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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 6 - Témoignages - Soir


OTTAWA, le jeudi 6 juin 1996

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, saisi du projet de loi C-12, Loi concernant l'assurance-emploi au Canada, se réunit ce jour à 14 h 30 pour étudier le projet de loi.

Reprise de la séance à 18 h 50.

La présidente: Honorables sénateurs, nous accueillons ce soir Stella Lord, du Conseil consultatif sur la condition féminine de la Nouvelle-Écosse. Je vous souhaite la bienvenue parmi nous. Nous sommes heureux de vous accueillir. Veuillez avoir l'obligeance de nous présenter votre exposé.

Mme Stella Lord, recherchiste, Conseil consultatif sur la condition féminine de la Nouvelle-Écosse: C'est pour moi un très grand plaisir de pouvoir comparaître devant le comité pour lui présenter mon exposé. Je tiens aussi à dire que le document que nous avons fait parvenir au comité sénatorial est une version revue et enrichie d'un mémoire que nous avons présenté de vive voix au comité permanent du développement des ressources humaines.

Je suis désolée que nous n'ayons eu ni le temps ni les ressources voulus pour rédiger un mémoire distinct pour les audiences du Sénat. Je vais donc vous entretenir de questions spécifiques qui sont abordées dans la version allongée du mémoire. Pour être plus précise, je vais parler de trois questions que j'ai soulevées dans le mémoire, mais je ne vais pas lire le texte intégralement.

La première question est celle du système fondé sur les heures et de ses répercussions probables sur les travailleurs à temps partiel et plus particulièrement sur les femmes. La deuxième est le problème du mode de calcul des prestations prévu dans la nouvelle loi et de ses conséquences sur ceux qui occupent des emplois précaires ou saisonniers. La troisième question, enfin, est le supplément du revenu familial qui est proposé. Je voudrais traiter de certaines des conséquences de ses hypothèses.

Le projet de loi sur l'assurance-emploi propose de remplacer le régime fondé sur le nombre de semaines par un régime fondé sur le nombre d'heures de travail. Cela veut dire que l'admissibilité, la durée des prestations et leur montant dépendront du nombre d'heures travaillées pendant une période donnée plutôt que du nombre de semaines travaillées. En outre, le projet de loi propose que toutes les heures de travail soient assurables, même lorsque la semaine de travail est de moins de 15 heures.

On prévoit que, à cause de ces modifications, le pourcentage des travailleurs qui sont assurables passera de 92 à 97 p. 100. Il y aura 500 000 travailleurs à temps partiel de plus qui verseront des cotisations. Plus de la moitié d'entre eux seront des femmes - 270 000, selon les estimations - parce que plus de femmes que d'hommes travaillent à temps partiel. Il ne faut pas oublier que seulement environ 50 p. 100 des employés peuvent toucher des prestations à l'heure actuelle. On s'attend que, à cause de la nouvelle loi, la proportion tombera en deçà de 50 p. 100. On estime par exemple que seulement quelque 40 000 des nouveaux travailleurs assurés seront effectivement admissibles aux prestations.

En soi, l'idée de faire participer un plus grand nombre de travailleurs à temps partiel au régime d'assurance n'est pas mauvaise. Comme d'autres régions du Canada, la Nouvelle-Écosse a vu l'emploi à temps partiel progresser de manière fulgurante au cours des 20 dernières années.

Si les femmes sont plus portées que les hommes à choisir de travailler à temps partiel à cause de leurs responsabilités familiales et autres, beaucoup de travailleurs à temps partiel, femmes comprises, se contentent bien malgré eux d'un emploi à mi-temps. Ainsi, à peine moins de la moitié de tous ceux qui travaillent à temps partiel en Nouvelle-Écosse ne le font pas par choix.

Environ 34 p. 100 des femmes au Canada se retrouvaient dans cette situation en 1993, alors que la proportion n'était que de 20 p. 100 en 1989. Ce niveau élevé du travail à temps partiel non volontaire chez les femmes et les hommes fait ressortir l'ampleur du problème du sous-emploi qui n'est pas pris en considération en ce moment dans les statistiques sur l'emploi.

Il me semble aussi que cela va à l'encontre des hypothèses qui sous-tendent la loi sur l'assurance-emploi - c'est-à-dire que le travailleur peut augmenter le nombre de ses heures de travail s'il le souhaite.

Dans ce contexte, et étant donné la conjoncture politique et économique actuelle, caractérisée par les restructurations et les compressions, les travailleurs à temps partiel ont nettement besoin d'avoir plus facilement accès à la sécurité du revenu que peut leur garantir l'assurance-chômage. Par conséquent, la participation d'un plus grand nombre de travailleurs à temps partiel au régime d'assurance pourrait être un progrès. Néanmoins, nous éprouvons de graves inquiétudes au sujet du système fondé sur les heures, qui remplacerait le système des semaines, aux fins de l'établissement de l'admissibilité. Nous nous préoccupons aussi de l'allongement de la période de travail imposée aux nouveaux venus sur le marché du travail pour devenir admissibles.

Comme le nombre d'heures nécessaire pour devenir admissible sera fondé sur l'équivalent de 12 à 20 semaines de travail de 35 heures, beaucoup de travailleurs à temps partiel verseront des cotisations, certains pour la première fois, mais ne pourront obtenir de prestations à moins d'augmenter leur nombre d'heures de travail. Nous savons déjà que beaucoup travaillent à temps partiel faute de pouvoir trouver du travail à temps plein.

Par exemple, dans les zones dites à faible taux de chômage comme Halifax, il faudra travailler l'équivalent de près de 600 heures pour avoir droit à l'assurance-emploi. Une femme qui travaille 15 heures par semaine, ce qui est le type de travail partiel pour lequel nous souhaitons une meilleure assurance, devra travailler plus de 40 semaines avant de devenir admissible. Dans l'actuel régime d'assurance-chômage, il lui suffit de 17 semaines. Pour le nouveau venu dans la population active, comme un étudiant qui vient d'obtenir son diplôme ou une femme qui réintègre le marché du travail, la période de référence sera encore plus exigeante, car il devra travailler l'équivalent de 26 semaines avant de devenir admissible aux prestations.

Alors que certains travailleurs à temps partiel devront travailler plus longtemps pour avoir droit aux prestations, ceux qui ne pourront augmenter leur nombre d'heures de travail ou qui ne peuvent travailler que pendant une partie de l'année pourraient fort bien ne jamais y avoir droit. Le gouvernement lui-même le reconnaît implicitement en proposant de rembourser les cotisations à ceux qui gagnent moins de 2 000 $ par an et qui n'ont presque aucune chance de devenir admissibles aux prestations.

Je me demande si ce seuil de 2 000 $ par année pour le remboursement des cotisations, ne vise pas à aider les étudiants. C'est possible. Mais si un étudiant travaille dix heures par semaine de septembre jusqu'à la fin d'avril, ce que les universités recommandent généralement - en réalité, elles recommandent que l'étudiant ne travaille pas plus de dix heures par semaine, et la plupart des assistants à l'enseignement sont limités à dix heures par semaine -, l'étudiant rémunéré à 6 $ l'heure touchera 2 200 $, et n'obtiendra pas le remboursement. Il devrait également travailler à temps plein pendant l'été... J'ai calculé qu'il prendrait deux semaines de congé, surtout s'il retourne chez lui, par exemple, et qu'il travaillerait à temps partiel à raison de dix heures par semaine pendant l'année scolaire. Eh bien, il faudrait deux années complètes avant que l'étudiant n'ait droit aux prestations.

Environ 270 000 travailleuses à temps partiel de plus participeront au nouveau régime d'assurance-emploi et verseront des cotisations pour la première fois, mais on estime que moins de 40 000 d'entre elles seront admissibles aux prestations, à moins que certaines n'augmentent le nombre de leurs heures de travail. Par contre, un grand nombre de celles qui paient déjà des cotisations parce qu'elles font plus de 15 heures par semaine n'auront plus droit aux prestations ou toucheront des prestations réduites à cause du calcul d'après les heures.

Les femmes qui arrivent dans la population active auront des difficultés encore plus grandes. Nous craignons plus particulièrement que, à un moment où le chômage est extrêmement élevé chez les jeunes, l'allongement de la période de référence pour les nouveaux venus ne creuse encore les écarts entre le traitement réservé aux travailleurs ordinaires et celui auquel ont droit ceux qui arrivent sur le marché du travail. On estime que cette disposition touchera 88 000 de ces nouveaux venus. Bon nombre d'entre eux seront des jeunes femmes qui quittent l'école ou ont obtenu leur diplôme d'études collégiales; d'autres seront vraisemblablement des femmes qui réintègrent le marché du travail après s'être occupées d'autres membres de la famille, des femmes handicapées qui veulent travailler ou des mères seules qui veulent faire le saut de l'aide sociale au marché du travail.

La justification avancée par le gouvernement pour proposer ces modifications est qu'il veille à ce que les travailleurs aient une participation raisonnable au marché du travail avant de toucher des prestations. Nous croyons pour notre part que, en réalité, la faiblesse de la participation au marché du travail dépend moins de la motivation personnelle que du manque d'emplois convenables et stables.

Enfin, nous craignons plus particulièrement que le système fondé sur les heures, qui fera augmenter le nombre d'heures de travail nécessaire pour que les travailleurs à temps partiel aient droit aux prestations de maternité et aux prestations parentales, ne gruge certains des acquis durement gagnés par les femmes dans ce domaine.

Si l'on considère les effets cumulatifs des modifications de la réglementation, on s'aperçoit que le compromis proposé pour assurer les travailleurs à temps partiel qui font moins de 15 heures par semaine est beaucoup moins alléchant qu'il ne paraît. Ainsi, c'est fausser la réalité que de prétendre que le système fondé sur les heures est plus juste ou qu'il profitera aux travailleurs à temps partiel. Les travailleurs à temps plein ne profiteront pas vraiment des modifications. Dans une situation où le chômage augmente, tout comme le nombre des personnes qui travaillent à temps partiel, et compte tenu de la campagne de relations publiques orchestrée pour faire accepter ces modifications sous prétexte qu'elles seront favorables aux travailleurs à temps partiel, il est vraiment paradoxal que ceux qui travaillent à temps plein ou font des heures supplémentaires soient ceux qui risquent le moins de souffrir des nouvelles conditions d'admissibilité.

La deuxième question est celle de la réduction des prestations. Le montant auquel auront droit la plupart des prestataires sera réduit, aux termes du projet de loi C-12 sur l'assurance-emploi. Cela touchera tous les travailleurs d'une manière ou d'une autre, mais les nouveaux venus sur le marché du travail, les travailleurs à temps partiel et les travailleurs saisonniers ou encore ceux qui ont un emploi précaire seront les plus touchés. Les prestations seront réduites à cause d'un certain nombre des modifications proposées. Celles-ci réduiront la durée des prestations, changeront leur mode de calcul et pénaliseront ceux qui sont les plus exposés aux mises à pied.

Les prestations diminueront tout d'abord parce que leur durée sera réduite. Inutile, je crois, de vous rappeler ces éléments du projet de loi. La durée maximum des prestations sera ramenée de 50 à 45 semaines, par exemple, même pour ceux qui habitent dans des régions à taux de chômage très élevé, comme le Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse.

