RAPPORT DU COMITÉ |
Mercredi le 28 mai 2003 |
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles
a lhonneur de déposer
son
TROISIÈME RAPPORT
Le
5 février 2003, le Sénat demandait à votre comité d’étudier le rapport
intitulé État des lieux sur la situation de l’accès à la justice dans
les deux langues officielles, révisé le 25 juillet 2002 et commandé par
Justice Canada. Votre comité
s’est notamment vu chargé d’étudier ce rapport en vue de clarifier l’accès
aux droits linguistiques, et leur exercice, en vertu de la Loi sur le divorce,
la Loi sur la faillite, le Code criminel, la Loi sur les
contraventions et d’autres lois en conséquence s’il y a lieu.
Votre comité devait faire rapport de ses travaux quant à cet ordre de
renvoi au plus tard le 31 mai 2003.
CONTEXTE
Le rapport intitulé État des lieux sur la situation de l’accès à la justice dans les deux langues officielles a été commandé par Justice Canada pour rendre compte de l’évolution récente du droit en matière linguistique. Une copie révisée du rapport a été déposée le 26 juillet 2002. Ce rapport identifie les besoins spécifiques à chaque province et territoire en matière d’accès à la justice dans les deux langues officielles dans trois domaines du droit qui sont de compétence fédérale : le droit criminel, le droit de la faillite et le droit du divorce et de la pension alimentaire.
Les auteurs de l’État des lieux ont constaté un manque général de satisfaction à l’endroit des services juridiques en français dans ces trois domaines du droit dans les neuf provinces et les trois territoires où le français est la langue minoritaire. Au Québec, il semble que l’accès aux services judiciaires et juridiques dans la langue minoritaire (l’anglais) pour ces trois domaines de compétence fédérale est plutôt satisfaisant.
Chaque province et territoire ne se situant pas au même stade en matière d’accès à la justice dans les deux langues officielles, l’État des lieux propose diverses solutions pour résoudre les problèmes spécifiques à chacune des composantes de la fédération. Ces solutions visent notamment le respect des obligations linguistiques contenues dans le Code criminel, le renforcement du rôle de coordination de Justice Canada, ainsi que le recrutement et la formation de juristes bilingues.
SUIVI DE L’ÉTAT DES LIEUX
L’ancien
comité mixte permanent des langues officielles a publié en juin 2002 un
rapport intitulé La justice et les communautés de langues officielles
dans lequel il recommandait au gouvernement fédéral :
-
D’informer le comité, d’ici le 30 septembre 2002, des mesures qu’il entendait prendre pour donner suite à l’État des lieux sur l’accès à la justice en langue officielle;
-
D’examiner, en concertation avec ses vis-à-vis provinciaux et territoriaux, les modèles de prestation de services judiciaires susceptibles de mieux répondre aux besoins des communautés de langues officielles;
-
D’aider les gouvernements provinciaux et territoriaux à mettre sur pied les structures institutionnelles donnant aux justiciables un véritable accès au système de justice dans les deux langues officielles. [1]
En novembre
2002, le gouvernement du Canada a répondu officiellement au rapport du comité
mixte permanent des langues officielles en spécifiant que les sous-ministres
responsables de la justice avaient autorisé à l’été 2002 la création
d’un groupe de travail fédéral/provincial-territorial (« groupe FPT »)
au sein duquel la participation se ferait sur une base volontaire. Ce groupe FPT, co-présidé par Justice Canada, devait déterminer
les mécanismes à mettre en place pour remédier aux lacunes identifiées dans
l’État des lieux, tout en cherchant à adapter les solutions aux
situations particulières des provinces et des territoires.
Lors de sa création,
le groupe FPT regroupait des représentants de Justice Canada, de l’Alberta,
de la Colombie-Britannique, du Manitoba, de l’Ontario, du Nouveau-Brunswick et
du Yukon. Des représentants du
Nunavut, de la Saskatchewan et des responsables gouvernementaux des affaires
francophones de différentes juridictions se sont depuis joints au groupe FPT.
L’Île-du-Prince-Édouard a spécifiquement demandé à être tenue au courant
des progrès du groupe FPT, sans toutefois vouloir pour le moment y nommer un
représentant. Quatre autres
gouvernements ne sont toujours pas représentés au sein du groupe FPT :
Terre-Neuve-et-Labrador, la Nouvelle-Écosse, le Québec et les Territoires du
Nord-Ouest.
