Aller au contenu
SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 18 - Témoignages - Séance du matin


OTTAWA, le mardi 28 janvier 1997

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-41, Loi modifiant la Loi sur le divorce, la Loi d'aide à l'exécution des ordonnances et des ententes familiales, la Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de pensions et la Loi sur la marine marchande du Canada, se réunit aujourd'hui à 8 h 40 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Mabel M. DeWare (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Nos premiers témoins viennent de la Saskatchewan. Le ministère de la Justice de la Saskatchewan est très en avance sur le reste du Canada en ce qui concerne les ordonnances de garde d'un enfant. Nous tenions d'une façon particulière à vous entendre parce que vous avez fait partie du groupe de travail fédéral-provincial et que nous voulons savoir comment les provinces et le système judiciaire ont réagi aux travaux de ce dernier.

Mme Betty Ann Pottruff, c.r., coprésidente du groupe de travail fédéral-provincial sur la mise en oeuvre des lignes directrices, ministère de la Justice de la Saskatchewan: Je vous remercie infiniment de prendre le temps de m'écouter. Il me tarde de répondre à vos questions et de discuter avec vous des questions qui, je n'en doute pas, ont été soulevées devant le comité sénatorial.

J'aborderai la question de trois points de vue différents, le premier étant mon point de vue personnel et professionnel en tant qu'avocate ayant pratiqué le droit de la famille pendant de nombreuses années, dans ce cadre de ma carrière juridique publique au sein du gouvernement de la Saskatchewan. En outre, je fais partie du comité fédéral-provincial-territorial du droit de la famille depuis 1981. Je suis également coprésidente du groupe de travail sur la mise en oeuvre des lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants.

Je vais vous faire part de mes observations personnelles, de quelques points de vue du gouvernement de la Saskatchewan et de quelques idées sur notre approche de la mise en oeuvre des lignes directrices par l'entremise du groupe de travail.

Du point de point provincial, la Saskatchewan se préoccupe beaucoup du bien-être des enfants. J'ai apporté avec moi des copies de documents. Je vous présente mes excuses pour le fait qu'ils ne sont qu'en anglais. Parmi ces documents, il y a le plan d'action de la Saskatchewan pour les enfants. Ce processus a commencé en 1993. Nous avons réalisé une étude approfondie sur les besoins et les exigences des enfants ainsi que sur les mesures que nous pourrions prendre pour mieux protéger les enfants en Saskatchewan. Les documents renferment un certain nombre d'énoncés généraux sur les objectifs et les principes relativement à ce qu'il faut faire pour mieux assurer le bien-être des enfants.

En fait, la Saskatchewan est consciente de la nécessité d'engager un dialogue national de portée générale sur les besoins, le bien-être et la protection des enfants dans la société.

Cela est conforme aux lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants en ce sens que nous faisons une mise à jour annuelle de ce que nous avons l'intention de faire pour les enfants en Saskatchewan. L'un des éléments ajoutés pour 1996-1997 est la reconnaissance que la facilitation des lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants est dans l'intérêt des enfants et conforme au plan d'action pour les enfants en ce qui touche la réalisation des objectifs de valorisation des enfants aussi bien que de protection de leur sécurité financière.

Du point de vue du groupe de travail, tous les ordres de gouvernement travaillent d'arrache-pied à la mise en oeuvre des lignes directrices. Nous travaillons très fort afin de trouver des moyens concrets pour aider le public à s'adapter au nouveau régime découlant les lignes directrices. Tous les ordres de gouvernement sont conscients que le passage au nouveau régime exigera des changements profonds de point de vue et d'approche de la part des gens qui bénéficient déjà d'ordonnances alimentaires ou qui en bénéficieront dans l'avenir.

Les ordres de gouvernement doivent se pencher sur la formation, la sensibilisation du public, l'information, sur la façon de s'y prendre pour aider les particuliers à avoir moins recours aux tribunaux pour régler leurs différends, sur le traitement des cas dans les systèmes afin que nous puissions les régler de manière expéditive, ce dont profiteront les parties et les enfants, et sur notre façon d'aborder l'exécution en pensant non seulement à la mise en oeuvre de changements du régime fédéral, mais encore à l'amélioration de nos propres systèmes.

Des discussions très larges se tiennent au sein du groupe de travail, et chaque ordre de gouvernement a son propre modèle servant à la résolution de ces problèmes. Ce sera un exercice utile que de tendre vers la mise sur pied de meilleurs services de soutien pour aider les familles et les enfants.

En ce qui a trait à la situation actuelle en matière de lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants, la recherche et l'information fournies par le groupe de travail fédéral-provincial-territorial, ainsi que par le comité du droit de la famille, révèlent qu'il y a des problèmes quant au caractère adéquat, à l'uniformité, à la prévisibilité et à l'équité des initiatives actuelles dans le domaine des pensions alimentaires pour enfants. J'ai abordé ce domaine du point de vue de ce qui se passe en Saskatchewan, de ce que nous obtenons pour les pensions alimentaires pour enfants au titre de l'aide sociale, du système d'exécution des ordonnances et de ce que nous voyons dans nos déclarations de revenu. Nos constatations confirment l'existence des problèmes de l'iniquité, du caractère imprévisible et du caractère inadéquat des ordonnances.

Certaines améliorations ont été apportées depuis dix ans. Grâce à de bons avocats et à un juge s'intéressant d'une façon particulière à la question des pensions alimentaires pour enfants, des jugements plus judicieux ont été rendus. Toutefois, l'ordonnance moyenne est encore de 225 à 250 $ par mois, quel que soit le nombre d'enfants en cause. Cela ne suffit tout simplement pas pour élever un enfant. Dans les cas où le montant d'argent n'est pas suffisant, il est évident que l'ordonnance ne peut pas être plus élevée. Cependant, dans bien des cas, le tribunal et les parties n'ont pas de lignes directrices claires quant à ce qui représenterait un montant raisonnable et à ce qu'il en coûte en réalité pour élever un enfant. Les lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants doivent et peuvent donner ce genre de renseignement, de sorte que le montant des ordonnances serait suffisant, uniforme et prévisible.

C'est là-dessus que s'est fondé le comité fédéral-provincial-territorial du droit de la famille quand il s'est penché sur la question. Nous avons tenté de déterminer ce qu'il fallait faire pour mieux répondre aux besoins pécuniaires des enfants.

L'exécution est une question importante. Nous avons fait des progrès dans ce domaine en Saskatchewan, à l'instar d'autres gouvernements. Toutefois, l'exécution ne donnera rien si le montant de l'ordonnance est dès le départ insuffisant. Il faut s'attaquer à la racine du problème, à savoir des ordonnances insuffisantes.

Il faut aller au-delà des simples questions pécuniaires. Il faut reconnaître que des pensions alimentaires insuffisantes se traduiront par une baisse du niveau de vie des enfants, ce qui touche non seulement leur vie de tous les jours, comme la possibilité de jouer au hockey ou de poursuivre des études, mais aussi leur estime de soi et leur amour-propre. À cause de pensions alimentaires inadéquates, nous atténuons la possibilité que les enfants puissent contribuer à la société canadienne. Nous nuisons aussi au Trésor public parce que si les pensions alimentaires sont insuffisantes, il arrive trop souvent que les parents ayant la garde des enfants soient condamnés à la pauvreté et deviennent une charge publique.

Des pensions alimentaires pour enfants insuffisantes sont source de tensions entre les parents ainsi qu'entre les parents et les enfants parce que si les enfants ne reçoivent pas une pension suffisante, ils se sentent négligés par l'autre parent. Les tentatives de règlement des problèmes de pension alimentaire peuvent influer de façon positive sur les relations familiales, sur les relations entre l'enfant et ses parents, tout en contribuant à accroître l'estime de soi et l'amour-propre de l'enfant.

Les lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants constituent une méthode servant à mieux déterminer les coûts réels de la garde d'un enfant et de leur répartition entre les parents.

En Saskatchewan, depuis la parution du rapport en 1995, les lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants ont été utilisées par les tribunaux, le Barreau et le public. Elles ne sont actuellement utilisées qu'à titre consultatif, car elles n'ont pas encore fait l'objet d'une loi. J'ai consulté des membres de groupes de défense des droits des pères, des membres de groupes de défense des droits des mères, le Barreau et le corps judiciaire au sujet de ce qu'ils pensent du principe sous-jacent des lignes directrices sur les pensions alimentaires et de leur mise en oeuvre. De façon générale, ces consultations ont été positives. Les gens sont à la recherche d'une certaine certitude -- d'une norme qui soit objective et compréhensible. La majorité des parents ne veulent pas se battre au sujet des questions liées à l'enfant et aux pensions alimentaires. La plupart des parents sont des gens responsables. Ils veulent faire ce qui est dans l'intérêt de leurs enfants. Cependant, ils ont besoin d'aide et de conseils ainsi que d'une norme objective pour les éclairer.

Nous avons constaté que les tribunaux respectent les lignes directrices. Mes collègues de la profession, aussi bien que les membres du corps judiciaire, m'ont informé qu'ils obtiennent une entente dans au moins plus de la moitié des cas, en se fondant uniquement sur les lignes directrices. Celles-ci semblent acceptables pour une vaste majorité de gens.

Certes, il y aura des cas où d'autres questions sont en cause, qu'il s'agisse de cas régis par la Loi sur le divorce, de circonstances exceptionnelles ou de cas de difficultés excessives. Ce sont des cas extrêmes. Toutefois, la majorité des cas de droit de la famille se règlent à l'amiable. Les lignes directrices proposent aux parties une autre façon de trouver un terrain d'entente.

Par conséquent, les lignes directrices peuvent être d'un grand secours pour réduire les tensions entre les parties et favoriser un processus non accusatoire, la médiation, une discussion et un règlement raisonnables. Tout cela est positif parce qu'on évite ainsi les sujets de dispute, les différends pécuniaires notamment, et qu'on se concentre davantage sur les questions de garde, d'accès et de rôle parental. Les parties ne sont plus obnubilées par la seule discussion des questions pécuniaires. De façon plus générale, mon espoir le plus cher, c'est que cela devienne courant et que les parents se concentrent davantage sur ce qui vaut mieux pour les enfants et sur le règlement des problèmes. Pareil processus est bénéfique pour les enfants parce que ces derniers ne sont pas exposés aux tensions et aux débats entre les parents. De plus, ils constatent ainsi que les parents s'entendent sur ce que requiert leur soutien, qu'ils sont aimés et que leurs parents s'engagent à maintenir leur relation à long terme avec eux.

Je ne vais pas entrer dans le détail des questions exposées dans mon mémoire. Je me contenterai plutôt de vous en donner un court résumé. Les membres du comité ont dit craindre que le projet de loi n'ait, d'une certaine manière, pour effet de diminuer la responsabilité conjointe des parents d'assurer la subsistance de leurs enfants. Le comité fédéral-provincial-territorial du droit de la famille n'a jamais eu l'intention de proposer des changements à l'idée communément reconnue que c'est la responsabilité des parents d'assurer la subsistance de leurs enfants. Ce principe était implicite dans les lignes directrices en tant que telles, et c'est toujours le cas.

Le préambule des règlements, dont vous avez sans doute pris connaissance, renferme une allusion aux objectifs des lignes directrices. Le préambule traite de la responsabilité conjointe des parents d'assurer la subsistance de leurs enfants. S'il faut attirer davantage l'attention du public sur ce message, cela est une initiative que l'on devrait garder à l'esprit. Rien n'indique que les lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants ne nous détourneront de quelque manière que ce soit de la responsabilité conjointe des parents.

La garde conjointe des enfants est une question très difficile en ce qui concerne la norme à établir quand on s'écarte des lignes directrices. Dans son rapport, le comité du droit de la famille a proposé 40 p. 100. Dans des consultations subséquentes, des membres du Barreau de la Saskatchewan ont précisé que ce niveau était insuffisant parce qu'il pousserait les parties à recourir aux tribunaux quand cela n'est pas nécessaire. Il ne convient pas de recourir aux tribunaux au sujet de la garde et de l'accès quand la mésentente a davantage trait à ces questions pécuniaires. Il faudrait songer plutôt à l'intérêt de l'enfant. Les lignes directrices fédérales traitent maintenant de la garde partagée. C'est une ligne directrice difficile. Nous devons acquérir de l'expérience dans ce domaine pour voir si une autre solution est possible. C'est une approche prudente et appropriée qui vise à réduire la possibilité du recours aux tribunaux.

En ce qui concerne les coûts de l'accès et de la garde en particulier, des groupes de défense des droits des pères et d'autres ont fait valoir qu'il fallait que les lignes directrices reflètent plus fidèlement les coûts accrus de l'accès. Ce fut un sujet de discussion très difficile pour le comité. Nous reconnaissons que les coûts sont plus élevés pour les parents séparés. C'est une conséquence normale de la dissolution d'une famille. Ces coûts sont assumés tant par le parent à qui l'accès est accordé que par celui qui a la garde. Les pensions alimentaires ne couvrent pas tous les coûts engagés par les parents. C'est pourquoi il importe que l'on se penche sur ce qu'il faut faire des coûts qui restent.

Le comité du droit de famille a tenté de le faire. Quand nous avons examiné toute la question des coûts d'accès, il nous a fallu mettre en équilibre les coûts d'accès et les coûts assumés par les parents ayant la garde, à savoir une foule de coûts non pécuniaires, comme la perte de possibilités de carrière, les heures consacrées à la garde des enfants. Il y a des coûts pour les deux parties.

L'approche qui a été adoptée en ce qui concerne la reconnaissance de coûts d'accès exceptionnels par suite de difficultés excessives, c'est qu'ils devaient être assumés par les deux parties. C'est tout simplement le coût du divorce. Toutefois, nous verrons à l'usage si cela est acceptable. Tous les gouvernements sont disposés à faire l'expérience des lignes directrices et à les adapter de manière à garantir que les parents confrontés à ces pénibles décisions de dissolution d'une union soient capables d'y faire face d'une manière rationnelle et raisonnable et obtiennent satisfaction. Tous gouvernements sont disposés à examiner de façon raisonnable les effets des lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants ainsi qu'aux questions plus générales de la garde et de l'accès.

L'approche fondée sur une table, sur des lignes directrices est utile aux gens en général. Ces derniers veulent une norme objective. Ils veulent quelque chose qui soit facile à utiliser. Par exemple, ils calculent leur revenu, puis se reportent à la table pour deux enfants, et c'est tout. C'est utile pour les négociations. J'ai reçu un certain nombre d'appels de gens qui m'ont dit: «Voici mon revenu. Que dit la table?» Nous discutons ensuite de la raison pour laquelle les choses sont ainsi, après quoi, de façon générale, que ce soit les parents ayant la garde ou les autres, ils me disent: «D'accord, c'est acceptable». Le parent n'ayant pas la garde dira peut-être que le montant lui semble un peu élevé, et le parent ayant la garde, pas assez. Cependant, ils sont disposés à couper la poire en deux, et ils estiment que les lignes directrices leur permettent de le faire.

L'établissement de l'âge limite à 18 ans pour les enfants dans les lignes directrices et le traitement du soutien continu pour l'éducation supérieure des enfants sont confirmés par la jurisprudence et la pratique. C'est un problème parce qu'on ne dit pas aux familles ce qu'elles sont censées dépenser pour leurs enfants. Nous ne disons pas que les parents doivent subvenir aux besoins de leurs enfants quand ils font leurs études postsecondaires. Nous ne le faisons pas pour les familles qui sont intactes. Toutefois, nous intervenons par l'entremise des tribunaux quand les parents se séparent parce que c'est à ce moment-là que les enfants sont le plus vulnérables et risquent le plus que des arrangements équitables ne soient pas pris pour leurs besoins pécuniaires. Cela concerne non seulement la période où ils sont encore mineurs, mais aussi celle où ils font leurs études postsecondaires.

J'ai eu connaissance d'une étude faite en Californie et qui porte sur la situation des enfants d'un premier et d'un second mariages. Cette étude révèle que, de façon générale, les enfants d'une seconde famille reçoivent un soutien financier pour leurs études postsecondaires alors que les enfants du premier n'en reçoivent pas. Certes, cela dépend des gens avec qui l'on habite et de ceux que l'on soutient, mais cela pose néanmoins la question de savoir quelle doit être la réponse plus globale de la politique d'intérêt public sur ce qui est équitable pour les enfants. Est-il équitable que les enfants d'un premier mariage n'aient pas droit à une éducation postsecondaire parce que leurs parents ont divorcé?

En guise de conclusion, je dirai que je suis d'avis que les lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants constituent bien une bonne façon d'aborder quelques-unes des difficultés dans le domaine des pensions alimentaires pour enfants. Ces lignes ne sont toutefois pas sans leurs défauts et leurs imperfections. Aucun membre du comité du droit de la famille n'a la présomption de prétendre qu'il a raison sur toute la ligne.

Je voudrais vous raconter une blague dont je me sers devant le Barreau pour expliquer les lignes directrices. Il nous a fallu cinq ans, soit de 1990 à 1995, pour produire notre rapport. C'est l'équivalent de la période de gestation d'un éléphant. C'est un processus long et pénible, et quand le produit final voit enfin le jour, il affiche déjà quelques rides. Je suis convaincue que la même chose se produira quand nous ferons l'expérience des lignes directrices.

En règle générale, notre expérience des lignes directrices en Saskatchewan a été positive, et ces dernières ont été bien acceptées. Je suis d'avis que les questions plus globales de la garde et de l'accès ainsi que la façon dont nous favorisons le bien-être des enfants au Canada requièrent un débat national, débat auquel la Saskatchewan est plus que disposée à participer. Je vous invite à inscrire votre réflexion dans ce contexte.

Le fait que nous n'ayons pas toutes les solutions dans les domaines de la garde et de l'accès ne devrait pas nous empêcher de progresser dans un domaine où nous avons des éléments de solution, à savoir les pensions alimentaires pour enfants.

La présidente: Pourquoi le comité a-t-il choisi le terme «lignes directrices» au lieu de «règlements»?

Mme Pottruff: Je les considère comme des lignes directrices. Elles sont clairement des règlements quant à la forme dans laquelle elles ont été insérées dans la loi. Toutefois, elles sont reconnues, dans la terminologie courante, comme étant des lignes directrices.

La présidente: Trouvez-vous que ce terme est trompeur pour le commun des mortels? Pensez-vous qu'une ligne directrice est plus difficile à appliquer qu'un règlement?

Mme Pottruff: Non, et c'est peut-être à cause de la façon dont nous les avons expliquées. Nous avons toujours dit qu'elles étaient des règles générales, qu'elles avaient en fait force de loi et que c'est ainsi qu'elles seront appliquées.

La présidente: Votre comité a-t-il discuté de ce qui se passera quand les lignes directrices seront en vigueur? Qu'arrivera-t-il aux autres familles ayant déjà fait l'objet d'une ordonnance alimentaire? Cela entraînera-t-il d'autres procédures judiciaires? Va-t-on rouvrir ces cas pour qu'ils correspondent à la grille?

Mme Pottruff: C'est l'un des principaux problèmes du processus de mise en oeuvre. Nous sommes conscients que la plupart des ordonnances seront touchées d'une manière ou d'une autre, que ce soit par la modification fiscale ou les montants prévus par les lignes directrices. Nous devons tout faire pour essayer de réduire les tensions, les traumatismes et l'anxiété qui en résulteront. Nous aurions pu prévenir ces tensions s'il s'était agi de lignes directrices prospectives. Cela aurait été une décision difficile à prendre parce qu'il s'en serait suivi que certains enfants d'avant les lignes directrices auraient obtenu une pension inférieure à certains enfants de la période post-lignes directrices.

La présidente: Vous faites donc de la discrimination.

Mme Pottruff: C'est exact.

Le sénateur Cohen: Vous avez dit qu'il est implicite dans les lignes directrices que les deux parents sont financièrement responsables de leurs enfants. Je ne comprends pas pourquoi cela a été rayé du projet de loi initial, car c'est une disposition bien plus obligatoire qu'une ligne directrice implicite ou inhérente. Les mots implicite et inhérent sont des mots au sens large. Je ne comprends pourquoi on n'a pas laissé cet énoncé dans le projet de loi initial. Je trouve cela bien étrange.