En outre, ce sont les heures travaillées, et non plus les semaines, qui serviront au calcul de la durée des prestations. De cette façon, certains travailleurs à temps partiel risquent de perdre le droit aux prestations. Par exemple, aux termes des nouvelles propositions sur l'assurance-emploi, une femme qui est remerciée d'un emploi de 15 heures par semaine au bout de six mois ne pourrait bénéficier du régime. Selon le taux de chômage régional, elle pourrait en ce moment réclamer entre 17 et 39 semaines de prestations. Si elle est mise à pied au bout d'un an, elle ne pourrait demander, aux termes de l'assurance-emploi, que de 15 à 37 semaines de prestations, alors que, selon le régime d'assurance-chômage, elle aurait droit à un nombre variant entre 36 et 50 semaines.

Pourquoi réduire la durée maximum des prestations? Parce que, en moyenne, la plupart des chômeurs trouvent du travail en neuf mois au plus. Cependant, le problème du chômage au Canada semble s'aggraver. En outre, cette justification est complètement incompatible avec les préoccupations que le gouvernement prétend avoir au sujet des travailleurs les plus vulnérables et les moins bien payés, ceux qui risquent le plus de rester sans travail pendant une période plus longue que la moyenne. En se fondant sur les heures travaillées pour calculer la durée des prestations, on pénalisera encore davantage les travailleurs à temps partiel et saisonniers.

Il y a ensuite la question de l'étalement de rémunération. Je sais que le mémoire que j'ai adressé au comité permanent du développement des ressources humaines ne traite pas des amendements que MM. Scott et Regan ont proposés. Je crois comprendre que ces amendements ont été apportés au projet de loi ou au moins acceptés par le comité, et feront partie du train de mesures. Je voudrais réaffirmer que, selon moi, ces amendements sont très importants, mais ils ne vont pas assez loin. Je crois que la méthode de calcul de la moyenne et le dénominateur posent encore des difficultés, mais les amendements seront avantageux pour les travailleurs saisonniers de l'Atlantique et d'autres régions du Canada.

Comme le Conseil canadien de développement social l'a affirmé dans son mémoire, même si on tient compte des amendements, ce système pénalisera encore ceux qui ont un emploi précaire ou saisonnier, car il sera encore tenu compte des «semaines de temps mort» dans le calcul des prestations.

Aujourd'hui ou hier, la Banque Royale du Canada a présenté un rapport sur les perspectives économiques des diverses provinces canadiennes. Elle signale entre autres choses que la Loi sur l'assurance-emploi aura des conséquences graves sur la croissance économique du Canada atlantique. En d'autres termes, le Canada atlantique tirera de l'arrière sur toutes les autres régions. Nous sommes déjà en retard, mais l'écart va se creuser encore au cours des deux prochaines années.

Le sénateur Rompkey: Est-ce qu'on explique pourquoi?

Mme Lord: Les auteurs parlent expressément des modifications apportées à loi sur l'assurance-emploi et prédisent que, étant donné qu'un grand nombre de personnes n'auront pas droit aux prestations d'emploi, elles n'auront plus la capacité de dépenser et devront recourir à l'aide sociale. Même l'aide sociale est en difficulté dans le Canada atlantique à cause du transfert social canadien. Le Canada atlantique perd sur les deux tableaux.

Le troisième point est la règle de l'intensité, qui touchera elle aussi les travailleurs saisonniers. Il y a également la réduction du maximum des prestations et l'augmentation de la récupération. De toute évidence, la disposition sur le revenu assurable maximum et la récupération toucheront davantage les travailleurs à temps plein que les travailleurs à temps partiel ou à faible rémunération. Par conséquent, les femmes seront probablement moins touchées, directement, par ces dispositions que ne le seront les hommes, car elles sont moins nombreuses que les hommes à toucher une rémunération supérieure à la moyenne. Toutefois, il est probable que ces mesures toucheront les femmes qui font partie d'une famille à un seul revenu. On estime par exemple que 4,5 fois le nombre de chômeurs seront touchés par le nouveau minimum de la récupération.

Je voudrais traiter de manière générale des conséquences de la réduction des prestations sur les femmes de la Nouvelle-Écosse.

Le Canada atlantique, le gouvernement fédéral le sait fort bien, est une région où le taux de chômage est plus élevé que la moyenne nationale et où il y a beaucoup d'emplois saisonniers, parce que l'économie repose sur la pêche, l'exploitation forestière et le tourisme. Le nouveau régime d'assurance-emploi qui est proposé fait de la discrimination entre ceux qui ont un emploi «normal» et les autres: saisonnier, occasionnel, précaire, temps partiel, où les mises à pied sont plus fréquentes.

Il est probable que les travailleurs qui occupent ces emplois verront leurs prestations réduites encore plus que celles des employés qui travaillent à temps plein et pendant toute l'année, à cause des effets de l'étalement du revenu et des sanctions appliquées en vertu de la règle de l'intensité.

Le Conseil consultatif sur la condition féminine de la Nouvelle-Écosse croit qu'une participation accrue des femmes sur le marché du travail peut être avantageuse pour elles et accroître leur autonomie, mais il est également conscient que, à cause de leurs responsabilités familiales et de leur situation défavorisée sur le marché du travail, beaucoup d'entre elles vivent dans des familles où leur conjoint est le principal ou le seul gagne-pain.

Mis à part les répercussions des modifications proposées sur les femmes qui occupent des emplois saisonniers ou à temps partiel à titre individuel, il faut également tenir compte de l'effet total de la réduction des prestations sur les femmes, comme membres d'une famille. Dans cette optique, nous sommes préoccupées du fait que, ces dernières années, une grande partie de l'augmentation de la participation à la population active des femmes qui ont des enfants a été le fait de la nécessité économique plutôt que d'un choix. Face à une réduction du revenu familial et de la sécurité du revenu, des femmes qui n'ont pas déjà un emploi à temps plein sont portées à essayer de trouver un emploi ou à accroître le nombre de leurs heures de travail, qu'elles croient ou non que cela est dans l'intérêt supérieur de leur famille.

À cause des lacunes des services de garde, de l'inégalité du partage du travail à la maison, de la faible rémunération de leur travail et des problèmes financiers, il est possible que les femmes qui sont dans cette situation soient soumises à un stress plus intense dans leur vie personnelle et familiale.

Les difficultés financières dans les familles peuvent aussi contribuer au problème de la violence familiale et rendre les femmes plus vulnérables aux mauvais traitements. L'évidence anecdotique montre que le phénomène se manifeste déjà en Nouvelle-Écosse, surtout dans les localités rurales frappées par la crise des pêches. Cette crise et les bouleversements qui transforment le secteur des pêches dans le Canada atlantique ont déjà de graves conséquences en Nouvelle-Écosse, provoquant du stress chez les femmes et dans leur famille, dans bien des localités de la province. Les conséquences du projet de loi sur les femmes et sur leur famille ne feront qu'aggraver le problème.

Je voudrais ajouter autre chose. Je crois savoir que des mesures législatives sur les pêches et les océans seront bientôt proposées, mais qu'elles n'ont pas encore été déposées. Cela fait naître de vives inquiétudes dans les localités de la province où on pratique la pêche, car on ignore pour l'instant quel sera l'impact total sur les familles de ces localités de ces nouvelles mesures, en plus du projet de loi C-12 sur l'assurance-emploi.

L'autre question est celle du supplément du revenu familial. La seule chose que je tiens à faire ressortir, c'est qu'il y a là des difficultés, car, même si le seuil de revenu a été relevé, il s'agit désormais du revenu familial plutôt que de celui des individus, et il y a des problèmes à adopter le revenu familial aux fins de la subvention. Je crois que c'est une manière détournée de faire dépendre ces subventions du revenu familial, ce qui a souvent été une source de difficultés pour les femmes mariées. On peut imaginer certains scénarios, comme celui d'une famille biparentale, par exemple, où celui qui a le revenu le plus élevé, le plus souvent le mari, s'attend à être mis à pied et veut obtenir les prestations maximums. Il peut empêcher sa conjointe de prendre un emploi, et c'est ensuite à lui, non à elle, qu'ira le supplément. Dans ce cas-ci, je crois que les problèmes sont marginaux, mais la difficulté est qu'on adopte un principe qui fait lui-même problème. Il a déjà été adopté dans les modifications que le dernier budget apporte aux pensions.

Permettez-moi d'ajouter que l'un des problèmes que nous décelons, c'est qu'on essaie de s'attaquer ainsi au problème de la pauvreté chez les enfants ou de la pauvreté dans les familles à faible revenu, et que l'assurance-chômage n'est pas, nous en convenons avec le CCDS, le moyen qui convient pour le faire, qu'il y a d'autres façons de s'attaquer au problème.

La présidente: Un crédit d'impôt plutôt que l'assurance-chômage.

Mme Lord: C'est juste.

La présidente: Lorsque vous avez remis votre mémoire, est-ce que vous avez communiqué au ministre et au comité du développement des ressources humaines les recommandations qui figurent à l'annexe A?

M. Lord: Oui. Après notre présentation orale, le texte a été transmis au ministère du Développement des ressources humaines.

Le sénateur Phillips: Ne pourrions-nous pas publier dans notre compte rendu les recommandations qui se trouvent dans le mémoire?

La présidente: Oui, cela est possible.

Le sénateur Losier-Cool: Saviez-vous que le gouvernement avait fait une étude approfondie sur les effets des modifications sur les deux sexes, ce qui est une première pour ce genre de mesure?

Mme Lord: Oui, j'ai pu consulter ces données et cette information. Cette étude a été faite. Malheureusement, elle montre simplement que tout le monde sera touché. Dans certains cas, les réductions seront moins importantes pour les femmes que pour les hommes, mais il y aura tout de même des réductions. Elle a également montré que les modifications ne seraient pas aussi bénéfiques pour les travailleurs à temps partiel qu'on l'a prétendu. Certaines des données que j'ai utilisées dans le mémoire proviennent même de cette étude.

Le sénateur Losier-Cool: Je reconnais avec vous que ce n'est pas parfait. Le ministre a dit que le projet de loi n'était pas parfait, mais qu'il marquait un progrès. Le grand progrès, pour les femmes, c'est que, pour la première fois, la contribution que représente leur travail sera reconnue, parce qu'il sera assuré et qu'un plus grand nombre de femmes seront admissibles.

Mme Lord: Parce que ceux qui font moins de 15 heures par semaine seront couverts?

Le sénateur Losier-Cool: À cause du système fondé sur les heures.

Mme Lord: Quelques personnes de plus seront visées, mais, comme je l'ai dit dans mon mémoire, un grand nombre de ceux qui participeront au régime pour la première fois n'auront pas droit aux prestations parce qu'ils ne pourront pas accumuler suffisamment d'heures. De plus, un grand nombre de ceux qui ont maintenant droit aux prestations et travaillent plus de 15 heures par semaines - mettons 17 ou 20 heures - ne seront plus admissibles. Je ne vois pas comment ce projet de loi peut être bénéfique pour les femmes, ni pour qui que ce soit, d'ailleurs.

Le sénateur Rompkey: Est-il juste de dire que vous ne voyez rien de bon dans le projet de loi?