Tel que
l’ont indiqué les représentants de Justice Canada[2]
qui sont venus témoigner devant votre comité le 7 avril 2003, le groupe FPT
s’est réuni à deux reprises depuis sa création. Le mandat du groupe FPT, d’une durée illimitée, a été défini.
À court terme, l’action du groupe FPT portera sur le rapprochement des
gouvernements et des communautés par l’entremise de partenariats, et sur la
consolidation des acquis. Cette action sera facilitée par la création d’un mécanisme
de consultation qui visera à rapprocher les juristes et les justiciables tout
en élaborant des solutions propres à la situation de chacune des régions.
L’une des grandes priorités du groupe FPT sera d’appuyer une mise en
œuvre complète des obligations linguistiques du Code criminel.
Votre comité
note que le plan d’action fédéral pour les langues officielles rendu public
le 12 mars 2003 prévoit un financement de 45,5 millions de dollars sur cinq ans
pour l’accès à la justice dans les deux langues officielles. De ce montant,
18,5 millions de dollars permettront à Justice Canada d’investir dans des
mesures ciblées visant à améliorer l’accès au système de justice dans les
deux langues officielles, soient : « le financement de projets réalisés
avec le concours de partenaires gouvernementaux et non gouvernementaux; un
financement stable pour les associations de juristes d’expression française
et leur fédération nationale; la création d’un mécanisme de consultation
avec les communautés de langue officielle en situation minoritaire; et
finalement, le développement d’outils de formation sur les droits
linguistiques pour les conseillers juridiques du ministère de la Justice. »
[3]
Justice Canada prévoit également financer la formation linguistique et
en terminologie juridique des procureurs de la Couronne, des juges de nomination
provinciale et du personnel judiciaire, selon une approche ponctuelle et décentralisée
adaptée aux régions.
Votre comité
se réjouit du travail amorcé par le groupe FPT sur l’accès à la justice
dans les deux langues officielles pour donner suite aux constats de l’État
des lieux. Votre comité applaudit également le financement récemment
annoncé dans le plan d’action fédéral pour les langues officielles, ainsi
que les projets que Justice Canada entend lancer grâce à ces nouveaux fonds.
Votre comité remarque cependant que ce ne sont là que les débuts du
travail à accomplir et que les prochaines années seront déterminantes.
Votre comité a notamment certaines préoccupations face à des aspects
précis de l’accès à la justice dans les deux langues officielles.
Votre comité
croit tout d’abord qu’il est primordial que des juges et du personnel
bilingues soient disponibles partout au Canada pour assurer l’accès à la
justice dans la langue de la minorité. Il faut travailler en collaboration avec
les associations de juristes pour trouver des moyens d’encourager les diplômés
des facultés de droit qui sont bilingues à retourner dans leur région
d’origine pour pratiquer leur profession.
Ensuite,
votre comité estime que le bilinguisme devrait constituer un critère de sélection
parmi d’autres lors du processus d’évaluation des candidatures pour la
nomination de nouveaux juges. Le manque de juges bilingues constituant une
lacune importante dans plusieurs régions du pays, la liste de candidats
admissibles aux postes de juge préparée par les différents comités
provinciaux devrait indiquer quels sont les candidats qui répondent au critère
du bilinguisme. Ceci permettrait au ministre de la Justice d’avoir accès à
une liste d’admissibilité des avocats fonctionnellement bilingues par
province et territoire à laquelle il pourrait se référer lorsqu’il procède
à la nomination de nouveaux juges. Il est en effet souhaitable que le ministre
se donne les moyens de tirer de plus en plus profit du bassin de candidats à la
magistrature qui sont bilingues.
Votre comité
se réjouit de l’engagement de Justice Canada à financer la formation
linguistique et en terminologie juridique, qui devra se faire selon une approche
ponctuelle et décentralisée adaptée aux régions. Une formation linguistique
et en terminologie juridique devrait également être offerte à l’ensemble
des juges et aux mandataires destinés à représenter le ministre auprès
d’un tribunal.
