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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 26 - Témoignages - Séance du matin


OTTAWA, le lundi 21 avril 1997

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-66, Loi modifiant le Code canadien du travail (partie I), la Loi sur les déclarations des personnes morales et des syndicats et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui, à 11 h 08, pour en faire l'examen.

Le sénateur Mabel M. DeWare (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, nous entamons notre troisième journée d'audiences au sujet du projet de loi C-66. Ce matin, nous accueillons des représentants de l'Association minière du Canada.

Je leur cède la parole.

[Français]

Mme Gisèle Jacob, vice-présidente, affaires publiques, Association minière du Canada: Madame la présidente, c'est avec plaisir que je suis ici aujourd'hui pour vous parler du projet de loi C-66 au nom des compagnies membres de l'Association minière du Canada.

[Traduction]

Je suis vice-présidente des Affaires publiques de l'Association minière du Canada. Je suis accompagnée ce matin de M. Robert Cunningham, directeur exécutif de la Saskatchewan Mining Association, et de M. Don Downing, président de l'Association charbonnière canadienne, qui vous parleront surtout des éléments du projet de loi C-66 qui intéressent et préoccupent particulièrement nos membres. Avant de commencer, toutefois, j'aimerais vous toucher quelques mots de l'industrie minière, plus particulièrement de l'Association minière du Canada.

Notre association est un organisme national représentant l'industrie minérale canadienne. Ses membres font de l'exploration, de l'extraction, de la fusion et de l'affinage de minéraux et ils produisent des minéraux, des minéraux industriels et des combustibles minéraux. Ils représentent la majorité des producteurs de métaux et des principaux matériaux industriels du Canada.

La gestion et le contrôle de plus de 70 p. 100 de l'industrie minière du Canada sont entre les mains de Canadiens. Le secteur des minéraux et des métaux a jusqu'ici énormément contribué à l'économie canadienne et il continue de le faire. Ainsi, il a fait un apport économique de 23,7 milliards de dollars approximativement en 1995, soit l'équivalent de 4,4 p. 100 du produit intérieur brut du Canada. Il fait vivre plus de 300 000 personnes qui travaillent dans diverses branches allant de l'exploration à la fabrication de métaux en passant par l'extraction. De nombreux autres Canadiens, toutefois, profitent de ces activités, particulièrement dans le domaine du transport, des services et de l'approvisionnement en matériel.

Le travailleur moyen de l'industrie des minéraux gagne environ 1 000 $ par semaine, rémunération hebdomadaire la plus élevée au Canada qui lui donne une forte avance sur les travailleurs de tous les autres secteurs. Plus de 150 collectivités de toutes les régions du Canada dépendent, en partie ou en totalité presque, de l'industrie des minéraux et de ses retombées.

L'industrie minière joue aussi un rôle de premier plan dans le secteur des transports, les métaux et les minéraux représentant près de 65 p. 100 de tout le fret acheminé par rail et par mer au Canada. C'est ce recours intense au réseau de transport terrestre et maritime qui explique, en partie, notre présence ici aujourd'hui. Les minéraux et les demi-produits minéraux représentent un tonnage et des recettes importantes pour le réseau de transport canadien, particulièrement les marchandises transportées en vrac comme le charbon, la potasse, le soufre et le minerai de fer. En 1994, les chemins de fer canadiens ont transporté au total 134 millions de tonnes de minéraux bruts et de demi-produits, sources de près de 53 p. 100 de toutes les recettes tirées du transport des marchandises au Canada. De plus, nous prévoyons qu'en 1995, les données statistiques révéleront une progression à 55 ou à 56 p. 100 de ce pourcentage.

Plus de 110 kilotonnes de minéraux bruts et de demi-produits minéraux ont été manutentionnés dans les ports canadiens en 1994. Nous nous attendons que le tonnage se maintienne en 1995, ce qui équivaudrait à quelque 65 p. 100 de tout le tonnage chargé au Canada. Comme vous pouvez vous l'imaginer, ce qui se passe dans les ports canadiens nous intéresse au plus haut point.

Venons-en au projet de loi C-66. Les travaux qui ont mené à la rédaction du projet de loi ont été longs et complets. Il y a eu beaucoup de consultations et d'analyses. Après tout, le dernier examen de la partie I du Code canadien du travail date de 25 ans. Toutefois, nous estimons que l'on n'a pas consacré le même temps et les mêmes efforts à la rédaction du projet de loi comme tel.

Le projet de loi C-66 inclut des dispositions dont il n'avait jamais été question auparavant et qui n'avaient pas été recommandées dans le rapport Sims. Ainsi, le paragraphe 47.3(1), où il est question des contrats successifs de fourniture de services, et le paragraphe 87.7(1) concernant les services aux navires céréaliers, de même que d'autres dispositions, ne prévoient pas des moyens convenables de régler les litiges. Même si les consultations qui ont précédé la rédaction du projet de loi ont été longues et exhaustives, le texte inclut de nouvelles dispositions qui n'ont pas franchi les mêmes étapes.

Nous demandons donc avec le plus grand respect que vous preniez le temps d'examiner tous les détails du projet de loi et que vous en évaluiez avec soin l'incidence sur le milieu du travail du XXIe siècle.

