Aller au contenu
SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 25 - Témoignages du 16 avril


OTTAWA, le mercredi 16 avril 1997

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 18 heures, dans le but d'examiner le projet de loi C-66, Loi modifiant le Code canadien du travail (partie I), la Loi sur les déclarations des personnes morales et des syndicats et d'autres lois en conséquence.

Le sénateur Mabel M. DeWare (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, je déclare la séance ouverte. Nous tenons notre première réunion sur le projet de loi C-66. Nous allons entendre comme premiers témoins des représentants du ministère du Développement des ressources humaines, qui vont nous expliquer les modifications que le gouvernement a décidé d'apporter au projet de loi. Nous accueillons donc Michael McDermott, Debra Robinson, Johane Tremblay, Yvonne Beaupré et Krishna Sahay. Vous avez la parole.

M. Michael McDermott, sous-ministre adjoint principal, ministère du Développement des ressources humaines: J'aimerais apporter une correction à la liste des témoins. Krishna Sahay vient de Statistique Canada. Certaines dispositions du projet de loi traitent de la Loi sur les déclarations des personnes morales et des syndicats, qu'il connaît très bien.

C'est un plaisir et un privilège pour moi d'être ici ce soir. Le Code canadien du travail a fait l'objet, pendant deux ans, d'une étude ministérielle qui a abouti aux propositions qui figurent dans le projet de loi C-66. Comme le sujet était quelque peu complexe et controversé, la ministre du Travail de l'époque, Mme Robillard, a mis sur pied un groupe de travail composé d'experts de l'extérieur pour tenir des consultations à l'échelle du pays.

Les membres du groupe de travail ont été nommés à la fin de juin 1995. Vous les connaissez sans doute déjà: Andrew Sims, d'Edmonton, en Alberta, qui est arbitre et avocat spécialisé en droit du travail; Paula Knopf, de Toronto, qui est arbitre; et Rodrigue Blouin, professeur en relations industrielles et en droit du travail à l'Université Laval, qui est également arbitre. Le groupe de travail s'est réuni pendant six ou sept mois. Il s'est rendu dans diverses régions du pays, a rencontré les travailleurs qui sont assujettis au Code, ainsi que des spécialistes des milieux universitaire et juridique, et a produit un rapport intitulé «Vers l'Équilibre» -- «Seeking A Balance» en anglais.

Je tiens à souligner que, au cours de ses travaux, le groupe de travail a invité des représentants d'organisations patronales et syndicales à discuter de questions d'intérêt commun. Ils sont parvenus à un consensus sur un certain nombre de questions clés, dont la structure, les pouvoirs et les procédures du Conseil canadien des relations du travail qui, en vertu du projet de loi, sera désormais connu sous le nom de Conseil canadien des relations industrielles, et la simplification du processus de conciliation.

Le groupe a travaillé très fort et s'est entendu sur deux points épineux qui, souvent, ne font que prolonger les conflits de travail, une fois que toutes les questions de fond ont été réglées. Il a convenu d'enchâsser dans le Code le droit des employés de réintégrer leur poste à la fin de la grève ou du lock-out, de préférence à toute autre personne engagée pour les remplacer, et le droit des employés d'avoir accès à une procédure équitable lorsqu'ils font l'objet de mesures disciplinaires et de renvoi, une fois la convention collective expirée.

Ces points figurent de manière générale dans le rapport du groupe de travail, qui avait pour mandat de tenir compte des questions qui avaient fait l'objet d'un consensus entre les organisations patronales et syndicales. Le rapport a été remis à M. Gagliano le 31 janvier 1994, peu après sa nomination au poste de ministre, et a été rendu public le 13 février 1996.

Le ministre Gagliano a tenu ensuite à consulter lui-même les parties intéressées. Par suite des recommandations formulées par le du groupe de travail et des consultations qu'il a tenues, le projet de loi C-66 a été élaboré et déposé à la Chambre des communes le 4 novembre 1996.

Le groupe de travail a recommandé, entre autres, la création du Conseil canadien des relations industrielles qui est représentatif et qui est composé d'un président et de vice-présidents neutres connaissant bien le domaine des relations industrielles. Ces personnes seront nommées pour un mandat d'au plus cinq ans. De plus, le conseil sera composé de six membres à temps plein, dont trois représentant les employeurs et trois les employés, nommés pour une période maximale de trois ans. Le projet de loi prévoit également la nomination de membres à temps partiel qui exerceraient leurs fonctions dans les régions.

Les membres seront nommés par le gouverneur en conseil, sur la recommandation du ministre du Travail après consultation par celui-ci des organisations représentant les employés et les employeurs relevant du gouvernement fédéral. Nous aurons donc un conseil qui sera composé de spécialistes qui connaîtront bien la communauté qu'ils doivent desservir.

En vertu du projet de loi, le Service fédéral de médiation et de conciliation, qui fait partie du Programme du travail de Développement des ressources humaines Canada, assumera un plus grand rôle. Le directeur sera directement responsable envers le ministre du Travail de l'exécution de ses fonctions liées au règlement des différends.

La procédure de conciliation sera simplifiée et ne comportera plus qu'une seule étape au lieu de deux. Les parties pourront continuer d'avoir recours aux services d'un conciliateur, d'un commissaire-conciliateur ou d'une commission de conciliation, selon la nature du différend.

La durée de la conciliation ne pourra dépasser 60 jours, sauf si les parties concernées conviennent d'une période plus longue. Les organisations patronales et syndicales ont toutes deux dénoncé l'incertitude actuelle entourant la durée de la procédure de conciliation. Elles trouvent que cela peut nuire au règlement des différends.

[Français]

Conscients du fait qu'on a limité la durée de la conciliation, nous encourageons également que le début de la négociation collective soit entrepris un peu plus tôt que dans le code actuel. Dans le code actuel, il est prévu qu'un avis de négociation peut être donné à l'autre partie dans les trois derniers mois de la négociation collective. Ce que l'on propose dans la loi, c'est d'ajouter un mois, c'est-à-dire quatre mois en tout.

Également, il y a une période à la fin du processus où l'on a complété le processus de négociation, mais cesans avoir acquis le droit de grève ou de lock-out . Actuellement, elle est de sept jours; nous proposons que ce soit 21 jours. Donc, nous donnons plus de temps aux négociations sérieuses à la fin du processus.

[Traduction]

En outre, avant d'exercer son droit de grève ou de recourir au lock-out, le syndicat devra donner un préavis d'au moins 72 heures pour assurer l'arrêt ordonné des opérations et prévoir des mesures d'urgence.

Pour la première fois, la loi fédérale, à l'instar de la plupart des lois provinciales, prévoit la tenue d'un vote au scrutin secret parmi les membres de l'unité de négociation avant le déclenchement d'une grève. La «durée de vie» de ce vote sera de 60 jours. Ce délai peut être prolongé si les parties conviennent d'une période plus longue. Les membres des organisations patronales seront soumis à la même règle. Ils devront tenir un vote avant de décréter un lock-out.

Ces propositions, tout comme la presque totalité des dispositions du projet de loi, reflètent soit le consensus qui s'est dégagé des discussions entre les organisations patronales et syndicales, soit les recommandations formulées par le groupe de travail Sils. À la suite des consultations que le ministre Gagliano a tenues, il y a un an, à l'échelle nationale, les représentants des organisations patronales et syndicales ont jugé que les recommandations du groupe Sils étaient équitables et acceptables.

Plusieurs amendements ont été apportés à l'étape de l'étude en comités ou du rapport avant que le dépôt du projet de loi au Sénat. Certains visaient à répondre aux inquiétudes des parties concernées. Par exemple, le projet de loi précise maintenant que le conseil doit, avant d'ordonner la production de documents sans tenir d'audience, donner aux parties la possibilité de présenter des arguments sur la pertinence de cette décision. De façon plus concrète, la disposition relative aux contrats successifs de fourniture de services s'appliquera uniquement aux services de sécurité à l'embarquement.

Mes collègues et moi restons à votre disposition, ce soir ou à n'importe quel autre moment, pour répondre à vos questions ou vous fournir des renseignements additionnels sur le processus d'examen ou le contenu du projet de loi C-66. Nous aurons, sans aucun doute, l'occasion de vous fournir des explications sur bon nombre des dispositions que contient le projet de loi. Toutefois, avant de conclure, j'aimerais aborder brièvement trois points qui ont été soulevés, hier, lors du débat en deuxième lecture.

Le premier concerne la disposition relative aux travailleurs de remplacement. C'est le seul point sur lequel les trois membres du groupe de travail n'ont pas été en mesure de s'entendre. Rodrigue Blouin prônait une interdiction générale, une interdiction que l'on retrouve dans le Code du travail du Québec et de la Colombie-Britannique. Andrew Sils et Paula Knopf estimaient pour leur part qu'il ne fallait pas interdire le recours aux travailleurs de remplacement durant un arrêt de travail. Toutefois, ils ont recommandé que le conseil ait le pouvoir de mettre un terme à l'utilisation de travailleurs de remplacement s'il estime que le recours à leurs services équivaut à une pratique déloyale visant à miner la capacité de représentation d'un syndicat.

La disposition du projet de loi C-66 reflète la recommandation du groupe de travail. Certains ont laissé entendre que le projet de loi prévoit une interdiction générale qui va au-delà de ce que recommandait le rapport Sims. D'autres ont proposé qu'on s'inspire du libellé du rapport. Or, le projet de loi est un document juridique, non pas un texte narratif.

Le ministre du Travail a clairement laissé entendre, à l'autre endroit, que cette disposition ne constitue pas une interdiction générale pour ce qui est de l'utilisation de travailleurs de remplacement, et que les employeurs peuvent avoir recours à leurs services dans un but légitime. Toutefois, ils ne peuvent y avoir recours dans le but de miner la capacité de représentation d'un syndicat. Le ministre a également indiqué que l'argument selon lequel la simple présence d'un travailleur de remplacement minerait la capacité de représentation d'un syndicat était non fondé et contraire à l'esprit de la loi.

En réponse aux réserves que suscite cette question, le ministre a déclaré que la disposition a été rédigée en termes clairs et simples, en tenant compte de la recommandation du groupe de travail, qu'elle peut être appliquée sans problème et qu'elle fait reposer le fardeau de la preuve, sans équivoque aucune, sur le plaignant. Un libellé plus complexe n'aurait fait qu'accroître le nombre de litiges. L'interdiction prescrite par la loi définit l'activité qui n'est pas permise. Il n'est pas nécessaire qu'elle énumère toutes les activités qui sont permises. Après tout, les activités qui ne sont pas interdites sont permises.

Le deuxième point concerne la disposition relative aux travailleurs à distance. Certains craignent qu'elle ne nuise à la protection de la vie privée et à la sécurité des travailleurs. Or, cette disposition s'inspire directement des recommandations du rapport Sims; il s'agit dans ce cas-ci d'une recommandation qui a été adoptée à l'unanimité. Je désire attirer votre attention sur le libellé précis de la disposition, qui précise que le conseil doit -- et non pas «peut» ou «pourrait» -- , assortir l'ordonnance des conditions à respecter de manière à assurer la protection de la vie privée et la sécurité des employés concernés et à empêcher l'utilisation abusive de renseignements.

Les dispositions relatives aux travailleurs de remplacement et aux travailleurs à distance, comme bon nombre des autres dispositions de la loi, seront administrées et appliquées par le Conseil canadien des relations industrielles, un tribunal quasi judiciaire composé de personnes expérimentées et neutres représentant les organisations patronales et syndicales, qui sauront mettre leurs connaissances à profit dans les affaires dont ils seront saisis.

Le dernier point concerne la Loi sur les déclarations des personnes morales et des syndicats. Mon collègue de Statistique Canada pourra vous donner plus de précisions à ce sujet, mais j'aimerais faire quelques brèves observations. Après examen, nous avons constaté que cette loi n'était plus nécessaire ou utile. Son abrogation permettra à Statistique Canada de réaliser des économies d'environ 300 000 $ par année. Le ministère ne sera plus tenu de recueillir des données qui ne sont jamais utilisées.

En ce qui concerne les états financiers des syndicats, ceux-ci sont tenus de les préparer, de les faire vérifier et de les présenter à leurs membres, habituellement lors de leurs assemblées. De plus, la partie I du Code canadien du travail contient une disposition, l'article 110, qui précise que les syndicats sont tenus, sur demande d'un de leurs adhérents, de fournir gratuitement à celui-ci une copie de leurs états financiers à la date de clôture du dernier exercice.

[Français]

En terminant, je vous remercie de l'invitation qui nous a permis d'être ici ce soir. Nous sommes prêts à répondre à toutes vos questions afin de vous aider de quelque manière que ce soit.

[Traduction]

La présidente: Je vois que vous avez essayé d'éclaircir certains des points qui ont été portés à notre attention au cours des deux dernières semaines. Parmi ceux-ci figurent, bien entendu, la disposition relative aux travailleurs de remplacement. Vous avez dit que la recommandation formulée dans le rapport Sims semblait acceptable. Toutefois, lorsque le projet de loi a été rédigé, on a changé le libellé de sorte que certaines personnes ne voient aucune différence entre l'utilisation d'un travailleur de remplacement et le recours aux services de cette personne. Est-ce que ces mots veulent dire la même chose?

M. McDermott: La loi définit, dans un sens, ce qu'on entend par un travailleur de remplacement, puisqu'elle précise qu'on ne peut utiliser les services d'une personne dans le but de miner la capacité de représentation d'un syndicat. Il s'agit là d'une interdiction. Vous n'avez pas le droit de faire cela. Certaines personnes voudraient qu'on énumère toutes les activités qui sont permises. Cela ne ferait qu'alourdir nos lois.

Il faut tout de même être réaliste. Effectuer un vol dans une banque n'est pas permis. Je suppose que si le Code criminel ou la Loi sur les banques précisait qu'il est interdit d'entrer dans une banque dans le but d'y commettre un vol, vous n'ajouteriez pas les mots «et non d'encaisser un chèque ou de faire un dépôt». Certaines personnes voudraient qu'on ajoute des précisions. Or, d'après les conseils que nous avons reçus des rédacteurs et des législateurs, il n'y a pas lieu d'ajouter des précisions inutiles à ce qui est perçu comme une interdiction relativement simple.

Les employeurs auront le droit d'embaucher des travailleurs de remplacement, mais ils ne pourront utiliser leurs services en contravention du Code, parce que cela constituerait une pratique de travail déloyale qui aurait pour but d'éliminer la capacité de représentation d'un syndicat. Autrement dit, les employeurs ne peuvent utiliser les services de travailleurs de remplacement dans un but antisyndical. Toutefois, comme cette expression n'est pas très élégante, les rédacteurs préfèrent ne pas utiliser ce genre de mots.

Le sénateur Maheu: J'aimerais avoir d'autres précisions au sujet des économies de 300 000 $ que réaliserait Statistique Canada. Quelles mesures avez-vous prises et comptez vous prendre pour réaliser des économies?

M. Krishna Sahay, directeur adjoint, Division de l'organisation et des finances de l'industrie, Statistique Canada: En vertu de la LDPMS, les syndicats sont tenus de fournir des renseignements détaillés sur leurs états financiers et la structure de leur organisation. Cette enquête, de même que la compilation et la publication des données, coûtent environ 300 000 $.

Nous avons essayé de déterminer, en examinant l'usage qui est fait de ces données, si la LDPMS était nécessaire. Nous avons constaté que tout ce qui touche directement les relations industrielles et les analyses économiques, comme les taux de syndicalisation, la répartition des employés syndiqués par industrie, par province et par sexe, suscite un certain intérêt. Nous avons également constaté que, dans les cinq années qui ont précédé notre décision d'abroger les dispositions de la Loi qui ont trait à la communication de données, seul un journaliste a demandé des renseignements sur les états financiers des syndicats.

Au cours de cette période, nous avons revu la façon dont nous recueillons des statistiques sur la main-d'oeuvre. Nous avons considérablement amélioré notre méthode de compilation de données. Nous avons également entrepris une nouvelle enquête d'envergure sur la dynamique du travail et du revenu, qui vise à recueillir des données sur les travailleurs et leurs activités syndicales en analysant les diverses tâches et fonctions qu'ils ont remplies pendant l'année.

