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Debates of the Senate (Hansard)

Débats du Sénat (hansard)

2e Session, 35e Législature,
Volume 135, Numéro 46

Le mardi 29 octobre 1996
L'honorable Gildas L. Molgat, Président


LE SÉNAT

Le mardi 29 octobre 1996

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

 

Visiteurs de marque

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je vous signale la présence aujourd'hui à notre tribune d'un groupe de personnes très éminentes. Il s'agit d'une délégation du Parlement finlandais, sous la direction de la Présidente de ce Parlement, Mme Uosukainen. La délégation est accompagnée par Son Excellence l'ambassadeur.

Bienvenue au Sénat.

 

Le programme d'échange de pages avec la Chambre des communes

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, deux pages de la Chambre des communes ont été choisis pour participer au programme d'échange que nous avons lancé l'an dernier. Ils seront ici, au Sénat, pour la semaine du 28 octobre au 1er novembre et ont pris place à l'arrière du Sénat.

Christopher Gray, de Sidney, en Colombie-Britannique, est étudiant en sciences politiques à la faculté des sciences sociales de l'Université d'Ottawa.

Kathleen Jackson poursuit des études de sciences politiques à la faculté des sciences sociales de l'Université d'Ottawa. Elle est de Simcoe, en Ontario.

Je souhaite la bienvenue aux deux pages de la Chambre des communes. J'espère que leur séjour ici sera agréable.

 


DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

La santé

La semaine nationale de
sensibilisation à la ménopause

L'honorable Erminie J. Cohen: Honorables sénateurs, pour la première fois de son histoire, la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada a lancé un programme national de sensibilisation à la ménopause, programme de quatre semaines qui se déroule durant le mois d'octobre et qui a pour thème «La ménopause: parlons-en!». La campagne se termine la semaine du 28 octobre, celle-ci ayant été proclamée Semaine nationale de sensibilisation à la ménopause. Les partenaires du secteur de la santé qui participent à cette initiative - une première en Amérique du Nord - sont la Société de l'ostéoporose du Canada, la Fondation des maladies du coeur et l'Association pharmaceutique canadienne.

Durant tout le mois d'octobre, le programme de quatre semaines est axé sur la promotion de la santé, la prévention des maladies et la qualité de la vie après 50 ans; de plus, une campagne d'information publique pancanadienne reposant sur des dialogues et des forums permet aux femmes et aux hommes d'examiner les problèmes de la ménopause avec les fournisseurs de soins.

Dans son best-seller intitulé Boom, Bust and Echo, l'auteur David Foot fait, à l'intention des membres de la génération du baby-boom, la mise en garde suivante:

...préparez-vous à être inondés d'une foule d'articles sur les problèmes de santé liés au vieillissement. Les problèmes de prostate mentionnés précédemment seront au nombre des grandes nouvelles - la ménopause, qui touche toute la population féminine, sera quant à elle encore plus fréquemment abordée.

Honorables sénateurs, d'ici l'an 2000, quatre millions de Canadiennes commenceront ou vivront leur ménopause. Cela aura des effets renversants sur notre système de soins de santé. Les femmes - notamment celles de la génération du baby-boom - voudront qu'on leur fournisse plus d'information et qu'on leur accorde plus d'attention alors qu'elles devront composer avec cette importante période de transition qui affecte, à différents degrés, leur bien-être physique et émotionnel.

Il faut renseigner le public sur certains sujets de préoccupation, par exemple, les changements dans le mode de vie, l'hormonothérapie et le cancer, les maladies cardio-vasculaires et l'ostéoporose, afin que les Canadiennes puissent exercer des choix éclairés et apprendre à distinguer la réalité de la fiction.

Il est très important que les pouvoirs publics reconnaissent la ménopause comme un problème de santé publique qui prend rapidement de l'ampleur et qui se traduira par une demande et des coûts accrus au chapitre des soins de santé. Par conséquent, le jeudi 31 octobre, ma collègue, le sénateur Lise Bacon, et moi-même serons les hôtes d'un petit déjeuner qui aura lieu dans la salle à dîner du Parlement et auquel sont conviés sénateurs et députés; ce petit déjeuner permettra de mettre en lumière les frais que la ménopause occasionnera alors que les budgets vont en diminuant et d'encourager le gouvernement et la société canadienne à amorcer un dialogue sérieux sur les problèmes clés en matière de soins de santé. L'exposé de jeudi aura pour thème «La ménopause et les problèmes susceptibles de devenir des priorités du programme de soins de santé du Canada de demain». Je vous invite à vous joindre à nous et à en parler.

 


AFFAIRES COURANTES

Examen de la réglementation

Présentation du troisième rapport
du comité mixte permanent

L'honorable P. Derek Lewis: Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le troisième rapport du comité mixte permanent d'examen de la réglementation, qui porte sur le Règlement sur les minéraux des terres publiques, C.R.C., c. 1325.

 

L'ajournement

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)h), je propose:

Que lorsque le Sénat s'ajournera aujourd'hui, ce soit à demain, le mercredi 30 octobre 1996, à 13 h 30.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, la permission est-elle accordée?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée.)

 


PÉRIODE DES QUESTIONS

L'unité nationale

Le renvoi de questions constitutionnelles à la Cour suprême du Canada-La position du gouvernement

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Honorables sénateurs, madame le leader du gouvernement au Sénat peut-elle nous dire si les trois questions concernant directement le Québec ont été renvoyées à la Cour suprême, comme le ministre de la Justice l'avait annoncé, le 26 septembre dernier?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je ne puis répondre à cette question. Toutefois, je vais obtenir une réponse pour le sénateur immédiatement.

 

La position du premier ministre sur la place du Québec
au sein de la Confédération-La position du gouvernement

L'honorable Gerry St. Germain: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Aujourd'hui, j'ai lu avec intérêt la note d'information du Parti libéral qui critique le Parti réformiste. Cette note incite les libéraux à affirmer que le Parti réformiste dresse les régions du Canada les unes contre les autres, les riches contre les pauvres, les anglophones contre les francophones. Elle se poursuit en disant que ce n'est pas là un plan unificateur, mais une recette infaillible pour créer le chaos, et que le Parti réformiste a exploité le conflit et les divisions qui existent au Canada pour ses propres fins politiques plutôt que de travailler pour unir les Canadiens.

Je suis forcé d'approuver tout cela. Cependant, c'est peut-être là la plus belle illustration de la parabole de la paille et de la poutre jamais vue dans l'histoire du Canada. À moins que la mémoire ne me fasse défaut, je crois que c'est le premier ministre actuel qui a exploité la question pour parvenir à ses propres fins politiques lors de la campagne à la direction du Parti libéral, en s'unissant à Clyde Wells et à ses semblables en 1990 pour dénoncer la reconnaissance du Québec comme société distincte.

En 1986, M. Chrétien exprimait la même opinion que M. Manning aujourd'hui sur la reconnaissance du statut de société distincte pour le Québec. En fait, ce n'est que lorsque le pays est arrivé au bord de l'éclatement, il y a presque un an aujourd'hui, que M. Chrétien a souscrit au concept.

Madame le leader du gouvernement au Sénat admettra-t-elle que l'opinion de M. Chrétien sur la reconnaissance du Québec comme société distincte a changé depuis qu'il dénonçait cette idée en 1986? La ministre reconnaîtra-t-elle aussi que M. Manning et M. Chrétien ont un jour fait front commun contre l'Accord du lac Meech et tout particulièrement contre la clause sur la société distincte?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, mon vis-à-vis doit savoir que M. Chrétien a toujours été l'un des plus grands défenseurs de la nature particulière du Québec au sein de la Confédération canadienne. Il avait des divergences d'opinions avec d'autres personnes au sujet de l'Accord du lac Meech.

Pour ce qui est des vues de M. Chrétien et de M. Manning, M. Chrétien a passé sa vie à essayer de garder un Canada uni où le Québec est une partie égale et forte. C'est là quelque chose qu'il a fait et qu'il continuera de faire pendant son mandat comme premier ministre et aussi longtemps qu'il sera dans la vie publique.

Le parti de M. Manning a souvent changé d'idée sur l'unité nationale au cours des dernières années.

Le sénateur Lynch-Staunton: Et les libéraux, eux?

Le sénateur Fairbairn: Notre parti s'inscrit en faux contre les opinions du Parti réformiste du Canada, non seulement sur cette question, mais également sur bien d'autres, dont sa volte-face sur la politique financière, sur la politique sociale et sur toute politique à laquelle on peut penser.

Le sénateur Lynch-Staunton: Parlons donc des politiques libérales.

Le sénateur Fairbairn: Nous suivons l'évolution du Parti réformiste avec beaucoup d'intérêt. Nous saisissons les occasions pour tenter de l'expliquer du mieux que nous pouvons aux autres Canadiens, et aussi pour tenter de nous l'expliquer à nous-mêmes.

Le sénateur St. Germain: Honorables sénateurs, la ministre a parlé de ceux qui changent d'idée. Le gouvernement actuel a changé d'idée radicalement au sujet de l'ALENA, de la TPS et d'autres questions. En fait, le Parti libéral est passé maître dans l'art de changer d'idée au cours des trois dernières années.

J'étais au congrès libéral en 1990.

Le sénateur Doody: Quelle honte!

Le sénateur St. Germain: J'y étais à titre d'observateur pour mon parti.

Des voix: Oh, oh!

Le sénateur Graham: Avez-vous appris quelque chose?

Le sénateur St. Germain: J'ai vu de mes yeux la séance d'accolades entre M. Chrétien et M. Wells lorsque ce dernier a été félicité pour avoir tué l'Accord du lac Meech, ce qu'il a malheureusement réussi à faire seul.

Le gouvernement a-t-il un plan pour l'unité nationale outre le renvoi des questions à la Cour suprême du Canada? Si un tel plan existe, la ministre peut-elle nous expliquer en gros ce que font les libéraux à part critiquer le Parti réformiste? Toutefois, je reconnais que ce parti mérite d'être critiqué, et de façon agressive, à cause des positions qu'il a adoptées contre un Canada uni. Y a-t-il un plan en place et, dans l'affirmative, madame le leader du gouvernement pourrait-elle nous expliquer ce plan?

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, ce qui me peine le plus, c'est que mon collègue n'ait pas été là comme observateur à notre plus récent congrès.

Le sénateur Lynch-Staunton: Chat échaudé craint l'eau froide.

Le sénateur Fairbairn: Il aurait été le bienvenu. En fait, il y avait divers observateurs du Parti réformiste à notre congrès.

Le sénateur Lynch-Staunton: Ils vont n'importe où.

Le sénateur Fairbairn: Nous gardons le sénateur St. Germain à l'oeil. Je conserve toujours une carte de membre vierge sur moi, dans le futile espoir qu'il finisse par voir clair et décide d'adhérer.

Le sénateur m'a demandé de lui expliquer en quelques mots notre plan d'unité nationale, sans parler du renvoi à la Cour suprême du Canada. Je regrette qu'il n'ait pas assisté à notre congrès car le premier ministre lui-même a résumé notre programme à deux reprises et le ministre des Affaires intergouvernementales, M. Stéphane Dion, en a parlé dans ses fréquents discours et observations.

Je mettrais longtemps à expliquer tout ce que nous faisons pour l'unité nationale. La chose qui est ressortie le plus clairement de la rencontre de la fin de semaine dernière était la volonté du premier ministre et des milliers de participants de préserver l'unité du Canada et de voir le Québec jouer un rôle central à ce chapitre. Nous prenons divers moyens pour y arriver, notamment par les mesures que le Sénat a adoptées pour faire suite à certains engagements pris pendant la campagne référendaire. Le premier ministre a fait connaître son intention d'agir au moment opportun pour faire inscrire dans la Constitution...

 

  • (1420)
Le sénateur Lynch-Staunton: Quand sera le moment opportun?

Le sénateur Fairbairn: ... des lois ou des résolutions adoptées par le Parlement au cours de la dernière année.

En attendant, le gouvernement, en collaboration avec les provinces, dont le Québec, prend de nombreuses mesures pratiques et courantes pour renouveler la fédération, la rendre plus efficace et faire en sorte que le régime fonctionne de façon plus efficiente et plus directe pour les Canadiens de toutes les provinces.

Je ne vais pas imposer à cette Chambre un long exposé des domaines où des mesures ont été prises.

Le sénateur Berntson: Faites-le, je vous en prie.

Le sénateur Lynch-Staunton: Nous voulons les connaître.

Le sénateur Fairbairn: Vous les connaissez déjà en bonne partie. Il y a notamment le marché du travail, la formation professionnelle, les mines et les forêts.

Le sénateur Lynch-Staunton: Clyde Wells et Elijah Harper veulent le savoir. Ne pouvez-vous pas être plus précise?

Le sénateur Fairbairn: Je serais heureuse de donner plus de précisions, mais je ne crois pas que la période des questions soit le moment indiqué pour le faire.

Le sénateur Lynch-Staunton: Pour donner des réponses? Vous avez raison.

Le sénateur Fairbairn: Je suis prête à prendre une demi-heure pour vous répondre, mais en réponse à la question du sénateur St. Germain, le gouvernement fédéral n'attend pas la «grande conférence» pour proposer une stratégie qui sauvera le Canada. Il agit tous les jours en assurant un bon gouvernement, en étant juste et équitable et en renégociant des accords dans des domaines que les provinces sont en mesure de mieux gérer que le gouvernement fédéral. Nous travaillons jour après jour et semaine après semaine avec les provinces et les Canadiens pour préserver l'unité de notre pays.

[Français]

L'honorable Pierre Claude Nolin: Vous n'avez pas répondu à la question du sénateur St. Germain. Si l'on compare les déclarations du premier ministre à l'époque de l'Accord du lac Meech et la fameuse résolution que vous avez adoptée en fin de semaine, il y a définitivement une grande différence!

Alors je vous repose la question du sénateur St. Germain: qu'est-ce qui a amené la conversion tardive, la conversion de M. Jean Chrétien, le premier ministre du Canada?

[Traduction]

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, je remercie le sénateur Nolin pour ses commentaires. Il était présent au congrès du Parti libéral la fin de semaine dernière et il a donc pu se faire une idée des délibérations qui se sont tenues dans le cadre de ce congrès.

Le sénateur Nolin: J'observais.

Le sénateur Fairbairn: Je suis sûre que s'il a écouté attentivement le discours du premier ministre, il a saisi le message.

Il était très évident, dans cette salle, que des efforts considérables ont été faits dans notre pays, en dehors du Québec et à l'extérieur de la colline du Parlement, en vue de faire preuve d'une plus grande flexibilité et de se montrer plus accommodants à l'égard de certaines de ces questions constitutionnelles très délicates. Le Parti libéral en est conscient et travaille en ce sens. Le premier ministre du Canada montre en tous cas la voie en essayant d'atteindre le niveau de conciliation qui amènera notre pays à travailler dans l'unité, non seulement sur la base de deux ou trois mots, mais sur la base des valeurs qui existent partout au Canada et de l'importance du Québec pour toutes les régions de notre pays.

[Français]

Le rôle du premier ministre dans la défaite de l'Accord du lac Meech-La position du gouvernement

L'honorable Pierre Claude Nolin: Vous savez que nous ne sommes pas dupes de votre rhétorique. Il se fait tard. Les Québécois sont capables de comprendre votre virage. Il y avait, présents à votre congrès, des gens qui ont personnellement assassiné l'Accord du lac Meech, des gens qui sont aujourd'hui députés de votre parti à la Chambre des communes.

Cette conversion tardive à la reconnaissance du caractère unique et distinct du Québec en étonne certains. La motivation que vous avez manifestée en fin de semaine, j'oserais dire pour l'appuyer à l'unanimité, est, pour ma part, beaucoup plus soutenue par l'électoralisme que pour des solutions à long terme visant l'unité de notre pays. Il fallait être là pour voir ce choeur d'éloges en faveur de la société distincte du Québec qu'il fallait protéger. Mais où était M. Chrétien durant les années qui ont précédé l'assassinat de l'Accord du lac Meech?

L'honorable Céline Hervieux-Payettte: Dans le secteur privé.

Le sénateur Nolin: Oui, en train de travailler en sourdine avec des Canadiens censés défendre l'unité canadienne. On nous dit aujourd'hui que M. Chrétien veut rallier les Canadiens, travailler à l'unité du Canada, c'est faux. C'est complètement faux. Vous le savez. Le but est purement électoraliste. Vous vous êtes opposés à l'Accord du lac Meech. Il est trop tard. Les Québécois en veulent plus maintenant. Il est trop tard aujourd'hui. C'est de votre faute. Il est trop tard aujourd'hui pour que vous disiez que vous vous ralliez.

Plusieurs Québécois ont attendu avec espoir que cet accord soit adopté. Vous avez travaillé et j'en vois ici qui ont travaillé personnellement à ce qu'il soit adopté et d'autres ont travaillé à ce qu'il ne le soit pas.

Son Honneur le Président: Honorable sénateur, quelle est la question?

Le sénateur Nolin: Expliquez-nous si ce n'est pas purement avec des intentions électorales que votre premier ministre a changé d'idée.

[Traduction]

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, j'accepterais volontiers de mesurer ma rhétorique à celle de mon honorable collègue n'importe quel jour de la semaine. Il adresse aujourd'hui à la Chambre un message qui dit qu'il est trop tard pour le Canada. Par l'intermédiaire de notre premier ministre et de notre parti, nous répondons qu'il n'est pas du tout trop tard. C'est le moment pour tous les Canadiens et pour tous les Québécois de se sentir chez eux et les bienvenus dans notre pays. Nous sommes en train d'instaurer le genre de climat et de politiques qui feront, comme l'a dit le premier ministre, que la vie quotidienne des Québécois, des Albertains et des Terre-Neuviens sera des plus productives dans le meilleur pays du monde.

Le sénateur Berntson: Voulez-vous dire que le dernier référendum a eu lieu trop tôt?

Le sénateur Fairbairn: Mon collègue - et je ne crois pas qu'il le pense un instant - nous dit qu'il est trop tard pour le Canada. Je dis que, à la veille du XXIe siècle, nous sommes probablement dans une position meilleure que nous ne l'avons jamais été, depuis des décennies, pour faire avancer notre pays, pour en faire un pays fort, uni et indépendant.

Des voix: Bravo!

Le sénateur Nolin: Il est trop tard pour appuyer le concept de «société distincte». Les Québécois veulent davantage, maintenant. C'est trop tard. La résolution que vous avez adoptée en fin de semaine figurait déjà dans l'Accord du lac Meech, il y a dix ans. Les Québécois veulent plus que cela maintenant, et c'est de votre faute. C'est ce que je voulais dire.

