris en charge?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de la question, sénatrice. Le gouvernement sait que tous les enfants, y compris les enfants autochtones et les enfants noirs, méritent de grandir dans un foyer adapté à leur culture et doté des ressources nécessaires à leur réussite dans la vie.

Comme vous le laissez entendre dans votre question et comme les sénateurs le savent, le placement en famille d’accueil relève exclusivement de la compétence des provinces, mais je serais très heureux d’attirer l’attention du gouvernement fédéral sur la possibilité d’examiner le rôle qu’il pourrait jouer pour faciliter le dialogue et contribuer à harmoniser les politiques dans l’ensemble des provinces et territoires.

La sénatrice Bernard : Sénateur Gold, si nous pouvions encourager le gouvernement fédéral à travailler avec les provinces pour arrêter, à l’échelle nationale, le flux de jeunes qui passent des foyers d’accueil au système de justice pénale, ce serait certainement très utile. Est-ce que le gouvernement fédéral pourrait s’engager à le faire?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de la question. Le gouvernement fédéral s’est engagé à travailler avec les provinces dans les secteurs où les compétences se chevauchent, comme le système de justice pénale, pour reprendre l’exemple que vous citez. Je vais certainement porter votre suggestion à l’attention du gouvernement.

La défense nationale

La souveraineté dans l’Arctique

L’honorable Dennis Glen Patterson : Sénateur Gold, Marcus Kolga, agrégé supérieur à l’Institut Macdonald-Laurier et à l’Institut de la Conférence des associations de la défense, a publié un article d’opinion très alarmant dans le magazine Maclean’s, le 26 mai, où il parle de la nécessité pour le Canada d’affirmer vigoureusement sa souveraineté sur ses terres et ses eaux dans l’Arctique. En effet, la Russie assume maintenant la présidence du Conseil de l’Arctique. Elle a aussi fait savoir qu’elle vise à élargir son plateau continental jusqu’à la zone économique exclusive du Canada.

De surcroit, la Russie ne demande pas la permission pour faire retomber ses fusées à étages propulsées à l’hydrazine, une substance toxique, dans les eaux vulnérables de l’Arctique canadien. Elle procède rapidement à la militarisation de son territoire arctique, notamment en construisant des infrastructures de télécommunications et de transports.

De son côté, le Canada fait piètre figure avec de sérieuses lacunes sur le plan des infrastructures. Par exemple, en octobre 2020, un de nos nouveaux navires de patrouille extracôtiers et de l’Arctique est tombé en panne durant un exercice de formation au port d’Halifax. Nos navires ne sont pas conçus pour mener des opérations dans les glaces de l’Arctique, par conséquent, ils ne peuvent pas y faire de la patrouille durant certains mois de l’année.

Sénateur Gold, pouvez-vous nous dire si le gouvernement a préparé un plan exhaustif et un échéancier connexe pour mettre en place les infrastructures dont nous avons besoin afin de protéger de façon continue la souveraineté et la sécurité du Canada dans l’Arctique?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question, sénateur. Le gouvernement est conscient que la région de l’Arctique est d’une extrême importance pour le pays. Il est d’avis, comme les gouvernements précédents, que la souveraineté du Canada dans l’Arctique est bien établie et n’est pas contestée.

Pour revenir à votre question, plusieurs mesures visent à assurer la sécurité et la souveraineté dans l’Arctique, y compris les suivantes : la tenue d’exercices militaires conjoints dans l’Arctique; le financement du Programme de science et technologie pour la connaissance de la situation dans tous les domaines; l’achat de six navires de patrouille extracôtiers et de l’Arctique, un élément important; la construction de brise-glaces destinés à être utilisés dans le Nord par la Garde côtière canadienne.

Sénateur, comme j’avais été informé de votre question à l’avance, j’ai pu demander des renseignements sur la nature et l’ampleur de la coordination interministérielle et de la planification du gouvernement au sujet de l’Arctique. Je n’ai pas encore reçu de réponse, mais je la communiquerai avec plaisir au Sénat quand je l’aurai.

(1530)

Le sénateur Patterson : Sénateur Gold, comme vous le savez, le Comité sénatorial spécial sur l’Arctique, en se fondant sur les informations comprises dans son rapport, a recommandé que le gouvernement du Canada assure la sécurité et la sûreté de l’Arctique canadien et affirme et protège la souveraineté du Canada dans l’Arctique. D’après ce que je comprends, des mesures ont été prises.

Le gouvernement envisagera-t-il un plan global pour remédier au déficit en matière d’infrastructure, plutôt que de continuer à lancer des initiatives et à faire des annonces ponctuelles?

Le sénateur Gold : Merci. Les initiatives que le gouvernement a lancées et annoncées sont substantielles et contribuent à l’affirmation de la souveraineté canadienne dans l’Arctique. Cela étant dit, je serai heureux de me renseigner pour répondre à votre question et de vous transmettre la réponse lorsque je l’aurai obtenue.

Le commerce international

L’interdiction d’importer des marchandises issues du travail forcé

L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. En dépit des dispositions sur le travail forcé du nouvel ALENA et des mesures supplémentaires annoncées par le gouvernement Trudeau en janvier, il ne semble pas que le Canada ait réussi à empêcher l’importation de marchandises issues du travail forcé en provenance d’endroits comme la province chinoise du Xinjiang. En mars, le Toronto Star rapportait que ces règles n’avaient empêché aucun envoi d’entrer au Canada.

À la fin d’avril, la ministre du Commerce international a témoigné en comité à l’autre endroit, où on lui a demandé de faire le point sur les chiffres. La ministre Ng a alors refusé de dire combien d’envois avaient été bloqués.

Monsieur le leader, vous pourriez peut-être nous éclairer. À ce jour, le gouvernement a-t-il empêché des envois de marchandises issues du travail forcé d’entrer au Canada? Le cas échéant, combien et quel était leur pays d’origine?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie la sénatrice de sa question, dont je ne connais pas la réponse. Je vais certainement m’informer à ce sujet et ferai rapport au Sénat.

La sénatrice Ataullahjan : Monsieur le leader, dernièrement, les États-Unis semblent avoir adopté une approche beaucoup plus proactive que le Canada pour mettre fin aux envois de marchandises fabriquées par le recours au travail forcé. Sur son site Web, le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis a indiqué qu’il a retenu 371 envois liés au travail forcé du 1er octobre 2020 au 31 mars 2021.

Vendredi dernier, des représentants du Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis ont annoncé avoir interdit l’importation des fruits de mer de la Dalian Ocean Fishing Co. Ltd, une entreprise chinoise, en raison d’information qui indique raisonnablement le recours au travail forcé pour ses activités de pêche. Cet ordre s’applique à l’ensemble de la flotte de 32 navires de cette entreprise.

Monsieur le leader, comment le gouvernement Trudeau peut-il affirmer que cette question est prioritaire alors que nous ne pouvons même pas savoir si le Canada a mis fin à de tels envois?

Le sénateur Gold : Sénatrice Ataullahjan, je ne sais pas combien de livraisons ont été stoppées. Je ferai de mon mieux pour obtenir une réponse et vous la transmettre.

La justice

L’examen triennal de la Loi sur le cannabis

L’honorable Marty Deacon : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, durant nos débats sur l’aide médicale à mourir cette année, il est devenu évident que le non-respect du mandat d’examen prévu dans le projet de loi C-14 a fait que nous ne disposions pas de toutes les connaissances nécessaires quand nous avons été saisis du projet de loi C-7. En tant que sénatrice, j’écoute attentivement quand nous nous engageons à examiner divers projets de loi. Le délai d’un autre examen prescrit approche à grands pas. Je parle de l’examen triennal de la loi fédérale sur le cannabis, qui est prévu en octobre.

Le gouvernement a-t-il commencé à préparer l’examen? A-t-il pris en compte des impondérables comme la pandémie dans ses préparatifs, et a-t-il agi de manière opportune et diligente? Merci.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie, sénatrice, d’avoir soulevé cette question. Je me suis renseigné auprès du gouvernement, grâce à votre préavis, mais je n’ai pas encore obtenu de réponse. Lorsque le gouvernement me répondra, je communiquerai la réponse au Sénat.

La Société Radio-Canada

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement. Monsieur le leader, le mois dernier, un juge de la Cour fédérale a donné raison au Parti conservateur du Canada dans une affaire qui l’opposait à CBC/Radio-Canada. La société avait décidé de poursuivre le Parti conservateur lors de la dernière campagne électorale fédérale. Le juge est arrivé à la conclusion que l’utilisation faite par le Parti conservateur du matériel de la société était acceptable et équitable. Le tribunal a rejeté la poursuite avec dépens.

Monsieur le leader, cette affaire constitue un gaspillage éhonté des deniers publics. Elle a mis en évidence le parti pris évident de CBC/Radio-Canada. Combien d’argent public la société a-t-elle dépensé dans cette affaire? Combien d’argent devra-t-elle verser au Parti conservateur? Est-ce que la personne responsable de la décision d’intenter cette ridicule poursuite a été renvoyée de la société?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, ma réponse sera brève. Je n’ai pas les réponses à ces questions. Je vais m’informer.

Le sénateur Plett : Merci. J’apprécie votre démarche. J’espère que nous aurons les réponses bientôt.

Monsieur le leader, si personne au sein de CBC/Radio-Canada n’a été renvoyé à cause de cette affaire, qu’est-ce qui nous dit que la société ne fera pas encore la même chose lors de la prochaine campagne électorale?

Le sénateur Gold : Je remercie l’honorable sénateur de sa question. Le fait qu’un tribunal ait rendu une décision dans un sens ou dans l’autre ne signifie pas que la question d’origine ne méritait pas d’être examinée par la cour. Dans les faits, les diffuseurs ont le droit de protéger leur matériel. Il n’y a personne dans cette enceinte qui les priverait de ce droit ou se prononcerait pour qu’ils l’abandonnent. Il n’en demeure pas moins que nos diffuseurs publics et, par le fait même, tous les diffuseurs ont la responsabilité de respecter la loi et de suivre les règles.

Quand un tribunal rend une décision défavorable — et j’ai un profond respect pour les décisions des tribunaux —, cela signifie simplement que notre système de justice fonctionne, rien de plus.

Les finances

Le Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma question concerne les petites entreprises jugées non admissibles à un prêt au titre du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes. Le premier ministre a promis de remédier à la situation des entreprises nouvellement créées. Cette promesse a été faite en mai 2020, il y a plus d’un an. Je persiste à soulever la question, car le problème n’est pas réglé. De nouvelles entreprises qui ont ouvert leurs portes ne sont pas admissibles, sans qu’il y ait eu faute de leur part. Avons-nous réglé le problème maintenant?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je ne suis pas au courant des mesures qui ont été ou n’ont pas été prises, ou qui pourraient être en cours. Je vais devoir me renseigner et vous faire rapport.


ORDRE DU JOUR

La Loi sur la santé et la sécurité dans la zone extracôtière

Projet de loi modificatif—Message des Communes

Son Honneur le Président annonce qu’il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur la santé et la sécurité dans la zone extracôtière, accompagné d’un message informant le Sénat qu’elle a adopté ce projet de loi sans amendement.

La Loi sur le Parlement du Canada

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Harder, c.p., appuyée par l’honorable sénateur Gold, c.p., tendant à la troisième lecture du projet de loi S-4, Loi modifiant la Loi sur le Parlement du Canada et apportant des modifications corrélative et connexes à d’autres lois.

L’honorable Denise Batters : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour exprimer mes préoccupations à l’égard du projet de loi S-4, Loi modifiant la Loi sur le Parlement du Canada, qui vise à inscrire dans la loi certains changements que le premier ministre Trudeau a imposés au Sénat.

Il est plutôt rare que la Loi sur le Parlement du Canada soit modifiée et je soutiens que les changements proposés dans la mesure législative dont nous sommes saisis pourraient modifier la raison d’être, l’efficacité et la fière tradition parlementaire du Sénat du Canada.

Le gouvernement et l’opposition existent depuis la création du Sénat du Canada en 1867. Chaque groupe a un rôle bien précis à jouer dans un système parlementaire inspiré du modèle de Westminster. Le gouvernement a pour tâche de faire adopter son programme législatif et l’opposition d’exercer une surveillance, de remettre le gouvernement en question, de faire valoir le point de vue des minorités contre la tyrannie de la majorité, d’améliorer les lois dans l’intérêt de l’ensemble de la population canadienne et d’exiger que le gouvernement rende des comptes.

Le premier ministre John Diefenbaker, qui comme moi était de la Saskatchewan, a décrit le rôle de l’opposition dans les termes suivants :

Pour que le Parlement demeure une institution viable, l’opposition loyale de Sa Majesté doit remplir ses fonctions résolument. Lorsqu’elle agit comme il se doit, la liberté est protégée. D’ailleurs, l’histoire nous prouve que la liberté s’évanouit toujours lorsqu’il n’y a plus de critique. L’opposition fait respecter et soutient les droits des minorités. Elle doit faire preuve de vigilance pour combattre l’oppression et l’empiétement injuste, par le Cabinet, sur les droits du peuple. Elle doit surveiller toutes les dépenses et s’opposer aux extravagances, en informant le public de tout gaspillage ou méfait encore pire. Elle décèle les erreurs, suggère des modifications, pose des questions et tire les choses au clair; elle éveille, informe et façonne l’opinion du public en lui permettant de s’exprimer et de voter. Elle doit suivre de près le moindre geste du gouvernement pour l’empêcher de court-circuiter la procédure démocratique comme les gouvernements se plaisent à le faire.

(1540)

Le projet de loi S-4 ne prévoit aucun pouvoir additionnel pour l’opposition officielle qui n’est pas déjà prévu dans la Loi sur le Parlement du Canada. Je crois en fait qu’il pourrait dévaloriser et diminuer le rôle distinct de l’opposition officielle en accordant à trois autres groupes de sénateurs « indépendants » des pouvoirs équivalents à ceux de l’opposition officielle, soit le droit d’être consultés au sujet de la nomination de certains hauts fonctionnaires et agents du Parlement, le droit à une rémunération pour les postes de leader des « non-caucus » de sénateurs « indépendants », et le droit d’apporter des changements à la composition du Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration.

Lorsque M. Trudeau a décidé d’expulser les sénateurs libéraux du caucus national, en 2014, il a déclenché une série de conséquences imprévues. Premièrement, il ne faut pas oublier qu’il a pris cette décision inattendue non pas en raison d’un souhait avoué de réforme du Sénat, mais plutôt parce qu’elle constituait pour le Parti libéral une façon expéditive sur le plan politique de se dissocier du scandale des dépenses au Sénat qui monopolisait l’attention des médias à l’époque. Soudainement, des sénateurs comptant des années, voire des décennies d’expérience institutionnelle, législative et partisane étaient mis de côté. Ces sénateurs libéraux en exil n’étaient plus en mesure de faire profiter le gouvernement de la sagesse de leurs connaissances parlementaires combinées, et le gouvernement du premier ministre Trudeau a souffert à plusieurs occasions de cette perte.

En prenant cette décision impulsive, M. Trudeau a commencé à rompre avec 150 ans de tradition parlementaire au Sénat. Il a nommé des sénateurs qui se disent « indépendants ». En apparence, ils n’ont aucune affiliation avec le Parti libéral, mais bon nombre avaient fait de généreux dons au Club Laurier, le club des grands donateurs du Parti libéral. D’autres étaient d’anciens candidats ou membres de la direction du Parti libéral, et plusieurs avaient déjà eu des contacts avec la Fondation Pierre Elliott Trudeau créée par le premier ministre et sa famille.

Revenons au présent. Il y a maintenant cinq caucus dans cette enceinte, et les sénateurs « indépendants » ont créé des groupes, parce qu’il est totalement irréaliste de fonctionner autrement au sein d’une institution politique comme celle du Sénat. Le caucus du gouvernement se compose de trois sénateurs prétendument non affiliés, dirigés par un « représentant » qui est en fait un nouveau vocable pour désigner le leader du gouvernement au Sénat. Chaque groupe de sénateurs indépendants — qu’on aurait appelé un caucus auparavant, mais d’aucuns croient qu’il faut renoncer à utiliser les expressions « d’avant » — a un facilitateur et un agent de liaison. Ce sont là de nouveaux termes inventés pour désigner les rôles parlementaires traditionnels du leader et du whip qui existent depuis plusieurs siècles.

J’ai encore du mal à m’y retrouver. Quoi qu’il en soit, la personne qui joue le rôle de whip ne peut supposément soumettre personne à la discipline de parti puisque le caucus n’en est pas un et n’est pas censé voter en bloc. Sauf qu’en réalité, ce n’est pas ce que l’on observe. Dans plus de 95 % des cas, la majorité d’entre eux vote avec le gouvernement Trudeau. Nous baignons dans un univers surréaliste.

Quoi qu’il en soit, le projet de loi S-4 propose d’inscrire tout cela dans la Loi sur le Parlement du Canada et de financer le tout. En fait, le coût total du Sénat a monté en flèche sous le gouvernement Trudeau. Cela s’explique en partie par le fait que le Sénat ne finançait auparavant que deux caucus : celui du gouvernement et celui de l’opposition. Maintenant, dans le prétendu Sénat « indépendant » du premier ministre Trudeau, les contribuables doivent financer cinq caucus : le caucus du gouvernement, le caucus de l’opposition, le caucus du Groupe des sénateurs indépendants, le caucus du Groupe des sénateurs canadiens et le caucus du Groupe progressiste du Sénat. Chaque groupe reçoit déjà des budgets de groupe importants; toutefois, en vertu du projet de loi S-4, tous les leaders de ces nouveaux caucus recevront maintenant de l’argent supplémentaire des contribuables.

Contrairement au gouvernement et à l’opposition, les trois autres caucus n’ont pas de rôle précis au Parlement. Ils prétendent également être composés de sénateurs « indépendants » qui n’ont pas de positions communes sur les questions et qui ne votent pas ensemble. Si c’est le cas, pourquoi chaque groupe a-t-il besoin d’un « agent de liaison » qui joue le rôle d’un whip? Si les sénateurs n’ont pas de positions politiques communes, pourquoi les cabinets des leaders engagent-ils des employés chargés des politiques et des communications pour leurs caucus — je veux dire, leurs groupes? Le gouvernement Trudeau propose maintenant d’inscrire cela dans la Loi sur le Parlement du Canada. On met de côté 150 ans de tradition et d’histoire parlementaire pour satisfaire les caprices de Justin Trudeau. C’est vraiment décourageant.

Qui plus est, les nouveaux termes utilisés pour créer des postes de leadership supplémentaires au sein des caucus qui ne font pas partie de l’opposition ne sont même pas définis dans le projet de loi S-4. Par exemple, des termes comme « agent de liaison », « facilitateur », « représentant » ou « groupe parlementaire ». Entre qui l’agent fait-il la liaison? Qui ou quoi le représentant représente-t-il? Même les termes « facilitateur » et « agent de liaison » ressemblent à des synonymes. Tout le monde sait ce qu’est un leader ou un whip au titre de la Loi sur le Parlement du Canada parce que ces mots sont utilisés depuis des décennies, mais ces nouveaux termes portent à confusion.

Au Sénat, une partie importante de notre travail est d’examiner minutieusement les lois, et pourtant, on n’arrive même pas à fournir des définitions adéquates dans le projet de loi du gouvernement qui régit le Sénat. Je trouve cela très décevant.

La tentative du gouvernement Trudeau de faire adopter le projet de loi S-4 le plus tôt possible montre qu’il souhaite réduire le rôle de l’opposition au Sénat. Il n’y a pas si longtemps, le sénateur Harder, le parrain du projet de loi, qui était à l’époque leader du gouvernement au Sénat, puis qui s’est lui-même appelé représentant du gouvernement, avait préparé deux documents de travail — l’un en 2017 et l’autre en 2018 — décrivant les plans du gouvernement Trudeau pour détruire l’opposition.

Dans son document intitulé Second examen objectif : L’inévitable débat sur les débats, le sénateur Harder a écrit ceci :

Les bouleversements dans la composition du Sénat ont engendré un réel désir d’exécuter efficacement le travail du Parlement au nom des Canadiens et de laisser dans le passé l’obstruction procédurale.

Bon, un Sénat plus « efficace » qui « [laisse] dans le passé l’obstruction procédurale » ou qui fait de l’opposition « une chose du passé » pour éviter les « obstructions procédurales », comme les débats et la protestation — vous savez, ces caractéristiques ennuyeuses de la démocratie qui empêchent parfois un gouvernement d’être « efficace ».

Ce document de travail semblait donner suite aux propos du sénateur Harder l’année précédente. Lors d’une comparution en 2016 devant le Comité sur la modernisation du Sénat, le sénateur Harder, alors leader du gouvernement, avait déclaré ceci :

À mon avis, au sein d’une institution complémentaire plus indépendante et moins partisane, il n’y aura plus de caucus ministériel organisé et discipliné, alors, par conséquent, il ne devrait plus y avoir de caucus organisé de l’opposition officielle.

Étant donné que le sénateur Harder est maintenant le parrain du projet de loi à l’étude, qui vise à modifier la Loi sur le Parlement du Canada pour refléter notre « nouvelle réalité », ses propos antérieurs m’inquiètent davantage. Le sénateur Harder était le leader du gouvernement du premier ministre Trudeau au Sénat lorsque le gouvernement actuel, alors majoritaire, a tenté d’imposer des modifications unilatérales au Règlement de la Chambre des communes. Cela a entraîné une obstruction de six semaines au sein d’un comité de la Chambre avant que le gouvernement Trudeau ne doive finalement retirer sa proposition.

Selon moi, le projet de loi S-4 dilue les pouvoirs que la Loi sur le Parlement du Canada confère à l’opposition officielle, puisqu’il accorde des pouvoirs équivalents à d’autres groupes qui n’ont pas de rôle bien défini au Sénat. Il dévalorise le rôle de l’opposition par une érosion graduelle de leurs pouvoirs plutôt que par une attaque frontale. Finalement, la destruction du rôle de l’opposition officielle au Sénat signifierait, essentiellement, que le premier ministre nomme lui-même son opposition. C’est une idée absurde, qui n’a décidément rien de démocratique.

De plus, conformément aux changements apportés au Sénat par le premier ministre Trudeau, le leader du gouvernement au Sénat n’a plus de comptes à rendre à qui que ce soit. Par le passé, quand le leader du gouvernement au Sénat faisait partie d’un caucus partisan et était membre du Cabinet, l’axe de responsabilité était clair. Il était pleinement informé par le gouvernement et assistait aux rencontres du Cabinet et du caucus national. Il avait des comptes à rendre au gouvernement, au Cabinet et au premier ministre qui avait nommé chaque sénateur. Maintenant, comme on le sait, le leader du gouvernement au Sénat n’assiste aux rencontres du Cabinet que « lorsque c’est indiqué et qu’il est invité », une tournure élégante qu’emploie le sénateur Harder pour dire « à peu près jamais ».

Le sénateur Gold, lui, nous dit souvent pendant la période des questions qu’il va se renseigner auprès du gouvernement. Cependant, il s’écoule souvent de six à huit mois avant qu’il n’obtienne les renseignements voulus et qu’il en fasse part aux sénateurs. Pourquoi le Sénat est-il si bas sur la liste des priorités du gouvernement Trudeau quand vient le temps d’obtenir des réponses à nos questions en temps opportun? Il est évident que les changements que le premier ministre a apportés au Sénat aident le gouvernement libéral à se soustraire à la reddition de comptes. Cela explique probablement pourquoi le gouvernement Trudeau souhaite intégrer ces changements dans la Loi sur le Parlement du Canada.

Avant l’arrivée au pouvoir du premier ministre Trudeau, le leader du gouvernement au Sénat avait l’habitude de prononcer un discours substantiel devant les sénateurs pour la majorité des projets de loi du gouvernement, en plus du discours du parrain. Les sénateurs avaient ainsi la possibilité de poser des questions et de débattre de la position du gouvernement au sujet des projets de loi. De nos jours, cette responsabilité revient principalement au parrain du projet de loi, qui n’a manifestement pas de lien avec le gouvernement ni de véritable latitude pour fournir des réponses au nom du gouvernement.

(1550)

Même en l’absence de soutien du gouvernement, on s’attend à ce que les sénateurs indépendants qui parrainent des projets de loi suivent la ligne du parti. Souvent, ces sénateurs « indépendants » se font les valets du gouvernement Trudeau en présentant à la dernière minute des amendements à ses projets de loi à l’étape de l’étude article par article en comité. Pour la plupart, ces amendements ne proviennent pas des bureaux des sénateurs indépendants, mais directement du gouvernement Trudeau. Même si, dans bien des cas, ces amendements n’étaient pas nécessaires si les projets de loi émanant de l’actuel gouvernement étaient rédigés de manière appropriée au départ, le gouvernement Trudeau essaie de faire passer le nombre d’amendements comme la preuve que le nouveau Sénat « indépendant » est plus productif. Je ne suis pas d’accord. Tous ces changements ont pour effet de diminuer la responsabilité du gouvernement et l’efficacité du Sénat. Mais c’était là le but, n’est-ce pas, que moins d’obstacles se dressent devant le Cabinet Trudeau, qui est résolu à obtenir ce qu’il veut?

Honorables sénateurs, le modèle parlementaire traditionnel de Westminster, composé du gouvernement et de l’opposition, est fondamental pour le Sénat. Si l’on gruge constamment le fondement de la structure, celle-ci finira par s’écrouler. Les parlementaires ont la responsabilité de préserver les traditions démocratiques de la Chambre, dans l’intérêt de tous les Canadiens. Faisons un second examen objectif à cette fin. Merci.

Des voix : Bravo!

[Français]

L’honorable Raymonde Saint-Germain : Chers collègues, je prends brièvement la parole pour saluer la collaboration, amorcée en 2017 avec le gouvernement, en vue de permettre d’enchâsser dans la Loi sur le Parlement du Canada la réalité contemporaine du Sénat. Je veux souligner en particulier l’apport du sénateur Marc Gold et de son équipe, dont les efforts soutenus ont porté leurs fruits. Je tiens également à remercier le sénateur Yuen Pau Woo qui, avec l’appui de collègues du Groupe des sénateurs indépendants, se penche depuis 2017 sur ce dossier avec diplomatie et persévérance.

[Traduction]

Nous sommes heureux de voir les mesures et l’engagement pris par le gouvernement à l’égard du projet de loi S-4. Je tiens d’ailleurs à exprimer ma gratitude au Président du Sénat, l’honorable George J. Furey, aux leaders des autres caucus et groupes, et enfin, au ministre Dominic LeBlanc, qui ont agi en comprenant bien l’importance de cette modernisation de la loi.

Je crois que le projet de loi S-4 permet d’arriver à un bon compromis entre le progrès et la tradition, sans pour autant faire abstraction de l’histoire de cette institution, afin de moderniser la façon dont nous remplissons nos obligations en tant que parlementaires. Il ne s’agit pas de faire disparaître l’important rôle historique de l’opposition, mais plutôt de promouvoir l’esprit de collaboration entre tous les groupes et les caucus. Depuis que je suis au Sénat, j’ai été témoin de cet esprit de collaboration et de la valeur ajoutée que le Sénat apporte grâce à sa vaste diversité d’expertises, d’expériences et d’opinions.

Tout bien considéré, ce projet de loi vise principalement à assurer un traitement juste et équitable pour tous ces groupes et ces caucus, et donc pour tous les sénateurs. Je sais que nous pouvons tous y être favorables.

J’en profite pour faire le vœu qu’en examinant ce projet de loi, les élus de la Chambre des communes tiennent compte des avantages de la mise à jour de l’administration du Sénat. Le Sénat a pour rôle de servir de Chambre de second examen objectif, et je crois que d’agir de façon complémentaire constitue la meilleure façon de nous acquitter de cette responsabilité. Le projet de loi S-4, avec les changements auxquels il donnera force de loi, contribuera à développer cette complémentarité entre les deux Chambres du Parlement. Chacune a son rôle à jouer.

Chers collègues, ce projet de loi assurera davantage d’équité et d’indépendance à cette Chambre. Pour le reste, c’est à nous de jouer. Après tout, au Sénat, nous sommes maîtres de notre destinée. Il nous revient donc d’améliorer le Sénat au bénéfice des Canadiens. Nous devons nous assurer qu’il demeure ouvert à une saine confrontation des idées, tout en conservant une administration moderne répondant aux besoins contemporains des institutions démocratiques. La mise à jour de la Loi sur le Parlement du Canada constitue une autre étape menant à un Sénat modernisé. Chers collègues, voilà pourquoi je conclus mon discours en demandant le vote sur le projet de loi S-4.

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté, avec dissidence.)

Projet de loi modifiant la Loi électorale du Canada et le Règlement adaptant la Loi électorale du Canada aux fins d’un référendum (âge de voter)

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice McPhedran, appuyée par l’honorable sénateur Loffreda, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-209, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et le Règlement adaptant la Loi électorale du Canada aux fins d’un référendum (âge de voter).

L’honorable David M. Wells : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-209, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et le Règlement adaptant la Loi électorale du Canada aux fins d’un référendum (âge de voter).

Le projet de loi vise à faire passer l’âge de voter aux élections fédérales de 18 à 16 ans. Pour mes collègues qui ne le savent peut-être pas, je souligne que la mobilisation des jeunes a toujours occupé une place importante dans ma vie. J’ai toujours pensé que mon rôle de législateur était simplement un élargissement du service communautaire à l’échelle nationale.