Les résultats de notre étude nous ont permis de constater que nous pouvions satisfaire tous nos besoins en matière de renseignements sur les travailleurs, le taux de syndicalisation, la répartition d'employés syndiqués par industrie, par sexe, ainsi de suite. Toutefois, comme nous avions toujours des questions au sujet de l'utilité des données financières que nous recueillons, nous avons décidé de tenir d'autres consultations. Nous avons maintenant une très bonne idée de l'utilisation qui est faite de nos données.

Statistique Canada compte un certain nombre de comités consultatifs, dont un comité consultatif syndical. Ces comités sont composés de représentants du secteur privé, du secteur public et du milieu universitaire. Le comité consultatif syndical est présidé par Noah Meltz, un économiste du travail qui est bien connu.

Nous avons consulté le comité à ce sujet. Nous lui avons expliqué que nous devions réduire notre budget, et nous lui avons demandé s'il fallait cesser de recueillir ces données. Tous les membres du comité ont dit que l'abandon de cette pratique serait regrettable; toutefois, personne ne se souvenait d'avoir utilisé ces données, sauf peut-être celles sur l'industrie. Nous avons donc décidé de ne plus recueillir de données sur les syndicats. Nous estimions pouvoir répondre aux besoins de nos utilisateurs au moyen d'autres sources, sans nuire aux enquêtes analytiques déjà en cours.

Le statisticien en chef évalue régulièrement son programme; c'est lui qui décide quelles données ne présentent plus aucun intérêt ou s'avèrent inutiles. Lorsqu'il prend une telle décision, il peut, en vertu de la Loi sur la statistique, modifier la méthode de collecte des données. Dans ce cas-ci, comme les données sont recueillies en vertu d'une loi autre que la Loi sur la statistique, nous devons modifier la LDPMS.

Le sénateur Maheu: J'aimerais revenir à la question des travailleurs de remplacement. On a laissé entendre que ce projet de loi n'est pas aussi dur que la loi anti-briseurs de grève du Québec. Je crois comprendre que, au cours des consultations, la partie patronale défendait une position, et les syndicats, une autre. La position du groupe de travail, elle, se situait entre les deux. Est-il possible que la disposition relative à l'utilisation des travailleurs de remplacement soit mal interprétée? Pouvez-vous nous l'expliquer pour que nous puissions répondre aux commentaires que nous avons entendus?

M. McDermott: Il est toujours possible de mal interpréter une loi. Toutefois, celle-ci est bien rédigée et j'espère que les travailleurs qui sont régis par le code n'auront aucune difficulté à en saisir le sens. Les organisations assujetties au code sont relativement intelligentes, et vous aurez l'occasion d'en rencontrer certaines au cours des audiences, et je crois qu'elles vont clairement comprendre que cette disposition interdit l'utilisation de travailleurs de remplacement.

Les codes du travail du Québec et de la Colombie-Britannique comprennent des dispositions très claires qui interdisent le recours aux travailleurs de remplacement. Le Code de travail du Québec comprend même une disposition qui interdit aux travailleurs de traverser les lignes de piquetage.

Le sénateur Cogger: Quels sont les articles du projet de loi qui traitent de cette question?

M. McDermott: L'article 42, à la page 32 du projet de loi, traite de l'article 94 du code.

Les codes de la Colombie-Britannique et du Québec interdisent clairement le recours aux travailleurs de remplacement, peu importe les circonstances. En Colombie-Britannique, les travailleurs ont le droit de traverser les lignes de piquetage, bien que cela se produise rarement. Au Québec, les travailleurs n'ont pas le droit de le faire.

Ces dispositions s'appliquent aux personnes qui sont engagées ou désignées après la date de la remise de l'avis de négociation pour remplacer les employés qui sont en grève ou en lock-out. Au cours des dernières années, il y a de nombreux conflits de travail, au palier fédéral, qui ont abouti à des lock-out et non à des grèves. Les entreprises pourront continuer d'avoir recours aux services de ces travailleurs dans un but légitime. Toutefois, elles ne pourront les utiliser pour miner la capacité de représentation d'un syndicat.

Lorsqu'un syndicat obtient des droits de représentation en vertu du Code canadien du travail, qui est le modèle en vigueur en Amérique du Nord, il possède le droit exclusif de représenter les employés de l'unité de négociation dans les affaires qui font l'objet d'une négociation, comme la conclusion d'un contrat patronal-syndical, la signature d'une convention collective ou le règlement de griefs. En vertu de cette loi, si la présence continue du syndicat est remise en question et que des travailleurs de remplacement sont utilisés à des fins illégitimes -- à l'encontre des dispositions du code --, alors le conseil a le droit d'ordonner à l'employeur de cesser d'utiliser des remplaçants.

Cette disposition reflète l'essentiel de la recommandation du rapport Sims. Vous pouvez voir à quel point le rapport Sims est volumineux. Le Code, lui, est beaucoup plus concis. Il doit donc être clair et précis. La disposition, à mon avis, est déjà très claire. Elle sera évidemment interprétée et appliquée par un conseil des relations de travail -- un conseil tripartite qui sera composé de représentants patronaux et syndicaux.

La clarté de la législation du travail a toujours posé problème. Lorsque l'obligation de négocier en toute bonne foi a été enchâssée dans le code du travail, on s'est demandé ce que cela voulait dire. Il n'y a pas beaucoup de gens aujourd'hui qui se posent cette question. Tout le monde sait ce qu'on entend par cela. Vous ne pouvez pas entreprendre des négociations sans viser comme objectif la signature d'une convention collective. Vous ne pouvez pas faire semblant de négocier. La jurisprudence à cet égard est bien établie.

La même chose va se produire dans le cas de la disposition du projet de loi C-66. Elle est suffisamment claire pour que tout le monde en comprenne le sens.

Le sénateur Cogger: Toujours dans le même ordre d'idées, monsieur McDermott, l'article dispose que:

Il est interdit à tout employeur ou quiconque agit pour son compte d'utiliser, dans le but de miner la capacité de représentation d'un syndicat, les services de toute personne [...]

Pouvez-vous me donner un exemple d'un cas où le recrutement d'employés temporaires n'aurait pas pour effet de miner la capacité de représentation d'un syndicat?

M. McDermott: Il y en a eu dans notre milieu. Il y a eu deux cas, dans l'industrie du transport aérien, qui permettraient d'illustrer la différence qui existe entre un but légitime et un but illégitime.

Le sénateur Cogger: À qui revient le fardeau de la preuve?

M. McDermott: Au plaignant. C'est-à-dire le syndicat.

Le sénateur Cogger: Si le syndicat se plaint du fait qu'une compagnie embauche des travailleurs temporaires, il doit prouver qu'elle le fait dans un but illégitime?

M. McDermott: C'est exact.

Le sénateur Cogger: Il doit le prouver?

M. McDermott: Oui.

Le sénateur Cogger: Le syndicat doit prouver l'intention de la compagnie? Si je pose cette question, c'est parce que l'embauche de travailleurs temporaires peut contribuer à miner la capacité de représentation d'un syndicat, même si ce n'est pas le but visé.

M. McDermott: Non. Le but serait de miner la capacité de représentation d'un syndicat. Permettez-moi de vous donner quelques exemples. Le premier a trait à un conflit qui a paralysé les opérations d'une importante compagnie aérienne il y a quelques années. Les agents de bord ont déclenché la grève, des remplaçants ont été embauchés, le conflit a été réglé, les objectifs de la direction ont été atteints, les remplaçants ont été renvoyés et les activités ont repris. Évidemment, il faut réparer les dégâts et rétablir les rapports, mais je ne crois pas que le but de la compagnie était d'anéantir le syndicat.

Une autre compagnie aérienne, une compagnie de charter qui n'existe plus, mais qui était basée à Montréal, a fait l'objet d'un arrêt de travail pendant 18 mois. Il faut se demander si elle voulait vraiment d'abord que ses employés se syndiquent. Le processus d'accréditation a été laborieux et la première ronde de négociations a été très difficile. Ensuite, lors de la deuxième ronde, il y a eu une grève très longue au cours de laquelle la direction a adopté une stratégie de repli. Chaque fois que le syndicat accédait aux demandes de l'employeur, celui-ci changeait soudainement ses exigences. L'offre n'était plus sur la table.

Un tribunal peut être appelé à évaluer la situation afin de déterminer si le but visé est de parvenir à une entente, tout en poursuivant les activités en ayant recours à des travailleurs de remplacement, ou de se débarrasser du syndicat ou des employés syndiqués. Je crois qu'il y a une nette différence entre les deux et c'est le conseil des relations de travail qui devra trancher.

Le sénateur Cogger: C'est le plaignant qui doit prouver l'intention de l'employeur?

M. McDermott: Oui. La même chose se produit lorsqu'on accuse la partie patronale de négocier de mauvaise foi. Le plaignant doit démontrer que l'autre partie s'adonne à des négociations de façade, par exemple, qu'elle n'a pas vraiment l'intention de conclure une entente, qu'elle fait semblant de négocier. C'est là qu'intervient le conseil des relations de travail.

[Français]

M. McDermott: Madame Tremblay, voulez-vous ajouter quelque chose?

Mme Johane Tremblay, agente de projet, Études législatives, partie I du Code canadien du travail, ministère du Développement des ressources humaines: Le conseil va devoir développer un test pour déterminer la différence entre l'apparence de négociations, "surface bargaining", ou des négociations dures. À ce moment-là, tout le contexte des relations entre les parties va amener le conseil, à partir de preuves extrinsèques, à déterminer effectivement si le plaignant, le syndicat dans ce cas-ci, demande d'empêcher l'utilisation de travailleurs de remplacement et si le syndicat réussit à convaincre que la présence de cette intention est légitime.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk: Quel critère utilisez-vous? Un critère objectif ou subjectif? Vous semblez avoir à votre disposition des mécanismes judiciaires, des mécanismes de règlement des différends, ainsi de suite.

M. McDermott: C'est un critère objectif en ce sens que tous les faits sont présentés. Les conseils des relations de travail appliquent déjà ce critère sur une base quotidienne. Lorsqu'on soutient qu'une partie négocie de mauvaise foi ou utilise des pratiques de travail déloyales, les circonstances et les faits particuliers de l'affaire sont pris en considération et une décision est prise. C'est ce que font les tribunaux quasi judiciaires, de façon objective.

Le sénateur Andreychuk: Habituellement, ces termes sont définis au moyen de paramètres, bien qu'il existe un ensemble de règles juridiques dans ce domaine. Dans ce projet de loi, le conseil est tout simplement formé de membres qui sont nommés.

M. McDermott: C'est exact. Le conseil proposé est légèrement différent de celui que nous avons à l'heure actuelle, qui, lui, n'est pas représentatif. Le président et les vice-présidents seront neutres, et ils devront avoir de l'expérience et des compétences en relations industrielles. Le projet de loi précise clairement pour la première fois qu'ils doivent avoir de l'expérience dans ce domaine. Les membres représenteront les organisations patronales et syndicales. Le ministre devra consulter ces organisations avant de désigner des personnes qui possèdent une expérience dans le domaine des relations industrielles.

Je reviens aux négociations de bonne foi. Lorsque ce principe a été enchâssé dans la loi, il n'y avait pas de paramètres sur lesquels se fonder. Toutefois, il n'a pas fallu beaucoup de temps avant que des précédents ne soient établis. Consultez n'importe quel ouvrage ou guide juridique et vous allez y trouver deux ou trois pages qui résument ces paramètres. C'est ce qui risque de ce produire très rapidement avec les dispositions du projet de loi C-66.

Le sénateur Andreychuk: Il n'y a pas de précédents à l'heure actuelle. On nous demande de faire confiance aux membres désignés, de croire qu'ils vont prendre des décisions justes et équitables, sauf qu'il ne semble pas y avoir de mécanisme pour surveiller ce qu'ils font.

M. McDermott: Il y en a un, puisqu'on peut toujours demander un examen judiciaire. Ils ne peuvent pas prendre des décisions qui sont carrément déraisonnables. Cet examen judiciaire constitue en fait une mesure de sauvegarde. Il y a également une disposition qui prévoit la tenue d'examens internes au sein du conseil. Si un membre n'exerce pas ses fonctions comme il se doit, le conseil peut être saisi de l'affaire. Il existe déjà des précédents concernant les négociations de façade et les stratégies de repli.

Le sénateur Cogger: Il n'y a pas de précédents concernant l'article 42.

M. McDermott: Pas dans ce cas-ci.

Le sénateur Cogger: Comment ces cas seront-ils jugés? Le processus sera-t-il accusatoire? Qu'arrive-t-il lorsque le syndicat soutient qu'une pratique viole l'article 42? Est-ce que le conseil exige que l'employeur vienne s'expliquer?

M. McDermott: Non. Le conseil doit observer toutes les règles de justice naturelle et d'équité administrative.

Le sénateur Cogger: Il va entendre les partis?

M. McDermott: Toutes les expressions latines qu'on a l'habitude d'entendre seront utilisées dans cette tribune.

Le sénateur Cogger: Monsieur McDermott, est-ce qu'il est possible que des travailleurs temporaires soient embauchés sans que le syndicat ne porte plainte?

M. McDermott: Oui. Je ne vois pas pourquoi ils voudraient gaspiller leur argent et défendre une cause qu'ils savent perdue d'avance. Ces procédures sont très coûteuses. Ils ne sont pas tenus de payer les membres du conseil lorsqu'ils comparaissent, mais ils doivent habituellement payer les honoraires des avocats, et ceux-ci ont tendance à être plutôt élevés.

Le sénateur Cogger: Si une entreprise embauche des travailleurs temporaires, croyez-vous que le syndicat va dire: «L'employeur ne fait pas cela dans le but de miner la capacité représentative de notre syndicat»?

M. McDermott: Oui, je le crois. Je suppose que, pendant les précédents sont établis, il y a des gens qui vont essayer de voir jusqu'où ils peuvent aller. Toutefois, une fois que les paramètres auront été fixés, comme ils l'ont été pour les autres dispositions de la loi, il sera difficile de les contester.

Le sénateur Cogger: On a émis des réserves au sujet du fait que les syndicats pourront avoir accès aux noms et adresses des travailleurs à distance. On craint que cela ne porte atteinte à la protection de la vie privée de ces travailleurs. Avez-vous consulté le commissaire à la protection de la vie privée pour avoir son avis là-dessus?

M. McDermott: Non, pas sur cette question. Nous l'avons consulté sur un autre aspect de la loi.

Le sénateur Cogger: Mais pas sur celui-ci?

M. McDermott: Non.

Le sénateur Cogger: Pourquoi? Personne n'y a songé?

M. McDermott: Ce n'est pas du tout cela. Nous savons tous qu'il y a une Loi sur la protection de la vie privée et que les dispositions de cette loi peuvent s'appliquer dans certaines circonstances.

Le sénateur Cogger: En vertu du projet de loi, l'employeur est tenu de mettre à la disposition d'un syndicat des renseignements personnels sur les employés. Ne pensez-vous pas qu'il s'agit d'un point litigieux pour le Commissaire à la protection de la vie privée?

M. McDermott: Je crois qu'il faut faire la distinction entre le Code canadien du travail et la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le Code canadien du travail s'applique à toute la compétence fédérale en matière de travail. Je ne crois pas que la Loi sur la protection des renseignements personnels soit aussi étendue.

Le sénateur Cogger: Ne s'applique-t-elle pas à tous les Canadiens?

M. McDermott: Pas d'après ce que je comprends.

Le sénateur Cogger: Ne vise-t-elle que les employés fédéraux? Ne vise-t-elle pas les employés provinciaux et autres employés également?

[Français]

Mme Tremblay: La loi impose des obligations aux institutions fédérales et à un certain nombre de corporations de la Couronne. Par exemple, à ma connaissance, la Société canadienne des postes est assujettie à la Loi sur la protection de la vie privée, mais, à ma connaissance, la majorité des entreprises fédérales assujetties au Code canadien du travail ne sont pas visées par la Loi.

