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ENEV - Standing Committee

Energy, the Environment and Natural Resources

 

Proceedings of the Standing Senate Committee on
Energy, the Environment and Natural Resources

Issue No. 63 - Evidence - April 12, 2019 (morning meeting)


WINNIPEG, le vendredi 12 avril 2019

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, se réunit aujourd’hui à 8 h 2 pour examiner le projet de loi.

La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour et bienvenue à la séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.

Je m’appelle Rosa Galvez, sénatrice du Québec et présidente du comité. Je demanderai à mes collègues sénateurs de se présenter.

Le sénateur Richards : Dave Richards, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

La présidente : Je veux profiter de l’occasion pour présenter les analystes de la Bibliothèque du Parlement, Jesse Good et Sam Banks, ainsi que la greffière du comité, Maxime Fortin.

Je remercie également les sténographes, l’agent des communications, le personnel officiel des communications et les autres employés qui nous accompagnent dans nos déplacements et qui travaillent en arrière-scène.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.

Notre premier groupe de témoins est composé de Marla Orenstein, directrice du Centre des ressources naturelles de la Canada West Foundation, et de Jonathan Wright, président et chef de la direction de NuVista Energy Ltd.

Nous entendrons d’abord vos exposés, après quoi nous tiendrons une période de questions.

Madame Orenstein, la parole est à vous.

Marla Orenstein, directrice, Centre des ressources naturelles, Canada West Foundation : Je vous remercie de m’avoir invitée à témoigner au sujet du projet de loi C-69. Je vous suis très reconnaissante de m’offrir pareille occasion. Je veux aussi vous remercier de prendre le temps de parcourir le pays afin de recueillir des opinions à ce sujet. Je suis certaine que vous en avez maintenant assez de voyager et que nous ne pensez qu’à retrouver vos propres lits.

Je témoigne à deux titres. Je représente d’abord la Canada West Foundation, un organisme non partisan qui se fonde sur des données probantes. Nous nous considérons comme des environnementalistes. Par exemple, nous appuyons la taxe sur le carbone. Nous admettons également l’importance de nos ressources et de leur acheminement jusqu’aux marchés.

Mon second rôle, très différent, est celui d’ancienne présidente de l’International Association for Impact Assessment, le réseau international chef de file des pratiques exemplaires quant à l’utilisation de l’évaluation d’impact afin de prendre des décisions éclairées au sujet des politiques et des projets. J’examine donc aussi le présent projet de loi pour voir dans quelle mesure il prévoit un processus valable afin d’évaluer les impacts des projets sur la population et l’environnement. Voilà pourquoi mon point de vue pourrait être légèrement différent de celui des autres témoins que vous avez entendus.

J’étudie le projet de loi avec deux objectifs en tête. Le premier concerne ce que j’appelle les évaluations d’impacts avec un é et un i minuscules, lesquelles visent à déterminer comment un projet pourrait avoir une incidence bénéfique ou néfaste sur l’environnement et la population locaux, puis de vérifier que le promoteur a convenablement évalué comment il pourrait atténuer l’incidence négative et accentuer les effets positifs potentiels du projet. Il s’agit d’un exercice réglementaire scientifique et technique.

Au Canada, nous excellons à cet égard et faisons figure de chefs de file de l’évaluation d’impact. Nous devrions en être fiers. C’est un point souvent oublié dans les discussions relatives au projet de loi C-69. Ce dernier renforcera encore le processus grâce à une meilleure inclusion du savoir autochtone, une phase de planification précoce et des évaluations régionales et stratégiques. Voilà qui nous permettra d’instaurer de solides mesures de protection de l’environnement et des communautés résilientes, comme nous le souhaitons tous, selon moi.

Le problème, c’est que le projet de loi a un tout autre côté, mais nous employons presque les mêmes mots pour traiter de la question. Nous y utilisons aussi le terme « évaluation d’impact » pour parler du processus d’approbation de projet du gouvernement. Or, la question est loin de se limiter au fait qu’un projet peut ou non être mis en œuvre de manière à en réduire les impacts négatifs. La question consiste plutôt à savoir si nous voulons ou non autoriser certains types d’exploitation. C’est de ce côté du processus d’évaluation d’impact que tous les problèmes surgissent.

De nombreux témoins vous ont fait part des problèmes que contient le projet de loi, notamment le manque de clarté qui expose le processus à des contestations judiciaires, le fait qu’il y a trop d’occasions d’user de discrétion politique, la tendance à tenir davantage compte des impacts négatifs dans la décision et la longueur excessive des délais. Nous partageons un grand nombre de ces préoccupations, tout en considérant que le Sénat peut amender ce projet de loi de manière à l’améliorer substantiellement.

En clair, nous souhaitons l’adoption du projet de loi, mais nous pensons aussi qu’il faut l’amender considérablement pour rectifier ces problèmes bien réels. À cette fin, nous appuyons la majorité des amendements proposés la semaine dernière par l’Association canadienne de pipelines d’énergie et l’Association canadienne des producteurs pétroliers. Selon nous, ils ne visent pas à faire pencher la balance en faveur des promoteurs de projet, mais bien à apporter clarté et équilibre à la mesure législative, tout en contribuant à réduire le risque que son libellé vague entraîne des problèmes dans l’avenir. Nous considérons qu’il s’agit des amendements acceptables minimaux à apporter pour aller de l’avant.

Nous pensons toutefois qu’ils ne vont pas assez loin. En transférant la responsabilité de l’approbation de projet de l’Office national de l’énergie à la nouvelle Agence d’évaluation d’impact, le projet de loi aura d’importantes conséquences imprévues, comme la perte de l’appui judiciaire du processus de l’ONE.

Par exemple, le gouverneur en conseil, qui représente le Cabinet, doit remettre au promoteur de projet une déclaration lui indiquant si le projet est approuvé ou non. Le processus est identique à celui prévu dans la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale 2012. Cependant, le paragraphe 65(2) du projet de loi apporte quelque chose de nouveau en stipulant que la décision doit s’appuyer non seulement sur le rapport de l’office, mais aussi sur les cinq éléments visés à l’article 63, preuve écrite à l’appui.

Cette mesure est nouvelle, différente et, selon nous, problématique. D’abord, elle oblige le gouverneur en conseil à remettre en question l’avis de l’organisme de réglementation, puisqu’il ne peut plus simplement se fier au rapport et aux recommandations de ce dernier.

Voilà qui fait fi de la jurisprudence précédente. Par exemple, la Cour d’appel fédérale, dans les dossiers de Northern Gateway et de Trans Mountain, a statué qu’une décision du gouverneur en conseil ne peut être contestée, car ce dernier pouvait s’appuyer sur le rapport de l’organisme de réglementation et n’avait donc pas à pousser l’enquête plus loin.

En vertu de la nouvelle disposition, ce n’est plus le cas et cette jurisprudence ne s’applique plus. Nous prévoyons que cette modification et d’autres changements de procédure qui émaillent le projet de loi ramèneront tout le système à la case de départ au chapitre des contestations judiciaires et entraîneront une perte irrémédiable de jurisprudence.

Sachez enfin qu’il y a un problème fondamental qu’aucun amendement ne résoudra : c’est le fait que le processus d’approbation réglementaire vient se substituer à l’élaboration de politique. Pour que le processus réglementaire fonctionne, il faut que le gouvernement fédéral donne une orientation stratégique claire.

Dans quelle mesure notre pays veut-il soutenir l’exploitation des hydrocarbures? Quelle quantité d’émissions de gaz à effet de serre est acceptable? Comment le déterminerons-nous? Le système réglementaire n’est pas conçu pour tenir des débats stratégiques, et là n’est pas son rôle. De fait, cependant, il est devenu le forum pour débattre de ces questions. Sans une politique claire pour orienter le processus de prise de décisions techniques de l’organisme de réglementation, nous continuerons de tenir les mêmes débats ad vitam æternam à chaque nouvelle demande d’autorisation de projet.

En conclusion, le Canada doit être économiquement concurrentiel et responsable sur le plan de l’environnement. Il n’y a pas de compromis possible : il doit être les deux. Il est donc essentiel que le présent projet de loi soit adéquat.

Je me ferai un plaisir de répondre aux questions sur le projet de loi, les amendements proposés ou le processus d’évaluation d’impact de manière générale.

La présidente : Merci.

Monsieur Wright.

[Français]

Jonathan Wright, président et chef de la direction, NuVista Energy Ltd. : Mesdames et messieurs, honorables sénateurs et sénatrices, merci de nous avoir donné l’occasion de discuter avec vous de cette question très importante qu’est le projet de loi C-69.

[Traduction]

Il vous sera maintenant évident qu’il est probablement préférable que je continue en anglais. Si la grammaire est bancale, c’est parce que le texte est de ma main.

Je suis président et chef de la direction de NuVista Energy Ltd. depuis huit ans. Nous produisons environ 50 000 barils d’équivalent pétrole par jour, notamment sous forme de gaz naturel et de condensats canadiens propres. Nous employons plus de 125 personnes en Alberta, dont plus de 30 p. 100 sont des femmes. Nous dépensons 500 millions de dollars annuellement dans l’économie canadienne. Sachez en outre que je suis membre du conseil des gouverneurs de l’Association canadienne des producteurs pétroliers.

Comme la lettre que je vous ai envoyée vous l’indiquait, nous partageons avec un grand nombre d’acteurs de notre industrie une grave préoccupation au sujet du projet de loi C-69 proposé. J’aime profondément notre pays. Je me considère comme un fier Canadien, puis comme en Albertain, mais force m’est d’admettre que mes convictions semblent avoir été mises à l’épreuve dernièrement.

J’ai travaillé à de nombreux endroits dans l’Ouest canadien, en mer du Nord et dans le Sud-Est asiatique. Je suis très fier de dire que d’après mon expérience personnelle, le Canada dispose déjà de normes figurant parmi les plus élevées du monde, fait vérifié dans une étude indépendante réalisée récemment par WorleyParsons à l’échelle mondiale. Nous avons la chance de bénéficier de normes d’éthique, d’occasions équitables et d’une transparence figurant parmi les meilleures du monde. Le Canada n’est pas parfait, bien entendu, mais il est certainement près du sommet.

Pendant les 20 premières années de ma carrière, l’industrie, respectant une abondante réglementation, a tranquillement suivi son bonhomme de chemin en soulevant peu de préoccupations au sein de la population. Nous étions bien réglementés, mais concurrentiels. Quiconque n’est pas concurrentiel est voué à disparaître.

Les choses ont déraillé au cours des cinq dernières années ou plus. Le Canada a envoyé au milieu de l’investissement de nombreux messages négatifs et malavisés sur notre industrie. Cela ne concerne pas les discussions d’aujourd’hui, mais sachez que notre pays, autrefois vu comme permissif, est maintenant considéré comme une terre d’interdictions. L’effet cumulatif des signaux précédents ne rend le projet de loi C-69 que plus préoccupant.

Je suis conscient que le comité a déjà entendu bien des voix semblables à la mienne, lesquelles lui ont notamment communiqué quantité de faits et de chiffres. Je pourrais moi aussi brandir des chiffres, mais j’ai pensé faire un usage plus pertinent de votre temps précieux en étant simplement présent aujourd’hui pour conférer un visage humain au sujet et pour répondre aux questions que vous pourriez avoir.

J’essaie d’être aussi franc que possible. Je parle probablement aux dirigeants de 50 autres compagnies pétrolières et gazières de Calgary lors des réunions de l’Association canadienne des producteurs pétroliers et d’autres rencontres. Je peux vous garantir que je n’ai pas entendu une seule voix discordante au sujet des préoccupations clés que je porte à votre attention. Il y a un demi-million d’emplois pour les Canadiens au pays.

À titre de dirigeant de NuVista, je tiens aussi plus de 250 réunions par année avec des institutions d’investissement américaines et canadiennes de toutes tailles. Si vous le souhaitez, je vous communiquerai volontiers les propos que j’entends de ces investisseurs lors des réunions.

Le projet de loi C-69 va trop loin dans ce qui est est un pays déjà très bien réglementé. Il comprend des mesures qui font double emploi à d’autres règlements et dispositions au Canada. Il est donc coûteux et préjudiciable. Je vous recommande fortement de le rejeter ou de l’amender substantiellement, à défaut de quoi, il m’est impossible de croire qu’un autre grand projet pétrolier ou gazier pourra un jour aller de l’avant au pays.

J’ai six recommandations à présenter aujourd’hui. Premièrement, il faut établir clairement une norme raisonnable à respecter au chapitre du devoir de consulter.

Deuxièmement, il faut fixer des délais clairs, fermes et plus courts au chapitre des approbations de projet et des maximums. Nous devons nous demander comment il pourrait être un jour acceptable que le processus s’étire sur plus de deux ans.

Troisièmement, il faut retirer les émissions de gaz à effet de serre en aval des critères d’évaluation. Ces mesures déraisonnables font double emploi aux règlements existants quant à l’amélioration des émissions de gaz à effet de serre.

Quatrièmement, il faut éliminer la discrétion ministérielle.

Cinquièmement, il faut enlever la référence au sexe et à l’ethnie dans les critères d’évaluation de projet. Il existe déjà quantité de critères redondants qui encouragent une évolution favorable à cet égard au Canada.

Sixièmement, il faut appliquer un critère ferme pour que seules les personnes et les organisations directement touchées aient le droit de participer au processus d’approbation.

Le Canada a déjà été une nation de bâtisseurs. Nous avons toujours été capables de réaliser les choses, qu’on parle de la TransCanada Pipeline, de la Transcanadienne, de la Voie maritime du Saint-Laurent ou de nos ports. En Alberta et dans la plupart des autres provinces, nous continuons de bâtir en ce moment, mais à l’échelle interprovinciale et nationale, nous avons perdu cette capacité. Nous devons revenir à la clarté que nous avions, quand les projets d’importance nationale étaient approuvés parce qu’ils répondaient à nos règles strictes, au lieu de dépenser des milliards de dollars sur des années sans savoir si les règlements vont nous permettre de réaliser le projet.

Dans son libellé actuel, le projet de loi C-69 va seulement accroître le degré d’incertitude. Sans certitude, les investisseurs vont tout simplement aller ailleurs. Dans bien des cas, c’est déjà fait. La situation peut être réparée, et il faut le faire, pour le Canada.

Les solutions sont très simples, en fait. Il s’agit seulement de regarder en arrière pour voir comment on faisait les choses avant. Que je sache, les projets réalisés dans le passé au Canada n’ont pas causé de graves dommages environnementaux ou sociaux. Les mesures réglementaires se sont quand même raffermies depuis ce temps, mais elles n’ont pas besoin d’être irréalistes.

Je serais ravi de répondre à toutes vos questions.

La présidente : Merci beaucoup de vos exposés.

La sénatrice Simons : Madame Orenstein, je vais commencer par vous. J’aimerais en savoir plus, si vous voulez bien préciser vos préoccupations au sujet du paragraphe 65(2). J’ai regardé le critère de l’intérêt public, et je crains fort qu’il n’y ait que du négatif, et qu’il n’y ait pas de positif.

C’est la première fois que quelqu’un nous explique les incidences juridiques qui sont possibles si le dossier est retourné au gouverneur en conseil et si on ne leur donne pas la capacité de dire que c’était la décision de l’organisme de réglementation.

Pourriez-vous nous donner plus d’explications sur votre point de vue au sujet des incidences juridiques possibles de ce changement?

Mme Orenstein : J’en serais ravie. Premièrement, je tiens à préciser que je ne suis pas une avocate, même si je travaille en étroite collaboration avec notre présidente et chef de la direction, Martha Hall Findlay, qui est avocate. C’est elle qui a soulevé ce point.

Ce sont des questions très difficiles. Nous examinons ce projet de loi depuis un an. Il nous a fallu beaucoup de temps pour faire ressortir certains des problèmes. Vous parlez de l’article 63, sur les éléments qui touchent l’intérêt public. Nous avons des problèmes avec cela et nous les avons soulevés précédemment, par exemple le déséquilibre relatif aux éléments négatifs et l’absence de la possibilité explicite de parler des intérêts nationaux ou des intérêts économiques nationaux. Cela se perd dans le facteur de la durabilité.

Ce que je dis à propos de l’article 65 est tout à fait différent. C’est une nouvelle disposition qui fait quelque chose de nouveau. Elle demande au gouverneur en conseil de démontrer ou de présenter par écrit ses raisons, de démontrer qu’il a manifestement tenu compte des éléments visés à l’article 63, et de démontrer pourquoi et comment il l’a fait. Cela affecte la jurisprudence. Tant dans le cas de Trans Mountain que dans celui de Northern Gateway, et peut-être dans d’autres cas, dont Bigstone, le juge de la Cour d’appel fédérale a dit qu’il ne remettait pas en question la décision du gouverneur en conseil. Il avait le droit de prendre cette décision parce que rien ne nous permet de remettre en question ce qu’il a fait.

Il a reçu un rapport. C’est admissible comme rapport. Il a rempli son obligation d’examiner le rapport et de prendre une décision. Ce n’est plus le cas avec le nouveau libellé. Je ne sais pas s’il en vaut la peine de lire à voix haute l’article 65.

La sénatrice Simons : Je vous en prie.

Mme Orenstein : Voici ce qu'il dit :

Les motifs à l’appui de la décision doivent démontrer que le ministre ou le gouverneur en conseil, selon le cas, a fondé sa décision sur le rapport d’évaluation d’impact du projet désigné et a pris en compte tous les éléments visés à l’article 63.

Il doit donc démontrer qu’il ne fait pas que miser sur le rapport et sur ce qu’il contient. Il doit montrer qu’il a fait sa propre réflexion, ce qui exige de remettre en question la décision de l’organisme de réglementation. Il doit démontrer qu’il a fait quelque chose de différent. C’est nouveau et cela dépasse ce que la jurisprudence appuie, ce qui signifie que nous ouvrons la voie à un nouveau type de contestation.

Certains diront que c’est un rôle approprié pour le gouverneur en conseil et qu’ils veulent vraiment qu’il le fasse. Je crois qu’on peut légitimement prétendre le contraire. Créer une loi ferme qui reprend tout du début au lieu de miser dans la mesure du possible sur la jurisprudence est problématique.

La sénatrice Simons : Vous n’êtes pas avocate, mais vous avez beaucoup d’expérience avec l’évaluation d’impact partout dans le monde, et à ce titre, vous avez mentionné que notre système est enviable. Que pensez-vous de la façon dont les organismes de réglementation du cycle de vie sont traités dans le projet de loi C-69, dans la mesure où l’on semble minimiser leur expertise en limitant la représentation d’un organisme de réglementation à un seul membre, au sein d’une commission?

Mme Orenstein : Nous trouvons que c’est vraiment très problématique, en particulier dans le contexte de la sécurité. Il y a deux organismes de réglementation du cycle de vie. L’un s’occupe de la réglementation des pipelines et des lignes de transmission. L’autre s’occupe de la réglementation des projets de centrales nucléaires. Ils possèdent tous les deux une vaste expertise interne qu’ils vont devoir continuer d’appliquer pendant toute la durée de vie de ces projets. Cela demeure crucial.

Nous avons un excellent bilan de sécurité concernant les pipelines et le nucléaire, et personne ne veut compromettre cela. S’ils n’ont pas de siège à la table, ou suffisamment de sièges à la table pour commencer, le problème est qu’il deviendra très difficile de mettre ces règles en œuvre et d’exercer le contrôle nécessaire au fil du temps. Nous avons discuté avec les deux organismes de réglementation du cycle de vie, et c’est ce qu’ils nous ont confirmé.

Les deux analogies qui me viennent à l’esprit, quand je pense à l’expertise dont on tiendrait compte plutôt que de simplement l’avoir à portée de la main, c’est que je pourrais essayer de bâtir ma maison moi-même ou je pourrais communiquer avec un constructeur pour lui demander conseil. Ce n’est pas comme si le constructeur tenait le marteau. La maison sera nettement plus solide si c’est le constructeur qui fait le travail que si le constructeur ne fait que donner quelques conseils.

Peut-être qu’il est préférable de prendre l’exemple des services de police. Les agents de police sont sur le terrain et appliquent les lois. Si les lois et les règles ont été créées sans leur contribution, elles sont en quelque sorte inutiles par rapport à ce qu’ils peuvent faire.

La disposition qui marginalise les organismes de réglementation du cycle de vie et qui dit qu’ils ne peuvent former la majorité à la commission et qu’ils ne peuvent la présider devrait être complètement inversée. Nous estimons qu’ils devraient former la majorité dans ces cas. Nous trouvons que c’est la seule façon d’avoir l’expertise technique pertinente au moment où les décisions sont prises. L’organisme de réglementation du cycle de vie peut alors faire son travail pour le reste du cycle de vie du projet.

La sénatrice Simons : Est-ce que vous diriez la même chose des offices extracôtiers?

Mme Orenstein : Oui, même si je n’ai pas étudié la question d’aussi près.

La présidente : Vous savez que l’un des objectifs de notre voyage est de recueillir de l’information de portée régionale et provinciale et de nous enquérir des préoccupations et des inquiétudes des gens de la région concernant le projet de loi C-69.

Est-ce que chacun de vous peut me parler de la situation au Manitoba? Quels sont les types de projets du Manitoba, qu’il s’agisse d’hydroélectricité, de gaz ou d’autres formes d’énergie? Quelles sont les préoccupations de la province concernant le projet de loi C-69?

M. Wright : Ma réponse sera assez brève. Je ne peux pas parler pour les gens du Manitoba. Je suis de Calgary. J’ai été invité à venir aujourd’hui.

Je dirai que j’ai travaillé dans le sud-est de la Saskatchewan. Certaines des propriétés là-bas sont sur la frontière du Manitoba. Il y a là une petite portion de l’industrie de l’énergie du Manitoba. Je dirais que toutes les préoccupations que je soulève s’appliqueraient également à cette industrie, du point de vue de sa capacité de continuer à croître et à prospérer.

Mme Orenstein : Je travaille à Calgary, mais la Canada West Foundation est en partie financée par le gouvernement du Manitoba. Elle est censée travailler à la prospérité de l’Ouest dans son ensemble. Cela étant dit, plusieurs des personnes qui vont venir témoigner plus tard aujourd’hui sont mieux placées que moi pour parler des préoccupations du Manitoba.

Les enjeux que nous avons soulevés ne sont pas liés uniquement à l’industrie pétrolière et gazière ou aux pipelines. Ils touchent certainement les grands projets hydroélectriques, et le Manitoba en compte un grand nombre. Ils touchent aussi les projets de construction de lignes de transport. Même au Manitoba, nous avons constaté que les grands projets de construction de lignes de transport sont contestés, et ce sera toujours le cas.

Les préoccupations sont les mêmes dans les diverses collectivités touchées. C’est une question parallèle, cela ne fait aucun doute. Nous voyons l’opinion publique se cristalliser autour des pipelines, mais les lignes de transport d’énergie suscitent aussi la réaction « Pas dans ma cour ». Cela pourrait être facilement changé. Plus nous pensons à développer l’industrie des énergies renouvelables au Canada, puis c’est une chose dont il faut tenir compte. Encore là, le problème est le même avec les lignes de transport au Manitoba.

La présidente : Merci.

Sénateur Carignan, c’est à vous.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à la représentante de la Canada West Foundation. C’est intéressant le point de vue sur les motifs détaillés. Croyez-vous qu’on devrait modifier l’article 65, au paragraphe 2, afin d’inclure des notions plus larges? Lorsque le gouverneur en conseil prend sa décision, il doit tenir compte de l’impact du rapport d’évaluation, entre autres, et choisir des notions d’intérêt général, comme les motifs économiques.

[Traduction]

Mme Orenstein : Merci, sénateur. On ne peut pas dire que vous posez des questions faciles, mais vous ne posez que les questions importantes.

Je crois fermement que l’organisme de réglementation est très bien placé pour pouvoir faire une recommandation. Encore là, je pense personnellement qu’il est tout à fait approprié que le gouverneur en conseil se fie à ce rapport sans avoir à le remettre en question.