C’est mon engagement communautaire à un jeune âge qui a fait naître en moi le désir d’apporter des changements positifs et d’améliorer la vie des Canadiens, que ce soit des travailleurs à risque, des étudiants de partout au pays, des gens qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale ou tout autre concitoyen. Dans la jeune vingtaine, je suis devenu mentor à Grands Frères Grandes Sœurs du Canada. Cette organisation a offert du mentorat à plus de 41 000 jeunes Canadiens l’an dernier. En fait, la division de Terre-Neuve-et-Labrador est l’un des organismes communautaires à qui j’ai décerné une médaille du 150e anniversaire du Sénat pour souligner son travail important, mais rarement célébré.

L’un des enfants que j’ai encadrés était un garçon qui n’avait plus son père. C’était avant que j’aie mes propres enfants, et j’ai trouvé gratifiant de pouvoir apporter de la joie dans sa vie et de l’aider à apprendre et à grandir. Nous avons fait du sport, nous sommes allés au cinéma et nous avons parlé de l’école, de la vie et de l’avenir. C’est une expérience qui m’a accompagné ma vie durant, car elle m’a montré de manière réelle, honnête et concrète le genre d’influence que l’on peut avoir quand on s’investit dans sa communauté en s’oubliant un peu et que l’on investit du temps, de l’énergie et de l’attention dans nos jeunes, qui sont l’avenir de ce grand pays.

Ce fut l’une des nombreuses occasions que j’ai eues d’entrer en contact avec des jeunes et de les entendre parler de leurs objectifs, de leurs intérêts et de leurs expériences, ainsi que de leurs visions pour l’avenir du Canada. Ils sont enthousiastes, optimistes et inventifs et je pense que j’ai plus appris d’eux qu’ils ont appris de moi.

J’ai beaucoup aimé mes expériences de sensibilisation des jeunes dans le cadre du programme SENgage du Sénat. Je suis fier que nous gérions un programme aussi significatif, qui voit des étudiants participer activement au travail que nous faisons ici, au Sénat. J’ai parlé avec des élèves du secondaire dans ma province natale de Terre-Neuve-et-Labrador et partout au Canada, en fait.

J’ai eu aussi la possibilité de présenter la toute première simulation du Sénat et d’y participer, en janvier 2020, avec les sénatrices Martin, Miville-Dechêne et Pate. Les étudiants ont débattu de mesures législatives, ont été initiés à la procédure parlementaire et ont réfléchi à des dossiers concernant notre pays. Ils ont fait un excellent travail. Je me souviens avoir été inspiré à l’idée que ces étudiants-là et bien d’autres seraient ceux qui débattraient, bientôt, de vraies mesures législatives, qui prendraient des décisions clés et guideraient notre pays à travers les aléas de la vie. J’ai eu le même sentiment lorsque j’ai participé, au fil des ans, au Parlement jeunesse de Terre-Neuve-et-Labrador à l’Assemblée législative de la province. Cette réflexion et ce sentiment d’inspiration se reproduisent à chacune de mes interactions avec nos dirigeants de demain.

(1600)

Ce ne sont là que quelques-unes des nombreuses occasions qui s’offrent actuellement à nos jeunes de participer au paysage politique du Canada. Chers collègues, comme vous le savez, je suis porte-parole pour le projet de loi S-209, et jamais je n’oserais prétendre que les jeunes de moins de 18 ans sont incapables de prendre des décisions sensées et bien éclairées sur le choix des dirigeants politiques ni que les jeunes ne devraient pas être inclus dans le processus politique du Canada.

En fait, à bien des égards, ils le sont déjà. Les Canadiens qui ressentent des affinités partisanes peuvent devenir membres de l’un de nos partis politiques dès l’âge de 14 ans. Quel que soit le parti politique, il s’agit d’une occasion valorisante pour les jeunes. Cela leur procure une tribune où faire entendre leur voix pour contribuer à façonner les politiques et leur permet de participer aux courses à la direction des partis, d’assister à des séances d’information et à des activités ainsi que de déterminer si les valeurs et les objectifs du parti correspondent aux leurs. C’est une excellente façon de sonder le terrain pour déterminer si appuyer un parti leur convient. Si le parti auquel un jeune choisit de se joindre à 14 ou 15 ans ne semble pas lui convenir, cela laisse amplement de temps à ce jeune pour en trouver un autre qui lui convient davantage avant de déposer son premier bulletin de vote.

Les jeunes Canadiens ont aussi d’autres moyens partisans et non partisans de s’impliquer en politique avant d’avoir l’âge de voter. Ils peuvent se joindre à un club de politique à l’école ou en créer un, ils peuvent participer aux campagnes locales, ils peuvent signer des pétitions, ils peuvent assister à des assemblées publiques auxquelles participent des élus et ils peuvent faire du bénévolat en tant qu’agents électoraux ou travailleurs électoraux.

Deux de mes fils se sont joints au Parti conservateur du Canada lorsqu’ils ont atteint l’âge de 14 ans. J’en étais ravi. J’ai commencé à m’impliquer en politique au début des années 1970. J’avais 12 ans et je préparais des enveloppes que j’allais livrer de maison en maison dans la circonscription qu’on appelait à l’époque St. John’s-Ouest. Un excellent outil que peu de Canadiens connaissent est le Registre des futurs électeurs. Créé en avril 2019, il s’agit d’un registre auquel les Canadiens de 14 à 17 ans peuvent s’inscrire s’ils le souhaitent. Lorsqu’ils atteignent l’âge de voter — 18 ans —, leur nom est inscrit au Registre national des électeurs.

Le Registre des futurs électeurs peut être utilisé par les jeunes pour s’engager de façon informelle à aller voter une fois qu’ils en auront l’âge. Nous devrions inciter les jeunes à le faire et simplifier le processus d’inscription à ce registre afin de le rendre accessible à davantage de jeunes Canadiens.

Nous devrions encourager les jeunes à prendre part à ces activités et leur offrir davantage d’occasions de le faire. Selon Statistique Canada, « [les] jeunes étaient plus susceptibles de participer à des activités politiques non électorales et communautaires que leurs aînés. » Nous devrions donc faire le maximum pour favoriser leur participation.

Nos jeunes aiment bien ce genre de participation. Elle leur permet de s’informer au sujet du système politique avant de voter pour la première fois. Cela leur offre la possibilité de développer leurs propres opinions et convictions politiques, qui peuvent être différentes de celles de leurs parents et amis. Ils sont incités à faire des réflexions en profondeur sur des questions importantes. Il n’y a pas d’âge minimum pour participer à des activités politiques non électorales et communautaires.

Comme certains de mes honorables collègues l’ont mentionné, il est vrai que les taux de participation des jeunes aux scrutins sont les plus faibles de tous les groupes d’âge au Canada. C’est un grave problème, car pour que l’ensemble de l’électorat puisse être représenté dans une démocratie, les membres de cet électorat doivent s’exprimer en allant voter. Voici un constat tiré d’une recherche effectuée par la Bibliothèque du Parlement :

De 1980 jusqu’à 2015, le taux de participation des jeunes électeurs aux élections générales fédérales a été beaucoup moins élevé que celui de tous les autres groupes démographiques. Lors des 42e élections générales tenues en 2015, les jeunes ont été nettement plus nombreux à voter qu’au cours des années précédentes, mais dans une proportion qui est néanmoins demeurée inférieure au taux de participation global. Cette participation moindre des jeunes Canadiens exerce un effet important à la baisse sur la participation électorale dans son ensemble.

Lorsqu’on examine le taux de participation électorale par groupe démographique, on observe des tendances troublantes au fil des années. En effet, entre les élections fédérales de 1984 et de 2000, le taux de participation électorale des gens de 18 à 29 ans a diminué de façon marquée, d’après la Bibliothèque du Parlement. Le taux de participation des jeunes de 18 à 24 ans, quant à lui, a baissé d’environ 20 %. Cette baisse s’observe encore.

Même si je conviens qu’il s’agit d’une faille de notre système démocratique, je m’oppose à la solution proposée. En réalité, je ne sais pas comment elle pourrait être envisagée comme solution. En abaissant à 16 ans l’âge de voter, le nombre de jeunes Canadiens qui votent pourrait bel et bien augmenter. Cependant, comment cela contribuerait-il à augmenter la participation électorale? Nous ne ferions qu’accroître la taille de l’électorat, au lieu de chercher à augmenter le taux de participation des jeunes électeurs.

La sénatrice McPhedran, qui parraine le projet de loi, a déclaré dans son discours à l’étape de la deuxième lecture qu’en abaissant l’âge du droit de vote, on favoriserait « [...] l’acquisition d’habitudes relatives à la participation à la vie civique. » Je ferai cependant valoir que nous devrions chercher à développer ces habitudes beaucoup plus tôt, grâce à l’engagement civique dont j’ai déjà parlé, en créant une multitude de possibilités à cet égard. Nous devrions encourager les jeunes Canadiens à se sentir enthousiastes à l’idée de voter à l’âge de 18 ans et à être prêts à prendre cette responsabilité. C’est crucial pour la démocratie du pays. Nous devrions d’ailleurs tout faire en notre pouvoir pour inculquer aux jeunes leaders ces notions, les encadrer et leur permettre de se développer. Nous devrions aussi mettre en place des structures favorisant la participation avant de confier à ces jeunes l’insigne responsabilité de voter.

Selon Statistique Canada, en 2013, un peu plus de la moitié des jeunes âgés de 15 à 19 ans et de 20 à 24 ans ont indiqué qu’ils s’intéressaient un peu à la politique, comparativement aux trois quarts des personnes âgées de 65 à 74 ans. Nous devrions tenter de stimuler l’engagement politique et l’intérêt des jeunes afin qu’ils se sentent fins prêts à voter quand ils auront 18 ans.

Il existe de nombreuses façons concrètes d’inciter les jeunes à participer au système politique, et nous devrions constamment insister sur ce point. La dernière chose à faire, c’est de laisser entendre que voter aux élections fédérales environ tous les quatre ans est la seule façon de participer à la vie civique en tant que citoyen du Canada. C’est plutôt le genre de croyance que nous devrions nous efforcer de changer. La participation civique est une tâche quotidienne ainsi qu’une responsabilité épanouissante. Elle consiste à se préoccuper de ses concitoyens, à s’intéresser aux questions locales et nationales et à faire entendre sa voix ainsi que celles des autres.

Dans son discours, la sénatrice McPhedran a indiqué ceci :

[...] l’avantage d’être parent d’un électeur nouvellement inscrit est que le parent est plus susceptible de voter à la même élection.

La sénatrice a aussi indiqué qu’une telle mesure pourrait ensuite faire augmenter la participation électorale. Cette augmentation pourrait être attribuable à l’adoption du projet de loi, mais elle ne devrait pas en constituer la raison d’être.

Décider de changer l’âge de voter peut avoir une grande incidence sur l’avenir de notre démocratie, et j’estime qu’une telle décision doit reposer sur des principes directeurs. Si l’objectif est de faire augmenter la participation électorale parmi les adultes ou les parents, nous devrions nous efforcer de l’atteindre grâce à des programmes civiques, en stimulant l’engagement communautaire et en faisant en sorte que la démocratie soit mieux adaptée.

Honorables sénateurs, au cours des débats sur ce projet de loi, vous vous êtes peut-être demandé pourquoi l’âge requis pour voter au Canada est actuellement fixé à 18 ans. Si vous ne comprenez pas le contexte, cet âge peut sembler arbitraire et facile à remplacer de façon interchangeable par l’âge de 15, 16, 17 ou 19 ans sans que cela fasse de différence notable dans notre démocratie. Un article publié sur le site Web d’Élections Canada et rédigé par Kees Aarts et Charlotte van Hees, deux chercheurs des Pays-Bas, explique en partie le contexte à prendre en compte. En ce qui concerne l’électorat appelé à voter, l’article indique qu’il existe deux critères faisant actuellement l’objet d’un consensus dans le monde. Le premier est l’âge minimum requis pour voter, qui est fixé à 18 ans. Ce document se trouve sur le site Web d’Élections Canada, chers collègues. Bien que le Parlement canadien ne doive pas prendre ses décisions en s’appuyant sur des travaux d’organismes externes, dans d’autres pays, il est important de comprendre les recherches qui sont menées sur le sujet dans le monde. Alors que l’humanité peut sembler de plus en plus divisée et que les désaccords et les conflits sont répandus, il me paraît nécessaire de souligner l’un des rares consensus qui existent dans le monde.

L’article indique qu’il y a quelques exceptions à ce consensus. J’ai demandé à la Bibliothèque du Parlement d’enquêter sur ces exceptions et elle m’a fourni une liste de pays où l’âge requis pour voter aux élections fédérales est inférieur à 18 ans. Il n’y a que 11 pays qui entrent dans cette catégorie. L’un de ces pays est la Corée du Nord et, en 2019, la BBC a décrit les élections comme des « élections parlementaires sans choix » où « le taux de participation est toujours près de 100 % et où l’alliance au pouvoir est unanimement plébiscitée. » L’article poursuit :

Lorsque c’est votre tour, vous recevez un bulletin de vote sur lequel figure un seul nom. Il n’y a rien à remplir, aucune case à cocher. Vous prenez le bulletin et vous le mettez dans l’urne, qui se trouve à la vue de tous.

Il y a également un isoloir où vous pouvez voter en privé, mais cela éveillerait immédiatement les soupçons, selon les analystes.

(1610)

Honorables sénateurs, des élections comme celles-là n’arriveraient évidemment jamais au Canada, mais cela démontre que la grande majorité des démocraties dans le monde considèrent la qualité d’électeur de la même manière que notre Parlement, qui favorise un engagement civique non électoral avant l’âge de 18 ans et qui permet le vote aux élections à partir de cet âge.

C’est la conclusion à laquelle est arrivée la Commission royale sur la réforme électorale et le financement de partis, également connue sous le nom de « commission Lortie », dans son rapport remis au Cabinet en 1991. On y dégage quatre critères servant à déterminer la qualité d’électeur, qui est considérée comme la pierre angulaire de la Loi électorale. Les critères sont les suivants : il faut détenir un intérêt dans la direction de la société, être apte à voter de façon rationnelle et éclairée, se conformer aux normes de la citoyenneté responsable et ne pas compromettre l’impartialité indispensable des responsables des élections.

La commission avait procédé à une analyse approfondie sur l’âge du droit de vote au Canada en cherchant à déterminer s’il valait mieux abaisser cet âge. Elle avait tenu compte des autres lois en vigueur au pays pour comprendre ce qui est permis ou non pour les mineurs âgés de 16 ou 17 ans au Canada. L’analyse avait donné lieu à la recommandation 1.2.9, comme suit : « Nous recommandons que 1’âge électoral soit fixé à 18 ans. »

Je comprends que beaucoup de choses ont changé et évolué dans notre pays depuis 1991, comme c’est le cas pour toutes les démocraties modernes et orientées vers l’avenir. Cependant, je crois que cette analyse et cette recommandation de la Commission Lortie demeurent valides aujourd’hui puisque le critère sur lequel reposait la recommandation n’a pas changé.

Cela m’amène au dernier point concernant le projet de loi S-209. Chers collègues, si ce projet de loi était adopté, de profonds changements seraient apportés aux critères pour avoir la qualité d’électeur, au déroulement des élections et à la composition de l’électorat. Pourtant, chers collègues, il est présenté dans la Chambre non élue.

Afin de vous mettre en contexte, j’aimerais utiliser l’exemple d’un autre projet de loi. Le 6 mai, il y a à peine un mois, le sénateur Harder a parlé du projet de loi S-4, Loi modifiant la Loi sur le Parlement du Canada et apportant des modifications corrélative et connexes à d’autres lois. Comme vous le savez, chers collègues, ce projet de loi porte sur le fonctionnement du Sénat.

Dans son discours, le sénateur Harder a déclaré ce qui suit :

Le gouvernement a déterminé, à juste titre, que les mesures proposées dans le projet de loi S-4 devaient venir du Sénat. Puisqu’elles portent sur le cadre institutionnel et les processus organisationnels du Sénat, ce sont les premiers concernés qui devraient en discuter et en débattre en premier.

Le ministre Dominic LeBlanc a fait des commentaires dans le même sens jeudi dernier, lorsqu’il a témoigné devant le comité plénier à propos du projet de loi S-4. Il a alors dit :

Je m’en remets évidemment à vous et à vos collègues sénateurs pour ce qui est de la structure que le Sénat choisit d’adopter. C’est pourquoi nous avons jugé crucial que ce projet de loi soit débattu et, nous l’espérons, adopté par le Sénat. Nous ferons ensuite tout notre possible pour qu’il soit débattu et adopté à la Chambre des communes.

Il a ensuite ajouté que le projet de loi S-4 :

[...] tire [...] ses origines du Sénat, dans la mesure où la Chambre des communes n’allait pas se prononcer sur des questions qui touchent directement et uniquement le Sénat si les différents groupes du Sénat et les dirigeants qui les représentent ne parvenaient pas à un consensus.

Il a ajouté qu’il serait régi par le vote du Sénat « si jamais il se prononce sur le projet de loi ».

Il existe un précédent à cet égard, selon lequel les projets de loi qui ont une incidence considérable sur le fonctionnement d’une Chambre doivent être d’abord présentés et débattus dans cette Chambre. La sénatrice McPhedran a mentionné ce précédent pendant son discours à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-209, en ces termes :

Il y a déjà eu des projets de loi d’initiative parlementaire visant à abaisser à 16 ans l’âge de voter, mais ils ont tous été présentés à l’autre endroit.

Quelles que soient vos réflexions ou vos opinions sur la teneur du projet de loi, force est de reconnaître que le faire avancer au Sénat constituerait une anomalie de procédure. Les décisions concernant les élections doivent être confiées à la Chambre élue. Des projets de loi semblables au projet de loi S-209 ont été présentés à l’autre endroit par le passé. D’autres seront probablement présentés dans l’avenir, mais nous devons donner à nos collègues de l’autre endroit la liberté d’entreprendre et de diriger ces efforts s’ils le souhaitent.

C’est pour ces raisons que je propose un amendement au projet de loi. Il s’agit d’un amendement motivé, ce qui est l’un des trois types d’amendements que l’on peut proposer à l’étape de la deuxième lecture. Il s’oppose au principe du projet de loi. Selon le document La procédure du Sénat en pratique, un amendement motivé :

[...] permet à un sénateur d’indiquer pourquoi il s’oppose à la deuxième (ou à la troisième) lecture d’un projet de loi en présentant une autre proposition qui vise à remplacer la question initiale.

Il importe de souligner que l’amendement motivé s’opposant au principe du projet de loi doit être présenté à la deuxième lecture, ce qui explique pourquoi je le fais ici, aujourd’hui.

La présentation d’un projet de loi qui modifie considérablement les qualités des électeurs au Canada doit relever de la Chambre élue.

Motion d’amendement

L’honorable David M. Wells : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que la motion soit modifiée par suppression de tous les mots après le mot « Que » et par substitution de ce qui suit :

« le projet de loi S-209, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et le Règlement adaptant la Loi électorale du Canada aux fins d’un référendum (âge de voter), ne soit pas maintenant lu une deuxième fois, parce qu’une proposition ayant un impact aussi fondamental sur le déroulement des élections dans ce pays, spécifiquement les qualifications des électeurs, devrait plus convenablement être présentée d’abord dans la Chambre élue, soit la Chambre des communes. »

L’honorable Pat Duncan : Honorables sénateurs, c’est avec gratitude et respect que je prends la parole depuis le territoire traditionnel de la Première Nation des Kwalin Dün et du Conseil des Ta’an Kwäch’än.

Avant de parler de l’amendement et de la motion, je tiens à remercier mes collègues d’avoir honoré, avec courage et dignité, la mémoire de ces 215 enfants qui ont perdu la vie à cause de l’odieux système de pensionnats du Canada. J’assisterai plus tard aujourd’hui au feu sacré en l’honneur de ces vies et je ferai part de vos sages paroles aux participants.

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi S-209, de l’amendement du sénateur Wells visant à renvoyer la question à la Chambre des communes et de la motion principale portant sur l’abaissement de l’âge pour voter aux élections fédérales canadiennes à 16 ans.

Elle a été membre du Service féminin de la Marine royale du Canada, journaliste et auteure reconnue, mairesse de Whitehorse, membre du comité exécutif du Conseil territorial du Yukon et membre fondateur du Musée des transports du Yukon : je parle de la regrettée Florence E. Whyard, qui a aussi été décorée de l’Ordre du Canada. C’était une bonne amie de la famille. Flo, comme elle se faisait appeler, m’a donné un t-shirt pour mon 30e anniversaire. On pouvait y lire une citation de la Loi électorale du Canada en 1918, selon laquelle ni les femmes, ni les idiots, ni les déséquilibrés, ni les criminels n’ont le droit de voter.

Honorables sénateurs, les gens, en particulier ceux qui ont couru un marathon ou fait du sport avec leurs enfants, se rappelleront l’expression : « C’est du déjà vu, je l’ai déjà fait, j’ai encore le t-shirt et je m’en sers maintenant pour laver la voiture. » Le t-shirt que Flo m’a donné était très grand et d’une vive couleur violette. Après notre mariage, mon époux l’a récupéré, et il lui est effectivement arrivé de le porter pour laver la voiture.

Par pur hasard, il le portait le jour où il m’a amenée en voiture au bureau de scrutin pour que je soumette ma première déclaration de candidature aux élections de l’Assemblée législative du Yukon.

Je vous raconte cette histoire, honorables collègues, pour expliquer mon attachement particulier à ce t-shirt et à l’expression qui s’y rapporte, même s’il est maintenant en lambeaux et tout juste bon à faire une courtepointe ou à être encadré.

(1620)

Ce t-shirt est important pour tellement de raisons. Il me rappelle l’immense contribution à la fonction publique de notre amie Flo Whyard, ainsi que de nombreuses autres femmes du Yukon comme Audrey McLaughlin, Margaret Joe, et mon ancienne collègue à l’Assemblée législative du Yukon, Lorraine Netro, une membre de la Première Nation des Gwitchin Vuntut ayant récemment reçu le Prix Glen Davis du leadership en conservation. Il me fait penser aux Célèbres cinq et à l’affaire « personne ». Surtout, cette expression du droit canadien m’aide à me rappeler que les assemblées législatives n’ont pas toujours raison, et qu’il faut parfois changer la loi.

Je remercie la sénatrice McPhedran de son excellent et inlassable travail sur ce projet de loi, d’avoir proposé cette idée et, surtout, d’avoir promis de poursuivre la discussion jusqu’à ce que des changements soient apportés. J’aimerais aussi remercier le sénateur Wells et d’autres collègues de leurs remarques et observations très réfléchies sur le sujet.

Les données recueillies dans le rapport publié en août 2020 par l’organisme Enfants d’abord Canada et l’exposé présenté à notre groupe par Eva Zeglovits, de l’Autriche, m’ont aidée à me renseigner sur le sujet. En avril, la sénatrice McPhedran, le sénateur Patterson du Nunavut, d’autres sénateurs et moi avons communiqué avec Patrick McDermott, un enseignant de l’école secondaire Inukshuk, et ses élèves du Nunavut par Zoom. Nous avons aimé leur excellent exposé sur le projet de loi S-209, qui vise à abaisser l’âge de voter.

Honorables sénateurs, cela m’a attristé de constater que si peu de jeunes Yukonnais avaient participé à la consultation mise sur pied par l’organisme Enfants d’abord Canada de mars à avril 2020 à ce sujet. Comme j’ai l’habitude de faire un second examen objectif, j’ai entamé mes propres discussions avec des jeunes du Yukon. Elles sont en cours. Je peux quand même donner aux sénateurs certains des renseignements que j’ai recueillis à ce jour. Voici certains des commentaires que j’aimerais partager avec vous, en particulier :

Je pense que ce projet de loi doit être adopté, parce qu’à l’heure actuelle, même si notre poids électoral n’est pas énorme — 2,9 % de la population —, à long terme, nous serons des adultes informés et volontaires qui voudront voter pour un gouvernement dans lequel nous pourrons croire.

J’ai trouvé ces réflexions d’un étudiant très à propos :

J’aimerais d’abord faire valoir que ce sont des jeunes d’environ 16 ans qui sont, actuellement, à la tête de grands mouvements politiques, comme les mouvements de la fierté gaie, Black Lives Matter et Vendredi pour l’avenir.

Je ferai remarquer que ce sont des élèves de cette même école qui ont inspiré et organisé les protestations qui ont amené l’Assemblée législative du Yukon — le premier parmi tous les territoires et les provinces à le faire au Canada — à interdire les thérapies de conversion.

En parlant d’inspirer le changement, un étudiant m’a écrit ceci :

Si les jeunes avaient leur mot à dire en politique, les politiciens comprendraient que beaucoup de jeunes veulent du changement. Un bon exemple de ce changement concerne le problème mondial très préoccupant des changements climatiques. Les vieux n’ont plus à se soucier de ce problème, parce qu’ils ne seront plus sur la planète très longtemps, mais les jeunes, eux, représentent l’avenir et ils ont encore toute une vie à vivre.

Chers collègues, sénatrice Coyle et sénatrice Galvez, je m’engage à soutenir vos efforts visant à encourager le Canada à lutter contre les changements climatiques aux côtés de cet étudiant. Je crois que nous ne sommes pas trop vieux pour travailler au changement.

Un étudiant a eu une idée un peu différente. Il trouvait intéressante l’idée de ramener l’âge de voter à 16 ans, mais avec une légère modification. Voici ce qu’il a écrit :

De la même manière qu’on me permet de conduire — de façon tout à fait convenable, comme d’autres, même si je continue d’apprendre —, ce serait peut-être une bonne chose de permettre aux jeunes de voter aux élections municipales, puisque les enjeux sont de moindre envergure et que les impacts sont beaucoup plus locaux.

J’ai toujours du plaisir, chaque fois que cela se présente, à échanger avec de jeunes Yukonnais et à recueillir leurs idées que je vous transmets ensuite. J’appuie le principe du projet de loi et son renvoi au comité pour un examen plus approfondi plutôt que l’amendement proposant que cette mesure soit présentée par l’autre endroit. J’ai surtout hâte d’en discuter avec des étudiants du Yukon.

Mon travail dans ce domaine a été retardé cette année non seulement en raison de la pandémie, qui a mis un frein à mes visites dans les écoles, mais aussi parce que la discrétion était de mise. J’ai aussi reporté la tenue de nouvelles discussions pendant la dernière campagne électorale territoriale. Même si l’année scolaire tire à sa fin, j’ai écrit aux directeurs et aux enseignants qui donnent des cours d’éducation civique pour leur rappeler ces discussions. À l’instar de la sénatrice McPhedran, j’ai ajouté que je m’attendais à ce que les discussions se poursuivent sans doute pendant un certain temps et que je continuerais de recueillir leurs opinions.

Avant de conclure, j’aimerais vous mentionner un dernier point. Honorables sénateurs, vous savez que 11 des 14 nations au Yukon ont des ententes sur l’autonomie gouvernementale, assorties à des traités modernes conclus avec le Canada et le Yukon. Dans 3 des 14 constitutions de ces nations, il est dit que les citoyens ont le droit de voter à partir de 16 ans.

J’ai récemment eu l’occasion de demander au chef Steve Smith des Premières Nations de Champagne et d’Aishihik comment l’âge de voter avait été fixé à 16 ans pour les communautés qu’il représente, qui font également partie des quatre premières Premières Nations du Yukon à avoir conclu un accord sur les revendications territoriales. Il a attribué la décision à la perspective plus ouverte de ses prédécesseurs et reconnu que le vote n’a pas seulement évolué à partir du désir d’un conseiller auprès des jeunes de faire participer tous les jeunes et d’avoir un âge de vote plus bas. Il m’a également dit que, étant donné qu’ils votent plus tôt, les jeunes ont continué à participer activement au gouvernement et à la direction de leurs Premières Nations.

Honorables sénateurs, notre ancien et estimé collègue, le sénateur Sinclair, a conseillé que l’éducation fasse partie de notre parcours vers la réconciliation. Profitons de l’éducation et tirons des leçons des Premières Nations et de leur respect pour la participation des jeunes. Accordons de l’importance à leurs opinions et poursuivons le débat sur l’abaissement de l’âge de voter. Au lieu d’adopter l’amendement du sénateur Wells, commençons la discussion en le rejetant et en acceptant la motion principale. Poursuivons ensuite notre discussion et renvoyons le projet de loi S-209 à un comité aux fins de discussion et d’étude plus approfondies.

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de faire ces commentaires. Gùnáłchîsh. Mahsi’cho.

[Français]

L’honorable Pierre J. Dalphond : Je n’ai pas de texte et je n’avais pas l’intention d’intervenir, mais, à la suite du discours du sénateur Wells, je sens le besoin de faire certains commentaires.

La question de l’âge nécessaire pour voter à une élection est une question fondamentale, mais je crois qu’il faut évaluer l’âge dans une dynamique plus vaste. Par exemple, au Québec, un jeune peut recevoir des traitements médicaux sans le consentement de ses parents dès l’âge de 14 ans. Il peut également, à cet âge, choisir de refuser de subir un traitement médical même si ses parents ont consenti à ce traitement, ce qui pourrait entraîner son décès. Dans beaucoup de provinces, y compris le Québec, un jeune de 16 ans peut obtenir un permis de conduire, conduire une voiture et mettre en péril la sécurité d’autres personnes.