Le sénateur Cogger: La Couronne fédérale l'est sûrement.

Mme Tremblay: Oui. Une grande partie des entreprises qui sont assujetties au code ne seraient pas visées. Elles ne seraient pas assujetties à la loi fédérale.

[Traduction]

M. McDermott: Dans tous les cas, il est clair qu'il s'agit d'un tribunal quasi judiciaire et que toute autre loi pertinente -- qu'il s'agisse de la Loi sur la protection des renseignements personnels ou de la Charte des droits et libertés -- doit être prise en compte.

C'est la même chose lorsque par exemple, un arbitre entend un grief. L'arbitre peut prendre en compte des questions liées aux lois sur les droits de la personne et même à la Charte. La jurisprudence l'a aussi établi. Je ne crois pas qu'il y ait là quoi que ce soit d'inhabituel et qui nécessite une attention particulière. L'article 50 du projet de loi qui présente l'article 109.1 proposé, prévoit très clairement la protection des renseignements personnels. Comme je l'ai indiqué dans ma déclaration liminaire, le paragraphe (4) stipule que le conseil est également tenu -- il n'a pas de choix ni de discrétion à cet égard -- d'assortir l'ordonnance des conditions à respecter de manière à assurer la protection de la vie privée et la sécurité des employés concernés et à empêcher l'utilisation abusive des renseignements. Les questions liées à la protection des renseignements personnels ont été clairement prises en compte.

Tout projet de loi est rédigé en consultation avec des fonctionnaires du ministère de la Justice qui sont parfaitement conscients de ces genres d'interactions entre diverses lois.

La présidente: Cela ne s'applique qu'à ceux qui relèvent de la compétence gouvernementale. Cela ne s'applique pas aux industries artisanales ou à tous ceux qui ne relèvent pas de cette compétence?

M. McDermott: Non. Cela s'applique précisément aux industries fédérales, comme les transports et les communications interprovinciales, ainsi qu'à quelques industries qui sont déclarées servir l'intérêt général du Canada, comme l'industrie céréalière. Cela ne s'applique pas à la fonction publique en tant que telle. La partie II du Code canadien du travail, qui traite de la santé et de la sécurité, s'applique à la fonction publique fédérale, mais pas la partie I.

Le sénateur Andreychuk: J'ai entendu plusieurs personnes s'inquiéter du fait que le projet de loi donne au Conseil canadien des relations de travail l'autorisation d'accorder l'accréditation à un syndicat même sans preuve de l'appui de la majorité des employés de l'unité si le conseil est d'avis que, n'eût été une pratique déloyale de travail, le syndicat aurait vraisemblablement obtenu l'appui de la majorité des employés de l'unité. Pouvez-vous nous préciser comment cela fonctionnera?

M. McDermott: Je crois que c'est avec modération que le conseil aura recours à un tel procédé. C'est une disposition que l'on retrouve dans certaines lois provinciales. J'oublie exactement combien de compétences ont ce genre de disposition, mais selon la jurisprudence, le conseil peut prendre une telle ordonnance, lorsque, en raison de la nature d'une pratique déloyale de travail adoptée par un employeur, il est impossible de déterminer si les véritables souhaits des employés peuvent être vérifiés. Dans ce projet de loi, le gouvernement, conformément à la recommandation Sims, a ajouté cette disposition qui prévoit que si le conseil est convaincu que, n'eut été la pratique déloyale en question, le syndicat aurait obtenu l'appui de la majorité des employés, il peut automatiquement lui accorder l'accréditation sans procéder à un vote.

Il sera en mesure de s'inspirer de la jurisprudence. Comme je le dis, ce procédé sera utilisé avec beaucoup de modération. C'est de toute évidence un dernier recours. Dans tous les cas, le Conseil des relations de travail a le droit d'ordonner un vote des employés dans n'importe quelle circonstance et je suppose que s'il est d'avis que le vote peut être mené équitablement, il ordonnera le vote plutôt que d'avoir recours à ce pouvoir, mais par contre, s'il considère que le vote ne révélera pas les véritables souhaits des employés à cause de l'ingérence en question, il pourra user de ce pouvoir de réserve.

Le sénateur Andreychuk: Cette loi n'exige pas la tenue d'un vote représentatif secret?

M. McDermott: Ce n'est pas obligatoire, mais lorsque le Conseil canadien des relations de travail procède à un vote, il faut que ce soit un vote au scrutin secret supervisé par les représentants du conseil. Lorsqu'un syndicat a réussi à obtenir l'adhésion de 35 à 50 p. 100 des membres d'une l'unité de négociation proposée, il faut tenir un vote. Ce n'est que lorsque les cartes signées démontrent l'appui de la majorité que le conseil a le pouvoir discrétionnaire de ne pas tenir de vote. Lorsque ces votes ont lieu, il s'agit de votes au scrutin secret qui sont supervisés.

Le sénateur Andreychuk: Est-ce la première fois que ce genre de disposition apparaît dans le Code fédéral du travail?

M. McDermott: Oui.

Le sénateur Andreychuk: Ces dernières années, je suis devenue une habituée non pas des votes en milieu de travail, mais des élections et je sais que des manoeuvres d'intimidation peuvent provenir de nombreuses sources et prendre de nombreuses formes. Je me demande dans le cas qui nous occupe sur quelles normes le conseil va s'appuyer pour déterminer les pratiques déloyales de travail? Ces normes découleront-elles de la jurisprudence ou sont-elles toutes nouvelles?

M. McDermott: Elles ne devraient pas l'être, en raison de la jurisprudence dans d'autres compétences. Il y a déjà des précédents, dans le cadre du Code canadien du travail, en ce qui concerne l'ingérence de l'employeur dans la gestion d'un syndicat, dont on s'inspirera pour l'application de cette disposition.

Le sénateur Andreychuk: Cela me semble un précédent dangereux. Ce projet de loi supprime le principe du vote majoritaire dans les relations de travail et nous risquons de nous retrouver dans une situation où c'est un conseil qui décidera des questions au nom des personnes visées. C'est une approche plutôt paternaliste ainsi qu'une ingérence du gouvernement. Il y a sûrement d'autres façons de garantir la tenue d'un vote juste et équitable. C'est ce que nous voulons. A-t-on examiné d'autres possibilités ou moyens pour donner effet à cette disposition?

M. McDermott: D'autres possibilités sont déjà prévues dans le Code et le conseil pourra y avoir recours. Les membres du groupe de travail qui ont recommandé ce procédé ont déjà siégé au sein du Conseil de relations de travail et sont conscients de cas où, à cause d'une ingérence, un vote n'a pas pu être considéré comme juste et équitable. Ils en ont conclu que la loi fédérale devrait renfermer une disposition semblable à celle que l'on retrouve dans les lois provinciales.

Le sénateur Andreychuk: Pouvez-vous nous indiquer quelles provinces ont une telle disposition?

M. McDermott: Je crois que la plupart d'entre elles en ont une. C'est certainement le cas de l'Ontario, mais pas de l'Alberta. Nous pourrions le vérifier très rapidement après la séance. Si je me souviens bien, plus de la moitié des provinces ont une telle disposition.

La présidente: Avant de terminer, je dois vous poser des questions au sujet du conseil actuel. Si je comprends bien, ce conseil va cesser d'exister dès que ce projet de loi prendra effet et qu'un nouveau conseil sera nommé avec de nouvelles attributions. Je me demande simplement pourquoi rien dans ce projet de loi ne traite de l'indemnisation des membres du conseil actuel, dont le mandat n'est peut-être pas arrivé à échéance. Ne croyez-vous pas que l'expérience de certains membres du conseil est importante? Le concept de nomination des membres à des moments différents est très important pour un conseil de relations de travail, car ceux qui connaissent bien le système peuvent former les nouveaux membres. Je crois qu'il serait très utile que le nouveau conseil accueille des membres ayant de l'expérience.

J'imagine que vous ne savez pas si des membres du conseil actuel resteront, mais je remarque qu'il n'est pas question d'indemnisation pour les années qu'ils ont passées au sein du conseil. Quelle en est la raison?

M. McDermott: Je crois que c'est le Bureau du Conseil privé qui s'occupe de ces genres de questions. Je suis sûr que la question s'est déjà posée dans le cas d'autres tribunaux dont la nature a soit changé ou qui ont cessé d'exister et il y a moyen de régler pareilles questions. Ce qui est prévu ne va pas être mis en place le jour de l'adoption du projet de loi. Une disposition prévoit la mise en application du projet de loi par étapes.

La présidente: Qu'adviendra-t-il des litiges relevant de votre compétence, lorsque la loi sera proclamée? Il faudra tout de même les régler.

M. McDermott: Le projet de loi prévoit des dispositions expresses à cet égard. Ainsi, le nouveau président est censé réassigner les dossiers, mais la loi prévoit la possibilité de conclure les affaires en cours. Comme je l'ai dit, on a le choix soit de tout laisser tomber ou, si les parties au litige se désistent, de nommer une nouvelle formation. Les membres du conseil seront avisés des changements suffisamment à l'avance pour pouvoir postuler les postes au sein du nouveau conseil. Que je sache, le projet de loi ne va pas plus loin à ce sujet. Comme je l'ai dit, c'est le Bureau du Conseil privé qui voit habituellement à ces questions.

La présidente: Je crois savoir que le ministre est disposé à comparaître devant le comité dès la première occasion. Si nous avons des questions, nous vous le ferons savoir.

Le sénateur Cogger: Pouvez-vous nous dire combien d'affaires sont actuellement en suspens ou en cours au conseil? Si vous n'avez pas les données, vous pouvez nous les fournir plus tard.

M. McDermott: Je crois que les vice-présidents et le président s'occupent actuellement d'environ 30 affaires chacun. Le conseil compte cinq vice-présidents et un président.

Le sénateur Cogger: Ce qui reviendrait à environ 200 affaires?

M. McDermott: Environ. Nous parlons évidemment de litiges en cours, dont le conseil vient tout juste d'être saisi ou qu'il est sur le point d'arbitrer. Nous vous fournirons des données précises.

La présidente: Honorables sénateurs, nous passons maintenant aux porte-parole de la Western Grain Elevator Association. Nous accueillons donc Ed Guest, directeur exécutif, Bonnie Dupont, présidente du comité permanent des ressources humaines, et James Carwana, conseiller.

M. Ed H. Guest, directeur exécutif, Western Grain Elevator Association: Madame la présidente et honorables sénateurs, notre message est plutôt simple, mais il est d'une très grande importance pour l'industrie des céréales et le Canada entier.

La Western Grain Elevator Association et la British Columbia Terminal Elevator Operators Association vous remercient de l'occasion qui leur est offerte de faire part de leur opinion sur les modifications qu'on projette d'apporter au Code canadien du travail. Notre intention n'est pas de faire des observations sur tous les aspects des modifications à l'étude, mais de nous limiter plutôt à ce qui revêt une importance particulière dans le secteur du grain. À cet égard, les associations que nous représentons ont les mêmes préoccupations que bon nombre d'autres groupes en ce qui concerne les dispositions qui touchent les travailleurs suppléants et l'incertitude qu'elles entraînent. Nous croyons néanmoins que ces questions seront abordées par d'autres groupes et nous limiterons donc nos observations aux modifications qui s'appliquent au secteur du grain.

À titre indicatif, je signale que la Western Grain Elevator Association, fondée à la fin du siècle dernier, est le porte-parole des neuf grandes entreprises céréalières de l'Ouest canadien. Ses membres offrent aux agriculteurs de quatre provinces plus de 1 000 points de service dans les Prairies canadiennes. Ils possèdent plus de 99 p. 100 de tous les silos de l'Ouest canadien et ils exploitent les terminaux céréaliers de la côte Ouest et de Thunder Bay, en Ontario, où se font la manutention et l'expédition des grains à l'étranger.

La British Columbia Terminal Elevator Operators Association, fondée en 1957, est un regroupement d'employeurs qui a obtenu le droit de négocier, au nom de ses membres de la côte Ouest, avec le syndicat qui représente leurs employés. Parmi ses membres, elle compte une coopérative, un groupement de coopératives, des coopératives dont les actions sont cotées en bourse, un groupement d'entreprises céréalières et une société privée.

Nos associations appuient l'adoption des modifications au code qui assure la circulation des grains malgré les conflits de travail dans des secteurs autres que celui du grain. Ces modifications sont définies en gros à l'article 87.7 du projet de loi qui porte qu'en cas de conflit de travail à l'extérieur du secteur du grain, les activités liées aux navires céréaliers ne peuvent être interrompues. Ainsi, on peut lire:

(1) Pendant une grève ou un lock-out non interdit par la présente partie, l'employeur du secteur d'activité visé à l'alinéa a) de la définition de «entreprise fédérale» donnée à l'article 2, ses employés et leur agent négociateur sont tenus de maintenir leurs activités liées à l'amarrage et à l'appareillage des navires céréaliers, ainsi qu'à leur chargement, et à leur entrée et à leur sortie d'un port.

(2) Sauf accord contraire entre les parties, les taux de salaire ou les autres conditions d'emploi, ainsi que les droits, obligations ou avantages des employés, de l'employeur ou du syndicat en vigueur avant que les conditions prévues aux alinéas 89(1)a) à d) soient remplies demeurent en vigueur à l'égard des employés de l'unité de négociation affectés au maintien de certaines activités en conformité avec le paragraphe (1).

(3) Sur demande présentée par un employeur ou un syndicat concerné ou sur renvoi fait par un ministre, le conseil peut trancher toute question liée à l'application du paragraphe (1) et rendre les ordonnances qu'il estime indiquées pour en assurer la mise en oeuvre.

On reconnaît généralement l'importance du rôle joué par le secteur du grain au pays. La raison pour laquelle le Code canadien du travail s'applique à ce secteur est que les silos sont considérés comme «un avantage pour le Canada dans son ensemble», aux termes de la Loi constitutionnelle. C'est pour la même raison que la Cour suprême a déclaré, dans un jugement rendu dernièrement, que la circulation des grains en provenance des terminaux de Vancouver et de Prince Rupert a toujours revêtu une grande importance pour l'économie du pays. Tout récemment, le ministre du Travail du Canada a indiqué qu'il nommait un commissaire-conciliateur pour régler un conflit affectant la manutention du grain sur la côte Ouest parce qu'il est important que le secteur du grain demeure en santé, tant pour l'économie canadienne que pour la réputation d'exportateur fiable de grains dont jouit le Canada.

Les problèmes surgissent quand des conflits de travail dans d'autres secteurs d'activité risquent d'affecter la circulation des grains. Ces conflits n'ont rien à voir avec les forces concurrentielles internationales qui influent sur le secteur du grain et ne peuvent être réglés par les forces économiques en jeu dans le secteur. Les conflits extérieurs au secteur du grain «mais qui se répercutent sur lui» peuvent entraîner des situations où les grains servent d'otage. La Commission d'enquête sur les relations industrielles dans les ports de la côte Ouest a constaté que le secteur du débardage s'est servi, dans le passé, de sa capacité de bloquer les exportations de grain comme d'une carte maîtresse. Après avoir examiné la situation, elle a déclaré:

Dans le contexte qu'elle vient d'exposer, la commission s'est penchée sur les relations et sur l'état des rapports industriels dans les ports de la côte Ouest. Dans l'industrie du débardage, notamment, nombre des éléments habituels de la relation de négociation collective telle qu'envisagée dans le code sont absents. C'est particulièrement évident dans le domaine critique du règlement des litiges où, comme nous l'avons mentionné précédemment, les parties ont constamment des problèmes.