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, mon collègue vient de dire, en parlant de l'Accord du lac Meech ou de je ne sais trop quel autre élément de son discours, qu'«il fallait être là», mais nous y étions. Ce n'était pas la dernière chance de consolider l'unité canadienne au sein de la Confédération, pas du tout.

Le sénateur St. Germain: Cela aurait certainement aidé.

Le sénateur Fairbairn: Quand mon collègue dit qu'il est trop tard, je ne sais pas de qui il parle. J'aimerais savoir si les Québécois croient qu'il est trop tard pour continuer à représenter une importante partie de notre pays...

Le sénateur Berntson: C'est vous qui avez inventé le plan B.

Le sénateur Fairbairn: ... et pour que le pays accepte leur différence, comme on voit chaque mois, chaque semaine, plus de Canadiens, d'un bout à l'autre du pays, manifester plus de compréhension.

Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'être aussi pessimiste et aussi négatif que l'est mon collègue quand il parle de l'avenir du pays.

Je ne crois pas que le Québec soit bien représenté par une attitude négative.

Le sénateur Lynch-Staunton: Où étiez-vous il y a un an?

 

  • (1430)
Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je veux rappeler aux deux côtés de la Chambre que c'est actuellement la période des questions et non une période de débat.

 

le multiculturalisme

Création d'une Fondation canadienne
des relations raciales -La position du gouvernement

L'honorable Donald H. Oliver: La semaine dernière, Patrimoine Canada a reçu un rapport intitulé «Strategic évaluation of Multicultural Programs». Ce rapport condamne l'approche du gouvernement en matière de multiculturalisme. La ministre responsable aurait dit:

[...] la plupart des Canadiens sont mal informés au sujet du multiculturalisme et c'est la faute directe du gouvernement[...] Par le passé, nous n'avons pas fait un assez bon travail de communication, et notre politique n'est pas clairement énoncée, je suis tout à fait d'accord là-dessus.

Je suis également d'accord. Toutefois, la question est celle-ci: que va faire le gouvernement? Est-ce qu'il va continuer à céder aux racistes du Canada et à maintenir un profil bas en ce qui concerne le multiculturalisme, ou est-ce qu'il va prendre une position ferme et, au moins, commencer à établir et à financer une Fondation canadienne des relations raciales?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je suis heureuse de pouvoir dire à l'honorable sénateur que ma collègue, Hedy Fry, a annoncé aujourd'hui, à Toronto, la création de la Fondation des relations raciales. Elle a annoncé également le nouveau mandat du gouvernement en matière de multiculturalisme.

La Fondation des relations raciales aura son siège à Toronto. Elle aura un budget initial de 24 millions de dollars. Une partie de cela servira à répondre aux engagements pris à l'égard des Canadiens d'origine japonaise. Le conseil d'administration sera de 15 membres. Je serai heureuse d'envoyer à l'honorable sénateur la liste des noms qui a été publiée ce matin par la ministre.

 

La Fondation des relations raciales-Demande
de précisions concernant la nomination
des membres du conseil d'administration

L'honorable Donald H. Oliver: Est-ce que la ministre a les noms des membres du conseil d'administration? Si oui, pourrait-elle les lire pour qu'ils figurent au compte rendu et que nous sachions qui ils sont?

Est-ce que l'honorable sénateur connaît certaines des mesures particulières que le gouvernement du Canada va entreprendre pour préciser sa politique?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Si mon collègue le désire, je peux lire les noms des membres du conseil d'administration.

Le sénateur Oliver: Oui, s'il vous plaît.

Le sénateur Fairbairn: Le président de la Fondation des relations raciales est un très bon ami à nous, et à vous aussi, je pense. Il s'agit de l'honorable Lincoln M. Alexander.

Le sénateur Doody: Un bon choix.

Le sénateur Kinsella: Une bonne nomination.

Le sénateur Fairbairn: Le directeur exécutif est Moy C. Tam, d'Ottawa.

Les membres sont Neil W. Baker, de Toronto, en Ontario; Nicole Beaudoin, de Laval, au Québec; Anne D. Enge, de Yellowknife, dans les Territoires-du-Nord-Ouest; Yvon Fontaine, de Moncton, au Nouveau-Brunswick; Peggy J. Johnson, de St. John's, à Terre-Neuve; Andrew J. Hladyshevsky, d'Edmonton, en Alberta; Myer Horowitz, d'Edmonton, en Alberta; Pana Merchant, de Regina, en Saskatchewan; Arthur K. Miki, de Winnipeg, au Manitoba; Maria Morellato, de Vancouver, en Colombie-Britannique; Fo Niemi, de Montréal, au Québec; Subhas Ramcharan, de Tecumseh, en Ontario; Carolyn G. Thomas, de Dartmouth, en Nouvelle-Écosse; Sandra Wilking, de Burnaby, en Colombie-Britannique; et Frank Joseph Zakem, de Charlottetown, à l'Île-du-Prince-Édouard.

 

L'énergie

La route pour le transport du gaz naturel extra-côtier de la Nouvelle-Écosse-La préférence du premier ministre-La position du gouvernement

L'honorable J. Michael Forrestall: Honorables sénateurs, madame le leader du gouvernement au Sénat croit-elle que le gouvernement a l'intention d'approuver la route du Québec pour le transport du gaz naturel extra-côtier de la Nouvelle-Écosse, par opposition à la route la plus directe qui traverserait les États de la Nouvelle-Angleterre?

Même si l'Office national de l'énergie semble être une organisation indépendante, il pourrait être poussé à prendre une certaine décision étant donné que le premier ministre a indiqué publiquement, et à trois reprises, quelle était sa préférence. Les membres de l'office doivent leur nomination au premier ministre, après tout.

Nous sommes un peu inquiets en Nouvelle-Écosse. Nous nous sentons vulnérables, comme vous pouvez très bien le comprendre, car des centaines de millions de dollars sont en jeu. En fait, le financement du projet n'est plus aussi sûr, à cause de ces déclarations et de la confusion qu'elles ont causée. Ce n'est ni ce que les promoteurs avaient souhaité, ni ce qu'ils avaient prévu dans leur planification financière.

Madame le sénateur pourrait-elle nous dire si le premier ministre a une intention précise? A-t-il l'intention de prendre des mesures qu'il pourrait considérer comme justes pour le Québec, mais qui, en même temps, seraient déconcertantes pour les gens de l'Atlantique? Le sénateur pourrait peut-être faire la lumière sur ce point.

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, j'examinerai en détail la question de mon collègue.

Je voudrais aussi revoir les propos du premier ministre à ce sujet. Dans le secteur de l'énergie, les décisions ont toujours été guidées par les organismes de réglementation et le marché.

Mon collègue laisse entendre qu'il existe des liens purement politiques dans ce dossier. Je peux lui dire que ce n'est pas du tout ce que le premier ministre avait à l'esprit, selon moi. Il est certain que le premier ministre ne souhaite pas détruire la stabilité de la Nouvelle-Écosse ni des autres régions du Canada atlantique.

L'indépendance de l'Office national de l'énergie-
La position du gouvernement

L'honorable J. Michael Forrestall: Honorables sénateurs, peut-être devrais-je poser ma question à la ministre comme ceci: l'Office national de l'énergie est-il un organisme indépendant?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Oui.

Le sénateur Forrestall: C'est un organisme indépendant. Madame le leader du gouvernement au Sénat peut-elle nous donner l'assurance que l'office agira en tant que tel, et qu'il ne se laissera pas influencer par les préférences trois fois répétées du premier ministre du Canada qui nomme ses membres?

Le sénateur Fairbairn: Où qu'il opère au Canada - et il est constamment actif dans ma région - l'Office national de l'énergie est un organisme réglementaire indépendant.

TERRE-NEUVE

Les changements apportés au système scolaire-
La modification de la clause 17 de la Constitution-
La date du vote au Sénat-La position du gouvernement

L'honorable Noël A. Kinsella: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Les honorables sénateurs se souviendront que, vers la fin juin, alors que nous nous apprêtions à ajourner pour le congé d'été, le gouvernement était extrêmement motivé pour étudier la motion concernant la clause 17 des Conditions de l'union de Terre-Neuve et du Labrador. Cette Chambre était d'accord pour que le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, sous la direction compétente de sa présidente, le sénateur Carstairs, soit saisi de ce dossier. Les sénateurs ont donc renoncé à partir tôt en vacances et se sont penchés sur la question.

 

  • (1440)
Il était entendu que le rapport du comité devait être déposé au plus tard le 17 juillet, ce qui fut fait.

Je voudrais signaler au leader du gouvernement au Sénat que cela fait maintenant trois mois que les choses traînent. Certains sénateurs craignent que cette question ne fasse pas l'objet d'un vote au Sénat.

Des voix: Quelle honte!

Le sénateur Kinsella: Par conséquent, j'aimerais demander au leader du gouvernement au Sénat si c'est l'intention de son gouvernement de ne pas mettre cette question aux voix dans cette enceinte.

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, mon honorable collègue a fait une description absolument exacte de l'avancement de cette très importante question qui a de profondes ramifications pour la province qui l'a proposée. Comme nous le savons, les opinions sont très partagées des deux côtés de cette Chambre.

Le sénateur Lynch-Staunton: Elles l'étaient également à la Chambre des communes.

Le sénateur Fairbairn: C'est exact, le sénateur Lynch-Staunton nous signale que l'autre endroit était aussi divisé. Il y a de ce côté-ci un certain nombre de sénateurs qui aimeraient se faire entendre dans ce débat.

Le sénateur Berntson: Combien d'orateurs allez-vous produire aujourd'hui?

Le sénateur Fairbairn: Nous voudrons certainement les écouter.

Le sénateur Lynch-Staunton: Mais est-ce que le gouvernement écoutera?

Le sénateur Fairbairn: À la fin du débat, la Chambre pourra se prononcer.

Le sénateur Kinsella: J'ai une question supplémentaire. Étant donné le fait qu'une journée, au début de décembre, est la journée au-delà de laquelle toute décision prise par notre Chambre deviendra inutile, ma question est celle-ci: le gouvernement va-t-il garantir aux honorables sénateurs qu'ils pourront, dans le cadre d'un vote libre, comme les députés à l'autre endroit, se prononcer sur cette question avant la fin de novembre?

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, à l'instar de tous les sénateurs, je suis parfaitement au courant du délai que nous devons respecter en ce qui concerne nos responsabilités constitutionnelles. Il est certes notre intention d'assumer ces responsabilités dans ce délai.

Le sénateur Atkins: En procédant à un vote?

 

L'énergie

Le tracé du gazoduc au large de la Nouvelle-Écosse-
L'influence du premier ministre sur la décision de l'Office national de l'énergie-
La position du gouvernement

L'honorable Gerald J. Comeau: J'aimerais revenir sur la question que mon collègue, le sénateur Forrestall, a posée au sujet du gazoduc de l'île de Sable.

Le premier ministre a à maintes reprises déclaré publiquement qu'il préférait que le gazoduc passe par le Québec. Cela va sans dire que les membres de l'Office national de l'énergie ont dû sûrement capter le message indiquant la préférence du premier ministre.

Voici ma question à l'adresse de la ministre: quelle différence y a-t-il entre un premier ministre qui dit ouvertement qu'il privilégie le tracé passant par le Québec et l'honorable David Collenette, qui a dû démissionner de son poste pour avoir envoyé une demande de renseignements par écrit à une commission dont les membres sont nommés par le gouvernement?

Comme se fait-il que le premier ministre ne respecte pas les lignes directrices en matière d'éthique qu'il a imposées à autrui? Autrement dit, il fait pencher fortement la balance d'un côté quand il déclare publiquement qu'il souscrit à un projet qui fera passer le gazoduc par le Québec, plutôt que sous la mer. Si le premier ministre rendait public son code d'éthique jusqu'à maintenant resté secret, ne se trouverait-il pas à commettre une violation plus grave de ce code que son ancien ministre de la Défense, David Collenette?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, en réponse à l'honorable sénateur, je vais répéter ce que j'ai dit au sénateur Forrestall. Je vais me renseigner personnellement sur les propos exacts du premier ministre, puis examiner les deux questions.

Mon honorable collègue a posé une question sérieuse, que je vais prendre au sérieux. Cependant, je dois signaler qu'aucune décision n'a encore été prise. L'Office national de l'énergie est un organisme de réglementation qui est indépendant et...

Le sénateur Lynch-Staunton: Certainement. Tout comme le CRTC.

Le sénateur Fairbairn: ... je vais assurément donner suite à la question de mon collègue, tout comme à celle du sénateur Forrestall.

Le sénateur Comeau: Honorables sénateurs, en guise de question complémentaire, je ferai remarquer à la ministre que les membres de l'Office national de l'énergie sont nommés par le premier ministre et ses ministres. De toute évidence, ces gens savent très bien que, pour poursuivre leur carrière à l'office, ils ont tout avantage à obéir aux ordres du premier ministre. Je ne laisse pas du tout entendre qu'ils le feront, mais ils savent manifestement qui les nomme à leur poste.

Il aurait peut-être été sage que le premier ministre garde son opinion secrète jusqu'à ce que l'Office national de l'énergie ait pu examiner cette décision importante qui, si elle tourne mal, risque de créer des problèmes comme ceux qui existent actuellement entre Terre-Neuve et le Québec au sujet des chutes Churchill. Le premier ministre, qui a décidé de ne pas intervenir dans le problème des chutes Churchill, s'est placé dans une situation qui risque de se retourner contre lui et contre les Canadiens de la région de l'Atlantique.

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, j'examinerai attentivement le compte rendu, après quoi j'essaierai de trouver une réponse pour le sénateur.

Je pense que tous les sénateurs respectent beaucoup l'intégrité des membres de l'Office national de l'énergie. Je ne voudrais pas que des propos qui ont été tenus ici aujourd'hui donnent à entendre que ce n'est pas le cas, et je ne pense pas qu'on ait contesté leur intégrité de quelque façon que ce soit. J'insiste cependant sur le fait que la valeur de leurs décisions dans ce domaine très important est reconnue par toutes les régions du pays. À mon avis, nous devrions tous respecter ces décisions.

[Français]

 

Les finances nationales

L'inadéquation entre les promesses préélectorales et les comptes publics-La position du gouvernement

L'honorable Roch Bolduc: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Vous savez que le gouvernement dépense, pour des services professionnels, à peu près 5 milliards de dollars, si mes souvenirs sont exacts. Dans le livre rouge - et pas n'importe lequel, le vrai livre rouge, pas celui de Mao, - on a dit qu'on allait réduire ces dépenses de 600 millions de dollars. Or, la lecture des comptes publics, la semaine dernière, nous apprend qu'on n'a pas réduit ces dernières de 600 millions de dollars, mais on les a haussées de 163 millions de dollars. Est-ce que le leader du gouvernement pourrait nous dire ce qui se passe? Comment se fait-il que le gouvernement ait manqué à sa promesse?

Le sénateur Simard: Une autre promesse violée!

[Traduction]

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je devrai examiner la question et vous en faire rapport plus tard.

[Français]

Le sénateur Bolduc: Comme le maire de Drummondville disait, on aimerait savoir ce qui se passe quand ça monte comme ça en descendant. On ne comprend pas.

[Traduction]

 

Réponses différées à des questions orales

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, j'ai la réponse à une question que l'honorable sénateur Lynch-Staunton a posée au Sénat le 1er octobre 1996, concernant le renvoi à la Cour suprême du Canada - les déclarations récentes du ministre de la Justice; et la réponse à une question que l'honorable sénateur Lynch-Staunton a posée au Sénat le 3 octobre 1996, concernant le renvoi à la Cour suprême du Canada - l'efficacité de l'initiative gouvernementale.

 

L'unité nationale

Le renvoi à la Cour suprême du Canada-
Les déclarations récentes du ministre de la Justice-
La position du gouvernement

(Réponse à la question posée par l'honorable John Lynch-Staunton le 1er octobre 1996)

Le gouvernement fédéral ne remet pas en question le droit des Québécois de décider de leur avenir. Au contraire, nous reconnaissons depuis longtemps qu'il ne saurait être question de retenir les Québécois contre leur gré, une fois

qu'ils auront exprimé clairement leur volonté par voie de référendum sur une question claire et une fois que tout le monde en connaîtra les conséquences de façon explicite.

Un tel cadre ne met nullement en doute le droit démocratique des Québécois d'exprimer leur volonté quant à leur avenir. Il ne vise d'ailleurs aucunement à contraindre les Québécois à une camisole de force constitutionnelle.

Le cadre permettra en fait de déterminer en bonne et due forme la marche à suivre pour modifier les dispositions constitutionnelles actuelles en toute conformité avec les lois, les traditions et les valeurs canadiennes et dans le respect des droits de tous les intéressés.

 

Le renvoi à la Cour suprême du Canada
L'efficacité de l'initiative gouvernementale

(Réponse à la question posée par l'honorable John Lynch-Staunton le 3 octobre 1996)

Un renvoi est une procédure par laquelle le gouvernement fédéral renvoie des questions de fait ou de droit qu'il juge importantes à la Cour suprême pour audition et examen. La Cour rend un avis consultatif sous forme de jugement. Comme il s'agit d'un avis émanant du plus haut tribunal du pays, on en considère la portée obligatoire.

À ce moment-ci, le gouvernement ne spéculerait pas sur la réaction du gouvernement du Québec quant à un éventuel avis de la Cour suprême du Canada.

Le gouvernement fédéral a l'obligation envers tous les Canadiens de veiller à la stabilité sociale, économique et juridique de l'ensemble du pays. Cette obligation exige que le gouvernement fédéral demande, au nom de tous les Canadiens, des précisions juridiques quant à certaines questions fondamentales entourant la sécession possible du Québec, bien avant tout autre référendum sur le sujet.

Les précisions juridiques sont particulièrement nécessaires compte tenu de la position adoptée par le gouvernement du Québec dans l'affaire Bertrand - savoir qu'il est d'avis que le Québec peut se séparer du Canada à l'issue d'une décision unilatérale, et que les tribunaux et le principe de la primauté du droit n'ont aucun rôle à jouer dans le cadre d'une sécession possible. Dès lors, le Québec a simplement ajouté à l'incertitude entourant ces questions.

 


ORDRE DU JOUR

La Loi sur les juges

Projet de loi modificatif-Motion d'amendement-
Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Bryden, appuyée par l'honorable sénateur Stollery, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-42, Loi modifiant la Loi sur les juges et une autre loi en conséquence;

Et sur la motion en amendement de l'honorable sénateur Nolin, appuyée par l'honorable sénateur Doody, que le projet de loi ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié,

a) à l'article 4, page 3,

(i) par substitution, à la ligne 12, de ce qui suit:

approbation du Conseil.,

(ii) par substitution, à la ligne 14, de ce qui suit:

titre du paragraphe (1), le juge en chef ou le juge,

(iii) par suppression des lignes 23 à 32;

b) à l'article 5, par substitution aux lignes 12 à 43, page 4, et aux lignes 1 à 26, page 5, de ce qui suit:

56.1 (1) Le juge auquel un congé a été accordé en vertu du paragraphe 54(1) peut, avec l'autorisation du Conseil accordée en vertu du paragraphe (2), exercer des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires pour une organisation internationale d'États ou l'une de ses institutions et être indemnisé, par le gouvernement du Canada, à l'égard de ses fonctions, de ses frais de transport et des frais de séjour et autres frais raisonnables.