C’est l’organisme de réglementation qui a reçu les 5 000 à 20 000 pages de l’étude d’impact et qui les a digérées. Il a réalisé ses propres analyses et est arrivé à ses propres conclusions. Il a préparé ses propres rapports et a établi l’importance de cela. Il est également celui qui a pu entendre les centaines et les milliers d’heures de témoignages des parties touchées.

Tout cela a été inclus dans le rapport de l’organisme de réglementation et dans sa décision. Il y a certainement des intérêts plus généraux qui relèvent directement de la responsabilité du gouvernement fédéral. J’aime bien utiliser les analogies. Que quelqu’un revienne sur les conclusions de l’organisme de réglementation concernant l’ampleur de l’impact et l’importance des mesures d’atténuation des effets négatifs, c’est comme si quelqu’un qui a lu l’endos d’un livre se permet de dire que c’est un bon livre ou pas. Vous pouvez décider de l’acheter de cette façon, à la librairie.

C’est une question différente, mais le gouverneur en conseil n’a pas eu lui-même la possibilité d’entendre toute l’information ou d’entendre directement les parties touchées. À mon avis, la meilleure façon serait de lui permettre de se fier à la recommandation et de faire en sorte que l’organisme de réglementation présente une recommandation distincte plutôt qu’un simple rapport.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je vais poursuivre avec la question des motifs de la décision. Il faut également tenir compte des éléments qui sont prévus, que l’on définit comme étant d’« intérêt public » à l’article 63. On dit ceci à l’alinéa e) :

la mesure dans laquelle les effets du projet portent atteinte ou contribuent à la capacité du gouvernement du Canada de respecter ses obligations en matière environnementale et ses engagements à l’égard des changements climatiques.

Croyez-vous que l’on devrait ajouter un passage à cet endroit qui traiterait de la réduction des gaz à effet de serre dans le monde? Par exemple, il s’agirait d’une production de gaz qui, au Canada, viendrait augmenter la production de gaz à effet de serre, mais qui serait exportée en Chine afin de remplacer des centrales au charbon. Au moins, il y aurait une diminution des gaz à effet de serre à l’échelle mondiale, ce qui procurerait un gain. Devrait-on en tenir compte de cet aspect global ou modifier la loi, et non pas seulement — excusez l’expression — se regarder le nombril?

[Traduction]

Mme Orenstein : Vous me posez encore une fois une excellente question. Il y a dans cela deux éléments auxquels j’aimerais répondre.

Le premier, c’est la question de savoir ce qu’on appelle la fuite de carbone. Il se peut que vous remplaciez le charbon en Chine, mais vous n’avez pas l’avantage d’ajouter cela, strictement parlant, et c’est un problème d’ordre comptable. Oui, si vous regardez les effets en aval, il faut que les avantages nets soient également inclus.

Quand nous examinons les projets et les approuvons un à la fois, les questions à se poser d’après moi sont les suivantes. Comment vous attaquez-vous aux effets des émissions de gaz à effet de serre? Comment déterminez-vous ce qui est suffisant? Comment faites-vous pour que l’organisme de réglementation puisse être en mesure de dire que l’impact du projet est beaucoup trop grand ou insuffisant?

D’après moi, cette tâche ne devrait pas incomber à l’organisme de réglementation. Je crois que le gouvernement l’a reconnu. Le gouvernement a mis en place l’évaluation stratégique des changements climatiques afin de formuler des lignes directrices. Il s’agit de l’une des premières évaluations stratégiques.

Cela m’a énormément déçue, et j’en ai parlé avec des gens de tous les côtés, des militants environnementaux à ceux qui ne le sont absolument pas. Le problème, c’est que le gouvernement n’a pas été à la hauteur à ce sujet. Ce qu’il nous faut, c’est une évaluation stratégique des changements climatiques qui détermine essentiellement la quantité d’émissions de gaz à effet de serre qui devrait être permise et la façon d’attribuer cela.

En gros, on fixerait des cibles, des repères et des seuils. Le travail de l’organisme de réglementation est alors de comparer tout projet à la cible qui a été fixée. C’est ainsi que l’organisme de réglementation saura ce qui est trop.

Ce n’est pas ce que l’évaluation stratégique des changements climatiques a fait. Elle s’est limitée à fournir une méthodologie de la façon dont le promoteur d’un projet ferait état des émissions de gaz à effet de serre dans l’évaluation d’impact. C’est une formidable occasion manquée. Nous avons besoin d’une orientation méthodologique, mais ce n’est pas la même chose qu’une évaluation stratégique du changement climatique.

Nous n’allons toujours pas dans le sens d’une déclaration selon laquelle c’est ce que le Canada veut faire, c’est la façon dont nous allons mesurer cela, ce sont nos cibles et ce sont les repères. Encore une fois, on a pelleté cela dans la cour de l’organisme de réglementation. Cela va devenir problématique, car les contestations vont se succéder.

Si nous ne disons jamais ce qui est suffisant ou ce qui est trop, et la façon dont nous déterminerons cela, comment l’organisme de réglementation peut-il le savoir? Tout ce que vous avez, c’est un chiffre. Cela ne vous dit rien du contexte de ce chiffre. Je trouve que c’est vraiment problématique.

La présidente : Monsieur Wright, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Wright : Oui. Je suis d’accord avec ce que Marla Orenstein a dit. J’aimerais ajouter que c’est un peu ce que j’essayais de dire à propos des règlements qui se chevauchent. Par l’article 6 de l’Accord de Paris, on essaie déjà de régler la question de la portée mondiale et des crédits pour les pays où vous pouvez effectivement réaliser des gains. Je crois que les sénateurs sont au courant de cela.

Cela existe. Nous avons déjà un gouvernement qui a mis en œuvre des taxes sur le carbone. Il y a de l’appui pour la transition vers les énergies renouvelables. Ce sont toutes des choses pour lesquelles je suis d’accord, en passant. Ce sont des choses qui exigent une réflexion à long terme. Le gouvernement peut choisir une direction, puis imposer les mesures réglementaires qui amèneront l’industrie dans une certaine direction.

Je travaille personnellement avec l’ACPP ainsi qu’avec les gouvernements fédéral et provinciaux dans le but d’aider à réaliser cela. Quand vous vous mettez à dire dans les mesures réglementaires que tel pipeline ou tel projet peut aller de l’avant ou pas, c’est comme conduire en regardant dans le rétroviseur. Ce sont des décisions individuelles qui se prennent.

Je crois que l’industrie devrait déterminer s’il lui faut ou non un pipeline qui va du point A au point B. Le gouvernement devrait déterminer si cela se réalise d’une façon efficace sur le plan environnemental et conforme aux dispositions réglementaires à long terme qui ont été prises.

Cela explique en partie pourquoi je disais qu’il est très dangereux d’avoir ces chevauchements. Tout l’Ouest canadien a vu, au quatrième trimestre en Alberta, ce qui se produit quand un pipeline est plein, faute de pouvoir construire le pipeline suivant. Nous avons eu une réduction catastrophique des prix du pétrole. C’est le genre de choses dont je parle.

Le sénateur Patterson : Madame Orenstein, je tiens vraiment à vous remercier d’avoir soulevé l’important problème du paragraphe 65(2). Je crois que vous avez dit que cela fait grimper les risques de litiges dont certains se préoccupent avec ce projet de loi.

Permettez-moi de bien comprendre. En vertu du paragraphe 65(2) :

… doivent démontrer que le ministre ou le gouverneur en conseil […] a fondé sa décision sur le rapport d’évaluation […] et a pris en compte tous les éléments visés à l’article 63.

L’article 63 comporte cinq éléments qu’il est impossible de définir facilement. Il s’agit :

… (des) répercussions préjudiciables […] sur les droits des peuples autochtones du Canada reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle

Quelle affaire! J’ai participé à des réunions fédérales-provinciales pendant trois ans à la suite du rapatriement de la Constitution, afin de définir ce qu’on entend par les droits des peuples autochtones en vertu de l’article 35. Nous avons tourné en rond. Les cours se sont prononcées sur ce vaste principe très vague et indéfini. C’est important, mais c’est terriblement vague.

Il y a aussi parmi les autres éléments :

... la mesure dans laquelle les effets du projet portent atteinte ou contribuent à la capacité du gouvernement du Canada de respecter ses obligations en matière environnementale et ses engagements à l’égard des changements climatiques.

C’est une autre chose limpide comme de la boue, soit l’incidence sur nos engagements pris à Paris et à Kyoto. Le Cabinet doit se pencher sur ces cinq questions. Je n’en ai mentionné que deux. Il y en a trois autres tout aussi difficiles à définir.

Vous dites que vous appuyez les amendements de l’Association canadienne des producteurs pétroliers, que je viens tout juste d’examiner rapidement. J’y ai jeté un bref coup d’œil, et les amendements de l’association ne semblent pas s’attaquer au problème du paragraphe 65(2) que vous avez mentionné.

J’ai deux questions. Vous avez dit que selon une décision rendue par la Cour fédérale, on ne peut pas contester la décision du gouverneur en conseil. Premièrement, quel est le nom de l’arrêt, s’il vous plaît?

Deuxièmement, quelle est la solution ici? Devons-nous tout simplement éliminer le paragraphe 65(2)? Je ne pense pas que qui que ce soit, peut-être même les environnementalistes, veulent voir la décision du gouverneur en conseil. Ce sera la dernière étape de ce que beaucoup de personnes estiment être un processus probablement trop long. Cela deviendra ensuite sans aucun doute un paradis pour intenter des procédures judiciaires, pour les avocats du Canada, jusqu’à la Cour suprême.

Devons-nous retirer le paragraphe 65(2)? Je suppose que j’aimerais savoir pourquoi l’Association canadienne des producteurs pétroliers et l’Association canadienne de pipelines d’énergie n’ont pas abordé la question, si je comprends bien.

Mme Orenstein : Pour ce qui est du nom des arrêts, je vais m’assurer de vous les faire parvenir. Je ne veux pas me tromper.

Le sénateur Patterson : Très bien.

Mme Orenstein : Quant à savoir pourquoi l’Association canadienne des producteurs pétroliers et l’Association canadienne de pipelines d’énergie n’ont pas abordé la question, pour être franche, c’est une chose autour de laquelle nous avons gravité et sur laquelle nous ne sommes tombés que la semaine dernière lorsque nous avons passé en revue la jurisprudence. Il est pas mal tard, mais pour ce qui est d’une solution, soit l’aspect essentiel de la question, il y a une chose que vous pouvez faire avec le paragraphe 65(2).

Vous pouvez permettre au gouverneur en conseil de se fier au rapport de l’organisme de réglementation, mais cette disposition s’inscrit dans une tendance à affaiblir l’organisme dans ce processus. C’est ainsi dans l’ensemble du projet de loi C-69. C’est l’ajout de pouvoirs discrétionnaires politiques, un autre exemple de cas où on pourrait y recourir.

Dans ces audiences, on a dit que les organismes de réglementation n’inspirent pas confiance et qu’ils ne fonctionnent pas. C’est incompatible avec ce que nous avons constaté dans nos propres études. On n’a pas nécessairement perdu confiance dans le système de réglementation.

Le gouvernement fédéral a affirmé qu’il estime important d’avoir un organisme de réglementation indépendant pour accroître la crédibilité et la transparence. Ce projet de loi va dans la direction opposée. Plutôt que proposer une sorte d’organisme de réglementation indépendant qui prend des décisions relatives aux projets, la tâche revient entièrement à l’agence d’évaluation d’impact, qui relève du ministère.

Il y a de nombreux éléments où les pouvoirs politiques discrétionnaires peuvent l’emporter sur le travail accompli par l’organisme de réglementation. Pour s’attaquer au problème, cela ne se limite pas qu’à cette importante disposition. En effet, il faut passer en revue l’ensemble du projet de loi pour voir à quels endroits d’autres facteurs et d’autres considérations politiques peuvent porter atteinte à la décision de l’organisme de réglementation.

C’est une chose qui devrait préoccuper tous les partis. Les gouvernements changent. Ce qui est favorable à un groupe un jour pourrait ne plus du tout l’être un autre jour. Dans tous les camps, veiller à avoir un organisme de réglementation fort, juste et transparent qui est en mesure de faire son travail, sans ingérence, devrait revêtir une importance capitale.

Le sénateur Patterson : Ce raisonnement s’appliquerait-il aussi à l’article 22? Nous avons constaté que sa signification est tout aussi vague. Hier, à Saskatoon, une témoin nous a parlé de l’interaction du genre et d’autres facteurs identitaires. C’est une experte, une professeure. Elle nous a parlé d’autres facteurs identitaires au-delà du genre. Il y en a 10, de l’orientation sexuelle à l’invalidité, en passant par l’âge et l’ethnicité. Ce petit élément dans une liste à l’article 22 crée un flou, un champ de mines d’imprécisions et de détails dont il faut tenir compte dans les évaluations d’impact environnemental. C’est truffé de recours juridiques possibles si l’organisme de réglementation ne tient pas compte de, mon Dieu, 11 facteurs dans un seul paragraphe de l’article 22.

L’article 22 est-il un autre exemple de l’affaiblissement définitif de l’indépendance de l’organisme de réglementation?

Mme Orenstein : La disposition sur l’interaction du sexe et du genre avec d’autres facteurs identitaires ne me pose personnellement pas problème, car nous le faisons déjà. Dans les évaluations d’impact effectuées en vertu de la LCEE de 2012, un mandat est créé. Il précise ce qui doit être examiné. À vrai dire, il n’y a pas de bonnes évaluations d’impact en matière de logements, d’économie, d’emplois et de toutes ces choses sans un examen de diverses répercussions sur différentes populations.

On veut savoir quel sera l’effet non seulement sur le citoyen moyen, mais aussi sur différents groupes. C’est une pratique exemplaire. L’ajout de cette disposition à l’article 22 est un peu problématique, car cela revient à brandir un drapeau rouge devant un taureau, de toute évidence.

Pour revenir à la question plus vaste du contenu de l’article 22, c’est un problème parallèle de dire que c’est contestable si on ne considère pas ces choses comme il se doit. Une pratique exemplaire et la possibilité de contester une décision sont des choses différentes. La mesure législative est le cadre voulu pour pouvoir exposer tout cela, la façon dont on veut que ce soit mis en œuvre.

Même si cette disposition est éliminée à l’article 22, les évaluations d’impact ne tiendraient certainement pas compte à l’avenir des différences en fonction du genre, de l’ethnicité, de l’invalidité et ainsi de suite. J’estime qu’il est important d’examiner ces choses.

On a fait une proposition concernant l’article 22. Plutôt que de dire que l’évaluation d’impact doit tenir compte de toutes ces choses, les amendements de l’Association canadienne de pipelines d’énergie disent qu’elle peut en tenir compte. L’organisme de réglementation pourrait ainsi indiquer quels sont les facteurs pertinents dans cette liste qui en comporte 13 ou 15. Il aurait ainsi un certain pouvoir discrétionnaire pour dire que dans un cas donné, certains facteurs sont à vrai dire tout simplement illogiques, qu’on ne les utilisera pas.

Je suis favorable à la modification du libellé en substituant « peut » à « doit » afin d’accorder le pouvoir discrétionnaire nécessaire pour adapter, s’il y a lieu, ces exigences au projet.

La présidente : Voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Wright : Je serai bref.

Je dois dire que je ne peux pas être d’accord. Je crois fermement que c’est un endroit où il faut tout simplement éliminer la disposition. C’est le flou qui est redondant et très dangereux compte tenu du pouvoir discrétionnaire qui en découle.

Je pense que vous faites allusion à l’alinéa 22(1)s) quand vous parlez de genre et d’ethnicité. Dans un projet de construction d’une nouvelle usine de gaz naturel liquéfié, pourquoi devrions-nous nous préoccuper du genre et de l’ethnicité? Nous devrions nous en préoccuper dans toutes les sphères de notre entreprise. Je ne sais même pas exactement quel ministre serait responsable, mais le ministre responsable des droits de la personne devrait nous imposer des règles pour garantir que nous faisons ce qu’il faut partout où nous travaillons, pas juste dans le cadre du prochain nouveau projet.

C’est un facteur qui complique les choses et qui menace grandement le progrès au pays.

Le sénateur Neufeld : Merci à vous deux de votre présence. Je reviens au moment où le gouvernement a décidé qu’il allait changer le progrès. Je suppose que c’est le premier ministre qui disait que l’Office national de l’énergie ne fonctionnait pas. Les gens ne faisaient plus confiance à l’office et à l’organisme canadien de réglementation de l’énergie nucléaire.

J’ai été heureux de vous entendre dire, madame Orenstein, que dans les faits, l’office fonctionnait. Il doit être modernisé, comme les autres. Ils existent depuis longtemps. Nous avons la jurisprudence. Ils peuvent revenir en arrière pour voir comment on s’est occupé d’autres questions.

Je crois aussi fermement en cela. Je pense que nous avons totalement tort d’éliminer tout cela dans le projet de loi. Cela n’y est plus. On l’a retiré. À mon avis, c’est déplorable.

Cela dit, je suppose que vous pouvez un peu comprendre où je veux en venir. Ce projet de loi a probablement été conçu pour mettre fin à l’exploitation pétrolière et gazière au Canada ou à l’exploitation des ressources auxquelles il s’applique.

Convenez-vous comme moi qu’il pourrait y avoir des motifs politiques à l’insertion de toutes ces questions dans un projet de loi comme celui-ci pour bloquer l’exploitation? On n’aura plus besoin de dire non. À vrai dire, l’argent va disparaître, comme on l’a mentionné.

De plus, vous avez tous les deux parlé du droit de participation des collectivités locales ou de personnes de la région. En vertu de l’ancienne loi, il était accordé aux personnes les plus touchées et aux experts. S’ils voulaient de plus amples renseignements, ils pouvaient se les procurer. Maintenant, tout le monde peut participer.

Hier, nous avons entendu des membres des Premières Nations qui sont très préoccupés. Ce qui se produit, c’est que leur voix est étouffée par celle des personnes qui souhaitent mettre fin à l’exploitation. Elles ne veulent pas que cela bouge. C’est la raison pour laquelle un si grand nombre de mouvements écologiques très puissants s’opposent à l’oléoduc Trans Mountain. Ils veulent mettre fin à l’exploitation des sables bitumineux.

Je sais que ma question est un peu longue, mais j’aimerais que vous me fassiez tous les deux part de vos observations à ce sujet.

Mme Orenstein : Je vais répondre au deuxième point en premier, celui sur le droit de participation. Nous avons les mêmes préoccupations. Une vaste participation est une bonne chose, mais pas si cela étouffe la voix des personnes les plus touchées.

La question du droit de participation est une chose qui pouvait être soumise à l’Office national de l’énergie étant donné que c’était un organisme quasi judiciaire. Je ne sais pas si on peut même soumettre le concept du droit de participation à un organisme ministériel comme l’agence d’évaluation d’impact. Cependant, cela dit, nous croyons fermement qu’il est important qu’un passage du projet de loi autorise explicitement l’office à déterminer comment différents groupes seront entendus.

Nous pouvons demander une pleine participation en disant que toutes les personnes intéressées peuvent participer, mais nous devrions aussi être en mesure de donner explicitement à l’office le pouvoir de déterminer comment les différents groupes ou les différents particuliers peuvent participer afin qu’il soit légitime de dire à certaines personnes qu’elles peuvent faire des observations ou soumettre un mémoire en ligne, tandis qu’un autre groupe sera entendu en personne lors d’une audience.

Pour l’instant, aucune disposition du projet de loi n’autorise l’agence d’évaluation d’impact à procéder ainsi. Je sais que c’est ce qu’on veut. Pour revenir aux recours judiciaires, je crains qu’il n’y ait rien dans le projet de loi pour renforcer les différentes méthodes de participation convenable. L’organisme de réglementation peut décider qu’il y aura des recours plus tard de la part d’une personne qui n’est pas vraiment touchée et qui dit qu’elle n’a pas pu s’exprimer. Nous appuyons fermement des amendements pour au moins autoriser l’organisme de réglementation à trier les différents moyens de communication.

Quant à savoir si ces modifications sont attribuables à des motifs politiques, je ne veux vraiment pas formuler d’hypothèses et me prononcer. Ce projet de loi prévoit assurément un pouvoir discrétionnaire qui peut être utilisé de certaines façons, et les différents gouvernements s’en serviront de diverses façons.

M. Wright : Je serai aussi bref que possible. Vous avez abordé plusieurs sujets, monsieur le sénateur. Non, je ne crois pas que la majorité des Canadiens pensent que l’Office national de l’énergie ne fonctionnait pas. Je suis du même avis. Je pose la question à la plupart des Canadiens que je rencontre, et ceux qui ne font pas partie de l’industrie ne savent pas du tout ce qu’est l’office. Ils s’attendent tout simplement à ce que leur gouvernement et leur organisme de réglementation fassent ce qu’il faut.

En ce qui a trait à de possibles motifs politiques, il est préférable pour moi de ne pas formuler d’hypothèses. Je ne sais pas, mais je vais dire que le projet de loi est conçu pour nous arrêter ou qu’il est très mal conçu et que le résultat sera le même. Quoi qu’il en soit, occupons-nous tout simplement de régler le problème. Je me concentre sur ce qui fait fonctionner notre industrie.

Nous travaillons avec les Premières Nations plus étroitement que la plupart des autres industries. Nous sommes dans les collectivités rurales à côté des Premières Nations. J’ai personnellement rencontré les chefs des nations de notre région pour comprendre leurs préoccupations. Nous travaillons très fort pour leur donner des emplois et pour que les débouchés que nous créons dans leur région se traduisent pour eux par une croissance économique. Nous craignons beaucoup que nos démarches soient interrompues par les dispositions de ce projet de loi.

Je devrais dire que j’ai participé hier à une réunion où nous avons discuté de cette question. Stephen Buffalo, le président du Conseil des ressources indiennes, était présent. Dale Swampy, le président de la Coalition nationale des chefs, qui représentait 62 chefs, a parlé avec beaucoup de passion de la nécessité de renforcer l’économie et de s’opposer au projet de loi C-69.

Pour ce qui est de la participation, je vais très rapidement faire l’analogie avec l’Alberta. Je connais très bien les règlements provinciaux de l’Alberta, de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique. Il y a de bons critères à remplir lorsque quelqu’un s’inquiète d’un projet, mais n’a vraiment pas de droit de participation. L’organisme de réglementation entend les préoccupations et il les met de côté. En revanche, lorsque quelqu’un est directement concerné ou a un lien direct avec ce qui se fait parce qu’il fait partie de l’industrie ou vit dans la région, il peut alors participer pleinement. On l’écoute aux audiences.

Il est très important d’être en mesure de faire un tri et de mettre de côté des préoccupations afin d’éviter de donner ce pouvoir à des minorités qui s’expriment tout simplement pour nuire à l’exploitation, qui ne sont pas directement touchées par le projet.

Le sénateur Richards : Le sénateur Neufeld a posé ma question, et je vais donc faire une petite déclaration. Si vous voulez y répondre, monsieur Wright, je vous en serais reconnaissant.

La philosophie de ce projet de loi est totalement trompeuse. Ce sont des théories de justice sociale au détriment de Canadiens ordinaires. Pour ceux qui s’y opposent, il est arrogant et intimidant. On y trouve peu d’aspects positifs. Il noue les mains de l’industrie parce que le gouvernement ne veut pas de cette industrie qu’il prétend aider grâce à cette mesure législative.

Je me demande ce que vous en pensez.

M. Wright : Je répète que je n’ai que de modestes connaissances. Je ne suis pas assez doué pour comprendre les motifs. Je ne peux que convenir comme vous que ce projet de loi est extrêmement dangereux.

Je veux sincèrement que notre industrie fasse de grandes choses pour le Canada et les Canadiens, et ce projet de loi comporte beaucoup de dispositions qui nous mettent des bâtons dans les roues.

La sénatrice McCallum : Merci, madame la présidente, et je m’excuse de mon retard aujourd’hui.

Je suis de la Première Nation de Barren Lands, du territoire du Traité no 10, au Manitoba. Je veux revenir à la préoccupation du sénateur Patterson à propos de la définition des droits existants issus de traités des Autochtones et de l’analyse comparative entre les sexes.