À ce propos, ils sont nombreux à pointer du doigt l'ingérence constante du gouvernement, dans laquelle ils voient le principal facteur des malheurs qui frappent l'industrie, et ils vont même jusqu'à dire qu'on ne leur a jamais permis de régler leurs propres problèmes importants en laissant s'appliquer les pressions de sanctions économiques réalistes. Ce qui est plus près de la vérité, c'est que l'industrie elle-même est à l'origine de tout ce rituel d'interventions gouvernementales. Qui plus est, elle en use délibérément pour cacher son incapacité à régler ses propres problèmes et y voit un outil pour contrer l'intransigeance profondément enracinée dans ses stratégies de négociation. Dans l'intervalle, plutôt que d'amorcer des négociations véritables et responsables telles qu'envisagées dans le code, les parties entament généralement ce qui s'appelle, dans le jargon des relations de travail, des «négociations de façade», expression qui sert à décrire le fait d'adopter simplement des résolutions ou de faire semblant de négocier, sans avoir vraiment l'intention de signer une convention collective. En fait, selon toute apparence, la négociation collective, dans cette industrie, a été réduite à un rituel qui ressemble davantage à une partie de poker, où l'atout dans la manche est la capacité de bloquer les exportations céréalières. Tous savent que, lorsque cette carte est jouée, elle donne presque la garantie d'une intervention rapide du Parlement. En retour, cela réduit le risque que les parties aient à assumer les inconvénients d'un arrêt de travail prolongé. Pendant tout ce temps, elles font de leur mieux pour jouer sur leurs positions tactiques, se tenant prêtes à l'inévitable intervention d'une tierce partie. La négociation collective proprement dite n'existe tout simplement plus.

La commission a constaté que les exportations de grains avaient souvent été perturbées parce que les parties en cause dans le secteur du débardage n'étaient pas capables de s'entendre sur une convention collective. Par exemple, on a dû voter une loi en 1995 pour empêcher l'immobilisation des grains causée par un lock-out des contremaîtres de débardeurs et en 1994 pour mettre fin à une grève des débardeurs qui perturbait l'exportation des grains.

Selon les associations, il est particulièrement important que les conflits secouant d'autres secteurs y soient confinés et ne perturbent pas l'industrie céréalière. En permettant que l'industrie céréalière serve d'«otage» dans les conflits intervenant dans d'autres secteurs, on porte gravement atteinte à la compétitivité du Canada et à sa fiabilité comme fournisseur de grains sur le marché mondial.

Actuellement, l'industrie céréalière canadienne, en état de transition, cherche à réduire ses coûts et à augmenter sa productivité. Le cadre réglementaire du gouvernement est soumis, en grande partie, à une révision en profondeur, et l'on a abrogé les dispositions législatives qui prévoyaient des subventions au transport ferroviaire, de sorte que les agriculteurs doivent maintenant payer deux fois plus cher le transport des grains; ainsi, tous les autres maillons de la chaîne d'exportation se trouvent dans l'obligation de devenir plus efficaces et de réduire leurs coûts.

Parallèlement, les agriculteurs canadiens font face à la concurrence accrue d'autres pays qui cherchent, eux aussi, à réduire leurs coûts et à augmenter leur efficacité. En vue de fidéliser sa clientèle dans le contexte d'une compétitivité accrue à l'échelle internationale, il est primordial que le Canada démontre sa fiabilité en tant que fournisseur de grains. La principale menace qui pèse actuellement sur l'industrie céréalière canadienne est justement l'inquiétude de la clientèle à cet égard. Le Western Grain Marketing Panel a d'ailleurs indiqué:

Au cours d'une rencontre du Panel avec M. Zhou Mingehen, président de COFCO (organisme chinois de denrées alimentaires), et ses collaborateurs, le président a fait observer que le Canada était le plus important fournisseur céréalier de la Chine et celui auquel elle accordait la préférence. Par contre, il a fait savoir que d'autres fournisseurs s'emploient à améliorer la qualité de leurs grains et de leurs services et que le Canada aura à déployer des efforts considérables pour rester concurrentiel et pour continuer de répondre aux besoins de la Chine. M. Mingehen a exprimé un vif intérêt pour la participation de la Chine à des coentreprises avec le Canada dans le domaine du traitement des grains et des activités connexes. La seule critique importante qu'il a formulée à l'égard du système canadien avait trait aux perturbations dans l'approvisionnement, attribuables aux délais qui retardent les navires dans le port de Vancouver.

En ce qui a trait à nos partenaires commerciaux japonais, le panel a indiqué que ces intervenants sont généralement satisfaits du système de commercialisation canadien, mises à part les difficultés du transport éprouvées dans le port de Vancouver.

Le panel a aussi fait état, dans son rapport définitif, de nombreux autres problèmes signalés par les acheteurs de grains canadiens.

Après avoir entendu les exposés de tous les intervenants, la Commission d'enquête industrielle a jugé que le fait d'exclure la manutention des grains des conflits touchant les autres secteurs était un objectif à atteindre, et l'objectif a donc été énoncé dans le texte de loi. Pour l'atteindre, la loi cherche à empêcher le secteur du débardage d'utiliser les grains comme carte maîtresse. Désormais, dans tout conflit touchant ce secteur, les services normalement offerts pour amarrer, appareiller et charger des navires céréaliers doivent être maintenus.

Nous soutenons respectueusement qu'il existe plusieurs raisons justifiant le maintien des services.

Tout d'abord, les grains ont constitué par le passé la carte maîtresse dans les conflits du secteur du débardage, et il ne devrait plus être permis de les utiliser en quelque sorte comme otages dans les conflits touchant d'autres secteurs. En effet, l'emploi de cette tactique nuit à la réputation de fiabilité du Canada en tant que fournisseur de grains et elle est source d'injustice pour les producteurs céréaliers. Après avoir bien analysé la question, la commission en est arrivée à la conclusion que la manutention des grains devrait être exclue des conflits touchant d'autres secteurs. Nul autre produit ne fait l'objet d'une conclusion semblable. C'est dire que les arguments applicables aux grains ne valent tout simplement pas pour les autres produits.

De plus, la commission d'enquête a jugé que l'utilisation des grains comme otages avait eu des effets néfastes sur les négociations dans le secteur du débardage. Cette fois encore, après un examen approfondi de la question, la commission n'a formulé de conclusion semblable à l'égard d'aucun autre produit.

Ensuite, la Loi constitutionnelle affirme que l'industrie céréalière représente un avantage pour le Canada entier et, malgré toute l'importance que l'on peut accorder à d'autres produits, le législateur a reconnu, par le passé, la nécessité d'accorder un statut particulier aux grains. Ainsi, en adoptant la Loi sur les grains du Canada et la Loi sur la Commission canadienne du blé, la Chambre des communes et le Sénat ont reconnu que les grains constituent un avantage pour tout le pays. Bref, le fait que les textes de loi accordent un statut particulier aux grains ne représente pas une nouveauté par rapport aux lois antérieures. Il s'inscrit plutôt dans la continuité du traitement déjà accordé.

Enfin, il ne faudrait pas oublier que tous les arguments invoqués contre l'article 87.7 ont déjà été présentés aux commissaires indépendants qui se sont penchés sur la question. En effet, la commission d'enquête a étudié cette question à fond. Formée de spécialistes indépendants et parfaitement désintéressés, la commission a passé des mois à écouter toutes les parties, à recueillir les faits, à examiner la question et à établir ses conclusions. Après avoir entendu quelque 70 groupes et particuliers, notamment à Vancouver, à Prince Rupert, à Calgary, à Regina et à Winnipeg, elle a jugé que le secteur du débardage utilisait les grains comme carte maîtresse et qu'il fallait faire cesser cette pratique. L'article 87.7 projeté est le moyen juridique conçu pour atteindre ce but.

Dans la même veine, le groupe de travail SIMS a également examiné et rejeté les arguments contre une disposition juridique semblable à l'article 87.7. Voici ce qu'il a dit:

[...] Nous croyons que de pareilles mesures seraient mal accueillies par les employeurs des débardeurs et d'autres employeurs maritimes. De même, les producteurs d'autres marchandises exportées à partir des ports de la côte Ouest pourraient les juger discriminatoires. Cependant, en raison de son importance, l'industrie céréalière représente un avantage pour le Canada entier, aux termes de la Loi constitutionnelle et relève, par conséquent, du Code canadien du travail. Tel n'est pas le cas de la plupart des autres produits.

Sénateurs, ce qu'il importe de comprendre, c'est qu'une commission formée de spécialistes indépendants a mené une enquête approfondie sur cette question et que, après avoir entendu toutes les parties opposées à une telle loi, elle a néanmoins décidé qu'il fallait mettre la manutention des grains à l'abri des conflits dans d'autres secteurs. Les éventuels effets de la loi, tant favorables que défavorables, ont déjà été étudiés par des spécialistes indépendants, et une décision a été prise. La loi vise simplement à répondre à un besoin dont l'existence, en ce qui a trait à l'industrie céréalière, a été constatée de façon indépendante par la Commission d'enquête sur les relations de travail.

Selon nous, une autre raison, moins évidente, explique l'opposition à l'article 87.7 projeté, soit le fait que le secteur du débardage ne pourrait plus utiliser les grains comme carte maîtresse. Il est certes désagréable de devoir renoncer à un atout, mais une commission de spécialistes indépendants et la Chambre des communes ont jugé que cela était nécessaire pour le bien du pays. En assurant le maintien des services aux navires céréaliers, les entreprises et les travailleurs du secteur du débardage continueront d'être payés pour leurs activités. La loi a simplement pour effet d'exclure les grains des négociations, tant d'un côté de la table que de l'autre.

Par ailleurs, le gouvernement a indiqué qu'il surveillerait l'application de cette mesure et son efficacité; si des changements s'avèrent nécessaires, il sera certainement possible de les réaliser. Actuellement, il importe, selon nous, d'adopter l'article 87.7 afin d'atteindre l'objectif défini par la Chambre des communes et par les spécialistes de la Commission d'enquête sur les relations de travail dans les ports de la côte Ouest.

Il serait également bon de noter qu'en retirant les grains de l'équation dans d'autres secteurs, la loi proposée aura pour effet d'y favoriser la négociation collective. La commission d'enquête affirme que d'autres intervenants ont utilisé auparavant la carte maîtresse des grains pour s'engager dans des négociations de façade en évitant tout effort de négociation véritable. Les grains étant retirés du paysage, les problèmes existants devront faire l'objet de véritables pourparlers. Ainsi, nous croyons qu'en dernière analyse, cette mesure sera profitable à ces secteurs et à tous ceux qui sont touchés par l'industrie céréalière canadienne.

Notre association estime que l'article 87.7 proposé exigeant le maintien des services aux navires céréaliers constitue un pas vers l'objectif de mettre l'industrie céréalière du Canada à l'abri des conflits de travail dans d'autres secteurs. En apportant les modifications prévues, on reconnaît que les grains ont servi de carte maîtresse dans le secteur du débardage par le passé et que cette pratique ne doit pas persister dans l'avenir. On reconnaît également que d'autres lois ont déjà défini l'industrie céréalière comme étant un avantage pour le pays dans son ensemble et que la santé du secteur de la manutention des grains est importante pour l'économie canadienne ainsi que pour la réputation du Canada comme fournisseur de grains fiable.

Sénateurs, le gouvernement vient maintenant de transmettre le message qu'il faut aux acheteurs de produits alimentaires canadiens. Nous craignons que si l'élan de cette initiative ralentit, nos clients en concluent que cette question ne nous intéresse pas et aillent s'approvisionner ailleurs en céréales. Nous vous incitons à adopter ce projet de loi le plus rapidement possible pour que nos clients internationaux continuent à acheter nos céréales.

Le présent mémoire est respectueusement soumis au nom de nos sociétés membres que j'aimerais nommer: Alberta Wheat Pool; Cargill Limited; Manitoba Pool Elevators; Parrish & Heimbecker, Limited; N.M. Paterson & Sons Limited; Pioneer Grain Company, Limited; Saskatchewan Wheat Pool; United Grain Growers Limited; et Weyburn Inland Terminal Limited.

Le sénateur Maheu: En tant que Québécoise, je ne connaissais pas vraiment bien l'industrie céréalière jusqu'à ce que je commence à lire sur la question. Plus j'entends de témoignages à ce sujet, plus je trouve cette question intéressante.

Est-il vrai que depuis 1972, il y a eu une douzaine de grèves sur la côte Ouest, dont neuf ont exigé l'adoption d'une loi de retour au travail?

M. Guest: C'est à peu près cela. Les spécialistes pourront peut-être vous donner le chiffre exact.

M. James Carwana, conseiller, British Columbia Terminal Elevator Operators Association: Entre la B.C. Maritime Employers Association et le syndicat des débardeurs, il y a eu 12 séries de négociations collectives et six arrêts de travail, dont cinq ont nécessité l'adoption d'une loi de retour au travail.

Mme Bonnie Dupont, présidente, comité permanent des ressources humaines, Western Grain Elevator Association: C'est depuis 1982, pas 1972.

Le sénateur Maheu: Que s'est-il passé dans le cas des trois grèves qui n'ont pas nécessité l'adoption d'une loi de retour au travail?

La présidente: Les parties ont réglé la question entre elles.

Le sénateur Maheu: Je pense que nous aurons peut-être des objections très vigoureuses de certains débardeurs. Je crois également comprendre que votre association ne veut pas d'arbitrage exécutoire pour votre industrie. Est-ce toujours votre avis et dans l'affirmative pourquoi?

Mme Dupont: Dans notre propre industrie, lorsque nous négocions avec nos propres syndicats, nous préférons suivre le processus de la négociation collective jusqu'à sa conclusion logique et éviter l'arbitrage. Malheureusement, nous avons dû parfois mettre fin à nos différends en recourant à des ordonnances de retour au travail et à l'arbitrage. Habituellement, ce n'est pas une solution satisfaisante pour ni l'une ni l'autre des parties.

Le sénateur Maheu: Vous dites que cela s'est produit par le passé. Comment prévoyez-vous alors éviter le recours à l'arbitrage exécutoire à l'avenir?

Mme Dupont: Je crois que pour l'éviter, il faut suivre le processus d'un conflit de travail jusqu'à son règlement logique.

Le sénateur Maheu: Devant le conseil?

Mme Dupont: Entre les parties.

M. Guest: Il s'agit de deux questions distinctes. Si vous voulez savoir si l'industrie céréalière préfère s'occuper de ses propres négociations collectives, je peux vous dire que nous préférerions nous en occuper sans l'ingérence de qui que ce soit, mais que nous préférerions aussi poursuivre nos activités sans qu'un conflit mettant en cause une autre partie perturbe la livraison de denrées alimentaires au reste du monde. Il s'agit de deux questions distinctes.

Le sénateur Maheu: Il me semble que vous voulez gagner sur les deux tableaux.

M. Guest: Nous sommes plus que disposés à traiter avec nos employés sur une base économique pour arriver à la meilleure solution possible. S'ils nous obligent à cesser nos activités, nous perdrons de l'argent mais eux aussi. Nous ne pouvons pas influencer d'autres secteurs aux prises avec un conflit de travail. S'il y a un conflit de travail dans l'industrie du soufre, cela ne cause pas de pénurie de vivres en soi mais nous ne devrions pas avoir à subir les conséquences de son problème.

M. Carwana: Il faut faire une autre distinction, à savoir que l'industrie céréalière doit être sensible aux forces internationales et pouvoir y réagir lorsqu'elle négocie avec son propre syndicat. Le projet de loi -- et avec raison -- met le secteur du grain à l'abri des conflits dans les autres secteurs pour permettre à l'industrie céréalière de continuer à faire face à ces forces internationales.

Le sénateur Maheu: Vous voulez ce projet de loi pour obliger les débardeurs à continuer à assurer leurs services à vos navires, même s'ils sont en grève ou en lock-out et pourtant, vous ne semblez pas être disposés à ce que votre organisation soit assujettie au même processus par lequel le conseil pourrait vous obliger à retourner au travail ou du moins à examiner le dossier.

