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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 33 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 31 octobre 1996

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel est renvoyé le projet de loi C-45, Loi modifiant le Code criminel (révision judiciaire de l'inadmissibilité à la libération conditionnelle) et une autre loi en conséquence, se réunit aujourd'hui à 10 h 30 pour en faire l'examen.

Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Pour commencer, nous avons deux témoins. Nous avons avec nous la directrice exécutive de l'Association canadienne de sociétés Elizabeth Fry, Mme Kim Pate, et le directeur exécutif pour le Nouveau-Brunswick de la Société John Howard, M. Brian Saunders.

Nous attendons avec intérêt vos commentaires sur le projet de loi C-45. Je vous demanderai d'essayer de limiter votre présentation à environ 25 minutes à vous deux afin de laisser amplement le temps aux sénateurs de poser des questions.

Mme Kim Pate, directrice exécutive, Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry: Je vous remercie, madame la présidente. Je fais partie de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, qui est une organisation communautaire, nationale et bénévole représentant environ 22 membres au Canada.

Les sociétés membres assurent toute une gamme de services, depuis l'intervention immédiate auprès des femmes et des enfants qui risquent d'avoir des démêlés avec la justice à une intervention directe dans les prisons; elles aident les femmes à planifier leur libération et à s'occuper des problèmes auxquels elles doivent faire face et leur assurent toute une gamme de services et de programmes, en fonction de leur communauté.

Au niveau national, notre mandat consiste très clairement à travailler avec les femmes et en leur nom dans le système pénal en général et particulièrement avec les femmes en prison et à leur servir de porte-parole afin de faire connaître les préoccupations et les problèmes qui les touchent. Voilà donc un bref aperçu de notre rôle.

L'une des réserves que nous inspire le projet de loi C-45, c'est que les modifications proposées semblent vouloir régler un problème que nous pourrions qualifier de non existant. Nous soutenons que les modifications proposées à l'article 745 sont à tout le moins inutiles. Nous nous inquiétons du temps et de l'énergie qu'exigerait la mise en vigueur de ce type de modifications.

Nous reconnaissons que les craintes et les préoccupations des familles des victimes sont réelles. Les besoins des victimes sont réels. Cependant, nous croyons qu'il est trompeur de prétendre que ces modifications aideront les victimes à se rétablir.

Nous estimons que la vaste campagne de désinformation dont fait l'objet l'article 745 est responsable dans une large mesure du problème qui a produit ce que l'on a perçu comme un appel en faveur de la modification ou de l'abrogation de l'article 745. Après avoir parlé à des Canadiens un peu partout au pays, nous sommes persuadés que l'information limitée dont dispose le public a nettement contribué à répandre les idées fausses qui entourent cette question et à provoquer ce soi-disant appel en faveur de la modification ou de l'abrogation de ces dispositions.

Comme vous le savez sans doute, tous les groupes nationaux de femmes et la majorité des groupes de justice sociale, y compris l'Association canadienne des centres contre le viol, le Comité canadien d'action sur le statut de la femme, le Conseil national des femmes du Canada, sans compter plus de 370 autres groupes nationaux de femmes partout au pays, qui représentent de nombreuses femmes et de nombreux enfants victimes de crimes dans ce pays, ont indiqué leur opposition catégorique au projet de loi C-45.

Il est important, dans votre étude du projet de loi, que vous teniez compte de certains faits. Certains de ces faits vous ont sans doute été déjà présentés. Vous avez une copie de la lettre que nous avons adressée au ministre de la Justice et dans laquelle nous lui communiquons nos préoccupations concernant les mesures proposées relativement à l'article 745.

Je suis sûre que vous savez qu'environ 60 p. 100 des personnes admissibles à une révision judiciaire après 15 ans n'en ont même pas fait la demande. Cela devrait inciter ceux qui appuient cette disposition de même que ceux qui s'y opposent à reconnaître que bien des personnes décident d'elles-mêmes de ne pas s'en prévaloir en raison des exigences rigoureuses déjà prévues par l'article 745.

En fait, environ 20 p. 100 des personnes qui ont présenté une demande ont vu leur demande rejetée et environ 80 p. 100 se sont vu accorder une certaine réduction de leur période d'inadmissibilité de 25 ans mais pas une pleine réduction ramenant cette période à 15 ans.

De plus, il est important que vous reconnaissiez que même pour les personnes dont la période d'inadmissibilité a été ramenée à 15 ans, la plupart d'entre elles ne peuvent retourner dans la collectivité sur libération conditionnelle qu'après 18 ou 19 ans.

Par exemple, la seule femme jusqu'à présent admissible a demandé une réduction de sa période d'inadmissibilité, qui lui a d'ailleurs été accordée, en vertu de l'article 745. Si le procès de cette femme avait eu lieu cinq ans plus tard, elle n'aurait probablement pas été reconnue coupable de meurtre au premier degré. Elle a été reconnue coupable en vertu d'une disposition connue sous le nom de meurtre imputé. Elle a été reconnue coupable de meurtre au premier degré parce qu'elle n'a pas téléphoné à la police pour la prévenir que son conjoint, qui la battait depuis plusieurs années, avait une arme à feu. Le policier a été tué parce que cet homme avait une arme à feu et non parce que la femme ne l'en avait pas averti. Elle a toutefois été reconnue coupable de meurtre au premier degré.

Lors de son procès, le jury a déterminé qu'elle devait être admissible à la libération conditionnelle après 15 ans d'emprisonnement. Il est possible de demander la libération conditionnelle après 15 ans mais de nombreuses personnes ne comparaissent en fait devant les tribunaux qu'après 16 ou 17 ans. La femme en question était considérée comme la «candidate idéale» en vertu de l'article 745. Elle n'avait jamais eu de problèmes institutionnels. Elle n'avait eu pratiquement aucun démêlé avec la justice sauf pour rapporter à la police la violence conjugale dont elle était victime avant sa condamnation pour meurtre au premier degré.

Je tiens à m'assurer que vous comprenez bien que nous n'acceptons, ni n'appuyons aucun des comportements qui incitent au crime ou à la complicité d'un crime. Manifestement, ce n'est pas le cas. Dans cette situation, il s'agissait d'une femme qui, de l'avis de tous, ne présentait aucun risque pour la collectivité et dont, selon l'appareil judiciaire, la durée de la peine d'emprisonnement était probablement injustifiée. Même là, il a fallu qu'elle serve pratiquement 19 ans de sa peine avant de pouvoir se prévaloir des dispositions de l'article 745, puis des dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Elle a récemment fait l'objet d'une libération conditionnelle de jour dans la collectivité.

Il est absolument faux de déclarer que les révisions judiciaires après 15 ans entraînent la libération automatique des détenus, quels qu'ils soient, après 15 ans d'emprisonnement. Même si tous les aspects du processus sont mis en branle et que tout se déroule le plus rapidement possible, la plupart des détenus ne sont pas libérés avant 18 ou 19 ans.

Parmi les personnes libérées, une seule a commis à nouveau un crime grave il y a plus de trois ans, c'est-à-dire un vol à main armée. Comme aucune d'entre elles n'a commis de nouveau meurtre, c'est une claire indication que ces dispositions fonctionnent assez bien. Cela n'excuse en aucune façon le fait qu'une personne ait été à nouveau déclarée coupable d'un crime grave. Cependant, on a souvent fait croire au public que nous libérons des meurtriers qui récidiveront, une fois de retour dans la société, ce qui est faux.

Il est également important que le comité compare la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle en vigueur au Canada aux normes internationales. On considère souvent que nos politiques correctionnelles sont progressistes. En fait, le Canada a voulu se présenter comme un pays progressiste à bien des égards. Or, nous figurons parmi les pays les plus répressifs et les rares pays à établir des périodes excessives d'inadmissibilité à la libération conditionnelle.

Comparons nos chiffres à ceux des autres pays. Dans la plupart des pays, la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle est de 10 à 15 ans pour les personnes emprisonnées pour meurtre. Même sans les restrictions plus sévères et inutiles prévues par ce projet de loi, le Canada dépasse la moyenne comparativement à la plupart des autres pays y compris notre voisin du Sud auquel nous n'aimons pas être comparés. Au Canada, le taux d'incarcération augmente à un rythme effarant même s'il n'a heureusement pas encore atteint les chiffres enregistrés aux États-Unis. Il est important que vous sachiez que même dans les États qui ne condamnent pas à mort les personnes reconnues coupables de meurtre et qui ne leur accordent pas la libération conditionnelle sans période d'admissibilité définie, aux États-Unis, la période moyenne d'inadmissibilité est de 15 ans pour les détenus qui purgent des peines d'emprisonnement à perpétuité.

Il faut que vous preniez conscience que même avec les dispositions actuelles, nous figurons parmi les rares pays à établir des périodes excessives d'inadmissibilité, ce qui est loin de correspondre à l'image du pays progressiste, soucieux de la sécurité de ses collectivités, que nous tenons à perpétuer sur la scène internationale.