Mme Pottruff: Je vais essayer de vous répondre. Évidemment, je n'ai pas participé aux discussions fédérales au moment de la rédaction du projet de loi. C'est probablement une question qui a semblé tout à fait évidente aux rédacteurs du projet de loi, à tel point qu'ils ne se sont pas rendu compte que cela serait perçu comme négatif, ainsi que le comité l'a indiqué. Je le répète, la question est réglée dans le préambule des règlements.

Le sénateur Cohen: Personnellement, je trouve que c'est une faiblesse.

Vous avez parlé des carences du projet de loi. Nous savons qu'il n'est pas parfait. Nous savons qu'il a fallu cinq ans pour en arriver là. C'est pourquoi nous voulions prolonger nos audiences au-delà de quatre semaines. J'aime l'idée de la tenue d'un débat national parce que le projet de loi est loin d'être parfait.

Vous avez dit qu'une allocation de 250 $ par enfant est insuffisante et, en conséquence, que cela finira par se répercuter sur le Trésor public. Je pense que vous n'avez pas à vous inquiéter pour le Trésor public parce que les modifications qui seront apportées à l'impôt sur le revenu vont faire en sorte que la ponction sur le Trésor se fera au détriment des enfants et au profit des enfants de parents divorcés. Depuis que je suis au Sénat, j'ai reçu plus de lettres portant sur ce projet de loi que sur tout autre sujet, à l'exception du projet de loi sur les armes à feu. La raison principale du tollé est ce qui est perçu comme une ponction fiscale et que l'argent sera distribué entre tous les enfants pauvres. C'est un autre point d'interrogation. Ces deux éléments me préoccupent vraiment.

Mme Pottruff: Sur quels éléments de ces questions voulez-vous que je réponde?

Le sénateur Cohen: Je voudrais que vous parliez de l'impôt sur le revenu. D'une part, nous décrions les carences du système pour les enfants. Il faudrait qu'il n'y ait aucune incidence sur les revenus et qu'on laisse tout aux enfants parce que tout le monde se préoccupe tellement de ce qui vaut mieux pour les enfants.

Mme Pottruff: Il y a deux questions distinctes ici. La première concerne le niveau suffisant des pensions. Selon les témoignages et la recherche ainsi que ma propre analyse, les lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants auront pour effets une augmentation des montants accordés et le transfert de ressources du parent n'ayant pas la garde à celui ayant la garde. C'est un aspect positif.

Qu'advient-il de la portion du gouvernement de ce qui était avant la subvention fiscale? Le gouvernement fédéral a précisé ce qu'il entend faire avec cette supposée portion. Le gouvernement provincial de la Saskatchewan n'a pas encore clairement déterminé ce qu'il fera à cet égard, en partie parce que c'est une incertitude. Le recouvrement fiscal ne se fait que si tous les montants accordés sont modifiés. Nous disposons de deux ans pour nous occuper des montants actuels et des variations pour voir si la réduction d'impôt sera faite.

Les personnes qui ont maintenant droit à un certain montant pourront conserver le régime actuel si elles estiment que cela est bénéfique pour leur famille. Nombre d'avocats s'occupent de leurs clients en fonction de leur situation future. Il est loin d'être certain ce que sera ce recouvrement de subvention fiscale. Nous le saurons uniquement par suite de l'application des lignes directrices.

Au niveau provincial, il est clair que plus de fonds sont disponibles par l'entremise d'initiatives comme le plan d'action pour les enfants. L'une des carences du régime actuel, c'est qu'il ne profite qu'aux familles de parents séparés. Il ne s'adresse pas aux enfants qui en ont le plus besoin. En fait, la subvention augmente en fonction du niveau de revenu des familles. Cela ne semble pas être une bien sage décision d'intérêt public.

Il y a deux questions. Il faut un plus grand transfert de ressources privées vers les enfants dont il faut assurer la subsistance. Nous devons veiller à ce que les ressources récupérées soient affectées aux enfants. Il y a là une incertitude. Nous devons faire l'expérience de la loi pour déterminer le niveau du montant récupéré.

Le sénateur Bosa: Le sénateur Cohen a parlé de ponction fiscale parce que la contribution du parent n'ayant pas la garde n'est pas libre d'impôts ou, comme vous le dites, n'est pas une dépense déductible. Si l'on regarde de l'autre côté de la médaille, les parents qui ne sont pas divorcés et qui ont de jeunes enfants peuvent-ils déduire les dépenses de pension alimentaire pour enfants?

Mme Pottruff: Non.

Le sénateur Bosa: Donc, ce n'est pas de la discrimination contre le parent n'ayant pas la garde si sa contribution n'est pas admise à titre de déduction d'impôt.

Vous avez parlé d'éducation et vous avez dit que les parents non séparés ne sont pas forcés de faire faire des études postsecondaires à leurs enfants. Vous avez aussi parlé de la jurisprudence. Où donc entre en jeu la jurisprudence? Voulez-vous dire que le projet de loi ne peut être appliqué ou qu'il peut être contesté?

Mme Pottruff: Quand j'ai fait allusion à la jurisprudence, je faisais allusion à la façon dont les tribunaux ont interprété les dispositions de la Loi sur le divorce en ce qui concerne les enfants issus du mariage en cause. Les tribunaux reconnaissent généralement que la définition d'enfants comprend tous les enfants qui restent dépendants de leurs parents pour la durée de leurs études supérieures au-delà de l'âge de 18 ans. La jurisprudence reconnaît que les parents peuvent continuer d'être responsables du soutien de leurs enfants lorsque ces derniers dépassent l'âge de 18 ans.

Le sénateur Cohen: En ce qui a trait à l'éducation des adultes, devrait-il y avoir un âge limite? Les parents doivent-ils continuer d'assurer la subsistance de leurs enfants lorsque ceux-ci dépasseront la trentaine ou la quarantaine? Un témoin a fait remarquer qu'on ne pouvait adopter une personne ayant dépassé l'âge de la majorité. Or, le parent n'ayant pas la garde devrait continuer d'assurer la subsistance de son enfant pendant que celui-ci poursuit des études postsecondaires.

Mme Pottruff: C'est une bonne question. Et c'en est une sur laquelle les tribunaux devront également se pencher. Il est clair qu'il doit y avoir un âge auquel les enfants ne devraient plus dépendre de leurs parents et auquel ils devraient devenir pleinement responsables de leur vie. De façon générale, les tribunaux jugent qu'un enfant cesse d'être une personne à charge au début de la vingtaine, peut-être après avoir reçu son premier diplôme. Les tribunaux hésiteraient beaucoup à prolonger davantage la période de dépendance.

Il vient un moment où les jeunes adultes doivent s'intégrer dans la population active, où ils ont la capacité d'apporter leur contribution. Les tribunaux sont disposés à reconnaître qu'il y a une question de responsabilité là-dedans.

Le sénateur Cohen: Pensez-vous que ce point de vue sur l'éducation postsecondaire devrait se refléter dans une loi ou une ligne directrice? Tous les juges ne pensent pas de la même façon.

Mme Pottruff: C'est une situation variable. C'est pourquoi il est proposé dans les lignes directrices que ce soit là un domaine où le juge ait une certaine latitude. La jurisprudence est utile, mais elle s'applique de façon individuelle aux capacités de l'enfant en cause. S'agit-il d'un enfant qui peut obtenir des bourses ou des allocations ou d'un enfant qui a besoin d'une aide supérieure? L'économie peut-elle procurer un emploi aux jeunes adultes de 18 à 24 ans? Les tribunaux doivent avoir la possibilité de prendre la décision qui convient dans les circonstances.

Le sénateur Bosa: Faut-il en conclure alors que, dans un cas donné, le parent ayant la garde ou l'autre peut contester la décision devant les tribunaux? Autrement dit, ce débat n'est pas obligatoire?

Mme Pottruff: Non, ce sont une question et une décision très individuelles quant à ce qui est responsable dans les circonstances.

Le sénateur Cools: J'ai deux petites questions à vous poser. Je pense que personne ne conteste que les parents ont la responsabilité morale d'aider leurs enfants durant leurs études postsecondaires. La question qui se pose est: pourquoi croyez-vous que cette responsabilité devrait être prévue dans une loi, comme c'est le cas dans le projet de loi C-41?

Vous dites sénateur Maheu?

Le sénateur Maheu: C'est un autre sujet.

Le sénateur Cools: Nous parlions de l'éducation des jeunes de plus de 16 ans. Votre question ne portait-elle pas là-dessus?

Avons-nous un nouveau président, madame la présidente?

La présidente: Continuez.

Le sénateur Cools: Personne ne le conteste. La question est plutôt de savoir si la responsabilité doit être légale ou morale. Pourquoi proposez-vous qu'elle soit légale?

Mme Pottruff: Je suis d'avis que c'est déjà ainsi que les tribunaux la considèrent.

Le sénateur Cools: Je ne suis pas d'accord.

Mme Pottruff: En vertu de la définition actuelle qui figure dans la Loi sur le divorce, les tribunaux la considèrent comme une obligation continue. La modification vient clarifier la jurisprudence. Je pense même qu'il n'y a rien de changé du tout.

Le sénateur Cools: D'après mon interprétation de la Loi sur le divorce en vigueur et de cette proposition de modification, le changement est profond.

Ma seconde question est la suivante: quel est votre avis si pareille aide est fournie? Est-ce que ce devrait être une question de soutien alimentaire ou une question d'entente directe entre le jeune adulte et les parents? Peut-être que cela ne devrait pas être une question de soutien alimentaire du tout.

Mme Pottruff: C'est certainement possible si les intéressés ne veulent pas en faire une question de soutien alimentaire.

Le sénateur Cools: Êtes-vous en faveur d'une loi reflétant cette possibilité?

Mme Pottruff: Je pense que la loi le prévoit déjà. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de la modifier dans ce sens.

Le sénateur Cools: Le projet de loi C-41 propose de modifier la loi. Je parle des modifications proposées. Donc, il ne faut pas modifier la loi, c'est bien cela que vous dites?

Mme Pottruff: Laissons la loi telle qu'elle est maintenant. Les arrangements peuvent être pris dans le cadre des modifications proposées dans le projet de loi C-41. Il n'est pas nécessaire d'avoir une ordonnance stipulant qu'elle s'adresse au parent ayant la garde. Elle peut être versée directement.

Le sénateur Cools: Ce n'est pas là où je veux en venir. La Loi sur le divorce en vigueur, sans tenir compte du projet de loi C-41 qui vise à la modifier, permet clairement aux parents de s'entendre avec leur enfant pour lui faire faire des études postsecondaires. Là où je veux en venir, c'est pourquoi le projet de loi C-41 propose de modifier cela afin de plus ou moins assurer que pareils paiements soient faits par le parent n'ayant pas la garde. C'est cela que je veux savoir.

Mme Pottruff: À mon avis, le projet de loi ne change rien à la situation, mais ne fait que clarifier la jurisprudence. Toutefois, les parties ont encore toute discrétion pour prendre leur décision ou, dans le cas des tribunaux, pour déterminer ce qu'ils estiment raisonnable.

Le projet de loi C-41 ne modifie en rien la pratique courante quant à savoir si le tribunal ordonnera la poursuite du soutien alimentaire d'enfants de plus de 18 ans ou si les parties s'entendront pour verser directement les paiements à l'enfant.

Le sénateur Cools: Vous dites qu'il n'y a pas de changement. Sauf erreur de ma part, je pense que l'alinéa 1(2)b) du projet de loi fait allusion à l'âge de la majorité et ensuite aux études, qu'il décrit essentiellement comme une invalidité. Êtes-vous en train de me dire que ce n'est pas un changement?

Mme Pottruff: C'est une modification législative, pas une modification dans la pratique. Les tribunaux ont déjà accordé des allocations semblables. C'est clarifier la loi que de reconnaître cette pratique.

Le sénateur Cools: Ainsi, c'est une modification législative. Tout cela est bien confus. Le simple fait que le projet de loi se propose de modifier la loi me fait croire que c'est bien une modification.

Le sénateur Losier-Cool: Madame Pottruff, par rapport aux limites temporelles, aux schémas chronologiques et aux lignes directrices, dans quelle mesure est-ce important pour les autres provinces de mettre ces lignes directrices en vigueur avant le 1er mai?

Mme Pottruff: Il est important pour le public que les modifications soient arrêtées dès que possible. Nous sommes au beau milieu de la mise en oeuvre d'un plan national, comme je l'ai déjà dit. Nous sommes en train de faire la planification province par province. Nous allons de l'avant tout en sachant que les modifications fiscales entreront en vigueur le 1er mai. Les modifications seront la source d'au moins la moitié de l'activité dans les variations.

Les gouvernements ont toujours eu pour préoccupation que s'ils ne mettent pas en vigueur en même temps les lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants et les modifications fiscales, cela entraînera beaucoup de confusion et d'anxiété au sein de la population. En fait, certains parents pourraient être forcés de recourir de nouveau aux tribunaux pour des rajustements à défaut d'avoir réglé la question avant.

Je comprends certes la préoccupation du Sénat à cet égard ainsi que les questions et l'examen dans ce domaine, mais il reste que les divers ordres de gouvernement s'inquiètent vraiment du délai de la confirmation des modifications législatives proposées. Je sais que c'est également un sujet de préoccupation pour le public qui, même s'il comprend le processus législatif, ne saisit pas toujours très bien pourquoi il faut autant de temps pour arriver à terme et obtenir la certitude dont ils ont besoin pour aller de l'avant avec leurs arrangements.

Le sénateur Forest: J'ai une autre question à poser, mais, avant, je voudrais revenir sur ce que vous avez dit à propos de l'éducation postsecondaire. J'ai reçu un bon nombre de lettres de parents n'ayant pas la garde qui doivent déjà, en vertu d'une ordonnance du tribunal, assurer le soutien alimentaire d'un enfant pendant ses études de premier et de deuxième cycles. Cette question les inquiète beaucoup.

Mon autre question a trait aux montants payables prévus dans les lignes directrices. Ces montants ont été fondés uniquement sur le revenu du parent n'ayant pas la garde. Si je ne m'abuse, vous dites quelque part dans votre mémoire qu'il y a un inconvénient à utiliser les deux revenus pour déterminer ces montants. Pouvez-vous expliciter votre pensée à cet égard? Pourquoi ne tient-on compte d'un seul revenu plutôt que des deux?

Mme Pottruff: Les lignes directrices tiennent compte des deux revenus. Elles sont fondées sur ce que la famille moyenne dépense à certains niveaux de revenu pour les enfants. On établit ainsi le coût des enfants. On détermine ensuite le revenu du parent qui est appelé à verser la pension et on suppose que l'autre parent a un revenu semblable, les deux ensemble formant le revenu familial; il est donc faux de dire que l'on ne tient compte que du revenu du parent n'ayant pas la garde. On tient compte de l'ensemble de ce que gagne la famille. Par conséquent, on tient compte des deux revenus. Toutefois, les tables sont fondées sur le revenu du payeur uniquement. Si on procède ainsi, c'est pour protéger, en quelque sorte, la pension alimentaire au profit de l'enfant parce que, de façon générale, le payeur gagne plus que le bénéficiaire. C'est toujours de l'ensemble des ressources familiales dont on tient compte. Cependant, on se sert uniquement du revenu du payeur pour déterminer, à l'aide de la table, le montant de la pension. Il suffit de connaître le revenu d'une partie pour déterminer ce montant, ce qui est beaucoup plus simple pour les gens.

Le sénateur Forest: Dans la montagne de documents que j'ai reçus, il y a des cas où le payeur s'inquiète et est mécontent de ce que les juges accordent maintenant à titre de pension pour l'éducation postsecondaire.

Mme Pottruff: Vous semblez vouloir dire que nous devrions maintenir la pratique actuelle où les tribunaux tiennent compte des deux revenus. Certes, cette façon de procéder a l'avantage que les gens la comprennent. Ils peuvent voir les chiffres devant eux. Cette méthode a cependant l'inconvénient d'entraîner plus de tracasseries administratives et d'autres conflits entre les parties. Et les ordonnances qui en résultent ne diffèrent guère, en moyenne, de celles qu'on obtiendrait en recourant au processus plus simple que nous proposons.

Le sénateur Forest: Selon mon interprétation des documents, il y aurait une grande variation des montants alloués dans ce qui semble être des situations semblables.

La présidente: Avez-vous d'autres questions à poser, sénateur Maheu?

Le sénateur Maheu: On a déjà répondu aux questions que je voulais poser.

Le sénateur Cools: Ma question a trait à l'utilisation du mot «ligne directrice» plutôt que du mot «règlement». À mon avis, il est assez manipulateur, voire trompeur, que d'utiliser le terme «lignes directrices» quand il s'agit en réalité de règlements. On nous dit que bien des gouvernements ont adopté pareilles lignes directrices. Je me demande si vous pouviez nous dire quels autres gouvernements ont recours à la méthodologie réglementaire pour produire des lignes directrices.

Mme Pottruff: Je ne suis pas sûre de pouvoir répondre exactement à votre question parce que je ne connais pas très bien la loi américaine, même si je l'ai consultée. La loi américaine oblige les États à prévoir des lignes directrices afin d'être admissibles au partage des paiements d'aide sociale, et cetera. Je m'attendrais donc à ce que les mesures américaines soient énoncées sous forme de règlements. Je ne sais pas avec exactitude si c'est sous forme de règlement ou de loi.

En Grande-Bretagne, c'est sous forme de loi. Je le répète, d'après ce que j'ai pu voir dans les documents, si les montants sont en fait déterminés par règlement, le principe sur lequel le calcul est fondé est énoncé dans une loi. Je n'ai cependant pas fait de comparaison approfondie qui me permettrait de répondre tout à fait à votre question sur ce point.

Le sénateur Cools: Madame la présidente, pourrions-nous obtenir ce qui ressemblerait à une réponse là-dessus? Nous avons posé la question à plusieurs personnes, dont le ministre de la Justice, et la réponse que nous avons obtenue est plutôt nébuleuse. On nous dit que ces lignes directrices sont assez répandues, mais pourrions-nous savoir avec certitude combien d'autres gouvernements utilisent ce genre d'instrument, qui constitue fondamentalement une forme de législation subordonnée?

La présidente: Pensez-vous que le ministère de la Justice peut répondre à cette question?

Le sénateur Cools: Je lui ai déjà demandé.

La présidente: Les porte-parole du ministère de la Justice comparaîtront devant le comité demain.

Le sénateur Cools: J'espère que nous pourrons l'obtenir.

La présidente: Peut-être que nous pourrions les appeler et leur demander de nous fournir cette information quand ils viendront.

Le sénateur Cools: Ils ne cessent d'affirmer que ce processus a été accepté dans la plupart des provinces.

Le ministre nous a répété que l'indépendance judiciaire est une vache sacrée. À une autre occasion, il a d'ailleurs maintenu la capacité des conseils judiciaires à se prononcer sur un grand nombre de ces questions. J'aimerais savoir pourquoi nous avons opté pour cette mesure extraordinaire, c'est-à-dire recourir à ce type de lignes directrices et d'instruments pour supprimer la discrétion judiciaire et dicter aux juges les décisions à prendre? D'après ce que je crois comprendre, c'est une mesure tout à fait extraordinaire. J'ai appris que les juges de certaines provinces ne tiennent pas compte des lignes directrices de toutes façons, surtout dans les provinces où elles n'ont pas force de loi. Pourquoi le ministère de la Justice, les personnes qui travaillent dans ces domaines, et les juges eux-mêmes, par l'intermédiaire de leurs associations comme les conseils judiciaires, ne se réunissent-ils pas pour s'occuper de ces questions et peut-être élaborer leurs propres lignes directrices? Pourquoi est-ce l'exécutif qui dicte aux juges le type de décisions qu'ils peuvent prendre?