Mme Dupont: La situation concernant nos propres gens et notre propre industrie est une situation que nous pouvons gérer au moyen de la négociation collective. Il ne fait aucun doute, comme M. Guest l'a signalé, qu'en cas de conflit, si nous mettons nos employés en lock-out ou s'ils font la grève, nous avons un problème de part et d'autre et nous en subissons de part et d'autre les conséquences économiques. Nous sommes prêts à suivre ce processus avec nos propres employés. Nous gérons très bien notre propre processus de négociation collective. Le problème, ce sont les processus de négociation collective qui échappent à notre contrôle mais qui n'en ont pas moins d'importantes répercussions sur nous. Nous devons faire une distinction entre deux types de processus. Nous travaillons avec nos propres syndicats et nous prenons nos propres risques avec nos propres syndicats en ce qui concerne les questions économiques. Si vous examinez ce qui s'est produit par le passé, vous constaterez que les conflits mettant en cause des tiers et sur lesquels nous n'avons aucun contrôle ont eu des conséquences beaucoup plus graves pour nous que les conflits avec notre propre syndicat, car ils ont occasionné beaucoup plus de retards dans l'expédition des produits à nos clients outremer.

Le sénateur Forest: Je viens de l'Ouest, d'une famille de céréaliculteurs, et j'ai fait partie du conseil d'administration du CN. Donc, je connais les problèmes que suscitent les arrêts de travail sur la côte. Les frais de surestarie au port de Vancouver se sont élevés l'année dernière à environ 50 millions de dollars. Notre blé et nos céréales étaient donc immobilisés. L'industrie céréalière canadienne est dans une situation très compétitive sur les marchés mondiaux. C'est l'une des plus importantes industries d'exportation du Canada et je crois que le nombre d'arrêts de travail est éloquent à cet égard. Nous avons déjà suffisamment de difficulté à assurer la circulation de nos céréales, à cause de la taille du pays, de l'hiver et ainsi de suite. Nous ne devrions pas en plus avoir à tolérer de tels arrêts de travail. Je crois qu'il faut des pratiques loyales en matière d'emploi mais l'industrie céréalière a été tenue en otage trop longtemps et je pense qu'il faut maintenant y mettre un terme. Les agriculteurs ne devraient pas avoir à payer ce genre de coûts. La subvention du Nid-de-Corbeau a été abolie mais leurs frais d'expédition ont doublé et ils ne devraient pas avoir à assumer les coûts des conflits mettant en cause des tierces parties, surtout lorsque ces parties se servent des grains comme «otages».

J'ai reçu une présentation hier soir du président de la Commission canadienne du blé et leur situation est la même. J'appuie ce projet de loi. Je pense qu'il est juste. Le fait que l'industrie céréalière figure dans la Constitution témoigne de son importance. J'ai entendu tous les arguments de ceux qui s'opposent à ce que le grain soit traité différemment des autres produits, mais le secteur du grain est effectivement différent et historiquement, a toujours fait l'objet d'un traitement différent. Je suis convaincue que ce projet de loi est très important.

Le sénateur Perrault: Cette question m'intéresse beaucoup. Les terminaux céréaliers se trouvent dans ma circonscription. Je passe devant tous les soirs lorsque je rentre à la maison. Si nous voulons faire des progrès, nous devons tâcher d'établir de bonnes relations de travail entre les manutentionnaires céréaliers, les débardeurs et tous ceux qui s'occupent de la circulation du grain. Cela est certainement dans l'intérêt national.

J'ai parlé à un manutentionnaire céréalier qui a dit: «Nous avons travaillé des mois et des mois sans contrat avec les syndicats du blé. Nous ne sommes pas arrivés à obtenir qu'ils discutent avec nous des moyens de rendre l'industrie plus efficace.» J'ai appris qu'ils étaient très inquiets à la perspective que les cargaisons de céréales des Prairies puissent être expédiées à partir de ports situés aux États-Unis, comme Portland et Tacoma, et qu'ils tiennent absolument à s'assurer que leurs travailleurs sont efficaces pour éviter le risque que les cargaisons de céréales soient détournées vers les ports américains.

Quelle est votre opinion à ce sujet? Pourquoi a-t-il fallu si longtemps pour obtenir un contrat? Je ne sais même pas si un contrat a déjà été rédigé, même si cette question a fait l'objet de commissions et d'enquêtes judiciaires. La situation a été vraiment chaotique, n'est-ce pas?

Mme Dupont: Oui, en effet.

Le sénateur Perrault: Quel est le problème? Pourquoi les Canadiens ne peuvent-ils pas travailler ensemble pour faire progresser les choses?

Mme Dupont: Nous avons finalement établi un contrat qui nous amènera jusqu'à la fin de l'an 2000. C'est un contrat de huit ans mais il prend fin à ce moment-là parce que nous étions sans contrat depuis assez longtemps, comme on vous l'a dit. La difficulté à laquelle nous avons fait face lors de la dernière série de négociations consistait à s'acheminer vers ce que nous appelons dans notre industrie le «travail en continu».

Aujourd'hui, le monde est devenu un endroit où tout fonctionne 24 heures par jour, sept jours par semaine. Les chemins de fer fonctionnent sept jours par semaine et selon des quarts prolongés. Les navires qui arrivent au port s'attendent à pouvoir être chargés à divers moments. C'est pourquoi nous avons dû travailler fort avec notre syndicat pour qu'il accepte le travail en continu.

Le sénateur Perrault: Il s'agit des manutentionnaires céréaliers?

Mme Dupont: C'est exact, les manutentionnaires céréaliers. En vertu de l'ancien contrat, nous pouvions demander à nos gens de travailler pendant des quarts prolongés mais nous devions leur verser des taux d'heures supplémentaires exorbitants.

Le sénateur Perrault: C'est ce que l'on m'a dit.

Mme Dupont: C'est exact. Nous avons travaillé fort pour négocier un contrat où les taux des heures supplémentaires commenceraient à diminuer. Nous avons atteint cet objectif. Nous avons maintenant une entente de travail en continu et nous estimons qu'à long terme cette entente sera extrêmement profitable sur le plan économique non seulement pour l'industrie céréalière mais pour l'ensemble du pays.

Le sénateur Perrault: Croyez-vous par conséquent qu'il n'y a plus aucun risque que certaines cargaisons de blé et d'autres produits passent par les ports de Tacoma et Portland et d'autres ports américains? Nous ne voulons pas que ce genre de choses se produise. Nous ne voulons pas non plus que les cargaisons de céréales descendent le Mississipi. Les Américains se plaignent que l'agriculture canadienne est subventionnée et pourtant, le gouvernement fédéral américain subventionne l'expédition de céréales sur le Mississipi, n'est-ce pas?

Mme Dupont: C'est ce que nous croyons comprendre. Je dirais que l'idée d'expédier les céréales à partir de ports américains a été proposée parce que les compagnies céréalières étaient désespérées et craignaient d'être incapables de respecter les contrats qu'elles avaient passés avec leurs clients à l'étranger. Grâce à la convention que nous avons maintenant conclue, nous ne prévoyons pas que le grain canadien sera expédié à partir des ports américains.

Le sénateur Perrault: J'ai tâché de jouer un rôle constructif en coulisses sur cette question. L'un des manutentionnaires céréaliers m'a dit que le syndicat reconnaît qu'il doit faire preuve d'une grande souplesse et d'une grande efficacité pour maintenir la position concurrentielle du Canada. Il considère que c'est un mythe de croire que les travailleurs qui font partie de son syndicat n'exerceront pas d'autres tâches que les tâches types et étroitement définies qui ont existé jusqu'à maintenant. La convention que vous avez conclue avec les travailleurs prévoit-elle une plus grande latitude à ce niveau?

Mme Dupont: Je dirais qu'il s'agit d'une latitude minimale.

Le sénateur Perrault: Vous aimeriez donc avoir plus de latitude?

Mme Dupont: Oui. En tant qu'employeur, c'est ce que nous aimerions.

Le sénateur Perrault: En quel sens? Pouvez-vous nous donner un exemple?

Mme Dupont: Il y a entre autres les restrictions qui existent dans certains contrats au sujet de la classification des tâches. Là où les difficultés surgissent dans une usine, c'est lorsqu'un travailleur ne peut exercer que les tâches prévues dans le cadre de sa classification particulière. Si vous voulez que des tâches qui ne font pas partie de la classification soient exécutées, il faut faire appel à un autre travailleur, ce qui augmente les coûts.

Le sénateur Perrault: Ils ont laissé entendre qu'il faudrait plus de souplesse et qu'ils seraient disposés à prendre cela en considération. Il y a certains signes de progrès.

Mme Dupont: Je pense qu'en ce qui concerne notre propre syndicat, la situation été assez positive puisque nous avons réussi à faire adopter le principe du travail en continu.

Le sénateur Perrault: Il ne fait aucun doute que les livraisons de céréales ont ralenti au cours des dernières semaines. Je suis heureux d'entendre que l'on est en train de faire des progrès et que vous appuyez le projet de loi. On est donc sur la bonne voie, à votre avis?

Mme Dupont: Tout à fait.

Le sénateur Cogger: Savez-vous quelle est la proportion du volume au port de Vancouver ou aux autres ports de la côte Ouest que représentent les céréales?

Mme Dupont: J'ai un document qui l'indique.

Le sénateur Cogger: Pourriez-vous me donner simplement un chiffre approximatif? S'agit-il de 25 p. 100 ou de 50 p. 100?

Mme Dupont: Comme je n'ai pas le document devant moi, je me fierai au chiffre de 60 p. 100 cité par M. Guest.

Le sénateur Cogger: Le sous-ministre a l'air d'être d'accord.

M. Guest: La proportion était de 60-40 en faveur de Thunder Bay; elle est maintenant de 60-40 en faveur de la côte Ouest. Cette situation est attribuable en grande partie au changement de marchés. Lorsque les Russes sont devenus notre principal client, avant les pays côtiers du Pacifique, 60 p. 100 des exportations de céréales passaient par Thunder Bay. Récemment, le 40 p. 100 des exportations qui ont passé par Thunder Bay a été l'équivalent de l'ancien 60 p. 100 à cause de l'augmentation de volume.

Le sénateur Cogger: Sur la liste des groupes qui ont l'intention de comparaître devant nous, il y a la British Columbia Maritime Employers Association, la Western Canadian Shippers Coalition, la Waterfront Foremen Employers Association et ainsi de suite. Je soupçonne qu'ils n'appuieront pas l'article 87.7 proposé dans la même mesure que vous. Je ne veux pas être trop présomptueux mais je suppose que les syndicats nous diront que ce projet de loi réduit gravement le droit de grève. Que répondez-vous à cela?

Mme Dupont: Le projet de loi réduit sérieusement le droit de grève dans le secteur céréalier. Il les oblige à assurer la circulation des céréales. Les débardeurs pourront faire la grève dans d'autres secteurs.

Le sénateur Cogger: Oui, mais elles représentent 60 p. 100 du volume au port de Vancouver.

M. Guest: Sénateur, il y a peut-être un malentendu. Soixante pour cent des exportations de céréales canadiennes passent par les ports de la côte Ouest. Je ne peux pas vous dire le pourcentage du tonnage de produits qui passent par les ports de la côte Ouest que représentent les céréales.

Le sénateur Cogger: Je voulais connaître le pourcentage du volume au port.

M. Guest: Le tonnage que représentent les céréales?

Le sénateur Cogger: Par rapport au charbon, aux produits chimiques ou à d'autres produits.

Mme Dupont: Je peux vous répondre. Elles représentent 16,9 p. 100 du volume au port. Les autres produits sont le charbon, le soufre, la potasse, les produits chimiques, le bois, la pâte de bois, le bois débité, le sable et le gravier, le mazout, l'essence, le phosphate, les roches, le pétrole brut et ainsi de suite.

Le sénateur Cogger: Vous avez eu vous-même des problèmes de relations de travail avec vos propres employés.

Mme Dupont: Certainement.

Le sénateur Cogger: Vous êtes retournés à la table et vous avez réussi à convaincre tout le monde de retourner au travail. Combien de temps a duré le plus long arrêt de travail?

Mme Dupont: De nos propres employés?

Le sénateur Cogger: Oui.

Mme Dupont: En 1985, nous avons eu un arrêt de travail qui a duré 42 jours.

Le sénateur Cogger: Mais M. Guest vient de nous dire que si les céréales ne circulent pas, les gens meurent de faim.

Le sénateur Maheu: Il ne s'agit pas des débardeurs mais de leurs employés.

Le sénateur Cogger: Non, veuillez me laisser terminer. Lorsque les céréales ne circulent pas, la population des autres pays risque de mourir de faim ou d'être affamée. Effectivement, les céréales ne sont pas un produit comme les autres. Qu'arrive-t-il à tous ces braves gens des autres pays durant ces 42 jours?

M. Guest: Les pays qui ont épuisé les denrées alimentaires en provenance du Canada se sont approvisionnés auprès d'autres pays et nous avons eu beaucoup de chance s'ils sont redevenus nos clients. L'industrie céréalière et les manutentionnaires de grains se trouvent à subir les conséquences d'une négociation trop lente. Les deux parties seront perdantes pour toujours si nous perdons ces marchés. Les deux parties font face au même problème et, comme le sénateur Perrault l'a dit, les manutentionnaires de grains à Vancouver ne veulent pas de ces problèmes. Ils veulent les régler et obtenir une entente.

Le sénateur Perrault: Ces experts indépendants dont on nous a parlé sont-ils représentatifs de plusieurs segments de l'industrie?

M. Carwana: Il faut tout d'abord que je mentionne la Commission Jamieson Greyell. Ces deux experts indépendants ont été nommés pour rédiger un rapport sur les relations industrielles dans les ports de la côte Ouest et, comme vous le savez probablement, ils ont tous deux une vaste expérience des relations de travail.

Le sénateur Perrault: Ce sont les experts que vous mentionnez dans le mémoire?

M. Carwana: Oui.

La présidente: Je vous remercie d'être venus exposer votre point de vue.

Honorables sénateurs, nos prochains témoins viennent de l'industrie des produits chimiques. Nous accueillons David Goffin, vice-président au Développement commercial à l'Association canadienne des fabricants de produits chimiques, et Claude-André Lachance, directeur des Relations gouvernementales chez Dow Chemical Canada.

M. David Goffin, vice-président, Développement commercial, Association canadienne des fabricants de produits chimiques: Je commencerai par lire le mémoire de l'association, après quoi M. Lachance, représentant de Dow, un des principaux clients du port de Vancouver, vous exposera le point de vue de sa société.

On vient de vous parler de la carte maîtresse que l'on joue dans les négociations. Nous représentons un des secteurs qui estiment les grands perdants si cette loi est adoptée.

Notre mémoire est consacré à l'une des dispositions du projet de loi C-66, soit à la modification visant à inclure l'article 87.7 projeté dans le Code canadien du travail. Notre association est fermement opposée à cet amendement, qui garantirait le maintien des services aux navires céréaliers pendant un arrêt de travail dans le port, tandis que ceux qui transportent d'autres marchandises importantes vers les marchés étrangers, par exemple des produits pétrochimiques ou d'autres produits chimiques, n'obtiendraient rien. Nous tenons à préciser, au départ, que nous ne sommes pas en dispute avec les expéditeurs de grains. Nous reconnaissons la nécessité de procéder à une réforme pour protéger et améliorer la réputation du Canada en tant que fournisseur fiable à l'étranger. Toutefois, il faudrait que la solution soit universelle, qu'elle ne s'applique pas qu'à un seul produit.

L'Association canadienne des fabricants de produits chimiques représente 70 entreprises qui fabriquent, chaque année, des produits chimiques industriels d'une valeur de 15 milliards de dollars. Cinquante-cinq pour cent de cette production sont destinés à des marchés étrangers. Nos membres fabriquent des produits pétrochimiques, des produits chimiques inorganiques et des produits chimiques spécialisés. Les exportations effectuées via les ports de la côte Ouest sont importantes pour les entreprises de chacune de ces catégories, mais elles revêtent une importance toute particulière pour les fabricants de produits pétrochimiques de l'Alberta. En effet, ils dépendent de l'exportation en Asie d'une grande partie de la production de leurs usines de calibre mondial.

Les deux principaux atouts concurrentiels sur le marché mondial des produits pétrochimiques et des autres produits chimiques sont le prix et la livraison à temps. Dès qu'il y a même un soupçon d'arrêt de travail éventuel dans le secteur des transports au Canada, nos membres en entendent immédiatement parler de leurs clients de la Chine, du Japon, de la Corée et d'autres débouchés vitaux. Quand l'arrêt de travail se produit -- ce qui arrive beaucoup trop souvent --, certains de nos membres perdent des clients, qui se tournent vers des concurrents d'autres pays où les conflits de travail dans ce secteur sont beaucoup moins fréquents, par exemple aux États-Unis et en Arabie Saoudite.