Dans plusieurs États américains, il est interdit de boire de l’alcool avant l’âge de 21 ans, mais il est permis, à 16 ans ou à 18 ans, d’obtenir une arme à feu et de la transporter sur soi.

Honorables sénateurs, l’âge n’est pas une question magique; il fait plutôt référence à un degré de maturité et à un ensemble de connaissances et d’occasions d’apprentissage. Je ne sais pas quel devrait être l’âge exact pour voter; je ne sais pas si l’âge de 18 ans est trop bas ou trop élevé, mais je crois que cette question mérite d’être étudiée et qu’il faut entendre des témoins à ce sujet.

Des spécialistes en psychiatrie vous diront que le cerveau n’est pas formé avant l’âge de 21 ans. Faudrait-il pour autant interdire de voter avant 21 ans? Ce projet de loi soulève bien des questions. Je pense qu’une réflexion approfondie serait préférable au rejet du projet de loi à l’étape de la deuxième lecture. Un comité pourrait entendre des témoins, poser des questions et produire un rapport constructif, tout en participant aux débats sur une question fort importante : quelle place réservons-nous aux jeunes dans notre société?

Par exemple, le sénateur Wells parlait de jeunes qui deviennent membres de partis politiques dès l’âge de 14 ans et qui votent pour élire le chef de leur parti. Cependant, comme ils n’ont pas le droit de voter à l’élection suivante pour le chef qu’ils ont choisi et qui dirige le parti au sein duquel ils militent, cela fait en sorte qu’ils ne peuvent pas participer au processus ni voir le chef qu’ils ont choisi devenir chef du gouvernement.

(1630)

Il est quand même étonnant de constater que, lors des conventions, jusqu’à 33 % des places de membres au sein de certains partis politiques sont réservées à des jeunes qui peuvent voter sur des questions de politiques qui deviendront, par la suite, des politiques officielles du parti.

Je pense qu’il serait quelque peu prématuré de rejeter le projet de loi à cette étape-ci. J’invite donc mes collègues à rejeter cet amendement. Cependant, je suis très sensible à l’argument du sénateur Wells qui veut que le fait de savoir qui peut voter à une élection puisse être une question qui, légitimement, appartient aux élus et aux partis politiques. Toutefois, cela n’empêche pas le Sénat de mener une étude sur la question, et c’est ce que ce projet de loi permet de faire. Ainsi, le rapport qui suivrait la conclusion de cette étude nous permettrait de contribuer à la réflexion, y compris celle des députés.

J’invite donc mes collègues à rejeter cet amendement.

(Sur la motion du sénateur White, le débat est ajourné.)

[Traduction]

Projet de loi sur une approche axée sur la santé en matière de consommation de substances

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Boniface, appuyée par l’honorable sénateur Woo, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-229, Loi concernant une stratégie nationale de décriminalisation des substances illégales et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et d’autres lois en conséquence.

L’honorable Tony Dean : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-229, Loi sur une approche axée sur la santé en matière de consommation de substances. Je tiens à remercier la sénatrice Boniface, qui a fait preuve d’un leadership exceptionnel dans ce dossier important. Lorsqu’elle a prononcé son discours l’autre soir, elle s’est appuyée sur ses années d’expérience à titre de leader et de haute gradée de la police. Elle a mis en lumière la complexité de cet enjeu, une complexité qui explique pourquoi il faut miser sur une intervention multidimensionnelle et progressive. C’est exactement ce que propose son projet de loi.

Le Canada n’est pas seulement aux prises avec la pandémie de COVID-19 : il est aussi au milieu d’une autre épidémie causée par la prolifération d’opioïdes dans les drogues vendues dans la rue. Ces composés toxiques sont intégrés aux drogues qui aboutissent dans les rues des grandes villes, des banlieues et des zones rurales, et ils peuvent faire grimper les risques de surdose et de décès. Selon des données probantes, ces opioïdes ont gagné graduellement en puissance au fil du temps; ils ont donc plus d’effet sur les consommateurs et engendrent aussi une plus forte dépendance. Les risques pour la santé des consommateurs s’en trouvent accrus.

Cette crise a atteint un point de rupture, mais elle dure depuis des décennies. En effet, elle a commencé dans les années 1990, avec l’introduction d’opioïdes sur ordonnance par de grandes sociétés pharmaceutiques comme Purdue Pharma, qui affirmaient que ces analgésiques ne causaient pas de dépendance et qu’on pouvait donc en prescrire en plus grande quantité. Quand il est devenu évident que des patients les consommaient de façon abusive parce qu’ils causaient une dépendance, des professionnels de la santé ont entrepris de limiter les ordonnances, avec pour résultat que nombre de toxicomanes n’ont eu d’autre choix que de s’approvisionner dans la rue, où ils pouvaient se procurer des opioïdes plus puissants à moindre coût comme le fentanyl et, par la suite, le carfentanil. Les consommateurs qui se procuraient des opioïdes dans la rue plutôt que des opioïdes pharmaceutiques sur ordonnance s’exposaient à un risque de surdose beaucoup plus élevé.

La crise n’est toujours pas terminée, honorables sénateurs. Les cas de toxicomanie n’ont fait qu’augmenter dans la dernière décennie, tout comme les incidents impliquant la police, les arrestations et les accusations. Nous avons maintenant atteint un seuil critique, en grande partie à cause des restrictions liées au confinement et des mesures d’isolement forcé en réponse à la pandémie de COVID-19.

Selon l’Agence de la santé publique du Canada, de janvier à septembre 2020, il y a eu 4 395 cas de surdoses, comparativement à un total de 3 831 en 2019. Selon un rapport de Santé publique Ontario, dans les 15 premières semaines de la pandémie seulement, on a compté en Ontario 695 cas confirmés ou soupçonnés de décès liés aux opioïdes, ce qui représente une augmentation de 38 % par rapport aux 15 semaines précédant la pandémie.

Comme nous avons pu le constater avec le cannabis, il est évident que la guerre contre les drogues ne fonctionne pas. C’est donc une approche de réduction des méfaits qu’il faut. Je fais remarquer qu’il y a déjà eu des tentatives isolées de s’attaquer à la crise en employant des mesures de santé publique, avec la mise sur pied de centres d’injection supervisée et la création de politiques visant un approvisionnement en drogues sûres. Ces mesures importantes permettent de sauver des vies, mais elles ne suffisent pas. À l’évidence, une vaste stratégie incluant tous les ordres de gouvernement et tous les intervenants pertinents sera requise pour s’attaquer efficacement à cette crise. C’est d’ailleurs une vaste stratégie que la sénatrice Boniface recommande.

Honorables sénateurs, j’aborde cette question avec la même perspective que j’ai employée pour le projet de loi C-45, c’est-à-dire celle de la santé, de la politique sociale et de la justice sociale. J’ai déjà parlé de l’aspect de la santé. La prolifération des opiacés dangereux dans les drogues illicites augmente les risques pour la santé des utilisateurs, qui risquent la surdose. Du point de vue social, la crise des opioïdes a un effet dévastateur sur les personnes et les communautés. La pauvreté, l’absence d’un logement sûr, une santé mentale précaire et la toxicomanie ne sont que quelques-uns des déterminants sociaux pouvant augmenter les risques qu’une personne consomme des substances nocives.

Selon un sondage récent du Centre de toxicomanie et de santé mentale, 47 % des répondants ont augmenté leur consommation de substances psychoactives durant la pandémie de COVID-19, et 38 % d’entre eux ont affirmé qu’ils sont plus à risque d’une surdose en raison des ruptures d’approvisionnement. De plus, 7 % d’entre eux ont déclaré avoir fait une rechute pendant cette pandémie. Les chercheurs estiment que l’un des facteurs de rechute est le temps passé seul et isolé à la suite des restrictions liées à la pandémie. La consommation de drogue en solitaire augmente aussi les risques de surdose. Il ne faut pas oublier que de forts préjugés entourent toujours les troubles liés à la consommation de substances. Souvent, les gens ne veulent pas ou ne peuvent pas obtenir de l’aide.

Du point de vue du système de justice, la criminalisation de la possession de substances illégales entraîne des préjudices importants pour le consommateur et sa famille. L’emprisonnement peut avoir des conséquences sérieuses sur les perspectives de la personne et sa capacité de réintégrer la société et de décrocher un emploi. Le fait de traiter les troubles liés à la consommation de substances comme une question judiciaire au lieu d’une question de santé publique ne permettra pas à la personne d’obtenir l’aide dont elle a besoin, en plus d’imposer un lourd fardeau aux services d’application de la loi. Plus important encore, nous savons que la criminalisation n’a pas réduit le nombre d’arrestations pour possession de substances illégales. En fait, c’est plutôt le contraire qui a été observé. Plus précisément, les arrestations pour possession de méthamphétamine et d’héroïne ont augmenté au cours des 10 dernières années, et les incidents de consommation de substances en général ont aussi enregistré une hausse continue. Comme nous l’avons vu à maintes reprises, la criminalisation n’est pas un moyen de dissuasion efficace pour prévenir la consommation de substances illégales.

Il est évident qu’une nouvelle approche s’impose, et j’estime que le projet de loi S-229 établit un juste équilibre. Il obligerait la ministre de la Santé à créer une stratégie nationale de décriminalisation de la possession simple de substances illégales et abrogerait les dispositions de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances relatives à ces infractions. Le projet de loi permettrait de concrétiser la décriminalisation tout en laissant amplement de temps aux intervenants de s’y préparer en mettant en place des mécanismes de soutien.

(1640)

Honorables sénateurs, une stratégie nationale obligerait les gouvernements fédéral et provinciaux ainsi que les administrations municipales à collaborer à l’égard de cette importante question de santé publique. De plus, elle exigerait la consultation d’experts en santé, de policiers, de collectivités autochtones, d’organismes pertinents, d’organismes de réglementation et de personnes ayant des troubles liés à l’usage d’une substance. Ainsi, la stratégie serait complète et donnerait aux décideurs une bonne idée des mesures de santé publique nécessaires pour remédier adéquatement à la crise outre la simple décriminalisation des substances illégales.

En parlant de décriminalisation, entendons-nous sur sa signification. Selon le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, on parle de décriminalisation lorsque certaines activités, comme la possession de petites quantités de substances contrôlées, peuvent entraîner des sanctions non pénales, telles que des amendes ou des avertissements. En outre, le Centre déclare ceci :

La décriminalisation vise à réduire ces méfaits en éliminant les sanctions pénales obligatoires, souvent pour les remplacer par des mesures d’information et par l’accès à des traitements et à des services de réduction des méfaits. Il s’agit d’une approche ou d’une intervention complexe qui comprend un ensemble de politiques, de pratiques et de principes pouvant être mis en œuvre de diverses façons.

Chers collègues, c’est ce genre d’approche sophistiquée et intégrée que la sénatrice Boniface envisage dans ce projet de loi prévoyant.

Certains sénateurs pourraient craindre que la décriminalisation incite à la consommation, mais il est important de se rappeler que l’idée n’est pas de banaliser la consommation de drogues dures, mais bien de s’assurer que la réponse à cette consommation en soit une de compassion plutôt que de punition.

En outre, l’Association canadienne des chefs de police appuie la décriminalisation. Elle nous dit que :

[...] les données validées par de nombreux chefs de file nationaux en santé montrent que la décriminalisation de la possession simple est un moyen efficace de réduire les méfaits sur la santé et la sécurité publiques qui sont associés à la consommation de substances.

Dans un rapport publié en juillet 2020, l’association arrive à la conclusion que la décriminalisation devrait être une composante clé de la réponse à la crise des opioïdes et qu’elle s’inscrirait dans le cadre des outils déjà utilisés au pays comme les centres d’injection supervisée et les programmes d’approvisionnement sûr et de déjudiciarisation. Le rapport affirmait ceci :

Dans un régime de décriminalisation, les forces de l’ordre en première ligne seraient probablement davantage responsables d’amener les toxicomanes à se faire traiter.

L’association précise également que la décriminalisation ne constitue pas une politique complète en soi et qu’elle doit être soutenue par des programmes tels que les programmes de traitement de la toxicomanie auxquels on aura recours à la place de l’incarcération.

La sénatrice Boniface nous a d’ailleurs dit que le rapport insiste sur le fait que les centres de traitement doivent être opérationnels avant que la décriminalisation entre en vigueur. C’est ainsi que le projet de loi a été conçu. Voilà pourquoi le projet de loi prévoit que la décriminalisation entrera en vigueur à la date fixée par décret. Honorables sénateurs, c’est pour cela que la stratégie nationale est un élément clé du projet de loi. Elle permettra aux décideurs d’établir les fondements des systèmes de soutien afin d’élaborer un modèle efficace de décriminalisation.

Enfin, certains sénateurs s’interrogeront peut-être sur la nécessité de ce projet de loi puisque le gouvernement vient tout juste de présenter le projet de loi C-22. Ce projet de loi abrogerait certaines peines minimales, mais exigerait aussi que la police et le poursuivant envisagent des mesures de rechange au dépôt d’accusations dans les cas de possession simple comme des mesures allant de la déjudiciarisation à la participation à un programme de traitement de la toxicomanie. Quelle est l’utilité du projet de loi S-229, alors?

Dans le projet de loi C-22, la décision de déposer des accusations et d’entamer des poursuites pour la possession de substances illégales est entre les mains de la police et du poursuivant. Il permettrait aussi aux tribunaux de rendre une ordonnance de sursis si la personne n’est pas une menace pour la société.

Comme le signale clairement l’Association canadienne des chefs de police, la décriminalisation est urgente, mais l’instauration de programmes de traitements et de services de soutien pour faire face à la crise l’est aussi. Avec le projet de loi S-229, la stratégie nationale servirait à établir la meilleure voie à suivre pour le Canada.

Les défenseurs ont également clairement indiqué que la décriminalisation est le moyen le plus efficace d’éviter le casier judiciaire pour cause de toxicomanie, et la nature discrétionnaire du projet de loi C-22 ne va pas assez loin.

Chers collègues, j’espère que vous vous joindrez à moi pour appuyer le projet de loi S-229. Ce projet de loi est fondé sur les données exhaustives que la sénatrice Boniface nous a communiquées. J’en ai fourni moi-même. On a jugé nécessaire d’adopter une approche progressive et à plusieurs volets pour lutter contre une crise sanitaire et sociale complexe, qui exclue toute possibilité de solution rapide ou facile. N’est-ce pas d’ailleurs ce que nous dicte notre instinct? Il s’agit en effet d’un problème complexe et épineux qui nécessite une approche globale, que propose le projet de loi dont nous sommes saisis.

La crise des opioïdes a atteint un point critique. Les statistiques sont choquantes. Il faudra du temps pour mettre en place les processus, les mécanismes et le financement nécessaire pour faire de cette proposition sophistiquée une réalité, mais le plus tôt nous entamerons le processus, le mieux ce sera. Le plus tôt nous l’entamerons, le plus de vies seront épargnées et le moins de familles perdront des proches. Faisons avancer les choses le plus tôt possible en exprimant très clairement notre appui. Merci.

L’honorable David Richards : Sénateur Dean, j’ai une observation à faire et une question à poser.

Il y a un vrai problème de dépendance à la méthamphétamine dans ma province et ma région. Cette drogue faite tellement de ravages que sa consommation est synonyme de condamnation à mort. Presque tous ceux qui la consomment posent d’une manière ou d’une autre un danger pour autrui ou pour eux-mêmes. Comment le projet de loi permettrait-il de réduire le moindrement la criminalité et les ravages que subissent les familles? Comment le projet de loi allégerait-il le problème?

Le sénateur Dean : Merci, sénateur. Vous décrivez ce qui se passe partout au pays, dans les petites et les grandes villes. La crise touche toutes les familles : riches, pauvres ou à revenu moyen. Nous ne réglerons pas ce problème avec les processus actuels. Vous avez posé une excellente question. À mon avis, la seule façon de s’attaquer au problème et de le régler, c’est en adoptant le genre d’approche multidimensionnelle que nous recommandent la sénatrice Boniface et l’Association canadienne des chefs de police.

Il me semble — et cela m’a frappé l’autre jour — que non seulement l’Association canadienne des chefs de police préconise cette mesure, mais aussi trois anciens chefs de police qui sont maintenant sénateurs.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Merci. Votre temps de parole est écoulé.

Le sénateur Dean : Merci, Votre Honneur.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

La Loi sur la citoyenneté

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) propose que le projet de loi S-230, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (attribution de la citoyenneté à certains Canadiens), soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je suis honorée de prendre la parole aujourd’hui pour parler du projet de loi S-230, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (attribution de la citoyenneté à certains Canadiens), qui vise un groupe qu’on appelle les « Canadiens perdus ». Selon l’Encyclopédie canadienne, l’expression « Canadiens perdus » désigne les personnes ayant perdu la citoyenneté canadienne conférée à la naissance, ou n’y étant pas admissibles bien qu’ils devraient y avoir droit de par leur présence au Canada.

(1650)

Ce projet de loi d’intérêt public du Sénat comblera une lacune précise de la Loi sur la citoyenneté afin d’inclure un petit groupe de Canadiens perdus qui auraient dû être inclus lorsque des amendements ont été apportés au projet de loi C-37 en 2009 — ma première année en tant que sénatrice. À l’époque, je ne comprenais pas les problèmes des Canadiens perdus. J’ai une meilleure compréhension aujourd’hui et j’espère pouvoir expliquer l’urgence d’aider les Canadiens perdus en adoptant le projet de loi.

Avant de poursuivre, je tiens à remercier tous ceux qui ont travaillé et continuent de travailler sans relâche pour aider les Canadiens perdus qui sont parmi nous.

J’aimerais rendre hommage à Don Chapman, un des vrais champions pour les « Canadiens perdus », ayant lui-même été un Canadien dépossédé de sa citoyenneté. Il milite sans relâche pour toutes ces personnes et leur famille de son propre chef. Quand je l’ai rencontré pour la première fois, sa ferveur était indescriptible. J’ai été quelque peu surprise de son intensité. Je lui ai demandé de m’expliquer pourquoi cette cause était si importante pour lui. C’était à l’époque du projet de loi C-37 et je siégeais au comité qui allait être chargé d’étudier ce projet de loi. Il m’a donné une seule raison et j’ai compris son point de vue et pourquoi il y travaille sans relâche. En sa qualité de pilote professionnel, il m’a dit : « Si l’atterrissage se passe bien, que 99 % des passagers sont en sécurité et que seulement 1 % des passagers sont perdus, je n’aurai pas fait mon travail. » Il est lui-même l’un de ces « Canadiens perdus ». Il m’a dit qu’il faut poursuivre les efforts jusqu’à ce que tous les « Canadiens perdus » aient récupéré la citoyenneté qui leur revient de droit. Je tiens à rendre hommage à Don et à souligner son travail remarquable. Nous sommes devenus des amis au fil du temps.

Je tiens à souligner le travail de l’ancien Président Noël Kinsella et des anciens sénateurs David Tkachuk et Art Eggleton, qui se sont aussi grandement dévoués à la cause des « Canadiens perdus ».

Je tiens aussi à reconnaître le travail de la porte-parole pour ce projet de loi, la sénatrice Ratna Omidvar, qui connaît très bien les défis des « Canadiens perdus ». Je la remercie pour les discussions que nous avons eues jusqu’à aujourd’hui.

Le projet de loi S-230 vise un groupe de Canadiens qui ont perdu leur statut de citoyen ou sont devenus apatrides à la suite d’un changement de politiques.

De 1947 à 1977, les enfants nés à l’étranger obtenaient la citoyenneté seulement si leurs parents les avaient fait inscrire comme citoyens moins de deux ans après leur naissance. Ils devaient être nés dans les liens du mariage d’un père canadien, alors que les enfants nés hors mariage devaient être nés d’une mère canadienne.

En 1977, le gouvernement a proposé une nouvelle Loi sur la citoyenneté. En vertu de cette loi, les enfants nés à l’étranger le 14 février 1977 ou après ont obtenu la citoyenneté canadienne si l’un des deux parents était citoyen canadien, peu importe son état matrimonial. Toutefois, si un parent canadien était lui aussi né à l’étranger, son enfant avait jusqu’à l’âge de 28 ans pour demander de conserver sa citoyenneté canadienne. Si un enfant ne présentait pas une demande avant son 28e anniversaire, il perdait sa citoyenneté.

Certains Canadiens ignorant cette règle se sont peut-être vu retirer leur citoyenneté à leur insu. Ces événements et ces changements de politique ont eu des répercussions sur la vie des gens.

L’article 8 de la Loi sur la citoyenneté se lit comme suit :

La personne qui, née à l’étranger après le 14 février 1977, possède la citoyenneté en raison de la qualité de citoyen reconnue, à sa naissance, à son père ou sa mère au titre de l’alinéa 3(1)b) ou e), la perd à l’âge de vingt-huit ans sauf si :

a) d’une part, elle demande à conserver sa citoyenneté;

b) d’autre part, elle se fait immatriculer comme citoyen et soit réside au Canada depuis un an à la date de la demande, soit démontre qu’elle a conservé avec le Canada des liens manifestes.

La loi a été adoptée, puis oubliée. Le gouvernement n’a jamais publié de formulaire pour la conservation de la citoyenneté, on n’a pas formulé d’instructions expliquant comment une personne pourrait confirmer sa citoyenneté, et les personnes touchées n’ont jamais été informées de l’exigence à satisfaire pour conserver leur citoyenneté.

En 2009, le projet de loi C-37 a apporté des modifications à la Loi sur la citoyenneté et tenté de régler le problème que posent ces Canadiens dépossédés de leur citoyenneté.

Le 17 avril 2009, les règles entourant la citoyenneté canadienne ont changé pour les personnes qui sont nées à l’extérieur du Canada de parents canadiens et qui n’étaient pas déjà citoyennes canadiennes quand les règles ont changé. L’entrée en vigueur de ces règles n’a rien changé pour les gens qui avaient déjà la citoyenneté canadienne. Par contre, la citoyenneté canadienne par filiation, qui est octroyée aux personnes nées à l’extérieur du Canada d’un parent canadien, ne s’applique désormais qu’à la première génération née à l’extérieur du Canada.

Cela signifie que, en général, les personnes qui n’étaient pas déjà des citoyens canadiens avant le 17 avril 2009, date de l’adoption du projet de loi C-37, et qui sont nées à l’étranger d’un parent canadien, ne sont pas canadiennes si les conditions suivantes sont réunies : leur parent canadien est lui aussi né à l’étranger d’un parent canadien, et cette personne est en conséquence la deuxième génération ou la génération subséquente née à l’étranger; ou leur parent canadien a obtenu la citoyenneté canadienne selon les dispositions d’adoption de l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté — c’est-à-dire que cette personne fait alors partie de la deuxième génération née à l’extérieur du Canada —, à moins que leur parent ou leur grand-parent canadien ait travaillé, selon la définition d’une des exceptions suivantes à la limite de la première génération.

Quand il s’agit de citoyenneté, la limite de la première génération ne s’applique pas à une personne née à l’étranger dans une deuxième génération ou dans une génération subséquente si les conditions suivantes sont réunies : lors de la naissance de la personne, son parent canadien travaillait à l’étranger pour les Forces armées canadiennes, l’administration publique fédérale ou la fonction publique d’une province ou d’un territoire, autrement qu’en tant que personne engagée sur place (un fonctionnaire); ou, lors de la naissance ou de l’adoption de ses parents canadiens, le grand-parent canadien de la personne travaillait à l’étranger pour les Forces armées canadiennes, l’administration publique fédérale ou la fonction publique d’une province ou d’un territoire, autrement qu’en tant que personne engagée sur place (un fonctionnaire).

Les règles peuvent également viser les enfants adoptés par des parents canadiens à l’extérieur du Canada, selon la façon dont ces enfants ont obtenu ou obtiendront leur citoyenneté.

Les personnes nées d’un parent canadien qui ne sont pas admissibles à la citoyenneté par filiation en raison de la limite de transmission à la première génération peuvent présenter une demande de résident permanent et, après avoir obtenu le statut de résident permanent, présenter une demande de citoyenneté au titre de l’article 5 de la Loi sur la citoyenneté.

Cette modification a entraîné l’abrogation de la règle des 28 ans. Les Canadiens visés par la règle, mais qui n’avaient pas encore atteint cet âge, ont bénéficié d’une clause de droits acquis. Toutefois, le projet de loi C-37 a quand même laissé pour compte un petit groupe de Canadiens perdus.

Ces Canadiens nés à l’étranger entre 1977 et 1981 — à savoir ceux qui ont atteint l’âge de 28 ans avant l’adoption du projet de loi C-37 en 2009 — sont le tout petit groupe de personnes dont il est question dans la mesure législative. Certaines de ces personnes étaient conscientes de la règle des 28 ans et elles ont soit présenté une demande pour garder leur citoyenneté, soit laissé cette dernière leur être retirée. D’autres ne connaissaient pas la règle et ont donc perdu leur citoyenneté lors de leur 28e anniversaire. Aujourd’hui, la règle de conservation de la citoyenneté avant l’âge de 28 ans s’applique uniquement aux Canadiens de deuxième génération nés dans la période de 50 mois allant du 15 février 1977 au 16 avril 1981, c’est-à-dire ceux qui ont eu 28 ans avant l’entrée en vigueur du projet de loi C-37.

Bon nombre de ces personnes ont grandi au Canada à partir de leur plus jeune âge. Elles sont allées à l’école ici, elles ont élevé leur famille ici, elles ont travaillé et payé des impôts, et pourtant, elles ignoraient que, quand elles auraient 28 ans, elles seraient déchues de leur citoyenneté canadienne. Rien n’était prévu pour informer ce groupe de Canadiens de l’existence de cette règle, ni lettre d’Immigration Canada ni informations transmises à l’avance. Je pourrais vous parler de plusieurs cas aujourd’hui, mais je préfère ne parler que de deux d’entre eux pour vous donner une idée de la situation dans laquelle ces Canadiens perdus se sont retrouvés.

Mme Byrdie Funk est née au Mexique de deux parents canadiens, mais elle est arrivée au Canada quand elle n’avait que deux mois. Elle a grandi dans le Sud du Manitoba, où elle est allée à l’école, s’est fait des amis et a appris à patiner sur l’étang derrière sa maison. Puis, à l’âge de 36 ans, elle a essayé de faire renouveler son passeport. Au lieu de recevoir un nouveau passeport, elle a reçu une lettre du gouvernement l’informant qu’elle n’était plus citoyenne canadienne. Elle avait 36 ans, et le couperet des 28 ans était tombé.

Anneliese Demos est une mère de quatre enfants, âgée de 39 ans, qui vit à Winnipeg. Elle a deux emplois et paie de l’impôt sur ses revenus. Elle vit au Manitoba depuis qu’elle a 2 ans, mais est née au Paraguay, de parents canadiens.

(1700)

En 2012, elle a présenté une demande de passeport en vue de voyager, et sa demande a été acceptée. Six ans plus tard, Mme Demos a reçu une lettre de Citoyenneté et Immigration l’informant que son passeport avait été délivré par erreur et qu’elle n’était pas, en fait, citoyenne canadienne. La lettre lui demandait de renvoyer son certificat de citoyenneté, celui qu’elle avait reçu à l’âge de 2 ans.

Mmes Demos et Funk se sont toutes deux vu attribuer la citoyenneté par le ministre de manière discrétionnaire et sont de nouveau citoyennes canadiennes. Les attributions discrétionnaires de citoyenneté s’effectuent au cas par cas. Le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté a le pouvoir discrétionnaire d’attribuer la citoyenneté à quiconque se retrouve dans cette situation particulière. L’attribution discrétionnaire vise à remédier à une situation d’apatridie ou une situation particulière et inhabituelle de détresse ou à récompenser des services exceptionnels rendus au Canada.

Or, cette mesure n’est pas une solution au problème auquel se heurtent les Canadiens ayant perdu leur citoyenneté et ne les protège pas. Ces personnes vivent chaque jour avec la peur d’être expulsées du Canada. Elles n’ont pas de numéro d’assurance sociale. Elles ne peuvent pas accéder à notre système de santé. Elles ne peuvent pas obtenir d’emploi. Elles ne peuvent pas voyager et vivent dans l’incertitude avec leurs enfants.

Honorables collègues, en conclusion, le projet de loi S-230 propose les modifications suivantes à la Loi sur la citoyenneté afin que ce petit groupe de Canadiens ayant perdu leur citoyenneté puisse redevenir des citoyens canadiens à part entière et qu’ils aient droit à un traitement équitable, comme ceux qui n’ont pas eu la malchance de se retrouver dans cette fenêtre de 15 mois pendant laquelle la règle des 28 ans s’appliquait et rendait les gens inadmissibles. Ces personnes ont laissé leur citoyenneté canadienne leur être retirée parce qu’ils ont eu 28 ans et qu’ils n’étaient pas au courant de la situation.

Les modifications suivantes à la Loi sur la citoyenneté sont prévues dans le projet de loi :

1 (1) Le sous-alinéa 3(1)f)‍(iii) de la Loi sur la citoyenneté est remplacé par ce qui suit :

(iii) elle a présenté la demande visée à l’article 8, dans ses versions antérieures au 17 avril 2009, pour conserver sa citoyenneté et cette demande a été rejetée;

(2) Le paragraphe 3(1) de la même loi est modifié par adjonction, après l’alinéa g), de ce qui suit :

g.‍1) qui, née à l’étranger après le 14 février 1977, aurait qualité de citoyen si elle avait présenté la demande visée à l’article 8, dans ses versions antérieures au 17 avril 2009;

(3) Les paragraphes 3(4) et (4.‍1) de la même loi sont remplacés par ce qui suit :

Exception

(4) Le paragraphe (3) ne s’applique pas à la personne qui avait qualité de citoyen le 11 juin 2015.