Depuis toujours, la voix des Premières Nations n’est pas entendue. Elle est étouffée, mais nous gagnons maintenant des forces. L’exploitation des ressources a été associée à différentes formes de violence dans les collectivités autochtones. Vous le verrez au Manitoba pour tous les projets hydroélectriques avec les Premières Nations.

Nous n’avons pas besoin de lois pour dire aux sociétés, aux entreprises ou aux gouvernements comment traiter les Autochtones comme des êtres humains et respecter leurs droits. Malheureusement, c’est ainsi que nous retenons l’attention des gens. Nous avons des droits existants. On n’a autorisé les Autochtones à les faire valoir que d’une seule façon : devant les tribunaux. La seule manière d’examiner la violence fondée sur le sexe est de faire valoir ces droits.

Nous ne sommes pas ici pour mettre fin à l’exploitation. Les Premières Nations veulent être traitées équitablement. Nous ne voulons pas être tenus à l’écart encore une fois, et nous ne le serons pas.

Beaucoup de conséquences imprévues de projets de loi précédents se sont révélées injustes pour les Premières Nations. On a dit qu’on devrait éliminer le paragraphe 65(2), qu’il va augmenter le nombre de litiges. Qu’en pensez-vous?

Mme Orenstein : Je suis tout à fait d’accord avec vous, madame la sénatrice.

J’ai de l’expérience dans le domaine des évaluations d’impact. J’ai travaillé en épidémiologie et j’ai effectué pendant 12 ans des évaluations d’impact sur la santé d’importants projets d’exploitation des ressources au Canada et ailleurs dans le monde.

J’ai pu constater que les grands projets d’exploitation ont des répercussions positives sur les collectivités, mais aussi des conséquences tragiques. C’est tout à fait la réalité. Il faut absolument se pencher là-dessus. Je suis entièrement d’accord avec vous. Je conviens tout à fait qu’il appartient au promoteur et ensuite à l’organisme de réglementation de déterminer et de comprendre les conséquences probables, de les atténuer et de déterminer comment accroître les retombées positives.

D’après ce que j’ai constaté, le mieux, c’est que le promoteur établisse un dialogue avec la collectivité, qui est parfois motivé par un sens des responsabilités et par le fait que le promoteur doit respecter des obligations fixées par l’organisme de réglementation pour l’obtention du certificat.

Je n’ai jamais observé que la décision prise à un haut niveau donnait de bons résultats, mais c’est ce dont il est question dans le projet de loi C-69. À mon avis, l’organisme de réglementation doit être en mesure d’étudier les impacts, de déterminer ce qu’il est possible de faire ainsi que la façon de mettre en œuvre un projet de la meilleure manière possible.

Ce n’est pas ce qui me pose problème du tout dans ce projet de loi. Ce qui me pose problème, c’est l’ajout d’un niveau décisionnel. Je ne pense pas que le fait que le cabinet procède à un réexamen en vertu de l’article 63 garantira cela.

Le cabinet a un rôle à jouer, à mon avis. Son rôle concerne la relation de nation à nation. Il doit s’assurer que les droits ont été respectés. Ce n’est pas la même chose que ce dont vous parlez. Dans la collectivité, quelle sera l’incidence sur les femmes? Comment la collectivité vivra-t-elle les choses? Dans quelle mesure les territoires de piégeage seront-ils perturbés?

On doit tenir compte de tout cela beaucoup plus tôt. Il faut en tenir compte dans la réglementation. Je suis en faveur d’une réglementation très sévère pour tenir compte de cela correctement. Le problème concerne tout le travail à l’arrière-scène qui mène à la délivrance du certificat. Je ne suis pas certaine que le processus décrit aux articles 63 et 65 permettra cela.

Voilà mon opinion.

La présidente : Je vous remercie beaucoup pour vos témoignages et les discussions que nous avons eues.

Notre deuxième groupe de témoins est composé de Grainne Grande, avocate, et de Jennifer Moroz, avocate, de Manitoba Hydro, ainsi que de Stéphane McLachlan, professeur, Université du Manitoba, de David Scott, aîné, Premières Nations de Swan Lake au Manitoba et de Leslie Dysart, Community Association of South Indian Lake, South Indian Lake au Manitoba. Ces trois derniers témoins représentent la Wa Ni Ska Tan Alliance of Hydro-Impacted Communities.

Nous allons commencer par vos exposés, puis nous allons passer aux questions.

Grainne Grande, avocate, Manitoba Hydro : Je vous remercie de permettre à Manitoba Hydro de s’exprimer au sujet du projet de loi C-69.

En tant que société d’État provinciale et unique fournisseur d’électricité aux particuliers, Manitoba Hydro a le mandat de répondre aux besoins énergétiques des Manitobains d’une manière efficace et économique. Pour exécuter ce mandat, Manitoba Hydro utilise un modèle de recouvrement des coûts. Les coûts de l’électricité sont payés par nos clients selon les taux qui s’appliquent.

Nous avons une longue expérience de la planification, de la construction, de l’exploitation et de l’entretien d’installations de distribution, de transmission et de production d’électricité, notamment plusieurs lignes de transport d’électricité interprovinciales et quatre lignes de transport internationales, et une cinquième qui fait l’objet actuellement d’un processus d’approbation réglementaire.

Nous sommes ici pour préconiser des modifications au projet de loi C-69 relativement à cinq grands aspects. Nos sept recommandations se trouvent dans notre mémoire que vous avez reçu aujourd’hui.

Premièrement, il est nécessaire qu’il y ait de la certitude en ce qui a trait au processus et aux délais en vertu de la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie. Manitoba Hydro prend au sérieux sa responsabilité de répondre aux besoins énergétiques de ses clients. C’est pourquoi la certitude en ce qui concerne les délais est importante. Nous devons connaître le délai maximal pour l’approbation d’un projet afin que ce projet soit réalisé en temps opportun. Manitoba Hydro est préoccupé par le fait que la loi ne prévoit aucun délai fixe pour l’approbation des demandes de ligne de transport d’électricité internationale. En fait, la loi ne prévoit aucun délai pour la prise d’une décision concernant une demande de permis.

Même si des délais précis sont établis pour les demandes de certificat, un promoteur ne peut pas choisir de demander un certificat s’il souhaite que la loi provinciale s’applique au processus d’acquisition d’un terrain pour la réalisation du projet. En outre, en vertu de la loi proposée, les délais pour la délivrance d’un certificat peuvent être prolongés indéfiniment.

Deuxièmement, il y a la question de l’ampleur du processus par rapport à la complexité du projet. Manitoba Hydro est du même avis que l’Association canadienne de l’électricité. L’ampleur de l’examen réglementaire devrait être proportionnelle à la complexité du projet. La Loi sur la Régie canadienne de l’énergie ne comporte aucune disposition visant à s’assurer que de simples modifications, comme celles qui n’impliquent pas l’acquisition d’autres terrains ou des modifications de la tension dans des lignes de transport d’électricité internationales existantes, ne seraient pas assujetties à des processus aussi complexes que ceux auxquels sont assujettis les projets de construction d’une nouvelle ligne de transport internationale, comme c’est le cas à l’heure actuelle.

Les amendements présentés jusqu’à maintenant donnent à penser que le même processus rigoureux s’appliquera tant aux simples modifications qu’aux nouveaux projets. Même si Manitoba Hydro estime que l’ajout de responsables désignés pour effectuer certaines fonctions constitue un pas dans la bonne direction, elle ne sait pas avec certitude si ces responsables auront l’autorisation de traiter les demandes de modifications à des lignes de transport d’électricité internationales existantes.

L’article 54 de la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie autorise les responsables désignés à effectuer uniquement certaines fonctions et cette disposition est rattachée à un règlement qui n’a pas encore été rédigé.

Troisièmement, il y a le traitement réservé aux lignes de transport interprovinciales. La Loi sur la Régie canadienne de l’énergie ne précise pas dans quelles circonstances ni à quel moment une ligne de transport interprovinciale peut être désignée comme étant une ligne qui doit être réglementée et, par conséquent, approuvée en vertu de la loi. Cela crée beaucoup d’incertitude pour les promoteurs de projets, qui ont peut-être consacré beaucoup de temps et d’argent pour s’assurer de respecter les exigences provinciales en matière d’évaluation et qui sont alors confrontés à la nécessité d’obtenir une autre autorisation à l’échelon fédéral avant la construction. Lorsqu’il y a des étapes inconnues et non planifiées dans le cadre d’un processus, il y a une incidence sur les coûts et l’échéancier d’un projet qui vise à répondre aux besoins des clients.

Quatrièmement, il y a la certitude en ce qui a trait aux coûts et aux délais dans le cadre de la Loi sur l’évaluation d’impact. Nous sommes préoccupés par les répercussions d’ordre financier de cette loi et par l’incertitude qu’elle crée. Nous sommes d’accord avec la proposition de l’Association canadienne de l’hydroélectricité concernant le recouvrement des coûts. Manitoba Hydro est également préoccupée par la latitude dont disposent l’agence et la commission pour ce qui est d’exiger des promoteurs qu’ils mènent des études et recueillent des renseignements conformément aux dispositions 26(2), 38 et 52(2) de la Loi sur l’évaluation d’impact.

Telles qu’elles sont rédigées actuellement, ces dispositions créent de l’imprévisibilité sur le plan de l’aspect financier et des délais. Par conséquent, nous recommandons d’établir un processus selon lequel l’agence ou la commission et le promoteur travaillent ensemble pour déterminer dans quelle mesure le promoteur a besoin de mener d’autres études et de recueillir davantage de renseignements. Manitoba Hydro souhaite également moins d’instructions ministérielles sur la prolongation des délais dans l’ensemble de la Loi sur l’évaluation d’impact.

Cinquièmement, il y a les eaux navigables. Compte tenu du libellé actuel de la Loi sur les eaux navigables canadiennes, il pourrait s’avérer difficile d’entretenir, de réparer ou de reconstruire des structures rapidement. Le processus d’approbation de travaux sur des installations existantes doit être modifié. Nous recommandons d’établir un processus simplifié d’approbation de la modification ou de la reconstruction de structures existantes.

Ainsi, Manitoba Hydro appuie la recommandation qu’a formulée l’Association canadienne de l’hydroélectricité à cet égard. Nous appuyons également la recommandation qu’elle a faite de modifier la définition d’ouvrage majeur afin de s’assurer que les ouvrages situés dans un chenal secondaire ne soient pas inclus dans cette définition.

En terminant, je dois dire que Manitoba Hydro comprend et reconnaît les difficultés que comporte le fait de réviser des lois qui portent sur des sujets d’une grande importance. Nous exhortons l’adoption de nos recommandations quand viendra le temps de finaliser le projet de loi C-69.

Il est essentiel d’offrir de la certitude à toutes les parties en ce qui concerne le processus et les délais et de faire en sorte que l’ampleur du processus soit proportionnelle à la complexité du projet. Il est tout aussi important de faire en sorte que le règlement qui suivra soit élaboré en collaboration avec les parties intéressées pour veiller à ce que la loi elle-même soit efficace. Nous exhortons donc le gouvernement à travailler en collaboration avec toutes les parties intéressées lors de la rédaction du règlement, notamment des promoteurs comme Manitoba Hydro, qui souhaite un processus d’évaluation clair, prévisible et efficient en ce qui concerne les lignes de transport et les projets.

David Scott, aîné, Premières Nations de Swan Lake, Manitoba, Wa Ni Ska Tan Alliance of Hydro-Impacted Communities : Nous représentons tous les trois Wa Ni Ska Tan. Nous avons mis sur pied cet organisme pour les collectivités du Nord touchées par les projets hydroélectriques. En tant que personne attachée aux traditions, je suis préoccupé par les projets de l’industrie et leurs effets sur notre peuple précisément. J’entends dire que des délais sont trop courts ou trop longs. J’entends dire aussi que les droits des peuples autochtones ne sont pas définis.

Je vis dans une réserve dans le Sud du Manitoba. Je suis préoccupé par les répercussions sur l’eau ou sur l’environnement dans cette région, car c’est là où j’habite. J’ai vu les conséquences des projets hydroélectriques sur mes frères et sœurs dans le Nord. Il est facile de dire que nous avons besoin de règles moins strictes en ce qui concerne les eaux navigables ou que nous avons besoin d’un processus moins rigoureux de consultation de notre peuple. Les connaissances que possède notre peuple sur les régions où nous vivons et notre identité en tant que peuple sont minimisées parce que la loi précise que nous devons nous exprimer précisément sur les lois auxquelles nous sommes assujettis.

C’est troublant d’entendre dire que les préoccupations ethniques ne devraient pas être prises en compte. L’article 22, qui concerne l’évaluation d’impact, ne nous permet pas de dire non. Pourquoi est-ce que le prix à payer pour les activités de l’industrie est trop élevé pour ceux d’entre nous qui vivent dans les réserves?

Les catastrophes environnementales potentielles, particulièrement celles causées par des pipelines, sont différentes lorsqu’elles touchent une communauté. Si ces catastrophes touchent un propriétaire foncier, une seule famille est touchée. Lorsqu’une catastrophe touche l’ensemble d’une réserve indienne, c’est une communauté entière qui est touchée.

C’est ainsi que nous vivons. Nous vivons ensemble. Nous restons ensemble. C’est ainsi. Si une catastrophe environnementale se produit dans nos régions, cela a une incidence sur l’ensemble de la collectivité, et non pas sur une seule famille.

J’appuie le projet de loi. Il est meilleur que le projet de loi C-45 et le projet de loi S-38, le projet de loi adopté par le gouvernement précédent, qui a donné lieu au mouvement Idle No More. Je ne crois pas que cette mesure législative va contribuer à régler tous les problèmes, mais nous devons prendre des mesures pour essayer de protéger l’environnement pour les personnes à naître.

Oui, l’industrie va se développer. Nous ne sommes pas contre le développement de l’industrie, mais il faut prendre en compte les répercussions de cela sur la vie des peuples autochtones. La plupart d’entre nous vivent encore dans des réserves. Tant que la Loi sur les Indiens demeurera en vigueur, je serai un Indien qui vit dans une réserve indienne.

Comme le gouvernement fédéral n’exerce pas son droit fiduciaire de nous protéger des répercussions des activités du gouvernement provincial et des administrations locales, c’est le gouvernement du Manitoba, qui est le bénéficiaire de Manitoba Hydro, qui octroie la licence à cette société.

Voilà ce qui nous préoccupe. Pourquoi aucune option ne s’offre aux peuples autochtones? Le prix à payer est trop élevé pour notre peuple qui veut vivre la vie qu’il doit vivre.

Mon exposé a été un peu plus long que ce que j’avais prévu. Je vous remercie.

Leslie Dysart, Community Association of South Indian Lake, South Indian Lake, Manitoba, Wa Ni Ska Tan Alliance of Hydro-Impacted Communities : Je viens de la communauté de South Indian Lake, qu’on appelle aussi la nation crie d’O-Pipon-Na-Piwin. Je suis un trappeur, un chasseur et un pêcheur, mais aussi le directeur général de la Community Association of South Indian Lake, qui a signé des ententes avec Manitoba Hydro en 1992. Ce qui est encore plus important, c’est que je suis également un père.

Je tiens à saluer les aînés ici présents et à souligner que nous nous trouvons sur le territoire visé par le Traité no 1.

J’appuie le projet de loi C-69 dont vous êtes saisis. Je veux vous faire profiter de mon expérience en tant que membre d’une collectivité qui a été directement témoin des pratiques d’une entreprise qui nous a décimés, c’est-à-dire Manitoba Hydro, en raison de l’absence de réglementation attribuable à des mesures législatives faibles. J’ai espoir que ce projet de loi contribuera à mettre en place des pratiques meilleures que celles que comporte la loi de 2012.

Chaque instant de ma vie, j’ai pu observer l’oppression, la dévastation et les pratiques dommageables de Manitoba Hydro, qui propose de maintenir de telles pratiques de façon permanente dans l’avenir. Le Canada n’intervient pas. Manitoba Hydro a inondé notre lac, décimé nos terres, forcé notre réinstallation et autorisé la destruction de nos maisons traditionnelles. Cela continue d’avoir des répercussions négatives sur nous et sur l’ensemble de l’environnement, parfois inutilement, en détruisant des stocks de poissons et notre économie. Tout cela ne contrevient même pas à la prétendue réglementation du Manitoba.

Jadis, South Indian Lake occupait le troisième rang en Amérique du Nord pour ce qui est de la pêche au corégone. Cette pêche lui rapportait annuellement des revenus en moyenne qui étaient sept à huit fois plus importants que dans d’autres collectivités nordiques. Proposer une loi qui comporte des exigences moins strictes permet à une entreprise comme Manitoba Hydro de continuer de détruire les peuples autochtones, l’eau et les terres. Le gouvernement fédéral doit améliorer la loi pour mieux protéger nos collectivités.

Depuis beaucoup trop longtemps, le Canada laisse des entreprises et des provinces nuire aux peuples autochtones. Renforcer la loi constitue un pas dans la bonne direction. En général, le Canada n’est pas intervenu pour protéger les peuples autochtones de South Indian Lake. Il a cessé d’être présent lorsque Manitoba Hydro a proposé d’inonder South Indian Lake en procédant à la dérivation de la rivière Churchill.

Le Manitoba a permis à Manitoba Hydro de modifier considérablement les modalités de la licence provisoire qu’elle avait obtenue en 1973 en vertu du programme d’augmentation du débit. On n’a pas encore mis en place une loi visant non pas à stopper l’entreprise, mais à mettre en veilleuse ses projets ou même à procéder à un second examen objectif, si on peut dire. On devrait mieux tenir compte de nos droits, ou à tout le moins prendre des mesures en ce sens. Kinanâskomitin. Je vous remercie tous.

Stéphane McLachlan, professeur, Université du Manitoba, Wa Ni Ska Tan Alliance of Hydro-Impacted Communities : Je suis un spécialiste de l’environnement à l’Université du Manitoba. Comme mes deux collègues ici présents, je fais preuve d’un optimisme prudent à l’égard du projet de loi.

J’accueille favorablement l’attention qu’on accorde au développement durable, à la participation plus grande du public, à la transparence et à la reddition de comptes, afin de respecter nos engagements à l’égard de la lutte contre les changements climatiques, ainsi qu’à l’analyse comparative entre les sexes plus, et les références fréquentes à l’article 35 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et à la consultation des peuples autochtones.

Je dirais que la loi actuelle ne fonctionne pas et fait très peu pour prévoir les répercussions de ces projets sur l’environnement ou les collectivités touchées, et encore moins pour s’y attaquer adéquatement.

J’ai trois préoccupations que j’aimerais mentionner. Le fait qu’on tienne compte des connaissances autochtones et de la science occidentale dans le projet de loi est un élément important, mais ce n’est pas fait correctement. Dans le cadre du régime actuel, les données scientifiques proviennent du promoteur, ce qui, au bout du compte, le favorise.

Ainsi, des approches interculturelles, si je puis dire, sont terriblement importantes. Trouver un équilibre entre les connaissances autochtones et la science occidentale est un exercice très complexe. Le projet de loi doit contenir davantage de précisions à ce sujet. J’ai l’impression que la science occidentale continuera d’avoir préséance sur les connaissances autochtones. J’ai beaucoup d’expérience à ce sujet en ce qui concerne Manitoba Hydro et la façon dont cela s’est produit, particulièrement en raison de son « modèle à deux voies ».

Ma deuxième préoccupation concerne l’inclusion d’évaluations régionales et stratégiques, comme le prévoit le projet de loi. Encore une fois, c’est un élément important, mais ce n’est pas fait correctement. Ces évaluations ont rarement lieu, et lorsqu’elles ont lieu, comme cela a été le cas récemment au Manitoba, elles sont contrôlées par les promoteurs. J’estime que le projet de loi doit contenir davantage de détails à ce sujet.

Enfin, les activités menées après la réalisation du projet, notamment la surveillance, l’atténuation des effets et la remise en état, ne sont pas traitées adéquatement dans le projet de loi. C’est ce qui se produit systématiquement lors d’une évaluation d’impact. Ce type d’activités a rarement lieu. Je dirais que ces activités doivent tenir compte à la fois de la science occidentale et des connaissances autochtones et être axées sur les besoins des collectivités touchées. Encore une fois, en ce qui concerne Manitoba Hydro, j’ai acquis une grande expérience grâce au processus mené récemment par l’Office national de l’énergie relativement à la ligne de transport internationale, dont je peux vous parler.

En résumé, même si j’ai des préoccupations en ce qui concerne le projet de loi, j’estime qu’il constitue un pas important dans la bonne direction. Je vous remercie de nous avoir invités à nous adresser à vous aujourd’hui. Nous serons bien sûr ravis de répondre à toutes vos questions.

La sénatrice Simons : Je viens du territoire albertain visé par le Traité no 6. Là-bas, les arguments concernent toujours le pétrole et le gaz. À une époque où les gens sont très préoccupés par les changements climatiques, de nombreuses personnes préconisent l’hydroélectricité comme solution écologique. Vos exposés m’ont ouvert les yeux. Vous déciderez entre vous qui est le mieux placé pour répondre à ma question.

Pouvez-vous m’en dire davantage au sujet de certaines répercussions environnementales auxquelles vous avez été confrontés en raison de projets hydroélectriques? Je vais demander ensuite à Mme Grande de répondre à certaines des préoccupations.

M. Dysart : Avez-vous toute la journée?

La sénatrice Simons : J’ai trois minutes.

M. Dysart : Je ne peux pas vous faire comprendre cela pleinement. Manitoba Hydro ne produit pas de l’énergie propre. Elle provoque carrément la destruction de l’environnement. Tout ce que je peux faire, c’est vous inviter à venir dans ma collectivité pour que vous puissiez voir ce qu’il en est de l’énergie propre, et j’utilise ce terme dans un sens extrêmement large.

Cette énergie est produite sur le dos de nos gens, de nos enfants et des générations futures. Nous sommes sacrifiés au nom de la production d’électricité. Dans certains cas, c’est inutile.

Nous produisons de l’électricité en abondance au Manitoba. Accroître le réseau ne s’est pas avéré être une très bonne chose pour Manitoba Hydro. Sa dette de 23,6 milliards de dollars en est la preuve. Elle a enchaîné les mauvaises décisions, tout en sacrifiant notre collectivité et nos enfants.

Des forêts boréales entières font partie de réseaux hydrographiques. On ne parle pas d’un événement unique. C’est un processus qui dure depuis plus de 46 ans. C’est en cours au moment où on se parle. Nous sommes soit inondés, soit asséchés à l’extrême. Il n’y a pas d’équilibre dans le Nord.

Je ne peux pas vous le faire comprendre pleinement. Vous devez voir cela par vous-même. Ce n’est pas un événement unique. C’est un processus continu qui est assujetti à une réglementation très laxiste. Manitoba Hydro ne respecte pas comme il se doit les modalités de la licence provisoire qu’elle a obtenue en 1973. Depuis 1979, elle ne respecte pas ces modalités. Elle mène ses activités dans le cadre d’une entente très souple avec la province qu’on appelle le programme d’augmentation du débit, qui occasionne carrément la dévastation qu’on peut observer.

L’approbation est accordée au moyen d’une simple lettre. Jamais n’y a-t-il eu d’évaluation d’impact ou encore d’évaluation approfondie des effets cumulatifs à l’échelle régionale.

J’en sais très peu sur le pétrole et le gaz, mais je sais que Manitoba Hydro mise sur l’expansion du secteur pétrolier et gazier. Elle n’a pas le choix parce qu’elle a perdu tellement d’argent. Elle pourrait sûrement se serrer la ceinture encore plus avant de diversifier la production d’énergie au Manitoba.

Récemment, la direction hypertrophiée de Manitoba Hydro a pris de nombreuses décisions intéressées qui ne favorisent pas nécessairement la province et l’environnement.

M. Scott : J’aimerais ajouter que de mauvaises décisions ont été prises et que de la réglementation faible a été mise en place. La ligne Bipolaire III a été construite sous prétexte qu’il pourrait y avoir une tornade. Elle va jusqu’à l’ouest de la province, elle traverse notre communauté et elle se rend jusqu’aux États-Unis. Ce n’est pas une bonne façon de faire des affaires.