Je tiens également à vous rappeler que ce sont les mêmes citoyens de ce pays qui ont élu ceux qui les représentent au Parlement qui décident de l'admissibilité d'un prisonnier, conformément à l'article 745, à la réduction du délai préalable à la libération conditionnelle; ce ne sont pas des avocats, des juges, ni des personnes appartenant à des groupes d'intérêt comme les nôtres, qui représentent clairement les personnes aux prises avec le système de justice pénale.

Les membres du jury proviennent des listes d'électeurs. Il ne faut pas oublier que selon le processus actuel, le juré examine attentivement tous les facteurs qui lui sont présentés par l'avocat de la Couronne, les représentants des policiers, les victimes, -- un aspect qui prend d'ailleurs plus d'importance selon les modifications les plus récentes -- l'administration pénitentiaire et le prisonnier lui-même. En fonction de tous ces renseignements, les jurés décident alors si le détenu devait bénéficier d'une réduction de la période d'inadmissibilité actuelle de 25 ans.

Les statistiques indiquent que ces citoyens ont pris des décisions très prudentes et sages qui se sont avérées au bout du compte très justes. Notre organisation estime qu'il est irresponsable, inefficace et coûteux de créer des dispositions supplémentaires lorsque aucune raison valable n'a été avancée pour justifier le type de modifications dont vous êtes saisis, surtout à une époque de restrictions financières et de réduction du déficit. C'est pourquoi, nous vous prions instamment de rejeter ce projet de loi.

J'ai avec moi une lettre de M. Mark Green, qu'il a présentée la première fois devant le comité de l'autre endroit. C'est la première fois qu'il a parlé publiquement du meurtre de son père. Malheureusement, il ne tenait pas à comparaître devant le comité aujourd'hui, non pas parce que cette question ne l'intéresse pas mais parce qu'il estime que les victimes que l'on écoute et qui sont désireuses de se faire entendre sont beaucoup plus véhémentes que lui et ont une perspective très différente de la sienne. Avec votre indulgence, j'aimerais vous lire la lettre qu'il a adressée au ministre Rock et qu'il a présentée au comité parlementaire permanent. Elle se lit comme suit:

Monsieur Rock,

Suite à votre proposition d'éliminer les dispositions relatives à la révision judiciaire prévues par l'article 745 du Code criminel, j'aimerais vous communiquer les réserves que m'inspire un tel changement. Je crois par ailleurs que mon point de vue risque de vous étonner compte tenu de ma situation personnelle.

Le 15 décembre 1971, mon père a été tué au cours d'un vol à main armée. Mon père était le propriétaire-gérant d'un établissement appelé New Grand Hotel, situé dans la rue George à Peterborough en Ontario. D'après le récit que m'a fait la secrétaire de mon père, qui était présente lors du vol, mon père s'est débattu avec le voleur et a été tué par balle. Je sais que le bureau de mon père avait déjà fait l'objet de deux introductions par infraction l'année qui a précédé le vol (lorsque personne n'était présent) et je crois que mon père réagissait à ces incidents précédents.

Comme vous pouvez l'imaginer, ma famille et moi-même avons été profondément marqués par ce drame. J'avais 17 ans à l'époque et mes deux jeunes frères avaient 7 et 13 ans. Ma mère était également vivante à l'époque. Comme elle ne s'occupait pas de la gestion de l'hôtel ni des autres restaurants qui appartenaient à mon père, et que les copropriétaires de l'hôtel vivaient à Toronto, j'ai dû rapidement m'occuper de la gestion de ces établissements. Comme ma mère était en état de choc, j'ai dû en plus m'occuper de mes deux jeunes frères jusqu'à ce que d'autres membres de ma famille viennent à Peterborough.

Après quelques semaines, la police a arrêté deux individus dans un chalet près de Gores Landing. Ces individus ont été accusés du meurtre de mon père. Si je me souviens bien, l'un d'entre eux a été déporté aux États-Unis et l'autre a été inculpé d'homicide involontaire coupable. Je crois qu'il a reçu une peine de dix ans d'emprisonnement.

Par suite de ces événements, j'ai commencé à m'intéresser de très près au fonctionnement du système de justice pénale. Si ce n'était de la mort de mon père, j'aurais probablement suivi ses traces et travaillé dans l'hôtellerie. Ses établissements ont toutefois été vendus et j'ai continué à travailler à l'hôtel pendant un certain temps pour aider les nouveaux propriétaires. Ce drame m'a incité à faire carrière en criminologie. Après avoir obtenu mon baccalauréat en droit et en sociologie de l'Université Carleton en 1976, j'ai posé ma candidature au programme de maîtrise en criminologie de l'Université d'Ottawa. Ma candidature a d'abord été rejetée en raison de mon manque d'expérience pratique. Ma seule expérience avait été ma participation comme agent bénévole de probation des jeunes. J'ai passé l'année suivante à acquérir une expérience supplémentaire en travaillant dans une maison de transition, (The House of Hope), en oeuvrant comme agent correctionnel (Centre de détention régional d'Ottawa-Carleton) et en travaillant avec des adolescents perturbés affectivement (Centre Robert Smart). L'année suivante, j'ai posé à nouveau ma candidature au programme et j'ai alors été accepté.

Lorsque j'ai obtenu mon diplôme en 1979, les postes étaient rares en Ontario. J'ai donc accepté un poste d'agent de probation auprès du ministère du Solliciteur général de l'Alberta à Calgary. Après deux ans et demi, découragé par la bureaucratie, je suis allé travailler pour la Société John Howard. J'ai passé huit ans au sein de l'organisation de Calgary où j'ai gravi les échelons jusqu'au poste de directeur exécutif adjoint. En 1990, j'ai accepté le poste de directeur exécutif de la Société John Howard du Lower Mainland de Colombie-Britannique (dont le siège est à Vancouver). Après avoir occupé ce poste pendant près de deux ans, j'ai été accepté par la faculté de droit de l'Université d'Ottawa. J'ai terminé mon baccalauréat en droit l'année dernière et je suis sur le point de terminer mon stage d'avocat dans un bureau d'avocats d'Ottawa. Pour l'instant, je ne suis pas encore sûr du type de droit que j'exercerai.

La raison pour laquelle j'ai décrit de façon détaillée ce que j'ai fait depuis la mort de mon père, c'est pour vous montrer qu'une personne qui a perdu un être cher par suite d'un crime ne nourrit pas forcément le désir de se venger des criminels. Comme vous pouvez le constater d'après le travail que j'ai choisi de faire peu après le décès de mon père, j'ai décidé de consacrer mes efforts à travailler avec les contrevenants et non à les punir. J'ai voulu ainsi essayer d'aider les contrevenants à faire face à leurs problèmes afin d'éviter qu'ils se trouvent dans une situation qui les incite à voler ou peut-être à tuer. J'ignore quelle en est au juste la raison mais j'ai toujours estimé que punir des contrevenants en les enfermant pendant des périodes de plus en plus longues n'a aucune conséquence positive pour le contrevenant (c'est en fait surtout nuisible) ni pour le public, compte tenu du coût que cela représente pour les contribuables. Depuis la mort de mon père, mon expérience professionnelle au sein du système de justice pénal a renforcé mes convictions. Un examen de la situation aux États-Unis appuie d'ailleurs ma position. Il est faux de croire que l'on protège la société en emprisonnant les contrevenants.

En ce qui concerne la possibilité d'éliminer l'article 745, je vous encourage fortement à tenir bon et à conserver la version actuelle de la loi. Les procédures établies en vertu de l'article 745 prévoient des mécanismes de protection suffisants permettant de s'assurer que seuls les détenus qui le méritent peuvent s'en prévaloir. Car agir autrement équivaudrait non pas à prendre une décision rationnelle fondée sur la logique mais à se plier aux caprices des éléments conservateurs de la société qui exploitent le désespoir des victimes pour promouvoir leur point de vue. Par ailleurs, je suis convaincu que dans la plupart des cas, les politiciens qui appuient de telles mesures régressives visent uniquement à promouvoir leur propre carrière politique.

En conclusion, contrairement à ce que la plupart des gens pourraient croire, les personnes qui ont été directement ou indirectement victimes d'un crime violent ne sont pas toujours animées d'un désir de vengeance. J'en suis la preuve vivante. Nous sommes nombreux à avoir décidé d'affronter notre épreuve d'une façon radicalement différente au lieu de réclamer des peines plus sévères pour les contrevenants. Ceux d'entre nous qui ont décidé de s'engager dans une autre voie pour surmonter leur épreuve considèrent inutile de rendre leur position publique. Par contre, je crois que ceux qui ne sont pas parvenus à surmonter cette épreuve, qui s'évertuent à comprendre ce qui s'est passé, se raccrochent aux impératifs de l'ordre public et au battage médiatique qui s'y rattache, pour essayer de traverser cette période éprouvante. Je crois que certaines personnes n'arriveront jamais à surmonter l'épreuve qu'elles ont subie.