2 Le sous-alinéa 27(1)j.‍1)‍(i) de la même loi est remplacé par ce qui suit :

(i) a qualité de citoyen au titre des alinéas 3(1)f), g) ou g.‍1),

Chers collègues, ces personnes sont des mères, des pères, des enfants, des vétérans qui demeurent des Canadiens perdus. Ils n’ont pas eu droit au même traitement équitable que ceux qui n’ont pas eu la malchance de se retrouver dans cette fenêtre de 15 mois. L’heure est venue de rectifier cette erreur. Malheureusement, certains Canadiens perdus sont décédés depuis. Nous ne voulons pas que d’autres meurent avant qu’ils obtiennent les droits qui sont chers au Canada et qui font de celui-ci un pays multiculturel et dynamique.

Honorables sénateurs, je vous demande d’appuyer le projet de loi à l’étape de la deuxième lecture. Merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice, acceptez-vous de répondre à une question du sénateur Dalphond?

La sénatrice Martin : Oui.

L’honorable Pierre J. Dalphond : Ma question porte sur ce groupe de Canadiens perdus. Savez-vous combien ils sont?

La sénatrice Martin : Je n’ai pas un chiffre exact, mais il s’agit seulement d’une fenêtre de 15 mois. Ces Canadiens perdus auraient eu 28 ans entre le 15 février 1977 et le 16 avril 1981. L’abrogation de la disposition sur l’âge de 28 ans dans le projet de loi C-37 que nous avons adopté ne s’applique donc pas à eux.

Je ne crois pas qu’ils soient des milliers. Ils sont peut-être des centaines, mais peut-être encore moins que cela. Il y en a dont nous n’avons jamais entendu parler, mais nous savons que certains communiquent avec des défenseurs de leurs droits. Ils ont très peur d’être déportés, car ils sont apatrides. Je peux dire que c’est un petit groupe, mais je ne peux vous donner un chiffre en ce moment.

Le sénateur Dalphond : Merci.

L’honorable Ratna Omidvar : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-230, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté concernant l’attribution de la citoyenneté à certains Canadiens, qui a été présenté par notre collègue la sénatrice Martin.

Avant de parler du projet de loi, je tiens à souligner que le 1er juin a été un jour porteur de changement au Sénat. Nous avons adopté le projet de loi S-4. Nous avons conservé les traditions que nous avons jugé nécessaires, mais nous nous sommes aussi tournés vers l’avenir avec confiance. Je tiens à remercier notre collègue le sénateur Marc Gold, qui a fait preuve de dévouement pour présenter ce projet de loi au Sénat.

Je suis la porte-parole officielle du projet de loi S-230. J’ai toujours pensé qu’un porte-parole était quelqu’un qui devait s’opposer à quelque chose. En vérité, il n’y a pas grand-chose qui mérite qu’on s’y oppose dans ce projet de loi attendu depuis longtemps, alors je l’appuie fermement.

Quand je suis devenue sénatrice en 2016, j’ai commencé à recevoir des courriels de Canadiens qui savaient que je m’intéressais à la citoyenneté. C’est à ce moment-là que j’ai entendu pour la première fois l’expression « Canadiens perdu ». Pour être honnête, j’étais perplexe parce que ceux d’entre nous qui sont venus vivre au Canada savent à quel point c’est un privilège d’être Canadien. Selon moi, il est inconcevable qu’on puisse perdre involontairement sa citoyenneté à cause de ce que je qualifierais d’erreur et de cafouillage bureaucratique ou d’occasions ratées.

En juin 2016, j’ai prononcé un discours dans cette enceinte en tant que porte-parole du projet de loi C-6 qui portait sur la souveraineté. J’avais utilisé l’image d’une maison pour décrire la citoyenneté canadienne, avec son toit solide, ses portes solides et beaucoup de fenêtres pour laisser entrer les rayons du soleil, mais aussi pour tenir les dangers à l’extérieur. Je crois que la métaphore est encore valable aujourd’hui, mais les fondations de la maison reposent sur certains principes.

Le premier principe, qui est le plus important, est celui de l’égalité entre les citoyens. Tous les Canadiens, qu’ils soient nés ici, qu’ils aient été naturalisés, qu’ils soient détenteurs d’une seule nationalité ou qu’ils en aient deux, qu’ils soient âgés de 50 ans, de 10 ans ou de 1 mois, sont traités de manière égale devant la loi. Des droits égaux, des responsabilités égales et, lorsque cela est nécessaire, des punitions égales. Ce n’est pas un idéal vers lequel on tend. C’est plutôt le minimum. C’est ainsi que s’incarne au Canada le principe fondamental de l’égalité.

Le deuxième principe est l’accessibilité à la citoyenneté pour les personnes qui répondent aux critères. En ayant recours encore une fois à la métaphore de la maison, je vous dirais que l’accessibilité correspond à la salle familiale avec une belle grande porte accueillante où crépite un bon feu dans la cheminée pour chasser le froid. Cependant, pour certains Canadiens, le feu s’est éteint par inadvertance et ils ont été exclus ou bannis de la maison.

Comme l’a souligné la sénatrice Martin, beaucoup vivent au Canada depuis des années sans même se rendre compte qu’ils n’ont peut-être plus la citoyenneté canadienne. Bien qu’on ait tenté de régler la question de la citoyenneté de différentes façons au moyen de solutions législatives, celles-ci n’ont jamais réussi à englober tout le monde. Il s’agit là d’un véritable exemple des conséquences négatives involontaires d’une loi que nous avons à gérer de diverses manières.

Lorsque je suis intervenue au sujet du projet de loi C-6, qui était une loi omnibus sur la citoyenneté, l’ancien sénateur Willie Moore, qui était avec nous, m’a demandé si les Canadiens perdus retrouveraient leur citoyenneté. Malheureusement, j’ai dû lui répondre que non, cela ne faisait pas partie de la portée du projet de loi.

(1710)

Après l’adoption du projet de loi C-6, l’ancien sénateur Eggleton en est devenu le parrain. Il était presque prêt à le déposer à l’approche de son départ à la retraite. Encore une fois, le projet de loi s’est retrouvé en quelque sorte orphelin. Depuis, Don Chapman et d’autres personnes se sont adressés à la sénatrice Martin, à la sénatrice Jaffer et à nous tous pour tenter d’attirer notre attention sur le projet de loi. Je suis extrêmement reconnaissante envers la sénatrice Martin de prendre ce taureau par les cornes et de le ramener à notre attention.

Comme nous le savons, et comme la sénatrice Martin l’a expliqué, le système d’immigration est incroyablement complexe. Le droit de l’immigration est complexe. Le droit de l’immigration comprend le droit de la citoyenneté, qui est incroyablement complexe. Les gens se retrouvent parfois pris dans ce filet et ont du mal à s’en sortir.

Comme l’a expliqué la sénatrice Martin, la portée du projet de loi est restreinte. En 1977, une nouvelle Loi sur la citoyenneté est entrée en vigueur. En vertu de cette loi, les enfants nés à l’étranger le 14 février 1977 ou après ont obtenu la citoyenneté canadienne si l’un des deux parents était citoyen canadien, peu importe son état matrimonial.

Toutefois, si le parent canadien était né à l’extérieur du Canada et que, par conséquent, l’enfant était considéré de deuxième génération, l’enfant devait faire une demande de citoyenneté avant l’âge de 28 ans. S’il ne présentait pas une demande avant l’âge de 28 ans, sa citoyenneté lui était retirée, souvent sans qu’il s’en rende compte.

Plus tard, en avril 2009 — bien des années plus tard, on tente encore de faire du rattrapage —, le projet de loi C-37 a changé de nouveau la Loi sur la citoyenneté en abrogeant la règle des 28 ans. Cependant, le projet de loi ne couvrait pas complètement les Canadiens qui sont nés à l’étranger pendant la période limitée de 1977 à 1981 et qui ont eu 28 ans avant que le projet de loi C-37 entre en vigueur. Certains d’entre eux étaient assez bien informés et ont présenté une demande de citoyenneté. D’autres sont tout simplement passés entre les mailles du filet.

Le sénateur Dalphond s’est demandé combien sont dans cette situation. Je suis également curieuse de le savoir. Selon l’information dont je dispose, il n’y en a certainement pas des milliers. Il pourrait même y en avoir seulement quelques centaines. Cependant, j’espère que nous pouvons tous admettre que, même s’il n’y en a qu’une centaine, il est important que ces gens puissent faire valoir leurs droits en tant que Canadiens.

Bon nombre de personnes qui sont nées à l’étranger, mais qui ont été élevées au Canada, se sont établies au Canada. Ces gens ont fréquenté l’école ici, et ils y ont un emploi et une famille. Ils sont profondément enracinés ici. Ils ont payé des impôts ici. Cependant, ils n’étaient pas au courant du problème, tout comme il m’arrive de ne pas me rendre compte que mon permis de conduire est expiré, et j’ai ensuite beaucoup de difficulté à le récupérer; c’est le genre de chose qui peut arriver. Comme je l’ai dit, on parle d’au plus quelques centaines de personnes.

Comme la sénatrice Martin l’a expliqué, le gouvernement s’en remet à des nominations ministérielles. Chaque fois que j’ai fait appel à l’un des ministres de l’Immigration qui se sont succédé, ils ont tous répondu : « Pas de problème. Je peux m’en occuper. Envoyez-moi le dossier. » Or, honorables sénateurs, une telle approche ne permet pas de régler de façon systémique ce type d’injustice. Il nous faut une loi. Même si Byrdie Funk — quelqu’un que j’admire beaucoup — et Anneliese Demos — même chose — avaient la capacité de défendre leur cause, je m’inquiète pour ceux qui ne l’ont pas, qui n’arrivent pas à attirer l’attention du ministre ou de son ministère. À mon avis, il est temps de corriger cette situation de façon systémique.

Être en attente d’une reconnaissance officielle a de graves conséquences. Avant d’obtenir la citoyenneté, on ne peut pas avoir de numéro d’assurance sociale. Il peut être difficile de trouver un emploi ou de voyager. En fait, c’est probablement impossible de voyager parce qu’on n’a pas de passeport. L’accès aux soins de santé est limité. Il faut gérer tout cela sous la menace constante de déportation.

Dans le cas de Byrdie Funk, il n’est pas certain que les cotisations qu’elle a versées au fil des ans au Régime de pensions du Canada seront prises en compte au moment de sa retraite.

Le projet de loi C-230 permettra aux gens nés à l’étranger, mais ayant bâti une vie ici, de prouver qu’ils sont Canadiens et qu’ils ont le droit de transmettre la citoyenneté canadienne à leurs enfants. Cela n’entraînera pas la transmission perpétuelle de la citoyenneté canadienne à des générations de personnes qui ne vivront peut-être jamais au Canada. Cela ne s’applique nullement aux Canadiens de troisième génération.

Honorables sénateurs, je vous exhorte essentiellement à appuyer le projet de loi et à le renvoyer au comité pour une étude plus approfondie. Cela fait déjà trop longtemps que les Canadiens perdus attendent. Réintégrons-les à la famille canadienne le plus tôt possible. Merci.

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : L’honorable sénatrice Martin, avec l’appui de l’honorable sénateur Carignan, propose que le projet de loi soit lu pour la deuxième fois.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.)

[Français]

La Loi sur le gouverneur général

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Claude Carignan propose que le projet de loi S-232, Loi modifiant la Loi sur le gouverneur général (pension de retraite et autres prestations), soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, après la démission de la gouverneure générale, la très honorable Julie Payette, les Canadiens ont découvert une incohérence aberrante dans la loi. En fait, lorsqu’un gouverneur général ne termine pas son mandat habituel de cinq ans, il a quand même droit à une pension à vie assortie de nombreux avantages financiers. Le 30 mars dernier, j’ai déposé un projet de loi pour corriger cette situation.

Comme la majorité des Canadiens, j’ai été estomaqué de constater que la gouverneure générale, après sa démission, bénéficiera d’une pension à vie de 150 000 $ par année et d’une allocation annuelle de 206 000 $ pour ses frais de représentation. Pour moi, il était hors de question de simplement m’indigner et de ne rien faire. Il fallait essayer de faire quelque chose de concret pour mettre fin le plus rapidement possible à cette incongruité qui dérange beaucoup de Canadiennes et de Canadiens.

Dans les faits, le salaire moyen au Canada s’élève à 48 800 $. De plus, pour qu’un salarié puisse accumuler un fonds de pension digne de ce nom, il doit y avoir contribué durant plusieurs années.

Si l’on adopte le simple point de vue d’une administration publique rigoureuse, il est inconcevable et insoutenable qu’une personne qui n’a pas terminé son mandat de cinq ans reçoive automatiquement une pension à vie, et ce, peu importe le nombre d’années au cours desquelles elle a exercé ses fonctions.

Déjà, le fait de bénéficier d’une pleine pension après cinq ans représente un privilège extraordinaire et unique au Canada. En fait, la gouverneure générale a occupé son poste pendant environ trois ans et quatre mois. Conformément à la Loi sur le gouverneur général actuelle, une personne pourrait occuper son poste trois ans, deux ans, six mois, deux semaines, ou même deux jours, et elle aurait automatiquement droit à ces avantages financiers. Cela n’a aucun sens. Il est clair que le législateur n’avait pas prévu une telle situation, qui est à l’origine de cette incongruité.

Si le projet de loi S-232 est adopté, un gouverneur général aura droit à sa pension de retraite s’il termine son mandat, qui est habituellement de cinq ans. De plus, tout ancien gouverneur général qui n’aura pas exercé la totalité de son mandat, sauf pour des raisons médicales, verra sa pension de retraite à vie suspendue, ainsi que les budgets de fonction.

Ce n’est pas le cas de Mme Payette, qui a occupé ses fonctions durant seulement trois ans et quatre mois et qui a quitté son poste pour des raisons autres que médicales.

(1720)

Revenons sur les faits. L’objectif n’est pas de faire le procès de l’ex-gouverneure générale, mais bien d’identifier des situations où un individu démissionne de son poste pour des raisons non valables aux fins du droit et du sens commun et dont on ne peut justifier qu’il continue de retirer des bénéfices après avoir occupé une fonction pendant une très courte période.

En juillet 2017, Mme Payette a été nommée 29e gouverneure générale du Canada. Elle est entrée en fonction le 2 octobre 2017. À la suite d’un reportage de la CBC publié le 21 juillet 2020, dans lequel il était question d’un climat toxique qui régnait à Rideau Hall, le Bureau du Conseil privé a déclenché une enquête relativement à des plaintes qui avaient été déposées sur ses relations avec ses collègues de travail et ses subalternes.

Le mandat d’enquête a été confié à une firme privée qui a rencontré, à l’automne 2020, un très grand nombre d’employés actuels et d’anciens employés. Le rapport d’enquête a été déposé au Conseil privé le 12 janvier 2021. Ce rapport était accablant à l’endroit de Mme Payette. Malgré le fait que le rapport d’enquête était largement caviardé, certains extraits laissaient peu de doutes sur ce qui s’était passé à Rideau Hall depuis l’arrivée de Mme Payette au poste de gouverneure générale du Canada.

À la page 193, on peut lire ce qui suit, qui fait sans doute référence aux employés et anciens employés de Rideau Hall :

La grande majorité a soulevé de manière confidentielle des préoccupations au sujet du climat de travail ou du traitement que leur réservait personnellement [...]

Quarante-trois participants ont décrit l’environnement de travail comme étant hostile et négatif. Vingt-six participants ont utilisé les mots « toxique » et « empoisonnée » pour décrire l’atmosphère générale au travail au Bureau du secrétaire du gouverneur général pendant le mandat actuel.

Puis, à la page suivante, on peut lire ceci : « Les allégations des participants comprenaient notamment des allégations de cris, de hurlements, d’agressivité, de dénigrement et d’humiliation publique. »

Une dernière citation tirée du rapport indique assez clairement les conséquences concrètes de ce climat toxique. À la page 241, on peut lire ceci :

Il a été signalé que depuis 2017, soit le début du mandat, de nombreuses personnes ont quitté le Bureau, de façon permanente ou temporaire, ou en congé de maladie, dont un certain nombre qui y travaillaient depuis longtemps. Les participants ont observé que le roulement de personnel a atteint un niveau record, que les employés partaient en bloc; certains ont parlé d’exode d’un certain nombre de personnes compétentes, accomplies et chevronnées. Plusieurs ont affirmé que beaucoup des personnes ayant démissionné pendant le mandat [venaient] principalement de la Chancellerie des distinctions honorifiques et plus récemment, de l’équipe des communications. Il a été mentionné que les personnes parties « adoraient » l’organisation, mais estimaient ne pas pouvoir rester. Plus précisément, 17 personnes ont mentionné avoir quitté le Bureau pendant le mandat en cours en raison de l’environnement de travail qui y régnait.

En parcourant ce rapport, ce genre d’affirmations peu élogieuses revient très fréquemment. Par exemple, on y retrouve le mot « toxique » à 34 endroits différents. Je vous disais donc que le rapport d’enquête, déposé le 12 janvier dernier, était accablant à l’endroit de la gouverneure générale, qui a remis sa démission neuf jours plus tard, soit le 21 janvier 2021.

J’ai fait des recherches pour voir s’il existait un code d’honneur pour la gouverneure générale; je n’ai rien trouvé. Par contre, on a pu trouver le code d’honneur auquel doivent s’engager les employés de Rideau Hall. Je vous en cite un passage :

C’est avec honneur et dévouement que nous travaillons ensemble pour aider le gouverneur général à servir les Canadiens et les Canadiennes avec intégrité, de manière politiquement neutre, en faisant passer l’intérêt public avant nos propres intérêts. Nous sommes fiers d’offrir des services professionnels d’une grande qualité qui respecte les besoins et la dignité de toutes les parties. Nous reconnaissons que toute interaction réussie repose sur la confiance et le respect. Nous encourageons la collaboration en favorisant un milieu de travail sécuritaire, respectueux et sain où les employés et les partenaires sont valorisés pour leur diversité et leurs compétences. Nous reconnaissons que le perfectionnement professionnel nous aide à croître et nous permet de fournir de meilleurs services. Nous reconnaissons et célébrons nos réalisations et tentons d’atteindre un sain équilibre entre notre travail et notre vie personnelle.

Voilà, chers collègues, ce qu’on exige des employés qui travaillent à Rideau Hall avec la gouverneure générale.

Je vous rappelle que celle-ci est la chef d’État de notre pays. Elle doit donc observer des comportements irréprochables et inspirants. Elle doit respecter les plus hautes normes de conduite, au moins aussi élevées que les comportements qui sont exigés dans la fonction publique, parmi ses propres employés et parmi les sénateurs. Quand on étudie le rapport d’enquête sur son administration, et face aux très nombreux témoignages d’employés et d’anciens employés de Rideau Hall, ce n’est assurément pas ce qu’elle fait. Elle a certainement rendu service au premier ministre en lui donnant sa démission. Il aurait été plus que gênant de la maintenir en poste.

La population canadienne a été ébranlée, à juste titre, en prenant connaissance du climat de travail empoisonné qui régnait sous l’égide de la gouverneure générale. La population canadienne n’aurait pas accepté que le premier ministre passe l’éponge sur le passage de Mme Payette à Rideau Hall, et que ce passage n’ait pas de conséquences.

Julie Payette a remis sa démission le 21 janvier 2021. Nous avons été stupéfaits d’apprendre que, malgré le fait que Mme Payette n’a pas terminé son mandat régulier de cinq années consécutives, elle aura néanmoins droit à une pension annuelle à vie de 150 000 $. Pour ajouter à l’incongruité, nous avons également appris qu’elle aura droit à une allocation annuelle de 206 000 $ pour ses frais de fonctionnement et de représentation.

Encore une fois, je n’ai nullement l’intention de faire le procès de la gouverneure générale, mais, pour être tout à fait honnête, chers collègues, j’ai été stupéfait de constater que la Loi sur le gouverneur général n’offre aucune balise en ce qui a trait au versement d’une pension à vie aux anciens gouverneurs généraux.

Comme je le mentionnais d’entrée de jeu, une personne pourrait être nommée gouverneur général, pourrait occuper cette fonction pendant une semaine, pourrait démissionner et bénéficierait de sa pension à vie et des autres avantages financiers que j’ai énumérés tout à l’heure. Cela n’a aucun sens. Il s’agit, de toute évidence, d’une coquille dans la loi et d’une situation qui n’a jamais été envisagée auparavant.

Voici ce que dit le paragraphe 6(1) de la partie II de la Loi sur le gouverneur général :

Le titulaire de la charge de gouverneur général qui cesse de l’exercer reçoit une pension égale à la somme des montants suivants :

a) un tiers du traitement afférent au poste de gouverneur général le 1er mars 1967;

b) la prestation de retraite supplémentaire qui lui serait versée dans l’année de cessation de fonctions aux termes de la Loi sur les prestations de retraite supplémentaires, si elle était calculée comme s’il avait cessé d’exercer sa charge le 1er janvier 1952.

À l’article 6 de la Loi sur le gouverneur général, il n’y a aucune mention de la durée minimale de l’exercice de la fonction qui permet d’avoir le droit de bénéficier d’une pension à vie. À mon avis, c’est une grave lacune dans cette loi.

Dans mon projet de loi, je propose que le texte de l’article 6 de la Loi sur le gouverneur général se lise plutôt comme suit :

Pension

6 (1) Le titulaire de la charge de gouverneur général ayant exercé cette charge pendant au moins cinq années consécutives reçoit, lorsqu’il cesse de l’exercer, une pension égale à la somme des montants suivants :

Deuxièmement, la même loi est modifiée par adjonction, après le paragraphe 6(1), de ce qui suit :

Raisons médicales

(1.‍1) Un gouverneur général qui, de l’avis du gouverneur en conseil, ne peut, pour des raisons médicales, exercer cette charge pendant cinq années consécutives est réputé l’avoir exercée pendant au moins cinq années consécutives pour l’application du paragraphe (1).

Puis, j’ajoute cette disposition pour traiter de la question du budget de fonctionnement et de représentation des anciens gouverneurs généraux :

Autres prestations

12 Il ne peut être prélevé sur le Trésor une somme destinée à la prestation d’un soutien administratif à un ancien gouverneur général ou au remboursement de dépenses qu’il a engagées que si celui-ci a exercé cette charge pendant au moins cinq années consécutives.‍

Enfin, j’ajoute, dans mon projet de loi, cette disposition transitoire pour les anciens gouverneurs généraux :

4 (1) Le paiement, au titre de la partie II de la Loi sur le gouverneur général dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de la présente loi, d’une pension à un ancien gouverneur général ayant exercé cette charge pendant moins de cinq années consécutives cesse le jour de son entrée en vigueur.

(1730)

Cela signifie que, le jour où le projet de loi sera adopté, la pension à vie de la gouverneure générale démissionnaire cessera d’être versée. Elle ne devra pas rembourser ce qui lui aura été versé depuis sa démission, mais ses paiements futurs cesseront à la date à laquelle le projet de loi recevra la sanction royale.

Honorables sénateurs, lorsque j’ai présenté mon projet de loi, j’ai clairement invité le premier ministre à s’en inspirer pour modifier la Loi sur le gouverneur général au moment de présenter son budget. M. Trudeau n’a malheureusement pas accepté mon invitation et le projet de loi C-30 est muet sur cet enjeu. Étonnamment, le projet de loi C-30 modifie pourtant la Loi sur les juges afin de mieux encadrer le versement de leurs pensions.

Cette modification fait suite au cas d’un ancien juge qui a profité de certaines lacunes dans la Loi sur les juges pour bénéficier de sa pension à vie, même s’il n’avait siégé que quelques années et avait été suspendu avec son plein salaire à la suite d’une plainte déposée contre lui. Il a étiré les procédures de façon outrancière, soit jusqu’au 10e anniversaire de sa nomination, ce qui le rendait ainsi admissible à une pension à vie. Je parle ici de l’ancien juge Michel Girouard.

Lorsque le ministre LeBlanc est venu témoigner au Sénat le 12 mai dernier en prévision de l’étude du projet de loi C-30, je lui ai demandé pour quelles raisons son gouvernement n’avait pas inclus un amendement à la Loi sur le gouverneur général dans le projet de loi C-30. Le ministre a eu cette réponse assez surprenante :

Pour ce qui est de la situation de Mme Payette, vous avez absolument raison. Je ne pense pas que les gens ont compris que, effectivement, si on occupe le poste pour cinq minutes ou pour cinq ans, les avantages sont les mêmes en matière de retraite. Je comprends la frustration que les gens ont ressentie dans le cas de Mme Payette. Nous sommes ouverts à examiner ce genre de question.

Honnêtement, je n’ai pas fait le parallèle avec les amendements que mon collègue le ministre Lametti a amenés devant vous dans le cas du juge Girouard. Toutefois, vous avez raison, c’est peut-être quelque chose qu’il faudra considérer.

Je comprends l’inquiétude; on espère que cela ne se produira qu’une fois pour les 154 prochaines années. Il faut présumer qu’il y a quelque chose à apprendre de cette situation. Je prends votre commentaire comme une suggestion et j’y suis assez sensible.

En entendant la déclaration du ministre responsable du Conseil privé de la Reine pour le Canada, qui est responsable de recommander des candidats pour le poste de gouverneur général, je conclus qu’il estime que ce projet de loi mérite sérieusement d’être étudié, et j’ose espérer que ce n’était pas seulement des paroles en l’air. Ce projet de loi est simple et clair et il répond efficacement à une situation problématique dénoncée par un grand nombre de Canadiens et de Canadiennes. Si le gouvernement choisissait d’établir des priorités, il pourrait être adopté très rapidement. L’étude du projet de loi S-232 par un comité du Sénat nous donnera l’occasion d’approfondir notre réflexion sur cet enjeu qui a soulevé la colère de la population. Je vous invite donc, honorables sénateurs, à l’appuyer à l’étape de la deuxième lecture et à le renvoyer à un des comités permanents au Sénat. Je vous remercie.

L’honorable Lucie Moncion : Est-ce que le sénateur Carignan accepterait de répondre à une question?

Le sénateur Carignan : Oui, évidemment.

La sénatrice Moncion : Sénateur Carignan, j’aurais quelques questions à poser au sujet du projet de loi. Je crois que vous avez parlé d’un effet prospectif dans le projet de loi pour les prochains gouverneurs généraux, mais il y a également un effet rétroactif dans le paragraphe 4(1), où vous revenez en arrière pour faire une correction ayant trait aux sommes qui pourraient potentiellement être versées à l’avenir à la gouverneure générale démissionnaire.

Ma question concerne les litiges. Puisque vous êtes avocat, quels pourraient être les litiges associés à une telle situation si l’ancienne gouverneure générale choisissait de contester l’entente contractuelle grâce à laquelle elle est devenue gouverneure générale? Qu’est-ce que cela pourrait engendrer comme litiges et comme coûts potentiels pour le Canada?

Le sénateur Carignan : Évidemment, il n’y a pas d’effet rétroactif. Si le projet de loi est adopté, la gouverneure générale qui a quitté ses fonctions n’aurait pas à rembourser les sommes qu’elle a perçues entre le moment de sa démission et le moment où le projet de loi a reçu la sanction royale. L’effet du projet de loi est rétrospectif, et non pas rétroactif dans toutes les situations, non seulement pour la gouverneure générale, mais également pour les futurs gouverneurs généraux.

En ce qui a trait au potentiel de contestation, toutes les lois que nous adoptons sont susceptibles d’être contestées. J’ai consulté quelques constitutionnalistes avant de déposer ce projet de loi. Cela explique d’ailleurs pourquoi j’ai pris un peu plus de temps. J’ai attendu que le gouvernement corrige cette coquille, ce qui n’a pas été fait, mais j’ai également consulté les constitutionnalistes afin de m’assurer que, lorsqu’on touche à une disposition ayant trait à la Couronne, au chef d’État du Canada, il n’y a pas d’enjeu constitutionnel. La Loi sur le gouverneur général est adoptée par le Parlement. Par conséquent, elle peut être modifiée par le Parlement. Évidemment, les tribunaux doivent appliquer les lois adoptées par le Parlement si elles ne contreviennent pas à la Constitution. Je n’ai rien vu de tel dans ce projet de loi, et les constitutionnalistes que j’ai consultés ont confirmé que rien dans ce projet de loi n’enfreint une disposition de la Constitution.

La sénatrice Moncion : Et s’il y avait un litige présenté en cour? Vous n’avez pas répondu à cette partie de ma question. Je voudrais savoir si l’ancienne gouverneure générale peut exercer ces recours et quel effet cela aurait sur la situation de notre pays.

Le sénateur Carignan : Dans toute décision, toute personne a le droit, lorsqu’elle a un intérêt, d’ester en justice et de tenter sa chance. Selon moi, elle n’aurait à peu près aucune chance de réussir. Cependant, on ne peut pas empêcher qui que ce soit d’exercer un recours dans toute décision administrative, gouvernementale ou individuelle. Il y a toujours un risque que quelqu’un qui subit un préjudice tente sa chance en entamant des procédures. C’est la raison pour laquelle les tribunaux existent. Ils doivent régler des litiges de façon équitable et conforme à la loi, et c’est ce qu’ils feront si la gouverneure générale touchée par ce projet de loi décide d’en contester les dispositions. Dans toutes les décisions que nous prenons ici, si nous nous empêchions d’agir parce que quelqu’un, un jour, est susceptible d’ester en justice et de contester les dispositions de quelque projet de loi que ce soit, nous ne ferions jamais rien.