(2) Lorsque le juge demande un congé en vertu du paragraphe 54(1) afin d'exercer des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires pour une organisation internationale d'États ou l'une de ses institutions, le Conseil peut, à la demande du ministre de la Justice du Canada, autoriser l'exercice de ces fonctions.

L'honorable Sharon Carstairs: Honorables sénateurs, j'interviens au sujet de l'amendement que le sénateur Nolin propose d'apporter au projet de loi C-42, Loi modifiant la Loi sur les juges. J'espère ainsi persuader les honorables sénateurs, en particulier nos vis-à-vis, de rejeter l'amendement du sénateur Nolin et de procéder à la troisième lecture du projet de loi.

Sauf erreur, l'amendement modifierait le projet de loi C-42 à deux égards. Premièrement, il aurait pour effet de modifier l'article 4 pour confier au Conseil canadien de la magistrature le pouvoir dont jouit actuellement le gouverneur en conseil d'autoriser les congés de plus de six mois demandés par les juges. Deuxièmement, il modifierait les dispositions proposées concernant la participation des juges à des activités internationales, de manière à restreindre les dispositions régissant les cas où des juges canadiens exercent des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires pour une organisation internationale ou l'une de ses institutions et continuent d'être indemnisés à l'égard de ces fonctions et des autres frais par le gouvernement du Canada.

Honorables sénateurs, le premier amendement proposé dans la motion dont nous sommes saisis est inacceptable pour une raison bien simple. Il aurait pour effet de confier au Conseil canadien de la magistrature le soin de décider si un juge pourrait prendre congé ou non de ses fonctions judiciaires ordinaires pour une période de plus de six mois. Une telle décision peut avoir une incidence sérieuse sur la capacité d'un tribunal d'accomplir son travail. Comme les honorables sénateurs le savent sans doute, dans beaucoup de juridictions au Canada, les tribunaux connaissent de graves problèmes d'arriéré de travail et de retard. Les juges et les gouvernements provinciaux ont fait de grands efforts pour remédier à ces problèmes, qu'ils se rencontrent au niveau pénal ou au niveau civil, mais l'équilibre à établir entre le nombre de juges disponibles et le nombre de causes à entendre est très délicat.

Il me paraît essentiel qu'il incombe au gouvernement du Canada de prendre la décision finale sur la question de savoir si un juge devrait obtenir un long congé. Comme c'est le gouvernement fédéral qui nomme les juges de la juridiction supérieure et qui les paie, il devrait avoir son mot à dire à propos de leur affectation.

Honorables sénateurs, je reconnais et je respecte les préoccupations des auteurs de la proposition d'amendement. La question de l'indépendance judiciaire est extrêmement importante. Il faut nous efforcer de limiter les points sur lesquels le gouvernement peut exercer sa discrétion à des égards qui peuvent se révéler avantageux ou même désavantageux pour les juges. C'est pour cette raison que le ministre de la Justice a proposé l'article 4 du projet de loi C-42. Il vise à transférer du gouvernement aux juges en chef le pouvoir d'autoriser les congés de moins de six mois. De tels congés permettront à la magistrature de se prononcer sur les demandes de congé de maladie, de maternité ou parental, dont le gouvernement ne devrait pas avoir à s'occuper. Cependant, pour les congés de plus de six mois, on ne peut laisser uniquement à la magistrature le pouvoir de se prononcer sur le bon usage de maigres ressources judiciaires sans compromettre le devoir du gouvernement de rendre compte aux contribuables de l'utilisation du budget consacré à la rémunération des juges.

Honorables sénateurs, cela m'amène au deuxième amendement proposé dans la motion à l'étude, c'est-à-dire l'amendement à l'article 5 du projet de loi. Cet amendement cristallise le principal problème avec lequel le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se débat depuis quelques semaines. La question qui se pose consiste à savoir si les juges canadiens peuvent et doivent remplir diverses fonctions, dont certaines ne sont pas judiciaires, à l'extérieur du Canada.

Avant de commenter l'amendement proposé par l'honorable sénateur Nolin, je vais rappeler aux sénateurs les raisons qui ont poussé le gouvernement à proposer les modifications prévues à l'article 5 et les effets de ces modifications.

L'article 5 du projet de loi C-42 est proposé à ce moment-ci, les honorables sénateurs ne sont pas sans le savoir, par suite de la décision que le Conseil de sécurité de l'ONU a prise en février dernier voulant que le juge Arbour, de la Cour d'appel de l'Ontario, succède au juge Richard Goldstone, de la Cour constitutionnelle d'Afrique du Sud, comme procureur général de la Commission internationale des Nations Unies sur les crimes de guerre pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda. C'est le procureur général sortant, le juge Goldstone, qui a recommandé le juge Arbour au secrétaire général de l'ONU, M. Boutros Boutros-Ghali. Le gouvernement considère le choix d'un juge canadien comme un honneur pour le Canada, et il a le devoir de donner suite à ce choix, si possible.

Comme le témoignage des fonctionnaires du ministère au comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles l'a clairement fait ressortir, il est nécessaire de modifier la Loi sur les juges parce que le procureur de l'ONU doit être payé directement par l'organisation et non par un État membre. Je dois dire aux honorables sénateurs que l'article 1.6 du Règlement sur le personnel de l'ONU stipule qu'aucun membre du personnel ne doit accepter de rémunération d'un gouvernement.

La Loi sur les juges, dans son état actuel, ne prévoit pas de congés sans traitement pour les juges canadiens, bien que, comme le professeur Arthurs, de la Osgoode Hall Law School, l'a signalé au comité, il existe au moins un précédent qui remonte au début des années 60. Le juge Wilson a servi à Chypre sous mandat de l'ONU de 1962 à 1964. La loi ne semble pas non plus autoriser les juges canadiens à toucher un traitement ou des indemnités d'une source autre que le gouvernement du Canada ou d'une province.

Compte tenu des importantes répercussions pour l'indépendance des juges qu'a le fait d'autoriser un juge canadien à prendre un congé sans traitement pour aller travailler pour les Nations Unies, le ministre de la Justice a consulté, en mars, le Conseil canadien de la magistrature. Il lui a proposé une alternative, soit prévoir un pouvoir législatif précis pour que le juge Arbour puisse accepter le poste aux conditions établies par les Nations Unies, ou adopter une modification générale qui, sous réserve de certaines conditions strictes, permettrait à l'avenir que des juges canadiens acceptent des postes au sein d'organisations internationales d'États, leur traitement et leurs dépenses étant payés par l'organisation internationale en question. Le Conseil canadien de la magistrature a opté pour la modification générale.

Honorables sénateurs, l'article 5 du projet de loi vise à créer un nouvel article 56.1, dont les paragraphes (2) et (6) permettraient à un juge de prendre un congé sans traitement pour aller travailler pour une organisation internationale d'États ou une institution d'une telle organisation et d'être payé par celle-ci. Mais soyons très clairs sur les limites des nouvelles dispositions proposées. Premièrement, le juge devrait demander un congé sans traitement, car il n'y aurait aucun moyen, sans cela, de suspendre son traitement. J'insiste là-dessus parce que des sénateurs ont manifesté des inquiétudes au sujet de l'incidence qu'aurait la modification sur l'exigence constitutionnelle que le Parlement fixe et verse le traitement des juges.

Deuxièmement, un juge ne peut obtenir un congé sans traitement que pour aller travailler pour une organisation internationale d'États ou pour une de ses institutions. Il s'agit ici d'organisations comme les Nations Unies, l'UNESCO et la francophonie. La société IBM, à laquelle certains ont fait allusion, n'est pas au nombre de ces organisations, pas plus que le gouvernement d'un État en particulier.

Troisièmement, un congé sans traitement pour travailler pour une organisation internationale doit être approuvé par le gouvernement fédéral de telle sorte qu'aucun juge ne puisse aller travailler pour une organisation ou une institution internationale dans des circonstances qui seraient contraires à la politique étrangère du Canada.

Quatrièmement, avant même qu'il soit demandé au gouverneur en conseil d'approuver le congé sans traitement, le ministre devrait, dans chaque cas, consulter le président du Conseil canadien de la magistrature. Si le projet de loi prévoit cela, c'est que le gouvernement estime que la magistrature doit être consultée sur une décision qui peut influer sur la perception des juges par la population ou sur l'indépendance des juges.

Honorables sénateurs, j'estime qu'en exigeant pareille consultation, on prévient dans une très large mesure les abus qui pourraient découler de cette disposition. Je pense notamment que cela devrait rassurer ceux qui ont évoqué la possibilité que les juges commencent à exercer des pressions sur le gouvernement pour obtenir des nominations auprès d'organismes internationaux.

Cinquièmement, le gouvernement et le Conseil canadien de la magistrature pourraient examiner au cas par cas les répercussions qu'aurait sur les ressources le fait d'autoriser des juges à travailler auprès d'organisations internationales. Je pense que ces répercussions ne seraient pas importantes pour deux raisons. On se prévaudra extrêmement rarement de cette disposition parce que les possibilités de travail auprès d'organisations comme les Nations Unies ne seront pas légion, la possibilité de faire payer la rémunération et les dépenses du juge directement par l'organisation internationale permettant au gouvernement canadien de nommer, au besoin, un juge substitut.

 

  • (1500)
Honorables sénateurs, les dispositions que je viens de décrire concernent le congé non rémunéré pour le travail auprès d'organisations internationales. L'article 5 vise aussi à clarifier les conditions à satisfaire pour qu'un juge canadien puisse participer aux travaux d'une organisation internationale et pour que cette dernière puisse payer les dépenses qui s'ensuivent.

La nouvelle disposition autoriserait expressément la participation aux travaux d'organisations internationales, notamment au chapitre de l'assistance technique. Elle s'appliquerait, qu'un congé soit nécessaire ou non. Pour ce qui est des dépenses, le paragraphe (1) du projet de loi permettrait aux juges qui ont participé à de tels travaux de faire payer leurs dépenses par le gouvernement du Canada ou par une organisation internationale. J'insiste sur le fait que, dans ce dernier cas, les dépenses devraient découler de la participation aux travaux d'une organisation internationale ou d'une de ses institutions, et non pas de la participation à ceux d'un gouvernement étranger, d'une multinationale ou d'un particulier. Cela permettrait au Canada d'épargner de l'argent. À mon avis, il n'y a strictement rien dans cette disposition qui pourrait avoir des répercussions sur l'indépendance d'un juge canadien qui participerait à pareilles activités internationales avec l'autorisation de son juge en chef ou du gouvernement du Canada.

Pendant les audiences sur ce projet de loi, le comité des affaires juridiques et constitutionnelles a entendu des réserves quant à la portée du terme «activités internationales» et à la possibilité que nombre de juges obtiennent la permission de participer à de telles activités, au détriment du système de justice canadien. Honorables sénateurs, il se peut que le comité doive surveiller l'application de cette nouvelle disposition qui est proposée et convoquer le ministre de la Justice ou le commissaire à la magistrature fédérale dans un an ou deux pour discuter du recours aux juges canadiens à l'étranger. En attendant, toutefois, à défaut de proposition visant à clarifier le terme utilisé, je suis d'avis que l'article 5 est fort acceptable et qu'il représente une amélioration par rapport aux dispositions en vigueur.

Honorables sénateurs, la Loi sur les juges, dans son libellé actuel, n'est pas claire en ce qui a trait à la capacité des juges canadiens de participer à ces activités internationales. Les modifications proposées visent justement, entre autres choses, à clarifier cette question. Le libellé de la loi, et les précédents relatifs à son application, laissent entendre qu'il existe un très large éventail d'activités auxquelles les juges canadiens peuvent être autorisés à prendre part au nom du gouvernement du Canada. Toutefois, il n'est rien dit de particulier quant aux activités poursuivies à l'extérieur du Canada.

Il serait souhaitable, à mon point de vue, que l'on clarifie les dispositions de la loi en ce qui concerne les activités internationales. Il importe de reconnaître que les juges sont capables d'exercer des fonctions à l'étranger dans la mesure où, aux termes de la Loi sur les juges actuellement en vigueur, ils le font avec l'approbation du gouvernement du Canada et qu'ils sont payés par lui. Par exemple, c'est en vertu des dispositions actuellement en vigueur que Mme le juge Arbour exerce présentement les fonctions de procureur en chef, conformément à un décret. Le problème, c'est que le gouvernement fédéral doit continuer de lui verser son traitement et de payer ses dépenses, même si les Nations Unies ne le veulent pas - en fait, cela va à l'encontre de leurs règlements. La situation dans laquelle se trouve Mme le juge Arbour est certainement légale, mais elle n'est pas idéale, notamment du point de vue des Nations Unies.

Je voudrais maintenant parler de l'effet que l'amendement du sénateur Nolin, je crois, aurait sur l'article 5 du projet de loi. Si je comprends bien, tout cet article serait remplacé par deux dispositions simples. Essentiellement, ces deux dispositions permettraient aux juges canadiens de prendre un congé autorisé de plus de six mois pour remplir des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires au sein d'une organisation internationale. L'approbation du gouverneur en conseil serait conditionnelle à la présentation d'une demande du Conseil canadien de la magistrature.

En bref, la proposition d'amendement éliminerait presque entièrement l'article 56.1 qui est proposé. Un juge ne pourrait pas participer à des activités internationales aux frais d'une organisation internationale. Un juge ne pourrait pas être autorisé à travailler pour une organisation internationale et rémunéré par elle. Les conditions auxquelles un juge pourrait participer à des activités internationales ou à des programmes d'assistance juridique de nature technique ne seraient donc pas précisées.

À mon avis, l'amendement proposé pourrait avoir pour effet de limiter la portée des dispositions actuelles de la Loi sur les juges de façon à empêcher les juges canadiens de participer à des activités internationales, y compris de travailler pour une organisation internationale, lorsqu'il ne s'agit pas de fonctions strictement judiciaires ou quasi judiciaires. Je dis cela parce que la loi ne se prête pas à une interprétation claire. L'ajout d'une disposition permettant expressément aux juges d'exercer des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires pour une organisation internationale pourrait être interprété comme une interdiction d'exercer d'autres types de fonctions sur la scène internationale, même si cela est maintenant permis par la loi.

Une telle interprétation empêcherait la participation de juges canadiens à la plupart des programmes d'aide technique, où les juges ne jugent pas mais enseignent ou aident à établir de nouveaux systèmes judiciaires. À mon avis, le Canada serait alors la risée des pays civilisés, qui font tous leur possible pour prêter toutes les ressources disponibles, y compris les juges, afin d'aider au développement de la démocratie et à l'établissement d'institutions constitutionnelles clés, comme un système judiciaire indépendant.

Honorables sénateurs, la motion à l'étude empêcherait la juge Arbour de continuer d'exercer ses fonctions de procureur en chef pour deux raisons. Tout d'abord, elle limiterait les juges canadiens qui travaillent pour des organisations internationales à l'exercice de fonctions judiciaires et quasi judiciaires. Le rôle de procureur en chef va bien au-delà de cela. La motion empêcherait aussi les Nations Unies de payer la juge directement pour ses fonctions de procureur en chef, ce qui est important étant donné que le procureur doit être indépendant des États membres, dont le Canada.

Honorables sénateurs, je crois que le débat sur ce projet de loi se résume à la question qui se pose dans le deuxième amendement proposé dans la motion du sénateur Nolin. La question est la suivante: convient-il qu'un juge canadien actif exerce...

Son Honneur le Président: J'hésite à interrompre le sénateur Carstairs, mais ses quinze minutes sont écoulées.

Les honorables sénateurs autorisent-ils madame le sénateur à terminer son discours?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Carstairs: Je remercie les honorables sénateurs.

La question est la suivante: est-il convenable pour un juge canadien en fonction d'entreprendre des activités non judiciaires à l'étranger tout en continuant de faire partie de la magistrature? La question de savoir si un juge peut obtenir un congé sans rémunération ou à quel genre d'activités il peut participer n'a plus qu'une importance secondaire à mes yeux. Je crois qu'il appartient à chaque sénateur de répondre selon sa conscience.

Le Canada a l'obligation, étant l'un des pays les plus sûrs, les plus démocratiques et les plus favorisés au monde, de partager ses ressources avec des pays moins fortunés. Il est également de son devoir d'appuyer les efforts internationaux qui visent à rétablir l'ordre dans le monde et à mettre un terme aux génocides et aux crimes de guerre.

Si un juge canadien est en mesure d'apporter son aide et qu'il peut disposer du temps voulu pour le faire, pourquoi ne pas le lui permettre? Pour quelle raison devrait-on limiter au seul domaine judiciaire les fonctions d'un juge sur la scène internationale? Le critère déterminant devrait consister à évaluer dans quelle mesure le fait qu'un juge aille travailler à l'étranger nuira à sa capacité de reprendre ses fonctions judiciaires au Canada. Il ne s'agit pas ici de déterminer si les fonctions qu'il remplira sont ou non de nature judiciaire.

Honorables sénateurs, le fait que l'on fera de plus en plus appel au Canada et aux autres démocraties industrialisées pour aider au renforcement du système et de l'organisation judiciaires d'un certain nombre de pays en développement, comme l'Afrique du Sud, la République populaire de Chine, la Russie et l'Ukraine, est une réalité de la situation géopolitique dans le monde au lendemain de la chute du communisme et du bloc que formaient les deux superpuissances. L'appareil judiciaire est en mesure d'offrir une aide particulière à cet égard. Ce projet de loi est précisément opportun, car les juges canadiens se portent très souvent volontaires, durant leurs congés, pour consacrer une partie de leur temps à aider le Canada à remplir ses obligations internationales. À mon avis, c'est une responsabilité morale.

 

  • (1510)
Si le projet de loi C-42 n'est pas parfait, il est certainement préférable au statu quo et, avec tout le respect que je lui dois, aux amendements proposés par le sénateur Nolin. C'est sur le plan législatif une amélioration importante dans cette première tentative du Parlement de régler ce problème complexe. Je suis ravie de constater toute l'attention que les honorables sénateurs des deux côtés de la Chambre ont portée aux questions de l'indépendance de l'appareil judiciaire durant l'étude de ce projet de loi. Cette attention est tout à fait justifiée. Le projet de loi a l'approbation et l'appui du Conseil canadien de la magistrature.