Tant que la province du Manitoba régira sa propre société, les situations de ce genre perdureront. Nous aurons aussi toujours les mêmes problèmes si le gouvernement fédéral continue à ne pas exercer son droit fiduciaire de nous protéger des répercussions de ce type d’activités.

J’espère que les mesures contenues dans le projet de loi C-69 se retrouveront dans la réglementation et dans les politiques qui suivront l’adoption du projet de loi.

La présidente : Voulez-vous intervenir, madame Grande?

Mme Grande : Merci, monsieur Scott, merci, monsieur Dysart, de nous avoir fait part de votre point de vue.

Au nom de Manitoba Hydro, j’aimerais prendre un instant pour faire la distinction entre la production d’énergie, la compétence provinciale dont vous parlez, et la transmission, la teneur du projet de loi C-69. Nous sommes ici pour parler du projet de loi C-69 et des amendements devant y être apportés pour le rendre efficace, et pour qu’il soit adopté.

La sénatrice Simons : Hier, à Saskatoon, en Saskatchewan, des Autochtones nous ont dit qu’ils étaient très satisfaits des ententes sur les retombées locales qu’ils avaient conclues avec des sociétés comme Cameco. Ces sociétés semblaient déployer de grands efforts pour embaucher des travailleurs autochtones et pour acheter leurs matériaux de construction à des entreprises autochtones. Nous avons entendu des choses semblables à Fort McMurray.

Hydro Manitoba tente-t-elle de collaborer avec les communautés autochtones, d’embaucher des travailleurs autochtones et de conclure des ententes sur les retombées locales?

Je suis très troublée par ce que vous nous dites et j’aimerais en savoir plus sur vos rapports.

Mme Grande : Merci, sénatrice Simons. Oui, Manitoba Hydro déploie des efforts en vue de collaborer avec les communautés autochtones, et je peux vous donner des détails à ce sujet.

Nous avons un programme d’emploi très poussé pour les Autochtones. Plus de 19 p. 100 des employés de notre société sont autochtones. Plus important encore, les Autochtones représentent au-delà de 49 p. 100 de nos employés dans le Nord. À Keeyask, plus de 43 p. 100 du total des employés embauchés et plus de 29 p. 100 des employés actuels sont autochtones. Nous offrons des programmes préalables, des programmes de formation en cours d’emploi et des programmes de gestion des cours d’eau. Les possibilités d’affaires, les programmes et les objectifs ciblant les Autochtones sont nombreux.

M. Dysart : J’aimerais ajouter à cela. Je viens du Nord du Manitoba. C’est mon chez-moi. La plupart des programmes d’emploi mentionnés par la représentante de Manitoba Hydro sont des échecs totaux pour les résidents du Nord. Nous avons l’impression d’avoir été inclus après coup.

La représentante de Manitoba Hydro n’a pas mentionné le partenaire autochtone qui faisait partie du dernier projet complété à Wasagamack. J’étais membre de cette nation à l’époque. Il y a eu très peu d’embauches. Une grande partie des employés sont venus du Québec. C’était très bien pour le Québec et les gens du Québec, mais ce l’était moins pour les Autochtones du Nord. La plupart des programmes mentionnés existent, mais dans la majorité des cas, ils ne sont pas très fructueux et ils sont ajoutés après coup.

Le sénateur Patterson : Ma première question s’adresse aux représentantes de Manitoba Hydro. Nous avons recueilli le témoignage de l’Association canadienne de l’électricité. Vous en êtes sûrement membre. J’ai cru comprendre qu’elle avait collaboré avec l’Association canadienne des producteurs pétroliers et l’Association canadienne de pipelines d’énergie à l’élaboration des amendements proposés au projet de loi C-69.

Vous avez présenté sept recommandations à propos de problèmes qui doivent être réglés. Ma question est simple : les amendements proposés par l’Association canadienne de l’électricité comprennent-ils vos préoccupations, ou les problèmes que vous avez soulevés s’ajoutent-ils aux recommandations présentées par l’Association canadienne de l’électricité, l’ACÉ?

Mme Grande : Je peux confirmer que plusieurs des problèmes que nous avons soulevés dans notre mémoire et dans nos recommandations font partie des recommandations de l’ACÉ. Toutefois, nous avons aussi souligné des problèmes très importants concernant la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie proposée. Ces problèmes se rapportent principalement au traitement des lignes de transport d’électricité internationales et interprovinciales. À notre connaissance, ils n’ont pas encore été examinés en public.

Nous n’avons pas eu accès aux séances que votre comité a tenues durant la dernière semaine. Nous ne savons donc pas si d’autres groupes, entre l’Ouest du Canada et ici, ont soulevé des préoccupations relatives au manque de clarté entourant SaskPower.

Nous tenons absolument à attirer votre attention sur ce problème. Il vous a peut-être échappé. Il faut absolument se pencher sur cette question pour assurer la certitude, la prévisibilité et la clarté du processus, ce qui sera avantageux pour toutes les parties intéressées.

Le sénateur Patterson : Je tiens à dire à mes collègues et au comité que je suis très heureux que nous soyons venus au Manitoba. Je veux moi aussi parler des préoccupations des Autochtones.

On dirait qu’à chaque séance, des témoins attirent notre attention sur des points qui ne sont tout simplement pas abordés dans le projet de loi et qui nécessitent beaucoup de clarification. Je commence à penser que le projet de loi a dû être rédigé très rapidement tellement les lacunes sont nombreuses.

Les amendements qu’on nous recommande fortement d’apporter s’accumulent. Je vous remercie pour votre réponse. Aux témoins autochtones, j’aimerais dire que nous sommes venus au Manitoba pour vous entendre de vive voix. Je vous remercie pour vos témoignages.

J’ai deux questions. D’abord, je pense que c’est M. Scott qui a parlé de l’impossibilité de refuser. Pouvez-vous m’expliquer ce que vous entendez par là? Selon vous, les titulaires de droits dans les régions touchées par les projets devraient-ils avoir le dernier mot sur la réalisation de ces projets?

Nous avons tenu des séances à Ottawa et partout au pays. À l’extérieur de la capitale surtout, les gens nous disent qu’ils ne veulent pas qu’Ottawa empiète sur leurs plates-bandes.

En Alberta, on nous a dit que l’organisme de réglementation de l’énergie gérait la production gazière et pétrolière depuis des dizaines d’années. L’organisme est efficace, et tout le monde semble y faire confiance. Les Albertains sont d’avis que le gouvernement fédéral ne devrait pas venir s’ingérer dans leurs affaires; ils préfèrent avoir un organisme maison.

Nous fonctionnons aussi comme cela au Nunavut. Nous avons créé notre propre procédure, qui laisse beaucoup de place aux Autochtones.

Vous dites que vous voulez que le gouvernement fédéral intervienne. Vous ne faites pas confiance aux organismes de réglementation manitobains. Je pense que vous avez laissé entendre, monsieur Dysart, qu’il y avait un problème entre le propriétaire et celui qui octroie les licences. Ne serait-il pas préférable de mettre en place une procédure crédible gérée par les Manitobains plutôt que d’avoir recours à un organisme de réglementation basé à Ottawa?

Voilà mes deux questions.

M. Scott : Je vais commencer. M. Dysart a aussi quelque chose à dire.

Les projets de Manitoba Hydro ont des répercussions négatives sur nos vies, et ces répercussions sont grandes parce que nous n’avons pas le pouvoir de refuser. La province du Manitoba fait approuver les projets à la hâte. Nous connaissons le processus de la CEC. Manitoba Hydro sait qu’elle recevra sa licence; elle fait donc seulement mine de suivre toutes les étapes.

Selon l’article 91(24), le Canada doit agir dans l’intérêt supérieur des Indiens. Lorsque la construction des barrages dans le Nord a commencé, le ministre des Affaires indiennes, M. Warren Allmand, a déclaré : « Ce n’est pas dans votre intérêt supérieur, mais c’est le mieux qu’on puisse faire. » Il a omis d’ajouter : « aux dépens de vos vies et de votre mode de vie. »

C’est ce qui se passe ici parce que le gouvernement provincial est bénéficiaire des revenus générés par Manitoba Hydro. Aujourd’hui, le gouvernement punit Manitoba Hydro à cause de son déficit important. Tout le conseil d’administration a démissionné. Voilà les problèmes auxquels nous nous heurtons.

Les effets sur nos vies ne sont pas pris en considération et le savoir autochtone est minimisé. On nous dit : « Non, votre préoccupation est la suivante, et c’est votre seul sujet de discussion. » Voilà ce à quoi nous devons faire face. Nous avons dû insister pour que les répercussions de Manitoba Hydro sur la vie des Autochtones du Nord soient examinées, et c’est ce qui a mené à l’évaluation récente des effets cumulatifs et à ses conclusions. C’est là que toutes les activités criminelles se sont déroulées et continuent à se dérouler.

En ce qui concerne l’ONE, lorsqu’un projet a une incidence sur une réserve ou sur les Autochtones en général, je pense qu’en vertu de l’article 91(24) et des droits prévus à l’article 35, le gouvernement fédéral a la responsabilité d’examiner le dossier. Quand je parle des droits prévus à l’article 35, je ne veux pas dire les droits des chefs et des conseils. Ce droit m’appartient; il est protégé par la Constitution. Il n’appartient pas seulement aux chefs et aux conseils. Je dois permettre à mon chef et à mon conseil de parler de ce droit aux promoteurs du projet.

Voilà pourquoi je maintiens que nous devons avoir le pouvoir de dire que c’est tout simplement trop. Les répercussions sur nos vies sont trop grandes, et nous devons pouvoir dire non. Ce droit pourrait être accordé également aux municipalités et aux agriculteurs. Eux aussi ressentent les effets des projets de Manitoba Hydro. Nous essayons de défendre notre mode de vie dans les régions rurales à l’extérieur du périmètre de Winnipeg.

La présidente : Voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Dysart : Je serai bref. Je ne voulais pas dire qu’Ottawa devrait tout contrôler et tout décider, mais plutôt que nous devrions travailler ensemble comme partenaires. Depuis 60 ans, le Manitoba a une trop grande liberté en ce qui touche la réglementation de Manitoba Hydro et les licences qui lui sont octroyées.

Manitoba Hydro dirige le projet de dérivation de la rivière Churchill, que M. David Suzuki a décrit comme étant la plus grande expérience au Canada, voire au monde, en 1996. Elle doit être surveillée. La souplesse des ententes a pour résultat que nous sommes sacrifiés. Depuis 1979, elle ne respecte même pas les modalités très laxistes de la licence provisoire qu’elle a obtenue en 1973 pour le projet de dérivation de la rivière Churchill.

Ce que je propose, c’est que nous travaillions en partenariat avec les Premières Nations, et non seulement avec les chefs et les conseils. J’ai vu la façon très sélective dont la province et Manitoba Hydro choisissent avec qui elles collaborent, et j’utilise ce terme dans un sens très large.

Je représente une organisation ou une société qui a signé une entente avec Manitoba Hydro et la province en 1992. Elles refusent de nous parler depuis 2013.

La sénatrice McCallum : Je veux faire une observation avant de poser une question aux représentantes de Manitoba Hydro.

Pendant toute ma vie, j’ai vu les Autochtones tenter d’améliorer leurs rapports avec le Canada et le gouvernement fédéral. Le Canada a transféré une partie des responsabilités aux provinces, et aujourd’hui, les gouvernements provinciaux ajoutent une nouvelle couche de problèmes.

Nous ne pouvons pas isoler les différentes parties de nos vies et dire que tel projet de loi s’occupera uniquement de ceci et tel autre s’occupera seulement de cela. Chacun touche nos vies dans leur ensemble. Cette semaine, nos discussions ont porté sur le projet de loi sur les langues, le projet de loi sur la protection de l’enfance et le projet de loi sur l’évaluation d’impact. Tous ces projets de loi ont une incidence sur nous, et ils comportent tous des limitations ayant des conséquences imprévues. Nous essayons de corriger les problèmes mineurs causés par le fait que les lois existent en vase clos.

Une des préoccupations fondamentales concerne l’acquisition passée et actuelle des terres, y compris les terres qui traversent différentes communautés autochtones. À cela s’ajoute la question des revendications territoriales en suspens, dont certaines attendent un règlement depuis 26 ans.

J’ai visité South Indian Lake, Cross Lake, Norway House, Split Lake et Gillam. J’ai vu la dévastation causée par les projets de Manitoba Hydro. C’est pour cette raison que je recommande que le comité se rende dans le Nord afin de constater les dommages. C’est seulement en les voyant de ses propres yeux qu’on peut comprendre les effets cumulatifs.

Quand les terres ont été acquises et les gens de Chemawawin, de Fox Lake et de South Indian Lake ont été déplacés de force de votre site, j’ai cru comprendre que vous aviez été obligés de brûler les maisons. Les gens n’ont jamais reçu de compensation. J’ai lu l’histoire de Fox Lake, où les habitants ont été laissés au centre pendant que les maisons de Manitoba Hydro étaient construites. Ils n’avaient ni égouts ni eau, et les gens de Winnipeg se servaient de cette eau pour produire de l’électricité.

Quel est le processus aujourd’hui? Comment collaborez-vous avec les Premières Nations et comment traitez-vous les terres qui les entourent et les nourrissent?

Mme Grande : Merci, sénatrice McCallum, de nous avoir fait part de votre expérience. Je comprends vos préoccupations concernant les projets de loi et les vases clos. Je vous remercie d’en avoir parlé.

J’aimerais d’abord dire que je ne suis pas en mesure de parler en détail de projets particuliers qui ont été réalisés dans le passé et qui ont fait l’objet ou non de surveillance réglementaire. Toutefois, je peux vous informer que Manitoba Hydro a reconnu les torts qu’elle a causés aux communautés autochtones dans le passé et qu’elle a pris des mesures pour les réparer.

Notamment, nous examinons toutes les étapes du projet, y compris celle de l’acquisition des terres, pour faire en sorte de consulter les communautés autochtones dès que possible, lorsque les circonstances le permettent. Nous nouons le dialogue avec elles à l’étape de la planification préliminaire. Lorsque nous le pouvons, nous les appelons à participer dès que possible.

Jennifer Moroz, conseillère juridique, Manitoba Hydro : Je vais simplement ajouter quelque chose. Il est aussi important de dire que Manitoba Hydro reconnaît la diversité des différentes communautés autochtones. Lorsqu’il aborde la question de la participation, il le fait communauté par communauté. Il comprend que différentes communautés aiment employer différentes méthodes. Les ententes conclues dans le cadre de cette participation, telles que les ententes sur les retombées locales, sont conçues sur mesure selon la communauté.

Ce type d’approche pour faire participer les peuples autochtones et régler leurs préoccupations a été conçue au fil du temps et à la lumière des leçons passées que Manitoba Hydro a tirées de ses divers projets, qu’ils soient en lien avec la génération ou la transmission.

M. McLachlan : Je suis certain que mes collègues aimeraient répondre à cela. L’un des discours que l’on tient, c’est que les répercussions sont chose du passé et que l’approche est quelque peu différente de nos jours. Nous avons tous les trois participé au processus de l’ONE dans le cadre du plus récent projet international de transmission. Je me suis penché de façon approfondie sur le dossier en rédigeant un rapport d’expert sur Wa Ni Ska Tan pour l’ONE.

Ce qui s’est passé au niveau des services, c’est que les communautés autochtones touchées ont reçu un peu d’argent pour réaliser leurs études sur le savoir traditionnel. Ensuite, l’électricité est devenue la ressource dominante dans leurs évaluations des répercussions fondées sur des données scientifiques. Au moment de présenter les données au comité d’audience de l’ONE et de tenir des discussions avec le comité, il était clair que Manitoba Hydro n’a porté aucune attention à ce que la communauté a dit. Dans un sens, cela n’a fait que perpétuer les répercussions qui préoccupaient les communautés.

Dans ce cas-ci, il était question des fréquences électromagnétiques. C’était l’utilisation de pesticides. C’était les répercussions du corridor des plantes aux fins d’utilisation traditionnelle et pour les espèces fauniques. Dans le cadre du dialogue, Manitoba Hydro était complètement sur la défensive. Il n’incluait pas les autres parties. Il ne communiquait pas avec elles. Il ne les consultait pas. Au final, comme en fait état le rapport de l’ONE qui a été rendu public il y a seulement quelques mois, le projet semble aller de l’avant. Sur papier, oui, le projet semble impressionnant, mais en réalité, rien n’a changé au cours des 40 dernières années.

La présidente : Monsieur McLachlan, vous avez mentionné dans votre réponse que vous avez rédigé un rapport. Pensez-vous que vous pourriez le faire parvenir à notre greffière?

M. McLachlan : Bien entendu. M. Scott a également rédigé un rapport. Nous pouvons vous faire parvenir ces rapports.

La présidente : Nous avons trois derniers intervenants : le sénateur Carignan, le sénateur Neufeld et le sénateur Plett.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse aux représentants de Manitoba Hydro. Vous avez parlé du principe de proportionnalité. Je trouve ça intéressant. C’est la première fois qu’on l’entend dans le cadre des différents témoignages. Pouvez-vous nous expliquer brièvement ce que vous entendez par principe de proportionnalité?

Je suis avocat et dans les procédures civiles au Québec, une disposition est prévue en ce qui a trait au respect du principe de proportionnalité lorsqu’il y a des démarches ou un choix de moyens et de preuves. Tout cela doit se faire en fonction des coûts et du temps exigés proportionnellement à la nature, à la complexité et à la finalité de la demande. C’est un peu le concept dont il s’agit.

Un principe comme celui-là devrait-il être inscrit dans la loi lorsque l’Agence fixe certaines exigences ou demande certaines études? Est-ce que le ministre devrait l’inclure dans ses critères de décisions? Pouvez-vous nous expliquer votre concept? Je trouve ça intéressant.

[Traduction]

Mme Moroz : Je pense pouvoir répondre à cette question, sénateur. Oui, nous croyons certainement que la proportionnalité est un élément très important du processus de réglementation. Pour vous donner un exemple concret, on a beaucoup mis l’accent sur la construction d’une nouvelle ligne de transmission internationale ou d’un nouveau pipeline.

Cependant, si on examine les quatre lignes de transmission internationales existantes de Manitoba Hydro, l’une de ces lignes de transmission a été soumise à l’étude de l’Office national de l’énergie pour être modifiée. Manitoba Hydro a un certain nombre de préoccupations que le projet de loi ne règle pas en ce qui concerne ces types de projets.

Comme vous l’avez dit, la proportionnalité est un élément important. La portée des modifications à une ligne de transmission internationale peut être très vaste. Il peut s’agir de modifications mineures où l’on retire une tour pour la remplacer par une autre ou d’un projet de restructuration assez important où l’on reconfigure complètement la ligne et augmente son voltage.

La façon dont le projet de loi actuel fonctionne pour ces types de projets est essentiellement semblable à la façon dont l’Office national de l’énergie fonctionne à l’heure actuelle. Il y a simplement une disposition dans la loi qui traite seulement des modifications aux lignes pour lesquelles un certificat a été émis avant juin 1990. Il n’existe aucune disposition qui porte sur les lignes devant être modifiées qui ont reçu une autorisation par l’entremise d’un permis. Il n’existe aucune disposition également à propos de certificats qui ont été émis après juin 1995. Les lignes de Manitoba Hydro font partie de ces catégories ou feront partie de cette catégorie si une autre ligne est autorisée.

Il n’y a qu’une seule disposition, comme je l’ai dit, qui porte sur une modification. C’est une disposition assez simple. Avec ce type de vide, Manitoba Hydro s’inquiète que la pratique actuelle de l’Office national de l’énergie pour traiter ces questions consiste simplement à maintenir la commission.

À l’heure actuelle, en raison d’un manque de détails dans la mesure législative, le Guide de dépôt sur l’électricité détermine le type d’exigences à mettre en application. Dans le cadre de l’expérience de Manitoba Hydro, l’office applique toutes les exigences qui sont requises pour la construction d’une nouvelle ligne de transmission à toute modification à une ligne existante, aussi petite soit-elle.

Il faudrait que toutes ces approbations soient accordées par la commission en vertu du nouveau projet de loi. Manitoba Hydro ne pense pas qu’elle tient compte de la proportionnalité. Elle ne se penche pas sur la nature du projet et n’examine pas s’il est simple ou complexe. Il est injuste pour le promoteur d’être soumis à une analyse aussi rigoureuse pour un projet qui n’est pas aussi complexe que le Projet de ligne de transmission Manitoba-Minnesota.

[Français]

Le sénateur Carignan : Si je comprends bien votre réponse, vous suggérez de repenser la structure de la loi quant à cette partie, mais vous n’allez pas jusqu’à demander le concept que j’ai expliqué, soit qu’il y ait une disposition ou une obligation de tenir compte du principe de proportionnalité lorsque le ministre prend une décision ou que l’Agence décide d’imposer ou de demander certaines études. Iriez-vous jusque-là?

[Traduction]

Mme Moroz : Oui, je ne suis tout simplement pas encore rendue là.

Nous pensons que la mise en œuvre du concept d’un agent désigné pourrait grandement contribuer à régler la question de la proportionnalité. Si vous ajoutiez dans le projet de loi C-69 des exigences de base très simples pour l’application de modifications, s’il y avait des agents désignés qui auraient clairement le pouvoir d’analyser et d’examiner la portée de ces projets, le pouvoir de demander des renseignements additionnels, s’il y a lieu de le faire, selon la portée ou la complexité du projet, et le pouvoir de rendre des décisions sur des questions mineures, cela pourrait grandement contribuer à régler la question de la proportionnalité pour ces types de projets.

Cependant, on appuierait certainement aussi la proportionnalité dans l’exercice d’autres fonctions, notamment le rôle ministériel, pour désigner des lignes de transmission interprovinciales afin d’exiger une réglementation en vertu de la Loi sur l’évaluation d’impact notamment.

Oui, nous souscrivons certainement au concept de la proportionnalité dans le cadre de la mesure législative, mais nous voulons nous assurer que les gens ne mettent pas seulement l’accent sur les nouvelles lignes, mais qu’ils prêtent aussi attention à toutes les modifications qui sont apportées aux lignes existantes.

La présidente : Sénateur Plett, voulez-vous poser la dernière question?

Le sénateur Plett : Je m’excuse au comité d’être arrivé un peu en retard. Mon vol a atterri ce matin, comme bon nombre d’entre vous le savent.

Mes questions et mes observations porteront un peu plus sur les erreurs passées que sur les erreurs futures en lien avec le projet de loi C-69.

Tout comme la sénatrice McCallum, j’ai vécu une bonne partie de ma vie dans le Nord du Manitoba. J’ai certainement passé beaucoup de temps à South Indian Lake à travailler à des projets liés au logement et au système scolaire dans une vie antérieure. Je suis certainement au courant d’une partie des effets dévastateurs à South Indian Lake. Je comprends en partie ce que vous ressentez.

Je suis également du Manitoba. Je viens du Manitoba rural. M. Scott a mentionné les répercussions sur les régions rurales du Manitoba. Je suis en dehors du périmètre à environ 40 kilomètres au sud-est d’ici, à Landmark. Je veux parler brièvement du projet Bipole III qui a été mentionné. Bon nombre d’entre nous ont déployé des efforts considérables et ont mené la charge pour que la ligne Bipole III soit bâtie sur le côté ouest du lac plutôt que sur le côté est. C’était plus d’un milliard de dollars additionnels pour le construire sur le côté est que sur le côté ouest. Bipole III part du côté est du lac, se rend au sud de Winnipeg, puis à l’ouest, et passe juste à côté de ma communauté, à deux milles d’où j’habitais auparavant.

Ces décisions ont été prises par un gouvernement provincial différent. Je ne sais pas si nous pouvons blâmer Manitoba Hydro pour cela. C’était davantage une décision prise par le gouvernement que par l’entreprise, mais pourriez-vous m’expliquer brièvement quelles auraient été les répercussions sur le projet Bipole III si la ligne avait été construire sur le côté ouest? Cela aurait-il été mieux ou pire pour ce qui est de certaines des questions que vous soulevez?

Membre de l’audience : Sauf votre respect, sénateur, vos renseignements sont erronés.

