Aller au contenu
SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 19 - Témoignages - Séance du matin


OTTAWA, le mercredi 29 janvier 1997

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-41, Loi modifiant la Loi sur le divorce, la Loi d'aide à l'exécution des ordonnances et des ententes familiales, la Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de pensions et la Loi sur la marine marchande du Canada, se réunit aujourd'hui, à 8 h 35, pour l'étude du projet de loi.

Le sénateur Mabel M. DeWare (présidente), occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Nous poursuivons l'étude du projet de loi C-41, Loi modifiant la Loi sur le divorce. Nous accueillons aujourd'hui M. Michael Day, avocat en droit familial.

Monsieur Day, nous avons tous en main le mémoire que vous nous avez fait parvenir. Lorsque vous aurez terminé votre exposé, nous vous poserons quelques questions.

M. Michael J. Day, avocat en droit de la famille: Je commencerai par lire mon mémoire pour qu'il figure au compte-rendu, après quoi je vous distribuerai un court document comportant une analyse de cas se rapportant aux modifications que je propose d'apporter à la loi.

Sur le plan personnel, je pratique le droit à Mississauga et j'exerce ma profession depuis 17 ans, principalement en droit familial. Jusqu'à maintenant, j'ai traité quelque 3 000 cas contestés mais un nombre encore plus élevé de cas non contestés. Aussi, j'estime avoir une expérience suffisante sur laquelle fonder ce que je vais vous dire aujourd'hui.

J'ai représenté des femmes et des enfants et j'ai également défendu les intérêts des enfants en Ontario à l'ancien Bureau du Tuteur public, maintenant le Children's Lawyers Office.

Mon exposé principal portera sur l'ancien article 15 de la Loi sur le divorce. Je le commenterai plus en détail par la suite, mais je me limiterai ce matin à parler de cet article en particulier et de la façon dont l'Ontario a abordé le problème qui y est lié. Je proposerai au comité d'envisager d'adopter l'approche retenue par l'Ontario relativement à la conduite des conjoints pour déterminer le droit d'un conjoint à une pension alimentaire et le montant de la pension à lui accorder.

L'actuel paragraphe 15(6) de la Loi sur le divorce stipule qu'en rendant une ordonnance conformément à cet article, le tribunal ne tient pas compte des fautes commises par l'un des époux relativement au mariage. Le tribunal ne doit donc pas tenir compte de ce que les conjoints se sont fait l'un à l'autre lorsqu'il examine leur admissibilité à une pension alimentaire et en détermine le montant. Autrement dit, la cour doit statuer essentiellement en fonction du facteur économique. Elle doit donc se limiter à évaluer les besoins du conjoint à charge et la capacité de payer de l'autre conjoint.

Dans l'affaire Moge, en 1992, la Cour suprême du Canada a statué en faveur d'un examen des conséquences économiques du mariage pour déterminer le montant de la pension. Cette approche simplifie certainement la tâche du tribunal, mais elle peut parfois aboutir à des résultats très injustes pour l'un des conjoints.

Je crois que la Loi sur le divorce devrait être modifiée de manière à permettre au tribunal de tenir compte, dans des cas précis, de la conduite des parties pour décider de l'opportunité d'accorder une pension et ce, à titre provisoire ou permanent.

Le paragraphe 15(6), ou paragraphe 15.2(5) du projet de loi adopté, dispose que lorsqu'il rend une ordonnance aux termes de l'article 15, le tribunal ne tient pas compte des fautes commises par l'un ou l'autre des époux relativement au mariage.

Je propose de substituer ce qui suit au paragraphe 15.2(5): «L'obligation de pourvoir au soutien du conjoint existe indépendamment de la conduite de l'un ou l'autre conjoint, mais le tribunal peut, lorsqu'il détermine le montant de la pension à payer, tenir compte d'une conduite déraisonnable lorsqu'elle constitue un rejet flagrant et choquant des liens du mariage.»

Il existe une raison pratique au libellé du paragraphe 15(6). Je travaille dans la région centre-ouest de la Division générale de la Cour de l'Ontario. Cette juridiction est l'une des plus occupées au Canada, étant située à proximité de la grande agglomération torontoise et en raison du fait que l'aéroport international de Toronto relève de sa compétence. Les listes de requêtes de nos tribunaux sont extrêmement longues. Il n'est pas rare qu'un juge soit saisi de 40 requêtes en contestation en une seule journée. Il arrive souvent que des affaires nécessitant une attention immédiate ne puissent être traitées. Des questions très complexes sont examinées rapidement et de façon inadéquate, faute de temps.

Lorsque la conduite constituera un facteur, elle obligera le tribunal, de l'aveu général, à tenir compte d'éléments qu'il n'est pas obligé de prendre en considération à l'heure actuelle dans des procédures de divorce. À mon avis, cela aura pour effet de limiter la portée de l'enquête judiciaire à des facteurs économiques plutôt qu'à la conduite, tout simplement parce qu'en vertu du libellé actuel, il y a mois d'éléments à prendre en considération.

Le problème est que la portée limitée de l'enquête donnera lieu, dans certaines situations, à des injustices et que dans ces cas limités le tribunal ne tiendra pas compte de questions fondamentales de justice naturelle dans ses décisions.

J'ai représenté M. M dans une action en divorce, à Brampton, Ontario. Il avait vécu malheureux en mariage depuis près de 20 ans. Pendant cette période, l'épouse de mon client avait souffert de troubles affectifs et mentaux à de nombreuses reprises. Dans les affidavits qu'il avait déposés, mon client alléguait que durant toute la durée de leur mariage, son épouse l'avait maltraité physiquement et mentalement. Le recours à une thérapie de couple n'avait pas permis aux conjoints de régler leurs problèmes conjugaux. L'épouse de mon client alléguait que ce dernier était demeuré insensible à ses problèmes de santé mentale, quoiqu'il n'y eût aucune preuve de mauvais traitement de la part de mon client envers sa conjointe.

M. M alléguait, entre autres, que son épouse l'avait tyrannisé tout au long de leur union et qu'elle l'avait même, à une reprise, brûlé avec un mégot de cigarette au cours d'une dispute. L'épouse a opposé des démentis généraux non confirmés.

Il est cependant établi qu'à une reprise, l'épouse a agressé mon client pendant son sommeil et lui a enfoncé un couteau de boucherie à six pouces de profondeur dans le thorax. Transporté d'urgence à l'hôpital, il a survécu grâce aux soins prodigués par les médecins.

L'épouse a été accusée de tentative de meurtre en vertu du Code criminel. Elle avait retenu les services de M. Greenspan pour sa défense. Dès le début des procédures, l'accusée a été relaxée, le tribunal l'ayant jugée mentalement incompétente et inapte à subir son procès. Les procédures criminelles en sont restées là.

Mon client a engagé des procédures de divorce, alléguant que son mariage avait échoué. Dans une requête reconventionnelle en divorce, entendue en novembre 1995 par la Division générale de la Cour de l'Ontario, à Brampton, Ontario, l'épouse demandait une pension alimentaire. Le juge McKay, saisi de la procédure interlocutoire, a ordonné à mon client de verser à son épouse une pension alimentaire provisoire de 1 500 $ par mois. J'ai plaidé, sans succès, qu'il était injuste de rendre une ordonnance alimentaire dans les circonstances exposées à la cour. J'ai vainement tenté de faire valoir qu'il n'était ni indiqué ni juste d'obliger mon client à payer une pension alimentaire à son agresseur.

Le juge McKay, juriste respecté, réputé et éclairé, a statué que la Loi sur le divorce, telle qu'elle était rédigée alors, indiquait clairement que la conduite, ou plutôt l'inconduite des conjoints dans le mariage n'était pas pertinente et qu'il ne pouvait donc pas en tenir compte dans l'ordonnance alimentaire.

Mon client est encore sous traitement psychologique et psychiatrique. Il affirme ressentir encore des séquelles de l'agression dont il a été victime durant son mariage. L'ordonnance alimentaire rendue pendant les procédures de divorce n'a fait qu'accentuer la souffrance de mon client.

Mme M vit maintenant seule, elle est pleinement fonctionnelle et continue de recevoir la pension alimentaire payée par mon client.

Le projet de loi dont vous êtes saisis ne propose rien de nouveau au sujet du libellé actuel puisque le libellé du paragraphe 15.2(5) du nouveau projet de loi reprend mot pour mot celui de la loi.

Le fait que les tribunaux soient débordés ne justifie pas, selon moi, qu'on laisse de côté des enquêtes judiciaires difficiles concernant la conduite des conjoints dans certaines situations limitées. Tous les mariages qui échouent connaissent, par définition, des moments difficiles où l'un des conjoints peut avoir une conduite déraisonnable et même violente. Certains comportements peuvent cependant devenir tellement violents qu'aucune société n'a le droit de les tolérer en fermant les yeux.

Le libellé de la Loi sur le droit de la famille de l'Ontario semble offrir une approche raisonnable de la question relativement à la pension alimentaire. Si la conduite constitue un rejet flagrant et choquant des liens du mariage, je crois que la cour devrait avoir le pouvoir de refuser une pension alimentaire ou d'en modifier le montant.

Cette opposition au principe de l'octroi d'une pension sans égard à la responsabilité fait partie du paragraphe 33(10) de la Loi sur le droit de la famille. Le texte de cet article se trouve dans la documentation que je vous distribuerai.

Dans le cas où une personne tenterait de tuer son conjoint, pour raison d'aliénation mentale ou de façon délibérée, la cour devrait pouvoir en tenir compte, décider si cet acte constitue en soi un rejet flagrant et choquant des liens du mariage et déterminer le montant de la pension en conséquence.

L'application, en common law, de la doctrine stare decisis permet d'établir ce qui constitue ou non un rejet flagrant et choquant des liens du mariage. Le tribunal pourrait reconnaître l'existence d'un tel rejet en modifiant à la baisse le montant d'une ordonnance alimentaire ou en l'annulant carrément. En autorisant le tribunal à faire une enquête en ce sens, la Loi sur le divorce ne sanctionne pas la violence familiale, ce qui correspond évidemment aux meilleurs intérêts de la société.

Avant de poursuivre, je voudrais distribuer un document d'information aux membres du comité.

Le sénateur Jessiman: La loi actuelle ne contient-elle pas un article identique à celui que vous nous demandez de mettre dans le projet de loi?

M. Day: Non.

Le sénateur Jessiman: Aucun article?

M. Day: Non.

Le sénateur Jessiman: D'où est tiré celui-ci?

M. Day: Le libellé que je propose est tiré d'un jugement d'une Cour d'appel anglaise.

Le sénateur Jessiman: Je croyais que la Loi sur le divorce ne permettait pas de tenir compte de la conduite des parties. La loi est-elle silencieuse à ce sujet?

M. Day: Le texte de la loi actuelle se trouve dans le document que je vous fais présentement distribuer. Il s'agit du paragraphe 15(6).

Le sénateur Jessiman: Le libellé est-il identique?

M. Day: Oui.

Le sénateur Jessiman: En fait, vous ne demandez pas que le projet de loi change la loi actuelle. Vous dites que le paragraphe a été modifié. Je vois ce point de vue favorablement. Le fait de ne tenir compte que de la situation économique de chaque partie sans égard à leur conduite va à l'encontre de la pratique. Ainsi, lorsqu'une personne commettait l'adultère, son conjoint avait un motif de divorce.

Il a même déjà été possible, en common law, de prévoir une clause qui disposait que le conjoint qui commettait l'adultère n'avait droit à rien. La loi va dans le sens contraire. Les conjoints peuvent maintenant faire n'importe quoi. C'est regrettable. Je ne crois cependant pas que nous ayons cela ici.

M. Day: Vous trouverez à la première page de mon document, qui en compte six, le texte du paragraphe 15(6) de la loi actuelle:

En rendant une ordonnance..., le tribunal ne tient pas compte des fautes commises par l'un ou l'autre des époux...

C'est pour cette raison que je n'ai pas tenté de faire valoir au juge que, dans les circonstances que j'ai décrites, mon client ne devrait pas être obligé de payer une pension alimentaire.

Le sénateur Jessiman: Quand cette disposition est-elle entrée en vigueur?

M. Day: Juste avant 1986.

Le sénateur Jessiman: Était-ce dans les années 60?

M. Day: Non. La disposition relative aux fautes commises par un conjoint est en vigueur depuis 1986.

La deuxième page du document d'information reproduit en partie la Loi sur le droit de la famille de l'Ontario. Le comité pourrait peut-être envisager d'incorporer aux modifications de la Loi sur le divorce le texte du paragraphe 33(10) de la loi ontarienne, qui dispose en partie ce qui suit:

L'obligation de pourvoir au soutien du conjoint existe indépendamment de la conduite de l'un ou l'autre conjoint, [...]

C'est essentiellement ce que dit la loi fédérale, sans plus.

[...] mais le tribunal peut, lorsqu'il détermine le montant de la pension à payer, tenir compte d'une conduite [...]

C'est la première condition.

[...] déraisonnable lorsqu'elle constitue un rejet flagrant et choquant des liens du mariage.

Je vous suggère de substituer ce paragraphe à l'actuel paragraphe 15(6).

Le sénateur Cools: Des témoins nous ont fait la même recommandation la semaine dernière. Un ancien juge nous a déclaré que de toute manière les tribunaux passent outre à la volonté du Parlement dans certaines de leurs décisions. On nous a recommandé de modifier la Loi sur le divorce et l'adapter à la législation provinciale. C'est fascinant. Le courant s'est inversé.

M. Day: Dans la pratique, lorsqu'un avocat rédige son plaidoyer pour obtenir une ordonnance alimentaire d'un tribunal ontarien, il présente une demande de pension alimentaire en vertu de la loi fédérale et une demande de pension en vertu de la loi provinciale.

Le ridicule de la chose est que les critères qui régissent la pension alimentaire varient selon la loi invoquée. L'avocat qui défend l'épouse fondera sa demande de pension alimentaire sur la Loi sur le divorce, afin d'empêcher l'avocat de l'époux de soulever la question de la conduite. Dans le cas où les conjoints ne seraient pas mariés mais se trouveraient dans la même situation, l'épouse ne pourrait réclamer qu'une aide financière en vertu de la loi provinciale. L'avocat de l'époux pourrait alors faire valoir la pertinence de la conduite puisqu'il n'y aurait pas eu de célébration du mariage. Cette situation engendre évidemment des contradictions.

Le reste du document contient des commentaires de cas se rapportant au paragraphe de la loi ontarienne. Il y a trois ou quatre points qui ressortent de ces cas reliés au paragraphe 33(10), que je recommanderais au comité d'intégrer à la loi fédérale.

Premièrement, les cours ontariennes, dans l'affaire Blackmore, ont statué que les fautes des conjoints ne devraient être prises en considération que pour les fins de l'ordonnance finale. Cela n'aurait pas aidé la cause de M. M puisque le paiement d'une pension de 1 500 $ faisait suite à une ordonnance provisoire. Toutefois, lorsque nous retournerons en cour dans un an ou deux, je pourrais demander au juge de tenir compte, dans l'ordonnance finale, de la conduite déraisonnable de l'épouse de mon client.

Le second point concerne une situation très limitée où les tribunaux considéreront un acte précis comme choquant et déraisonnable. Les actes commis après une séparation ne sont habituellement pas considérés comme des actes choquants et déraisonnables. Autrement dit, si une femme a des rapports sexuels après sa séparation, cela ne peut être invoqué comme un rejet choquant et déraisonnable des liens du mariage. Cela va de soi. Dans un autre cas, une femme devenue belle-mère n'a pas reconnu ses beaux-enfants comme étant les siens. Sa décision n'a pas été considérée comme un acte choquant et déraisonnable et on comprend bien pourquoi.

L'affaire Morey contient une liste de conditions dont le tribunal peut tenir compte pour considérer un acte comme choquant et déraisonnable. Cette liste est le résultat des précédents établis par les tribunaux dans leur interprétation de la loi. Voici certains des principes et conditions reconnus:

Premièrement, la faute commise doit être d'une gravité exceptionnelle. Le critère objectif appliqué ici est celui de «l'homme raisonnable». Une tentative de meurtre tomberait dans cette catégorie. Par contre, le refus d'une personne de reconnaître l'enfant de son conjoint comme son propre enfant ne correspondrait pas à ce critère. Il appartient au juge de décider ce qui constitue une faute exceptionnellement grave.

Deuxièmement, la faute ne peut être invoquée que par une personne innocente et à toutes fins utiles irréprochable. Autrement dit, une personne qui aurait quelque chose à se reprocher ne le pourrait pas. Seule la victime peut invoquer la faute. Si M. M avait fait preuve de violence contre son épouse pendant leur mariage et que le comportement adopté par cette dernière avait été la seule façon de contrer la violence de son époux, M. M n'aurait pas pu invoquer la conduite choquante et déraisonnable.

Le troisième point se rapporte aux délits conjugaux d'adultère, de cruauté mentale et de cruauté physique. Ce ne sont pas les seuls cas qui constituent un rejet choquant et déraisonnable des liens du mariage. Il incomberait au juge de décider des actes qui font partie de cette catégorie.

Le point suivant concerne les coûts punitifs. Une personne qui alléguerait avoir été victime d'une faute exceptionnellement grave, sans parvenir à en faire la preuve, s'exposerait à des coûts punitifs.

Enfin, le plaidoyer doit exposer de façon suffisamment détaillée les allégations de la victime.

L'utilité de ces détails est qu'ils ont permis aux tribunaux ontariens de reconnaître plus facilement les comportements correspondant aux critères établis. L'argument voulant que l'examen de la conduite des conjoints dans des situations limitées ait pour effet d'enliser les tribunaux déjà surchargés ne semble pas trouver de fondement dans les faits en Ontario. Si la loi donne aux tribunaux la discrétion de faire des enquêtes semblables, l'administration de la justice n'en souffrira pas. Et même si c'était le cas, ce ne serait pas une raison pour limiter la liberté d'action d'un tribunal dans une situation évidente.

Le reste du document d'information donne au comité une idée du genre de cas se rapportant à cet article dont les tribunaux ont été saisis et explique comment un tribunal en particulier a exercé cette discrétion.

J'ai maintenant terminé mon exposé.

Le sénateur Jessiman: La Loi sur le divorce contenait-elle cette disposition au moment de l'affaire Morey, en 1978?

M. Day: Oui.

Le sénateur Jessiman: Quelle compétence l'emporte? Aux termes de l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, le divorce est un sujet de compétence fédérale. Aux termes de l'article 92, la propriété et les droits civils relèvent de la compétence des provinces. Est-ce que le divorce comme tel est de compétence fédérale et le paiement de la pension alimentaire, de compétence provinciale, ou est-ce que la Loi sur le divorce a une portée étendue, par suite du divorce, et régit aussi les pensions alimentaires?

Si deux lois sont contradictoires, il faut déterminer laquelle a priorité et s'applique. Quelqu'un pourrait faire valoir que le divorce est un sujet de compétence fédérale, mais que le paiement de la pension alimentaire relève de la loi provinciale.

Lorsque vous avez plaidé en court en 1995, la loi provinciale était-elle en vigueur?

M. Day: Oui.

Le sénateur Jessiman: Avez-vous plaidé dans le sens que je viens d'indiquer?

M. Day: Oui.

Le sénateur Jessiman: Qu'a dit le juge?

M. Day: Il a statué que la question serait tranchée en vertu de la loi fédérale, comme l'avait demandé l'avocat de l'épouse. Je ne suis pas un spécialiste du droit constitutionnel.

Le sénateur Jessiman: Moi non plus, mais je parfais mes connaissances.

M. Day: Dans une affaire de divorce typique en Ontario, l'avocat invoque les deux lois. Il demandera une ordonnance de pension alimentaire en vertu de la Loi sur le divorce, qui est de compétence fédérale, et une pension alimentaire en vertu de la loi provinciale. La dissolution du mariage et la pension alimentaire sont régis par la Loi sur divorce.

Le sénateur Jessiman: La loi sur le divorce régit aussi la pension alimentaire?

M. Day: Oui.

Le sénateur Jessiman: L'article 91 ne fait pas référence au divorce et à la pension alimentaire, n'est-ce pas? Je croyais qu'il faisait référence uniquement au divorce, mais il y a longtemps que je ne l'ai pas consulté.

M. Day: Je ne suis pas certain du libellé de l'article 91 de l'AANB ou Loi constitutionnelle.

Le sénateur Jessiman: Merci.

Je vois ce point de vue favorablement, mais si le sujet est de compétence fédérale, nous irions un peu loin en affirmant que nous devons régler la question, mais je suis néanmoins prêt à le faire dans l'optique du comité. Il ne s'agit pas d'une modification du texte de la loi actuelle, mais seulement d'un changement de numérotation.

