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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 5 - Témoignages


Ottawa, le mardi 4 juin 1996

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, à qui a été renvoyé le projet de loi C-12, Loi concernant l'assurance-emploi au Canada, se réunit aujourd'hui à 9 heures pour examiner la teneur du projet de loi.

Le sénateur Mabel M. Deware (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Bonjour, honorables sénateurs. J'invite notre premier témoin ce matin, Mme Alexa McDonough, à venir prendre place à la table.

Je vous en prie.

Mme Alexa McDonough, chef du Nouveau Parti démocratique du Canada: Honorables sénateurs, j'aimerais d'abord vous remercier de l'occasion qui m'est offerte de témoigner ce matin au sujet du projet de loi concernant l'assurance-chômage dont vous avez été saisis.

Je suis accompagnée de M. Chris Axworthy, critique du Nouveau Parti démocratique en matière d'assurance-chômage, et de Mme Judy Randall, coordonnatrice des politiques au sein de notre parti.

Nous vous avons fait parvenir un mémoire beaucoup plus long que celui que vous souhaitez nous voir exposer ce matin. Nous espérons que vous aurez l'occasion de l'examiner plus à fond. Cependant, j'aimerais d'abord faire quelques observations préliminaires, un bref résumé de notre position, après quoi je me ferai un plaisir de répondre aux questions des membres du comité.

Premièrement, nous voulons dire au comité que les Canadiens s'attendent à ce que leur gouvernement s'attaque au problème du manque d'emplois, et non aux personnes sans emploi. Pourtant, en dépit de ses promesses électorales, le gouvernement libéral est maintenant d'avis que le Canada doit avoir un taux de chômage élevé. Le ministre des Finances a confirmé qu'il a l'intention de faire en sorte que le taux de chômage ne tombe pas en deçà de 8 p. 100. Voici ce qu'il précisait dans une lettre qu'il a fait parvenir récemment au Congrès du travail du Canada:

...les réformes du gouvernement visent à faire en sorte que nous ne revivions jamais l'expérience de la fin des années 1980. À cette époque, la croissance économique du Canada était soutenue et la création d'emplois se faisait à un rythme rapide. Mais au moment où le taux de chômage est tombé en deçà de 8 p. 100... des pressions inflationnistes ont commencé à s'exercer sur les salaires.

Nos pires craintes ont été confirmées lorsque, la semaine dernière, le premier ministre lui-même a plus ou moins laissé entendre que les Canadiens feraient mieux de s'habituer à un taux de chômage de 8 p. 100 et que cette situation durera pendant longtemps. Je me souviens du dernier premier ministre qui a fait une déclaration semblable en pleine campagne électorale. Les Canadiens lui ont envoyé, à elle et à son parti, un message clair au sujet de cette approche adoptée par le gouvernement fédéral à l'égard du chômage chronique et d'un taux de chômage élevé.

Faire porter aux chômeurs le poids de la conjoncture économique est à la fois hypocrite et inéquitable. Si les propositions que nous étudions aujourd'hui sont adoptées, moins de 40 p. 100 des Canadiens seront admissibles aux prestations d'assurance-chômage lorsqu'ils seront sans emploi.

Près de 1,5 million de Canadiens sont actuellement au chômage et à la recherche d'un travail. Je sais qu'il n'est pas nécessaire de vous le rappeler. Il n'y a pas si longtemps, en 1990, 87 p. 100 de ces travailleurs auraient été admissibles à l'assurance-chômage. En janvier de cette année, seulement 46 p. 100 des chômeurs au Canada touchaient des prestations d'assurance-chômage.

La politique favorisant un taux de chômage élevé se traduit par une augmentation du nombre des assistés sociaux, des séjours prolongés dans les centres pour itinérants et un recours accru aux banques alimentaires dans tout le pays.

Lorsque nous disons que la faim, le nombre de sans-abri, la violence et la criminalité augmenteront par suite de l'adoption de ces mesures, si elles sont mises en oeuvre dans leur forme actuelle, les gens nous accusent de jouer les prophètes de malheur. Cependant, c'est exactement ce qui se produit lorsque de plus en plus de chômeurs ne sont admissibles qu'à des prestations insuffisantes, et ce, pour des périodes écourtées. Il y a tout lieu de craindre les répercussions d'une telle situation.

Pareilles compressions incitent également de nombreuses personnes à se retirer de la population active, et l'on constate déjà ce phénomène. Les données de Statistique Canada indiquent clairement que des compressions au chapitre de l'assurance-chômage et un taux élevé et constant de chômage se traduisent par une baisse d'activité au sein de la population active. Ces données sont statistiquement documentées tant pour les hommes que pour les femmes.

Les compressions font également en sorte que certaines personnes sont tellement désespérées qu'elles vont accepter n'importe quel emploi, peu importe qu'il soit peu rémunérateur ou que les conditions de travail soient dangereuses ou pas très bonnes. Personne ici n'est sans savoir que la tragédie de la mine de Westray, qui a coûté la vie à 26 mineurs dans le comté de Pictou il y a quatre ans, est en partie attribuable au fait que lorsque certains de ces mineurs se sont présentés au bureau de l'assurance-chômage pour connaître leur admissibilité aux prestations d'assurance-chômage, car il leur fallait nourrir leur famille, on leur a dit que par suite des changements récents -- et ce sont là des changements déjà en place pour restreindre encore davantage les conditions d'admissibilité à l'assurance-chômage, lesquels ne sont toutefois pas aussi restrictifs que ceux qui seront imposés une fois que les modifications à l'étude entreront en vigueur --, on considérerait qu'ils avaient volontairement quitté leur emploi. Par conséquent, ces mineurs n'étaient admissibles à aucune prestation pendant au moins huit, probablement douze semaines. Ils sont donc redescendus dans la mine. Ils ont fait exactement ce que la plupart des travailleurs feraient dans de telles conditions afin de nourrir leur famille et de s'assurer un revenu.

Le baratin du gouvernement s'appuie sur l'hostilité à l'égard des chômeurs et sur une tactique délibérée visant à créer encore plus d'hostilité à leur endroit. Ce n'est pas la première fois qu'une telle chose se produit dans l'histoire du Canada ou sur la scène parlementaire. Bryce Mackasey, ancien ministre libéral de l'Emploi et de l'Immigration, décrivait en juin 1980 ce qu'il considérait comme la rhétorique de l'abus.

Il a déclaré à la Chambre des communes à cette époque que chaque recul par rapport à la Loi sur l'assurance-chômage de 1971 avait été accompagné:

... d'une campagne bien orchestrée -- fondée sur les abus dont le régime aurait été accablé, qui avait permis de préparer et de conditionner les gens à accepter les modifications, alors qu'en réalité, l'objectif principal était de faire porter à d'autres le fardeau financier associé à ces responsabilités.

Ainsi donc, par le transfert de ce fardeau financier, le gouvernement a abandonné en grande partie ses propres mesures d'emploi. Puisqu'il ne vise plus à réduire le chômage, il peut utiliser le fonds d'assurance-chômage pour faire baisser le déficit.

De 1975 à 1990, les modifications apportées à l'assurance-chômage ont permis au gouvernement fédéral de transférer annuellement aux employeurs et aux employés un total cumulatif d'environ 10 milliards de dollars au chapitre des coûts des programmes. Les provinces ont également dû porter un fardeau plus lourd.

Cette fois-ci, le gouvernement fait porter à d'autres plus que le coût des prestations d'assurance-chômage, ou des programmes de formation et d'emploi, ou encore les coûts administratifs des ministères. Les cotisations d'assurance-chômage sont utilisées comme fonds de réserve pour éliminer le déficit. C'est ce que le dernier budget fédéral a clairement démontré.

À la fin du prochain exercice 1997-1998, le compte de l'assurance-chômage renfermera un excédent de 9,4 milliards de dollars. C'est de l'argent qui appartient en propre aux 13 millions de travailleurs qui cotisent à l'assurance-chômage et, plus précisément, aux 1 539 000 travailleurs qui sont actuellement au chômage et qui cherchent un emploi.

Le gouvernement fait également main basse sur le fonds d'assurance-chômage pour l'aider à financer les programmes d'aide sociale qu'il a réduits par suite de l'élimination du RAP, le Régime d'assistance publique, et la mise en oeuvre du transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux.

Entre-temps, ce même gouvernement accorde de nouveau une énorme exemption fiscale aux entreprises. Depuis janvier 1996, les cotisations d'assurance-chômage ont été réduites. Elles sont maintenant plus régressives par suite d'une diminution du maximum de la rémunération assurable. À vrai dire, le Canada a l'un des niveaux de charges sociales les plus bas du monde industrialisé, niveau qui est considérablement moins élevé qu'aux États-Unis. Et cela, sans compter le milliard de dollars ou presque de moins en recettes qui sont versées au fonds d'assurance-chômage, et un énorme allégement fiscal accordé sans condition aux entreprises.

La réforme de l'assurance-chômage devrait prévoir certaines orientations et s'appuyer sur des principes de base qui refléteraient la réalité du marché du travail actuel et futur et qui, parallèlement, seraient beaucoup plus équitables pour les chômeurs que les mesures que renferme ce projet de loi.

J'aimerais vous décrire brièvement un certain nombre de ces orientations et principes. J'ajouterais également que ces mesures de rechange seraient aussi beaucoup plus conformes à l'engagement qu'a pris le gouvernement à l'égard de l'unité nationale.

Premièrement, le gouvernement devrait établir et atteindre des objectifs de réduction du chômage tout en accroissant les niveaux d'emploi. Un gouvernement qui fixe et atteint ses objectifs de réduction du déficit devrait déployer des efforts et manifester un engagement semblable à l'égard de l'emploi et de la réduction du chômage.

Deuxièmement, le gouvernement devrait reconnaître la nécessité économique et politique d'établir un véritable partenariat avec les intervenants économiques afin de réduire les niveaux de chômage et d'arrêter des priorités sociales et économiques pour l'ensemble du pays.

Troisièmement, le gouvernement devrait élargir le débat au sujet de la réforme de l'assurance-chômage; en effet, il devrait cesser de se préoccuper exclusivement de réduire les coûts et examiner ce qui se passe véritablement dans le marché d'aujourd'hui, tenir compte notamment des changements au chapitre de la nature et de la répartition du travail, de l'incidence de la technologie sur les emplois et des répercussions de la situation démographique sur les besoins futurs du marché du travail.

Quatrièmement, de concert avec cette notion de partenariat économique, le gouvernement devrait établir un fonds parallèle contrôlé à distance par le patronat et les syndicats, pour les partenaires économiques, en collaboration avec les provinces, les territoires et les collectivités, afin de concevoir et d'appliquer ensemble la meilleure gamme possible de mesures d'intervention directe sur le marché du travail.

Je ne peux m'empêcher de préciser que, la semaine dernière, le premier ministre était dans l'Ouest à faire l'éloge de l'importance et de l'impact du Programme d'infrastructure municipale. Cela n'est donc rien de nouveau pour le gouvernement, bien qu'il ait décidé d'abandonner ce programme.

Cinquièmement, le gouvernement devrait cesser ses attaques contre les chômeurs. Au lieu de simplement donner de l'aide aux prestataires d'assurance-chômage, par exemple, le gouvernement devrait les appuyer dans leur recherche active d'emploi en obligeant les employeurs à inscrire les postes vacants auprès des Centres d'emploi du Canada, dans les banques d'information sur l'emploi et dans les services de placement. Je suis certaine que tous les membres du comité sont conscients des inquiétudes exprimées dans de nombreuses régions du pays.

J'aimerais vous parler de ma propre circonscription à Halifax, où le bureau du CEC dans une collectivité à faible revenu, qui compte la plus importante population noire de la Nouvelle-Écosse, est sur le point de fermer ses portes. La collectivité perçoit ce geste comme un abandon total, non seulement un abandon de la collectivité, mais de toute la notion de gouvernement capable de jouer un rôle actif en aidant les gens à se chercher un travail, en leur donnant une formation professionnelle et en leur proposant des emplois de rechange.

Appuyer des dispositions comme celles que je viens de décrire permettrait à ceux qui en ont le plus besoin d'avoir des renseignements sur les emplois disponibles, sur les endroits où se trouvent ces emplois, leur durée, les compétences exigées, les programmes de soutien qui sont offerts comme les soins aux enfants, la formation professionnelle et ainsi de suite. En outre, gråce à une telle mesure, il serait immédiatement moins difficile de jumeler les compétences des travailleurs aux besoins des employeurs et de s'assurer que la banque d'emplois du CEC est l'endroit où il faut s'adresser pour trouver un travail.

Sixièmement, on ne devrait accorder ni réduction des cotisations d'assurance-chômage ni réduction d'autres taxes aux entreprises rentables qui licencient du personnel ou à celles qui n'atteignent ni ne dépassent les normes nationales concernant le perfectionnement professionnel et les autres investissements dans le domaine des ressources humaines.

Septièmement, le gouvernement devrait publier une analyse détaillée de l'impact de ces amendements sur les chômeurs et accorder au moins 45 jours aux Canadiens pour qu'ils aient le temps d'examiner l'ensemble des mesures proposées.

Je crois qu'il est juste de dire, certainement d'après les conversations que j'ai eues avec les gens dans tout le pays au cours des derniers mois au sujet des modifications proposées à l'assurance-chômage, que les gens ne comprennent pas quel impact auront nombre des changements proposés, ce qui n'est pas étonnant, parce que ces changements sont vraiment compliqués. Ils sont vraiment tordus. Ils dépassent presque l'entendement de ceux et celles qui disposent de l'ensemble des données et des chiffres pertinents. Si on peut ici prétendre le contraire, peut-être peut-on alors commencer à expliquer aux gens quelle sera l'incidence véritable de ces changements. Le gouvernement n'a certainement pas réussi à le faire. Ainsi, non seulement les gens ont peur, mais ils sont extrêmement confus au sujet de l'impact véritable de ce projet de loi; il y a également un écart entre ce qu'ils connaissent de l'impact des mesures sur eux-mêmes, en se basant sur les renseignements disponibles, et les belles paroles du gouvernement au sujet des améliorations supposées qui résulteront de ces changements. L'écart est très grand et les renseignements diffèrent de la propre expérience des gens et de l'information qui leur est fournie.

Je vais m'arrêter ici. Je me ferai un plaisir de répondre aux questions des membres du comité.

La présidente: Dans l'un de vos premiers commentaires, vous avez dit que moins de 40 p. 100 des chômeurs pourront retirer des prestations d'assurance-chômage. Pouvez-vous m'expliquer cela plus clairement?

Mme McDonough: Il s'agit de 40 p. 100 des personnes qui sont sans travail. Il n'y a pas tellement longtemps, 87 p. 100 des Canadiens au chômage qui cotisaient à l'assurance-chômage étaient admissibles à des prestations, moyennant une certaine période d'attente, bien sûr. Lorsque les changements dont nous sommes saisis aujourd'hui entreront en vigueur, 40 p. 100 des Canadiens au chômage seront, de fait, admissibles à des prestations d'assurance-chômage, s'ils perdent leur emploi.

Si quelqu'un croit que j'exagère, que je suis prophète de malheur ou hystérique, il est important de savoir qu'en Ontario, par exemple, seulement 33 p. 100 des personnes qui sont au chômage sont admissibles à l'assurance-chômage.

Le sénateur Phillips: Avant de m'adresser à notre témoin, je tiens à vous signaler que M. Bob White a fait état de ce chiffre de 40 p. 100 hier soir, tout comme le professeur Shillington, qui a effectué la recherche pour le Conseil sur le développement social, ou quelque chose du genre.

Je tiens à souhaiter la bienvenue aux témoins d'aujourd'hui. Mme McDonough devrait réaliser qu'autour de la table, tous les membres du comité, sauf un, viennent de l'Atlantique, et je suis sûr qu'il voudrait lui aussi faire partie de notre groupe.

J'ai parcouru la plupart des témoignages qui ont été présentés au comité de l'autre endroit. Malheureusement, je n'ai pas trouvé le vôtre. J'aimerais vous demander ce que vous pensez des changements qui ont été apportés par le comité de l'autre endroit.

Mme McDonough: Lorsque vous dites que vous n'avez pas trouvé notre témoignage, cela m'inquiète. Est-ce parce qu'il n'était pas disponible au moment où vous l'avez demandé ou est-ce que vous vous interrogez à savoir si nous avons présenté un mémoire au comité des ressources humaines de la Chambre des communes?

Le sénateur Phillips: En tant qu'ancien membre de l'autre endroit, je suis certain que vous en avez présenté un.

Mme McDonough: Je profite de l'occasion de clarifier ceci, je ne veux pas remuer le couteau dans la plaie. J'ai présenté un mémoire et j'ai demandé de comparaître devant le comité des ressources humaines. On ne m'a pas donné cette possibilité, ce qui équivaut à un refus poli de la part du comité. Nous sommes doublement reconnaissants au comité du Sénat de nous entendre aujourd'hui. Je me ferai un plaisir de vous remettre un exemplaire de ce mémoire également.

Le mémoire que nous avons présenté aujourd'hui a été mis à jour et renferme certaines données supplémentaires, mais en substance, c'est le même, car, vous le comprendrez, notre analyse n'a pas changé de façon radicale durant le dernier mois à la lumière de toute donnée nouvelle.

Vous avez dit que la plupart des membres du comité viennent de la région de l'Atlantique. Le projet de loi aura un impact immense sur les Canadiens de l'Atlantique, en tant qu'individus et que collectivité, ainsi que sur l'ensemble de l'économie de la région, et je suis certaine que vous tous ici comprenez très bien qu'il en sera ainsi.

Cependant, il est extrêmement important que nous, qui comprenons quelles seront les répercussions négatives du projet de loi sur la région de l'Atlantique, nous assurions que le gouvernement comprenne -- et il ne semble pas comprendre ou il ne semble pas vouloir comprendre -- que les changements proposés auront des répercussions négatives énormes. On peut prouver statistiquement qu'un plus grand nombre de chômeurs au centre-ville de Montréal, dans les régions rurales de la Saskatchewan, dans le nord de la Colombie-Britannique ou au Manitoba, subiront des répercussions négatives plus grandes que tous les travailleurs de la région de l'Atlantique. L'impact sur la région de l'Atlantique sera disproportionné parce que les économies ne sont pas aussi diversifiées. Mais, numériquement, en ce qui concerne les souffrances véritables que devront endurer les personnes qui seront touchées de façon négative par ces changements, nous ne devrions pas permettre au gouvernement du Canada de se tirer d'affaire en faisant croire ce que je l'ai entendu dire délibérément, à savoir qu'il s'agit simplement d'un problème qui touche la région de l'Atlantique et que le reste du pays ne devrait pas trop s'inquiéter. Si vous analysez toute la rhétorique qui entoure cela, vous comprendrez que l'intention du gouvernement est de renforcer la notion voulant que les gens de la région de l'Atlantique sont des assistés sociaux chroniques de toute façon et que nous devrions comprendre qu'il s'agit là d'une mesure pour nous donner un coup de pied au derrière et nous ramener sur le marché du travail.

C'est là un élément très grave de la division que ces changements occasionnent et de celle qu'ils occasionneront à l'avenir au sein d'un pays dont les habitants sont déjà tellement tendus et divisés.

Le sénateur Phillips: Je suis d'accord avec vous sur bien des points, madame McDonough, mais croyez-vous que les amendements proposés par le comité de l'autre endroit ont atteint les objectifs visés? Je pense ici à l'écart, aux diviseurs, à tous ces facteurs qui m'ont été expliqués. Je n'ai pas à vous les donner tous les cinq. Je pense que vous les connaissez. Croyez-vous que les amendements ont atteint les objectifs visés?

Mme McDonough: Non, nous ne croyons pas que les objectifs aient été atteints. C'est la raison pour laquelle nous nous opposons encore aussi farouchement au projet de loi. Il ne fait aucun doute que certains des amendements apportent des améliorations mineures, ce serait malhonnête de ma part de dire le contraire. Mais ma crainte au sujet de ces amendements, et bien sûr au sujet du projet de loi, a été renforcée après avoir assisté à certaines audiences du comité. Le gouvernement se leurre et tente d'amener les Canadiens à croire que les répercussions les plus négatives de ce projet de loi ont été atténuées par les amendements. Ce n'est pas vrai.

Je m'inquiète de voir que les améliorations mineures qui ont été apportées peuvent créer une espèce de respectabilité et rendre les dispositions acceptables, ce qui n'est absolument pas justifié. À vrai dire, les amendements ne sont pas suffisants pour atténuer l'impact véritable du projet de loi, à savoir que beaucoup de Canadiens au chômage -- et contre leur gré -- auront droit à des prestations réduites, pendant moins longtemps, et qu'un grand nombre de travailleurs qui sont maintenant admissibles et dont les critères d'admissibilité ne différeront pas de ce qu'ils sont actuellement, n'auront droit à aucune prestation.

Le sénateur Phillips: Ma question suivante porte sur ce que vous avez appelé l'hostilité. Je n'irais pas jusqu'à parler d'«hostilité», je pense que c'est un manque de compréhension de la part des fonctionnaires qui ont rédigé le projet de loi.

Je suis sur la colline depuis un certain temps. J'ai remarqué que, peu importe le parti politique, le ministre devient captif des fonctionnaires après un certain temps. On critique les gens des Maritimes parce qu'ils ne travaillent que tant de semaines dans une usine de poisson. Je ne crois pas que les fonctionnaires ou les autres Canadiens comprennent que cette usine ne fonctionne que pendant un certain nombre de semaines -- nombre qui est établi par le gouvernement, soit dit en passant. Si ces personnes n'étaient pas disposées à travailler pendant ces quelques semaines, l'usine ne pourrait pas fonctionner. L'industrie de la pêche serait encore en bien plus piètre état qu'elle ne l'est actuellement.

Il est tout à fait injuste de dire à ces gens: «Nous allons vous recycler, ou vous devez suivre un cours de formation», et ainsi de suite. Et si ces gens quittaient -- peu importe que ce soit des gens de Miminegash, à l'Île-du-Prince-Édouard, des travailleurs d'un port de Terre-Neuve ou de Bathurst au Nouveau-Brunswick --, il n'y aurait plus personne pour exploiter ces usines de poisson. L'industrie de la pêche s'effondrerait. Je pense que le projet de loi et toute la propagande qui l'entoure ne tiennent absolument pas compte de ce fait.

Avez-vous effectué des recherches sur ce qui se produirait si ces gens étaient retirés des usines? Qu'adviendrait-il de l'industrie de la pêche?

Mme McDonough: D'abord, sénateur, je souscris entièrement à votre analyse quand vous dites à quel point il est absurde de ne pas comprendre le caractère saisonnier de nos industries axées sur les ressources, de ne pas comprendre la nature des emplois structurels et, qui plus est, de donner l'impression que tout le problème est imputable à un groupe de paresseux qui ne sont pas disposés à aller là où les emplois se trouvent. L'assurance-chômage existe non seulement pour assurer aux travailleurs un revenu pendant des périodes de chômage, qu'ils subissent contre leur gré, mais également pour le bénéfice de l'industrie.