Mme Pottruff: Je pense que la recherche et l'expérience indiquent que ces décisions ont été prises de façon plutôt ponctuelle, ce qui a donné lieu à une certaine incohérence et une certaine imprévisibilité au niveau des pensions accordées. Les juges de toute évidence rendent des décisions en fonction de leurs connaissances et de leurs opinions mais un examen plus général de la question et une méthode commune pour déterminer le niveau des pensions alimentaires qui doivent être versées pour les enfants sont des moyens très efficaces de sensibiliser la magistrature, les parties et le public à ce qui constitue une pension alimentaire raisonnable pour les enfants. À cause de cette absence d'homogénéité, de norme objective et de méthode générale, il était difficile d'assurer un traitement uniforme et prévisible des pensions alimentaires.

Le comité du droit de la famille a examiné la possibilité d'assurer cette uniformité et cette prévisibilité par un travail de sensibilisation auprès de la magistrature, par des lignes directrices indicatives ou présomptives. Nous nous sommes dit qu'il serait impossible de vraiment remédier à la situation sans lignes directrices présomptives, que l'information concernant la méthode d'établissement des coûts était satisfaisante. On estimait que pour assurer ce degré de prévisibilité, il fallait des lignes directrices présomptives. On aurait pu opter pour des lignes directrices indicatives ou pour un travail de sensibilisation mais il aurait fallu probablement attendre une dizaine d'années avant d'en constater les résultats. Au lieu d'attendre dix ans pour voir si ces lignes directrices seront acceptées et utilisées correctement, nous avons opté pour une méthode claire et ferme qui permet de guider les décisions prises à partir de maintenant. C'était le choix que nous avions à faire.

Le sénateur Cools: Comme c'est la façon dont on s'est servi de cet instrument, qu'est-ce qui a empêché le Cabinet de recourir à ce même instrument dans d'autres circonstances, particulièrement en droit criminel?

Mme Pottruff: Je ne suis pas qualifiée pour prédire les initiatives que pourrait prendre le Cabinet fédéral.

En droit criminel, certains États américains ont des grilles de détermination de la peine. Il y a eu d'autres processus où les gouvernements ont préféré être plus directs quant à l'application de ce pouvoir discrétionnaire.

Le sénateur Cools: Le domaine du droit familial semble être soumis à des pressions constantes à cause de tous ces essais. On m'a dit que la loi ontarienne sur le droit de la famille a été modifiée plus de fois au cours des 15 dernières années que toute autre loi. On semble partir du principe qu'on a plus de liberté en ce qui concerne le droit de la famille surtout lorsque nous discutons de ce qui est dans l'intérêt des enfants. Vous devez reconnaître que c'est un domaine où il y a beaucoup de changements.

Mme Pottruff: Le droit de la famille est un domaine où il y a beaucoup de changements pour un certain nombre de raisons, entre autres parce que les données démographiques et la composition des familles ont profondément changé au cours des 50 dernières années. Nous essayons d'adapter le droit de la famille en fonction de l'évolution de la situation des familles.

Le sénateur Cools: Vous dites que nous avons tous tenu de vastes consultations à propos de ces lignes directrices avec le Barreau, les groupes intéressés et le public. Quelles sont les consultations qui ont eu lieu avec les juges?

Mme Pottruff: Je ne peux pas parler pour toutes les provinces, mais j'ai rencontré des juges en Saskatchewan à plusieurs reprises pour parler des lignes directrices. Dans l'ensemble, ils ont assez bien accueilli une démarche qui apportera une certaine objectivité à leur travail. Les causes contestées et les litiges en matière de droit de la famille sont très difficiles car les juges sont souvent appelés à rendre des jugements à la Salomon. Plus la magistrature peut s'appuyer sur des lignes directrices cohérentes, plus elle y est réceptive.

Le sénateur Cools: Qui sont les juges que vous avez consultés en Saskatchewan?

Mme Pottruff: Cela dépend de l'occasion mais j'ai rencontré tous les membres de la Cour supérieure à au moins deux reprises.

Le sénateur Cools: Les avez-vous rencontrés individuellement?

Mme Pottruff: Nous nous sommes réunis en groupe. Je les ai également rencontrés individuellement.

Le sénateur Cools: Étaient-ils d'accord avec votre proposition?

Mme Pottruff: Ils ont reconnu que cette démarche présentait des avantages.

Le sénateur Cools: Auriez-vous un document par écrit à nous présenter, qui indique cet appui?

Mme Pottruff: Je ne crois pas qu'en ce qui concerne les relations qui existent entre le gouvernement et la magistrature, l'usage veuille qu'on leur demande quoi que ce soit par écrit.

Le sénateur Cools: C'est tout à fait normal. Nous en sommes constamment témoins ici, n'est-ce pas?

Madame la présidente, nous pourrions peut-être nous renseigner pour savoir dans quelle mesure on a consulté les conseils judiciaires ou les juges du pays pour savoir ce qu'ils pensent de recevoir des ordres de l'exécutif.

Le sénateur Forest: Nous avons reçu un document d'un juge à la retraite, Kenneth Halvorson. Ce document traite de l'utilisation des lignes directrices en Saskatchewan. Il indique qu'on accepte de plus en plus le principe d'établir le montant de la pension en tant que pourcentage du revenu brut. Il indique également que les plaideurs appuient le principe. Il voulait surtout faire valoir que les lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants sont utilisées indirectement par la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan depuis l'été de 1995, et ont reçu des commentaires favorables.

Le Juge Halvorson est un ancien juge de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan, n'est-ce pas?

Mme Pottruff: Oui. Je pense qu'il vous fera une présentation plus tard.

Le sénateur Cohen: Ma question concerne les débiteurs en défaut de façon répétée. On ne tient pas compte de la réalité de la situation. Aucune raison n'est donnée. Pourquoi y a-t-il des débiteurs qui sont en défaut de façon répétée? Peut-être parce qu'ils sont malades ou n'arrivent pas à trouver un emploi à cause de la situation économique. Il est injuste de les priver du droit d'appel. On n'en parle absolument pas ici.

Je me trouve dans une situation intéressante. Toute ma vie j'ai travaillé pour l'égalité des femmes. Ce projet de loi me fait prendre conscience du revers de la médaille et je suis constamment en conflit avec moi-même. Cependant, j'estime que ce projet de loi est injuste à l'égard du parent qui n'a pas obtenu la garde. Je ne crois pas qu'il y ait égalité. Lorsqu'il doit divulguer sa situation financière, sur demande, au parent qui a la garde, les règles du jeu devraient être équitables. Les deux parents devraient être obligés de divulguer cette information. Si le parent qui a la garde se remarie et que leur revenu combiné, après le mariage, est considérablement supérieur à celui du parent qui n'a pas la garde, cela pose problème. Le parent qui n'a pas la garde doit utiliser son revenu combiné lorsqu'il se remarie. Je sais qu'au Nouveau-Brunswick -- parce que ma fille est en train de vivre cette expérience -- le revenu combiné est pris en compte et le parent qui a la garde peut y avoir accès. Il y a là une injustice.

Parlez-moi des débiteurs en défaut de façon répétée, et de la raison d'être de cette disposition, ainsi que de l'absence de droit d'appel pour le parent qui n'a pas la garde.

Mme Pottruff: En ce qui concerne les débiteurs en défaut de façon répétée et le droit d'appel, nous devons reconnaître que nous avons affaire à une ordonnance du tribunal. L'ordonnance est établie en fonction des circonstances entendues par le tribunal à ce moment-là. On doit s'y conformer.

Si les circonstances des parties changent et qu'il leur est impossible de respecter les obligations de leur ordonnance, il leur incombe de retourner devant le tribunal et d'indiquer clairement pourquoi l'ordonnance originale n'est plus appropriée. S'ils ne le font pas, alors l'ordonnance reste en vigueur. Le parent qui a la garde et les services d'exécution des ordonnances alimentaires sont tout à fait en droit de croire que l'ordonnance est toujours en vigueur.

En ce qui concerne les services d'exécution des ordonnances alimentaires, ils doivent tenir compte du fait que l'ordonnance correspond à ce que les tribunaux ont jugé équitable à ce moment-là. Si l'autre partie ne s'est pas représentée devant les tribunaux pour obtenir une modification, alors les services d'exécution des ordonnances alimentaires doivent exécuter l'ordonnance telle quelle. Ils ont toutefois une certaine latitude pour le faire. Par exemple, s'ils reconnaissent, en fonction de ce que la personne leur a dit, qu'une modification s'impose, ils l'encourageront alors à la demander.

Je pense qu'on prendra les mesures prévues dans le cas des débiteurs en défaut de façon répétée si aucune autre solution n'est possible. Par exemple, supposons que nous avons affaire à quelqu'un qui semble pouvoir payer mais qui ne veut pas payer. Il est alors clair que cette personne enfreint la loi et qu'une réaction ferme s'impose. Compte tenu de ce fait, il faut que le débiteur ait été en défaut pendant une période de temps donnée et que le montant des arriérés soit important avant que des méthodes plus fermes soient utilisées. Je ne crois pas qu'un droit d'appel soit nécessaire parce que la disposition prévoit une modification et non un appel.

Le sénateur Cohen: Le comportement de la Saskatchewan à cet égard n'est pas parfait mais est presque idéal comparativement à celui en vigueur dans bien d'autres provinces. Dans quelle mesure les parents qui n'ont pas obtenu la garde ont-ils réussi à obtenir une modification auprès des tribunaux?

Mme Pottruff: Je pense qu'il faut examiner cette question. Je n'aime pas voir au tribunal quelqu'un qui à mon avis aurait dû demander une modification. Dans l'ensemble, nous avons un accès plus général à l'aide juridique dans ce genre de situations. Nous sommes en train de mettre au point une trousse de demande de modification pour nous assurer que ceux qui en ont besoin et qui croient ne pas avoir les moyens de se payer un avocat ont accès aux tribunaux. Nous sommes en train de travailler avec la Law Society de la Saskatchewan afin que le service de référence aux avocats, qui se compose d'avocats spécialisés en droit de la famille, fournisse, pour 25 $ la demi-heure, des conseils aux personnes intéressées. Nous tâchons de combler les lacunes pour nous assurer qu'une personne qui devrait demander une modification fasse le nécessaire pour l'obtenir. C'est dans l'intérêt de tous et de celui du parent qui n'a pas obtenu la garde de l'enfant, s'il estime ne plus pouvoir payer le montant qu'il a été ordonné de verser. Le service d'exécution des ordonnances ne court pas après quelqu'un qui, au bout du compte, est incapable de payer, et le parent qui a la garde et l'enfant ne souffrent pas.

Le sénateur Cohen: Comme cette lacune existe, ne pourrait-on pas l'inclure ailleurs? J'ai reçu 120 lettres et la moitié de ces lettres soulèvent cette question de façon claire et nette. Serait-il raisonnable de la part de notre comité de demander de l'inclure quelque part dans les règlements ou dans les lignes directrices?

Mme Pottruff: Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une lacune. C'est que le parent qui n'a pas obtenu la garde ne se rend pas compte qu'il doit présenter une demande de modification. Il doit régler le problème avant que nous nous occupions des arriérés non acquittés. Nous devons nous assurer que les services qui permettent de régler ce problème existent.

Le sénateur Cohen: Je ne suis pas satisfaite, mais je tiens quand même à vous remercier.

La présidente: Les renseignements que vous nous avez fournis nous ont été utiles et nous vous en remercions. Si nous avons besoin de plus amples renseignements, nous pourrons communiquer avec vous. Je suis heureuse d'apprendre que vous travaillez entre autres avec de jeunes contrevenants. C'est un domaine qui m'intéresse beaucoup.

Notre prochain témoin est le sous-ministre adjoint de Revenu Canada, Direction des politiques et de la législation.

[Français]

M. Denis Lefebvre, sous-ministre adjoint, Direction des politiques et de la législation, Revenu Canada: Il me fait plaisir d'être ici ce matin avec Aileen Conway pour expliquer le rôle de Revenu Canada dans ce projet de loi C-41. Après une courte présentation, je pourrai répondre à vos questions. J'aimerais commencer par informer le comité des activités pour discuter des propositions énoncées dans le projet de loi C-41.

Tout d'abord, je vais commencer en informant le comité des mesures que le ministère du Revenu prend déjà pour aider à l'exécution des ordonnances et des ententes familiales.

Depuis 1988, lorsqu'était promulguée la Loi d'aide à l'exécution des ordonnances et des ententes familiales, des remboursements d'impôt ont été saisis des personnes qui ne respectent pas leurs obligations en matière de versement de pensions alimentaires pour enfants.

Lorsqu'une ordonnance de saisie-arrêt est rendue en vertu de la Loi d'aide à l'exécution des ordonnances et des ententes familiales, une demande est faite à Revenu Canada de retenir les montants sur le montant d'impôts à rembourser à la personne qui, selon le ministère de la Justice, n'a pas versé la pension alimentaire comme elle le devrait.

Il y a une demande, une ordonnance d'exécution. Si elle n'est pas satisfaite, l'agence provincial demande au ministère de la Justice de demander au ministère du Revenu de divertir les remboursements d'impôt jusqu'à concurrence des montants dus par le payeur.

Nous avisons le contribuable qui reçoit sa cotisation ou un remboursement moindre des raisons pour lesquelles les fonds sont retenus. Dans cet avis que nous envoyons au contribuable, il y a le numéro de téléphone d'une personne ressource appartenant au ministère de la Justice avec qui cette personne peut communiquer.

C'est le ministère de la Justice qui fait savoir à Revenu Canada le montant exact requis pour satisfaire à l'ordonnance de la cour. Le surplus est versé au contribuable.

Le ministère de la Justice qui reçoit ce montant le transmet à l'organisme provincial d'exécution.

C'est le ministère de la Justice qui agit comme ministère directeur dans ce programme. Le remboursement d'impôt, qui englobe les crédits pour TPS, n'est qu'un des fonds que peut saisir le gouvernement fédéral. Il y en a une dizaine d'autres. Revenu Canada constitue la plus importante source de fonds de ce programme.

Au cours de l'année 1995, nous avons réacheminé au ministère de la Justice quelque 31 millions de dollars en vue d'acquitter des arriérés de pension alimentaire. Plus de 81 000 contribuables ont été assujettis à une telle ordonnance d'un tribunal. On peut s'attendre à ce qu'en 1996, les montants et les nombres seront encore plus importants.

J'aimerais maintenant commenter les propositions énoncées dans le projet de loi C-41 impliquant Revenu Canada.

Comme vous le savez, l'article 19 de ce projet de loi permet qu'on ajoute Revenu Canada à la liste des ministères fédéraux dont les banques de données peuvent faire l'objet d'une consultation. Cette consultation est permise si un organisme d'exécution d'une province en fait la demande en vue de dépister les personnes qui n'ont pas versé la pension alimentaire comme elles en ont l'obligation.

Nous nous rendons bien compte que le non-paiement des pensions alimentaires est un problème grave qui justifie l'intervention concertée du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux et nous sommes heureux d'appuyer cette initiative.

Revenu Canada transmettra au ministère de la Justice des renseignements tels que l'adresse du débiteur défaillant ainsi que le nom et l'adresse de son employeur.

Nous veillerons à protéger le caractère confidentiel de ces renseignements de telle manière qu'ils servent uniquement à trouver des contrevenants et à obtenir le paiement de la pension alimentaire.

[Traduction]

Nous prévoyons que certains contribuables n'aimeront pas que le ministère fournisse ces renseignements. Ils peuvent y voir une violation de notre obligation d'assurer le caractère confidentiel des renseignements qui figurent dans leurs déclarations du revenu. C'est une question que le ministère devra gérer avec circonspection. Nous devrons nous assurer de bien informer les gens des raisons pour lesquelles nous agissons ainsi. Nous tâcherons de leur fournir tous les renseignements voulus pour les convaincre que nous ne prenons pas de décisions arbitraires. Nous n'agissons ainsi que pour donner suite à de graves préoccupations d'ordre social.

Même si cela n'a pas un lien direct avec la réforme touchant les pensions alimentaires pour enfants, j'aimerais signaler que Revenu Canada est chargé d'administrer un certain nombre de programmes jouant un rôle déterminant dans la redistribution du revenu. Ces programmes peuvent présenter pour le conjoint qui a la garde des enfants un intérêt particulier, notamment le programme de la prestation fiscale pour enfants, celui des allocations spéciales pour enfants ou encore le crédit pour la taxe sur les produits et services.

En 1993, nous avons commencé à administrer le programme de la prestation fiscale pour enfants, qui regroupait en un seul versement, exonéré d'impôt, les sommes provenant des trois anciens programmes fédéraux. La prestation, destinée aux familles à revenu faible ou modeste, est calculée en fonction de leurs besoins. Elle vise à compenser les frais engagés pour l'éducation des enfants âgés de moins de 18 ans. La prestation, établie à partir des renseignements figurant dans les déclarations des deux parents, est fonction du revenu familial ainsi que du nombre d'enfants et de leur âge respectif. À l'heure actuelle, plus de trois millions de familles la reçoivent. De plus, l'État verse un supplément du revenu gagné, qui tient compte des besoins des familles avec enfants dont les parents travaillent. La prestation maximale s'élève actuellement à 500 $.

Il est prévu que la modification des règles fiscales en ce qui concerne les pensions alimentaires se traduira pour le gouvernement fédéral par une augmentation des recettes, augmentation qui servira à relever à 1 000 $ d'ici juillet 1998 le plafond du supplément du revenu gagné.

Instauré en décembre 1990, le crédit pour la TPS a pour objet de permettre aux familles canadiennes à revenu faible ou modeste de recevoir une compensation pour le paiement de la nouvelle taxe. Ce crédit, non imposable, est versé tous les trois mois à plus de huit millions de particuliers. Le calcul de ce crédit se fonde sur les renseignements que le demandeur a donnés dans sa déclaration de revenus et, s'il y a lieu, sur les renseignements figurant dans la déclaration de son conjoint. Le montant du crédit est fonction du revenu familial et du nombre de personnes à charge admissibles.

En plus d'administrer ces programmes, Revenu Canada, en sa qualité de mandataire de nombreux ministères fédéraux et provinciaux, joue un rôle important en ce qui regarde un certain nombre d'autres programmes de redistribution du revenu. Par exemple, nous fournissons au gouvernement du Québec les renseignements nécessaires au calcul des allocations familiales que verse cette province.

En terminant, j'aimerais rappeler encore une fois que Revenu Canada continue d'avoir pour mandat d'aider le gouvernement du Canada et les gouvernements provinciaux à s'acquitter de la tâche difficile de veiller à l'exécution des ordonnances de versement de pensions alimentaires et de dépister les débiteurs défaillants. Grâce à nos programmes actuels et au rôle accru que nous confie le projet de loi C-41, nous continuerons de jouer un rôle important dans la réalisation de l'engagement que le gouvernement a pris de mettre fin à la pauvreté chez les enfants.

Je me ferai un plaisir de répondre à toutes les questions que les membres du comité voudront bien me poser concernant le rôle de Revenu Canada en ce qui regarde l'exécution des ordonnances de versement de pensions alimentaires.

La présidente: Dans votre exposé, vous avez dit que vous vous attendiez à une augmentation du nombre des divorces pour 1996. Je ne sais pas combien de temps il faut pour compiler l'information sur le nombre des causes de divorce devant les tribunaux, mais nos statistiques nous révèlent qu'en 1992, au Canada, le nombre des divorces est passé de 3 247 à 920, pour ensuite chuter à 103 en 1994. Cette information n'est peut-être pas pertinente, mais elle montre que le nombre des divorces diminue au lieu d'augmenter.

Le sénateur Lavoie-Roux: Il y a moins de gens qui se marient.

M. Lefebvre: Je ne contesterai pas vos chiffres, mais le nombre des remboursements depuis 1988 a augmenté. L'année dernière, nous avons transmis ou réacheminé 31 millions de dollars de remboursements au ministère de la Justice pour satisfaire aux obligations d'ordonnances judiciaires qui n'avaient pas été respectées. Je n'ai pas ici les détails de la tendance, mais elle est plutôt à la hausse et nous prévoyons qu'elle se maintiendra. Elle n'est pas plus prononcée que ça.