Non seulement il ne menace pas l'indépendance de l'appareil judiciaire, mais il offre de nouvelles protections contre toute atteinte à l'indépendance de l'appareil judiciaire.

L'honorable Pierre Claude Nolin: Honorables sénateurs, le sénateur Carstairs a fait référence à deux documents essentiels: la décision des Nations Unies et la Constitution de notre pays. Comment réglons-nous le conflit entre l'article 100 de notre Constitution, qui stipule que les traitements et les allocations des juges seront payés par le Parlement du Canada, et la décision des Nations Unies? Comment?

Le sénateur Carstairs: Je crois que c'est exactement ce que nous faisons en adoptant ce projet de loi dans sa forme actuelle. Si un juge doit occuper des fonctions à l'extérieur du Canada, son salaire et ses avantages doivent être fixés par l'organisme international. L'article 100 de la Loi sur le Canada établit que nous devons fixer les salaires des juges canadiens. Or, si un juge est en congé sans solde, qu'il travaille pour les Nations Unies et qu'il est payé par cette organisation, cette obligation ne s'applique plus de la même façon qu'avant son départ.

L'article 100 de la charte canadienne dit clairement que le Canada paye les salaires et avantages des juges, mais pas nécessairement à vie. Ils sont payés aux personnes qui occupent des fonctions de juge au Canada et quand ces personnes ne sont pas en congé sans solde. Le juge Arbour partirait normalement en congé sans solde et ce sont les Nations Unies qui veilleraient à lui verser un salaire.

Le sénateur Nolin: Êtes-vous en train de nous dire que l'article 100 vise à permettre l'embauche de juges à temps partiel?

Le sénateur Carstairs: Comme le sénateur Nolin le sait très bien, nous avons déjà des juges à temps partiel, en pratique. On les appelle des juges surnuméraires. Dans les milieux juridiques, la plupart des gens à qui j'en ai parlé trouvent cette situation parfaitement acceptable.

Le sénateur Nolin: Quand je dis «à temps partiel», je veux parler d'un juge qui aurait deux emplois. Les juges surnuméraires n'ont qu'un seul emploi. Plutôt que de travailler à plein temps, ils ont une charge réduite.

Si je vous comprends bien, vous voulez dire que la Constitution prévoyait que nous pourrions avoir des juges occupant deux emplois. Est-ce ainsi que vous comprenez la Constitution canadienne?

Le sénateur Carstairs: Non, parce que, quand un juge occupe des fonctions au sein d'une organisation internationale, il ne remplit pas ses fonctions de juge canadien en même temps. Il reste un juge canadien en congé sans solde, mais il ne remplit pas ses fonctions de juge au Canada pendant qu'il jouit de ce congé sans solde.

L'honorable Anne C. Cools: Honorables sénateurs, je suis réconfortée d'entendre enfin quelqu'un prendre la défense de ce projet de loi en cette enceinte, parce que, jusqu'ici, le silence était assourdissant.

Si Mme Arbour est en congé sans solde, le sénateur Carstairs pourrait peut-être nous expliquer le sens du paragraphe 56.1(7), dans le projet de loi C-42.

Le sénateur Carstairs: Je n'ai pas le paragraphe 56.1(7) sous les yeux et je ne peux donc pas vous donner de réponse; par contre, je peux répondre à la première partie de votre question. Vous dites que ce projet de loi n'avait pas été défendu. Pourtant, lorsqu'il l'a présenté à cette Chambre, le sénateur Bryden en a clairement souligné les points forts. Nous avons ensuite entendu des orateurs aussi éloquents que le sénateur Andreychuk, le sénateur Nolin et vous-même exprimer leurs réserves au sujet de cette mesure législative. Ces réserves ont certainement fait l'objet de discussions et de débats au sein du comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Certains témoins trouvaient que c'était un bon projet de loi alors que d'autres pensaient l'inverse. Ce n'est pas inhabituel - du moins selon mon expérience de ce comité. Il est normal d'entendre des opinions divergentes sur une même question.

Le sénateur Cools: Permettez-moi de reposer ma question au sénateur Carstairs. On peut dire que le paragraphe 56.1(7) est une disposition déterminative. En gros, il y est dit que si un juge a le malheur de décéder pendant un congé non rémunéré, il est réputé avoir reçu son salaire du gouvernement canadien pendant toute la durée de son absence. Pourriez-vous nous expliquer cela?

Le sénateur Carstairs: Honorables sénateurs, je suis prête à discuter de cette question avec le sénateur Cools à l'extérieur de cette Chambre. Je n'ai pas le projet de loi en mains et je refuse de me lancer dans une explication détaillée pour le moment.

Le sénateur Cools: J'ai une autre question à poser. Un juge est en congé soit avec solde, soit sans solde. On ne peut adopter une loi où un article stipule qu'un juge est en congé sans solde et où un paragraphe du même article stipule que le juge a pris un congé, mais censément avec solde. Voilà une autre question.

Il existe peut-être des règles aux Nations Unies. Cet organisme a des attentes qui, à plusieurs égards, s'écartent des normes, des intentions ou des règles de souveraineté des gouvernements nationaux. La question à l'étude concerne la souveraineté canadienne et la portée de celle-ci par rapport à la politique gouvernementale sur la magistrature et sur son indépendance.

Les Nations Unies ont souvent demandé au Canada de modifier sa politique nationale en matière de méthode de financement des militaires. Bien des gens aux Nations Unies souhaiteraient que le Canada procède différemment à cet égard. Cependant, le gouvernement canadien n'a jamais rien fait pour modifier le financement des militaires canadiens afin de satisfaire l'ONU. Pourquoi, dans le présent cas, le gouvernement du Canada, et surtout le ministère de la Justice, est-il si prêt à se plier aux volontés de l'ONU alors qu'il lui résiste sur tant d'autres points?

Le sénateur Carstairs: Tout d'abord, l'appui du Canada à l'ONU est assez remarquable. Tant en ce qui concerne nos obligations de financement que nos obligations de participation, je pense que le Canada a montré l'exemple. Je ne pense pas que l'on puisse douter de cela.

Est-ce que nous doutons de certaines des activités de l'ONU? Bien entendu. En tant qu'État membre, c'est notre droit. C'est notre responsabilité même. Toutefois, si un tribunal international doit être crédible, les membres de ce tribunal doivent non seulement être indépendants, mais également être perçus comme indépendants. Si leur salaire est payé par un État membre et non par l'organisation internationale elle-même, alors les autres États membres peuvent douter de leur indépendance véritable.

Le sénateur Cools: Je pense que le sénateur Carstairs a mal compris ma question. La participation du Canada est au-dessus de toute critique en ce qui concerne l'appui aux Nations Unies. Elle est tellement au-dessus de toute critique que nous n'avons pas besoin d'en parler ici. Mais la question qui nous est soumise est très sérieuse.

Ma question c'est que, comme le Canada a des règles très strictes concernant le financement militaire qui doit figurer au budget des dépenses, être étudié par le Parlement, et cetera, à différentes occasions, l'ONU a demandé au Canada d'être un peu plus libéral dans la façon dont il finance ses opérations militaires, mais le Canada a résisté. Par conséquent, si le Canada peut résister à la séduction des Nations Unies à certains égards, s'il protège son système politique et sa souveraineté, pourquoi ne fait-il pas la même chose en protégeant ses propres magistrats? Autrement dit quelles sont les circonstances différentes qui s'appliquent dans ce cas particulier, mais ne s'appliquent pas dans d'autres cas de politique étrangère?

 

  • (1520)
L'honorable A. Raynell Andreychuk: Honorables sénateurs, le sénateur Carstairs a dit que la disposition de la Constitution n'est pas violée puisque le juge ne serait pas rémunéré. Ainsi donc, le congé est total parce que le juge assume une tout autre fonction, renonçant au poste de juge qu'il occupe au pays pour ne le reprendre qu'à la fin de son mandat. C'est assurément comme cela qu'il faut voir un congé non rémunéré. Néanmoins, quand les avantages liés à la charge suivent le juge - comme le prévoit, si j'ai bien compris, le projet de loi dans sa version non modifiée - que ce soit au titre de la pension ou d'autres avantages sociaux, l'argument du sénateur ne perd-il pas de sa force? Le Canada ne se trouve-t-il pas à verser à un juge certains éléments de son traitement, même si ce n'est pas directement?

Le sénateur Carstairs: Sénateur Andreychuk, nous sommes tenus de veiller à ce que les prestations au titre de la pension et de l'assurance-maladie auxquelles les juges sont admissibles soient maintenues quand nous consentons à ce qu'ils prennent part à des activités internationales. Voilà pourquoi cette disposition du projet de loi prévoit le maintien des avantages en question.

Le sénateur Andreychuk: Selon l'argument du sénateur, il est acceptable qu'un juge quitte le Canada pour aller travailler auprès des Nations Unies. Le sénateur prétend que les Nations Unies veulent rester pures et qu'elles ne veulent pas être payées par un État souverain. Comment se fait-il qu'il est acceptable de payer une partie du traitement et pas une autre?

Je ne demande pas s'il est dans l'intérêt du juge de continuer de recevoir ces avantages indirects; je crois que oui. Cependant, le sénateur a soutenu que les Nations Unies ne veulent rien entendre de cela et que cela rend la chose acceptable et conforme à la Constitution. Je soutiens que la force de l'argument du sénateur dépend du fait que nous payons ou que nous ne payons pas. Si nous ne payons pas, alors le juge abandonne toutes les fonctions qu'il exerce au Canada, n'a rien à faire avec le régime canadien, sert les Nations Unies de manière pure et ensuite revient. Mais si le juge conserve tous les avantages associés à un emploi, comme la pension et d'autres avantages sociaux, le principe que le sénateur veut promouvoir s'embrouille. N'est-ce pas exact?

Le sénateur Carstairs: Le sénateur Andreychuk soulève un très bon argument. Je devrai l'examiner de façon plus détaillée.

Le sénateur Andreychuk: J'ai une question sur l'interprétation de «judiciaire» et de «quasi judiciaire». Si je comprends bien, le sénateur pense que l'amendement du sénateur Nolin est trop restrictif. Je suis de ceux qui pensent que les juges devraient contribuer au bon gouvernement et à la démocratie. Je pense que les juges devraient également participer à l'aide technique en aidant à établir des tribunaux ou d'autres structures judiciaires. C'est pour cela que j'appuie l'amendement du sénateur Nolin; il dit «judiciaire» et «quasi judiciaire». Mon interprétation de «judiciaire» ne signifie pas seulement siéger aux audiences. Cela comprend tout ce qui entoure un tribunal et la charge de juge. Il me semble que l'éducation judiciaire fait partie de ce que nous considérons être le judiciaire, tout comme le fait de siéger aux audiences.

Il me semble que l'amendement du sénateur Nolin appuie ce genre d'activité qui, je pense, est appropriée et nécessaire pour les juges. Il me semble que la ligne que nous devons tirer, c'est que s'il y a quelqu'un d'autre pour faire le travail, pourquoi s'adresser à des juges? Si nous avons des gens capables comme procureurs, comme avocats, comme économistes, comme défenseurs des droits de la personne, on devrait les encourager. Pourquoi se lancer dans le domaine de l'indépendance judiciaire? Ce sont seulement les juges qui sont capables, compétents et nécessaires pour les questions judiciaires et quasi judiciaires.

Autrement dit, je pense qu'il est parfaitement acceptable que des juges canadiens aident l'Ukraine à mettre sur pied un tribunal indépendant. Toutefois, je ne pense pas que nos juges devraient être des activistes en matière de droits de la personne auprès d'autres gouvernements.

Je laisse au Conseil de la magistrature le soin de déterminer si le fait d'agir comme procureur peut être interprété comme quasi judiciaire. Dans des domaines aussi délicats, il me semble que nous devrions nous en remettre au Conseil de la magistrature. Si nous étirons un peu la définition, il pourra nous le dire et nous autoriser. Pourquoi l'honorable sénateur pense-t-elle que la définition de judiciaire est si strictement interprétée? Je n'ai pas encore lu cette définition.

Je voudrais aussi recevoir l'assurance que les Nations Unies ne comptent pas dans leur personnel des gens payés par un État souverain et n'en a jamais comptés, qu'il y a en fait des détachements. Ce serait une situation idéale si les fonctionnaires internationaux exerçaient leurs fonctions de manière entièrement détachée de leur État souverain d'origine. Toutefois, est-ce la réalité de l'ONU d'aujourd'hui? À mon avis, ce n'est pas le cas, donc pourquoi nous demande-t-on d'être plus puristes que les Nations Unies?

Le sénateur Carstairs: Honorables sénateurs, permettez-moi de répondre à la première question tout d'abord. Les règlements touchant les employés sont très clairs. Ils ne peuvent accepter ce type de rémunération. Je ne suis pas et je ne prétends pas être une experte en ce qui concerne les Nations Unies. Cependant, je sais que les règlements en ce qui concerne le personnel précisent très clairement que les employés ne peuvent être payés que par l'organisation internationale elle-même.

Le sénateur Andreychuk: Honorables sénateurs, l'honorable sénateur prétend-elle qu'il n'y a pas de cas où une personne qui est en détachement continue de recevoir son salaire de l'État? Prétend-elle que le salaire d'un employé n'est jamais payé par le gouvernement, qu'on rembourse ensuite? En d'autres termes, n'y a-t-il pas des pratiques innovatrices de tenue de livres aux Nations Unies de nos jours?

Le sénateur Carstairs: Honorables sénateurs, je ne suis pas au courant de cela. Tout ce que je peux faire, c'est citer les règlements touchant le personnel qui précisent qu'aucun employé ne peut accepter une rémunération d'un gouvernement. Je ne suis au courant d'aucune violation de ces règlements. Je ne suis pas une autorité en la matière et je ne peux répondre avec certitude à cette question si ce n'est pour préciser à l'honorable sénateur ce que disent les règlements pertinents.

Le sénateur Andreychuk: Honorables sénateurs, dans ce cas-ci, je ne dis pas que les Nations Unies violent les règlements. L'honorable sénateur parle des règlements touchant les fonctionnaires internationaux. On en a discuté et on les a insérés dans un manuel pour les fonctionnaires internationaux. Cependant, cela n'englobe pas tout un éventail d'employés des Nations Unies. Le sénateur Kinsella parle de rapporteurs dans le domaine des droits de l'homme. Je suis personnellement au courant de cette situation, mais il ne s'agit pas vraiment de fonctionnaires internationaux. Il y a d'autres cas où des employés des Nations Unies sont payés d'une façon différente de celle que l'honorable sénateur a décrite. Ai-je raison ou pas de dire cela?

Le sénateur Carstairs: Honorables sénateurs, ma compréhension ne va pas au-delà de l'article que j'ai cité. Quant à l'autre question de l'honorable sénateur au sujet des fonctions judiciaires et quasi judiciaires, nous pouvons tomber d'accord pour dire que nous sommes en désaccord. J'estime que la définition proposée par le sénateur Nolin est trop étroite. Elle devrait être plus large.

L'honorable Noël A. Kinsella: Pourrions-nous demander que le règlement qui régit le personnel, auquel il a été fait allusion plusieurs fois, soit déposé pour que nous puissions l'étudier? Comme le sénateur Andreychuk, je pense que ce règlement ne s'applique pas aux personnes nommées à l'ONU, comme les rapporteurs spéciaux, les membres de commissions spéciales d'enquête, et cetera, mais aux fonctionnaires internationaux, aux employés permanents de l'ONU. Il s'agit ici, par définition, d'une nomination spéciale. De toute manière, il serait utile que nous puissions consulter ce document.

Le sénateur Carstairs: Je vais essayer d'obtenir le texte intégral pour l'honorable sénateur.

 

  • (1530)

Recours au Règlement

L'honorable Eymard G. Corbin: Honorables sénateurs, j'invoque le Règlement. Si j'ai bien compris, nous avons autorisé une prolongation afin de permettre à l'honorable sénateur Carstairs de conclure son discours. À ce que je sache, une telle prolongation n'autorise pas un sénateur à entamer une période des questions, après la fin du discours. Je ne nie pas l'intérêt des questions, mais cela n'a rien à voir. Mais nous avons révisé le Règlement pour éviter les abus en ce qui concerne le temps consacré aux débats et aux autres travaux du Sénat.

Je demande une décision, afin de déterminer si nous avons prolongé le temps de parole du sénateur Carstairs ou si nous avons autorisé une période des questions illimitée. J'aimerais bien savoir où nous en sommes exactement.

L'honorable Noël A. Kinsella: Honorables sénateurs, le consentement a été accordé afin de prolonger la période prévue pour le débat dont nous étions saisis et que menait le sénateur Carstairs cet après-midi. Son Honneur a demandé aux sénateurs s'ils consentaient à une prolongation, le consentement unanime a été accordé et la période a été prolongée. On n'a pas indiqué d'autres fins et l'ordre des travaux qui est prévu aux termes de la disposition générale du Règlement s'appliquera lorsqu'il sera 18 heures.

Le sénateur Corbin: C'est votre interprétation.

Le sénateur Kinsella: Honorables sénateurs, le sénateur et moi ne sommes pas d'accord. Il a invoqué le Règlement et fait valoir son point de vue. Je soutiens le contraire. Je considère son interprétation du Règlement incorrecte.

L'argument que je demande à Son Honneur d'examiner en rendant la décision que le sénateur Corbin lui a demandé de rendre, c'est qu'une fois le consentement unanime accordé, on ne revient pas en arrière.

Le sénateur Corbin: Honorables sénateurs, il faut vraiment faire preuve de mauvaise foi pour interpréter une demande de prolongation du temps de parole visant à permettre au sénateur Carstairs de conclure son discours comme s'il s'agissait d'une autorisation pour entamer une période des questions illimitée. C'est insensé. C'est de mauvaise foi. Je demande une décision claire à cet égard.

Le sénateur Kinsella: Honorables sénateurs, je m'oppose à cet argument en disant que c'est probablement l'un des meilleurs débats dont nous avons été saisis depuis plusieurs jours. Nous avons été témoins d'une discussion excellente et éclairante. Nous avons appris de nouvelles choses sur le projet de loi à l'étude tant au cours du débat qu'au cours de l'échange de questions et de réponses entre l'orateur, le sénateur Carstairs, et les divers honorables sénateurs. Nous avons notamment appris l'existence du document concernant le personnel.

S'il y a mauvaise foi, honorables sénateurs, c'est dans la tentative d'étouffer le débat.