La majorité des membres du comité est peut-être disposée à recommander au gouvernement fédéral d'examiner la question. Il est ridicule que le tribunal ait les mains liées par cet article dans des cas où une personne a commis une faute.

Le sénateur Bosa: Monsieur Day, je vois d'un très bon oeil le cas que vous avez évoqué.

Vous disiez que la loi a été modifiée en 1986 et qu'elle ne tient plus compte de la faute. Est-ce exact?

M. Day: C'est exact.

Le sénateur Bosa: L'ancienne loi avait-elle le même libellé que la loi provinciale?

M. Day: J'ignore quel était le libellé de la loi avant 1986, mais d'après ce que je sais, la conduite constituait un élément très pertinent.

Le sénateur Jessiman: En effet. La loi prévoyait des motifs de divorce et l'adultère en était un.

Le sénateur Bosa: Avez-vous suivi le débat? A-t-il été décidé, après avoir débattu la question, d'abolir le critère de la conduite choquante et déraisonnable?

Le sénateur Cools: Non, ce n'est pas ainsi que les choses se sont passées.

M. Day: Je n'ai pas examiné les raisons pour lesquelles le gouvernement de l'époque a décidé d'écarter la notion de tort. Ma pratique du droit familial m'a appris que dans la plupart des cas, les tribunaux, les avocats et les parties désiraient ne plus avoir à aborder la question de la conduite car personne n'aime voir le linge sale des autres. D'ailleurs, la chose n'était pas pertinente dans 99 p. 100 des cas.

Nous devons examiner cette question dans de très rares cas où notre souci d'avoir une société sure et juste est en cause.

En 1986, le gouvernement a adopté ce que j'appellerais l'approche économique. Il s'agissait d'évaluer, par exemple, les répercussions économiques d'un mariage ou de sa dissolution sur l'un ou l'autre des conjoints. Le gouvernement essayait de rendre les choses moins litigieuses et c'est pourquoi la conduite est devenue une question beaucoup moins accaparante. Le bon sens le commandait. Nous devons cependant disposer d'une porte de sortie dans des cas isolés.

Le sénateur Bosa: Êtes-vous en train de dire que si l'amendement que vous proposez avait fait partie de la loi en 1995, vous auriez eu gain de cause?

Le sénateur Jessiman: Si j'avais fait valoir cet élément, mon argument aurait eu beaucoup plus de poids.

Le sénateur Bosa: Si vous aviez eu gain de cause, l'épouse qui a commis l'acte de violence n'aurait pas obtenu de pension alimentaire?

M. Day: Le juge qui présidait le procès a déclaré que si la loi avait été libellée différemment, il aurait rendu une ordonnance différente. Il éprouvait beaucoup de sympathie pour mon client et était très peiné de la décision qu'il devait rendre.

Le sénateur Cohen: Dans l'affaire dont vous parlez, la femme a commis un acte terrible, mais comme elle souffrait de maladie mentale, son cas n'est pas représentatif de la réalité.

Je ne voudrais pas que l'adultère redevienne un motif de divorce. Nous avons travaillé trop durement pour éliminer ce motif. Les hommes ont toujours pratiqué l'adultère.

Le sénateur Cools: Les femmes aussi.

La présidente: À la fin de son mémoire, M. Day affirme que Mme M vit maintenant seule et travaille à temps plein.

Le sénateur Cools: Les femmes invoquent fréquemment la maladie mentale. La conclusion logique serait que les femmes souffrent davantage de cette maladie que les hommes. Elles réussissent bien également. Voyez le cas de Mme Joudrie.

Le sénateur Forest: Je vois d'un oeil sympathique le cas dont vous avez parlé. J'ai pris bonne note de ce que disait le sénateur Cohen au sujet de la question de la conduite des conjoints. Vous disiez que ce critère s'appliquerait probablement dans un nombre limité de cas, et vous avez probablement raison.

Croyez-vous que le fait d'inclure le critère de la conduite pourrait amener beaucoup de personnes à faire valoir l'argument dans des cas où il n'y aurait pas eu de conduite choquante ou de rejet des liens du mariage?

M. Day: C'est possible, mais je ne crois pas que cela se produirait. Les lignes directrices énumérées dans l'affaire que j'ai citée font référence, au quatrième point, à l'affaire Morey. Une personne qui saisirait le tribunal de questions que ce dernier jugerait non pertinentes s'exposerait à des frais punitifs. En Ontario, cela n'a pas donné lieu à un raz-de-marée de litiges.

Le sénateur Forest: Depuis quand cette règle est-elle en vigueur en Ontario?

M. Day: Depuis mars 1978.

Le sénateur Forest: Presque vingt ans.

Le sénateur Cools: Merci, monsieur Day, d'avoir comparu devant le comité. Vous avez expliqué votre point de vue de façon très bien définie et stratégique. Vous l'avez fait en centrant votre exposé sur un exemple précis, puis en citant à l'appui un cas jurisprudentiel tiré du droit de la famille.

Les juristes qui oeuvrent dans ce domaine connaissent bien le problème. Le comité ne doit pas croire qu'il s'agit d'une situation inhabituelle. Les femmes sont aussi violentes que les hommes.

Je signale que si les rôles avaient été inversés et que la femme avait tué son époux parce qu'il la maltraitait, elle se trouverait actuellement au pénitencier de Kingston et ferait partie de l'enquête concernant la manière de libérer de prison les femmes qui ont tué leur époux.

Le syndrome plutôt douteux de la femme battue s'est imposé dans de nombreux domaines.

Une des choses qui m'intriguent est l'idée qui veut que les femmes ne puissent pas commettre le mal. Ce concept semble se répandre dans les lois.

Vous n'avez pas parlé d'un cas auquel j'ai beaucoup réfléchi. Il s'agit, je crois, de l'affaire Green c. Green, dans laquelle une femme exerçait depuis longtemps de la violence contre son époux. En avez-vous entendu parler?

M. Day: Je connais bien cette affaire.

Le sénateur Cools: Il s'agissait d'un cas si terrible que les revues juridiques internationales en ont fait état.

Avez-vous représenté d'autres personnes dans des affaires semblables à celle de M. M?

M. Day: Oui.

Le sénateur Cools: Pouvez-vous nous en parler?

M. Day: J'ai représenté aussi bien des hommes que des femmes victimes de la violence de leur conjoint. J'ai constaté cependant que les tribunaux accordent difficilement crédit aux allégations des hommes qui affirment avoir été victimes de la violence de leur épouse. Apparemment, ça ne prend pas.

Au contraire, il est beaucoup plus facile d'obtenir un redressement lorsque je défends une femme qui allègue avoir été victime de violence. Elle obtiendra presque automatique la possession exclusive de la résidence, une ordonnance d'interdiction de harcèlement et une protection policière. Ces mesures sont accordées rapidement, comme il se doit.

Dans les cas ou l'époux est le plaignant, j'obtiens rarement un redressement. La loi est censée être non sexiste, mais dans les faits il en va autrement.

Le sénateur Cools: De nombreux avocats du droit de la famille me l'ont dit. Avez-vous une explication?

M. Day: C'est peut-être dû tout simplement à des préjugés. Il est difficile de croire qu'un homme puisse être victime de la violence de son épouse, mais la chose se produit fréquemment.

Le sénateur Cools: Toutes les études définitives montrent que la violence dans la relation conjugale est réciproque. Les cas documentés sont nombreux.

M. Day: En effet. Je connais ces études.

En pratique, on applique un double standard à la violence conjugale.

Le sénateur Cools: La loi est pourtant censée être non sexiste.

M. Day: En effet.

Le sénateur Cools: Je suis disposée à présenter une motion en faveur de l'amendement proposé par M. Day. Nous pourrions peut-être en examiner le bien-fondé.

La présidente: Si vous proposez un texte correctement rédigé, nous pourrions l'examiner à l'étape de l'étude article par article.

Le sénateur Cools: Si la disposition est tirée de la Loi sur le droit de la famille de l'Ontario, elle est probablement très bien rédigée. Nous pouvons la soumettre à l'examen de nos greffiers. Il nous suffira de l'adopter.

La présidente: Je ne crois pas que ce soit possible.

Le sénateur Cools: Je m'en occupe.

Je suis toujours stupéfiée par le profond silence qui se produit lorsqu'il est question de la violence des femmes.

Le sénateur Cohen: Nous ne tenons pas à discuter de cela pour l'instant.

Le sénateur Maheu: J'ignore l'ampleur du phénomène, mais elle est insignifiante.

Le sénateur Cools: Le client de M. Day n'a sûrement pas trouvé la chose insignifiante lorsqu'il s'est retrouvé avec un couteau plongé à six pouces de profondeur dans la poitrine.

Votre exposé était très bien construit et articulé et cernait très bien la question. Vous avez, de toute évidence, bien préparé votre exposé.

L'article 8 de la Loi sur le divorce fixe les conditions de l'échec du mariage. Le paragraphe 8(2) stipule que l'échec du mariage est établi lorsque (l'époux contre qui le divorce est demandé) a

(i) soit commis l'adultère,

(ii) soit traité l'autre époux avec une cruauté physique ou mentale qui rend intolérable le maintien de la cohabitation.

Ce sont les motifs du divorce. La loi est ainsi rédigée parce qu'un changement de gouvernement s'est produit entre-temps. Selon l'intention initiale, lorsqu'un mariage échouait, l'échec était constaté sans qu'il soit nécessaire d'invoquer une raison quelconque. Le législateur tentait d'écarter la notion de faute pour ne pas exacerber le caractère émotif de l'échec conjugal.

Lorsque le nouveau gouvernement est arrivé, il a rétabli ces trois motifs de divorce. J'ai bien suivi le processus. C'est pourquoi la loi est ainsi rédigée.

Lorsque la loi était ainsi rédigée, on envisageait de ne plus tenir compte de la faute, plus précisément des aspects moraux comme le fait qu'un des conjoints ait une liaison amoureuse après la séparation.

À l'époque où on examinait la question, les comportements meurtriers n'entraient pas en ligne de compte. J'ai assisté à toutes les séances.

Vous voudriez que la loi tienne compte du fait que depuis quelques années, la société ne tolère plus la violence conjugale extrême. Je suis d'accord avec vous et vous appuie.

Le sénateur Bosa: Le sénateur Forest demandait si, au cas où cet amendement serait adopté, il ouvrirait la porte à d'autres cas qui ne sont pas aussi graves ou dramatiques que celui dont vous avez parlé.

Les avocats pourraient interpréter les mots «conduite choquante et déraisonnable» de manière à y inclure l'adultère. Le comité doit peser les conséquences d'un tel amendement avant de l'adopter.

M. Day: Je vous renvoie à cet égard à la situation en Ontario. La loi actuelle n'a pas provoqué l'envahissement des tribunaux, elle n'a pas provoqué un raz-de-marée de litiges. La pénalité pécuniaire imposée dans les cas de requêtes frivoles fait en sorte que la question ne crée pas de problème dans les faits. Et même si cela causait un problème, est-ce que le comité voudrait ignorer le sujet?

Le sénateur Bosa: La loi provinciale est rédigée de la façon dont on voudrait voir la loi fédérale rédigée. N'appartient-il pas au juge de décider de la recevabilité des arguments présentés par le plaignant ou le défendeur?

M. Day: Non, parce que dans le cas dont je vous ai parlé, et c'est presque toujours le cas, l'avocat du plaignant n'a qu'à dire qu'il n'invoque pas la loi provinciale, mais demande une pension alimentaire en vertu de la loi fédérale et le juge a les mains liées.

Le sénateur Bosa: Dans le cas présent, vous proposez cependant de traiter l'affaire en vertu de la loi provinciale.

M. Day: La décision ne m'appartient pas. À partir du moment où l'avocat de l'épouse fonde sa demande de pension alimentaire sur la Loi sur le divorce, je ne puis rien faire. Je suis lié.

Le sénateur Forest: Y a-t-il dans d'autres provinces des lois rédigées sur le modèle de la loi ontarienne?

M. Day: Je l'ignore. Je sais qu'il y a des lois provinciales qui sont rédigées de la même manière, mais je ne saurais vous dire si c'est le cas, par exemple, de la loi en Colombie-Britannique.

La Commission de réforme du droit s'est inspirée de l'expérience californienne pour une bonne partie de la Loi portant réforme du droit de la famille de l'Ontario. Cette loi était considérée à l'époque comme une mesure très progressiste et l'Ontario a fait figure de leader canadien dans ce domaine. Plusieurs provinces lui ont emboîté le pas.

Le sénateur Cools: La Loi ontarienne portant réforme du droit de la famille était considérée comme une mesure très audacieuse à l'époque. Elle était à la fine pointe de l'avant-garde au Canada. Elle a été introduite par M. Roy McMurtry, qui est maintenant juge en chef. La loi ontarienne s'inspirait en grande partie du droit californien. Le mariage était considéré comme un partenariat, les conjoints partageaient tout et la femme était l'égale de l'homme. Cette loi était extrêmement progressiste et les autres provinces ont eu tendance à s'en inspirer. Nous devrions le comprendre.

Je voudrais citer une autre affaire, Keehn c. Keehn, qui a elle aussi attiré l'attention des revues de droit internationales. L'affaire, qui avait été entendue par la Cour suprême de l'état de New York, concernait un cas épouvantable de mauvais traitements infligés par une femme à son époux pendant une période de 14 ans. Les détails, exposés dans le jugement, sont trop nombreux pour que je les énumère ici. Le juge a décrit la conduite de l'épouse dans les termes suivants:

On m'a dépeint une personne acharnée et méchante, et je suis sûr que sa description correspond à la réalité, qui a totalement possédé un homme d'affaires américain dynamique et prospère et en a fait un être inutile et indolent, prématurément vieilli.

Le juge a ajouté que l'époux se présentait régulièrement chez les médecins avec des marques partout sur le corps et de multiples traces de morsure. Il semble que les morsures soient fréquentes dans les cas semblables. Le juge a déclaré que l'homme était de toute évidence sous médication d'ordonnance. Ce texte est tiré de la revue Family Law.

Comme il fallait s'y attendre, le juge a reconnu la femme coupable de cruauté et a statué que sa conduite la privait du droit à une pension alimentaire.

Honorables sénateurs, les cas dont a parlé M. Day ne sont pas inédits en droit familial, mais pour une raison ou l'autre de nombreuses personnes ont préféré les passer sous silence. On retrouve des cas semblables depuis des siècles en droit jurisprudentiel.

Le sénateur Jessiman: J'ai sous les yeux la Loi constitutionnelle de 1867. À ma connaissance, les dispositions auxquelles je vais faire référence, qui se rapportent à la distribution des pouvoirs, n'ont pas été modifiées. Aux termes du paragraphe 91(26), le mariage et le divorce sont des sujets de compétence fédérale. Aux termes du paragraphe 92(13), la propriété et les droits civils dans la province relèvent de l'autorité de la province.

Les tribunaux ont-ils interprété ces dispositions comme signifiant que le gouvernement fédéral a non seulement autorité en matière de mariage et de divorce, mais qu'il a également le pouvoir de décider des pensions alimentaires, du soutien des conjoints et des enfants, ou est-ce que ces sujets relèvent de la compétence des provinces? Nous poserons la question au sous-ministre. Il existe peut-être une loi qui pourrait nous éclairer à ce sujet. Nous ne trouverons sûrement pas la réponse dans les quelques pages qui existent. On se serait attendu à ce que la question soit examinée et qu'un niveau de compétence l'emporte sur l'autre.

La présidente: Merci, monsieur Day. Nous vous remercions d'avoir comparu devant le comité.

Honorables sénateurs, le prochain témoin est M. Paul Carrier, de l'Hôpital Royal d'Ottawa. Il est conseiller familial.

Monsieur Carrier, vous avez la parole.

M. Paul Carrier, conseiller familial, hôpital Royal d'Ottawa: Madame la présidente, vous m'avez présenté comme étant conseiller familial et c'est la vérité, mais au cours des 17 dernières années j'ai aussi fait des évaluations dans des cas de garde et d'accès et je me suis occupé de médiation. Je travaille en première ligne dans ce domaine.

Je crois que ce projet de loi et la grille de paiement qu'il propose vont dans la bonne direction. La plupart de mes collègues à qui j'ai parlé dans le domaine de la médiation appuient cette mesure. Elle contribuera certainement à atténuer l'aspect litigieux de la répartition des avoirs. Tout ce qui peut contribuer à réduire l'acrimonie dans les cas de divorce ou de séparation est bénéfique pour les enfants en cause.

Les conflits au sujet de la garde et de l'accès affectent l'estime de soi des enfants. Du point de vue psychologique, les enfants s'identifient à leurs parents. Un enfant dont la mère est une irresponsable et le père un alcoolique ne se sent pas bien dans sa peau. De nombreuses personnes passent leur vie à de dissocier de l'image psychologique qu'ils ont de leurs parents. Si un conjoint s'en prend à la valeur de l'autre comme personne, il s'attaque également à l'enfant. Les parents qui se manifestent mutuellement de l'aigreur et se dénigrent l'un l'autre nuisent à leur enfant sur le plan psychologique. Les conséquences sont nombreuses mais elles se résument à cela.

En matière de garde et d'accès, l'absence d'accès ou l'accès à des intervalles irréguliers est également une source de problèmes pour les enfants. Tout cela est en rapport avec le projet de loi, qui est une mesure de sociologie appliquée. Les gens vont réagir. L'absence d'accès ou un accès à intervalles irréguliers perturbent les enfants sur le plan psychologique. Je l'ai constaté au cours de mes observations et recherches cliniques.

La troisième cause de troubles à long terme pour les enfants dans les cas de séparation ou de divorce est la présence de problèmes dépressifs chez le parent qui a la garde. Un parent dépressif ne peut pas bien s'acquitter de ses responsabilités parentales et c'est particulièrement vrai dans les cas de garde ou d'accès.

Ce son là les trois principales menaces à la santé mentale des enfants.

Dans l'intérêt des enfants, il est préférable que les parents entretiennent de bons rapports. L'argent est important, mais la qualité des rapports l'est encore davantage. De nombreuses personnes grandissent dans des milieux pauvres et sont néanmoins des gens heureux. L'argent a son importance, mais il n'est pas tout. La qualité des relations est encore plus importante.

Si le projet de loi vise à protéger le meilleur intérêt des enfants, il doit et peut encourager davantage les rapports entre les parents et leurs enfants.

La grille ou le barème des pensions peut être établi de manière à permettre diverses ententes sur le partage du temps. À l'heure actuelle, les parents ayant un droit d'accès n'ont aucune incitation financière claire à avoir leurs enfants avec eux quatre ou cinq nuits toutes les deux semaines. Cette formule est pourtant bien meilleure pour les enfants et les parents que la garde une fin de semaine sur deux, comme c'est couramment le cas en Amérique du Nord. Habituellement, la garde s'étend du vendredi soir au dimanche soir et s'accompagne parfois d'un droit de visite une fois par semaine.

Je vais vous donner un exemple typique de situations que je vois à mon bureau. La mère a la garde et le père un droit d'accès. La mère demande une réduction du droit d'accès parce que lorsque les enfants lui reviennent le dimanche soir, ils sont insupportables. Ils n'écoutent pas leur mère et se comportent mal. Elle affirme que leur père s'occupe mal des enfants et que l'accès aux enfants est par conséquent une mauvaise chose pour eux. La mère affirme également que les enfants sont dissipés et inattentifs à l'école le lundi matin et que le professeur l'appelle pour s'en plaindre.

Le père, de son côté, me dit que les enfants se sont bien comportés toute la fin de semaine et qu'il n'a eu aucun problème. Selon lui, c'est la mère qui ne sait pas s'y prendre et c'est à elle de régler le problème.

Les deux parents font face à un dilemme. Ils se blâment mutuellement et la mère croit que la solution serait de réduire le temps d'accès du père.

Je rencontre ensuite les enfants et leur demande s'ils se comportent mal une fois de retour à la maison. Ils me répondent: Oui, mais pas tant que ça, et ajoutent qu'ils n'aiment pas beaucoup se retrouver à l'école le lundi matin après avoir passé la fin de semaine avec papa. Je leur demande ce qu'ils font ensemble et ils me répondent qu'ils s'amusent bien avec leur père, ce qui signifie qu'ils vont au lit plus tard, que la discipline est relâchée et qu'ils mangent davantage de nourriture-camelote. C'est ce qui explique la situation qui prévaut lorsqu'ils sont de retour chez leur mère.

Quand je parle au père, il me confirme les faits et me dit qu'il n'a aucune difficulté avec les enfants. Quand je lui demande s'ils sont dissipés, il me répond que cela leur arrive, mais que puisqu'il ne les voit pas souvent il ferme les yeux à ce sujet.