[Français]

Le sénateur Lavoie-Roux: Seriez-vous assez aimable de me dire combien de ministères ont maintenant accès au ministère du Revenu sur une base de consultation pour connaître les revenus des individus à une fin précise ou d'autres? Ce n'est pas le seul ministère?

M. Lefebvre: Le ministère qui a un accès le plus exhaustif à nos banques de données est Statistique Canada. Ils ont un accès à des fins de statistique. Ils n'ont pas le droit de se servir des informations à d'autres fins que d'amalgamer des chiffres, de faire disparaître de l'information personnalisée et de l'utiliser à des fins statistiques.

Il y a aussi à l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu des exceptions à des fins spécifiques qui permettent d'utiliser des banques de données. Certaines sont reliées à l'assurance-chômage. Nous percevons les montants dus à l'assurance-chômage. Nous devons échanger certaines informations à des fins très spécifiques, par exemple, le régime de pension du Canada. Il y en a d'autres.

Le sénateur Lavoie-Roux: Est-ce que l'on pourrait avoir cette liste de tous les ministères ou organismes nationaux ou fédéraux qui peuvent y avoir accès? Nous entendons souvent cette plainte. Là, on en ajoute une autre. C'est le but de ma question. Ce qui est sensé être strictement confidentiel, il faut le qualifier parce que c'est loin d'être le cas.

M. Lefebvre: Je vais fournir au comité une liste exhaustive. La dernière loi que vous avez approuvée et qui permettait de partager l'information était la nouvelle liste électorale permanente. Dans cette loi, il est entendu que nous allons pouvoir fournir au directeur général des élections l'adresse des gens pour qu'il puisse communiquer avec eux au moment d'une élection.

Mais sur la déclaration annuelle, à partir de 1998, sur le rapport d'impôt, pour l'année 1997 et sur la déclaration avant la signature, il sera dit: voulez-vous que l'on partage votre adresse avec le directeur général des élections? C'est la seule occasion où nous allons partager de façon très large l'information. Encore une fois, ce sera avec le consentement positif des contribuables.

Dans tous les autres cas, elle est partagée avec d'autres ministères, avec un groupe minuscule de fonctionnaires à des fins très précises.

Le sénateur Lavoie-Roux: On est d'accord que les gens remplissent leurs obligations vis-à-vis leur famille quand il y a une séparation, et cetera. Qu'est-ce qui arrive aux personnes non-mariées mais qui vivent ensemble depuis au-delà de deux ans? Au Québec, ils sont considérés conjoints permanents après deux ou trois ans de vie commune. Est-ce que la même information peut être transmise? Comment est-ce que cela fonctionne dans leur cas? Est-ce que c'est plus difficile d'avoir accès au rapport d'impôt du conjoint non-marié?

M. Lefebvre: De la même façon, si ces gens, en raison d'une cohabitation continue en vertu de la Loi sur les pensions alimentaires provinciales, ont des obligations à l'égard d'enfants issus de cette union, même s'il n'y a pas mariage, de la même façon, en vertu des lois provinciales, s'il y a une ordonnance de pension alimentaire non observée, nous allons aider de la même façon en aidant à retracer le payeur en défaut.

Le sénateur Lavoie-Roux: Vous avez dit sans aucun doute que ceci va soulever de la controverse de la part des gens qui vont penser que de l'information sera transmise. Est-ce que les plaintes qu'on entend souvent à cet égard sont fondées? Est-ce dans des circonstances très particulières prévues par la loi qui peuvent être encadrées? Normalement, relativement à la Loi de l'impôt sur le revenu, personne n'y a accès, sauf un certain nombre de fonctionnaires. C'est une autre histoire.

M. Lefebvre: Nous ne donnons pas d'information à l'égard d'un contribuable à moins que ce ne soit spécifiquement prévu par la loi. Je vais vous envoyer la liste. Une quinzaine d'exceptions permet, à des fins d'administration d'une loi bien précise, à un groupe de fonctionnaires d'avoir accès à l'information. Mais ils ne peuvent l'utiliser que pour les aider à administrer une autre loi. Les deux autres exceptions sont la Loi pour la liste électorale permanente que j'ai mentionnée, encore une fois avec le consentement de la personne et l'autre exception, c'est pour les pensions alimentaires. L'adresse est seulement donnée à l'agence provinciale par le truchement de la Justice. Elle n'est pas donnée au conjoint.

[Traduction]

Le sénateur Jessiman: Monsieur Lefebvre, vous avez parlé du supplément de revenu gagné et du fait que les modifications feront augmenter les recettes fiscales, de sorte que le gouvernement pourra augmenter ce supplément, allant même jusqu'à le doubler. De 500 $, il pourrait passer à 1 000 $. J'aimerais savoir comment il se fait, dans le cas des couples divorcés, que le parent qui n'a pas obtenu la garde des enfants ne puisse pas déduire de son revenu imposable la pension alimentaire pour enfants qu'il verse au parent qui en a la garde. Dans le cas du versement d'une pension alimentaire au profit d'un époux, les règles sont différentes, en ce sens qu'elles demeurent les mêmes. En effet, le conjoint qui verse la pension alimentaire peut la déduire, tandis que le conjoint qui la reçoit doit la déclarer comme revenu.

Je voudrais savoir comment le gouvernement peut justifier le fait qu'il enlève des millions et des millions de dollars à des couples qui tâchent de subvenir aux besoins de leurs enfants. Je suppose que tout le monde est favorable à l'augmentation du supplément du revenu gagné. Comment le gouvernement peut-il justifier le fait qu'il prive de cet argent des parents qui tâchent tous deux de subvenir aux besoins de leur famille ou de leurs enfants?

M. Lefebvre: Le régime fiscal actuel prévoyant la déduction et l'inclusion sera modifié de sorte qu'il n'y aura ni déduction ni inclusion.

Le sénateur Jessiman: Le gouvernement peut le décider, pourvu que les gens en soient prévenus.

M. Lefebvre: Je ne peux pas faire de commentaires sur les modifications apportées au régime. Il s'agit d'une décision que le gouvernement a prise. Ce passage d'un système déduction/inclusion à un système non-déduction/non-inclusion procurera cependant des recettes au gouvernement. Le changement à cet égard n'a pas pour objet de consacrer cet argent au supplément du revenu. Comme les payeurs ont, en moyenne, un revenu plus élevé et appartiennent par conséquent à une tranche d'imposition supérieure, le changement apporté au régime procurera au gouvernement des recettes d'environ 300 millions de dollars.

Le gouvernement ne voulait pas encaisser plus d'argent; pour que le résultat demeure neutre, il réinvestit immédiatement cet argent dans le supplément de revenu modeste.

Le changement apporté au régime fiscal n'a cependant pas été motivé par le désir de consacrer plus d'argent au supplément de revenu modeste. La décision d'apporter ce changement s'inspire plutôt de considérations politiques. Au lieu de consacrer ces recettes accrues à la réduction du déficit ou à quelque autre cause, on a décidé de le réinvestir dans les enfants, même s'il ne s'agit pas des mêmes enfants, j'en conviens.

Le sénateur Jessiman: On enlève de l'argent aux enfants pour lesquels les parents séparés paient une pension alimentaire, et on le donne aux enfants en général, que leurs parents soient séparés ou non.

M. Lefebvre: Oui.

Le sénateur Jessiman: Cela me paraît très injuste. Si le gouvernement a pris cette mesure parce qu'il ne veut plus permettre les déductions de la part des conjoints séparés, qu'il s'agisse de pensions alimentaires pour enfants ou de pensions alimentaires au profit d'un époux, cela me paraît juste pourvu qu'on sache avant de divorcer ou de se séparer qu'on versera une pension alimentaire sans obtenir aucun allégement fiscal. Comme les conjoints vivant ensemble n'obtiennent aucun allégement fiscal, je pense qu'il n'y a rien à redire au sujet de cette mesure.

Cependant, ce genre de disposition fiscale remonte à 1942. Elle existe depuis 55 ans. Beaucoup de gens ont été séparés et versent maintenant leur pension alimentaire. Je n'ai absolument aucune sympathie pour ceux qui ne respectent pas leur obligation et j'approuve tout à fait que vous puissiez poursuivre les non-payeurs.

Dans le cas de ceux qui payaient la pension alimentaire et qui pouvaient déduire ces paiements de leur revenu imposable, cette mesure signifie cependant moins d'argent pour leurs enfants, et cela est injuste. J'aimerais que vous en conveniez avec moi.

M. Lefebvre: C'est un problème d'ordre transitoire. Nous passons d'un régime à un autre. Dans son calcul des recettes fiscales, le gouvernement a constaté qu'il y avait un excédent dans un régime, que vous estimez peut-être meilleur. Le gouvernement ne voulait pas faire servir cet argent à d'autres programmes, comme ceux de la défense ou de la lutte au déficit, pendant la transition. Il a donc tâché de le faire servir autant que possible aux mêmes fins. À moins de subventionner tous les gens qui paient des pensions alimentaires, il est impossible d'atteindre exactement les mêmes enfants qui bénéficiaient auparavant de cette aide et de cette dépense fiscales.

Le sénateur Jessiman: Ne trouvez-vous pas que le gouvernement pourrait, comme cela se fait dans beaucoup d'autres cas, exempter les parents déjà séparés et qui paient bien la pension alimentaire? Ça ne serait que juste, à mon avis.

Avant que ce projet de loi n'entre en vigueur -- ou vous pourriez même le faire plus tôt en en donnant préavis -- vous pourriez exempter ceux qui étaient assujettis au régime permettant de déduire les paiements de pension alimentaire. Tant que les paiements sont équitables, vous ne devriez pas changer le système à mi-parcours. Je n'arrive pas à croire que vous ne compreniez pas qu'il serait injuste de changer le régime.

M. Lefebvre: D'après ce que je comprends des mesures qui ont provoqué ce changement, le régime de non-déduction/non-inclusion s'appliquera à compter du 1er avril, mais uniquement aux nouvelles ententes.

Le sénateur Jessiman: Non, non. Les parents ayant la garde des enfants examineront les lignes directrices, ils compareront ce qu'ils reçoivent en vertu de l'ancien régime, et qui doit être considéré comme un revenu, et ils constateront qu'ils peuvent recevoir cet argent en franchise d'impôt. On ne peut vraiment pas parler de protection des droits acquis.

La présidente: Les parents qui ont la garde des enfants ont quand même la possibilité de s'adresser de nouveau aux tribunaux pour demander que les nouvelles lignes directrices s'appliquent à eux, n'est-ce pas?

M. Lefebvre: Oui.

Le sénateur Bosa: Le sénateur Jessiman a signalé que la pension alimentaire payée par le parent qui n'a pas la garde des enfants ne sera pas déductible du revenu imposable. Il a affirmé par la suite que cela était injuste, parce que le parent qui a la garde des enfants touchera maintenant la pension alimentaire sans avoir à l'inclure dans son revenu imposable. Mais comme les couples qui ne se sont pas séparés et qui ont des enfants ne peuvent pas déduire quelque montant que ce soit pour élever leurs enfants, cette mesure est donc équitable.

Le sénateur Jessiman: Il n'y a rien à redire à cet égard. Ce régime est en vigueur depuis 1942. Les gens se sont conformés à ses dispositions. Les tribunaux établissaient le montant de la pension à payer en tenant compte de l'impôt sur le revenu, mais voilà qu'on fait entrer quelque chose de nouveau en ligne de compte. Je ne m'oppose pas à ce qu'on retire l'avantage que cela présentait en matière d'impôt sur le revenu.

Le sénateur Bosa: Je crois comprendre qu'il existe un processus, un moyen pour le parent qui n'a pas la garde des enfants d'obtenir une révision sans passer par un recours judiciaire coûteux.

Le sénateur Cools: Nous revenons constamment à l'expression «exécution des ordonnances alimentaires au profit d'un enfant». Il y a plusieurs années, quand on a ouvert la porte du recours aux dossiers de Revenu Canada, le commissaire à la protection de la vie privée de l'époque nous a recommandé de ne pas franchir cette porte, en expliquant qu'une fois entrouverte, elle continuera de s'ouvrir de plus en plus.

La Constitution donne-t-elle à Revenu Canada le pouvoir d'agir comme agence de maintien de l'ordre?

M. Lefebvre: Nous ne sommes pas un organisme de maintien de l'ordre public. Nous percevons les impôts. Nous avons de vastes pouvoirs d'accès à l'information pour exercer ces responsabilités. Ce que nous faisons en l'occurrence, c'est partager une infime partie de cette information.

Le sénateur Cools: C'est exact, cela fait partie du travail d'exécution.

M. Lefebvre: Il ne s'agit pas de maintien de l'ordre public, mais plutôt d'exécution d'ordonnances en matière civile; on peut donc parler effectivement d'un travail d'exécution.

Le sénateur Cools: Voilà toute ma question. Je sais que vous tirez ce pouvoir de diverses lois, mais, sur le plan constitutionnel, dans un sens plus général, d'où Revenu Canada tient-il cette autorité morale pour agir comme organisme de maintien de l'ordre public et d'exécution d'ordonnances? Comme je pose la question depuis quelques années, je dois donc comprendre que vous n'avez pas de réponse.

M. Lefebvre: Je n'ai pas de thèse à ce sujet.

Le sénateur Cools: Exactement.

Madame la présidente, on a consacré pas mal de travail à cette question il y a quelques années, et lorsque Revenu Canada a commencé à ouvrir sa porte de cette façon, cela a suscité beaucoup d'inquiétudes. Revenu Canada est un organisme chargé de percevoir l'argent des impôts auprès des contribuables. Que je sache, notre loi constitutionnelle n'a jamais prévu qu'il devienne un instrument d'exécution d'ordonnances ou de maintien de l'ordre public. Tôt ou tard, il nous faudra étudier, au comité des finances nationales ou ailleurs, cette habitude que l'on a prise de conférer à Revenu Canada le pouvoir d'accomplir ces tâches.

Quand nous élaborerons notre rapport, il faudrait y signaler que certains membres du comité s'inquiètent de ce rôle accru de maintien de l'ordre public dont Revenu Canada est chargé par les lois du Parlement. Chaque fois que je pose cette question, j'obtiens la même réponse, un silence.

Le sénateur Forest: Monsieur Lefebvre, on a posé des questions au sujet de la protection de la vie privée des personnes. Auriez-vous l'obligeance de nous dire ce que fait votre ministère pour protéger la confidentialité des dossiers?

M. Lefebvre: Tout d'abord, nous sommes bien conscients du caractère confidentiel de l'information que nous recevons et traitons. D'un point de vue pratique, notre souci de confidentialité s'explique surtout par le fait que nous fonctionnons selon un régime d'auto-cotisation. Il est très important d'assurer la confidentialité de l'information pour que le régime d'auto-cotisation fonctionne bien. Les seules exceptions sont celles que prévoit la loi. Si vous examinez la liste des exceptions, vous constaterez qu'elles existent pour le bien supérieur du pays. Elles portent sur des questions d'intérêt public. L'information est très limitée quand elle est utilisée à d'autres fins par d'autres ministères.

Le sénateur Forest: Vous êtes donc tout à fait persuadé qu'il existe suffisamment de sauvegardes pour protéger la confidentialité des dossiers individuels auxquels d'autres ministères ont accès.

M. Lefebvre: Tout d'abord, le Code criminel et la Loi de l'impôt sur le revenu prévoient de lourdes sanctions. L'une d'elles consiste en cinq années de prison en cas d'infraction. Nous avons des ententes particulières avec chacun des ministères avec lesquels nous partageons de l'information. Elles obligent explicitement le ministère à utiliser l'information uniquement aux fins prévues par la loi.

Le sénateur Forest: Votre expérience au fil des années a-t-elle été positive?

M. Lefebvre: Elle a été excellente en ce qui regarde les autres ministères et les autres provinces.

[Français]

Le sénateur Lavoie-Roux: Nous nous sommes fait dire quand on a décidé d'entendre plus de témoins, que ceci causerait une grande difficulté au gouvernement pour mettre la mesure en application pour l'année fiscale 1997-1998. Cela vous empêcherait de prendre les mesures prévues par la loi. Est-ce que ceci vous empêche au plan fiscal? On ne retarde pas pour le plaisir de retarder. On a d'autres projets de loi pour s'intéresser. On trouvait qu'on n'avait pas toute l'information nécessaire. Est-ce que cela vous crée un problème pratique?

M. Lefebvre: Le problème pratique est le suivant: les mesures budgétaires pour passer d'un régime fiscal de déductions à l'autre, d'un plan à l'autre, sont déjà adoptées. Nous avons élaboré une formule pour le 1er avril. Les deux conjoints peuvent nous demander de passer au nouveau régime. Quand vous avez 300 000 clients potentiels, vous pouvez comprendre les difficultés de communication, de la bonne information, claire, cela est important et cela peut prendre un peu de temps pour rejoindre les 300 000 personnes et bien leur expliquer la situation, répondre à leurs questions, entraîner notre personnel et tout cela.

Nous avons retardé notre communication avec nos 300 000 clients potentiels qui ont besoin de cette information pour prendre une décision éclairée le 1er avril. Nous ne voulons pas communiquer avec eux sans savoir qu'on a une loi en place parce que le tout vient ensemble.

Le sénateur Lavoie-Roux: Cela vous permet encore d'agir. Si la loi est adoptée avec ou sans amendement, cela ne vous crée pas de problème en 1997-1998.

M. Lefebvre: Le plus tôt est le mieux. Je n'ai pas regardé le nombre de journées nécessaires. On voudrait communiquer avec les gens avant le 1er avril 1997 et avoir une chance de leur donner l'occasion de poser les questions nécessaires pour prendre une décision éclairée. Il faut fournir une formule et la retourner au ministère, et cetera.

Le sénateur Lavoie-Roux: Cela vous donne jusqu'à la mi-mars 1997.

M. Lefebvre: Avant si possible.

Le sénateur Lavoie-Roux: Si c'était demain, cela serait encore mieux. Cela ne deviendra pas un obstacle à l'application si ceci est adopté.

M. Lefebvre: On va faire avec ce que l'on a. Les gens vont se sentir bousculés. Ils n'auront pas beaucoup de temps pour prendre leurs décisions. On va immédiatement communiquer avec les 300 000 clients.

[Traduction]

La présidente: Je tiens à vous remercier de vous présenter devant le comité ce matin. Il était important pour nous de connaître votre point de vue sur la question.

Nous entendrons maintenant la porte-parole de la Ottawa Association of Family Mediators, Mme Connie Renshaw, médiatrice familiale.

Mme Connie Renshaw, médiatrice familiale, Ottawa Association of Family Mediators: Madame la présidente, je vous ai envoyé un bref mémoire pour vous exposer mes réflexions de façon succincte et susciter des questions chez vous et chez les membres du comité. Une bonne partie de ce que j'ai à dire vient de ma propre expérience, de ma façon de voir les choses, et résulte de mon travail auprès de 500 familles au moins en 15 ans.

Je n'ai malheureusement pas beaucoup de matériel de recherche à vous présenter. On peut en trouver partout en Amérique du Nord et dans certains autres pays, comme l'Angleterre et l'Australie. Il faudrait cependant beaucoup de temps pour tout rassembler. Comme je travaille comme médiatrice pour gagner ma vie, le temps dont je dispose pour effectuer ce genre de recherche est limité. J'espère que mon témoignage devant votre comité fera naître chez vous le désir d'effectuer cette recherche, car c'est le genre de recherche qui n'est pas disponible ici au Canada. Nous tirons de l'arrière dans ce domaine.

Je voudrais vous donner un exemple de ce qui se passe quand une séparation se produit. Par exemple, un couple décide de se séparer pour telles ou telles raisons. Pratiquement la première chose que font ces conjoints, c'est de dire: «Je vais consulter mon avocat.» Ils sont en colère. Ils n'ont pas du tout déterminé pour quelles raisons ils se séparent. Ils sont tout simplement fâchés; ils ont décidé qu'ils allaient maintenant se séparer et consulter leurs avocats respectifs.