Deux grandes questions nous préoccupent, soit les dispositions concernant les services aux navires céréaliers et l'interdiction du recours aux travailleurs de remplacement. Je laisse le soin à mes collègues de vous en parler séparément.

M. Donald Downing, président, Association charbonnière du Canada, Association minière du Canada: Honorables sénateurs, je consacrerai mon exposé au paragraphe 87.7(1), qui traite du service aux navires céréaliers. Il en a déjà été question, mais j'aimerais y revenir parce qu'il est d'une grande importance. Si la disposition est appliquée, elle aura un coût économique.

La Chambre de Commerce du Canada a mentionné que cette disposition changera les règles du jeu pour certains secteurs de l'économie. L'Association charbonnière du Canada, dans le mémoire qu'elle a présenté au Comité permanent de développement des ressources humaines, s'est aussi arrêtée à la question fondamentale de la compétitivité canadienne. J'aimerais reprendre certaines de ces préoccupations.

Pour vous situer dans le contexte, je vais vous décrire les principales caractéristiques de l'industrie charbonnière canadienne. En 1996, les charbonnages canadiens ont produit environ 75 000 tonnes de charbon, un record, à partir des 29 mines réparties dans cinq provinces. La consommation totale a atteint 52 millions de tonnes, surtout dans les centrales d'électricité de six provinces et dans l'industrie sidérurgique du sud de l'Ontario. En contrepartie, la région centrale du Canada a importé approximativement 11 millions de tonnes de charbon, et les exportations canadiennes totales ont atteint un sommet de 34,5 millions de tonnes en 1996.

Le charbon est un produit en vrac, ce qui met en relief l'importance du transport pour cette industrie. Il s'agit du plus important produit transporté par les chemins de fer canadiens, en termes de volume -- presque 37 millions de tonnes en 1996 --, et il représente une importante source de revenus pour eux. L'industrie charbonnière et le réseau de transport dépendent beaucoup l'un de l'autre. Chacun a besoin de l'autre pour réussir.

Plus particulièrement, les exportations exigent un moyen de transport efficace et rentable parce que le marché international du charbon est très compétitif. Chaque année, les exportations faites à partir des ports de la côte ouest excèdent 34 millions de tonnes. Il existe trois grands terminaux sur la côte ouest, soit deux à Vancouver et un à Prince Rupert, en plus d'une installation privée de chargement à Campbell River, dans l'île de Vancouver. Les pays asiatiques sont nos principaux clients, notamment le Japon, la Corée et Taiwan, mais le Canada livre du charbon dans plus de 20 pays. Notre secteur des exportations a fort bien réussi à trouver de nouveaux débouchés à mesure que s'est transformé le marché du charbon au Japon durant les 15 dernières années.

Les principaux concurrents du Canada sur le plan du charbon métallurgique et du charbon thermique sont, par exemple, les Australiens, les Américains, les Sud-Africains, les Indonésiens et les Colombiens. Chacun de ces pays offre à ses producteurs des avantages naturels que n'ont pas les producteurs canadiens, dont une distance de transport ferroviaire jusqu'à la mer beaucoup plus courte, typiquement de un à 300 kilomètres par opposition à 1 200 kilomètres dans l'Ouest du Canada.

En termes d'incidences économiques, les charbonnages emploient plus de 7 000 travailleurs qui comptent parmi les mieux rémunérés au Canada, ce qui représente une contribution nette à l'économie de presque 2 milliards de dollars par année. Fait tout aussi important, l'exploitation du charbon crée un fort effet multiplicateur, c'est-à-dire qu'elle a d'importantes retombées économiques. Une étude économique effectuée récemment par la Saskatchewan Energy Conservation and Development Authority révèle un effet multiplicateur de trois pour un dans le secteur des services de soutien aux mines, ce qui se traduit par 21 000 emplois directs et indirects dans le secteur minier. Le transport du charbon, par rail et par mer, explique 31 000 autres emplois directs et indirects. Chaque emploi dans l'industrie minière du charbon entraîne la création de cinq autres emplois dans le secteur des services et du transport.

À eux seuls, l'exploitation minière du charbon et son transport représentent un apport économique de presque 3,5 milliards de dollars par année. Si l'on y inclut les emplois aux centrales d'électricité, les emplois directs et indirects dans l'industrie du charbon passent à 73 000 et les retombées économiques, à 5,8 milliards de dollars, soit presque 1 p. 100 du produit intérieur brut du Canada.

Ce sont les exportations par voie de mer qui créent l'interaction entre les ports et les fournisseurs de services maritimes. Ces exportations de charbon sont évaluées à quelque 2 milliards de dollars par année, ce qui représente un montant fort respectable, quelle que soit la mesure utilisée.

Ces observations visent à vous renseigner sur un important secteur de l'économie, un secteur qui contribue à l'investissement, à la croissance, à l'emploi et aux recettes commerciales et qui est un pilier du secteur des transports. Le charbon est essentiel au pays.

Les changements envisagés dans la partie I du Code canadien du travail semblent laisser entendre que le grain est plus important que le charbon. De fait, on pourrait croire que le grain est la plus importante marchandise qu'exporte le Canada. C'est manifestement faux, et la modification qui vise à accorder un traitement privilégié aux exportations de grain diminue l'importance de l'industrie du charbon et de toutes les autres industries. Fait ironique, parce qu'il s'agit d'une loi du travail, elle n'accorde pas la même valeur à tous les travailleurs. Celui qui travaille dans l'industrie du grain est, semble-t-il, plus important que celui qui travaille dans le charbon, la potasse, le soufre, le cuivre ou les produits pétrochimiques.

