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Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 16 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 6 juin 1996

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 10 heures pour examiner le projet de loi C-28 concernant certains accords portant sur le réaménagement et l'exploitation des aérogares 1 et 2 de l'aéroport international Lester B. Pearson.

Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, je voudrais souhaiter chaleureusement la bienvenue ce matin au ministre de la Justice, l'honorable Allan Rock, qui nous présentera d'abord un exposé. Monsieur Rock, vous avez la parole.

L'honorable Allan Rock, ministre de la Justice et procureur général du Canada: Madame la présidente, c'est la troisième fois que je me présente devant ce comité au sujet d'un projet de loi concernant les accords sur l'aéroport Pearson. Je suis venu pour la première fois il y a environ deux ans pour témoigner au sujet de ce que l'on appelait alors le projet de loi C-22.

À cette occasion, j'ai déclaré catégoriquement, en tant que conseiller juridique du gouvernement, que le projet de loi C-22 tel qu'adopté par la Chambre des communes était valable et conforme à la Constitution. Il était compatible avec les pouvoirs législatifs du Parlement. Il respectait la Charte des droits et libertés et la Déclaration des droits.

[Français]

Comme vous le savez, il est retourné à la Chambre des communes avec des dispositions qui n'étaient pas acceptables pour la Chambre. Par conséquent, le projet de loi a été renvoyé au Sénat dans sa forme originale.

Lorsque le Parlement a prorogé ses travaux en février dernier, le projet de loi est mort au Feuilleton.

[Traduction]

Le projet de loi C-28 a été envoyé au Sénat par la Chambre des communes lorsque le Parlement a repris ses travaux au printemps. Une fois de plus, il reflète la politique et la démarche qui avaient inspiré le projet de loi initial il y deux ans.

Dans l'intervalle, bien entendu, ce comité a tenu des audiences et le Sénat lui-même a débattu et discuté des dispositions du projet de loi initial. À la suite de cela, le gouvernement a tout à fait pris conscience des éléments précis de ce projet de loi avec lesquels certains honorables sénateurs ne sont pas d'accord.

Premièrement, nous sommes bien conscients du fait que le travail du comité et, plus précisément, les objections exprimées par certains honorables sénateurs à l'endroit de ce projet de loi sont principalement inspirés par des préoccupations d'ordre juridique et constitutionnel. À plusieurs reprises, certains sénateurs ont souligné que, s'ils ne sont pas d'accord avec l'orientation politique de ce texte, ils respectent le droit de la Chambre des communes à déterminer cette politique. Ils ont également indiqué clairement que la question du droit à recevoir une indemnité et du montant de celle-ci ne les intéresse pas et relève des tribunaux.

Je comprends et je respecte les préoccupations d'ordre constitutionnel et juridique du comité. J'ai donc l'intention, madame la présidente, de mettre l'accent sur ces questions dans mon exposé. J'espère démontrer que le gouvernement est prêt à modifier ce projet de loi pour répondre à toutes les questions constitutionnelles et juridiques soulevées par certains honorables sénateurs.

Passons maintenant directement à certaines des préoccupations constitutionnelles et juridiques précises que nous devons examiner. C'est, je crois, le sénateur Lynch-Staunton qui les a exprimées le plus succinctement quand, parlant du projet de loi initial, le C-22, il a dit au Sénat, le 5 octobre 1994:

Bref, la dénégation du droit d'accès aux tribunaux, la déclaration établissant non seulement l'annulation des contrats, mais leur inexistence, de même que la discrétion absolue accordée au ministre pour déterminer éventuellement les sommes à verser au titre de dommages-intérêts à la partie lésée, voilà autant de dispositions dont aucun législateur n'a jamais osé saisir le Parlement du Canada. Elles pèchent contre un des principes les plus fondamentaux sur lesquels le Canada est fondé...

Ce principe est celui de la primauté du droit.

Le 30 avril dernier, il y a juste quelques semaines, le sénateur Lynch-Staunton a à nouveau exprimé ses préoccupations au sujet de ce projet de loi. Il a dit, à cette occasion:

Avec le projet de loi C-28, le gouvernement du Canada demande au Parlement du Canada de le décharger d'une responsabilité qu'il a déjà reconnue à la suite de deux jugements. Pour ce faire, le projet de loi C-28 déclarerait nuls et non avenus les accords que le gouvernement a, de son propre aveu, conclus mais pas respectés et il interdirait l'accès aux tribunaux et aux recours auxquels a droit un plaignant, malgré le fait que l'accès aux tribunaux a déjà été reconnu par la garantie constitutionnelle que renferme la règle du droit et par le jugement accepté antérieurement par le gouvernement du Canada.

[Français]

Aujourd'hui, je n'ai pas l'intention d'argumenter sur la position du sénateur Lynch-Staunton. Je vous ferai cependant remarquer qu'un certain nombre d'experts juridiques ont témoigné clairement devant le comité, à l'effet qu'ils n'étaient pas d'accord avec la position du sénateur Lynch-Staunton. Toutefois, je ne suis pas ici pour débattre de ces questions.

[Traduction]

Je suis plutôt ici pour démontrer que nous tenons compte des points soulevés par le sénateur et que nous y répondons.

Je voudrais d'abord traiter de la notion selon laquelle le Parlement déclarerait que ces accords n'ont jamais existé. En vertu de notre proposition, les articles 3, 4 et 5 du projet de loi, selon lesquels ces accords ne sont pas entrés en vigueur, seraient modifiés et stipuleraient qu'ils n'ont aucun effet juridique après le 15 décembre 1993, jour du transfert de la propriété de l'aéroport aux termes des accords contestés. Cette date est également postérieure aussi bien à celle à laquelle le tribunal a dit qu'ils avaient été répudiés, le 3 décembre, et à celle à laquelle il a constaté que cette répudiation avait été acceptée, le 13 décembre.

Quant à l'accès aux tribunaux, les articles 7 et 8, qui l'interdisent, seraient modifiés pour permettre l'ouverture de procédures judiciaires. Ceci réglerait la deuxième des trois préoccupations exprimées par le sénateur Lynch-Staunton au Sénat.

[Français]

Les deux autres objections seraient couvertes par les deux autres amendements auxquels je me suis référé plus tôt.

[Traduction]

Pour ce qui est des articles 9 et 10 du projet de loi C-28, qui accorde toute discrétion au seul ministre quant aux paiements qu'il jugerait éventuellement appropriés, nous appuierions un amendement qui les supprimerait entièrement. Je crois que cela répond directement à la troisième et dernière des objections initiales du sénateur Lynch-Staunton.

Pour ce qui est des recours devant les tribunaux, le gouvernement est prêt à appuyer un amendement qui autoriserait des réparations mais stipulerait quels types de dommages-intérêts pourraient être accordés par un tribunal en application du pouvoir qu'a le Parlement de définir quelles indemnités peuvent être recouvrées. L'amendement que nous appuierions établirait en particulier qu'aucune indemnité ne devrait être accordée, par exemple, à l'égard des profits non réalisés ou des sommes versées à des lobbyistes.

À mon humble avis, on ne peut pas sérieusement invoquer la Constitution ni la règle du droit pour contester la validité d'un projet de loi qui se contente d'indiquer les critères que les tribunaux devraient utiliser pour déterminer les droits à un dédommagement, dans la mesure où il y a un arbitrage indépendant. Je pense que tous les experts qui ont comparu devant ce comité ont reconnu qu'il était du pouvoir du Parlement de présenter des lignes directrices ou de définir les catégories d'indemnités pouvant être accordées. Tel serait exactement le résultat des amendements que le gouvernement est prêt à appuyer.

[Français]

Permettez-moi de vous entretenir quelques minutes sur le témoignage de M. Patrick Monahan, professeur à la Faculté de droit de la Osgoode Hall Law School, qui a comparu devant le comité plus d'une fois, pour vous parler de la constitutionnalité de certaines dispositions du projet de loi C-22.

Lors de sa dernière comparution, la plupart des amendements dont je viens tout juste de parler avaient été déposés devant ce comité. Malgré le fait que ces modifications aient satisfait la plupart des témoins qui ont comparu devant le comité, M. Monahan a toujours des réticences, particulièrement sur deux points.

[Traduction]

La première concernait la désignation du 30 juin 1994 comme date limite pour la prise en considération d'une réclamation. Bien que j'aie proposé diverses modifications permettant le dépôt de réclamations après le 30 juin, M. Monahan a maintenu son objection pour des raisons qu'il a expliquées au comité. Sans vouloir aucunement entériner l'analyse sur laquelle est fondée l'objection de M. Monahan, je peux dire au comité que le gouvernement est prêt à accepter un amendement qui éliminerait la date du 30 juin et, par là même, toute notion de date limite pour le dépôt de réclamation.

La deuxième objection présentée par M. Monahan concernait l'article du projet de loi C-22 modifié interdisant l'accord de dommages-intérêts non compensatoires, punitifs, exemplaires ou majorés. À la lecture de la transcription de ses propos, il me semble, madame la présidente, que cette objection reposait sur le fait que, selon M. Monahan, si de tels types de dommages-intérêts ne pouvaient pas être accordés, les plaignants qui prouveraient qu'ils ont été diffamés n'auraient en fait accès à aucun redressement, à part la satisfaction d'avoir lavé leur honneur. Je me permets de ne pas être d'accord avec ce point de vue. En fait, des recherches montrent que presque toutes les poursuites pour diffamation couronnées de succès donnent lieu à l'accord de dommages-intérêts généraux compensant l'atteinte à la réputation. Le projet de loi proposé n'empêcherait pas l'accord de tels dommages-intérêts.

Pour ce qui est de la position de M. Monahan dans son ensemble, je remarque que, lorsqu'il a comparu devant le comité le 23 mai 1995, il a reconnu que le gouvernement peut imposer des limites aux dédommagements. Il n'était pas en désaccord avec les principes sur lesquels repose l'article 8, puisqu'il a seulement proposé que celui-ci soit modifié. En fait, il a déclaré que, si l'on abandonnait la date limite du 30 juin et que l'on supprimait l'interdiction d'accorder des dommages-intérêts punitifs, exemplaires, majorés et non compensatoires, il considérerait ce projet de loi comme constitutionnel.