Nous avons tout récemment adopté une loi spéciale de retour au travail pour les employés du port de Montréal. Nous l’avons adoptée même si elle était susceptible d’entraîner des procédures judiciaires. Une procédure a été déposée devant les tribunaux une semaine après l’adoption de la loi spéciale. C’est la prérogative de tous ceux qui vivent dans une société libre et démocratique, en vertu de notre système de justice.

[Traduction]

L’honorable Percy E. Downe : Sénateur, je ne suis pas sûr de partager votre point de vue sur la non-rétroactivité du projet de loi. Aussi désagréable que nous trouvions l’idée de verser une pension à l’ancienne gouverneure générale, ce n’est pas sa faute si, lorsqu’elle a accepté les modalités de son poste, ce sont ces modalités qui s’appliquaient.

(1740)

Je ne suis donc pas en faveur d’une disposition rétroactive dans votre projet de loi, mais j’accepte l’esprit du projet de loi, à savoir que nous pouvons corriger la situation à l’avenir, non seulement en ce qui concerne la pension, mais aussi la rémunération supplémentaire pour les autres dépenses encourues après le départ du gouverneur général.

Je ne sais pas pourquoi la disposition est là. Je sais que les anciens premiers ministres n’en bénéficient pas. C’est également le cas, par exemple, pour l’ancien juge en chef de la Cour suprême et d’autres postes semblables. Je ne sais pas pourquoi la demande pour les anciens gouverneurs généraux après la fin de leur mandat est si grande qu’ils nécessitent des fonds supplémentaires. C’est comme si les sénateurs avaient besoin de fonds après avoir quitté le Sénat pour assumer une responsabilité publique. Nous n’en recevons pas. Notre mandat est terminé, le mandat est terminé. Avez-vous envisagé de laisser tomber la disposition pour le plus récent gouverneur général et de passer à d’autres initiatives prévues dans votre projet de loi? Merci.

[Français]

Le sénateur Carignan : Merci, sénateur Downe, de votre question. J’y ai pensé. Par contre, c’est le propre d’un projet de loi de faire avancer les débats, les discussions et les réflexions. J’ai déposé ce projet de loi en raison de la situation qui est survenue au bureau de la gouverneure générale, Julie Payette. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi l’effet rétrospectif plutôt que rétroactif. On peut argumenter ce point de vue, mais, selon moi, il faut miser sur l’effet rétrospectif. Évidemment, il revient au Sénat d’en débattre et de proposer des amendements. Ma position consiste à corriger principalement ce que j’ai appelé une « coquille ». À mon avis, aucun législateur n’avait prévu qu’un gouverneur général puisse être en poste pendant deux semaines et recevoir une pension à vie. C’est cette correction qui doit être faite de façon prioritaire, étant donné qu’un nouveau gouverneur général pourrait être nommé dans quelques jours, selon ce qu’a affirmé le ministre LeBlanc. Il vaut mieux adopter les futures conditions de travail immédiatement afin qu’elles soient connues de la personne qui acceptera le poste.

Encore une fois, le but de ce projet de loi est de donner au Sénat l’occasion d’en débattre, d’entendre des témoins et de proposer des amendements. Je ne suis pas du tout contre les amendements. Mon objectif est de corriger la situation. Si des amendements sont proposés à cet égard et qu’ils sont adoptés par une majorité de sénateurs, comme j’ai l’habitude de le faire, je vais respecter la volonté de la Chambre.

L’honorable Éric Forest : Sénateur Carignan, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Carignan : Oui, bien sûr.

Le sénateur Forest : Je suis d’accord avec l’esprit de votre projet de loi, qui vise à corriger la situation. Toutefois, avez-vous soupesé la possibilité d’avoir une notion de proportionnalité? Mettre fin à ses fonctions pour des raisons médicales fait perdre tous ses droits quant à une indemnité de retraite. Avez-vous analysé cette possibilité dans vos réflexions et vos consultations?

Le sénateur Carignan : En fait, j’y ai réfléchi un peu, mais la pension de la gouverneure générale ou du poste de gouverneur général est unique au Canada. Cela n’existe pas dans aucun autre système de pension. Les lieutenants-gouverneurs des provinces doivent contribuer à leur fonds de pension pour y avoir droit. Ils doivent y contribuer. Donc, le système pour les lieutenants-gouverneurs est complètement différent de celui du poste de gouverneur général du Canada. Cette pension ne provient pas d’une contribution de l’individu. C’est une espèce de droit inné, qui provient de dispositions législatives, et le gouverneur général n’y verse aucune contribution. C’est pourquoi je n’ai pas voulu aller vers une question de prestations en fonction du temps pendant lequel la personne a occupé les fonctions. Si la personne avait contribué au fonds de pension, j’aurais peut-être été plus ouvert à votre proposition ou à votre suggestion. J’y aurais réfléchi, mais étant donné qu’il n’y a pas de contribution, je voyais mal comment on pouvait en tenir compte.

Le sénateur Forest : J’avais une autre question. Je réfléchis tout haut. Il s’agit d’une question d’équité pour la personne qui démissionne après un mois ou quatre ans, c’est un « tout-inclus » ou pas. Je me posais la question, mais on aura l’occasion d’en discuter plus longuement en comité.

Le sénateur Carignan : Si vous me le permettez, quand vous parlez du « tout-inclus », cela rappelle un peu les éléments des régimes de retraite des parlementaires. Par exemple, on doit travailler pendant six ans. Malheureusement, si on travaille cinq ans et deux mois, même si on verse une contribution, c’est tout ou rien. Il faut avoir travaillé six ans pour avoir droit à la pension. C’est une question d’admissibilité. Selon moi, la condition d’admissibilité devrait être fixée à cinq ans.

[Traduction]

L’honorable Ratna Omidvar : Le sénateur Carignan accepterait-il de répondre à une question?

[Français]

Le sénateur Carignan : Oui, avec plaisir.

[Traduction]

La sénatrice Omidvar : Le Canada n’est pas le seul pays à avoir un gouverneur général. Nous sommes membres du Commonwealth. Il y a un gouverneur général à Antigua, à la Barbade, en Australie, au Belize, à la Grenade, en Jamaïque, en Nouvelle-Zélande, et j’en passe. Que font-ils? Pouvez-vous faire un peu de lumière sur les pratiques exemplaires d’autres pays?

[Français]

Le sénateur Carignan : En fait, non. J’ai vu que certains postes de gouverneur général dans d’autres pays étaient non rémunérés, et accordés à titre honorifique, par exemple. D’ailleurs, le Bloc québécois a déposé un projet de loi à l’autre endroit dans lequel il est prévu que le salaire serait de zéro. Il s’agirait simplement d’un poste honorifique sans salaire, une idée que je ne partage pas non plus. Je n’ai pas fait de droit comparé dans le monde. Je n’ai pas consacré de ressources à cet aspect. On pourrait le faire, ce serait peut-être intéressant. L’idée, selon moi, c’était de miser sur le Canada. Je crois que l’on doit être à l’écoute de la population canadienne. De toute évidence, lorsqu’on a rédigé la loi actuelle, on n’avait pas prévu le départ hâtif d’une personne qui occuperait le poste de gouverneur général pendant trois jours, et cette lacune doit être corrigée. Voilà la solution que j’ai proposée. Comme dans le cas de tout projet de loi que je présente dans cette enceinte, mon objectif est d’obtenir un consensus pour arriver à une solution.

L’honorable Josée Forest-Niesing : Sénateur Carignan, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Carignan : Oui, bien sûr. Je crois qu’on a encore du temps.

La sénatrice Forest-Niesing : C’est une courte question. Sénateur Carignan, comment êtes-vous arrivé à la décision de prévoir un mandat d’une durée de cinq ans plutôt que de six ans, ce qui est le cas pour les autres parlementaires, ou un mandat d’une durée de moins de cinq ans? Pourriez-vous expliquer la logique de votre décision?

Le sénateur Carignan : Selon le libellé de la loi actuelle, le mandat du gouverneur général est d’une durée de cinq ans. Il était donc logique de compléter le mandat original de cinq ans, soit la durée du poste ou des fonctions.

La sénatrice Forest-Niesing : Étant donné que l’intention vise la durée du mandat, pourquoi ne pas le préciser dans le projet de loi pour plus de clarté, puisqu’il est possible que le mandat soit inférieur à cinq ans dans certaines circonstances?

Le sénateur Carignan : J’ai précisé une durée de cinq ans dans le projet de loi. On a prévu une exception dans le cas de personnes qui quitteraient leur poste pour des raisons de santé. À ma connaissance, cette situation est arrivée une fois dans l’histoire, dans le cas du père du ministre LeBlanc qui avait quitté son poste pour des raisons médicales avant la fin de son mandat. En fait, le seul cas actuellement en vigueur est celui de l’épouse de Roméo LeBlanc qui reçoit une pension à la suite du décès de son mari. La disposition a donc pour but d’éviter qu’elle soit touchée par cet effet rétrospectif.

(1750)

L’honorable Pierre J. Dalphond : Est-ce que le sénateur Carignan accepterait de répondre à quelques questions?

Le sénateur Carignan : Bien sûr.

Le sénateur Dalphond : Au sujet du commentaire que vous venez de faire quant aux droits du survivant, à la disposition transitoire, vous indiquez dans le projet de loi que le paiement commencé au titre de la partie II de la Loi sur le gouverneur général continuerait d’être versé dans le cas d’un survivant. Est-ce que cela voudrait dire que, si Mme Payette devait décéder avant que le projet de loi n’entre en vigueur, par exemple si la Chambre des communes adoptait le projet de loi à l’automne, sa pension de retraite continuerait d’être versée à la personne qui se qualifierait à titre de survivante, mais pas pour elle?

Le sénateur Carignan : Je ne suis pas sûr d’avoir bien saisi votre question.

En fait, il y a un seul cas, et il s’agit de celui de Roméo LeBlanc, qui a quitté son poste pour des raisons médicales avant d’avoir pu exercer ses fonctions pour une période de cinq années complètes. Il est décédé, et une partie de sa pension est payable à sa veuve, qui continue de la recevoir — à ma connaissance, elle est encore en vie. Pour l’avenir et pour les personnes qui n’avaient pas exercé la fonction pendant une période de cinq ans, on ne voulait pas que, en raison de l’annulation, elles soient touchées par cet effet rétrospectif. Or, comme Roméo LeBlanc a quitté ses fonctions pour des raisons de santé, nous avons appliqué la disposition transitoire de cette façon.

Le sénateur Dalphond : Lors de votre allocution ou en réponse à une question, vous avez fait une analogie avec la situation du juge Girouard. J’aime beaucoup votre projet de loi, parce qu’il comporte aussi une analogie sur la mise à la retraite anticipée pour des raisons qui sont à l’avantage du pays ou pour des raisons de santé, ce que la Loi sur les juges prévoit aussi. Cependant, dans le cas du juge Girouard, avant de modifier la Loi sur les juges, le procureur général a demandé l’opinion de la Commission quadriennale d’examen de la rémunération des juges, pour connaître l’effet sur la pension des juges. La commission quadriennale a jugé qu’il serait inacceptable que l’application de la modification soit immédiate et que la loi s’applique au juge Girouard, en précisant qu’elle ne devrait s’appliquer qu’aux juges subséquents et à ceux qui se trouveraient dans une situation semblable à celle du juge Girouard à l’avenir.

La différence entre votre projet de loi et la situation des juges, c’est que l’application est immédiate; il n’y a pas de rétroactivité, et dès que la loi entre en vigueur, elle est d’application immédiate.

Est-ce que vous ne pensez pas que vous modifiez ainsi les conditions de travail de la gouverneure générale, ce qui est contraire à la situation au moment de l’acceptation des fonctions, alors qu’il y avait des conditions qui s’y appliquaient? Or, vous les changez, pour l’avenir, alors qu’elle les avait acceptées et que, lorsqu’elle a été nommée, elle savait que son poste était assorti de certains avantages. Par conséquent, vous lui retirez, pour l’avenir, des avantages.

Le sénateur Carignan : Oui, effectivement. C’est une question d’opinion. C’est l’opinion du comité; j’ai aussi mon opinion. Je ne pense pas que l’opinion du comité était basée sur une question de droit constitutionnel, mais peut-être sur l’indépendance des juges. En effet, il peut y avoir un questionnement quant à l’indépendance des juges, parce que cela touche la rémunération et que le juge a quand même contribué pendant cette période à sa pension, ce qui n’est pas le cas de la gouverneure générale.

Le sénateur Dalphond : Je ne sais pas, sénateur Carignan, si vous avez eu l’occasion de lire certains professeurs de droit constitutionnel qui affirment que votre projet de loi requerrait une modification constitutionnelle, parce qu’il a un impact sur la fonction de gouverneur général. Je ne sais pas si vous avez lu cela et si vous avez une réponse à donner à ce sujet.

Je sais qu’il y a aussi un article du National Post selon lequel le projet de loi est une bonne idée, et, finalement, une moins bonne idée.

Le sénateur Carignan : Oui, mais ce ne sont manifestement pas les constitutionnalistes que j’ai consultés qui, eux, m’ont dit l’inverse. Encore une fois, on peut se poser la question; je pourrais argumenter, mais de toute façon, c’est pour cette raison qu’il y a des juges, et si nous nous retrouvons à la Cour suprême, c’est parce qu’il y a des avocats qui ne sont pas d’accord. Il y a une vieille blague qui dit ceci : « L’avocat est le plus pauvre du village lorsqu’il est le seul avocat en ville. Ajoutez un second avocat, et ils deviennent les deux plus riches du village! » Il peut bien sûr y avoir autant d’opinions qu’il y a de constitutionnalistes, mais en ce qui a trait aux consultations que j’ai menées, il en résulte que la Loi sur le gouverneur général est une loi du Parlement qui peut être modifiée par le Parlement.

(Sur la motion de la sénatrice Duncan, le débat est ajourné.)

[Traduction]

Le Sénat

Motion tendant à exhorter le gouvernement à imposer des sanctions contre les autorités chinoises relativement aux abus des droits de la personne et à la persécution systématique des musulmans ouïgours en Chine—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Housakos, appuyée par l’honorable sénateur Smith,

Que le Sénat du Canada exhorte le gouvernement du Canada à imposer des sanctions, conformément à la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (loi de Sergueï Magnitski), contre les autorités chinoises relativement aux abus des droits de la personne et à la persécution systématique des musulmans ouïgours en Chine.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler de la motion du sénateur Housakos, selon laquelle le Sénat exhorte le gouvernement à imposer des sanctions contre les autorités chinoises relativement aux abus des droits de la personne et à la persécution systématique des musulmans ouïghours en Chine.

Je voudrais remercier le sénateur Housakos d’avoir présenté cette motion. Le génocide des musulmans ouïghours est l’une des choses les plus horribles qui se soient produites dans le monde au cours des dernières années.

En février de cette année, lors de la première assemblée générale annuelle du Groupe d’amitié parlementaire Canada-Ouïghours, Golbahar, une femme ouïghoure, nous a raconté son séjour d’un an dans un de ces soi-disant « camps de rééducation » chinois. C’était une femme d’affaires du Kazakhstan venue en Chine en raison de son travail. Ce n’était même pas une résidente chinoise.

Golbahar nous a raconté l’épreuve qu’elle a vécue d’une voix passionnée qui trahissait la souffrance. Elle nous a raconté comment elle a été enlevée à son hôtel alors qu’elle était en voyage d’affaires dans la région du Xinjiang, en Chine. La police lui a pris son passeport et l’a arrêtée. Menottée, enchaînée et jetée dans une petite cellule avec 50 autres femmes; tel a été son sort. On l’a affamée, torturée et forcée d’apprendre par cœur des chants patriotiques chinois. Un mot dans sa langue maternelle, l’ouïghour, et elle était placée en isolement, dans une cellule sombre d’un mètre sur un mètre avec un trou pour seules toilettes.

Elle a déclaré :

Passage à tabac, torture à l’électricité, aiguilles plantées sous les ongles, ongles arrachés; j’ai vu des Ouïghours subir tout cela. J’en ai vu ressortir à moitié morts de ces interrogatoires.

(1800)

Golbahar nous a dit que lorsqu’elle a été malade et s’est évanouie, on l’a amenée à l’hôpital. Elle était enchaînée et chaque chaîne pesait cinq kilogrammes.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Jaffer, je regrette de vous interrompre. Honorables sénateurs, comme il est 18 heures, conformément à l’article 3-3(1) du Règlement et aux ordres adoptés le 27 octobre 2020, je suis obligée de quitter le fauteuil jusqu’à 19 heures, à moins que le Sénat ne consente à ce que la séance se poursuive.

Si vous voulez suspendre la séance, veuillez dire « suspendre ».

Des voix : Suspendre.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Nous reprendrons la séance à 19 heures.

(La séance du Sénat est suspendue.)

(Le Sénat reprend sa séance.)

(1900)

Motion tendant à exhorter le gouvernement à imposer des sanctions contre les autorités chinoises relativement aux abus des droits de la personne et à la persécution systématique des musulmans ouïgours en Chine—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Housakos, appuyée par l’honorable sénateur Smith,

Que le Sénat du Canada exhorte le gouvernement du Canada à imposer des sanctions, conformément à la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (loi de Sergueï Magnitski), contre les autorités chinoises relativement aux abus des droits de la personne et à la persécution systématique des musulmans ouïgours en Chine.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je vous rappelle que je parlais de la persécution des Ouïghours en Chine.

À l’hôpital, Golbahar a rencontré beaucoup de femmes et de filles vêtues d’une veste jaune, ce qui signifiait que c’était des détenues condamnées à mort. Quand Golbahar parlait, on pouvait sentir la souffrance et l’émotion dans sa voix, mais elle a eu de la chance parce qu’elle a été libérée. C’est maintenant une femme libre, et elle vit en France.

On estime de façon prudente qu’il y a 1 million d’Ouïghours détenus dans des camps de prisonniers en Chine. En ce moment même, 1 million de personnes se font torturer seulement en raison de leur foi : la foi musulmane. En 2018, le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes a étudié la question des droits de la personne des Ouïghours et d’autres musulmans d’origine turque. Le sous-comité a produit un rapport, dont je vais lire un court extrait :

[...] une religion entière qui est criminalisée. Selon les témoignages entendus, les lois contre la terreur mènent à l’interdiction d’un large éventail de pratiques et d’expressions religieuses de l’islam. Le port de la barbe et de vêtements religieux est notamment interdit. Les personnes dont le nom a un caractère religieux n’ont d’autre choix que changer de nom. Les exemplaires du Coran, les livres religieux et les tapis de prière que les gens gardent à la maison sont confisqués. Les pratiques alimentaires islamiques sont interdites, les signes indiquant les aliments halal sont maintenant illégaux, et les restaurants doivent rester ouverts pendant le ramadan. Il est également interdit d’enseigner l’islam aux enfants. Des gens ont été incarcérés pour avoir prié cinq fois par jour et pour avoir distribué des textes religieux au sein même de leur famille.

Cependant, l’identité religieuse n’est pas la seule facette de l’identité ouïghoure. La langue, la culture et les traditions sont toutes menacées. Elles ne sont plus enseignées dans les écoles et si vous êtes surpris à parler à vos enfants dans votre langue, vous serez emprisonné dans les fameux camps chinois.

Les professeurs, les athlètes et les hommes politiques ouïghours sont tout particulièrement visés. Voici ce qu’a déclaré Farida Deif, de Human Rights Watch :

Pour que les choses soient bien claires, l’ampleur et la portée des sévices en cours au Xinjiang dépassent tout ce que Human Rights Watch a pu observer en Chine depuis des décennies. La situation actuelle est sans précédent, en raison non seulement du nombre de personnes détenues, mais aussi de la gravité des atteintes systématiques aux droits de la personne dans l’ensemble de la région. En outre, les répercussions se font ressentir au-delà des frontières de la Chine et touchent tous les ressortissants ouïghours de la planète, y compris ceux qui vivent ici au Canada. Ce n’est aucunement comparable à ce que nous avons pu observer jusqu’à maintenant.

Comme c’est toujours le cas, les femmes dans ces situations souffrent d’un type de torture additionnelle : les agressions sexuelles. Les rares femmes qui ont été libérées et qui ont réussi à s’enfuir dans d’autres pays où elles se sentent en sécurité racontent leurs traumatismes de viol et d’autres formes de violence sexuelle. Le récit le plus commun ressemble à ceci : les hommes chinois se rendent dans les cellules et choisissent une femme. L’agente déshabille la femme et lui passe les menottes aux poignets, qui sont placés au-dessus de sa tête. La femme se fait escorter vers une chambre noire, qui n’est pas munie de caméras de surveillance. Les hommes chinois la violent alors, parfois à plusieurs, parfois à de multiples reprises dans la même soirée.

Une femme qui a miraculeusement survécu a été libérée de ces soi-disant camps de rééducation et a déclaré à la BBC que ce sont des cicatrices inoubliables qui ne s’effaceront jamais.

Sénateurs, j’aimerais vous expliquer pourquoi j’ai choisi de vous faire part d’un témoignage qui revient sans cesse, celui d’un viol. J’ai choisi de ne pas vous raconter les nombreux témoignages où il est question de bâtons à impulsions électriques et autres méthodes de torture utilisées pour agresser sexuellement les victimes. Comme l’a déclaré Farida Deif, c’est sans précédent. Cette violence sexuelle, combinée à la stérilisation forcée, à l’endoctrinement et à la volonté d’anéantir les Ouïghours, ne doit pas être tolérée. Nous ne pouvons pas laisser la situation perdurer.

À la fin de février, l’autre endroit a adopté, à 266 voix contre 0, une motion visant à déclarer comme un génocide le traitement réservé à la minorité ouïghoure en Chine. Je lui offre mes sincères félicitations pour cette motion, et je sais qu’il a fallu trop de temps et beaucoup de travail pour amener les gens à l’adopter. Cependant, je ne peux pas, en toute conscience, considérer que c’est suffisant.

Ce qui est surprenant, c’est que l’on croie que cela suffit. Je sais que le monde, y compris le Canada, continuera sans doute à travailler avec la Chine en ce qui a trait au commerce, aux changements climatiques et à d’autres dossiers, mais il est essentiel de ne pas oublier ce que fait le gouvernement de la Chine. Nous devons rester inébranlables dans notre défense de la justice et des droits, surtout en ce qui concerne les personnes vulnérables.

Je suis obligée de me demander pourquoi le gouvernement du Canada hésite à intervenir à l’égard de ce génocide. Nos plus proches alliés, les États-Unis et le Royaume-Uni, ont pris des mesures rigoureuses et sans équivoque, mais au Canada, les membres du Cabinet se sont même abstenus de voter sur une simple motion non contraignante.

Les paroles ne suffisent pas. Face à des gestes aussi horribles que la torture, le viol, la stérilisation et le génocide, il faut en faire bien davantage. Honorables sénateurs, le Canada a joué un rôle déterminant dans la reconnaissance de la responsabilité de protéger. Le Canada a montré l’exemple en faisant valoir que, lorsqu’une atrocité est commise, il faut intervenir pour protéger les plus vulnérables. Le Canada doit faire ce qu’il prône, et je vous invite tous à appuyer cette motion et à vous porter à la défense des plus vulnérables du monde.

L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer cette motion et pour remercier le sénateur Leo Housakos de nous fournir l’occasion de prendre des décisions personnelles en tant que sénateurs sur cette question de droits de la personne qui compte parmi les plus pressantes et les plus cruciales de notre époque.

Comme vous le savez, cette motion nous donne l’occasion de nous joindre à nos collègues parlementaires de l’autre endroit, puisque le libellé est identique, ce qui procure l’effet supplémentaire que l’on produit quand les deux Chambres du Parlement du Canada parlent d’une même voix. Je veux également remercier les parlementaires canadiens, qui, depuis des années, se penchent sur la persécution des Ouïghours et d’autres minorités par l’État chinois, en plus de la dénoncer.

(1910)

Le 24 février 2021, l’organisme Les Amis du Centre Simon Wiesenthal pour les Études sur l’Holocauste et le Centre Raoul-Wallenberg pour les droits de la personne ont publié une déclaration commune pour féliciter la Chambre des communes du Canada d’avoir adopté une position morale ferme en reconnaissant le génocide des Ouïghours par la Chine.

Comme nous le savons, nous n’avons pas l’autorité nécessaire pour dicter sa conduite au gouvernement du Canada, mais il fait certainement partie de nos responsabilités parlementaires d’exhorter le gouvernement du Canada à s’attaquer aux atrocités qui sont commises contre les Ouïghours, et de faire en sorte que la Chine en soit tenue responsable.

Revenons au 21 octobre 2020, alors que le Sous-comité des droits internationaux de la personne de la Chambre des communes apprenait que près de 2 millions d’Ouïghours et d’autres groupes ethniques turcs étaient détenus dans ce que des témoins ont décrit comme des camps de concentration et la détention la plus massive de membres d’une communauté minoritaire depuis l’Holocauste de la Seconde Guerre mondiale.

La sénatrice Jaffer vient de résumer avec éloquence le témoignage de Golbahar, qui nous a raconté ses expériences personnelles et horrifiantes en tant que détenue. Les témoignages comme celui de Golbahar prouvent que des atrocités ont eu lieu, y compris des efforts pour éradiquer l’identité culturelle et religieuse, de nombreux cas d’agressions sexuelles et d’autres formes de violence contre les femmes, l’existence de camps de concentration et de travail forcé, ainsi que la stérilisation et l’avortement forcés pour réduire la population ouïghoure. Golbahar nous a dit que les plus belles Ouïghoures étaient tirées de leur cellule le soir. Certaines revenaient après avoir été battues et agressées sexuellement. D’autres ne revenaient jamais.

Cette motion nous donne l’occasion, en tant que sénateurs, de joindre nos voix aux parlementaires canadiens de tous les partis qui ont adopté la motion présentée par Michael Chong. Ce député a été sanctionné par l’État chinois pour avoir déclaré que les atrocités commises par la Chine contre les Ouïghours constituaient carrément un génocide.

L’appui à cette motion revient aussi à soutenir le gouvernement du Canada pour qu’il fasse progresser l’important travail effectué par le Parlement en prenant les mesures nécessaires pour demander des comptes à l’État chinois, si le gouvernement en décidait ainsi. Nous soumettrions tout simplement nos conseils et nos opinions au gouvernement pour qu’il les prenne en considération.

Comme l’a dit Irwin Cotler, l’ancien ministre de la Justice qui est actuellement envoyé spécial du Canada et président du Centre Raoul-Wallenberg pour les droits de la personne, une telle mesure représente une excellente occasion pour le gouvernement canadien de suivre l’initiative du Parlement et d’entreprendre les prochaines étapes pour prendre en considération tout ce qui est nécessaire en vue d’aller de l’avant.

L’imposition, aux termes de la loi de Magnitski, de sanctions ciblées contre les artisans de ce génocide, qui enfreignent les droits de la personne, ainsi qu’une augmentation de l’aide humanitaire offerte aux Ouïghours et de meilleures possibilités pour eux d’obtenir l’asile sont aussi au programme, mais ces mesures ne sont pas mentionnées explicitement dans la motion.

Chers collègues, permettez-moi, en terminant, de vous raconter un témoignage. Juste avant que la pandémie de COVID-19 ne frappe l’an dernier, la Dre Fozia Alvi, une médecin de famille de Calgary, a communiqué avec moi. J’avais rencontré la Dre Alvi l’année précédente dans les camps de Rohingyas au Bangladesh, où elle assurait volontairement la prestation de soins médicaux, une pratique qu’elle poursuit toujours par l’entremise d’une œuvre de bienfaisance que sa famille et elle ont établie et qui mobilise des médecins de partout dans le monde pour donner de leur temps, ne serait-ce qu’une ou deux semaines, afin d’aider dans les camps de Rohingyas et à d’autres endroits où des gens vivent en situation de crise. La Dre Alvi m’a demandé de venir à Calgary pour me joindre à elle ainsi qu’à d’autres médecins pour manifester notre solidarité envers les adeptes du Falun Gong et les Ouïghours venus en grand nombre — relativement à la population de l’Alberta — à Calgary pour assister à une conférence de presse et parler de ce que leur ont appris des connaissances et des membres de leur famille ouïghours qui vivent sous le régime chinois et qui se trouvent dans diverses situations.

J’ai eu le grand honneur d’animer la conférence de presse. Par la suite, j’ai pu m’asseoir avec les Canadiens d’origine ouïghoure qui étaient présents, dont certains ont eu besoin plus de sept heures pour traverser une tempête de neige où la visibilité était nulle afin d’arriver à temps pour la conférence de presse. Si j’avais des doutes avant cette rencontre, j’ai quitté Calgary en sachant qu’il s’agissait d’un génocide dont le monde devait prendre conscience.

Je termine en invitant chaque sénateur à faire sa propre réflexion en toute indépendance. J’espère que nous arriverons tous à la conclusion que la motion mérite d’être appuyée.

Merci. Meegwetch.

L’honorable Leo Housakos : La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

Son Honneur le Président : Sénatrice McPhedran, il vous reste du temps. Accepteriez-vous une question du sénateur Housakos?

La sénatrice McPhedran : Je serais très heureuse d’essayer de répondre à une question.