Mme Lord: Le principe selon lequel tout travail doit être assuré est excellent. C'était même l'une des recommandations découlant de l'enquête sur le travail à temps partiel, au début des années 80. Il était recommandé qu'un plus grand nombre de travailleurs à temps partiel participent au régime, mais non d'adopter un système fondé sur le nombre d'heures travaillées. Si on conservait le nombre de semaines, les travailleurs ne toucheraient des prestations qu'à proportion de leurs gains. Les prestations dépendent des gains. Je ne comprends pas pourquoi nous adoptons le calcul en fonction des heures.

Le sénateur Rompkey: Vous préférez le statu quo?

Mme Lord: Je crois qu'il faudrait revenir au système fondé sur le nombre de semaines ou qu'il faudrait revoir tout le projet depuis le début.

Le sénateur Rompkey: Vous pensez que le système fondé sur le nombre de semaines a été bon pour la région de l'Atlantique et que les travailleurs et les femmes ont pu en bénéficier?

Mme Lord: Je crois que cela fonctionnait mieux que ne le fera le nouveau système. Je n'ai pas vu une seule donnée statistique montrant que quiconque, dans le Canada atlantique, s'en tirera mieux, que les femmes, en général, s'en tireront mieux.

Le sénateur Rompkey: Une partie du problème, c'est que nous n'avons pas mis le régime à l'essai. Il est difficile de faire l'analyse d'un régime qui n'est pas entré en vigueur.

Mme Lord: Une analyse montre quel montant sera retiré du régime. Même si on tient compte des amendements, la Nouvelle-Écosse perdra 63 millions de dollars en prestations. Il y a forcément quelqu'un qui y perd.

Le sénateur Rompkey: Même si on tient compte des prestations d'emploi et du réaménagement des fonds?

Mme Lord: Même si on en tient compte.

Le sénateur Rompkey: A-t-on fait des recherches sur le nombre de personnes qui pourront trouver du travail? Quand on dit que les travailleurs ne peuvent travailler davantage même s'ils le veulent, voulez-vous dire qu'il n'y a aucune autre possibilité dans les localités?

Mme Lord: L'hypothèse qui sous-tend ce projet de loi, c'est que les gens ne veulent pas travailler. Je ne vois rien qui le prouve. Toutes les enquêtes qui ont été faites auprès des travailleurs à temps partiel montrent qu'ils veulent travailler à temps plein.

Le sénateur Rompkey: Ne reconnaissez-vous pas que les travailleurs sont maintenant piégés par le système, dans une semaine de travail de 10, 12 ou 14 heures, qui est une contrainte aussi bien pour eux que pour l'employeur? Ils peuvent devenir la victime de l'employeur, que ce soit dans le secteur privé ou dans le secteur public. Certains ministères fédéraux engagent des travailleurs pendant 12 ou 14 semaines, les mettent ensuite à pied, pour ensuite en engager d'autres, ce qui, selon moi, joue au détriment des travailleurs. Il me semble qu'il y a là un piège.

J'ai passé la moitié de mon temps, comme député, à essayer de trouver des moyens, pour les gens, de contourner le système. Si on passe autant de temps à essayer de le contourner, c'est peut-être qu'il y a quelque chose qui cloche dans le système.

Mme Lord: Le problème, c'est qu'il n'existe pas de bons emplois stables.

Le sénateur Rompkey: C'est un fait. Si vous voulez dire que, dans une usine de transformation du poisson de la côte du Labrador, dans une localité bloquée par les glaces pendant plus de six mois de l'année, les débouchés ne sont pas nombreux, je suis d'accord avec vous. Le ciel les garde! Mais il s'agit d'une minorité. Je voudrais qu'on fasse quelque chose pour ces gens-là. J'espère qu'on peut trouver des solutions. Mais ils ne sont pas la majorité.

Plus de 85 p. 100 des travailleurs du Nouveau-Brunswick font plus de 35 heures par semaine. Voulons-nous parler ici de la majorité ou de la minorité? J'ai vu des statistiques selon lesquelles la proportion est supérieure à 80 p. 100 dans toutes les provinces. Ai-je tort ou raison?

Je suis désolé. On me dit que la moyenne est de 77 p. 100. J'ai du mal à voir où se trouve la majorité et où se trouve la minorité.

Mme Lord: On déshabille saint Pierre pour habiller saint Paul.

Le sénateur Rompkey: Certains de ceux qui font entre 15 et 30 heures par semaine auront des problèmes. Ils sont toutefois une minorité, car plus de 70 à 80 p. 100 des travailleurs font plus de 35 heures par semaine et peuvent donc participer au programme.

Mme Lord: Ils travaillent peut-être 35 heures par semaine, mais ils ne font peut-être pas nécessairement assez de semaines pour accumuler un nombre d'heures suffisant.

Le sénateur Rompkey: J'en reviens à mon autre question. Pourquoi ne peuvent-ils pas obtenir un plus grand nombre d'heures de travail, s'ils ne sont pas dans une localité éloignée et à industrie unique?

Mme Lord: Parce que les emplois ne sont pas là. C'est le fond du problème.

Le sénateur Rompkey: Nous n'en sommes pas encore certains, n'est-ce pas? Le régime n'a pas encore été mis à l'essai. Nous ne le savons vraiment pas. Il faut accumuler une certaine expérience.

Mme Lord: Non, mais il y a un risque épouvantable que les emplois ne soient pas là lorsque le régime entrera en vigueur.

Le sénateur Rompkey: Il me semble risqué de conserver le système actuel.

Mme Lord: Je n'ai pas vu une seule statistique qui dise que les travailleurs s'en tireront mieux. Il s'agit ici de faire des économies. Des deux milliards de dollars qui seront retirés du régime, la moitié ira aux programmes d'emploi. Le programme n'est pas déficitaire. Il a un excédent. Pourquoi imposons-nous des compressions? Nous sommes en période de chômage élevé. Je ne m'oppose pas à toute réforme ou modification, mais je ne comprends pas.

Le sénateur Rompkey: Ce qu'on prétend, à tort ou à raison, c'est qu'un excédent dans la caisse de l'assurance-chômage permettra d'éviter d'augmenter les cotisations quand viendra la prochaine récession ou la prochaine période de baisse de l'emploi. Cela semble logique à bien des gens.

Que dire du réaménagement des fonds? Je sais que vous dites qu'il ne faut pas utiliser le régime d'assurance-chômage à ces fins, alors je présume que vous êtes favorable à un régime d'assurance strict, n'est-ce pas?

Il y aura une économie de 2 milliards de dollars. Si on ajoute tous les chiffres, il y a environ 1,2 milliard de dollars qui seront canalisés vers le soutien de l'emploi, vers les personnes à faible revenu, vers la formation, et cetera. Pensez-vous que cette réaffectation des fonds est bonne ou mauvaise?

Mme Lord: Le régime d'assurance-chômage a toujours affecté des fonds à la formation professionnelle. C'est acceptable.

Je m'inquiète un peu de l'orientation adoptée, car une grande partie de l'argent va aux subventions salariales, aux compléments de rémunération, plutôt qu'à la formation en tant que tel. Ces 10 ou 15 dernières années, on est passé graduellement de la formation aux subventions salariales. Il faudra voir comment cela fonctionne.

Je lisais aujourd'hui dans le Globe and Mail qu'on discute maintenant avec les provinces de la possibilité que l'assurance-chômage soit fusionnée avec l'aide sociale. Cela me cause de vives inquiétudes, vu la manière dont le régime d'aide sociale fonctionne dans le Canada atlantique.

Le sénateur Murray: Le projet de loi me pose également des difficultés. Je relève dans votre présentation un problème qui concerne justement ce point-là. Cela m'intrigue. Du même souffle, vous décriez l'abandon du régime d'assurance-chômage comme régime d'assurance de la rémunération, mais il est dit implicitement dans beaucoup de vos critiques - et explicitement quelques paragraphes plus loin - que vous considérez le régime d'assurance-chômage comme un programme fédéral de sécurité du revenu. Ce sont deux notions différentes.

Si l'assurance-chômage est effectivement un programme fédéral de sécurité du revenu - il semble que ce soit ainsi que vous le considérez, et je suis porté à croire que c'est ce qu'il est devenu - qu'y aurait-il de mal à ce que, sur le plan théorique, il soit plus étroitement intégré au régime d'aide sociale ainsi qu'à l'éducation, à la formation, au recyclage et ainsi de suite?

Mme Lord: C'est tout un changement. Dire que c'est un régime de sécurité du revenu ne contredit en rien la notion de régime d'assurance de la rémunération. Assurer la rémunération, c'est aussi garantir la sécurité du revenu, n'est-ce pas?

Le sénateur Murray: Non.

Mme Lord: On a toujours dit que l'assurance de la rémunération faisait partie du système canadien de sécurité du revenu.

Le sénateur Murray: C'est ainsi qu'on se retrouve avec les mesures d'employabilité que vous remettez en cause, et sur lesquelles je m'interroge aussi, à certains égards. C'est pourquoi nous nous retrouvons avec les mesures d'employabilité. C'est aussi pourquoi quiconque essaie d'envisager les choses de manière rationnelle et se soucie du prestataire dira que, sur le plan théorique, il faudrait assurer une intégration très étroite avec tous les programmes provinciaux, y compris les services de placement, par exemple.

Mme Lord: Je n'aurais pas trop d'inquiétudes. On pourrait soutenir, du point de vue féministe ou féminin, que les femmes ont été forcées de recourir à l'aide sociale, pour la plupart, alors que les hommes ont eu accès aux prestations d'assurance-chômage. Bien entendu, c'était avant que les femmes ne soient vraiment intégrées au marché du travail. C'était un régime à deux volets. L'idéal serait d'avoir un seul régime. Dans un monde idéal, je serais d'accord là-dessus.

Je suis très préoccupée, sachant ce que je sais du fonctionnement du régime d'aide sociale. En Nouvelle-Écosse, nous faisons maintenant face à des compressions dans l'aide sociale aux personnes handicapées et dans les allocations au logement.

Le sénateur Murray: Vous avez dit que ces réductions étaient attribuables en partie à la diminution des transferts provenant d'Ottawa.

Mme Lord: C'est juste.

Le sénateur Murray: Tout va dans le sens d'un régime fédéral-provincial beaucoup plus étroitement intégré. Comme je l'ai dit, chaque fois que j'évoque cette idée, les regards se tournent vers le ciel, au ministère des Finances et à bien d'autres endroits, parce que cela semble être un rêve irréalisable. Je ne vois pas d'autre solution.

Mme Lord: Cela ne me poserait pas trop de difficultés, si j'avais l'assurance qu'il n'y ait pas de compressions à répétition. Des coupes ont été faites dans le régime d'assurance-chômage, et voici d'autres mesures sur l'assurance-chômage. Peu importe comment on regarde la chose, il y a des réductions. La Nouvelle-Écosse perdra 63 millions de dollars d'ici à l'an 2000, même une fois les amendements adoptés.

Il y a aussi des coupes dans le transfert social canadien qui ont déjà des répercussions sur les assistés sociaux. En Nouvelle-Écosse, c'est déjà commencé. On réduit les allocations de logement. L'aide sociale fera l'objet d'un examen cet été, et je suis prête à parier qu'il y aura des compressions de ce côté.