J'aimerais faire une dernière observation et vous informer que je suis le partenaire de Kim Pate, directrice exécutive de l'Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry. La raison pour laquelle je tiens à ce que vous le sachiez, c'est que même si Kim m'a encouragé à vous écrire cette lettre, les convictions que j'y exprime sont véritablement les miennes. Comme je l'ai déclaré plus tôt, je suis parvenu à surmonter l'épreuve qu'a représenté le meurtre de mon père et à continuer à vivre et je ne n'éprouve pas le besoin d'exposer publiquement ma situation personnelle. Cependant, si vous souhaitez que je participe à de futures discussions publiques, n'hésitez pas à communiquer avec moi.

J'ai des copies de cette lettre pour ceux que cela intéresse.

M. Brian Saunders, directeur exécutif (Nouveau-Brunswick), Société John Howard: J'aurais quelque chose à ajouter, si vous me le permettez. Je tiens tout d'abord à vous remercier de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant votre comité. Je vous parlerai un peu de la Société John Howard.

Il y a plus de 75 ans que la Société John Howard existe au Canada. Aujourd'hui, nous avons plus de 60 succursales locales un peu partout au pays. Nous avons des centaines de bénévoles qui travaillent avec nous et nous servons plusieurs milliers de clients chaque année. La Société John Howard assure une gamme extrêmement vaste de services communautaires à ses clients. Nous sommes vraiment une association d'inspiration communautaire qui est au courant des services correctionnels communautaires et qui oeuvre dans ce domaine.

La Société John Howard représente les membres du système de justice pénale, qui ont en commun certains principes. J'en citerai trois. Le premier, c'est le droit de vivre dans une société sûre et pacifique tout en respectant la loi. Deuxièmement, dans le contexte du système de justice pénal, nous croyons que toute personne possède une valeur intrinsèque et a le droit d'être traitée avec dignité, équité, justice et compassion sans discrimination fondée sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge, ou la déficience mentale ou physique. Pour la Société John Howard, cela comprend également les détenus et les personnes aux prises avec le système judiciaire. Troisièmement, la meilleure façon de rendre la justice consiste à recourir à des mesures axées sur le règlement de conflits, la réparation des torts et le rétablissement de relations harmonieuses au sein de nos collectivités et de notre société.

Selon nous, l'application de l'article 745, tel qu'il a été conçu à l'origine par le Parlement du Canada, a donné de bons résultats. Il s'agit d'une mesure législative efficace en raison de son application universelle à tous les condamnés à perpétuité. Il s'agit d'une mesure législative efficace parce qu'elle s'appuie sur le principe du recours aux citoyens qui, en tant que jurés, prennent des décisions en notre nom.

La Société John Howard estime que rien n'indique que cet article de la loi, tel qu'il a été conçu à l'origine, n'ait pas donné les résultats escomptés. Cette mesure législative, dans sa version actuelle, permet de réagir humainement à des circonstances très inhabituelles au fur et à mesure qu'elles se produisent.

Il existe de nombreuses différences sur le plan individuel parmi les détenus incarcérés pour une longue période et les condamnés à perpétuité. Nous avons maintenant un outil qui permet au système correctionnel de s'adapter à ces différentes circonstances afin que les détenus soient plus susceptibles de réintégrer la société avec succès. Pourquoi veut-on nous retirer cet outil?

D'après la Société John Howard, plus une personne est isolée de la communauté, moins elle a de chances de bien s'intégrer à la société. Aux termes des modifications apportées à l'article 745, les détenus devront attendre plus longtemps avant de présenter une demande de libération conditionnelle. Nous estimons qu'un processus de libération conditionnelle graduel et réglementé, lorsque bien géré et entamé au bon moment, permet au système correctionnel de mieux faire son travail; c'est-à-dire, de corriger avec efficacité les comportements criminels et de créer une société où l'on se sent plus en sécurité. Tel devrait être l'objectif de notre système judiciaire.

Au bout du compte, l'emprisonnement ne contribue pas, à lui seul, à réparer les torts subis par les victimes de crimes ou par la communauté où l'infraction a été commise. Si nous cherchons, par ces modifications, à obtenir réparation pour les torts subis, nous faisons fausse route. Elles vont sans doute permettre, du moins à court terme, de venger le crime et de punir l'offenseur, mais il y aura un prix à payer à long terme.

En conclusion, nous estimons que la loi actuelle atteint l'objectif visé, qui est d'offrir plus d'options au système correctionnel afin qu'il soit mieux à même d'accomplir son travail. C'est à la façon dont nous traitons les plus faibles que nous mesurons la maturité et l'humanité de notre système judiciaire et de notre société. C'est en unissant nos efforts en vue de trouver ensemble des solutions à ces problèmes que nous atteindrons cette maturité et cette humanité.

Le président: Merci beaucoup pour vos exposés.

Le sénateur Nolin: Dans la lettre que vous avez adressée au ministre de la Justice, au mois de mars, vous dites que ce projet de loi ne fera qu'augmenter les coûts humain et économique. J'ai lu les modifications proposées à l'article 745 et je ne suis pas d'accord. En mettant sur pied un mécanisme qui permettra au juge d'examiner presque tous les critères sur lesquels se penchera par la suite un jury, nous réduirons les coûts.

Mme Pate: Je ne suis pas sûre de bien comprendre votre raisonnement. Si nous sommes arrivés à cette conclusion, c'est parce que les modifications introduisent une nouvelle démarche dans le processus d'examen. Nous savons tous que de nombreux détenus ne présentent même pas de demande parce qu'ils se disent qu'elle ne sera probablement pas examinée. Nous introduisons une nouvelle étape administrative en obligeant le juge à examiner tous les cas. Cet examen, à notre avis, est inutile et ne fera qu'accroître les coûts financiers parce que le juge devra examiner toutes les preuves présentées dans chacun des cas, pas simplement les cas qui, nous le savons, ne feront jamais l'objet d'un examen en vertu de l'article 745.

En ce qui concerne les coûts humains, le personnel et les travailleurs du service correctionnel craignent de plus en plus que les femmes qui sont condamnées à perpétuité et qui savent que ces dispositions auront un impact sur elles continueront de se faire du mal ou de se suicider.

Il y a également le coût qu'entraîne le fait de garder les détenus en prison pendant plus longtemps que les 18 ou 19 années actuelles. Ces modifications ajouteront sans doute une année ou deux aux peines des détenus, même ceux dont la demande est accueillie aux termes de l'article 745. Il en coûte environ 92 000 $ par année pour garder une femme dans le pénitencier fédéral, et entre 40 000 $ et 70 000 $ pour les garder dans les autres prisons. Ces dispositions ajouteraient un fardeau financier énorme aux contribuables.

Le sénateur Nolin: Les critères prévus à l'article 745 resteront les mêmes si le projet de loi est adopté. Nous sommes d'accord là-dessus. Ce qui m'intéresse avant tout, c'est la première étape. Le juge qui reçoit une demande écrite prendra une décision en se fondant sur ces mêmes critères. Sommes-nous d'accord là-dessus?

Mme Pate: Cela dépend des autres critères.

Le sénateur Nolin: Il n'y en a pas d'autres. Si vous lisez l'article 745.6 et celui qui est proposé, vous verrez qu'ils sont identiques.

Mme Pate: Certains détenus ne pourront pas présenter une demande s'ils ont été déclarés coupables de plus d'un crime.

Le sénateur Nolin: Il est question ici de détenus qui ont commis des infractions graves.

Mme Pate: Exactement. Même si on dit que les critères sont les mêmes, et à mon avis ils ne le sont pas, il n'y aura pas une hausse importante des demandes. Toutefois, ces modifications apportent manifestement des changements.

Elles ajoutent une étape additionnelle, en ce sens que la demande sera examinée par un juge. S'il estime que celle-ci peut être accueillie, un jury sera constitué pour l'entendre. Comme il faut beaucoup de temps avant qu'un dossier se retrouve devant les tribunaux, cette étape prolongera le processus d'un an, à tout le moins.

Le sénateur Nolin: C'est une demande écrite. Un détenu qui veut présenter une demande écrit au juge en chef, ou demande à son avocat de le faire.

Mme Pate: Il faudra plus de temps pour rassembler tous les documents.

Le sénateur Nolin: Vous vous préparez. Vous n'attendez pas. Je présume qu'un détenu se préparera à l'avance et qu'il présentera sa demande au moment opportun. Le processus sera plus simple. En ce qu concerne l'unanimité du juge, c'est une autre question. Je m'intéresse avant tout aux coûts.

Vous dites également que ces modifications vont aggraver la peur et les idées fausses de la population au sujet de la criminalité. Qu'entendez-vous par cela?

Mme Pate: Il m'arrive souvent de participer à des tribunes. Comme les médias ont beaucoup parlé des modifications proposées à l'article 745, j'ai constaté que le public pense que les détenus qui ont été déclarés coupables de meurtre et qui ont été condamnés à 25 ans de prison, pourront, après avoir purgé 15 ans de leur peine, présenter une demande et obtenir leur libération. On a également laissé entendre que ces personnes finissent par commettre d'autres meurtres. Nous savons que ces constatations sont fausses. Le fait de rapporter des renseignements non fondés accroît inutilement les craintes du public.