Ces commentaires visent manifestement le paragraphe 87.(7) de la partie I, soit les services aux navires céréaliers. Nous sommes opposés à cette modification. Nous proposons qu'elle soit rejetée parce qu'elle fait une distinction entre les marchandises et accorde un traitement privilégié à l'une d'entre elles. Elle laisse entendre que le gouvernement du Canada accorde au grain une priorité et un traitement privilégié qu'il nous serait impossible d'expliquer à notre précieuse clientèle répartie dans plus de 20 pays. Nous demandons par conséquent que tous les produits soient traités sur un même pied dans le Code canadien du travail.

M. Robert Cunningham, directeur exécutif, Saskatchewan Mining Association, Association minière du Canada: Avant d'aborder le paragraphe 94.(2.1), je vais essayer de vous expliquer pourquoi le projet de loi préoccupe l'industrie minière de la Saskatchewan.

Essentiellement, nous représentons actuellement les principaux fournisseurs d'uranium de la plupart des centrales d'électricité du monde, notre production égalant presque 30 p. 100 de la consommation mondiale. Comme l'exploitation de l'uranium est une industrie réglementée par le gouvernement fédéral, les changements projetés l'intéressent tout particulièrement. L'industrie elle-même a une valeur de 2 milliards de dollars en Saskatchewan. La principale est celle de la potasse, qui est manifestement touchée par le transport; la deuxième est l'uranium et la troisième, le charbon. Nous avons donc un enjeu réel dans ce dossier.

La présidente: Quel était ce pourcentage de l'uranium?

M. Cunningham: Nous répondons à presque 30 p. 100 des besoins mondiaux, actuellement.

Au cours de consultations antérieures, nous avons aussi mentionné la question des travailleurs de remplacement. Nous renouvelons notre opposition à toute disposition du Code canadien du travail qui empêcherait les employeurs d'avoir recours aux travailleurs de remplacement. Le libellé actuel du paragraphe 94.(2.1) est vague. L'expression «dans le but de miner la capacité de représentation d'un syndicat» donne libre cours au Conseil canadien des relations industrielles quant à son interprétation et pourra certes faire l'objet de litiges. Nancy Riche, du Congrès du travail du Canada, a déclaré publiquement que c'est justement ce que ferait le mouvement syndical de cette disposition et qu'il contesterait tous les recours à des travailleurs de remplacement devant les tribunaux ou auprès du conseil.

Le droit de l'employeur de chercher à assurer la continuité de l'exploitation est la seule contrepartie au droit de grève de l'employé. C'est grâce à ce fragile équilibre des pouvoirs que l'on répond aux besoins tant de l'employeur que de l'employé. Que nous le sachions, on n'a pas fait la preuve qu'il était nécessaire de modifier cet équilibre. Au contraire, même le groupe de travail Sims reconnaît, dans son rapport, que le recours à des travailleurs de remplacement est un moyen légitime que prend l'employeur pour assurer la viabilité de son entreprise dans un contexte économique difficile aggravé par des revendications syndicales inacceptables.

En interdisant le recours aux travailleurs de remplacement, nous conférons au syndicat le pouvoir de vie ou de mort sur l'entreprise. La menace d'une grève ne peut plus se définir comme la menace du retrait des services d'un groupe d'employés. Elle fait plutôt planer le spectre d'une fermeture, ce qui ne correspond pas à l'équilibre des pouvoirs envisagé dans la partie I du Code canadien du travail. La loi projetée pourrait dans les faits retirer à l'employeur le droit et la capacité de poursuivre la production durant un arrêt de travail légal. Elle retirerait à l'employé le droit de choisir de continuer de travailler durant un arrêt de travail légal, elle retirerait à l'employé exclu des négociations le droit de travailler et d'être rémunéré pour son travail et elle enlèverait à l'employeur sa capacité de poursuivre l'exploitation et de permettre à ses propres employés de travailler. Retirer à l'employeur le droit de poursuivre l'exploitation durant une grève pourrait aussi menacer le gagne-pain de nombreuses collectivités vivant de l'exploitation minière.

Aux termes de cette disposition, l'employeur serait obligé de céder aux exigences irréalistes du syndicat. Le coût d'exploitation moyen d'une mine d'uranium oscille aux alentours d'un demi-milliard de dollars. La perspective de devoir fermer l'exploitation si l'on ne veut pas céder aux exigences excessives n'est pas très réjouissante.

Notre secteur a connu très peu de conflits de travail et entretient de bonnes relations avec les syndicats. À notre avis, le recours comme tel aux travailleurs de remplacement n'est pas aussi important que la capacité de le faire. Si on nous retire cette capacité, plutôt que le recours comme tel, l'équilibre serait rompu.

Si, comme l'a fait remarquer le ministre Gagliano, le paragraphe 94.(2.1) visait à anticiper l'exercice déloyal de pouvoirs par l'employeur, il faudrait, selon nous, appliquer les dispositions existantes de la loi concernant les pratiques déloyales. Interdire le recours aux travailleurs de remplacement n'est pas la solution en ce qui concerne les pratiques déloyales de travail. Par conséquent, nous demandons au comité de recommander le retrait du paragraphe 94.(2.1).