Si le gouvernement voulait véritablement régler le problème des abus du régime d'assurance-chômage, il reconnaîtrait que s'il y a abus, il provient à tout le moins autant, sinon plus, des employeurs. Nous comprenons enfin que le caractère saisonnier de nombreux emplois au Canada est tel qu'il faut prévoir comment les gens subviendront aux besoins de leur famille lorsqu'ils n'ont pas de chèque de paye. Avec tout le respect que je vous dois, sénateur, je refuse de croire que le gouvernement libéral ne sait pas ce qu'il fait parce que les bureaucrates contrôlent tout. À ma connaissance, ce n'est pas un haut fonctionnaire qui a qualifié les travailleurs saisonniers de la région de l'Atlantique d'«agitateurs» et d'«éléments subversifs» parce qu'ils s'opposaient fortement à ces mesures, sachant très bien quel impact elles auraient sur eux, leurs familles et leurs collectivités. C'est le ministre du Développement des ressources humaines qui a utilisé ces termes, et son ignorance n'est absolument pas excusable puisqu'il vient de cette région.

La responsabilité doit être imputée carrément à ceux à qui elle incombe. Le gouvernement fédéral a choisi d'utiliser comme boucs émissaires un très grand nombre de chômeurs parce qu'il a été incapable de faire de l'emploi une priorité absolue, ce pourquoi, après tout, il a été élu. Les souffrances que devront endurer de nombreux chômeurs à la suite de l'adoption de ce projet de loi seront énormes.

Le ministre Young sait parfaitement bien que 4 milliards de dollars ont déjà été retirés du régime d'assurance-chômage en 1994. Aujourd'hui, avec 2 milliards de dollars de plus que l'on retire -- soit un total de 6 milliards de dollars au cours de quelques années -- il n'est absolument pas possible, à moins de duper la population canadienne, et surtout les chômeurs, de prétendre que le projet de loi vise à améliorer le régime d'assurance-chômage et à créer de meilleures conditions pour les chômeurs, qui ne sont quand même pas responsables de la situation dans laquelle ils se trouvent.

Le sénateur Phillips: Madame la présidente, en toute déférence pour le témoin, il y a d'autres personnes qui attendent pour poser des questions. Les miennes seront brèves, peut-être pourrions-nous avoir des réponses brèves?

Mme McDonough: Sénateur, nous avons le même problème, vous et moi.

Le sénateur Phillips: C'est parce que nous venons des Maritimes.

Je suis gêné de voir que le perfectionnement professionnel n'est offert qu'à ceux qui retirent des prestations d'assurance-chômage. Ce qui me fait de la peine, c'est de voir la personne qui a quitté l'école secondaire, accepté un emploi de pompiste et qui ne peut pas aujourd'hui se recycler parce qu'elle travaille. Croyez-vous que cela soit juste?

Mme McDonough: C'est un problème grave. Le gouvernement prétend, dans le projet de loi, proposer des mesures d'intervention directe sur le marché du travail alors qu'en réalité, il réduit les crédits affectés à la formation qui est offerte actuellement. Vous avez tout à fait raison, il y a beaucoup de gens qui accéderont plus difficilement encore à des programmes de formation dans le cadre du nouveau régime, par rapport à ce qui existe actuellement, s'il se trouve qu'ils ne satisfont pas aux critères plus restreints d'admissibilité que le gouvernement est à mettre en place.

M. Chris Axworthy, député, Nouveau Parti démocratique: Si nous ne formons pas davantage notre population active, nous n'irons pas tellement loin. Dresser des barrières artificielles entre les gens qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas afin d'établir qui est admissible à des programmes de formation n'est pas une approche très humaine. Si les chômeurs sont les seuls à avoir droit aux programmes de formation, on ne fera peut-être que les stigmatiser. Tous les Canadiens devraient avoir la possibilité de suivre une formation, d'améliorer leurs possibilités, non seulement pour eux et leurs familles, mais également pour contribuer à la vie économique en général.

Le sénateur Rompkey: J'ai bien aimé la description qu'a faite le sénateur Phillips de Doug Young quand il a dit qu'il était «captif». J'ai beaucoup de difficulté à le voir ainsi. Cela pourrait être le cas de certaines personnes, mais Doug Young n'est pas de celles-là.

Le sénateur Phillips: Je ne faisais qu'essayer de l'aider.

Le sénateur Rompkey: Je comprends, sénateur.

Le témoin a parlé du gouvernement libéral, mais pas en termes très flatteurs. Au début de son exposé, elle a parlé du Livre rouge et elle a dit que les libéraux avaient quelque peu dévié de leur chemin. Dans le Livre rouge, le parti promet de restructurer les programmes d'aide sociale pour aider les assistés sociaux aptes au travail à cesser de dépendre de l'aide sociale, à devenir des membres à part entière de la population active et à participer pleinement à la vie économique et sociale du pays.

Il me semble que cette idée de passer de la dépendance à l'autonomie est importante. Il ne fait aucun doute que le système actuel a créé une certaine dépendance, cela, c'est très clair. Les gens dépendent de ce revenu. Je réalise que les emplois de remplacement posent un problème, mais il ne fait aucun doute que c'est le secteur privé qui peut créer ces emplois. Il me semble que les mesures budgétaires qu'a adoptées le gouvernement vont en ce sens.

Durant les 23 ans que j'ai passés à la Chambre des communes, je n'ai jamais vu de budget aussi populaire que celui de Paul Martin. Nous avons remonté de cinq points de pourcentage dans les sondages après le budget.

Est-ce que vous êtes en train de dire que les Canadiens sont trop stupides pour comprendre ce que Paul Martin disait dans ce budget et qu'il s'est engagé sur la mauvaise voie? Manifestement, la majorité des Canadiens l'ont appuyé, tout comme la majorité des Canadiens appuient ce projet de loi. Cinquante-quatre pour cent des Canadiens de l'Atlantique appuient le projet de loi, tout comme 72 p. 100 dans tout le pays.

Est-ce que le témoin est en train de dire que les Canadiens sont trop stupides pour comprendre ce qui se passe ici? J'ai été élu sept fois et j'ai beaucoup de respect pour l'intelligence des électeurs. Je ne crois pas qu'ils soient trop stupides pour comprendre ce qui se passe. Je crois qu'ils comprennent tout à fait. Ils comprennent que ce projet de loi donne des possibilités aux gens, qu'il permet à plus de gens de jouir de la protection du filet de sécurité sociale. Plutôt que d'éloigner les gens de la population active, comme le témoin l'a laissé entendre, je dirais qu'on accorde la protection du filet de sécurité sociale à plus de personnes.

Trois cent cinquante mille prestataires et familles à faible revenu vont maintenant toucher un supplément. Cinq cent mille personnes de plus verront leur travail assuré. Les gens qui travaillent moins de quinze heures par semaine seront maintenant assurés. Les employeurs, tant du secteur privé que du secteur public, ne pourront plus engager des gens pendant de courtes périodes, les renvoyer et les obliger à demander de l'assurance-chômage. Les gens devront maintenant être assurés dès la première heure de travail. À mon avis, je crois que ce faisant, on attire davantage de gens au sein de la population active qu'on en repousse.

C'est la première fois que j'entends quelqu'un imputer le blåme de l'accident de Westray au régime d'assurance-chômage. Je n'entrerai pas dans les détails parce que c'est une question trop sérieuse pour être traitée à la légère. Cependant, je ne crois pas qu'il fasse honneur au Nouveau Parti démocratique de laisser entendre que le système d'assurance-chômage doit être blåmé pour ce qui s'est produit à la mine Westray.

Bien sûr, l'objectif du gouvernement est toujours de réduire le chômage et on y est parvenu en partie gråce à la réduction des cotisations. Nous avons tous voulu croire pendant des années que le gouvernement peut créer des emplois à long terme. Je crois qu'il a été prouvé qu'il n'en est rien et que ces emplois sont créés par le secteur privé.

En ce qui concerne la fermeture des centres d'emploi, je suis surpris de voir que dans la région de Mme McDonough, en Nouvelle-Écosse, on ferme des centres et qu'elle estime qu'aucun effort n'est déployé au niveau local pour aider les gens. D'après mon expérience, c'est le contraire qui se produit.

Comme je l'ai dit hier soir, l'un des facteurs dont il faut tenir compte dans tous ces changements, c'est le transfert du pouvoir décisionnel à des instances de niveau inférieur. Les bureaucrates ont maintenant beaucoup plus de pouvoir pour décider «qui a droit» et «qui n'a pas droit» aux prestations et «qui obtient de l'aide» ou «n'en obtient pas», et ce, beaucoup plus qu'avant. Au Labrador, par exemple, on a constitué une région administrative, ce qui ne s'était jamais vu. Les gens qui travaillent dans cette région ne travaillent pas dans le vide, mais en partenariat avec d'autres intervenants de la collectivité. Ils ont beaucoup plus de pouvoirs qu'ils n'en avaient avant.

Pour moi, il s'agit là d'une mesure positive et non le contraire. Les décisions ne sont plus prises à Ottawa et à St. John's. Elles sont maintenant prises sur place, au Labrador. Pour moi, c'est une bonne chose. Je constate qu'on ouvre des bureaux et non pas qu'on en ferme.

Mme McDonough: Je suis un peu perdue. Je ne suis pas certaine si vous avez posé dix questions ou amené dix points pour la discussion. Si j'essaie de répondre à toutes les questions, je vais certainement me faire gronder par les chronométreurs.

Le sénateur a absolument raison de dire que plus de gens seront assurables. Un plus grand nombre de gens vont cotiser, mais beaucoup moins vont obtenir des prestations. Ça, c'est tout à fait clair.

Le sénateur Rompkey: En avez-vous la preuve? Pouvez-vous me donner des preuves à cet effet?

Mme McDonough: Oui, tous les éléments d'information qui ont été publiés vont en ce sens.

Le sénateur Rompkey: Le MDRH n'a pas ces renseignements.

Mme McDonough: Pensez-y une minute. Si l'on retire 2 milliards de dollars du système et qu'on augmente le nombre de personnes admissibles, ça revient pas mal à dire que votre situation serait meilleure si je vous prenais dix dollars et que je vous en redonnais deux.

Le sénateur Rompkey: Tout à fait, si les 10 $ sont utilisés à des fins positives. Plus d'un milliard de dollars sont remis dans le système.

Mme McDonough: Faites les calculs, sénateur. Cela ne vous aide pas à payer votre loyer à la fin du mois si vous savez que d'autres locataires profitent de votre loyer mais que vous devez quand même en payer la totalité du coût.

On ne peut pas permettre que cette supercherie soit imposée aux gens. Le fait est que beaucoup de personnes vont être admissibles pendant des périodes plus courtes et qu'elles vont avoir droit à des prestations réduites. Beaucoup de personnes qui sont aujourd'hui admissibles ne le seront pas du tout.

Deuxièmement, si vous permettez que je reprenne vos observations au sujet de la mine Westray, croyez-moi, il serait tout à fait injuste et malhonnête de dire que le désastre de Westray a été causé par l'assurance-chômage. J'en ai parlé parce que la question a été abordée dans les témoignages qui ont été entendus à l'enquête.

Permettez-moi de vous dire que dans le cadre des déplacements que j'ai effectués par tout le pays au cours des douze derniers mois, des travailleurs m'ont dit qu'ils avaient de plus en plus de craintes au sujet de la sécurité et de la salubrité de leurs milieux de travail, conditions qu'ils doivent endurer précisément parce qu'on menace de leur enlever l'assurance-chômage et que le filet de sécurité sociale n'est plus ce qu'il était. C'est ce qui se passe vraiment dans les milieux de travail, c'est là la réalité avec laquelle on est vraiment aux prises au jour le jour.

La présidente: Madame McDonough, à ce sujet précis, qu'est-ce qui est advenu des commissions de santé et de sécurité du travail dans les provinces canadiennes? C'est à elles qu'incombe la responsabilité de s'assurer que le lieu de travail est sûr. Cela n'a rien à voir avec l'assurance-chômage. Je ne veux pas défendre l'assurance-chômage, mais c'est la responsabilité de ces commissions.

Le sénateur Murray: Il existe une liste longue comme le bras, et je pense que vous la connaissez, madame McDonough, de facteurs que peut invoquer une personne pour quitter volontairement son emploi et demander de l'assurance-chômage. On peut invoquer bien des raisons pour justifier un abandon d'emploi volontaire. Je pense que la sécurité en est une, même si je n'ai pas la liste sous les yeux.

Mme McDonough: Où que vous alliez au Canada, les gens craignent l'insécurité de plus en plus grande qui se manifeste dans leur milieu de travail. C'est ce qui ne marche pas dans le plan du gouvernement. On n'aborde pas le problème du caractère changeant du travail, ni la réalité du marché du travail.

Fondamentalement, le gouvernement prétend être incapable d'exercer beaucoup d'influence sur les niveaux de chômage. Il prétend ne pas pouvoir faire grand-chose au sujet de la répartition du travail. C'est insensé. Le gouvernement pourrait agir de façon beaucoup plus proactive à cet égard, à l'instar de nombreux autres pays industrialisés; de telles mesures n'auraient pas les répercussions négatives que les changements à l'étude auront sur les particuliers mais, en réalité, elles créeraient beaucoup plus d'emplois.

Le gouvernement ne fait rien de la sorte. Il exerce de plus en plus de pressions sur les gens pour qu'ils travaillent dans des conditions peu sûres, insalubres, sans recours possibles ni solutions de rechange. C'est ça la réalité dans le monde du travail. Et ce projet de loi empire les choses, il ne les améliore pas.

Le sénateur Murray: Premièrement, pour revenir à mon commentaire antérieur, la loi actuelle prévoit des motifs raisonnables de quitter volontairement son emploi. Il en sera de même dans le projet de loi C-12. Le motif raisonnable existe pour les raisons qui sont données dans la liste appropriée qui, comme je l'ai dit, est assez longue, à commencer par le harcèlement sexuel ou autre. Il y est également question de conditions de travail qui constituent un danger pour la santé ou la sécurité.

Si vous invoquez l'une ou l'autre de ces raisons comme motif vous ayant incité à quitter volontairement votre emploi, vous serez toujours admissible à l'assurance-chômage. Les gens ne le savaient peut-être pas et ne le savent peut-être pas encore, mais la loi renferme de telles dispositions qui seront reprises dans la nouvelle loi.

Madame McDonough, je crains n'avoir pas beaucoup de temps. Il y a tellement de choses dont j'aimerais discuter avec vous en tant que chef d'un parti national. J'aimerais seulement que vous me fassiez part de votre commentaire, si vous avez arrêté votre position à ce sujet, sur l'annonce faite par M. Young l'autre jour au sujet du transfert de la formation professionnelle aux provinces. Ce n'est plus rien de neuf; les choses vont se faire sur une période de trois ans, de même, on confiera aux provinces le contrôle d'une bonne part des éléments de la partie II du projet de loi, ce qu'on appelle les prestations d'emploi, les subventions salariales et l'infrastructure, et tout le reste.

J'aimerais savoir ce que vous avez à dire à ce sujet, en étant bien consciente qu'en ce qui concerne la formation professionnelle, il existe un véritable consensus au Québec impliquant le gouvernement, le patronat, les gestionnaires, les fédéralistes, les séparatistes. Tout le monde est d'accord pour dire que la chose à faire, c'est de confier la formation professionnelle aux provinces.

Avant que vous ne répondiez, à propos d'une autre chose, j'aimerais dire quelques mots au sujet de certaines études que le ministère du Développement des ressources humaines a publiées l'automne dernier. J'en ai parlé hier. Dans le dialogue entre madame McDonough et le sénateur Phillips il y a quelques minutes, certaines de ces questions ont été soulevées.

Je ne vais pas en citer de longs extraits, mes ces deux études ont été préparées par des professeurs de l'Université du Québec à Montréal. L'une s'intitule «L'assurance-chômage et la productivité d'une recherche d'emploi», l'autre, «L'impact du chômage sur les salaires, l'intensité de la recherche d'emploi et la probabilité de réemploi».

Ces études semblent réfuter la notion voulant qu'il existe des modèles sérieux de comportement que nous devons ou pourrions changer à l'aide d'une mesure législative comme le projet de loi C-12.

La première étude, publiée en août dernier:

...aborde l'une des critiques les plus souvent formulées à l'endroit du régime d'assurance-chômage, à savoir que le fait de pouvoir toucher des prestations d'assurance-chômage nuit à l'intensité de la recherche d'emploi chez les chômeurs et, par conséquent, fait hausser le taux de chômage. Selon cette façon de voir, les prestations d'assurance-chômage sont un élément du problème et non un élément de solution...

Les auteurs de l'étude ont constaté que les prestations d'assurance-chômage avaient un effet relativement peu marqué sur l'intensité de la recherche d'emploi... Cependant, il semble que les personnes qui sont au chômage depuis plus de douze mois se découragent et consacrent moins d'efforts à la recherche d'un emploi. C'est donc dire qu'un programme visant précisément à aider les chômeurs chroniques dans leur recherche d'emploi serait tout à fait souhaitable.

L'autre étude, qui porte dans une certaine mesure sur la question des industries saisonnières, dit ceci:

Notre analyse de l'intensité de la recherche d'emploi montre que l'assurance-chômage n'a aucun effet direct sur cette question, bien qu'elle puisse avoir eu une incidence indirecte en subventionnant des industries saisonnières.

Ensuite, les auteurs soulèvent la question que vous avez tous les deux mentionnée:

Le caractère saisonnier de l'emploi qui est perdu est l'un des facteurs déterminants de l'intensité de la recherche d'emploi. Sans l'assurance-chômage qui est financée à même le compte d'assurance-chômage, les coûts dans les industries saisonnières augmenteraient par suite d'un accroissement des cotisations d'assurance-chômage à un fonds distinct ou d'une augmentation des salaires pour indemniser les travailleurs de l'absence de revenus durant la saison morte. L'industrie perdrait de la vigueur, et le nombre de travailleurs employés dans les industries saisonnières et retirant de l'assurance- chômage durant la saison morte diminuerait.

Je ne sais pas si c'est ce que le gouvernement a en tête, j'espère que non.

L'assurance-chômage a moins d'incidence sur la probabilité de réemploi des travailleurs que ce qu'ont laissé entendre des études antérieures... il se peut que les études dans lesquelles on a constaté que l'assurance-chômage retardait de beaucoup le retour au travail accordaient en réalité à ce facteur des répercussions attribuables à d'autres caractéristiques du chômage qui n'ont pas été vérifiées à cause d'un manque de données.

Là encore, on parle d'emplois saisonniers.

Un examen de l'effet de l'assurance-chômage sur le recours actuel à l'assurance-chômage montre qu'un recours chronique à cette forme de sécurité disparaît grandement une fois que les facteurs individuels sont vérifiés. Plus particulièrement, le caractère saisonnier de l'emploi perdu est un facteur fort déterminant en ce qui concerne le recours futur à l'assurance-chômage, si on y a recouru antérieurement.

À mon avis, il n'y a pas ici de problème de comportement qui doive être réglé ou qui peut être réglé par le projet de loi. Là encore, je crois que ces études -- qui ne sont pas concluantes, et je suis certain que M. Young en a d'autres -- indiquent que l'assurance-chômage n'est pas le problème auquel nous faisons face dans le contexte de notre discussion aujourd'hui.

Je suis désolé d'avoir pris tant de temps. J'ai parlé de ces études à plusieurs reprises hier. Je voulais qu'elles soient consignées au compte rendu. Cela dit, madame McDonough, j'aimerais savoir ce que vous pensez du transfert aux provinces des responsabilités prévues à la partie II du projet de loi ainsi que du transfert de la formation professionnelle aux provinces également.

Mme McDonough: En citant ces études, vous nous avez aidé encore plus à étayer la position que nous défendons devant vous aujourd'hui au sujet du projet de loi. Il est ridicule de croire que nous devons corriger un problème de comportement -- en d'autres mots, trouver une façon d'accroître l'intensité de recherche d'emploi des gens en les jetant dans la misère, en les faisant souffrir et en croyant que c'est ainsi qu'ils vont trouver un emploi. Pourtant, c'est exactement ce que le gouvernement a décidé de faire. Il donne cette impression et veut faire croire que c'est cela qui se produira. Il déploie beaucoup d'efforts pour créer une telle impression, mais il n'obtiendra pas le résultat escompté et, chemin faisant, de nombreuses personnes vont souffrir.

Nous ne semblons pas avoir tellement de succès à convaincre Doug Young que ce projet de loi est tout à fait erroné et mal conçu. J'aimerais croire, honorables sénateurs, que vous pourriez avoir un peu plus de succès à persuader vos collègues que tel est le cas. Si nous pouvions conclure une alliance indue à ce sujet, nous serions tous d'accord. C'est la raison pour laquelle nous sommes ici.

En ce qui concerne votre question au sujet du transfert des responsabilités, sénateur, ma réaction est celle de nombreux premiers ministres, à savoir que le gouvernement fédéral s'est bien mal acquitté de sa tåche au chapitre de la formation professionnelle et qu'il n'a absolument pas réussi à établir le genre de partenariat qui doit exister entre le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux, le patronat et les syndicats. Les municipalités doivent aussi être dans le coup. C'est à ce niveau que l'on s'arrête pour régler nombre de ces problèmes. Le gouvernement fédéral a tellement fait un mauvais travail que beaucoup de premiers ministres estiment pouvoir faire mieux à la condition que le gouvernement fédéral leur donne les outils nécessaires. C'est ce que pensent certains premiers ministres, d'autres sont plus sceptiques. Tous, je crois, se demandent si on leur donnera les outils voulus. Ils doivent avoir les ressources nécessaires pour faire le travail. Le gouvernement fédéral n'a pas encore répondu à cette question. À vrai dire, on s'inquiète beaucoup.

Compte tenu de la tendance que l'on observe dans tous les autres domaines où le gouvernement fédéral s'est déchargé de ses responsabilités, les provinces craignent, et avec raison, qu'il ne s'agisse pas d'un transfert de pouvoirs permettant l'application d'un meilleur programme, mais que le gouvernement fédéral se décharge de ses responsabilités, de toute véritable responsabilité financière, et que les gouvernements provinciaux aient à se débattre avec tout cela; dans certains cas, ils devront s'engager à faire un bon travail sans avoir les ressources nécessaires. C'est une affaire à suivre.

De toute façon, c'est là une notion pathétique du type de leadership que l'on devrait attendre du gouvernement fédéral. Le gouvernement fédéral doit reconnaître que le leadership doit s'exercer au niveau national, que c'est de là que doit partir l'attaque contre le problème numéro un, qui est le manque d'emplois. C'est le problème numéro un, comment se fait-il qu'on ne lui accorde pas la priorité absolue? Il est impensable que les gouvernements provinciaux puissent adopter, avec succès, les bonnes mesures dans le domaine de la formation si on n'a pas le leadership du gouvernement fédéral pour assurer des emplois aux gens une fois leur formation terminée. Pourtant, nous avons vu le premier ministre et le ministre des Finances jeter l'éponge, tandis que le ministre du Développement des ressources humaines veut nous faire croire qu'en remodelant l'assurance-chômage, au lieu de régler le problème du chômage, on va améliorer la situation de l'emploi et de la formation.