Le langage que leurs avocats utilisent avec eux vient directement de la Loi sur le divorce. Les mots ont un caractère avilissant et les plongent immédiatement dans un climat de conflit. L'avocat leur dit qu'ils peuvent avoir la garde des enfants ou qu'ils devront se battre pour avoir accès aux enfants. Il ne leur dit pas qu'ils sont des parents et qu'ils ont des droits et des responsabilités à l'égard de leurs enfants. Non, ils sont placés immédiatement devant deux éventualités: l'un aura la garde des enfants -- le gagnant -- et l'autre non -- le perdant. Le prix de consolation sera l'accès aux enfants, quoi que ce soit qu'on entende par là. La colère monte immédiatement.

Imaginez-vous que la séparation est motivée en partie par le fait que l'un des conjoints a eu une liaison, ou a peut-être même un enfant avec une autre personne et est prêt à entrer dans une autre relation conjugale. Dans ces conditions, les mots utilisés en matière de garde d'enfants ne peuvent que faire éclater la douleur des motifs de conflit non résolus existant entre eux. Il est donc d'autant plus probable que quelqu'un dira: «Je vais me battre pour arracher tout l'argent que je peux, parce qu'il n'est absolument pas question que cette personne, qui aura l'autre enfant, ait de l'argent pour ça.» Ou bien, «Il n'est absolument pas question que mon ex-femme élève un enfant avec quelqu'un d'autre qui a plus d'argent que moi et qui aura aussi les moyens d'aller à l'opéra et de faire toutes sortes de choses tandis qu'on me laisse derrière.»

Je parle au niveau des sentiments, parce c'est à ce niveau que les gens se placent. Cependant, ce qu'ils entendent de la part de leurs avocats -- que je ne veux en rien rabaisser -- c'est qu'ils obtiendront ou non la garde des enfants ou l'accès. L'accès n'est pas quelque chose qui vient facilement; il faut se battre pour l'obtenir. Il faudra peut-être même s'adresser aux tribunaux pour avoir un droit d'accès aussi généreux qu'on le souhaite vraiment.

À cause de nos lois, on ne parle pas des besoins des enfants dans les études d'avocats, sauf au niveau pécuniaire: «Combien avez-vous les moyens de payer?» Tout est en termes d'argent. Il n'est pas question des besoins des enfants. Voici plutôt les questions que l'on pose: de combien de temps ont-ils besoin de la part de chacun des parents? À quels genres d'activités devraient-ils participer? À quels genres d'activités participaient-ils avant la séparation, et quelles sont celles qu'il leur faudra abandonner puisque chacun des parents a moins d'argent? Combien d'argent dépensera-t-on pour les vêtements? Qui sera chargé de les acheter? Combien d'argent faut-il pour nourrir des enfants? Qui sera chargé d'acheter et de préparer la nourriture, ou de faire le ménage? Et pour les livres, les sorties au cinéma, les cours de natation? Qui s'en charge? Qui paie? Comment procède-t-on?

Dans les familles intactes, les parents discutent de ces questions. Ils prennent des décisions et font des sacrifices pour que les enfants puissent bénéficier de tout ça, pour contribuer à leur développement. Dans les familles séparées, les parents ne parlent pas beaucoup de ces questions, à moins de s'adresser à des médiateurs familiaux, dont la plupart jugent ces questions essentielles. Faute de consulter un médiateur familial, ces questions sont habituellement abordées sous l'angle de celui qui peut établir le meilleur budget et qui a le plus d'argent pour payer.

Je respecte ce que vous faites en ce qui a trait aux questions d'argent, car il s'agit d'un aspect essentiel et je ne suis pas idéaliste au point de croire qu'il n'existe pas de mauvais payeurs à l'égard desquels ces mesures d'exécution s'imposent, mais nous rendons un mauvais service aux parents qui se séparent ou qui divorcent en leur donnant des mots pour se battre au lieu de les encourager à se parler, à discuter et à prendre des décisions. Les parents séparés ou divorcés doivent savoir qu'ils peuvent modifier leurs décisions à mesure que le temps passe et faire intervenir leurs enfants, et que les décisions qu'ils prennent concernant leurs enfants sont des décisions qui peuvent être appropriées, correctes et qui répondent à tous leurs besoins à un moment donné, mais aussi des décisions qu'il faudra peut-être réexaminer et modifier avec le temps, comme dans les familles intactes. On pourrait donc modifier le libellé du projet de loi pour refléter cette situation. Cela s'est fait ailleurs dans le monde.

Plusieurs États des États-Unis, ainsi que des pays comme l'Angleterre et l'Australie, par exemple, se sont engagés dans cette voie, et il est temps que le Canada commence à s'attaquer à ce problème. Nous tenons en l'occurrence une bonne occasion de le faire. Je vous incite à le faire du fond du coeur. Vous pouvez poser toutes les questions que vous voulez.

La présidente: Comment pensez-vous que nous pourrions faire comprendre à ces couples qu'ils devraient s'adresser à un médiateur familial avant de consulter un avocat?

Mme Renshaw: Aux termes de la Loi sur le divorce, la première chose qu'un avocat est censé recommander aux gens après les avoir informés des droits que leur reconnaît la loi, c'est de recourir à la médiation. Il est temps de faire quelque chose de plus pour que cela se fasse, parce que cela ne se fait pas assez, comme les avocats vous le diront eux-mêmes.

Le sénateur Cohen: Pour commencer, j'ai été vraiment conquise à la lecture de votre mémoire. Je suis ni sociologue ni juriste, mais une Canadienne ordinaire. Vous parlez du monde réel. Vous faites des suggestions valables. Je me suis déjà informée au sujet de la médiation. Je crois énormément en la médiation, car non seulement elle contribue à atténuer les situations de confrontation, mais tout le conflit s'en trouve en quelque sorte dissipé quand on a la chance d'entrer dans ce processus.

Je vois que vous recommandez de préparer et de diffuser un document visant à clarifier le rôle des parents après la séparation et de lancer une campagne de publicité pour promouvoir une conception positive du rôle de parent. Si l'on devait adopter ce projet de loi imparfait, ces deux recommandations devraient aller de pair avec les changements que vous proposez d'apporter à la terminologie. Nous aurions dû examiner cet aspect il y a 20 ans. Modifier la terminologie n'aura pas d'incidence sur l'objet poursuivi par le gouvernement. Les termes ne devraient pas prêter à controverse, car les termes actuels créent un climat de conflit. Je tenais simplement à vous le faire savoir.

Mme Renshaw: Les recommandations viennent appuyer ce que j'ai dit. Pour votre information, dans la région d'Ottawa, les médiateurs familiaux, réunissant aussi bien ceux qui ont une formation en droit que ceux qui ont une formation en dynamique familiale, ont élaboré depuis huit ou neuf ans un cours de six semaines intitulé «The Separation and Divorce Experience» qui est donné deux fois par année. Ce cours vise précisément à aider les conjoints qui se séparent à comprendre en quoi consiste le processus, quelles en sont les conséquences et ce qui pourrait arriver s'ils prenaient telle ou telle décision. Cela n'est cependant pas suffisant. Tout cela se fait sur une base bénévole. Nous sommes tous fatigués. Nous sommes un tout petit nombre à le faire régulièrement.

Le sénateur Cohen: C'est angoissant également.

Mme Renshaw: Ça l'est, et il faut que ces cours se donnent plus fréquemment. Il faut leur faire de la publicité, mais nous n'avons pas l'argent nécessaire pour leur en faire à tel point que le public en général en fasse la demande.

Les médiateurs familiaux possédant une formation en dynamique familiale sont en train de mettre au point, en association avec trois organismes de services aux familles de la région d'Ottawa-Carleton, un programme à l'intention des parents en instance de séparation que l'on pourra, je l'espère, offrir à tous les trois ou quatre mois. Je le répète, cela aidera les parents à comprendre l'importance de leurs décisions. Ce sont toutes là des mesures utiles et d'un grand secours. Ce serait vraiment formidable si l'on avait dans la loi des termes qui viennent appuyer ce que nous faisons pour aider les parents et si l'on menait également une campagne pour les sensibiliser à la nécessité d'obtenir ce genre d'information avant de prendre des décisions.

Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question, parce que vous demandiez quel genre de choses on pourrait faire et comment.

Le sénateur Forest: Je pourrais certainement réitérer ce que le sénateur Cohen a dit au sujet de votre mémoire et au sujet de la médiation. Pour situer le contexte de mes observations, je dirai que j'ai deux enfants divorcés qui ont pu, grâce au counselling et à la médiation, parvenir à des règlements à l'amiable et équitables. Ma famille s'est enrichie en devenant une grande famille élargie et reconstituée.

Je suis certainement d'accord avec vos troisième et quatrième recommandations.

Quant aux changements terminologiques, en ce qui concerne surtout le parent qui a la garde des enfants et celui qui n'en a pas la garde, nous avons entendu un certain nombre de réactions négatives, et nous avons été plusieurs à réagir négativement nous aussi.

Avez-vous des recommandations concrètes ou réalisables à faire pour remplacer ces deux expressions par d'autres qui pourraient paraître moins péjoratives et donner une image plus positive aux deux parents?

Mme Renshaw: Il faudrait utiliser des expressions comme «parent», «rôle de parent», «plans d'éducation des enfants» et «parent à domicile» au lieu de «garde des enfants», «droit d'accès» ou «parent ayant la garde des enfants» et «parent n'ayant pas la garde des enfants».

La concept de garde, d'après la façon dont nous en parlons, donne aux parents l'impression qu'ils possèdent un sac de pommes de terre. J'ai eu affaire à des adultes dont les parents s'étaient séparés lorsqu'ils étaient enfants. Après avoir lu toute l'information et la documentation sur le divorce, ils ont réagi très négativement, même en tant qu'adultes, en se rendant compte qu'ils avaient pratiquement été vendus à un des parents tandis que l'autre était réduit à un rôle marginal.

Les expressions «garde des enfants», «droit d'accès», «parent ayant la garde des enfants» et «parent n'ayant pas la garde des enfants» ne sont pas utiles pour les parents en instance de séparation.

Le sénateur Forest: Vous suggérez l'expression «parent à domicile» pour celui dont on dit maintenant qu'il a la garde des enfants. Quelle expression suggérez-vous pour celui qui n'en a pas la garde? Il faut qu'il existe une certaine différenciation pour que l'on sache de qui on parle.

Mme Renshaw: Il faut qu'il existe une certaine différenciation pour certaines familles, surtout pour celles dont un des parents n'est pas intéressé à jouer le rôle de parent, vous avez absolument raison. Je ne crois pas qu'une telle différenciation s'impose entre les parents comme tels, car ils restent des parents pour la vie.

Le sénateur Forest: Je comprends bien cela, mais nous parlons de droit de visite et de garde des enfants.

Mme Renshaw: Quand je rédige un protocole d'entente sur l'éducation des enfants, ce qui fait partie de mon travail, je dois aborder toutes ces questions, y compris celle de savoir qui a les enfants la plupart du temps. Au lieu de parler strictement de la garde des enfants, nous cherchons à établir quel parent a les enfants la plupart du temps en fonction de facteurs comme l'éducation, la santé, l'emploi et ainsi de suite. Nous cherchons simplement à établir comment les parents vont coopérer et partager la responsabilité à l'égard des enfants. Le parent qui a les enfants la plupart du temps reçoit le titre de «parent à domicile» ou parfois de «parent principal». L'autre parent est appelé le parent en résidence: il s'agit de l'un ou l'autre parent avec lequel les enfants habitent à un moment donné. En général, nous disons qu'un parent est le parent à domicile et, à ce titre, s'occupe des enfants durant tant de temps et se charge de certaines responsabilités, tandis que l'autre est le parent en résidence pour le reste du temps, selon des modalités habituellement très bien établies.

En Angleterre, on utilise les expressions «residential parent» (parent à domicile) et «non-residential parent», mais je n'aime pas utiliser cette dernière expression, car je ne pense pas qu'on puisse désigner quelqu'un par la négative, et nous devrions nous abstenir de ce genre de terminologie.

C'est difficile; si nous nous réunissions pour en discuter davantage, nous pourrions peut-être trouver quelque chose de mieux, mais l'expression «garde des enfants» n'est absolument pas utile. Il serait préférable d'utiliser une expression qui, bien que descriptive, pourrait avoir besoin d'être modifiée de nouveau, au lieu d'une expression qui n'est vraiment pas descriptive de la situation familiale.

La présidente: C'est intéressant.

Le sénateur Jessiman: Les lignes directrices proposées ne tiennent pas compte du revenu du parent qui a la garde de l'enfant. La pension alimentaire est calculée selon le revenu du parent qui n'en a pas la garde et cela, nous dit-on, parce que si le revenu du parent qui en a la garde augmente, l'enfant en bénéficiera automatiquement. En essayant d'expliquer pourquoi il faudrait tenir compte uniquement du revenu du parent qui n'a pas la garde de l'enfant, le gouvernement soutient également que le niveau de vie de l'enfant et celui du parent qui en a la garde sont inséparables puisque l'enfant habite au domicile de ce dernier.

C'est effectivement vrai. S'ils sont inséparables, et si le parent qui n'a pas la garde de l'enfant gagne plus d'argent, il ou elle -- et le plus souvent il -- doit payer davantage au parent qui en a la garde. Cela profite à l'enfant, mais cela profite également à l'ex-épouse. En versant cette pension accrue au parent qui a la garde de l'enfant sans tenir compte de son revenu à elle, cette dernière obtient l'équivalent d'une pension au profit d'un époux, ce qui n'est tout simplement pas juste.

J'ai pratiqué le droit et même si je ne me suis pas occupé de ce genre de question, j'ai eu à traiter avec d'autres qui s'en occupaient. Nous avons toujours pris en compte les revenus des deux parents qui se séparaient. Cela n'a-t-il pas été le cas pour vous pendant vos 15 années de pratique?

Mme Renshaw: Oui.

Le sénateur Jessiman: Ne pensez-vous pas qu'on devrait continuer de prendre les deux en compte?

Mme Renshaw: Je ne suis pas venue ici pour parler du faible pourcentage de parents qui ont besoin de beaucoup de contrôle et de mesures d'exécution.

Le sénateur Jessiman: Vous voulez dire ceux qui ne paient pas.

Mme Renshaw: Oui, ceux qui ne paient pas, qui n'ont aucunement l'intention de payer et dont les enfants sont le moindre de leurs soucis. Ce sont ceux qui estiment avoir été traités injustement, et ils ne sont pas intéressés à payer. Je ne porte absolument aucun jugement à leur égard. Je dis simplement qu'ils constituent un groupe infime dont il faudrait faire abstraction pour le moment. Considérons la majorité des gens qui se séparent. Une majorité d'entre eux ne recourent jamais aux avocats ni aux tribunaux. Ils décident de se séparer et fixent les conditions par eux-mêmes. Plus tard, quand ils veulent se remarier, ils demandent le divorce. Je connais un grand nombre de gens qui ont fait cela. Ils sont beaucoup plus nombreux que ceux qui consultent leur avocat et intentent une action en justice.

Il existe un troisième groupe, ceux qui ont besoin d'aide, pour quelque raison que ce soit. C'est peut-être parce qu'ils n'ont pas beaucoup de soutien familial, ou bien ils n'ont pas accès au genre de soutien dont ils ont besoin pour discuter de ce qu'ils doivent faire et prendre eux-mêmes des décisions. Ils ont besoin d'aide. Ils ont besoin d'aide juridique, et je pense qu'ils ont besoin d'aide en matière de médiation familiale. La grande majorité des gens de ce groupe ont besoin de la médiation familiale, mais pas parce qu'ils ne veulent pas payer de pension alimentaire pour leurs enfants. Ils sont peut-être furieux que leur ex-épouse bénéficie de la pension alimentaire parce qu'ils sont en proie à des conflits affectifs non réglés et ne sont pas capables de surmonter cette difficulté à cause de la terminologie utilisée en l'occurrence. Ils restent bloqués sur le fait que leur argent profitera à l'autre conjoint. C'est bien sûr qu'il profite à l'autre conjoint, mais c'est inévitable.

Le sénateur Jessiman: Cela devrait fonctionner dans les deux sens.

Mme Renshaw: Cela fonctionne effectivement dans les deux sens.

Le sénateur Jessiman: Si le parent qui a la garde de l'enfant obtient une augmentation de salaire, ne devrait-on pas en tenir compte également? Il y a beaucoup plus de femmes sur le marché du travail, et l'écart entre les revenus se referme graduellement.

Mme Renshaw: C'est exact.

Le sénateur Jessiman: S'il en coûte tant pour subvenir aux besoins des enfants et si un parent obtient une augmentation, ce dernier devrait sûrement payer un peu plus et l'autre un peu moins, peu importe le pourcentage établi au début.

Mme Renshaw: Cela arrive tout le temps.

Le sénateur Jessiman: Aux termes des lignes directrices, une hausse du revenu pour le parent qui a la garde des enfants ne sera pas prise en compte, et c'est cela le problème.

Mme Renshaw: J'ai examiné les lignes directrices, mais comme je n'ai pas demandé l'opinion des avocats à ce sujet, je ne peux parler de cet aspect. La seule chose que des avocats m'aient dite, c'est qu'ils craignaient que les juges considèrent le maximum suggéré comme le maximum absolu et y limitent la pension alimentaire. Cela répond peut-être à votre question.

Cependant, dans le cas de ceux qui sont fâchés et en colère, mais qui veulent faire quelque chose pour leurs enfants et qui cherchent à obtenir des conseils, ils devraient pouvoir s'adresser à un service où ils pourraient parler de ce qui les tracasse, expliquer pourquoi les questions d'argent les dérangent tant et dire à quoi ils veulent voir servir l'argent qu'ils paient pour leurs enfants. De cette façon, je crois qu'ils seraient capables de parvenir à une entente qui non seulement fera leur affaire pour le moment, mais qui portera également les germes de changements à venir, du genre de ceux que vous décrivez.

Je vois cela se produire dans la médiation familiale. Des gens viennent nous voir pour parler de leurs problèmes et mettre au point une entente; quelques années plus tard, quand les circonstances ont changé, ils reviennent et nous disent: «Nous avons reçu tellement d'aide il y a trois ans que nous pensons être en mesure de mettre une entente au point nous-mêmes; mais comme nous voulons être sûrs de notre coup, nous voulons en discuter avec vous.» Ils viennent précisément parler de ce qui a changé dans leur situation.

Le sénateur Jessiman: Quand vous discutez avec les gens dans le cadre de votre travail de médiation, vous tenez compte de la situation financière des deux parties.

Mme Renshaw: Je n'en tiens pas compte en tant que médiatrice familiale. Je suis une tierce personne neutre.

Le sénateur Jessiman: Il vous faut cependant connaître les faits.

Mme Renshaw: Les gens qui viennent discuter de leurs problèmes avec nous connaissent les faits.

Le sénateur Jessiman: Ils tiennent compte des deux revenus.

Mme Renshaw: Oui, ils en tiennent compte.

Le sénateur Jessiman: Je vous signale maintenant qu'une fois la loi modifiée, quand ces gens s'adresseront à vous -- et vous devez vous conformer à la loi comme ils doivent le faire eux aussi -- ils tiendront compte uniquement du revenu du parent qui n'a pas la garde des enfants. Je prétends que ce n'est pas juste. On s'écarte de la réflexion qui a inspiré le concept initial.

Mme Renshaw: C'est vrai si les tribunaux sont saisis de l'affaire. Cela ne dit pas non plus que la loi importe peu aux gens qui décident quoi faire par eux-mêmes. Voilà la réalité. La loi ne peut pas dire aux gens comment jouer leur rôle de parent. Elle ne peut pas le faire. Les gens qui décident de faire les choses différemment ne consulteront pas la loi; ils vont plutôt considérer leur situation de façon réaliste et en tirer partie. Un grand nombre de gens ne consultent jamais cette loi et ils prennent des décisions sans cette information.