Si nous avions l'assurance que les ressources injectées dans le régime seront suffisantes, soutiendront les revenus et appuieront cette infrastructure, alors d'accord. D'une certaine manière, je serais la première à me rallier à vous, sénateur. J'ai beaucoup travaillé, surtout avec des femmes qui vivent d'aide sociale. Je sais dans quelles conditions elles vivent. Je voudrais que les normes de l'aide sociale soient relevées jusqu'au niveau de l'assurance-chômage, plutôt que ce soit l'inverse qui se produise, ce qui semble s'annoncer, je le crains.

La présidente: Merci, madame Lord, de nous avoir présenté un mémoire et d'avoir comparu devant le comité.

Notre prochain témoin est Jacinta Deveaux, de la P.E.I. Coalition of Seasonal Workers. Elle sera suivie de Luanne Gallant, porte-parole des Miminegash Women in Support of Fishing. Nous sommes heureux que vous soyez là ce soir pour discuter du projet de loi C-12. Je vous en prie.

Mme Jacinta Deveaux, porte-parole, P.E.I. Coalition of Seasonal Workers: Madame la présidente, honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant le comité. Je suis une travailleuse saisonnière, non pas par choix, mais à cause de l'économie saisonnière qui existe dans l'île.

J'éprouve beaucoup d'inquiétudes face au projet de loi. Nous croyons qu'il a été rédigé à partir du principe que les emplois remplaceraient l'assurance-chômage. En réalité, vu la nature saisonnière de l'économie de l'Île-du-Prince-Édouard, ce principe ne tient pas.

Les travailleurs saisonniers de toute la région de l'Atlantique subiront le contrecoup de cette mesure législative à cause de l'interruption et de la règle de l'intensité. Les collectivités rurales dans la région de l'Atlantique dépendent d'une économie saisonnière qui repose sur l'agriculture, la pêche et le tourisme. Il est naïf de croire que les travailleurs saisonniers vivent dans l'opulence, restant bien assis chez eux et touchant leurs chèques. C'est tout simplement faux. Les travailleurs saisonniers ont des capacités, des connaissances et une éthique professionnelle égales ou supérieures à celles de bien d'autres Canadiens. Notre seul problème, c'est qu'il n'y a pas de travail à longueur d'année.

Le gouvernement fédéral a brandi le revenu de 26 000 $ comme montant magique pour les travailleurs saisonniers. En réalité, très peu d'entre eux réussissent, même avec leur conjoint, à obtenir un tel montant. Si la mesure est adoptée, des gens comme moi et bien d'autres auront le choix entre la famine et l'aide sociale.

Je suis venue vous expliquer les choses comme elles sont, non pas comme les gens les perçoivent. Nous comprenons que des changements s'imposent, mais pas à n'importe quel prix. La mesure législative aura des conséquences dévastatrices sur les familles, les collectivités et la société en général. Celui qui souffrira le plus de cette mesure, c'est l'employé saisonnier. Or, c'est celui qui peut le moins se le permettre. On nous pénalise parce qu'il n'y a pas de travail à long terme.

L'an dernier, j'avais deux emplois, l'un dans un entrepôt de pommes de terre, et l'autre dans une pépinière. Ni l'un ni l'autre n'était facile. J'ai pu travailler 18 semaines, mais je sortirai perdante des modifications apportées au régime d'assurance-chômage. Les travailleurs contribuent à l'assurance-chômage parce que le régime est censé leur garantir une protection financière lorsqu'ils n'ont plus de travail. Qu'est-ce qui me protégera lorsque mes deux emplois saisonniers prendront fin? Dans un monde idéal, je pourrais travailler toute l'année. La réalité, c'est que nous avons besoin d'emplois à long terme.

Mon mari et moi avons trois enfants et, lorsque les changements à l'assurance-chômage entreront en vigueur, mon chèque passera de 185 $ par semaine à 104 $, ce qui représente environ 2 500 $ par année. Nous ne cherchons pas la pitié. Nous voulons simplement que le projet de loi soit fondé sur la réalité: le manque d'emplois à long terme qui soient enrichissants.

J'ai autre chose à faire que de m'attaquer au gouvernement fédéral, mais il s'agit d'une question de survie. Je dois protéger ma famille coûte que coûte. Je vous exhorte à examiner cette mesure législative très attentivement, parce que ce sont des personnes en chair et en os qui doivent en assumer les conséquences.

Je vous remercie de m'avoir écoutée, car je crois que mes opinions reflètent bien celles du travailleur saisonnier moyen.

Mme Luanne Gallant, porte-parole, Miminegash Women in Support of Fishing: Madame la présidente, honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser au comité. Je viens de Miminegash, dans l'Île-du-Prince-Édouard. Je suis travailleuse saisonnière à temps plein et je fais aussi la cueillette de la mousse d'Irlande. Aussi étrange que cela puisse paraître, je me considère comme une travailleuse saisonnière à temps plein. Je suis aussi une épouse, la mère de trois enfants et un membre actif du groupe Miminegash Women in Support of Fishing.

Je parle au nom de milliers de travailleurs saisonniers de l'ouest de l'Île-du-Prince-Édouard qui sont punis à cause de l'endroit où ils habitent et du genre de travail qu'ils accomplissent. Nous sommes qualifiés de «récidivistes», comme si nous étions des criminels et, pour nous punir, le gouvernement nous impose la règle de l'intensité. Étant donné l'amendement Regan, le projet de loi modifie le dénominateur, qui passe à 14 semaines pour l'Île-du-Prince-Édouard ou 12 plus 2 - ou 12 plus deux semaines de temps mort. Aux termes de l'amendement Easter, le dénominateur ne peut être modifié que par un vote à la Chambre. Cette mesure sert à diminuer le pouvoir du ministre. M. Easter a proposé son amendement dans l'espoir que tous les Canadiens aient leur mot à dire si des changements étaient apportés à l'assurance-chômage. N'en a-t-il pas toujours été ainsi?

Nous avons dit notre mot. Comme vous l'avez lu dans mon mémoire, nous avons participé largement, mais nos députés ont suivi leur chef comme des moutons. Ils disent que maintenant, l'interruption de rémunération n'est plus un problème. C'est peut-être vrai pour certains, mais pas pour tous. La période de 26 semaines ne règle pas le problème pour les quelque 700 travailleurs des usines de transformation du poisson, travailleurs agricoles et autres de ma région.

Voici l'exemple de Dorothy Perry. Elle travaille huit semaines à l'automne à l'usine de transformation de fraises, du 1er septembre au 31 octobre, puis sept semaines à l'usine de transformation du poisson, du 1er mai au 21 juin.

En remontant sur 26 semaines, elle peut utiliser ses heures de travail pour établir son admissibilité, mais elle ne peut pas utiliser tout l'argent qu'elle a gagné pour établir le montant des prestations. Aux termes de l'ancien régime d'assurance-chômage, ses gains auraient été de 124 $ par semaine. Mais si on fait le calcul en fonction du projet de loi, ses gains seront de 51 $ par semaine. Le projet de loi C-22 lui fait donc perdre 73 $ par semaine en prestations d'assurance-chômage, soit 2 044 $ sur une période de 20 semaines.

Joe McGuire, député de ma circonscription, a déclaré à la Chambre que certaines personnes sont perdantes avec la règle de 26 semaines, que ce sera difficile pour elles, mais qu'elles devront s'adapter.

En fait, elles devront s'habituer à une plus grande pauvreté, même à la misère, alors que nous vivons dans le pays le plus riche du monde.

Le système de calcul en fonction des heures travaillées fera du tort aux étudiants et aux travailleurs à temps partiel. Certains étudiants pensent que, de toute façon, ils n'auront pas l'occasion de recourir au nouveau régime, puisqu'il leur faudra trop de temps pour accumuler les heures nécessaires pour être admissibles.

Je travaille au Irish Moss Interpretive Centre. J'y ai travaillé pendant 14 semaines consécutives. J'estime avoir de la chance. Mais les 15e et 16e semaines, je travaille deux heures dans un car d'excursion. Mon dénominateur sera donc de 16 semaines. Je me fais payer 32 $ pour ces quatre heures de travail supplémentaires. À cause de ces quatre heures, je vais perdre 588 $ en prestations sur 28 semaines.

Selon M. McGuire, l'ancien régime décourageait les gens de continuer à travailler puisqu'ils s'en trouvaient pénalisés. Comment le nouveau régime peut-il m'encourager à travailler quatre heures pour gagner seulement 32 $ si je dois perdre 588 $ en prestations? J'ai grand besoin de cet argent. Nous sommes travailleurs. Nous n'avons pas peur de l'ouvrage. S'il y avait des emplois, nous les occuperions. Le gouvernement met la charrue devant les boeufs. Qu'il crée d'abord des emplois. Si les gens refusent de travailler, ce sera alors une autre histoire.

Dans les régions rurales de l'Île-du-Prince-Édouard, il n'y a presque pas d'activité pendant l'hiver. Mais la vie continue. L'assurance-chômage permet tout juste de survivre en hiver. Nous devons calculer au cent près pour ne pas épuiser un chèque avant que l'autre n'arrive. Et parfois, il ne suffit pas.

Le gouvernement libéral a dépensé 2 millions de dollars pour cacher les faits. Quand les sondages d'opinion ont été réalisés, les gens n'avaient pas assez d'information pour répondre correctement, mais les choses sont en train de changer. Les gens commencent à comprendre ce que représente le projet de loi C-12 et savent qu'ils en souffriront aussi.

Le gouvernement devrait s'en prendre aux grandes entreprises et aux riches pour régler son problème de déficit au lieu de toujours s'attaquer aux gagne-petit. Le projet de loi C-12 est catastrophique, comparé à ce qu'il remplace.

Notre province a perdu 40 millions de dollars à cause des compressions de l'assurance-chômage en 1994, et elle en perdra autant à cause du projet de loi C-12. Il n'est pas acceptable qu'un groupe de personnes jouisse d'un pouvoir tel qu'il lui permet de jouer avec la vie des gens sans avoir de comptes à rendre, même pas à ceux qui les ont portés au pouvoir.

Nous luttons pour survivre dans une région frappée par un taux de chômage élevé et où il y a beaucoup de travail saisonnier. Tant qu'il y aura des saisons, il y aura des travailleurs saisonniers. Nous savons aussi que le travail saisonnier est une partie très importante de notre économie.

Si des changements sont apportés à l'assurance-chômage, il faut qu'ils aident tous les Canadiens et pas seulement quelques-uns en sacrifiant les autres. Le projet de loi proposé est une mesure injuste.

La présidente: Merci beaucoup. Nous avons beaucoup apprécié vos exposés. Ils nous ont secoués et ont mobilisé notre attention.

Le sénateur Phillips: Je souhaite la bienvenue aux témoins. Je crois qu'ils ont participé à de nombreuses réunions à l'Île-du-Prince-Édouard ainsi que dans toutes les Maritimes, je crois.

Madame Deveaux, vous avez dit que votre chèque serait ramené de 185 $ à 104 $. Je suppose que votre mari touchait aussi des prestations, à un moment donné, n'est-ce pas?

Mme Deveaux: Oui.

Le sénateur Phillips: De combien ses prestations diminueront-elles?