Le sénateur Losier-Cool: Madame McDonough, je viens moi aussi de la région de l'Atlantique, mais j'ai été formée par mes élèves à poser des questions courtes et directes.

Je trouve consternante la liste de termes négatifs que j'ai entendus pour décrire le projet de loi. J'ai entendu dire que le projet de loi est absurde, que les bureaucrates ne savent pas ce qu'ils font, que le projet de loi crée de la misère et des souffrances. J'ai entendu les termes «mal conçu» et «travail pourri». Est-ce que votre parti décèle des éléments positifs dans ce projet de loi? Croyez-vous qu'il reconnaît la valeur du travail?

Mme McDonough: À mon avis, ce projet de loi n'a rien à voir avec la reconnaissance de la valeur du travail. Il constitue un diagnostic erroné sur la nature du chômage et sur la nature humaine. Il perpétue une fausse perception, à savoir que les problèmes d'assurance-chômage au Canada seront moindres si on s'attaque aux chômeurs et au régime d'assurance-chômage. Le projet de loi renferme certaines choses qui pourraient constituer une amélioration pour les gens. Le gouvernement n'hésite pas à se féliciter d'avoir assoupli les critères d'admissibilité en calculant le nombre d'heures au lieu du nombre de semaines travaillées. Cela pourrait être un élément positif.

Cependant, si vous examinez les règles véritables qu'imposera le projet de loi, les personnes qui étaient admissibles auparavant en fonction du nombre de semaines travaillées ne le seront plus avec le calcul des heures travaillées. Au lieu d'exiger 300 heures de travail avant de devenir admissible, on vous demandera 900 heures de travail. Il s'agit du calcul pour un cas réel.

L'un des points que nous avons tenté de faire comprendre et que nous répéterons ici, c'est que si le gouvernement a réellement l'intention d'améliorer la situation des travailleurs horaires et qu'il se propose de le faire, mais pas en pénalisant les autres qui sont au chômage, il devrait alors dire aux gens que leur admissibilité peut être calculée et établie en fonction du système qui est à leur avantage et des conditions qui sont appropriées dans leur cas. Si les prestations sont calculées en fonction des heures travaillées et que cela est à l'avantage du chômeur, alors celui-ci devrait pouvoir se prévaloir de cette option.

Si le calcul basé sur le nombre de semaines travaillées est avantageux pour lui en raison de la nature du travail qu'il effectue, le travailleur devrait alors avoir la possibilité de baser le calcul là-dessus. Mais le gouvernement n'est pas disposé à tenir compte de cela.

Le sénateur Bosa: Madame la présidente, compte tenu du temps qu'il nous reste, je ne vais pas poser de questions, mais j'aimerais faire un commentaire.

À mon avis, c'est faire preuve de méchanceté que d'établir un lien entre la tragédie de la mine Westray, l'assurance-chômage et ce projet de loi en particulier, surtout quand vous savez très bien, en tant que chef du NPD, qu'en Nouvelle-Écosse, la sécurité de la mine n'est pas la responsabilité du gouvernement fédéral, mais du gouvernement provincial. Vous n'avez pas l'air méchante, mais votre remarque l'a été.

Mme McDonough: J'aimerais répondre brièvement, si vous le permettez. Il ne s'agit pas ici de savoir qui est méchant et envers qui. Nous citons le témoignage des mineurs de la mine Westray qui ont dit exactement ce qui s'était produit lorsqu'ils ont essayé d'obtenir du secours et de se protéger contre les conditions peu sûres de la mine en se présentant au bureau de l'assurance-chômage. Cela n'arrange rien de dire que le fonctionnaire de l'assurance-chômage était mal informé, ou qu'on se demande pourquoi il ne savait pas que les travailleurs auraient dû quitter leur emploi et exercer des pressions auprès des tribunaux pour obtenir gain de cause. Je parle de ce qui s'est produit dans la vie de ces mineurs et de ce que les gens veulent dire quand ils déclarent que nous sommes en train de créer une autre Westray avec ces changements.

Le sénateur Bosa: Vous faites le lien avec ce projet de loi, et c'est ça qui est tragique. La plaie est toujours béante et votre déclaration ne fait qu'enfoncer le couteau dans la plaie.

La présidente: Je pense que tout le monde a bien compris. Une autre question rapide et ce sera tout.

Le sénateur Lavoie-Roux: Excusez-moi d'être arrivée en retard. Dans la dernière partie de votre mémoire, vous parlez d'une certaine orientation et de principes fondamentaux qui permettraient d'effectuer un choix plus éclairé. Je dois dire que vous avez soulevé une préoccupation à propos de laquelle je suis tout à fait d'accord avec vous. Si nous n'y prêtons pas attention, je pense que non seulement notre pays mais le monde entier connaîtra la tragédie. Vous dites que nous devrions tenir compte du marché du travail d'aujourd'hui, du caractère changeant du travail et de l'impact de la technologie sur les emplois. Est-ce que vous avez des suggestions quant à la façon de régler ce problème? Votre parti a-t-il effectué des études à ce sujet?

Pour obtenir le meilleur programme d'assurance-emploi possible, il faut créer des emplois. Autrement, on va tout simplement faire augmenter le nombre de chômeurs. Ce qui m'inquiète, c'est la question de la mondialisation des marchés et de la concurrence. Certains disent que plus on développe la technologie rapidement, plus vite on arrivera les premiers. Entre-temps, on oublie toutes les personnes qui sont laissées de côté parce qu'elles ne peuvent pas s'adapter ou qu'elles n'ont pas la formation nécessaire. C'est le problème numéro un dont personne ne s'occupe.

Avez-vous des recommandations précises à faire ou connaissez-vous des études qui ont été réalisées sur la question?

Mme McDonough: Sénateur, vous venez de soulever ce que nous estimons être l'une des plus graves omissions dans l'approche du gouvernement face à ce problème. Au lieu de regarder ce qui se produit dans ce domaine et de favoriser une certaine synergie pour régler le problème du déplacement des emplois et ainsi de suite, le gouvernement a décidé de remodeler le régime d'assurance-chômage. On ne peut pas fermer les yeux sur le fait qu'il y a des centaines de milliers de postes qui sont éliminés au moment où on se parle. Pourtant, le gouvernement ne fait rien pour créer des emplois gråce à des mesures fiscales favorisant la création d'emplois. Il n'adopte aucune mesure permettant de raccourcir la semaine de travail et d'assurer une répartition différente du travail. Si, demain, on raccourcissait la semaine de travail au Canada de quatre heures, cette semaine serait encore plus longue que dans pratiquement tous les pays d'Europe, et pourtant ce n'est pas ce que nous faisons. Nous pourrions créer des dizaines de milliers d'emplois simplement en raccourcissant la semaine de travail d'une heure. Pourtant, aucune de ces mesures n'est à l'étude.

Où est le leadership du gouvernement fédéral à cet égard? Pourquoi ne forme-t-il pas un partenariat de l'industrie, du patronat et de la collectivité pour s'attaquer à ce grave problème? Ce problème n'est pas unique au Canada, mais nous devons trouver nos propres solutions qui, elles, doivent être adaptées à nos besoins.

Le sénateur Lavoie-Roux: Comment composez-vous avec cette course au développement technologique, qui se fait de plus en plus rapide, tout en essayant d'éviter les pertes d'emploi? Je ne sais pas comment aborder le problème, c'est la raison pour laquelle je vous demande d'éclairer ma lanterne. Le problème va simplement s'amplifier au point où nous ne serons plus capables de faire quoi que ce soit. C'est la nature de toute notre société qui sera remise en question. Tout le monde de notre génération autour de cette table a eu la chance de travailler. La technologie n'existait pas. Nous sommes maintenant dans une autre ère. Comment composer avec ce changement?

Mme McDonough: Il est évident que le fait de remodeler le régime d'assurance-chômage n'aidera en rien. J'aimerais revenir pour en discuter en détail.

Je comprends votre intérêt pour la question et j'espère que nous pourrons amener le gouvernement fédéral à jouer un rôle de leadership dans le partenariat avec les personnes qui sont touchées.

La présidente: Merci beaucoup, madame McDonough.

La délégation suivante vient des Territoires du Nord-Ouest. Nous accueillons la ministre des Affaires municipales et communautaires. Si vous voulez bien avoir l'obligeance de présenter le personnel qui vous accompagne, après quoi nous entendrons votre exposé.

Mme Manitok Thompson, ministre des Affaires municipales et communautaires des Territoires du Nord-Ouest: Je m'appelle Manitok Thompson, je suis ministre des Affaires municipales et communautaires du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. À ma droite, M. Conrad Pilon, sous-ministre adjoint au ministère de l'Éducation des Territoires du Nord-Ouest, et à ma gauche, mon chef de cabinet, M. Brian Menton.

Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, je tiens à vous remercier de l'occasion qui nous est offerte de comparaître ici aujourd'hui pour discuter du projet de loi sur l'assurance-emploi. Malheureusement, mon collègue, l'honorable Charles Dent, ministre de l'Éducation, de la Culture et de l'Emploi, ne peut être avec nous. C'est donc moi qui le remplace.

Ce projet de loi fédéral est important pour le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et les gens que nous représentons.

La décision qui sera prise à l'égard de ce projet de loi aura un effet direct et important sur la vie et le revenu des habitants des Territoires du Nord-Ouest, qu'ils vivent dans les villes ou les petits hameaux répartis dans l'ensemble du territoire nordique.

Aujourd'hui, j'aimerais vous dire comment nous entrevoyons l'application du projet de loi dans le Nord. Je tiens à vous préciser ce que nous considérons être les trois défis clés que posera l'adoption du projet de loi dans sa forme actuelle. Ils sont les suivants: accessibilité au programme d'assurance-emploi, niveaux des prestations et programmes de formation et de soutien.

Mais avant, j'aimerais d'abord dire qu'en tant que membre du cabinet du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, je comprends clairement l'importance qu'il y a à adopter des programmes qui soient conformes à la capacité financière du gouvernement fédéral. À mon avis, nous ne pouvons pas continuer d'appliquer des programmes qui ne sont pas entièrement capitalisés. Il est important que des programmes comme l'assurance-emploi soient administrés de façon responsable sur le plan financier tout en atteignant l'objectif visé.

Pour 1994-1995, soit la dernière année pour laquelle des chiffres complets sont disponibles, on a calculé que les cotisations d'assurance-chômage perçues pour les Territoires du Nord-Ouest étaient d'environ 50 millions de dollars. Par contre, les prestations versées ont été de 32 millions de dollars. En moyenne, 1 400 résidents de l'Arctique de l'Ouest et 400 du Nunavut touchent des prestations mensuelles dans le cadre du programme actuel d'assurance-chômage. Cela représente 6 p. 100 de toute la population active des Territoires du Nord-Ouest.

Permettez-moi de vous décrire comment le programme proposé sera appliqué dans le Nord.

D'abord, je vais faire des commentaires sur l'accessibilité au programme. Dans l'ensemble, les collectivités du Nord sont isolées de par la distance et les frais de déplacement. La technologie est en train d'atténuer cet isolement. Cependant, il faut comprendre qu'il peut être difficile d'accéder aux programmes et aux services gouvernementaux. En ce qui concerne l'assurance-chômage, on donne seulement un tout petit peu d'information au niveau local. Les services de conseil et de counselling ne sont offerts que dans sept des 60 collectivités des Territoires du Nord-Ouest, ce qui rend l'accès au programme difficile pour les clients.

Il y a beaucoup de personnes qui sont unilingues, qui ne comprennent pas l'anglais, et qui tentent d'accéder à ces programmes. Souvent, ces personnes, qui sont des travailleurs saisonniers, sont frustrées par le système et n'accèdent pas au programme parce que c'est trop compliqué pour elles. Nous avons des chasseurs qui travaillent l'été afin de gagner l'argent nécessaire et de pouvoir acheter leur motoneige pour les activités de chasse l'hiver, et qui ne peuvent accéder au programme. Nous avons aussi des gens qui n'ont pas fait leurs études secondaires parce qu'il n'y avait pas d'école secondaire dans leur collectivité. Actuellement, nous essayons d'offrir des cours du secondaire de la 9e à la 12e années dans les petites collectivités de 300 ou 400 personnes, mais les gens qui ont besoin de ces programmes n'ont pas fait leurs études secondaires et trouvent qu'il est frustrant d'y accéder. Par conséquent, seulement 400 personnes du Nunavut ont accédé à ce programme. Mais il y a beaucoup plus de gens qui n'y accèdent pas parce que c'est tellement compliqué de le faire, et nous n'avons pas le personnel de soutien dans les collectivités qui pourrait leur expliquer le processus et les aider à remplir les formulaires.

À cause de cet isolement, le programme d'assurance-chômage dans les Territoires du Nord-Ouest est très peu utilisé comparativement aux autres régions du Canada, plus particulièrement pour les autochtones.

Les paiements d'assurance-emploi dans les Territoires du Nord-Ouest ont déjà diminué de 20 p. 100 de 8 millions de dollars l'an dernier.

J'aimerais maintenant vous parler des niveaux des prestations. Outre ces difficultés, le projet de loi sur l'assurance-emploi nécessitera plus d'heures de travail avant qu'une personne puisse être admissible aux prestations, ce nombre passant de 420 heures aujourd'hui à un minimum de 910 heures pour les nouveaux prestataires de janvier 1997.

Dans les Territoires du Nord-Ouest, beaucoup de jeunes entrent sur le marché du travail. L'augmentation énorme du nombre d'heures de travail donnant droit à l'assurance-emploi viendra encore restreindre l'accès de ces jeunes aux revenus et aux programmes de formation décrits dans le projet de loi.

Dans les collectivités isolées, les possibilités d'emploi sont rares. De nombreux habitants du Nord profitent du travail saisonnier limité dans les secteurs comme le båtiment et la lutte contre les incendies. Nous n'avons que deux mois d'été dans les Territoires du Nord-Ouest, pendant lesquels les gens peuvent faire de la construction. Cela peut aller jusqu'à trois mois, mais les heures qu'on vous demande de faire sont trop restreintes. Nous avons une période de travaux saisonniers qui est restreinte. Avec les nouveaux critères d'admissibilité, les membres productifs de nos collectivités n'auront plus droit aux prestations dans le cadre du nouveau programme d'assurance-emploi.

Le projet de loi viendra réduire le niveau des prestations d'assurance-emploi pour les habitants du Nord. Cela aura un impact direct et important sur les programmes d'aide sociale et autres programmes de soutien du revenu du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. C'est là une question qui nous préoccupe beaucoup.

Dans le Nord, tout coûte cher. Les produits de base sont chers. Par exemple, dans ma collectivité de Rankin Inlet, le lait coûte 5 $ le litre, un demi-pain coûte 3 $, et un kilo de boeuf haché coûte 6 $. Avec les changements que le projet de loi apportera aux prestations, on se demande vraiment si nombre des personnes qui touchent de l'assurance-emploi seront capables de boucler leur budget.

Comme je l'ai dit, la situation risque d'avoir des répercussions sur les dépenses engagées par mon gouvernement pour le soutien du revenu. Cela nous préoccupe beaucoup.

Enfin, j'aimerais vous parler des programmes de formation. J'aimerais vous parler de la question de la formation pour les bénéficiaires d'assurance-emploi. Par suite de l'orientation adoptée par le gouvernement du Canada, seules les personnes admissibles à l'assurance-emploi auront droit de participer à des programmes de formation. Nous sommes heureux de voir la proposition qu'a présentée récemment M. Young pour transférer la responsabilité du perfectionnement et des mesures d'intervention directe aux provinces et territoires. Nous espérons que cette proposition se traduira par l'élimination des dédoublements des programmes de formation et de soutien du revenu.

Compte tenu des coûts élevés de la formation et des programmes de perfectionnement, il faut adopter une approche concertée pour s'assurer que les bénéficiaires d'assurance-emploi et les chômeurs du Nord améliorent leurs compétences et trouvent un emploi.

Je vous ai décrit certains des défis que pose le projet de loi. Cependant, il renferme plusieurs aspects positifs que j'aimerais maintenant souligner.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, le projet de loi met l'accent sur une plus grande coordination des programmes et des services avec les provinces et les territoires, ce qui est un bon début.

Le cadre de la responsabilité financière est également important; cependant, on devrait aller plus loin. Nous devons tenir compte de l'impact du projet de loi sur les personnes qui auront accès au régime d'assurance-emploi. Nous devons déterminer quels sont les meilleurs moyens de leur offrir le service. À notre avis, il faut concentrer les efforts sur la rationalisation de nos systèmes actuels. Lorsque cela est possible, nous devons améliorer la coordination de tous les services de soutien du revenu et l'accès à ces services, qu'ils soient assurés par le gouvernement fédéral ou les territoires. À notre avis, il faudrait effectuer la planification et la mise en oeuvre des dispositions législatives sur l'assurance-chômage de concert avec les provinces et les territoires. Et dans la mise en oeuvre de ces dispositions, il faudrait tenir compte des disparités régionales. Il ne faudrait pas pénaliser des Canadiens pour la simple raison qu'ils vivent dans des collectivités éloignées et isolées.

De même, il faudrait mettre en place des structures en matière de prestations de manière à prévenir autant que possible le transfert de coûts entre les différents paliers de gouvernement. Les plans de mise en oeuvre devraient être élaborés conjointement.

Je voudrais terminer aujourd'hui en réitérant mes remerciements au comité qui me donne l'occasion de me présenter ici et de parler de cet important projet de loi. Nous croyons qu'il est nécessaire de se pencher attentivement à la fois sur l'orientation générale et les détails précis du projet de loi sur l'assurance-emploi. Nous sommes impatients d'entendre vos commentaires.

La présidente: Merci beaucoup. Dans la première partie de votre exposé, vous avez parlé des élèves du secondaire. Les élèves doivent-ils quitter leur foyer pour faire des études secondaires? Le cas échéant, pendant combien de mois demeurent-ils à l'extérieur de leur foyer?

Mme Thompson: Les élèves doivent partir à l'automne. Ils restent à l'école jusqu'à Noël; ils rentrent chez eux pour les vacances de Noël. Ensuite, ils retournent à l'école jusqu'au mois de juin. Si leurs parents ont les moyens de leur payer le voyage, ils rentrent chez eux à Påques.

Nous commençons à offrir des programmes d'études secondaires dans les petites collectivités. Bon nombre des personnes qui doivent avoir accès à l'assurance-chômage sont celles qui sont issues de l'ancien système, qui allait de la maternelle à la huitième année. Elles ont maintenant des familles et fréquentent l'école secondaire pour améliorer leurs compétences.

Le sénateur Rompkey: Madame la présidente, je tiens à souhaiter la bienvenue à nos témoins et à les remercier d'être là.

J'apprécie beaucoup ce mémoire. Il s'agit d'un des mémoires les plus équilibrés que nous ayons reçus. Je souscris aux points qui y ont été soulevés, et ce, peut-être parce que j'ai représenté le Labrador pendant 23 ans. Il pourrait s'agir d'un mémoire provenant du Labrador. Les mêmes questions se posent: les coûts élevés, l'isolement, l'absence de perspectives d'emploi.

C'est là un domaine sur lequel la ministre et le ministère devraient se pencher. Ce matin, le sénateur Phillips a souligné que dans certaines petites collectivités, il n'y a qu'une industrie. Cette industrie est ouverte pendant une très courte période de l'année et il n'y a réellement pas d'autres emplois de rechange. Il y a des Canadiens qui se trouvent dans des situations qu'ils ont volontairement choisies; toutefois, on doit se pencher sur leur cas et les traiter équitablement. Il faudrait en quelque sorte examiner ces conditions, particulièrement dans les régions nordiques éloignées où les gens occupent des emplois saisonniers de courte durée et ont très peu le choix d'autres emplois.

Je pense que l'on pourrait régler le problème en adoptant des mesures administratives. J'espère que l'on pourra en quelque sorte conseiller les fonctionnaires qui mettront cette loi en application. Ils doivent faire montre de souplesse et de bon sens lorsqu'ils s'occupent des personnes qui font face à ce genre de situation.

Nous devrions également dire -- j'ai du moins l'intention de le faire -- que l'accès aux programmes gouvernementaux doit être facilité autant que possible et que la langue ne devrait pas être un obstacle. Si des gens éprouvent des difficultés avec le système en raison de la langue, comme c'est actuellement le cas, nous devons prendre des mesures pour pallier ces difficultés. Quel que soit l'endroit où ils habitent, les gens devraient être en mesure de communiquer avec le gouvernement canadien et la langue ne devrait pas constituer un obstacle. S'il faut accroître les services publics à cet égard, qu'on le fasse. Je ne pense pas que cela coûterait trop cher et c'est absolument nécessaire. Ce projet de loi ne sera efficace que s'il est bien appliqué; nous devons donner aux responsables les moyens de le faire.

Même si les conditions d'admissibilité pour les personnes qui accèdent au système semblent rigoureuses, il ne faut pas oublier que les 910 heures exigibles pour une nouvelle admissibilité peuvent être réparties sur une période de deux ans. Il n'est pas nécessaire d'accumuler la totalité des 900 heures en une seule année.

Je voudrais insister de nouveau sur le premier point que j'ai soulevé, à savoir que dans certains régions du pays, nous devons être sensibles aux conditions locales et faire montre de souplesse pour ce qui est de l'administration du programme.

Je souscris à ce mémoire et je l'appuie.

La présidente: Madame la ministre, avez-vous des commentaires à formuler?

Mme Thompson: Je suis d'accord avec le sénateur quand il dit que la langue constitue un obstacle majeur dans les collectivités isolées. Les gens connaissent l'anglais populaire, mais ce n'est pas suffisant pour remplir des formulaires administratifs. Il serait très utile de les simplifier pour ces personnes.

Nous avons le même problème dans les petites collectivités où la population ne sait pas remplir les formules d'impôt. Ils ont trop de difficulté à comprendre la langue. Ce n'est pas la langue qui est utilisée par la majorité des clients dans les collectivités isolées.

Le sénateur Rompkey: Quelles sont les répercussions des revendications territoriales sur l'administration des programmes? Avez-vous constaté que le changement effectué dans l'administration des territoires a eu des répercussions sur l'administration des programmes? Par exemple, un des éléments de l'ensemble des règlements de revendications territoriales a été l'acquisition du pouvoir relatif à l'administration des programmes, en matière de gestion de la faune ou autre.

Est-ce un élément pertinent à cette situation? Est-ce que le règlement des revendications territoriales constituera un facteur déterminant?