Le sénateur Jessiman: Je suis étonné que vous disiez cela.

Le sénateur Losier-Cool: J'ai tâché de suivre votre réflexion. Comme élément de réponse à ces questions, je voudrais savoir ce qu'on entend par rôle de parent? Cela se limite-t-il à subvenir aux besoins matériels de l'enfant, ou bien, comme vous le dites dans votre mémoire, s'agit-il de développer les aptitudes de l'enfant en veillant à son éducation, à son évolution spirituelle et à sa santé physique et émotionnelle? On pourrait ajouter que le rôle de parent consiste à s'occuper et à prendre soin de l'enfant. Il s'agit, à mon avis, de prendre en considération les besoins de l'enfant. Voilà en quoi consiste le rôle de parent.

Je reconnais que nous devrions nous soucier du rôle de parent, mais je suis d'accord avec les lignes directrices. Reconnaissez-vous que nous avons là une amélioration du régime actuel de pension alimentaire pour enfants?

Mme Renshaw: Tous ceux à qui j'en parle y voient une amélioration. Les lignes directrices qu'on a rendues publiques servent à appliquer le projet de loi. À en juger d'après ce que j'ai entendu, les gens y réagissent en général très favorablement.

Le sénateur Bosa: En posant sa question, le sénateur Jessiman a dit que, en cas de hausse de son revenu, le parent qui n'a pas la garde des enfants devra augmenter la pension alimentaire qu'il verse au parent qui en a la garde, dans une mesure proportionnelle à cette hausse. Dans le cas inverse, cela ne pourra pas se faire. Or, on entend dire ici aujourd'hui que si c'était le cas, le parent qui n'a pas la garde des enfants peut demander une révision du montant de la pension alimentaire. Le témoin est d'accord avec moi. Il peut demander une révision, et le revenu du parent qui a la garde des enfants fait alors l'objet d'une révision. N'est-ce pas un fait?

Mme Renshaw: Je crois que la disposition relative au «changement de situation» s'appliquerait, peu importent les modifications que le projet de loi apportera à la loi. Je crois que c'est vrai, mais je ne suis pas juriste. Il faudrait poser la question à quelqu'un possédant une formation dans ce domaine.

Le sénateur Bosa: Corrigez-moi si je me trompe, mais ce n'est pas à sens unique.

Mme Renshaw: Non.

Le sénateur Bosa: Le projet de loi semble imposer au parent qui n'a pas la garde des enfants l'obligation de révéler ses sources de revenu, mais cette obligation ne s'applique pas au parent qui en a la garde. Je dirais qu'elle s'applique aux deux. Si le parent qui n'a pas la garde des enfants demande une révision, l'autre doit divulguer tous les revenus qu'il ou elle touche.

Le sénateur Jessiman: C'est toute une épreuve. Ce n'est absolument pas le cas.

J'ai un autre sujet à aborder. Dans vos 15 années de pratique, vous ne vous êtes sans doute pas occupée uniquement de couples séparés ou de couples divorcés, mais aussi de couples avec des enfants.

Mme Renshaw: C'est exact.

Le sénateur Jessiman: Dans certains cas, vous avez sans doute présidé à des règlements par lesquels les parents se partageaient la garde des enfants à égalité, n'est-ce pas?

Mme Renshaw: C'est vrai. J'ai cependant du mal à accepter cette terminologie.

Le sénateur Jessiman: Il s'agirait alors d'une garde partagée.

Mme Renshaw: Je n'ai jamais vu dans toute ma carrière un partage parfaitement égal. Ce n'est pas possible.

Le sénateur Jessiman: Je connais des cas où la garde partagée signifie bien plus qu'une semaine seulement dans le temps des Fêtes. Les parents avaient les enfants deux jours par semaine en plus de la fin de semaine. C'est presque 50 p. 100 du temps chacun, mais ce pourrait être 60 et 40 p. 100. Dans ces cas-là, on tient compte du parent qui a la garde des enfants pendant 40 p. 100 du temps.

En 1995, plusieurs avocats et spécialistes du droit de la famille se sont réunis et ont recommandé qu'en cas de garde partagée dans une proportion de 60 et 40 p. 100 du temps, on tienne compte du 40 p. 100 chez l'autre parent. Je ne sais pas si vous le savez, mais en vertu de la loi actuelle, le partage doit être à égalité pour qu'on tienne compte de l'argent dépensé par le parent qui n'a pas la garde des enfants. Dans le cas qui m'intéresse, il garde pourtant l'enfant 40 p. 100 du temps. Il paie pour les repas de l'enfant et l'a chez lui 40 p. 100 du temps, malgré le fait qu'il doit payer comme s'il ne s'occupait pas du tout de l'enfant. Est-ce injuste? Êtes-vous d'accord avec ça?

Mme Renshaw: Je suis d'accord avec ce que vous dites. À en juger d'après ce que vous dites, ce serait injuste. Je tiens cependant à faire remarquer encore une fois que les parents qui discutent de ces questions trouvent le moyen de les résoudre. Quand ils prennent des décisions, ils sont encouragés à se comporter comme des parents, à ne pas tenir compte de ce que dit la loi et à s'y reporter uniquement quand ils ne peuvent pas en arriver à un règlement.

Vous vous trouvez dans une position très difficile, car vous devez adopter des dispositions pour les gens qui ne sont pas capables d'en arriver à des décisions par eux-mêmes. Même si vous devez surtout réfléchir à ce qui peut arriver aux gens qui ne parviennent pas à s'entendre, je vous incite fortement à modifier la loi pour y changer les termes par lesquels on y désigne les parents en supprimant les expressions qui les rabaissent. Ainsi, on les aiderait à décider ce qui est préférable pour tous en tant que famille.

Le genre de situation que le sénateur Jessiman vient d'évoquer peut se produire plus rarement. Voilà vraiment ce que je veux dire.

Dans la pratique de ma profession, j'ai vu souvent des parents donner beaucoup plus que ce qu'ils avaient les moyens de donner parce qu'ils avaient décidé de se sacrifier pour mieux subvenir aux besoins de leurs enfants. Voilà ce qu'il nous faut encourager, mais la loi ne le fait pas. C'est la lacune que je cherche à combler.

Dans les écoles, on s'occupe souvent des besoins de quelques élèves plutôt que de ceux de la majorité. C'est ce qui se produit dans le cas des familles qui se séparent actuellement.

Le sénateur Bonnell: Je vois que vous vous présentez comme une médiatrice familiale. Vous dites avoir 15 années d'expérience dans ce domaine.

Mme Renshaw: C'est exact.

Le sénateur Bonnell: Où avez-vous reçu votre formation de médiatrice familiale?

Mme Renshaw: J'ai un diplôme en psychologie et une maîtrise en travail social, c'est-à-dire en dynamique familiale. J'ai obtenu ces diplômes de l'Université Carleton. Par la suite, j'ai suivi deux cours à l'Université de Toronto avec le professeur Howard Irving dès les tout débuts de la médiation familiale. J'ai assisté à presque toutes les conférences qu'on puisse imaginer en Amérique du Nord afin de devenir une véritable médiatrice familiale professionnelle. Depuis, j'ai poursuivi dans cette voie: tout d'abord, je fais partie du conseil d'administration de l'association des professionnels de l'éducation sociale et de la médiation familiale de l'Ontario; deuxièmement, j'ai organisé plusieurs conférences, dont la dernière conférence nationale qui s'est tenue à Ottawa; et, troisièmement, depuis huit ans, j'enseigne et je donne de la formation en médiation familiale à l'Université Carleton avec trois autres médiateurs familiaux possédant une formation juridique.

Là d'où je viens, il existe une croyance interdisciplinaire en la famille. Je la mets également en pratique dans la façon dont j'enseigne et donne de la formation. Dans mon travail de médiation, lorsque j'ai affaire à des couples qui sont vraiment en conflit et qui ont un grand nombre de problèmes, je fais de la médiation en association avec un avocat spécialisé en droit de la famille.

J'ai une maîtrise en travail social et une formation en médiation familiale, mais j'ai beaucoup plus que cela si l'on considère ce que j'ai fait pour me perfectionner sur le plan professionnel.

Le sénateur Bonnell: Êtes-vous mariée et avez-vous des enfants?

Mme Renshaw: Je suis mariée, j'ai des enfants et j'espère devenir grand-mère dans un avenir très rapproché.

Le sénateur Bonnell: Avec ce genre de formation et ce genre d'expérience, je crois qu'on a mis la charrue devant les boeufs. Avant de se marier, les gens devraient recevoir une formation sur l'art d'être parent.

Mme Renshaw: Je suis absolument d'accord.

Le sénateur Bonnell: Je ne sais pas si votre expérience ou votre formation vous ont donné l'occasion de lire mon ouvrage, L'enfant en péril.

Mme Renshaw: Non, je suis désolée.

Le sénateur Bonnell: J'ai affirmé dans cet ouvrage que, pour avoir des enfants, il faudrait d'abord avoir suivi un cours sur l'art d'être parent. Les ministres ou les prêtres -- et un prêtre ne pouvait jamais prendre femme et encore moins avoir un enfant -- donnent aux couples des cours de préparation au mariage. Avant de se présenter à l'église pour être mariés par un prêtre, ou par un juge ou par qui que ce soit, les couples devraient pouvoir montrer qu'ils ont suivi un cours sur l'art d'être parent. Vous devriez peut-être recommander cela.

Mme Renshaw: Je suis complètement d'accord. L'Église catholique et l'Église anglicane exigent maintenant ces cours chez ceux qui désirent se marier à l'église. Les Pentecôtistes commencent maintenant à l'exiger eux aussi. Les écoles ont elles aussi un programme pour aider les adolescents à savoir ce que c'est que d'avoir des enfants. C'est un excellent programme. Tout cela est utile.

Le sénateur Lavoie-Roux: Dans quelle mesure la médiation familiale est-elle disponible pour les couples qui veulent se prévaloir de ce service?

Mme Renshaw: Nous avons de la chance, à Ottawa. Je suis arrivée ici en 1981. En 1982, des avocats et des travailleurs sociaux en matière familiale ont créé l'association des médiateurs familiaux. Nous avons travaillé d'arrache-pied depuis ce temps. Nous avons un bon nombre de médiateurs familiaux qui aimeraient être plus occupés. Leurs services sont offerts selon une gamme de prix, de sorte que tout le monde peut en trouver selon ses moyens. Les trois organismes de services de médiation familiale sont subventionnés par Centraide, de telle sorte que les gens qui n'ont vraiment pas les moyens de payer ne serait-ce qu'un dollar peuvent bénéficier gratuitement de la médiation familiale. Ces services sont donc abordables et offerts par un certain nombre de médiateurs.

Le sénateur Lavoie-Roux: Vous dites qu'ils sont abordables. Prenons le cas d'une famille moyenne dont le revenu annuel se situe quelque part entre 40 000 $ et 50 000 $. Quel taux horaire les médiateurs demanderaient-ils?

Mme Renshaw: Si le couple a un revenu de 50 000 $ et plus -- et c'est là mon seuil -- le taux est de 140 $ l'heure.

Le sénateur Lavoie-Roux: C'est beaucoup d'argent.

Mme Renshaw: C'est beaucoup moins que ce qu'il leur en coûterait de passer une journée au tribunal. C'est pas mal d'argent, en effet.

Le sénateur Lavoie-Roux: Un service d'aide juridique est offert en Ontario et au Québec, mais je n'en suis pas certaine pour les autres provinces. Ce n'est pas le gouvernement qui offre ce service en Ontario.

Mme Renshaw: L'aide juridique permettra de bénéficier de cinq à dix heures de médiation familiale, en général. Nous recevons 67,50 $ l'heure pour ce service.

Le sénateur Cools: Exigé par une ordonnance du tribunal?

Mme Renshaw: Non, pas nécessairement; les gens peuvent y recourir volontairement.

Le sénateur Lavoie-Roux: L'aide juridique ne coûte rien. Dans le cas des médiateurs, il y a quelque chose à payer. Le montant peut varier selon le revenu, mais dans le cas de l'aide juridique, ça ne coûte rien.

Mme Renshaw: Ça ne coûte rien aux parents qui veulent recourir à la médiation familiale. À l'heure actuelle, l'aide juridique paiera jusqu'à 10 heures de médiation, ce qui n'est pas suffisant dans bien des cas, mais cela aide certainement et c'est mieux que rien. Cela ne coûte donc rien, en effet.

Le sénateur Lavoie-Roux: Je songe au cas d'un couple en médiation familiale à Montréal. L'un est avocat, l'autre travailleuse sociale. Ça leur coûte beaucoup d'argent.

Mme Renshaw: Oui, ça doit.

Le sénateur Lavoie-Roux: Je suis tout à fait favorable à la médiation familiale. Je n'y trouve rien à redire. En fait, au Québec, dans la région de Montréal, c'était entièrement gratuit à un moment donné. Je ne sais pas si c'est toujours le cas.

Mme Renshaw: Non, cela a changé.

Le sénateur Lavoie-Roux: La plupart des gens autour de la table seraient favorables à la médiation familiale si cela pouvait résoudre certains problèmes. Cependant, cela ne peut pas être une solution générale pour la majorité des gens à cause des coûts en jeu.

Mme Renshaw: Je ne suis pas de cet avis. Je crois que c'est une solution pour la majorité des gens précisément parce que le coût en jeu est inférieur à tous les coûts imaginables s'ils continuent de se poursuivre devant les tribunaux. S'ils ne font rien, il est bien sûr que la médiation est plus coûteuse. Ce n'est pas de cela que nous parlons, mais plutôt des gens qui intentent des poursuites devant les tribunaux. Les poursuites judiciaires sont extrêmement coûteuses. J'ai vu moi-même des gens qui, après avoir dépensé 30 000 $ ou 40 000 $ et avoir vendu leur maison pour payer ces coûts, se retrouvent avec absolument rien et recourent à la médiation pour faire cela même qu'ils auraient dû faire six mois plus tôt.

Le sénateur Lavoie-Roux: Si nous recommandions au gouvernement de généraliser davantage le recours à la médiation familiale, il faudrait songer à y consacrer pas mal d'argent, n'est-ce pas?

Mme Renshaw: Que voulez-vous dire?

Le sénateur Lavoie-Roux: Le gouvernement devrait tenir compte du fort montant d'argent nécessaire pour fournir ce genre de service aux gens.

Mme Renshaw: Les personnes qui touchent des allocations familiales seraient automatiquement admissibles à une aide financière pour la médiation familiale, de trois façons: tout d'abord, grâce à l'aide juridique -- laquelle, aussi limitée soit-elle, existe quand même; deuxièmement, grâce aux trois organismes de services aux familles; et, troisièmement, grâce au fait que la plupart des médiateurs familiaux acceptent régulièrement un ou deux cas gratuitement.

Le sénateur Lavoie-Roux: Cela vaut pour votre région, mais pas pour la plupart des provinces ni pour la plupart des régions du Canada. Combien de personnes pourraient se prévaloir de ce service, disons, à Chalk River?

Mme Renshaw: Nous tâchons d'avoir des médiateurs là-bas. Nous en avons à Sudbury. J'assistais récemment à une assemblée à Toronto. Le service se rencontre maintenant dans le Nord de l'Ontario. Dans cette région, on tient compte du fait qu'une bonne partie des gens n'ont pas beaucoup d'argent, de sorte que les médiateurs y sont établis sous l'égide des organismes de services aux familles pour le moment. Si Centraide décidait qu'elle n'a pas d'argent à y consacrer, cette source de financement disparaîtrait. Vous avez raison. Cette question mérite réflexion.

Le sénateur Lavoie-Roux: Au Québec, à un moment donné, je voulais instituer la médiation familiale pour tous ceux qui en voulaient, mais il y avait beaucoup de disputes entre les comptables, les avocats, les travailleurs sociaux et les psychologues. En général, les travailleurs sociaux étaient davantage engagés dans ce domaine. Avez-vous résolu ce problème en Ontario?

Mme Renshaw: Avons-nous résolu le problème des gens?

Le sénateur Lavoie-Roux: Le ministre de la Justice n'a jamais réussi à parvenir à une décision finale à cause des disputes entre les fonctionnaires du ministère des Affaires sociales et ceux du ministère de la Justice. Ces derniers estimaient que cette question devait relever de leur compétence, et nous aussi. Comment cela fonctionne-t-il ici, en Ontario?

Le sénateur Cools: Les avocats vous apprécient-ils davantage qu'auparavant?

Mme Renshaw: Oui, mais ils ne sont pas encore sûrs de nous. Ils se demandent encore un peu ce que nous faisons au juste. Il y a encore une lutte pour le contrôle. La nature humaine est ainsi faite. Je ne sais pas quand cela s'arrangera.

La lutte en faveur de la médiation familiale a quelque chose de noble dans ses efforts pour faire adopter cette pratique et pour faire accepter une nouvelle terminologie. Quoi qu'il en coûte au début, cela finira par représenter moins que ce que l'on dépense actuellement. C'est inévitable, car les gens vont quelque part pour discuter à fond de leurs problèmes et pour les résoudre eux-mêmes selon des modalités correspondant à leurs moyens financiers. Au bout du compte, cela coûtera moins cher.

C'est un acte de foi que de croire en la capacité de parents en instance de séparation de parvenir à une entente, mais nous les avons bien crus quand ils se sont mariés. Il faut simplement un autre petit acte de foi.

Le sénateur Lavoie-Roux: Y a-t-il un pays ou une province où cela existe déjà, c'est-à-dire où l'on invite les gens qui veulent divorcer à recourir d'abord à la médiation familiale?

Mme Renshaw: Au Canada, on est censé leur offrir ce service. La Loi sur le divorce demande à l'avocat de le faire. Cela n'arrive tout simplement pas aussi fréquemment qu'il le faudrait.

Le sénateur Lavoie-Roux: N'est-ce pas parce qu'il y pénurie de médiateurs?

Mme Renshaw: C'est en partie attribuable au problème de champs de compétence dont vous parliez il y a un instant.

La présidente: Les avocats sont censés le recommander.

Le sénateur Cools: J'étais autrefois très engagée dans le dossier de la médiation familiale au Canada. Quand il était ministre de la Justice, Mark MacGuigan a pratiquement donné naissance à la médiation familiale au Canada. Le professeur Irving, auquel le témoin a fait allusion, était un des précurseurs dans ce domaine.

J'ai vraiment du respect pour certains de ces praticiens. Certains d'entre eux sont extrêmement doués et excellent à extirper des couples de véritables creux dans une relation. Je lève mon chapeau devant quelqu'un qui peut s'asseoir entre deux conjoints qui se querellent et les amener à comprendre leurs limites et leurs déceptions.

Le divorce fait ressortir les côtés peu reluisants chez les deux parties. J'ai lu beaucoup de correspondance de la part de personnes qui ont quitté le foyer à la première étape de la séparation et qui sont allées exposer leurs problèmes à un avocat. Le langage qu'utilisent certains avocats dans leur correspondance -- les menaces et les pressions -- peut être absolument horrible. La situation est en elle-même bien mauvaise.

Vous avez dit que la première chose que font certaines personnes, c'est de consulter un avocat, et ce dernier discute à leur place. D'accord, beaucoup d'avocats ont dit qu'à mesure qu'ils prennent de la maturité, ils cessent d'utiliser un langage dur. À un moment donné au cours des dix dernières années en Ontario, l'idéologie a envahi le terrain et est allée trop loin. Avez-vous des observations dont vous pourriez nous faire part sur la pénétration de l'idéologie féministe dans le domaine du droit de la famille et sa pratique? Le dommage est si énorme que nous en sommes tous encore ébranlés au moment où nous tentons de soigner certaines des blessures. Pouvez-vous nous donner un aperçu de la situation à cet égard?

Mme Renshaw: C'est comme si vous me demandiez de marcher sur des charbons ardents.

Le sénateur Cools: Ce n'est pas une affaire de tout repos que de parler de la famille.