Il y a quelques années, nous avons mené, en Alberta, une étude qui visait à évaluer la peur que suscite la criminalité chez le public. À l'époque, on parlait beaucoup des jeunes délinquants et du système pénal. La plupart des gens ont affirmé que le taux de criminalité augmentait et que les rues étaient de moins en moins sécuritaires. Toutefois, en général, ils pointaient du doigt un autre quartier de la ville, pas le leur. Il était évident que leurs craintes étaient fondées en grande partie sur de fausses informations. Même lorsque les personnes interrogées venaient du quartier qui affichait le taux de criminalité le plus élevé dans la ville, elles pointaient du doigt un autre quartier. Il était clair qu'elles se faisaient de fausses idées au sujet des quartiers où le taux de criminalité était le plus élevé, et que ce fausses idées étaient essentiellement fondées sur les reportages des médias.

Nous savons qu'on accorde plus d'attention à certains types de crimes. On a l'impression que ces crimes augmentent alors que les statistiques montrent clairement qu'ils diminuent.

On a récemment publié une étude au sujet des crimes commis par les jeunes, lesquels semblent monter en flèche. D'après l'étude, sur les 6 000 infractions commises par des jeunes à Toronto, moins de 1 p. 100 ont été rendues publiques. Parmi celles qui l'ont été, très peu de renseignements ont été dévoilés au public. Or, lorsque les peines imposées ont été connues, elles ont été vivement dénoncées, et tout cela, à cause des reportages des médias qui ne comprenaient même pas les informations de base qui ont été soumises au juge. Tous les renseignements communiqués par les médias étaient manifestement erronés, ce qui a eu pour effet de créer de fausses impressions chez les gens au sujet de la nature du crime.

Avant que la Loi sur les jeunes délinquants ne soit remplacée par la Loi sur les jeunes contrevenants, les médias n'avaient même pas le droit d'être présents dans la salle de tribunal. Toutes les audiences se déroulaient à huis clos. À ce moment-là, on avait une perception totalement différente de la délinquance juvénile parce que les crimes, contrairement à ce qui se fait aujourd'hui, n'étaient pas rendus publics. Les preuves à ce sujet sont nombreuses, aussi bien à l'échelle nationale qu'internationale. Les États-Unis constituent, malheureusement, un des meilleurs exemples. Les médias parlent beaucoup, là-bas, des peines plus sévères qui sont imposées. Or, les fausses idées et les craintes de la population au sujet de la criminalité continuent d'exister malgré les changements apportés à la loi.

De nombreux États incarcèrent maintenant plus de délinquants qu'ils n'acceptent de jeunes dans les établissements postsecondaires. Or, les gens ont l'impression qu'il faut incarcérer un plus grand nombre de jeunes, même si le taux de criminalité est resté plus ou moins le même au cours de la période de transition. De nombreuses études le démontrent.

Le sénateur Nolin: Je ne suis pas convaincu que l'abrogation de l'article 745.6 aggraverait les craintes du public. Je comprends ce que vous dites lorsque vous parlez de la publicité et des médias. Le public s'intéresse aujourd'hui beaucoup plus à cette question que ce n'était le cas il y a 10 ou 15 ans. Je suis d'accord avec cela, mais je ne crois pas que l'article 745 en soit la cause.

Mme Pate: Ce n'est pas l'article 745 qui soulève des craintes, mais les modifications qui y sont proposées. La disposition actuelle est tout à fait adéquate. Elle ne pose aucun problème. Les modifications qu'on y propose ne font que rendre le processus encore plus rigoureux. Ce qui incitera les détracteurs à dire que ces modifications constituent une échappatoire qui permet aux détenus de réintégrer la société, de semer du désordre et de commettre d'autres meurtres. C'est l'impression qu'elles créent. Pourquoi, en fait, devrions-nous modifier cet article s'il ne pose aucun problème?

Le sénateur Nolin: Vous soulevez-là un point intéressant.

Le sénateur Milne: Très intéressant.

À la première page de votre rapport annuel, vous faites l'historique de la Société Elizabeth Fry. Vous dites qu'elle a été créée en 1939 à Vancouver, et que l'association canadienne a vu le jour en 1969. Je me trompe peut-être, mais je pense que ma mère a assisté à une réunion, qui s'est déroulée à Toronto, en 1950, et au cours de laquelle Agnes Macphail a prononcé un discours devant un groupe de femmes unitariennes. Je pensais que c'était à cette réunion qu'on avait eu l'idée de créer la Société Elizabeth Fry, et que ce groupe de femmes s'était chargé de mener le projet à terme.

Hier, nous avons demandé aux fonctionnaires du ministère de nous fournir des statistiques sur le nombre de détenus qui ont purgé plus de 25 ans de prison. J'aimerais surtout savoir s'il y a des détenus qui ont purgé plus de 25 ans de prison pour le seul meurtre qu'ils ont commis. Avez-vous des renseignements à ce sujet?

Mme Pate: À mon avis, il n'y a pas de femmes qui purgent actuellement une peine de plus de 25 ans de prison.

En ce qui concerne la Société Elizabeth Fry, vous avez raison de dire qu'il y a eu des réunions à ce sujet, et auxquelles ont participé de nombreuses personnes. Je vais relire le passage en question au cas où je me serais mal exprimée. Je faisais allusion à la création de l'association nationale.

De nombreux organismes voyaient le jour à l'échelle nationale. Ce sont les sociétés de Toronto, Vancouver, Ottawa et Kingston qui ont fait valoir la nécessité de mettre sur pied une association nationale. C'est à l'association nationale, créée en 1969, que je faisais allusion dans le rapport. Merci d'avoir apporté cette précision. Vous avez tout à fait raison.

M. Saunders: À mon avis, il n'y a pas de détenus qui purgent actuellement plus de 25 ans de prison pour un seul meurtre. Cela ne veut pas dire qu'il n'y en a pas. Il va falloir que je vérifie.

Le sénateur Milne: Est-ce que les détenus ayant commis un meurtre que l'on qualifie de «crime passionnel» sont beaucoup plus susceptibles d'être remis en liberté plus tôt pour des motifs de compassion?

M. Saunders: Oui. La majorité des condamnés à perpétuité tomberaient probablement dans cette catégorie.

Le sénateur Milne: Est-ce que vous vous opposez aux dispositions du projet de loi qui privent les auteurs de crimes multiples du droit de présenter une demande de libération?

Mme Pate: Le seul cas qui me vient à l'esprit est celui d'un détenu incarcéré dans un pénitencier de la Saskatchewan. Son cas a été soulevé assez souvent par des condamnés à perpétuité et des travailleurs du service correctionnel. Il avait purgé une trentaine d'années de prison pour un meurtre qu'il avait commis. Il était revenu du front et avait tué sa conjointe après avoir découvert qu'elle avait eu une liaison avec un autre homme pendant son absence.

Comme Brian l'a indiqué, nous savons que bon nombre des condamnés à perpétuité sont des délinquants primaires et que bon nombre de leurs crimes ont été commis dans un cadre familial. On examine actuellement les dossiers des femmes qui se sont défendues contre des conjoints violents et qui ont été déclarées coupables d'homicide involontaire ou de meurtre au premier ou au deuxième degré.

Nous estimons que les auteurs de meurtres multiples devraient eux aussi pouvoir se prévaloir de cette disposition. Nous partons du principe que la règle de droit s'applique également à tous.

Nous ne voulons pas que des circonstances et des cas individuels viennent miner nos principes fondamentaux. Toutefois, nous sommes conscients du fait que l'auteur d'infractions multiples a très peu de chances d'être relâché ou même de présenter une demande de libération. Aucun jury ne leur accorderait cette possibilité. Je ne peux même pas imaginer pareille situation.

Je sais qu'il y a des cas où des conjoints violents ont été tués. Je ne sais pas si ces crimes ont donné lieu à des condamnations de meurtre au premier degré, bien que plusieurs femmes aient été reconnues coupables d'homicide involontaire. Je connais deux cas où deux infractions ont été commises par des femmes. Elles ne seraient pas visées par cette disposition.

La question est de savoir s'il est nécessaire de modifier la façon dont nous traitons les gens dans ce pays. La règle de droit s'applique également à tout le monde. Pourquoi devrions-nous changer le système? Il y a très peu de chances qu'on aboutisse à des résultats différents.

J'ai travaillé avec des auteurs de meurtres multiples. Jamais ils n'ont pensé qu'une demande présentée en vertu de l'article 745 pourrait être accueillie. Je ne connais aucun détenu qui ait même présenté une demande. Je vous rappelle que 60 p. 100 d'entre eux ne présentent même pas de demande lorsqu'ils sont admissibles.