Le sénateur Housakos : Sénatrice McPhedran, je vous remercie de votre appui à la motion et je remercie également la sénatrice Jaffer d’avoir gentiment accepté de soutenir aussi fermement cette motion. Vous êtes toutes deux toujours prêtes à défendre les droits de la personne sans hésitation.

Sénatrice, pourquoi croyez-vous qu’il faille autant de temps à notre institution pour adopter une position aussi évidente que la défense des droits de la personne au moyen de l’application de sanctions dans le cadre de la loi de Magnitski aux personnes responsables de violations des droits de la personne? Pourquoi faut-il autant de temps avant qu’une motion comme la motion no 79 puisse être adoptée pour reconnaître le génocide que subit le pauvre peuple ouïghour? Pourquoi le Sénat est-il si lent à agir contrairement à la Chambre des communes ou à d’autres institutions des régimes de Westminster ou d’autres régimes démocratiques qui ont promptement exprimé leur appui au peuple ouïghour? Pourquoi, honorable sénatrice, prenons-nous autant de temps au Sénat avant d’affirmer clairement notre engagement indéfectible envers les valeurs canadiennes?

La sénatrice McPhedran : Merci de votre question, sénateur Housakos.

Par rapport à vous et à de nombreux autres sénateurs beaucoup plus expérimentés que moi, je dois avouer que je me considère comme une nouvelle venue. Le Sénat est sans aucun doute l’une des institutions les plus intrigantes et les plus exigeantes dont j’ai fait partie. Je n’arrive pas encore à comprendre une grande partie de ce qui passe ici.

À mon avis, nous n’avons pas vraiment eu l’occasion de parler de votre motion, et, ce soir, c’est un excellent moment pour le faire. Le genre de délai dont vous parlez avec une frustration compréhensible s’applique à presque tout ce que nous tentons d’accomplir en cette période très dangereuse. En ce moment, nous devons respecter la sécurité de tous ceux qui travaillent pour nous appuyer et qui n’ont pas la possibilité, comme nous, de rester chez eux pour participer pleinement aux délibérations du Sénat. Je ne peux pas tirer de conclusions claires à ce sujet, mais je ressens certainement la même frustration que vous.

(1920)

Son Honneur le Président : Sénateur Housakos, aviez-vous une autre question?

Le sénateur Housakos : Non. J’aimerais que la motion soit mise aux voix.

Son Honneur le Président : Je suis désolé, je vois la sénatrice Duncan...

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Sénatrice Duncan, souhaitez-vous passer au vote ou proposer l’ajournement?

La sénatrice Duncan : Je souhaite proposer l’ajournement du débat.

(Sur la motion de la sénatrice Duncan, le débat est ajourné.)

Droits de la personne

Retrait de la motion tendant à autoriser le comité à étudier la stérilisation forcée ou contrainte des personnes

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Boyer, appuyée par l’honorable sénateur Woo,

Que le Comité sénatorial permanent des droits de la personne soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, la stérilisation forcée et contrainte des personnes au Canada, surtout en ce qui concerne les femmes autochtones, dès que le comité sera formé, le cas échéant;

Que le comité soumette son rapport final au plus tard le 30 décembre 2021.

L’honorable Yvonne Boyer : Honorables sénateurs, je n’ai rien à dire à ce sujet pour le moment.

Son Honneur le Président : Demandez-vous la permission de retirer la motion ou souhaitez-vous simplement poursuivre et reporter la question?

La sénatrice Boyer : Je demande la permission de retirer la motion, s’il vous plaît.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(La motion est retirée.)

[Français]

Le Sénat

Motion tendant à exhorter le gouvernement à adopter l’antiracisme en tant que sixième pilier de la Loi canadienne sur la santé—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice McCallum, appuyée par l’honorable sénatrice McPhedran,

Que le Sénat du Canada exhorte le gouvernement fédéral à adopter l’antiracisme en tant que sixième pilier de la Loi canadienne sur la santé, en vue d’interdire toute discrimination basée sur le racisme et d’offrir à chacun le droit égal à la protection et au bienfait de la loi.

L’honorable Paula Simons : Je prends la parole ce soir parce que je voudrais reprendre le débat sur la motion de l’honorable sénatrice McCallum, qui propose que le Sénat du Canada exhorte le gouvernement fédéral à adopter l’antiracisme en tant que sixième pilier de la Loi canadienne sur la santé, en vue d’interdire toute discrimination basée sur le racisme et d’offrir à chacun le droit égal à la protection et au bienfait de la loi.

[Traduction]

Le racisme médical revêt divers visages et se manifeste sous de nombreuses formes. Parfois, il est facile de le reconnaître quand on entend les histoires de patients autochtones à qui l’on a refusé des soins rapides parce que le personnel des urgences a jugé qu’ils étaient intoxiqués et non malades. Il est facile de constater ce racisme aussi lorsque des patients racontent avoir entendu le personnel soignant utiliser des insultes ou des épithètes racistes à leur sujet. Parfois, des patients qui essaient d’exprimer leurs besoins dans un hôpital, mais se retrouvent sans réponses à leurs questions ou ne sont pas rassurés parce que le personnel ne s’est pas donné la peine de passer outre leur accent.

Ce sont des exemples très frustrants de racisme parce qu’ils sont très clairement et cruellement enracinés dans la malice, les préjugés, le cynisme et la paresse. Nous ressentons une grande colère parce qu’il est très facile de deviner qui sont les méchants et les victimes dans ces histoires.

Cependant, nous parlons de racisme systémique dans le système de santé, nous ne parlons pas des paroles et des gestes racistes qui sont malveillants et dirigés vers une personne en particulier. Nous parlons de quelque chose de beaucoup plus insidieux et de plus difficile à enrayer. Le racisme systémique se présente sous un nombre illimité de formes subtiles, comme l’accès inéquitable aux soins de santé en raison du manque de médecins pour les communautés autochtones des régions éloignées ou dans les quartiers urbains très pauvres. Nous avons constaté les exemples flagrants depuis le début de la pandémie, que ce soit la situation de Wood Buffalo ou celle de Brampton.

Le racisme systémique prend aussi des formes plus subtiles, plus sournoises, qui sont plus difficiles à repérer parce qu’elles sont fondées sur les angles morts de notre vision culturelle. Voici une anecdote personnelle à titre d’exemple.

Je n’ai pas une stature particulièrement délicate, mais ma grand-mère paternelle était vraiment minuscule, comme l’est aussi ma belle-mère. Le hasard de la génétique a aussi voulu que je donne naissance à une fille en parfaite santé mais vraiment petite. Elle est restée en parfaite santé et avait un excellent appétit mais, au chapitre du poids et de la taille, elle demeurait au vingtième centile, comme le voulaient ses gènes.

Pendant une visite à une clinique pour bébés, une infirmière de la santé publique particulièrement féroce m’a vertement semoncée parce qu’elle croyait que je ne nourrissais pas assez ma petite fille, ce qui nuisait à sa croissance. J’ai pleuré pendant tout le trajet de retour et j’ai passé à deux cheveux de ne jamais retourner dans cette clinique.

Quand je suis arrivée à ma visite suivante, j’étais vraiment irritable et sur la défensive. Cette fois-là, par contre, l’infirmière, qui était elle aussi d’origine chinoise, m’a dit qu’il n’y avait pas à s’inquiéter. Elle a souligné que les tableaux de tailles et de poids étaient fondés sur des moyennes démographiques obsolètes qui ne tenaient pas compte de la réalité multiculturelle du Canada contemporain. Ces tableaux étaient fondés sur des données nord-américaines du milieu du XXe siècle et ne tenaient absolument pas compte, par exemple, de la taille moyenne d’un bébé philippino-canadien ou d’un bébé dont les parents venaient de la Thaïlande, du Vietnam ou du Sri Lanka.

Après l’observation de l’infirmière, cela a semblé évident, mais, pour une jeune mère comme moi, bien installée dans le cocon du privilège blanc, c’était une véritable révélation. Bien sûr, l’infirmière avait raison. Par défaut, ces tableaux de taille et de poids ignoraient toutes sortes de bébés — du moins, c’était le cas il y a 25 ans, à l’époque où mon enfant est née. Tandis que les paroles de réconfort de l’infirmière s’imprimaient dans mon esprit, je me suis soudainement demandé combien de jeunes mères immigrantes s’étaient fait sermonner et intimider par des infirmières de la santé publique bien intentionnées, simplement parce que leur nourrisson ne correspondait pas aux centiles jugés comme acceptables dans le tableau. Je me suis demandé combien de fois on avait fait appel à un travailleur social, non pas parce que la mère s’y prenait mal, mais simplement parce que son enfant ne correspondait pas à un paradigme issu d’une population plus homogène des années 1950.

L’exemple peut paraître anodin, mais il illustre tout de même le genre de vision étriquée qui prévaut souvent dans notre système de santé public.

Ce peut être une chose aussi banale que les menus des hôpitaux, qui n’offrent que des plats peu variés et fades, ne reflétant pas les goûts et les cultures de beaucoup de patients canadiens. Il est difficile de se rétablir si la nourriture servie par le personnel diététicien de l’hôpital est tout à fait étrangère à notre vécu et à notre identité. Mais les conséquences peuvent être bien plus dangereuses.

Qu’est-ce qui arrive si une personne étudie pour devenir dermatologue et que, pendant sa formation, on lui présente presque uniquement des images de personnes blanches pour lui apprendre à reconnaître les différents problèmes de peau? Cette personne saura-t-elle reconnaître ces problèmes de peau et faire des diagnostics lorsqu’elle recevra des patients noirs, sud-asiatiques ou polynésiens?

Une étude de cas récente menée par la Case Western Reserve University de Cleveland, en Ohio, a suivi 97 000 patients atteints d’un mélanome, une des formes les plus rares, mais les plus mortelles, du cancer de la peau. L’étude a révélé que les patients blancs et hispaniques avaient les meilleures chances de survie, alors que les patients afro-américains et ceux des îles du Pacifique, dont Hawaï, présentaient les chances les moins bonnes. Les chercheurs ont conclu que les médecins arrivaient moins bien à diagnostiquer les mélanomes chez les patients dont la peau est plus foncée, parce qu’ils ne savaient pas ce qu’ils devaient chercher et qu’ils n’arrivaient pas à reconnaître les mélanomes lorsqu’ils les voyaient.

Qu’arrive-t-il si une technologie employée pour dépister quelque chose est uniquement calibrée sur la peau blanche?

En décembre 2020, le New England Journal of Medicine a publié les résultats d’une étude qui cherchait à savoir s’il y avait des différences dans le fonctionnement des sphygmo-oxymètres — ces petits appareils qui mesurent la saturation en oxygène dans le sang — entre les patients blancs et les patients noirs. L’étude a révélé que ces appareils, utilisés à grande échelle dans les hôpitaux, en particulier dans le cadre de la pandémie de COVID-19, étaient beaucoup moins fiables chez les patients noirs et que ces derniers risquaient près de trois fois plus de se retrouver en sous-saturation sans que cela soit détecté par ces appareils conçus pour fonctionner avec des patients caucasiens.

(1930)

Qu’advient-il si les médicaments que votre médecin vous administre n’ont été testés que sur des Blancs?

Un article paru en 2018 dans Scientific American signale qu’une proportion trop élevée des patients qui participent aux essais cliniques de nouveaux médicaments sont blancs. Dans certains cas, elle est de 80 % à 90 %. Pourtant, comme le fait remarquer le magazine, les symptômes de maladies telles que les maladies du cœur, le cancer et le diabète, ainsi que les facteurs contribuant à ces maladies varient selon l’ethnicité, tout comme ils varient selon le sexe.

L’article soutient que si une telle étude n’est pas réalisée auprès de divers groupes, il est impossible d’avoir la certitude qu’un traitement fonctionnera dans toutes les populations ou de savoir quels effets secondaires risquent de survenir dans un groupe ou un autre. Puisque nous, au Canada, consommons fréquemment des produits pharmaceutiques créés aux États-Unis, leurs problèmes deviennent les nôtres également.

Prenons par exemple le médicament Tegretol, qui est couramment utilisé contre l’épilepsie et parfois contre la bipolarité. Pour bien des gens, le médicament fonctionne bien et cause peu d’effets secondaires. Toutefois, si vous êtes originaire de l’Asie orientale, et particulièrement si vous êtes d’origine chinoise han, le Tegretol peut causer diverses affections cutanées graves, notamment le syndrome de Lyell. Voilà le genre de chose qu’il est difficile de prévoir si aucun essai n’a été réalisé sur des sujets d’origine chinoise. Le problème ne s’arrête pas là. Par exemple, les Américains d’origine africaine sont plus susceptibles de souffrir d’affections respiratoires que les Américains blancs. Or, depuis 2015, seulement 1,9 % de toutes les études portant sur les maladies respiratoires aux États-Unis ont été réalisées sur des groupes de sujets incluant des membres de minorités ethniques.

Ce n’est pas non plus uniquement un problème américain. En effet, une étude récente des essais de médicaments portant sur environ 150 000 patients, dans 29 pays, à cinq moments différents, sur une période de 20 ans, révèle qu’approximativement 86 % des sujets à ces essais sont de race blanche.

Personne n’a l’intention sinistre de rédiger des manuels de médecine où la vaste majorité des photographies représentent des patients blancs ou d’inventer des oxymètres qui fonctionnent mieux sur les peaux blanches. Personne ne fait exprès de breveter des médicaments qui ne sont pas efficaces pour les patients chinois ou d’organiser des essais de médicaments qui incluent seulement des sujets blancs. Personne non plus ne crée délibérément des menus d’hôpitaux ou des tableaux des poids des bébés qui excluent certaines races. Cependant, le racisme, et surtout le racisme systémique, ne part pas toujours d’intentions mauvaises ou malveillantes. Parfois, il est seulement attribuable à l’ignorance, à la suffisance ou à un manque d’imagination. Cela ne rend pas ces gestes inoffensifs, mais plutôt plus insidieux. Nous ne pouvons pas tolérer une telle ignorance si nous voulons un réseau de soins de santé public qui reflète la diversité du pays où nous vivons tous.

C’est pourquoi je suis très heureuse et reconnaissante de pouvoir me prononcer sur la motion de la sénatrice McCallum, surtout aujourd’hui, après qu’elle nous a donné un cadeau aussi précieux qu’un témoignage personnel et émouvant sur les ravages causés par le racisme institutionnel dans son expression la plus brutale.

Nous ne pouvons pas éradiquer le racisme profondément enraciné et discret qui passe souvent inaperçu à moins d’agir avec empathie et fermeté. Nous devons faire en sorte que les étudiants qui deviendront des médecins, des infirmiers, des techniciens, des psychologues, des conseillers en génétique, des pharmaciens et des chercheurs du domaine biomédical viennent d’une foule de cultures et obtiennent la formation dont ils ont besoin pour cerner et diagnostiquer des problèmes de santé chez les Canadiens de diverses origines, non pas pour qu’ils fassent abstraction de la race, mais pour qu’ils soient sensibles aux différences physiques entre nos concitoyens.

Nous devons faire en sorte que les tests ainsi que les nouveaux médicaments et équipements médicaux tiennent compte de la diversité culturelle du monde moderne. Nous ne pouvons plus prendre l’homme blanc « typique » comme référence de base pour l’ensemble des nouveaux médicaments et dispositifs médicaux. Nous devons avoir l’assurance que les produits pharmaceutiques et l’équipement médical conviendront tout aussi bien aux femmes et aux personnes de toutes origines.

Lorsque nous disons que nous ne voulons pas que le système de santé soit raciste, nous ne pouvons pas nous contenter de renvoyer quelques travailleurs de la santé intolérants. Nous devons aller beaucoup plus loin et examiner les choses plus attentivement pour déceler les exemples les plus subtils de racisme systémique qui sont enracinés dans les façons de faire du système de santé.

C’est pourquoi je tiens à remercier la sénatrice McCallum de nous avoir donné l’occasion importante d’en débattre afin que nous puissions nous efforcer de créer au Canada un système de santé publique qui puisse bien servir tout le monde de manière équitable.

Merci et hiy hiy.

L’honorable Kim Pate : Je vous remercie de votre présentation, sénatrice Simons.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer la motion no 41 de la sénatrice McCallum, qui demande au gouvernement fédéral d’adopter l’antiracisme comme sixième pilier de la Loi canadienne sur la santé. Une telle mesure est réclamée par des défenseurs et des experts, dont le Groupe de travail Brian Sinclair, qui a été formé à la suite du décès de M. Sinclair en 2008 à l’urgence d’un hôpital de Winnipeg. Cet homme de la nation anishinaabe avait besoin de soins de toute urgence, mais on l’a négligé et ignoré alors que son état empirait tandis que tous les malades à l’urgence ont été vus et traités avant lui.

D’innombrables rapports et études indiquent que les actions et l’inaction inacceptables qui ont mené au décès de M. Sinclair se poursuivent. Nous tenons ce débat aujourd’hui pendant l’enquête de la coroner sur la mort de Joyce Echaquan. Mme Echaquan est morte l’année dernière alors qu’elle était la cible de railleries racistes et de cruauté de la part des professionnels de la santé chargés de lui fournir des soins.

Durant cette enquête la semaine dernière, certains employés de l’hôpital ont soutenu qu’il n’y avait pas de racisme à l’établissement où Mme Echaquan est morte, dénonçant plutôt l’état de stress des employés, qui manquent de ressources et qui sont accablés par une surcharge de travail. La coroner Kamel a rejeté ces affirmations, et des témoins ont fini par fournir des preuves de stéréotypes nuisibles à l’égard des Autochtones, qui circulaient à l’hôpital.

Les membres du Groupe de travail Brian Sinclair nous rappellent avec raison que les pressions subies par le personnel ne créent pas les préjugés dont Mme Echaquan et M. Sinclair ont été victimes. Les actes de racisme systémique et individuel sont une réalité partout au Canada. L’étendue, la gravité et l’urgence de la situation risquent d’être masquées et perpétuées si le racisme est tout simplement accepté comme une fatalité dans un système de santé où les gens sont très occupés ou s’il est considéré comme quelque chose qui peut être réglé en embauchant plus de personnel sans prendre des mesures pour un accès sûr, juste et égal aux soins.

Alors que nous cherchons à remplir le mandat que nous avons de représenter les groupes marginalisés et minoritaires, nous avons le devoir d’affirmer clairement que le racisme dans le secteur de la santé et des soins de la santé est bien réel et que, si la situation n’est pas corrigée, il y aura d’autres décès évitables.

Dans le cadre de notre étude du projet de loi C-7 au cours des derniers mois, nous nous sommes penchés sur une réalité inacceptable : pour beaucoup trop de gens, les risques pour la santé et les souffrances ne sont pas inévitables. Ils peuvent être causés et exacerbés par le racisme systémique, y compris par des lacunes en ce qui concerne l’accès à de véritables mesures d’aide sociale et de soutien à la santé et au revenu.

Le Dr Naheed Dosani est médecin en soins palliatifs et milite pour qu’on offre des soins aux personnes qui vivent dans la rue. Il a témoigné devant le Comité sénatorial des affaires juridiques, où il a fait remarquer que, pendant la pandémie de COVID-19, « le racisme est une urgence de santé publique ».

Nous ne pouvons effectivement pas ignorer que, depuis le début de la pandémie, deux fois plus de personnes sont mortes des suites de la COVID-19 dans les quartiers racisés et pauvres du Canada.

Le système de santé du Canada est fondé sur les principes d’universalité et d’accessibilité énoncés dans la Loi canadienne sur la santé. Pourtant, comme la motion no 41 l’indique clairement, cela ne suffit pas, surtout pendant les urgences de santé publique actuelles. Alors que nous nous efforçons de remédier aux séquelles laissées par le colonialisme au Canada, le système de santé doit être activement antiraciste.

Jane Philpott, la doyenne de la faculté des sciences de la santé de l’Université Queen’s et ancienne ministre fédérale de la Santé et des Services aux Autochtones, a fait la remarque suivante au sujet du racisme dans les soins de santé :

Nous n’avons pas besoin de nouvelles études; il nous faut une série de réformes. Des mesures ont été énoncées dans de nombreux rapports, notamment les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

Si on fait de l’antiracisme un pilier de la Loi canadienne sur la santé, cela montrera clairement que la poursuite de ces réformes est une priorité intégrale et déterminante à tous les niveaux du système de santé du Canada.

C’est au carrefour des soins de santé et des systèmes carcéral et de justice pénale que les effets du colonialisme et du racisme systémique sont les plus marqués.

Chers collègues, vous êtes maintenant nombreux à m’avoir accompagnée en prison et à avoir pu constater directement qui croupit dans les cellules. S’il en est ainsi, c’est parce que les autres systèmes, notamment le système de santé, ont failli à la tâche et que la discrimination est ancrée en eux. À cause de l’éviscération du filet de sécurité sociale, économique et sanitaire des dernières décennies, la police, les tribunaux et les prisons sont devenus la solution par défaut, et les systèmes juridique et pénal sont les seuls qui ne peuvent refuser personne.

Nous devons nous occuper du logement, des soutiens économiques et des soins de santé, surtout la santé mentale et les traitements contre les dépendances, qui sont nécessaires pour beaucoup de gens qui ont été autrement abandonnés et maltraités, trop souvent à cause de décisions politiques et stratégiques. Les systèmes juridique et carcéral ne conviennent pas à cette fin, et pourtant, nous refusons constamment de tenir compte de ces réalités.

Ne pas fournir de soins de santé et de soins de santé mentale accessibles et adaptés à la réalité culturelle a des conséquences dévastatrices, surtout pour les personnes les plus marginalisées. Un nombre disproportionné d’entre elles ont des démêlés avec la justice et se retrouvent devant les tribunaux, puis en prison, plutôt que de recevoir les traitements dont elles ont besoin.

L’été dernier, des personnes noires et autochtones sont mortes lors de vérifications de santé mentale effectuées par des policiers, ce qui est à l’origine d’appels urgents pour adopter des mesures antiracistes. Pour trop de personnes, ces mêmes interventions finissent en judiciarisation d’un problème qui relève de la santé plutôt que de la criminalité.

(1940)

Selon la Commission de la santé mentale du Canada, parmi les personnes atteintes d’une maladie mentale, deux sur cinq ont déjà été arrêtées. De plus, la police a participé au plan d’intervention de trois personnes sur dix. D’après les données du système correctionnel fédéral, 79 % des femmes détenues dans les prisons fédérales ont des problèmes de santé mentale. Parmi les prisonniers fédéraux, 25 % sont considérés comme des aînés, et la plupart d’entre eux ont un problème de santé chronique et, dans bien des cas, plusieurs problèmes de santé chroniques qui vont de la douleur chronique à une invalidité en passant par le cancer, le diabète, les problèmes circulatoires, les problèmes cardiaques et la démence.

Trop souvent, le système carcéral choisit, pour « gérer » les personnes ayant besoin de soins de santé complexes, de les isoler, ce qui ressemble à un isolement cellulaire. Non seulement les gens ne reçoivent-ils pas les soins dont ils ont besoin, mais cet isolement a pour effet de créer et d’exacerber des problèmes de santé. Il suffit parfois de 48 heures pour qu’apparaissent les premiers dommages irréversibles d’ordre physique, physiologique, psychologique et neurologique causés par le fait de passer presque toute la journée enfermé seul dans une cellule plus petite que la plupart des espaces de stationnement ou des salles de bain. Tant au Canada qu’à l’échelle internationale, on considère que passer 15 jours dans de telles conditions est une forme de torture.

Depuis le début de la pandémie, des prisons fédérales ont été soumises à des isolements et des confinements qui ont duré des semaines ou des mois, voire plus d’un an.

Ces rudes conditions ont touché de manière disproportionnée les populations noires et autochtones. Pendant la première vague de la pandémie de COVID-19, le taux d’infection parmi les hommes était 10 fois plus élevé dans les pénitenciers fédéraux que dans le reste du Canada. Pour les femmes, il était 77 fois plus élevé, ce qui est inconcevable.

Le Dr Dosani décrit ainsi la situation des patients racialisés qui vivent dans la rue, dans l’ombre de la criminalisation, et qui sont atteints d’un cancer ou dont l’état de santé exige des soins palliatifs :

Les gens dont je prends soin ont peur et sont inquiets. Nous avons été témoins de la criminalisation de l’itinérance, surtout pendant la pandémie de COVID. Notamment, les personnes en situation d’itinérance habitent les parcs et d’autres endroits, parce qu’ils n’ont nulle part où aller. En effet, les maisons de répit, les refuges et les centres de dépannage ont dû réduire leurs services et leurs heures d’ouverture.

Dans bien des endroits, on a réagi en faisant intervenir les policiers, qui distribuent des contraventions, ce qui est inapproprié et empire les relations avec la police.

Il est malheureusement très clair que les pénitenciers ne sont pas un substitut pour les refuges, les centres de traitement ou les centres de santé mentale pour les plus marginalisés, y compris ceux qui le sont en raison du racisme systémique, et nous ne devrions pas accepter qu’ils continuent de servir à cette fin. Ceux qui ont besoin de soins de santé devraient avoir accès à des soins appropriés, complets et sécuritaires.

Merci, sénatrice McCallum, du leadership dont vous avez fait montre en mettant cette enceinte au défi d’utiliser ses privilèges et son autorité pour qu’on arrête d’abandonner ceux qui souffrent à la misère de la rue ou de la prison ou à la mort. Merci aussi de nous avoir inspirés à demander avec insistance des soins de santé dénués de racisme et la mise en œuvre d’une vision et d’une promesse d’accessibilité et d’un meilleur et plus équitable avenir pour tous.

Meegwetch. Merci.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’allais inviter la sénatrice Pate à finir son intervention, mais j’ai remarqué que le sénateur Richards avait la main levée. Je ne sais pas s’il voulait poser une question à la sénatrice Pate ou à la sénatrice Simons.

Sénateur Richards, vouliez-vous poser une question?

L’honorable David Richards : Honorables sénateurs, je voulais la poser à la sénatrice Simons initialement, mais je peux la poser à l’une ou à l’autre, en fait.

Son Honneur le Président : Je suis désolé, sénateur Richards. Si vous voulez poser votre question à la sénatrice Simons, il faut que j’en demande la permission.

Que les sénateurs qui sont contre veuillent bien dire « non ».

Allez-y, sénateur Richards.

Le sénateur Richards : Parfois, sénatrice Simons, c’est une question d’intégrité et parfois, c’est de la paresse ou simplement un manque d’égards. En fin de vie, ma mère, une femme blanche, était tourmentée par une infirmière parce que sa condition ne s’améliorait pas. Chaque jour, cette infirmière tourmentait ma mère et lui faisait des remarques parce que sa condition ne s’améliorait pas. Je connais une autre femme blanche à qui on a enlevé son enfant parce qu’on croyait, à tort, qu’il avait été victime du syndrome du bébé secoué.

Je ne dis pas que le projet de loi est mauvais. Je crois qu’il devrait être adopté, mais je crois que l’intolérance peut venir de tous les côtés. Souvent, elle relève de la paresse ou de l’ignorance. Il faut prendre garde à ne pas trop restreindre ce qui constitue de l’intolérance. Peut-être avez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet, sénatrice.

La sénatrice Simons : Je serai heureuse de le faire, Votre Honneur.

Nous sommes confrontés à deux types de problèmes. Cela m’attriste de parler en mal des travailleurs de la santé en pleine crise de la COVID alors qu’ils sont si nombreux à risquer leur vie et leur santé mentale et physique pour prendre soin de nous, mais nous savons tous qu’il y a un certain pourcentage de ces nombreux travailleurs dans la santé qui ne sont pas bienveillants.

Lorsque ma mère était en fin de vie à l’hôpital l’été dernier et qu’elle hurlait, parce qu’elle souffrait de démence grave, une infirmière est venue la voir et lui a crié de se taire. J’ai dit à cette infirmière que ma mère ne pouvait pas comprendre et qu’il était impossible qu’elle fasse ce qu’elle lui demandait. Pourquoi cette femme faisait-elle des reproches à ma mère — une femme blanche, blonde aux yeux bleus — et la torturait-elle? Parce que cette infirmière n’était pas gentille.

Je voulais aborder dans mon discours le problème beaucoup plus subtil du type de discrimination et de racisme systémique que nous ne faisons pas par malice, mais inconsciemment. C’est la contribution que j’espère apporter au débat. D’autres sénateurs, dont la sénatrice Pate, ont parlé en termes fort émouvants du problème des mauvais intervenants dans le système de santé. Je voulais prendre un instant dans mon discours pour aborder les choses auxquelles nous ne pensons pas toujours et que nous ne voyons pas toujours — les tests, l’équipement médical, les manuels médicaux — qui sont encore en quelque sorte basées sur le monde des années 1960, bien que notre société ne ressemble plus à celle de cette époque.

Lorsqu’il est question de racisme systémique, les gens sont sur la défensive et disent : « Je ne suis pas une mauvaise personne. Il est impossible que je contribue au racisme systémique, car je ne suis pas méchant. Je ne suis pas intolérant ». Toutefois, nous faisons tous partie d’une vaste société qui doit cesser d’être autant sur la défensive et dire : « D’accord. Je n’y avais pas pensé de cette façon auparavant. Je n’avais pas pensé au fait que d’autres personnes pouvaient être mal à l’aise. Je n’avais pas pensé au fait que le manuel médical ne tient pas compte de la population que je sers ».