L'honorable Anne C. Cools: Le sénateur Carstairs a demandé à tous les sénateurs une prolongation. Le consentement a été accordé. Pour ma part, j'ai dit: «D'accord.» Le Sénat n'a pas agi de manière à nier que le consentement unanime avait été accordé. Le sénateur Carstairs n'a pas épuisé son temps de parole, la prolongation est toujours valide et c'est le sénateur Corbin qui va à l'encontre de la volonté du Sénat.

Le sénateur Corbin: Voilà une interprétation pour le moins absurde de ce que j'ai dit.

Le sénateur Lynch-Staunton: Malveillante.

Le sénateur Corbin: Le sénateur Kinsella a réitéré ce que j'avais dit. J'ai dit qu'il s'agissait d'un échange intéressant, mais cela n'a rien à voir. J'ai demandé une décision sur la question de savoir si une prolongation du temps de parole d'un sénateur qui a la parole et qui demande quelques minutes de plus pour terminer son intervention peut automatiquement être transformée en une période de questions et de réponses d'une durée indéfinie.

Les honorables sénateurs savent que la période des questions peut se prolonger jusqu'à 18 heures, ou jusqu'à demain, ou jusqu'à 20 heures si nous en décidons ainsi. Il est absolument injuste de prétendre que je cherche à limiter le débat. Tel n'est pas mon but. Je veux simplement que cet aspect soit tiré au clair. Si le Président s'en remet à la volonté du Sénat sur cette question, je recommande d'en saisir le comité permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure.

Le sénateur Lynch-Staunton: Où étiez-vous durant le débat sur la TPS?

Le sénateur Corbin: C'est précisément la raison pour laquelle le Règlement a été réformé - pour prévenir des excès de ce genre.

Le sénateur Lynch-Staunton: Pour faire régner l'ordre, non pour être guidés par vous.

Le sénateur Corbin: Au lieu d'intervenir sans avoir la parole, pourquoi ne vous levez-vous pas pour apporter votre contribution au débat sur le rappel au Règlement?

L'honorable Eric Arthur Berntson (chef adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, en l'absence de toute citation jusqu'à présent au sujet du rappel au Règlement, je voudrais vous signaler le paragraphe 37(4) du Règlement qui stipule ceci:

(4) Sauf dans les cas prévus aux alinéas (2) et (3) ci-dessus, aucun sénateur ne parle pendant plus de 15 minutes, y compris les questions ou commentaires d'autres sénateurs que l'intervenant accepte au cours de son intervention.

Or, Votre Honneur, nous avons demandé une prolongation du temps de parole alloué au sénateur Carstairs. Cette dernière a parlé un certain temps, puis a demandé une prolongation de son temps de parole, y compris les questions et les réponses qui pourraient suivre la conclusion de son intervention. Cela lui a été accordé.

Rien ne dit que cette prolongation est maintenant limitée à cinq ou deux minutes, à trois, quatre ou sept questions ou à minuit, bien qu'une autre disposition du Règlement parle de 18 heures.

Honorables sénateurs, n'importe qui d'impartial, en considérant le paragraphe 37(4), page 39 de notre Règlement, en arrivera rapidement à la conclusion que le sénateur Corbin se trompe.

Son Honneur le Président: D'autres sénateurs veulent-ils prendre la parole au sujet du recours au Règlement?

Honorables sénateurs, je vous renvoie au paragraphe 37(4) du Règlement. Cette affaire n'est plus de mon ressort. Les sénateurs ont donné leur permission. Le paragraphe 37(4) autorise d'accorder à un orateur une prolongation de 15 minutes de son temps de parole, et cela inclut les questions. Les questions font partie des 15 minutes. Une fois la permission donnée, l'affaire n'est plus de mon ressort.

Le Sénat ferait bien d'y penser à deux fois avant d'accorder sa permission.

Le sénateur Lynch-Staunton: Nous étions parfaitement conscients. C'est le sénateur Carstairs qui a demandé la permission. Ce n'est pas nous qu'il faut blâmer.

Son Honneur le Président: Je signale, toutefois, que le Règlement parle de questions et non de discours. Les sénateurs voudront bien se limiter à poser des questions et, à cet égard, j'ai une certaine marge de manoeuvre. Trop souvent, les questions qui sont posées ici se transforment en véritables discours. Tenons-nous en à des questions et à des réponses.

Le sénateur Kinsella: Avec tout le respect que je dois à Votre Honneur...

 

  • (1540)
Son Honneur le Président: Sénateur Kinsella, le Président a la parole. De quoi s'agit-il? Jugement a été rendu. Nous en sommes maintenant aux questions qui sont posées au sénateur Carstairs.

L'honorable Peter Bosa: Honorables sénateurs, je voudrais faire une observation.

Son Honneur le Président: Le sénateur Bosa a la parole.

Le sénateur Bosa: Lorsqu'on demande la permission, on devrait laisser la parole à la présidence.

Son Honneur le Président: De quoi parlez-vous, sénateur Bosa?

Le sénateur Bosa: De la question d'accorder une permission lorsque quelqu'un a la parole.

Son Honneur le Président: Je regrette, mais décision a été rendue à cette égard. L'affaire dont le Sénat est maintenant saisi concerne les questions qui sont posées au sénateur Carstairs.

Le sénateur Bosa: Quand ces points seront-ils soulevés à nouveau?

Son Honneur le Président: Vous pouvez invoquer le Règlement.

Le sénateur Cools: Honorables sénateurs, avant de poser ma question, je pense que nous devrions remercier le sénateur Carstairs d'avoir répondu aux questions jusqu'à maintenant.

Son Honneur le Président: Votre question, je vous prie.

Le sénateur Cools: Très bien, je la remerciais. Je pense qu'elle a fait de son mieux.

Voici ma question: le projet de loi C-42 confère aux juges en chef du Canada un rôle plus grand quand il s'agit d'une activité internationale. Dans la nomination de Mme le juge Arbour au Tribunal des Nations Unies pour les crimes de guerre, quelle était l'opinion du juge en chef de Mme le juge Arbour et qui lui a demandé cette opinion?

L'honorable Sharon Carstairs: Sénateur Cools, je ne puis répondre à cette question. Je ne parle pas aux juges en chef. J'ai pris l'habitude de ne pas le faire.

L'honorable P. Derek Lewis: Honorables sénateurs, je voudrais faire une observation relativement au paragraphe 37(4) du Règlement. Je remarque que cette disposition limite à 15 minutes le temps prévu pour les interventions, y compris les questions.

Le sénateur Lynch-Staunton: C'est irrecevable.

Son Honneur le Président: Je suis désolé, sénateur Lewis, mais votre intervention est irrecevable.

(Sur la motion du sénateur Stanbury, le débat est ajourné.)

 

Terre-Neuve

Les changements apportés au système scolaire-
La modification de la clause 17 de la Constitution-
Le rapport du comité-La motion d'amendement-
Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Rompkey, c.p., appuyée par l'honorable sénateur De Bané, c.p., tendant à l'adoption du treizième rapport du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (modification de la Constitution du Canada, clause 17 des Conditions de l'union de Terre-Neuve avec le Canada), déposé auprès du greffier du Sénat le 17 juillet 1996.

Et sur la motion en amendement de l'honorable sénateur Doody, appuyée par l'honorable sénateur Kinsella, que le rapport ne soit pas adopté maintenant, mais qu'il soit modifié par substitution aux mots «sans amendement, mais avec une opinion dissidente, des mots:

avec l'amendement suivant:

Supprimer le passage de l'alinéa b) de la clause 17 qui précède le sous-alinéa i) et le remplacer par les mots «là ou le nombre le justifie.

L'honorable Landon Pearson: Honorables sénateurs, en tant que membre du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui s'est rendu à Terre-Neuve pour entendre le point de vue des habitants de Terre-Neuve et du Labrador sur la modification proposée à la clause 17, c'est mon tour aujourd'hui de faire des observations au Sénat.

En écoutant très attentivement les sénateurs qui ont pris la parole à cet égard, j'ai eu l'impression croissante que nous ne réussirons pas mieux à nous entendre sur la modification proposée à la clause 17 que les témoins que nous avons entendus à St. John's. Je le regrette parce que j'ai la conviction personnelle que, pour le bien des enfants qui sont l'avenir de Terre-Neuve et du Labrador, le Sénat ne devrait pas retarder davantage l'adoption de cette mesure. Peut-être que mes propos feront avancer le débat.

Chacun des sénateurs a jeté un éclairage différent sur les questions constitutionnelles soulevées par la résolution, et chacun de ces points de vue était tout à fait valable. Il n'empêche qu'il manque quand même quelque chose. À mon avis, cet élément manquant, ce sont les élèves.

Certes, je reconnais pleinement l'importance des précédents historiques, des processus constitutionnels et des droits des minorités, mais, en dernière analyse, ce sont l'éducation et les perspectives d'avenir des enfants et des jeunes de Terre-Neuve et du Labrador qui seront le plus touchées par la résolution dont nous sommes saisis. C'est donc au nom de ces enfants que je parle.

Tout le monde reconnaît que Terre-Neuve et le Labrador ont été aux prises avec de graves problèmes dans le domaine de l'éducation, problèmes qui ont été fort bien décrits, documents à l'appui, dans le rapport de la Commission Williams. Le défi que cette province doit relever consiste à améliorer les chances de chacun de ses élèves avec des ressources limitées. Comment garantir une plus grande équité entre les enfants de familles chrétiennes et les enfants de familles non chrétiennes? Est-il possible de garantir que les enfants francophones jouiront des mêmes possibilités d'acquisition d'une bonne éducation dans leur propre langue que les enfants anglophones? Comment la vie spirituelle des enfants autochtones peut-elle être mieux protégée dans le cadre du système d'éducation de la province? Comment les enfants handicapés peuvent-ils être placés sur un pied d'égalité avec les enfants non handicapés? Comment les enfants pauvres peuvent-ils jouir des mêmes possibilités que les enfants mieux nantis?

Je suis fermement convaincue que, lorsque les écoles sont financées par l'État, comme c'est le cas à Terre-Neuve et au Labrador, l'équité devient une question capitale. La clause 17 actuelle peut-elle assurer l'équité? Le gouvernement provincial ne le croit pas. Il croit que tous les enfants de la province ont droit à une éducation leur permettant de se développer dans toute la mesure de leurs potentialités dans le respect de leurs différences - ce qui correspond exactement à l'éducation telle que décrite aux articles 28 et 29 de la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant.

L'article 29 de cet important document, que le gouvernement de Terre-Neuve a approuvé, reconnaît le droit de l'enfant à une éducation qui vise à:

a) favoriser l'épanouissement de la personnalité de l'enfant et le développement de ses dons, et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités;

b) inculquer à l'enfant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et des principes consacrés dans la Charte des Nations Unies;

c) inculquer à l'enfant le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et de ses valeurs culturelles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays dans lequel il vit, du pays duquel il peut être originaire et des civilisations différentes de la sienne;

d) préparer l'enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d'égalité entre les sexes et d'amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d'origine autochtone;

e) inculquer à l'enfant le respect du milieu naturel.

Lorsque je suis allée à St. John's, en juillet dernier, je ne comprenais pas très bien pourquoi il fallait modifier la Constitution pour permettre à Terre-Neuve et au Labrador de réformer leur système scolaire de sorte à offrir l'égalité des chances et à élargir les possibilités de tous les élèves. J'aurais cru que les parties protégées par la clause 17 actuelle auraient pu négocier une entente répondant aux préoccupations exprimées dans le rapport Williams et conforme à la convention sur les droits de l'enfant. Cependant, en écoutant les témoins - et à ma connaissance, nous avons entendu tous les intervenants, y compris quelques jeunes élèves énergiques dont le point de vue était rafraîchissant - il est devenu évident que, pour toutes sortes de raisons, les possibilités de s'entendre sous le régime de l'ancienne clause 17 étaient très minces. Au contraire, il était certain que la lutte de pouvoir, qui, selon le très révérend Donald Harvey, évêque anglican de Terre-Neuve et du Labrador, «affaiblissait et diluait» depuis déjà trop longtemps la capacité de la province d'offrir une éducation de la plus haute qualité possible avec les ressources à sa disposition, allait se poursuivre. Pourquoi? Pourquoi certains de nos témoins étaient-ils si convaincus qu'ils perdraient leurs droits garantis par la Constitution alors que d'autres étaient tout aussi convaincus que la nouvelle clause n'allait pas assez loin pour répondre aux attentes de nombreux Terre-Neuviens en ce qui concerne les écoles de quartier et d'autres conditions avantageuses pour les enfants?

J'ai étudié attentivement le texte de la clause 17 modifiée et il m'est impossible de le lire de la même façon que le sénateur Doody ou le sénateur Kinsella. À l'alinéa a), le texte dit ceci en noir sur blanc:

... sont confessionnelles les écoles dont la création, le maintien et le fonctionnement sont soutenus par les deniers publics; toute catégorie de personnes jouissant des droits prévus par la présente clause, dans sa version au 1er janvier 1995, conserve le droit d'assurer aux enfants qui y appartiennent l'enseignement religieux, l'exercice d'activités religieuses et la pratique de la religion à l'école;

Ce sont exactement les conditions que la Cour suprême a jugées nécessaires et suffisantes pour respecter les droits en matière d'éducation d'une minorité religieuse protégée par la Constitution. Pourtant, les gens qui ont témoigné au nom de l'Église catholique, de l'Église pentecôtiste et l'Église adventiste du septième jour n'étaient pas satisfaits de cette garantie. Pourquoi pas?

 

  • (1550)
En écoutant attentivement leurs témoignages, j'ai compris qu'ils craignaient que leurs Églises protégées aient moins de pouvoir et de contrôle dans l'administration globale du système scolaire. Aux termes de l'ancienne clause 17, toute réorganisation scolaire nécessitait l'approbation des Églises. Il a fallu faire une certaine réorganisation l'été dernier, et cela s'est fait avec l'approbation des Églises. Cela ne prouve-t-il pas que cette modification de la clause 17 n'est pas nécessaire, après tout?

Je ne crois pas. Par exemple, les Églises approuveraient-elles aussi rapidement l'établissement d'une école purement autochtone? Nous ignorons la réponse à cette question. Cela ne s'est jamais produit depuis que la clause 17 existante est en vigueur et, aux termes de la nouvelle clause 17, l'approbation des Églises ne serait plus nécessaire. Bien que cela puisse représenter une perte de pouvoir pour les Églises, cela représenterait presque certainement un gain pour la communauté autochtone.

Un des séjours que j'ai effectués à St. John's, au milieu des années 1980, a coïncidé avec la publication du rapport Badgley sur les agressions sexuelles contre des enfants. Des incidents survenus à Terre-Neuve avaient alors soulevé de graves inquiétudes dans la population. Les personnes que j'avais rencontrées lors de ma visite à St. John's, des travailleurs sociaux, des avocats, des représentantes des groupes de femmes, trouvaient affligeant que certaines autorités mêlées de près aux incidents semblaient davantage préoccupées de se protéger elles-mêmes que de protéger les droits des enfants victimes. Des réactions de ce genre ne sont malheureusement pas rares à notre époque. Ce séjour et l'expérience que j'ai acquise, principalement durant les années que j'ai passées dans l'ancienne Union soviétique, ont renforcé mes craintes au sujet du pouvoir qui n'est assujetti à aucune obligation redditionnelle. Je suis convaincue qu'en définitive, les institutions démocratiques qui peuvent être modifiées par les électeurs et qui sont soumises au système de poids et contre-poids de la société civile sont plus fiables en tant que dépositaires du pouvoir.

Quoi qu'on puisse penser de la résolution de modification de la clause 17, elle nous a été transmise par des canaux constitutionnels dûment conçus et constitués d'organismes législatifs élus. En tant qu'organisme non élu, le Sénat n'a qu'un droit de veto suspensif, ce qui me semble approprié. Notre rôle consistait à examiner très attentivement les questions soulevées par la résolution et à en discuter pleinement à Ottawa et à St. John's. C'est ce que nous avons fait et continuons de faire, et je crois que nous avons ainsi joué un rôle utile.

Quoi qu'il en soit, honorables sénateurs, je ne vois pas de raison de proposer un amendement qui a déjà été examiné et rejeté par l'Assemblée législative de Terre-Neuve. Je suis d'accord avec le sénateur Milne, qui affirme que le projet de clause 17 ne comporte aucune lacune suffisamment sérieuse pour justifier une motion pareille. En tant qu'organisme élu, l'Assemblée législative de Terre-Neuve mérite notre respect et si vous croyez, comme moi, que le Canada ne pourra rester uni que dans un fédéralisme flexible, nous ne devons pas garder les enfants de Terre-Neuve et du Labrador otages devant l'histoire de faits survenus dans d'autres provinces, ou par peur de ce qui pourrait se produire à nouveau. Cette proposition est une modification bilatérale de la Constitution en vertu de l'article 45 et je ne crois pas que nous puissions l'amender ou refuser de l'adopter.

En terminant, honorables sénateurs, je voudrais revenir au témoignage de l'évêque Harvey, qui a reconnu que la résolution comporte certaines lacunes, mais a néanmoins exhorté le Sénat à «l'approuver afin que la direction de notre système scolaire soit exercée directement pas nos représentants élus.» Il a ensuite dit espérer que le gouvernement, fort de sa nouvelle autorité, «écoutera ceux qui s'efforcent de mettre en place un système qui gardera les meilleurs éléments du passé tout en assurant l'efficience et l'unification nécessaires pour suivre l'évolution démographique rapide de la province. Nous ne devons rien de moins à nos enfants.»

Je suis de cet avis. Si nous n'adoptons pas la résolution, nous ne ferons que renforcer les divisions et, comme le disait l'évêque Harvey, il n'en sera que plus difficile d'assurer la reconstruction et le rétablissement de liens, un fois que notre droit de veto suspensif aura été levé et que la Constitution aura été modifiée. Les enfants de Terre-Neuve paient le prix de la situation actuelle.

L'honorable Finlay MacDonald: Peut-être l'honorable sénateur pourrait-elle m'expliquer une chose. Je n'ai pas très bien compris. Vous avez fait référence à une visite que vous avez effectuée à St. John's dans les années 80. Je crois que vous avez dit que le but de cette visite était d'étudier le problème de l'enfance maltraitée.

Le sénateur Pearson: Oui.

Le sénateur MacDonald: Vous avez fait référence au manque de responsabilité. De qui parlez-vous?

Le sénateur Pearson: Je parlais du rapport Badgley qui, vous vous souviendrez, portait sur les agressions sexuelles contre des enfants. À l'époque, il y avait eu, outre les incidents liés à l'affaire de Mount Cashel, d'autres cas d'agressions sexuelles contre des enfants. Je ne veux pas citer de noms car j'estime que ce n'est pas correct. Toutefois, ces incidents avaient à voir avec d'autres personnes à Terre-Neuve et avec des cas qui ont finalement été portés devant les tribunaux, et les personnes impliquées ont été reconnues coupables.