Le sénateur Milne: Le gouvernement doit répondre aux préoccupations des Canadiens et apaiser les craintes d'un grand nombre d'entre eux, des craintes qui sont exacerbées par les groupes de victimes, sans doute avec raison. À votre avis, comment le gouvernement peut-il s'attaquer à ces craintes sans adopter un projet de loi comme celui-ci?

Mme Pate: Les représentants élus doivent faire preuve de leadership, surtout qu'ils savent que les renseignements véhiculés sont faux. Ils doivent corriger cette situation en lançant une vaste campagne de sensibilisation auprès du public.

Il y a plus d'un an, lorsque nous nous sommes rendu compte pour la première fois que cette question allait être abordée, nous avons rencontré plusieurs parlementaires et fonctionnaires des ministères de la Justice et du Solliciteur général. On nous a dit que cette question n'allait jamais faire l'objet de discussions, que, essentiellement, l'article 745 ne soulevait aucun problème. On nous a laissé entendre que le fait d'ouvrir des discussions sur cet article équivalait à lancer un débat sur la peine de mort.

Nous constatons, un an et demi plus tard, que la situation est tout autre. Certains des groupes en faveur d'un tel débat veulent s'en prendre aux auteurs de meurtres multiples ou aux tueurs en série qui ne pensent même pas pouvoir obtenir une libération en vertu de l'article 745. Ils veulent s'en servir comme point de départ. Ils reconnaissent qu'après s'être attaqués à la règle de droit et aux garanties que confèrent à ces détenus la Charte et la Loi sur les droits de la personne, ils pourront entamer des discussions en vue de faire imposer la peine de mort à ces personnes. Ce sera pour eux un point de départ.

Il s'agit là de préoccupations très réelles. C'est une question qui me préoccupe en tant que citoyenne. J'espère que mon fils et que les générations futures de Canadiens s'intéresseront aussi à cette question. J'espère que les membres du comité et que tous les parlementaires tiendront compte de l'impact qu'un tel projet de loi peut avoir sur notre avenir, compte tenu surtout du fait que le Canada veut faire oeuvre de pionnier à l'échelle internationale pour ce qui est du respect de ces droits fondamentaux.

Cela ne dénigre en aucune façon les besoins des victimes. Pendant de nombreuses années, j'ai travaillé avec des victimes, avec des femmes et des enfants en particulier. Il est indispensable de répondre à leurs besoins. Prétendre que ce genre de disposition permet d'y répondre équivaut à faire peu de cas des véritables besoins de ces victimes.

M. Saunders: La position de la Société John Howard se rapproche beaucoup de celle des sociétés Elizabeth Fry. Dès qu'on envisagera de modifier l'application universelle de l'article, d'autres exclusions seront ajoutées. D'autres seront écartées, rendant cet article complètement inopérant. Ajouter des exclusions anéantirait cet article. Nous avons pensé qu'il valait mieux essayer d'arrêter dès maintenant toute tentative du genre.

Le sénateur Jessiman: Merci pour votre exposé. Je suis sûr que vous connaissez tous les deux les quatre buts principaux de la détermination de la peine. Voici, à mon avis, l'ordre dans lequel il faudrait les envisager: la protection de la société, la dissuasion de commettre tout autre crime, la peine et ensuite, la réadaptation.

Ce qui m'inquiète au sujet de l'article 745, c'est que la réadaptation semble de plus en plus occuper le devant de la scène au détriment des trois autres buts. Je sais que vous vous occupez de ceux qui ont commis des crimes et que vous essayez de les réadapter. Je ne préconise pas la remise en place de la peine de mort. Certainement, si la peine de mort existait, on n'aurait pas à s'occuper des trois premiers buts.

Êtes-vous d'accord avec cet ordre de priorité dans le cas d'un meurtrier? Devrions-nous envisager les trois autres buts en premier lieu, avant de nous occuper du prisonnier et de sa réadaptation?

M. Saunders: Pas nécessairement dans l'ordre de priorité que vous avez présenté, monsieur le sénateur.

Le sénateur Jessiman: Dites-moi l'ordre de priorité que vous préconisez.

M. Saunders: D'après l'expérience de la Société John Howard, ce n'est pas en intensifiant la peine infligée au contrevenant que la protection de la collectivité est nécessairement mieux assurée.

Le sénateur Jessiman: La peine de mort résoudrait ce problème. La société serait protégée de cette personne.

M. Saunders: La société serait également exposée à une telle violence, officiellement sanctionnée. Si des exécutions officiellement sanctionnées par l'État faisaient partie de notre vie quotidienne, je m'inquiéterais de l'effet que cela aurait sur notre société et sur les collectivités. Il me semble évident que l'on peut parvenir à un équilibre à cet égard.

Si vous voulez parler de la personne uniquement, tel peut être le cas. Toutefois, les gens ne vivent pas complètement isolés au sein de leur collectivité. Toute mesure que prend l'État contre une personne ne vise pas exclusivement cette personne. Il faut bien s'en rendre compte.

Le sénateur Gigantès: Que voulez-vous dire par «ne vise pas exclusivement cette personne»?

M. Saunders: Si nous n'essayons pas de réparer le tort causé par un comportement criminel ou par un conflit, tort dont font les frais une collectivité ou une victime au sein de cette collectivité, et si nous nous occupons uniquement du contrevenant, nous ne réparons alors pas nécessairement le tort en question et ne faisons rien pour le réparer. Il y a un prix à payer et le système juridique doit, d'une manière ou d'une autre, le régler. Il y a des besoins auxquels il faut répondre, auxquels la peine ou la dissuasion ne permet pas de répondre.

Je ne suis pas sûr d'avoir répondu à votre question.

Mme Pate: La protection du public est primordiale. Beaucoup de ceux d'entre nous qui avons travaillé en relation étroite avec les représentants du système en place nous sommes aperçus que le fait de répondre aux besoins de ceux qui peuvent se réinsérer au sein de la collectivité sans danger et le fait de leur offrir des possibilités sont ce qui permet de garantir le mieux possible la protection du public, tout en tenant compte des contraintes financières et des réalités économiques.

Je suis professeur qualifié et j'ai travaillé avec des adolescents. J'ai également participé à des programmes d'alphabétisation dans les prisons et au sein de la collectivité. Pour que la dissuasion porte fruit, les gens doivent avoir un certain niveau de pensée abstraite. Ils doivent être en mesure de penser au-delà de la situation immédiate et de prévoir ce qui se peut se produire dans l'avenir.

La dissuasion est une notion à laquelle nous nous accrochons et je dis «nous» au sens large du terme. Beaucoup d'entre nous faisons des plans pour l'avenir. Je connais très peu de personnes -- et peut-être même aucune -- qui ont commis des actes criminels qui soient capables de penser à l'avance. Ceux qui ont des capacités importantes en matière de pensée abstraite sont rarement en prison. Les gens qui sont capables de penser à l'avance et qui seraient touchés par des questions de dissuasion ne sont pas ceux qui se retrouvent en prison.

À mon avis, il s'agit là d'un principe fondamental. La recherche qui a été faite dans ce domaine, le seul que je connaisse, au sujet des jeunes gens en particulier, a révélé que la dissuasion générale et la dissuasion particulière ne sont pas efficaces.

Le sénateur Jessiman: Mettriez-vous la dissuasion au quatrième rang?

Mme Pate: Je dirais que la dissuasion est en fait sans rapport avec la réalité.

Le sénateur Jessiman: Au sens où la réadaptation est plus importante que la dissuasion.

Mme Pate: La réadaptation dépend de la définition que vous lui donnez. J'ai bien sûr de gros problèmes à propos de ce qui se fait au nom de la réadaptation. C'est peut-être le thème d'une autre discussion, mais je serais heureuse de m'y attarder dès maintenant.

Ce que la peine signifie est important. Si vous voulez dire par là que des gens sont tenus responsables de leurs actes et en subissent des conséquences, alors oui, la peine joue un rôle important. C'est une réalité de notre vie quotidienne. Nous subissons tous les conséquences de nos actes de certaines manières, même si ce n'est pas toujours par le truchement du système de justice pénale.

Il m'est difficile de classer ces buts. À moins que l'on commence par traiter des questions et des circonstances qui amènent des gens dans le système carcéral, et à moins qu'on ne les aide à se réinsérer, il ne reste qu'une solution sur deux à retenir. Soit on arrive à un système qui permet de supprimer les gens, soit on arrive à un système carcéral dont on est prêt à supporter le coût à payer pour y garder des gens pendant de longues périodes. Plus ils sont gardés dans un contexte carcéral où l'on ne s'occupe absolument pas de la réinsertion, plus on risque d'aboutir à un milieu carcéral où règne la brutalité. Cela revient à dire qu'il leur sera difficile de se réinsérer. Telles sont certaines des questions qu'il faut aborder.

Est-ce que j'ai répondu à votre question?

Le sénateur Jessiman: Oui, merci beaucoup.