Mme Thompson: Le groupe chargé des revendications territoriales est très récent. Il exerce une influence en exprimant les préoccupations de la population et en trouvant des solutions à certains problèmes; toutefois, c'est un groupe qui est réellement trop récent. Il vient tout juste de commencer à mettre en oeuvre certaines mesures. Le fait que la population n'ait pas eu accès aux programmes a toujours été un problème, ces programmes étant trop difficiles à comprendre, bien qu'ils soient peut-être très bénéfiques pour la population.

Le sénateur Rompkey: Un des avantages des règlements de revendications territoriales est de permettre à la région de s'occuper davantage de l'administration des programmes. Je pense par exemple aux services policiers. Nul doute, nous avons fait beaucoup de progrès dans ce domaine en particulier. Je me demande pourquoi on ne peut aller de l'avant dans l'administration d'un programme de ce genre.

Parmi les diverses composantes des revendications territoriales, il y a le règlement des questions financières et un changement dans l'administration des droits concernant les ressources situées sur les territoires en question. Il est clair que l'administration du territoire en question est un élément que l'on retrouve dans presque tous les règlements en matière de revendications territoriales d'un bout à l'autre du pays. C'est le transfert des pouvoirs des gouvernements fédéral et provincial au niveau local. C'est un des éléments qui fait partie de toutes les revendications territoriales. À mon avis, c'est une bonne chose.

Prenons l'exemple du travail de la police, qui relève du gouvernement national. Dans certaines collectivités autochtones, on a confié l'administration de ce service aux responsables locaux qui parlent la langue et qui comprennent les enjeux de cette collectivité. C'est la même chose en matière de santé, dans certains secteurs de la gestion de la faune.

À votre avis, le règlement des revendications territoriales peut-il bénéficier aux collectivités autochtones dans ce domaine en particulier, c'est-à-dire la formation et l'administration du programme d'assurance-emploi en général?

Mme Thompson: Mon ministère, les Affaires municipales et communautaires, s'occupe du dossier de l'habilitation des collectivités, où la population décide quels programmes elle veut transférer aux instances décisionnelles de sa collectivité afin que celles-ci les mettent en application comme bon leur semble pour répondre aux besoins de la population locale.

Le règlement des revendications territoriales est trop récent. D'ici à 1999, nous devons avoir formé 50 p. 100 de la main-d'oeuvre autochtone, ce qui n'est pas encore le cas. Nous avons moins de trois ans pour atteindre notre objectif. Si nous y parvenons, nous aurons ainsi des personnes travaillant dans notre langue et dans nos bureaux. Gråce à l'habilitation des collectivités, ce qui se passe à l'heure actuelle, -- nous sommes en train d'appliquer le concept dans mon ministère -- les collectivités commencent à être mieux renseignées au sujet de leurs programmes communautaires.

Prenons un exemple. Dans une petite collectivité de 400 habitants, vous avez un agent de développement économique qui possède son propre programme. Il relève du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. Si un habitant de la collectivité désire lancer son propre commerce, l'agent peut lui refuser de l'aide parce que, selon ses recherches, les commerces comme la Baie d'Hudson, la Northern Store ou la Coop fournissent déjà le même genre de marchandises. Cet habitant peut répliquer que ces commerces ne commandent pas le matériel que les chasseurs désirent utiliser par temps froid, qu'ils achètent plutôt les vêtements que l'on porte en Afrique ou dans le Sud.

Gråce au transfert des responsabilités et à l'habilitation des collectivités, nous espérons que le poste d'agent de développement économique sera également transféré à l'instance décisionnelle. Ainsi, cette instance composée d'élus locaux pourra exercer de l'influence dans le cadre du programme; c'est plus logique du point de vue de la population locale qui peut ainsi créer ses propres emplois. Voilà ce que nous essayons de faire.

La présidente: Madame la ministre, certains membres du comité ont écouté nos amis du Nord leur parler des problèmes d'interprétation et de langue qui se posent en matière de contrôle des armes à feu. Nous avons constaté que nous avions un problème de langue, même lorsqu'il s'agissait de traduire l'information destinée à notre population du Nord, afin de connaître leurs réactions au projet de loi sur le contrôle des armes à feu.

Nous étions réellement conscients à ce moment-là de la question de savoir à quel point les problèmes de langue pouvaient influer sur notre travail. De nombreuses collectivités nordiques ont comparu devant le comité et nous avons réellement apprécié les renseignements qu'elles nous ont fournis.

Le sénateur Murray: Madame la ministre, êtes-vous la ministre responsable de l'aide sociale?

Mme Thompson: Non, je ne le suis pas, sénateur.

Le sénateur Murray: Connaissez-vous, ou vos fonctionnaires peuvent-ils nous dire le montant du budget de l'aide sociale dans les Territoires du Nord-Ouest?

Mme Thompson: On m'a dit qu'il est de 38 millions de dollars.

Le sénateur Murray: J'ai honte de pas connaître la réponse à la question suivante, même si je le devrais: En ce qui concerne la santé et le bien-être social, votre situation est-elle la même que celle des provinces face au gouvernement fédéral? Vous étiez assujettis à l'ancien Régime d'assistance publique du Canada et au financement des programmes établis et participez-vous maintenant au Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux?

Mme Thompson: Je vais demander à M. Pilon de répondre à cette question.

M. Conrad Pilon, sous-ministre adjoint, ministère de l'Éducation, de la Culture et de l'Emploi des Territoires du Nord-Ouest: Oui, nous y participons. En vertu du Régime d'assistance publique du Canada, nous avions une entente avec le gouvernement fédéral. Nous disposons d'une formule de financement qui est tout à fait différente de celle des provinces. C'est plus qu'un paiement de péréquation. Nos programmes sont naturellement financés par le gouvernement du Canada puisque les fonds proviennent du gouvernement fédéral. Il en va de même de nos programmes sociaux.

Le sénateur Murray: Vous n'avez pas mentionné le taux de chômage actuel dans les territoires.

Mme Thompson: Le taux de chômage global dans les territoires est de 17 p. 100. Toutefois, je représente trois collectivités de très petite taille et l'une d'elles a un taux de chômage de 80 p. 100.

Le sénateur Murray: Ces territoires font-ils partie de la région qui deviendra le Nunavut?

Mme Thompson: Oui

Le sénateur Murray: Il est très difficile, madame la présidente, de saisir quelles seraient les répercussions du projet de loi sur les territoires, parce que nous n'avons obtenu, sauf pour ce qui est des renseignements que la ministre a bien voulu nous donner ce matin, aucun renseignement du ministère.

J'ai devant moi un document qui a été préparé par Développement des ressources humaines Canada et qui a été présenté au comité de la Chambre des communes. Ce document contient une analyse des effets de ce projet de loi, tel qu'il a été amendé, sur les différentes provinces en ce qui concerne les ratios entre les prestations et les contributions, qui ont été analysés par l'industrie, et ainsi de suite, pour 1997-1998 et 2001-2002. Cette analyse concerne les provinces; on ne parle pas des effets sur les territoires. Il est certainement possible d'obtenir ce genre d'information.

Auriez-vous, par hasard, cette information en votre possession, madame Thompson, vous-même ou vos fonctionnaires?

Mme Thompson: Aucune étude n'a été effectuée sur les répercussions de ce projet de loi dans les Territoires du Nord-ouest. Il n'y a rien.

Le sénateur Phillips: Quelle honte!

Le sénateur Murray: Avec un taux de chômage de 17 p. 100, je pense que nous savons quel impact le projet de loi aura sur les critères d'admissibilité et les niveaux des prestations, et ainsi de suite. Nous le savons très bien. Toutefois, nous ne connaissons pas les répercussions précises sur les territoires. Je ne peux pas croire qu'il soit difficile d'obtenir ces chiffres du ministère. Nous devrions absolument les réclamer de manière à pouvoir en discuter ici.

Finalement, permettez-moi d'aborder rapidement un point que le sénateur Rompkey a soulevé il y a quelques minutes. Je ne sais pas si vous avez pu y réfléchir. En ce qui concerne les problèmes que vous avez soulevés -- les questions d'accessibilité, les niveaux des prestations ainsi que les programmes de formation et de soutien -- la véritable question est la suivante: dans quelle mesure les solutions que vous recherchez nécessiteraient des amendements au projet de loi dont nous sommes saisis? Dans quelle mesure peut-on agir, comme le suggère le sénateur Rompkey, en ayant recours à des moyens politiques ou administratifs? Avez-vous examiné cette question?

M. Pilon: Actuellement, comme vous le savez peut-être, nous sommes en pourparlers avec le gouvernement fédéral concernant la partie II de la loi qui traite des mesures d'intervention directe. La partie I de la loi relève principalement du gouvernement fédéral.

Notre ministre a écrit à M. Young pour lui expliquer certaines des difficultés que nous avons concernant les taux et les barèmes de prestations qui sont actuellement en place ainsi que les répercussions qu'ils ont sur notre programme d'aide sociale.

Gråce à nos pourparlers concernant la partie II, nous espérons pouvoir être en mesure d'apporter des modifications, eu égard aux discussions entourant la façon dont les niveaux des prestations seront modifiés et dont la population pourra y avoir accès. C'est la meilleure façon pour moi de vous l'expliquer, sénateur.

Le sénateur Murray: Vous ne pourrez le faire au moyen de vos pourparlers sur la partie II. Vous profiterez de l'occasion et saisirez la chance qui vous est offerte pour expliquer votre point de vue. Quant aux solutions que vous recherchez, les niveaux des prestations, il semblerait que vous vouliez que l'on accorde un traitement différent aux territoires.

M. Pilon: L'une des choses dont nous aurions besoin et qui serait nécessaire est une meilleure coordination, si vous voulez, des systèmes. Si les deux systèmes -- le système d'aide sociale et le régime d'assurance-emploi -- ne sont pas reliés électroniquement, il y a dédoublement des services et des paiements. Nous avons souligné qu'il serait utile qu'il y ait échange de renseignements entre les deux systèmes; pour ce faire, nous avons conclu l'an dernier un accord avec le gouvernement fédéral concernant l'attribution des prestations.

Le sénateur Murray: Comment cela fonctionne-t-il?

M. Pilon: Cela veut dire que nous pouvons demander, sur une base individuelle, de l'information sur un prestataire de l'assurance-chômage pour savoir si, dans le calcul des niveaux des prestations qu'il reçoit du programme d'aide sociale, on a tenu compte des prestations d'assurance-chômage qu'il reçoit selon nous.

La majorité des personnes vivant dans des collectivités isolées n'ont pas accès à l'assurance-chômage. Il serait pratiquement impossible pour une famille de quatre de vivre avec 200 ou 300 dollars par semaine provenant de l'assurance-chômage. Ces prestations seraient complétées par des prestations d'aide sociale. Je dirais que c'est la norme et non l'exception. Il nous faut de meilleurs systèmes qui sont reliés pour assurer la gestion du programme. Dans les territoires, cela s'est avéré très difficile.

Le sénateur Murray: Je ne pense pas que cette situation soit propre aux territoires. D'après ce qu'a dit la ministre Thompson ce matin, c'est un endroit où la vie coûte cher. Le lait coût 5 dollars le litre, un pain coûte 3 dollars. Un kilo de boeuf haché, 6 dollars. De l'avis de Mme Thompson, il faudrait prendre en considération les niveaux des prestations. Est-ce vrai?

Mme Thompson: Oui

La présidente: Il faut faire venir la nourriture.

Le sénateur Murray: Je comprends l'aspect économique de la situation, madame la présidente.

Le sénateur Phillips: Ma première question est fondée sur votre déclaration concernant les cotisations versées en 1994-1995 qui s'élevaient à 50 millions de dollars et le montant des prestations qui était de 32 millions; ces chiffres sont-ils justes? J'ai du mal à le croire.

M. Pilon: Si nous examinons le revenu brut de l'an dernier dans les Territoires du Nord-ouest -- des revenus et des salaires --, nous parlons de 1,2 à 1,3 milliard de dollars. Vous pouvez estimer à partir de ces chiffres que les cotisations minimales versées au compte de l'assurance-chômage seraient d'environ 50 millions de dollars par an, calculées à partir du revenu total.

Le sénateur Phillips: Et vos prestations s'élevaient à 32 millions de dollars.

M. Pilon: Et elles sont en baisse.

Le sénateur Phillips: Ce qui signifie que les Territoires du Nord-Ouest, en réalité, subventionnent le reste du fonds pour un montant de 18 millions de dollars. C'est toute une surprise pour moi. Je n'en reviens toujours pas, mais j'ai vos chiffres et je vous remercie de faire ressortir ce point.

Il y a quelques années, j'ai fait un voyage dans les Territoires du Nord-Ouest et au Yukon. Je suis allé à Yellowknife plusieurs fois. J'ai été plutôt surpris de constater l'importance de l'industrie de la pêche là-bas. Originaire des Maritimes, du Canada atlantique, lorsque je pense aux pêcheries, je pense à celles de ce côté-ci de l'Atlantique ou à celles de la Colombie-Britannique. Dans quelle mesure vos travailleurs de la pêche seront-ils touchés par cette loi, en ce qui a trait à l'admissibilité, parce que notre saison de pêche est courte dans le Canada atlantique, et je présume qu'elle l'est encore plus dans les Territoires du Nord-Ouest?

Mme Thompson: Dans les Territoires du Nord-Ouest, notre contribution est supérieure aux prestations qui nous sont versées. Nous contribuons 50 millions de dollars et n'en retirons que 32 millions, à cause des problèmes d'accessibilité au programme. La majorité des personnes qui cherchent à accéder au programme le trouvent trop compliqué. Il y a non seulement un problème avec la langue, mais également un problème avec la compréhension du programme. C'est si pénible qu'elles préfèrent plutôt demander l'aide sociale.

L'accessibilité au programme a été un problème réel, encore plus dans la région du Nunavut, parce que notre langue et notre culture dans la partie orientale des territoires sont plus fortes que dans la partie occidentale. Il y a plus de services. Il y a plus de gens de l'Ouest qui apprennent l'anglais à l'åge de 40 ou 50 ans. Le problème est en grande partie attribuable à l'accessibilité au programme.

En ce qui concerne les chasseurs et les pêcheurs, bon nombre d'entre eux sont encore unilingues. Ils doivent démontrer qu'ils sont les employés de leur propre entreprise pour avoir accès au programme. Il faut qu'ils paient des impôts pour accéder au programme. Il est pénible pour une personne qui a chassé toute sa vie d'accéder au programme, et c'est pourquoi elle ne le fait pas. Le processus est trop compliqué. Ces personnes ne le comprennent pas.

Le sénateur Phillips: Je comprends la difficulté que cause la langue. J'ai déjà eu ce problème lors des audiences du Sénat. Toutefois, les gens s'en remettent à l'assistance-vieillesse et à l'aide sociale pour compenser. Je ne considère pas cela comme étant le problème que vous décrivez, parce que si vous pouvez le régler dans le cas de la sécurité de la vieillesse, vous pouvez également le faire pour l'aide sociale.

Il y a probablement un autre problème associé à cela, que nous ne pouvons découvrir.

Je voudrais parler de votre taux de chômage. Vous avez dit qu'il était de 17 p. 100 pour la région, mais de 80 p. 100, si j'ai bien compris, pour les régions que vous représentez. Est-ce bien cela?

Mme Thompson: Oui.

Le sénateur Phillips: Que pensez-vous des dispositions du projet de loi concernant le perfectionnement? Le projet de loi stipule que les activités dans ce domaine ne commenceront pas tant que les ententes ne seront pas signées avec les provinces et les territoires. Des récents communiqués de presse m'ont amené à penser que les provinces et territoires devront contribuer en partie aux dépenses de formation. Dans quelle mesure, à votre avis, cela correspond-il à vos besoins de perfectionnement? En effet, le perfectionnement permettra-t-il de régler le problème du taux de chômage anormalement élevé de votre région?

Mme Thompson: Je répondrai à la première partie de la question du sénateur, lorsqu'il dit que lorsqu'on sait comment accéder au bien-être social, on devrait également savoir comment accéder à l'assurance-chômage. Dans les années soixante, lorsque l'aide sociale a été mise en place dans les territoires, nous, les autochtones, avons compris que cette aide était destinée aux nécessiteux, aux personnes handicapées et aux chasseurs qui avaient connu une mauvaise saison de chasse. Nous avons eu de la chance d'avoir des personnes qui nous ont expliqué le fonctionnement du système. On nous a aidés au début à très bien comprendre le système.

Or, nous n'avons pas eu le même service en matière d'assurance-chômage. C'est ce que je dis. Vous ne pouvez pas dire que parce qu'une personne comprend comment accéder à l'aide sociale, qu'elle peut également avoir accès à l'assurance-chômage. Ce n'est pas juste, parce nous n'avons pas été renseignés sur le système de la même façon. Les collectivités isolées n'ont pas reçu le même niveau de service. Une majorité d'autochtones reconnaissent qu'il y a un problème avec l'aide sociale, que ce n'était pas un bon programme, mais qu'il leur a été très bien expliqué. Nous étions dépendants. Nous pensions que l'aide sociale était destinée aux personnes handicapées, aux nécessiteux. Aujourd'hui, nous avons une génération de gens qui peuvent s'asseoir à la maison devant la télé et bénéficier de l'aide sociale parce qu'elle leur a été présentée très clairement. Ces mêmes personnes devraient avoir accès à l'assurance-chômage, mais elles ne le peuvent pas, parce que la langue, la bureaucratie, la façon dont elle leur a été présentée constituent des obstacles. La mise en place de ces deux programmes doit se faire de la même façon.

Je demanderais à M. Pilon de répondre au reste de la question du sénateur.

M. Pilon: Si j'ai bien compris la question du sénateur Phillips, il voudrait savoir quels sont les amendements qui ont été apportés au projet de loi sur l'assurance-emploi au chapitre de la formation, visant à préparer la population des collectivités ayant un taux de chômage élevé à se trouver un emploi. Dans la première partie de sa réponse, la ministre a laissé entendre que la question de l'accessibilité constituait un problème.

Le gouvernement fédéral veut cesser de financer la formation à même le Trésor, là où l'ensemble de la population avait accès à la formation, et être beaucoup plus sélectif quant aux personnes qui pourront y avoir accès. Dans ce cas, il s'agirait uniquement des personnes qui sont admissibles à l'assurance-emploi.

Dans les collectivités qui n'ont déjà pas un grand accès au programme d'assurance-chômage, cette mesure aura une double conséquence, puisque les chômeurs n'auront pas accès non plus aux allocations de formation.

Quant à savoir si la formation augmente les possibilités d'obtenir un emploi, je peux vous dire qu'il y a six ou sept ans, environ 20 p. 100 des élèves qui obtenaient une aide financière pour les études post-secondaires dans les Territoires du Nord-Ouest étaient autochtones, et aujourd'hui cette proportion est passée à plus de 60 p. 100 parce que nous avons des écoles secondaires dans les petites collectivités. Cela signifie qu'un plus grand nombre d'élèves ont accès aux études post-secondaires et peuvent trouver de l'emploi par la suite.

Comme l'a mentionné la ministre, nous désirons avoir en 1999 une représentation de 50 p. 100 de travailleurs autochtones dans notre fonction publique, ainsi que dans l'ensemble du marché du travail des territoires.

Le sénateur Phillips: Avant de poser ma dernière question, j'aimerais dire à la ministre que j'ai rendu visite à une personne qui était à Iqaluit pour donner de la formation aux autochtones en vue du transfert des responsabilités de programmes. C'est donc qu'on a fait quelques efforts pour résoudre ce problème.

Lorsqu'on a un taux de chômage de 80 p. 100 dans une région, quelle sorte de formation peut-on donner aux résidents? Cela ne servirait à rien de leur donner une formation de spécialiste en astronautique parce que la NASA est très loin de leur région. Quel type de formation leur offrirez-vous?

Mme Thompson: Ce qui se passait auparavant dans les petites collectivités isolées des territoires, c'est que des entrepreneurs en construction venaient de l'extérieur pour y båtir des maisons. Beaucoup de membres de nos collectivités ont les compétences nécessaires pour båtir des maisons. Alors, nous commençons à faire des changements; les membres de la collectivité décident de construire eux-mêmes ces maisons et de créer des emplois au lieu de demander à des gens de l'extérieur de venir båtir des maisons, des édifices, des routes, et cetera.

Les gens pour lesquels je m'inquiète le plus sont ceux qui n'ont pas fait d'études secondaires. La jeune génération a maintenant accès à l'école secondaire, mais les gens dont je parle sont ceux qui ont 35, 40 ans, qui sont un peu plus vieux, mais encore jeunes, et qui n'ont jamais reçu de formation. Il nous faut déceler les possibilités de ces personnes et leur donner une formation. Il pourrait s'agir de formation dans les domaines de la construction, de la couture, de la sculpture, de l'artisanat, et cetera.

Le sénateur Lavoie-Roux: Je vous écoute décrire la situation de l'emploi et parler de formation et de perfectionnement. Quelle est la situation des femmes dans votre territoire, dans le domaine de l'emploi, de la formation et du perfectionnement?

Mme Thompson: Il n'y a pas vraiment beaucoup plus de possibilités pour les femmes que pour les hommes. La plus jeune génération aura davantage de possibilités, mais actuellement, pour les groupes d'åge que j'ai mentionnés plus tôt, il n'y a pas vraiment d'autres possibilités pour les femmes que de rester à la maison, d'effectuer les tåches ménagères, de coudre et d'essayer de vendre des objets d'artisanat.

La présidente: Nous apprécions beaucoup que vous soyez venus témoigner devant le comité aujourd'hui. Nous avons apprécié votre mémoire et nous espérons avoir l'occasion de travailler de nouveau avec vous dans l'avenir. Je vous remercie beaucoup et je vous souhaite un bon voyage de retour.

Le sénateur Murray aimerait soulever une autre question.

Le sénateur Murray: Je voudrais simplement faire un commentaire à propos du déroulement des travaux du comité. J'aimerais recommander fortement que vous essayez de trouver quelques heures pour entendre les représentants de la Commission canadienne de mise en valeur de la main-d'oeuvre, s'ils acceptent de venir devant le comité. Je crois que les sénateurs connaissent cette commission. Elle est composée de représentants du monde des affaires et du travail, d'éducateurs et d'autres personnes qui accomplissent beaucoup de travail dans le domaine de la politique du marché du travail. Ses représentants ont comparu devant le comité de la Chambre des communes le 19 mars et ont présenté un mémoire très équilibré.

Normalement, je n'insisterais pas et je suggérerais que les sénateurs obtiennent le mémoire ou lisent le témoignage des représentants devant le comité. Cependant, j'aimerais qu'ils comparaissent devant notre comité, en particulier pour nous faire part de leurs commentaires sur l'annonce faite l'autre jour par le ministre Young à propos du transfert aux provinces des responsabilités de la partie II de ce projet de loi et, bien sûr, du transfert des responsabilités au chapitre de la formation. Je crois que le comité ne le regretterait pas. J'espère donc que vous pourrez trouver quelques heures pour les entendre.