Le sénateur Plett : Pardonnez-moi, madame la présidente, mais ma question s’adresse au témoin. Je pense que les gens qui veulent prendre la parole doivent être excusés.

La présidente : Oui. Je pense que nous allons...

Membre de l’audience : Je suis désolé de m’opposer à ce que vous dites. Je m’excuse sincèrement auprès des intervenants et des sénateurs, mais je m’inscris en faux...

Le sénateur Plett : Là encore, madame la présidente, je ne pense pas que cette personne figure sur la liste des témoins.

La présidente : Nous sommes d’accord...

Membre de l’audience : Je ne pense pas qu’aucune autre loi dans l’histoire du Canada...

La présidente : Nous sommes d’accord...

Le sénateur Plett : J’espère qu’on est en train de tout effacer.

Membre de l’audience : Je vais descendre tenir une conférence de presse et expliquer que les normes...

Le sénateur Plett : C’est l’endroit où vous devriez aller.

La présidente : Nous allons suspendre la séance.

Le sénateur Plett : Merci, madame la présidente. Pourriez-vous poursuivre, s’il vous plaît?

M. Scott : J’ai oublié la question.

Le sénateur Plett : La question est la suivante : les répercussions environnementales et économiques auraient-elles été très différentes?

De toute évidence, les contribuables canadiens savent que les répercussions économiques s’élevaient à bien plus d’un milliard de dollars. Comme vous le savez, nous vendons notre électricité au sud de la frontière pour une fraction de ce que nous la payons ici même dans les régions du Sud et même dans les régions du Nord du Manitoba.

M. Scott : Nous étions convaincus que le projet Bipole III était nécessaire pour veiller à ce que nous ayons de l’électricité dans le Sud. C’est ce qu’on nous a fait savoir. Oui, vous avez raison. Les politiciens ont pris la décision de construire la ligne là où elle est aujourd’hui. C’était effectivement un gouvernement différent.

Le fait est que nous devons éliminer le plus possible l’ingérence politique dans certains des projets que nous devons mener pour protéger l’environnement. Le régime de Manitoba Hydro ici et le processus de délivrance des permis de la province sont inacceptables. C’est absolument inacceptable en raison des décisions politiques qui sont prises.

Oui, la société doit continuer de vendre de l’électricité pour maintenir nos taux à des niveaux faibles. Cela ne veut pas dire qu’elle devrait avoir un permis pour faire tout ce qu’elle veut faire en vertu du pouvoir que la province du Manitoba lui a conféré. Cela ne devrait pas se produire. Nous ne nous opposons pas au développement. Faites les choses correctement et n’ayez pas autant de répercussions sur nos vies.

Quand devrions-nous cesser de construire des barrages? Nous avons un barrage dans la région en ce moment, Wuskwatim. Il ne génère pas de revenus, mais il verse beaucoup d’argent. Jetez-y un coup d’œil. C’est ce que je veux dire par l’ingérence politique dans ce processus par l’entremise de permis octroyés à la société d’hydroélectricité. Examinez ce qui se passe avec la société.

La présidente : Merci. Voulez-vous ajouter quelque chose? Soyez très bref, s’il vous plaît.

M. Dysart : Je vais essayer d’être bref. Il y a bien des choses que je veux ajouter, mais nous pouvons peut-être en discuter plus tard.

La présidente : Vous pouvez remettre ultérieurement un mémoire plus long à la greffière.

M. Dysart : Un permis pour détruire. J’ai examiné le projet Bipole III de façon un peu plus approfondie que le débat entre le côté est et le côté ouest. Je crois que c’était un argument. Le débat était alimenté par l’industrie. La vraie question est la suivante : avions-nous besoin de la ligne Bipole III? La réponse était non. Oubliez le débat entre le côté est et le côté ouest. Nous n’avions pas suffisamment de production d’énergie à l’époque ou nous n’en avons pas assez à l’heure actuelle pour la ligne Bipole III, un point c’est tout. Elle n’était pas nécessaire.

La question de la fiabilité était la seule justification qu’on a pu trouver. C’est comme quelqu’un qui achète deux voitures, car une pourrait tomber en panne. Qui fait cela?

Vous parlez d’erreurs passées. Des erreurs sont commises à l’heure actuelle qui aggravent les conséquences environnementales et socioéconomiques dévastatrices. J’aimerais pouvoir revenir à l’époque lorsque vous étiez à South Indian Lake. Même au pire de la situation, c’était mieux qu’en ce moment.

La présidente : Merci beaucoup. Sur ce, nous avons conclu les questions pour ce groupe de témoins.

(La séance est suspendue.)

(La séance reprend.)

La présidente : Je veux adopter la motion dont nous avons discuté, sénateur Richards et sénatrice McCallum :

Que, nonobstant la pratique habituelle et conformément au paragraphe 12(17) du Règlement, le comité soit autorisé à entendre des témoignages les 12, 23, 24, 25 et 26 avril, sans le quorum, si au moins deux membres du comité sont présents.

Est-elle adoptée?

Des voix : D’accord.

La présidente : Pour notre troisième groupe de témoins, nous accueillons, du Centre juridique d’intérêt public pour l’Association des consommateurs du Canada (Manitoba), Byron Williams, directeur, et de la Nation crie de Chemawawin, le chef Clarence Easter.

Nous allons commencer avec vos exposés liminaires, puis nous passerons à la période des questions.

Clarence Easter, chef, Nation crie de Chemawawin : Merci beaucoup et bonjour, mesdames et messieurs honorables sénateurs. [Le témoin s’exprime en langue autochtone.]

Ma communauté de la Nation crie de Chemanwawin compte approximativement 1 500 membres qui vivent sur la réserve située à environ cinq heures au nord de Winnipeg. Je suis ici aujourd’hui pour discuter de la priorité qu’accorde notre communauté à la santé.

En 1964, ma communauté a été contrainte de se relocaliser entièrement pour permettre l’inondation de Cedar Lake et des régions avoisinantes. L’inondation d’environ 200 000 hectares a placé la majorité de nos terres traditionnelles et de notre communauté sous l’eau pour créer ce qui est maintenant connu comme étant le réservoir de la centrale de Grand Rapids et la région de gestion des ressources de Cedar Lake comme nous la connaissons aujourd’hui.

Nous n’avons pas eu notre mot à dire concernant la relocalisation et son incidence sur notre aire de ressources. Pendant des décennies, nous avons eu du mal à nous relever de cette relocalisation et de ce changement complet de vie. Notre mode de vie et nos habitudes ont été chamboulés du jour au lendemain, en cinq minutes. Je ne saurais vous expliquer la portée des répercussions environnementales, sociales, culturelles et financières de ce projet sur notre peuple. En dépit de cela, nous sommes disposés à nouer une relation de travail avec la Couronne et à faire fond sur les programmes actuels pour gérer notre aire de ressources.

Il y a environ 10 ans, j’ai dû prendre du recul et réviser les priorités de ma communauté. Après des années d’opérations sans surveillance et d’aide de nombreux soi-disant experts et consultants, ma communauté était en train de sombrer dans une situation où elle était confrontée à un avenir très sombre.

Notre situation financière était en passe de faire l’objet d’une intervention par un tiers. Nos infrastructures communautaires s’étaient détériorées en raison d’un manque de fonds et de ressources. Nous avions un projet de logement important qui ne pouvait pas être mené à bien et qui était à risque d’être annulé. Notre taux d’emploi n’avait jamais été aussi bas. Nos programmes en matière de santé étaient en baisse et ont continué de baisser depuis. Je devais changer notre façon de faire et notre priorité globale.

J’ai décidé que le thème principal pour notre communauté consistait à améliorer la santé. J’ai dit à mon peuple, « Nous devons suivre une nouvelle feuille de route ». La première étape a été de trouver un partenaire pour nous aider dans le cadre de notre restructuration opérationnelle et financière. Étant animés par cet objectif, nous avons fait augmenter de plus de 10 millions de dollars la dette opérationnelle et avons stabilisé nos finances de manière à être dans une situation financière plus saine.

Nous nous sommes ensuite penchés sur la sécurité d’emploi et les emplois à long terme en administrant nos zones de gestion des lacs et des ressources afin de ramener notre lac à un état sain et sécuritaire. Nous avons travaillé à rétablir l’industrie de la pêche dévastée à la suite de la fermeture complète du lac pendant cinq ans, afin de contribuer à renouveler nos stocks de poissons.

Malgré les effets dévastateurs occasionnés par notre relocalisation et l’inondation de notre mode de vie, nous avons élaboré nos ententes sur la gestion des ressources pour que nous puissions travailler en partenariat avec la Couronne et l’industrie. Nous employons actuellement environ 120 membres de la bande chaque année par l’entremise de ces programmes. Nous en sommes à la huitième année d’une entente renouvelable de 50 ans.

Après nos initiatives axées sur la région de gestion des ressources, nous avons consacré nos efforts aux infrastructures désuètes ou inexistantes. Comme nous n’avons pu obtenir l’aide d’AINC, à l’époque, nous avons financé notre propre plan communautaire pour plus de 800 000 $ afin de définir nos besoins actuels et futurs sur un horizon de 20 ans.

Nous avons commencé par les problèmes liés aux systèmes d’approvisionnement en eau et de traitement des eaux usées, qui avaient été négligés pendant des années. Nous avons entrepris la tâche colossale de créer un système de drainage efficace et d’améliorer notre réseau routier. L’idée était de solidifier les assises routières pour repaver les routes. Nous avons réussi à obtenir du financement classique il y a environ quatre ans, et nous avons terminé le pavage de toutes les routes de notre communauté.

Aux alentours de 2012, nous avons établi un partenariat avec un centre de santé de la ville pour que nos membres aient accès à un hébergement sûr pendant leurs séjours en ville. De plus, en collaboration avec trois autres collectivités mal desservies, nous avons lancé une initiative dans le Nord pour trouver des solutions pour les services de santé pour nos membres. Depuis maintenant trois ans, nous avons une équipe de mieux-être mental pleinement opérationnelle qui offre des services directement dans les collectivités et des cours de préparation à la vie quotidienne. Il s’agit de cours en groupe offerts à nos membres dans nos installations, ici en ville.

Au cours de la dernière année, nous avons recruté trois médecins qui offrent également des services à nos membres, tant dans nos collectivités qu’en ville. Il s’agit de solutions autochtones pour les Autochtones, en partenariat avec des organismes privés et publics.

Je suis ici aujourd’hui pour vous demander de nous aider à poursuivre nos efforts d’amélioration de notre santé globale. Outre votre appui à la recherche de meilleurs services de santé pour la communauté et nos membres, je vous demande d’appuyer nos efforts continus visant à assurer la santé de notre région de gestion des ressources, pour éviter qu’elle ne devienne vulnérable aux projets et au développement à l’avenir.

Nous demandons à Transports Canada, pour l’inscription à l’annexe des voies navigables importantes, de veiller à accorder une plus grande priorité à l’examen d’éventuels projets ou travaux de développement dans la région de gestion des ressources de Cedar Lake. Nous demandons également que Transports Canada conclue avec notre collectivité un accord de partenariat fondé sur nos programmes et notre expertise pour la cogestion de la navigation dans cette région.

Nous vous demandons également d’envisager de modifier l’article 27 de la Loi sur la protection des eaux navigables afin d’y inclure des ententes et des arrangements, pour que Transports Canada puisse reconnaître la compétence d’une Première Nation qui a déjà une entente de cogestion d’une voie navigable avec la Couronne, surtout lorsque la voie navigable fait partie intégrante de la culture et de l’économie de la Première Nation.

Merci de m’avoir accordé votre temps aujourd’hui et de m’avoir permis de présenter mon point de vue. J’espère que vous pourrez nous aider à continuer à bâtir l’avenir. Nous proposerons des amendements sous peu.

La présidente : Allez-vous transmettre ces renseignements supplémentaires à la greffière du comité?

M. Easter : Oui.

Byron Williams, directeur, Centre juridique d’intérêt public, Centre juridique d’intérêt public pour l’Association des consommateurs du Canada (Manitoba) : Madame la présidente, membres du comité, bonjour.

Aujourd’hui, je suis accompagné de Mme Gloria Desorcy, directrice générale d’ACC Manitoba, et de Mme Patricia Fitzpatrick, de l’Université de Winnipeg, qui sont assises à la deuxième rangée. Elles ont collaboré à ce projet selon les instructions d’ACC Manitoba.

C’est un grand honneur pour moi d’être ici aujourd’hui devant le comité permanent et, évidemment, d’être sur les terres visées par le Traité no 1, au cœur même de la nation métisse.

Nous avons fourni deux documents au comité. Le premier est une présentation PowerPoint de sept pages, intitulée « An Uneasy Compromise ». Nous vous avons également remis un document d’une page intitulé « Canadian Legislators and Consumer Engagement ». Nous nous concentrerons sur la présentation PowerPoint, mais nous vous avons ajouté ce document d’une page parce que le critère des « personnes directement touchées » a suscité beaucoup de discussions au cours des consultations à Calgary. Nous voulions donner au comité des exemples d’organismes de réglementation canadiens qui travaillent de façon novatrice pour intégrer les points de vue de milliers de Canadiens.

Sur cette page, vous avez des exemples de la méthode utilisée par le CRTC l’automne dernier dans le cadre d’une enquête sur les pratiques de vente au détail, à laquelle ont participé plus de 9 000 Canadiens, ou de celle de la Régie des services publics lors des récentes audiences sur les tarifs, à laquelle plus de 2 300 Manitobains ont participé. Il s’agit d’approches novatrices qui visent à accroître plutôt qu’à réduire la participation du public. Du point de vue de la clientèle, l’un des messages clés que nous souhaitons transmettre au comité est qu’il existe des méthodes novatrices plus rapides que les processus environnementaux, et qu’elles peuvent aussi être plus utiles.

Vous vous demandez peut-être ce qu’une association de consommateurs vient faire ici pour parler d’évaluation d’impact environnemental. Au fil des 60 dernières années, au Manitoba, et après 20 ans d’évaluations d’impact, nos clients ont acquis la certitude qu’ils ont, en tant que consommateurs, la responsabilité d’examiner les produits qu’ils achètent et de prendre en compte les répercussions de la fabrication de ces produits sur la santé, la société et l’environnement. En tant que consommateurs, ils sont directement touchés.

Quant à la contribution de l’ACC, nous avons préparé cette présentation à trois, en équipe, en nous fondant sur notre expérience dans au moins 10 grands projets d’évaluation environnementale provinciaux et fédéraux ou d’autres types d’évaluations, pour des projets dont la valeur totale dépasse les 30 milliards de dollars, notamment des projets d’hydroélectricité. Nous avons également participé activement à l’évaluation de projets de pipelines. Dans ce cas, il nous a semblé évident que l’Office national de l’énergie n’avait pas un processus d’examen des preuves rigoureux relativement aux pipelines.

À la page 3 de notre présentation, nous faisons valoir que malgré l’effervescence, les débats et la polémique que suscitent les lois fédérales — comme vous le savez très bien —, il y a eu d’intéressantes innovations au Manitoba, dont certaines sont plus réussies que d’autres. Il s’agit de l’élaboration d’énoncés des incidences environnementales, non seulement d’un point de vue juridique et scientifique occidental, mais aussi du point de vue autochtone et d’une vision du monde crie. Cela comprend l’évaluation des effets cumulatifs régionaux dans le bassin hydrographique très compromis du fleuve Nelson. L’évaluation comportait de nombreuses lacunes, mais elle a aussi permis d’établir une corrélation entre certains de ces projets et la violence faite aux femmes.

Au Manitoba, nos clients font l’expérience directe de l’évaluation axée sur la durabilité. Manitoba Hydro a créé sa propre version et traite directement d’enjeux comme les changements climatiques dans le cadre de son analyse des avantages des comptes multiples. Ce concept n’inspire pas autant de crainte chez nos clients que ce qu’on voit ailleurs.

Le Manitoba innove aussi sur le plan de la surveillance, ce qui comprend la participation des Premières Nations. Nous sommes la première administration à avoir effectué deux analyses des faits afin d’évaluer les progrès et de déterminer comment gérer ces projets de façon adaptative. Fait intéressant, le Manitoba a connu de nombreux échecs. Cette analyse distincte a entraîné l’abandon d’un projet hydroélectrique de 10,5 milliards de dollars qui n’était manifestement pas adapté aux réalités du marché.

Je ne consacrerai pas beaucoup de temps à la quatrième diapositive, mais j’insiste sur l’importance d’une participation précoce significative. La participation du public peut contribuer à l’amélioration des projets raisonnables, à réduire la controverse entourant leur approbation et à cerner rapidement les projets à risque élevé.

J’aimerais aussi attirer votre attention sur le troisième point sur l’importance des effets cumulatifs, surtout dans le contexte du Manitoba. Vous avez entendu le sénateur du Manitoba en parler plus tôt. Les bassins hydrographiques des fleuves Nelson et Churchill sont très fragilisés. D’autres activités pourraient constituer un important point de bascule sur le plan environnemental. Au Canada, dans les régions très fragilisées, il est difficile pour un promoteur de prendre en compte, à lui seul, l’ensemble du contexte régional dans l’évaluation des projets. Pour nos clients, cela souligne l’importance des évaluations régionales des effets cumulatifs.

À la cinquième diapositive, nous présentons certains éléments prometteurs du projet de loi C-69 relevés par nos clients. Un des éléments est lié au processus. Une vaste consultation menée sur une très courte période, encore une fois, a permis d’entendre plus de 1 000 personnes venues témoigner en personne. En outre, plus de 500 mémoires écrits ont été reçus.

Nos clients considèrent aussi que la planification précoce de la participation de l’agence afin de favoriser une participation significative du public est un autre aspect prometteur. Ils voient cela comme une façon d’améliorer les bons projets et de signaler les projets néfastes. Ils voient aussi d’importantes possibilités d’orienter les décideurs, les participants et le public de manière transparente.

Je fais cela souvent, contrairement à d’autres. Selon nos clients, l’article 22, qui porte sur les facteurs, l’article 63, qui porte sur le critère de l’intérêt public, et l’article 65 sont importants pour améliorer la reddition de comptes au public et la qualité du processus décisionnel. Mon amie, Mme Orenstein, que je connais bien et avec qui j’ai travaillé, est une brillante épidémiologiste. Toutefois, je ne partage pas ses préoccupations au sujet du paragraphe 65(2). Je pense que le paragraphe 65(2) reflète simplement ce que la Cour suprême du Canada a affirmé, soit que les décisions doivent être transparentes, justiciables et intelligibles.

Nos clients ont diverses préoccupations au sujet du projet de loi C-69. Elles figurent à la page 6, mais j’aimerais attirer votre attention sur la troisième. La loi protégera-t-elle l’eau du Manitoba? Je ne peux l’affirmer. Nous avons inclus une citation d’un Cri du Nord du Manitoba. Il parle de la destruction d’une pêcherie de subsistance autrefois prospère, la pêche à l’esturgeon; de la surpêche de l’omble de fontaine; des effets cumulatifs considérables, largement non surveillés et de l’absence de mesures d’atténuation et de remise en état. Gardez à l’esprit ce bassin hydrographique très fragilisé et très vulnérable et réfléchissez au rôle que le Canada pourrait jouer. Compte tenu de la situation des espèces en péril, des terres de la Couronne, des réserves des Premières Nations et des eaux sur lesquelles on navigue depuis des temps immémoriaux, il faut se rendre à l’évidence : le gouvernement du Canada n’a rien fait pendant que la LCEE de 1992 et la LCEE de 2012 étaient en vigueur. La question qui se pose est la suivante : ce projet de loi fait-il progresser le Canada à cet égard? Nos clients n’en sont pas convaincus.

Premièrement, beaucoup de recommandations réfléchies ont été présentées au comité. Le délai pour l’adoption du projet de loi est serré. Nos clients ont des recommandations plus modestes; elles figurent à la page 7. L’une de ces recommandations est de reconnaître la nécessité et l’importance d’une participation significative du public. Cela devrait être défini à l’article 2 de la Loi sur l’évaluation d’impact. Nous proposons une définition dans notre document.

Deuxièmement, si le projet de loi vise la transparence, lorsque les rapports de surveillance sont préparés par les promoteurs, ne devrait-il pas y avoir une obligation de publier les rapports publics et de les rendre facilement accessibles?

Troisièmement, pour améliorer la protection ou l’outil d’évaluation des effets cumulatifs régionaux, nous proposons de modifier le paragraphe 97(1) pour obliger le ministre à établir la liste des régions prioritaires afin d’examiner de près les régions très vulnérables, les perspectives d’avenir dans ces régions et, pour parler franchement, réduire le fardeau des promoteurs.

Nous sommes très reconnaissants de l’occasion de témoigner. C’est avec plaisir que nous répondrons aux questions du comité.

Le sénateur Richards : Chef Easter, je suis heureux de vous voir ici.

Chaque fois que le gouvernement fédéral semble faire quelque chose pour aider une espèce ou une partie de ma province, il finit par nuire accidentellement à autre chose. Je parle de manière générale. Je ne sais pas comment le gouvernement peut cerner certains de vos problèmes, mais c’est un peu la même chose. Il y a 20 ans, pour sauver l’achigan, le gouvernement en a interdit la pêche sur la rivière Miramichi. Cela a dévasté notre saumon, et maintenant nous luttons pour le sauver.

Avec les phoques, c’était la même chose. On a interdit l’abattage des phoques, et on compte maintenant tellement de phoques dans le détroit de Northumberland que cela nuit encore plus au saumon. Il semble que chaque fois que le gouvernement s’occupe d’une chose, il en détruit une autre. C’est une partie du problème pour toutes les mesures prises dans les réserves, pour la faune et dans l’ensemble du pays. Au Nouveau-Brunswick, on utilise de l’agent Orange pour arrêter la croissance le long des lignes de transport d’électricité. Bien sûr, 500 personnes sont mortes parce que l’agent Orange était dévastateur. On l’ignorait, à l’époque, mais c’est ce qui s’est passé.

Ma question porte sur un aspect légèrement différent. Excusez la digression. Vous parliez des aspects liés à la santé. Dans mon autre vie, j’ai été mentor pour beaucoup d’enfants des Premières Nations qui fréquentent l’école, jusqu’à l’université. D’après nos discussions avec le chef Ganesh et d’autres, l’éducation est l’une des principales préoccupations dans les réserves. Quand vous parliez de santé, je pensais au fait qu’il y a une chirurgienne issue des Premières Nations au pays. Je sais que le sénateur McCallum est dentiste. L’absence de spécialistes de la santé issus de la communauté doit avoir une incidence sur les réserves, sur les gens. Que peut-on faire pour aider les Premières Nations à compenser cela pour s’assurer que leurs enfants ont une meilleure éducation? Ce serait formidable que les membres des Premières Nations puissent consulter un médecin des Premières Nations. Je ne pense pas que c’est possible, au Canada.

Pourriez-vous faire des commentaires à ce sujet?

M. Easter : Je vais répondre à votre question en vous parlant un peu de notre façon de voir les choses. Nous regardons les choses pour comprendre notre environnement, pour comprendre ce que font nos terres et pour comprendre ce que fait le lac. Actuellement, nous ne comprenons pas le lac Cedar. Qu’est-ce qu’il fait? Nous devons le savoir pour nous y adapter. En ce moment, nous ne nous adaptons pas à notre environnement. Beaucoup de nos gens sont malades à cause de notre environnement.

Par exemple, nous avons eu un problème avec les chiens. Avant, nous savions quoi faire, mais depuis notre arrivée dans la zone de réinstallation, nous avons des difficultés. Ils courent partout. Nous avons pris la situation en mains au cours des 10 dernières années. Nous organisons une clinique canine tous les six mois. Tout le monde doit comprendre comment s’occuper des chiens. Nous offrons la stérilisation. Nous nous occupons également des chiens errants. On les capture et on les donne. Nous avons capturé plus de 400 chiens au cours des trois dernières années et stérilisé plus de 350 chiens. Cela a fonctionné. Il n’y a plus de chiens errants maintenant. C’est un environnement; nous comprenons cela. Nous essayons de comprendre les chiens en fonction de cet environnement. Pour ce qui est de l’environnement du lac, nous devons comprendre comment il fonctionne. Nous devons comprendre les résultats de la surveillance et nous y adapter.