Mme Jacob: Ce matin, nous avons décidé de ne parler que de deux aspects du projet de loi C-66 qui nous préoccupent particulièrement. Par contre, nous avons aussi d'autres préoccupations. Toutefois, nous savons qu'une journée chargée vous attend et que vous avez de nombreux témoins à entendre.

En guise de conclusion, j'aimerais résumer nos principales recommandations. Primo, nous demandons que l'on prenne le temps de bien peser toute l'incidence du projet de loi C-66. Secundo, nous demandons que soit aboli l'avantage injuste conféré aux expéditions de grains. Tertio, nous aimerions que l'on élimine l'interdiction du recours aux travailleurs de remplacement.

Nous vous remercions d'avoir pris le temps de nous entendre. S'il faut attendre 25 autres années avant la prochaine réforme du Code canadien du travail, mieux vaut bien faire maintenant et créer des conditions de travail qui donneront tant à l'employeur qu'à l'employé le droit juste et équitable de créer des emplois permanents et d'en avoir. Pareil partenariat est crucial si nous souhaitons conserver au Canada sa position concurrentielle sur le marché mondial.

La présidente; J'aimerais vous remercier tous les trois de votre exposé de ce matin.

Le sénateur Maheu: Madame Jacob, j'aimerais savoir ce que vous pensez du rapport du groupe de travail Sims en ce qui concerne les services aux navires céréaliers. Cette question a fait l'objet d'un examen approfondi dans le rapport, ainsi que durant les consultations pancanadiennes tenues par le ministre. Je crois savoir que le milieu agricole y accordait tout son appui et qu'un autre examen de la question serait fait en 1999. La loi vise non seulement à réduire les perturbations des exportations de céréales, mais également à décourager la dépendance sur les lois de retour au travail. Il me semble que, chaque fois qu'il y a un conflit de travail, on demande au Parlement de légiférer pour obliger les employés à retourner au travail -- non pas que les conflits soient nombreux, mais c'est tout de même le résultat final. Simultanément, les manutentionnaires du grain et les débardeurs conservent leurs droits de négociation.

Quand il est question de maintenir les services de manutention du grain pendant un lock-out ou une grève, il faut aussi se demander s'il ne faudrait pas également limiter le droit de grève des cheminots. En d'autres mots, si les débardeurs sont obligés de décharger les trains, ne faudrait-il pas enlever le droit de grève des cheminots?

J'aurai une autre question à vous poser au sujet des travailleurs de remplacement, quand vous aurez fini de répondre à la première.

Mme Jacob: Je demanderais à M. Downing de répondre. Il connaît mieux que moi les questions de transport.

M. Downing: Je puis voir pourquoi cette proposition plairait au milieu agricole. Toutefois, le réseau de transport n'est pas réservé exclusivement au transport du grain. Résoudre un conflit de travail en isolant une marchandise signifie que ce produit reçoit un traitement privilégié de la part du réseau de transport.

J'admets qu'essayer de résoudre les problèmes de relations de travail dans les ports en interdisant, par exemple, les arrêts de travail pourrait avoir un impact sur les chemins de fer, mais ce n'est pas une raison valable de privilégier le grain.

Le sénateur Maheu: Le grain est protégé par la Constitution du Canada. Comment réagissez-vous à cela?

M. Downing: Notre association ne prétend pas être experte dans la façon de régler les conflits de travail dans les ports. Je sais que B.C. Maritime Employers et d'autres, y compris les exploitants de terminaux, ont déposé sur la table ce qu'ils considèrent être les choix qui s'offrent pour régler les conflits de travail. Permettre la circulation d'un produit alors que les autres ne sont plus transportés à cause de conflits de travail ne règle pas les problèmes à la base du conflit.

Nous ne voyons pas comment on peut traiter un produit différemment des autres, surtout quand on tient compte du volume des exportations de charbon et de leur importance pour l'ouest du Canada.

Le sénateur Maheu: Parlons maintenant des travailleurs de remplacement. Le rapport Sims dit que nul ne considérait comme étant légitime la pratique du recours aux travailleurs de remplacement si elle a pour objet d'expulser les représentants syndicaux du milieu de travail ou de saper le rôle du syndicat.

Cette affirmation vous semble-t-elle raisonnable?

M. Cunningham: Oui, elle me semble raisonnable. Toutefois, si l'employeur faisait entrer des gens pour poursuivre l'exploitation, le syndicat pourrait invoquer qu'il mine sa capacité de représentation de ses membres. La simple présence de ces travailleurs de remplacement aurait une incidence sur les autres travailleurs.

Par contre, d'autres articles de la loi précisent que les grévistes ont le premier droit de rappel au travail à la fin de la grève et que leur emploi est garanti. De plus, les changements projetés tiennent compte des mesures disciplinaires prises à leur égard. Les employés et leurs agents de négociation sont donc protégés, que l'employeur fasse appel ou non à des travailleurs de remplacement pour ne pas perdre des contrats ou pour entretenir les installations.