Nos membres ont réussi, dans une certaine mesure, à passer à travers les interruptions du transport tant que le gouvernement a réagi avec une promptitude raisonnable pour y mettre fin. Cependant, le coût additionnel est lourd. Tous nos membres qui utilisent les ports de la côte Ouest s'inquiètent de leur avenir, car si l'on accorde aux navires céréaliers le traitement spécial projeté dans le texte à l'étude, on sera naturellement moins enclin à mettre rapidement fin aux arrêts de travail.

Actuellement, nos membres, par exemple Dow, Methanex, NOVA, Shell et Union Carbide, expédient des produits chimiques d'une valeur approximative de 1,3 milliard de dollars via les ports de la côte Ouest, notamment celui de Vancouver. Nos membres ont aussi annoncé d'importants investissements nouveaux dans l'industrie pétrochimique albertaine, ce qui devrait se traduire par une croissance considérable des expéditions en provenance de cette province au cours des prochaines années, parce que la nouvelle usine, pour être viable, doit vendre en moyenne 40 p. 100 de sa production à l'étranger. M. Lachance vous entretiendra dans quelques instants des expéditions actuelles de Dow et des plans d'avenir de son entreprise.

Plusieurs autres entreprises mentionnées ont annoncé de nouveaux investissements, de près de 2 milliards de dollars, dans la fabrication d'éthylène, de polyéthylène et d'éthylèneglycol, et ce n'est qu'un début. L'interruption des expéditions en provenance de ces usines coûterait à nos membres des millions de dollars. Point peut-être encore plus important, les éventuels investisseurs, lorsqu'ils envisagent la possibilité d'investir au Canada, tiennent compte du nombre d'arrêts de travail survenus dans le transport, ce qui nous donne certes une très mauvaise note.

Dans nos recommandations concernant l'article 87.7 projeté, nous tenons à bien faire comprendre que l'association ne prétend pas maîtriser les questions ayant trait aux relations de travail, particulièrement celles qui concernent le code du travail fédéral. En règle générale, nous recommandons que les solutions visant à mettre fin aux arrêts de travail dans les ports accordent un traitement égal à tous les secteurs pertinents, plutôt que d'en privilégier un seul, au détriment des autres.

La solution idéale serait de modifier la loi pour permettre l'arbitrage des propositions finales si les négociations sont dans une impasse. Notre association est membre du Business Council of British Columbia, qui a recommandé l'adoption de modifications à cet effet à la Commission d'enquête industrielle sur les relations de travail dans les ports de la côte Ouest et au groupe de travail Sims.

Si vous le permettez, j'aimerais mettre de côté notre mémoire pour quelques instants. Comme l'ont souligné les témoins qui me précédaient, la Commission d'enquête industrielle a certes fait des recommandations particulières au grain, mais elle l'a fait dans le contexte de recommandations plus générales destinées à s'appliquer quand les arrêts de travail menacent l'économie dans son ensemble. Nous serions beaucoup plus favorables au projet de loi à l'étude s'il était mieux équilibré, s'il reprenait les autres recommandations faites par la Commission d'enquête industrielle, plutôt que celles qui ont trait au grain uniquement.

Étant donné l'état avancé des travaux sur cette question, cependant, nous ne savons pas s'il est encore possible de faire pareilles modifications. En supposant que c'est impossible, nous recommandons que l'article 87.7 projeté soit modifié de manière à s'appliquer à tous les produits pertinents. Si cette solution n'est pas pratique, comme dernier choix, nous recommandons que l'article 87.7 proposé soit retranché du projet de loi C-66. Ainsi, on pourrait examiner davantage la question des arrêts de travail dans les ports et y trouver une solution plus équitable, à une date ultérieure.

Nous faisons cette recommandation en dernier parce que, nous l'avons dit, nous ne souhaitons pas nuire aux expéditeurs de grain; nous réclamons simplement un traitement équitable.

Je vous ai exposé les vues de l'association. M. Lachance vous exposera maintenant le point de vue de Dow Chemical Canada Inc.

[Français]

M. Claude-André Lachance: Directeur, Affaires gouvernementales, Dow Chemical Canada Inc., Association canadienne des fabricants de produits chimiques: Honorables sénateurs, je me permettrai dabord de vous présenter la compagnie et les raisons pour lesquelles cette question est tellement importante. Je vous ferai ensuite un exposé de la situation telle que nous la voyons, et enfin, je vous ferai part de nos recommendations.

[Traduction]

Dow Chemical est une entreprise mondiale d'une valeur de 20 milliards de dollars. Jusqu'ici, elle a investi 2,5 milliards de dollars en Alberta et, durant les cinq dernières années, elle a injecté 1 milliard de dollars dans l'économie canadienne. En Alberta, elle exploite sept usines de calibre mondial. Par là, il faut entendre des usines qui exportent dans le monde entier. Pour être plus précis, ses exportations dans la ceinture du Pacifique, via le port de Vancouver, représentent 400 millions de dollars. Pour vous donner une idée de ce que cela représente, 30 wagons sont déchargés chaque jour à son terminal de Vancouver, et chacun de ces wagons transporte un million de tonnes métriques par année. Dow Chemical est donc un expéditeur important.

Le port de Vancouver est un élément clé du réseau de transport qui nous permet de livrer nos produits sur les marchés d'Asie de l'Est, en pleine expansion. Comme l'état des relations de travail au port de Vancouver nous préoccupe depuis longtemps, nous avons témoigné devant la commission d'enquête pour expliquer la nécessité d'avoir un système de transport fiable.

Que je sache, comme l'a mentionné M. Goffin, ni la commission d'enquête, ni le groupe Sims n'a proposé de protéger les manutentionnaires céréaliers au détriment des autres secteurs de l'économie. Pourtant, c'est exactement ce que l'on fera, si le projet de loi à l'étude est adopté tel quel.

Je vous avoue, en toute franchise, avoir été atterré par la déclaration faite par le ministre durant le débat en troisième lecture à la Chambre des communes, lorsqu'il a dit que le projet de loi à l'étude reposait sur un vaste consensus. Je ne crois pas qu'il existe un pareil consensus au sein des expéditeurs, à l'exception notable de ceux qui profitent de la mesure -- c'est-à-dire du groupe qui a témoigné avant nous --, en ce sens que les changements projetés réduisent notre capacité de livrer nos produits sur les marchés d'exportation.

Honorables sénateurs, je veux être très clair. En tant que grand producteur de biens manufacturés, en tant que source d'importants investissements dans l'économie canadienne, en tant qu'expéditeur de l'Alberta n'ayant pas accès à la mer, en tant qu'entreprise mondiale qui prend très au sérieux ses obligations contractuelles à l'égard de ses clients et en tant qu'exportateur dans les pays de la ceinture du Pacifique, Dow Chemical n'accepte pas de faire les frais de litiges contractuels privés entre employeur et employés du secteur de la manutention. La société accepte encore moins d'être exclue de l'exemption consentie par le gouvernement à un groupe d'expéditeurs, au détriment de tous les autres.

Qu'a de si spécial le grain, sénateur Forest, qu'il justifie de compromettre la survie de tous les autres expéditeurs? Pourquoi fait-on de nous les cobayes d'expériences menées par le gouvernement fédéral en psychologie des relations de travail?

Honorables sénateurs, nous ne contestons pas le droit à la négociation collective des travailleurs; nous n'en voulons pas, non plus, aux expéditeurs de grain qui auront le droit inconditionnel de livrer leurs produits sur les marchés, bien que je sois quelque peu déçu de l'orgueil démesuré dont fait montre ce groupe lorsqu'il affirme que, s'il est exempté, tous les autres expéditeurs en profiteront à long terme. Il prétend que certains d'entre nous disparaîtront peut-être effectivement, à long terme, mais que ce sera dans l'intérêt général.

Ce que nous contestons, c'est un projet de loi qui fait un pari énorme et peut-être ruineux pour l'économie canadienne en éliminant la possibilité d'une loi de retour au travail dans l'espoir que les parties au litige négocieront de bonne foi. Quelle naïveté! Quelle insouciance!

L'usine de Dow à Fort Saskatchewan, en Alberta, est sa seule installation de production de calibre mondial sans accès direct à la mer. La fiabilité du transport jusqu'aux marchés d'exportation est névralgique, pour nous comme pour nos clients. Ces clients ont déjà émis des doutes quant à notre capacité de les approvisionner à cause de conflits de travail antérieurs, et ils peuvent toujours s'adresser à d'autres. Nous aussi, s'il le faut.

Le contrat de travail actuel avec les débardeurs et leurs contremaîtres expire en décembre 1998. Nous sommes déjà en train d'examiner les mesures à prendre s'il y avait un conflit de travail. Si le projet de loi C-66 est adopté dans sa version actuelle, nous pourrions fort bien décider que le risque d'un arrêt prolongé est trop grand et déménager, sénateur Perrault. D'autres installations de la côte Ouest situées au Canada et aux États-Unis sont plus fiables et représentent des solutions viables. En toute sincérité, la meilleure option pourrait bien être le port de Seattle, qui possède à la fois l'infrastructure et la fiabilité voulues. Ce serait dommage. Notre bail à Vancouver représente près de trois quarts de million de dollars par année, et nous versons 1,2 million de dollars par année en salaires aux débardeurs.

Dow a effectivement proposé à la commission d'enquête d'adopter l'arbitrage des propositions finales comme modèle de négociation en vue de prévenir des arrêts de travail prolongés. L'autre endroit a débattu longuement d'une solution semblable avant de la rejeter. Il n'est peut-être plus possible, comme l'a mentionné M. Goffin, d'envisager à nouveau cette solution à une étape aussi tardive. C'est pourquoi l'Association canadienne des fabricants de produits chimiques décrit brièvement d'autres options susceptibles d'intéresser les honorables sénateurs.

J'aimerais faire valoir un dernier point avant de conclure. Nous vous savons certes gré de nous avoir donné l'occasion de faire valoir nos préoccupations ici. Nous tenons à préciser officiellement, toutefois, qu'on nous en a refusé la possibilité devant le comité de la Chambre des communes. Je sais que les membres de votre comité ont la sagesse voulue pour faire une seconde réflexion au sujet de ce que l'on pourrait décrire, au mieux, comme une tentative malencontreuse en vue de mettre fin au climat pourri des relations de travail au port de Vancouver, climat qui affecte la réputation du Canada en tant qu'exportateur fiable.

Honorables sénateurs, cette question est très importante, non seulement pour mon entreprise, mais pour l'ensemble de l'économie canadienne. Elle ne doit pas être traitée à la légère. J'encourage le Sénat à y jeter un second regard objectif.

La présidente: Monsieur Goffin, M. Lachance et vous avez tous les deux mentionné l'arbitrage des offres finales, une formule qui n'a pas été retenue par le groupe de travail Sims. Il estimait que s'il y avait trop de propositions sur la table, le recours à l'arbitrage des offres finales ne donnerait aucun résultat, parce que, comme vous le savez, cette formule suppose qu'il y a un gagnant et un perdant, ou deux gagnants, sauf s'il n'y a qu'un seul point à régler. Pourquoi avez-vous proposé cette formule?

M. Goffin: C'est une forme d'arbitrage que nous ne connaissons pas très bien. Nous pensions en savoir plus sur cette formule à ce stade-ci parce que, comme vous le savez, c'est une démarche qui a été introduite dans la Loi nationale sur les transports à la fin des années 80. Nous nous attendions à ce que le secteur ferroviaire y ait largement recours, mais cela n'a jamais été le cas.

L'arbitrage des offres finales présente, évidemment, des inconvénients. Nous sommes quelque peu frustrés par la situation qui existe dans les ports et par les diverses solutions qui ont été mises de l'avant. Aucune des options proposées ne s'avère particulièrement intéressante. Nous avons retenu la formule d'arbitrage des offres finales. La Commission d'enquête sur les relations industrielles l'a incluse dans le train de mesures qu'elle a proposé. Sa solution est peut-être meilleure. Elle a proposé toute une série de mesures qui pourraient être appliquées lorsqu'un conflit de travail dans un port de la côte Ouest risque de perturber les activités d'une entreprise comme la nôtre ou l'économie dans son ensemble.

Je ne peux pas dire que nous connaissons cette forme d'arbitrage ni que cette formule est parfaite. Toutefois, nous estimons qu'elle est préférable à la situation actuelle et qu'elle permettrait de régler les différends rapidement, sans l'aide d'une loi du Parlement.

La présidente: Je conviens que cette formule peut parfois être utile, surtout lorsqu'un grand nombre de questions ont fait l'objet d'une entente et qu'il ne reste plus qu'un seul point à régler.

[Français]

Le sénateur Lavoie-Roux: Est-ce qu'on vous a donné une raison pour laquelle on vous a laissé à l'écart des modifications que l'on apporte, à savoir que celles-ci vont s'appliquer uniquement au transport des grains? Est-ce qu'on vous a donné une raison ou est-ce que les seuls problèmes qui inquiétaient le ministre ou le gouvernement étaient les grèves dans le transport du grain?

M. Lachance: Je pense que tout le monde accepte qu'il y a une situation difficile à Vancouver et qu'il n'y a pas de solution miracle. Pour continuer la discussion entamée par madame la présidente, que cette solution ou qu'une autre soit apportée, ce que l'on essaye de réaliser, en fin de compte, c'est d'améliorer la situation des relations ouvrières dans le port de Vancouver. C'est un objectif louable.

Le sénateur Lavoie-Roux: Auquel vous souscrivez.

M. Lachance: Nous souscrivons aux objectifs d'améliorer les relations de travail au port de Vancouver. Ce n'est pas une situation normale lorsque vous avez une série de conflits qui doivent être tranchés par le Parlement du Canada. C'est le remède proposé qui fait obstacle et qui nous inquiète, parce que c'est un pari, et il n'est pas pascalien en ce qui nous concerne; c'est un pari très dangeureux. Enlever ce fameux as à l'une des parties obligera les parties à négocier de bonne foi, soit, mais qu'est-ce qui arrive si l'on ne négocie pas de bonne foi? Qu'est-ce qui arrive aux gens qui sont directement affectés par cet arrêt de travail? Pas les transporteurs de grain, ils sont protégés, mais les autres? Non, nous n'avons jamais été consultés, et pour être bien franc avec vous, nous avons tenté d'obtenir des réponses du ministère, sans résultats. Et je sais que les représentants du ministère m'appuient. Nous avons tenté de faire valoir nos arguments devant le comité sans résultat et nous sommes quelque peu frustrés, honnêtement. C'est la première fois que nous pouvons véritablement nous faire entendre sur cette question.

Le sénateur Lavoie-Roux: Il est possible que votre mémoire n'ait pas été prêt à ce moment-là, mais est-ce que vous avez envoyé des représentations par écrit au ministère pour signaler la situation? Voilà mon premier point. Mon deuxième point est le suivant: est-ce que je me trompe en pensant que cela peut même rendre la situation plus difficile pour vous, parce qu'il est évident que les grèves affectant la livraison ou le transport du grain créaient une pression très grande pour le gouvernement? Cette pression-là étant partie, pourriez-vous vous trouver dans des difficultés plus grandes s'il y avait des problèmes de transport au port de Vancouver?

M. Lachance: Vous avez très précisément mis le doigt sur le problème. Nous avons une capacité relativement importante, mais quand même limitée, pour absorber ces 30 trains quotidiens dont je faisais mention auparavant. Pour une, deux ou trois journées, on peut continuer la production. Mais, pouvez-vous imaginer ce qui se passe au bout d'une semaine? Au bout d'une semaine, on ne peut plus absorber cette production. Cela remonte jusqu'aux usines. Les usines doivent, à ce moment-là, arrêter la production. Je ne veux pas entrer dans les détails, mais arrêter la production dans une usine chimique est très compliqué. La remettre en marche est encore plus compliqué. Cela peut prendre parfois une semaine. Entre-temps, évidemment, il y a de sérieux problèmes au niveau de nos transporteurs et de nos clients qui risquent de quitter le port. Une, deux ou trois journées, cela va. Mais au bout d'une semaine, nous avons calculé que les impacts financiers sur notre compagnie sont de l'ordre de deux millions de dollars par jour, pour un arrêt de travail prolongé au port de Vancouver. Vous avez très bien décrit la problématique à laquelle nous sommes confrontés à ce moment-ci.