Votre comité
trouve inquiétant qu’entre 40 p. 100 et 60 p. 100 seulement des juges avisent
les justiciables, lorsqu’ils ne sont pas représentés par un avocat, de leur
droit d’être entendu dans la langue officielle de leur choix. Pour assurer la
mise en application des dispositions prévues à l’article 530 du Code
criminel, qui garantit à l’accusé le droit d’être entendu dans la
langue officielle de son choix, il est important de prendre des moyens nécessaires
pour assurer une véritable offre active de services judiciaires et juridiques
dans la langue de la minorité. Il est important de rappeler que dans l’arrêt
Beaulac, la Cour suprême a statué que les droits linguistiques doivent
recevoir des tribunaux une interprétation large et généreuse. Justice Canada
doit faire en sorte que les juges soient davantage sensibilisés aux
dispositions du Code criminel pour qu’ils puissent, en tout temps,
informer les justiciables qu’ils ont le droit d’être entendus dans la
langue de leur choix. Il serait également souhaitable que le modèle de
l’article 530 du Code criminel puisse servir d’exemple pour étendre
les droits linguistiques au droit de la faillite, du divorce et de la pension
alimentaire.
Par ailleurs,
deux projets-pilotes ont été mis sur pied au cours des dernières années au
Manitoba et en Saskatchewan afin d’améliorer l’accès aux services
judiciaires et juridiques dans les deux langues officielles. Le modèle de
guichet unique (Manitoba) et l’instauration d’une cour provinciale itinérante
dotée d’un personnel bilingue (Saskatchewan) ont tous deux apporté des améliorations
notables en matière d’égalité et de qualité des services offerts dans les
deux langues officielles. Il est primordial que le gouvernement s’engage à
appuyer à long terme ces deux projets-pilotes et qu’il étudie la possibilité
d’implanter des modèles semblables dans d’autres provinces ou territoires.
Finalement,
votre comité croit essentiel que toute la documentation juridique, tels les
actes d’accusation, soit accessible dans les deux langues officielles dans les
régions du pays où elle ne l’est pas encore.
RECOMMANDATIONS
Votre
comité émet par conséquent les sept recommandations suivantes:
- Que le gouvernement fédéral encourage les représentants
des gouvernements de l’Île-du-Prince-Édouard, de
Terre-Neuve-et-Labrador, des Territoires du Nord-Ouest, de la Nouvelle-Écosse
et du Québec à se joindre au groupe de travail fédéral/provincial-territorial
co-présidé par Justice Canada, car le problème de l’accès à la
justice dans les deux langues officielles touche également ces
juridictions.
- Que le groupe de travail fédéral/provincial-territorial
développe des incitatifs visant à favoriser le retour des diplômés des
facultés de droit qui sont bilingues dans leurs régions d’origine pour
qu’ils puissent y pratiquer leur profession.
- Que le bilinguisme du candidat constitue un critère
de sélection parmi d’autres lors du processus d’évaluation pour la
nomination de nouveaux juges et qu’une liste d’admissibilité des
avocats fonctionnellement bilingues par province et territoire soit
disponible pour des fins de référence.
- Que le gouvernement offre une formation linguistique
et en terminologie juridique à l’ensemble des juges et aux mandataires de
Justice Canada.
- Que les juges soient tenus en tout temps
d’informer les justiciables qu’ils ont le droit d’être entendus dans
la langue de leur choix, et que le modèle de l’article 530 du Code
criminel serve d’exemple pour étendre les droits linguistiques au
droit de la faillite, du divorce et de la pension alimentaire.
- Que le gouvernement s’engage à appuyer
à long terme les projets-pilotes de guichet unique et de cour
provinciale itinérante bilingue au Manitoba et en Saskatchewan, et qu’il
étudie la possibilité d’implanter des modèles semblables dans
d’autres provinces ou territoires.
- Que toute la documentation juridique soit disponible dans les deux langues officielles dans toutes les régions du pays.
Respectueusement
soumis,
La
présidente,
ROSE-MARIE LOSIER-COOL
[1] Comité mixte permanent des langues officielles, La justice et les communautés de langues officielles, Ottawa, Parlement du Canada, juin 2002, p. 6.
[2] Andrée Duchesne, coordonnatrice nationale du PAJLO; Suzanne Poirier, avocate générale et coordonnatrice au sein du secteur Francophonie, Justice en langues officielles et Bijuridisme; et Marc Tremblay, avocat général et directeur du groupe du Droit des langues officielles.
[3] Gouvernement du Canada, Le prochain acte : Un nouvel élan pour la dualité linguistique canadienne. Le plan d’action pour les langues officielles, Ottawa, Bibliothèque nationale du Canada, 2003, p. 47.
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