Honorables sénateurs, nous proposons de supprimer la date limite du 30 juin. Quant à la nature des dédommagements recouvrables, à mon avis, la préoccupation de M. Monahan au sujet du fait que les plaignants engageant des poursuites pour diffamation n'auraient accès à aucun recours efficace est tout simplement sans fondement.

Selon moi, les changements apportés par les amendements que le gouvernement est prêt à appuyer répondent à chacune des questions d'ordre juridique et constitutionnel soulevées par les honorables sénateurs et les experts qui se sont présentés devant le comité. Je recommande donc ce projet de loi au comité avec les amendements que le gouvernement est heureux de proposer et d'appuyer.

Je serai heureux de répondre à toutes les questions que les honorables sénateurs pourraient vouloir me poser.

Le sénateur Lynch-Staunton: Monsieur Rock, je suis flatté que vous me citiez pour étoffer votre argumentation relativement au dépôt de vos amendements. Je ne revendique cependant pas la paternité de tout ce que j'ai pu dire. Il s'agit de préoccupations partagées par de nombreuses personnes aussi bien dans cette Chambre qu'à l'extérieur de celle-ci. Je trouve rassurant que vous répondiez aux préoccupations que les activités de votre ministère inspirent à des sénateurs et à d'autres. J'espère que vous appliquerez le même principe en ce qui concerne d'autres préoccupations que nous avons abordées récemment relativement à certaines activités auxquelles a participé votre ministère.

Cela dit, je voudrais vous faire part de quelque chose qui me trouble depuis quelque temps; je me demande si le Parlement peut adopter un projet de loi qui modifierait une procédure judiciaire ayant déjà eu lieu. Je peux comprendre l'argument selon lequel le Parlement peut établir des règles avant l'ouverture d'un procès. Nous avons entendu certains dire que le Parlement peut modifier un verdict s'il n'est pas satisfait de l'issue d'un procès. Toutefois, le projet de loi C-28 a pour objet de modifier les règles une fois la procédure engagée.

Je ne connais aucun précédent pour une telle initiative. En d'autres termes, je ne connais aucun texte de loi relatif à des questions dont un tribunal est saisi et qui pourrait exercer une influence directe sur la nature de la sentence, sinon sur l'issue du procès. Ce qui, dans ce cas-ci, est encore plus troublant est que la partie qui souhaite modifier ainsi les règles est également défenderesse dans cette affaire.

On pourrait justifier que le Parlement intervienne durant un procès dans lequel le gouvernement ou le Parlement n'est pas directement impliqué. Toutefois, dans ce cas-ci, le gouvernement est également défendeur. Impliqué dans un procès depuis la mi-février, il demande au Parlement de changer les règles de façon à ce qu'en fait elles favorisent le défendeur.

Je me demande s'il est acceptable que le Parlement agisse ainsi. J'aimerais savoir ce que vous en pensez, monsieur le ministre.

M. Rock: Premièrement, du point de vue de la chronologie, sénateur, à entendre votre description des faits, on pourrait croire que la procédure avait été entamée avant la présentation de cette mesure législative par le gouvernement. C'est en fait l'inverse qui s'est produit.

Ces événements se sont produits en décembre 1993. Le projet de loi a été déposé à la Chambre des communes en avril 1994. Il a reçu une troisième lecture le 16 juin 1994. Il a ensuite été présenté au Sénat en juin 1994 pour la première et la deuxième lectures et a été envoyé au comité en juillet.

Les poursuites judiciaires ont été entamées au mois de septembre suivant, alors que le gouvernement avait déjà pris une décision d'ordre politique à la suite de laquelle il avait déposé un projet de loi qui, sous sa forme initiale, aurait interdit tout recours devant les tribunaux en laissant tout dédommagement éventuel à la discrétion d'un ministre. On ne peut donc pas dire qu'une procédure avait déjà été engagée et suivait son cours quand nous avons modifié le projet de loi. C'est l'inverse qui s'est produit.

Je voudrais maintenant aborder une question plus générale, madame la présidente, celle de la primauté du Parlement et du rôle du gouvernement pour ce qui est des décisions politiques servant l'intérêt de la population. À vous entendre, sénateur, il s'agirait d'une procédure mettant en jeu des intérêts privés. Vous présentez le gouvernement comme une partie défenderesse qui cherche à défendre ses intérêts. J'insiste sur le fait que le gouvernement n'agit pas à titre privé. Il n'est pas simplement partie à un procès. Il agit dans l'intérêt de la population. Il doit agir au nom de la population.

Dans cette affaire, nous faisons face à une réclamation portant sur un montant compris entre 600 millions et 700 millions de dollars, présentée par des gens qui prétendent n'avoir pas pu réaliser certains profits parce que, pour des raisons politiques, le gouvernement a annulé une transaction. Nous défendons tout à fait les intérêts de la population et des contribuables qui devront payer la note de ces 600 millions ou 700 millions de dollars si c'est ce qu'ordonnent les tribunaux. Il ne s'agit pas simplement de défendre un intérêt privé dans une affaire banale; c'est une poursuite d'un montant de 600 millions à 700 millions de dollars intentée contre les contribuables du Canada.

En présentant ce projet de loi, le gouvernement applique une décision politique prise longtemps avant l'ouverture des poursuites. Dans ce litige, les avocats du gouvernement répondent à des réclamations faites à l'endroit des deniers publics. Avec ce projet de loi et les amendements proposés, les plaignants auront un recours judiciaire, mais ils ne pourront recouvrer que certaines sortes de dommages-intérêts. Je ne vois rien là de révoltant au vu de la façon dont les événements se sont déroulés.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je ne vois pas en quoi la nature de cette affaire justifie ce projet de loi. Il s'agit d'une réclamation portant sur une somme importante, faisant suite à un accord très controversé qui a été annulé unilatéralement. Voilà une chose.

Toutefois, le problème va plus loin que la nature de cette affaire. C'est le suivant: le Parlement du Canada, surtout lorsque le gouvernement du Canada est partie à une affaire - et je ne dis pas qu'il agit à titre privé - qui suit son cours, peut-il établir des lignes directrices et des règles favorables au gouvernement et, en fait, donner des instructions au juge? Ces instructions sont les suivantes: «Vous avez jusqu'à présent suivi des lignes directrices établies, connues et acceptées depuis de longues années; toutefois, dans ce cas précis, ces lignes directrices ne nous plaisent pas. Nous voulons donc vous dire que le Parlement, en vertu des conseils que nous lui avons donnés à titre de partie défenderesse», ou de plaignant, «a décidé que vous devez suivre cette règle avant de prononcer votre jugement.»

M. Rock: Pour ce qui a trait au droit, à la constitutionnalité et aux pouvoirs du gouvernement à cet égard, je pense qu'on peut clairement répondre à votre question par l'affirmative. Je ne m'en tiendrai pas là et j'ajouterai que la situation très colorée que vous avez dépeinte n'est pas du tout conforme à la réalité. Les poursuites ont été engagées alors que toutes les parties savaient que le gouvernement avait présenté un projet de loi dont la teneur était: «Personne ne pourra engager un recours auprès des tribunaux ni obtenir de dédommagement. Si vous recevez quoi que ce soit, c'est le ministre qui en déterminera le montant.» Ces gens-là ont alors engagé des poursuites. Ce n'est pas comme s'ils l'avaient fait sans connaître le point de vue du gouvernement.

Même sans tenir compte de cela, du point de vue juridique, sénateur, je répondrai à votre question de la façon suivante: oui, le Parlement est nanti d'un tel pouvoir.

Le sénateur Lynch-Staunton: D'où tient-il ce pouvoir?

M. Rock: Où serait-il donc écrit que le pouvoir souverain de légiférer du Parlement est limité ou rendu conditionnel de quelque façon que ce soit du simple fait que quelqu'un entame une procédure judiciaire? Si le Parlement du Canada juge bon d'adopter un projet de loi définissant ou précisant quels types de dommages-intérêts peuvent être accordés par un tribunal à la suite d'un procès - ce qu'il peut faire d'après ce que vos experts ont dit devant ce comité -, pourquoi ce pouvoir serait-il limité ou supprimé simplement parce que des poursuites judiciaires ont déjà été entamées?

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous faites donc valoir que, puisque le gouvernement avait déjà fait connaître son intention, cela constituait pratiquement un édit?

M. Rock: Je vous répondrai que oui, le Parlement du Canada est légitimement habilité à adopter un projet de loi de cette nature, même lorsqu'un procès est en cours. Voilà ma réponse. J'irai plus loin pour commenter la façon dont vous situez les choses dans votre question en disant que nous sommes partie au litige et que nous changeons les règles une fois les poursuites entamées. Je signalerai simplement entre parenthèses que la chronologie des faits montre que nous avons fait connaître notre décision politique d'abord et que le procès n'a commencé qu'après.

Le sénateur Lynch-Staunton: La décision politique que vous avez prise et communiquée par le truchement du projet de loi C-22 est toutefois totalement différente de ce que nous avons devant nous aujourd'hui avec vos amendements. Vous aviez dit à l'époque qu'il ne pourrait pas y avoir de procès, que les contrats étaient nuls et non avenus, que toute poursuite entamée avant l'adoption du projet de loi C-22 était annulée et que seul le ministre pouvait prendre des décisions finales.

Tout cela sera éliminé si ces amendements sont adoptés. Les intentions dont vous aviez fait part en annonçant le projet de loi C-22 ont disparu. Bon gré mal gré, le gouvernement accepte maintenant les poursuites judiciaires, la validité des contrats jusqu'au 15 décembre 1993 et l'accord éventuel de dommages-intérêts à certaines exceptions près, ce qui est une politique totalement différente de celle qui avait été annoncée au début 1994.