Mme Deveaux: Il n'en recevra probablement aucune, parce qu'il travaille pendant huit mois de l'année.

Le sénateur Phillips: Il n'y a donc qu'un membre de la famille qui touche des prestations.

Mme Deveaux: Oui, et c'est moi.

Le sénateur Phillips: Je voudrais aborder la question du supplément du revenu familial. Je pense que ce supplément vous garantira 30 $ de plus par semaine. En vertu de la loi existante, vous auriez pu recevoir 60 p. 100 de votre revenu. J'ai remarqué que le mémoire du CCA contient ce renseignement, mais le témoin n'a pas eu l'occasion d'en prendre connaissance.

Avez-vous fait des calculs pour voir ce que cela donnerait dans votre cas?

Mme Deveaux: Je l'ai fait. Mes 104 $ passeraient à 152 $. Néanmoins, à cause de mon revenu actuel, je perdrai 2 500 $. Je serai à seulement 26 000 $, et j'en resterai là, car le supplément ne m'aidera pas.

Le sénateur Phillips: Il ne vous aidera pas du tout?

Mme Deveaux: Non.

Le sénateur Phillips: Madame Gallant, cela changera-t-il quelque chose à votre situation?

Mme Gallant: Mon revenu correspondra exactement au seuil. Je ne recevrai donc pas le supplément.

Le sénateur Phillips: On me dit que, à cause des réunions organisées à l'Île-du-Prince-Édouard, on a l'impression que quiconque gagne moins de 26 000 $ recevra ce montant. Dans son excellente explication du projet de loi - même si je ne suis pas d'accord avec lui -, le sénateur Rompkey a dit que le montant moyen qui pourra être versé à titre de supplément du revenu familial sera de 800 $ par année.

Mme Deveaux: Il y a tellement de malentendus au sujet de ce projet de loi à l'Île-du-Prince-Édouard. Comme je l'ai déjà dit, je commence à me demander qui sont les politiques. Les travailleurs saisonniers nous demandent des conseils à Luanne et à moi. Certains pensent qu'il leur faut 14 semaines de travail pour devenir admissibles. Un autre malentendu est qu'ils croient qu'ils recevront automatiquement un complément qui portera leur revenu à 26 000 $, ce qui est faux. Ils recevront ce qu'il faut pour atteindre 80 p. 100 et rien de plus. Il faut déjà se situer à un certain niveau pour que ces 80 p. 100 vous mènent à 26 000 $. On dirait que ces 26 000 $ sont un chiffre magique, que c'est le montant qui permet de survivre. Le problème, c'est que je ne vais probablement jamais dépasser ce chiffre. J'ai travaillé 18 semaines l'an dernier, et je touche un chèque de 104 $. Ceux qui travaillent 12 semaines s'en tirent beaucoup mieux que moi.

Le projet de loi ne paraît pas très sensé. Il y a neuf semaines au début de l'année sur lesquelles je ne peux pas compter. J'ai pris deux emplois parce que je savais que des changements très importants allaient être apportés à l'assurance-chômage, et c'est moi qui suis pénalisée. Cela ne me semble absolument pas logique.

Il y a de bons éléments dans le projet de loi. Il est vrai qu'il faut apporter des modifications, mais pas à n'importe quel prix. On demande pourquoi ce sont les femmes qui livrent cette lutte. C'est parce que nous sommes mères et que nous protégeons notre famille. Nous la protégeons coûte que coûte. J'ai trois enfants. Ce sont mes petits. Je gagne plus de 26 000 $ en ce moment, et j'arrive à peine à survivre. Que se passera-t-il lorsque je n'aurai plus que 26 000 $? Cela ne tient pas debout. Je suis désolée, mais je ne sais pas quoi dire d'autre. J'ai tout essayé, à part me taper la tête contre les murs. La réalité, c'est que je n'arrive déjà pas à survivre avec ce que j'ai. Comment est-ce que je vais me débrouiller avec moins? J'ai trois enfants. Ma famille compte cinq personnes.

Le sénateur Phillips: Un témoin qui appartient à un de ces groupes d'analystes a soutenu plus tôt que l'assurance-chômage freinait le développement dans le Canada atlantique.

Vous avez des compétences. Si l'une ou l'autre d'entre vous pouvait se recycler, dans quel domaine prendriez-vous votre formation pour arriver à rester dans votre région? Je ne pense pas qu'on se rende compte que, lorsqu'on a une maison et qu'on est installé dans une collectivité, on est plus ou moins obligé d'y rester. Nous avons entendu un membre du comité dire qu'il avait dû vendre sa maison au Québec à un prix inférieur du tiers à ce qu'il avait payé. Mais si les gens commencent à quitter les petites localités, ils ne peuvent pas vendre leur maison ou leurs autres biens. Ils sont coincés là. Pour quel travail pourriez-vous vous former afin d'avoir un emploi à longueur d'année?

Mme Deveaux: C'est ce que j'ai toujours essayé de faire comprendre. Je l'ai dit et je l'ai répété. Je peux me recycler n'importe quand. J'ai toujours dit que j'avais cent métiers, et cent misères. J'ai travaillé dans une pépinière, j'ai classé des pommes de terre et j'ai travaillé dans un magasin. Je veux bien faire n'importe quoi. Si on m'avait dit que je viendrais à Ottawa pour comparaître devant un comité sénatorial, j'aurais dit que c'était de la folie. Mais me voici.

Je suis en faveur du recyclage, mais il ne me permettra pas de rester à Surrey, parce que les emplois ne vont pas surgir par enchantement. Vous avez parlé de déménagement. S'il s'agissait seulement de ma famille et de moi - encore que je n'ai pas envie de déménager - cela pourrait toujours aller. Mais est-ce que nous devons tous quitter Surrey? Où aller? De Surrey à Charlottetown? Ils nous chasseraient. De Charlottetown à Ottawa? Je suis sûr que vous vous en prendriez à nous, parce qu'il n'y a pas d'emplois ici.

Mme Gallant: Je me suis recyclée. Toute ma vie, j'ai fait la cueillette de la mousse d'Irlande, et j'aime ce métier. Mais il y a eu un ralentissement dans ce secteur. Je me suis recyclée en gestion, et je dirige le Irish Moss Interpretive Centre de Miminegash. Je fais la gestion. Je tiens les livres, coupe le gazon, je fais le service et je lave la vaisselle. Je fais tout et n'importe quoi. Pendant mes jours de congé, je ramasse de la mousse d'Irlande. J'ai un emploi, et j'en remercie le bon Dieu, mais il ne dure qu'un certain temps. En hiver, il n'y a rien à faire. Après l'automne, on ne peut trouver aucun emploi, là où j'habite. Dans notre région, il y a deux usines qui traitent la mousse d'Irlande et trois entreprises qui achètent le poisson, mais les cinq ferment leurs portes. Il est inutile d'aller dans les localités voisines, car elles sont dans le même bateau que nous. Il n'y a pas d'emplois. Si nous déménageons à Summerside ou à Charlottetown, ils vont nous chasser parce que nous allons leur voler leurs emplois.

Je ne veux pas que mes enfants apprennent à dépendre de l'assurance-chômage, mais je voudrais qu'elle soit là pour qu'ils aient au moins quelque chose s'ils en ont besoin. Je ne pense pas que ce soit acceptable que nos enfants doivent quitter l'île pour chercher du travail ailleurs faute d'en trouver chez nous.

Le sénateur Phillips: Dans d'autres régions du Canada, on a l'impression que les habitants des Maritimes ne veulent rien d'autre que du travail saisonnier. Les secteurs de la pêche et de l'agriculture pourraient-ils exister à l'Île-du-Prince-Édouard sans travail saisonnier?

Mme Gallant: Jamais.

Le sénateur Phillips: Les travailleurs saisonniers sont absolument essentiels à nos principales industries.

Mme Deveaux: Oui. On trouvera des chiffres dans mon mémoire. Il y a 25 000 travailleurs saisonniers. Je l'ai déjà dit, et je le répéterai: si ces 25 000 personnes déménageaient pour aller chercher du travail à temps plein ailleurs, il y aurait 25 000 postes vacants dans les secteurs de l'agriculture, de la pêche et du tourisme, parce que ceux qui travaillent à temps plein en ce moment ne vont pas aller classer les pommes de terre. Il n'y a personne qui cherche à me prendre mon emploi. Ceux qui ont un emploi à temps plein, par exemple dans les marchés d'alimentation et dans les services gouvernementaux, sont là parce qu'ils ne veulent pas classer des pommes de terre.

Mme Gallant: Ceux qui travaillent dans les usines de transformation du poisson ou ramassent des fraises ont la formation pour faire leur travail. Ils sont fiers de ce qu'ils font, et ils travaillent fort. Il ne faut pas les pénaliser à cause de ce qu'ils font comme travail ou de l'endroit où ils vivent.

Mme Deveaux: Je classe des pommes de terre. La plupart d'entre vous devez manger des pommes de terre à un moment ou l'autre de la journée. Si ces pommes de terre viennent de Black Pond, c'est moi qui les classe. Ce sont des pommes de terre de catégorie A qui sont expédiées en Ontario. Je sais que ce sont des pommes de terre de catégorie A, puisque je les classe. Je connais le métier, et je sais quelles pommes de terre il faut éliminer. À cause de la situation actuelle, parce que le chèque passera de 185 $ à 104 $, je pense sérieusement à abandonner cette activité. Il n'y a pas moyen de survivre. Je ne peux pas payer l'électricité avec 104 $. À Black Pond Farm, il faudra qu'on engage quelqu'un d'autre.

Il y a là trois femmes qui sont exactement dans la même situation que moi et elles pensent comme moi que nous devons quitter nos emplois. Nous y sommes toutes depuis dix ans. Nous connaissons toutes le travail. Ceux qui nous remplaceront, hommes ou femmes, se retrouveront probablement dans la même situation que nous. Ils ne resteront pas longtemps non plus. Que va devenir le classement des pommes de terre? La qualité du travail va baisser, parce qu'il sera toujours fait par des nouveaux venus.

Même chose dans l'industrie de la pêche. Quand on doit découper le poisson, il faut savoir comment s'y prendre. Cette industrie aura exactement les mêmes problèmes.

Le sénateur Losier-Cool: À propos du recyclage, je dis toujours aux jeunes femmes de ne pas prendre de formation pour réparer des machines à laver et des sécheuses Maytag. Apparemment, il n'y a aucune demande. Je tiens aussi à vous féliciter de la manière très intéressante dont vous nous avez exposé vos préoccupations. Bonne chance!

La présidente: Vous êtes probablement le premier groupe à nous avoir fait une présentation personnelle. Il était excellent de le faire.

Le sénateur Murray: Je voudrais vous demander une chose, puisque vous avez été beaucoup dans la région et que, comme vous dites, vous connaissez tout le projet de loi, peut-être mieux que nous.

Vous vous inquiétez du sort d'êtres humains comme vous, en chair et en os. Vous constatez que l'île va perdre environ 40 millions de dollars en prestations, mais M. Young nous rappelle que le gouvernement va réinjecter 800 millions de dollars dans le régime - pas dans les prestations d'assurance-chômage, mais dans l'ensemble des mesures d'employabilité.