Le sénateur Lavoie-Roux: On pourra peut-être requestionner les fonctionnaires pour savoir pourquoi vous avez été exclus. Ce que je comprends bien, c'est qu'au contraire, vous êtes heureux que l'on règle le problème des transporteurs de grain, mais vous préféreriez qu'on ne le fasse pas à vos dépens.

M. Lachance: C'est exactement la situation. Nous souhaitons bon succès aux transporteurs de grain. Ils sont bien chanceux; ils sont protégés, mais pas nous.

[Traduction]

Le sénateur Cogger: Je pense que vous avez commencé à répondre à la question que je voulais poser. N'est-il pas vrai que les produits chimiques peuvent être stockés?

M. Lachance: Non.

Le sénateur Cogger: Pas plus que les grains?

M. Goffin: Non. Le dernier arrêt de travail qui est survenu il y a quelques années, et qui a touché les chemins de fer et les ports, a été très long. Certaines de nos usines ont été obligées de réduire leur production. J'avais entendu parler de la possibilité d'une interruption du transport du grain plusieurs mois avant qu'elle ne survienne. Toutefois, je suis resté surpris quand un collègue de NOVA m'a appelé pour me parler de la situation, étant donné, comme je lui ai indiqué, que j'avais des questions plus urgentes à régler. Il m'a dit qu'un de ses gros clients en Chine venait d'aborder la question avec lui et qu'il était très inquiet.

Le sénateur Cogger: Monsieur Goffin, vous étiez présent à la réunion lorsque les représentants des compagnies céréalières ont comparu devant le comité. Vous ne connaissez peut-être par la réponse, mais savez-vous quel pourcentage les produits chimiques représentent des marchandises qui transitent par le port de Vancouver?

M. Goffin: Non.

Le sénateur Cogger: Ils ont dit que les grains comptaient pour environ 16 p. 100 des marchandises qui transitaient par le port; je présume que vos produits représenteraient un pourcentage moins élevé.

M. Goffin: Beaucoup moins élevé. Ils ont énuméré d'autres produits qui transitent par le port et nous faisions partie de ce groupe. Notre pourcentage serait beaucoup moins élevé.

Le sénateur Cogger: Combien de travailleurs l'industrie chimique emploie-t-elle à l'échelle nationale?

M. Goffin: Le secteur des produits chimiques industriels, qui est représenté par l'ACFPC, emploie environ 35 000 travailleurs à l'échelle nationale. Nous sommes un secteur à forte intensité de capital. Nous faisons toutefois partie du secteur des produits chimiques, qui compte plus de 70 000 travailleurs à l'échelle nationale. Bien entendu, nous approvisionnons de nombreux autres secteurs, comme celui de la construction, en Alberta, qui sont tributaires des marchés asiatiques. Le salaire moyen dans notre industrie est de 50 000 $ par année. Ce sont des emplois très bien rémunérés et très intéressants, bien qu'il n'y en ait pas autant que dans certains secteurs à forte concentration de main d'oeuvre.

Le sénateur Cogger: La différence entre votre secteur et l'industrie céréalière, c'est que celle-ci jouit d'un poids politique énorme. C'est pour cette raison qu'elle a un statut particulier.

M. Lachance: Personne ne le nie, sénateur.

C'est un fait, et comme on l'a dit à maintes reprises, le principal facteur qui va amener le gouvernement à intervenir dans un conflit portuaire, c'est le grain. Oui, cette industrie jouit d'un poids politique énorme.

Le sénateur Cogger: Est-il juste de dire -- et cela n'a rien à voir avec la politique, -- que vous seriez très heureux de voir votre destin lié à celui de l'industrie céréalière, parce que tout le monde alors pourrait bénéficier de l'influence qu'elle exerce sur le plan politique? Si nous accordons à l'industrie du grain un statut spécial en vertu du projet de loi, les autres secteurs seront laissés pour compte.

M. Lachance: Je l'exprimerais d'une autre façon, sénateur. Je dirais que nous serions très heureux s'il y avait de bonnes relations de travail au port de Vancouver.

Le sénateur Perrault: On nous a brossé un sombre tableau de ce qui pourrait se produire dans le port de Vancouver si des produits chimiques restaient bloqués pendant des jours et des jours. Combien de jours votre entreprise a-t-elle perdus dans le port de Vancouver au cours des dix dernières années?

M. Lachance: Environ 21.

Le sénateur Perrault: Un total de 21 jours?

M. Lachance: Oui.

Le sénateur Perrault: Ce n'est pas si mal.

M. Lachance: Oui, mais il faudrait tenir compte du contexte.

Le sénateur Perrault: Mais vous vous attendez à ce que la situation s'aggrave, n'est-ce pas?

M. Lachance: Oui, parce que dans à peu près neuf cas sur 11, on a mis fin au conflit après trois ou quatre jours au moyen d'une loi de retour au travail. En supprimant cet outil, on peut présumer -- et c'est pourquoi j'ai parlé d'expériences menées en psychologie des relations de travail --, que la situation pourrait s'améliorer à long terme. Toutefois, à court terme -- et cela peut vouloir dire cinq ans --, nous risquons d'être confrontés à un ou deux conflits qui pourraient durer deux ou trois semaines.

Le sénateur Perrault: Et cela pourrait causer de sérieux retards?

M. Lachance: Oui.

Le sénateur Perrault: Vous auriez dû comparaître devant le comité de l'autre endroit. On aurait dû vous entendre.

Le sénateur Cogger: Les représentants des compagnies céréalières ont parlé de l'importance de maintenir la réputation du Canada en tant que source d'approvisionnement fiable. Ils ont dit que chaque fois qu'il y a un arrêt de travail, nous risquons de perdre des clients. Je suppose que le Canada est soumis à une concurrence beaucoup plus vive dans le secteur des produits chimiques, par exemple, que dans celui du grain. Si votre marché d'exportation était menacé en raison d'arrêts de travail dans les ports, je présume qu'il serait facile pour vos clients de s'approvisionner auprès d'un autre fournisseur. Si tel est le cas, vers qui se tourneraient-ils? Les États-Unis? L'Allemagne?

M. Goffin: Les États-Unis représentent un concurrent de taille dans les marchés asiatiques. L'Arabie Saoudite est également en train de devenir un concurrent important, surtout dans les marchés asiatiques.

Un des principaux facteurs qui joue en notre faveur, du moins jusqu'à maintenant, c'est notre fiabilité. Nous sommes considérés comme une source d'approvisionnement relativement fiable. Lorsque le transport du grain est interrompu ou qu'il risque de l'être, les clients en prennent note parce qu'ils perçoivent le Canada comme un fournisseur fiable. Il n'y a pas de guerres ici ou d'autres conflits de ce genre. C'est un point qui joue en notre faveur. Nous avons besoin de cela pour compenser le fait que nous devons franchir de longues distances pour acheminer nos produits. Nous rivalisons avec les autres régions du monde.

Dans les pays asiatiques, les produits chimiques et pétrochimiques représentent des secteurs de croissance clés qui font l'objet à l'heure actuelle d'investissements énormes.

Le sénateur Maheu: M. Lachance a laissé entendre qu'il ne savait pas où nous sommes allés chercher l'idée que l'industrie céréalière devrait bénéficier d'un statut particulier. Le rapport Sims dit que:

[...] en raison de son importance, l'industrie céréalière a été déclarée être à l'avantage général du Canada, en vertu de la Loi constitutionnelle, et, par conséquent, du ressort du Code canadien du travail. Ce n'est pas le cas de la plupart des autres produits.

Je pense que c'est pour cette raison que le rapport Sims n'a pas recommandé qu'on accorde le même traitement aux autres secteurs.

Je suis étonnée d'entendre une entreprise aussi importante que la Dow Chemical dire que des réformes s'imposent pour protéger et renforcer la réputation du Canada en tant que fournisseur fiable dans les principaux marchés d'exportation, mais que les solutions devraient être appliquées de manière générale, qu'elles ne devraient pas être limitées à un seul produit. Que faites-vous alors du droit de grève des débardeurs? Devrait-on leur enlever le droit de faire la grève contre une industrie? Devrait-on interdire les lock-out dans le port de Vancouver contre toute industrie qui exporte ses produits par bateau? Que devons-nous faire?

En donnant suite à vos propositions, est-ce que nous ne priverions pas les débardeurs de leur droit de grève? Ne risquerions-nous pas de perdre le contrôle de la situation? Ces problèmes existent depuis longtemps. Les syndicats et les entreprises obligent le gouvernement à adopter une loi de retour au travail chaque fois qu'ils en ont l'occasion.

[Français]

Alors on enlève le droit de grève à une certaine partie de notre population?

M. Lachance: Si vous me permettez, sénateur, je ne commenterai pas directement le droit de grève parce que ce n'est pas à moi de le faire. Notre mémoire ne touche pas directement la mécanique des relations ouvrières et du Code du travail du Canada. Le sénateur Lavoie-Roux a très bien décrit la problématique à laquelle nous sommes confrontés. Notre intérêt, en tant que compagnie qui exporte et qui doit utiliser un port de sortie est que nous devons avoir confiance dans la capacité de ce port de sortir les produits. Et en dépit du fait que nous avons eu, dans le passé, des relations ouvrières difficiles au port de Vancouver, le fait que le Parlement du Canada soit intervenu de façon régulière a mitigé dans une grande mesure le problème, spécifiquement pour nous, d'arrêts de travail prolongés. Notre avantage, ce sont des relations de travail saines au port de Vancouver et nous disons que la technique, l'outil, l'approche proposée dans le projet de loi C-66, bien qu'elle puisse à long terme améliorer les relations de travail, risque à court terme, de créer des conflits de travail plus prolongés. Si tel est le cas, cela aura un impact désastreux sur notre industrie et sur les autres industries qui ne sont pas protégées. Vous allez entendre, durant vos délibérations des prochains jours, tous les groupes sauf le groupe des producteurs de grain manifester essentiellement la même inquiétude. Nous ne nous objectons pas aux objectifs que poursuit le gouvernement dans le projet de loi C-66. C'est l'objectif que nous partageons tous, avoir des bonnes relations de travail au port de Vancouver, des relations de travail améliorées. Nous nous questionnons sur l'outil proposé; c'est un outil risqué, extrêmement risqué, et dans le monde des affaires que je représente le risque doit être mitigé. Il faudra que nous mitigions les risques. Je dis au comité du Sénat que si le Parlement du Canada décide que c'est l'outil qu'il privilégie, nous devons réagir en conséquence et mitiger les risques. Comment nous les mitigerons, on verra. On évaluera les différentes options.

Le sénateur Maheu: Et enlevant l'article 87.7 nous arrivons au même point. Ce sera de la législation pour les grèves prolongées surtout.

M. Lachance: Vous avez un choix un peu cornélien à faire, parce que vous avez à choisir entre différentes options qui n'offrent pas de solution miracle. Je le répète encore, ce sont vraiment différentes solutions qui ne sont pas vraiment testées.

[Traduction]

L'arbitrage exécutoire n'est pas utilisé tellement souvent. C'est une formule controversée, certes. Mais qu'est-ce qui vous fait croire que ce que j'appelle le recours à la psychologie appliquée en matière de relations de travail, comme le propose le projet de loi C-66, vaut mieux que l'arbitrage exécutoire? Est-ce que quelqu'un peut me l'expliquer?

La présidente: Nous devrions peut-être en faire un service essentiel.

Le sénateur Forest: En tant qu'Albertaine, je suis fière de notre industrie pétrochimique, et si j'ai laissé paraître ma frustration plus tôt, c'est parce que j'ai été associée de près au dossier de la manutention des grains. Si l'industrie céréalière est visée par la Constitution, c'est peut-être parce que, lorsque celle-ci a été rédigée, il n'y avait pas d'industrie pétrochimique, et que le grain est une denrée alimentaire qui est exportée en grande quantité.

Certainement, comme je l'ai indiqué au début, je tiens à ce qu'on adopte des pratiques de travail loyales. Je tiens également à ce que tout le monde soit traité de façon équitable.

M. Goffin a parlé de certaines des recommandations que l'on retrouve dans le rapport Sims. Il a dit que cette formule avait été retenue, et que d'autres avaient été rejetées. Je me demande si, à votre avis, il y a d'autres solutions qui pourraient être envisagées.

M. Goffin: Comme je l'ai dit dans notre mémoire, nous ne nous occupons pas tellement de relations de travail. Il est difficile, compte tenu de la complexité de la question, de déterminer quelles solutions sont les meilleures. En fait, je faisais allusion au rapport de la Commission d'enquête sur les relations industrielles.

Le sénateur Forest: Je m'excuse.

M. Goffin: La commission a recommandé qu'on adopte une loi qui engloberait un train de mesures, allant de la médiation et de l'arbitrage à l'arbitrage des offres finales, ainsi de suite.

Pour revenir à la question qui a été posée à M. Lachance, la commission a également laissé entendre que, avant de recourir à ces mesures, le ministre devrait déterminer si les parties ont négocié de bonne foi, considérer la nature et l'importance des torts causés, la durée de l'impasse et autres choses de ce genre. La commission a essayé de trouver un juste équilibre en proposant toute une série de mesures. Comme les témoins précédents l'ont indiqué, elle a proposé qu'on accorde un statut particulier à l'industrie céréalière.

Il est difficile de dire quelles solutions seraient les meilleures. Nous préférerions en fait que le projet de loi propose une série de mesures. Toutefois, je ne saurais vous dire si ces mesures permettraient de régler les problèmes.

La présidente: Messieurs, je tiens à vous remercier pour votre témoignage.

Honorables sénateurs, nous accueillons maintenant Nancy Riche, vice-présidente exécutive du Congrès du travail du Canada.

Mme Nancy Riche, vice-présidente exécutive, Congrès du travail du Canada: Merci, sénateur. Je suis accompagnée aujourd'hui par Murray Randall, actuellement adjoint exécutif de Bob White, président; M. Randall qui était auparavant attaché de recherche principal a également participé au processus de l'examen du projet de loi C-66.

Nous n'avons pas préparé de mémoire particulier pour ce comité. J'ai par contre un énoncé que j'aimerais lire. Je crois que vous avez des exemplaires du mémoire que nous avons présenté au comité de la Chambre des communes. Nous sommes certainement prêts à répondre aux questions.

Le projet de loi C-66, sous son libellé actuel, est le point culminant d'un processus qui a duré plus de deux ans, qui a représenté d'innombrables heures de discussion et de consultation et auquel trois ministres fédéraux ont directement participé.

Grâce à leur perspicacité et leur expérience, des représentants de syndicats affiliés au CTC, dont les activités et les membres sont entièrement ou partiellement visés par la Partie I du Code canadien du travail, ont orienté la participation du Congrès du travail du Canada (CTC) à ce processus. Les syndicats représentant les lignes aériennes, les camionneurs, les chemins de fer, l'industrie céréalière aussi et bien sûr, le secteur du débardage, ont tous participé au processus.

Par-dessus tout, le projet de loi C-66 représente à la fois le pragmatisme et le compromis. Il reflète très fidèlement le travail du groupe chargé d'examiner la partie I du code au cours de 1995 et 1996. Le groupe de travail a bénéficié de la participation de la partie syndicale comme de la partie patronale, lesquelles sont parfois arrivées à un consensus auquel s'est rallié le ministre Gagliano après la publication du groupe de travail.

Beaucoup de temps et d'énergie ont été consacrés au processus qui a mené à ce projet de loi. Il ne représente pas tout ce que les parties syndicale et patronale auraient voulu. C'est la nature du compromis. Néanmoins, nous croyons que le processus a porté fruit et que, tout considéré, le résultat est acceptable. Je pense pouvoir ajouter, sans me tromper, que la FETCO, l'organisation des employeurs de régie fédérale, l'homologue du CTC dans ce processus, partage dans les grandes lignes nos sentiments au sujet du processus et du résultat.