Quand je demande aux enfants s'ils se comportent aussi mal chez leur père que chez leur mère, ils me disent qu'étant donné qu'ils voient leur père moins souvent ils ne sont pas aussi indisciplinés chez lui.

Chacun joue son petit jeu. On ne peut pas être parent seulement les fins de semaine. Lorsque je dis à la mère qu'il faudrait accroître la durée d'accès du père, au lieu de la réduire comme elle le demande, elle ne réagit pas de façon très positive. Les parents acceptent cependant de faire un essai.

J'ai vu des milliers de couples de parents dans des situations semblables en 17 ans de pratique. La plupart des parents font bien leur travail. Nous avons tous nos points forts et nos faiblesses. Il y a évidemment des exceptions, mais je ne m'y arrêterai pas car le projet de loi doit essentiellement viser la majorité des gens. La plupart des gens s'acquittent bien de leurs responsabilités parentales.

Je suggère habituellement au parent qui a la garde des enfants de les laisser à l'autre parent pendant une partie de la semaine. Le parent ayant un droit d'accès prend les enfants dès le jeudi soir, les envoie à l'école le vendredi matin. Il les garde toute la fin de semaine et les renvoie à l'autre parent le lundi soir. Le lundi soir est habituellement une période difficile. Si les enfants se sont mal conduits en fin de semaine, le lundi soir sera pénible.

Je recommande donc que la période d'accès s'étende du jeudi soir jusqu'au retour à l'école le mardi matin suivant. Ainsi, le père exerce réellement son rôle de père et ses enfants ont avec lui une relation plus tangible. L'important, pour la famille moyenne, est de passer plus de temps ensemble.

Je ne crois pas que le projet de loi en tienne suffisamment compte dans la répartition des ressources financières.

Le sénateur Jessiman: Recommandez-vous d'appliquer cette solution à longueur de semaine?

M. Carrier: Non, je recommande de prolonger la période d'accès une fin de semaine sur deux.

Le sénateur Jessiman: Croyez-vous qu'il est préférable de procéder ainsi plutôt que sur une base hebdomadaire?

M. Carrier: Un droit d'accès toutes les fins de semaine ne suffit pas car c'est la période où le parent risque le plus de manquer de disponibilité. Je vois souvent des cas où les enfants mangent chez l'un des deux parents toutes les fins de semaine, ou encore vont chez l'un une fin de semaine sur deux. Ces ententes finissent par tomber. Cette solution peut être efficace dans le cas de très jeunes personnes. Les gens aiment aller passer la fin de semaine au chalet, par exemple. Le partage des fins de semaine ou l'accès toutes les fins de semaine ne le permet pas.

De nombreuses personnes qui ont comparu devant le comité ont affirmé que le droit d'accès et le soutien des enfants devraient être examinés séparément. Le projet de loi C-41 traite à la fois de la question monétaire et du droit d'accès. Il lie les deux sujets.

Le projet de loi n'aborde pas la question de l'accès de façon adéquate. Il ne le fait pas d'une manière qui correspond aux meilleurs intérêts des enfants. Le projet de loi pourrait et devrait favoriser davantage les rapports entre les parents et leurs enfants. Si la répartition des ressources financières ne favorise pas des contacts plus longs entre les parents et les enfants, le législateur omettra un besoin fondamental des enfants.

Avant 1900, les hommes avaient priorité en matière de garde. Il est intéressant de lire des jugements du XlXe siècle, où il est dit qu'il est dans la nature de l'homme d'avoir la garde de ses enfants. Dans les années 30 cependant, les tribunaux ont reconnu que cette responsabilité était plutôt celle de la mère. Cela a eu pour effet de polariser la situation. De nos jours, ont prend conscience lentement mais sûrement de l'importance des deux parents pour la santé mentale de leurs enfants.

Le projet de loi met l'accent sur le partage des ressources financières, d'une manière qui rappelle l'ancienne mentalité.

Le projet de loi comporte, du moins, une apparence d'équité, dans la mesure où le père qui obtient le droit d'avoir ses enfants une fin de semaine sur deux aura l'impression de ne pas être moins considéré que le premier venu. Cette approche a une certaine valeur, bien qu'elle ne favorise pas vraiment un accroissement des rapports. Je crois plutôt qu'elle favorise le contraire.

De nombreux parents avec qui j'ai eu à traiter dans la situation que je vous ai citée en exemple, à savoir le prolongement de la fin de semaine pour le parent ayant le droit d'accès, ont opté pour la formule de partage 30-70, les enfants passant 70 p. 100 du temps avec le parent qui a le droit d'accès. Cela correspond essentiellement à la répartition dont j'ai discuté, c'est-à-dire quatre nuits sur 14. Beaucoup de parents optent également pour cinq nuits, soit un partage dans une proportion de 35 à 65 ou 40 à 60. Les ententes de ce type tendent à faire régresser ce que j'appelle le syndrome des parents de fin de semaine ou parents McDonald's.

Une fois que les parents ont discuté de la question du partage du temps en médiation, ils peuvent aborder la question monétaire. L'une ne va pas sans l'autre, mais elles ne doivent pas être examinées ensemble.

Le projet de loi ne permet pas d'appliquer des formules variables de partage du temps. Les parents doivent se partager la garde des enfants de façon sensiblement égale. Je ne suis pas certain de ce que cela signifie. Est-ce un partage à 50-50, 60-40? Ce n'est pas clair. Le projet de loi ne semble pas encourager la tendance qui se manifeste actuellement dans la société. Ce projet de loi est rétrograde. Il devrait tenir compte de la tendance actuelle.

Bon nombre de mes collègues croient que, avec cette loi, les gens voudront partager la garde moitié-moitié, que les gens ne se préoccuperont pas d'essayer autre chose, ce qu'ils font généralement. Les conjoints qui se séparent peuvent entretenir beaucoup de méfiance l'un vis-à-vis de l'autre, mais ils sont disposés à essayer. Si la loi les en décourage, ils risquent de ne pas le faire. Dans ces situations très exigeantes sur le plan affectif, la loi doit guider un peu les gens et pas seulement prévoir les conséquences de leurs décisions.

Le projet de loi établit combien un parent dépenserait pour un enfant s'il vivait au foyer familial, et c'est ce qui détermine combien paiera le parent qui n'a qu'un droit d'accès. On présume ainsi du temps que passera avec l'enfant le parent qui n'a pas la garde, mais je ne sais pas quelles sont les présomptions sur lesquelles on s'est fondé pour le faire.

Il devrait y avoir une grille qui détermine les paiements en fonction du temps passé avec les enfants. Ce serait encourageant pour beaucoup de parents. Une grille qui tiendrait compte du temps que chaque parent consacre à l'enfant rendrait la planification financière plus réaliste. On verrait ainsi si un plan donné est réalisable ou non.

Je suis d'accord avec M. Finnie, qui a dit au comité que le temps que passe avec l'enfant le parent qui n'a pas la garde devrait être pris en compte. Il semblait dire qu'il existait des barèmes qui permettraient de calculer ce partage du temps.

Le ministre Rock a dit au comité que la disposition sur les difficultés excessives pourrait être invoquée dans la détermination du montant de la pension en rapport avec le partage du temps de garde. Je suppose que ce serait possible mais, à mon avis, c'est mettre l'accent au mauvais endroit. Il ne s'agit pas d'une difficulté. Je crois que les parents s'opposeraient à ce qu'on qualifie de difficulté le fait de devoir aller en cour ou l'obligation de résoudre un différend au sujet de la définition de la garde partagée et de la manière dont les ressources devraient être allouées. En fait, c'est déjà ainsi que les choses se font. Les gens commencent à partager la garde.

Je suis d'accord avec M. Epstein, qui a dit au comité que la société change et que, dans 20 ans, nous verrons beaucoup plus de cas de garde partagée ou de garde conjointe. Cela se produit déjà et, selon les statistiques, ces cas augmentent constamment.

Le sénateur Jessiman a posé une question au ministre Rock au sujet de la suppression des mots «de façon essentiellement égale». Le ministre a répondu qu'on provoquerait ainsi une multitude de litiges sur la définition du mot «essentiellement». Je crois que cela se produira de toute façon, parce que ce terme n'est pas assez bien défini. Il devrait être défini, et de façon précise. J'espère qu'on le fera avant la promulgation de la loi. On ne devrait pas en parler comme de difficultés excessives.

L'absence de définition pourrait avoir pour conséquence involontaire de ramener en cour des parents qui partagent déjà la garde dans une proportion de 30 p. 100 contre 70 p. 100 ou de 40 p. 100 contre 60 p. 100. La personne dira: «Voilà ce que le gouvernement actuel et la société croient que je devrais avoir; c'est donc ce que je devrais réellement avoir.» Si le terme n'est pas défini, on risque de ramener en cour des parents en désaccord au sujet de la grille même s'ils ont conclu une entente par ailleurs.

Je veux proposer un ajout à la Loi sur le divorce, à l'alinéa 15.1(5)c). Je ne m'attends pas à ce qu'on me l'accorde, mais je propose quand même qu'on ajoute: «le fait que les parents consacrent plus de temps à leurs enfants que ce qui est considéré comme la norme ou comme la base d'une entente normale sur la garde des enfants». On pourrait ainsi ajouter une case à la grille. Cette proposition se trouve à la page 7 de mon document.

À la partie «Objectifs» des lignes directrices, on aurait dû ajouter «encourager la présence des deux parents dans la vie des enfants». Le mot «parents» est important ici. Dans la loi, on emploie le mot «époux». C'est «parents» qu'il faudrait employer, plutôt que «époux».

Au paragraphe 7 des lignes directrices, on ajouterait aussi, concernant la garde partagée: «quand les deux époux partagent la garde d'un enfant au-delà de ce qui est considéré comme l'entente type, habituelle ou normale pour la garde des enfants». Je ne sais pas ce que c'est, mais je suis sûr que les gens qui ont conçu le projet de loi en avaient une idée.

Ce qu'il faut, c'est que ce projet de loi tienne compte de la garde partagée. C'est bon pour les enfants. C'est plus important que l'argent.

Mon expérience m'a appris que la plupart des gens arrivent à une entente et que la plupart des avocats sont très bons, qu'ils n'empirent pas les choses. Il y a toujours quelques cas d'exception, mais la majorité des gens continue à vivre même si la loi n'est pas très bonne.

Plusieurs des groupes et des particuliers qui ont témoigné se sont plaints de différents termes ou expressions employés dans le domaine du divorce. Dans la Loi sur le divorce, le mot «époux» devrait être remplacé par le mot «parent», chaque fois qu'il est question des enfants. Ce n'est pas un changement dramatique, et je suis sûr que c'est possible. On met ainsi l'accent là où il doit être, c'est-à-dire sur les enfants et l'éducation des enfants, plutôt que sur les époux. En lisant cette loi, on comprendrait donc qu'elle ne concerne pas les époux, ou l'homme et la femme, mais bien les parents. Ce serait un petit pas dans la bonne direction dans l'entreprise de neutraliser cette terrible polarisation. Cette orientation de la loi influe sur la réaction de bien des gens, et tout ce qui peut nous en éloigner est important. Elle porte sur le devoir des parents, et non des époux.

Je sais que les groupes féminins s'inquiètent du fait que les propositions de garde à temps partagé puissent être utilisées par les hommes pour réduire le montant de la pension alimentaire. C'est un argument valable. À mon bureau, je n'ai que faire du partage du temps moitié-moitié. Prenons le cas d'une mère qui a la garde légale et d'un père qui a un droit d'accès. Ce dernier gagne beaucoup d'argent tandis que la mère en gagne assez peu. Le père verse donc une pension alimentaire, mais il allègue qu'il ne devrait pas verser de pension du tout parce que, après tout, la garde est partagée moitié-moitié. Je n'irai pas plus loin. On ne peut pas avoir un foyer riche et un foyer pauvre. C'est aussi simple que cela. C'est une préoccupation fondée, étant donné l'écart entre les revenus des hommes et des femmes, en général, de nos jours.

Je crois que cette question pourrait être réglée en vertu du paragraphe 15.1(7) de la Loi sur le divorce et, sinon, un article pourrait y être ajouté pour faire en sorte que, quel que soit le plan adopté, il soit réalisable financièrement, sans avoir pour résultat qu'il y ait un foyer riche et un foyer pauvre.

Je veux souligner un point concernant la disposition sur l'éducation, au tout début, où l'on peut lire la définition d'«enfant à charge».

Ce qui m'inquiète, c'est que cette disposition prolongera les litiges jusqu'à ce que les enfants soient dans la vingtaine. À un certain moment, les enfants et les parents doivent prendre leurs responsabilités et régler les conséquences de leurs problèmes familiaux sans que ce soit régi par l'État.

Quand j'en parle avec mes collègues, ils me demandent: «Est-ce que ce seront les enfants ou les adultes qui traîneront les parents en cour? Est-ce que ce seront les parents ou les enfants qui auront l'argent?» En fait, l'enfant est alors adulte. L'éducation postsecondaire est-elle un droit ou un privilège? Les familles qui ne sont pas séparées devraient-elles être tenues de payer les études postsecondaires de leurs enfants? Combien faudrait-il payer?

Si mes propres enfants ne contribuent pas d'une façon ou d'une autre à payer leurs études, devrais-je être obligé de les faire vivre? S'ils n'y contribuent pas, je devrais avoir le droit de dire: «Je ne t'aiderai pas, parce que tu ne fais rien pour t'aider.» Il se peut que mes enfants gaspillent leur argent pour des choses qui, à mon avis, ne méritent pas d'être achetées. Il se peut qu'ils ne méritent pas cet argent.

Comment le tribunal s'y prendra-t-il pour décider cela? Il n'y a rien de précisé à ce sujet. Je crois que cela ne fera que faire traîner les litiges indéfiniment. La pension devrait se terminer à un certain moment. Je ne sais pas si ce devrait être à la majorité, ou à 19 ou à 20 ans, mais de ne fixer aucune limite, c'est tout faire pour provoquer le désastre. Je ne crois pas que cette disposition devrait être conservée.

La présidente: Vous avez traité de points que de nombreux témoins ont déjà soulevés. L'importance de la médiation en cas de rupture d'un mariage revient sans cesse. On nous suggère aussi d'utiliser les mots «parent» et «parenting», en anglais, plutôt que «in custody» ou «non-custodial».

Je vous remercie de cet exposé.

Le sénateur Jessiman: Je vous remercie de cet exposé. Vous avez abordé un certain nombre de points que nous envisageons favorablement. Qu'est-ce que vous considéreriez comme la formule idéale pour le partage moitié-moitié? Serait-ce, pour les enfants, de passer d'un parent à l'autre tous les trois jours, toutes les semaines ou tous les mois? D'après votre expérience, quelle est la manière idéale de partager la garde des enfants entre les deux parents?

M. Carrier: C'est différent pour chacun. Je ne crois pas qu'il y ait une situation idéale. Je ne conseillerais à personne avec de très jeunes enfants de partager la garde moitié-moitié. Les enfants plus jeunes ont besoin de plus de stabilité et de prévisibilité. La définition de ce qu'est un jeune enfant varie aussi d'une famille à l'autre. Certains y parviennent avec de très jeunes enfants, je ne dis pas le contraire, mais ce ne serait pas mon choix. Je crois que la plupart des conseillers, médiateurs ou thérapeutes conscients de leurs responsabilités ne recommanderaient pas une garde partagée moitié-moitié pour de très jeunes enfants.

La plupart des gens semblent vouloir changer chaque semaine ou toutes les deux semaines. Cela prend beaucoup de logistique et d'organisation financière. On ne peut pas vivre en des coins opposés de la ville et partager la garde moitié-moitié. Ce ne serait pas logique. Certains le font, mais c'est demander énormément aux enfants, qui doivent être transportés aller-retour à l'école, ainsi de suite. Le quartier de l'école est le périmètre parfait.

Généralement, le fait de changer souvent ne fonctionne pas aussi bien que de laisser plus de temps aux enfants pour s'installer. Les enfants prennent toujours une journée ou deux pour s'installer, avant que la vie reprenne son cours.

Les enfants s'accommodent très bien de ces situations si les parents s'entendent, en pratique. Ils n'ont pas besoin de s'aimer, tout comme il n'est pas nécessaire que tout le monde ici s'aime, mais il faut parvenir à s'entendre pour que le travail se fasse. Autrement, on échouera à la tâche. Si les parents ne peuvent s'entendre de façon pratique, ils échoueront, et la tâche en question, c'est l'éducation des enfants.

Le sénateur Jessiman: Avez-vous déjà vu une famille dont les parents prendraient les enfants chacun six mois, à tour de rôle?

M. Carrier: Oui, c'est rare, mais je l'ai déjà vu.

Le sénateur Jessiman: Il me semble que cela laisserait place à moins de confrontation pour les enfants.

M. Carrier: Ces situations évoluent également, en général, et c'est pourquoi la loi devrait encourager cette évolution. Au début, les gens sont généralement très soupçonneux. Ils se sentent acculés au mur. Ensuite, ils font des essais en augmentant graduellement. Les gens finissent par trouver leur propre terrain d'entente et n'ont pas besoin de la loi pour y arriver.

Le sénateur Pearson: C'était un excellent exposé. Je suis assez d'accord avec votre position, parce que ce sont les enfants qui sont en jeu dans ces cas-là.

Croyez-vous que la garde conjointe est préférable? Est-ce que ça ne règle pas certains de ces problèmes?

M. Carrier: Voulez-vous dire la garde légale conjointe?

Le sénateur Pearson: Oui, pour ce qui est de la pension alimentaire et de tout le reste. Dans les cas de garde légale conjointe, les ententes sont moins réglementées.

M. Carrier: Je fais une différence entre la garde légale conjointe et la garde à temps partagé. Ce sont deux choses différentes.

On peut partager la garde sans avoir la garde légale conjointe. C'est ce que la plupart des gens semblent faire, au début. Petit à petit, à mesure que la confiance grandit, les gens commencent à se consulter au sujet de l'éducation des enfants, des questions de santé, ainsi de suite. Éventuellement, la plupart des gens en arrivent là sans que la loi s'en mêle.

À long terme, je pense que la garde conjointe est préférable, même si, au début, les gens trouvent plus difficile de négocier. Il n'y a pas de réponse simple. C'est très difficile. Tous les couples que je rencontre se disputent. Leur imposer de prendre des décisions ensemble risque d'engendrer plus de problèmes au début. La plupart de ces ententes fonctionnent comme une solution d'urgence. On commence par cacher le problème et s'organiser pour faire le reste quand même, puis le problème se règle. Les gens font le deuil de leur relation, ce qui prend généralement deux ans.

S'ils continuent à se battre ou à ne pas pouvoir s'entendre, chaque fois qu'ils reviennent en cour ou qu'ils consultent leur avocat, tous les événements de leur mariage leur reviennent en mémoire. C'est comme s'ils revivaient leur mariage, ce qui fait qu'ils reviennent à zéro dans le processus qui les amène à faire le deuil de leur union, de leurs espoirs et de leurs rêves. Cela prolonge le processus de guérison.

C'est important que les gens puissent vivre avec l'entente conclue.

Le sénateur Pearson: Je ne suis pas un membre régulier de ce comité et je n'ai pas suivi l'évolution de ce projet de loi d'aussi près que la plupart des autres. Y a-t-il quelque chose dans cette mesure qui encourage la médiation? La médiation semble être la solution à choisir.

M. Carrier: Non, il n'y a rien en ce sens.

Le sénateur Pearson: La médiation est de plus en plus populaire, n'est-ce pas?

M. Carrier: Oui. On devrait l'essayer avant de se précipiter devant les tribunaux. Ce n'est pas la solution pour tout le monde, car certains ont besoin d'un règlement judiciaire, mais on devrait l'encourager.

Le sénateur Pearson: Le règlement judiciaire peut faire suite à la médiation.

M. Carrier: Oui, et elle a des chances de réduire l'importance de certains désaccords.

Le sénateur Pearson: J'encouragerais certainement cette solution.

M. Carrier: Beaucoup d'avocats avec qui je fais affaire font aussi de la médiation.

Le sénateur Forest: Je vous remercie de votre exposé. Je l'ai beaucoup apprécié.

Dans notre famille, nous avons vécu deux divorces, et nous avons trouvé cela très éprouvant, à l'époque. Toutefois, quand je pense à toute l'information que nous donnent maintenant les parents, je me rends compte que nos enfants et leurs conjoints ont très bien fait les choses. Dans les deux cas, un parent était considéré comme le principal dispensateur de soins, le temps de garde était partagé également, et chaque parent faisait les choses à sa façon. Il semble que cela ait bien fonctionné. Comme vous le disiez, l'entente a changé à mesure que les enfants vieillissaient.

Si j'ai bien compris, on fait davantage pour encourager un contact plus étroit avec les enfants. C'est le plus important. Les situations financières n'étaient pas un problème dans notre cas. Si elles l'avaient été, les choses auraient pu être différentes.