Le gouvernement discute de formation avec les provinces, mais il y a des moyens de créer des emplois, comme les subventions salariales, les compléments de rémunération, le travail autonome et l'infrastructure, parfois en collaboration avec les provinces. M. Young est allé jusqu'à dire que c'était peut-être rien du tout parce que, si on dit que 40 millions de dollars sont retirés de l'Île-du-Prince-Édouard, il y en a autant qui y sont réinjectés d'une autre manière. Il ne peut pas vous offrir d'emploi, pas plus que moi, mais il soutient que cela créera des débouchés. Avez-vous réfléchi à ce point de vue? Est-ce que deux personnes débrouillardes comme vous ne seraient pas les premières sur les rangs, en mesure d'en profiter plus que d'autres? C'est ce que le ministre dirait.

Mme Deveaux: Je l'ai déjà fait. C'est ce que je fais déjà.

Le sénateur Murray: Disons que 40 millions de dollars seront dépensés pour créer des emplois, à ce qu'il dit, ou créer de l'emploi dans l'île. Avez-vous réfléchi à la question? En avez-vous discuté avec quelqu'un?

Mme Deveaux: Bien sûr. Ce que j'essaie de faire comprendre, c'est que nous ne nous opposons pas à ce qu'on modifie l'assurance-chômage. Donnez les emplois d'abord, changez le régime ensuite. Pour l'instant, on peut nous recycler jusqu'à ce que les poules aient des dents. On nous fait apprendre l'informatique, maintenant, mais il n'y a pas d'ordinateurs à Souris. Où allons-nous nous en servir? Au milieu de la rue Principale, à Souris? Du recyclage pour quoi faire? Il n'y a pas d'emplois. Offrez les emplois d'abord et le recyclage ensuite. Nous allons travailler.

Mme Gallant: On peut peut-être trouver des emplois à Charlottetown ou dans la région de Summerside. À parti de Summerside, vers l'ouest, il n'y a pas de grandes entreprises, et donc pas d'informatique. Beaucoup de jeunes et d'adultes ont pris cette formation, mais il n'y a pas d'emplois.

J'ai une amie de 39 ans. Elle a voulu s'inscrire à un programme de formation, mais elle était trop ågée. Il faut avoir 30 ans ou moins. Deux autres femmes se sont présentées. Elles ont 49 ans, mais elles sont trop ågées pour qu'on accepte leurs demandes d'emploi. Elles ont la formation. Elles se sont formées toute leur vie. Elles ont pris des cours tous les hivers. Il n'y a pas d'emplois pour elles, elles sont trop ågées. Essentiellement, il n'y a pas d'emplois dans ma région. C'est la même chose là où habite Mme Deveaux: pas d'emplois.

Mme Deveaux: À Souris, il y a un hôpital. Il ne manque pas de travailleurs; il y a sans cesse des mises à pied. Il y a aussi des écoles, et il y a des tas d'enseignants. Il y a ensuite les marchés d'alimentation. C'est tout. Tout le reste, c'est du travail saisonnier. À moins qu'on ne crée des emplois, il est inutile de se recycler.

Le gouvernement me force à quitter Souris. Il force des centaines de gens à quitter Souris. La localité va disparaître. Les emplois disparaissent. Les recettes fiscales vont disparaître. En somme, on nous prive du chômage pour nous réduire à l'aide sociale. Cela n'a aucun sens. Quand on est assisté social, on ne paie rien. Au moins, lorsqu'il y a de l'assurance-chômage, nous payons de l'impôt fédéral lorsque nous travaillons. Nous payons quelque chose. Mais, avec l'aide sociale, nous ne payons rien du tout.

La présidente: En avion, l'autre jour, je lisais un article sur l'Île-du-Prince-Édouard, sur l'industrie touristique et les conséquences de la construction du pont. Vous parlez exactement de la même chose. Vous aurez 250 000 visiteurs, et cela correspond à ce que vous disiez du caractère saisonnier de cette industrie.

Mme Gallant: J'ai rencontré M. Young à Charlottetown et je lui ai posé une question. Lorsque les conservateurs étaient au pouvoir et apportaient des changements à l'assurance-chômage, M. Young prétendait que cela avait des conséquences catastrophiques. M. Chrétien disait la même chose. J'ai demandé à M. Young pourquoi il avait changé d'avis et pensait maintenant que ces changements étaient bons pour nous. Je n'ai jamais compris sa réponse. Il a tourné autour du pot, et il est parti.

Le sénateur Murray: Est-ce qu'il n'aurait pas dit que les temps ont changé?

Mme Gallant: Je ne comprends toujours pas ce qu'il a dit. Ça allait dans tous les sens.

Le sénateur Murray: C'est un cas de force majeure.

La présidente: Je vous remercie de nouveau d'être venues témoigner. Nous avons été heureux d'entendre votre point de vue.

Notre dernier témoin ce soir est Mme Nycole Turmel, vice-présidente exécutive de l'Alliance de la fonction publique du Canada.

Je vous en prie.

Mme Nycole Turmel, vice-présidente exécutive, Alliance de la fonction publique du Canada: L'Alliance de la fonction publique du Canada, qui représente 150 000 travailleurs au service du gouvernement fédéral, dont 17 000 s'occupent directement de l'administration et de la prestation des services d'assurance-chômage et d'emploi, est heureuse de pouvoir comparaître devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

L'examen du projet de loi C-12 par votre comité est d'une importance critique pour la sécurité du revenu et les débouchés de millions de Canadiens. Cela est d'autant plus vrai dans le contexte d'une économie qui, qu'on le veuille ou non, est en train de transformer radicalement la nature du travail dans notre société.

D'entrée de jeu, je dirais que, selon nous, le projet de loi sur l'assurance-emploi que le gouvernement propose est fondamentalement imparfait et devrait être retiré. Nous adoptons cette position, convaincus que le projet de loi dont le comité est saisi s'écarte résolument des principes qui ont guidé le régime d'assurance-chômage ces 25 dernières années.

[Français]

Le régime canadien d'assurance-chômage, qui a maintenant 25 ans, reposait sur la notion selon laquelle les mises à pied et le chômage ne sont pas des décisions prises par les travailleurs et travailleuses, mais la conséquence de décisions prises par les pouvoirs publics et les employeurs.

Cette notion a bien résisté au passage du temps. Au fil des ans, bien des changements ont été apportés aux critères d'admissibilité à l'assurance-chômage et à la structure des prestations. Mais le postulat, voulant que le chômage soit une situation sur laquelle les travailleurs et travailleuses n'ont pas de prise, est demeuré une importante pierre angulaire du régime.

En présentant le projet de loi C-12, le gouvernement actuel tente de désavouer ce postulat. Il a proposé un régime d'assurance-chômage qui part du principe selon lequel les travailleurs et les travailleuses sont responsables de l'établissement des taux de rémunération, des heures et des semaines de travail et des mises à pied.

Dans le mémoire, que nous avons officiellement présenté au présent comité, nous nous sommes penchés sur la transformation de l'assurance-chômage en assurance-emploi et nous avons évalué les changements administratifs qui découleront de l'adoption du texte législatif.

Nous postulons que le but premier du régime d'assurance-chômage, quelle qu'en soit la forme, est d'assurer le maintien du revenu des gens qui ont été mis à pied et qui sont sans travail.

Il importe de souligner le fait que le principal problème que pose le régime canadien d'assurance-chômage, dans sa forme actuelle, est qu'il ne garantit pas le maintien du revenu à un grand nombre de travailleurs et de travailleuses en chômage.

Lorsqu'il a déposé le projet de loi C-111 en décembre dernier, le gouvernement savait que les compressions antérieures avaient ramené de 85 à 49 p. 100 à l'échelle nationale, le nombre de travailleurs et de travailleuses en chômage touchant des prestations d'assurance-chômage. Le gouvernement savait également que si peu édifiant qu'ait été le pourcentage des prestataires à l'échelon national, les chiffres masquaient des écarts régionaux.

Avant les changements proposés dans le projet de loi C-12, au moins 65 p. 100 des travailleurs et des travailleuses ontariens, appartenant officiellement à la catégorie des sans-emploi, ne touchaient pas des prestations d'assurance-chômage.

[Traduction]

À notre point de vue, la réforme de l'assurance-chômage doit viser à résoudre ce problème flagrant. Dans le projet de loi C-12, le gouvernement propose au contraire une série de réductions des prestations et des modifications dans les conditions d'admissibilité qui feront diminuer encore plus le nombre de chômeurs admissibles aux prestations.

Dans le mémoire en bonne et due forme que nous avons remis à votre comité, nous traitons d'un certain nombre de modifications à la structure des prestations et aux critères d'admissibilité qui sont proposées dans le projet de loi C-12.

En somme, l'Alliance de la fonction publique du Canada croit que le projet de loi C-12 vise à pénaliser les travailleurs en fonction de l'endroit où ils vivent, de leur sexe, de leur activité professionnelle et de leur åge. Ce n'est rien d'autre qu'un effort pour éliminer le soutien du revenu pendant les périodes de chômage. Par conséquent, la proposition va à l'encontre du principe de l'assurance-chômage et devrait être retiré.

À titre de membres d'un syndicat qui représente 17 000 employés fédéraux qui sont chargés de l'administration et de l'application des services d'assurance-chômage et d'emploi, nous sommes tout aussi inquiets des mesures d'emploi que le gouvernement propose dans le projet de loi C-12.

S'il est vrai qu'en regroupant les 39 programmes d'emploi en vigueur et en en réduisant le nombre, on simplifiera les choses pour les prestataires, il reste que les cinq programmes de remplacement proposés par le gouvernement aggraveront considérablement la situation.

Malgré ce que le gouvernement prétend, l'un des principaux motifs des mesures d'emploi semble être d'inciter les travailleurs à accepter des emplois mal rémunérés. En un mot, le gouvernement, par le projet de loi C-12, réduit les montants affectés au soutien du revenu et utilise l'argent pour subventionner les emplois mal payés et les employeurs qui versent de faibles salaires.

À l'évidence, cela va à l'encontre du principe de tout programme conçu pour stabiliser le revenu des travailleurs. En outre, en puisant davantage dans les fonds de l'assurance-chômage pour financer des programmes relatifs au marché du travail, le gouvernement se trompe sur l'objectif et le sens du programme d'assurance-chômage.

Malgré les mois de planification qui ont précédé le dépôt du projet de loi sur l'assurance-emploi, le gouvernement n'a guère fourni d'analyses susceptibles de faciliter l'évaluation du programme. Il importe aussi de dire clairement que les cinq nouvelles mesures d'emploi proposées par le gouvernement ne donneront rien aux chômeurs à moins que les divers gouvernements provinciaux n'y adhèrent expressément. Pendant la période de transition, Développement des ressources humaines Canada ne peut pas, sans l'accord de la province ou du territoire, fournir une aide financière pour aider les travailleurs non assurés à acquérir des compétences pour devenir employables.

L'un des principes de la transition entre l'assurance-chômage et l'assurance-emploi est que les participants devront assumer une partie des coûts de leur formation. Les membres du comité doivent comprendre que, puisque les mesures de formation et d'adaptation sont financées par l'assurance-chômage, le gouvernement se trouve à faire payer les chômeurs deux fois. Au minimum, la plupart des chômeurs seront obligés d'adapter leur budget personnel pour survivre au moyen de prestations qui sont d'au moins 55 p. 100 inférieures à leur revenu d'emploi. Par conséquent, il est inimaginable que des chômeurs aient les ressources financières voulues pour financer partiellement leur propre programme de formation.