Le projet de loi C-22 ne me paraît pas pertinent, pas plus que le projet de loi C-28 qui en est la copie conforme, puisque le sénateur Kirby nous a dit - et cela a été confirmé par vous-même aujourd'hui et par le sénateur Bryden il y a quelques jours - que le gouvernement veut, en fait, abandonner ses intentions initiales telles qu'exprimées dans les projets de loi C-22 et C-28 et en présenter un nouveau en apportant toute une série d'amendements au projet de loi C-28. Il n'a plus les mêmes intentions qu'auparavant. Celles-ci se sont évanouies.

M. Rock: Je ne sais plus très bien en quoi consiste votre question.

Le sénateur Lynch-Staunton: C'est la suivante: comment pouvez-vous dire que la politique annoncée par le gouvernement il y a deux ans est encore valable alors que vous venez de nous dire, dans votre déclaration d'ouverture, que, en fait, vous modifiez cette politique?

M. Rock: Permettez-moi de revenir aux principes fondamentaux. Du point de vue juridique, à mon humble avis, rien ne limite, ne réduit ou n'annule le droit du Parlement à adopter ce projet de loi soit sous sa forme initiale soit avec les amendements maintenant proposés et que, comme je l'ai dit, le gouvernement va appuyer. Voilà la première chose.

Deuxièmement, le simple fait qu'un litige est en cours ne peut ni limiter, ni réduire, ni annuler le droit du Parlement à adopter ce projet de loi soit sous sa forme initiale, soit sous la forme modifiée que nous proposons.

Vous avez souligné un autre problème, celui de la différence importante qu'il y aurait entre le point de vue actuel du gouvernement et la décision politique prise en 1993. À mon avis, le principe fondamental est le même, c'est-à-dire que les contribuables ne devraient pas être exposés aux risques découlant d'une réclamation consécutive à cette transaction et portant sur des centaines de millions de dollars et qu'un projet de loi devrait limiter les possibilités de redressement.

Initialement, nous avions dit que le projet de loi devrait limiter le redressement à une indemnité dont le ministre déterminerait le montant. Nous disons maintenant qu'il devrait être possible d'avoir accès aux tribunaux pour demander des dédommagements sous certaines réserves. Le principe est toutefois le même. Comme nous voulons que ce projet de loi soit adopté pour pouvoir passer à autre chose, nous avons apporté des amendements qui ne nous paraissent pas nécessaires d'un point de vue juridique ou constitutionnel, mais qui répondent aux préoccupations soulevées par certains honorables sénateurs.

Je répondrai globalement à votre question en disant simplement que, du point de vue juridique, le fait qu'un procès soit en cours n'empêche nullement le parlement d'agir.

Le sénateur Bryden: Monsieur le ministre, j'ai plusieurs questions qui font suite aux travaux de ce comité. À votre avis, quel est le sens de l'expression «la primauté du droit», telle qu'elle figure dans le préambule à la Charte canadienne des droits et libertés:

Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit:

Ai-je raison de supposer que la primauté du droit inclut l'ensemble des lois qui, à une époque donnée, régissent la population de notre pays, notamment la Constitution, la common law telle qu'elle a évolué au fil des ans, les lois adoptées par le Parlement et les législatures en vertu des responsabilités qui sont les leurs et les règlements et autres règles découlant de ces lois?

Enfin, ce principe inclut-il l'application et l'interprétation de toutes ces dispositions juridiques de façon cohérente et objective par un pouvoir judiciaire indépendant et, dans certains cas, par des tribunaux administratifs ou des procédures administratives?

Je vous laisse deviner ce que je crois que ce principe recouvre. Comment interprétez-vous la primauté du droit telle que mentionnée dans le préambule de la Charte?

M. Rock: Sénateur, j'accepterais volontiers la définition de la «primauté du droit» que vous venez de donner. On pourrait peut-être la compléter, mais c'est je crois un excellent résumé du sens qu'on a voulu donner à cette expression dans notre document constitutionnel.

Quand certains disent que ce projet de loi est «contraire au principe de la primauté du droit», je pense qu'ils commettent une erreur fondamentale. Il s'agit d'une application pratique de la primauté du droit.

Le gouvernement contreviendrait à ce principe s'il se contentait d'annoncer qu'aucun dédommagement ne sera accordé, qu'aucune poursuite ne peut être intentée, que le contrat est résilié et qu'aucune autre initiative ne peut être prise. Il contreviendrait en effet au principe de la primauté du droit, alors qu'ici, il l'applique en présentant ce projet de loi devant la Chambre des communes, pour qu'elle en débatte, qu'elle le mette aux voix, qu'elle l'adopte et l'envoie au Sénat en lui demandant d'en débattre et de l'accepter. C'est une façon d'appliquer ce principe. C'est conforme aux pouvoirs législatifs du Parlement. Celui-ci manifeste ainsi sa souveraineté en adoptant une loi qui régit les activités des citoyennes et des citoyens comme vous l'avez expliqué. J'accepte la définition que vous avez donnée et je dis que ce projet de loi tombe sous le coup de cette définition.

Le sénateur Bryden: Je passerai maintenant à une question qui a déjà posé des problèmes et continuera, j'en suis sûr, d'en poser. Le fait que la version amendée de l'article 8(2)(e) exclut les dommages non compensatoires, punitifs, exemplaires ou majorés enfreint-il la primauté du droit?

M. Rock: À mon avis, non. Je ne sache pas qu'aucun expert comparaissant devant ce comité ait dit que le Parlement n'était pas légalement habilité à limiter les catégories d'indemnités que les parties pouvaient chercher à obtenir devant un tribunal. Il y a des exemples de lois provinciales et fédérales qui ont précisément un tel effet. Donc, non, je dis que cela n'est pas du tout un déni du principe de la primauté du droit.

La seule personne à avoir exprimé la moindre préoccupation à cet égard est le professeur Monahan, comme je l'ai dit dans ma déclaration d'ouverture. J'ai parlé de ce qu'il avait dit à ce sujet. À la lecture de ses propos, j'ai eu l'impression qu'il disait que les poursuites pour diffamation incluaient nécessairement de tels dommages-intérêts et que les interdire reviendrait à priver le plaignant de tout redressement réel à part une victoire de principe correspondant au rétablissement de sa réputation.

À cela, je réponds que les recherches montrent que, lors de telles procédures, le redressement inclut des dommages-intérêts généraux pour l'atteinte à la réputation qui ne sont pas interdits. Dans de telles affaires, les plaignants continueraient d'avoir accès au redressement le plus courant et le plus recherché dans les poursuites pour diffamation et cet article n'y changerait rien. À mon avis, les préoccupations de M. Monahan à cet égard sont sans fondement.

Circonscrire la nature du redressement ne va pas à l'encontre de la primauté du droit et est tout à fait conforme à la politique du gouvernement selon laquelle les personnes concernées devraient seulement récupérer les dépenses qu'elles ont encourues.

Le sénateur Jessiman: Ce que nous étudions réellement aujourd'hui est le projet de loi C-28, qui reproduit mot pour mot le projet de loi C-22. Je remarque que vous avez apposé un tampon disant qu'il est en conformité avec la Déclaration des droits et la Charte, ce qui était déjà le cas du projet de loi C-22. Je suppose que ce tampon a été apposé avec votre approbation, voire même sur vos instructions ou sous votre autorité.

M. Rock: Oui.

Le sénateur Jessiman: Je peux peut-être comprendre pourquoi vous l'avez fait en ce qui concerne le projet de loi C-22, mais, comme la plupart d'entre nous, vous avez lu tous les témoignages selon lesquels le projet de loi C-22, qui s'appelle maintenant C-28, va à l'encontre de la Déclaration des droits. Pour ce qui est du projet de loi C-22 - et je vous poserai la même question à propos du projet de loi C-28 -, vous n'avez pas dit: «Nonobstant la Déclaration des droits, nous allons adopter le projet de loi C-28.»

M. Rock: Ce n'était pas nécessaire.

Le sénateur Jessiman: Que cela ait été ou non nécessaire, vous ne l'avez pas dit.

M. Rock: Nous ne l'avons pas dit parce que cela n'était pas nécessaire.

Le sénateur Jessiman: La réponse est donc que vous ne l'avez pas dit. Néanmoins, parmi tous les experts que nous avons entendus, un seul - et il avait été engagé par le gouvernement - a dit que la suprématie du Parlement avait prépondérance sur la Déclaration des droits et sur la Charte et que ce projet de loi était en conformité avec ce principe. Vous êtes membre du barreau, tout comme moi et, quand l'Association du Barreau canadien est venue ici parler au nom de 34 000 ou 37 000 juristes canadiens, elle a dit que le projet de loi C-22 - et, c'est moi qui l'ajoute, le projet de loi C-28 également - n'était pas conforme à la Constitution. Comment pouvez-vous prétendre le contraire? Je peux comprendre comment vous avez pu le dire antérieurement, mais vous appuyez-vous sur cette seule opinion en disant que tous les autres ont tort?

M. Rock: Non, sénateur, et je ne me prononce pas non plus sur la constitutionnalité d'une mesure en comptant ses partisans. Pour ce faire, j'examine les lois, je tiens compte de ce que disent les documents constitutionnels, je lis et j'étudie la jurisprudence relative à l'interprétation des pouvoirs en cause et j'applique ensuite ces principes au projet de loi à l'étude. J'étais d'avis en avril 1994, et je le suis encore, que le projet de loi C-22 et le C-28, sous leur forme initiale, sont tout à fait constitutionnels et tout à fait valides.

Sénateur, j'ai lu les avis des personnes auxquelles vous avez fait allusion et je vous dirai, sans aucune espèce d'arrogance, que je ne suis pas d'accord avec elles. Je reconnais également qu'il est impossible de porter un jugement absolu ou catégorique - c'est impossible pour eux tout comme pour moi -, parce que c'est la Cour suprême du Canada qui a le dernier mot en matière de constitutionnalité.

Le sénateur Jessiman: Pourquoi ne voulez-vous pas laisser les tribunaux se prononcer?