J'aime l'idée d'utiliser le mot «parent» plutôt que «époux». On nous a beaucoup parlé des connotations négatives des mots «custodial» et «non-custodial», en anglais. Je ne sais pas si nous y pouvons quelque chose, mais c'est sûr que ces termes sont péjoratifs.

L'un des témoins que nous avons entendus hier a souligné, sur les questions d'accès, que le plus gros problème était, de loin, non pas le refus de l'accès à l'enfant, mais l'utilisation des droits d'accès. Il y a beaucoup de parents qui n'ont pas la garde de leurs enfants et qui, pour une raison ou une autre, ne voient pas leurs enfants aussi souvent que le voudrait l'autre parent. Êtes-vous d'accord?

M. Carrier: Je ne sais pas s'il y en a «beaucoup». J'ai travaillé pour une société d'aide à l'enfance, dans les années 70, ainsi que dans un complexe de logements à prix modique où l'on trouvait beaucoup de mères seules. Pour bon nombre d'entre elles, le père de leurs enfants ne venait jamais. Comme je le disais, c'est l'un des trois facteurs qui risquent d'empêcher un enfant de bien se débrouiller plus tard.

C'est un gros problème, mais il y a moyen de favoriser les contacts.

Le sénateur Forest: On a aussi beaucoup parlé du droit d'accès des grands-parents, qui est très important. J'ai constaté que les grands-parents peuvent faire une grosse différence s'ils sont chaleureux à l'égard de l'autre parent et font comprendre aux enfants que leurs deux parents les aiment et les comprennent.

M. Carrier: Oui.

Le sénateur Forest: La famille élargie encourage le contact et la confiance de l'enfant dans les deux parents.

M. Carrier: C'est très important. Il arrive souvent que les grands-parents, des amis ou des connaissances prennent la part de l'un des deux parents et n'encouragent pas l'enfant de cette manière. Ils contribuent à accentuer le problème.

Le sénateur Forest: C'est très mauvais pour les enfants.

M. Carrier: Absolument. En fait, quand les parents ne s'entendent pas, la présence des grands-parents ou d'autres connaissances est un réconfort pour les enfants. C'est à eux que les enfants peuvent s'adresser pour être rassurés. Ils peuvent ainsi sentir que quelqu'un les aime inconditionnellement.

C'est une bonne chose, et il faudrait encourager ces relations. Il y a des énoncés de la loi qui peuvent encourager les gens à faire certaines choses, même si c'est indirectement.

Le sénateur Forest: Comment pouvons-nous encourager les deux parents à resserrer les liens avec leurs enfants?

M. Carrier: Le projet de loi pourrait encourager cela s'il faisait valoir que l'accès, ou le temps accordé à un parent, est important. La grille devrait comporter certaines dispositions pour des cas autres que le partage essentiellement égal, qui peut vouloir dire moitié-moitié. Autrement, on prend ce qu'on obtient et on s'en contente. Il devrait y avoir une forme d'encouragement.

Le sénateur Forest: On laisse entendre qu'un partage du temps de garde à 50 p. 100 pour chacun devrait être la norme.

M. Carrier: Je ne considérerais pas cela du tout comme la norme.

Le sénateur Forest: On laisse entendre que cela devrait l'être.

M. Carrier: Je pense que c'est tout à fait inopportun. Du point de vue du grand public, c'est inopportun. Les gens ne commencent pas ainsi. Certains peuvent en arriver là, mais la plupart des gens font une transition quelconque avant d'arriver là.

Le sénateur Losier-Cool: J'ai apprécié le fait que votre mémoire présente un point de vue clinique. Nous aimons tellement les enfants que nous aimons voir quelque chose de favorable aux enfants.

Dans la Loi sur le divorce, c'est écrit que la médiation est encouragée. Vous parlez, à la dernière page de votre mémoire, de l'éducation postsecondaire. Cette question a-t-elle déjà été en jeu? Sont-ce là vos opinions en tant que médiateur familial?

M. Carrier: Cette question n'a jamais été un enjeu que j'aie traité en cours de médiation. Pour la plupart, les couples avec qui j'ai traité avaient des enfants de 0 à 13 ans. Pour la plupart des gens, quand les enfants arrivent à l'âge d'environ 13 ans, les choses se sont tassées et la vie a repris normalement. En outre, à cet âge-là, les enfants peuvent avoir leur mot à dire.

Le sénateur Losier-Cool: Vous ne les voyez pas beaucoup quand ils ont 18 ans ou qu'ils ont atteint l'âge des études postsecondaires?

M. Carrier: C'est exact.

Le sénateur Losier-Cool: À notre sous-comité sur l'enseignement postsecondaire, des étudiants nous ont parlé des fortes dettes qu'ils accumulent quand ils vont à l'université. Les enfants de familles monoparentales n'ont à peu près aucune chance d'aller à l'université. Les statistiques montrent que cette catégorie de la population est très peu représentée parmi les étudiants universitaires. Ce pourrait être un moyen de permettre que plus de jeunes issus de familles monoparentales aillent à l'université.

M. Carrier: S'il faut aller en cour pour l'obtenir, cela va créer des problèmes. Si les enfants de familles monoparentales ont de la difficulté à accéder aux études postsecondaires, on pourrait peut-être adopter une autre loi pour traiter de ce problème. Ces choses traînent longtemps, d'après ce que j'en sais. Ce ne serait pas bon pour les familles. Un moment donné, les gens doivent laisser les choses reprendre leur cours normal.

L'accès aux études postsecondaires est-il un droit? Je ne sais pas.

Le sénateur Losier-Cool: C'est difficile d'être parent, et c'est encore plus difficile de ne pas en être un.

M. Carrier: Mon fils ou mes filles doivent nous demander de l'argent, à ma femme ou à moi. Un enfant de parents séparés peut faire la même chose. Si papa ou maman dit non, il leur faut accepter les conséquences. Leur relation va en souffrir. Un moment donné, ils doivent être capables de se parler sans l'intermédiaire d'un juge.

Le sénateur Cohen: Hier, l'un de nos témoins a parlé d'éducation postsecondaire. Nous avons cherché à savoir si c'était un droit ou un privilège, et s'il devrait y avoir une limite, peut-être après le premier diplôme. Peut-être la décision devrait-elle être prise conjointement par tous les intéressés. Selon ce témoin, en général, les enfants du premier mariage sont ceux qui sont privés d'études postsecondaires quand le parent qui n'a pas la garde se remarie.

Vous ne traitez pas de ce genre de problèmes, alors vous n'avez probablement pas de réponse.

M. Carrier: Ma réponse tient davantage de l'opinion personnelle. Je me fonde aussi sur ce que m'en ont dit mes collègues. Je crois que cette disposition engendrera plus de conflits, et je ne veux pas qu'on engendre plus de conflits. Si c'est un problème social, il y a peut-être moyen de le régler autrement que devant les tribunaux.

J'ai des amis qui sont séparés. Le fils de mon ami peut traîner son père en cour pour obtenir qu'il lui paie l'université, ou du moins une partie, mais mon fils ne pourrait pas le faire. Cela ne semble pas juste.

Je ne comprends pas ce que cette disposition fait là. Je suis sûr que c'est un problème social réel, mais ce n'est pas l'endroit pour le traiter. Cela ne peut qu'engendrer des disputes. La plupart des parents sont prêts à aider leurs enfants à faire des études postsecondaires.

Le sénateur Cohen: La plupart de ceux qui nous ont écrit sur cette question sont contre cette disposition. Ils veulent que cette question soit déterminée en famille, après discussion.

M. Carrier: Absolument. Cela ne peut qu'engendrer des disputes et prolonger les difficultés inhérentes aux familles séparées durant des années de plus que nécessaire.

Le sénateur Cohen: Ce n'est pas ce que nous voulons.

La présidente: Hier, nous avons entendu M. Halvorson, qui nous a parlé du fait que les gens mariés ne sont pas tenus d'envoyer leurs enfants à l'université, alors que les couples divorcés doivent le faire, en vertu de cette loi.

M. Carrier: Touché!

Le sénateur Phillips: Si j'ai bien compris, vous avez dit que vous ne recommandiez pas une garde partagée moitié-moitié quand les enfants sont jeunes. Est-ce exact?

M. Carrier: Oui.

Le sénateur Phillips: Comment fait-on pour prolonger le temps accordé pour le parent qui a un droit d'accès? Prévoit-on dans l'entente originale que, à mesure que l'enfant vieillira, il pourra passer plus de temps avec le parent qui n'en a pas la garde?

M. Carrier: Exactement. On fait le nécessaire pour que cela augmente graduellement. Les parents peuvent voir si l'enfant tolère bien ces visites. Ce ne sont pas tous les enfants qui le tolèrent bien, pour des raisons de santé, ou personnelles, entre autres. Si cela ne fonctionne pas, ils peuvent revenir aux arrangements antérieurs ou s'entendre d'eux-mêmes sur autre chose.

Le sénateur Phillips: Est-ce que cela ne crée pas généralement une autre dispute qui les amène à revenir en arrière et à repenser au mariage et à la séparation?

M. Carrier: On s'occupe surtout de dire aux parents comment l'enfant se comporte et ce qu'il lui arrive. Nous ne revenons pas sur le mariage. On parle de l'éducation des enfants. La plupart des gens peuvent prendre cette décision d'eux-mêmes, mais il y a des gens qui vont se disputer sur tout, même si le bon sens ou la loi dicte un certain comportement. La plupart des gens augmentent la durée des séjours progressivement pour le bien de leurs enfants.

Le sénateur Jessiman: Le sénateur Losier-Cool a mentionné cela, mais j'aimerais citer ce passage de la Loi sur le divorce.

9.(1) Il incombe à l'avocat qui accepte de représenter un époux dans une action en divorce, sauf contre-indication manifeste due aux circonstances de l'espèce:

a) d'attirer l'attention de son client sur les dispositions de la présente loi qui ont pour objet la réalisation de la réconciliation des époux;

b) de discuter avec son client des possibilités de réconciliation et de le renseigner sur les services de consultation ou d'orientation matrimoniales qu'il connaît et qui sont susceptibles d'aider les époux à se réconcilier.

(2) Il incombe également à l'avocat de discuter avec son client de l'opportunité de négocier les points qui peuvent faire l'objet d'une ordonnance alimentaire ou d'une ordonnance de garde et de le renseigner sur les services de médiation qu'il connaît et qui sont susceptibles d'aider les époux dans cette négociation.

(3) Tout acte introductif d'instance, dans une action en divorce, présenté par un avocat à un tribunal doit comporter une déclaration de celui-ci attestant qu'il s'est conformé au présent article.

Ensuite vient l'article 10, qui concerne le tribunal:

10. (1) [...] il incombe au tribunal saisi d'une action en divorce, avant de procéder aux débats sur la cause, de s'assurer qu'il n'y a pas de possibilités de réconciliation.

On en a déjà discuté, mais je croyais que ce serait utile que je lise ce passage.

La présidente: Une femme qui s'occupe de médiation en Ontario et qui est venue témoigner devant nous a signalé qu'elle avait l'impression que les avocats traitaient cette possibilité plus superficiellement qu'ils le devraient, qu'on devrait encourager davantage la médiation.

Le sénateur Jessiman: Les avocats doivent attester au tribunal qu'ils ont respecté cette disposition. S'ils font cette attestation sans avoir respecté la disposition, ils font de fausses déclarations.

Le sénateur Cohen: Je suis tout à fait d'accord avec vous sur la question du langage. Cette loi ne reconnaît pas le rôle de parent comme elle le devrait. J'aimerais aussi qu'on change le terme pour employer le mot «parent» chaque fois que c'est possible dans le projet de loi.

L'un des témoins que nous avons entendus au sujet de ce projet de loi, qui s'occupe de médiation familiale, recommandait que des brochures expliquant le rôle des parents après une séparation soient publiées et diffusées dans le grand public, et qu'une campagne soit lancée pour promouvoir une vision positive du rôle parental dans les familles séparées. Cela m'a semblé avoir beaucoup de bon sens. Qu'en pensez-vous?

M. Carrier: Il y en aura toujours qui ne se rendent pas à la raison.

Ce serait très bien que les disputes au sujet des enfants deviennent aussi inacceptables socialement que le fait de fumer dans une réception. Il faudrait qu'on juge que ce n'est pas sain, que cela ne rend pas service aux enfants et que l'entourage ait des réactions comme: «Vous vous disputez au sujet des enfants? Ça ne va pas, non? Arrangez-vous pour vous entendre! Qu'est-ce qui vous prend?»

La présidente: Là-dessus, je vous remercie de votre exposé. C'était très bien et nous avons vraiment apprécié.

M. Carrier: Merci de m'avoir permis de le faire.

La présidente: Sénateurs, notre témoin suivant est le professeur Ross Finnie. Bienvenue encore une fois, monsieur Finnie. Le comité a quelques questions à vous poser. Si vous désirez prendre d'abord la parole, nous serons heureux de vous écouter.

M. Ross Finnie, professeur, École d'administration publique, Université Carleton: Madame la présidente, je suis un peu surpris d'être de retour devant votre comité. Je ne croyais pas que cela se produirait, mais je serai heureux de me présenter ici aussi souvent que vous le voudrez, si je puis être utile.

Nous visons tous le même objectif. Nous voulons améliorer la situation des personnes divorcées et de leurs enfants. Je respecte les préoccupations et les questions exprimées par le comité du Sénat, car ce sont d'excellentes questions.

J'ai d'abord quelques observations à formuler. L'un des principaux points que je veux faire valoir, c'est que le fait d'écouter les commentaires rassurants d'autres témoins n'a pas fait grand-chose pour me rassurer. En général, j'ai trouvé que leurs réponses aux problèmes précis que j'avais soulignés n'étaient pas claires. J'ai surtout entendu de vagues affirmations, par exemple que tous les spécialistes sont d'accord, qu'on a fait de longues consultations et que les lignes directrices sont le fruit d'une longue élaboration, ainsi de suite, tout cela pour nous convaincre que les résultats sont nécessairement bons puisqu'on a appliqué un processus rigoureux.

On a consacré beaucoup d'efforts à cette entreprise, au fil du processus, ce qui n'est pas surprenant. Le problème est de taille. Mais le processus ne me convainc pas, ni ces propos rassurants. Donc, les problèmes demeurent.

On dit aussi que, s'il reste des problèmes, ils seront réglés plus tard. Or, s'il a fallu tout ce temps pour concevoir les lignes directrices, pourquoi les problèmes n'ont-ils pas été réglés dans la mesure où ils sont connus, et quelles preuves avons-nous qu'on pourra les régler plus tard si l'on n'a pas pu le faire encore? Très bientôt, des gens devront vivre selon ces lignes directrices, qui influeront directement sur leur vie. Il sera alors impossible de s'en écarter en disant que, après tout, ce ne sont pas de véritables lignes directrices. Nous obtiendrons les lignes directrices proposées, pour le meilleur et pour le pire. À mon avis, c'est sûr qu'il reste des problèmes.

Je veux aussi que ce soit bien clair que je suis, et depuis longtemps, favorable à l'idée de ces lignes directrices. J'ai écrit un livre dont les conclusions appuient l'idée de lignes directrices déterminant les pensions alimentaires pour les enfants. J'ai apporté aujourd'hui un autre livre, publié l'an dernier dans la collection C.D. Howe sur les politiques sociales, qui s'intitule Family Matters. On m'a demandé d'écrire un article sur le divorce pour cette série. Encore une fois, dans ce livre, j'indique clairement que j'appuie l'emploi de lignes directrices.

Je veux préciser quels sont d'après moi les enjeux, ce que sont vraiment les lignes directrices et pourquoi j'appuie ce concept.

Voyons quels sont les avantages et les inconvénients des lignes directrices sur la pension alimentaire pour enfants. Des lignes directrices peuvent uniformiser les paiements et, par conséquent, les augmenter, en moyenne -- et c'est pourquoi je les approuve. C'est justifié. Elles peuvent permettre des paiements plus justes, pour tous les niveaux de revenu. Elles peuvent simplifier le processus de divorce et réduire les conflits et les dépenses -- c'est un objectif valable. Elles peuvent aider les personnes à planifier leur situation, après le divorce. C'est pourquoi j'appuie le concept des lignes directrices.

Par contre, et c'est inévitable, les lignes directrices entraînent des montants uniformes, ce qui n'est pas souhaitable, dans la mesure où cela ne tient pas compte des circonstances particulières à chaque cas. Autrement dit, on impose l'uniformisation. Cela a des avantages, mais aussi des conséquences fâcheuses. Nous devons accepter cela aussi, si l'on accepte les lignes directrices.

En outre, des lignes directrices mal conçues peuvent officialiser une structure favorisant l'attribution de pensions alimentaires illogiques ou injustes, avec toutes les répercussions indésirables que cela peut produire, y compris des pensions alimentaires réduites. Autrement dit, j'appuie l'idée des lignes directrices, et je crois que de bonnes lignes directrices constitueront une bonne politique, mais je crois aussi que rien ne garantit les résultats si ces lignes directrices sont conçues n'importe comment.

Le passage d'un système de détermination de la pension sur une base individuelle à l'utilisation des lignes directrices nécessitera une série de compromis. J'en arrive quand même à pencher en faveur des lignes directrices. Je crois que la justice ainsi assurée, la capacité de hausser et d'uniformiser les montants des pensions, la perspective de simplifier le processus de divorce et la possibilité de permettre aux personnes en instance de divorce de planifier leur avenir valent bien les inconvénients de l'uniformisation. Encore une fois, l'uniformisation signifie que nous ne tiendrons pas compte des détails précis de chaque cas. En bout de ligne, le jugement final dépendra de la qualité des lignes directrices qui seront recommandées.

C'est cet aspect qui m'a motivé dans mon travail, en tant que cosignataire de l'un des principaux rapports de recherche sur les lignes directrices du ministère de la Justice. Je crois que c'est pour cette raison que le ministère a demandé ma participation à ce processus. Fondamentalement, c'est la détérioration des conditions de vie des femmes et des enfants, au moment du divorce, qui me préoccupait. J'ai écrit de nombreux articles sur cette question. Je considérais les lignes directrices comme un élément de la solution pour aider les femmes et les enfants au moment d'un divorce. En principe, j'étais déjà favorable aux lignes directrices. Ce n'est donc pas surprenant que le ministère de la Justice et moi nous soyons entendus pour que je participe au processus.

Mais, en fin de compte, les problèmes que j'envisageais au début demeurent. C'est pourquoi je ne peux pas appuyer les lignes directrices dont le comité est actuellement saisi.

Les lignes directrices de base pour la détermination du montant sont correctes. Le système de base est simple et fixe des sommes moralement justifiables. Ce n'est pas le texte de base qui me déplaît. Ce sont les autres choses qu'on y a ajoutées, ou qu'on n'y a pas ajoutées, qui causent les problèmes.

Je prends un moment pour énumérer ce que je considère comme des causes de problème dans cette série de lignes directrices. Ensuite, je répondrai aux questions des membres du comité.

Premièrement, les lignes directrices ne prévoient rien pour rajuster un montant en fonction des dépenses que le parent qui n'a pas la garde ferait directement pour ses enfants. Un parent qui n'a pas la garde de son enfant, mais qui s'en occupe 30 p. 100 ou 40 p. 100 du temps, paiera à celui qui en a la garde la même pension alimentaire que s'il ne voyait jamais son enfant. C'est injuste pour les parents, qu'ils aient ou non la garde, et pour les enfants.

Deuxièmement, les paiements supplémentaires ont été rajustés à la hausse pour les payeurs à faible revenu. Considérons cela comme une surtaxe pour les contribuables à faible revenu. Ces gens paient une plus grosse proportion de leur salaire. Plus le salaire est faible, plus la pension représentera une proportion importante, et rien de crédible ne le justifie. J'ai cherché des preuves que c'est la tendance normale, mais il n'y en a pas. J'ai parlé aux plus grands chercheurs du Canada, des collègues et des amis, à Statistique Canada, dans des instituts ou dans des universités. Personne ne peut donner de preuves solides que les personnes à faible revenu consacrent plus ou moins d'argent que les autres à leurs enfants.

Aux États-Unis, l'un des objectifs des lignes directrices était de réduire les montants, dans le cas des payeurs à faible revenu, parce que, depuis toujours, ils consacrent une partie plus importante de leur revenu à la pension alimentaire et que, depuis toujours, les personnes à revenu moyen ou élevé n'en paient pas autant qu'ils le devraient. Tout examen des données tend à montrer que les payeurs à faible revenu ont toujours payé des pourcentages trop élevés de leur revenu. Cela ne signifie pas que leurs enfants sont des privilégiés, d'une manière ou d'une autre. C'est simplement que ces familles n'ont pas beaucoup d'argent de reste et que de pénaliser ces gens pourrait avoir pour effet néfaste de les entraîner hors du marché du travail et de les inciter à demander de l'aide sociale, ce qui réduirait leur pension alimentaire.