Le sénateur Maheu: On a aussi laissé entendre que le libellé du projet de loi concernant les travailleurs de remplacement pourrait entraîner des poursuites devant les tribunaux. Avez-vous un autre libellé à nous proposer pour éviter ces poursuites?

M. Cunningham: Je n'ai pas étudié le libellé dans cette optique. Je m'intéressais davantage à faire retrancher tout l'article.

Le sénateur Maheu: Si les modifications que vous proposez n'étaient pas retenues, modifieriez-vous vos recommandations ou préféreriez-vous que le projet de loi ne soit pas adopté?

M. Cunningham: Je préférerais qu'il ne soit pas adopté.

Le sénateur Cogger: Dans votre mémoire, vous dites que tous les produits devraient être traités sur un même pied dans le code. S'il n'en tenait à vous, que préféreriez-vous: que tous les produits jouissent de la même protection que le grain ou qu'aucun d'entre eux ne soit protégé?

M. Downing: Nous préférerions qu'aucun produit ne soit protégé. Toutefois, cela ne veut pas dire que les recommandations visant à résoudre de graves conflits de travail dans les ports ne pourraient pas s'appliquer à tous les produits, par exemple l'arbitrage exécutoire, en vue de résoudre des situations insoutenables.

Le sénateur Cogger: Je ne plaisantais pas. Les porte-parole de l'industrie des produits chimiques sont venus témoigner, la semaine dernière. Selon eux, la protection spéciale accordée à l'industrie du grain les laisserait en plan, les isoleraient en tant qu'expéditeurs, si vous préférez, en ce sens qu'ils sont convaincus, probablement à bon droit, que l'industrie du grain est celle justement qui oblige le Parlement à agir rapidement en vue de régler les conflits de travail et qu'une fois qu'elle jouit d'un statut spécial, le problème ne fera que s'exacerber. Êtes-vous d'accord avec cette opinion?

M. Downing: Je la partage. L'importance politique de l'industrie du grain est une réalité. Ce n'est pas qu'elle réclame une solution politique, mais qu'elle attire une publicité qu'on ne lui accorderait pas autrement.

Les exploitants de terminaux sont particulièrement préoccupés par l'éventualité d'un arrêt de travail prolongé si le grain était exclu du traitement accordé à tous les autres produits.

Le sénateur Cogger: Y a-t-il eu de nombreux arrêts de travail dans votre industrie au cours de la dernière décennie?

M. Downing: Non. Il y en a eu. Les mines sont syndiquées. Les chemins de fer sont syndiqués, manifestement. Des arrêts de travail sont donc à prévoir dans les mines et dans le transport. Par contre, ils ne sont pas fréquents.

Le sénateur Cogger: Pourriez-vous nous dire combien il y en a eu au cours des dix dernières années?

M. Downing: Nous avons vécu des perturbations du transport ferroviaire dans les quatre dernières années. Le dernier grand conflit de travail dans les mines date de 1992, et le précédent aurait eu lieu cinq ans auparavant, environ.

Le sénateur Cogger: Les Syndicats du blé des Prairies sont venus témoigner. D'après leurs données, au cours de la dernière décennie, le transport du grain jusqu'aux marchés d'exportation a été interrompu 16 fois, ce qui a entraîné la perte de 230 jours. Ces données me semblent raisonnables. Ils doivent savoir de quoi ils parlent.

Toujours selon eux, si, au cours de cette décennie, l'article 87.7 concernant le traitement privilégié du grain avait été en vigueur, 25 de ces 230 jours perdus auraient été épargnés, soit 10 p. 100 environ. En d'autres mots, l'article 87.7 du projet de loi, parce qu'il ne concerne que l'industrie des débardeurs, n'a entraîné que 25 journées perdues sur 230 au cours des 10 dernières années. Par conséquent, pendant 200 jours environ, le mouvement du grain a été interrompu ou freiné pour des causes indépendantes de la volonté de cette industrie. On peut supposer qu'elles vous ont aussi affectés. Quand le grain ne circule plus, vos produits sont-ils, eux aussi, bloqués?

M. Downing: Oui.

Le sénateur Cogger: La plupart des témoins n'ont pas demandé que soit retirée la protection. Tout le monde a cependant demandé que tous aient la même. Fait plus important encore, la B.C. Maritime Employees Association a dit essentiellement que, si le grain bénéficie d'un traitement privilégié aux termes de la Constitution parce qu'il est considéré comme avantageux pour le Canada et, par conséquent, qu'il ne faut pas en stopper la circulation, il faudrait couvrir toutes les causes susceptibles d'en freiner le mouvement, non pas seulement les débardeurs, mais aussi les cheminots et tout le reste.

En d'autres mots, de la production jusqu'au marché, toute industrie qui est appelée à transporter du grain devrait être assujettie à l'article 87.7 et, peut-on supposer, jouir, elle aussi, de cette protection. Êtes-vous d'accord?

M. Downing: Je le crois.

Le sénateur Cogger: S'il faut que les trains roulent pour transporter le grain, ils pourront difficilement s'arrêter pour le charbon. Mais sait-on jamais!

M. Downing: Il y eut une période où l'on croyait que le grain serait le plus important produit exporté par le Canada. Il y a trois ou quatre décennies, on n'aurait probablement pas imaginé qu'il exporterait un jour des millions de tonnes de charbon. Pourtant, c'est maintenant le cas. Nous recommandons l'adoption d'une loi qui favorise ce genre de choses à long terme.