C’est le sujet dont j’espérais parler ce soir, soit les questions de racisme systémique qui sont si subtiles que nous ne les voyons pas. Cela ne signifie pas que nous sommes d’affreux êtres humains, mais que nous devons élargir notre vision.

(Sur la motion de la sénatrice Duncan, le débat est ajourné.)

[Français]

Langues officielles

Autorisation au comité d’étudier l’application de la Loi sur les langues officielles, ainsi que des règlements et instructions en découlant, et à recevoir les documents reçus et les témoignages entendus depuis le début de la première session de la quarante-deuxième législature

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Cormier, appuyée par l’honorable sénateur Woo,

Que le Comité sénatorial permanent des langues officielles soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, l’application de la Loi sur les langues officielles, ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi;

Que le comité soit aussi autorisé à étudier les rapports et documents produits par le ministre du Patrimoine canadien, la ministre du Développement économique et des Langues officielles, le président du Conseil du Trésor et le commissaire aux langues officielles, ainsi que toute autre matière concernant les langues officielles;

Que les documents reçus, les témoignages entendus et les travaux accomplis sur la question par le comité depuis le début de la première session de la quarante-deuxième législature soient renvoyés au comité;

Que le comité soumette son rapport final au Sénat au plus tard le 17 décembre 2021, et qu’il conserve tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions dans les 180 jours suivant le dépôt du rapport final.

L’honorable René Cormier : Honorables sénateurs, je propose l’adoption de la motion inscrite à mon nom.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

[Traduction]

Le système de soins de longue durée

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Seidman, attirant l’attention du Sénat sur les faiblesses du système canadien de soins de longue durée, qui ont été révélées par la pandémie de la COVID-19.

L’honorable Gwen Boniface : Honorables sénateurs, je profite de l’occasion pour remercier la sénatrice Seidman d’avoir lancé cette interpellation et pour remercier tous les sénateurs qui ont déjà participé au débat.

Comme vous le savez, il s’agit d’un enjeu important pour tous les Canadiens. Notre façon de traiter les personnes vulnérables en dit beaucoup sur notre pays. Dans ma province, l’Ontario, nous avons malheureusement été témoins des effets dévastateurs de la pandémie dans les centres de soins de longue durée pendant la première vague. L’intervention des forces armées dans ces centres a mis en évidence les faiblesses des lois, des politiques et des lignes directrices en place, sans oublier le manque de compétences. Dans le rapport de la Société royale du Canada intitulé Rétablir la confiance : la COVID-19 et l’avenir des soins de longue durée, qui a été publié en juillet dernier, on a déterminé les principaux problèmes. De plus, on indique qu’il y a beaucoup plus de décès attribuables à la COVID-19 dans les établissements de soins de longue durée du Canada que dans ceux de pays comme l’Australie, les États-Unis et l’Espagne. La Société royale du Canada explique que de nombreux facteurs contribuent à la complexité des soins requis par les patients, notamment le fait que les aînés canadiens vont vivre dans ces établissements à un âge plus avancé, que l’espérance de vie est à la hausse et que les maladies à traiter, comme la démence, sont plus complexes.

(1950)

Sénateurs, il y a beaucoup de travail à faire. En effet, d’après Statistique Canada, d’ici 2030, il devrait y avoir plus de 9,5 millions d’aînés au pays, ce qui représenterait 23 % de la population canadienne. Au cours des deux prochaines décennies, le nombre d’aînés au Canada augmentera de 68 %. Le nombre de personnes âgées de plus de 75 ans, lui, doublera.

Je veux attirer votre attention sur la grande question, soit le soutien que nous offrons à tous les aînés ayant besoin uniquement de certains soins. Nous entendons dire depuis longtemps qu’il faudrait permettre aux aînés de rester chez eux le plus longtemps possible, ce qui est louable. Cependant, ce sont souvent des paroles creuses qui s’accompagnent de très peu de mesures concrètes, qu’il s’agisse de politiques, de conseils ou de recherches de la part de tous les ordres de gouvernement.

J’ai écouté des gens me parler de l’angoisse qu’ils ressentent quand ils tentent d’être à la fois les enfants et les fournisseurs de soins de leurs parents. Les fournisseurs de soins non rémunérés sont les héros méconnus de la pandémie.

J’ai une amie qui a pris soin de sa mère pendant 10 ans. Elle a commencé à en prendre soin quand elle a pris sa retraite. Elle m’a parlé de l’importante coordination que nécessitait la venue d’aidants chez elle afin d’obtenir un répit des soins qu’elle prodiguait 24 heures sur 24. Mon amie habite dans une petite ville du Nord de l’Ontario et elle a constaté qu’il était presque impossible d’obtenir du soutien continu, même si son travail non rémunéré permettait d’alléger le fardeau du système de soins pour les aînés et qu’il lui évite énormément de dépenses. Si mon amie n’avait pas prodigué de soins à sa mère, celle-ci aurait été prise en charge par quelqu’un d’autre.

En ce qui me concerne, il y a cinq ans, l’état de mon père de 95 ans s’est détérioré rapidement parce qu’il était atteint de démence. Jusque-là, ma mère et lui vivaient seuls et de façon relativement indépendante. Si mes parents n’avaient pas eu huit enfants, nous n’aurions pas pu garder mon père chez lui jusqu’à sa mort. Coordonner la présence d’aidants et de membres de la famille pour s’assurer que mon père et ma mère reçoivent des soins était un emploi à temps plein.

Les aidants qui n’étaient pas des membres de la famille étaient bons, aimables et pleins de compassion. Toutefois, les fournisseurs de soins appelaient couramment à la dernière minute pour nous aviser que quelqu’un s’était déclaré malade, qu’ils manquaient de personnel et que personne ne pouvait aller chez mes parents. C’est alors ma mère de 88 ans qui devait prendre soin d’un patient atteint de démence.

Les heures de soins auxquelles mes parents étaient admissibles étaient constamment réévaluées, malgré le fait que l’état de santé de mon père n’allait pas s’améliorer. Nous avons eu la chance que mon père décède à la maison et, bien que nous en soyons reconnaissants, nous étions également épuisés et inquiets que le fardeau de vivre avec un patient atteint de démence ne pèse sur ma mère. Les familles et les conjoints d’êtres chers ne devraient pas se retrouver dans cette situation et pourtant, c’est le lot de bien des familles.

À London, en Ontario, on a rapporté il y a quelques mois qu’un monsieur en fauteuil roulant avait été laissé sans aide pendant trois jours avant que le remplaçant arrive à la maison. Je peux vous assurer que ces situations se produisent dans tout le pays.

Je n’en conclus pas que la solution de rechange à la vie dans un établissement de soins de longue durée fonctionne mieux. Ce n’est pas le cas. Dans bien des cas, c’est uniquement par amour pour un parent ou un grand-parent que les gens ont persévéré, mais ce n’est pas plus facile.

Sénateurs, il faut une stratégie nationale globale pour traiter de l’avenir des soins de la population vieillissante. Nous devons écouter les travailleurs de première ligne qui relèvent ces défis chaque jour, et nous devons écouter les familles qui se trouvent entre l’arbre et l’écorce.

Il ne s’agit pas de pointer des doigts accusateurs. Il s’agit de concevoir un avenir à l’intention de près du quart de la population du pays. Que devons-nous faire, en tant que Canadiens? Que pouvons-nous apprendre de tous ces rapports? Comment pouvons-nous collaborer afin d’arriver à des normes nationales, à une formation adéquate et à une rémunération convenable? Qu’en est-il des pratiques exemplaires? Comment peut-on composer avec toute la complexité des soins dans un établissement donné?

Honorables sénateurs, c’est la voie que nous devons suivre. Nous le devons aux personnes les plus vulnérables de la société et à l’avenir de tous les Canadiens. Merci.

L’honorable Donna Dasko : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’interpellation de la sénatrice Seidman, qui attire l’attention du Sénat sur les faiblesses du système canadien de soins de longue durée qui ont été révélées par la pandémie de COVID-19. Je remercie la sénatrice Seidman d’avoir lancé cette importante interpellation. Je remercie également les sénateurs qui sont intervenus avant moi d’avoir présenté leur analyse de la situation et partagé leur expérience personnelle des soins de longue durée.

Je crois que j’ai eu de la chance. Mes parents ont vécu et reçu des soins pendant quatre ans dans un établissement de soins à but non lucratif situé à Peterborough, en Ontario, et, selon moi, il semble qu’ils ont été très bien traités. Ma mère était atteinte de la maladie d’Alzheimer et je dois dire que le personnel de St. Joseph’s faisait de son mieux avec des patients souffrant de cette maladie des plus difficiles et déchirantes.

Mes deux parents sont décédés en 2018. Avec le recul, je suis satisfaite des choix qu’a faits ma famille. Toutefois, je reconnais que d’autres ont eu une expérience des soins de longue durée tout à fait terrible et différente de la mienne. Je me souviens de la triste histoire racontée par la sénatrice Pate sur les cas de mauvais traitements au foyer de soins où habitait sa mère.

Que notre expérience personnelle soit positive, négative ou mitigée, le fait est qu’il existe des lacunes systémiques et profondes dans le secteur canadien des soins de longue durée. Bien que ma propre expérience n’ait pas révélé les failles du système, celles-ci existaient en 2018 et bien avant.

Selon le journaliste André Picard, depuis la création du programme d’assurance-maladie, plus de 150 groupes de travail, commissions d’enquête et autres commissions ont documenté l’état pitoyable des soins de longue durée dans ce pays. Je cite M. Picard :

On ne peut qu’être étonné en constatant que les mêmes problèmes sont exposés sans cesse et qu’on propose toujours les mêmes solutions.

Comme le titre de l’interpellation de la sénatrice Seidman l’indique, la pandémie de COVID-19 a effectivement révélé les faiblesses du système, et cela a eu des conséquences désastreuses pour le système non pas une fois, mais à deux reprises.

Après la première vague, l’Institut national sur le vieillissement nous a appris que 77 % des décès survenus au pays pendant la pandémie ont eu lieu dans des centres de soins de longue durée et des maisons de retraite; ces endroits comptent pour 80 % des décès au Québec et pour 73 % des décès en Ontario.

Selon un rapport de l’Institut canadien d’information sur la santé publié en mars dernier, la situation ne s’est généralement pas améliorée dans le secteur pendant la deuxième vague. Au Manitoba, une série d’éclosions dans des centres de soins de longue durée — la sénatrice Bovey en parlé dans son discours dans le cadre de cette interpellation — ont causé 480 décès pendant la deuxième vague, contre 3 décès pendant la première vague. En Alberta, la deuxième vague a causé plus de 1 000 décès dans des centres de soins de longue durée, et on a observé la même tendance en Colombie-Britannique.

En Ontario, une récente commission sur les soins de longue durée a permis d’établir que l’inaction du gouvernement avait laissé le virus retourner dans les établissements de soins de longue durée, ce qui a entraîné une deuxième vague beaucoup plus mortelle que la première. Selon le rapport de la commission, les aînés sont morts à un rythme alarmant en Ontario l’hiver dernier. À un de ces établissements, 118 résidants sur 119 ont été déclarés positifs et 34 sont décédés. En Ontario, la deuxième vague a tué un total de 3 758 résidants des établissements de soins de longue durée, ce qui constitue une augmentation par rapport aux quelque 2 000 décès survenus durant la première vague. À l’échelle nationale, le Canada a perdu plus de 15 000 résidants d’établissements de soins de longue durée depuis le début de la pandémie.

(2000)

Ce printemps, selon l’Institut canadien d’information sur la santé, les décès dans les établissements de soins de longue durée représentaient près de 69 % de l’ensemble des décès au Canada, ce qui constitue le pire bilan des pays riches et ce qui est de 28 % supérieur à la moyenne internationale.

Il est vraiment honteux que, même à la suite des appels à l’action urgente lancés durant la première vague, le secteur des établissements de soins de longue durée était encore si mal préparé. Chers collègues, force est de conclure que sans la distribution rapide des vaccins dans les établissements de soins de longue durée cette année, ce secteur aurait été aussi touché durant la troisième vague.

La pandémie a fait ressortir les problèmes systémiques, sous-jacents et de longue date du secteur des soins de longue durée au Canada. Parmi ces problèmes, on retrouve le sous-financement, la surveillance gouvernementale déficiente, la collecte de données et le partage d’information limités, les décisions prises en fonction des profits, les taux d’occupation excessifs, les infrastructures vieillissantes, ainsi que le personnel sous-payé, n’ayant pas de formation suffisante et épuisé par une surcharge de travail. Ce personnel se compose surtout de femmes, dont plusieurs sont racialisées et néo-Canadiennes.

Pour corriger la situation, il nous faut des normes plus élevées pour les soins fournis aux aînés. Afin d’y arriver, les gouvernements doivent augmenter le financement et réglementer davantage le secteur.

Commençons par les normes plus élevées. Des experts dans le domaine, y compris Pat Armstrong de l’Université York, à Toronto, ont relevé un certain nombre de conditions qui doivent changer dans le secteur des soins de longue durée. Il faut notamment élargir l’accès aux soins de longue durée de qualité à l’ensemble des Canadiens, et non seulement aux plus riches; établir des normes minimales et exécutoires en ce qui concerne le nombre d’employés, ainsi que des politiques sur l’embauche et le maintien en poste; améliorer de façon marquée les conditions de travail dans le secteur; se pencher sur les questions liées à l’environnement physique, y compris l’équipement de protection individuelle, l’enlèvement des déchets, la taille des chambres et la ventilation; améliorer l’éducation et la formation du personnel rémunéré et des bénévoles; et établir des mécanismes de reddition de comptes qui sont solides et exécutoires, en plus de se fonder sur la collecte de données et la transparence.

En ce qui concerne le financement du système, le gouvernement fédéral a pris plusieurs engagements. En septembre dernier, le gouvernement a annoncé une enveloppe de 740 millions de dollars pour les soins de longue durée dans le cadre de l’Accord sur la relance sécuritaire. Il a aussi annoncé le Fonds pour la prévention et le contrôle des infections dans l’énoncé économique de l’automne, qui prévoit le versement de 1 milliard de dollars sur deux ans. La moitié de ces fonds ont été dégagés lorsque le projet de loi C-14 a été adopté le mois dernier. Enfin, dans le budget de 2021, il a annoncé 3 milliards de dollars supplémentaires sur cinq ans.

Plusieurs gouvernements provinciaux se sont aussi engagés à dépenser davantage dans les soins de longue durée, un secteur qui relève bien sûr de leurs compétences. L’Ontario, par exemple, a promis 2,7 milliards de dollars pour l’ajout de lits de soins de longue durée et 2 milliards de dollars annuellement pour embaucher de nouveaux préposés aux bénéficiaires.

Reconnaissons donc qu’un plus grand financement a été proposé et que les Canadiens sont en faveur d’une augmentation des dépenses. En effet, selon un sondage Abacus mené auprès des Canadiens l’année dernière, en mai 2020, soit environ trois mois après le début de la pandémie, 78 % des Canadiens étaient favorables à un financement accru des soins de longue durée.

Cependant, il est aussi essentiel d’établir des normes plus élevées. Les gouvernements doivent améliorer les normes du secteur en réglementant mieux et plus efficacement un secteur qui est déjà hautement réglementé.

Plusieurs experts en soins de longue durée réclament l’établissement de normes nationales, qui seraient mises en œuvre par le gouvernement fédéral, en échange de fonds fédéraux. C’est ce qu’ont demandé plusieurs témoins comparaissant devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales lors de son examen de la réponse fédérale à la pandémie l’année dernière.

Par exemple, le Dr Réjean Hébert, ancien ministre de la Santé du Québec, a expliqué, lors de son témoignage au comité le 10 juin dernier, la nécessité de mesures législatives fédérales qui établiraient de telles normes. Il estime que cela donnerait au gouvernement fédéral une raison légitime d’aider les provinces à mettre en place des services, mais aussi à réagir à des crises comme la COVID. Il a ajouté ceci : « Il ne suffit pas de donner plus d’argent. »

On pourrait instaurer des normes nationales en modifiant la Loi canadienne sur la santé ou en adoptant une loi distincte de structure comparable à la Loi canadienne sur la santé, mais visant précisément les soins de longue durée. Un autre moyen d’instaurer des normes nationales serait l’établissement d’un cadre stratégique par un organisme de réglementation ou un organisme de normalisation en matière de santé auquel seraient rattachés des fonds fédéraux accessibles aux provinces qui satisfont ces objectifs ou qui réalisent des progrès en vue de les atteindre.

Enfin, le gouvernement fédéral pourrait, en fait, écarter complètement l’idée de créer des normes nationales, mais conclure néanmoins des ententes bilatérales avec les provinces en vue d’améliorer les conditions, comme il l’a fait en concluant l’Accord sur la relance sécuritaire l’automne dernier.

Voilà donc toutes les façons dont le gouvernement fédéral pourrait assister les provinces pour redresser le secteur grâce au pouvoir fédéral de dépenser.

Chers collègues, ne vous méprenez pas. Le gouvernement fédéral accorde une grande priorité aux normes nationales dans ses messages à ce sujet jusqu’à présent. On nous a promis des normes nationales dans le discours du Trône de l’an dernier et dans le budget de cette année. La stratégie semble faire intervenir l’Association canadienne de normalisation et l’Organisation de normes en santé, qui, on peut présumer, créeront un ensemble de normes nationales que le gouvernement incitera les provinces à mettre en œuvre en échange de fonds fédéraux. Le budget précise également que le financement sera accordé :

[...] à Santé Canada afin d’aider les provinces et les territoires à faire appliquer les normes relatives aux soins de longue durée et d’apporter des changements permanents.

Dans notre système fédéral, il est particulièrement difficile d’imposer des normes fédérales aux provinces, même en versant des sommes importantes. Comme la ministre des Finances, Mme Freeland, l’a indiqué au Sénat en novembre dernier :

Pour élaborer des normes applicables à l’ensemble du pays, auxquelles adhèrent vraiment tous les niveaux de gouvernement, il faudra de véritables discussions et négociations entre les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral.

Quel que soit l’angle sous lequel on examine la situation, qu’il s’agisse de normes nationales, de normes uniformes ou de normes améliorées, il reste beaucoup de travail à faire.

En conclusion, chers collègues, les problèmes du système de soins de longue durée sont bien documentés, et les solutions sont bien comprises. Les Canadiens conviennent qu’il faut dépenser davantage et ils veulent de meilleures normes. Nous avons perdu un trop grand nombre de proches, d’amis, de voisins et de concitoyens à cause de l’inaction. Aux gouvernements fédéral et provinciaux, je dis ceci : mettons la main à la pâte. Merci, meegwetch.

L’honorable Lucie Moncion : Sénatrice Dasko, accepteriez-vous de répondre à une question?

La sénatrice Dasko : Oui. Merci.

La sénatrice Moncion : Au cours de vos recherches, avez-vous examiné les partenariats qui existent dans les établissements de soins de longue durée et les maisons de retraite, où des entrepreneurs et des consortiums d’investisseurs sont propriétaires des établissements? Avez-vous fait des recherches à ce sujet dans le cadre de vos travaux?

(2010)

La sénatrice Dasko : Sénatrice Moncion, je crois que vous posez une question au sujet des fournisseurs privés dans le système. Je crois que votre question porte sur eux.

Il s’agit d’un vrai problème en Ontario, où 58 % des soins sont fournis par le secteur privé. De nombreux experts estiment que l’une des façons de régler les problèmes du système est d’éliminer progressivement les exploitants privés.

(Sur la motion de la sénatrice Duncan, le débat est ajourné.)

Le lien entre la prospérité et l’immigration

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Omidvar, attirant l’attention du Sénat sur le lien entre la prospérité antérieure, actuelle et future du Canada et sa connexion profonde à l’immigration.

L’honorable Mohamed-Iqbal Ravalia : Honorables sénateurs, je suis heureux de répondre à l’interpellation du sénateur Omidvar attirant l’attention du Sénat sur le lien très étroit entre la prospérité passée, présente et future du Canada et l’immigration.

Honorables sénateurs, au cours des prochaines minutes, je vais vous raconter mon histoire et vous parler des répercussions de mon immigration au Canada sur ma vie en tant qu’immigrant.

Je suis né et j’ai grandi en Rhodésie, un pays en Afrique centrale. Mes parents étaient des migrants indiens. Nous vivions dans une petite communauté agricole du plateau de Manica, et 50 familles asiatiques, soit la majorité de la communauté, travaillaient dans le commerce de détail. J’ai vécu une enfance heureuse. J’allais à une école qui avait deux salles de classe et j’appartenais à une communauté merveilleuse et solidaire. Mes frères et sœurs et les autres membres de ma famille m’aimaient profondément.

Cependant, en toile de fond se cachait un système d’apartheid auquel j’ai commencé à penser seulement lorsque je suis entrée à l’école. En grandissant, j’ai commencé à réaliser que c’était mon ethnicité qui déterminait où j’allais à l’école, dans quel restaurant je pouvais m’asseoir, où mes parents pouvaient posséder des biens, où nous vivions et comment nous vivions toute notre vie. J’ai commencé à porter le fardeau de mon ethnicité d’une manière qui m’a conduite à des périodes de profonde mélancolie. Comme le vieux marin du beau poème de Samuel Taylor Coleridge, j’étais tourmentée. Mon origine ethnique est devenue l’albatros autour de mon cou. Elle influençait toutes les décisions que je prenais. Cependant, ma famille et mes amis n’ont cessé de me soutenir et de me dire que l’éducation était le moyen de m’en sortir, qu’un jour, l’apartheid allait finir et que la vie serait meilleure.

J’ai eu la chance d’être accepté en médecine après avoir terminé mes études secondaires dans un pensionnat réservé aux élèves asiatiques et de couleur, mais j’ai continué de réfléchir à ces trois catégories de personnes — blanc, brun et noir — ayant des vies parallèles avec très peu de possibilités d’intégration sociale.

Je me souvenais des cours d’histoire pendant lesquels nous avions appris que Périclès s’était adressé aux Athéniens, 2 500 ans plus tôt, pour leur parler d’un gouvernement, un système démocratique, un gouvernement du peuple pour le peuple et par le peuple. J’ai réfléchi à cet État équitable comme je n’en avais pas connu jusque-là. À bien des égards, cet objectif a pris la forme d’une quête personnelle pour moi. Sans que j’en sois trop conscient, c’est devenu une sorte d’obsession : j’espérais parvenir un jour à ce sommet.

L’année 1980 est arrivée, et la Rhodésie est devenue l’État noir indépendant du Zimbabwe. Les gens célébraient dans les rues et débordaient d’espoir. Mais l’apartheid avait laissé de profondes blessures, et la transition vers un nouveau gouvernement a ouvert la voie à la corruption, à une discrimination à rebours et au népotisme. Une fois de plus, la communauté asiatique s’est malheureusement retrouvée dans une position impossible.

C’est le cœur lourd que j’ai conclu, en 1984, que je devais prendre une décision difficile pour me débarrasser de cette vie mélancolique: je devais quitter le pays où j’étais né et la beauté immense et incroyable de l’Afrique australe, ses couleurs, ses animaux et des gens fantastiques, car ma vie devait prendre une nouvelle direction. Comme le savent les immigrants, c’est probablement l’une des décisions les plus difficiles qu’on puisse prendre dans sa vie, parce qu’on est conscient d’aller vers un endroit où on ne connaît personne. On connaît bien peu de choses de la nouvelle vie qui nous attend.

J’ai eu la très grande chance d’obtenir un poste de médecin de famille et d’anesthésiste généraliste dans la petite localité de Twillingate, sur la côte nord-est de Terre-Neuve. Je suis arrivé là-bas anxieux, appréhensif, mais aussi avec beaucoup d’attentes.

Je songe souvent aux choix que l’on fait dans la vie. Lorsque c’est le cas, je pense au professeur Albus Dumbledore, le directeur de l’école de sorcellerie de Poudlard dans la série Harry Potter. Lors de l’une des premières rencontres avec Harry, le professeur Dumbledore lui dit : « Harry, ce sont nos choix, bien plus que nos talents, qui révèlent notre véritable nature. » Cette phrase m’est restée pendant des années.

J’ai été frappé par la beauté sauvage du paysage qui m’entourait, subjugué par le charme de l’océan en furie, qui recèle des richesses faisant notre prospérité. Mais quel prix doit payer pour aller puiser ces richesses, sous forme de pertes de vie, d’absence d’un être cher et, souvent, de disparition d’un gagne-pain? J’ai été très touché par les gens qui m’ont accueilli dans leur cœur et dans leur foyer. Ils avaient une vision très claire de leur histoire. Les difficultés de la vie dans un climat aussi rude façonnent des personnalités tenaces et fières, qui s’incarnent dans les rythmes d’un folklore magnifique et dans une autosuffisance issue, selon moi, d’un bel esprit de survie.

J’étais un célibataire musulman venu d’un petit pays d’Afrique au milieu de nulle part, et j’étais entouré de 2 500 protestants et de 10 catholiques. Je me suis tourné naturellement vers les catholiques, mais j’ai fini par marier une protestante. C’est ici que j’ai rencontré ma femme, Dianne Collins, dont la famille vivait de la pêche sur l’île depuis le XVIIe siècle. Ils pouvaient retracer leurs ancêtres jusqu’à Devon, dans l’Est de l’Angleterre. Ils m’ont accueilli comme l’un des leurs, et j’ai été très touché par leur résilience, leur foi profonde et leur altruisme dans tous les aspects de leur vie.

Par la suite, je me suis soudainement senti soulagé d’un poids. On me jugeait maintenant non pas selon mon ethnicité, mais selon mes capacités, mon humanité et mon appartenance à mon nouveau lieu de résidence. L’albatros que je portais autour du cou depuis de nombreuses années semblait avoir soudainement disparu.

Tout en apprenant à découvrir l’île, je me suis donné pour mandat de promouvoir la justice sociale. Je partageais la souffrance de ceux qui sont marginalisés dans ma communauté : les mères seules, les travailleurs pauvres, ceux qui souffrent de problèmes de santé mentale, les personnes handicapées et mes frères de la communauté LGBTQ.

(2020)

J’ai été ému par beaucoup d’histoires qu’on m’a racontées. J’ai été très touché par l’esprit communautaire, par le soutien incroyable que j’ai reçu de mes collègues de chaque discipline, parce que pour nous, pour survivre dans le milieu de la santé d’une petite collectivité, nous devions pouvoir compter les uns sur les autres. J’ai réalisé très tôt que cet esprit de survie attachant, façonné par l’adversité et les défis, s’était transformé en une culture d’une remarquable humanité.

Avec le temps, de nombreuses occasions se sont présentées à moi. On m’a offert un emploi à l’Université Memorial, où j’ai fini par contribuer à la conception de programmes ruraux offerts à l’échelle de la province. Ce fut l’occasion de participer au niveau national dans divers domaines, mais en particulier dans celui de l’éducation médicale régionalisée. Je me suis beaucoup impliqué dans les débats politiques relatifs au domaine médical et j’ai particulièrement aimé mon implication dans la collectivité : les visites à domicile, les histoires remarquables que m’ont racontées mes patients âgés, les gens qui avaient été chasseurs de phoques et ceux qui ont connu des personnes ayant gelé sur la glace. Malgré l’adversité, leur résilience ne faiblit pas et ils gardent la même étincelle dans le regard.

C’est la ruralité terre-neuvienne qui forme le noyau autour duquel j’ai développé mes points forts et appris à gérer mes faiblesses. J’ai rencontré des diplômés étrangers des quatre coins du monde et j’ai rapidement compris que je n’étais pas le seul immigrant à avoir vécu une telle expérience. Il y avait des médecins de tous les pays imaginables — on aurait parfois cru que nous formions une sorte d’Organisation des Nations unies. J’avais des collègues juifs, arabes, musulmans, bouddhistes, athées et catholiques de toutes les régions du monde. Le groupe solidaire que nous avons formé nous a rendus plus forts d’une façon tout à fait unique. Je n’aurais jamais imaginé que ce type de changement profond arriverait dans ma vie, sur la côte nord-est d’une petite île, au large d’un des pays les plus remarquables au monde.

Le soutien de mon épouse a grandement contribué à mes réussites, et l’amour que me portent mes deux fils a une valeur beaucoup plus grande que ce que j’aurais pu imaginer. En tant qu’enseignant en médecine, j’ai eu l’occasion de rencontrer un grand nombre de jeunes gens brillants et engagés, et je suis très reconnaissant d’avoir pu maintenir le contact avec beaucoup d’entre eux. Ils m’ont ému et influencé de multiples façons, et nos retrouvailles sont toujours remplies de rires, de réflexions et de souvenirs qui sont extrêmement touchants.

Chers collègues, ce merveilleux pays m’a procuré une vie et une carrière bien au-delà de mes attentes lorsque je songe aux humbles origines de mon patrimoine en Rhodésie. Le Canada me permet de continuer de pratiquer ma foi. Il me permet de maintenir, avec fierté, mon patrimoine sud-asiatique. Il me permet de maintenir le lien de mon esprit avec les sols rouges de l’Afrique, où tant de sang a coulé au cours de l’histoire.

Surtout, il me permet d’acquérir l’esprit attachant d’un fier Terre-Neuvien-et-Labradorien et, ce qui est encore plus important, d’un fier Canadien.