À l'époque, les gens étaient en colère après les autorités. Je ne parle pas seulement des autorités religieuses. Il y avait aussi la police. Nous le savons à propos de l'histoire de Mount Cashel. Les autorités essayaient de garder le contrôle sur les incidents. Tandis que j'écoutais ces gens, j'ai senti qu'il y avait un problème de responsabilité. C'était une affaire de «protection». Elles protégeaient l'école de Mount Cashel, ou les particuliers mêlés à l'affaire que j'ai soulevée. Aucune de ces personnes n'a été élue. Il n'était pas question qu'elles puissent être comptables devant la population comme j'estime qu'un groupe démocratiquement élu devrait l'être.

Le sénateur MacDonald: Sénateur, vous ne devez pas être élu pour être responsable. Je n'ai pas compris où vous vouliez en venir en faisant une référence à cette époque particulière.

Le sénateur Pearson: Il est vrai que vous pouvez être comptable envers votre conscience, mais mon expérience, quand j'ai vécu en Union soviétique m'a appris qu'il y avait un manque de responsabilité envers le peuple. C'est un des problèmes qui a été à l'origine de la création d'une société aussi fermée. Je suis en faveur d'une société ouverte, où les décisions sont prises ouvertement.

 

  • (1600)
(Sur la motion du sénateur Lewis, le débat est ajourné.)

[Français]

 

Le Code criminel

Projet de loi modificatif-Ajournement du débat

L'honorable Fernand Roberge propose: Que le projet de loi S-10, modifiant le Code criminel (organisation criminelle), soit lu une deuxième fois.

Honorables sénateurs, le 18 juin dernier, j'ai déposé devant vous un projet de loi visant à modifier le Code criminel en y ajoutant une définition de la notion d'organisation criminelle et certaines dispositions pour combattre ce fléau. Ce projet de loi mentionne plus précisément, et je cite:

[...] prévoit que quiconque, sans excuse légitime, vit entièrement ou en partie d'un bien, d'un bénéfice ou d'un avantage provenant d'une organisation criminelle, commet un acte criminel passible d'un emprisonnement maximal de dix ans. Toute personne déclarée coupable de cet acte criminel ne sera admissible à la libération conditionnelle qu'après avoir purgé les trois quarts de sa peine.

Une telle modification du Code criminel donnerait à nos forces policières et à nos tribunaux de nouveaux instruments pour faire face à une situation dont la gravité et la complexité augmentent d'année en année. Ces modifications permettraient à la société canadienne dans son ensemble de se défendre d'une menace sournoise et sérieuse parce que nous sommes tous victimes du crime organisé.

Il est vrai que les dirigeants et la plus grande partie des effectifs de ces organisations criminelles agissent surtout au sein des grandes villes. Elles ont aussi des ramifications et des complices dans toutes les régions. Quelle communauté, quel village au Canada, peut dire qu'il n'y a sur son territoire ni trafic de drogues illégales, ni prostitution, ni vol, ni fraude qui soient reliés, directement ou indirectement, à un réseau criminel?

Comme contribuables, nous sommes aussi tous attaqués. On évalue, par exemple, à près de 20 milliards de dollars les sommes d'argent contrôlées chaque année par le crime organisé au Canada. Ces 20 milliards profitent directement aux criminels. Ils encouragent l'illégalité dans beaucoup d'autres secteurs. Mais le détournement de tout cet argent obtenu et réinvesti illégalement constitue aussi une gigantesque fraude fiscale, la plus importante fuite de revenus de nos gouvernements.

À une époque où tous les gouvernements et tous les citoyens sont obligés de faire des sacrifices pour assainir les finances publiques et relancer l'économie, est-il normal que l'on tolère l'existence d'une économie illégale parallèle? Est-ce qu'une des sociétés les plus taxées au monde peut permettre à des individus sans scrupules de se soustraire illégalement à leurs obligations de citoyens tout en profitant de tous les bienfaits et de tous les avantages que leur procure la citoyenneté canadienne? Quand plus d'un million de nos concitoyens et de nos concitoyennes sont condamnés au chômage et des dizaines de milliers de familles vivent dans la pauvreté, allons-nous laisser une minorité de criminels s'enrichir scandaleusement au vu et au su de tous? Quand on ferme des lits d'hôpitaux, que l'on réduit les sommes accordées à l'éducation de nos enfants, est-ce que l'on va fermer les yeux sur les activités de criminels qui abusent des libertés que nous avons si chèrement gagnées et préservées?

Avec le projet de loi devant vous, nous pouvons répondre un non catégorique et énergique à toutes ces questions.

Nous, Canadiens, avons toutes les raisons du monde d'être fiers de ce que nous avons accompli ensemble. Depuis plusieurs années, le Canada se classe en tête de tous les pays membres des Nations Unies pour la qualité de vie qu'il offre à ses citoyens. Des millions d'êtres humains sur tous les continents donneraient tout ce qu'ils possèdent pour devenir citoyens canadiens. Cette réputation, acquise au cours des ans grâce à l'intégrité, la solidarité et la détermination de générations et de générations de Canadiens et de Canadiennes venus de tous les horizons, fait partie de l'héritage que nous voulons laisser à nos enfants.

Mais est-ce que nous prenons tous les moyens nécessaires pour protéger cet héritage, pour le faire fructifier? Laisserons-nous à nos enfants un Canada aussi paisible, des villes aussi calmes, des communautés aussi harmonieuses?

Nous, sénateurs, avons la responsabilité particulière du fait qu'un projet de loi semblable à celui qui est devant nous aujourd'hui a été proposé dans l'autre Chambre, en février dernier, mais a été rejeté par le gouvernement, qui a empêché que l'on discute de cette question importante au Parlement canadien. C'est pourtant le devoir du Parlement canadien de se pencher sur ce problème qui menace les fondements mêmes de notre société.

Nos forces policières sont débordées et demandent qu'on les aide à combattre les organisations criminelles qui, dans certains cas, ont plus de moyens qu'elles. Nos tribunaux ne parviennent pas à retirer de la circulation des individus dont la seule activité, la seule source de revenus, découle de leur appartenance à des organisations criminelles pourtant bien connues.

Nos corps policiers et nos instances judiciaires ont maintes fois identifié les difficultés importantes auxquelles elles doivent faire face dans leur lutte contre le crime organisé: l'abus de la Charte, la longueur et les coûts prohibitifs des enquêtes policières et des procédures judiciaires; l'impossibilité d'atteindre les têtes dirigeantes; l'infiltration du crime organisé dans toutes les institutions et la difficulté de confisquer les produits de la criminalité. Ces problèmes sont bien connus.

Pourtant le ministre de la Justice, tout en admettant la gravité du problème posé par le crime organisé, a tourné la tête quand il aurait fallu agir. Comme un grand nombre de citoyens, y compris les victimes directes du crime organisé et ceux chargés de faire respecter les lois, je déplore vivement le manque de leadership du ministre de la Justice.

Il est vrai que notre Charte des droits et libertés contient des dispositions précises touchant la présomption d'innocence et la liberté d'association. J'appuie ces dispositions de tout coeur. Mais, dans une saine démocratie, les citoyens n'ont pas que des droits et des libertés. Nous devons aussi assumer des responsabilités et des obligations. La première parmi celles-ci est justement de protéger nos droits et libertés contre ceux qui foulent aux pieds les principes les plus élémentaires de la justice et qui ne respectent même pas la vie d'autrui.

Le ministre de la Justice semble penser, parce que le Canada possède une Charte des droits et libertés, qu'il ne peut pas se protéger contre des groupes criminels. Je lui suggère de lever un peu les yeux de ses livres de droit et de regarder autour de lui. Il pourrait voir que d'autres pays, tout aussi démocratiques que le Canada, se sont donné les moyens qu'il leur fallait pour combattre les associations criminelles.

Une démocratie aussi vénérable que l'Italie a promulgué une loi antimafia. La France, patrie des droits de l'homme, s'est donné une loi anticasseurs lorsqu'elle en a eu besoin. Les États-Unis d'Amérique, dont la Déclaration d'indépendance proclamait l'égalité de tous les citoyens dès 1776, a adopté le RICO Act.

Bien sûr, nous ne pouvons pas importer directement ces modèles ici. Mais nous pouvons certainement nous inspirer du courage et de la sagesse des législateurs de ces pays.

Je rappelle aussi à cette Chambre que la liberté d'association, comme toutes les libertés d'ailleurs, n'est pas absolue et doit s'arrêter là où elle brimerait une autre liberté.

Montesquieu disait:

La loi, en général, est la raison humaine.

En décembre 1989, la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick, dans la cause Frawley c. la Reine, l'a bien démontré quand elle a statué qu'une association dont l'objectif est criminel ne peut être protégée par la Charte.

Il serait, en effet, pour le moins paradoxal qu'une charte conçue pour protéger les droits et les libertés des citoyens puisse servir de paravent à ceux dont le crime, le vol, la prostitution, le trafic de drogue et jusqu'au meurtre, sont la principale occupation.

En enchâssant dans notre Constitution la présomption d'innocence et le droit à l'association, le législateur n'avait sûrement pas pour objectif de favoriser le regroupement des éléments criminels qui minent notre société. Est-ce que la protection de Daniel Desrochers, décédé à 11 ans, victime innocente de la guerre des motards de Montréal, n'était pas aussi importante que la protection constitutionnelle de ceux qui vivent quotidiennement dans le crime?

Plus d'une trentaine de personnes ont été tuées au Québec, souvent par l'explosion de bombes en pleine rue, parce que les bandes de motards se disputent le monopole du trafic de la drogue. Ces bandits s'entretuent dans les lieux publics, au sein même de nos communautés, avec le même aveuglement et le même mépris de la loi que les gangsters américains des années 30.

Sans doute le projet de loi que je propose aujourd'hui peut-il être amélioré. C'est d'ailleurs mon souhait, si cela devait le rendre plus efficace et faciliter son adoption. Ce que je demande par-dessus tout, c'est que nous ayons l'occasion d'étudier ensemble, d'abord au comité des affaires juridiques et constitutionnelles, puis en cette Chambre, les moyens que nous pourrions prendre pour nous prémunir contre l'action des groupes criminels.

Je suggère d'ailleurs que le comité ne se limite pas strictement à l'étude des dispositions du projet de loi S-10, mais qu'il se transforme en véritable commission d'enquête sur le crime organisé.

Nous devrions inviter des représentants des forces policières et du milieu juridique, notamment pour nous décrire la composition et les méthodes de fonctionnement des groupes qui nous préoccupent.

 

  • (1610)
Si certains groupes ou individus mentionnés au cours d'une telle enquête se sentaient injustement visés, je crois que nous devrions leur accorder toute la liberté de venir s'exprimer devant notre comité. Pourquoi ne pourrions-nous pas aussi profiter de l'expertise et de l'expérience d'experts d'autres pays qui ont pris des mesures particulières pour contrer le même phénomène?

Souvenons-nous de l'9uvre accomplie par la Commission Cliche sur la violence dans l'industrie de la construction, en 1975, et de la Commission d'enquête sur le crime organisé. La plus grande utilité de ces deux commissions québécoises a été d'identifier publiquement les éléments criminels qui préfèrent naturellement agir en secret.

[Traduction]

Le Canada est loin d'être le seul pays du monde à être menacé par le crime organisé. Voici ce qu'en disait le secrétaire général des Nations Unies en 1993:

Le crime organisé n'est rien de moins qu'une attaque massive contre le tissu social qui touche pratiquement tous les niveaux de la société, individuel, collectif et institutionnel. C'est aussi une forme insidieuse d'anarchie qui exploite cyniquement les droits des citoyens [...] dans le but de réduire le risque de détection et de maximiser l'impunité. Ainsi, le crime organisé menace certains des éléments les plus essentiels d'une démocratie.

Tous les pays sont touchés par le crime organisé, à des degrés divers. La plupart des grands pays ont adopté des mesures législatives précises pour contrer cette menace. Pourquoi le Canada, qui se targue de protéger les droits et la sécurité de ses citoyens, n'a-t-il pas de législation à cet égard?

Le problème ne disparaîtra pas tout seul. Au contraire, selon le dernier rapport annuel sur le crime organisé au Canada, le président du Service canadien des renseignements criminels écrit que, à l'avenir, le Canada devra composer avec la présence continuelle d'associations criminelles d'envergure.

Les principales organisations criminelles au Canada sont bien connues de nos forces de l'ordre: le crime organisé asiatique, le crime organisé d'Europe de l'Est, le crime organisé italien, le crime organisé autochtone, les bandes de motards hors-la-loi et le crime organisé colombien sont autant d'organisations bien enracinées dont les ramifications infiltrent nos grandes villes.

Ce que je dis, c'est qu'il faut contrer le crime organisé par la démocratie organisée. Tâchons de manifester à ceux qui font fi de nos lois et qui abusent de nos libertés la volonté et la force de notre pays, car c'est ce qui en a fait un grand pays et un havre sûr et égalitaire pour tous ses citoyens. Quelle tragique ironie ce serait que de voir un pays connu pour son engagement à l'égard du maintien de la paix dans le monde qui ne veuille pas ou ne soit pas capable d'assurer la sécurité dans ses propres rues.

Pour contrer ceux qui agissent dans l'ombre, faisons éclater au grand jour l'opinion publique et les études parlementaires.

[Français]

Il y a plus de trois siècles, le philosophe français Diderot a écrit:

L'observation des lois, la conservation de la liberté et l'amour de la patrie sont les sources fécondes de toutes grandes choses et de toutes belles actions.

Nous aimons tous notre pays; pour lui, accomplissons ensemble une chose nécessaire en assurant l'observation de nos lois et la conservation de nos libertés.

(Sur la motion du sénateur Losier-Cool, le débat est ajourné.)

 

La loi sur la radiodiffusion

Projet de loi modificatif-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Whelan, c.p., appuyée par l'honorable sénateur Losier-Cool, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-216, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion (politique canadienne de radiodiffusion.) - (L'honorable sénateur Bolduc).

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, ce point à l'ordre du jour est inscrit au nom du sénateur Bolduc; si celui-ci donne la permission au sénateur Simard de poursuivre le débat aujourd'hui, il n'y a pas de problème.

L'honorable Roch Bolduc: Je suis d'accord.

L'honorable Jean-Maurice Simard: Honorables sénateurs, à mon avis, après consultation avec les spécialistes en la matière, et suite à des réunions avec la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, après avoir reçu et lu la lettre de l'honorable sénateur Gauthier à ce sujet, et après une rencontre avec un haut dirigeant du CRTC, j'en suis venu à la conclusion que le projet de loi C-216 tel que libellé est un mauvais projet de loi.

Au départ, je pensais que ce projet de loi ne pénaliserait que les francophones hors Québec. Mais cela va plus loin encore. Je pensais également qu'à l'avenir les francophones hors Québec n'auraient pas accès aux canaux de télévision spécialisés. Leur accès à ces canaux spécialisés, en langue française, serait limité. Je m'aperçois que l'accessibilité des canaux actuellement disponibles, pour les Québécois et les francophones, honorables sénateurs, sera également limitée.

L'intention du parrain de ce projet de loi, le député Roger Gallaway, était louable et acceptable. Je pense que M. Gallaway s'est trompé dans le libellé actuel du projet de loi C-216. Je n'ai pas à en dire plus là-dessus pour le moment. Je continuerai mes études avec mes collègues que j'invite à étudier de nouveau ce projet de loi . Je reviendrai sur le sujet.

Je propose l'ajournement du débat.

 

  • (1620)
Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, le débat est ajourné au nom du l'honorable sénateur Bolduc.

Vous avez parlé avec son accord. L'ajournement doit rester au nom de l'honorable sénateur Bolduc.

(Sur la motion du sénateur Bolduc, le débat est ajourné.)

[Traduction]

 

LE RÈGLEMENT SUR L'ASSURANCE-EMPLOI (PÊCHES)

Le rapport du comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie-Ajournement du débat

Le Sénat passe à l'étude du septième rapport du comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie (Règlement sur l'assurance-emploi (pêches), présenté au Sénat le 28 octobre 1996.

L'honorable Mabel M. DeWare: Honorables sénateurs, le sénateur Simard aimerait faire quelques commentaires. Je lui cède donc la parole.

[Français]

L'honorable Jean-Maurice Simard: Honorables sénateurs, j'aimerais poser quelques questions à la présidente du comité, le sénateur DeWare. Lorsque le Sénat a adopté le rapport du comité, suite à une motion présentée par le sénateur Comeau, je croyais que les honorables sénateurs avaient compris l'essentiel de sa motion.

Dans mon esprit, il n'y avait aucun doute que l'essentiel de la motion du sénateur Comeau était à l'effet que le Sénat, en donnant mandat au sénateur De Ware, présidente du comité sénatorial des affaires sociales, des sciences et de la technologie, se voyait accorder la charge d'étudier les règlements affectant, entre autres, les pêcheurs de l'Atlantique, qui seront privés de 33 millions de dollars l'année prochaine.

Je vous lis le préambule du rapport du comité:

Votre comité, à qui a été renvoyé le Règlement sur l'assurance-emploi (pêches) pris en vertu de l'article 153 de la Loi concernant l'assurance-emploi au Canada et approuvé le 17 septembre 1996 et toutes les questions s'y rapportant, a examiné ledit règlement, conformément à l'ordre de renvoi du jeudi 3 octobre 1996.

L'on peut dire qu'il ne s'agit pas d'un rapport trop controversé, mais qui ne donne pas un éclairage suffisant des délibérations des séances du comité. Je voudrais en savoir plus long. Sénateur DeWare, quelle étude des règlements les membres du comité ont-ils faite?

[Traduction]

Le sénateur DeWare: Honorables sénateurs, le comité a demandé au ministère du Développement des ressources humaines de comparaître devant lui pour répondre à certaines questions et pour lui expliquer la marche suivie pour mettre en oeuvre le règlement relatif au projet de loi sur l'assurance-chômage dans le secteur de la pêche. Les témoins ont dû répondre à un barrage de questions de la part des membres du comité appartenant aux deux côtés de cette Chambre. La sous-ministre adjointe, Norine Smith, nous a dit que la documentation avait été envoyée aux alentours du 17 juin et de nouveau en septembre aux pêcheurs et à toutes les parties concernées, y compris le ministère du Développement des ressources humaines de chaque province, les syndicats, les regroupements de pêcheurs, ainsi qu'aux parlementaires. Nous avons informé le ministère que nous aussi nous étions des parlementaires, mais que nous n'avions reçu aucune documentation.

Le sénateur Simard: Nous ne l'avons pas reçue.