M. Rock: À mon humble avis, c'est inutile.

Sénateur, j'ai examiné les arguments présentés. J'ai répondu à beaucoup d'entre eux le 24 juin 1994 quand je me suis présenté pour la première fois devant ce comité. J'ai relu la transcription de mes déclarations avant de venir ici aujourd'hui. On m'a, à cette occasion, interrogé au sujet de la Déclaration des droits. J'ai signalé pourquoi, à mon avis, celle-ci ne s'applique pas ici ou, si elle était applicable, en quoi ses dispositions sont respectées puisqu'une procédure est prévue pour préserver les intérêts pris en considération dans ce projet de loi.

J'ai également répondu à des questions au sujet de la primauté du droit, au sens où cette expression est employée dans la Constitution. J'ai abordé aussi la question de la distribution des pouvoirs législatifs et des conditions dans lesquelles le Parlement peut refuser l'accès aux tribunaux. À mon humble avis, les déclarations qui ont été faites par d'autres témoins ne justifient aucun changement à ce que j'ai dit à ce moment-là. Je suis simplement en désaccord avec eux.

Si l'importance à accorder aux déclarations des témoins doit dépendre de savoir qui a fait appel à eux, je pense qu'il faudrait examiner soigneusement quels intérêts représentent ceux qui sont venus ici contester la constitutionnalité de ce projet de loi.

Le sénateur Jessiman: À ma connaissance, un seul d'entre eux seulement, M. Monahan, avait été engagé par l'autre bord. Tous les autres étaient des personnes indépendantes simplement intéressées par l'aspect juridique de la question. L'Association du Barreau canadien n'est venue ici parler au nom de personne sinon en son propre nom. Nous le savons tous les deux, n'est-ce pas?

M. Rock: C'est vrai pour l'Association du Barreau canadien, mais vous avez dit que M. MacKay avait été engagé par le gouvernement. Si nous devons dire qui a engagé qui, il y a bien d'autres témoins qui ont été engagés pour défendre des intérêts particuliers.

Le sénateur Jessiman: Il n'y en a eu qu'un.

Vous savez quel texte vous devez respecter:

Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, ...

- et vous ne l'avez pas indiqué -

...doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme

e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;

Le terme «personne» a été interprété par les tribunaux comme incluant les sociétés, vous le savez.

M. Rock: Oui.

Le sénateur Jessiman: Dans sa version originale, ce projet de loi, qui est maintenant le C-28, fait du gouvernement le procureur, le juge et le jury et il dit ainsi aux plaideurs: «Si vous n'acceptez pas ce que nous vous offrons, quel qu'en soit le montant jusqu'à un niveau donné, vous n'aurez rien.» Pensez-vous que c'est en conformité avec le principe ci-dessus? Ne privez-vous pas les gens du droit à une audition impartiale de leur cause quand vous dites: «Vous ne pouvez pas vous adresser aux tribunaux. Ces accords n'existent pas»?

M. Rock: Sénateur, c'est ce que, dans le métier que j'exerçais auparavant, on appelait cela adresser une harangue au jury. On prend toujours plaisir à le faire mais, malheureusement, à la fin de cette harangue, il faut se rasseoir et examiner les faits et les dispositions juridiques pour voir si ces élans oratoires sont justifiés. À mon humble avis, ce n'est pas le cas, car cela ne concorde ni avec les faits, ni avec la teneur de la loi. Premièrement, nous ne parlons pas ici ce matin des projets de loi C-22 ou C-28 sous leur forme originale.

Le sénateur Jessiman: Si, monsieur. C'est pour cela que nous sommes ici.

M. Rock: Notre situation ici est également déterminée par le fait que j'ai dit que nous sommes prêts à appuyer des amendements qui entraîneraient une profonde transformation de ce projet de loi.

Revenons en arrière et parlons de l'ancien projet de loi.

Le sénateur Jessiman: J'aimerais que quelque chose soit clarifié. Lorsque le sénateur Kirby a pris la parole au Sénat, il a déclaré:

...le gouvernement préférerait nettement que le projet de loi C-28 soit adopté sous sa forme actuelle. C'est ce que préférerait le gouvernement.

Je n'ai pas dit que nous allions nécessairement proposer des amendements. J'ai dit catégoriquement que, si vous insistiez, nous en proposerions.

Vous avez dit aujourd'hui que votre gouvernement est prêt à proposer et à appuyer des amendements. Pourriez-vous nous préciser ce que cela veut dire? Le gouvernement a-t-il l'intention de le faire?

M. Rock: Je pense que c'est au leader du gouvernement au Sénat d'en décider. Je vous dis que nous sommes prêts à les appuyer. Je laisse au leader du gouvernement au Sénat le soin de décider qui les proposera.

Je reviendrai à votre question sur la Déclaration des droits en vous rappelant ce que j'ai dit en juin 1994 lorsque cette question a été soulevée.

Premièrement, la Déclaration des droits n'est pas un document constitutionnel, comme vous le savez. C'est un guide d'interprétation. Deuxièmement, les tribunaux, qui ont interprété cette déclaration au cours de la longue période écoulée depuis qu'elle figure dans nos statuts, ont clairement établi que l'«audition impartiale» à laquelle vous faites allusion est offerte par notre système parlementaire et que les modalités exigées par la Déclaration des droits sont offertes par la procédure même à laquelle nous livrons aujourd'hui. Laissez-moi donc haranguer le jury à mon tour, sénateur.

Le sénateur Jessiman: Vous êtes à la fois juge et jury, vous pouvez donc vous adresser à vous-même.

M. Rock: Dans ce cas-ci, c'est vous qui êtes le jury.

Le fait est que, quand la Déclaration des droits exige une audition impartiale avant que toute mesure de ce type soit prise, les tribunaux ont dit clairement que cette exigence est remplie. Lorsqu'un projet de loi est présenté devant le Parlement, que des représentants élus en débattent et procèdent à un vote, que ce vote est suivi de l'envoi du projet de loi au Sénat en vue de son étude par un comité et que les sénateurs en débattent et procèdent à un vote sur ce projet de loi et prennent en considération tous les intérêts dont la Déclaration des droits veut assurer la protection, cela constitue l'audience impartiale garantie par celle-ci. Voilà le système gråce auquel les droits de la population canadienne sont garantis lorsqu'un projet de loi est adopté. Nous avons tout à fait respecté ces exigences à propos des projets de loi C-22 et C-28. Ce que nous faisons constitue une audition impartiale.

Le sénateur Jessiman: Les termes que vous avez employés précédemment - et je regrette de ne pas pouvoir vous les répéter - m'ont montré que les projets de loi C-28 et C-22, sous leur forme initiale, avant tout amendement, ne respectent pas le principe de la primauté du droit.

M. Rock: Ce n'est pas vrai.

Le sénateur Jessiman: Je relirai vos déclarations d'aujourd'hui.

M. Rock: J'ai cité les propos tenus par le sénateur Lynch-Staunton à cet effet. J'ai dit que je ne suis pas ici pour engager un débat avec lui; je ne suis pas d'accord avec lui. J'ai souligné que de nombreux experts qui se sont présentés devant ce comité étaient également du même avis que moi. Je suis convaincu que les projets de loi C-22 et C-28, tels qu'adoptés par la Chambre des communes, sont valides et constitutionnels.

Le sénateur Jessiman: Je vous ai écouté maintenant et je vous ai également écouté auparavant lorsque vous avez parlé des poursuites judiciaires. Vous aviez perdu en première instance et vous alliez faire appel. Je vous ai demandé si, au cas où vous perdriez devant la Cour d'appel de l'Ontario, vous envisageriez de vous adresser à la Cour suprême du Canada. Comme vous l'avez fait aujourd'hui, vous aviez alors répondu éloquemment: «Bien entendu, nous allons gagner cet appel». Vous savez ce qu'il est advenu de l'appel interjeté devant la Cour d'appel de l'Ontario.

M. Rock: Cet appel ne portait pas sur la constitutionnalité du projet de loi C-22.

Le sénateur Jessiman: Je veux simplement dire qu'il peut vous arriver de vous tromper.

M. Rock: C'est un fait bien établi.

Le sénateur Jessiman: Si le tribunal était d'avis que l'attitude du gouvernement envers ces plaignants était de nature à justifier des dommages-intérêts exemplaires, majorés ou punitifs, pourquoi cela préoccupe-t-il tant le gouvernement? Ce n'est pas l'opposition qui se prononce sur cette question, mais le pouvoir judiciaire, une des composantes de notre gouvernement. Vous disposez du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif et vous voulez maintenant vous emparer du pouvoir judiciaire. Quand cela s'est-il passé? Vous connaissez la règle lorsque les actes commis par le défendeur sont de nature à justifier une sanction. Si les actes commis par le gouvernement sont, de l'avis du tribunal, passibles d'une sanction ou justifient l'accord d'une indemnité, pourquoi êtes-vous si préoccupé?

M. Rock: Je me préoccupe des contribuables.

Le sénateur Jessiman: Mais vous êtes mal conduit.

M. Rock: Le principe sur lequel repose ce projet de loi est de permettre aux personnes impliquées dans cette transaction de récupérer l'argent qu'elles ont dépensé. C'est tout.

Le sénateur Jessiman: À cause de ce que vous avez fait.

M. Rock: Le fait est que des dommages punitifs, exemplaires, majorés et non pécuniaires se traduisent généralement par le versement d'une somme d'argent déterminée par le tribunal et non pas par le remboursement des dépenses encourues par le requérant, pour qui cela représente un gain fortuit. Le principe de ce projet de loi est de permettre aux personnes qui ont dépensé de l'argent de s'adresser aux tribunaux pour le récupérer et de faire en sorte que les contribuables n'aient rien de plus à payer.

Puisque nous en sommes à nouveau aux harangues, je voudrais vous rappeler qu'il s'agit de parties qui ont participé à une transaction conclue sous les auspices d'une campagne électorale.

Le sénateur Lynch-Staunton: Enfin, voyons!