Mme Renshaw: En effet. Certains des nouveaux avocats qui sortent des facultés ont été tellement bien formés en matière de médiation familiale qu'à l'avenir, la médiation aura encore davantage de soutien que par le passé. C'est merveilleux.

Je tiens également à décharger les avocats de cette responsabilité qu'on leur attribue. Ce ne sont pas les avocats eux-mêmes, mais la nature de la loi et la tradition juridique qui créent le problème. Les avocats font leur travail. On leur demande d'exercer leur profession du mieux qu'ils peuvent. Cela veut dire donner les meilleurs conseils à leurs clients. Et les meilleurs conseils font qu'une personne perdra tandis que l'autre gagnera. C'est la loi qui crée cette situation, pas l'avocat.

Il nous faut comprendre qu'ils subissent aussi des pressions. S'ils ne respectent pas les normes en vigueur dans leur domaine d'activité, ils s'exposent à des sanctions de la part de leur ordre professionnel. C'est pourquoi je reviens constamment à la nécessité de modifier les lois. C'est un aspect du problème.

Quant à la réaction des féministes à la médiation familiale, c'est une question très complexe. Pendant la formation, nous consacrons une journée complète, avec conférenciers et le reste, à cette question, mais une journée n'est jamais assez. Il sera difficile de tenter de répondre à cette question ici.

Pour faire changer les choses, il faut des gens qui ont des convictions plus profondes que les citoyens moyens. Les féministes ont fait naître une conscience de l'humanité -- des femmes, des hommes et des enfants -- que nous devons préserver. Cependant, il ne faudrait pas mélanger la question des mauvais traitements à celle de la médiation familiale. Cela est abordé sous un angle différent dans la médiation, et la formation à cet égard est différente. Lorsqu'il est question de mauvais traitements, il existe une forme d'intransigeance qui empêche certaines personnes de voir la notion de droit. Peut-être que, poussés par la volonté d'aider les autres, nous oublions parfois que les gens doivent prendre leurs propres décisions, au risque d'en prendre de mauvaises. C'est leur droit. Nous perdons parfois cela de vue. C'est tout ce que je peux dire du mouvement féministe.

Le sénateur Cools: Vous avez pris grand soin d'éviter la question, comme le fait tout le monde lorsqu'il est question de l'idéologie féministe, de peur de vous retrouver avec trois ou quatre féministes manifestant devant votre porte avec l'intention de vous terroriser jusqu'à ce que vous acceptiez leur point de vue. Je connais très bien le phénomène et je comprends. Cependant, nous tentons ici de soustraire les gens à cette forme de domination.

Vous avez parlé de la loi, des attitudes négatives, de la coercition et des instruments de vengeance, qui empirent des situations déjà désagréables. Beaucoup d'entre nous ont été très scandalisés, il y a quelques années, lorsque Revenu Canada est devenu un de ces instruments de vengeance. Le projet de loi C-41 fait passer au premier plan la coercition et la vengeance. Je pense particulièrement aux articles -- dans la partie III, je crois -- qui ont trait aux passeports et aux autorisations fédérales. À mon avis, le risque de voir ces dispositions utilisées abusivement ou comme instrument de vengeance est tel que j'en reste presque sans voix.

Avant mon arrivée au Sénat, j'ai passé de nombreuses années à étudier certains de ces problèmes dans le domaine criminel. Habituellement, lorsqu'un gouvernement confisque un passeport ou retire un permis, c'est en raison d'une utilisation illicite de ce document. Lorsque l'État confisque un passeport, c'est habituellement parce que son détenteur a commis un crime lié à l'usage de ce passeport. Lorsque l'État confisque un permis de conduire c'est parce que le conducteur a fait de la contrebande ou a commis une infraction semblable.

Les dispositions du projet de loi sont extraordinaires. C'est du jamais vu. L'expression «père mauvais payeur» embête tout le monde. Dès que quelqu'un parle du rôle parental, il est soupçonné de défendre les pères mauvais payeurs. Cette expression est un instrument puissant. Les dispositions du projet de loi qui permettent au gouvernement fédéral de confisquer un permis ou un passeport pour une infraction qui n'a rien à voir avec l'utilisation illicite de ces documents vont très loin. Avez-vous des commentaires là-dessus?

La charte interdit de restreindre la mobilité des individus en prison. La mobilité est un droit majeur accordé aux détenus par la charte. Pourquoi, en ce cas, prendre la voie que nous prenons? Avec le projet de loi, nous poussons la Loi sur le divorce dans une direction opposée à celle que nous avons prise en droit pénal.

Mme Renshaw: La question est complexe. Je suis heureuse que vous vous interrogiez sur ce qu'il faut faire des parents qui ne veulent pas être des parents. Je n'ai pas de réponse simple à donner. Si c'est moi qui décidais, je prendrais des mesures radicales. On peut craindre le pire lorsque l'on met trop de pouvoir entre les mains de personnes susceptibles d'en abuser. Il se pourrait que ce pouvoir soit exercé sans que les enfants en bénéficient le moindrement. La question fondamentale, c'est celle du bien des enfants. D'après ce que j'ai vu, les gens qui ne veulent pas payer trouvent des millions d'astuces pour ne pas le faire.

Le sénateur Bosa: Est-ce que vous et vos collègues gardez des statistiques sur les cas dont vous vous occupez dans la région d'Ottawa?

Mme Renshaw: Malheureusement non. La plupart d'entre nous n'avons ni le temps ni l'argent pour cela.

Le sénateur Bosa: Trouvez-vous que les parents qui reçoivent une aide financière pour se présenter devant un médiateur prennent plus de temps à s'entendre que ceux qui paient 140 $ l'heure?

Mme Renshaw: Pas du tout.

Le sénateur Bosa: Est-ce que les parents qui doivent payer 140 $ l'heure précipitent les choses pour parvenir à une entente?

Mme Renshaw: Non. Les gens souffrent lorsqu'ils arrivent en médiation. Dès qu'ils voient le moyen de mettre fin à cette souffrance, ils le saisissent. Ils ne tiennent pas à faire durer les choses. En général, les gens n'abusent pas de l'aide qui leur est donnée.

Le sénateur Bosa: Tenez-vous des statistiques sur le taux de réussite?

Mme Renshaw: Il faut voir ce qui constitue une réussite. Moins de 50 p. 100 des cas qui se rendent en médiation aboutissent à la rédaction d'un protocole d'entente. Si vous vous arrêtez à ce chiffre, ce n'est pas beaucoup. Cependant, j'ai entendu dire à maintes reprises par des avocats, des thérapeutes et des juges qu'ils savaient quand les gens étaient passés par la médiation, car cela modifie leur comportement. La médiation les change d'une certaine façon. Cela aussi, c'est une réussite, mais ça ne se quantifie pas.

La présidente: Merci d'être venue témoigner aujourd'hui.

Nous entendrons maintenant Jakki Jeffs.

Mme Jakki Jeffs, présidente, Hamilton Diocesan Centre, Catholic Women's League of Canada: Madame la présidente, je vous remercie de m'avoir permis d'être entendue par le comité aujourd'hui. Je sais que vous avez entendu des experts avant moi. Je ne prétends pas être une médiatrice professionnelle. Cependant, j'ai grandi dans une famille irlandaise catholique romaine de cinq personnes. Je suis mariée depuis 28 ans. J'ai un mari, des enfants, un foyer et une profession, et il me faut garder l'équilibre entre tout cela. Par conséquent, je crois avoir une certaine expérience de la médiation, quoique cela ne m'ait jamais donné aucune rémunération.

Je voudrais revenir sur quelque chose qu'a dit le témoin que vous venez d'entendre et qui n'est pas abordé dans mon mémoire. Il s'agit de l'expression «père mauvais payeur», qui nous préoccupe un peu, car elle est très avilissante.

La Catholic Women's League of Canada est devenue une organisation nationale en 1920. Elle est officiellement reconnue par la Conférence des évêques catholiques du Canada comme étant une association féminine laïque. Notre mission est celle-ci:

La Catholic Women's League of Canada est une organisation nationale attachée aux valeurs des Évangiles, qui appelle ses membres à la sainteté par le service auprès du peuple de Dieu.

Depuis 1921, nous sommes affiliés à l'Union mondiale des organisations féminines catholiques, qui a un statut consultatif auprès des agences des Nations Unies. Nous avons environ 110 000 membres au Canada et nous nous vouons avec enthousiasme au service de tous les citoyens de bonne volonté, de Dieu et du Canada. Nous croyons que, en tant qu'êtres humains et en tant que chrétiennes, nous avons la responsabilité de témoigner de la bonne nouvelle du Christ ressuscité.

En servant dans les comités permanents de la Catholic Women's League à l'échelle des paroisses, des diocèses, des provinces et du Canada tout entier, nous croyons pouvoir donner le bon exemple dans l'acquisition et l'expression d'attitudes et de principes chrétiens, et nous croyons que notre ligue peut changer le monde en apportant une aide dans nos paroisses, nos collectivités, notre pays, voire à l'échelle internationale.

Un de nos comités permanents s'appelle le Christian Family Life et parmi les grands sujets dont il s'occupe, il y a le service auprès des couples qui vivent un divorce.

Je suis ici aujourd'hui à titre de présidente du Hamilton Diocesan Centre de la Catholic Women's League, qui sert un total de 13 000 femmes catholiques romaines. On comprendra que, dans un organisme regroupant 13 000 femmes, mon expérience en médiation est mise à contribution. Mais soyons sérieux. Malheureusement, beaucoup de nos membres ont vu leur mariage se terminer par une séparation ou un divorce. J'ai discuté avec beaucoup de ces femmes. Beaucoup d'entre elles ont vécu des divorces horribles et ont dû se battre pour obtenir l'argent nécessaire pour subvenir aux besoins de leurs enfants. Elles tiennent encore à ce que toute loi soit juste. J'insiste sur le fait que c'est là une position très ferme de la Catholic Women's League.

Sur le plan de la foi, notre position c'est que le divorce constitue une offense grave contre la loi naturelle et sème le désordre au sein de la famille et de la société, ce qui cause un tort grave au conjoint abandonné et laisse les enfants traumatisés et bien souvent déchirés entre les deux parents.

Nous aimerions que notre société passe plus de temps à réfléchir au soutien social chancelant pour le mariage, aux changements rapides qui surviennent dans notre société, à leurs effets sur le mariage, à la négligence apparente de la dimension sociale du mariage et à l'isolement croissant de la famille, cette institution importante qui est traitée comme si elle n'avait que peu ou pas du tout d'influence sur la société.

Mon exposé sur le projet de loi C-41 est sous-tendu par notre engagement à aider ceux qui ont vécu un divorce et doivent faire face à leur nouvelle situation, c'est-à-dire apprendre à vivre séparé de son conjoint ou de ses enfants ou des deux.

Nous sommes ici au même niveau que tous les simples citoyens. Je n'ai probablement pas lu tout ce que vous avez lu, mais j'ai lu beaucoup de choses sur la Loi sur le divorce, sur ses modifications et sur les lignes directrices. Si vous m'interrogiez sur des sujets comme les nouvelles techniques de reproduction et l'euthanasie, je pourrais vous citer des lois de toutes les provinces du Canada et de bien des pays, mais je m'y connais un peu moins sur le sujet dont il est question aujourd'hui. Je ne suis vraiment pas une spécialiste du divorce. Toutefois, notre réaction est celle de Canadiens ordinaires et mérite donc d'être présentée ici.

Quoique le Canada n'ait pas le taux de divorce le plus élevé au monde, le mariage semble y être soumis à de grandes pressions, mais nous sommes conscients qu'il ne convient pas d'examiner cela en détail ici. Il reste que le divorce est un des résultats de ces pressions, et que la réaction du gouvernement à cette tragique situation revêt une importance capitale et doit être juste et équitable.

Nous reconnaissons que les procédures relatives aux pensions alimentaires comportent des lacunes et que, de leur côté, les provinces ont réagi à la situation en adoptant des lois qui permettent les saisies pour garantir le paiement des pensions alimentaires en retard. Nous savons aussi que la loi fédérale permet aux provinces d'utiliser les banques de données fédérales pour retracer les mauvais payeurs et d'utiliser une partie des prestations fédérales pour payer le parent qui a la garde des enfants. Par ailleurs, la loi porte que l'un ou l'autre des parents peut avoir la garde des enfants, mais, dans la majorité des cas -- environ 85 p. 100 --, c'est la femme qui obtient cette garde.

Je cite un passage de «L'évolution de la famille canadienne» portant sur les répercussions du divorce:

Certains de ces problèmes pourraient être réglés par un recours plus fréquent à la garde partagée, mais ce type de garde nécessite certains arrangements minimaux entre les ex-conjoints et n'a pas été favorisé par les avocats. La garde partagée n'a pas non plus été acceptée par les féministes parce qu'elle retire aux femmes une partie de leur pouvoir décisionnel sans améliorer leur situation financière.

J'aimerais savoir pourquoi les avocats ne favorisent pas la garde partagée et pourquoi elle répugne tant aux féministes. Ce sont là des questions importantes auxquelles il faut trouver des réponses. Pour le moment, je n'ai pas ces réponses.

Le passage que j'ai cité nous préoccupe parce que nos recherches ont démontré que la garde des enfants est la question cruciale au moment d'un divorce et qu'elle se retrouve apparemment au coeur de beaucoup des objections au projet de loi C-41. Il semble que leur expérience pousse beaucoup des témoins entendus par le comité du Sénat et celui de la Chambre des communes à s'opposer aux avocats et aux féministes sur la question de la garde partagée. Il ne fait aucun doute que la garde partagée reflète plus efficacement l'égalité des deux parents et l'égalité de leur responsabilité dans les soins des enfants, même après un divorce. Nous reconnaissons que, dans une minorité de cas, des raisons impérieuses peuvent jouer contre la garde partagée, mais c'est vraiment l'exception plutôt que la règle.

Nous reconnaissons également que le projet de loi C-41 vise à fixer le cadre d'élaboration de lignes directrices nationales sur les pensions alimentaires qui soient justes, cohérentes et sans surprise et qui servent aussi à réduire les conflits et les tensions entre les parents qui divorcent en rendant le calcul des pensions alimentaires plus objectif.

Nos recherches nous ont appris que les lignes directrices proposées sont fondées sur les dépenses moyennes faites pour les enfants compte tenu de différents niveaux de revenus. Cependant, on n'a apparemment pas tenu compte des différences d'âges. Nous tenons à signaler certaines dispositions qui nous préoccupent et expliquer brièvement comment, à notre avis, elles risquent d'aggraver les tensions et les conflits entre les parents qui divorcent.

Nous savons que le ministre de la Justice, M. Allan Rock, a déclaré que l'intérêt supérieur de l'enfant était le principal facteur qui entrait en ligne de compte dans les modifications et les lignes directrices proposées. Toutefois, nous craignons que, pour le ministre, le soutien financier soit l'élément déterminant de l'intérêt supérieur de l'enfant.

Une disposition du projet de loi C-41 éliminera les dispositions de la Loi sur le divorce qui portent que les deux parents sont financièrement responsables de subvenir aux besoins de leurs enfants. Cela nous inquiète. On a l'impression que, dans les lignes directrices, on a établi des pensions alimentaires moyennes, sans tenir compte des besoins de chaque famille. Nulle part on ne tient compte de l'âge des enfants. On semble présumer que le parent qui vit avec l'enfant lui apporte un soutien financier, ce qui peut jouer contre ce parent s'il n'est pas salarié. La pension alimentaire payée par le parent qui a dû quitter le foyer familial ne reflète pas nécessairement les besoins réels de la famille.

De plus, le parent qui n'a pas la garde de ses enfants et doit vivre séparé d'eux est traité comme s'il devait nécessairement être contraint d'assurer le soutien financier de ses enfants, et il semble que ce soit la seule forme de soins ou d'amour qui ait été prise en considération dans le projet de loi. Nous nous demandons également pourquoi on ne tient pas compte du temps -- moins de la moitié du temps -- que les enfants passent chez le parent qui n'en a pas obtenu la garde dans le calcul de la pension alimentaire.

Il est certainement dans le meilleur intérêt des enfants que les parents qui divorcent soient traités également dans cette situation tragique. Honnêtement, il me semble que les enfants servent de monnaie d'échange et que le parent qui en obtient la garde est automatiquement vu comme un parent aimant et attentionné. On a l'impression que, pour les rédacteurs du projet de loi, la seule chose importante que le parent qui n'en pas la garde peut apporter à ses enfants, c'est de l'argent.

Nous recommandons que les dispositions de la Loi sur le divorce qui confirment la responsabilité financière des deux parents soient conservées et que la garde conjointe soit envisagée plus souvent qu'elle l'est en ce moment. Nous demandons que les lignes directrices proposées ne soient pas d'application obligatoire, mais ne servent que de référence, ce qui permettrait aux tribunaux et aux parents de conserver la liberté voulue pour adapter les pensions alimentaires à chaque cas.

Je m'incline devant votre connaissance supérieure de ces lignes directrices, mais pourquoi faut-il des lignes directrices? Il en existe déjà à d'autres paliers de gouvernement. Je ne les connais pas toutes, mais pourquoi faut-il des lignes directrices fédérales? J'aimerais avoir une explication.

Des lignes directrices même réduites à leur plus simple expression pourraient constituer un lourd fardeau pour certains parents qui n'ont pas la garde de leurs enfants. Nous craignons que l'existence de lignes directrices d'application obligatoire crée beaucoup d'amertume au moment des divorces parce que la garde des enfants deviendra un sujet de conflit entre les parents et la décision ne sera pas prise avec le souci de placer les enfants dans un milieu serein ou en fonction de leurs meilleurs intérêts.

Une séparation est une situation pouvant être très déstabilisante pour des enfants, car ils voient leur monde s'écrouler et ils perdent un parent aimé. Nous irions jusqu'à dire que des lignes directrices d'application obligatoire enlèvent aux individus et aux tribunaux le pouvoir de déterminer ce qui constitue une pension alimentaire juste et raisonnable. Nous croyons que le dialogue et la médiation réduisent considérablement les risques de confrontation.

Nous reconnaissons que, dans de rares cas, il est dans l'intérêt des enfants de refuser des droits de visite au parent qui n'en a pas la garde. Cependant, nous sommes inquiets de constater qu'il semble exister des préjugés contre les pères. Dans la très grande majorité des cas, ce sont les mères qui ont la garde des enfants, et ce n'est pas toujours dans le meilleur intérêt de ces derniers. Nous pensons que le système ne voit rien d'autre chez les pères que des fournisseurs d'argent. Heureusement, nous avons vu récemment que les pères ont été mis au défi de s'occuper davantage de leurs enfants et ont relevé ce défi. Il est fini le temps où les pères croyaient qu'ils ne pouvaient ou ne devaient pas s'occuper de très près de leurs enfants. Cependant, en cas de rupture du mariage, il semble que l'on ne tienne pas compte de ce nouveau phénomène et que la paternité soit dévaluée ou même oubliée.

Je sais que nous n'avons pas le temps aujourd'hui d'examiner cela en détail, mais je crois que c'est très important. Nous ne pouvons pas tout simplement mettre les pères de côté. Lorsqu'ils divorcent, c'est de leur femme, pas de leurs enfants. Pourtant, le projet de loi semble les traiter comme s'ils divorçaient d'avec leurs enfants.

Le ministre de la Justice a déclaré que le comité ne devrait pas se laisser distraire par la question de la garde et des droits de visite. Le projet de loi n'en parle pas, car il porte sur les pensions alimentaires. À mon avis, ce serait une grave erreur de jugement et une mauvaise idée pour le gouvernement de mélanger les deux sujets. Nous estimons que les efforts déployés pour ne pas se laisser distraire par la garde et les droits de visite témoignent du manque de souplesse que nous avons relevée dans tout le projet de loi. Dans la réalité, la très grande majorité des parents qui n'ont pas la garde de leurs enfants ne cesseraient pas volontairement de leur verser leur pension alimentaire.