J'aimerais me reporter à une déclaration faite à la Chambre des communes. J'aimerais que vous me disiez si elle est exacte ou non. Elle n'a rien à voir avec les personnes qui ont commis un meurtre, mais les personnes qui ont été arrêtées. Ces personnes ont été libérées dans le cadre d'une libération conditionnelle ou d'une libération anticipée. Il s'agit de personnes qui, d'après la Commission des libérations conditionnelles, étaient prêtes à se réinsérer dans la société. La déclaration faite en 1996 se lit comme suit:

L'année dernière, 15 personnes ont été assassinées par des gens qui avaient été mis en liberté, que ce soit en libération conditionnelle ou dans le cadre d'une autre forme de libération anticipée.

Je sais qu'il ne s'agissait pas de meurtriers; il s'agissait de personnes qui avaient commis un crime. Elles se trouvaient en prison, pour vol peut-être. Est-ce que les personnes compétentes disent: «Il s'agit de personnes qui ne voleront plus, mais qui risquent de tuer»? J'ose espérer que l'on se pose cette question au moment de libérer ces personnes, alors qu'elles n'ont pas purgé toute leur peine.

Tout d'abord, savez-vous si ces statistiques, données à la Chambre des communes, sont exactes?

Mme Pate: Qui a donné ces statistiques?

Le sénateur Jessiman: Cette déclaration commence ainsi:

M. Ramsay (Crowfoot): Merci, madame la présidente.

Elle se trouve à la page 8 des témoignages consignés le mardi 18 juin 1996.

Mme Pate: Je ne peux pas vous le dire, mais je me ferais un plaisir de vérifier si elles sont exactes.

Le sénateur Jessiman: Si tel est le cas, ne pensez-vous pas que c'est très grave? Bien que ces gens-là n'aient pas commis de meurtre, ils ont commis un crime. Ils ont bénéficié d'une libération anticipée, parce qu'ils semblaient, croyait-on, pouvoir se réinsérer au sein de la société sans plus voler, si tant est que le vol soit le crime qu'ils avaient commis. Cela m'inquiète.

Mme Pate: Même si je ne vois pas en quoi cela se rapporte à la question de l'article 745, je pense qu'il est tout à fait possible que 15 personnes aient passé du temps en prison avant de commettre un meurtre.

Le sénateur Jessiman: Vous dites que cela ne se rapporte pas à la question, mais cela devrait s'y rapporter. Ces personnes avaient bénéficié d'une libération anticipée. Quelqu'un a dû décider qu'elles étaient prêtes à se réinsérer au sein de la société. À mon avis, cela a donc un certain rapport.

Mme Pate: Cette décision peut avoir été prise soit par la Commission nationale des libérations conditionnelles, soit dans le cadre d'une libération d'office, auquel cas les personnes en question retournent automatiquement dans la collectivité.

Pour revenir à votre question préalable, si nos prisons deviennent plus brutales, offrent moins de programmes et d'appuis en matière de réadaptation et infligent des peines plus longues, il ne fait aucun doute que les gens que nous libérons en sortent plus en colère et potentiellement plus dangereux pour nos collectivités. Telle est la réalité et cela devrait vous inquiéter.

Le sénateur Jessiman: C'est la Commission des libérations conditionnelles qui en est responsable.

Mme Pate: Il peut s'agir de personnes qui ont purgé toute leur peine, auquel cas la Commission des libérations conditionnelles n'a pas la compétence de s'occuper de leur libération. C'est tout à fait différent de la situation de ceux qui comparaissent devant un jury, lequel examine toute l'information à leur sujet.

Si je demande la source de votre citation, c'est parce que je sais que des informations erronées ont été données au sujet de personnes qui ont un casier judiciaire et qui commettent un crime; ce n'est pas nécessairement lorsqu'elles sont mises en liberté sous condition qu'elles commettent ce crime. Je ne sais pas si la déclaration que vous avez lue est exacte.

Le sénateur Jessiman: Je cite ici un certain M. Gallaway qui parle d'un chef Fantino qui, si je comprends bien, est président de l'Association canadienne des policiers. Selon lui, tous les membres de l'association sont en faveur de l'abrogation de l'article 745. Pourquoi la police est-elle en faveur de cette abrogation?

La présidente: Monsieur le sénateur, l'Association canadienne des policiers doit comparaître devant notre comité.

Le sénateur Jessiman: Merci, madame la présidente.

Madame Pate, qu'en dites-vous?

Mme Pate: Je vous recommande de leur poser la question directement.

Je remarque que dans le passé, l'Association canadienne des chefs de police adoptait des positions beaucoup plus progressistes que celle-ci. Je ne suis pas sûre de la raison pour laquelle l'association suit cette voie. Je crois que l'on a beaucoup cherché à politiser certains groupes, y compris peut-être les chefs de police. Étant donné que leur association mère, soit l'Association canadienne des policiers, a pris si fortement position, il est peut-être difficile pour l'Association canadienne des chefs de police d'adopter une autre position.

Je propose que l'on sensibilise la police de la même façon que le grand public, si telle est en fait leur façon de voir les choses. On leur a dit que c'est une échappatoire. On leur a dit que la libération est automatique. J'ai parlé à plusieurs agents de police qui croyaient que tel était le cas en fonction de l'information qui leur a été transmise par leur organisation.

L'an dernier, plusieurs personnes qui avaient reçu des demandes de dons pour une publicité contre l'article 745, m'en ont informée. S'il ne s'était pas agi de personnes qui savent ce qu'elles font, elles n'auraient probablement pas protesté. Ceux qui les appelaient au nom d'agents de police pour obtenir un tel appui leur donnaient des informations erronées.

Il s'agit de vrais problèmes auxquels nous continuons de nous heurter. Cette sorte de désinformation est donnée à la police pour être ensuite transmise par elle; nous vous encourageons à ne pas perpétuer cette désinformation.

Le sénateur Gigantès: Je déplore le fait que l'on parle de crimes passionnels. Tout meurtrier est, à mon avis, dérangé. Celui qui tue sa femme, parce qu'il la trouve au lit avec quelqu'un d'autre, est dérangé. Il ne faut pas le blâmer moins que tout autre meurtrier. Je pense qu'à notre époque, nous devrions cesser d'éprouver plus de compassion pour ces affreux machos que pour les autres.

Je suis d'accord avec vous, je ne crois pas que la crainte de la peine de mort soit dissuasive pour des gens comme ceux-ci. C'est une raison pour laquelle je ne suis pas pour la peine de mort. L'autre raison, c'est que j'ai toujours peur qu'un innocent ne soit tué.

Toutefois, en matière de dissuasion et si l'on veut empêcher la majorité des meurtres, lesquels semblent être commis par des jeunes gens, je propose la suppression totale des organes sexuels. Cela les dissuadera.

Si quelqu'un a commis un meurtre, quelqu'en soit le motif, j'éprouve peu de sympathie à son égard. J'aimerais pouvoir être pour la peine de mort, mais je ne le peux pas. Ces meurtriers ont fait quelque chose de complètement impardonnable, surtout s'il s'agit de récidivistes ou de personnes coupables de plus d'un meurtre. L'énormité de ce qu'ils ont fait est telle que je doute fort qu'ils puissent être réadaptés.

Vous avez parlé de l'emprisonnement. Avez-vous une autre solution?

Je ne vois pas pourquoi nous nous opposerions aux modifications à l'article 745. La société a le droit de se sentir plus en sécurité. Je ne dis pas que cette modification le permettra. Même si c'est une illusion, la société y a droit. Je crois que ce besoin de la société l'emporte sur le besoin du criminel qui, même s'il est dérangé, a tué quelqu'un d'autre.

Qu'en pensez-vous?

Mme Pate: Je représente ici l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry; s'il vous semble que nous proposons que ceux qui tuent soient excusés ou que l'on éprouve de la sympathie à leur endroit, détrompez-vous. Ce n'est pas ce que nous proposons aujourd'hui ni ce que nous avons jamais proposé en tant qu'organisation.

Nous ne disons pas que l'article 745 devrait être abrogé, mais que sous son libellé actuel, il offre les genres de sauvegarde dont vous parlez.

Vous avez peut-être remarqué que je ne parle pas des crimes passionnels. J'ai travaillé beaucoup trop longtemps avec des femmes qui se sont trouvées dans de telles situations et qui ont réussi à s'en sortir indemnes pour savoir qu'il s'agit d'un vrai problème. Ce qui nous inquiète toutefois, c'est qu'il y a des personnes qui peuvent contribuer à la société; nous proposons qu'on leur donne la possibilité de le faire de nouveau, une fois qu'elles auront purgé leur peine.

Si les périodes d'inadmissibilité à la libération conditionnelle étaient très courtes au Canada, je pourrais peut-être mieux comprendre ce point de vue. Si quelque chose m'échappe, dites-le-moi, s'il vous plaît; nous savons toutefois que les périodes d'inadmissibilité à la libération conditionnelle au Canada sont les plus longues par comparaison à d'autres pays. Compte tenu de cette réalité, il m'apparaît clairement que le fait de rendre la révision judiciaire en application de l'article 745 encore plus difficile va complètement à l'encontre de ce que nous souhaitons pour notre pays.