Mon troisième point est relativement moins important. Il s'agit des écarts entre les niveaux de paiement. Je n'ai pas approfondi la question la première fois que je suis venu, mais elle figure à la page 6 de mon document.

Si vous examinez une table d'impôt, vous verrez que la somme à payer augmente pour chaque tranche de 10 $ de revenu. Ainsi, le niveau d'imposition augmente graduellement, proportionnellement aux revenus. Avec ces lignes directrices, les tranches de revenu sont de 1 000 $. Si les gens ont une légère hausse de revenu qui les fait passer à la tranche suivante, ils se retrouvent avec une pension beaucoup plus importante et leur situation financière empire de façon marquée. Cela risque d'engendrer des effets indésirables, surtout chez les personnes à faible revenu qui tentent de se sortir de la pauvreté et de se trouver du travail. Entre autres effets indésirables, on pourrait constater que les pensions ont diminué, plutôt qu'augmenté, mais c'est une question administrative d'une importance négligeable.

Mon quatrième point est plus important, soit la considération de difficultés excessives et le fait que les montants soient fixés en fonction du niveau de vie. Pour moi, c'est une faiblesse fondamentale de ces lignes directrices. Je ne connais pas d'autres lignes directrices qui se fondent sur de telles comparaisons entre les revenus. C'est très difficile de trouver un concept qui permette ces comparaisons.

Quelle est la famille type? Nous savons tous que le monde est complexe. Dans le cas d'une personne qui vient de divorcer, définir ce qu'est sa famille et le revenu dont elle a besoin avant de fixer le montant de la pension, c'est conceptuellement difficile. La mise en oeuvre d'un tel principe serait un cauchemar, je crois. En outre, ça engendrerait des ramifications. Les partenaires suivants devraient être pris en compte dans le calcul de la pension, avec toutes les répercussions négatives que cela peut avoir. Par exemple, beaucoup de femmes divorcées avec des enfants seraient pénalisées si elles se remariaient. Pourquoi? Parce que le revenu de cette personne serait pris en compte dans le calcul du montant et des rajustements. Nous sommes en train de nous organiser pour les pousser dans le piège de l'assistance sociale, une véritable plaie pour les régimes d'aide en général. Si l'on essaie de comparer les niveaux de vie, c'est ce que l'on fait.

Mon cinquième point concerne les rares cas de garde conjointe. Dans ces cas, le paiement dépend entièrement de cette comparaison des niveaux de vie des deux foyers. On ne devrait pas faire ça. Imaginez une personne qui est sur le point d'avoir un autre enfant, avec un nouveau conjoint, alors que son conjoint précédent s'est remarié. Il y a là un enfant, et un autre s'en vient.

Quel est le concept de la famille? Quelle est la pertinence d'égaliser les niveaux de vie de ces deux familles? Ces deux personnes ont continué à vivre leur vie. Il pourrait arriver que 10, 15 ou 20 ans plus tard, on dise: «Nous allons examiner votre famille et nous assurer que vous donnez assez d'argent à cette personne afin que sa famille ait le même niveau de vie que la vôtre.» Dans un an, si ce n'est pas avant, quand les gens commenceront à se rendre compte de la manière dont on fixe les montants des pensions, je pense qu'ils vont se rebeller.

Le point suivant, qui est un peu moins important, a trait au rajustement pour dépenses spéciales. Je me suis trouvé à être invité à une émission où se trouvait une personne qui, je crois, avait aussi témoigné devant ce comité. Je crois comprendre que cette personne appuie cette mesure, d'une façon générale. Il s'agit de M. Philip Epstein. Il a dit alors que cette disposition ne visait qu'à protéger les enfants qui pourraient devenir des athlètes olympiques. C'est très rassurant, sauf que, si je lis le projet de loi, il n'est question nulle part d'athlètes olympiques. On parle seulement d'«activités parascolaires». À mon avis, c'est une lacune énorme.

En fait, la question posée était très complexe. La véritable question était: cela n'ouvre-t-il pas les lignes directrices à toutes les interprétations, parce que nous ne savons pas à quoi vont aboutir les négociations qui minent le système actuel? Quelle est la définition d'une «activité parascolaire»? Qu'est-ce qui serait approprié? C'est quelque chose qui va se régler avec le temps, mais ce n'est pas une ligne directrice claire et bien conçue. De plus, ces dépenses spéciales sont déjà prévues, en moyenne, dans les montants fixés par les lignes directrices. Cela va compliquer les choses. Les paiements de base devraient être rajustés, parce que ces dépenses sont déjà prises en compte dans les niveaux actuels. Cela signifie que ceux qui doivent payer cela paieront deux fois ce genre de choses.

Finalement, rien ne garantit l'accès ni la manière dont l'argent sera dépensé. Je suis entièrement d'accord pour dire que la pension alimentaire pour enfants et l'accès à l'enfant sont deux questions totalement différentes qu'on ne devrait jamais confondre.

Je fais du travail empirique. Cela signifie que j'examine les chiffres et le monde. La réalité, comme tout le monde vous le dira, c'est que ces deux aspects sont inextricablement liés. J'ai vu la présentation de cette mesure comme une possibilité, pour le gouvernement, de régler des questions délicates concernant les pensions alimentaires pour enfants tout en adoptant des énoncés de principe comportant certaines garanties quant à l'accès à l'enfant et à l'utilisation de la pension.

En général, les parents qui ont la garde dépensent sagement l'argent dont ils disposent pour leurs enfants. Très souvent, les enfants reçoivent plus que leur part du budget du parent gardien, mais il y a aussi des cas où ce n'est pas vrai. Je reçois beaucoup de courrier de personnes vivant des situations de ce genre. Beaucoup de gens m'appellent pour me raconter leurs histoires d'horreur. Certaines situations ne peuvent être qualifiées d'histoires d'horreur, mais restent quand même discutables. Pourquoi n'y a-t-il pas moyen, en faisant en sorte qu'une somme juste soit accordée, d'établir certaines garanties que cet argent servira à l'éducation des enfants et que le parent ayant un droit d'accès pourra s'en prévaloir, si c'est justifié?

Qu'on me dise qu'on a mis beaucoup de temps à élaborer ces lignes directrices après maints efforts et beaucoup de consultation ne me rassure pas quand je vois le résultat. Je sais quelles seront les conséquences pour les gens, dès que la loi entrera en vigueur.

J'espère que je me trompe, mais je ne change pas d'idée là-dessus. Si l'on m'a invité à venir en parler, c'est pour que je souligne ces problèmes. Je crains que, lorsque cette loi sera en vigueur, dans un an, les gens viennent me demander «Pourquoi le gouvernement a-t-il conçu de telles lignes directrices?» Des représentants du ministère de la Justice ont dit qu'ils avaient fait des consultations aux quatre coins du pays et qu'ils avaient reçu toutes sortes de réactions favorables. Comment est-ce possible? Nous verrons. Le public tranchera, en bout de ligne.

Madame la présidente, c'est tout ce que j'avais à dire. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le sénateur Losier-Cool: Avez-vous dit que, si le temps d'accès du parent qui n'a pas la garde représente 20 ou 30 p. 100 du temps, la pension alimentaire devrait être réduite?

M. Finnie: Oui.

Le sénateur Losier-Cool: J'aimerais revenir sur votre opinion des lignes directrices. Préféreriez-vous un pourcentage uniforme ou des lignes directrices tenant compte du revenu? Vous êtes en faveur de lignes directrices, n'est-ce pas?

M. Finnie: Oui.

Le sénateur Losier-Cool: Mais pas de celles-ci?

M. Finnie: C'est exact. Le fait que le niveau de vie soit considéré dans les cas de garde conjointe est sans précédent. Si c'est adopté, le Canada sera le seul pays à avoir un tel système.

Il y a deux méthodes types. Il y a la méthode du partage du revenu, qui tient compte du revenu des deux parents. On commence en posant l'hypothèse que la famille est toujours intacte; on additionne donc les deux revenus pour avoir le revenu familial hypothétique, puis on utilise des estimations, par exemple celles de Statistique Canada, qui permettent de déterminer, pour un tel revenu familial, la somme qui est consacrée à l'enfant. On considère ensuite la répartition proportionnelle des deux revenus. Si l'un parent a 60 p. 100 de ce revenu tandis que l'autre en a 40 p. 100, on présume que la personne qui gagne 60 p. 100 du revenu assume 60 p. 100 des sommes dépensées pour l'enfant et que la personne qui a 40 p. 100 du revenu assume 40 p. 100 des dépenses.

La deuxième méthode consiste à fixer le montant simplement en fonction du revenu du parent qui n'a pas la garde. Au premier abord, tout le monde pense que c'est injuste. C'est ce que j'ai moi-même pensé. J'étais à l'Université du Wisconsin quand Irv Garfinkel y était. C'est le grand maître de ces questions. Je me souviens très bien de la conversation que j'avais eue avec lui. Il m'avait dit que, en fait, les deux méthodes aboutissent au même paiement, que cela ne change pas le montant de la pension.

J'en ai présenté un exemple, la dernière fois que j'ai pris la parole au comité. Essentiellement, quand on fait entrer dans l'équation le revenu du parent qui a la garde, le revenu familial augmente et les parts de chaque parent changent. En bout de ligne, ces deux facteurs se compensent largement. C'est un résultat surprenant. J'en ai des exemples.

Comme c'est surprenant, je vous demande, pour le moment, de me croire sur parole. C'est pour cette raison que j'appuie la structure de base des lignes directrices proposées par le ministère de la Justice. Elle se fonde uniquement sur la situation du parent qui n'a pas la garde. Elle ne change rien aux paiements ou au niveau des montants fixés. En fait, cela simplifie beaucoup le calcul. On a adopté cette méthode de base, mais on y a ajouté d'autres éléments, ce qui complique grandement les choses. D'une part, les concepteurs se sont dit: «Nous voulons que ce soit simple de fixer le montant des pensions, et nous avons donc adopté cette procédure pour en simplifier le calcul.» D'autre part, ils se sont dit: «À l'étape suivante, nous rendrons les choses beaucoup plus compliquées que l'utilisation des méthodes types, parce que nous y ajouterons des calculs des niveaux de vie.» Est-ce clair?

Le sénateur Forest: Est-ce que vous parlez des dépenses spéciales?

M. Finnie: Pour beaucoup de rajustements, d'un bout à l'autre des lignes directrices, il faut tenir compte de ces niveaux de vie ou de ces difficultés excessives. Dans le cas de la garde partagée moitié-moitié, c'est sûr que ce serait la base du calcul. Toutefois, beaucoup d'autres éléments dépendent de cette comparaison. Souvent, on ne sait pas s'il devrait y avoir un rajustement tant qu'on n'a pas fait les calculs. Comme ces calculs entrent souvent en cause, ça deviendrait la règle que de faire ces calculs compliqués sur les niveaux de vie.

Les lignes directrices de base fonctionneraient bien, parce qu'elles se fonderaient sur des principes d'équité raisonnables. Ce serait assez facile à appliquer, mais tous les avantages de cette démarche sont anéantis parce qu'on a aussi adopté ces calculs sur les niveaux de vie. La meilleure chose, ce serait de fonder le calcul sur le revenu du parent qui n'a pas la garde.

Par exemple, empiriquement, un certain nombre de gouvernements l'ont fait, et cela n'a rien d'aberrant. Le Wisconsin est très avancé dans ce domaine. Or, c'est ainsi qu'on fonctionne là-bas, et tout va très bien.

La pratique de fixer le montant de la pension en fonction du revenu des deux parents a été adoptée en bonne partie parce que les gens ne comprennent pas. Je ne veux pas avoir l'air prétentieux, mais c'est parfois difficile d'expliquer comment il se fait que les paiements ne changent pas beaucoup quand on considère les deux revenus. Les gens ont foncièrement l'impression que c'est plus juste de fixer les paiements en fonction du niveau de vie des deux parents. C'est la raison qui fait qu'on adopte parfois un tel système. Le ministère de la Justice conserve toutefois mon appui à cet égard.

Le sénateur Forest: Vous dites que ces lignes directrices fondées sur un seul revenu ne sont pas rares, et que d'autres gouvernements ont adopté de telles mesures. Savez-vous ce qu'on fait, dans ces cas-là, pour tenir compte des dépenses supplémentaires pour maladie ou invalidité, par exemple? Que fait-on pour les cas spéciaux?

M. Finnie: Lorsque j'ai une question précise de ce genre, j'appelle Irv Garfinkel. Généralement il me répond que c'est difficile à dire. À ma connaissance, personne n'a encore fait une évaluation d'ensemble. Je ne pense pas, par exemple, que le ministère de la Justice en ait trouvé une. Aux États-Unis, chaque État a ses propres règles. Il y a les règles écrites et il y a ce qui se fait dans la pratique. Souvent, les règles écrites ne sont pas appliquées et on ne suit pas les lignes directrices, spécialement si elles semblent ne pas bien fonctionner.

Je n'ai jamais vu de résumé répondant à la question: Comment est-ce que ça se présente dans les 50 États? Comment est-ce que ça se passe en Angleterre? Certains en ont et d'autres n'en ont pas. Et leur application varie énormément. J'aimerais moi-même en savoir davantage sur la question, mais il semble que ce genre de données n'existe pas.

Le sénateur Forest: Quelqu'un a dit que les lignes directrices couvraient également les frais supplémentaires, tels que les frais inhabituels, les frais médicaux, les frais relatifs à une invalidité, et cetera. L'un des témoins, citant le montant moyen des versements mensuels, a dit qu'il ne comprenait pas comment cela pourrait suffire en cas de frais médicaux extraordinaires.

M. Finnie: Le Canada est différent des États-Unis. Les choses dont il faut tenir compte aux États-Unis sont différentes de ce dont il faut tenir compte ici. Pensons, par exemple, à leur système privé de soins de santé et à leur système privé d'éducation. En général, on ne peut donc pas comparer les Canada et les États-Unis. Notre système d'aide sociale à l'égard des enfants, des familles et des particuliers est suffisamment développé qu'un grand nombre de ces questions ne se posent pas.

Toutefois, je conviens que ces montants ne tiennent pas compte de circonstances vraiment extrêmes. Il semble qu'on ait donné carte blanche quant à l'interprétation du terme «parascolaire». Est-ce qu'il s'applique à une paire de chaussures de course pour un enfant qui fait partie d'une équipe d'athlétisme? À un athlète de calibre olympique? À un enfant qui a besoin de services de santé spéciaux en raison d'une invalidité? Ce n'est pas clair.

Le sénateur Forest: Ce qui m'inquiète c'est qu'avec les compressions qui touchent les soins de santé et l'éducation, tant dans ma province, l'Alberta, qu'ici en Ontario, les parents doivent maintenant prendre en charge beaucoup de choses qui avant étaient couvertes.

M. Finnie: Au fil des années, il faudra sans doute rajuster, probablement à la hausse, le barème de base des pensions alimentaires pour tenir compte de cet état de choses. Ce serait équitable. Par ailleurs, il serait sans doute souhaitable de définir très clairement les frais qui devraient être acceptés comme exceptionnelles et ceux qui ne devraient pas l'être.

Je ne m'oppose pas à ce qu'on inclue des frais véritablement exceptionnels. Si ce qu'il en coûte d'élever un enfant augmente de façon générale, il faut que cela se réfléchisse dans le montant des pensions alimentaires. Je ne suis pas contre leur augmentation. L'une des raisons pour lesquelles je suis en faveur de lignes directrices c'est que j'estime que les pensions alimentaires ont toujours été insuffisantes. Par contre, il ne faudrait pas qu'elles soient trop élevées. Il faudrait qu'elles suffisent.

Le sénateur Jessiman: J'aimerais vous faire remarquer que vous aviez raison la première fois que vous avez parlé de la question de deux revenus. Vous dites que ça n'a pas d'importance. Je suppose que c'est vrai si on tient compte des deux revenus dès le départ. Le montant que paye le parent qui n'a pas la garde n'est pas très différent qu'on tienne compte uniquement de son revenu ou des deux. C'est ce que vous avez dit aujourd'hui et c'est ce que vous avez dit dans votre mémoire, mais vous admettez qu'au début vous trouviez que c'était injuste.

M. Finnie: Effectivement, c'était ma première réaction.

Le sénateur Jessiman: J'ai moi-même essayé de réfléchir à la question. Je suis d'accord avec vous pour ce qui est de la décision initiale.

Mais lorsque le parent qui a la garde commence à gagner plus, la pension alimentaire versée par l'autre parent demeure inchangée et l'enfant bénéficie d'un revenu supplémentaire. Par contre, si le revenu du parent qui n'a pas la garde augmente, la pension qu'il verse augmente. Cet argent ne va pas forcément uniquement à l'enfant. Il va à l'enfant et au parent qui a la garde puisqu'ils vivent ensemble.

Le ministère de la Justice m'a écrit une lettre disant que le niveau de vie de l'enfant et celui du parent qui avait la garde étaient indissociables puisque l'enfant habitait dans la maison de ce dernier.

Je pars de l'hypothèse que le parent qui a la garde ne touche pas de pension alimentaire pour lui et qu'il gagne suffisamment pour payer un certain pourcentage des dépenses relatives à l'enfant. Toutefois, lorsque le parent qui n'a pas la garde paye davantage, c'est toute la famille qui touche plus, pas uniquement l'enfant. Et ça, ce n'est pas juste.

M. Finnie: L'argument présenté par le ministère de la Justice dans sa lettre est tout à fait juste. On ne peut dissocier le bien-être de l'enfant de celui du parent qui en a la charge, ce qui représente l'un des grands paradoxes de la question des pensions alimentaires pour enfants. En un sens, la raison d'être des pensions alimentaires est de s'assurer que l'enfant à de quoi subvenir à ses besoins. Toutefois, son niveau de vie est inextricablement lié à celui du parent qui a la garde. Et là commence le dilemme fondamental. On veut venir en aide à l'enfant, mais pour ce faire, on est obligé dans une certaine mesure d'aider le parent qui a la garde, qu'on le veuille ou non. C'est de là que viennent la plupart des conflits concernant les pensions alimentaires. Le parent qui n'a pas la charge dit: «Je verse tout cet argent et ils vont s'installer dans un quartier plus agréable». Bien sûr, et c'est tout à l'avantage de l'enfant.

De même, une partie de chaque dollar que dépense le parent qui a la garde profite à l'enfant. Quand son revenu augmente, il est presque inévitable qu'une partie de cet argent aille à l'enfant. En fait, le montant des pensions est basé sur des recherches qui ont révélé que les parents ayant un revenu élevé dépensaient beaucoup plus pour leurs enfants.

Par conséquent, plus le revenu du parent qui a la garde augmente, de façon générale et en moyenne, plus il consacre d'argent à son enfant. On prend pour acquis que, dans la majorité des cas, le parent qui a la garde subvient aux besoins de l'enfant. Il faudrait toutefois trouver un moyen de s'en assurer.

Cet ajustement automatique n'existe pas dans le cas du parent qui n'a pas la garde; le pourcentage est calculé en fonction de la proportion de son revenu supplémentaire qu'il consacrerait à son enfant s'ils vivaient encore ensemble. C'est la base de l'augmentation de la pension alimentaire à verser.

En résume, lorsque le revenu du parent qui a la garde augmente, ce dernier consacre généralement plus à son enfant, et vice versa. Dans le cas du parent qui n'a pas la garde, puisque son appui financier à son enfant passe par l'intermédiaire de la pension alimentaire, il faut en ajuster le montant en conséquence.

En fin de compte, mis à part le divorce, qu'on tienne compte du fait qu'il y ait un ou deux parents, le montant est à peu près le même.

Beaucoup de personnes pensent que le montant des pensions alimentaires devrait dépendre du revenu du parent qui a la garde, mais certaines demandent: «Si le revenu du parent qui a la charge augmente, la pension alimentaire versée par l'autre parent devrait-elle augmenter ou diminuer?»

Le sénateur Jessiman: Elle devrait diminuer.

M. Finnie: Certains pensent qu'elle devrait augmenter en raison des répercussions fiscales que cela entraînerait compte tenu de l'état actuel du système, ou parce que le revenu familial étant plus élevé la pension devrait augmenter d'autant. Théoriquement, cela pourrait se produire. L'ironie c'est qu'on s'entend en général pour dire que la pension alimentaire devrait être rajustée en fonction du revenu du parent qui a la garde, mais on ne sait pas s'il faut la rajuster à la hausse ou à la baisse. C'est un autre exemple de la complexité de la question.