Le sénateur DeWare: Nous leur avons rappelé que nous aussi étions des parlementaires.

En réponse à nos multiples questions sur les réactions de l'industrie à la documentation envoyée par le ministère, les témoins ont dit n'avoir rien reçu, ajoutant que pas un député n'avait demandé des explications ou quoi que ce soit en rapport avec le règlement concernant les pêches.

Après cet échange, j'ai demandé au comité ce que ce dernier souhaiterait faire de plus. Une motion fut proposée pour que d'autres membres de l'industrie comparaissent devant le comité ou pour que nous nous rendions sur place pour entendre leur témoignage. Cette motion a été défaite par le comité. Les témoins du ministère du Développement des ressources humaines ont dit qu'on avait déjà fait cette offre à l'industrie, mais qu'on n'avait reçu aucune réponse. Il a donc été décidé que, pour le moment, il n'était pas nécessaire de tenir d'autres audiences.

Le sénateur Simard: C'est choquant, honorables sénateurs.

Est-ce que l'honorable sénateur DeWare est en train de nous dire que les seuls renseignements qui ont été donnés aux membres du comité sont la liste des particuliers et des institutions à qui on a envoyé un exemplaire du règlement? Si j'ai bien compris le sénateur, le gouvernement n'a reçu aucun commentaire à ce sujet, que ce soit favorable ou défavorable.

Le sénateur DeWare: C'est exact.

Le sénateur Simard: Le sénateur a fait allusion au fait que les sénateurs, qui sont des parlementaires, n'ont pas reçu un exemplaire des règlements. Comment le sous-ministre adjoint a-t-il expliqué au comité cette omission de la part du ministère?

Le sénateur DeWare: Nous leur avons dit que nous étions des parlementaires. Le document, que je n'ai pas ici, stipule que les règlements doivent être déposés à la Chambre des communes. Il ne dit pas qu'ils doivent être déposés au Sénat. Nous leur avons fait remarquer que nous sommes aussi des parlementaires et que nous méritons autant d'égards que ceux de l'autre endroit.

Son Honneur le Président: Je crains que nous ne bifurquions vers une procédure assez inhabituelle. Selon la procédure appropriée, le sénateur Simard devrait faire son discours et le sénateur DeWare répondre ensuite. On ne peut insérer une période de questions et réponses dans le cadre d'un débat normal.

[Français]

Je proposerais, sénateur Simard, que vous posiez toutes vos questions, ou que vous fassiez un discours. Vous avez 15 minutes pour le faire, après cela le sénateur DeWare pourra vous répondre.

[Traduction]

Le sénateur Simard: Avez-vous chronométré mon intervention, sénateur Gigantès? Comptez-vous les minutes?

Le sénateur Gigantès: Non, mais j'aimerais entendre une autre voix.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, il ne faut pas ergoter inutilement. Le bureau mesure le temps. Dès qu'un sénateur se lève, le greffier déclenche l'horloge. Nous le savons lorsque les 15 minutes sont écoulées.

Le sénateur Simard: Je compte respecter la limite de 15 minutes.

Le sénateur Gigantès: Ce serait bien la première fois.

[Français]

Le sénateur Simard: Honorables sénateurs, si je comprends bien, il y a eu discussion entre les sénateurs libéraux siégeant à ce comité, où la décision a été prise d'empêcher tout voyage, toute audience à Ottawa et dans les provinces de l'Atlantique et ailleurs. Mais qu'est-il arrivé, sénateur DeWare? J'ai cru comprendre que, de notre côté, nous avions exprimé le désir d'entendre les gens de l'industrie, des pêcheurs, à Ottawa et ailleurs. Quelle est la position des sénateurs libéraux et des autres sénateurs qui auraient pu s'objecter à cette façon habituelle d'étudier les projets de loi et de s'acquitter du mandat que le Sénat, le 3 octobre, donnait au comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie d'étudier en profondeur l'article 153 de la Loi concernant l'assurance-emploi du Canada?

[Traduction]

La question est la suivante: y a-t-il eu une discussion...

[Français]

Son Honneur le Président: Sénateur Simard, je crois que l'on se méprend ici. Ce qui est devant nous, c'est un projet de loi. Vous avez le droit de faire un discours de 15 minutes. Le sénateur DeWare ne peut pas répondre pendant ce temps. Quand vous aurez fini votre discours, elle pourra faire l'intervention qu'elle désire.

 

  • (1630)
Le sénateur Simard: Honorables sénateurs, je vais procéder de la façon habituelle. Je vais blâmer, critiquer et donner avis que dans les mois qui vont suivre, à partir d'aujourd'hui, plus tard cet automne et l'hiver prochain, l'été prochain, avant, pendant et après la campagne électorale qui s'annonce, nous, de notre côté, allons inviter les électeurs et les électrices à nous donner leur opinion sur un règlement affectant les pêcheurs en particulier.

Et je vais leur rappeler aussi que cela a pris cinq sénateurs libéraux, jeudi dernier en comité, trois de l'Atlantique, entre autres, le sénateur Bonnell et le sénateur Bosa, le sénateur Mercier et le sénateur Losier-Cool, pour ce faire. Encore une fois, ce gouvernement arrogant, représenté ici par les sénateurs libéraux arrogants de l'Atlantique et de tout le Canada, ont empêché les gens de se faire entendre. La famille des pêcheurs, les grands-pères puis les enfants de ces pêcheurs seront affectés de façon négative, ils seront pénalisés.

Nous sommes loin de la politique promise, des engagements promis dans le livre rouge où le Parti libéral du Canada avait dit qu'il serait transparent, qu'il consulterait les gens. C'est cela que nous allons leur dire incessamment.

Nous allons poursuivre l'ex-ministre des Ressources naturelles, le nouveau ministre de la Défense, qui a été l'instrument de la fabrication de ces règlements pénalisant les pêcheurs de l'Atlantique.

Alors qu'est-ce que l'on peut faire? Je pense que les gens du comité présidé par le sénateur DeWare ont fait faux bond. Ils ne se sont pas acquittés du mandat que cette Chambre leur avait confié il y a quelque temps, le 3 octobre. C'est malheureux.

D'après certaines déclarations que j'ai vues dans les journaux du Nouveau-Brunswick et ailleurs, ce n'est pas la belle unanimité que l'on peut prévoir et que l'on peut imaginer. Nous avons été amenés à conclure que c'était la belle unanimité, qu'il n'y avait pas d'opposition et que tout était beau quant à ces règlements.

Nous allons rappeler que ce n'est pas la première fois que les sénateurs libéraux, les députés libéraux et le gouvernement libéral ont refusé de consulter et, probablement, de modifier la loi C-12 et les règlements découlant de la loi C-12. Donc ces règlements ont fait l'objet d'une étude pour laquelle le Sénat avait mandaté le comité.

Que puis-je faire? Je pense que les sénateurs libéraux siégeant au comité ont infligé un affront à la démocratie, un affront aux coutumes parlementaires. C'est un affront aux responsabilités que les sénateurs libéraux et les autres sénateurs ont tous assumées et acceptées en décidant de siéger au Sénat.

Tout ce que l'on peut constater, et la présidente du comité l'a confirmé, c'est que votre comité a été saisi de cette question des règlements et que le comité a terminé son étude. J'aimerais demander au sénateur Deware si elle est contente du travail de son comité?

Son Honneur le Président: Honorable sénateur, je regrette, vos 15 minutes sont terminées.

[Traduction]

Le sénateur Simard: Mes 15 minutes sont écoulées, mais j'espère que d'autres sénateurs, même s'ils ne sont pas présidents de comités, fourniront une réponse.

L'honorable Peter Bosa: Honorables sénateurs, avant de proposer l'ajournement, je tiens à faire une simple observation. J'aurais aimé que le sénateur Simard, qui se trouvait à deux pas de l'endroit où siégeait le comité, continue d'assister aux travaux du comité, car il aurait alors entendu lui-même les témoignages des fonctionnaires du ministère du Développement des ressources humaines.

(Sur la motion du sénateur Bosa, le débat est ajourné.)

 

LES RELATIONS CANADA-UNION EUROPÉENNE

Le rapport du comité des affaires étrangères-
Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur l'étude du deuxième rapport du comité sénatorial permanent des affaires étrangères (étude spéciale sur les relations européennes), déposé auprès du greffier du Sénat le 18 juillet 1996. (L'honorable sénateur Grafstein).

L'honorable Jerahmiel S. Grafstein: Honorables sénateurs, j'ai eu le privilège de servir comme membre du comité sénatorial permanent des affaires étrangères sous la direction perspicace de notre président, l'honorable sénateur John Stewart, dont le travail complexe a conduit à un rapport intitulé «L'intégration européenne: Son importance pour le Canada».

Pourquoi l'Europe? Pourquoi maintenant? L'Union européenne est devenue l'un des marchés les plus riches du monde. Avec une population de 375 millions d'habitants et un PIB de 8,4 billions de dollars US, l'Europe dépasse les États-Unis qui ont une population de 260 millions et un PIB de 7 billions de dollars.

Comme le rapport le fait remarquer, l'Union européenne exporte et importe plus d'un tiers du commerce mondial. L'Union européenne est maintenant le plus grand exportateur de services et le plus grand importateur de biens. L'Union européenne est aussi une des principales sources d'investissements étrangers et fait concurrence aux États-Unis. D'ici 1999, l'Union européenne va franchir une étape importante, puisqu'elle va adopter une monnaie unique dans le cadre d'une politique monétaire commune. On prévoit que l'Union européenne, constituée actuellement de 15 États membres, va accepter au moins trois autres États, et peut-être plus, au cours des cinq prochaines années. Dans deux décennies, on estime qu'une Union européenne élargie pourrait avoir une population de près d'un demi-milliard, la troisième après la Chine et l'Inde.

Honorables sénateurs, l'Union européenne avance à grand pas vers une importance plus grande, une convergence plus grande et une croissance plus grande encore. Pendant ce temps, depuis 1973, lorsque le comité des affaires étrangères a étudié pour la dernière fois les relations du Canada avec l'Europe, le commerce du Canada avec l'Europe a baissé en valeur absolue et en importance relative.

En 1973, nos exportations de marchandises vers les neuf pays de l'Union européenne d'alors comptaient pour 12,4 p. 100 de nos exportations totales, tandis que nos importations en provenance de l'Union européenne représentaient 13,3 p. 100 de toutes les importations canadiennes. En 1995, les exportations de marchandises canadiennes à destination de l'Union européenne ont baissé de 50 p. 100 et ne représentent que 6,4 p. 100 de nos exportations totales de marchandises. Nos importations de marchandises en provenance de l'Union européenne sont tombées de 30 p. 100 pour se situer à 10,1 p. 100 de nos importations totales, et ce, malgré l'élargissement de l'Union européenne, qui est passée de 9 membres en 1973 à 15 membres.

 

  • (1640)
Notre commerce avec l'Europe représente donc une part toujours plus petite d'un gâteau en expansion. Pourquoi? Comme le rapport le fait remarquer, le commerce canadien a considérablement évolué ces dernières années, tant en importance qu'en diversité, en particulier du fait de l'ALE et de l'ALENA avec les États-Unis et maintenant le Mexique. Dans nos relations commerciales, les États-Unis occupent une place de plus en plus grande. Aujourd'hui, nous dépendons plus des États-Unis que jamais auparavant. Notre commerce avec les États-Unis représente plus de 80 p. 100 du total, soit plus d'un milliard de dollars quotidiennement. Même si nous bénéficions d'un excédent commercial confortable, le Canada se trouvera de plus en plus dans une position dangereuse et précaire. C'est précisément à cause de cette situation précaire que le comité a conclu, après de longues audiences au Canada et des réunions à Dublin, Londres, Paris, Francfort, Varsovie et Bruxelles, qu'il était nécessaire pour l'intérêt national du Canada de diversifier notre commerce et en particulier de commercer davantage avec l'Europe.

Le Canada est une nation commerçante. Nous dépendons de plus en plus du commerce, améliorant notre compétitivité dans un marché international toujours plus compétitif. Les emplois n'ont jamais été autant à la remorque de notre commerce extérieur. Plus de la moitié des emplois au Canada relèvent du commerce. D'où le besoin urgent, à l'échelle nationale, de diversifier nos ressources et nos échanges.

Quel commerçant ou quel fabricant s'en remettrait à un client unique sans craindre pour l'avenir? Cette dépendance excessive vis-à-vis d'un partenaire commercial unique, quelque robuste qu'il soit, ne peut que restreindre notre liberté de choix, réduire notre flexibilité à l'échelle nationale et diminuer notre marge de manoeuvre sur le marché international.

Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères a formulé 25 recommandations succinctes, depuis la collecte de nouvelles données statistiques sur de nombreux secteurs jusqu'à des études d'impact concernant la monnaie unique et l'union monétaire européenne.

«Les faits doivent primer», avons-nous dit, «les faits avant la politique». Bien entendu, le Canada doit se rendre à l'évidence : il lui faut faire le nécessaire pour éliminer les archaïques barrières interprovinciales qui morcellent encore le Canada. Il nous faut moderniser notre marché intérieur, et ce, sans délai.

On dirait que le Canada est mieux à même de libéraliser les échanges commerciaux avec ses voisins dans le monde entier que sur son territoire. Que voilà une attitude bête, dangereuse, qui traduit une absence de leadership sur les plans politique et commercial. Notre première priorité devrait être d'assurer l'harmonisation chez nous. Il nous faut harmoniser et moderniser notre propre marché. Nous n'avons pas d'autres choix du point de vue économique. Les gens d'affaires peuvent diriger l'opinion publique en ce sens et ils ont échoué.

En Europe, le Canada court un net danger du fait qu'il a de moins en moins accès à ce marché. Tout élargissement de l'Union européenne se traduira inévitablement par un détournement des courants commerciaux et des investissements vers les nouveaux membres. Nos produits ainsi déplacés, la présence canadienne en Europe s'en trouvera encore réduite. Cela se produit déjà chaque fois que l'on assiste à un élargissement de l'Union européenne. On enlève les produits canadiens des tablettes afin de faire de la place pour ceux des nouveaux membres.

Comme si cela ne suffisait pas, la monnaie européenne unique dont l'entrée en vigueur est prévue pour 1999 pourrait entraîner une dévaluation par rapport à notre devise, d'où une diminution du coût du capital pour les intervenants mondialisés que sont les Européens avec lesquels nos sociétés rivalisent, sans compter le désavantage commercial que nous accusons déjà. Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères a conclu que le Canada devait être alerte, mieux informé et prêt à faire face aux changements soudains et aux graves répercussions sur les échanges commerciaux et les investissements qui découleront inévitablement de l'élargissement futur de l'Union européenne.

Sur le plan de la sécurité, des stratégies plus profondes restent cachées dans les changements dans les accords sur la sécurité en Europe auxquels on assistera en 1997. Le comité a étudié plus attentivement la politique étrangère et de sécurité commune en Europe. Nous avons conclu que l'OTAN demeure l'assise de nos relations en matière de sécurité en Europe. Cependant, le comité a invité le gouvernement canadien à examiner la valeur intrinsèque de chaque demande d'adhésion à l'OTAN pour s'assurer que l'agrément de chacune sert les intérêts stratégiques à long terme du Canada et de l'Europe en ce qui concerne la paix.

Le Canada doit veiller à ce que l'élargissement de l'OTAN conduise effectivement à une plus grande sécurité et à une meilleure stabilité en Europe. Nous devons nous rappeler que chaque élargissement oblige le Canada, aux termes de l'OTAN, à défendre les frontières de tous les nouveaux pays membres contre toute attaque armée. On comprend mal les transformations tout simplement gigantesques que va entraîner toute nouvelle adhésion à l'OTAN en ce qui concerne la sécurité, les coûts et les risques stratégiques. Le changement peut provoquer de nouveaux risques très dangereux.

Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères est inquiet des préoccupations valides soulevées par la Russie et espère qu'on pourra régler ces questions avant que l'OTAN élargie ne soit «considérée comme une menace irrévocable par la Russie.»

Les honorables sénateurs se rappellent qu'on a créé l'OTAN pour contrer une menace palpable à la paix et à la sécurité en Europe que posait l'Union soviétique agressive dans les années 1940. De nos jours, la Russie ne constitue pas une telle menace. Au contraire, elle essaie de bâtir de modestes ponts avec l'Ouest. Une nouvelle façon de penser et une nouvelle évaluation des risques doivent aller de pair avec tout élargissement de l'OTAN pour éviter des menaces à retardement à la sécurité de l'Europe. Ainsi, tout élargissement devrait avoir lieu parallèlement à la signature d'un traité avec la Russie. Cela ne veut pas dire que la Russie devrait avoir un droit de veto au sein de l'OTAN, mais le fait de profiter de la faiblesse actuelle de la Russie risque d'entraîner une instabilité à l'avenir et de conduire à un autre syndrome du traité de Versailles chez les Russes dans le futur.

Nous avons été les premiers à reconnaître l'Ukraine. Où le Canada et l'Occident laissent-ils l'Ukraine dans cette équation stratégique? Nous devons régler de graves questions stratégiques avant d'aller de l'avant avec l'élargissement de l'OTAN.

Nous avons regardé l'UE se débattre avec la politique étrangère et de sécurité commune. C'est peut-être sur ce front que l'Union européenne n'est pas parvenue à parler d'une seule voix. Il est clair qu'en ce qui concerne la convergence des politiques économique, monétaire, commerciale et d'investissement, l'Europe va très vite de l'avant dans une harmonie relative étonnante. Ce n'est que lorsqu'il est question de sécurité et de politique étrangère qu'on entend des voix discordantes. Des événements récents dans l'ex-Yougoslavie et aux frontières de l'Union européenne et de la Turquie montrent qu'on est incapable de parvenir à un consensus, qu'il n'y a pas de volonté politique.

Ainsi, nous devons déployer davantage d'efforts pour parvenir à une plus grande volonté politique au sein de l'OTAN afin d'en arriver à la paix et à la stabilité. Beaucoup de travail reste à faire à ce chapitre au sein de l'OTAN.

Une organisation plus large n'est pas nécessairement meilleure. L'élargissement de l'OTAN complique la structure déjà complexe de prise de décisions. L'élargissement diminuera inévitablement la voix du Canada au sein de l'OTAN et de l'Europe. Il faut effectuer maintenant de nouvelles évaluations tactiques et stratégiques avant de procéder à un élargissement de l'OTAN.