La présidente: Je vous remercie.

La séance est levée.


Ottawa, le mardi 4 juin 1996

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, saisi du projet de loi C-12, Loi concernant l'assurance-emploi au Canada, se réunit aujourd'hui à 18 heures pour examiner le projet de loi en question.

Le sénateur Mabel M. DeWare (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, nos premiers témoins représentent l'Association canadienne de la construction.

[Français]

Le sénateur Jean-Maurice Simard: Madame la présidente, je remplace le sénateur Cohen. J'aimerais faire la motion suivante. L'essence de la motion a été refusée à deux reprises, une première fois par le sous-comité de l'agenda et de la procédure et, à une autre reprise, par le comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

J'ai déposé au Sénat, il y a environ 15 jours une motion. Si elle avait été débattue et adoptée, peut-être que le Sénat aurait donné instruction au comité d'autoriser des réunions dans les provinces de l'Atlantique, au Québec et à certains endroits au Canada. On attend toujours le résultat. Nous ne connaissons pas l'intention de la majorité libérale au Sénat concernant sa position pour donner des instructions à ce comité.

Nous savons que le comité a commencé ses travaux hier et que le ministre a donné avis à tous les Canadiens qu'il est de son désir d'obtenir la sanction royale de façon à ce que le projet de loi C-12 entre en vigueur le 1er juillet. Si ce comité veut faire un travail sérieux, il devra, à mon avis, rencontrer les citoyens dans leur province, non pas des organisateurs grassement payés par les syndicats, mais davantage les citoyens qui seront affectés par ce projet de loi mauvais, dispendieux et incomplet.

Donc, pour toutes ces raisons, j'aimerais que, ce soir, ce comité réfléchisse sur ses décisions passées quant aux voyages. Après quelques jours de réflexion, le comité pourrait changer sa décision. C'est mon souhait et c'est le souhait de tous les gens, femmes, hommes et enfants des familles qui seront affectées par ce très mauvais projet de loi.

J'aimerais soumettre ma motion. Mon collègue m'a assuré qu'il appuierait ma motion. Je propose que ce comité autorise et fasse le nécessaire pour que l'on puisse entendre dans les régions du pays les témoins qui seraient affectés négativement par ce projet de loi. Je propose cette motion. Elle est appuyée par le sénateur Phillips, de l'Île-du-Prince-Édouard.

[Traduction]

Le sénateur Rompkey: Madame la présidente, cette motion me semble irrecevable à l'heure actuelle. Le comité a pris la décision de réexaminer la question en temps et lieu. Nous pouvons le faire six ou sept fois, et mettre la question aux voix au moment qui nous conviendra la mieux.

Nous avons demandé aux témoins de venir déposer devant le comité, ce qui implique pour eux certaines dépenses. Ils ont préparé un mémoire, et il serait donc très impoli à mon avis de consacrer le temps qui reviendrait normalement aux témoins à discuter de questions de procédure qui devraient normalement être réglées en comité directeur ou à la Chambre même.

La présidente: Peut-être pourrais-je apporter quelque éclaircissement. Nous ne souhaitons pas enlever aux témoins le temps qui leur serait normalement accordé, mais pour que la motion du sénateur Simard soit recevable -- nous pourrions soit essayer de régler la question rapidement, soit attendre plus tard pour le faire --, il devrait nous demander que la motion antérieure soit retirée afin que le comité puisse examiner sa motion.

[Français]

Le sénateur Simard: Si mes collègues considèrent que c'est nécessaire, je le ferai. Mais je serais prêt à ajouter à ma motion que les décisions passées soient renversées et suite à la déclaration du sénateur Rompkey, je lui rappelle que cet après-midi, le leader du gouvernement a informé le Sénat, et je cite:

[Traduction]

Ce serait tout à fait abusif de la part des leaders au Sénat de chercher à donner des ordres à un comité sénatorial. Les comités sont habilités à prendre leurs propres décisions.

Le sénateur Rompkey: Nous avons pris une décision, et vous estimez que cette décision devrait être modifiée. Il n'en reste pas moins que c'est la décision que nous avons prise.

Le sénateur Phillips: Si vous me permettez, madame la présidente, le fait que certains témoins nous ont exhortés à voyager pour recevoir les témoignages des Canadiens dans les régions milite en faveur de cette motion.

Hier soir, on nous a demandé à plusieurs reprises d'aller dans les régions pour recevoir les témoignages des citoyens, et je peux même citer le nom de certains sénateurs d'en face qui ont insisté par le passé pour qu'on le fasse.

Le sénateur Bosa: J'invoque le Règlement.

Le sénateur Phillips: Je vous prie de bien vouloir attendre que j'aie fini pour invoquer le Règlement.

Le sénateur Bosa: Nous avons prévu de recevoir des témoins à 18 heures. Nous pouvons toujours continuer cette discussion après avoir entendu nos témoins. Ce n'est pas juste de les faire attendre.

Le sénateur Phillips: Ce n'est pas un rappel au Règlement, sénateur Bosa.

Le sénateur Bosa: J'aimerais connaître la décision de la présidente à ce sujet.

La présidente: Je me rends très bien compte que tout cela n'est pas très juste pour nos témoins, mais nous pouvons néanmoins régler la question rapidement. Nous sommes déjà saisis d'une motion, et nous pouvons régler l'affaire rapidement.

Le sénateur Phillips: Le simple fait que nous ayons prévu de recevoir des témoins n'empêche pas le dépôt d'une motion. Le sénateur Bosa sait aussi bien que moi qu'un rappel au Règlement l'emporte sur toute autre chose, y compris l'audition des témoins.

La présidente: Nous sommes saisis d'une motion visant à retirer la motion précédente pour permettre au comité de voyager. Donc, la motion propose que le comité prenne les mesures qui s'imposent pour organiser un voyage dans les régions.

D'ailleurs, j'ai demandé l'avis de nos conseillers juridiques à ce sujet. Je n'ai pas simplement improvisé.

Êtes-vous prêts à mettre la question aux voix?

Le sénateur Murray: Madame la présidente, je suis prêt à voter. Je suis entièrement d'accord pour dire que nous devrions entendre nos témoins. Cependant, en ce qui concerne votre prétendue consultation juridique, j'avoue que j'ai de sérieux doutes en ce qui concerne l'aspect procédure. Je vois mal pourquoi une motion proposant que le comité se rende dans les régions ne serait pas recevable maintenant simplement parce que le comité a décidé il y a quelques jours qu'il ne voyagerait pas. Je ne souhaite pas débattre la question maintenant. Je n'ai pas non plus besoin d'une décision de la part de la présidente. Je voudrais simplement qu'on s'en souvienne afin qu'on puisse en discuter par la suite. Je suis d'ailleurs prêt à me prononcer immédiatement sur la motion, quelle qu'elle soit.

Le sénateur Losier-Cool: Nous avons un programme en bonne et due forme. Le deuxième point à l'ordre du jour est la rubrique «Divers». Est-ce que cela veut dire que je peux proposer une motion à n'importe quel moment pendant que les témoins ont la parole?

Le sénateur Phillips: Bien sûr.

Le sénateur Simard: Nous avons un Règlement en bonne et due forme.

Le sénateur Losier-Cool: Merci. Je voulais juste savoir.

La présidente: La motion dont nous sommes actuellement saisis propose que la motion précédemment adoptée par le comité soit retirée et que le comité voyage.

Je demanderais à tous ceux qui sont pour de dire «oui» ou de lever la main.

Tous ceux qui sont contre?

La motion est rejetée.

Le sénateur Cools: Il y avait une abstention.

La présidente: Le sénateur Rossiter n'est pas membre titulaire du comité et n'a donc pas le droit de vote.

Le sénateur Simard: Madame la présidente, les sénateurs libéraux qui ont voté contre ma motion sont-ils tous membres titulaires du comité?

Le sénateur Stollery: Madame la présidente, je remplace officiellement un autre sénateur.

Le sénateur Simard: Je vois que deux sénateurs du Nouveau-Brunswick ont voté contre ma motion visant à entendre des témoins au Nouveau-Brunswick.

La présidente: Sénateur Simard, si vous me permettez, je voudrais poursuivre nos travaux.

Nos premiers témoins de ce soir représentent l'Association canadienne de la construction. Nous accueillons M. Brian Scroggs, qui est président de l'Association. Vous avez la parole, monsieur Scroggs.

M. Brian Scroggs, président du conseil d'administration, Association canadienne de la construction: Je voudrais commencer par remercier le comité de l'occasion qui est donnée à l'ACC de présenter son point de vue sur le projet de loi C-12, c'est-à-dire la nouvelle loi concernant l'assurance-emploi.

Vous avez déjà une copie de notre mémoire écrit, et nous n'avons donc pas l'intention de le passer en revue avec vous point par point. Nous allons nous contenter par conséquent de faire quelques brèves remarques liminaires avant d'engager la discussion et de répondre à vos questions.

Le poste que j'occupe à titre de président de l'Association canadienne de la construction est un poste de bénévole. Je ne suis pas un lobbyiste rémunéré. Je travaille dans l'industrie de la construction et suis président-directeur général de Farmer Construction Limited, implantée à Victoria en Colombie-Britannique.

Madame la présidente, l'Association canadienne de la construction représente quelque 20 000 entreprises de construction dans toutes les régions du Canada qui sont actives dans la branche non domiciliaire de l'industrie de la construction. Quatre-vingt-quinze pour cent d'entre elles sont de petites entreprises. Collectivement, l'industrie de la construction est l'un des plus gros employeurs au Canada, puisqu'elle fournit quelque 750 000 emplois directs. Il n'est donc guère surprenant que les politiques de développement des ressources humaines d'emploi, telles qu'elles sont présentées dans le projet de loi sur l'assurance-emploi, intéressent au plus haut point l'industrie de la construction et l'Association canadienne de la construction.

L'Association canadienne de la construction a toujours préconisé une réforme en profondeur du programme d'assurance-chômage. De l'avis de l'ACC, le régime actuel est trop généreux, présente des obstacles à l'emploi et à la mobilité de la main-d'oeuvre et ne correspond guère plus à l'intention originale du programme. Dans la mesure où le projet de loi dont le Sénat est actuellement saisi prévoit des mesures destinées à répondre à certaines de ces préoccupations, l'ACC l'appuie, même si elle juge que les modifications proposées sont loin d'être aussi exhaustives que celles proposées par nos membres.

Avant de demander à John DeVries de passer rapidement en revue nos principales préoccupations, je tiens à vous signaler que nous avons préparé un résumé de nos principales critiques, qui sont les suivantes: le programme d'assurance-chômage que propose le gouvernement n'est pas le véhicule approprié pour faire disparaître les disparités régionales ou atteindre d'autres objectifs sociaux. Ce genre de mesures doit faire l'objet d'une initiative distincte qui serait financée par tous les contribuables.

Les cotisations d'assurance-chômage constituent une sorte de charge sociale, et donc une taxe sur l'emploi, coût que le gouverneur de la Banque du Canada et le ministre des Finances ont tous les deux reconnu comme l'un des principaux obstacles à la création d'emplois.

La caisse d'assurance-chômage aura un excédent important -- soit près de 5 milliards de dollars --, d'ici la fin de l'actuelle année financière; cet excédent devrait continuer de progresser, pour atteindre 9 milliards de dollars d'ici la fin de l'année suivante. Le gouvernement fédéral devrait donc commencer à réduire les cotisations, plutôt que de verser ces crédits au Trésor.

Quand le gouvernement fédéral a cessé de financer le programme d'assurance-chômage en 1989, il a demandé aux employeurs et employés de combler cette lacune en versant des cotisations d'assurance-chômage plus élevées. En adoptant cette mesure, le gouvernement s'est engagé à consacrer ces crédits au développement des ressources humaines et à la formation -- par exemple, en finançant des programmes d'apprentissage dans l'industrie de la construction, qui sont un élément essentiel de l'infrastructure de formation de l'industrie.

En décidant récemment de cesser de financer de tels programmes, le gouvernement fédéral a manqué à ses obligations. Ce dernier devrait à notre avis rendre ces crédits aux employeurs et aux travailleurs afin qu'ils puissent consacrer cet argent -- qui est après tout leur argent --, aux mesures de formation qui leur semblent prioritaires.

Je vais maintenant céder la parole à John DeVries, qui va aborder un certain nombre de questions précises.

M. John DeVries, vice-président, Association canadienne de la construction: Madame la présidente et membres du comité, je vais aborder un certain nombre de questions qui ont orienté nos recommandations avant que nous n'ouvrions le débat sur le projet de loi.

Nos priorités sont énumérées au début du mémoire, et sont fondées sur un sondage mené auprès de nos membres. Notre président a visité l'ensemble des régions, et en 1994 et 1995, la réforme du régime d'assurance-chômage était au premier rang des sujets abordés pendant ces discussions. À l'occasion de débats tenus d'un bout à l'autre du pays, nos membres nous ont dit quelle position nous devrions adopter sur ces différentes questions. Nous vous présentons par conséquent le consensus qui s'est dégagé à ce moment-là.

En ce qui nous concerne, la toute première priorité est la mobilité de la main-d'oeuvre du secteur de la construction. Le travail dans ce secteur s'effectue là où se trouve le client. Le programme actuel d'assurance-chômage verse des prestations trop généreuses et il est conçu pour favoriser les régions du pays où le taux de chômage est très élevé, ce qui a pour effet de retenir la main-d'oeuvre dans des régions de marasme économique.

La deuxième priorité consiste à assurer notre compétitivité mondiale. La santé économique de notre industrie dépend des investisseurs étrangers, et si la position du Canada n'est pas concurrentielle, nous ne pourrons pas attirer de nouveaux investisseurs ou conserver les investissements actuels. Il ne fait aucun doute que les coûts salariaux d'une entreprise constituent l'un des facteurs importants de ces coûts opérationnels permanents, et par conséquent, nous devons être conscients des coûts salariaux totaux et nous efforcer de maintenir notre compétitivité sur ce plan, notamment par rapport aux États-Unis.

La troisième priorité consiste à mettre un frein à l'économie parallèle. Nous avons un régime d'assurance-chômage généreux, qui prévoit un minimum de contrôle -- et je me permets d'insister là-dessus parce que le régime, tel qu'il existe à l'heure actuelle, n'est pas doté de véritables mesures d'application de la loi. Ainsi les travailleurs sont fortement encouragés à participer à l'économie parallèle. Les réformes proposées sont fort positives, mais demeurent insuffisantes.

La quatrième priorité est l'équité. Avec sa grande générosité et ses dispositions plus que favorables visant à satisfaire des objectifs régionaux et sociaux, le régime d'assurance-chômage actuel a créé un groupe important d'utilisateurs fréquents, et par le fait même, un groupe important de cotisants nets. En conséquence, ce régime est considéré injuste de par sa structure même. Le régime d'assurance-chômage favorise certains secteurs économiques et certaines régions du pays en leur attribuant des subventions excessives. Le régime risque à présent de perdre les appuis dont il a besoin à l'échelle du pays pour maintenir un programme d'assurance à risque partagé. Notre industrie est justement l'un de ces utilisateurs important et elle estime qu'une réforme des prestations est essentielle pour garantir un appui national au régime d'assurance-emploi de l'avenir.

Je voudrais maintenant faire quelques remarques spécifiques concernant divers aspects du projet de loi.

La partie I, soit les articles 6 à 55, porte sur les prestations d'assurance-chômage. Notre association appuie la modification visant à fonder l'admissibilité aux prestations sur le nombre d'heures, plutôt que sur le nombre de semaines travaillées. À notre avis, les conditions d'admissibilité ne devraient pas varier en fonction des taux de chômage régionaux. La formule actuellement proposée est fort complexe. Selon nous, elle ne réduira en rien les complexités administratives du régime actuel et ne facilitera aucunement la tåche aux employeurs qui doivent préparer les relevés d'emploi. Nous recommandons par conséquent l'adoption d'une exigence minimale de 700 heures de travail -- c'est-à-dire 20 semaines --, pour être admissible aux prestations d'un bout à l'autre du pays.

Nous appuyons la modification de la formule de prestation que propose l'article 14. La division des gains par un diviseur commun, sur une période déterminée, incitera les travailleurs individuels à chercher à obtenir des semaines de travail supplémentaires. Notre association est d'avis qu'il convient d'adopter un diviseur commun de 20 semaines, sans aucune variation régionale. Encore une fois, il s'agit de normaliser et de simplifier le régime.

Nous sommes en faveur de la réduction des prestations aux prestataires fréquents que prévoit l'article 15, même si nous savons fort bien que cette mesure touchera l'industrie de la construction. Il s'agit malgré tout d'une réduction relativement mineure qui, à notre avis, aura pour résultat d'encourager les prestataires fréquents à chercher un emploi supplémentaire.

L'article 16 prévoit le versement de prestations familiales supplémentaires aux prestataires à faible revenu. À notre avis, si le gouvernement est disposé à prendre des mesures de ce genre et à modifier un régime d'assurance pour lui donner un caractère plus social, il devrait aussi voir l'autre aspect de la question et examiner la situation des prestataires fréquents ayant un revenu familial élevé. D'après les statistiques, environ 200 000 prestataires fréquents avaient un revenu familial supérieur à 50 000 $ en 1991.

La partie II concerne les prestations d'emploi et les cinq instruments que propose le gouvernement. Nous avons d'ailleurs des opinions tranchées au sujet des subventions salariales, des suppléments de revenus et des programmes d'encouragement au travail indépendant et de création d'emplois. À notre avis, les programmes d'encouragement au travail indépendant et de création d'emplois devraient être éliminés. Ils ne devraient pas faire partie de l'ensemble des mesures proposées. Nous estimons que les subventions salariales et les suppléments de revenu sont contre-indiqués parce qu'ils nuisent à l'efficacité du marché du travail.

Les subventions et prêts de perfectionnement annoncés le 27 novembre par le premier ministre indiquent que le gouvernement fédéral cessera d'acheter directement des cours de formation. Ces subventions et prêts sont censés plus ou moins remplacer la formule actuelle, qui consiste à acheter des blocs de places en formation. L'industrie de la construction tient à insister sur le fait que notre association devrait participer aux discussions entre les administrations fédérale et provinciales sur la façon de concevoir et de mettre en place ce nouveau système de subventions et de prêts. Nous ne sommes pas convaincus que les bureaucraties des administrations respectives comprennent vraiment les lourdes conséquences de l'adoption d'un régime prévoyant des frais de scolarité qui reflètent les coûts intégraux des programmes d'apprentissage, et nous nous inquiétons beaucoup de ce que les décisions prises ne tiennent pas compte de tous les éventuels effets d'un tel changement.

La partie III concerne les cotisations -- et à cet égard, vous venez d'entendre les remarques de notre président au sujet de l'excédent de la caisse d'assurance-chômage. Par conséquent, je n'en dirai pas plus. Par ailleurs, nous présentons une recommandation qui n'est peut-être pas très fréquente mais qui est certainement fondée à nos yeux, à savoir l'égalisation des cotisations. Pourquoi l'employeur devrait-il payer 1,4 fois la cotisation ouvrière? Notre président a parlé tout à l'heure de l'excédent global de la caisse, et à notre avis, un excédent raisonnable de 3 milliards de dollars est amplement suffisant.

Je voudrais maintenant parler de la formation des apprentis. J'ai mentionné tout à l'heure que le premier ministre a déjà annoncé que le gouvernement fédéral n'assurera plus cette formation. L'incidence de l'élimination des achats de places en formation est évidemment inconnue pour le moment, puisque nous ne savons pas quelle sera la réaction des provinces au cours de la période d'application progressive de trois ans. Nous tenons néanmoins à maintenir un dialogue libre avec le gouvernement, et nous encourageons ce comité à recommander à la Chambre et au premier ministre de soutenir le maintien d'un dialogue franc avec l'industrie. Peut-être la réunion des premiers ministres prévue pour les 20 et 21 juin constituerait-elle une tribune tout à fait apte pour ouvrir un tel dialogue.

Enfin, en ce qui concerne les mesures de soutien du revenu des apprentis, nous proposons une modification de forme, à savoir qu'en vertu de l'article 25 du projet de loi, la définition du prestataire au chômage qui est apte et prêt à travailler pendant une période de chômage devrait inclure un apprenti inscrit. Il s'agit d'une modification de forme que nous recommandons au comité.

Nous pouvons maintenant passer à la période des questions.

Le sénateur Phillips: Je me permets tout d'abord de contester votre affirmation selon laquelle les prestations d'assurance-chômage constituent une contre-incitation au travail.

Pour ma part, j'habite une région où il y a des taux élevés de chômage saisonnier, et je sais bien que si ces chômeurs quittaient la région pour s'établir en Ontario ou dans une autre région que vous représentez, vous seriez les premiers à leur dire: «Non, malgré votre formation et vos qualifications, vous n'êtes pas admissibles.»

Comment pouvez-vous prétendre que l'assurance-chômage constitue une contre-incitation au travail? C'est vous qui découragez les travailleurs en adoptant des règles aussi strictes et en collaborant avec les syndicats. S'il n'y a pas de mobilité de la main-d'oeuvre entre province, c'est parce que l'Association de la construction et les syndicats refusent de faire travailler des gens venant d'autres régions.

C'est un problème auquel je me heurte depuis plusieurs années, et voilà pourquoi je me sens frustré et je me mets en colère quand j'entends dire que l'assurance-chômage est une contre-incitation au travail. Je connais trop de gens qui ont quitté les provinces maritimes pour s'établir en Ontario, en Alberta et ailleurs, et qui n'ont pas pu faire reconnaître leurs qualifications. Et si elles n'ont pas été reconnues, c'est en raison d'une entente entre l'Association de la construction et les syndicats.

Expliquez-moi donc pourquoi vous et votre association n'acceptez pas les qualifications de travailleurs venant de régions où le chômage est élevé.

M. Scroggs: Vous me demandez pourquoi nous ne le faisons pas, mais je vous répondrais au contraire que nous acceptons leurs qualifications et à titre d'employeur, je peux me permettre de l'affirmer.

Le sénateur Phillips: J'ai beaucoup de mal à le croire, mais excusez-moi, je ne devrais pas être aussi direct.

M. Scroggs: Vous avez droit à votre opinion, sénateur. Si vous ne le croyez pas, c'est votre droit. C'est justement cela qui est merveilleux au Canada.

Il n'en reste pas moins que je peux vous affirmer à titre d'entrepreneur que plusieurs personnes des provinces maritimes travaillent pour moi. Je ne sais pas d'où vous tenez vos renseignements. Mais je peux vous dire qu'en Colombie-Britannique, ce n'est pas le cas.

Le sénateur Phillips: Et vous parlez de quels métiers au juste?