Je pense que les lignes directrices actuelles sont bonnes. Je comprends qu'elles soient critiquées. Je pense que le ministère de la Justice a pris une position courageuse que j'applaudis lorsqu'il a décidé qu'il valait mieux prendre le revenu d'un seul parent comme base, même si c'est parfois difficile à expliquer. Ceci dit, c'est dommage qu'il ait saboté cet avantage en comparant les niveaux de vie.

Le sénateur Jessiman: La dernière fois que vous avez comparu devant nous, vous avez dit que les frais spéciaux ou extraordinaires, dont une bonne partie figure à l'article 4 des lignes directrices, étaient déjà inclus dans le barème. Je sais que vous y avez travaillé, mais êtes-vous absolument certain que ce soit le cas? Est-ce que vous dites qu'ils sont inclus parce que vous y avez travaillé quand on a fixé le barème?

M. Finnie: Je n'ai pas établi le barème. Il est basé sur le calcul estimatif de ce qu'une famille dépense pour ses enfants. Une grande partie de ce travail a été fait par Statistique Canada et par un de mes collègues, Martin Browning, de l'Université McMaster. Ils ont essayé d'évaluer le total et la moyenne des frais en fonction du revenu.

Quand on parle du total des frais, on inclut des choses comme les frais de garderie. Ils entrent en ligne de compte lorsqu'on calcule combien les parents dépensent pour leurs enfants, ce qui constitue la base des pensions alimentaires. Ces montants y figurent sous forme de moyenne.

Si quelqu'un a des frais de garderie et qu'ils figurent déjà dans le montant de la pension alimentaire sous forme de moyenne, on peut réfuter que ce n'est qu'une moyenne et que ce que paye cette personne est supérieur à cette dernière. Si on veut que la pension alimentaire couvre les frais de garderie, il faudrait en diminuer le montant de base et, au lieu d'y inclure un montant moyen, y ajouter le montant réel des frais de garde. Je suis contre ce principe. Si c'est ce que vous voulez, c'est la meilleure façon de le faire, mais ce n'est pas une bonne chose car cela compliquerait énormément le calcul de la pension et éliminerait les avantages que présentent les lignes directrices.

Le sénateur Jessiman: Est-ce que cela s'applique à chaque paragraphe?

M. Finnie: Du projet de loi C-51?

Le sénateur Jessiman: Non, j'en suis à la page 4 des lignes directrices. Cela ne figure pas dans le projet de loi.

M. Finnie: Pouvez-vous les énumérer?

Le sénateur Jessiman: On y parle de frais de garde et de frais extraordinaires relatifs aux soins de santé.

M. Finnie: Dans l'ensemble, oui.

Le sénateur Jessiman: Ensuite, il est question de frais extraordinaires relatifs aux études primaires ou secondaires.

M. Finnie: Oui.

Le sénateur Jessiman: Ces dispositions portent également sur tout programme éducatif qui répond aux besoins particuliers de l'enfant.

M. Finnie: Oui.

Le sénateur Jessiman: Il est également question des frais relatifs aux études postsecondaires.

M. Finnie: Cela dépend du calcul exact.

Le sénateur Jessiman: Cela pourrait être aléatoire.

M. Finnie: Oui. En général, j'ignore pourquoi ces dispositions sur les études postsecondaire figurent dans les lignes directrices. Ce sont des adultes à ce moment-là, et il ne s'agit plus de pensions alimentaires pour enfants. C'est comme ça que je contournerais le problème.

Le sénateur Jessiman: Et pour finir, il y a les frais extraordinaires relatifs aux activités parascolaires.

M. Finnie: C'est exact.

Le sénateur Jessiman: Passons à la page 7, s'il vous plaît, où il est question de garde partagée. Comment modifieriez-vous cette disposition de façon à couvrir les situations dont vous avez parlé, lorsque la garde n'est pas partagée également mais plutôt à 30 ou 40 p. 100? Vous avez dit que vous pourriez nous fournir une grille pour les cas de ce genre.

Je veux parler du numéro 7, à la page 7, qui porte sur les cas où les deux époux se partagent la garde physique de l'enfant. On a ajouté les mots «en proportion sensiblement égale» que j'aimerais voir disparaître. Quand j'ai demandé à quelqu'un du ministère ce que cela voulait dire, on m'a répondu que les parents devaient se partager la garde moitié moitié.

M. Finnie: Je traiterais le numéro 7 comme le numéro 6. Le numéro 6 est entièrement intelligent. Il y est question de la garde exclusive. C'est l'une des ironies de la façon dont les choses ont été faites. D'après le numéro 6, l'ordonnance alimentaire irait à l'un au détriment de l'autre. On suppose que l'enfant est tout le temps avec l'un des parents et on calcule la pension alimentaire. On suppose que l'autre enfant est tout le temps avec l'autre parent, puisque le numéro 6 est basé sur deux enfants. Il faut alors se demander ce que l'un des parents doit à l'autre pour l'autre enfant et la différence constitue la pension alimentaire nette.

Le sénateur Jessiman: C'est comme ça que vous procéderiez?

M. Finnie: Oui. L'ironie c'est que si vous avez deux enfants dans deux foyers différents, il n'y a qu'une seule façon de calculer le montant de la pension. Toutefois, si vous avez deux enfants et que chacun passent la moitié de son temps dans un foyer et l'autre moitié dans l'autre, les lignes directrices sont complètement différentes et beaucoup plus compliquées. On ne m'a pas expliqué la logique de la chose. Dans chaque cas, chaque parent a la moitié des enfants la moitié du temps et le premier cas est tout à fait sensé. J'applaudis le ministère de la Justice pour avoir choisi cette approche. Par contre, je déplore qu'il ait adopté l'article 7 et je l'exhorte à y inclure la même méthode de calcul que celle qui est préconisée à l'article 6, ce qui serait entièrement équitable.

Le sénateur Jessiman: Cela couvrirait la garde partagée à temps égal.

M. Finnie: Oui, et on pourrait procéder aux ajustements nécessaires. Il ne serait pas difficile de produire un ensemble de tableaux qui donnerait le montant de la pension selon le pourcentage de la garde, qu'il soit de 40 p. 100, de 30 p. 100 ou autre. Après cela, je maintiendrais la pension au même niveau.

Le sénateur Jessiman: Il y a une limite, disons 10 p. 100.

M. Finnie: Ça ne vaut pas la peine. Ça dépend des cas. On devrait avoir des barèmes secondaires. Un parent qui n'a son enfant que 20 p. 100 du temps peut quand même avoir des dépenses importantes telles qu'une chambre de plus, par exemple. Il se peut que les parents décident que l'enfant doit avoir sa chambre aussi chez le parent qui n'a pas la garde afin qu'il continue d'avoir l'impression d'être chez lui, et cetera. Je conviens que cela compliquerait le calcul de la pension alimentaire, mais pas énormément.

Le sénateur Jessiman: Pourriez-vous nous fournir une grille en fonction du pourcentage du temps que l'enfant passe avec ses parents?

M. Finnie: Personnellement non, mais je connais quelqu'un qui pourrait vous le faire pour le prix d'un petit contrat de recherche.

La présidente: Professeur Finnie, dans quel pays ou dans quel État les juges sont-ils obligés de suivre des lignes directrices pour fixer le montant d'une pension alimentaire?

M. Finnie: Je le répète, il y a la loi et il y a la pratique, même lorsque les lignes directrices sont censées être obligatoires. Aux État-Unis, elles devaient l'être dans tous les États. À ma connaissance c'est au Wisconsin qu'elles sont le mieux respectées et encore ce n'est qu'à 70 p. 100.

La présidente: Même là, c'est à la discrétion du juge.

M. Finnie: Oui, et c'est d'ailleurs l'un des dangers. Les problèmes sont évidents. Certains magistrats trouveront les lignes directrices injustes et n'en tiendront pas compte et d'autres les appliqueront. Les incohérences et le manque de standardisation caractéristiques du régime actuel pourraient être aussi graves, voire même pires avec des lignes directrices.

La présidente: Dans quelle juridiction l'application des lignes directrices est-elle laissée à la discrétion du juge?

M. Finnie: Je ne peux pas répondre à cette question.

Le sénateur Phillips: Professeur Finnie, hier j'ai posé une question au professeur Bala, de l'Université Queen's. Sa réponse ne m'a pas entièrement convaincu alors je vais vous la poser à vous aussi.

Les effets de cette mesure législative sur les enfants d'un second mariage m'inquiètent. Ces gens n'ont pas fait voeu de chasteté. Très souvent ils se remarient et ont une seconde famille. Je trouve que cette mesure législative tient très peu compte de cette seconde famille. Et ce particulièrement dans le cas des gens à faible revenu comme les agriculteurs, les pêcheurs, les chauffeurs de camion. Au Canada, même un technicien très spécialisé a beaucoup de chance s'il gagne 40 000 $ par an. Obliger les gens à faible revenu à subvenir aux besoins de deux familles et de deux foyers, comme le propose cette mesure législative, est injuste.

Un autre témoin qui a comparu devant nous a essayé me convaincre que la deuxième famille s'en tirait généralement mieux que la première. Êtes-vous d'accord? Avez-vous des chiffres pour étayer cette affirmation?

M. Finnie: Non je n'en ai pas. Et je serais très surpris qu'il y en ait. J'aimerais voir la source de ces données parce que l'un des problèmes que nous avons dans tout ce débat, c'est que nous n'avons pas assez de données.

J'ai fait pas mal de recherche sur ce qui se passait au moment du divorce. J'ai écrit de nombreux articles qui ont été publiés dans des revues scientifiques. Je ne pense pas qu'il existe de données d'ensemble sur le niveau de vie des deux familles qui nous permettent d'affirmer une telle chose. Même si c'était possible, je me demande où ça nous mènerait.

Je comprends vos objections. Je pense que je n'ai ni la tête ni les pieds dans le ciment. Je suis prêt à changer ma façon de voir les choses. L'une des questions sur lesquelles j'ai changé d'avis au fil des ans est précisément celle-ci. Au début, je pensais que le montant ne devait pas être modifié. Si une personne recommençait sa vie et avait une seconde famille elle devait respecter ses obligations précédentes et continuer à verser la pension alimentaire.

Toutefois, j'ai reçu beaucoup de commentaires de la part de personnes qui me disaient que même dans les familles intactes cela ne se passait pas comme ça. Lorsqu'un deuxième enfant naît, il y a moins de ressources pour le premier. Je me suis mis à réfléchir à la question et je suis revenu sur ma position. J'ai plutôt tendance à voir la chose comme vous maintenant.

Ceci dit, les lignes directrices actuelles y font vaguement référence. Ce n'est qu'une vague référence, je vous l'accorde. N'oublions pas qu'il a fallu cinq ans pour en arriver là et que si les choses ne sont pas encore parfaites, elles vont aller en s'améliorant. Je partage vos inquiétudes. Il devrait y avoir une règle claire.

Personnellement, je rajusterais les pensions alimentaires. Selon mes propres lignes directrices, la pension alimentaire serait d'environ 18 p. 100 du revenu du parent qui n'a pas la garde pour un enfant et d'à peu près 30 p. 100 pour deux enfants. Si le deuxième enfant est le produit d'un second mariage, le parent pourrait s'attendre à payer au total 30 p. 100 de son revenu pour les deux enfants, et la pension alimentaire du premier serait légèrement rajustée à la baisse. Cela indiquerait que le parent est responsable, qu'il continue à subvenir aux besoins de ses enfants, à part égale, sans accorder de traitement préférentiel au premier, comme cela se fait dans les mariages intacts.

Je le répète, je comprends vos objections. On fait vaguement référence à un rajustement. Mais je n'ai pas la moindre idée de ce qu'on entend par là. On peut penser à un libellé précis qui serait utile et approprié.

Donnez-moi un autre contrat et je vous arrangerai ça. Je peux tout arranger. C'est ce qu'il y a d'encourageant dans tout cela. Il n'y a pas un seul problème qui soit difficile à régler.

Le sénateur Phillips: Vous avez dit au cours de vos remarques qu'il n'y avait aucune garantie que l'argent soit dépensé à bon escient. C'est une plainte que j'ai souvent entendue de la part du parent qui n'a pas la garde et qui continue à verser une pension alimentaire à son ex-épouse, même si elle a une seconde famille. Il n'a aucun moyen de savoir si l'argent qu'il verse pour ses enfants est effectivement utilisé pour ces derniers ou s'il sert à subvenir aux besoins du reste de la famille. Y aurait-il un moyen de régler ce problème?

M. Finnie: Ce n'est pas une question facile. Je ne veux pas donner l'impression que la solution est aisée, car elle ne l'est pas. Au minimum, les lignes directrices pourraient contenir une déclaration de principe appropriée. C'est une question qui préoccupe le gouvernement; on peut bien déclarer que la plupart des parents qui ont la garde dépensent cet argent à bon escient. Il n'en demeure pas moins qu'il serait logique d'avoir des garanties -- pas seulement des voeux pieux, des garanties-- que l'argent est effectivement dépensé de cette façon.

Il y a déjà des procédures judiciaires établies pour ce faire. Ce n'est pas mon domaine. Je ne suis pas spécialiste en la matière. Cela relève davantage des mécanismes concernant le problème du non- versement et l'utilisation de l'argent.

On pourrait au moins avoir une déclaration de principe suffisamment générale et rédigée dans le meilleur langage juridique possible à ce stade pour permettre de faire appel si nécessaire.

Quant ils se plaignent de la sorte c'est souvent que les parents qui n'ont pas la garde trouvent que leur contribution n'est pas reconnue. À preuve cette simple phrase: «Je payerais si je savais où allait l'argent.»

Je le répète, il faut que le gouvernement adopte une déclaration de principe rédigée de façon à permettre de faire appel sans pour autant faire traîner indéfiniment chaque affaire. Il faudrait s'assurer que cette procédure sera réservée aux cas exceptionnels et qu'elle ne deviendra pas un moyen de harceler le parent qui a la garde.

Le sénateur Phillips: Hier, les provinces se sont réunies et ont laissé entendre qu'elles étaient prêtes à conclure un accord avec le gouvernement fédéral aux termes duquel chaque enfant recevrait une allocation de 103 $ par mois. À quel parent serait-elle versée et quelle serait son incidence sur les pensions alimentaires?

M. Finnie: C'est une observation très perspicace. Cela pose toute une série de questions. Dans la partie initiale de mon document, je fais remarquer que nous ne savons pas quelles seront les répercussions de ces mesures, du point de vue fiscal. J'ignore tout des calculs définitifs car je n'ai pas participé à cette étape de l'élaboration du barème. Nous ne savons rien des crédits fiscaux. Vous devriez demander au ministère de la Justice comment on tient compte des crédits fiscaux et de tous les avantages dont bénéficie le parent qui a la garde de l'enfant. Entrent-ils en ligne de compte ou non?

On a rendu publique une étude comparant le niveau de vie des parents s'ils avaient le même niveau de revenu. Est-ce qu'on tient compte, dans le revenu, des crédits fiscaux -- qui sont maintenant substantiels -- accordés au parent qui a la garde? Ou est-ce qu'on fait le calcul du revenu sans tenir compte des crédits fiscaux? Est-ce qu'ils deviennent simplement un gain fortuit pour le parent qui a la garde? Comprenez-vous ce que je veux dire?

Le sénateur Phillips: Oui.

M. Finnie: Vos remarques sont pertinentes car si les avantages fiscaux qui vont directement au parent qui a la garde n'entrent pas dans le calcul des pensions alimentaires, il faudrait y voir. Cette nouvelle prestation est suffisamment importante pour qu'on en tienne compte. Même si on les prend en considération, et dans la mesure où on le fait, les pensions alimentaires devraient être rajustées en conséquence. Je dois dire que je n'y ai pas pensé ce matin quand j'ai lu le journal.

Si le gouvernement est vraiment sur le point d'accorder cette allocation supplémentaire aux enfants, il faudrait que les lignes directrices en tiennent compte. Si je dis ça c'est qu'en fait le gouvernement a décidé de prendre en charge les enfants. De ce fait, le barème devrait être rajusté en fonction de cette prise en charge.

Le sénateur Phillips: Pour deux enfants, l'allocation serait de 2 400 $ par an et le barème ne serait pas proportionnel. Les augmentations se feraient par tranche de 10. Ce qui, par exemple, ferait augmenter le revenu d'un individu de 18 000 $ à 20 000 $, le faisant changer de tranche d'imposition. Ce dernier serait alors obligé de demander un rajustement du barème.

Le sénateur Losier-Cool: Feriez-vous référence au tableau de 1996? Il y a un nouveau tableau qui indique la différence à un dollar près.

Le sénateur Phillips: Je fais référence au tableau de 1996.

Le sénateur Losier-Cool: Le professeur Bala a dit hier qu'il aimerait que le nouveau tableau soit rendu public. Dans ce nouveau tableau, les montants sont donnés sous forme de pourcentage du revenu modifié.

Le sénateur Jessiman: Est-ce que vous voulez dire que ce serait proportionnel?

Le sénateur Losier-Cool: Je fais référence à la catégorie dans laquelle tombe la différence d'un dollar. Je n'ai pas encore le nouveau tableau. Je regarde celui de juin 1996. Le nouveau tableau indique les montants sous forme de pourcentage du revenu.

Le sénateur Jessiman: Donc si c'est 500 $, ça fera 50 p. 100 de plus, n'est-ce pas?

Le sénateur Losier-Cool: C'est ce que je comprends.

Le sénateur Jessiman: Le professeur Finnie a dit que si on gagnait x dollars, on versait une somme donnée représentée par y, Toutefois, si on gagne 1 $ de plus, on doit verser y plus 15 $, bien qu'on ne gagne qu'un dollar de plus. Est-ce que vous voulez dire, comme il l'a suggéré, qu'il y aura des paliers et que ce sera proportionnel?

Le sénateur Losier-Cool: Exactement.

Le sénateur Jessiman: Ne pensez-vous pas qu'avant d'adopter ce projet de loi nous devrions voir ce tableau?

Le sénateur Pearson: J'aimerais ajouter une précision au sujet de la prestation fiscale pour enfant. Elle vise les enfants pauvres. Elle ne sera pas accordée aux familles riches. Envisager de réduire en fonction de la prestation fiscale pour enfant ce que les parents versent à leurs enfants ne serait pas un service à rendre à ces derniers.

Le sénateur Phillips: Je ne parlais pas des enfants dont les parents gagnent 100 000 $ chacun. Je parlais des gens qui gagnent 20 000 ou 30 000 $ par an. Autrement dit les travailleurs pauvres.

Le sénateur Forest: La notion qu'une prestation supplémentaire pour les enfants pauvres entraînerait la diminution des pensions alimentaires va à l'encontre de la raison d'être de ces mesures.

M. Finnie: Je ne suis pas d'accord. Nous convenons que les lignes directrices sont basées sur la notion que les dépenses qui restent à payer par les parents devraient être partagées à part égale entre les deux parents, ou en fonction de leur revenu.

Le sénateur Forest: Je parle de l'annonce faite hier.

M. Finnie: Je suis d'accord. Nous parlons de tous les avantages fiscaux de ce genre. Disons que le coût résiduel d'un enfant est de 5 000 $ par an. Disons également que les parents ont tous deux un faible revenu et qu'il est identique. Dans un sens, chacun d'entre eux paye 2 500 $, l'un du fait qu'il vit avec l'enfant et l'autre sous forme de pension alimentaire.

Disons que le gouvernement intervient et accorde une prestation fiscale de 1 000 $ pour cet enfant. Le parent qui a la garde dispose maintenant de 1 000 $ qu'il peut utiliser à sa guise. Une partie de cet argent ira certainement à l'enfant. Mais qu'est-ce que le parent qui a la garde va en faire exactement de cet argent? Cela veut dire que les frais relatifs à l'enfant ne sont plus partagés à part égale. C'est un manquement au principe de l'équité sur lequel reposent les lignes directrices.

Le sénateur Forest: Supposons qu'on règle la question de l'équité. L'idée est de sortir ces enfants de la pauvreté. Si on diminue le montant des pensions alimentaires, on va à l'encontre de la raison d'être de cette mesure.

M. Finnie: Les pensions alimentaires ne seraient pas diminuées d'un montant équivalent. Elles seraient rajustées de façon à ce que le parent qui n'a pas la garde continue à payer sa juste part, c'est-à-dire égale à celle du parent qui a la garde. La réduction ne serait pas égale à la prestation. On maintiendrait l'équité en s'assurant que les parents continuent à contribuer à part égale, qu'ils aient la garde ou non.

La présidente: Monsieur Finnie, comme vous le savez, cette allocation sera accordée à toutes les familles pauvres, pas uniquement aux familles divorcées.

Le moment est venu d'entendre le prochain témoin. Je vous remercie, monsieur Finnie, d'avoir comparu une deuxième fois devant notre comité.