Pour ce qui est des relations bilatérales avec la Communauté européenne, le comité a souligné l'urgence de nous concentrer sur notre volonté politique pour obtenir rapidement un plan d'action commerciale qui permet au Canada d'accéder directement au marché de la Communauté européenne. Le Canada a besoin d'un programme commercial solide, fixe, transatlantique, un programme permettant d'ouvrir et de garder ouvertes les portes commerciales de l'Europe qui se referment. Les États-Unis ont déjà négocié et signé un programme commercial. Un plan d'action canadien est resté lettre morte. Notre guerre du poisson a retardé notre plan d'action. À moins que nous ne puissions demander à nos amis européens d'en parachever les premiers principes, le Canada se trouvera isolé et trop tributaire des liens commerciaux qu'il entretient en Amérique du Nord. Cela n'est pas un bon choix pour le Canada.

Le Canada doit raviver les liens bilatéraux qu'il entretient avec les pays membres en Europe et s'empresser d'établir de solides liens commerciaux multilatéraux avec la Communauté européenne. Heureusement, l'Asie et l'Amérique du Sud ont pris des initiatives commerciales nouvelles et énergiques au Canada, mais cela n'est tout simplement pas suffisant.

Le Canada doit immédiatement faire une percée en Europe. Le commerce ne doit pas être épisodique pour le gouvernement ou les entreprises. Il doit être une préoccupation de chaque heure et de chaque jour pour le gouvernement et les entreprises.

Honorables sénateurs, nous avons été étonnés de constater que l'Allemagne est aujourd'hui notre plus grand ami en Europe. Nos liens commerciaux traditionnels avec le Royaume-Uni et la France, et nos étroits liens fraternels et culturels avec d'autres pays membres en Europe, sont supplantés par l'attraction de la convergence européenne. Une activité politique et économique intense, à multiples facettes, préoccupe les pays membres à tous les niveaux, approfondissant et élargissant les liens internes sur le front économique et commercial, laissant le Canada derrière.

Je me demande pourquoi l'Europe s'est dirigée si rapidement vers la voie de la convergence. D'où vient la volonté politique qui a galvanisé cette transformation radicale en Europe? Après la Seconde Guerre mondiale, Jean Monnet et d'autres visionnaires ont conclu qu'un marché commun doté d'institutions communes, des consortiums transfrontières et une souveraineté partagée constituaient la seule voie véritable vers la sécurité et la prospérité.

Le Sénat américain, jaloux de la souveraineté des États-Unis, avait presque fait échouer cette initiative. Pourtant, les Américains, avec en tête le sénateur Vandenberg, qui avait fait volte-face, étaient prêts à souscrire à la Charte de l'OTAN, notamment à l'article 5, qui répartissait la responsabilité en matière de sécurité mutuelle en Europe, ce qui a mené au plan de reconstruction Marshall, qui a mené à son tour à un marché commun et, enfin, à l'Union européenne.

 

  • (1650)
Honorables sénateurs, j'ai relevé un paradoxe étonnant au niveau socio-politique à travers mon prisme canadien particulier. Même si le Canada et l'Europe partagent les mêmes racines, des langues et des cultures communes, une ironie fort regrettable persiste. Le coeur et la «pensée» de l'Europe semblent se diriger à tâtons vers la notion de fédéralisme, de cosmopolitisme, vers une fédération plongeant ses racines dans l'égalité, l'identité et l'élimination des obstacles historiques, linguistiques et religieux qui ont tant divisé et dévasté l'Europe dans le passé. Les Européens semblent avoir tiré les leçons du passé. Dans l'Europe moderne, il y a des gouvernements décidés à partager la souveraineté; une nouvelle Europe apparaît, un autre ordre européen.

Au cours de nos visites aux dirigeants de la Banque de France, à Paris, et de la Bundesbank, à Francfort, nous avons été étonnés de constater qu'il y a des idées communes et un solide consensus à tous les niveaux à propos d'une monnaie commune. La monnaie commune, ou l'eurodevise, et l'Union monétaire européenne donneront aux entreprises et aux États européens une longueur d'avance sur les entreprises nord-américaines. Au cours de nos rencontres avec de hauts fonctionnaires de Dublin et de Varsovie, ainsi qu'avec des politiciens de l'Irlande, de la France, de l'Allemagne, du Royaume-Uni, de la Belgique et de la Pologne, nous avons entendu parler de principes communs sur pratiquement toutes les questions.

Tous les sénateurs ont été surpris de voir à quel point des pays aussi différents que d'anciens ennemis, comme la France et l'Allemagne, la Pologne et le Royaume-Uni, et neutres, comme l'Irlande, l'Autriche et la Scandinavie, étaient disposés à partager la souveraineté à l'égard d'un vaste éventail de questions économiques et financières.

Oui, l'Europe semble avoir tiré des leçons du passé. Pendant ce temps, au Canada, nous semblons reculer dans un abîme silencieux, une fédération asymétrique, une prétendue fédération, où les idées nostalgiques de nationalisme régional et de droits collectifs minent et supplantent la vision fédérale de l'égalité individuelle qui surgit maintenant partout en Europe - dans cette Europe qui «s'épanouit», d'après moi. Pendant que nous voyons se déployer l'idée européenne, nous avons l'impression que le fédéralisme canadien se flétrit. Le mouvement du Canada vers la notion d'égalité, de cosmopolitisme, l'idéal fédéraliste transcendant, semble s'essouffler tandis que la marche en avant de l'Europe s'accélère.

L'Europe, avec toutes ses différences au niveau de la langue, de la culture et de l'identité, ainsi que ses expériences sanglantes des guerres - la vieille Europe- semble en voie de faire un grand ménage et d'établir un ordre nouveau. Une Europe nouvelle et différente prend forme sous nos yeux, presque trop vite pour nous permettre de suivre son mouvement.

Sous un calme apparent, le Canada reste divisé. Nos schismes régionaux semblent se creuser en dépit de notre passé libéral d'identité et de partage. Par contre, l'Europe semble se mouvoir d'elle-même et repousse le culte du nationalisme.

L'idéal européen, l'«idée» d'une Europe cosmopolite d'aspects multiples, fondée sur les idées de la Révolution française d'universalité, d'une «communauté de citoyens», d'un humanisme de culture défini par Julian Benda sous l'expression «autonomie des esprits», s'épanouit partout en Europe. Cette idée d'égalité civile, d'une société égale qui s'est presque noyée dans le bain de sang de la Seconde Guerre mondiale, alors enracinée dans l'idée d'une culture unique - de «Kulturcamf» -, dans les notions de pureté et de supériorité d'une culture, dans la déification d'une collectivité, semble être supplantée et transplantée dans une idée civile différente que certains définissent comme la renaissance de l'ancien espoir d'Érasme et de son projet d'humanisme européen.

Derrière la politique de marché commun, c'est la politique de culture commune qui est acceptée en Europe.

Son Honneur le Président: Sénateur Grafstein, je regrette de vous interrompre, mais vos 15 minutes sont écoulées.

Le sénateur Grafstein: Je demande qu'on me permette de poursuivre.

Son Honneur le Président: Permission est-elle accordée, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

Son Honneur le Président: Je suis tenté de demander pour combien de temps, étant donné le problème que nous avons eu plus tôt.

Le sénateur Bosa: Jusqu'à la fin de son intervention.

Son Honneur le Président: Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Grafstein: Tandis que chaque État-membre de l'Europe continue de projeter sa propre image culturelle, la nouvelle école européenne soutient qu'aucune culture nationale n'est «pure». Qu'est-ce qu'enseigne la nouvelle école européenne? Que chaque culture nationale a été «polluée» et «corrompue» par des sources et des idées prétendument étrangères. Pourtant, l'existence de n'importe quelle culture soi-disant nationale est tributaire des idées qui les ont précédées. Les idées ne sont jamais le monopole d'un seul peuple ni ne s'imposent toutes seules dans un groupe ethnique, une collectivité ou un endroit. Chaque idée culturelle a trouvé ses racines hybrides ailleurs, de sorte que la culture est la synthèse d'influences prétendument étrangères et que son contenu varie uniquement en fonction de l'équilibre établi entre l'emprunt de l'étranger et l'invention en sol national.

Vaclav Havel, ce brillant dirigeant européen, cet écrivain tchèque et maintenant président de la République tchèque, a le mieux exprimé cette idée:

Toutes les cultures humaines ont davantage en commun ... enfoui profondément quelque part dans leurs sources et leurs fondements.

Honorables sénateurs, l'idée de partage de la souveraineté réside au coeur de l'«idée» de l'Europe, comme elle est au coeur de celle du Canada. L'idée d'égalité est le moteur de la nouvelle Europe. L'idée d'une culture partagée et d'une souveraineté réduite ouvre le coeur de ses habitants à l'«idée» d'Europe.

L'«idée» européenne grandit plus vite et s'accompagne d'une mobilité, d'une liberté, d'une activité économique et d'une croissance et d'une prospérité à long terme accrues pour chacun de ses citoyens.

Honorables sénateurs, je vous exhorte à étudier soigneusement notre rapport. Je félicite le président, le vice-président et tous les membres des deux côtés qui ont travaillé si assidûment pour produire un rapport d'une telle profondeur et d'une telle vigueur. J'exhorte notre leader au Sénat à porter le rapport à l'attention du premier ministre et des divers ministères qui y sont mentionnés. J'espère que nous obtiendrons du gouvernement un rapport détaillé sur l'avancement de la mise en oeuvre de nos recommandations avant l'ajournement du printemps prochain.

Honorables sénateurs, il serait bon d'obtenir du gouvernement une réponse officielle à notre rapport, comme l'exige le Règlement de l'autre endroit. J'espère que le comité des privilèges, du Règlement et de la procédure abordera cette question, de sorte que nous puissions obliger le gouvernement à présenter une réponse officielle à nos rapports.

Tous les sénateurs sont unis à cet égard. Tous les sénateurs sont arrivés à la conclusion qu'un regain de l'intérêt que le Canada porte à l'Europe et de l'activité qu'il y exerce revêt la plus haute priorité pour le pays.

Honorables sénateurs, je voudrais féliciter les membres du personnel, le secrétaire du comité, les agents de recherche dirigés avec tant de compétence par Anthony Chapman, notre coordonnateur de la Bibliothèque du Parlement, notre greffier, Serge Pelletier, et son adjointe, Josée Thérien. Les efforts extraordinaires qu'ils ont tous déployés, au service du comité, pour préparer ce rapport complexe, ont été infiniment précieux.

Honorables sénateurs, permettez-moi de conclure en citant un grand patriote polonais, Josef Pilsudski, partisan du fédéralisme d'avant-garde, qui a écrit, peu après la Première Guerre mondiale, que les États nouvellement libérés (en Europe centrale et orientale) ont davantage besoin les uns des autres que de leur souveraineté. C'était l'essentiel de l'idée d'une nouvelle Europe. C'était le projet que Pilsudski entrevoyait pour la Pologne et les autres États européens, si profondément enfoncés alors dans le sang, la boue et la saleté d'un triste trio: fascisme, marxisme et nationalisme.

Le pluralisme et le progrès ne peuvent se passer l'un de l'autre. C'est seulement en embrassant d'une même étreinte le pluralisme et le progrès qu'on peut assurer la mobilité sociale et prétendre à la justice sociale. Tel est le principe sous-jacent du besoin qu'a le Canada d'un plus grand pluralisme dans ses pratiques commerciales et d'une plus grande diversité dans ses échanges commerciaux. Nous ne pouvons nous permettre de gaspiller l'avantage économique qui est actuellement le nôtre. Ce n'est que provisoire. Si nous laissons s'atrophier et se dégrader davantage nos liens historiques et culturels avec l'Europe, la génération qui nous suit sera prisonnière d'une dépendance excessive, l'élan de notre économie s'essoufflera, et nous serons dépassés par ceux qui consentent à travailler plus et mieux que nous.

Le Canada veut des emplois. Il veut la diversité. Il incombe à nos dirigeants politiques et du monde des affaires d'indiquer la voie à suivre. Notre rapport n'est qu'un phare dans l'obscurité. Profitons de sa lumière et allons de l'avant.

(Sur la motion du sénateur Berntson, le débat est ajourné.)

 

La situation des arts au Canada

Interpellation-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Johnson, attirant l'attention du Sénat sur la situation des arts au Canada.-(L'honorable sénateur Gigantès).

L'honorable Philippe Deane Gigantès: Honorables sénateurs, madame le sénateur Johnson nous a rendu un grand service lorsqu'elle a fait cette interpellation. Son plaidoyer en faveur des arts - les raisons pour lesquelles elle a défendu les arts et pour lesquelles elle a affirmé que les arts ne peuvent être négligés, même en période d'austérité, et ont besoin de financement public - est tombé à point pour nous rappeler qu'il est important pour un pays de ne pas négliger les arts, surtout lorsqu'on est situé si près de la frontière américaine.

 

  • (1700)
En fait, si notre société se trouve enrichie par les réalisations des civilisations antérieures, c'est grâce aux objets et aux ouvrages que ces civilisations ont laissés derrière elles. Thucydide, ce grand historien grec du cinquième siècle avant Jésus-Christ, affirmait que, dans les siècles à venir, les gens qui contempleraient les ruines d'Athènes et de Sparte s'étonneraient de la petite taille d'Athènes et auraient du mal à croire à quel point Sparte était gigantesque, puisqu'elle n'aurait rien laissé derrière elle.

L'expression artistique a grandement contribué à l'évolution de la pensée humaine. La défense des droits des femmes est d'abord apparue dans les pièces de Sophocle et davantage dans les oeuvres d'Euripide. Si je cite cet exemple, c'est que dans l'ancienne Athènes, on versait un jour de salaire aux citoyens pour qu'ils assistent à la trilogie d'un de ces grands auteurs tragiques. Une trilogie durait toute une journée. Le gouvernement d'Athènes - 25 000 citoyens et 100 000 personnes en tout - jugeait qu'il était utile de payer les gens pour qu'ils apprennent ce que les arts pouvaient leur apporter. C'est extrêmement important.

Il existe un discours en grec classique rédigé à la même époque par quelqu'un que les honorables sénateurs ne connaissent probablement pas, mais que nous, les spécialistes de lettres classiques, appelons le Vieil Oligarche. Il correspond exactement au discours sur les arts que tenaient les membres du parti des sénateurs d'en face qui se sont joints aux réformistes. Je ne sais pas en quoi consistent les arts, mais je sais ce que j'aime et je n'aime pas ce que je vois. Ce sont eux qui voudraient n'accorder aucun financement aux arts, aux artistes, aux penseurs et aux universités. D'après eux, tout devrait fonctionner selon les principes du marché libre.

Honorables sénateurs, certaines choses ne se vendent pas immédiatement. Elles sont toutefois utiles, parce qu'elles agissent comme des éléments précurseurs. Elles ouvrent des portes. Voilà les points très importants que le sénateur Johnson a voulu faire valoir. Étrangement, toute chose cultivée peut devenir rentable. La France, par exemple, consacre des sommes énormes à la préservation de son patrimoine, de ses édifices, de ses musées et de ses arts.

Le sénateur Corbin: Et de ses églises.

Le sénateur Gigantès: Seulement l'aspect artistique de ses églises - il s'agit d'un État laïque. Je ne tiens pas à aborder cette question délicate. Le gouvernement français n'appuie pas la religion, exception faite de certains de ses membres qui envoient leurs enfants à l'école jésuite, mais il faut dire que les Jésuites ont transcendé la religion et sont devenus d'excellents éducateurs. J'ai eu le grand honneur d'étudier avec des Jésuites. Ne parlons pas toutefois de l'éducation dispensée par les Frères des Écoles chrétiennes.

La France tire d'énormes recettes de ce que les touristes peuvent découvrir non seulement dans les musées, sur les sites archéologiques et dans l'art gothique et les oeuvres de la Renaissance, mais également au théâtre où ils peuvent assister à de grandes pièces, des vieilles et des neuves, et entendre de grands chanteurs.

Le Citizen publie aujourd'hui un article sur le théâtre en Grande-Bretagne. Comme nous le savons tous, des forfaitistes offrent des voyages de plusieurs jours à Londres comprenant l'hôtel et des billets pour diverses pièces de théâtre. En Grande-Bretagne, le théâtre est une industrie, une industrie qui rapporte beaucoup d'argent. En négligeant ce genre de choses, nous perdons de l'argent et, ce qui est plus grave encore, nous perdons notre identité.

Je ne veux pas passer l'art américain sous silence. Je regarde les comédies de situation et les violents films américains à la télévision. Je voudrais aussi que l'on aide les jeunes artistes, auteurs et musiciens canadiens. Ce n'est pas nécessaire que cela coûte de l'argent. On a qu'à se servir de la Loi sur le droit d'auteur. Comme l'a très justement fait remarquer le sénateur Johnson, en exigeant un contenu canadien, le Règlement du CRTC a favorisé l'épanouissement de la musique populaire canadienne, qui a pris sa place dans le monde. Céline Dion est la diva de la musique pop partout dans le monde. D'autres artistes canadiens de la musique et de la peinture sont connus dans le monde entier. Ces artistes et d'autres ont pu percer notamment parce que des petits éditeurs commerciaux, par exemple, ont eu de l'aide pour prendre le risque de publier un livre qui ne se vendrait pas bien. Ils ont pu percer parce que le règlement oblige les stations de radio à jouer la musique qui a fait la célébrité internationale de ces jeunes Canadiens. Ce n'est pas à négliger.

Selon un article paru dans le Ottawa Citizen du 23 novembre, en Grande-Bretagne, sous un gouvernement conservateur, des compagnies subventionnées comme le Royal National Theatre et la Royal Shakespeare Company attirent des spectateurs du monde entier et ont présenté des pièces d'un caractère tellement expérimental qu'elles n'auraient pu être produites par un théâtre non subventionné. Est-ce à dire qu'il ne vaut plus la peine de monter une pièce de Shakespeare? Est-ce à dire qu'il ne vaut plus la peine de représenter une grande pièce de Tchekhov? Est-ce à dire qu'il ne vaut pas la peine de reprendre la grande pièce de J.P. Priestly qui traite de la structure des classes en Grande-Bretagne et qui s'intitule An Inspector Calls, ce qu'aucune compagnie théâtrale ordinaire n'oserait faire?

Honorables sénateurs, le sénateur Johnson nous a vraiment rendu un grand service en soulignant toutes ces choses et en nous exhortant à applaudir et à appuyer toute mesure qui aidera nos arts, nos artistes, nos écrivains et nos musiciens à laisser leur marque dans le monde. Il ne s'agit pas de faire preuve de chauvinisme ni d'exclure les autres. C'est simplement là notre contribution à la culture mondiale. D'autres apprendront de nos créations, au même titre que nous apprenons des leurs. Si nous ne faisons pas cela, honorables sénateurs, nous sommes bien peu de chose.

(Sur la motion du sénateur Berntson, le débat est ajourné au nom du sénateur Meighen.)

(Le Sénat s'ajourne au mercredi 30 octobre 1996, à 13 h 30.)

 


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