M. Rock: Nous sommes en train de haranguer le jury, sénateur, n'est-ce pas?

Cela s'est fait dans le contexte d'une campagne électorale. Ces parties ont conclu cette transaction alors que des questions avaient été soulevées et qu'on leur avait demandé d'attendre que les élections aient eu lieu. Malgré cela, et conscients du fait que le Parti libéral s'était engagé, s'il était élu, à examiner ce contrat et à en suspendre l'application, elles sont allées de l'avant. Voilà les gens qui veulent bénéficier d'un gain fortuit punitif. Je dis que les contribuables ne devraient pas avoir à financer cela. Voilà pourquoi cela figure dans le projet de loi.

Le sénateur Jessiman: Des dommages punitifs sont accordés pour l'exemple afin de dissuader d'autres personnes de se comporter de la même façon. Il s'agit d'empêcher le prochain gouvernement et celui qui le suivra de faire ce que vous faites avec ce projet de loi.

M. Rock: J'espère qu'il n'arrivera plus jamais que des parties aillent de l'avant et concluent une transaction à propos de laquelle des questions ont été soulevées quelques jours avant une élection en sachant que le parti briguant les suffrages s'est engagé à en suspendre l'application s'il était élu. J'espère bien que cela ne se reproduira plus.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: Monsieur le ministre, j'ai une question à vous poser au sujet de l'article 8. Une des exclusions de l'article 8 porte sur les investissements.

Nous en n'avons pas beaucoup parlé jusqu'à maintenant. Hier, M. James McIlroy a comparu devant notre comité et il disait que le Canada est lié par l'ALÉNA. C'est un traité international. Le mot «investissement» est décrit à l'article 1139 de cet accord de façon assez généreuse et libérale sur le plan juridique.

Il croit que si nous laissons l'article 8(2)d) telle qu'il est présentement, nous pourrions conclure que le Canada va contre ses engagements dans l'accord de l'ALÉNA.

Nous avons déjà entendu cet argument. Comme il est revenu et que les experts ont été entendus là-dessus, je me suis demandé si votre amendement tel que proposé et tel que libellé n'irait pas à l'encontre d'un traité international que le Canada a signé.

Quelle est la portée de l'exclusion ainsi que l'impact sur le plan international?

[Traduction]

M. Rock: Si j'ai bien compris l'exposé de M. McIlroy, il affirmait que ce qui s'est produit ici constitue une expropriation et tombe donc sous le coup de l'ALÉNA. Celle-ci exige qu'une indemnisation soit prévue en cas d'expropriation par le gouvernement. Si j'ai bien compris sa déposition, c'est en gros ce qu'il voulait dire.

Le sénateur Beaudoin: Vous contestez qu'il s'agisse d'une expropriation. Le fait est que, si ce projet de loi est adopté tel que modifié, il sera contraignant pour tous les citoyens canadiens et peut-être également pour les investisseurs américains ou mexicains qui ne pourraient pas réclamer des dommages-intérêts pour leurs investissements. Ce n'est pas tout à fait clair.

Il y a peut-être deux façons de voir les choses mais, au premier abord, cette argumentation contient certainement certains éléments qui méritent réflexion. Puisqu'il s'agit d'une question juridique, je pose la question au ministre de la Justice. Vous pouvez la poser à un autre ministre mais, pour ce qui est de sa légalité, c'est quelque chose qui est du ressort du ministre de la Justice.

M. Rock: Je suis heureux d'y répondre. Je connais M. Jim McIlroy. C'est un bon avocat. Il a fait un stage dans mon cabinet d'avocats à Toronto. Je n'ai pas lu sa déposition, mais on m'en a communiqué un résumé. Sur ce point-là, je ne suis pas d'accord avec lui.

Il a dit que cela constitue une expropriation et qu'il en découle donc certains droits pour un Américain membre du consortium qui, en vertu de l'ALÉNA, aurait droit à un dédommagement.

Je vais vous expliquer pourquoi je ne suis pas d'accord avec cette interprétation. En premier lieu, pour qu'il y ait expropriation, il faut fondamentalement que le gouvernement prenne quelque chose. C'est cela, une expropriation. Rien de tel ne s'est produit dans ce cas-ci. En fait, le tribunal dont nous avons précisément parlé tout à l'heure, suite à la question du sénateur Jessiman, a statué, le 3 décembre 1993, que cet accord avait été résilié et, le 13 décembre, que les autres parties avaient accepté cette résiliation.

Dans ce cas-ci, les intérêts détenus par la partie concernée n'ont pas été saisis par le gouvernement. Ils ont cessé d'exister à cause des principes du droit national régissant les contrats et il n'est donc pas question d'expropriation. Cela s'est fait tout à fait indépendamment de l'initiative législative gouvernementale et, dans un jugement ultérieur, le tribunal a même déclaré que les plaignants ne possédaient aucun intérêt enregistrable dans le terrain puisque cet intérêt avait été totalement abrogé par l'acceptation de la résiliation. On ne se trouve donc pas en présence d'une condition suspensive puisqu'il n'y a pas d'expropriation.

Toutefois, même s'il y avait eu expropriation, et supposons que tel ait été le cas pour faciliter la discussion, ni l'Accord de libre-échange ni l'ALÉNA n'entreraient en jeu, puisqu'en décembre 1993, l'ALÉNA n'était pas encore entré en vigueur. Il n'est entré en vigueur qu'au 1er janvier 1994. Tous les événements pertinents ont eu lieu avant l'entrée en vigueur de l'ALÉNA.

De toute évidence, le projet de loi C-28 ne tombe pas sous le coup de l'Accord de libre-échange, puisqu'il n'est plus en vigueur depuis longtemps. Quoi qu'il en soit, même si l'on suppose à nouveau qu'il y a eu expropriation, alors que je dis bien que ce n'est pas le cas, l'indemnisation prononcée par un tribunal d'arbitrage international dans de telles circonstances n'inclut pratiquement jamais les futurs profits spéculatifs non réalisés. Pour toutes ces raisons, la notion d'une éventuelle application de l'ALÉNA ou d'un quelconque autre accord international est sans fondement, de même que le fait que le client de M. McIlroy ou qui que ce soit d'autre serait privé des droits que lui conféreraient de tels traités.

Le sénateur Beaudoin: Donc, à votre avis, cela ne s'appliquerait pas dans ce cas précis?

M. Rock: Il n'y a pas eu expropriation et l'ALÉNA n'était pas en vigueur, quoi qu'il en soit, au moment où les événements se sont produits.

Le sénateur MacDonald: Monsieur le ministre, il existe, comme nous le savons tous, au Parlement, une procédure établie selon laquelle si un projet de loi - dans ce cas-ci, le projet de loi C-22 - meurt à cause de la prorogation, il peut être présenté à nouveau dans un certain délai et son étude peut reprendre au point exact où elle avait été interrompue au moment de la prorogation. Cela permet à la Chambre des communes de sauter la première lecture, la deuxième lecture, le comité, l'étape du rapport et l'adoption et le Sénat peut reprendre son étude au point où elle en était avant la prorogation.

La seule différence entre les projets de loi C-22 et C-28 est leur numéro. L'article 9 du projet de loi non modifié que nous avons devant nous déclare que personne n'a droit à une quelconque indemnisation. Je me demande pourquoi, lorsque le projet de loi a été étudié en deuxième lecture au Sénat, le sénateur Kirby a passé énormément de temps à expliquer tous les amendements censés être proposés.

Donc, lorsque le projet de loi a été renvoyé à nouveau à ce comité, le greffier, avant notre première réunion, nous a envoyé un message disant: «Veuillez trouver ci-joint un exemplaire des amendements au projet de loi C-28 qui seront proposés par les sénateurs libéraux». Vous êtes maintenant devant nous, en train d'expliquer ces amendements, tout en disant, en réponse à certaines de nos préoccupations, que nous n'avons pas de souci à nous faire, car nous pouvons nous adresser aux tribunaux pour solliciter des dommages-intérêts généraux. Je ne parlerai pas des autres restrictions.

Vous avez utilisé l'expression «profonde transformation». Or, en répondant au sénateur Lynch-Staunton, vous avez dit qu'il n'y avait pas une «différence importante». N'y en a-t-il pas une? Si c'est le cas, pourquoi n'avez-vous pas présenté un nouveau projet de loi?

M. Rock: Comme je l'ai déclaré au début, la première de mes trois comparutions à ce sujet devant ce comité a eu lieu il y a déjà deux ans. Les sénateurs connaissent bien ce projet de loi. On en débat de façon détaillée depuis un certain temps. Beaucoup de témoignages ont été entendus. Lorsque la prorogation a eu lieu, la procédure qui était en cours depuis deux ans a été interrompue. En procédant comme vous l'avez indiqué - en proposant la réinscription au feuilleton au moment où le Parlement a repris ses travaux -, nous avons pu revenir au point où nous en étions restés et avancer à partir de là.

Pourquoi devrions-nous, à cause d'un événement artificiel comme la prorogation du Parlement et ses conséquences en matière de procédure, recommencer tout ce qui avait été fait à la Chambre des communes, alors que nous pouvons simplement reprendre l'étude de ce texte au point où nous l'avions laissée? Nous connaissons tous les problèmes et les préoccupations en jeu. Nous avons maintenant proposé des amendements pour répondre à ces préoccupations et nous pouvons avancer à partir de là. Il me paraît approprié d'agir ainsi pour mieux servir la population et nous acquitter de nos responsabilités gouvernementales.

Le sénateur MacDonald: Je peux comprendre votre impatience. À mon avis, vous précipitez un peu les choses et il y a une différence concrète entre le projet de loi C-22 et le C-28. Votre ministère a préparé ces amendements il y a quelque temps.

M. Rock: La Chambre des communes aura tout loisir, sénateur, d'étudier le projet de loi modifié quand elle le recevra. Si je comprends bien la procédure parlementaire, dont je n'ai qu'une expérience limitée, c'est ce qui va se produire. Si ce comité et l'ensemble du Sénat acceptent les amendements au projet de loi, il sera à nouveau soumis à la chambre, qui aura l'occasion de l'étudier sous sa forme modifiée.

Quant à savoir s'il y a des différences concrètes, je pense que c'est une question de point de vue. Je disais précédemment que nous avons initialement présenté un projet de loi qui visait à protéger les contribuables contre les réclamations découlant de ces contrats. Telle est toujours notre intention. Nous avons proposé des changements qui permettraient de s'adresser aux tribunaux à des fins déterminées, mais le principe fondamental n'a pas changé.