M. Scroggs: Des menuisiers, entre autres. De plus, j'ai des connaissances de première main du métier de l'électricité, qui en est un autre. Nous avons un système que nous appelons le programme du «Sceau rouge» dans l'industrie de la construction au Canada. Les provinces qui offrent de bons programmes d'études et qui veulent s'assurer d'offrir une formation normalisée -- quelque chose que nous appuyons vivement --, participent au programme de certification interprovinciale du Sceau rouge. La mobilité de la main-d'oeuvre, en ce qui concerne les qualifications de ceux et celles qui pratiquent les différents métiers, est donc garantie d'un bout à l'autre du pays. Nous travaillons très fort d'ailleurs pour réaliser cet objectif. J'ai donné beaucoup de mon temps personnel à cette fin; c'est une activité pour laquelle je ne suis pas rémunéré. C'est pour moi l'occasion de rendre quelque chose au secteur de la construction.

Vous êtes sans doute au courant d'autres cas où la situation n'est pas celle que j'ai décrite. Mais puisque vous avez affirmé qu'il n'y a pas de mobilité, je me dois de vous dire que mon expérience est tout autre.

Le sénateur Phillips: Vous avez parlé du programme du Sceau rouge. Mais au Canada atlantique, nous ne sommes pas assez sots pour croire tout ce qu'on nous dit.

M. Scroggs: Un sot trouve toujours un plus sot qui l'admire, comme on dit en Colombie-Britannique.

Le sénateur Phillips: J'admire votre sens de la répartie, monsieur Scroggs.

Combien d'heures les gens venant d'autres régions doivent-ils travailler pour se qualifier? Dans le passé, j'étais assez étroitement associé au Syndicat des briqueteurs et maçons, et par conséquent, je connais très bien vos règlements. Vous ne pouvez pas affirmer qu'un diplômé de l'école de formation en maçonnerie et briquetage de Summerside serait accepté en Ontario, car je sais que c'est faux. Vous avez parlé de gens des provinces maritimes qui travaillent chez vous. Mais ce que j'aimerais savoir, c'est combien de personnes de cette même région vous avez renvoyées chez elles.

M. Scroggs: Sénateur, je n'ai jamais renvoyé quiconque chez lui dans les provinces maritimes, pas plus que j'ai renvoyé d'autres personnes venant d'autres régions chez elles. Si telle était ma politique, ou la politique des autorités de la Colombie-Britannique, je suppose que nous aurions d'énormes problèmes. Non seulement cela, mais il ne nous resterait pas grand-monde en Colombie-Britannique. Il y a beaucoup de gens en Colombie-Britannique qui viennent d'autres régions du Canada. Nous n'avons pas l'habitude de les renvoyer chez eux. Ils sont tout aussi qualifiés que n'importe quel autre Canadien pour venir travailler chez nous ou dans une autre région du pays.

Le sénateur Phillips: J'ai souvent voyagé en Colombie-Britannique. Sans vouloir vous contredire, je ne pense pas y avoir dénoté un grand respect pour les gens du Canada atlantique, ni pour les compétences de nos gens de métier. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai tant de mal à accepter vos témoignages ce soir. Je ne veux pas être impoli, mais je ne peux tout simplement pas accepter ce que vous dites; ou disons simplement que je ne vous crois pas.

La présidente: Sénateur Phillips, pourrais-je passer au prochain intervenant?

Le sénateur Phillips: Oui, merci.

Le sénateur Murray: Y a-t-il une pénurie d'ouvriers du båtiment dans les grandes agglomérations à l'heure actuelle?

M. Scroggs: Non, je ne crois pas qu'il y ait de pénurie dans la plupart des régions du Canada. À l'heure actuelle, les taux de chômage varient d'une province ou région à l'autre. Mais que je sache, il n'y a pas actuellement de pénurie.

Le sénateur Murray: Dans ce cas, sur quoi vous fondez-vous pour affirmer que nous avons un problème de mobilité de la main-d'oeuvre au Canada et que la variabilité régionale des conditions d'admissibilité au régime d'assurance-chômage en est la cause?

M. Scroggs: Est-ce à moi que vous posez la question?

Le sénateur Murray: Je la pose aux témoins.

M. DeVries: Sénateur, nous suivons l'évolution de la main-d'oeuvre dans tout le Canada, par région. Pendant les années 1980 et 1990, une tendance claire se dégageait qui indiquait que même pendant les périodes de grande prospérité de la fin des années 1980 en Ontario, où il y avait de graves pénuries d'ouvriers dans un certain nombre de métiers clés, comme la menuiserie et le briquetage à Toronto et dans le sud de l'Ontario, nous avons néanmoins déterminé que plus de 100 000 ouvriers du båtiment étaient au chômage au Canada. Le taux de chômage de l'industrie de la construction était toujours deux fois plus élevé que la moyenne nationale. Je pense que nous serions même en mesure de fournir de telles statistiques aux sénateurs. L'étude en question a été menée par DRH et portait sur les zones où il existe un bassin important d'ouvriers qualifiés qui touchent l'assurance-chômage, zones qui sont les plus nombreuses au Canada atlantique et au Québec. Le fait est que nous sommes dans l'impossibilité d'attirer les ouvriers vers certaines régions.

Le sénateur Murray: Vous ne laissez pas entendre par là que c'est à cause des variations régionales que les travailleurs n'auraient pas quitté leur région pour s'établir en Ontario, afin de trouver un travail temporaire dans le secteur de la construction, n'est-ce pas?

M. DeVries: Il reste qu'on ne peut pas nier leur incidence. Vers la fin des années 1980, on avait besoin de seulement 10 semaines de travail au Canada atlantique, c'est-à-dire une zone connaissant un taux de chômage élevé, pour avoir droit à des prestations d'assurance-chômage pendant une période beaucoup plus longue. Dans d'autres régions, il fallait 20 semaines de travail pour obtenir des prestations de beaucoup plus courte durée. Une telle situation a pour résultat de maintenir les chômeurs dans les régions où ils habitent. S'il y a trop de travailleurs disponibles et pas assez d'emplois, l'offre de la main-d'oeuvre est inefficace. Voilà ce que nous avons constaté en examinant les statistiques et l'analyse préparées par le ministère.

Le sénateur Murray: En ce moment, il y a probablement un excédent d'ouvriers du båtiment en Ontario, n'est-ce pas?

M. DeVries: Il y a un excédent d'un bout à l'autre du pays. Notre président vous dirait qu'en Colombie-Britannique la situation est peut-être un peu plus favorable. En général, les chiffres indiquent un nombre élevé d'ouvriers du båtiment qualifiés au chômage.

Le sénateur Rompkey: Je voulais vous poser quelques questions dans le même ordre d'idées, bien que je note que l'Association canadienne de la construction appuie les principaux axes du projet de loi. Mais la question de la normalisation m'intrigue, et j'aimerais donc l'approfondir un peu plus avec vous.

Il y a un certain nombre de choses qui sont uniformisées pour l'ensemble du pays -- par exemple, les pensions. Voilà l'un des quelques exemples qui me viennent à l'esprit. Mais les impôts ne sont pas uniformes, pas plus que le coût de la vie. Nous n'avons pas de libre-échange. On ne peut pas vendre la bière du Nouveau-Brunswick en Ontario, par exemple, même si cette possibilité peut sembler à la fois importante et intéressante, surtout pour moi.

Je trouve donc surprenant que vous recommandiez l'uniformisation des prestations alors que les conditions ne sont pas les mêmes d'un bout à l'autre du pays. Je me demande comment l'un pourrait exister sans l'autre, et je me pose des questions sur l'efficacité d'un régime prévoyant le versement de prestations uniformes quel que soit le contexte économique.

La main-d'oeuvre du secteur de la construction est peut-être mobile. Mais d'après mon expérience, si vous pratiquez le métier d'électricien dans une province, vous ne pouvez pas obtenir un emploi dans une autre province à moins de détenir un permis accordé par cette dernière. Il en va de même pour les autres métiers. En tout cas, en Ontario et au Québec, un ouvrier doit être accrédité dans la province pour pouvoir y travailler.

J'essaie simplement de vous faire comprendre que les conditions ne sont pas les mêmes d'un bout à l'autre du pays. Je me demande si vous avez tenu compte de cela; peut-être pourriez-vous nous expliquer les raisons pour lesquelles vous recommandez cette uniformisation?

M. Michael Atkinson, président, Association canadienne de la construction: Sénateur, vous avez peut-être mal compris notre position. Nous ne prétendons pas qu'il faut nécessairement une norme nationale uniforme. Nous pensons simplement que si le gouvernement veut atteindre certains objectifs d'ordre régional -- c'est-à-dire pour réduire les disparités régionales --, ou social, il ne devrait pas essayer de le faire dans le contexte du régime d'assurance-emploi. Malheureusement, nous avons transformé un cheval en chameau, et ce chameau a de plus en plus de bosses. Nous ne sommes pas contre la poursuite de certains objectifs régionaux ou sociaux. Au contraire, nous appuyons de tels objectifs, mais ils n'ont pas leur place dans un programme d'assurance-emploi ou -chômage.

Le sénateur Rompkey: Et avez-vous des idées au sujet du véhicule qui pourrait permettre de réaliser ces objectifs?

M. Atkinson: On peut le faire dans le contexte d'autres mesures législatives. Il ne faut pas oublier que le régime d'assurance-emploi est entièrement financé à présent par les employeurs et employés au Canada. Si le gouvernement attache une aussi grande importance à ces objectifs, qu'ils concernent la politique sociale, le développement régional ou la réduction des disparités régionales, il devrait faire financer de telles initiatives par l'ensemble de la population canadienne et le faire dans le contexte d'une mesure législative axée justement sur ces objectifs-là. Mais il ne faut pas le faire dans le cadre d'un programme qui a été entièrement transformé.

Je crois d'ailleurs que c'est le point sur lequel nous souhaitons insister le plus. Nous sommes très préoccupés par la possibilité qu'on intègre de plus en plus d'éléments dans un programme qui est maintenant financé uniquement par les employeurs et employés au Canada.

Le sénateur Rompkey: Donc, vous êtes en faveur d'un régime d'assurance pur.

M. Atkinson: Dans la mesure où le régime d'assurance-emploi pourrait vraiment être un régime d'assurance pur -- et c'est peut-être impossible --, nous estimons qu'il devrait s'aligner davantage sur les objectifs fixés au moment de la création du régime.

Le sénateur Rompkey: C'est donc davantage une question de degré que de type de régime, non?

M. Atkinson: Les deux, jusqu'à un certain point.

Le sénateur Bosa: Certains disent que le gouvernement ne devrait pas accumuler les crédits perçus sous forme de cotisations et les utiliser pour réduire le déficit. Mais on a réduit le taux de cotisation cette année. Le gouvernement est d'avis qu'il faut au contraire établir une réserve en cas de récession, car à ce moment-là, l'excédent accumulé pourrait servir à réduire l'écart entre les sommes perçus sous forme de cotisations et les moments versés sous forme de prestations. Il serait extrêmement difficile de combler un tel écart en augmentant le taux de cotisation en pleine récession.

D'après vous, cet excédent devrait être plafonné à quel montant?

M. Atkinson: Il a été proposé que l'excédent maximal soit entre 3 et 4 milliards de dollars. Même lorsque le gouvernement avait besoin de solutions provisoires au pire moment de la récession, je crois que l'excédent n'a jamais dépassé 5,5 milliards de dollars. Il faut se rappeler cependant que nous passons à présent à un nouveau régime qui, de l'aveu même du gouvernement, n'est pas aussi généreux et nécessitera par conséquent moins de ressources financières. Il faut aussi se rappeler qu'il s'agit de l'argent des employeurs et employés. Ce à quoi nous nous opposons le plus -- et c'est là qu'il s'agit d'une question de degré, sénateur --, c'est le fait qu'on n'a pas cru bon de fixer un plafond à l'excédent de la caisse.

Le ministre des Finances et le comité de la Chambre nous ont tous les deux dit que ces crédits sont versés au Trésor et peuvent être utilisés pour n'importe quelle initiative. Je suis peut-être naïf, mais j'ai toujours pensé que les cotisations d'assurance-chômage devaient servir à réaliser les objectifs de la Loi sur l'assurance-chômage -- mais c'était avant que je voie ce qui est arrivé au Régime de pensions du Canada.

Le sénateur Bosa: Non, c'est faux. Il est vrai que les cotisations sont versées au Trésor, mais elles sont toujours créditées au compte d'assurance-emploi. Là, il semble y avoir un malentendu.

D'après vous, quand le gouvernement devrait-il cesser d'accumuler un excédent et commencer à réduire les cotisations, puisque vous dites qu'il existe déjà un excédent?

M. Atkinson: Si je me fonde sur des données rétrospectives, l'excédent devrait être de l'ordre de 3 milliards de dollars.

M. DeVries: Dans le mémoire que nous avons déposé devant le comité de la Chambre, nous avons recommandé un plafond de 3 milliards de dollars. En 1995, les prestations versées aux participants en vertu du régime se sont montées à 13,7 milliards de dollars, mais le montant global des prestations est à la baisse depuis 1992, alors qu'il a atteint 19 milliards de dollars. Nous ne voyons aucune raison d'avoir un excédent supérieur à 3 milliards de dollars. Je pense qu'il doit déjà être de l'ordre de 3 milliards de dollars. D'après les prévisions, il atteindra 5 milliards de dollars d'ici la fin de l'année.

Le sénateur Simard: Avant de poser ma question, je tiens à rappeler à la présidente qu'à la réunion tenue la semaine dernière, à laquelle ont assisté différents membres de mon caucus et des représentants du ministère, on a promis de nous remettre un tableau qui indiquerait les recettes et les dépenses, c'est-à-dire les versements effectués au cours des 10 dernières années et peut-être même les prévisions pour les trois ou quatre prochaines années. Ces chiffres sont-ils disponibles? Ont-ils été préparés? J'aurais bien aimé les avoir.

La présidente: Je crois comprendre qu'ils ont effectivement été préparés. Il s'agissait d'un graphique indiquant le moment où la caisse d'assurance-chômage commencerait à manquer de fonds.

Le sénateur Simard: Oui. Moi, je voudrais obtenir un tableau indiquant le montant des cotisations et des versements pour chaque année.

La présidente: C'est exact. Vous avez demandé qu'on prépare un tel tableau.

Le sénateur Simard: Cela va peut-être m'aider à faire valoir mes arguments.

La présidente: Nous l'avons demandé, sénateur, mais nous ne l'avons pas encore reçu.

Le sénateur Simard: Est-ce qu'on va le recevoir? On nous l'a promis la semaine dernière. En relisant le compte rendu aujourd'hui, j'ai vu que le ministre avait cité certains chiffres hier soir. De toute évidence, il possède cette information.

Je voudrais tout d'abord féliciter les représentants de l'Association canadienne de la construction d'avoir bien voulu prendre le temps de comparaître et d'avoir fait preuve de patience pendant la discussion qui a eu lieu au début de la réunion.

Je tiens à dire tout de suite que je n'essaie pas de vous tendre un piège. Je voudrais simplement que vous m'expliquiez une déclaration qui figure au tout début de votre mémoire:

En tant qu'organisme de gens d'affaires qui a toujours préconisé une réforme en profondeur de la structure de l'assurance-chômage... l'ACC est quelque peu déçue de constater que ce train de mesures ne va pas plus loin dans le sens d'une réforme qui devrait s'attaquer aux mesures dissuasives de l'assurance-chômage. Ceci dit, l'ACC reconnaît que les mesures mises de l'avant dans le projet de loi C-12 constituent un pas en avant dans l'évolution en cours de ce programme. Dans le contexte de la dynamique politique qui entoure l'assurance-chômage, l'ACC a adopté la position selon laquelle ce plan de réformes devrait être soutenu par une mesure législative.

Vous m'avez entendu demander il y a quelques instants un tableau qui pourrait m'aider à étayer mes arguments.

Vous appuyez ce projet de loi parce qu'il constitue d'après vous un pas en avant et va permettre de corriger un certain nombre de problèmes structurels. Or, nous savons très bien -- et si vous aviez sous les yeux le tableau que j'ai demandé, vous le verriez noir sur blanc --, que le dernier programme de réforme de l'assurance-chômage, présenté par le gouvernement conservateur il y a trois ou quatre ans, a été critiqué par l'actuel gouvernement libéral et tous ceux qui y sont associés. M. Martin et M. Young, un député du Nouveau-Brunswick, étaient parmi ceux qui dénonçaient le plus le projet de loi du gouvernement conservateur.

Or, ils ont en réalité aggravé les problèmes. Il n'est tout simplement pas juste de prétendre que ce projet de loi constitue un pas en avant. En réalité, quand nous aurons les chiffres sous les yeux -- et nous allons les avoir --, ces derniers indiqueront que les recettes dépassent les versements en vertu du régime d'assurance-chômage depuis trois ans. En effet, un excédent s'est peut-être constitué pendant trois ou quatre ans, de 1990 à 1993.

Je pense que si vous vérifiez les chiffres, vous verrez que depuis 1993 ou 1994, il y a eu un excédent chaque année.

J'arrive maintenant au projet de loi.

On peut toujours me corriger -- c'est-à-dire si vous n'êtes pas d'accord et si vous avez des arguments plus solides à faire valoir. Le projet de loi C-12 n'est aucunement un pas en avant. Il pénalise les employeurs et les employés à faible revenu. Il élimine de la catégorie des prestataires des milliers de gens, au Nouveau-Brunswick et ailleurs, qui seront désormais exclus.

Ce projet de loi représente une véritable vache à lait pour le gouvernement -- à un point tel, d'ailleurs que quelle que soit la méthode utilisée par M. Young ou M. Chrétien, qu'ils calculent à partir de l'an dernier ou de l'année précédente, ils auront accumulé, selon leurs propres chiffres, 5 milliards de dollars d'ici la fin de cette année, et 10 milliards de dollars d'ici 1997.

Pour moi, cela prouve au contraire que ce projet de loi n'est pas un pas en avant, comme vous dites. C'est une véritable vache à lait. Il va amener l'exclusion d'un bon nombre de personnes. Vous-même avez fait remarquer tout à l'heure que les charges sociales et les impôts de tout type tuent l'emploi. Vous l'avez dit, et je suis tout à fait d'accord avec vous pour reconnaître que les cotisations sociales ont un effet tout à fait dévastateur.

Vous avez proposé que la cotisation patronale passe progressivement de 4,13 $ pour 100 $ au taux de la cotisation ouvrière, qui est de 2,95 $. À mon avis, même si le gouvernement ne voulait pas modifier le taux de cotisation des employés, il pourrait, avant même d'adopter ce projet de loi, réduire la cotisation patronale de 30 p. 100. À ce moment-là, le montant de l'excédent ne serait pas de 3 milliards de dollars, comme vous l'avez recommandé, mais de l'ordre de 2,5 milliards de dollars.

Que pensez-vous de ma proposition? Seriez-vous prêt à appuyer un amendement que le comité sénatorial pourrait proposer au gouvernement avant la fin de la session, en vue de réduire la charge fiscale des employeurs, et de leur permettre ainsi de créer des emplois, ce qui demeure un objectif très important, comme vous-même l'avez reconnu tout à l'heure.

M. Scroggs: Nous avons recommandé dans notre rapport que le gouvernement envisage de réduire les cotisations de ceux qui les versent de manière à prévoir un excédent maximal de 3 milliards de dollars. Voilà notre recommandation.

D'après l'information dont nous disposons, le compte d'assurance-chômage enregistre un excédent depuis deux ans et il nous semble donc raisonnable de réduire les cotisations. En fait, le gouvernement les a déjà réduites.

Le sénateur Simard: Oui, de cinq sous.

M. Scroggs: À notre avis, la réduction aurait dû être plus importante. Voilà notre position.

Le sénateur Simard: Les citoyens peuvent donc dire que le gouvernement Chrétien est un gouvernement à cinq sous!

Le sénateur Lavoie-Roux: Vous avez énoncé un certain nombre de priorités, entre autres la troisième, qui est la suivante:

RÉDUIRE LA PART DE L'ÉCONOMIE PARALLÈLE: Un régime d'assurance-chômage généreux où les mesures d'exécution demeurent minimales devient un puissant incitatif pour amener les travailleurs à se joindre à l'économie parallèle. Les réformes proposées constituent un pas dans la bonne direction, mais elles demeurent insuffisantes.

Les représentants de toutes les administrations et de toutes les provinces qui ont dû se heurter au problème de l'économie parallèle prétendent que c'est de l'argent gaspillé, que ce soit le gouvernement fédéral ou les gouvernements provinciaux qui le font. Voilà la critique formulée par des gens qui sont aux prises avec le problème du travail au noir au Québec, par exemple. Ils disent que cela crée toutes sortes d'autres problèmes sur le plan de l'équité.

Vous dites qu'il s'agit là d'un pas dans la bonne direction, mais pourriez-vous me dire pourquoi? Qu'auriez-vous fait pour corriger la situation difficile qui touche l'ensemble du pays à l'heure actuelle?

M. DeVries: Dans un mémoire très complet déposé devant le comité permanent des ressources humaines, nous avons présenté beaucoup plus de recommandations détaillées.

Essentiellement, le principal message que nous voulions transmettre au ministère concernait la nécessité d'assurer le respect des actuelles dispositions législatives. La loi prévoit que ceux qui touchent des prestations d'assurance-chômage doivent être prêts à travailler et chercher activement un travail. Souvent les gens sont disponibles pour travailler, mais peuvent justement avoir peur de réussir à décrocher un emploi. C'est une situation qui pose problème. En l'absence de mesures d'exécution de la loi, nous finissons par créer un régime qui permet aux gens de poursuivre librement leurs activités, surtout dans le secteur de la construction où les gens offrent leurs services et leurs compétences en échange de paiement en espèces. En effet, ils touchent deux salaires et personne ne contrôle la situation.

Donc, nous insistons tout d'abord sur la nécessité de faire respecter les conditions actuelles, et deuxièmement, de resserrer les conditions d'admissibilité aux prestations. Faisons en sorte que notre régime soit comparable à celui de tous les autres pays. Le Canada a de loin le régime d'assurance-chômage le plus généreux. Exiger d'un travailleur qu'il ait 12 semaines de travail pour être admissible aux prestations est une condition trop facile à remplir, et de même, le fait de prévoir une longue période de prestations encourage les gens à participer activement à l'économie parallèle. Pour notre part, nous recommandons que le gouvernement exige un minimum de 20 semaines de travail pour être admissible aux prestations, et que le niveau des prestations soit en rapport direct avec le travail. Par exemple, deux semaines de travail vous donneraient droit à une semaine de prestations. À notre avis, il serait tout à fait possible d'exiger une plus longue période de travail comme condition d'admissibilité et de prévoir un barème des prestations plus rigoureux. Voilà donc nos principales recommandations.

Le sénateur Lavoie-Roux: Est-ce que ces recommandations font l'objet d'explications plus détaillées dans le mémoire que vous avez présenté au comité de la Chambre des communes? Où peut-on les trouver?

M. DeVries: Elles figurent dans un mémoire que nous avons effectivement présenté au comité permanent des ressources humaines de la Chambre des communes.