M. Cunningham: Il est possible de transporter le grain sans transporter le charbon parce que les trains sont exploités par unités. Ainsi, le charbon ne se déplacera que dans un train de charbon et le grain, avec d'autres expéditions de grain.

Comme je viens de la Saskatchewan, il me serait difficile de dire que je ne suis pas favorable au traitement privilégié réservé au grain. Toutefois, les lois de retour au travail permettent aux parties en conflit de ne pas assumer leurs responsabilités. Ces parties ont parfois recours aux lois de retour au travail pour éviter d'avoir à faire face à leurs obligations. Plus les lois encouragent les parties à se responsabiliser, au lieu de les dégager de leurs responsabilités, mieux ce sera.

Le sénateur Cogger: En ce qui concerne les travailleurs temporaires ou de remplacement, est-il juste de dire que, dans votre mémoire, vous semblez tenir pour acquis qu'une plainte serait déposée auprès du Conseil canadien des relations de travail qui rendrait une décision précisant que l'embauche a été faite dans le but de miner la capacité de représentation, et ainsi de suite?

M. Cunningham: Non. Ces observations ne faisaient que souligner que l'embauche de travailleurs de remplacement pourrait entraîner des litiges. Cela pourrait aller jusqu'à des audiences devant le conseil et, même, des poursuites ultérieures. La décision ne dirait pas forcément, chaque fois, que l'on minait la capacité de représentation du syndicat.

Mme Jacob: D'après ce que nous avons entendu des syndicats, ils invoqueront cette disposition le plus souvent possible. Par conséquent, nous supposons au départ qu'ils contesteront tout recours.

Le sénateur Cogger: Dans votre mémoire, vous allez encore plus loin. Vous tenez pour acquis qu'une plainte sera déposée chaque fois, ce qui est probablement juste, et qu'on la jugera probablement fondée.

Je ne mets pas en doute la décision. J'essaie tout simplement de comprendre pourquoi.

Mme Jacob: J'ai constaté, après vérification, que le Conseil canadien des relations industrielles a effectivement souvent statué en faveur des syndicats. Par conséquent, compte tenu des décisions qui ont été rendues, nous ne sommes pas sûrs de pouvoir obtenir gain de cause devant le conseil.

Le sénateur Cogger: J'ai demandé au sous-ministre de me citer un cas en exemple où le recours à des travailleurs de remplacement n'aurait pas pour effet de miner la capacité de représentation d'un syndicat. Il est difficile d'imaginer un cas où cela ne se produirait pas.

Mme Jacob: C'est vrai.

M. Cunningham: En plus de travailler pour l'industrie minière, je siège également au conseil des relations de travail de la Saskatchewan. Il y a quelques années, quand la province a procédé à une refonte de sa loi sur les syndicats ouvriers, elle a jugé imprudent d'interdire le recours à des travailleurs de remplacement. Par conséquent, le conseil n'a pas à se prononcer sur cette question.

Quand vous vous présentez devant un tribunal pour défendre votre cas, vous ne vous trouvez pas devant une cour de justice. Vous n'avez pas à prouver votre cas hors de tout doute raisonnable. Les critères sont plus souples. Par conséquent, il serait difficile pour un conseil de ne pas statuer, en vertu de ce projet de loi, que l'on a effectivement tenté de miner la capacité de représentation d'un syndicat.

Le sénateur Bosa: Parmi vos membres, combien sont assujettis à la partie I du Code canadien du travail?

Mme Jacob: Il faudrait que je jette un coup d'oeil sur les chiffres. Toutefois, il y a un assez grand nombre de mines dans les Territoires du Nord-Ouest, au nord du 60e parallèle, qui sont assujetties à la loi fédérale.

D'autres mines, comme les mines d'uranium, le sont aussi. Toutefois, avant de savoir quel impact le projet de loi aura sur nos membres, il faut voir qu'il incidence il aura sur les réseaux ferroviaire et portuaire, l'ensemble de l'infrastructure dont dépend notre industrie pour acheminer ses produits.

Le sénateur Bosa: Pouvez-vous me donner un pourcentage?

Mme Jacob: Je peux vous fournir ce chiffre plus tard aujourd'hui.

Le sénateur Bosa: Est-ce que certains de vos membres font partie des associations de débardeurs et d'expéditeurs, qui regroupent la British Columbia Maritime Employees Association, ou de n'importe quelle autre association d'employés dans les ports autres que ceux de la côte ouest?

M. Downing: L'Association charbonnière regroupe les exploitants de terminaux de la côte ouest.

Le sénateur Bosa: Uniquement de la côte ouest?

M. Downing: Oui. La seule compagnie minière assujettie à la loi fédérale relèverait de la Société de développement du Cap-Breton.

Le sénateur Bosa: Le groupe de travail a constaté que les organisations patronales-syndicales dont les membres sont assujettis au Code canadien du travail ne sont aucunement en faveur de l'arbitrage exécutoire. En fait, les organisations aussi bien patronales que syndicales ont indiqué que les solutions imposées par des tiers étaient insatisfaisantes. Seriez-vous en faveur de l'arbitrage exécutoire?

Mme Jacob: C'est difficile à dire.