Le sénateur Doyle: Monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue. Nous parlions il y a quelques minutes des raisons pour lesquelles le gouvernement a décidé d'agir ainsi. Vous avez parlé à plusieurs reprises de la «primauté du Parlement». Vous avez dit que le gouvernement ne représente pas des intérêts privés. Vous avez dit qu'une somme d'environ 600 millions de dollars est en jeu et que, dans cette affaire, le gouvernement agit au nom de la population et des contribuables.

Une somme de 600 millions de dollars représente beaucoup d'argent, mais quelle serait la somme minimale nécessaire pour que le gouvernement prenne une initiative inattendue de ce genre? Vous avez parlé de 600 millions de dollars, en disant que c'était une dépense que vous ne pouviez pas vous permettre et que vous deviez agir au nom des contribuables. Le montant minimal serait-il de 300 millions de dollars, de deux dollars?

J'en arrive à une question de principe. À quel moment y a-t-il une lumière qui s'allume et dites-vous: «Ne pas intervenir porterait plus préjudice aux contribuables que cela ne serait bénéfique au système judiciaire»?

M. Rock: La décision politique de présenter ce projet de loi ne reposait pas sur le montant qui pourrait être réclamé dans une poursuite judiciaire. Nous avons décidé que, vu les circonstances dans lesquelles ce contrat avait été conclu, certaines mesures n'étaient pas acceptables et, conformément aux amendements, seules certaines sortes de dommages-intérêts devraient être autorisées. Nous ne sommes pas arrivés à cette décision en calculant combien de dollars on pourrait nous réclamer.

Le sénateur Doyle: Cela avait néanmoins une application monétaire. Il était question d'un certain montant.

M. Rock: Les plaignants réclament entre 600 millions et 700 millions de dollars. C'est un fait.

Le sénateur Doyle: La question est devant les tribunaux.

M. Rock: Oui.

Le sénateur Doyle: J'ai ici un exemplaire des Débats de la Chambre des communes du 31 mai de cette année. Une question a été posée au ministre des Transports au sujet des profits prévus par le consortium qui allait gérer l'aéroport Pearson. C'est M. Stan Keyes, secrétaire parlementaire auprès du ministre des Transports, qui y a répondu.

Il a déclaré:

Monsieur le président, une action en justice a été intentée contre le gouvernement, à Toronto, relativement à cette question. Il serait tout à fait contre-indiqué que je parle des détails de cette affaire pour l'instant, si ce n'est pour dire...

Il invoque à nouveau le fait que cette affaire est devant les tribunaux, qu'on ne peut donc pas en discuter et que la procédure engagée ne porte pas sur une question d'argent et qu'on ne peut donc pas en parler. Or, nous avons à nouveau parlé de cet aspect monétaire ici ce matin.

Il nous semble, et nous sommes peut-être trop sensibles, qu'en cette phase tardive de l'étude de ce projet de loi, on répond toujours à nos arguments en disant soit «Voici une réponse monétaire» ou «Non, nous ne pouvons pas vous répondre parce que la question est devant les tribunaux». Or, vous nous dites ce matin que les poursuites engagées ne vous préoccupent guère parce que vous avez expliqué les raisons des initiatives que vous avez prises et qu'elles sont très simples.

M. Keyes a-t-il tort? Ne devrait-on pas poser de questions? Cela ne limite-t-il pas ce que nous pouvons faire ici?

M. Rock: C'est le secrétaire parlementaire qui a répondu à cette question, sénateur. J'étais à la Chambre des communes ce jour-là. Il est assis derrière moi. La teneur de cette question était, en gros, la suivante: «Voici la preuve présentée au tribunal sur la base d'un rapport relatif aux dommages-intérêts qui devraient être accordés ou au montant des profits non réalisés. Quelle est la position du gouvernement à ce sujet?» Je suis d'accord avec M. Keyes pour dire que nous ne devrions pas aborder cet aspect de l'affaire parce qu'un tribunal en est saisi et c'est lui qui doit se prononcer. Toutefois, je pense que c'est tout à fait acceptable.

Le sénateur Doyle: Puis-je lire la question? Son libellé est le suivant:

Monsieur le président, pendant deux ans, les libéraux ont dit, pour justifier l'annulation des accords concernant le réaménagement de l'aéroport Pearson, que les bénéfices des promoteurs auraient été excessifs. Le gouvernement a maintenant reconnu que les bénéfices potentiels étaient loin d'être excessifs. En fait, devant un tribunal, les libéraux prétendent...

Sa question était fondée sur la politique en vigueur depuis deux ans. C'est seulement après coup qu'il ajoute qu'il a été question de cela devant un tribunal.

M. Rock: Je pense que le secrétaire parlementaire a vu dans cette question une invitation à commenter la preuve présentée au tribunal. Voilà pourquoi il a dit que tout commentaire lui paraissait contre-indiqué.

Le sénateur LeBreton: À ce moment-là, au Parlement, M. Gouk a posé à M. Keyes une question au sujet des preuves apparemment contradictoires présentées au tribunal à Toronto. Il y a eu, l'été dernier, une enquête au cours de laquelle MM. Nixon, Goudge et Crosbie ont prétendu qu'il y aurait des profits excessifs. Les fonctionnaires du ministère de la Justice, de toute évidence, ont été chargés de contester ce chiffre.

M. Keyes a ajouté ensuite:

Le gouvernement a une responsabilité envers les contribuables canadiens, qui consiste à contester le bien-fondé de cette demande. À cette fin, il a retenu les services de spécialistes pour le conseiller sur la validité des prétentions des demandeurs.

Ma question est la suivante: s'agit-il de fonctionnaires dont vous-même, en tant que ministre de la Justice, avez retenu les services pour vous «conseiller», ou bien MM. Goudge, Nixon et Crosbie exprimaient-ils le point de vue du gouvernement au sujet des questions étudiées dans le cadre de l'enquête sur l'aéroport Pearson?

M. Rock: Je dois dire, madame la présidente, que je suis quelque peu surpris par ce genre de questions. En préparant ma comparution d'aujourd'hui, je pensais que les sénateurs ne s'intéressaient aucunement au dédommagement devant être accordé aux requérants. C'est en fait quelque chose que divers honorables sénateurs ont indiqué à de multiples reprises. C'est ainsi que, en me préparant avant de comparaître aujourd'hui, j'ai lu les propos tenus par le sénateur Lynch-Staunton en juillet 1994:

Je tiens à reprendre, dès le départ, les propos du président du comité concernant l'intérêt que nous portons à ce projet de loi, et je suis d'accord avec lui. Nos inquiétudes n'ont rien à voir avec l'indemnisation elle-même. Nous sommes tout à fait indifférents au fait que les requérants aient droit ou non à une indemnisation, au montant de l'indemnisation, pas plus que nous préoccupons des motifs qui justifieraient un tel dédommagement. C'est leur problème. Notre problème, c'est de saisir la constitutionnalité de ce projet de loi ou de certaines de ses dispositions...

Le 5 juillet 1994, le même honorable sénateur a déclaré:

On ne répétera jamais assez que nous cherchons pas à obtenir un dédommagement pour qui que ce soit. Nous ne nous intéressons pas aux réclamations, quelle qu'en soit la nature.

Ensuite, le 5 octobre 1994, l'honorable sénateur a déclaré:

Y a-t-il quelqu'un dans cette Chambre, à l'autre endroit ou n'importe où ailleurs, qui peut trouver la moindre preuve que la position du Sénat à l'égard du projet de loi C-22 est suscitée par les intérêts financiers des parties lésées par cette mesure? Combien de fois dois-je répéter que nous n'avons aucun intérêt dans l'aboutissement des demandes d'indemnisation, quelles qu'elles soient? Combien de fois dois-je dire que nous ne les appuyons ni ne les condamnons et que nous n'avons aucun intérêt personnel ou politique dans la méthode d'évaluation de toute demande d'indemnisation.

Dans ce contexte, je suis surpris qu'il y ait des questions au sujet du montant qui devrait être accordé aux plaignants, indépendamment de la constitutionnalité et de la légalité du projet de loi qu'étudie maintenant ce comité.

Le sénateur LeBreton: Si vous me le permettez, monsieur le ministre, c'est vous qui avez introduit dans ces discussions le fait que vous deviez protéger les contribuables canadiens. Depuis le début, nous contestons la constitutionnalité de ce projet de loi. C'est vous qui avez soulevé cette question. Je vous demandais simplement pourquoi les fonctionnaires qui relèvent de vous en tant que ministre ont argumenté d'une certaine façon lorsque l'affaire a été traitée par le Parlement et l'enquête Pearson et d'une autre façon devant les tribunaux? Je cite simplement ce que votre secrétaire parlementaire a dit, le 31 mai 1996, au sujet des gens retenus pour vous «conseiller».

M. Rock: Madame la présidente, le sénateur Lynch-Staunton a déclaré cela pas plus tard que le 15 mai de cette année au cours du débat de deuxième lecture du projet de loi au Sénat.

Comme on a fait état de données sur l'indemnisation, il...

il s'agit du sénateur Kirby

... suppose, soudainement, que l'on se préoccupe du niveau de l'indemnisation. Cela n'a jamais été le problème.

Je répète, pour la dernière fois j'espère: quelle que soit la nature des dommages, quel que soit le montant réclamé, quelle que soit la validité des réclamations, quels que soient les arguments invoqués à l'appui de ces dernières, laissons le consortium faire valoir lui-même ces réclamations. Notre préoccupation, c'est que tout citoyen canadien voulant avoir gain de cause et obtenir réparation dans un différend devrait pouvoir le faire devant une tierce partie.

Le sénateur LeBreton: Absolument.

M. Rock: Je pensais qu'il serait parfaitement clair que ce qui vous préoccupe n'est pas le montant de l'indemnité réclamée, ni ce que les témoins pourraient dire au sujet de ces indemnités ou du montant qui sera accordé.