Le sénateur Lavoie-Roux: Il y a une chose qui m'étonne toujours au sujet des bureaux d'assurance-chômage. Si vous touchez des prestations d'assurance-chômage, vous êtes censé accepter un emploi si on vous l'offre. Vous êtes censé être disponible pour travailler. Mais je suis au courant d'à peu près cinq cas, dont quatre concernaient des professionnels -- c'est-à-dire des bibliothécaires, et cetera --, où les personnes en question n'avaient jamais reçu une offre d'emploi. Est-ce parce qu'il n'y a pas d'emplois ou parce que les emplois sont rares, ou est-ce plutôt parce que les agents des bureaux d'assurance-chômage font mal leur travail?

Est-ce normal qu'une personne au chômage soit tenue d'être disponible pour travailler et qu'on ne lui offre jamais rien? Par le passé, les prestations étaient payables pendant un maximum d'un an. Mais pendant toute l'année, on ne les a jamais appelées, même une fois, pour leur demander si tel ou tel poste les intéresserait. Si vous êtes bibliothécaire, vous n'êtes pas obligé de chercher un emploi de bibliothécaire. C'est peut-être préférable, mais le fait est qu'on n'offre absolument rien à ces gens-là.

M. Atkinson: En ce qui concerne l'exécution de la loi, je pense que vous avez trouvé un bon système. Quand j'apprenais que certains ouvriers qui touchaient des prestations d'assurance- chômage travaillaient dans le secteur de la construction, on leur demandait de se présenter au bureau et de donner les détails des entrevues qu'ils avaient passées. Ils devaient produire des listes de personnes qui leur avaient fait passer une entrevue. Il y avait des contrôles réguliers et tout le monde savait qu'il y avait un système en bonne et due forme. Maintenant, il peut arriver qu'on ne vous appelle pas une seule fois durant toute la période des prestations. En permettant à notre régime de devenir trop laxiste, on encourage les gens à chercher toujours à obtenir le maximum sur le plan des prestations.

Le sénateur Lavoie-Roux: Ce projet de loi va-t-il corriger la situation ou les bureaux d'assurance-chômage régionaux et locaux ont-ils déjà pris des mesures en ce sens? Pourquoi demande-t-on aux gens d'être disponibles pour travailler, alors qu'on ne leur offre jamais un emploi? On ne les appelle jamais.

M. DeVries: En ce qui concerne l'emploi abusif du régime d'assurance-chômage, nous sommes d'avis qu'un réel progrès a été accompli sur ce plan-là, et nous appuyons par conséquent les mesures prises en ce sens. On examine à présent le problème des recours répétés à l'assurance-chômage. Je pense que plus de 50 p. 100 des prestataires d'assurance-chômage ont eu recours au régime précédemment. Ça devient un mode de vie en quelque sorte. Cinquante pour cent des 2 millions de prestataires y recourent chaque année. On resserre à présent les conditions d'admissibilité. De plus, nous examinons les prestations complémentaires et envisageons de les réduire. Cet ensemble de réformes mérite notre appui, mais nous espérons en même temps que d'autres réformes progressistes suivront dans les années qui viennent.

Le sénateur Lavoie-Roux: Il vaut mieux, sinon nous serons exactement au même point dans cinq ans.

La présidente: Monsieur Scroggs, je tiens à vous remercier ainsi que vos collègues d'avoir bien voulu vous joindre à nous ce soir. Je pense que nous pourrons sans doute obtenir une copie du mémoire que vous avez présenté au comité des ressources humaines dans l'autre endroit. Nous aimerions pouvoir étudier les recommandations détaillées qu'il renferme.

Nous accueillons maintenant nos prochains témoins, qui représentent l'Organisation nationale anti-pauvreté.

Bienvenue au comité. Je vous cède tout de suite la parole.

Mme Lynne Toupin, directrice exécutive, Organisation nationale anti-pauvreté: Madame la présidente, nous vous remercions de l'occasion qui nous est donnée ce soir de présenter nos vues sur le projet de loi dont vous êtes actuellement saisis, surtout que nous n'avons pas pu comparaître devant le comité parlementaire. Ainsi il nous semble très important d'expliquer clairement nos préoccupations au sujet du projet de loi C-12.

Comme notre organisme a des ressources limitées, nous n'avons pas pu faire traduire notre document, et nous nous en excusons. Je crois comprendre cependant que d'après vos règles de procédure, maintenant que nous avons commencé, nous pouvons au moins vous en remettre une copie anglaise.

François Dumaine, notre directeur adjoint, a fait toute la recherche lui-même, et c'est donc lui qui va présenter les principaux points que nous abordons dans notre mémoire.

[Français]

M. François Dumaine, directeur adjoint, Organisation nationale anti-pauvreté: Alors je vais vous souligner les principaux points de notre mémoire. Évidemment, je n'ai aucune intention d'en faire la lecture. Alors soyez confiants que ce sera bref. Ainsi, cela vous permettra de nous poser des questions. C'est probablement ce que vous voulez faire.

Ce que je voulais faire d'abord et avant tout, c'est rappeler à ce comité que l'analyse du projet de loi C-12 se déroule dans un contexte très particulier. L'année 1996 a été déclarée par les Nations Unies comme étant l'année internationale pour l'élimination de la pauvreté. Lorsque les Nations Unies déclarent une année internationale comme celle-là, des directives très précises sont données à tous les pays membres des Nations Unies. Pour que ce soit une année internationale, le sujet soulevé doit être d'intérêt pour les pays industrialisés comme pour les pays en voie de développement. Les pays doivent aussi s'engager à des actions concrètes pour mener à terme évidemment l'objectif de cette année internationale.

Le Canada est dans une situation difficile. Il doit faire face à un problème de pauvreté important. Les Nations Unies l'exhortent à prendre des actions concrètes. Le Canada a d'ailleurs démontré un intérêt à procéder sur la question de la protection sociale lorsqu'il a participé au Sommet mondial sur le développement social et économique organisé par les Nations Unies, où il a signé une déclaration dans laquelle il s'engageait à travailler à la création d'emplois et à la protection sociale. Des engagements de même nature avaient été signés par le Canada lors de la Conférence de Beijing sur les femmes.

Vous étudiez aujourd'hui un projet de loi qui est presque maintenant unique dans le champ des politiques sociales fédérales. Vous êtes en train d'étudier un projet de loi où le gouvernement fédéral a pleine juridiction. Cela est très rare au Canada et cela devient de plus en plus rare puisque le gouvernement fédéral a déjà posé des gestes concrets pour se retirer d'autres programmes sociaux, surtout par l'adoption du transfert en bloc des programmes sociaux lors du budget de 1995.

Aujourd'hui l'assurance-chômage est l'une des rares juridictions où le gouvernement fédéral peut agir concrètement. Évidemment, cela devient de plus en plus important lorsque l'on regarde une stratégie fédérale pour éliminer la pauvreté au Canada. Je ne veux pas vous parler trop longtemps de statistiques sur la pauvreté. Nous avons assisté au cours des dernières années à très peu de répit au niveau de l'augmentation de la pauvreté. En fait, il n'y a eu qu'en 1994 où le taux de pauvreté a quelque peu diminué, surtout en raison du fait qu'il y avait eu lors de cette année une création d'emplois particulièrement importante. Doit-on souligner que le niveau de création d'emplois de 1994 n'a certainement pas été répété en 1995, et surtout pas en 1996?

Dans ce contexte, il est important de voir quels sont les objectifs du programme d'assurance-chômage. Évidemment, il doit protéger les gens sans emploi. Il doit aussi faciliter les ajustements au niveau du marché du travail. Alors pour nous, qui représentons les personnes pauvres, il nous intéresse de voir à quel point le programme va réussir à rejoindre ces objectifs.

Je vais vous donner quelques commentaires sur des articles plus précis du projet de loi qui touchent particulièrement les gens que nous représentons.

[Traduction]

Je désire tout d'abord faire quelques brèves remarques au sujet du changement du nom du régime, qui sera désormais connu sous le nom du régime d'assurance-emploi. Par contre, quand on examine en détail le projet de loi, on est frappé par l'impossibilité de cette mesure de garantir la création d'emplois au Canada, tout simplement parce que tel n'est pas l'objectif d'un programme d'assurance-chômage. Il va sans dire que la question de l'emploi dépasse de loin le cadre des politiques de soutien du revenu ou du marché du travail même. Bien que ces politiques jouent un rôle important, d'autres encore sont tout à fait critiques, et notamment la politique monétaire, si nous désirons poursuivre une stratégie de plein emploi.

En fait, si ce programme devient un programme d'assurance-emploi, nous aurons encore besoin d'un programme d'assurance-chômage, puisque nous aurons toujours besoin de mesures de soutien des chômeurs. Il faudra une forme quelconque de soutien du revenu ainsi que des mesures d'adaptation au marché du travail. Malheureusement, vu le conflit actuel au niveau fédéral entre l'inflation et la création d'emplois, nous ne pouvons pas nous attendre à une évolution importante de la situation des emplois au Canada au cours des années qui viennent.

Nous trouvons intéressant que ce projet de loi prévoie un processus de suivi des effets du projet de loi. L'Organisation nationale anti-pauvreté est tout à fait en faveur d'une telle initiative et juge essentiel de suivre l'incidence des changements proposés.

À la page 4 de notre mémoire, le tableau 2 indique que les quatre derniers projets de réforme de l'assurance-chômage englobaient des mesures visant à limiter l'accès au programme. Comme vous le constatez sur ce graphique, le nombre de prestataires d'assurance-chômage n'a cessé de diminuer, mais le nombre d'assistés sociaux a considérablement augmenté. Nous savons à présent que l'explication de cette tendance réside dans le transfert des prestataires d'assurance-chômage au programme d'assistance sociale.

Les gens qui travaillent avec les pauvres trouvent exaspérant que les administrations provinciales se plaignent de ce que le coût de leurs programmes d'assistance sociale soit beaucoup trop élevé et qu'elles prétendent qu'il faut limiter l'accès à ces programmes parce qu'il y a actuellement trop d'assistés sociaux. De toute évidence, ces responsables ne se rendent pas compte que l'assistance sociale n'est qu'un élément de notre système de sécurité sociale. Étant donné que l'accès à l'assurance-chômage est limité, il est logique que plus de gens soient obligés de demander l'assistance sociale. Si le nombre d'assistés sociaux semble augmenter de manière incontrôlable, ce n'est en effet qu'une conséquence logique des modifications apportées au régime d'assurance-chômage.

Je n'ai pas l'intention de m'attarder sur la question du niveau et de la durée des prestations parce que vous avez certainement entendu à maintes reprises que toute réduction de l'aide actuellement consentie aux chômeurs portera préjudice à ces derniers. En fait, le programme d'assurance-chômage ressemble de plus en plus à un programme d'assistance sociale.

Certains amendements ont été proposés par des députés libéraux et recommandés officiellement par le comité de la Chambre des communes. Ces derniers règlent un certain nombre, mais pas la totalité, des préoccupations que nous avons soulevées dans notre mémoire. Le nouveau programme implique nécessairement des prestations réduites pour des milliers de Canadiens au chômage.

Le supplément du revenu familial que propose le projet de loi est une mesure que nous avons examinée en détail, étant donné qu'elle vise les familles à faible revenu. Nous trouvions un peu inquiétant que la disposition du projet de loi relative au supplément du revenu familial soit aussi vague. Nous avons dû en effet consulter d'autres documents préparés par le gouvernement fédéral pour obtenir de plus amples renseignements. L'idée, c'est que le supplément soit fondé sur la prestation fiscale pour enfants. À cet égard, nous tenons à attirer l'attention du comité sur le fait que la prestation fiscale pour enfants a suscité de nombreuses préoccupations depuis sa création en 1993.

L'un des problèmes importants que pose la prestation fiscale pour enfants découle du fait qu'elle est partiellement indexée. En fait, vu le faible taux d'inflation au Canada, le niveau de la prestation fiscale pour enfants est resté plus ou moins inchangé. Mais dans la pratique, elle est à la baisse du point de vue de l'aide qu'elle assure aux familles à faible revenu.

Un autre aspect important du projet de loi C-12 concerne le fait que le supplément du revenu familial vise les familles dont le revenu annuel est inférieur à 26 000 $. Cependant, la prestation fiscale pour enfants n'est pas limitée aux familles ayant un revenu annuel inférieur à 26 000 $. Il s'agit là d'une différence importante. Les familles qui ont des revenus inférieurs à 26 000 $ peuvent profiter au maximum de la prestation fiscale pour enfants. Les familles qui ont un revenu de 26 000 $ et plus vont continuer de toucher une portion de la prestation fiscale pour enfants, qui diminuera progressivement, selon le revenu familial et le nombre d'enfants dans la famille. Nous tenons à vous faire remarquer que la prestation fiscale pour enfants n'assure pas une aide financière qu'aux familles dont le revenu est inférieur à 26 000 $. Par contre, le supplément du revenu familial que prévoit le nouveau programme n'accorderait aucune aide supplémentaire aux familles dont le revenu dépasse 26 000 $.

À la dernière page de notre mémoire, nous donnons des exemples des différents seuils de pauvreté au Canada. L'annexe A énumère les seuils de pauvreté en 1995. Selon le nombre de personnes dans la famille et la région visée, de nombreuses familles dont le revenu brut dépasse 26 000 $ par année sont considérées vivre dans la pauvreté. On peut facilement imaginer que des familles de trois ou quatre personnes à Toronto, par exemple, aient besoin de plus de 26 000 $ par année pour vivre.

Ces données offrent une excellente illustration du fait que les prestations prévues pour les familles à faible revenu ne vont profiter qu'à une partie des familles qui vivent dans la pauvreté au Canada.

La définition de «participants» que propose le projet de loi représente une tentative pour créer un nouveau système qui facilitera l'accès aux mesures actives, telles que les subventions salariales et les suppléments de revenu. On espère de cette façon aller au-delà du groupe qui touche actuellement les prestations d'assurance-chômage pour atteindre un plus grand nombre de personnes. J'insiste sur le fait que la définition des personnes qui pourront accéder à la formation ou aux subventions salariales est tout à fait critique pour les assistés sociaux. Éliminer les obstacles qui séparent les chômeurs qui touchent l'assurance-chômage et les assistés sociaux est sans aucun doute un principe fort valable. Le seul problème, c'est que nous ne sommes pas convaincus qu'il soit opportun de financer de tels programmes, surtout s'ils ne sont plus destinés uniquement aux prestataires d'assurance-chômage.

Je vais m'en tenir là. Nous aurons probablement l'occasion d'aborder d'autres points pendant la période des questions.

La présidente: Votre dernier point était excellent, et c'est une question qui nous préoccupe également. Si les programmes, les subventions salariales, les mesures de création d'emplois, et cetera ne visent que les prestataires d'assurance-chômage, qu'allons-nous faire au sujet des contractuels qui assurent la formation et des assistés sociaux? Il faut absolument se pencher sur la question.

Pourriez-vous me dire, d'après vos propres estimations, combien de personnes vous représentez au Canada?

Mme Toupin: À l'heure actuelle, environ 4,8 millions de personnes vivent au-dessous du seuil de la pauvreté au Canada, d'après les seuils de faible revenu établis par Statistique Canada. Dans tout le Canada, notre organisation regroupe environ 412 associations membres. Nous avons également 651 membres réguliers à titre personnel. Ces personnes vivent au-dessous du seuil de la pauvreté. De plus, nous avons environ 700 membres associés et environ 15 000 personnes qui font des dons financiers à l'organisation.

Le sénateur Phillips: Et quelles modifications souhaiteriez-vous qu'on apporte à ce projet de loi? Et quels articles seraient visés?

M. Dumaine: Pour gagner du temps, je vais me contenter de dire que notre mémoire explique en détail les articles qui devraient à notre avis faire l'objet de modifications. Nous avons mentionné dans notre exposé les parties qui devraient à notre sens être modifiées; mais si vous voulez des détails, je vous conseillerais de consulter notre document.

Le sénateur Phillips: Excusez-moi d'insister, mais à mon avis, vous n'avez pas répondu à ma question. Quels articles seraient visés, et pourquoi recommandez-vous de tels changements?

M. Dumaine: Je peux vous faire le résumé des articles qui devraient faire l'objet de modifications à notre avis.

L'article 4 concerne le maximum de la rémunération assurable. Il ne convient pas à notre avis de diminuer le maximum de la rémunération assurable. En fait, nous recommanderions que des mesures soient prises pour garantir le relèvement du montant maximum pour tenir compte de l'inflation.

Nous souhaitons voir modifier les articles 7 et 8 au sujet des conditions requises pour recevoir des prestations. Comme je vous l'ai déjà dit, quand les chômeurs sont déclarés inadmissibles aux prestations d'assurance-chômage, ils deviennent aussitôt des assistés sociaux, ce qui n'est certainement pas dans leur intérêt.

À notre avis, l'article 16 concernant le supplément du revenu familial devrait être modifié pour tenir compte du fait que d'autres familles vivent également dans la pauvreté et ont besoin d'une aide financière.

Ce sont donc les principales modifications que nous recommanderions, mais d'autres sont présentées dans notre mémoire.

Le sénateur Phillips: En ce qui concerne l'article 16, vous parlez d'autres familles. Je crois avoir bien suivi votre argumentation relative aux articles 4, 7 et 8, mais pourriez-vous m'expliquer exactement ce que vous proposez au sujet de l'article 16?

La présidente: Cela concerne le supplément, sénateur.

Le sénateur Phillips: Expliquez-moi donc la modification que vous proposez.

Mme Toupin: Si vous fixez le seuil du revenu familial à 26 000 $ -- bien que nous n'ayons pas encore fait les calculs --, vous allez exclure un certain nombre de familles qui vivent au-dessous du seuil de la pauvreté. En moyenne, le seuil de faible revenu est de l'ordre de 30 000 $ pour une famille de quatre personnes. Au minimum, nous souhaiterions que le seuil de 26 000 $ se rapproche davantage du seuil de faible revenu, ce qui le ferait passer de 26 000 $ à 30 000 $. À ce moment-là, vous viseriez au moins toutes les familles qui, d'après la définition, vivent au-dessous du seuil de la pauvreté.

Le sénateur Phillips: Cela m'intéresse beaucoup. J'ai rencontré une femme qui m'a dit que son revenu familial -- c'est-à-dire le revenu du mari et de la femme y compris les prestations d'assurance-chômage --, était de l'ordre de 26 500 $. Elle m'a expliqué qu'ils ont fait construire une maison dans une petite ville, qu'ils ont une hypothèque, qu'ils élèvent trois enfants, et que chacun semble préférer que le revenu familial ne dépasse pas ce niveau. Cette jeune femme m'a beaucoup impressionné. Je l'ai trouvée fort éloquente. Je dois avouer que j'y ai beaucoup réfléchi depuis.

Quel genre de modification pourrait-on proposer pour répondre à ces besoins? Je n'arrive pas à décider du genre d'amendement que je pourrais proposer ou recommander.

Mme Toupin: Je pense que la modification la plus adéquate consisterait à prévoir un seuil plus élevé, et nous recommanderions que ce seuil soit fixé à 30 000 $. Vous pourriez faire valoir, à ce moment-là, que ce montant serait conforme au seuil de faible revenu, c'est-à-dire la mesure qu'emploient les ministères fédéraux pour évaluer la pauvreté.

Le sénateur Phillips: Vous recommandez donc un seuil de 30 000 $.

Mme Toupin: Le seuil pourrait aussi être de 31 000 $. Disons que le chiffre de 30 000 $ nous serait acceptable et permettrait au moins d'englober presque la totalité des familles à faible revenu.

Le sénateur Phillips: C'est justement ça qui me posait problème. Vous recommandez donc de le faire passer à 30 000 $.

Mme Toupin: Oui, pour que cela corresponde au seuil de faible revenu.

Le sénateur Rompkey: On nous a dit que la province de Québec a également établi son seuil à 26 000 $. J'ai toujours été impressionné par l'originalité et la créativité qui se manifestent dans la province de Québec au niveau des programmes sociaux. J'aimerais bien savoir comment vous réagiriez à la possibilité que d'autres provinces emploient le même seuil.

Bien entendu, aucun chiffre ne sera absolument parfait, puisqu'il n'existe pas de seuil parfait. Seriez-vous d'accord pour dire que ce montant varie d'une région à l'autre? Comme le sait pertinemment le sénateur Phillips, 26 000 $ vont sans doute plus loin au Canada atlantique qu'à Toronto. Les gens s'aident mutuellement pour construire leurs maisons; ils cultivent leurs propres légumes et ils gardent les enfants des uns et des autres. En fait, 26 000 $ vont beaucoup plus loin dans une communauté rurale au Canada atlantique qu'à Toronto. On peut donc difficilement trouver un seuil adapté à la situation de toutes les régions du pays.

Je voudrais également vous demander pourquoi vous vous opposez à ce qu'on appelle la disposition de récupération, c'est-à-dire la diminution du maximum, par exemple. Si je comprends bien, cette mesure a pour objet de réorienter les crédits vers les personnes économiquement faibles. Le fait que des économies soient réalisées gråce à toutes ces mesures, y compris la disposition de récupération, signifie que les crédits en question vont être redistribués, notamment vers ceux qui ont un revenu inférieur à 26 000 $. Êtes-vous contre l'idée de réorienter ces fonds, c'est-à-dire de les prendre à ceux qui en ont plus pour les donner à ceux qui en ont moins? Si je comprends bien, c'est cela le principal objet du projet de loi.

Pourriez-vous aussi expliquer votre affirmation que le projet de loi C-12 ne permettra à aucun Canadien, jeune ou vieux, qui veut travailler de trouver un emploi?

Il est prévu que ces fonds seront réorientés en fonction de cinq catégories différentes. L'une des catégories est la formation, qui me semble importante pour ceux qui veulent toucher un revenu plus élevé. Une autre catégorie est l'entreprenariat; autrement, aider les gens à créer leurs propres emplois. Il y a aussi les suppléments de revenu et les incitations salariales pour ceux qui trouvent un emploi mais qui ne peuvent, pour une raison ou une autre, atteindre le niveau de revenu exigé -- et là, je fais allusion soit aux employeurs, soit aux employés.

J'aurais cru que toutes les mesures avaient pour objet d'aider les Canadiens à trouver un emploi. Que je sache, il s'agit de la première fois que nous mettons de l'argent directement entre les mains de l'étudiant, ce qui lui permet d'aller s'inscrire au cours qui lui convient. Jusqu'à présent, c'est l'établissement qui lui disait quel cours il devait suivre. Il me semble que cette nouvelle formule a l'avantage de l'habilitation. D'ailleurs, c'est peut-être plus important pour les femmes que pour les hommes. En tout cas, pour la première fois, on réoriente les revenus de façon à habiliter les participants.

Pourriez-vous commenter chacun de ces éléments?