Selon nous, les propositions du gouvernement à cet égard sont le comble de l'insensibilité et elles sont imparfaites sur le plan administratif. En modifiant un régime fondé sur des droits clairement définis pour en faire un régime fondé sur une vérification des ressources, on transforme toute l'administration.

[Français]

Les prestataires ne sauront pas à quoi s'en tenir lorsqu'ils examineront leurs options en matière de formation et d'emploi. Et les administrateurs auront des difficultés à structurer le programme.

La discrétion qui sera exercée dans la prise de décision pourrait donner lieu à une révision judiciaire qui ne fera qu'augmenter les coûts administratifs.

Abstraction faite de lacunes évidentes d'un régime qui oblige les gens, dont bon nombre sont désespérés, à fournir un apport financier qui dépasse leurs moyens, le régime présuppose un niveau de raffinement que bien des travailleuses et travailleurs en chômage ne possèdent pas. Les personnes dont les capacités de lecture et d'écriture sont restreintes, les immigrants nouvellement arrivés et les jeunes seront probablement grandement défavorisés par un régime qui leur impose le fardeau de la planification du programme.

On serait en droit de supposer que, dans le contexte économique actuel, ce sont justement ces gens que le gouvernement devrait cibler avec ces mesures spéciales d'emploi et de formation.

En conséquent, l'Alliance de la fonction publique du Canada estime qu'il est impératif que des conseillères et des conseillers professionnels, ayant une solide formation, en poste dans les centres d'emploi du Canada, continuent d'offrir les services. Sinon, il se pourrait fort que les Canadiens et les Canadiennes se retrouvent dans des programmes de formation et des établissements d'enseignement qui ne sont pas en mesure de livrer la marchandise, avec comme résultat que des chômeurs et des chômeuses pourraient avoir contracté d'importantes dettes sans avoir acquis d'autres compétences.

Les ressources ne sont pas utilisées à bon escient. La connaissance des programmes et de leur concordance par chaque prestataire est une compétence acquise par les travailleurs et les travailleuses du secteur public fédéral au terme de nombreuses années de travail auprès des prestataires

Il est absurde de demander aux prestataires de trouver eux-mêmes le programme qui leur convient le mieux. Le temps, l'énergie et les ressources financières que dépensera un prestataire à cette tåche sont excessifs et inutiles.

Du reste, rien ne garantit que le programme qu'il choisira sera véritablement adapté à ses besoins.

A notre avis, le gouvernement a conçu ce régime comme étant une étape provisoire qui permettrait de passer d'un programme piloté par le gouvernement à un programme individuel fondé sur des pièces justificatives.

Nous croyons que ce régime réduirait l'accès au service d'emploi pour un grand nombre de travailleuses et de travailleurs et qu'il ferait augmenter les coûts administratifs et l'incertitude.

[Traduction]

Je voudrais terminer en rappelant aux membres du comité que la Loi sur l'assurance-emploi proposée par le gouvernement est directement liée au programme de prestations des services annoncé vers la fin de l'été dernier.

À l'époque, le gouvernement a annoncé son intention de réduire le nombre de bureaux offrant toute la gamme des services et de les remplacer par un réseau de comptoirs électroniques. Cette modification du réseau de services est déjà assez déplorable en soi, car elle réduira le niveau des services offerts à de très nombreux employés. Mais la situation sera bien pire encore avec le régime d'assurance-emploi, car les services de soutien seront réduits dans le contexte d'un régime qui vise à forcer les chômeurs à concevoir leurs propres programmes de réemploi.

Les nouvelles mesures d'emploi et les mécanismes de prestation des services que le gouvernement entend mettre en place ne peuvent que nuire aux prestataires et au régime de responsabilité. Ces deux conséquences prévisibles sont en soi de graves problèmes et elles sont scandaleuses, car il s'agit d'un programme en grande partie financé par les travailleurs canadiens.

Merci, madame la présidente. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.

Le sénateur Murray: Vous avez fait brièvement allusion au fait que les nouvelles mesures d'emploi feront intervenir les divers gouvernements provinciaux. Vous avez dit que, tandis que les provinces pourront participer davantage aux initiatives en matière d'emploi, dont la conception, la gestion et la mise en oeuvre, la transition risque d'être difficile pour les chômeurs et le personnel de DRHC.

[Français]

Je voudrais vous demander, Mme Turmel, si vous êtes d'accord à ce que la formation de la main-d'oeuvre et ses autres programmes soient dévolus aux provinces?

Mme Turmel: En partie, nous sommes d'accord avec la dévolution de certains programmes. Mais c'est sûr que pour nous, il doit s'additionner des critères pour s'assurer que les personnes ne soient pas défavorisées par la dévolution des programmes.

On dit principalement que le Québec pourrait avoir les programmes comme tels. Donc, on veut s'assurer que les personnes ne soient pas affectées par la dévolution des programmes et par les standards.

Le sénateur Murray: Croyez-vous que la dévolution implique une perte d'emploi de la part de vos frères et soeurs de l'alliance?

Mme Turmel: Dépendamment des secteurs, oui, cela peut amener une perte d'emploi dans certains secteurs. Oui, c'est sûr que l'on représente les membres et, oui, nous avons une crainte de perte d'emploi pour les membres. On veut s'assurer principalement que les services soient les mêmes pour les Canadiens et les Canadiennes à travers le Canada.

Le sénateur Murray: Vous n'êtes pas en mesure, ce soir, d'estimer le nombre d'emplois qui pourraient être perdus.

Mme Turmel: Environ 4 000 personnes pourraient être affectées par la dévolution des programmes.

Le sénateur Murray: Une perte d'emploi pour 4 000 personnes?

Mme Turmel: Oui, la perte de 4 000 emplois est possible. Ceci s'ajoute au problème actuel des personnes qui sont en chômage.

[Traduction]

La présidente: À propos des articles 24 et 25, nous avons demandé à presque tous les témoins d'énoncer leur opinion sur le remplacement des semaines par les heures. Les observations que vous faites au sujet de l'article 24 semblent sous-entendre que vous êtes d'accord pour que le régime d'assurance-emploi soit fondé sur le calcul des heures. Quant à l'article 25, vous parlez à son sujet de l'économie, et vous avez l'impression, sans doute, que ce ne sera pas à l'avantage des chômeurs.

Pourriez-vous préciser?

[Français]

Mme Turmel: Je vais demander à mon confrère, M. Pascucci, et à ma consoeur, Mme Kilby, s'ils veulent continuer à répondre à vos questions. Nous ne sommes pas en désaccord avec le principe des heures, nous le sommes avec le nombre d'heures.

Principalement pour les nouveaux arrivants qui demandent l'assurance-chômage et qui demandent maintenant l'assurance-emploi, c'est le problème que nous avons présentement avec cette partie du projet de loi.

[Traduction]

M. Cres Pascucci, président national, SEIC: Nous croyons que de rendre toutes les heures de travail assurables, dès la première, est un grand progrès en vue d'assurer les travailleurs à temps partiel. On donne quelque chose d'une main, mais on retire autre chose de l'autre. On exige que les travailleurs à temps partiel fassent de plus longues heures pour devenir admissibles, simplement pour établir leur droit aux prestations. Et il ne s'agit pas d'une stricte conversion du nombre de semaines exigé jusqu'à maintenant en nombre d'heures. On double ou on triple la période de travail exigée pour que le travailleur à temps partiel soit admissible. Cela a pour effet de saper l'avantage accordé en assurant toutes les heures de travail dès la première.

Un autre point a été soulevé par le sénateur Murray. Il s'agit de la question de l'effectif, de ceux qui appliquent la loi et font le travail. Il est bien beau de parler de dévolution et de ce qu'il adviendra des emplois de ceux qui appliquent la loi, mais il faut admettre que, depuis 18 mois, il y a eu des compressions au ministère du Développement des ressources humaines, si bien que les fonctionnaires en poste ne peuvent plus compter sur la même capacité pour faire correctement le travail et assurer les services voulus aux chômeurs.

Près de 3 000 personnes ont déjà été mises à pied et ne travaillent plus à l'application du programme d'assurance-chômage. Il s'agit de conseillers d'expérience. Beaucoup de centres sont touchés. Je sais que le sénateur Rompkey a multiplié les efforts pour que Happy Valley conserve son bureau d'assurance-chômage. Il faut l'en remercier. Peut-être que la prochaine fois, sénateur, il ne restera pas à Happy Valley, car plus de 200 localités de tout le Canada perdront leurs services d'emploi. Leur seul mode d'accès aux services sera une ligne téléphonique ou un comptoir, et il n'y aura personne sur place pour aider les chômeurs à traverser une crise.

Quand on devient chômeur, ce n'est pas la fête. C'est une expérience traumatisante. On a besoin de conseils pour traverser cette épreuve.

Nous parlons beaucoup de mesures d'emploi. Nos membres commencent tout juste à recevoir la formation pour appliquer la nouvelle loi. Nous nous demandons dans quelle mesure les nouveaux programmes seront efficaces. Qui rejoindront-ils? Nous pourrions avoir cinq nouveaux programmes, mais est-ce que ce seront nécessairement cinq programmes meilleurs? Soyons francs.

Tout d'abord, nos stagiaires recevront un tableau indiquant qui est admissible. Dans certaines provinces, seulement la moitié des chômeurs sont admissibles. Ces programmes créeront-ils plus d'emplois, redonneront-ils du travail aux chômeurs?

Je vais faire circuler ce document pour que vous puissiez voir les conséquences.

Parmi les personnes admissibles, très peu seront choisies pour participer aux nouveaux programmes. Je ne pense pas que ce soit ce qu'envisage le Sénat. Si nous nous préoccupons avant tout des emplois, nous devrions d'abord créer des emplois, quitte à y adapter les programmes par la suite. Ce n'est pas du tout ce que nous faisons.

Les sénateurs membres de ce comité ont un rôle très important à jouer.

Certains croient que le Sénat est le bastion des intérêts acquis et des élites. Vous avez l'occasion de faire échec à ce projet de loi et de le modifier, tout comme vous l'avez fait dans le cas de l'aéroport Pearson. Vous avez renvoyé ce projet de loi à la Chambre parce qu'il vous semblait injuste. Si vous estimez que cette mesure-ci est injuste, vous avez l'obligation d'en bloquer l'adoption et d'y apporter des modifications.

Des collectivités ont lutté contre ce projet de loi au Nouveau-Brunswick et dans les provinces de l'Atlantique, surtout. Il en a découlé 221 propositions d'amendement. Combien ont été retenues? Trois. Vous avez l'occasion de montrer que vous représentez les travailleurs, de rétablir les programmes qui aident les chômeurs et de faire en sorte qu'on arrête de priver les chômeurs de leurs prestations.

Le sénateur Murray: J'ai peut-être parcouru trop rapidement votre mémoire, mais vous parlez d'amendements, et je n'y en trouve pas beaucoup. Je remarque une critique virulente du projet de loi, et cela se comprend, mais je ne crois pas voir beaucoup de propositions d'amendement.