Le sénateur Grafstein: Si des dommages-intérêts sont accordés.

M. Rock: C'est au tribunal d'en décider. Nous mettons ici certainement l'accent sur des questions constitutionnelles et juridiques et c'est pourquoi je suis quelque peu surpris par ce genre de question.

Le sénateur LeBreton: Je ne vous interrogeais pas au sujet du montant des dommages-intérêts. Je vous demandais si c'est vous-même et votre ministère qui avez engagé ces gens-là pour, comme le dit maintenant votre secrétaire parlementaire, vous «conseiller» sur la validité des prétentions des demandeurs.

M. Rock: C'est directement relié aux dommages-intérêts. L'honorable sénateur pose maintenant une question au sujet des sommes réclamées en dommages-intérêts ou de ce que devrait être leur montant.

Le sénateur LeBreton: Je vous demandais comment on vous avait «conseillé.»

M. Rock: On m'a dit que ce n'est pas une question qui intéresse les honorables sénateurs.

Le sénateur Doyle: Tout au long de votre déposition de ce matin, vous avez parlé de certains aspects juridiques connus de toutes les parties concernées à certaines dates. Où en est ce projet de loi à l'heure actuelle? Il n'a pas encore force de loi.

M. Rock: Non.

Le sénateur Doyle: En d'autres termes, le projet de loi C-28 - qu'il ait ou non changé de nom au moment où nous finirons par l'adopter -, n'aura pas force de loi tant qu'il n'aura pas été adopté par les deux Chambres, n'aura pas reçu la sanction royale et, de plus, n'aura pas été proclamé.

M. Rock: C'est exact.

Le sénateur Doyle: Donc, quand nous demandons si telle ou telle partie connaissait les règles, cela ne sera pas possible tant que celles-ci n'auront pas été finalisées.

M. Rock: Ce projet de loi n'aura force de loi que quand il aura été adopté par les deux Chambres, aura reçu la sanction royale et aura été officiellement proclamé.

Le sénateur Doyle: Donc, les règles qui étaient en vigueur il y a deux ans le sont encore.

M. Rock: Je pense avoir fait allusion au fait que les parties étaient sans doute au courant de la décision politique prise par le gouvernement et de ses intentions. Vous avez tout à fait raison, sénateur; ce projet de loi n'aura force de loi qu'à la fin de la procédure mentionnée. C'est ce qu'exige la Déclaration des droits.

Le sénateur Grafstein: Je n'ai pas encore pu examiner avec soin toutes les preuves disponibles, monsieur le ministre, mais ma question concerne les droits de la Couronne dans toute action pouvant découler de ce projet de loi. Empêche-t-il la Couronne de demander le remboursement de ses frais ou de présenter une demande reconventionnelle en invoquant les demandes excessives ou le caractère de nuisance des poursuites? La Couronne est-elle empêchée de protéger les contribuables par ce projet de loi?

M. Rock: Non, sénateur.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je ne vais pas répéter les propos que j'ai tenus et que le ministre a cités à trois reprises. Je veux néanmoins corriger l'impression qu'il donne et la façon dont il interprète mes propos, malgré ce que j'ai dit et qu'il a répété. Nous ne cherchons pas à savoir si le requérant justifie le niveau des profits qu'il réclame.

Ce que nous ne comprenons pas est la chose suivante: avant même d'entrer en fonction, le gouvernement du Canada a immédiatement demandé à M. Nixon d'examiner les contrats. L'une de ses conclusions était que, de l'avis de ses experts, les profits étaient excessifs. Le rapport Nixon a été utilisé pour justifier le projet de loi C-22. L'un des arguments invoqués pour refuser le droit de s'adresser à un tribunal était que, comme l'a répété le ministre, les contribuables auraient été exposés au risque de devoir payer des centaines de millions de dollars en dommages-intérêts auxquels les requérants n'avaient pas droit.

Tel était donc l'argument avancé à l'époque; vu le caractère excessif de ces profits, ils n'avaient pas le droit de s'adresser au tribunal.

À cela se sont ajoutés les termes les plus violents que j'ai jamais entendu prononcer par des ministres de la Couronne, y compris des choses comme «la plus grosse escroquerie de l'histoire du Canada», et on a prétendu que les sénateurs de notre parti bloquaient ce projet de loi «pour garnir les poches de leurs amis». Cela n'en finissait pas.

Aujourd'hui, nous avons toutefois une version totalement différente. Le secrétaire parlementaire du ministre des Transports nous dit que le gouvernement cesse de prétendre que les profits sont excessifs ou d'avancer des arguments fondés sur le rapport Nixon qui ont été répétés lors des audiences du comité du sénateur MacDonald et qui étaient encore repris dans l'opinion minoritaire des libéraux en décembre dernier. On nous dit soudain que le gouvernement a accepté l'avis d'experts selon lesquels, au lieu de profits excessifs, il y aurait des pertes potentielles de 180 millions de dollars.

Je ne prétends pas que tel ou tel expert a raison. Je pose au ministre de la Justice la question suivante: comment pouvez-vous justifier le projet de loi C-28 quand vous nous dites maintenant officiellement que les profits invoqués à l'appui du projet de loi C-22 ne permettent plus de justifier le projet de loi C-28?

M. Rock: Je dois dire, madame la présidente, que je suis étonné par l'obsession de l'honorable sénateur relativement à ces dédommagements.

Le sénateur Lynch-Staunton: Ce n'est pas vrai. Ne déformez pas mes propos, monsieur le ministre. Je ne m'intéresse pas à ces dédommagements, que ces gens aient droit à quelques cents ou à 500 millions de dollars. Je cherche à savoir comment vous justifiez ce retournement après avoir prétendu pendant des mois, sinon pendant deux ans, que ces profits étaient excessifs. Qu'ils le soient ou non est une chose. Maintenant, vous entérinez officiellement l'avis des experts engagés par votre ministère selon lesquels il n'y a eu aucun profit. Comment pouvez-vous prétendre les deux choses en même temps?

M. Rock: Les extraits que j'ai lus et, en fait, tout ce qui a été dit depuis deux ans et demi fait ressortir parfaitement clairement que les honorables sénateurs ne se soucient que des questions constitutionnelles et juridiques.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je crois que c'est précisément ma question, monsieur le ministre. Vous allez dépasser le temps dont vous disposez. Répondez simplement à ma question.

M. Rock: Elle ne vous plaira peut-être pas, sénateur, mais voici ma réponse. La question des dédommagements est intéressante, mais elle est certainement distincte des problèmes constitutionnels et juridiques sur lesquels les honorables sénateurs veulent mettre l'accent.

Pour ce qui est de la justification du projet de loi, je rappelle à l'honorable sénateur et au comité que, lorsque le gouvernement a énoncé les raisons politiques de ce projet de loi, il a entre autres mentionné le caractère inapproprié de cette sorte de privatisation d'installations aéroportuaires et il a expliqué qu'il serait politiquement bien préférable de confier ces installations à des autorités compétentes, ce que le gouvernement a effectivement fait.

Nul ne devrait déformer les raisons politiques des mesures prises par notre gouvernement, mais cette obsession au sujet des dédommagements est certainement sans rapport avec les questions juridiques et constitutionnelles.

Le sénateur Lynch-Staunton: Monsieur le ministre, nous ne sommes pas obsédés par les dédommagements. Vous savez bien que non. Ce qui nous obsède est la flagrante contradiction qui caractérise votre attitude au sujet de ce projet de loi puisque, pendant des années, vous avez prétendu une chose pour le justifier alors que vous prétendez maintenant le contraire et continuez néanmoins de le justifier. Voilà tout ce que nous demandons.

M. Rock: Madame la présidente, si nous devons aborder la question des dédommagements - et, franchement, je pensais que nous mettrions l'accent sur les questions juridiques et constitutionnelles -, l'honorable sénateur doit être au courant qu'il y a, à Toronto, une équipe d'experts grassement rémunérés qui sont prêts à dire au tribunal qu'il devrait accorder des dédommagements de l'ordre de 600 millions à 700 millions de dollars. C'est simplement une observation. Il y a au moins quelqu'un là-bas qui prétend énergiquement que le plaignant devrait recevoir de tels dédommagements. Le tribunal est saisi de l'affaire et c'est lui qui se prononcera, mais telle est apparemment la position d'au moins certaines des parties.

J'aurais pensé que nous devions étudier ici les questions juridiques et constitutionnelles.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je sais que vous préférez parler de cela, parce que vous ne voulez pas vous engager sur un terrain miné et je ne vous le reproche pas.

La présidente: Sans vouloir aucunement vous offenser, je vous rappellerai que le ministre de la Justice a été invité à nous parler aujourd'hui des aspects juridiques et constitutionnels de ce projet de loi.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je serais heureux de revenir à cela. J'espère que, puisque ce ministre ne veut pas parler de l'aspect politique, nous allons inviter le ministre des Transports ou son secrétaire parlementaire à cette fin.

La présidente: Comme vous le savez bien, sénateur Lynch-Staunton, nous avons écrit au ministre des Transports pour lui demander de se présenter devant le comité. Nous n'avons encore reçu aucune réponse de sa part. Immédiatement après cette séance, le comité directeur se réunira pour déterminer quels témoins supplémentaires inviter.

Le sénateur Lynch-Staunton: Pour revenir à la question constitutionnelle, monsieur le ministre, nous ne sommes peut-être pas d'accord sur le fait de savoir s'il était approprié ou légal de conclure une transaction controversée quelques jours avant l'élection. Nous pourrons parler de cela une autre fois. Le fait est que vous trouvez face à un contrat légal, qui ne plaît pas au gouvernement, et que celui-ci a donc décidé d'annuler. Le gouvernement fait maintenant face à des poursuites judiciaires.

Nous sommes tout aussi préoccupés que vous de ce que cela pourrait coûter aux contribuables. Nous devrions toutefois nous préoccuper tout autant, sinon plus, du droit des contribuables à s'adresser à un tribunal pour présenter de telles réclamations. Cela va au-delà du simple coût de ces dernières. Peu importe que des dommages-intérêts soient accordés, quel qu'en soit le montant.