M. Dumaine: En ce qui concerne le seuil de 26 000 $, vous avez soulevé un excellent point, sénateur. En fait, si vous examinez le régime d'assistance sociale, qui repose sur un examen des ressources, vous verrez qu'il est conçu de façon à tenir compte du coût de la vie dans différentes régions du pays. Le programme d'assurance-chômage n'était pas censé prévoir un examen des ressources. Il est clair à présent, étant donné que les prestations sont de plus en plus calculées en fonction des ressources, qu'il va y avoir des problèmes pour ce qui est d'assurer la bonne administration du programme. Lors de sa création, ce programme n'était pas conçu pour tenir compte des moyens d'existence.

Le sénateur Rompkey: Je vous signale qu'il en va de même pour les pensions et le crédit d'impôt pour enfants. À l'origine, il n'était pas calculé en fonction des ressources alors que c'est actuellement le cas. Autrement dit, on a de plus en plus tendance, quels que soient les programmes, à prévoir un examen des moyens d'existence, quel que soit le gouvernement au pouvoir.

M. Dumaine: Nous pourrions évidemment débattre la question de savoir si le passage vers un programme davantage axé sur l'examen des ressources est approprié ou non. Mais si telle est l'orientation qu'on souhaite donner à ce programme, il faudra de toute évidence revoir ces modalités administratives pour tenir compte de ces différences.

Vous avez parlé de notre mémoire dans lequel nous faisons allusion à la capacité des Canadiens, jeunes ou vieux, qui veulent travailler de se trouver un emploi. C'est dans cette partie du mémoire que nous faisons justement allusion à un discours prononcé en 1963 par le premier ministre Pearson à la Chambre des communes, discours où il a affirmé que n'importe quel Canadien, jeune ou vieux, qui désire travailler devrait pouvoir trouver un emploi. Le gouvernement de l'époque annonçait alors une série de mesures visant à créer des emplois.

Dans ce même ordre d'idées, sénateur, je vous fais remarquer que les subventions salariales, les suppléments de revenu et les cours de formation ont été introduits pendant les années 1960 et 1970. Certaines de ces initiatives ont été couronnées de succès; d'autres ont connu de graves problèmes. Dans l'ensemble, elles n'étaient pas suffisantes pour réduire de façon substantielle le taux de chômage au Canada.

Autrement dit, nous ne nous engageons pas nécessairement dans une voie nouvelle avec cette mesure. Nous en revenons à des programmes qui ont déjà été essayés au Canada. Il est vrai qu'ils ont permis d'aider un certain nombre de personnes. Mais dans l'ensemble, ils n'ont pas changé la situation des emplois au pays.

Le sénateur Rompkey: Vous avez dit que la question de l'emploi dépasse de loin le cadre du programme d'assurance-chômage, et vous avez tout à fait raison, bien entendu. Elle est également liée à la politique budgétaire et monétaire. On ne peut pas analyser la situation de l'emploi sans tenir compte des mesures budgétaires, par exemple.

Je ne veux pas nécessairement entamer une discussion sur le budget. Il reste que vous avez tout à fait raison. Une politique de l'emploi dépasse de loin le cadre d'une politique d'assurance-chômage.

M. Dumaine: C'est un aspect de la question. L'autre aspect important concerne la nécessité d'évaluer les mesures relatives aux subventions salariales et aux suppléments de revenu dans le contexte de l'entente proposée aux provinces par le ministre Young. Il est clair qu'une partie des crédits du compte d'assurance-chômage va être transférée aux provinces, qui seront invitées à mettre en place des mesures actives. En s'efforçant d'être optimistes, le seul aspect positif d'une telle formule serait que les provinces réussissent à trouver des modalités d'application plus efficaces. Il reste que les programmes ne sont guère différents.

Ainsi nous serions tentés de dire que les Canadiens au chômage pourraient difficilement fêter l'annonce des ententes proposées. Les ententes proprement dites ne vont pas nécessairement modifier la situation des chômeurs. Tout ce qui va changer, ce sont les décideurs. Le fait est que de nombreux points d'interrogation entourent encore tous ces programmes.

Mme Toupin: En ce qui nous concerne, le point essentiel que nous voulons faire ressortir, c'est le nombre grandissant de personnes qui ont toujours fait tout ce qu'elles devaient faire. Nous constatons à présent d'énormes changements en ce qui concerne le genre de personne qui vit dans la pauvreté au Canada. Ces gens ont travaillé, ont perdu leurs emplois, ont obtenu des prestations d'assurance-chômage, et sont maintenant assistés sociaux. Ils veulent travailler, mais ils sont entre l'arbre et l'écorce. Ils assistent à la réduction à l'échelle nationale des prestations d'assurance-chômage. Les programmes provinciaux font également l'objet de réductions en raison du déficit. De plus, ils se rendent compte qu'il n'y a pas de place pour eux sur le marché du travail.

Voilà donc l'un des facteurs qui a le plus influencé notre position. Nous voyons de plus en plus de gens qui suivent des cours de formation, qui ont été entrepreneurs, ou qui ont fait tout ce qu'ils ont pu, mais il reste que les mesures actuellement en place n'aident pas un grand nombre de personnes, et la situation restera inchangée tant que nous n'aurons pas trouvé d'autres moyens d'augmenter le nombre d'emplois disponibles pour tous ceux qui veulent travailler.

Le sénateur Rompkey: Êtes-vous d'accord pour instituer un régime axé sur le nombre d'heures travaillées, par rapport au nombre de semaines travaillées? S'agit-il d'un changement positif à votre avis?

Mme Toupin: Oui, c'est un changement positif en ce sens qu'il permet à plus de personnes de participer au programme. Par contre, exiger un nombre accru d'heures de travail pose également problème, étant donné que bon nombre de personnes ne peuvent travailler qu'à temps partiel ici et là.

Le sénateur Rompkey: Oui, mais ils peuvent totaliser le nombre d'heures travaillées à des emplois à temps partiel.

Mme Toupin: Dans certains cas, les employeurs ne permettront pas à l'employé d'avoir deux emplois à temps partiel. L'employeur veut que l'employé soit toujours en disponibilité, de sorte qu'il lui sera très difficile, sinon impossible, d'obtenir un autre travail à temps partiel. Il y a de réelles difficultés sur le marché du travail pour ceux qui veulent avoir plus d'un travail à temps partiel.

[Français]

Le sénateur Lavoie-Roux: Je vous remercie de votre mémoire. On nous vend ce projet de loi en disant qu'il y a beaucoup plus de personnes qui vont se prévaloir de l'assurance-emploi parce que la compensation sera fondée sur le nombre d'heures.

Je pense que vous aviez déjà commencé à répondre à ceci. Mais d'après votre mémoire, vous avez des questions sérieuses sur le sujet.

Fondamentalement, il ne sera pas plus difficile qu'auparavant d'accumuler le nombre d'heures suffisantes.

Une deuxième chose retient mon attention dans votre mémoire. Finalement il y a une diminution des compensations. En bout de ligne, nous pouvons nous interroger à savoir si c'est légitime de la part du gouvernement.

La vérité est-elle que le gouvernement pourra faire des économies de tant d'argent alors qu'on essaie de nous vendre l'idée en évoquant qu'il sera moins difficile d'avoir l'assurance-emploi que ce ne l'était dans le passé et que des heures pourront être cumulées?

Ceci rendra-t-il les gens à plus bas revenu plus pauvres ou si cela augmentera leurs problèmes du point de vue de leur intégration sociale et en milieu du travail?

Nous savons qu'il n'est pas facile de résoudre la question de l'emploi. Tous les gouvernements tentent de le faire, mais cela n'est pas simple. Tout ce que nous pouvons dire au gouvernement est de faire le plus possible.

En bout de ligne, les gens les plus touchés seront-ils davantage pénalisés ou si ceci améliorera un tant soit peu leur sort?

M. Dumaine: Si nous nous fions aux études produites par le gouvernement, nous voyons en effet des personnes qui ne pouvaient pas se qualifier avant et qui pourront se qualifier sous le nouveau programme.

Ce que le gouvernement oublie parfois de dire est qu'il y a des gens qui se qualifient aujourd'hui et qui ne pourront plus se qualifier.

Selon les études du gouvernement, l'impact final serait neutre, c'est-à-dire qu'il y aurait à peu près autant de personnes qui se qualifieraient maintenant qu'il y en a qui ne se qualifieront plus avec les changements.

Ce qui se passerait, si nous nous fions encore aux études, il y aurait un déplacement des personnes qui vont maintenant pouvoir se qualifier et des personnes qui ne pourront plus se qualifier.

Cela amènera certainement de nouveaux problèmes pour certaines personnes au Canada. Cela est dans le meilleur des scénarios si nous nous fions à ce qui a été dit.

Sur la question plus générale de l'impact sur la pauvreté, évidemment, cela placera davantage de familles dans la pauvreté pour deux raisons très simples. Il y a définitivement une réduction des bénéfices offerts à certaines familles. Je dirais qu'il est très important que ces changements soient dans un contexte où les emplois sont de plus en plus fragiles, où les salaires sont gelés. Ceci fera en sorte que lorsque que l'on calcule un pourcentage de votre salaire existant qui vous est donné en bénéfices, et bien, aujourd'hui, pour plusieurs familles, nous partons de tellement bas, lorsque nous allons calculer 50 p. 100, 52 p. 100 ou 55 p. 100 de cette somme, cela les placera évidemment en situation de pauvreté.

Le sénateur Lavoie-Roux: Je ne crois pas que la loi soit mauvaise, mais dans l'ensemble, que voyez-vous comme étant un progrès mis à part les nouvelles personnes qui vont se qualifier et qui auparavant ne se seraient pas qualifiées, et en contrepartie, celles qui ne se qualifieront plus -- comme vous le dites, c'est un effet neutre -- mais, au point de vue de la population et des travailleurs, cela apportera-t-il des bénéfices ou non?

M. Dumaine: Je dirais que l'ensemble des mesures qui sont dans ce programme visent à aller chercher une plus grande somme au niveau de ce qui est donné en assistance, du chèque que nous envoyons au famille. Nous essayons d'en prendre une plus grande partie pour les investir dans des programmes de création d'emplois ou d'autres mesures actives. C'est bien évident que dans un contexte comme celui-là, plusieurs personnes sont touchées négativement. Au niveau des aspects plus positifs, c'était par exemple l'effort proposé dans le projet de loi d'élargir les mesures actives à plus de gens qui reçoivent un chèque d'assurance-chômage et à d'autres personnes qui sont sans emploi, mais qui n'ont pas accès à l'assurance-chômage.

Au niveau plus pratique, certains problèmes sont soulevés. C'est un aspect intéressant. Comme le sénateur l'avait soulevé plus tôt, l'idée de comptabiliser les heures plutôt que les semaines n'était pas mauvaise en soi. Lorsque nous avons augmenté le nombre d'heures à un tel niveau, cela a réduit l'accès davantage. Mais il y avait certainement là un pas qui paraissait positif. Ce serait ma conclusion.

Le sénateur Lavoie-Roux: Depuis des années, vous examinez ce problème. L'on parle de cette réforme, d'autres programmes d'emploi et caetera, afin de recycler la main-d'oeuvre. Nous en entendons tellement parler depuis tellement d'années, à Ottawa, à Québec et dans d'autres provinces. Selon votre observation des choses, est-ce que ce sont les bonnes mesures que l'on prend par le recyclage et la formation de la main-d'oeuvre?

Cela donne-t-il des résultats? On parle de tous les programmes au Québec, la formation, les stages et l'école et caetera. Est-ce que finalement, on se propose de mettre encore plus d'argent là-dedans? Je ne suis pas contre cela, mais à condition que nous ayons des résultats en bout de ligne. Quelle est votre expérience?

Mme Toupin: Je vais vous répondre par un cas en particulier qui symbolise un peu le danger dans lequel nous risquons de s'aventurer.

Nous avons rencontré une femme dans une banque alimentaire qui avait été formée à trois reprises, premièrement comme secrétaire, deuxièmement comme plombier, troisièmement, elle avait pris tous les cours d'ordinateur imaginables.

Quand nous l'avons rencontrée, elle était dans un programme de «workfare», de travail obligatoire. Elle avait trouvé un endroit où elle aimait bien son travail, l'employeur l'aimait bien, mais c'était du recyclage à toutes fins pratiques.

Elle avait le droit de rester six mois pour ensuite céder sa place à une autre. C'est bien notre grande préoccupation.

On forme des gens. Ils arrivent sur le marché du travail, mais c'est une porte coulissante; ils sont là, mais ce que nous faisons est que nous les remplaçons par quelqu'un d'autre.

En bout de ligne, c'est bon un certain temps, mais cela n'assurera certainement pas l'élimination de la pauvreté.

Ce processus se produit de plus en plus chez les gens que nous représentons. Je vous dis cela en guise de réponse parce que c'est ce que nous voyons de plus en plus. C'est un processus de formation. C'est important. Les gens que l'on représente veulent absolument être formés et être capables d'avoir accès à un emploi stable et bien rémunéré.

Le sénateur Lavoie-Roux: C'est un phénomène de portes tournantes.

Mme Toupin: C'est la porte tournante qui nous inquiète parce que c'est un phénomène que nous voyons de plus en plus.

Le sénateur Lavoie-Roux: Je vous remercie, madame la présidente, de m'avoir donné tout ce temps.

[Traduction]

La présidente: Sénateur Simard, voulez-vous poser une question?

Le sénateur Simard: Oui, mais j'ai d'abord quelque chose à vous annoncer. Gråce à votre personnel et à celui du comité, j'ai enfin reçu le tableau que j'ai demandé précédemment. Je voudrais mentionner deux chiffres qu'on retrouve dans ce tableau qui nous renseignent sur le statu quo, par rapport à la formule que propose le projet de loi dont nous sommes actuellement saisis et que nous continuerons d'étudier au cours des deux mois qui viennent si la majorité libérale nous permet de nous rendre au Nouveau- Brunswick.

En 1994-1995, le compte a atteint 6,6 milliards de dollars. Selon les estimations, et si le projet de loi C-12 n'est pas adopté, 5 milliards de dollars de plus s'accumuleront dans le compte d'ici la fin 1996. Autrement dit, sans le projet de loi C-12, le compte enregistrera un excédent de 11,6 milliards de dollars. L'actuel gouvernement n'a donc pas besoin de ce projet de loi pour récupérer certaines sommes ou réduire l'abus du régime.

Il doit donc suivre les conseils du témoin précédent, c'est-à-dire s'assurer de faire respecter les dispositions de la loi actuelle; j'y reviendrai tout à l'heure. Voilà donc l'annonce que je voulais vous faire, madame la présidente.

[Français]

Le sénateur Simard: Vous avez dit, Mme Toupin et M. Dumaine, que vous avez essuyé un refus de la part du comité de l'autre Chambre. Est-ce qu'ils vous ont donné les raisons de ce refus? Si l'on vous avait permis de témoigner devant le comité, vous auriez pu faire valoir votre point de vue ainsi que celui de vos 12 000 ou 15 000 membres. Cela aurait pu permettre aux membres de ce comité d'amender ou de corriger le projet de loi sur l'assurance-emploi.

Mme Toupin: Je vais expliquer les circonstances qui ont fait que l'on n'a pas pu se présenter devant le comité parlementaire. On nous a donné un avis très court pour comparaître. Bien que l'on puisse comprendre que le comité doive fonctionner de cette façon, il est nécessaire de comprendre que pour des organismes à but non lucratif comme les nôtres, nous fonctionnons avec un personnel restreint.

Monsieur Dumaine, une autre personne et moi-même sommes le personnel à temps plein. Nous prenons des engagements à l'avance. Dans le cas du comité parlementaire, on nous a donné un avis de 24 ou 48 heures pour comparaître et cela a été impossible pour nous. Nous ne possédons pas les ressources nécessaires pour engager plus de personnel, donc nous avons besoin d'un plus long délai.

Pour ce qui est des amendements, c'est très gentil de croire que cela aurait pu avoir un impact, mais je ne suis pas certaine que cela aurait été le cas.

Le sénateur Simard: Le sénateur Lavoie-Roux vous a posé la question de savoir si vous avez trouvé des bonnes choses dans ce projet de loi. Pour un moment, j'ai été tenté d'intervenir et de signaler aux membres de notre comité et aux autres témoins ici aujourd'hui que votre silence était très éloquent. Cela vous a pris 30 secondes, à peu près, pour scruter vos méninges et arriver à trouver des points favorables à ce projet de loi.

Le gouvernement fait grand état du fait que près de 400 000 ou 500 000 personnes qui n'étaient pas assurables avant ce projet de loi, pourraient le devenir, parce que la première heure de leur travail serait assurée. Ce que le gouvernement oublie de nous dire, c'est que 75 p. 100 de ces gens nouvellement assurables et ayant payés une contribution -- leur employeur en payant une --, seulement 25 p. 100 pourront se qualifier pour des bénéfices concrets.

Que pouvez-vous ajouter là-dessus? Est-ce que vous déplorez cette situation? Le volet que le gouvernement défend et expose à la population comme un écran de fumée, est-ce que vous êtes épaté par cette mesure?

M. Dumaine: Ce qui est surprenant, c'est que l'on parle, sénateur Simard, de gens qui pourraient potentiellement et théoriquement se qualifier. On parle d'un demi-million de personnes environ. Le gouvernement, dans ses propres analyses, nous indique que, de ce demi-million de personnes, probablement 90 000 se retrouveraient dans des circonstances où ils recevraient un chèque.

Les mêmes études nous indiquent qu'un demi-million de personnes ne seront plus qualifiées pour recevoir les bénéfices de l'assurance-chômage. De ce nombre, environ 90 000 en auraient eu besoin et n'auront plus accès au programme.

Si je vous avais présenté ces chiffres ce soir, il y a sûrement des gens qui m'auraient dit qu'ils trouvaient bizarre que ce soit exactement 90 000 des deux côtés et que tout est neutre. Je vais être obligé de me fier aux analyses du gouvernement.

Les analyses du gouvernement nous indiquent que l'impact est complètement neutre: 90 000 personnes qui ont pu se qualifier et 90 000 personnes qui en auraient besoin et ne pourront pas en recevoir. Tout cela dans un contexte où environ un demi-million de personnes pourraient théoriquement se qualifier.

Le sénateur Simard: Vous avez parlé essentiellement des jeunes étudiants qui pourraient se retrouver dans des emplois comme ceux que l'on offre chez McDonald. Pouvez-vous nous souligner un volet de ce projet de loi qui serait favorable aux femmes?

La présidente: C'est tout le temps que nous avons, sénateur Simard.

Mme Toupin: Encore une fois, on revient au fait que, oui, les femmes auront une certaine couverture, mais le contraire est vrai aussi. Pourront-elles travailler assez longtemps dans un emploi précaire pour avoir accès à ces fonds? Je n'en suis pas convaincue. La plupart des femmes se retrouvent dans des emplois qui sont, effectivement, précaires. Elles vont probablement se chiffrer parmi les 75 p. 100 qui n'auront jamais accès aux bénéfices.

[Traduction]

Le sénateur Rompkey: J'invoque le Règlement, madame la présidente. Je demanderais au sénateur Simard de vérifier les chiffres qui se trouvent sur le tableau qu'on lui a remis.

Le sénateur Simard: Je les ai déjà vérifiés, sénateur.

Le sénateur Rompkey: Je crois comprendre que le tableau en question a été présenté la semaine dernière, mais qu'il l'a vu seulement ce soir. Une autre interprétation des chiffres qu'on retrouve dans ce tableau serait que les crédits accumulés de la caisse d'assurance-chômage à la fin de cette année seraient de l'ordre de 5 milliards de dollars, mais non de 11,6 milliards de dollars. Je sais que le sénateur ne souhaite pas induire en erreur les membres du comité.

Le sénateur Simard: Sénateur Rompkey, si vous avez bien compris ma déclaration de tout à l'heure, vous saurez qu'elle n'a pas besoin d'être rectifiée. Je n'ai ni parlé de l'effet cumulatif, ni mentionné le chiffre au 1er janvier 1994. J'ai mentionné l'excédent de recettes réelles, par rapport aux dépenses, pour 1994 et 1995, et j'ai ensuite indiqué l'excédent du compte pour 1996. Si vous voulez tenir compte du déficit au cours de la première partie de 1994, quand votre gouvernement a pris le pouvoir, vous devez savoir que le vérificateur général et le ministre des Finances de l'époque et M. Martin faisaient toujours le rapprochement entre le prétendu déficit de la caisse d'assurance-chômage et le déficit cumulatif annuel au 31 mars 1994. On peut donc affirmer que l'actuel gouvernement libéral a profité d'un excédent de recettes de la caisse de l'ordre de 6,6 milliards de dollars depuis 1994-1995.

Le sénateur Rompkey: Ce n'est pas le gouvernement qui en profite, ce sont les travailleurs. Quand votre gouvernement était au pouvoir, vous avec dû augmenter les cotisations pendant la récession à un moment où les salaires étaient en baisse. Si vous accumulez un excédent au compte d'assurance-chômage, vous pouvez vous en servir lors d'une récession subséquente. Voilà justement la raison pour laquelle il a été décidé de laisser monter les crédits de la caisse. Cet argent ne profite pas au gouvernement mais plutôt aux travailleurs.

Le sénateur Simard: Il sert à réduire le déficit.

Le sénateur Rompkey: Il est destiné au même usage que tous les autres crédits fédéraux. Prétendez-vous que lorsque votre gouvernement était au pouvoir, votre ministre des Finances ne s'est pas servi de l'excédent du compte d'assurance-chômage pour équilibrer son budget?

Le sénateur Simard: Non. En fait, pendant la majeure partie de cette période, la caisse avait un déficit.

Le sénateur Rompkey: Tous les gouvernements le font. C'est une pratique comptable tout à fait normale, qu'on soit conservateur ou libéral.

Le sénateur Simard: Notre gouvernement n'aurait pas profité du projet de loi C-12 pour éponger le déficit.

Le sénateur Rompkey: J'ai comme l'impression que le sénateur Simard n'aime pas les libéraux.

Le sénateur Simard: L'actuel gouvernement va continuer à pénaliser les employeurs et les employés à faible revenu et à leur imposer de nouvelles charges, ce qui aura pour résultat de tuer les emplois, madame la présidente, d'éliminer la possibilité de créer de nouveaux emplois et de pénaliser des centaines de travailleurs canadiens.

La présidente: Sénateurs, libre à vous de continuer votre conversation si vous voulez, mais je dois tout d'abord remercier nos témoins de leur présence. Nous avons beaucoup apprécié votre mémoire et nous tenons à vous remercier de l'avoir préparé.

Le sénateur Phillips: Madame la présidente, avant que vous ne leviez la séance, j'ai remarqué tout à l'heure que mon honorable collègue et ami, le sénateur Rompkey, a parlé de moi en interrogeant le témoin tout à l'heure. Je lui fais remarquer que le SRG est le même dans tout le Canada. Je lui poserais donc la question que voici: le Parti libéral est-il en train de renoncer à sa politique d'universalité?

La présidente: Nous allons obtenir la permission de siéger jeudi à 14 h 30.

La séance est levée.


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