Le sénateur Richards : Je suis tout à fait d’accord avec vous. Les mêmes problèmes et la même situation se produisent dans les réserves de ma province, le Nouveau-Brunswick. J’ai grandi près de trois réserves et leurs habitants font face aux mêmes types de problèmes.

Je présume que ma question s’écartait un peu du sujet, mais le chef Ganesh et d’autres intervenants nous ont dit que plus les jeunes des Premières Nations faisaient des études postsecondaires, plus les chances sont élevées qu’ils reviennent dans les réserves pour aider à résoudre ces problèmes. C’est le point que je tentais de faire valoir.

M. Easter : Cela peut aussi aider, mais dès que les gens font des études, ils quittent la réserve pour aller travailler ailleurs.

Le sénateur Richards : C’est également un problème, monsieur. Je le reconnais.

M. Easter : Nous devons développer nos collectivités pour encourager les gens à revenir. Le problème, maintenant, c’est que lorsque les gens font des études, ils vont travailler ailleurs.

Le sénateur Richards : Oui.

M. Easter : Nous devons bâtir l’infrastructure nécessaire pour veiller à ce qu’ils reviennent dans notre collectivité.

Le sénateur Richards : Voilà.

M. Easter : C’est la raison pour laquelle nous avons cet établissement de santé à Winnipeg. Nous rassemblons tous les médecins de la ville et nous les envoyons dans les collectivités. Les médecins ne sont pas obligés de déménager dans les collectivités dans lesquelles ils travaillent. Nous pouvons les envoyer dans les collectivités et les ramener en ville pour la fin de semaine.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup, chef Easter, d’être ici aujourd’hui.

Ma question s’adresse à M. Williams. Elle concerne votre troisième recommandation, celle sur les listes de priorités pour les évaluations stratégiques et régionales. Le comité fait face à un autre problème, c’est-à-dire que nous n’avons toujours pas reçu la liste des types de projets qui seront visés par l’évaluation d’impact. Vous parlez d’un point connexe, mais distinct, lorsque vous parlez de donner la priorité aux évaluations stratégiques et régionales.

Pourriez-vous nous expliquer plus en détail la façon dont cela fonctionnera et les raisons pour lesquelles les membres de votre organisme pensent que c’est un amendement important?

M. Williams : Nous parlons souvent de la mort à petit feu et de la façon dont nous ne pouvons pas examiner un projet de manière isolée lorsqu’il s’agit des impacts environnementaux. Nous sommes également aux prises avec le dilemme posé par l’évaluation environnementale, à savoir qu’il n’est pas juste pour un promoteur d’avoir à assumer le fardeau, même sur le plan de la recherche, de tous les enjeux sous-jacents dans une région donnée.

En théorie, l’évaluation régionale des effets cumulatifs permettrait d’établir une base de connaissances liées à une région vulnérable, afin de déterminer différentes possibilités d’avenir. Il s’agit en quelque sorte d’une source de renseignements qui aiderait le gouvernement dans ses exercices de planification et qui aiderait l’industrie et le public qui se penchent sur les enjeux liés à la collecte de ce type de renseignements.

Dans certaines régions du Canada, par exemple le Cercle de feu, une région dans le Nord de l’Ontario qui soulève une grande controverse, ne serait-il pas utile, au lieu de tout politiser, d’avoir certaines preuves communes fondées sur les connaissances traditionnelles et la science sur les possibilités futures de chaque région? Le bassin versant du fleuve Nelson, où nous avons tenté, mais sans succès, de mener une évaluation régionale des effets cumulatifs au Manitoba, est un autre cas naturel.

La sénatrice Simons : Il y a certainement la région de Wood Buffalo, près de Fort McMurray.

Hier, à Saskatoon, nous avons parlé d’une autre de vos suggestions que j’aime beaucoup. Il s’agit de l’idée d’exiger un certain type de suivi, afin que les gens puissent voir comment les promoteurs ont concrètement répondu aux attentes. Je tente cependant de déterminer si cela relève de la loi ou s’il serait préférable d’avoir recours à la réglementation.

À votre avis, cette question pourrait-elle être traitée dans la réglementation après l’adoption de la loi ou doit-elle être ajoutée au libellé de la loi?

M. Williams : M. Sinclair comparaîtra devant le comité plus tard aujourd’hui, et il vous donnera son avis sur la question. Il est très important d’avoir une orientation directionnelle, par exemple en ce qui concerne la nécessité de mener des évaluations après coup, l’obligation de rendre la surveillance transparente et la valeur de la participation des Premières Nations et des autres peuples autochtones à la surveillance. Il ne s’agit pas seulement de voir notre note sur une évaluation de rendement. Nous savons que nous ferons des erreurs et que des projets seront tout de même approuvés. Nous savons que nos prévisions seront fausses et que la plupart des projets réussiront à franchir le processus. Nous devons ensuite adapter le projet en conséquence. Certaines personnes feraient valoir qu’à bien des égards, le volet le plus important qui a été sous-réalisé dans ce projet de loi est la surveillance.

Le sénateur Neufeld : Je vous remercie tous les deux d’être ici aujourd’hui. Je vous suis reconnaissant des renseignements que vous nous avez communiqués. Quels témoignages écoutez-vous pour déterminer le droit de participation des parties prenantes? Tenez-vous compte de ce que le projet de loi permettra aux gens en général ou écoutez-vous ceux qui seront directement touchés? Des experts externes pourraient également donner leur avis.

Nous avons entendu une série de réponses des Premières Nations, qui sont surtout d’avis qu’il faut les écouter si elles sont directement touchées. Les deux témoins pourraient peut-être brièvement répondre à cette question, et je leur poserai ensuite une autre question.

M. Easter : Je peux seulement vous répondre par un exemple. Après la réinstallation, tout le reste a été ravagé. Les pêcheurs du lac Cedar ne pouvaient plus pratiquer le piégeage, et ils se sont donc concentrés uniquement sur la pêche. Ils demandaient sans cesse au Manitoba d’augmenter leurs quotas et d’élargir leur permis. Au fil des années, ils ont en quelque sorte surpêché les espèces dans le lac. Il y a environ 20 ans, en 1996, ils ont atteint le point de surpêche. En effet, il ne restait qu’une seule classe d’âge de poissons dans le lac Cedar. Ils sont venus me voir et ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient plus pêcher, car il ne restait plus de poissons. Ils ont parlé aux représentants de la province, qui leur ont dit qu’ils pêchaient trop dans le lac. Ils ne voulaient pas les écouter, alors je leur ai dit qu’il fallait cesser de pêcher dans le lac pour laisser les stocks se reconstituer et que lorsque la pêche reprendra, il ne devrait pas y avoir plus de 40 permis pour le lac Cedar et que les quotas devraient être réduits de moitié, afin d’assurer la durabilité des stocks de poissons dans le lac.

Nous comprenions ce qu’il fallait faire. Nous devions le faire pour préserver le lac et les poissons qu’il contenait. C’est cela que j’écoute. Je veux que nous comprenions le fonctionnement du lac et que nous adaptions la loi en conséquence.

M. Williams : Je ferais valoir qu’un critère direct pour déterminer le droit de participation des parties prenantes ne fera qu’entraîner des retards et des contestations. Il existe une façon de faire cela dans le processus du tribunal qui permet différents degrés de participation. C’est la raison pour laquelle je vous ai donné ces deux exemples.

Le CRTC a interagi activement et de différentes façons avec plus de 9 000 Canadiens; environ 1 400 d’entre eux ont présenté des mémoires écrits et 7 700 d’entre eux ont répondu à un sondage en ligne. De plus, le CRTC a entendu directement, en personne, un échantillon varié parmi ces 1 400 participants. Certains d’entre eux étaient des experts, d’autres étaient des personnes directement touchées et d’autres étaient des citoyens ordinaires. C’est mon métier. Je crois que les tribunaux peuvent certainement gérer leurs processus avec une certaine souplesse.

L’autre exemple concerne la Régie des services publics du Manitoba. Cet organisme a entendu quatre types d’interventions menées par des participants, des intervenants et des spécialistes comme nous, et ils ont entendu 2 300 commentaires et des groupes de consommateurs. Il existe de nombreuses façons de procéder qui permettent de se concentrer sur les problèmes, plutôt que sur la question de savoir qui participe et qui est laissé de côté. C’est ce que je recommande, monsieur.

Le sénateur Neufeld : Les Premières Nations et d’autres intervenants nous ont dit que même si vous leur accordiez un droit de participation à titre de parties prenantes, d’autres parties viendront perturber le processus — et ces parties réussissent habituellement à attirer l’attention, ce qui fait en sorte que les préoccupations des Premières Nations sont mises de côté.

Nous venons tout juste d’observer ce phénomène dans la salle. En effet, un aîné était en train de nous parler et qu’est-il arrivé? Des gens se sont levés en agitant des drapeaux. Ils se tenaient debout là-bas. Où les caméras ont-elles été pointées? Sur ce groupe. Les caméras n’étaient plus pointées sur l’aîné des Premières Nations qui livrait son témoignage. Lorsque l’homme qui tenait le grand drapeau a déclaré qu’il voulait tenir une conférence de presse à l’extérieur, toutes les caméras l’ont suivi à l’extérieur. C’est un exemple de ce qui se produit dans ces situations. Des gens arrivent avec des motifs inavoués et prennent le contrôle du processus.

Je crois que c’est l’une des difficultés. Nous avons eu droit à une démonstration très convaincante de ce phénomène aujourd’hui.

M. Williams : J’aimerais fournir une brève réponse, monsieur.

Le sénateur Neufeld : D’accord. Je vous poserai ensuite une question.

M. Williams : Si vous avez une question, allez-y.

Le sénateur Neufeld : Je sais que la présidente va m’arrêter ici.

La présidente : Posez votre question.

Le sénateur Neufeld : Vous pouvez commenter ce que j’ai dit, et je vais vous poser ma question.

Le ministre peut se conformer et peut modifier, de temps à autre, une liste qui sera connue comme étant la liste des priorités en matière d’évaluations stratégiques et régionales. Je ne dis pas que nous ne devrions pas mener d’évaluations, mais comment un ministre fédéral peut-il décider les choses et les endroits qui représentent une priorité à l’échelle du pays?

Je pense à ma propre province, la Colombie-Britannique. Pour l’amour du ciel, on ne pourrait pas mener une évaluation stratégique où que ce soit dans l’ensemble de la province.

M. Williams : Je crois que la sénatrice Simons a signalé cela. Nous connaissons sûrement, dans nos provinces, des endroits très vulnérables où il y aura probablement un niveau d’activité très élevé à l’avenir. Par exemple, le premier ministre actuel de la province du Manitoba a l’intention très louable de mettre en valeur les ressources du Nord de la province. C’est manifestement un point de départ.

Je pense qu’on peut y arriver, monsieur, et je pense que nous avons observé un exemple de réussite dans le coin sud-ouest de la Saskatchewan avec le développement du pétrole et du gaz, car l’évaluation régionale des effets cumulatifs a fourni de bons renseignements sur le développement futur. Je crois que cela a aussi facilité les choses aux citoyens et aux promoteurs, monsieur.

La sénatrice McCallum : J’aimerais préciser que lorsque j’examine la Loi sur l’évaluation d’impact, je constate qu’elle aborde la question de la santé, de la protection et du développement économique. Les peuples autochtones examinent la question dans son ensemble. Nous ne nous concentrons pas sur quelques détails techniques, car nos commentaires sur un grand nombre d’enjeux n’ont pas été entendus.

C’est la raison pour laquelle l’étape préparatoire a une telle importance. En effet, si l’étape préparatoire avait été menée de façon approfondie tout en consultant, de façon collaborative, les personnes touchées et en tenant compte d’autres êtres vivants non humains comme les orignaux, les oies et les poissons, nous n’aurions pas à faire face aux énormes impacts cumulatifs néfastes qui se manifestent aujourd’hui.

Les amendements proposés par le chef Easter visent les impacts néfastes précédents. Ils tentent de corriger les erreurs du passé. Convenez-vous que le projet de loi accorde maintenant plus d’importance à l’étape préparatoire, car nous devons maintenant tenir compte de l’assainissement, de la réduction des impacts et du fait que des gens doivent continuer de vivre avec les effets des ravages antérieurs?

M. Easter : Je suis d’accord avec vous. Je pense que nos collectivités doivent s’adapter à l’environnement. Elles doivent également comprendre ce qui a été fait à l’environnement, c’est-à-dire comment il a été endommagé ou compromis.

Des vulnérabilités que nous ne comprenons pas sont toujours présentes. Si je suis ici aujourd’hui, c’est pour demander si le lac Cedar peut être mis sur une annexe différente, afin que je puisse comprendre ce qui se passe dans ce lac. Actuellement, de nombreuses forces agissent sur le lac dans son rôle de réservoir. Nous ne devons pas nous occuper uniquement du passé; nous devons également nous adapter à la situation actuelle. Nous ne savons pas encore comment y arriver, mais nous tentons d’apprendre à nous adapter.

M. Williams : Sénatrice McCallum, j’ai malheureusement lu, dans ma vie, des dizaines de milliers de pages d’évaluations d’impact. Les deux meilleures évaluations d’impact que j’ai lues dans ma vie remontent à environ quatre ans. L’une d’entre elles était un document de 130 pages produit par la nation crie de Fox Lake, qui avait utilisé une vision du monde crie pour mener l’évaluation. L’autre avait à peu près le même nombre de pages et avait été produite par la Première Nation de York Factory. Nos clients ont beaucoup appris grâce aux visions du monde des Autochtones.

Je commencerai donc par cela et j’aimerais souligner que l’article 22 du projet de loi porte sur les facteurs, et notamment sur les connaissances autochtones — elles sont également mentionnées ailleurs dans le projet de loi. Je ne préconise pas la substitution comparativement à l’harmonisation, mais je dirais que l’une des caractéristiques intéressantes du projet de loi, c’est qu’il accorderait la compétence nécessaire aux Autochtones, dans les limites de la loi, de mener leur propre évaluation d’impact si elle répond aux critères de substitution qui se trouvent entre les articles 31 et 35.

Je crois que c’est une bonne occasion d’inclure la vision du monde et le point de vue des Autochtones et d’envisager de mener des évaluations d’une toute nouvelle façon. Je ferais valoir que nous n’avons pas fait un excellent travail à cet égard. C’est donc une bonne occasion d’adopter une perspective différente. Je pense que le projet de loi offre la souplesse nécessaire à cet égard.

Le sénateur Plett : J’ai une question pour le chef Easter et ensuite deux questions pour M. Williams. Il s’agit peut-être d’une question à deux volets.

Chef Easter, vous avez parlé des impacts sur les activités de pêche dans le lac Cedar. Pourriez-vous nous donner une idée du nombre de pêcheurs du lac Cedar ou, si vous le pouvez, du nombre d’habitants des collectivités autochtones de la province du Manitoba qui vivent de la pêche commerciale? C’était autrefois une activité lucrative, mais d’après ce que je comprends, ce n’est plus le cas. Combien de personnes gagnent leur vie grâce à la pêche commerciale? Combien de personnes dépendent, même pour leur subsistance, de la pêche qui se pratique dans le lac Cedar ou dans d’autres lacs? Je sais que vous ne pourrez pas me fournir le nombre exact.

M. Easter : Actuellement, seulement 40 personnes ont un permis de pêche pour le lac Cedar. Elles peuvent seulement capturer au maximum 600 000 tonnes de brochets. Autrefois, les pêcheurs avaient droit à environ 1,2 million de livres de brochet et ils ont surpêché cette espèce. Nous avons dû réduire cette quantité de moitié, afin que les réserves du lac puissent être durables. Il y a d’autres facteurs dans le cas des pêches. Ces gens ne peuvent plus pratiquer le piégeage en raison des fluctuations des niveaux d’eau. En effet, les niveaux fluctuent d’environ 10 pieds chaque année. On maintient des niveaux élevés pendant l’automne et on draine l’eau pendant l’hiver, car on a besoin de l’énergie ailleurs pendant l’hiver. C’est à ce moment-là que le niveau descend de 10 pieds, ce qui perturbe grandement le lac.

Le sénateur Plett : Visiblement, les problèmes sont liés aux fluctuations des niveaux d’eau, et non à une pêche et à une chasse abusives.

M. Easter : Oui, les deux.

Le sénateur Plett : C’était seulement parce que le nombre de poissons avait diminué et la surpêche est devenue un problème.

M. Easter : Oui. Plus de gens dépendent du poisson et plus de gens dépendent de l’orignal maintenant, comparativement à auparavant, lorsqu’ils avaient la cueillette des baies, le piégeage, la pêche au collet, la chasse et la pêche.

Le sénateur Plett : Serais-je capable d’obtenir un permis pour pêcher dans le lac Cedar?

M. Easter : Non. Pas présentement.

Le sénateur Plett : Pas présentement, mais les résidants peuvent encore faire un peu de pêche.

M. Easter : Oui. Ils pourraient encore pratiquer la pêche de subsistance, mais nous la surveillons de près. Nous la gérons. Nous n’autorisons que 40 pêcheurs et le nombre de poissons qu’ils peuvent pêcher est limité.

Le sénateur Plett : Maître Williams, dans votre présentation PowerPoint, il y a deux choses, et vous avez parlé un peu des évaluations. Dans votre présentation, vous parlez d’une évaluation des effets cumulatifs à l’échelle régionale qui comporte des lacunes. Quelles sont les lacunes, brièvement?

M. Williams : Il y a deux ou trois éléments. Surtout, lorsqu’on effectue des évaluations des effets cumulatifs à l’échelle régionale, on veut établir une base de connaissances. On veut examiner des composantes écologiques importantes, et une bonne partie de ce travail n’a pas été fait. On ne s’est pas penché sur l’avenir. L’un des buts des évaluations des effets cumulatifs à l’échelle régionale, c’est d’avoir une idée de ce que seront les différentes possibilités d’avenir. Parle-t-on d’une scierie, d’un aménagement hydroélectrique ou d’une mine? Quelles sont les différentes possibilités d’avenir. Cela n’a pas été fait. C’était un document historique qui n’a pas été très bien fait, et on ne s’est pas penché sur l’avenir.

S’il y a une chose qu’ils ont bien faite, c’est qu’ils ont soulevé de façon très éloquente les traumatismes subis liés à la violence sexuelle. C’est un sujet dont on n’a pas assez discuté au Manitoba. Il faut reconnaître que concernant ce rapport, un bon travail a été fait à cet égard.

Le sénateur Plett : Ma deuxième et dernière question porte sur la mise au placard du projet à haut risque de 10,5 milliards de dollars de la centrale de Conawapa. Je le connais bien. Un témoin précédent, M. Dysart, a dit que la ligne Bipolaire III n’était pas nécessaire. Êtes-vous d’avis que ce projet aurait dû lui aussi être mis au placard?

M. Williams : Nos clients n’ont pas appuyé le projet de la ligne Bipolaire III, et je vais vous expliquer pourquoi. La principale raison, c’est qu’une autre analyse n’était pas nécessaire. Il aurait fallu que différentes options soient examinées, ce qui n’a tout simplement pas été fait.

Ensuite, Bipolaire III n’a pas fait l’objet d’une bonne évaluation. Votre question portait sur la partie ouest de la province, mais il y a déjà la région très compromise de Nelson. On n’a pas bien évalué les impacts environnementaux et sociaux du projet en tant que tel. Nos clients auraient dit qu’il aurait fallu procéder à une autre analyse.

Je signalerais simplement, bien que l’article 22 du projet de loi est un peu faible, qu’on prévoit une autre analyse. Dans une province comme le Manitoba où il y a un monopole de la Couronne, ils n’examinent pas assez l’hypothèse nulle concernant des options pour Bipolaire III, Keeyask ou Conawapa.

Le sénateur Plett : Voulez-vous dire que vos clients n’ont pas appuyé le projet, un point c’est tout, ou qu’ils n’ont pas appuyé la direction prise?

M. Williams : Les clients n’ont pas appuyé le projet parce que l’évaluation environnementale comportait des lacunes et qu’on n’a pas examiné des solutions de rechange.

La présidente : Les deux derniers sénateurs qui poseront des questions seront les sénateurs Carignan et Patterson.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à Me Williams. Vous représentez plusieurs personnes et je crois que vous avez aussi beaucoup travaillé dans le milieu de la pauvreté. Selon des témoignages qu’on a entendus, le processus est dispendieux à gérer pour ceux qui veulent faire des représentations, comme des groupes des Premières Nations. Donc, c’est un aspect qui est important.

D’un autre côté, des organisations comme la Manitoba Hydro nous disent qu’il faut parfois apporter de petits changements, mais que cela pourrait aboutir à un processus lourd, pénible et dispendieux pour des choses assez simples. En droit québécois — je ne sais pas si c’est le cas au Manitoba —, le concept de la proportionnalité a beaucoup évolué. Croyez-vous qu’un concept de proportionnalité devrait être inclus dans le projet de loi afin de guider les décisions de l’Agence lorsqu’elle demande certaines études et de conseiller le ministre lorsqu’il doit décider s’il soumettra ou non un projet à une étude environnementale?

[Traduction]

M. Williams : Merci. Je veux seulement m’assurer que j’ai compris la question.

Le sénateur Carignan : Elle porte sur le concept de proportionnalité. Pourrions-nous utiliser un concept de proportionnalité dans le processus de décision pour l’agence ou pour le ministre?

M. Williams : D’après mon expérience, 26 années dans la justice, peu importe si le concept de proportionnalité est inscrit dans la loi ou non, je le vois tout le temps dans la pratique du tribunal administratif.

Le sénateur Carignan : Oui.

M. Williams : C’est le cas de la Régie des services publics lorsqu’elle examine un montant de 100 millions de dollars par rapport à un petit service d’eau à Stonewall, au Manitoba. Le concept de proportionnalité est appliqué, de sorte que je crois que c’est implicite dans la pratique dans les tribunaux administratifs. Je dirais qu’on devrait éviter de passer trop vite au concept jusqu’à ce qu’on ait vraiment défini le projet et mené un exercice de planification précoce.

Les organismes gouvernementaux et les tribunaux administratifs sont déjà très bons à cet égard. Je dirais qu’il s’agit de discuter rapidement du projet. Mettons de côté les sujets de discorde et discutons des questions et des solutions de rechange. C’est peut-être la meilleure la voie à suivre, car je crois que chaque jour, dans la pratique du droit administratif, nous nous servons du concept de proportionnalité, qu’il soit inscrit dans les lois ou non.

[Français]

Le sénateur Carignan : Si le concept était inclus dans la loi, croyez-vous que cela pourrait limiter les risques de litige lorsqu’une personne invoquerait, par exemple, l’absence d’information, le fait de ne pas avoir été entendue ou que certains éléments de preuve n’ont pas été présentés? L’introduction du concept de proportionnalité dans la loi assurerait au moins une plus grande sécurité des jugements et diminuerait le risque de certaines procédures judiciaires invoquant un défaut d’information ou de preuves pertinentes.

[Traduction]

M. Williams : Je ne crois pas être d’accord avec vous, monsieur. D’après mon expérience, lorsque des promoteurs font ce qu’il faut sur le plan de l’engagement, ils font leur travail et une audience équitable a lieu. Les tribunaux respectent grandement les décisions du gouverneur en conseil et les tribunaux administratifs.

Kinder Morgan, un exemple que nous connaissons tous très bien, est un projet où l’on n’a pas tenu compte de facteurs environnementaux importants. Le promoteur et l’Office national de l’énergie ont mal fait les choses.

Je ne crois pas que le concept de proportionnalité protégera les tribunaux administratifs ou les gouvernements des mauvais processus et des mauvaises décisions. À mon avis, il s’agit d’entamer un véritable dialogue le plus tôt possible et de chercher des solutions. Les tribunaux feront preuve de déférence envers le gouverneur en conseil et les tribunaux administratifs, mais pas dans des exemples scandaleux comme celui de Kinder Morgan.

Le sénateur Patterson : Je suis conscient du temps dont nous disposons. Je vais essayer d’être très bref.