Le témoin suivant est Sean Cummings, de Halifax. Il est président de Fatherhood... Imagine that! Veuillez commencer, monsieur Cummings.

M. Sean B. Cummings, président, Fatherhood... Imagine that!: Madame la présidente, membres du comité, j'ai un fils et je n'en ai pas la garde. Ce n'est pas ce que j'aurais voulu. Je voulais continuer à jouer mon rôle de père comme avant mon divorce. Malheureusement, pour la plupart des gens, la situation se détériore après un divorce. Il faut procéder aux ajustements nécessaires.

Notre organisme représente des parents de la Nouvelle-Écosse qui n'ont pas la garde de leurs enfants, et leur famille élargie. Créé en réponse à un besoin qui existe dans ma localité, et en fait dans tout le Canada, notre organisme offre un soutien de première ligne aux parents qui essayent désespérément de faire face à la perte de leurs enfants. Nous offrons de l'information, un service de défense des droits des parents, et la mise en commun de nos idées car tous les pères et toutes les mères qui appartiennent à notre organisme ont une chose en commun, un profond sentiment de perte.

Essayez de vous imaginer ce que c'est de perdre un enfant et de continuer à vivre. Essayer de faire coïncider les rêves et les espoirs que vous avez pour vos enfants avec un calendrier rigide de visites et de vacances. Si on ne l'a pas vécu, on ne peut pas vraiment comprendre le désespoir total que ressentent les parents qui ont perdu leur rôle de parents et leurs enfants le jour où on leur en a enlevé la garde. Imaginez votre coeur qui chavire tous les quinze jours lorsque vous aidez vos enfants à faire leurs bagages, le dimanche après-midi. Imaginez la tristesse qu'un enfant de six ans essaye d'exprimer à sa manière quand il vous fait un signe d'adieu alors qu'il s'éloigne avec l'autre parent.

Essayez de vous imaginer qu'il n'y a pas si longtemps vous jouiez un rôle important dans la vie de vos enfants. Vous étiez un parent; vous vous occupiez d'eux, vous les encouragiez, vous les entouriez d'affection; vous les écoutiez avec plaisir vous raconter leurs victoires et vous partagiez leurs déceptions; à la naissance, vous les avez pris dans vos bras; bébés, vous les avez nourris et changés; vous les avez accompagnés à l'autobus le premier jour où ils sont allés à l'école. On ne peut pas acheter des expériences de ce genre. Le premier jour de classe est unique car il n'arrive qu'une seule fois dans leur vie.

Puis il y a les autres expériences que vous allez rater. La première dent qui tremble; la première bagarre dans la cour de l'école; la première pièce à l'école; le premier rendez-vous. Est-on encore un parent?

Quel genre de pays aurons-nous le jour où les enfants grandiront sans être entourés quotidiennement par leurs deux parents? Aurons-nous une nation de familles monoparentales? Aurons-nous un pays où les enfants n'ont pas de père? Aurons-nous un pays où toute une génération d'enfants risquent d'éprouver de graves problèmes sociaux et d'être condamnés à répéter les erreurs de leurs parents? Avez-vous jamais pris la peine de demander aux enfants ce qu'ils voulaient?

Une génération de jeunes Canadiens souffrent en silence et réagissent de façon négative au fait qu'il manque un élément vital dans leur existence: l'autre parent. Ces jeunes marchent sur une corde raide, au bord du précipice, emportés dans un tourbillon d'émotions et de complications, déchirés par l'amour et la loyauté qu'ils portent à chacun de leurs parents. Ils utilisent un langage diplomatique de peur de peiner leur père ou leur mère. Ils rassemblent tout leur courage et passent leur temps à compter sur le calendrier les jours qui les séparent de l'autre parent et les jours qu'ils passeront avec ce dernier. C'est ça la réalité pour les enfants de la fin du XXe siècle.

Est-ce que nous comprenons leur souffrance? Est-ce que nous pensons vraiment que la solution à tous les problèmes de la vie se trouve dans le labyrinthe que sont les lignes directrices qui constituent l'essence du projet de loi C-41 lequel n'est rien d'autre que la mise à prix de nos jeunes?

Que vaut un enfant? De 300 à 400 $ par mois? Une visite chez McDonald's tous les quinze jours, le vendredi de 16 à 18 heures, et une partie de notre revenu? Est-ce vraiment ça que vaut un enfant? Nos enfants ne sont-ils rien d'autre qu'une denrée taxable? Comment mesurer leur valeur? Combien coûtent-ils? Combien devrait-on dépenser pour produire une génération d'enfants heureux et sains? Est-ce que le versement mensuel d'une pension alimentaire suffit à assurer leur développement affectif? Est-ce que l'enfance est quelque chose qu'on peut acheter?

Où sont les héros dans tout cela? Certains applaudiront les grands progrès qui sont faits pour éliminer la pauvreté chez les enfants canadiens, ce qui est l'un des principaux objectifs de cette mesure législative. On la considère comme héroïque dans certains cercles, c'est-à-dire parmi ceux qui ont la garde de leurs enfants.

Je suis le héros de mon fils. Il a six ans. Ma nouvelle épouse et moi l'avons 10 jours par mois. J'habite à 800 mètres de l'appartement de sa mère et à 600 mètres de son école. Quand nous sommes ensemble, je me sens entier et je sais qu'il est véritablement heureux, le genre de bonheur que nous ressentons tous lorsque nous retrouvons quelqu'un que nous aimons et que nous n'avons pas vu depuis longtemps. Quand on a six ans, 10 jours c'est une éternité.

Je gagne beaucoup moins que sa mère. Je n'ai pas les moyens de demander une ordonnance de modification au tribunal. Et de toutes façons je ne le veux pas. La pension alimentaire, c'est juste de l'argent. Ce n'est pas de l'amour et ça ne fait pas de vous un héros aux yeux de vos enfants.

Je suis le père de mon fils et son héros. Je le mets sur mes épaules pour qu'il puisse voir le monde à travers les yeux de son père, pour qu'il puisse se sentir grand, pour qu'il puisse être un homme de six ans.

Je suis son héros parce qu'au printemps, nous faisons un potager dans le jardin. Tout l'été nous l'entretenons et à l'automne nous faisons la récolte ensemble. Ça lui donne le sens des responsabilités, ça le prépare à son futur rôle de père. Il a hâte d'être grand frère; il a également hâte d'être un homme.

Je suis son héros parce que nous nous promenons ensemble dans la fraîcheur de l'après-midi, à l'ombre de la citadelle de Halifax. Je suis son héros parce que nous parlons des choses les plus extraordinaires, de ce qui est important pour un enfant de six ans. Nous parlons des flocons de neige, des vagues sur l'océan. Nous parlons de notre héros commun, Spiderman, comme s'il existait vraiment. Pour mon fils, il existe vraiment, et s'il existe pour lui, il existe aussi pour moi.

Quel est le prix de l'enfance? Nous parlons de sa peur du noir, des accidents qu'il a de temps à autre dans son lit. Nous parlons de mes grandes mains et de ses petites mains. Nous parlons de sa mère qui a l'intention d'aller s'installer à Edmonton cet été. Vous voyez, quand on a six ans, Edmonton c'est tout près de l'appartement de maman. On peut continuer à aller voir papa 10 jours par mois et après l'école on peut aller se promener à l'ombre de la citadelle de Halifax.

Quel est le prix de l'enfance de mon fils? Combien vaut-elle? Sa jeunesse me ravit; son innocence est source de joie; son trouble source de douleur pour nous deux. Son espoir est mon espoir.

À combien peut-on évaluer une promenade à l'ombre de la citadelle de Halifax dans la fraîcheur d'un après-midi atlantique? Combien valent un sourire ou un anniversaire manqué? Quel prix mettre sur le trouble d'un petit garçon qui doit déménager dans une ville où il n'est pas né et qui, de sa jeune vie, n'a jamais connu autre chose que ce qui se trouve à l'ombre de la citadelle de Halifax? Est-ce que ça vaut 300 à 400 $ par mois?

Et ma femme? C'est la nouvelle épouse, expression qu'elle déteste. Elle est le principal soutien de notre famille et par conséquent, c'est elle qui doit absorber toute augmentation de la pension alimentaire que je verse tous les mois. Son sort est inextricablement lié au mien.

Elle aime profondément mon fils et je sais qu'il le lui rend bien. Il l'admire, ils ont une relation spéciale parce que mon épouse n'est pas sa mère, ce qu'il comprend. Elle n'est pas sa mère mais il sait qu'elle l'aime et qu'elle est une partie vitale de son existence. Ils passent du temps ensemble et se respectent mutuellement. Ma femme et moi partageons son éducation et mon fils n'en est que plus épanoui. Bien sûr, il faut verser la pension alimentaire. Tous les jours, ma femme, le principal soutien de la famille, part travailler avec la crainte de voir nos biens saisis par l'État. Si jamais j'étais en défaut de façon répétée, tout ce que nous possédons conjointement pourrait être saisi et vendu pour payer la pension alimentaire que je dois verser. Nous avons des biens conjoints, comme notre maison, la maison de mon fils. Elle ne se plaint pas parce qu'elle comprend mon chagrin et le trouble de mon fils. Elle savait à quoi s'attendre.

Ma femme et moi attendons un enfant. Mon fils va enfin être grand frère. S'il ne déménage pas à Edmonton, bien sûr. Notre famille va s'agrandir, je vais avoir un autre enfant avec qui partager mes espoirs. Bien sûr, il aura droit à un niveau de vie raisonnable, mais je ne peux m'empêcher de me demander s'il diminuera à cause des rajustements annuels à la pension alimentaire que je devrai verser et que sa mère devra absorber par le biais de sa contribution à notre niveau de vie commun.

Étant donné que je ne peux espérer gagner autant que ma femme, c'est probablement moi qui vais rester à la maison et adopter le rôle important de père au foyer. Je prendrai soin de notre nouveau bébé, de mon fils, s'il est encore là, et de la maison. Bien sûr, je devrai continuer à verser la pension alimentaire.

Ma femme et moi avons deux options. Je peux trouver un travail mal payé et mettre notre bébé en garderie, ce qui n'est pas la même chose que d'être élevé par un parent. Ou bien, je peux rester à la maison et prendre soin de notre nouvel enfant, et c'est ma femme qui payera la pension alimentaire d'un enfant qui n'est pas le sien.

Quel est l'enfant qui devrait avoir la priorité? Et si je ne trouve pas de travail? Serait-il juste que je sois obligé de mettre notre nouveau bébé dans un établissement pour éviter que mes biens soient saisis et vendus? Est-ce que ça ferait de moi un mauvais père?

Ma femme déteste avoir le sentiment de vivre dans l'ombre de mon ex-épouse. Son influence plane sur toutes les décisions que nous prenons. Devrions-nous acheter une nouvelle cuisinière? Celle que nous avons est en mauvais état. Je me demande ce que mon ex va dire. Et si nous achetions une nouvelle voiture? On ferait mieux de s'en passer car si mon ex s'en aperçoit, elle risque de demander une augmentation de la pension alimentaire.

Essayez de vous imaginer ce que ça peut être d'hériter de ce genre de vie quand on épouse un parent divorcé qui n'a pas la garde de ses enfants et de vivre dans la crainte permanente de la réaction de son ex-épouse, quoi que l'on fasse. C'est une imposition.

Ma femme a le sentiment d'avoir des comptes à rendre à mon ex-épouse; et elle a raison, c'est un fait.

Par contre mon ex-épouse n'a aucun compte à nous rendre et nous n'avons pas le droit de nous enquérir de sa situation financière. Et je n'en ai nullement envie car, si nous le faisions, elle aussi se sentirait contrôlée.

En attendant, mon fils grandit chaque jour. Dix jours par mois représentent pour ma famille des frais que nous acceptons d'absorber de plein gré dans notre budget mensuel. Bien sûr, nous savons tous qu'à moins que mon fils vive avec moi plus de 40 p. 100 du temps, toutes les dépenses encourues pour lui dans ma maison, la maison du parent qui n'a pas la garde, ne sont pas reconnues.

Le sénateur Jessiman: C'est 50 p. 100.

M. Cummings: Vous avez raison.

Ce que je veux dire, c'est que les frais relatifs à mon fils, dans ma maison, n'existent pas. Parlez-en à ma femme.

J'essaye de maintenir un certain équilibre chez moi. Mon fils sait qu'il a deux maisons et que c'est plus spécial que d'en avoir seulement une. J'essaye de lui éviter toute confusion en discutant avec mon ex-épouse de la façon d'élever notre fils. J'essaye de faire en sorte qu'il se couche à la même heure que chez sa mère. Le problème, c'est qu'elle refuse de s'asseoir avec moi pour discuter de ces questions, et ce au détriment de notre fils.

Dans notre groupe, il y a des gens dans la même situation que moi. La plupart n'ont pas, comme moi, la chance d'avoir leurs enfants 10 jours par mois. La plupart ne les ont que 24 heures tous les quinze jours. La plupart n'ont pas un sou; beaucoup sont au chômage. Presque tous se sont vu refuser par leur ex-conjoint, pour une raison ou pour une autre, le temps qui leur était dû avec leurs enfants. J'aimerais ajouter que, dans notre groupe, il y en a qui n'ont pas vu leurs enfants depuis des années. C'est mettre du sel sur la plaie. Quarante-huit heures de visite tous les quinze jours, ça fait 96 heures par mois, 1 152 heures ou 48 jours par an. En 18 ans, le parent qui n'a pas la garde aura peut-être passé 864 jours avec ses enfants, soit environ un peu plus de deux ans sur un total de 18. Cela suppose, bien sûr, que vous avez la chance d'habiter près de vos enfants. Ce qui n'est pas souvent le cas.

Si le temps que vous devez passer avec vos enfants vous est refusé, vous n'avez aucun recours. Cela a un effet dévastateur sur les enfants et sur les parents car le temps qu'ils ont ensemble passe trop vite. Tout empêchement est horrible.

Le projet de loi C-41 traite de la question du non-paiement des pensions alimentaires, mais il n'y est nullement question du refus d'accorder le droit de visite.

Que valent nos enfants? La plupart des parents qui n'ont pas la garde payeraient volontiers s'ils avaient de quoi, mais beaucoup n'ont tout simplement pas d'argent. Quelles sont les mesures prévues dans le projet de loi C-41 dans pareil cas? On révoque les autorisations dont ils ont besoin pour gagner leur vie; on révoque leur passeport.

Y a-t-il des dispositions pour aider les parents qui n'ont pas la garde à obtenir une ordonnance de modification ou à invoquer des difficultés excessives s'ils n'ont pas les moyens de payer la pension alimentaire? Oui, dans un certain sens. En théorie, ça pourrait marcher, tant que l'ex, dans sa colère, n'essaye pas de faire échec à une demande pour difficultés excessives. Nous savons tous que l'entente règne dans les couples divorcés.

Êtes-vous un héros aux yeux de votre enfant si vous êtes pauvre? Oui, vous pouvez l'être. Êtes-vous un héros si vous êtes en bonne santé? Oui, vous pouvez l'être. Êtes-vous un héros si vous refusez l'accès à vos enfants? Ils continueront à vous aimer, vous êtes toujours leur parent. Mais parce que vous êtes leur parent, si vous refusez le droit de visite à l'autre parent, ils éprouveront des sentiments contradictoires et se sentiront probablement aliénés à son égard.

Êtes-vous un héros aux yeux de votre enfant si vous lui montrez la voie? Oui. Pouvez-vous continuer à être un héros si vous êtes séparés par une distance de 2 000 milles? Sans doute. Pour eux vous serez leur papa ou leur maman, parce qu'ils n'ont qu'un papa ou une maman. Ils vous verront probablement 30 jours par an, ce qui est loin de constituer une relation suivie. Vous resterez leur papa ou leur maman, mais ils vous considéreront sans doute plus comme un ami qui habite loin et qu'ils appellent papa ou maman. Et pour ce privilège, vous payerez 300 ou 400 $ par an.

Quand vous aurez vos enfants un mois l'été, vous ne recevrez rien car vous les aurez moins de 50 p. 100 du temps. Lorsqu'ils retourneront chez le parent qui en a la garde, ils laisseront un grand vide dans votre vie. Vos enfants vont grandir et mûrir. Ils vont changer et vous ne serez pas là pour suivre leur évolution. Votre ex-épouse va probablement continuer à vous détester. C'est normal. Mais vous continuerez à verser une pension alimentaire conformément aux lignes directrices. Vous n'aurez aucune valeur en tant que parent, aucun rôle à jouer dans la vie de vos enfants. Votre femme vous aidera à payer les augmentations annuelles de la pension alimentaire et vous vous sentirez très seul.

C'est ça la vie pour les parents qui n'ont pas la garde et pour leur famille. Tout ce que nous pouvons offrir à nos enfants, c'est une pension alimentaire versée tous les mois par une personne qu'ils connaissent à peine. Est-il étonnant que ces parents perdent espoir? Est-ce que vous voyez pourquoi c'est si facile pour certains de simplement laisser tomber?

Comment dire à mon fils de six ans ce que sa vie risque de devenir? Comment lui dire qu'il me connaît maintenant, mais qu'il ne me connaîtra plus quand il aura déménagé et que j'irai rejoindre les rangs de ces pères qui ne voient leurs enfants qu'un mois par an, tous les étés? Comment puis-je être un parent si on ne me traite pas comme un parent? Comment expliquer à notre nouveau fils ou à notre nouvelle fille qu'ils ont un grand frère avec qui ils ne grandiront pas? C'est ma vie, c'est la vie de tant d'autres comme moi.

Que ceux d'entre vous qui ont eu la chance de voir leurs enfants grandir et qui n'ont jamais eu à craindre de les perdre, remercient le ciel.

Comme dit Joni Mitchell, on ne connaît pas son bonheur tant qu'on ne l'a pas perdu.

Que valent nos enfants, 300 $ ou 400 $ par mois, ou une solution de rechange à ce système cruel et odieux qui détruit la vie des gens?

Le projet de loi C-41 multiplie simplement les risques de complication et de contestation, les raisons de se disputer au lieu d'assumer son rôle de parent, les risques de voir un ex-conjoint accroître son droit de regard sur l'existence de l'autre et les risques de vivre dans la crainte de mesures de représailles prises par l'État. Ce n'est pas le genre d'avenir que j'avais souhaité pour mes enfants. Souffrez, les enfants!

Si j'ai composé ce discours, c'est parce que, à l'instar de nombreux autres membres de notre organisation, je pense qu'un aspect a été négligé dans le présent débat, soit le coût à payer sur le plan humain. On peut discuter dans le menu détail et jusqu'à la fin des temps des pensions alimentaires pour enfants sans pour autant résoudre le problème, car cette question comporte deux volets. La pension alimentaire pour enfants est une obligation financière, mais c'est aussi un impératif moral lié au fait d'être parent. Voilà le fin mot de l'histoire.

Mon enfant se fiche bien de recevoir 1 000 $ ou 300 $ par mois. Ce qui lui importe, c'est d'avoir une mère ou un père.

Notre groupe représente des mères et des pères qui n'ont pas la garde de leurs enfants. Nous l'avons appelé «Fatherhood... Imagine that!». Il est composé principalement de pères qui ont perdu la garde de leurs enfants à la suite d'un divorce. Notre cri de ralliement, c'est: «Je peux verser une pension alimentaire pendant 18 ans -- et peut-être davantage aux termes du projet de loi à l'étude -- mais je suis un parent pour le restant de mes jours.» Je pense que cet aspect n'est pas pris en considération dans le débat actuel. C'est pour cette raison que nous tenions mordicus à comparaître devant le comité, car c'est l'une des dernières occasions que nous avons d'expliquer réalistement les répercussions que ce projet de loi aura sur les gens. Nous pouvons discuter jusqu'à la fin des temps, mais il y a la cause et l'effet.

En plus des considérations financières, il faut tenir compte des besoins émotifs des enfants et de leur épanouissement. À mon avis, le projet de loi C-41 pose un problème parce qu'il ne tient pas compte de ces aspects. Il ne tient pas compte des besoins des enfants. Ceux-ci ont toujours besoin de leurs deux parents, notamment après un divorce.

Le projet de loi à l'étude contribue à entretenir de nombreux mythes au sujet des parents qui n'ont pas la garde de leurs enfants, de leur influence sur ces derniers et de leurs répercussions sur nos programmes sociaux. Bien des Canadiens croient que le non-versement des pensions alimentaires constitue un grave problème. Le ministre de la Justice aurait dit que jusqu'à 75 p. 100 des parents privés de la garde de leurs enfants ne paient pas leur pension alimentaire. C'est faux.