Si ce comité avait été saisi du projet de loi C-66 à un autre moment, nous nous serions attardés sur les parties du projet de loi que nous appuyons ainsi que sur celles qui, d'après nous, pourraient être améliorées. Selon toute probabilité, des élections fédérales vont être déclenchées sous peu. Compte tenu du temps et de l'énergie investis dans le processus qui a mené à ce projet de loi, il serait dommage de le voir expirer au Feuilleton. Par conséquent, nous recommandons à votre comité d'encourager le Sénat à adopter le projet de loi C-66, tel quel, sans délai. Nous croyons que cela permettra de témoigner du respect dû à toutes les parties qui ont participé à l'élaboration de ce projet de loi.

Même si nous n'avons qu'une seule grande recommandation à laquelle nous tenons beaucoup, nous sommes certainement prêts à parler du fond du projet de loi aujourd'hui.

Ce n'est pas souvent que le tripartisme fonctionne et fonctionne bien. Plusieurs syndicats affiliés au CTC, et plusieurs organismes de la FETCO, en ont débattu de longues heures sous la présidence du ministère du Travail. Bien sûr, nous avons été en profond désaccord au sujet de certaines questions. Toutefois, nous sommes prêts à dire ce soir que nous sommes ouverts au compromis, tout comme la FETCO, et vous recommandons vivement d'adopter le projet de loi C-66 sans délai.

La présidente: Je suis impressionnée. Je crois que c'est la première fois que j'entends un groupe représentant les travailleurs canadiens dire devant un comité qu'il est d'accord avec les mesures prises par le gouvernement dans le domaine de la législation du travail. Félicitations.

Mme Riche: Cela ne veut pas dire que nous allons voter pour eux.

Le processus a été ardu. Comme je le dis, certaines questions ne semblent pas avoir leur place dans le contexte d'un projet de loi, mais nous sommes finalement parvenus à un compromis.

La présidente: Je n'ai pas eu l'occasion de demander au ministère de nous parler de l'obligation du successeur, car nous manquions un peu de temps. Pouvez-vous brièvement nous en parler?

Mme Riche: Nous aurions aimé que le projet de loi prévoie le genre de protection de l'obligation du successeur qui est nécessaire dans le contexte actuel où nous assistons à un mouvement des services du gouvernement vers le secteur privé. Nous aurions voulu que le projet de loi précise que le syndicat suit ses membres.

Nous voulions également un débat -- qui malheureusement a été impossible, compte tenu des réalités canadiennes en matière de compétences -- sur la dévolution du gouvernement fédéral aux gouvernements provinciaux. Nous avions donc demandé un débat à ce sujet, au lieu d'écrire tout cela noir sur blanc.

Selon nous, la partie du projet de loi sur l'obligation du successeur est un peu faible. Lorsque des employés passent de la fonction publique au secteur privé, nous aurions préféré qu'ils amènent leur syndicat avec eux.

La présidente: Selon certains, une telle disposition aurait anéanti le droit fondamental de sous-traitance. Qu'en pensez-vous?

Mme Riche: La sous-traitance serait toujours possible. Toutefois, les membres auraient toujours leur syndicat dans le cadre de cette sous-traitance.

La privatisation du contrôle de la circulation aérienne à NAV CANADA est un bon exemple d'une telle situation. Les employés se sont déplacés. Il n'y a pas eu beaucoup de publicité. Le syndicat a travaillé avec la nouvelle société, NAV CANADA, et est resté. Il y a eu des débats et des accords sur les indemnités de départ du gouvernement fédéral, ainsi que sur les pensions de retraite.

Tous ces accords sont valables pour la période visée par le contrat. Lorsque le nouveau contrat sera négocié avec NAV CANADA, qui sera alors l'employeur, la situation pourra être complètement différente, mais au départ, l'obligation du successeur s'appliquait.

La présidente: Tout serait renégocié.

Mme Riche: Oui.

Le sénateur Cogger: Madame Riche, dans le projet de loi se trouve une nouvelle disposition permettant au syndicat d'utiliser le réseau de communication de l'employeur pour contacter des travailleurs à distance.

Mme Riche: Oui.

Le sénateur Cogger: Si j'étais à votre place, je serais enchanté par cette disposition. Vous dites qu'il s'agit d'une entente tripartite. Êtes-vous sûre que les milieux d'affaires appuient cette disposition?

Mme Riche: Je n'ai pas dit que les parties patronale et syndicale appuyaient toutes les dispositions du projet de loi. J'ai dit qu'elles étaient arrivées à un compromis.

Je crois que la Chambre de commerce est opposée à cette disposition, mais elle n'a pas participé à la consultation. En fait, je ne sais pas combien de ses employés relèvent de la compétence fédérale. Ceci étant dit, il n'est pas obligatoire de remettre une liste au syndicat ou de lui donner accès au réseau de communication de l'employeur. Le nouveau CCRI, qui doit remplacer le CCRT, sera saisi de cette question. Je peux vous dire pourquoi nous l'appuyons.

Pour certains, cela équivaut à donner un avantage indu à un syndicat et à ses éventuels adhérents, mais il y a beaucoup plus que cela dans cette disposition. Il s'agit en fait d'une reconnaissance de la nouvelle réalité de la main-d'oeuvre et du milieu de travail. Nous ne parlons pas ici d'une usine automobile. Nous assistons à des changements incroyables sur le marché du travail, au sein de la main-d'oeuvre et en milieu de travail. C'est une façon de reconnaître que beaucoup de personnes travaillent à domicile. Cela fait suite à l'accord de l'OIT relatif à la liberté d'association auquel a souscrit le Canada.

On ne peut pas contacter les gens qui travaillent à domicile aussi facilement que s'ils travaillaient dans une usine automobile ou un édifice à bureaux. Ce projet de loi permet un tel accès si bien qu'un syndicat qui souhaite s'organiser, processus légitime et légal dans notre pays, peut être traité équitablement. Après tout, le Canada est signataire de la convention de l'OIT relative à la liberté d'association.

Le sénateur Cogger: On a proposé quelque part -- je crois que c'était dans le Globe and Mail -- d'abroger les dispositions de la Loi sur les déclarations des personnes morales et des syndicats qui exigent que les syndicats donnent certains chiffres et renseignements financiers à Statistique Canada, et laissé entendre que ce changement découlait des pressions exercées par les syndicats. Est-ce exact?

Mme Riche: Non. Nous n'avons pas participé à des discussions sur l'amendement au projet de loi au sujet de la Loi sur les déclarations des personnes morales et des syndicats. C'est une décision ministérielle.

Le sénateur Cogger: Le ministère l'a lui-même présenté?

Mme Riche: Nous savions que cela allait finir par en faire partie. J'imagine que vous avez posé la question au ministère et que les fonctionnaires vont ont parlé en détail de la Loi sur les déclarations des personnes morales et des syndicats.

Le sénateur Cogger: Un fonctionnaire de Statistique Canada nous a dit que c'était pour faire des économies.

Mme Riche: Vous êtes alors tous d'accord, évidemment.

Le sénateur Cogger: Je ne dis pas que cette personne avait tort. Je vous demande de nous dire ce que vous en pensez.

Mme Riche: Nous continuons de communiquer ces renseignements.

M. Murray Randall, adjoint exécutif du président, Congrès du travail du Canada: Nous les communiquons au Bureau de renseignements sur le travail.

Mme Riche: Tous ces renseignements sont disponibles. Si je peux remonter un peu dans le temps, pendant les années Diefenbaker, on s'inquiétait beaucoup des syndicats internationaux, c'est-à-dire des syndicats dont le siège social se trouvait aux États-Unis. Le gouvernement canadien voulait savoir combien d'argent allait aux États-Unis. Il y a moins de syndicats internationaux aujourd'hui et je pense que le ministère a pris cette décision uniquement pour faire des économies. Cela ne veut pas dire que les dossiers ou états financiers des syndicats ne sont pas disponibles. Ils relèvent du domaine public. Il n'y a absolument pas d'intentions cachées.

C'était probablement une mesure visant à faire des économies et nous ne nous y sommes pas opposés.

Le sénateur Perrault: Avant vous, plusieurs groupes, dont ceux représentant les industries du charbon, des produits chimiques et l'industrie minière, ainsi que les milieux d'affaires, de manière plus générale, ont déclaré qu'ils n'étaient pas satisfaits de ce projet de loi. Selon la société Dow Chemical, le projet de loi C-66 permettra d'assurer le mouvement des céréales dans les ports, mais il aura un effet négatif sur d'autres produits.

Que pensez-vous de cette allégation, à savoir que le gouvernement fédéral établit une discrimination contre ces autres produits?

Mme Riche: Si nous avions rédigé ce projet de loi, aucun secteur particulier n'aurait été déclaré essentiel. Toutefois, les débardeurs ont participé à nos consultations. Ces dernières années, chaque fois qu'ils ont exercé leur droit légal de faire la grève, ils ont dû retourner au travail en vertu d'une loi spéciale, les céréales étant un produit particulièrement important.

Lorsque nous avons entendu que les céréales allaient bénéficier d'un traitement à part, nous nous sommes renseignés auprès de nos affiliés. Les débardeurs ont déclaré qu'ils étaient prêts à l'accepter, car ils ont toujours dû retourner au travail en vertu d'une loi spéciale, même s'ils ont toujours dit qu'ils étaient prêts à assurer la manutention des céréales. Ils ont dit toutefois que le gouvernement devrait s'attendre à ce que les industries de la potasse et des produits chimiques, ainsi que d'autres, demandent que cette disposition s'applique également à elles.

Le sénateur Perrault: C'est ce qu'elles font.

Mme Riche: Bien sûr, cela ne m'étonne pas. Nous ne sommes pas d'accord, en principe. Nous ne pensons pas que l'on doive déclarer unilatéralement que tel ou tel secteur est essentiel. Nous pensons toutefois que les syndicats et les employeurs de tous ces secteurs peuvent s'entendre sur ce qui est essentiel, sur ce qu'est une urgence ou sur ce qu'il faut prévoir. Il n'y a pas un seul syndicat dans notre pays qui fermerait une salle d'opération, un hôpital ou qui interdirait les services d'urgence. Lorsqu'une grève ou un lock-out est inévitable, les deux parties devraient se rencontrer pour parvenir à un accord.

J'ai entendu les témoins de l'Association canadienne des fabricants de produits chimiques. Ils n'ont pas cessé de dire qu'ils ne sont pas experts en relations de travail, mais qu'ils ne veulent pas que les syndicats se mêlent de leur industrie. Malheureusement pour eux, nous existons bel et bien.

Le sénateur Perrault: Pensez-vous que la nature du blé, en tant que denrée alimentaire, justifie un traitement à part?

Mme Riche: C'est certainement l'avis de tous les députés de la Saskatchewan, même ceux de mon parti.

Le sénateur Perrault: On ne peut pas vraiment comparer des denrées alimentaires -- qui seraient expédiées dans une région gravement touchée par une pénurie de produits alimentaires -- à des produits chimiques.

Mme Riche: Si c'était le cas, s'il y avait une situation d'urgence particulière, nous n'aurions pas besoin de lois. Les syndicats obtempéreraient immédiatement. Ce ne serait pas un problème en cas de crise internationale, même si cela n'était pas prévu dans le projet de loi. Il s'agit de denrées alimentaires et manifestement l'industrie céréalière a réussi à obtenir cette disposition, et nous l'avons appuyée, en fonction de l'appui des débardeurs.

Le sénateur Perrault: Certains ont exprimé la crainte qu'en raison du soi-disant libre-échange en cours, les céréales soient expédiées par le fleuve Mississipi, de sorte que ces expéditions seraient subventionnées jusqu'à un certain point par le contribuable américain, ou qu'elles soient expédiées à partir des ports de Portland et Tacoma. Est-ce à votre avis un risque réel? Nous voulons ces emplois pour nos propres gens au Canada.

Mme Riche: C'était notre position avant la signature de l'Accord de libre-échange et cela est effectivement possible. S'il s'agit effectivement d'une façon de contourner l'Accord pour que les céréales continuent à être expédiées à partir de ports canadiens, alors j'appuie les dispositions du projet de loi.

Le sénateur Perrault: Très bien. Merci beaucoup. Je vous en suis reconnaissant.

Le sénateur Maheu: J'aimerais savoir ce que vous pensez des travailleurs de remplacement. Certains ont laissé entendre que les syndicats déposeraient une plainte auprès du conseil chaque fois qu'une industrie ou une compagnie ferait appel à des travailleurs de remplacement.

Mme Riche: Cela est difficile à prédire. C'est une disposition très intéressante mais personne ne semble savoir comment elle sera interprétée. Nous ne le saurons qu'une fois que la première cause sera entendue par le CCRI. Contrairement à ce que nous voulions, il ne s'agit pas d'une disposition qui interdit le recours aux briseurs de grève. Ce n'est pas la façon dont nous formulerions une disposition interdisant le recours aux briseurs de grève.

Récemment, les agents de bord d'Air Ontario ont fait la grève. Ils ont voté à 100 p. 100 pour la grève. Avant même le dépouillement du scrutin, l'employeur avait mis des annonces dans les journaux pour recruter des travailleurs de remplacement. Il n'a même pas essayé de régler le conflit, ni de faire appel à une tierce partie pour tâcher de régler la situation. Je serais portée à préconiser l'adoption de ce genre de disposition.

Le sénateur Cogger: Ne vous dérange-t-il pas de savoir que nous risquons d'adopter une loi qui renferme un article -- un article clé -- que, comme vous l'avez si bien dit, personne n'arrive à interpréter?

Le sénateur Perrault: Cela vaut pour toutes sortes de lois.

Mme Riche: Je ne me suis peut-être pas bien fait comprendre. J'ai ajouté que nous n'aurions qu'à attendre le résultat de la première cause portée devant le CCRI.

Le sénateur Cogger: Une seule cause ne suffira pas. Il faudra attendre qu'on ait établi une jurisprudence.

Mme Riche: C'est vrai. Est-ce que vous préféreriez que cette disposition n'y figure pas du tout?

Le sénateur Cogger: Il serait sans doute préférable d'adopter des dispositions plus claires et de moins se fier à la jurisprudence.

Mme Riche: Tout à fait. Nous aimerions beaucoup pouvoir rédiger l'article interdisant le recours aux briseurs de grève mais nous savons que nous n'en aurons jamais l'occasion. Les employeurs et les syndicats ne s'entendront jamais sur des dispositions concernant les travailleurs de remplacement.

Le sénateur Cogger: Êtes-vous en train de me dire que le libellé de cette disposition, dont d'ailleurs personne ne comprend le sens pour l'instant, correspond à ce que nous pouvons faire de mieux?

Mme Riche: Oui. Je vous expliquerai pourquoi et pourquoi nous voulons que vous adoptiez ce projet de loi. C'est parce que les employeurs et les syndicats ne s'entendent pas et que le gouvernement, par l'intermédiaire du groupe de travail Sims, est la tierce partie.

Le sénateur Cogger: J'en suis conscient. C'est la raison. Je pensais que les gouvernements étaient censés diriger, gouverner et légiférer et pas nécessairement attendre d'obtenir le consensus des employeurs et des syndicats.

Mme Riche: Je suppose alors que nous n'avons pas vraiment besoin des tribunaux non plus.

La présidente: Prenons une situation hypothétique. Que se passerait-il si, par exemple, les compagnies de téléphone au pays faisaient la grève et que l'on considérait que l'utilisation de travailleurs de remplacement par ces compagnies était une pratique déloyale de travail et était par conséquent interdite?

Mme Riche: Je pense qu'on arriverait à une entente. L'employeur négocierait avec le syndicat et ils arriveraient à une entente. C'est le fondement même de notre argument contre l'utilisation de travailleurs de remplacement.

La présidente: Je tiens à vous remercier d'avoir comparu devant le comité et de nous avoir fait connaître votre position.

La séance est levée.


Haut de page