Chef Easter, je vous remercie de votre témoignage et je vous félicite des progrès que vous avez réalisés pour votre peuple. Vous avez recommandé qu’une modification soit apportée à l’article 27 pour reconnaître une entente de cogestion d’une voie navigable qu’a votre Première Nation avec la Couronne. En lisant l’article 27, je comprends qu’il permet au ministre de conclure des accords ou des arrangements avec une personne ou une organisation pour l’exercice des attributions prévues sous le régime de la présente loi.

Cela pourrait-il être amélioré? Je croyais qu’il permettait, dans sa forme actuelle, à d’autres organisations d’exercer leurs fonctions sous le régime de la loi. Le libellé ne convient-il pas?

M. Easter : Si j’ai inclus cela ici, c’est principalement pour que le lac Cedar soit mis dans une annexe distincte et qu’un accord soit conclu avec la nation crie de Chemawawin sur la gestion de la voie navigable du lac Cedar. Je voulais seulement mettre l’accent sur l’article 27 également.

Le sénateur Patterson : La partie importante, c’est l’annexe.

Maître Williams, vous nous avez donné de très bons exemples de la mesure dans laquelle des tribunaux ont permis une participation directe et indirecte dans les critères liés au droit de participation. Nous faut-il modifier la partie du projet de loi C-69 qui porte sur les critères liés au droit de participation permettant la mise en place de ces mécanismes plus souples? On nous a exhortés à le faire. Bien des témoins ont dit que s’ils ne sont pas clairs, les critères liés au droit de participation amèneront le chaos et un flot d’interventions submergeant même des détenteurs de droits autochtones. Nous faut-il modifier cette partie?

M. Williams : D’après mon expérience, les tribunaux en tiennent compte dans leur pratique et leur procédure. Le CRTC et la Régie des services publics feront et doivent faire preuve de souplesse, car ce sont des spécialistes de la question dont ils sont saisis et des spécialistes de leurs propres pratiques et procédures. Plutôt que de régenter en quelque sorte les mesures législatives, il s’agit de s’assurer que les tribunaux ont le pouvoir d’établir leurs propres règles de pratique et de procédure.

Les tribunaux innovent. Je participe à de nombreux échanges avec les tribunaux. Bon nombre d’entre eux réclament une plus grande participation du public parce que c’est leur légitimité qui est en cause. Ils savent qu’ils doivent gérer le tout et que les interventions ou les participants ne sont pas tous égaux. Le traitement varie dans le cadre de règles souples. Les tribunaux ont la compétence qu’il faut pour le faire au fil du temps. Il y a un peu d’apprentissage à faire, mais les tribunaux de partout au Canada expérimentent beaucoup.

La présidente : Je vous remercie beaucoup de vos déclarations préliminaires et de votre participation à la discussion.

Je vous présente les témoins de notre quatrième groupe. Nous accueillons M. Warren Cariou, professeur de l’Université du Manitoba. Nous accueillons également des représentants du Ralliement national des Métis : le vice-président, M. David Chartrand; et le conseiller principal en politiques, M. John Weinstein.

Vous pouvez commencer, monsieur Cariou.

Warren Cariou, professeur, Université du Manitoba, à titre personnel : Je vous remercie de me donner l’occasion d’offrir des conseils sur ce projet de loi très important. J’aimerais souligner la présence d’aînés, de gardiens du savoir et de membres de communautés autochtones à cette audience. Je vais parler surtout des éléments du projet de loi qui concernent les connaissances autochtones.

Je suis professeur à la faculté des Arts de l’Université du Manitoba, où je dirige le Centre for Creative Writing and Oral Culture depuis 11 ans. Je suis spécialiste des traditions orales et des connaissances autochtones et, plus particulièrement, je m’intéresse aux philosophies autochtones en matière d’énergie.

Dans les textes autochtones et les systèmes de connaissances traditionnelles que j’étudie, l’énergie est un concept plus vaste que ce que suggèrent les définitions anglaise et française du mot. Le savoir autochtone nous demande de considérer l’énergie comme un lien à la terre, un lien qui a des dimensions éthiques. Ces idées sont très pertinentes dans le processus d’évaluation d’impact dont il est question dans le projet de loi C-69. J’appuie fortement l’inclusion des connaissances autochtones dans le mécanisme d’approbation et de réglementation des projets désignés comme c’est défini dans le projet de loi.

Le projet de loi est une étape importante pour ce qui est de la bonne foi dont il faut faire preuve concernant les relations entre le gouvernement canadien et les peuples autochtones. De plus, la prise en compte des formes de connaissances autochtones et occidentales dans le processus d’examen rendra l’examen plus juste et plus précis.

J’ai trois recommandations précises que j’aimerais que le comité examine. La première concerne la définition de « connaissances autochtones » dans le projet de loi. Dans sa forme actuelle, la définition se lit comme suit : « connaissances autochtones Connaissances autochtones des peuples autochtones du Canada ».

J’estime que cette définition ne convient pas parce qu’elle est essentiellement redondante. Elle n’illustre pas les notions de philosophie, de communauté et de lien au territoire. Par conséquent, je propose un amendement à la définition. Il s’agirait d’ajouter une deuxième phrase qui indiquerait que les connaissances autochtones sont détenues collectivement au sein des communautés autochtones et qu’elles incluent les philosophies, les pratiques culturelles et les observations terrestres faites par ces communautés depuis longtemps. Si l’on n’apporte pas cette précision, il y a un risque que les connaissances autochtones soient mal interprétées dans l’examen et le processus réglementaire, qu’on les interprète comme quelque chose de plus générique et moins nuancé que ce qu’elles sont en réalité.

Ma deuxième recommandation porte sur les connaissances autochtones et l’information scientifique. J’appuie les engagements contenus dans le projet de loi pour ce qui est de fournir un moyen efficace d’intégrer l’information scientifique et les connaissances autochtones dans les processus décisionnels. Dans sa forme actuelle, le projet de loi n’impose pas de hiérarchie des valeurs entre l’information scientifique et les connaissances autochtones. À mon avis, c’est tout à fait indiqué. Il n’est pas nécessaire de changer quoi que ce soit au projet de loi à cet égard.

Je crois comprendre qu’un témoin qui a comparu devant votre comité, M. Ross McKitrick, a soutenu que les connaissances autochtones devraient être subordonnées aux connaissances scientifiques dans les cas où les deux se contredisent. Si c’est effectivement ce que voulait dire M. McKitrick, je ne suis pas du tout d’accord avec lui. Dans le cadre de l’examen et du processus réglementaire, on ne devrait pas a priori accorder une plus grande importance à l’une ou l’autre des formes de connaissances ou juger que l’une est inférieure à l’autre.

Dans des cas où les deux formes de connaissances se contredisent, il devrait revenir aux membres des organismes d’examen de décider ce qui est le plus convaincant dans chaque cas, en évaluant tous les éléments de preuve équitablement. Si l’on déterminait à l’avance qu’une contribution d’un groupe autochtone est intrinsèquement moins importante, ce serait non seulement manifestement injuste, mais on enverrait un message très préoccupant à tous les peuples autochtones concernant leurs relations avec le gouvernement. Créer un système à deux niveaux de crédibilité pour les formes de connaissances autochtones et non-autochtones risque également d’ouvrir la porte à des contestations judiciaires fondées sur la Charte et sur les droits autochtones.

Le fait est que mettre les deux formes de connaissances sur le même pied constitue une bonne politique, car cela donnera aux organismes d’évaluation et de réglementation une idée plus générale, nuancée et, par conséquent, précise des effets que pourraient avoir les projets désignés. Aucune forme de savoir ne détient le monopole de la vérité. Il est préférable que les organismes d’examen se penchent sur toute sorte de points de vue plutôt que sur un nombre restreint de points de vue.

La science est un outil d’observation et d’analyse rigoureuse; les connaissances autochtones en constituent un autre. Il y a des cas où la science a fait fausse route ou n’a pas été en mesure de résoudre un problème, et le savoir autochtone a fourni de meilleures réponses. Dans d’autres cas, on a eu recours à la science et au savoir autochtone parallèlement et on les a utilisés pour vérifier l’une et l’autre des deux formes de connaissances et les deux se sont renforcées mutuellement. Pendant nos discussions, je serais ravi de vous fournir des exemples à cet égard. S’il y a assez de temps, je pourrais parler d’une histoire autochtone traditionnelle sur un lien entre les formes de connaissances autochtones et occidentales dans un processus d’examen.

Puisque le temps qui m’a été accordé est presque écoulé, je vais attirer rapidement votre attention sur la troisième page de mon mémoire où je fais deux suggestions qui contribueront à améliorer l’accès pour l’expression des connaissances autochtones dans l’examen et le processus réglementaire. La partie A est une disposition proposée pour la partie qui porte sur les connaissances autochtones qui préconise un appui à la traduction des témoignages présentés dans des langues autochtones, car les connaissances autochtones sont souvent profondément ancrées dans les systèmes de signification de ces langues. La partie B propose une autre disposition reconnaissant le fait que les connaissances autochtones peuvent prendre d’autres formes que les témoignages, comme des histoires et d’autres formes d’expression culturelle.

En terminant, je dirais que les connaissances autochtones devraient constituer un élément important dans la prise de décisions qui ont des répercussions sur l’avenir de ce territoire et de tous les gens, Autochtones et non-Autochtones, qui y vivent et qui y sont liés. Elles peuvent aider à préciser les éléments en jeu dans ces décisions et ce qui constitue un impact. Les connaissances autochtones ont été acquises au cours de milliers d’années de liens étroits avec la terre et d’observation du fonctionnement d’écosystèmes précis. Elles ont un rôle essentiel à jouer dans ces décisions. Il faut consulter de façon significative les peuples autochtones en général dans les décisions. L’inclusion des connaissances autochtones dans l’examen et le processus réglementaire est l’un des moyens les plus efficaces de mener cette consultation. Ainsi, de meilleures décisions seront prises et les évaluations réalisées seront plus nuancées. Merci.

David Chartrand, vice-président, Ralliement national des Métis : Merci beaucoup, madame la présidente. Permettez-moi d’abord de vous souhaiter la bienvenue au Manitoba, en plein cœur du territoire de la nation métisse. Je veux aussi remercier ceux qui ont ouvert cette séance avec une prière, les aînés qui sont présents aujourd’hui et bien sûr les sénateurs. Je suis d’ailleurs très heureux de revoir mon ami, le sénateur Plett.

Nous sommes ici sur nos terres. Nous avons créé la province du Manitoba. J’ose espérer que nous pourrons un jour expliquer qui nous sommes en tant que nation métisse de l’Ouest du Canada. J’espère également que viendra un moment où il ne sera plus nécessaire de l’expliquer, car chacun saura qui est la nation métisse et qui sont nos citoyens. Si je vous posais la question maintenant, je ne suis pas sûr que toutes les mains se lèveraient pour répondre.

C’est en fait sur le terrain adjacent que l’on retrouve l’ancien Fort Garry où nos ancêtres métis ont établi un gouvernement provisoire sous la présidence de Louis Riel en 1869. C’est ce gouvernement métis qui a négocié l’entrée de la colonie de la Rivière-rouge dans la Confédération à titre de province du Manitoba en vertu de la Loi de 1870 sur le Manitoba. À l’époque, les Métis comptaient pour 85 p. 100 de la population de la nouvelle province où l’on recensait plus de 10 000 habitants. Les promesses qui nous ont été faites dans la Loi sur le Manitoba n’ont pas été tenues. Pendant le siècle et demi qui a suivi, nous avons dû sans cesse lutter pour recouvrer nos droits et retrouver l’autosuffisance économique dont nous jouissions à l’époque de la traite des fourrures. Au cœur de cette lutte, notons une démarche judiciaire qui a duré 32 ans et abouti à un jugement historique de la Cour suprême du Canada donnant gain de cause à la revendication territoriale des Métis du Manitoba en 2013. Il y a eu également une autre poursuite judiciaire qui a permis de confirmer nos droits d’exploitation des ressources fauniques en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, ce qui a mené à la conclusion d’une entente en la matière s’appliquant à la quasi-totalité de la province.

Cette lutte pour faire reconnaître nos droits aux fins de notre développement économique façonne nos positions à l’égard des grands projets. Nous préconisons une approche équilibrée dans un contexte semblable. Nous appuyons les projets favorisant la croissance économique pour autant que l’environnement et les droits et les intérêts de la nation métisse sont protégés. Nous croyons que le gouvernement Trudeau privilégie tout comme nous une approche équilibrée à l’égard des grands projets, et le projet de loi C-69 va tout à fait dans le sens de cette vision. Cette loi respecte la volonté du gouvernement fédéral d’établir une relation de nation à nation et de gouvernement à gouvernement avec les Métis. Elle témoigne de l’engagement du gouvernement envers la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Elle exige que les nouvelles instances rendent leurs décisions concernant l’approbation d’un grand projet en tenant compte des engagements pris par le gouvernement quant au respect des droits des peuples autochtones. Elle établit une approche distinctive à l’égard de la représentation autochtone au sein d’un comité important, ce qui se traduira dans notre cas par une représentation de la nation métisse. L’obligation de consultation et d’accommodement est un élément essentiel à la reconnaissance des droits et un moteur de développement économique. Cette obligation doit faire partie intégrante du nouveau processus décisionnel mis en place en application du projet de loi C-69.

En ma qualité de président de la Fédération des Métis du Manitoba, je peux vous dire comment tout cela peut fonctionner et s’articuler. Notre fédération a négocié des accords de collaboration avec la province du Manitoba, Manitoba Hydro et Enbridge, ce qui nous a permis d’obtenir des contrats auprès des entrepreneurs en charge des projets de la ligne de transmission d’électricité Bipolaire III et du remplacement de la canalisation 3 d’Enbridge. C’est ainsi que des centaines d’emplois ont pu être créés. J’espère que nous aurons l’occasion d’y revenir d’ici la fin de la séance.

Ces projets ont donc permis de créer des centaines d’emplois pour des travailleurs métis. Bon nombre des contrats ont été menés à terme et ont débouché sur de nouvelles possibilités de développement grâce au tremplin ainsi offert. Nous étions encore devant les tribunaux de notre province ce matin même. Notre premier ministre a annulé une décision prise après deux années et demie de négociations avec Manitoba Hydro. Nous nous sommes adressés à l’Office national de l’énergie du Canada pour discuter des répercussions environnementales et des autres impacts. Nous avons présenté nos arguments en nous fondant sur le fait que nous avions conclu un accord valide pour une période de 50 ans. Du point de vue de Manitoba Hydro, l’obligation de consultation et d’accommodement a été respectée. Nous avons trimé dur en prévision de notre présentation devant l’Office national de l’énergie compte tenu de cette entente exigeant que nous appuyions le projet en question, ce que nous avons fait. Nous avons conclu une entente avec Manitoba Hydro conformément à notre obligation d’accommodement et en sachant que nous ne pourrions plus utiliser ces terres pendant les 80 années suivantes. Une fois la ligne de transmission en place, nous devions en effet renoncer à exploiter ces terres de la Couronne pendant une période de 80 à 100 ans.

C’est ce qui avait été convenu. Nous avions une entente. J’ai échangé une poignée de main avec le président de Manitoba Hydro. Leur conseil d’administration a ratifié cette entente. Mon cabinet également. Il y a ensuite eu une élection dans notre province. Un nouveau premier ministre a pris le pouvoir et a annulé l’entente une fois que l’Office national de l’énergie a mis fin à ses audiences au Manitoba. Tout cela est plutôt louche. On ne pouvait pas agir de la sorte alors que je m’étais déjà prononcé en faveur de la ligne de transmission vers le Minnesota dans ma présentation conformément à l’entente que nous avions négociée.

Je me suis donc présenté devant l’Office national de l’énergie en appuyant sans réserve ce projet. Après cela, l’office a plié bagage et le nouveau premier ministre a annulé l’entente. Je me suis alors adressé de nouveau à l’Office national de l’énergie pour dénoncer de telles manigances en faisant valoir qu’il fallait se prononcer quant à savoir si l’on avait bel et bien manqué à l’obligation de consultation et d’accommodement. L’office a répondu qu’il lui était impossible d’agir, car le dossier était déjà fermé. On nous a indiqué que la décision avait été rendue en fonction des éléments présentés à l’office. C’est la raison pour laquelle nous étions devant le tribunal ce matin même. Il était invraisemblable qu’une telle chose puisse se produire dans notre belle province du Manitoba.

Un processus d’approbation des grands projets vraiment efficaces devrait nous mettre à l’abri des caprices de gouvernements pouvant arbitrairement prendre une décision après coup en obligeant tous les intéressés à s’adresser aux tribunaux pour essayer de trouver un terrain d’entente. Le projet de loi C-69 essaie de trouver une façon de rallier tout le monde. Peut-être pourrais-je profiter de l’occasion pour vous donner l’exemple d’Enbridge qui a agi de façon très judicieuse lorsqu’est venu le temps de construire son pipeline. Je ne parle pas du plus récent, mais de celui sur une moins longue distance qui l’a précédé. Les gens d’Enbridge sont venus à la rencontre des dirigeants métis et nous ont dit : « Nous voulons nous asseoir avec vous pour que nous discutions ensemble de vos préoccupations et des moyens à prendre pour y remédier de telle sorte que nous puissions conjuguer nos efforts pour construire notre pipeline. » Il est tout à fait remarquable de voir une entreprise privée venir ainsi frapper à notre porte. Cette façon de faire nous a évité de nouvelles démarches judiciaires. Nous n’avons pas eu à faire des pieds et des mains pour que nos droits et l’obligation d’accommodement soient respectés. Nous avons conclu une très bonne entente. Nous en sommes tous ressortis gagnants, mais la province a tenu un discours bien différent aux gens d’Enbridge. On leur a dit qu’ils n’étaient pas obligés de nous parler.

De plus en plus, les entreprises privées savent comment s’y prendre. Elles comprennent de mieux en mieux en quoi il est nécessaire de s’asseoir avec les gouvernements autochtones et de s’entendre avec les peuples qui sont en fait les propriétaires des territoires touchés et qui en sont responsables. Nous croyons en une approche équilibrée. C’est pour cette raison que j’ai joint ma voix à celle de l’honorable Perrin Beatty, président de la Chambre de commerce du Canada, à l’occasion de différentes allocutions et lettres d’opinion en faveur du projet Trans Mountain. Je l’appuie encore aujourd’hui. Je crois qu’il est essentiel à notre pays. J’estime que ce projet est important pour tous les Canadiens. Je crois qu’il faut parfois savoir faire des compromis. C’est vrai également pour nous, les Autochtones. Nous appuyons ce projet. Nous jugeons qu’il est essentiel au développement économique de notre pays. Les gouvernements ne sont pas des entreprises privées; ils financent leurs activités à même les impôts qu’ils perçoivent. C’est leur mode de fonctionnement. En l’absence d’activité économique, il n’y a pas d’impôt à percevoir. Comment croyez-vous que le gouvernement va pouvoir mener ses activités et remédier à toutes les préoccupations des citoyens que nous sommes?

Nous espérons que ce projet pourra aller de l’avant dès que possible. Nous allons nous enquérir de la possibilité d’y contribuer, notamment via une participation financière. Je serai ravi de répondre à toutes vos questions et d’entendre toutes vos observations concernant ma déclaration. Je ne suis généralement pas du genre à lire un exposé. Je m’exprime plutôt de façon spontanée dans ce rôle de leader que j’occupe depuis 22 ans. J’ai été élu à sept reprises dans ma province. Je suis également vice-président du Ralliement national des Métis. Je me ferai maintenant un plaisir de répondre à toutes vos questions.

Le sénateur Plett : Merci, madame la présidente et merci à nos témoins. Je suis heureux de vous revoir, monsieur Chartrand. Il faudrait bien que nous rejouions au golf un de ces jours, mais les conditions météo ne s’y prêtent pas vraiment pour l’instant. J’ai deux questions à votre intention.

Nous avons entendu les critiques virulentes des Premières Nations productrices de pétrole et de gaz concernant le projet de loi C-69. Ainsi, le chef Roy Fox de la Tribu des Blood a indiqué que le projet de loi allait condamner son peuple à la pauvreté. Le Conseil des ressources indiennes, qui représente plus de 100 Premières Nations, s’y oppose fermement lui aussi. Nous avons entendu hier le représentant de Des Nedhe Development, un conglomérat des Premières Nations surtout actif dans le secteur de l’extraction de l’uranium, qui s’est également prononcé contre le projet de loi C-69.

Vous parlez au nom d’un très grand nombre de personnes à titre de représentant de la nation métisse. Est-ce qu’il y a des Métis qui travaillent dans le secteur des hydrocarbures ou dans celui de l’exploitation minière? Quelles seront les répercussions du projet de loi C-69 pour ces gens-là?

M. Chartrand : Je vous remercie, sénateur Plett, mais permettez-moi d’abord de souligner que la nation métisse compte 400 000 membres dans l’Ouest du Canada. Nous sommes présents depuis certaines régions de l’Ontario jusqu’à la Colombie-Britannique à l’ouest, au territoire de Lillooet au nord, et aux États-Unis au sud. C’est le territoire traditionnel de notre peuple, et c’est sur cette base que notre nation s’est constituée.

Pour ce qui est des prises de position auxquelles vous avez fait référence, je peux vous dire qu’il y a également des institutions, des instances et des bandes des Premières Nations qui sont tout à fait favorables à ce projet de loi. Il y a assurément des répercussions économiques qui se font d’ores et déjà ressentir. J’ajouterais que les membres de nos nations métisses de l’Alberta et de la Colombie-Britannique appuient le projet de pipeline de Trans Mountain. Bien qu’il n’y ait pas d’impact direct sur moi à titre de Manitobain, je suis tout de même touché dans une perspective nationale en tant que Canadien. Je suis également concerné du fait qu’il y a une incidence pour tous les Métis. Nous savons qu’il s’agit d’un grand projet qui est en fait d’envergure nationale. L’impact ne se limite pas à l’Ouest canadien; il se fait ressentir partout au pays.

Lorsque nous avons procédé à notre propre analyse dans la conjoncture économique actuelle, nous avons jugé essentiel de donner notre appui à cette mesure. Il faut que les gens comprennent bien notre position. Pourquoi appuyons-nous le projet de loi C-69 alors que certains font valoir qu’il agira comme un boulet empêchant des projets nationaux ou autres grands projets d’aller de l’avant compte tenu de toutes les dispositions et règles qui s’appliqueront? Vous devez vous mettre à notre place pour comprendre notre façon de voir les choses.

Je vous ai donné un exemple parfait en vous racontant ce qui se passe au Manitoba. C’est une situation malheureuse, mais c’est bel et bien ce qui arrive. Le premier ministre peut nous qualifier de groupe d’intérêt spécial même si nous bénéficions des droits prévus à l’article 35 de la Constitution et de mécanismes assurant la protection de nos citoyens et notre intégration optimale au sein de la Confédération. Essayons de voir quel pourrait être l’effet du projet de loi C-69 dans ce contexte. À notre avis, ce projet de loi s’inscrit dans un effort pour concilier les objectifs des protecteurs de l’environnement, des Autochtones, du secteur privé, du gouvernement et des Canadiens en général. On tente de rassembler les préoccupations présentes sur ces différents tableaux afin de pouvoir y remédier au moyen d’un mécanisme unique.

Je vous ai fourni un excellent exemple de la manière dont tout cela pourrait fonctionner, pour autant que la chose soit possible, car l’industrie n’a aucune idée pour l’instant de la façon de s’y prendre. Chaque province agit à sa manière. Chacune d’elle adopte ses propres règles quant à savoir quelles mesures elle va prendre et qui elle doit consulter. À l’échelle fédérale, on peut se retrouver ou non du bon côté de l’équation selon qui forme le gouvernement à ce moment précis et dépendant des positions du premier ministre en poste, qui qu’il soit.

Lorsque l’on examine les choses dans cette perspective, il est difficile de savoir comment l’industrie doit s’y prendre. Il faut d’abord et avant tout que l’industrie elle-même le sache. Enbridge est venu cogner à notre porte sans avoir posé la question au préalable. Si l’entreprise avait demandé l’avis de la province, on lui aurait répondu qu’il ne valait pas la peine de parler avec les Métis. L’entreprise se serait ainsi retrouvée devant les tribunaux. En pareilles circonstances, nous n’aurions eu d’autre choix que de défendre nos intérêts devant la justice, faute de pouvoir nous asseoir et discuter comme nous le faisons actuellement. Nous sommes en pleine négociation.