Le fait d'amoindrir la portée de la règle de droit pour des cas particuliers me rappelle beaucoup trop d'autres régimes, à d'autres époques, dans d'autres parties du monde, où certaines personnes étaient considérées comme des déchets humains. En tant qu'organisation, nous ne serions pas prêts à faire ce genre de choses. Cela ne veut absolument pas dire que nous pardonnons certains comportements. Toutefois, nous ne sommes pas prêts à dire que certaines personnes ne devraient pas être soumises à la même règle de droit. Ce que nous disons, c'est que règle doit être universelle, si l'on ne veut pas aboutir au genre de régime despotique dont nous avons été témoins à d'autres époques et dans d'autres pays.

Le sénateur Gigantès: Nous appliquons la loi inégalement à de nombreux égards.

Mme Pate: Si vous voulez parler de discrimination systémique, je suis absolument d'accord, mais c'est une toute autre question.

Le sénateur Gigantès: Vous avez dit que les périodes d'inadmissibilité à la libération conditionnelle sont très longues au Canada par rapport à d'autres pays.

Mme Pate: C'est exact.

Le sénateur Gigantès: Quelles sont les conséquences d'avoir des périodes plus longues? Quel effet ont des périodes plus courtes sur le taux de criminalité dans le reste de l'Occident? Avez-vous des données statistiques à ce sujet?

Mme Pate: J'en ai quelques-unes. À mesure que j'en recevrai d'autres, je vous les communiquerai volontiers.

Aux Pays-Bas, la peine d'emprisonnement à perpétuité a toujours été assortie d'une période d'inadmissibilité de cinq ans à peu près, ce qui signifie que le meurtrier ne peut être libéré avant cinq ans. On ne remarque pas de différence notable dans le taux de criminalité des Pays-Bas.

Le sénateur Gigantès: Vous parlez du taux de crimes commis par des tueurs en série?

Mme Pate: Je parle du taux de criminalité général. J'ignore si l'on fait de telles distinctions dans les données.

Le sénateur Gigantès: C'est pourtant ce qui nous intéresse. La libération anticipée de criminels dangereux, par exemple de meurtriers, fait-elle augmenter le taux de récidive? Voilà une donnée statistique qui nous serait utile.

Mme Pate: Si la libération anticipée entraînait une hausse du taux de récidive, cela se saurait. Le fait que les données n'en fassent pas état séparément laisse croire que ce n'est pas un facteur. En fait, s'il y avait plus de récidivistes, le taux de criminalité l'aurait fait ressortir. On serait probablement en train de modifier la loi.

Le sénateur Gigantès: Si, en tant que journaliste, je m'étais présenté au sénateur Doyle, mon ancien patron, avec une telle hypothèse, il m'aurait renvoyé à mes devoirs.

La présidente: Il est très exigeant.

Le sénateur Gigantès: C'est exact. C'est tout un acte de foi que vous nous demandez de faire.

Mme Pate: Votre critique est valable. Nous n'avons pas de données statistiques à ce sujet. Vous avez soulevé une excellente question. J'y donnerai suite; j'essaierai de savoir si ces données existent.

Comme je l'ai dit, toutefois, la période d'inadmissibilité à une libération conditionnelle varie, en moyenne, de 10 à 15 ans. En Afrique du Sud, qui n'est pas, en règle générale, perçue comme un pays progressif, la période d'inadmissibilité est de 10 ans. Aux États-Unis, elle est de 15 ans, dans les États où il n'y a pas de peine de mort. Leurs données statistiques ne révèlent pas une progression de la criminalité causée par les tueurs en série. En fait, elle révèle une diminution.

Le sénateur Gigantès: En raison des longues périodes d'inadmissibilité?

Mme Pate: Non. On n'a jamais établi de lien direct.

Le sénateur Gigantès: Que disiez-vous au sujet de ces États, aux États-Unis?

Mme Pate: Aux États-Unis, certains États ne prévoient pas d'admissibilité à une libération conditionnelle pour les condamnés à la prison à perpétuité et certains autres appliquent la peine capitale.

Le sénateur Jessiman: Avez-vous des données statistiques au sujet de Singapour?

Mme Pate: Non, je n'en ai pas.

Le sénateur Gigantès: Je ne crois pas que l'exemple de l'Afrique du Sud soit pertinent, ici. Celui de certaines régions des États-Unis ne l'est pas, non plus, en raison des horribles problèmes raciaux qu'ils ont là-bas.

J'aime à croire que, si nous accordons une libération anticipée à des criminels, le taux de récidive baisse et que ces personnes ne représentent pas une menace pour la société ou pour elles-mêmes. Voilà ce que j'aimerais vérifier.

M. Saunders: Nous possédons certaines données statistiques sur le taux de succès obtenu dans le cadre des dispositions actuelles. Nous savons à quel point l'article 745 a été efficace au cours des 20 dernières années, en termes de personnes qui ont demandé et qui ont obtenu leur libération conditionnelle. Nous connaissons les effets des dispositions actuelles. Nous avons ces données.

La présidente: Nous aimerions obtenir des données statistiques remontant à 1987. La peine de mort a été abolie en 1976, et l'article 745 n'a pas été adopté avant 1987.

M. Saunders: Désolé; vous avez raison.

Mme Pate: En ce qui concerne ces données statistiques, nous savons qu'un délinquant a récidivé en commettant un vol à main armée. La libération conditionnelle de deux autres a été révoquée pour avoir, en droit strict, commis des quasi-délits.

La présidente: Nous avons ces données.

Le sénateur Lewis: Quelle est la situation en ce qui concerne les demandes présentées en vertu de l'actuel article 745? Il existe maintenant une procédure, n'est-ce pas?

Le sénateur Jessiman: Un jury est immédiatement saisi de la demande.

Le sénateur Lewis: Lorsque vous avez répondu à la question du sénateur Nolin, vous avez parlé du temps qu'absorberaient ces demandes et de leur coût. En quoi consiste la procédure actuelle? Ressemble-t-elle à ce qui est prévu dans le projet de loi?

Mme Pate: La modification projetée ajoute une autre étape au processus de décision relatif à l'admissibilité à une révision judiciaire. Actuellement, au bout de 15 ans, le détenu peut demander une révision judiciaire par un jury.

Le sénateur Lewis: Je m'interroge au sujet de la procédure actuelle. La demande est-elle présentée à un juge, tout comme ce qui est proposé ici?

Mme Pate: Cela reviendrait essentiellement au même. L'étape additionnelle consiste à d'abord présenter la demande à un juge. Si, d'après les renseignements fournis, le juge décide qu'un jury devrait être saisi de la question, c'est ce que l'on fera.

Le sénateur Nolin: La demande est donc directement soumise à un jury.

Le sénateur Jessiman: Avez-vous des données statistiques sur le nombre de demandes frivoles présentées à des jurys? Si un certain nombre d'entre elles l'étaient, cette étape, bien qu'elle s'ajoute à la procédure, fera certes épargner puisqu'elle éliminera le besoin d'en saisir immédiatement le jury.

Lorsque la décision est favorable, vous avez raison, il s'agira d'une étape supplémentaire. Cependant, lorsque la demande est frivole, cette étape supplémentaire fera économiser de l'argent et du temps.

Mme Pate: Elle peut en faire économiser comme elle peut ne pas le faire. Bien que 20 p. 100 des demandes étudiées par un jury aient été rejetées, elles n'étaient pas forcément frivoles.

Le sénateur Jessiman: Le juge peut aussi décider que, même si elle n'est pas frivole, la demande risque d'être rejetée.

Si seulement 20 p. 100 des demandes étaient rejetées auparavant, maintenant qu'un juge doit éliminer celles qui seront vraisemblablement rejetées, entre 90 et 95 p. 100 des demandes seront peut-être acceptées désormais.

La présidente: Nous avons informé le cabinet du Solliciteur général de certaines données statistiques que nous aimerions avoir. Ce n'est vraiment pas à ces témoins de vous fournir ce genre de renseignements. Si nous obtenons d'autres données, nous vous les ferons distribuer.

Le sénateur Lewis: Aux termes de la modification projetée, le juge rendrait sa décision en fonction de la documentation qui lui est fournie et des mêmes critères qu'un jury. Est-ce ainsi que cela se déroule aux termes de la loi actuelle?

Le sénateur Jessiman: Pour l'instant, le juge n'intervient pas.

Le sénateur Lewis: Le critère sur lequel se fonde le jury est-il le même?

La présidente: Oui.

Le sénateur Lewis: Comment procède-t-on habituellement? La procédure est peut-être différente d'une compétence à l'autre. La demande est-elle présentée au jury sous forme de documentation ou y a-t-il audience en bonne et due forme?

Mme Pate: Habituellement, il y a audience en bonne et due forme, y compris audition de témoins.

Le sénateur Lewis: L'audience est-elle publique?

Mme Pate: Oui, elle l'est.