En terminant, j’aimerais citer l’ancien président Barack Obama :

Je crois que nous naissons en ce monde et héritons de toutes les rancunes, de toutes les rivalités, de toutes les haines et de tous les péchés du passé. Toutefois, nous héritons également de la beauté, de la joie et de la bonté de nos ancêtres. Notre passage sur cette planète est plutôt éphémère, alors nous ne pouvons refaire entièrement le monde dans le peu de temps dont nous disposons. [...] Cela dit, je crois que nos décisions sont importantes. [...] au bout du compte, nous faisons partie de la longue histoire de l’humanité. Nous devons simplement bien réussir notre paragraphe.

Je serai éternellement reconnaissant au Canada de m’avoir donné l’occasion de réussir mon paragraphe. Merci. Que Dieu vous bénisse.

Des voix : Bravo!

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Droits de la personne

Retrait du préavis de motion tendant à autoriser le comité à étudier les questions ayant trait aux obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne

À l’appel de la motion no57 par l’honorable Salma Ataullahjan :

Que le Comité sénatorial permanent des droits de la personne soit autorisé à étudier et à surveiller l’évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et, entre autres choses, à examiner les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne;

Que le comité soumette son rapport final au Sénat au plus tard le 30 septembre 2023.

L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, conformément à l’article 5-10(2) du Règlement, je demande que le préavis concernant la motion n0 57 soit retiré.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(Le préavis de motion est retiré.)

Le Sénat

Motion tendant à exhorter le gouvernement à créer des voies d’accès à la citoyenneté ou à la résidence permanente pour les travailleurs étrangers temporaires essentiels dans tous les secteurs et à déposer un rapport d’étape à cet égard—Ajournement du débat

L’honorable Ratna Omidvar, conformément au préavis donné le 10 décembre 2020, propose :

Que, à la lumière d’un récent sondage de Nanos démontrant un appui solide parmi les Canadiens en vue d’offrir un moyen pour les travailleurs étrangers temporaires de rester au Canada, le Sénat exhorte le gouvernement du Canada à créer des voies d’accès à la citoyenneté ou à la résidence permanente pour les travailleurs étrangers temporaires essentiels dans tous les secteurs;

Que le Sénat exhorte le gouvernement du Canada à déposer un rapport d’étape à cet égard dans les 100 jours suivant l’adoption de cet ordre.

 — Honorables sénateurs, la pandémie de COVID-19 a montré l’importance des travailleurs étrangers temporaires qui entrent au Canada en tant que travailleurs peu qualifiés. J’hésite à utiliser les termes « peu qualifiés » parce que nous savons maintenant ce que nous aurions dû savoir auparavant, à savoir que le travail effectué par ces employés peu qualifiés n’est pas de faible valeur, bien au contraire. Nous comprenons maintenant que ces travailleurs contribuent, de manière essentielle et permanente, à notre bonne santé et à notre sécurité alimentaire.

(2030)

C’est un sentiment que partagent beaucoup de Canadiens. Selon un récent sondage Nanos Research commandé par le sénateur Rob Black et par moi-même, plus de huit Canadiens sur dix sont en faveur ou quelque peu en faveur de la mise en place de moyens permettant aux travailleurs migrants temporaires de demeurer au Canada. En outre, les répondants comprenaient bien l’importance de ces travailleurs pour le secteur agricole et pour notre sécurité alimentaire. Les résultats de ce sondage font écho à ceux d’un sondage de plus grande envergure mené par Environics qui a révélé que les Canadiens comprennent bien mieux de nos jours le travail essentiel qu’accomplissent les migrants.

Le phénomène des travailleurs étrangers temporaires n’est pas nouveau. Le programme des travailleurs agricoles saisonniers a été mis en place dans les années 1960, mais ce n’est que dans les années 1990 que le caractère temporaire de ces emplois est devenu monnaie courante. Depuis, le nombre de personnes qui travaillent temporairement au Canada a connu une croissance exponentielle. Pour chaque résident permanent admis au Canada en 2019, près de trois résidents temporaires ont été reçus pour le travail ou pour les études.

Les Canadiens ne réalisent peut-être pas à quel point notre système repose maintenant sur les travailleurs temporaires, certains ayant accès à la résidence permanente et d’autres, non. Pour les travailleurs étrangers temporaires hautement qualifiés, la voie est toute tracée, mais pour ceux de certaines catégories de la Classification nationale des professions, la CNP, cette voie est simplement inaccessible. Pour les aidants personnels, les travailleurs agricoles, les travailleurs de métier, les conditionneurs de viande et les chauffeurs de camion munis d’un visa de travail temporaire, le chemin est beaucoup plus difficile.

Je devrais utiliser le passé, car le ministre de l’Immigration a fait une annonce récente et réjouissante permettant aux travailleurs étrangers temporaires exerçant des professions essentielles de demander la résidence permanente pendant une courte période allant de mai à novembre. Ce faisant, le Canada a créé une occasion unique et limitée pour les camionneurs, les aides familiaux, les travailleurs de la santé et les travailleurs agricoles de présenter une demande, selon des critères précis. Le ministre a donné un répit, mais seulement de façon temporaire, même si les emplois sont permanents. Au mieux, il s’agit donc d’une solution à court terme pour une possibilité à plus long terme, mais je salue l’initiative, car elle pourrait bien inciter le gouvernement à prendre le taureau par les cornes.

Qui sont les travailleurs étrangers temporaires? Ce sont les personnes qui font le travail que les Canadiens ne veulent pas faire, du moins pas à long terme. Au début de la pandémie, on a beaucoup parlé de la disponibilité d’étudiants sans emploi pour cueillir des baies et des fraises et faire le travail des travailleurs migrants. Nous savons maintenant que ce n’était qu’un vœu pieux. En 2017, on comptait près de 550 000 travailleurs étrangers temporaires au Canada. Bien qu’ils soient employés dans une variété d’industries, la plus grande part est employée dans la production agricole. Cette année-là, les travailleurs étrangers temporaires représentaient plus de 40 % de tous les travailleurs agricoles en Ontario et plus de 30 % de tous les travailleurs agricoles au Québec, en Colombie-Britannique et en Nouvelle-Écosse.

Les personnes qui travaillent dans des résidences individuelles, probablement en tant qu’aides à domicile et aides familiaux, sont un autre type de travailleurs migrants. Je suis très émue par les commentaires de la sénatrice Boniface sur la recherche d’aides familiaux personnels et la difficulté de cette tâche, car je sais à quel point ils sont essentiels. Sans un flot constant d’aides familiaux dans mon domicile, je ne pourrais pas m’occuper de ma mère. J’ai choisi de la garder à la maison, où elle est plus en sécurité et en meilleure santé, à un coût bien moindre pour le système, mais cela fonctionne seulement parce que j’ai des femmes merveilleuses qui m’aident à prendre soin d’elle.

Bien que les travailleurs migrants fournissent une main-d’œuvre essentielle, ils sont assujettis à un système défaillant qui met beaucoup d’entre eux à la merci de leurs employeurs et ils sont encore plus en danger si leur permis de travail est lié à un employeur individuel plutôt qu’à un secteur. Certains travailleurs sont victimes de harcèlement, ne se font pas payer leurs heures supplémentaires, reçoivent un salaire insuffisant ou ont des conditions de travail dangereuses. Dans les cas où les travailleurs vivent dans des logements fournis par l’employeur, des préoccupations ont été soulevées concernant l’insalubrité des logements, le surpeuplement et le contrôle exercé par l’employeur sur la vie et les choix personnels des travailleurs. Je tiens à préciser que ce n’est pas tous les employeurs qui infligent de mauvais traitements aux travailleurs migrants. Beaucoup traitent bien leurs employés. C’est le système qui est défaillant, car il donne aux employeurs beaucoup trop de pouvoir et responsabilités, sans cadre ni soutien appropriés. La présence de pommes pourries dans ce panier est inévitable.

Transformer l’impermanence en stabilité offre de nombreux avantages pour les travailleurs, les employeurs et le Canada. Offrir aux travailleurs migrants la possibilité de présenter une demande de résidence permanente permettrait d’éliminer une bonne partie de la vulnérabilité liée au statut temporaire, et les employeurs tireraient parti d’une main-d’œuvre composée surtout de résidents permanents. Certaines des tâches, comme la production animale, la transformation alimentaire et la serriculture, s’effectuent toute l’année. Cette mesure aiderait aussi les employeurs à maintenir une main-d’œuvre stable sans devoir dépenser chaque année pour le recrutement, le transport, la formation, le logement et les problèmes juridiques et médicaux. De plus, le changement profiterait aux travailleurs en leur permettant de migrer avec leur famille au Canada. Cela permettrait de rompre l’isolement et de revitaliser les collectivités rurales avec non pas une famille, mais des groupes de familles de la même communauté.

Prenons un exemple de l’histoire de l’Italie et de la Nouvelle-Zélande. Nous aimons tous l’Italie pour son fromage, comme la merveilleuse mozzarella et le parmesan. Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que les enfants des agriculteurs en Lombardie ne veulent plus traire, nourrir et garder les vaches servant à produire le fromage. Ils sont tous partis pour Rome, Milan, Venise ou ailleurs en quête de meilleures occasions. L’Italie a donc dû se tourner vers des groupes de migrants ayant des racines dans les communautés agricoles. Ô surprise, où a-t-elle trouvé des personnes qui aiment les vaches? Elle les a trouvées dans la région où je suis né : le Pendjab. La Lombardie accueille maintenant beaucoup de familles immigrantes du Pendjab, qui sont devenues des citoyens du pays, qui s’y sont établies et qui continuent à produire la merveilleuse mozzarella et le parmesan. La même histoire se répète en Nouvelle-Zélande, et même au Canada, où, il y a plus de 100 ans, des Sikhs ont immigré en Colombie-Britannique pour travailler dans les cannebergières. De nos jours, ces familles possèdent bon nombre de ces exploitations agricoles.

De nombreuses options s’offrent au gouvernement pour accorder la résidence permanente en dehors des programmes pilotes à durée limitée et des programmes ponctuels tels que celui que le ministre a annoncé. Honorables sénateurs, les programmes pilotes n’existent que pour prouver le concept. Si la preuve est là, il faut les intégrer aux programmes principaux. S’il le juge opportun, le gouvernement devrait accorder l’établissement aux travailleurs migrants dès leur arrivée, comme il le fait pour les résidents permanents. Il pourrait adapter le système pour Entrée express, qui est déjà en place, en fonction d’un ensemble différent de compétences. Il pourrait autoriser les provinces à nommer plus de ces travailleurs essentiels dans le cadre du Programme des candidats des provinces, et il pourrait, en fait, encourager les municipalités et leurs chambres de commerce ainsi que les communautés agricoles à nommer des immigrants dans le cadre du Programme des candidats des municipalités. J’exhorte le gouvernement à transformer les projets pilotes en de nouveaux volets.

Honorables sénateurs, alors que nous réfléchissons à notre histoire à la suite du discours merveilleusement émouvant du sénateur Ravalia, n’oublions pas que ce n’est pas uniquement la main-d’œuvre hautement qualifiée qui a bâti notre pays. C’est plutôt le contraire. Des agriculteurs d’Europe capables de se débrouiller par temps froid ont joué ce rôle. Ils sont arrivés au début du siècle dernier et ils ont travaillé fort. Leurs enfants aujourd’hui — tous ces Ukrainiens, ces Polonais, ces mennonites et ces Allemands qui réussissent — occupent des rôles de premier plan dans de nombreux secteurs de notre pays. Nous avions besoin de ces travailleurs à l’époque, et c’est encore le cas aujourd’hui. Reconnaissons que notre obsession pour les travailleurs hautement qualifiés en ce qui concerne les résidents permanents trahit une vision étroite et unidimensionnelle du marché du travail. Nous devons considérer le marché du travail dans son ensemble. C’est d’autant plus important que nous savons maintenant qu’il inclut des travailleurs essentiels. Le temps est peut-être aussi venu de changer de vocabulaire.

(2040)

Comme je l’ai déjà fait remarquer, le vocabulaire façonne nos idées, influence notre imagination et définit les termes abstraits. Je trouve offensante la notion d’emplois hautement spécialisés et peu spécialisés. Tous les emplois ont de la valeur, et je recommanderais de profiter de cette crise pour adapter le vocabulaire à la nouvelle réalité.

Nous devrions plutôt parler d’emplois essentiels, qui comprendraient des professionnels de la santé, des camionneurs, des ingénieurs et des travailleurs agricoles. Ils incluraient à la fois des professionnels en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques et des travailleurs du secteur de l’hôtellerie. Cela nous permettrait de voir l’ensemble du marché du travail, plutôt qu’une seule partie, et d’enfin nous libérer de notre dépendance singulière envers les travailleurs qualifiés.

Le moment est venu d’agir, chers collègues. J’espère que vous m’appuierez. Merci.

(Sur la motion du sénateur Black (Ontario), le débat est ajourné.)

Motion concernant le système des pensionnats indiens—Ajournement du débat

L’honorable Mary Jane McCallum, conformément au préavis donné le 8 février 2021, propose :

Que le Sénat du Canada :

a)reconnaisse que le racisme, sous toutes ses formes, a servi de fondement à la création du système des pensionnats indiens;

b)reconnaisse que le racisme, la discrimination et la maltraitance étaient répandus au sein du système des pensionnats indiens;

c)reconnaisse que le système des pensionnats indiens, créé dans un but malveillant d’assimilation, a eu des répercussions profondes et permanentes sur la vie, les cultures et les langues des Autochtones;

d)présente des excuses sincères pour le rôle joué par le Canada dans l’établissement du système des pensionnats indiens et ses répercussions, qui se font encore sentir aujourd’hui chez bon nombre d’Autochtones et de communautés.

— Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier pour les déclarations que vous avez faites aujourd’hui et le soutien que vous avez exprimé. Ils continueront de m’accompagner.

Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui au sujet de la motion no 69, qui porte sur les répercussions néfastes et les séquelles laissées par le système des pensionnats autochtones. Tout comme je continue de chercher une justification ou un potentiel pédagogique à l’expérience traumatisante que j’ai vécue au pensionnat, je cherche aussi des petites leçons inspirées des manifestations de racisme que j’ai vécues dans l’enceinte du Sénat. Devant les attaques injustifiées qui nous ciblent, nous les anciens élèves des pensionnats autochtones, je ne peux que tenter de comprendre les raisons qui sous-tendent ce racisme. Certes, ces attaques étaient protégées par le privilège parlementaire et présentées sous le couvert de la liberté d’expression, mais j’essaie encore de déterminer quel but servaient ce racisme ciblé et ce profilage racial.

Comment peut-on favoriser la compréhension, l’harmonie et l’esprit de communauté entre différentes races? L’une des méthodes consiste à communiquer et à écouter nos récits réciproques dans un contexte sûr. La Commission royale sur les peuples autochtones a fourni un espace où les anciens élèves pouvaient enfin cesser de faire semblant et parler publiquement des nuits noires de leur âme — ce que nous n’avions jamais eu le sentiment de pouvoir faire en toute sécurité. Grâce à ce contexte, des gens extraordinaires ont décidé qu’il était temps d’entrer courageusement dans toute la plénitude de leur vie.

Les histoires que nous racontons au Canada en tant qu’anciens élèves des pensionnats autochtones sont sacrées en raison des images et de la souffrance qui sont évoquées : les enfants enlevés à leur famille, à leur communauté et au milieu qui leur était familier; les capacités émotionnelles que nous avons perdues parce qu’on nous interdisait de nous exprimer; les violences émotionnelles, physiques, sexuelles, religieuses, spirituelles et mentales très concrètes que des représentants de l’Église nous ont fait subir au quotidien; les liens rompus avec la famille, la communauté et la culture; la façon dont on exerçait une surveillance pour briser nos moyens de communication; les enfants obligés de prendre soin les uns des autres. Même s’ils ont dû composer au quotidien avec le racisme et des traumatismes lorsqu’ils n’étaient que des enfants innocents, des élèves ont pu tisser des liens familiaux, et nous demeurons une famille aujourd’hui.

Ces histoires sont encore bien présentes dans nos mémoires et dans nos vies. Nos corps et nos histoires racontent le contexte historique du racisme : un groupe de politiciens blancs qui, dans les années 1800, ont décidé de lancer une expérience et de nous séparer afin de modeler nos identités pour que nous soyons comme les Blancs plutôt que comme le Créateur nous a conçus.

Honorables sénateurs, le fait de raconter nos histoires est lié à l’intention de notre âme et de notre esprit d’éveiller notre conscience. Les expériences qui, antérieurement, étaient maintenues dans l’ombre deviennent illuminées. Mettre au jour nos histoires met fin aux relations sombres. Je n’ai pas raconté mon histoire pour la voir ridiculisée ou contestée au Sénat, surtout par une sénatrice non autochtone.

En tant que femme crie, je refuse de continuer à me considérer comme une victime. Je suis destinée à être plus que ce que les autres humains envisageaient pour moi. Je lutte sans cesse pour surmonter le traumatisme qui m’a été imposé sciemment. Souvent, je dois affirmer que je compte, moi-même et les autres Autochtones, et que nous ne pouvons pas être continuellement placés à dessein dans des abîmes qui menacent constamment notre existence et notre identité — des abîmes créés par les lois canadiennes ou des actions au Sénat.

Chers collègues, dans les critères d’évaluation appliqués par l’Université du Manitoba après que l’ancienne sénatrice ait terminé la formation qui lui a été offerte, il est indiqué ceci :

Nous avons pris le temps d’examiner de près la notion de racisme, et nous avons expliqué en quoi le racisme est systémique et comment il est ancré dans les institutions sociales, politiques et juridiques.

Après avoir réfléchi aux gestes qu’elle avait posés, elle a affirmé sa conduite n’était pas digne de ses obligations à titre de sénatrice en ce qui a trait au racisme. Je cite :

Elle a noté que sa conduite avait fait du tort aux peuples et communautés autochtones. Elle a exprimé ses regrets, sachant que sa conduite était déplacée.

Le rapport indique également que la sénatrice :

[...] a dit assumer l’entière responsabilité des gestes qu’elle avait posés; elle a d’ailleurs reconnu qu’elle avait enfreint les articles 7.1 et 7.2 du Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs.

Jonathan L. Black-Branch a déclaré :

Elle repart avec des connaissances, des idées et une compréhension nouvelles, armée de nouveaux outils pour s’acquitter de son rôle professionnel et forger ses convictions personnelles.

Toutefois, d’anciens étudiants, dont moi-même, avaient plutôt l’impression qu’elle quittait le programme passablement dans le même état qu’elle l’avait amorcé.

Dans son compte rendu de la séance qui portait sur le contexte historique des relations Couronne-Autochtones au Canada, Mme Miller, une survivante de la rafle des années 1960, dit :

Elle a demandé notamment pourquoi il était fautif de présenter, sur son site Web, des lettres d’anciens pensionnaires qui n’avaient pas connu de mauvais traitements dans les pensionnats. J’ai parlé du déni des pensionnats et expliqué que le fait de ne présenter que ces lettres puisse être perçu par certains comme un appui au discours négationniste. J’ai aussi indiqué que, puisque le régime des pensionnats a pris fin depuis peu, il reste encore un bon nombre de nos collègues, sans parler des aînés, dont la vie a été profondément troublée par cette expérience et qui subissent encore vivement le traumatisme. La sénatrice a répondu : « Oh! Il est donc simplement trop tôt. »

Mme Miller poursuit en disant :

[...] j’ai eu la ferme impression que les quelques récits de réussite servaient de justification pour la douloureuse expérience des pensionnats et de la rafle des années 1960, en particulier. J’espère ne pas être la seule à penser que le fait qu’une personne ait pu survivre à une épreuve et réussir sa vie par la suite ne justifie pas la douleur infligée ni ne démontre que cette souffrance ait constitué une condition de cette réussite.

D’ailleurs, selon la recherche sur les traumatismes historiques, le refus de reconnaître ou de valider le traumatisme agit comme élément déclencheur susceptible d’approfondir le traumatisme. À mon avis, cette question est en relation directe avec les problèmes liés à son site Web.

Du point de vue de la formation de l’ancienne sénatrice, qui est axée sur le privilège, la fragilité, les microagressions, les éléments déclencheurs et les pratiques antiracistes, Mme Miller déclare :

Nous avons discuté du privilège et du fait qu’il occulte les oppressions subies par ceux qui ne jouissent pas des mêmes privilèges [...]

(2050)

Mme Miller a ajouté ce qui suit :

Nous avons aussi étudié en détail comment le colonialisme, comme idéologie, s’appuie toujours sur un racisme systémique pour justifier les déplacements, les extractions, le vol et la violence psychologique ou physique. Le racisme peut exister sans le colonialisme, mais celui-ci s’accompagne toujours d’un discours préjudiciable, souvent encodé juridiquement, pour justifier l’acquisition coloniale.

Honorables sénateurs, dans l’article intitulé Oppression and Privilege: Two Sides of the Same Coin, l’auteure Diane J. Goodman affirme ceci :

En général, dans les discussions sur les inégalités sociétales, on se concentre sur les façons dont certains groupes de personnes sont désavantagés — subissent de la discrimination, sont mal traités et sont opprimés. Cependant, il est tout aussi important de se pencher sur les façons dont d’autres groupes de personnes sont avantagés — reçoivent des avantages et des privilèges injustes et non mérités en raison de l’oppression. Dans cet article, je décris l’oppression et les privilèges comme les deux faces des systèmes d’inégalité. Il importe de comprendre et de traiter ces deux volets pour arriver à une plus grande équité.

Elle continue ainsi :

Les groupes privilégiés établissent les normes sociétales qui sont utilisées pour juger les autres groupes. Ils ont plus de contrôle et de pouvoirs institutionnels et ils décident des lois des politiques et des pratiques qui ont des répercussions sur les autres...

Les avantages et les désavantages sont cumulatifs, ils ne sont pas simplement des événements ponctuels sans lien entre eux. C’est l’une des raisons pour lesquelles une perspective historique est essentielle. Nous ne pouvons pas comprendre les situations d’aujourd’hui sans comprendre comment le passé a façonné le présent et continue de façonner l’avenir.

Sous le sous-titre « Caractéristiques des groupes privilégiés », l’auteur écrit :

Les personnes issues de groupes privilégiés n’ont généralement pas conscience de l’oppression que les autres subissent.

À moins que les personnes appartenant à des groupes privilégiés ne fassent un effort conscient pour apprendre à connaître des personnes appartenant à des groupes désavantagés et qu’elles aient des conversations franches sur les réalités de l’appartenance à un groupe subordonné, il est peu probable qu’elles comprennent bien cette forme d’oppression [...]

Les personnes issues de groupes privilégiés n’ont généralement pas conscience de leur privilège.

Les personnes issues de groupes privilégiés nient généralement l’oppression des autres et leurs propres privilèges ou elles les ignorent volontairement.

[...] le discours dominant est qu’il y a une égalité des chances pour tous et que le pays est méritocratique — les gens obtiennent ce qu’ils méritent [...] Il est plus facile pour les personnes issues de groupes privilégiés de nier l’existence d’un problème ou de blâmer les personnes désavantagées que d’examiner comment elles sont elles-mêmes complices de l’oppression des autres [...]

Honorables sénateurs, malheureusement, les Canadiens ont été témoins de racisme ici même, dans cette enceinte, à partir du début de 2017, lors de la publication de lettres incendiaires décrivant les anciens élèves des pensionnats autochtones de manière négative et stéréotypée. Ces attaques, découlant des activités d’une ancienne sénatrice, n’avaient pas de raison apparente et n’étaient pas provoquées. L’objectif de ces attaques racistes était d’attirer l’attention soutenue des médias nationaux.

Ma question est la suivante : pourquoi cette ancienne sénatrice a-t-elle été autorisée à continuer d’exprimer ses opinions dérangeantes pendant aussi longtemps, sans que cela provoque une levée de boucliers plus importante chez les sénateurs?

Pour comprendre la discrimination raciale au Canada, les parlementaires doivent se concentrer sur ceux ayant le pouvoir d’atténuer cette discrimination raciale institutionnelle. Ni le Sénat ni la Chambre des communes n’ont examiné le rôle qu’ils jouent — intentionnellement ou non — dans la perpétuation d’une telle discrimination.

Honorables sénateurs, je vous invite à vous joindre à moi dans des débats visant à mieux comprendre le racisme, la discrimination, la violence et les sévices qui ont été provoqués par l’établissement des pensionnats autochtones et les impacts négatifs de ces derniers, impacts qui sont encore ressentis aujourd’hui par d’innombrables peuples et communautés autochtones. Ce sera l’occasion de reconnaître les méfaits causés par ces pensionnats et de travailler à changer les choses. Ce changement découlera de la reconnaissance par les sénateurs des effets encore présents de l’oppression des peuples autochtones et de la nécessité de changements plus vastes au sein de la société et de la sphère politique. Je vous invite à prendre la parole au sujet de cette motion et à l’appuyer en vue de la présentation d’excuses visant à corriger une bonne partie des torts causés par le Sénat à ce sujet, autant dans le passé que plus récemment. Merci.

(Sur la motion du sénateur Francis, le débat est ajourné.)

Motion tendant à condamner la détention injuste et arbitraire de la sénatrice Leila M. de Lima par le gouvernement des Philippines—Débat

L’honorable Marilou McPhedran, conformément au préavis donné le 17 février 2021, propose :

Que, relativement à la sénatrice Leila M. de Lima, sénatrice titulaire de la République des Philippines, qui a été arrêtée et est détenue arbitrairement depuis le 24 février 2017 sur la base d’accusations de trafic de drogue illégal portées contre elle par le gouvernement Duterte pour des motifs politiques, et qui continue d’être détenue sans caution, bien que les procureurs du gouvernement des Philippines n’aient présenté aucune preuve matérielle, le Sénat :

a)condamne la détention injuste et arbitraire de la sénatrice Leila M. de Lima par le gouvernement des Philippines;

b)exhorte le gouvernement des Philippines à libérer immédiatement la sénatrice de Lima, à abandonner toutes les accusations portées contre elle, à lever les restrictions visant ses conditions personnelles et professionnelles et à lui permettre de s’acquitter pleinement de son mandat de législatrice;

c)demande au gouvernement du Canada d’imposer des sanctions contre tous les fonctionnaires philippins complices de l’emprisonnement de la sénatrice de Lima, conformément à la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (loi de Sergueï Magnitski);

d)demande au gouvernement des Philippines de reconnaître la primauté du droit et des droits de la personne, ainsi que le rôle important des défenseurs des droits de la personne, et de permettre à ces derniers de mener leurs activités librement, sans crainte de représailles;

e)exhorte les autres parlementaires et les gouvernements du monde entier à faire eux aussi pression sur le gouvernement Duterte en vue de protéger, de promouvoir et de faire respecter les principes de la primauté du droit et des droits de la personne, piliers essentiels d’une société démocratique libre et fonctionnelle aux Philippines.

 — Je propose la motion inscrite à mon nom, et je suis heureuse d’avoir l’occasion de témoigner de mon soutien envers une collègue sénatrice incarcérée injustement.

En tant que sénatrice du Manitoba, c’est le cœur particulièrement gros que je prends la parole aujourd’hui après avoir entendu des collègues comme les sénateurs McCallum et Christmas, et alors qu’un État remis en question, le Canada, l’est encore davantage à la lumière d’autres informations qui s’ajoutent à celles présentées dans le rapport final de la Commission de vérité et réconciliation, qui a été dirigée avec brio par notre collègue l’ancien sénateur Murray Sinclair.

Je tiens à souligner que je suis résidante du territoire du Traité no 1, le territoire traditionnel des Anishinabes, des Cris, des Oji-Cris, des Dakotas et des Dénés, et la terre natale de la nation métisse. Je souligne aussi que le Parlement du Canada est situé sur le territoire non cédé des Algonquins et des Anishinabek.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui, en ce début du Mois du patrimoine philippin au Canada, pour vous demander de tourner vos pensées et vos cœurs vers une autre sénatrice. Je me permets de la citer :

On m’a refusé tout ce que la plupart des gens tiennent pour acquis.

[...] La possibilité de dire « bonjour » à mes proches [...] La possibilité de prendre mes petits-enfants dans mes bras. La possibilité d’embrasser ma mère sur les joues. La possibilité [...] de féliciter mon fils [...] Israel, qui est autiste, pour la magnifique œuvre d’art qu’il a créée récemment.

Chers collègues, ce déni perdure après plus de 50 mois et est causé par le fait que la sénatrice de l’opposition Leila de Lima est détenue dans une cellule du quartier général de la police nationale des Phillipines, après avoir été arrêtée sur ordre du président philippin, Rodrigo Duterte, en février 2017, puis accusée de faire du trafic de drogue pour le compte d’un baron de la drogue qu’elle avait en fait poursuivi lorsqu’elle était secrétaire de la justice.

Chers collègues, l’honorable Leila de Lima a été une fonctionnaire dévouée et la présidente de la Commission des droits de la personne dans son pays avant de devenir secrétaire de la justice puis sénatrice. À titre de secrétaire de la justice, avant l’élection à la présidence de Duterte, elle a mené une lutte contre la corruption et exposé les agissements d’un ex-président, de sénateurs et d’autres politiciens haut placés. Plus tard, à titre de membre du comité sénatorial de la justice et des droits de la personne, Mme de Lima a dirigé une enquête sur les assassinats extrajudiciaires menés au nom de la guerre brutale contre la drogue orchestrée par l’administration Duterte.

(2100)

Je vais m’arrêter là pour ce soir.

(À 21 heures, conformément aux ordres adoptés par le Sénat le 27 octobre 2020 et le 17 décembre 2020, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

Annexe - Liste des sénateurs

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