Au cours de nos travaux de recherche, nous avons constaté que beaucoup de parents se font refuser des droits de visite juste et c'est ce qui les pousse à cesser de payer leur pension alimentaire. Nous n'approuvons pas ce comportement, mais nous comprenons la douleur qui peut le provoquer. Nous avons également constaté que là où les parents payeurs sont traités avec justice, le pourcentage de mauvais payeurs diminue. Dans la réalité, la garde des enfants, les droits de visite et les pensions alimentaires sont des sujets étroitement liés. Il serait idiot de ne pas en tenir compte à moins de ne pas vouloir être juste ou de vouloir multiplier les conflits et les tensions. Nous recommandons d'inclure dans la loi un mécanisme permettant de faire respecter les droits de visite accordés par les tribunaux.

Pour le moment, il semble que seules les questions qui préoccupent les parents gardiens soient prises au sérieux. Ce sont peut-être les préoccupations ultimes, puisque les enfants demeurent avec ces parents, mais il reste que nos lois doivent être justes. Nous ne pensons pas que le projet de loi répond au critère de justice. On a l'impression que le parent qui obtient la garde de ses enfants est réputé bon, tandis que l'autre est réputé mauvais. Une loi fédérale ne devrait pas laisser une telle impression.

Nous avons constaté que, dans les lignes directrices et aussi dans le projet de loi C-41, l'expression «enfant à charge» a été redéfinie pour inclure des enfants majeurs. L'expression «il poursuit des études raisonnables» nous préoccupe. Encore là, le ministre de la Justice a déclaré que les statistiques démontrent que les enfants de parents séparés sont moins susceptibles que les autres de faire des études universitaires. Les enfants qui vivent avec un seul parent sont moins susceptibles que les autres de fréquenter l'université. Je ne pense pas que ce soit acceptable. J'aimerais que l'on ait un jour un pays où tous les enfants peuvent faire des études supérieures, peu importe qu'ils vivent avec un seul parent ou avec les deux.

À notre avis, cette déclaration du ministre donne à penser que la pension alimentaire est d'une importance primordiale et que son versement constitue le seul plaisir que peut apporter un enfant au parent qui n'en a pas la garde. Même dans les familles où les deux parents vivent ensemble les enfants ne fréquentent pas tous l'université, et ce n'est pas toujours pour des raisons financières. Sommes-nous en train d'obliger les parents qui divorcent, tout particulièrement ceux qui n'ont pas la garde des enfants, à payer des études universitaires à leurs enfants parce que le ministre de la Justice juge inacceptable que des enfants ne fréquentent pas l'université?

Encore une fois, on ramène tout à une question d'argent. Peut-être est-ce l'absence du père ou de la mère qui est un facteur déterminant dans la vie d'un enfant. On ne peut pas tout ramener à une question d'obligations financières.

Nous recommandons d'éliminer l'expression «il poursuit des études raisonnables» de la définition d'«enfant à charge».

Nous reconnaissons qu'il peut y avoir des dépenses spéciales ou extraordinaires à faire pour les enfants. Cependant, nous pensons que certaines de ces dépenses sont déjà prises en compte dans la grille originale des pensions alimentaires établie par échelon de revenu, ce qui fait que le parent payeur pourrait devoir payer deux fois les mêmes dépenses. Si l'objectif du projet de loi est d'établir des normes justes, alors il faut clarifier les dispositions relatives à ces dépenses. Par ailleurs, nos recherches ont aussi révélé que beaucoup de parents qui n'ont pas la garde de leurs enfants ne sont pas consultés au sujet des soins médicaux, de l'éducation et des activités parascolaires de leurs enfants. Pourtant, la mesure législative leur impose des obligations financières. Je ne dis pas que ces parents ne veulent pas donner d'argent, mais si nous leur demandons de l'argent, il serait normal de leur permettre de donner leur avis.

Nous sommes préoccupés par les mesures radicales que le projet de loi permet pour assurer le versement des pensions alimentaires. Nous nous rendons compte que, dans une minorité de cas, des parents négligent volontairement de payer la pension. Cependant, le projet de loi C-41 semble traiter tous les parents payeurs comme s'ils étaient de mauvais payeurs. Nous souhaitons que la loi s'applique dans toute sa rigueur aux parents qui refusent volontairement de payer la pension alimentaire. Toutefois, nous ne voyons aucune disposition de compassion envers les parents qui perdent leur emploi ou ont d'autres bonnes raisons d'être en retard. Nous ne comprenons pas comment le fait de suspendre des permis fédéraux ou un passeport pourra aider quelqu'un à payer, surtout lorsqu'il a besoin de ces permis ou de son passeport pour gagner un revenu.

Nous croyons savoir que d'autres lois permettent la consultation des banques de données fédérales pour retracer des parents et obtenir le paiement des pensions alimentaires.

Nos recherchistes ont constaté que la seule disposition que peut invoquer une personne qui est dans l'impossibilité de payer la pension, c'est celle sur les «difficultés excessives». Cependant, lors de nos discussions, nous avons constaté que les moyens à mettre en oeuvre pour faire valoir des difficultés excessives devant un tribunal sont tels que cela reste pratiquement hors de portée.

Nous savons que le ministre de la Justice tient beaucoup au projet de loi C-41 et que, dans le projet de loi même, un examen est prévu dans cinq ans. Nous suggérons de ramener ce délai à deux ans en raison de la rigidité, du manque de compassion et des injustices du projet de loi.

Le ministre de la Justice a fait remarquer que le rôle du Sénat comme chambre de réflexion est bien établi et que cette institution existe pour assurer la constitutionnalité des lois. Nous estimons que le projet de loi C-41 ne traite pas également les parents qui ont la garde des enfants et ceux qui n'en ont pas la garde ni les parents divorcés et les parents non divorcés. Nous espérons qu'après mûre réflexion, le comité recommandera des amendements rendant le projet de loi plus juste. Nous trouvons inquiétant que le gouvernement tienne à faire adopter si rapidement un projet de loi d'une telle importance et qui, d'après ce que nous comprenons, élimine de larges pans de la Loi sur le divorce.

Comme je l'ai dit au début de mon exposé, nous voulons servir les couples qui sont confrontés au divorce et nous croyons que la loi aussi est là pour les servir, pas pour les punir ou les pénaliser. Nous trouvons extrêmement difficile d'imaginer que la famille qui traverse un divorce puisse être servie par un projet de loi punitif et injuste envers les pères qui, dans la très grande majorité des cas, n'obtiennent pas la garde de leurs enfants. Nous demeurons entièrement au service des maris et des femmes qui se retrouvent dans cette situation difficile, et de leurs enfants.

Selon nous, le projet de loi C-41 plonge un couteau dans une plaie profonde plutôt que d'aider à la guérir. Il n'est pas dans l'intérêt des enfants d'avoir des parents qui s'affrontent. Nous recommandons que toute loi se rapportant au divorce accorde une extrême importance aux mécanismes qui encouragent la médiation, la garde conjointe, l'équité et la justice.

Nous remercions le comité de nous avoir donné la possibilité de lui faire part de nos réflexions.

La présidente: Merci. En tant que présidente du comité, je tiens à mentionner que, lorsque les représentants du ministère de la Justice ont comparu, nous leur avons posé beaucoup de questions sur les lignes directrices et la grille. Ils nous ont répondu qu'ils avaient étudié ce qui se faisait dans beaucoup d'autres pays, y compris aux États-Unis, en Angleterre et en Australie, avant d'élaborer ce qui, selon eux, constitue de bonnes bases pour parvenir à un système canadien juste. Ils savent que ce système n'est pas parfait et devra être réexaminé, mais, au moins, c'est un début.

Le sénateur Jessiman: Vous dites que, en vous basant sur vos recherches, vous pensez que les dépenses extraordinaires ont été prises en compte dans la grille originale. C'est ce que nous a dit un des professeurs que nous avons entendus et il le savait parce qu'il a travaillé à l'élaboration des lignes directrices. De votre côté, comment l'avez-vous appris?

Mme Jeffs: Nous avons obtenu de l'information d'un homme qui travaille auprès d'un groupe de pères qui ont dit croire que toutes les dépenses associées à un enfant avaient probablement été incluses dans la grille. Cela ne serait que normal. Par conséquent, ajouter des dépenses supplémentaires équivaudrait presque à doubler ces dépenses.

Le sénateur Jessiman: Je pensais que vous aviez peut-être obtenu des renseignements privilégiés.

Mme Jeffs: Non, pas du tout. Mes renseignements «privilégiés» proviennent de personnes qui ont vécu personnellement ce genre de situation. Je le répète, je ne suis pas une experte. Je ne parle que d'impressions et de ce que j'ai pu glaner à la lecture du projet de loi et des lignes directrices et lors de conversations avec des personnes qui sont aux premières lignes.

Le sénateur Jessiman: Je crois que vous avez mis dans le mille. Certains des amendements que nous voulons proposer se retrouvent dans votre mémoire.

Mme Jeffs: Je dois dire que je suis venue ici ce matin avec appréhension et inquiétude. Je sais qu'il existe des lois provinciales et fédérales sur les droits de visite et les pensions alimentaires et, sans prétendre être une experte, je peux dire que notre organisation est du côté des familles, et je crois que nos lois doivent avoir du coeur, ce que nous ne trouvons pas dans le projet de loi.

Le sénateur Lavoie-Roux: Je vous remercie pour votre mémoire. Que vous ne soyez pas une experte ne fait aucune différence. Vous avez écrit les choses comme vous les ressentez.

À la page 6, vous recommandez que les lignes directrices sur les pensions alimentaires proposées ne servent que de référence et ne soient pas obligatoires, pour laisser de la liberté aux tribunaux. Dans le passé, les tribunaux ont trouvé très difficile de fixer le montant des pensions alimentaires pour qu'elles soient justes. Les calculs suscitaient bien des frictions entre les parties. Un des objectifs, à mon avis évident, du projet de loi -- mais il n'est peut-être pas bon --, c'est de tenter d'éviter ces conflits et de faciliter le calcul des pensions alimentaires. Je ne suis pas sûre que j'approuve votre recommandation telle qu'elle est formulée parce que nous pourrions retomber dans les jugements subjectifs où un juge décide qu'un père qui gagne tant et a tel niveau de vie devrait être capable de payer tant. Êtes-vous convaincue que nous améliorerions les choses si nous rendions les lignes directrices facultatives? Peut-être n'êtes-vous pas d'accord avec ce qu'elles contiennent, et c'est une chose, mais n'est-il pas préférable d'avoir des lignes directrices?

Mme Jeffs: Je crois qu'elles devraient servir de référence sans être obligatoires. J'ai l'impression que nous essayons de dicter aux juges quoi dire et quoi penser. Je présume que les juges des tribunaux de la famille ont l'expérience de ces questions. C'est une chose de dire qu'il existe des lignes directrices pour certains échelons de revenus, mais je ne suis pas convaincue qu'il soit utile de les rendre obligatoires. Je ne crois pas en savoir assez sur le sujet pour trancher, mais j'ai dit ce que je pensais au plus profond de mon coeur.

Le sénateur Lavoie-Roux: À la page 9, vous recommandez que l'expression «il poursuit des études raisonnables» soit retirée de la définition d'enfant à charge. Il serait peut-être préférable de poser la question à un avocat, mais si nous obligeons les parents divorcés à payer des études universitaires à leurs enfants, ce que tout le monde approuve, qu'en est-il des parents qui ne sont pas divorcés? Créons-nous la même obligation pour eux?

Mme Jeffs: C'est ce que je voulais dire lorsque j'ai parlé de problèmes non constitutionnels. Le projet de loi dresse les parents divorcés contre les parents qui ne sont pas divorcés. Notre fille aînée est allée à l'université, et nous l'avons aidée financièrement, tandis que notre fils a choisi de ne pas y aller. Un parent peut recommander à son enfant d'aller à l'université et l'enfant peut répondre que cela ne lui plaît pas, tout comme le ministre Rock a dit qu'il n'aimait pas que les enfants ne fassent pas d'études universitaires. Si les jeunes ne vont pas à l'université, ce n'est pas uniquement pour des raisons d'argent. Nous ne tenons pas compte des effets du divorce sur les enfants, sur leurs sentiments et leurs plans d'avenir. Obliger les parents divorcés à payer des études universitaires à leurs enfants est mal. Nous pourrions aussi dire «anticonstitutionnel». Nous ne devrions pas leur imposer cette obligation.

Le sénateur Lavoie-Roux: Des enfants pourraient même poursuivre leurs parents s'ils ne paient pas leurs études universitaires.

Le sénateur Cools: On pourrait en arriver là.

Le sénateur Jessiman: Lorsque les couples sont ensemble, les deux parents décident ce qu'ils feront pour les enfants. Si nous adoptons le projet de loi, il appartiendra au parent qui a la garde de décider tandis que l'autre parent devra payer sans avoir son mot à dire sur le choix de l'université ou du programme.

Mme Jeffs: Ni sur la fin des études. Un parent pourrait se retrouver avec un enfant de 55 ans sur les bras.

Le sénateur Lavoie-Roux: Mon autre question a trait aux dispositions d'exécution du projet de loi. Croyez-vous que certaines sanctions prévues dans le projet de loi, comme le retrait du passeport ou de permis, sont trop dures?

Mme Jeffs: Pour être honnête, sénateur, si je peux m'exprimer en termes simples -- ce qui ne fera pas professionnel du tout -- je trouve cela plutôt vache. Je suis désolée, mais c'est ainsi. On n'a pas l'impression que le projet de loi vise à aider les familles. Il est punitif et vache. Je sais que «vache» est un peu ridicule, parlant d'un projet de loi, mais c'est le mot. C'est comme dire: «Si vous ne faites pas cela, vous allez y goûter!» Il doit bien exister des moyens législatifs acceptables de forcer les parents qui refusent de le faire à payer les pensions alimentaires de leurs enfants. Il est évident pour moi que les parents doivent subvenir aux besoins de leurs enfants, mais le projet de loi pousse cette idée à l'extrême.

Le sénateur Lavoie-Roux: Vous recommandez notamment de ramener à deux ans le délai avant l'examen de la loi. Trois ans ne serait-il pas préférable?

Mme Jeffs: Les familles seront touchées sur-le-champ par le projet de loi, aussi irais-je jusqu'à dire que six mois est déjà trop long. Compte tenu de tout ce que nous avons entendu sur les conséquences néfastes appréhendées du projet de loi, deux ans sera juste assez long.

Le sénateur Lavoie-Roux: Vous examinez les choses au cas par cas. Cependant, si on prend la loi globalement, dans son contexte général, je crois que cinq ans est trop long, mais qu'un délai de trois ans nous laisserait le temps de recueillir suffisamment de données.

Mme Jeffs: Je suis prête à faire un compromis là-dessus, madame le sénateur, mais pour la famille touchée, c'est différent.

Le sénateur Lavoie-Roux: Nous ne pouvons pas tenir compte de chaque cas individuel dans l'examen d'une loi.

Mme Jeffs: J'estime que la loi doit servir la population.

Le sénateur Lavoie-Roux: Je suis d'accord avec vous.

Y a-t-il des membres francophones au sein de la Ontario Catholic Women's League?

Mme Jeffs: Il existe une Quebec Catholic Women's League, mais tous les membres parlent anglais.

Le sénateur Forest: Je vous remercie pour votre mémoire. Je sais que vous y avez beaucoup travaillé. Je n'approuve pas tout ce qui s'y trouve en raison d'autres points de vue que j'ai entendus, mais je reconnais que vous avez consacré beaucoup de travail à votre mémoire.

Au sujet des lignes directrices, j'ignore si vous étiez présente ce matin, lorsqu'il en a été question, mais elles sont utilisées de façon volontaire en Saskatchewan depuis plus d'un an. D'après ce que l'on sait, elles seraient bien accueillies par les juges. Je tiens également à souligner qu'on travaille à l'élaboration de ces lignes directrices depuis environ cinq ans. Il est à espérer qu'elles seront utiles. D'après ce que nous avons entendu dire, elles représenteraient une amélioration et réduiraient les affrontements.

Pour ce qui est de l'exécution, je comprends votre point de vue. Les mesures sont radicales, mais vous reconnaissez qu'elles ne visent que les mauvais payeurs d'habitude et qu'elles sont un dernier recours. Les payeurs pourront, s'ils ont des problèmes financiers, demander des dérogations. Ils recevront amplement d'avis. La disposition ne touchera pas la majorité des gens, mais une minorité seulement, c'est clair.

Pour ce qui est du retrait des permis de conduire et des passeports, certaines provinces le font déjà parce qu'elles ont constaté qu'il est impossible de faire payer les pensions alimentaires à certaines personnes et que les enfants en souffrent. Encore là, il ne s'agit que d'une mesure de dernier recours visant un très petit nombre de personnes qui paient volontairement et constamment en retard.

Mme Jeffs: Il a été question de médiation ce matin. Il me semble que nous devrions avoir recours à la médiation dans ces cas aussi.

Le sénateur Forest: Je suis d'accord avec le témoin de ce matin sur la nécessité de la médiation.

Mme Jeffs: Les témoins de la Saskatchewan que vous avez entendus ce matin ont-ils fait état des résultats obtenus par des familles qui ont participé au processus ou n'ont-ils parlé que des aspects juridiques de la question?

Le sénateur Cohen: Ils ont parlé des aspects juridiques.

Le sénateur Cools: Les renseignements d'ordre juridique ne sont pas clairs du tout. Ne nous y fions pas.

Le sénateur Jessiman: Nous ne savons pas s'ils s'en sont seulement inspirés ou s'ils les ont appliqués à la lettre.

Le sénateur Bosa: Je tiens à féliciter le témoin pour tous les efforts mis dans la rédaction du mémoire. J'aurais aimé que vous soyez ici ce matin pour entendre les témoins qui ont clarifié certains points que vous abordez dans ce mémoire. Par exemple, il n'est pas obligatoire de payer les études des enfants adultes. Le parent qui ne veut pas payer ou n'en a pas les moyens peut interjeter appel. J'ai cru comprendre que l'on s'en remettait à la jurisprudence.

Vous semblez avoir l'impression que le gouvernement veut faire souffrir la société. Le projet de loi a été étudié par des personnes indépendantes. Elles ont examiné la situation et, après des consultations poussées, elles ont proposé un système susceptible de mettre fin aux affrontements auxquels on assiste en ce moment. La proposition qui a été faite n'est pas officielle. Notre comité n'a pas terminé l'examen du projet de loi. Cependant, je crois comprendre que les tribunaux utilisent déjà les lignes directrices.

Le sénateur Cools: Justement, les tribunaux s'en servent comme document de référence seulement. C'est ce que préconise le témoin: qu'il y ait des lignes directrices, pas un règlement.

Le sénateur Jessiman: C'est ce qu'ils disent.

Le sénateur Bosa: Sénateur Jessiman, si vous aviez été ici ce matin, vous auriez entendu Betty Ann Pottruff, c.r., qui faisait partie de l'équipe qui a étudié les lignes directrices. Vous auriez appris que les lignes directrices ne sont pas appliquées automatiquement. Elles sont prises en considération lorsque la cause est réglée. Il est évident que la pension alimentaire ne sera pas la même si l'enfant a un an ou s'il a 18 ans. Les deux parents peuvent s'entendre ou le juge peut trancher la question.

Le sénateur Jessiman: Non, il ne le peut pas. C'est ce que nous disons. Vous ne comprenez pas la loi.

Le sénateur Bosa: C'est ce que l'on nous a dit ce matin.

Le sénateur Jessiman: Si vous avez trois enfants l'âge des enfants n'a aucune importance, vous payez en fonction de votre revenu. Le juge ne peut rien y changer. Le montant est fixe.

Le sénateur Cools: Il parle des cas où les parents s'entendent entre eux. Cependant, les problèmes surgissent lorsqu'ils ne s'entendent pas. Dans ce cas, le juge doit suivre les lignes directrices proposées avec le projet de loi. Il n'a aucune liberté. Lisez le texte.

La présidente: Mme Jeffs, nous vous remercions pour votre témoignage.

La séance est levée.


Haut de page