Le sénateur Lewis: Les modifications projetées laissent entendre qu'en première instance, le juge rendra sa décision en fonction de la documentation qui lui est soumise par écrit. Les mêmes critères seront utilisés à la fois par le juge et par le jury. On pourrait facilement croire que le jury se prononcera en fonction du même document écrit. Aux termes du projet de loi, le juge en chef de chaque juridiction peut prendre des règles en ce sens, au besoin.

Cela aboutirait-il à une procédure différente de la procédure actuelle?

Mme Pate: Nous craignons que cela limite peut-être ce qui est soumis au juge. Souvent, une preuve est soumise de vive voix. L'audition de témoignages donne l'occasion au juge et au jury d'interroger le détenu, qui ne s'exprime peut-être pas assez bien pour plaider sa cause, et d'autres personnes qui travaillent dans le domaine et qui connaissent le détenu. Elles connaissent bien tout le dossier, allant de renseignements personnels sur le détenu à la question plus générale de la libération conditionnelle.

Le sénateur Lewis: Le projet de loi à l'étude ne semble pas prévoir de procédure à cet effet.

Mme Pate: Il prévoit la révision par un juge.

L'Association du Barreau canadien viendra-t-elle témoigner à cet égard?

Le sénateur Lewis: Oui.

Mme Pate: Les porte-parole aborderont probablement le sujet avec vous. Dans certaines juridictions, la mise en place de cette étape supplémentaire préoccupe. Je ne me prétends pas une autorité en la matière, mais je vous encourage à interroger les représentants de l'Association du Barreau canadien.

Nous prévoyons déjà des difficultés puisque, dans certaines compétences, il n'y a pratiquement pas eu de libération conditionnelle suite à des demandes présentées aux termes de l'article 745. Dans d'autres, par contre, le taux de libération a été relativement plus élevé, selon le juge auquel la demande était présentée.

Le sénateur Doyle: En réponse à des questions que nous avons posées au sujet du projet de loi à l'étude, on nous a fait beaucoup de déclarations qui débordaient du cadre du projet de loi. Ainsi, il a été question du principe de la libération conditionnelle: est-ce un bon principe et est-il bien appliqué? À l'occasion, des personnes comme le sénateur Gigantès nous rappellent à l'ordre en parlant de la gravité des crimes commis.

Selon vous, aurait-il été plus utile, actuellement, de faire un examen général du principe de la libération conditionnelle et de son application que d'examiner ce point particulier au sujet duquel on ne nous a pas prouvé qu'il existe des lacunes? Aurait-il fallu que nous nous penchions sur des questions d'ordre plus général que le problème des condamnés à la prison à perpétuité et de l'inquiétude semée dans la population par la gravité des crimes?

Mme Pate: Je suis d'accord avec vous que nous nous sommes éloignés du sujet en discutant de la pertinence des libérations conditionnelles. On n'a pas encore abordé carrément cette question, entre autres, mais j'aimerais le faire maintenant.

Ces débats sont inévitables. Ils obscurcissent la question parce que certaines des préoccupations soulevées ici se rapportent davantage aux dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ainsi qu'à d'autres projets de loi qui seront bientôt examinés. En fait, rien ne prouve que l'article 745 comme tel est inefficace ou qu'il n'offre pas la protection attendue du grand public ou des parlementaires.

Il en sera question dans le cadre de l'examen quinquennal de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition actuellement en cours. J'espère que certains débats qui ont suivi le dépôt des derniers projets de loi du ministre Rock donneront lieu à ce genre de discussions, qui s'imposent vraiment.

L'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry a pour principe qu'une grande partie du problème réside dans le fait que, dans notre système de libération conditionnelle, nous insistons de plus en plus sur la détention plutôt que sur la libération. Les niveaux de soutien et de supervision communautaires ont une influence directe sur le succès du programme et les problèmes qui en résultent, en termes de personnes libérées sous condition qui commettent des crimes ou de personnes libérées sans suffisamment de supervision. Selon nous, il est encore plus important de débattre de la libération de détenus sans supervision, après je ne sais combien d'années d'incarcération.

M. Saunders: Le projet de loi a servi d'amorce au débat souhaité au sujet de la libération conditionnelle. Malheureusement, ce débat nous a empêchés de voir si l'article avait bel et bien eu l'effet anticipé.

Nous croyons que c'est le cas. Il serait désolant de voir l'article abrogé simplement parce que l'on souhaite parler du principe des libérations conditionnelles. Il faut en débattre, mais ce n'est pas vraiment le moment de le faire.

Le sénateur Doyle: Dans la plupart des dossiers dont est saisi le comité, il a l'occasion d'échanger avec tous ceux qui pourraient être touchés par son travail. Ce n'est pas toujours le cas lorsqu'il est question de personnes qui ont perdu leurs droits en raison de leur comportement, bien que le comité ait, à l'occasion, visité la plupart des prisons du pays. Ma propre expérience dans ce domaine n'a pas assoupli mon attitude à l'égard des détenus, pas plus qu'elle ne l'a durcie. Cependant, je souhaite obtenir plus de renseignements que nous n'en avons actuellement.

Certains membres du comité ont peut-être regardé l'émission Newsworld, à CBC, hier soir, dans laquelle on a interrogé une vingtaine ou une trentaine de détenus de Warkworth condamnés à la prison à perpétuité au sujet du projet de loi et d'autres lois qui les affectent. J'ai appris quelque chose qui aurait peut-être été utile, ce matin, quand le sénateur Jessiman a parlé de se concentrer sur la réadaptation plutôt que sur l'incarcération.

D'après les détenus, les condamnés à la prison à perpétuité éprouvent des difficultés à s'inscrire à des programmes. Ils se font répondre qu'ils ont tout le temps voulu pour obtenir leur diplôme, que l'on préfère y inscrire des prisonniers qui ne sont là que pour deux, trois ou cinq ans.

L'intervieweur leur a demandé ce qui leur causait le plus de difficultés dans le système carcéral. La plupart d'entre eux avaient connu plusieurs prisons. Leur réponse ne concernait donc pas uniquement Warkworth, où ils se trouvent actuellement. Ils étaient tous d'accord que leur plus grande crainte était la peur -- peur des gardes, peur des autres détenus, peur de soi-même, peur du système carcéral et peur de nous, les législateurs. Comme l'a dit M. Roosevelt, il n'y a rien à craindre, si ce n'est la peur elle-même. Cela ne crée pas forcément un vide.

Je suis sûr que les autres membres du comité sont au courant qu'on peut obtenir de la bibliothèque une cassette de cette émission. Certaines parties de l'émission étaient simplement du divertissement, mais d'autres étaient fort instructives pour ceux qui veulent connaître le point de vue de ceux que nous n'entendrons pas, cette fois-ci.

La présidente: Sénateur Doyle, je n'ai pas vu cette émission, hier soir, et j'ignore combien de sénateurs en ont eu l'occasion. Nous avons laissé une journée libre, dans le cadre de cette discussion. Aimeriez-vous que nous organisions une séance de visionnement de l'émission?

Le sénateur Doyle: S'il y en avait une, moi-même, je regarderais à nouveau l'émission.

La présidente: Nous essayerons d'organiser une telle séance à l'intention des membres du comité. Je m'arrangerai pour qu'elle ait lieu une journée ordinaire de séance. De cette façon, il ne sera pas nécessaire de prendre des dispositions spéciales.

Je vous remercie beaucoup de cet exposé, ce matin. Il a été instructif.

Le sénateur Nolin: J'aimerais apporter une correction à ce qu'a dit le sénateur Gigantès. Il a parlé de passion et d'homicide commis sous le coup de la passion. Le Code criminel contient déjà une disposition relative à ce genre de crime qu'il ne qualifie pas de meurtre. Si la preuve est bien faite et la cause bien plaidée, le tribunal en tiendra compte et ne jugera pas la personne coupable de meurtre. La situation ne s'applique donc peut-être pas à ce qui fait l'objet de notre examen.

Le sénateur Gigantès: Je m'y oppose. Un meurtre est un meurtre.

Le sénateur Nolin: Je le sais, mais le Code criminel ne le considère pas comme tel, actuellement.

La présidente: J'aimerais, moi aussi, rétablir un fait. M. Saunders et moi-même avions tous deux raison jusqu'à un certain point, mais nous avions aussi tous deux tort. L'article 745 a été adopté en 1976, c'est vrai. Par contre, nul n'est devenu admissible à la libération conditionnelle avant 1987. Par conséquent, il n'existe pas de donnée statistique sur cette période.

Mme Pate: Étant donné le commentaire fait par le sénateur Doyle, je signale que le comité des condamnées à la prison à perpétuité du centre de détention des femmes a envoyé une lettre au comité permanent de la Chambre des communes. Il aimerait beaucoup fournir lui-même l'information, si cela vous intéresse. J'ignore si vous avez, vous aussi, reçu cette lettre.

La présidente: Nous ne l'avons pas reçue, mais nous irons aux renseignements.

Honorables sénateurs, la séance se déroulera maintenant à huis clos afin d'examiner le projet de loi S-3.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.


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