M. Downing: L'industrie du charbon n'a pas voulu se prononcer là-dessus. Nous préférerions laisser aux employeurs le soin de trancher cette question.

La présidente: Les représentants d'une des compagnies minières ont dit que l'arbitrage des offres finales constituait une solution de dernier recours. Ils préféreraient se prévaloir de cette formule si c'était l'unique option qui s'offrait à eux. Qu'en pensez-vous?

M. Downing: Je n'ai aucun commentaire à faire là-dessus.

Mme Jacob: Moi non plus.

M. Cunningham: Comme je suis spécialisé dans le domaine des relations industrielles, je peux vous dire qu'il y a plusieurs façons de régler les conflits ouvriers, que ce soit par le biais de l'arbitrage exécutoire, la médiation ou l'arbitrage des offres finales. Il semble y avoir de plus en plus de mécanismes de règlement des différends, que ce soit l'arbitrage des offres finales ou la négociation multipartite, où les parties ne font que discuter jusqu'à ce qu'elles parviennent à trouver des solutions acceptables.

Je reviens à ce que j'ai dit plus tôt. Plus nous obligeons les parties à assumer la responsabilité de leurs actes lorsqu'elles acceptent ou rejettent les offres et règlent leurs propres problèmes, plus nous serons mieux à long terme. Si une tierce partie impose une solution, alors aucune des deux parties n'acceptera la responsabilité et ne sera satisfaite du résultat.

La présidente: J'ai lu une partie du rapport du groupe de travail Sims. Plusieurs observateurs m'ont indiqué que si le gouvernement avait donné suite aux recommandations du rapport Sims concernant les travailleurs de remplacement, ils auraient jugé cela acceptable. En fait, la recommandation précise d'abord que le recours aux travailleurs de remplacement ne devrait pas faire l'objet d'une interdiction générale. Il est question ensuite des constatations du conseil, et cetera. Si cette phrase avait été ajoutée, est-ce que le public aurait trouvé cela plus acceptable?

M. Cunningham: Nous aurions encore des préoccupations à ce sujet, mais nous aurions préféré cette formule au libellé actuel.

Le sénateur Cools: J'ai l'impression que vous avez écourté votre exposé parce que vous pensiez manquer de temps. Vous avez dit que vous avez choisi de mettre l'accent sur vos deux principales préoccupations. Pourriez-vous nous dire quelles sont les autres préoccupations que vous avez au sujet du projet de loi.

Mme Jacob: Il y en a deux qui me viennent à l'esprit immédiatement. Il y a d'abord le fait que les syndicats vont avoir accès aux noms et adresses des travailleurs à distance et qu'ils vont pouvoir communiquer avec eux à des fins de recrutement. C'est une des questions qui nous préoccupe.

Le sénateur Cools: Pourquoi?

Mme Jacob: Je ne crois pas qu'on devrait donner aux syndicats le pouvoir de communiquer avec les travailleurs à distance, à moins d'inclure des conditions très précises dans la disposition. Je n'ai pas consacré beaucoup de temps à cette question, alors excusez-moi si je ne peux pas trop entrer dans les détails. J'ai trouvé inquiétant qu'on donne ce droit aux syndicats quand j'ai lu le projet de loi.

Le sénateur Cools: Est-ce qu'il y a d'autres associations qui bénéficient d'un tel droit?

Mme Jacob: Pas à ma connaissance. Je sais que c'est un point que les syndicats abordent souvent, mais je ne crois pas que ce droit ait déjà été accordé.

Le sénateur Cools: Autrement dit, un organisme de bienfaisance qui voudrait recueillir de l'argent pour enrayer une maladie terrible pourrait s'adresser à un tribunal et demander d'avoir accès aux noms et adresses des gens?

Mme Jacob: Je ne suis pas sûre, mais je ne le crois pas. Je crois qu'il faudrait obtenir le consentement de la personne dont on sollicite l'adresse.

Le sénateur Cools: Alors vous dites qu'il s'agit d'un geste sans précédent et unique? C'est ce que vous dites. Je veux tout simplement m'assurer que j'ai bien compris.

Quel était la deuxième préoccupation?

Mme Jacob: Les syndicats ne seront plus obligés de fournir des renseignements sur leur situation financière, ainsi de suite. Statistique Canada avait l'habitude de recueillir des renseignements sur les syndicats, ou les syndicats avaient l'habitude de fournir des renseignements sur leurs cotisations, leurs membres et leur situation financière. Ils ne seront plus obligés de fournir ces renseignements en vertu du projet de loi, ce qui leur permettra, à notre avis, de se montrer plus discrets au sujet de leurs activités.

Le sénateur Cools: Vous pourriez peut-être nous dire quelles sont les dispositions qui vous inquiètent.

La présidente: L'article 54.

Le sénateur Cools: Vous dites que cela encouragerait les syndicats à se montrer plus discrets au sujet de leurs activités?

Mme Jacob: Non pas encourager, mais il serait beaucoup plus difficile pour les employeurs et les associations comme la nôtre d'avoir accès à ces renseignements.

Le sénateur Cools: Le paragraphe 42(2.1) dispose que:

Il est interdit à tout employeur ou quiconque agit pour son compte d'utiliser, dans le but de miner à la capacité de représentation d'un syndicat, les services de toute personne qui n'était pas un employé de l'unité de négociation [...]