Il se trouve que les gens, au Canada, considèrent qu'ils ont le droit de demander à une tierce partie d'arbitrer un conflit entre ce qu'on pourrait appeler deux parties contractantes. C'est la principale question en jeu.

Je sais que vous avez eu la grande amabilité de rester plus longtemps que prévu et j'essaierai d'être aussi bref que possible, mais je continue d'être troublé par le fait que le Parlement peut intervenir dans une affaire dont les tribunaux sont déjà saisis.

Cela me gêne. Même si c'est légal, cela me paraît anormal, voire déplacé, surtout quand le gouvernement est en même temps partie au litige en tant que défendeur. Ce n'est pas tant la nature de cette affaire qui est troublante, même si c'est l'argument que vous avez soulevé en disant que les contribuables risquent d'avoir à payer 600 millions de dollars. C'est le fait que le gouvernement, pour quelque raison que ce soit, avec l'appui du Parlement, peut intervenir dans un procès auquel il est partie prenante. Que les amendements répondent ou non à nos objections et à nos préoccupations, je trouve très gênant d'en discuter parce que, si je les appuie - et j'espère que vous allez dissiper cette inquiétude -, et les entérine, je participerai à une mesure qui, en fait, m'associerait à un procès en cours. Je trouve franchement très gênant d'avoir à faire cela. Je ne comprends pas pourquoi ces amendements n'ont pas été présentés avant l'ouverture du procès, que vos intentions à ce sujet aient été déjà connues ou non. Le procès est maintenant en cours. Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas dit: «Très bien, n'allons pas plus loin pour le moment. Nous devons assumer un risque. Le procès a commencé et va suivre son cours, nous ne savons pas pendant combien de temps, mais pourquoi ne pas attendre qu'il soit terminé?» À ma connaissance, le gouvernement et le Parlement jouissent ensuite du droit absolu d'intervenir pour modifier, changer, amender ou contester le verdict. Néanmoins, nous sommes maintenant en plein milieu d'un procès et le gouvernement dit: «Les règles actuelles ne nous plaisent pas, changeons-les et disons au juge d'agir en conséquence». C'est pour cela que moi-même et d'autres sommes profondément gênés par la méthode adoptée maintenant par le gouvernement.

M. Rock: L'honorable sénateur n'est apparemment pas prêt à accepter une réponse affirmative. Les passages de ses discours au Sénat auxquels j'ai fait allusion mentionnaient ses trois principaux sujets de préoccupation du point de vue légal et constitutionnel. Les amendements que j'ai mentionnés ce matin et que le gouvernement est prêt à appuyer répondent à chacune de ces préoccupations. Ils reconnaissent l'existence d'un contrat, ils permettent l'accès aux tribunaux et ils ne laissent plus la détermination du montant des dédommagements à la seule discrétion du ministre.

Aucun des experts ayant comparu devant ce comité n'a contesté que, une fois l'accès aux tribunaux autorisé, le Parlement a le pouvoir de définir ou de délimiter les catégories de dommages-intérêts pouvant être recouvrés. L'effet de ces amendements se limite à cela. Ils mettent en application cette compétence établie et reconnue.

Certains honorables sénateurs ont exprimé des préoccupations d'ordre constitutionnel et juridique. Sans pour autant les accepter, nous sommes prêts à répondre par le truchement des amendements que j'ai proposés et l'honorable sénateur laisse maintenant entendre que, même s'il a mentionné ces préoccupations pas plus tard que le 30 avril au cours de l'un de ses discours au Sénat, nous ne devrions peut-être pas chercher à y répondre maintenant pour je ne sais quelle raison. Si l'honorable sénateur est prêt à reconnaître qu'il est tout à fait acceptable que nous attendions que le tribunal rende son jugement pour l'annuler à ce moment-là, il est certainement acceptable de prendre une telle initiative maintenant avant qu'un verdict ne soit rendu.

Pour ce qui est de la nécessité d'attendre, il en a été question lors d'une de mes comparutions précédentes devant ce comité. Je l'ai vu dans la transcription que j'ai relue hier. Pourquoi, m'a-t-on demandé, ne pas attendre l'issue du procès avant de présenter un projet de loi ou d'en adopter un? La réponse que j'ai donnée à ce moment-là tient toujours. Pourquoi imposer aux parties des frais et des complications, pourquoi forcer le tribunal à se prononcer sur des réclamations, si le Parlement a l'intention de définir plus précisément ce à quoi les parties à ce litige ont droit? Je pense qu'il est plus juste envers les parties, étant donné l'argent qu'elles vont dépenser et le temps et les efforts qu'elles vont consacrer à cela, d'énoncer clairement la position du Parlement. Voilà pourquoi je viens ici aujourd'hui répondre à vos préoccupations.

Le sénateur Milne: Je ne comprends plus très bien. Le sénateur Lynch-Staunton dit qu'il est gêné parce que l'affaire est maintenant devant les tribunaux. Toutefois, si le Parlement ne pouvait pas adopter un projet de loi parce qu'une affaire est devant les tribunaux, cela ne voudrait-il pas dire qu'on ne pourrait jamais adopter un projet de loi? Les tribunaux sont continuellement saisis de toutes sortes de questions quelque part au Canada. C'est comme cela que les avocats gagnent leur vie. Ce point de vue m'apparaît inquiétant.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je pense qu'on peut répondre à cela...

La présidente: Le ministre va répondre à cette question.

M. Rock: Vous avez tout à fait raison, sénateur. Surtout en matière de droit criminel, il y aura toujours des affaires devant les tribunaux et le système se scléroserait complètement si nous devions décider que, lorsqu'un tribunal est saisi d'une question, le Parlement ne peut pas agir. Le système ne pourrait pas fonctionner.

Le sénateur Lynch-Staunton: J'ai une dernière question à poser au ministre. Le Parlement adopte continuellement des lois, mais elles n'ont pas les mêmes répercussions que ce projet de loi sur les décisions judiciaires.

J'espère que tout le monde comprends qu'un procès est actuellement en cours. Nous ne prenons pas parti. Nous ne nous intéressons absolument pas à la nature des procédures engagées ni à la décision qui en résultera, quelle qu'elle soit. Toutefois, il est question de profits non réalisés, de frais de lobbying, d'investissements, de pertes à recouvrer et probablement de dommages-intérêts. Je suppose que tout cela fait partie des réclamations présentées aux tribunaux. Je présume qu'il sera également question des profits non réalisés maintenant que nous avons cette proposition de modification de l'article 8. Après quatre mois de procès, le gouvernement demande au Parlement de dire au juge de ne pas tenir compte de toutes les preuves qui lui ont été présentées jusqu'à présent au sujet de ces six éléments. À mon avis, c'est extrêmement anormal et déplacé et je me demande si je veux être associé à cela.

Le sénateur Bryden: Est-ce une question que vous posez à vous-même?

Le sénateur Lynch-Staunton: Je me la pose à moi-même et le ministre ne m'aide pas à y répondre.

M. Rock: Il est bien difficile de vous aider à ce sujet.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je sais.

M. Rock: Vous avez soulevé des préoccupations au sujet de la constitutionnalité et de la légalité des projets de loi C-22 et C-28. J'ai proposé des façons de répondre à chacune de vos préoccupations et vous avez maintenant trouvé de nouvelles raisons de ne pas appuyer ce projet de loi; c'est tout au moins l'impression qui se dégage de vos propos. Je dis que la préoccupation que vous avez exprimée est sans fondement et je suppose que l'honorable sénateur devra finir par prendre une décision.

Je pensais que les questions soulevées par ce projet de loi étaient d'ordre juridique et constitutionnel. J'ai répondu à chacun des problèmes soulevés, j'ai proposé des solutions à chacun d'entre eux et, à mon humble avis, ils sont ainsi complètement résolus. Comme je l'ai dit, le sénateur ne semble pas vouloir accepter la moindre réponse affirmative.

Le sénateur Jessiman: Vous avez fourni une explication ou une réponse au sujet de l'article 1110 de l'ALÉNA, qui concerne les dédommagements en cas d'expropriation. Je ne partage pas votre avis. Toutefois, on ne vous a pas interrogé au sujet de l'article 1105, norme minimale de traitement, qui se lit comme suit:

Chacune des Parties accordera aux investissements effectués par une autre Partie un traitement conforme au droit international, notamment un traitement juste et équitable ainsi qu'une protection et une sécurité intégrales.

M. McIlroy a dit que l'article 8 du projet de loi C-28 et les amendements proposés à cet article contreviennent aux dispositions de l'ALÉNA en matière d'expropriation, mais aussi à l'article 1105 de l'ALÉNA parce qu'elles privent les investisseurs américains de l'accès à un traitement équitable de la part d'un tribunal impartial.

M. Rock: Cela suppose premièrement que l'ALÉNA s'applique ici. Pour des raisons que j'ai déjà énoncées, en réponse à la question du sénateur Beaudoin, ce n'est pas le cas. Les événements se sont produits avant l'entrée en vigueur de l'ALÉNA.

Deuxièmement, pour ce qui est des questions de procédure, j'ai déjà répondu à cela au sujet de la Déclaration des droits. Nous avons ici le principe de l'application régulière de la loi. Le Parlement étudie de façon méthodique et attentive les mesures proposées par le gouvernement qui pourraient avoir des répercussions sur les investissements. Voilà comment est appliqué ce principe. En outre, les amendements que nous proposons à ce projet de loi permettraient de s'adresser aux tribunaux relativement à certains types de pertes définis dans le projet de loi.

Je souligne également que les investisseurs étrangers sont traités exactement de la même façon que les investisseurs canadiens. Une égalité de traitement complète est accordée aux participants canadiens et aux participants étrangers. Pour toutes ces raisons, je dis que cette affirmation récente selon laquelle ce projet de loi ne serait pas conforme à l'ALÉNA ne devrait pas inquiéter le Sénat et ne constitue pas un motif d'opposition à ce projet de loi.

La présidente: Merci, monsieur le ministre, pour votre comparution ici ce matin.

La séance est levée.


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