Il existe, en Nouvelle-Écosse, une loi sur l'exécution des ordonnances alimentaires, une mesure législative draconienne. À mon avis, quelqu'un finira tôt ou tard par la contester parce qu'elle porte atteinte aux libertés civiles. Il y a entre 15 000 et 16 000 personnes qui sont visées par le programme et, de ce nombre, seulement 22 p. 100 sont en défaut.

Pour quelles raisons est-on en défaut? On peut l'être parce qu'on a perdu son emploi, parce que sa conjointe a perdu le sien et parce que sa maison est saisie. Cela signifie-t-il pour autant qu'on est un parent parasite? Cela justifie-t-il qu'on nous garde prisonnier du statut de débiteur? Non.

Le projet de loi à l'étude part du principe que les parents qui n'ont pas la garde de leurs enfants sont des non-payeurs en puissance. À mon avis, certaines parties du projet de loi C-41 entretiennent ce mythe.

En 1942, le Canada a, de manière éhontée, interné des Canadiens d'origine japonaise sous prétexte qu'ils auraient pu être des espions. En 1997, nous avons des dispositions législatives draconiennes, comme la loi concernant l'exécution des ordonnances alimentaires et certaines parties du projet de loi C-41, qui suspendent les libertés civiles en partant du principe que l'on pourrait sauter un paiement.

Le sénateur Bosa: C'est une exagération. Vous ne pouvez pas dire que c'est ce que fait le projet de loi à l'étude.

M. Cummings: C'est là la réalité. Je crois que le projet de loi à l'étude sera contesté pour ces raisons.

Le sénateur Bosa: Premièrement, si quelqu'un n'est pas en mesure de verser sa pension alimentaire mensuelle, il doit faire réévaluer son dossier. Un parent devient un parasite lorsqu'il s'éclipse sans rien dire à personne. Mais il y a une grande différence entre ces deux situations.

M. Cummings: A-t-on une idée du nombre de personnes qui font cela au Canada? A-t-on fait une étude détaillée pour évaluer cela? En Nouvelle-Écosse, le directeur du programme d'exécution des ordonnances alimentaires m'a dit que, sur les 22 p. 100, moins de 3 p. 100 des parents sont constamment en défaut.

Le sénateur Bosa: Vous avez fait un exposé très émouvant. Cela me touche aussi parce que vous m'avez expliqué ce que vit un parent privé de la garde de ses enfants. Vous ne pouvez certainement pas condamner le projet de loi à l'étude. Ce n'est pas lui qui est à l'origine du problème. Ce projet de loi a prévu une façon d'éviter des contestations et des disputes entre deux parents qui ont décidé de ne plus vivre ensemble. Je pense que vous exagérez.

M. Cummings: Sauf le respect que je vous dois, je ne mets pas en doute les mérites de ceux qui ont élaboré le projet de loi. Je n'ai rien contre l'idée des lignes directrices. Moi aussi, je souhaite un système juste et équitable. Nous sommes toutefois de plus en plus nombreux, dans toutes les régions du Canada, à nous sentir surveillés. Nous ne voyons rien d'équitable dans le fait qu'un programme d'exécution des ordonnances parte du principe que l'on peut sauter un paiement et que cela suffise à nous assujettir d'office à ce programme. Selon certaines statistiques sur le non-respect des droits d'accès, 65 p. 100 des parents qui n'ont pas la garde de leurs enfants ont déjà eu des problèmes à faire respecter le temps qui leur a été accordé avec leurs enfants.

Nous pourrions peut-être essayer de comprendre l'autre point de vue. Si vous aviez la garde de vos enfants, que diriez-vous de participer d'office à un programme d'exécution, parce que vous avez la garde de vos enfants et que vous pourriez donc refuser de respecter une ordonnance du tribunal reconnaissant à vos enfants le droit de voir un de leurs parents?

Le sénateur Bosa: Je ne connais pas les statistiques à ce sujet non plus. Vous avez dit que 60 ou 65 p. 100 des parents privés de la garde de leurs enfants ne réussissent pas à voir ceux-ci. Le projet de loi à l'étude n'aide pas le parent qui a la garde à empêcher l'autre de voir ses enfants. Il n'encourage pas cela. Au contraire, il essaie d'y remédier. Il est impossible de légiférer afin que tout le monde soit honnête. On nous a donné des exemples d'excuses que certains inventent pour empêcher un parent qui n'a pas la garde de voir ses enfants. Le projet de loi vise à rectifier cette situation.

M. Cummings: À ma connaissance, le projet de loi à l'étude ne fait pas la moindre allusion à la possibilité qu'un droit d'accès ne soit pas respecté.

Le sénateur Cools: Si vous dites que le projet de loi règle le problème que vous venez de soulever, je voudrais bien que vous m'expliquiez comment. J'aimerais être rassurée à cet égard. Cela m'a peut-être échappé en lisant le projet de loi.

Le sénateur Bosa: J'ai dit qu'il existe des dispositions législatives pour faire respecter les droits d'accès.

Le sénateur Cools: Vous avez dit que le projet de loi règle le problème du non-respect des droits d'accès -- problème que le témoin vient de soulever.

Le sénateur Bosa: Non.

Le sénateur Cools: J'ai cru que vous parliez d'une disposition du projet de loi à l'étude qui m'aurait échappé.

M. Cummings: J'essaie de bien faire comprendre qu'il existe une cause et un effet. Nous sommes certainement en faveur de l'établissement d'une méthode juste et équitable visant la détermination des pensions alimentaires pour enfants au Canada. Mais ce n'est là que la moitié de l'équation. Je pense que, dans 10 ou 12 ans, nous devrons réexaminer cette question et chercher une solution au problème des pensions alimentaires pour enfants parce que le système proposé ne fonctionnera pas. Je vais vous expliquer pourquoi.

Les lignes directrices sont fondées sur les revenus avant impôt. Je ne connais pas votre situation, mais je sais que, personnellement, je paie toutes mes factures avec mon revenu après impôt. Il est injuste et irréaliste de déterminer que quelqu'un doit verser telle proportion de son revenu en s'appuyant sur un montant qu'il n'a pas reçu, un montant que le fisc n'a pas encore touché. C'est en me fondant sur mon revenu après impôt que je puis déterminer ce que j'ai les moyens de faire ou non.

Lorsqu'il est question du revenu après impôt, on compare des pommes et des oranges. Au Canada, chacun a des dépenses et une existence qui lui sont propres. Ce que quelqu'un d'une région du Canada dépense pour vivre est différent de ce qu'une autre personne de la même collectivité dépense, car chacun est différent. De plus, chacun attribue à ses enfants une partie différente de son revenu.

Parce que mes enfants ne vivent pas avec moi ou que je n'en ai pas la garde pendant plus de 50 p. 100 du temps, on ne reconnaît pas ce qu'ils me coûtent lorsqu'ils sont chez moi. Je le répète, nous souhaitons une certaine équité. Le message qui se dégage du projet de loi est préjudiciable aux enfants parce qu'il donne l'impression que leurs besoins sont purement de nature financière. Un enfant pourrait recevoir des milliers de dollars par mois en pension alimentaire, mais être malheureux et vivre une situation malsaine à cause de l'absence d'un de ses parents, un des éléments fondamentaux de sa vie. C'est là la réalité.

Je le sais par expérience, étant moi-même un enfant du divorce. J'ai peur parce que je ne veux pas répéter avec mon enfant les erreurs que mes parents et moi avons faites. S'il y a des personnes comme moi qui adhèrent à des organisations comme la nôtre, c'est parce que nous sommes déterminés à compenser le fait que nous ne pouvons partager physiquement le quotidien de nos enfants. À tous les égards, les perspectives ne sont guère réjouissantes: mon enfant déménagera probablement à Edmonton.

J'ai décidé d'agir concrètement pour que mon enfant grandisse en sachant que j'ai fait de mon mieux. C'est vraiment le mieux que je puisse faire, mais c'est bien loin du rôle parental que je voudrais exercer. Les problèmes liés au rôle parental ne sont pas expressément d'ordre financier. Quiconque pense cela n'est pas vraiment branché sur la réalité.

Le sénateur Forest: J'ai bien aimé votre exposé. En tant que mère de deux enfants divorcés qui m'ont eux-mêmes donné des petits-enfants, je comprends ce que vous vivez.

Par contre, je comprends aussi la situation que vivent les parents qui ont la garde, qui se sentent abandonnés et qui ont l'impression de devoir s'occuper seuls des enfants. Tout le monde souffre dans ce genre de situation. Je reconnais que les parents ont un rôle extrêmement important à jouer.

Vous utilisez de votre mieux le temps qui vous a été accordé avec votre enfant, comme de nombreux autres pères d'ailleurs. Hier, nous avons toutefois entendu un spécialiste qui travaille sur le terrain nous dire que l'un des plus gros problèmes vient des parents qui n'ont pas la garde et qui ne passent pas de temps avec leurs enfants, même le temps qui leur est accordé. C'est triste, cela aussi.

Le projet de loi à l'étude ne peut régler tous les problèmes. Nous avons entendu bien des témoignages. Nous devrons faire de notre mieux pour concilier les intérêts du plus grand nombre de personnes possibles. Avez-vous des recommandations particulières à faire au sujet de ce projet de loi?

M. Cummings: Nos recommandations figurent dans notre mémoire intitulé «Implementation of The Federal/Provincial/Territorial Family Law Committee's Report and Recommendations on Child Support (Bill C-41)».

Le principal reproche que j'entends, c'est que les lignes directrices sont fondées sur le revenu avant impôt, ce qui est tout à fait irréaliste. Un autre problème, c'est que le projet de loi est censé entrer en vigueur le 1er mai de cette année, mais que personne ne sait rien à ce sujet.

Le projet de loi n'est pas encore en vigueur, mais les juges du tribunal de la famille de la Nouvelle-Écosse rendent des décisions en s'appuyant sur ces lignes directrices qui peuvent fort bien laisser à désirer. C'est une autre source de préoccupation, parce que les décisions rendues peuvent être irréalistes.

Je reçois sans cesse des appels de parents qui ont ou non la garde de leurs enfants et qui veulent savoir en quoi cette mesure législative les touchera. On n'a guère sensibilisé la population aux effets de cette mesure. Il s'agit d'un projet de loi extrêmement compliqué. Je ne vois pas comment on réussira à informer tout le monde de sa teneur d'ici le 1er mai, notamment si des amendements importants y sont apportés. C'est une grande source de préoccupation.

De nombreux membres de notre organisation, aussi bien des mères que des pères, sont de nouveaux conjoints. Je m'attends à ce que ce projet de loi soit contesté devant les tribunaux parce qu'il prévoit une hausse draconienne de la plupart des ordonnances alimentaires pour enfants. Dans un mariage ou une union de fait, les deux parties contribuent également au niveau de vie du ménage. La plupart des Canadiens vivent en attendant la prochaine paye. Si l'on augmente la pension alimentaire, qui compensera? Le nouveau conjoint devrait-il compenser pour cela, comme cela se produira inévitablement?

Il va se produire deux choses. Premièrement, quelqu'un va contester le projet de loi devant les tribunaux. On pourrait faire valoir que, même si quelqu'un aime beaucoup l'enfant de son nouveau conjoint, il ne devrait pas avoir à assurer sa subsistance. Deuxièmement, il y aura davantage de risques de ressentiment et de divorce entre les nouveaux partenaires, et les enfants issus de cette relation feront aussi les frais des tribunaux de la famille. Il y aura donc davantage de vies détruites.

C'est un argument très intéressant du point de vue moral et éthique. Qui devrait payer la pension alimentaire? Je n'ai tout simplement pas la même capacité financière que ma conjointe. Je contribue de mon mieux au revenu du ménage, mais si la pension alimentaire que je dois verser augmente considérablement, ma conjointe devra être mise à contribution. Elle absorbera cette hausse directement ou indirectement. Devrait-elle avoir à faire cela? C'est un aspect qui a été négligé dans tout ce débat.

Il y a aussi le problème de la venue d'un nouvel enfant dans une famille. Quel enfant devrait avoir la priorité?

La présidente: En vertu du projet de loi, si votre ex-conjointe demande une augmentation de la pension alimentaire à la suite de la mise en oeuvre des nouveaux barèmes, vous devrez peut-être alors faire valoir des difficultés excessives.

M. Cummings: Ce que, bien entendu, mon ex-conjointe contestera farouchement, au détriment des enfants. Je verserai en frais juridiques ce que je dépenserais normalement pour mon enfant. Cela ne rime à rien. Dans un certain temps, nous devrons réexaminer la question à cause des problèmes sociaux qu'elle occasionnera directement, à long terme.

Un autre problème, c'est que je n'aime pas me sentir surveillé. Je ne prise guère le fait que les biens que je possède en commun avec ma nouvelle conjointe risquent d'être saisis par l'État. Bien des avocats recommandent actuellement à leurs clients divorcés de mettre leurs biens au nom de leurs nouveaux conjoints. De cette façon, si quelqu'un perd son emploi ou que les mesures d'exécution de la pension alimentaire interviennent, il n'y aura pas de biens à saisir. Cela encourage les gens à passer outre à la loi qui est fondamentalement erronée. Ce n'est certainement pas ce que je préconise, mais je comprends pourquoi bien des personnes agissent de la sorte. Si ma maison est saisie et vendue pour couvrir le montant de la pension alimentaire pour enfant, c'est encore une fois ma nouvelle conjointe qui paie pour un enfant qui n'est pas le sien. Il s'agit d'un problème très grave.

Le sénateur Cohen: Monsieur Cummings, je vous remercie de l'information que vous m'avez communiquée personnellement ainsi qu'aux membres du comité. Vous m'avez présenté la situation sous un angle qui m'était totalement inconnu et je suis heureuse que cela figure dans le compte rendu de nos délibérations. Il se peut que des problèmes sociaux découlent ultérieurement des lignes directrices. Celles-ci seront toutefois réexaminées d'ici cinq ans. J'espère que nous aurons alors le recul nécessaire pour corriger certaines des iniquités.

Pour ce qui est des libertés civiles, un groupe de Vancouver nous a présenté un mémoire dans lequel il explique que le refus de délivrer un passeport aux fins de l'exécution des ordonnances peut être considéré comme une atteinte aux libertés civiles. C'est matière à discussion, mais je vous remercie officiellement de m'avoir présenté une autre perspective de réflexion. Votre exposé était très clair et vous avez présenté des problèmes très concrets.

La présidente: Avez-vous dit que vous avez présenté votre mémoire au gouvernement de votre province?

M. Cummings: Oui, je l'ai présenté. Le directeur des services du tribunal de la famille de la Nouvelle-Écosse a communiqué avec moi au début d'octobre pour connaître notre point de vue, parce que les autorités de la province ne savent pas quelles répercussions ces dispositions auront sur les gens, même si elles sont déjà mises en oeuvre. Je le répète, les autorités de la province souscrivent à l'idée des lignes directrices, tout comme moi d'ailleurs, pour autant qu'elles soient justes et réalistes. Elles voulaient qu'un représentant des parents qui n'ont pas la garde de leurs enfants leur explique les répercussions que le projet de loi aura sur ce groupe de parents en Nouvelle-Écosse.

Ce que je vous dis aujourd'hui correspond essentiellement à ce que nous leur avons dit en octobre: des problèmes importants sont à prévoir. Nous nous aventurons en terrain inconnu avec ce projet de loi. Il vaudrait peut-être mieux faire l'essai de ces dispositions d'abord dans un secteur pilote plutôt que d'un océan à l'autre. Il vaudrait mieux qu'une petite partie de notre pays soit aux prises avec une foule de problèmes sociaux découlant de mesures législatives qui laissent à désirer plutôt que de voir tout notre pays se détraquer complètement.

Le sénateur Losier-Cool: Le gouvernement de la Nouvelle-Écosse a-t-il répondu à votre mémoire?

Le projet de loi à l'étude est le fruit de trois années de consultations avec les provinces. Celles-ci ont souscrit au projet de loi, tout comme différents groupes de parents, des avocats spécialisés en droit de la famille et des médiateurs familiaux. Même si le projet de loi n'est pas parfait, ils ont dit que c'était un excellent compromis par rapport au statu quo. Quelle a été la réponse de votre province?

À propos des libertés civiles de la Nouvelle-Écosse, vous avez mentionné le permis de conduire. Avez-vous une idée du pourcentage de parents qui n'ont pas la garde de leurs enfants et qui ont été privés de cette liberté, c'est-à-dire à qui on a retiré leur permis de conduire?

M. Cummings: Les journaux de la Nouvelle-Écosse ont fait état de certains problèmes graves que pose la loi sur l'exécution des ordonnances alimentaires, problèmes que nous avions prévus. La principale difficulté vient de ce que, sur les 15 000 ou 16 000 personnes visées par le programme, 22 p. 100 sont en défaut. Elles ont perdu leur emploi, leur ex-conjoint a perdu le sien, l'usine a fermé ses portes ou quelque chose du genre est arrivé. Le projet de loi vise simplement à assurer l'exécution des ordonnances alimentaires. Son but n'est pas de trouver un emploi à quelqu'un pour qu'il puisse verser sa pension alimentaire. Il est difficile d'envoyer en prison quelqu'un qui cherche en vain du travail. Nous savons tous que le taux de chômage en Nouvelle-Écosse est extrêmement élevé.

Le bureau chargé d'assurer l'exécution des ordonnances alimentaires est inondé d'appels de parents qui ont la garde de leurs enfants et qui sont furieux parce qu'ils n'ont pas reçu la pension de ces 22 p. 100 de parents en défaut. Cela ne signifie pas pour autant qu'ils sont des parasites. Le directeur du bureau chargé d'assurer l'exécution des ordonnances en Nouvelle-Écosse m'a dit que moins de 3 p. 100 sont constamment en défaut.

Le sénateur Losier-Cool: D'après nos recherches, 3 p. 100 se sont vu retirer leur passeport, comme le prévoit le projet de loi.

M. Cummings: C'est ce que je crois savoir aussi. Donc, 3 p. 100 de 22 p. 100 de 15 000 personnes, ce n'est pas beaucoup. Si l'on transpose cela à l'échelle nationale, c'est certainement bien différent des 75 p. 100 si fréquemment claironnés par le ministère de la Justice.

C'est une question très préoccupante. Nous estimons qu'un mythe a été colporté au sujet du non-paiement des pensions alimentaires. Il y a un lien direct avec le type d'accord conclu quant au temps accordé à chaque parent. Lorsque le parent qui a la garde refuse à l'autre le temps qui lui a été accordé avec ses enfants, il n'obtient généralement pas beaucoup d'aide. Lorsqu'un parent estime équitable, juste et équilibré le temps qui lui est accordé avec ses enfants, il est généralement disposé à verser la pension alimentaire intégrale au moment opportun.

Pour ce qui est du problème des libertés civiles, les personnes visées participent automatiquement au programme depuis le 1er janvier 1996. Ceux qui sont visés par de nouvelles ordonnances alimentaires participent automatiquement au programme, qu'ils aient ou non des antécédents concernant le non-paiement de la pension alimentaire. En théorie, je suis visé par le programme. Le danger, c'est que mon ex-conjointe peut, en passant un simple coup de fil, me faire participer au programme sans que j'aie aucun recours pour contester cela. En tant que parent n'ayant pas la garde de son enfant, je ne puis me retirer du programme que si mon ex-conjointe y consent. Nous savons tous à quel point les ex-conjoints s'entendent bien! Cela pose un grave problème. Une fois que quelqu'un est assujetti au programme en tant que parent n'ayant pas la garde de ses enfants, il ne peut se retirer de celui-ci. Nous nous attendons maintenant à ce que des parents qui n'ont pas la garde de leurs enfants intentent des poursuites contre ceux qui l'ont.

J'ai toujours versé la pension alimentaire prescrite. Cela soulève aussi un problème d'éthique. Si quelqu'un a toujours payé sa pension alimentaire, pourquoi diable l'assujettir à un programme d'exécution? À ma connaissance, cela ne se fait nulle part ailleurs au Canada. Cela pose un grave problème.

Le sénateur Losier-Cool: La première partie de ma question concernait la réponse du gouvernement de votre province. Avez-vous présenté votre rapport récemment?

M. Cummings: J'ai présenté l'information aux intéressés en octobre. J'ai rencontré le directeur des services du tribunal de la famille, et nous avons examiné l'information en question. Jusqu'à maintenant, je n'ai reçu du gouvernement aucune réponse officielle. Je suppose que les autorités n'ont pas terminé leur examen. Elles s'inquiètent des répercussions que cela aura sur les gens. Je ne mets pas en doute leurs motivations. J'ai été heureux qu'on nous demande notre opinion. C'est assez rare qu'on consulte des groupes comme le nôtre.

La présidente: Monsieur Cummings, nous vous sommes reconnaissants d'avoir témoigné devant notre comité malgré un si bref préavis. Merci.

La séance est levée.


Haut de page