En réalité, d'autres témoins de ce qu'on peut appeler le mouvement syndical nous ont dit qu'il était impossible d'améliorer ce projet de loi, que la seule solution est que le Sénat prenne une mesure plutôt radicale en le rejetant, simplement.

Si vous avez des amendements à proposer au projet de loi - je ne vous demande pas un libellé juridique, mais si vous entrevoyez des moyens d'améliorer le projet de loi, nous voudrions que vous nous en parliez.

[Français]

Mme Turmel: Non, effectivement, nous ne proposons pas d'amendement au projet de loi. Nous proposons qu'il soit retiré tout simplement. C'est présentement notre proposition.

Nous considérons que le projet de loi ne répond pas aux besoins des personnes qui sont en recherche d'emploi, des personnes qui sont, pour un certain temps, sans emploi. Il ne répond pas aux besoins en terme de formation professionnelle. C'est notre représentation ce soir.

[Traduction]

Le sénateur Rompkey: L'une des mesures qui ont été prises est la dévolution de la prise de décision au niveau local et, comme vous l'avez dit, la création de différentes régions. En principe, je suis d'accord, car les décisions se prendront au niveau local. Que pensez-vous de ce changement? Est-ce souhaitable? Est-ce que vos membres sont d'accord? Est-ce qu'il y a décentralisation du pouvoir en faveur des régions et des localités? Est-ce que ceux qui travaillent dans les bureaux locaux, les spécialistes, estiment qu'ils peuvent faire preuve d'une plus grande créativité qu'avant? Ce n'est peut-être pas le cas, puisque cela en fait rire certains. Est-ce pire qu'avant?

Mme Turmel: Il importe de prendre conscience que, dans la dévolution de certains programmes, toute la notion d'égalité est transformée; tous n'ont pas les mêmes services au même titre. Certains peuvent n'avoir pas droit au même traitement que d'autres. Je pense simplement aux services de garde, par exemple, ou aux prestations versées aux travailleurs qui cherchent un emploi et sont sans travail pour un certain temps. C'est pourquoi nous avons du mal avec la dévolution de certains programmes ou services.

Le sénateur Rompkey: Je ne suis pas sûr de comprendre. Quels problèmes cela cause-t-il?

Mme Turmel: Je vais m'expliquer en français.

[Français]

Mme Turmel: La dévolution de certains programmes ou le pouvoir de décision sur le plan local peuvent entraîner un service différent dans chaque bureau ou dans chaque localité où la prise de décision se fait.

C'est notre crainte. C'est pour cela que nous avons des problèmes avec cette approche. Vous pouvez retrouver des endroits où il y aura des bénéfices qui seront plus avantageux et d'autres endroits où les bénéfices le seront moins. Les personnes qui sont en recherche d'emploi ou les personnes qui sont sans travail pour une certaine période n'auront pas le même traitement.

Qui sera affecté par cela principalement? Ce seront principalement les femmes, les immigrants et les immigrantes qui auront à faire face à cette situation.

[Traduction]

Le sénateur Rompkey: Voulez-vous dire que le personnel interpréterait le règlement différemment ou prendrait ses décisions en fonction de critères différents, qu'il y aurait moins de contrôle? Est-ce bien ce que vous voulez dire?

Mme Turmel: Exactement.

M. Pascucci: L'autre aspect, c'est qu'une grande partie du contrôle local sera confiée à des organismes distincts. Les normes vont varier en ce qui concerne aussi bien les services disponibles que les résultats ultimes. Je sais qu'une période de trois ans est prévue pour rendre des comptes et vérifier si le système fonctionne. Au fond, ce qui va se passer, c'est que, comme ce tableau le fait ressortir, ceux qui recevront l'aide seront ceux qui ont les meilleures chances de succès; il sera ainsi plus facile de montrer que le système est efficace. On cherchera à marginaliser notre clientèle.

Le sénateur Rompkey: D'après mon expérience, ce qui se passait autrefois, lorsqu'on prenait les décisions à St. John's, à Halifax ou à Ottawa, c'est qu'elles étaient prises par des gens qui ne connaissaient rien de la situation locale. Souvent, les décisions ne convenaient pas et ne tenaient pas compte des besoins ou de la situation au niveau local. Il m'a semblé que c'était une bonne idée de faire prendre les décisions à ce niveau. Votre position m'étonne.

Mme Diane Kilby, vice-présidente nationale, SEIC, région de l'administration centrale, Alliance de la fonction publique du Canada: L'une des décisions prises au niveau local a porté sur le Centre d'emploi du Canada à Halifax. L'administration néo-écossaise a décidé de fermer un centre qui était spécialement au service des Autochtones et des Noirs. Nos membres qui s'occupent de cette clientèle, aussi bien pour la formation que pour la recherche d'emploi, estiment que cette décision était erronée. Le centre a été déplacé vers un autre endroit difficile d'accès, même par autobus. C'est un bel exemple qui montre que les services confiés au niveau local ne sont pas nécessairement de meilleure qualité.

On a tendance à croire que les services locaux sont toujours meilleurs, mais ce n'est pas obligatoirement le cas.

Le sénateur Rompkey: Est-ce que cela a été mauvais sur toute la ligne? Reviendriez-vous à la situation d'avant?

Mme Kilby: Nous n'avons pas assez étudié la question. Nous n'avons pas fait assez de recherches. La meilleure solution se situe sans doute entre les deux, mais ce n'est pas ainsi qu'on s'y prend. On décrète ce qui va se passer, sans nécessairement assurer le suivi. Il est tout à fait vrai que les normes vont varier. Nous avons déjà des difficultés parce qu'elles varient entre les différents bureaux et les différentes régions. Le projet de loi va aggraver le problème.

Nos membres travaillent dans des bureaux avec des gens qui ne connaissent pas nécessairement les réponses qu'ils sont payés pour fournir, et cela retombe sur des employés qui, à dire vrai, ne sont pas sûrs de ce qui les attend. Notre ministère n'est pas prêt à prendre des engagements par suite de l'annonce de jeudi dernier, et il n'est pas prêt à prendre des engagements envers les employés, à dire où seront les emplois ni même s'il y en aura. Nous n'arrivons pas à obtenir ces réponses.

M. Pascucci: Il y a eu des conseils consultatifs dans les localités. Ils auraient dû être plus efficaces. Dans certaines régions, ils l'ont probablement été, mais pas dans d'autres. Le résultat dépendait probablement de l'intensité des contacts du gestionnaire du centre d'emploi local avec la collectivité. On insiste davantage sur cette orientation.

L'autre question, bien entendu, est celle de la commission de mise en valeur de la main-d'oeuvre et de ce qu'elle est censée faire au sujet de la décentralisation de nombreux programmes d'emploi et de la création du marché local. Des mécanismes sont en place pour donner ce pouvoir local, mais ce qui inquiète, c'est la qualité des services qui seront offerts. De toute évidence, un programme, s'il est offert à St. John's, peut assurer plus de services et avoir un plus gros budget que le même programme à Happy Valley, par exemple. C'est un vrai problème.

Le sénateur Rompkey: Je ne comprends pas pourquoi. On pourrait donner plus de services à Happy Valley à partir de St. John's qu'on ne pourrait le faire directement à Happy Valley avec le même montant?

M. Pascucci: Il y a plus d'effectifs et un plus gros budget pour assurer les services. Il y a donc plus de souplesse que dans une petite localité comme Happy Valley. Par contre, lorsqu'il y a des normes et des objectifs nationaux quelconques, cela peut compenser.

La présidente: Certains témoins du secteur de la construction et des métiers nous ont dit que, s'il faut calculer l'assurance-chômage en fonction des heures plutôt que des semaines, ils ne voient pas pourquoi on s'opposerait à la constitution de banques d'heures. Avez-vous discuté de cette possibilité, qui permet de reporter des heures d'une année sur l'autre, des heures qu'on peut utiliser dans le calcul du nombre de semaines nécessaires? Si un travailleur a des heures en trop par rapport à ce qu'il lui faut pour toucher l'assurance-chômage, il pourrait les reporter. Avez-vous entendu parler de cette idée depuis que vous discutez du projet de loi?

[Français]

Mme Turmel: Nous n'avons pas vraiment discuté de cette partie. En première réaction, cela peut encourager principalement l'accès au temps supplémentaire, à de très longues journées, de façon à faire en sorte que l'on accumule du temps. Qui va être désavantagé avec ce principe? Ce sont les femmes avec de jeunes enfants, les étudiants et les étudiantes qui essaient d'accumuler des heures et qui étudient le soir pour réussir à'obtenir un certificat d'études, également les immigrants et immigrantes. Ce sont les personnes déjà désavantagées par la société. C'est ma première réaction à la situation.

[Traduction]

La présidente: Y a-t-il quelque chose qui vous convient, dans ce projet de loi?

[Français]

Mme Turmel: Dans l'ensemble, nous acceptons en principe les heures, non pas le concept des heures. Nous n'acceptons pas cependant le nombre d'heures suggérées. C'est la seule chose que nous trouvons intéressante dans cette situation.

[Traduction]

Mme Kilby: Je voudrais parler de cette idée de mettre des heures en réserve. Nous parlons parfois de jours de relåche, dont profitent surtout des travailleurs syndiqués qui travaillent sur des navires et dans l'industrie pétrolière, par exemple. Quant au régime des heures, c'est une toute autre histoire. Si on envisage ce système du point de vue de l'admissibilité et du taux des prestations, le ministère lui-même dit, dans son document d'information, que ceux qui sont touchés sont les travailleurs qui ont le moins de semaines et la moins grande participation à la population active. Il s'agit surtout des travailleurs qui ont des emplois saisonniers, à court terme, des travailleurs qui ont des emplois précaires. Ceux qui ne travaillent pas régulièrement sont en majorité des femmes et des nouveaux venus sur le marché du travail.

Il faut que ceux qui habitent dans des régions à taux de chômage élevé réfléchissent aux conséquences de la nouvelle règle de l'intensité. C'est en quelque sorte un péché que d'avoir touché des prestations dans les années antérieures. Quelqu'un qui aurait des heures en réserve n'en serait pas réduit à cela, à cause des heures accumulées. Si le taux de chômage dans votre région n'est que de 10,5 p. 100, ce qui n'est pas particulièrement élevé par les temps qui courent, vos prestations, pour l'instant, avec 15 semaines de gains assurables, ce qui n'est pas une participation exceptionnelle à la population active pour du travail saisonnier, seraient de 110 $. Aux termes de la nouvelle loi, à cause des deux semaines qui seront ajoutées, le montant est ramené immédiatement à 97 $. De plus, si on demande des prestations chaque année pendant cinq ans, ce qui est probable pour un travailleur saisonnier, les prestations, dans cinq ans, seront de 88 $ par semaine. C'est dire que le travailleur saisonnier verra son revenu diminuer de 25 p. 100.

Compte tenu des taux de chômage qu'on connaît au Canada et étant donné le nombre de personnes qui ont ce type de participation à court terme à la population active, les conséquences seront très graves. Demandez-vous si vous pourriez vivre avec 88 $ par semaine.

La présidente: Merci beaucoup de votre présence ce soir. Nous vous remercions des points de vue dont vous avez fait part au comité.

La séance est levée.


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