Le projet de loi C-69 vise notamment à faire en sorte que l’industrie sache qui sont les parties prenantes et quelles sont ses obligations à leur égard. Je n’appuie pas toutes les actions actuellement entreprises pour la protection de l’environnement. J’ai d’ailleurs fait des déclarations publiques à ce sujet sur des tribunes nationales. J’ai parlé de ces gens qui nous ont livré bataille relativement à nos activités de trappe. Ils nous ont fait perdre tout ce pan de notre économie et ne l’ont jamais remplacé par de nouveaux emplois. Ils sont retournés dans leur monde urbain en nous abandonnant à notre sort. Ils nous ont empêchés de nourrir nos familles et de bénéficier des perspectives de revenus que nous offrait le trappage. Ils nous ont tout simplement abandonnés. Personne n’est jamais revenu pour remplacer tous les emplois perdus. Cette activité comptait pour le tiers du revenu de la plupart de nos familles. On n’a jamais revu personne. Ils ont fait valoir que nos activités étaient néfastes à l’environnement ou contraires aux principes de Greenpeace, mais ils nous ont laissés nous débrouiller par nous-mêmes.

Au sein des gouvernements autochtones, nous comprenons très bien qu’il est nécessaire que chacun comprenne son rôle, qu’il s’agisse du gouvernement provincial, du fédéral, des protecteurs de l’environnement ou de l’industrie privée. À qui doit-on s’adresser avant de pouvoir aller de l’avant? Dans le cas d’un projet national comme celui du pipeline Trans Mountain, on voudrait croire que les gens seront assez avisés pour prendre la décision qui s’impose.

Permettez-moi d’ajouter un élément de réponse, sénateur Plett. On peut prendre un peu de recul pour considérer la façon dont les choses se sont déroulées par le passé. Ce n’est pas une critique de ma part; je me contente d’énoncer les faits. Lorsque les projets Trans Mountain et Kinder Morgan étaient en marche, Harper ne croyait pas devoir s’acquitter totalement de l’obligation de consultation et d’accommodement. Il a donc sauté certaines étapes en pensant pouvoir aller tout de même de l’avant. Vous avez vu ce qui s’est produit. Nous nous sommes retrouvés encore une fois devant les tribunaux. Il a fallu mettre un terme à tout le projet. Les choses n’auraient pas dû se passer de cette manière, car c’était un projet nécessaire pour notre pays. Nous ne pouvons pas permettre aux Américains de prendre le contrôle de leur côté de telle sorte que nous n’ayons plus accès à aucun autre marché.

Lorsque le gouvernement Harper ne s’est pas acquitté de son obligation de consultation et d’accommodement, il a créé ce gâchis que nous cherchons encore à réparer. Je sais très bien que le projet de loi C-69 n’est pas parfait, mais c’est un effort louable pour que les intérêts de chacun soient pris en compte. C’est ce que vous devez chercher maintenant à faire dans votre rôle de sénateurs. Comment concilier les intérêts de ces quatre joueurs importants afin qu’ils puissent s’asseoir à la même table et en arriver à un consensus ou tout au moins à une forme d’ouverture?

La plupart des Premières Nations auxquelles vous avez fait référence appuient ce projet de loi, surtout dans les Prairies et l’Ouest canadien. Seulement quelques-unes sont d’avis contraire. Ce projet de loi en tient compte également. On essaie toujours de dégager un consensus. Lorsque ce n’est malheureusement pas possible, nous n’avons d’autre choix que de trouver les moyens d’aller tout de même de l’avant. Il faut parvenir à un juste équilibre. En définitive, je ne peux pas m’imaginer qu’une seule communauté métisse puisse s’opposer à l’ensemble de notre nation en disant qu’elle souhaite freiner la marche d’un projet. Je ne crois pas que cela soit possible. Je pense qu’en fin de compte c’est la majorité qui va l’emporter, malheureusement pour ceux qui sont minoritaires. Le projet de loi C-69 est une tentative pour regrouper toutes les solutions à ces problèmes. C’est ce qui peut être difficile. C’est un mandat important qui vous est confié. C’est également pour nous une lourde tâche.

La sénatrice Simons : Je vais essayer de poser brièvement une question à chacun d’entre vous.

Monsieur Chartrand, merci pour un exposé qui allait vraiment au fond des choses. Comme la nation métisse n’est pas titulaire de droits issus de traités, croyez-vous que le projet de loi C-69 en fait suffisamment pour s’assurer que les Métis sont bel et bien consultés?

Voici maintenant ma question pour M. Cariou. Je comprends bien vos arguments quant à l’importance du savoir autochtone, mais les décisions ne doivent-elles pas être prises en définitive en fonction des éléments scientifiques disponibles? Je vous laisse répondre tous les deux.

M. Chartrand : Permettez-moi de répondre d’abord, car vous avez indiqué que les Métis n’étaient pas titulaires de droits issus de traités. Je dois vous dire qu’il n’y a aucune hiérarchie entre les titulaires de droits autochtones au pays. C’est bien établi dans la loi. En vertu de l’article 35, les Métis bénéficient de droits qui sont équivalents à ceux des Premières Nations et des Inuits. Je veux seulement m’assurer que tout le monde comprend bien que nos droits ne sont pas inférieurs à ceux des Premières Nations et des Inuits.

La sénatrice Simons : Je le comprends bien, mais il ne semble pas que tous les tribunaux soient de cet avis.

M. Chartrand : La Cour suprême le comprend, ce qui est excellent. On peut dire que c’est à bien des égards notre tribunal le plus important. Mais vous avez tout à fait raison; il faudrait que nos tribunaux de juridiction inférieure soient mieux sensibilisés à cette réalité.

Ce détour par les tribunaux m’a fait perdre le fil de ma pensée. Pourriez-vous répéter la seconde partie de votre question?

La sénatrice Simons : Il est bien possible que vous y ayez déjà répondu. Croyez-vous que le projet de loi C-69 est suffisamment clair quant au droit des Métis d’être consultés?

M. Chartrand : Je vous répète en toute franchise que ce projet de loi n’est pas parfait. Je peux vous en assurer. Il nous pose certains problèmes à nous également. Si je puis me permettre, sénatrice Simons, je dirais que nous essayons de déterminer s’il peut paver la voie à une forme quelconque de dialogue pouvant nous mener quelque part. Il va permettre aux principales parties intéressées de s’asseoir ensemble pour trouver une solution, car cela est vraiment nécessaire. Le Canada ne peut pas se permettre de continuer à fonctionner ainsi avec toutes ces inconnues alors qu’il est bien établi que les peuples autochtones et nos gouvernements bénéficient de droits bien à eux. Nous ne pouvons pas nous exposer à de telles inconnues, et c’est valable aussi bien pour nous que pour l’industrie, qu’il s’agisse de l’exploitation minière, à laquelle le sénateur Plett faisait allusion, ou des pipelines. Ce sont des secteurs d’activité économique qui ont des retombées pour tous les Autochtones et tous les Canadiens. Nous devons trouver ce juste équilibre à l’intérieur même du processus, mais l’industrie ne dispose actuellement d’aucune ligne directrice lui permettant de savoir comment s’y prendre exactement. Elle se retrouve ainsi à la merci des volontés politiques du gouvernement au pouvoir. Si quelqu’un ne s’en tient pas à ce qui est établi, nous aboutissons tous devant les tribunaux.

Nous ne serions pas dans la situation actuelle si nous avions procédé de la bonne façon la première fois. Kinder Morgan ne serait pas parti. Nous aurions des emplois, tout. Tout le monde montre du doigt le projet de loi C-69. Je suis heureux que vous soyez en train de l’étudier, mesdames et messieurs. Pour nous, c’est clair qu’il faut agir. Il nous faut un chemin. L’industrie doit connaître la voie à emprunter. Les provinces doivent comprendre qu’elles aussi sont tenues de suivre des règles d’envergure nationale. Nous devons trouver l’équilibre entre les divers facteurs et nous réunir afin d’arriver à un consensus. Nous appuyons le projet de loi parce qu’il nous indique la voie. Espérons que nous y verrons plus clair dans l’avenir quant à la façon d’arriver à un consensus.

M. Cariou : Je suis d’accord que la science devrait avoir le même poids que les connaissances autochtones, mais je suis persuadé que la décision quant à la valeur de chaque type de connaissance devrait être prise par les commissions chargées de prendre les décisions dans des cas précis. On ne devrait pas prendre de décision à l’avance sur une forme de connaissance qui serait jugée supérieure à une autre. J’ai indiqué certaines raisons qui expliquent ma position. Je crois qu’il y a des répercussions juridiques possibles qui pourraient faire que les tribunaux soient saisis de la question, comme l’a aussi indiqué M. Chartrand.

Il en va également de la nature des répercussions. Les connaissances autochtones peuvent apporter des nuances dans les discussions sur les répercussions possibles. Je songe notamment aux répercussions culturelles, comme les sites sacrés qui ont été inondés dans le Nord du Manitoba. Une évaluation scientifique ne nous donnerait pas forcément les arguments les plus convaincants si nous voulons comprendre les répercussions éthiques ou culturelles du fait que l’on inonde un site sacré.

Il est important que les commissions prennent les décisions en fonction de la valeur des connaissances qui leur seront soumises.

La présidente : J’aimerais faire une petite observation et vous poser une question, monsieur Cariou. Je crois que vous êtes l’un des premiers à avoir proposé une définition des connaissances autochtones. J’aimerais savoir tout d’abord si cette définition a le soutien de certains organismes ou universitaires.

Ensuite, j’aimerais savoir ce qui suit : d’après mon expérience professionnelle, les écosystèmes et les habitats sont uniques, ce qui fait que la science ne peut pas nous permettre de les comprendre entièrement. Ainsi, il nous faut les connaissances autochtones complémentaires afin de pouvoir décrire et comprendre les interactions. Vous avez ajouté une dimension philosophique et éthique et je crois que c’est extrêmement utile.

M. Cariou : La définition que j’ai proposée est la mienne, quoiqu’elle soit inspirée de bon nombre de définitions. Si les sénateurs le souhaitent, je pourrais leur envoyer les définitions qui ont été avancées par d’autres organisations. L’UNESCO a une excellente définition qui a été publiée sur son site web. Je vous l’enverrai également.

Quant à la spécificité des écosystèmes et les questions précises relativement à l’incidence sur ces écosystèmes, je crois que vous avez raison. Les peuples autochtones vivent depuis des milliers d’années sur leurs terres et ont acquis des connaissances au fil des générations qui sont intiment liées à des endroits précis. Je crois que ces renseignements et ces connaissances sont d’une importance cruciale et pourraient être utilisés dans le cadre du processus de révision et d’examen réglementaire.

La science a sa place et bien évidemment peut fournir d’excellentes observations, mais les connaissances traditionnelles reposent sur des milliers d’années d’observation. Je crois donc que ces connaissances peuvent être une contribution importante.

La sénatrice McCallum : Merci à vous deux pour vos déclarations. Je suis ravie de vous entendre.

J’aimerais dire aux sénateurs ici présents que Warren Cariou est le réalisateur du DVD que je vous ai remis sur Fort Chipewyan et Fort McKay. C’est un Métis de Meadow Lake préoccupé par le fait que l’industrie pétrolière s’installe en Saskatchewan. Je suis heureuse que vous ayez tous pu regarder le DVD.

Je voudrais parler de la relation productive dont vous avez parlé tous les deux. N’importe quel projet de loi ou loi qui entre en vigueur au Canada est littéralement un outil pour établir des relations entre les peuples autochtones et le Canada. Nous devons rendre le processus aussi productif que possible. Afin d’améliorer notre compréhension des connaissances autochtones et de leur utilité, pourriez-vous, monsieur Cariou, nous raconter une histoire autochtone traditionnelle?

M. Cariou : Je peux vous raconter une histoire qui a été publiée. Je connais de nombreuses histoires autochtones qui m’ont été racontées lors d’une cérémonie ou dans certains contextes protocolaires, mais je n’ai pas la permission de les répéter ici. L’histoire que j’aimerais vous résumer m’est venue d’un aîné okanagan, Harry Robinson. Harry Robinson a raconté cette histoire à l’anthropologue Wendy Wickwire, et elle l’a publiée dans un recueil intitulé Write it on Your Heart en 2004.

C’est une histoire de coyote de la nation okanagan. La nation okanagan raconte habituellement des histoires de coyotes. C’est l’histoire d’un jeune coyote qui s’est rendu jusqu’à la lune et a réussi à se frayer un chemin vers la Terre. Lorsqu’il atterrit, il est dans le territoire okanagan. Ses traces de patte sont restées dans la terre. Le peuple du territoire sait que c’est là où le coyote a atterri. Les membres de la nation peuvent aller voir ces traces.

Voilà l’histoire traditionnelle, mais Harry Robinson ajoute une dimension historique. Il nous indique qu’à l’époque où l’on construisait le chemin de fer dans le territoire des Okanagans, le peuple okanagan a remarqué que les arpenteurs mesuraient un terrain qui se trouvait exactement au même endroit que les traces du coyote. Ils sont allés dire aux arpenteurs : « Votre voie vient empiéter sur notre histoire, et nous voulons que vous la déplaciez. » Les arpenteurs n’ont pas écouté. Le peuple okanagan leur a dit : « Nous voulons vous le montrer. Nous vous emmènerons là et nous vous montrerons les traces. » Ils ont effectivement emmené les arpenteurs à l’endroit, mais les arpenteurs ne pouvaient pas voir les traces. Ils ont cherché, mais ils ne les ont pas vues.

C’est là que le peuple okanagan a décidé qu’il devait raconter son histoire. Les Okanagans ont raconté l’histoire du coyote qui s’est rendu jusqu’à la lune et est revenu en atterrissant à cet endroit, et Harry Robinson nous dit que les arpenteurs ont écouté l’histoire et l’ont comprise. Ils ont changé le parcours du chemin de fer. Le site sacré a été protégé.

Cette histoire fait toujours partie de la tradition orale de la nation okanagan. Pour moi, c’est un bel exemple de connaissances autochtones qui ont été comprises même par des gens qui connaissent très peu la culture autochtone. L’histoire a dépassé les barrières culturelles et les gens étaient prêts à l’accueillir. Je crois que ce projet de loi donne un cadre possible pour permettre aux gens d’écouter ces histoires et de comprendre la sagesse qui est derrière.

La sénatrice McCallum : Permettez-moi d’intervenir. Lorsque j’étais enfant, on nous racontait beaucoup d’histoires comme celle-là. C’est ainsi que j’ai pu acquérir mes valeurs morales et éthiques. Lorsque j’ai revisité ces histoires quand j’étais plus vieille, j’en ai tiré des messages différents. J’ai suivi le cours de Val Napoleon sur les traditions juridiques autochtones. Le cours repose sur ces histoires. Nous avons fait des études de cas à la lumière des histoires, et nous avons appris qu’elles servent à véhiculer les traditions juridiques. Je suis heureuse de les faire connaître.

Monsieur Chartrand, vous avez fourni votre avis sur ce qu’apporte le projet de loi. Je vous remercie. [La sénatrice s’exprime en langue autochtone.]

Le sénateur Patterson : J’aimerais préciser, notamment à la sénatrice McCallum, que ma préoccupation principale à l’égard des nouveaux concepts qui ont été ajoutés au projet de loi C-69, comme le genre et d’autres facteurs identitaires et les connaissances autochtones, c’est l’absence de clarté dans les définitions. Nous devons comprendre ce que cela veut dire. Il n’y a pas meilleur exemple de manque de clarté que l’exemple fourni par M. Cariou : les connaissances autochtones sont les connaissances des peuples autochtones du Canada. C’est un cas classique de tautologie.

Vous nous avez donné des explications et une définition plus claire, et je vous en remercie. Vous avez dit que vous seriez prêt à nous donner des exemples, et vous nous en avez peut-être déjà donné un au sujet des Okanagans. Pouvez-vous nous fournir un autre exemple d’un cas où les connaissances autochtones et scientifiques ont été réunies pour se renforcer? C’est un terrain inconnu ici au Canada. On en discute beaucoup au Nunavut et chez les Inuits, et je pense qu’un autre exemple pourrait nous aider à comprendre ce concept important.

M. Cariou : Il existe effectivement de nombreux exemples de cas où les connaissances traditionnelles ont été utilisées pour aider ou conseiller des scientifiques afin qu’ils puissent poser les questions indiquées. Je crois que les deux modes de pensée et les deux formes de connaissance peuvent se compléter. Bien souvent, les partisans ou les gardiens des deux types de connaissances s’entendent une fois qu’ils arrivent à communiquer efficacement.

Robin Wall Kimmerer est une biologiste potéouatamie. En fait, c’est une botaniste. Sa carrière a été vouée à l’étude scientifique des plantes, mais également aux connaissances traditionnelles du peuple potéouatami. Elle a rédigé de nombreux livres et articles sur la complémentarité des connaissances traditionnelles et scientifiques. Je vous recommande fortement la lecture de son livre intitulé Braiding Sweetgrass. Il porte sur les connaissances traditionnelles et scientifiques et sur la façon dont l’auteure, forte de ses connaissances dans les deux domaines, arrive à comprendre les interactions.

À titre d’exemple de cette interaction, elle raconte l’histoire de l’une de ses étudiantes qui avait étudié la tradition orale de la nation potéouatamie et avait appris les vertus du foin d’odeur, la culture de cette plante et les pratiques associées à cette plante sacrée aux yeux de la nation. L’étudiante voulait rédiger une thèse biologique et avait proposé de mettre à l’épreuve une hypothèse fondée sur les traditions orales du peuple. Certains scientifiques du comité d’évaluation n’étaient pas convaincus. Il pensait que ce n’était pas une façon valide ou viable de mener des recherches scientifiques. Avec l’aide de sa superviseure, Robin Wall Kimmerer, l’étudiante a persisté. Elle a pu faire une découverte scientifique à partir de ce qu’elle avait appris des aînés et des gardiens du savoir de la nation potéouatamie. Sa découverte a permis de montrer comment le rapport entre les humains et le foin d’odeur entraîne une réaction. Le foin d’odeur pousse de façon plus vigoureuse lorsqu’il est récolté.

Voilà un des nombreux exemples. Nous savons, par exemple, que l’histoire orale et les traditions orales autochtones ont fourni un contexte aux scientifiques afin qu’ils puissent poser des questions plus nuancées. Je pourrais certainement vous fournir de plus amples détails. Je serais heureux de vous envoyer des renseignements là-dessus.

La présidente : Je vous poserai une autre question sur le même sujet, monsieur Cariou. Bon nombre de personnes pensent que le recours aux connaissances autochtones est un phénomène récent, mais comme vous l’avez montré, ce n’est pas le cas. Dans la jungle péruvienne, bon nombre de produits pharmaceutiques, dont les anticoagulants, ont été découverts grâce aux connaissances autochtones traditionnelles.

Pouvez-vous nous dire comment les connaissances autochtones sont utilisées par les cultures occidentales?

M. Cariou : Cela remonte aux premières rencontres entre les Européens et les peuples autochtones. Nous savons, d’après l’histoire des Européens qui sont arrivés à l’île de la Tortue, que dans bien des cas les Européens n’auraient pas survécu sans les connaissances traditionnelles que les peuples autochtones ont eu la gentillesse de leur transmettre. En ce qui concerne le domaine scientifique, je suis d’accord que les études des connaissances traditionnelles aux fins de la recherche scientifique sont courantes, notamment dans le domaine de la pharmacologie. Or, cela crée des dangers. Les communautés autochtones pourraient perdre le contrôle de leurs connaissances traditionnelles.

Je pense que le projet de loi réussit à faire en sorte que les communautés autochtones ne perdront pas le contrôle de leur savoir. L’article sur les connaissances autochtones du projet de loi est entièrement consacré à la question du maintien du contrôle et de la confidentialité des connaissances par les peuples autochtones. Je salue cet article. Je crois, cependant, que d’autres aspects des connaissances autochtones doivent être soulignés dans le projet de loi et j’ai proposé certaines choses dans ce sens.

La présidente : Merci beaucoup.

Monsieur Carignan, la dernière question vous revient.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à M. Cariou. En ce qui a trait au concept des connaissances autochtones, plusieurs lois traitent de cette notion. Dans nos questions et nos échanges, on entendait la plupart du temps le terme « traditionnel ». Donc, on parle de connaissances traditionnelles autochtones. Or, le mot « traditionnel » n’apparaît pas dans la définition. Croyez-vous que cela aurait comme effet d’inclure des connaissances qui seraient autres que traditionnelles et que cela pourrait créer des enjeux?

[Traduction]

M. Cariou : Merci beaucoup. C’est une excellente question. Dans mon domaine, j’ai tendance à utiliser le terme connaissances traditionnelles, car je travaille surtout avec les aînés, les gardiens du savoir et les raconteurs. J’aimerais garder ce terme aussi général que possible, tout en conservant suffisamment de précision en ce qui concerne les droits communautaires au lien de longue date avec la terre et aux connaissances traditionnelles et leur contribution au dialogue telle que je la perçois.

On risque de penser que les connaissances autochtones sont une affaire du passé. Pour moi, ces connaissances, bien qu’elles remontent à de nombreuses générations déjà, entretiennent un lien profond avec le présent. Chaque raconteur qui fait part d’une histoire la rend de nouveau pertinente dans le présent pour son nouveau public.

Pour répondre à votre question, dans un sens les connaissances autochtones sont toujours profondément traditionnelles. Je crois qu’elles sont aussi profondément contemporaines. Il faut s’en souvenir et en tenir compte dans le projet de loi. Le libellé actuel du projet de loi y fait tout simplement référence, et les connaissances autochtones permettent cette souplesse.

[Français]

Le sénateur Carignan : D’accord. J’ai une dernière question. Les articles 83 et suivants de la loi tiennent compte des projets à l’étranger. Donc, lorsqu’il s’agit d’un projet à l’étranger, on doit tenir compte aussi de certains aspects. Il est assez rare qu’il y ait une application de la loi canadienne dans les projets à l’étranger. Toutefois, il arrive que le gouvernement du Canada finance un projet tout en veillant à ce qu’il soit respectueux de l’environnement. Évidemment, lorsqu’il s’agit de projets à l’étranger, on dit qu’on n’a pas besoin de tenir compte de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Ils ne sont pas couverts quand c’est à l’étranger.

Cependant, à l’article 84 de la loi, à l’alinéa b), on dit ceci : « les connaissances traditionnelles des peuples autochtones du Canada fournies à l’égard du projet ». Donc, on dit que ce n’est pas nécessaire de tenir compte des connaissances autochtones lorsque le projet est à l’étranger. Trouvez-vous que c’est une bonne idée d’exclure les connaissances autochtones lorsqu’un projet est financé à l’étranger? Parce qu’il peut quand même y avoir des impacts importants à ce niveau-là.

[Traduction]

M. Cariou : Merci beaucoup. J’ignorais cet aspect du projet de loi. Je vous dirais que les connaissances autochtones devraient néanmoins faire partie de cette évaluation, même si les répercussions se font ressentir à l’intérieur et à l’extérieur du Canada. Il faudrait veiller au libellé et à la façon dont les connaissances seraient intégrées à ces processus de révision particuliers. Vous remarquerez que dans la définition prévue dans le texte actuel, les connaissances autochtones sont des connaissances des peuples autochtones du Canada.

Le sénateur Carignan : C’est cela.

M. Cariou : Il reste à voir s’il faudra faire intervenir des experts autochtones étrangers. Il faudrait obtenir leurs connaissances, surtout si les répercussions se font ressentir à l’extérieur du Canada. À mon avis, ce serait important, notamment parce que les connaissances autochtones sont intimement liées à un endroit et découlent des liens avec l’endroit qui ont été tissés par les peuples autochtones au fil de nombreuses générations.

La présidente : Voilà ce qui termine notre séance, et si vous me le permettez bien, je vais nous arrêter là.

(La séance est levée.)

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