La présidente: Cet article porte sur les travailleurs de remplacement.

Le sénateur Cools: Je sais. Je me demandais si quelqu'un pouvait me dire ce qu'on entend par «miner la capacité de représentation d'un syndicat». Il y a bien des façons de miner la capacité de représentation d'un syndicat. Que signifie cette expression?

M. Cunningham: Cette expression est extrêmement vague, d'où notre inquiétude qu'elle pourrait être interprétée de bien des façons.

Le sénateur Cools: Madame la présidente, est-ce que les documents d'étude qui ont été soumis au comité font état de décisions ou d'opinions sur la façon dont cette expression pourrait être interprétée?

La présidente: Non, mais nous pourrions demander qu'on en prépare.

Le sénateur Cogger: Je ne sais pas si cela peut vous aider, mais je tiens à signaler à le sénateur Cools que le Congrès du travail du Canada, en réponse à une question similaire, a indiqué qu'il ne savait pas ce que cette expression voulait dire.

Le sénateur Cools: Il y a peut-être des décisions qui ont été rendues à ce sujet et qui pourraient nous aider à comprendre le sens de cette expression. Je la trouve plutôt bizarre.

La présidente: On m'a dit qu'il s'agissait d'une «expression nouvelle», alors il est peut-être important qu'on sache ce qu'elle veut dire.

Le sénateur Cools: Je serais curieuse de le savoir.

La présidente: Je voudrais remercier les témoins d'être venus nous rencontrer ce matin pour nous exposer les préoccupations de l'industrie minière.

Honorables sénateurs, j'aimerais maintenant accueillir MM. Chipeur et Wakeling, qui sont associés au cabinet Milner Fenerty.

Vous avez la parole.

M. Gerald D. Chipeur, associé, Milner Fenerty, avocats: Madame la présidente, nous sommes heureux d'avoir l'occasion de comparaître devant le comité aujourd'hui et d'aborder avec lui plusieurs questions qui intéressent Echo Bay Mines Ltd., une société minière internationale dont le siège social est situé à Edmonton, et Kennecott Canada Ltd., une société minière qui a de nombreux intérêts au Canada.

Nos clients ont plusieurs préoccupations, mais nous aimerions aborder ce matin trois questions en particulier, qui portent à la fois sur les droits individuels des employés de nos clients et la Constitution du Canada.

Plusieurs témoins au cours des derniers jours ont analysé le projet de loi d'un point de vue législatif ou administratif. Ils ont parlé de la common law, de l'interprétation de la loi et de la question de savoir si cette politique constituait une mesure rationnelle. Nous ne sommes pas ici aujourd'hui pour parler de politique ou de common law, mais pour vous parler de trois grandes questions constitutionnelles sur lesquelles devrait se pencher le comité.

J'aimerais vous renvoyer une décision qui a été rendue en 1960 par la Chambre des lords dans l'affaire Belfast Corporation v. O.D. Cars Ltd. Dans ce jugement, Lord Radcliffe a insisté sur le fait que le Sénat, la Chambre des communes et les tribunaux ont le devoir de protéger les droits des particuliers et, notamment, leurs droits de propriété. Il s'agit là d'un point important parce que ce projet de loi pourrait avoir un impact sur les droits de propriété des particuliers, nos employés, qui ont conclu des contrats de travail avec nos clients. Les tribunaux ont assimilé ces contrats à des droits de propriété, et c'est de ces droits dont nous allons vous parler aujourd'hui.

Nous estimons que c'est en accordant aux particuliers le plus de liberté économique possible que nous pouvons garantir leur liberté individuelle. Lord Radcliffe a indiqué, dans l'arrêt Belfast, que la protection des droits de propriété sert à garantir la liberté individuelle. Il a déclaré, en partie:

On aurait tort de considérer que ce principe oppose l'Assemblée législative et les tribunaux, puisqu'il est reconnu, de manière générale, par les deux instances.

C'est pour cette raison que nous aimerions examiner ces questions avec vous ce matin. J'en aborderai deux brièvement. Je laisserai ensuite la parole à mon associé, Tom Wakeling, qui va vous parler de la principale préoccupation que soulève ce projet de loi relativement à la Constitution.

Les deux premières questions visent l'article 7 de la Charte des droits et libertés, c'est-à-dire le droit à la sécurité de sa personne. Nous estimons que les atteintes à la vie privée que permet ce projet de loi, notamment par le biais de l'article 109.1, sont telles que, si un conseil ordonnait la divulgation des noms et adresses de particuliers, sans leur consentement, à un tiers, cela équivaudrait à une ingérence directe de la part du gouvernement dans la vie privée des particuliers. Cela poserait un problème en vertu de l'article 7 de la Charte, parce que la sécurité des particuliers serait compromise. Leur droit au respect de la vie privée, qui est visé par l'article 7 de la Charte, pourrait être violé.

Notre deuxième préoccupation porte sur l'interprétation générale de l'article. La Cour suprême du Canada a bien fait ressortir que si la loi est ambiguë en ce qui a trait aux droits individuels, surtout aux termes de l'article 7, cette loi sera abrogée.

Si l'on adopte ce projet de loi sans corriger l'ambiguïté qu'il comporte en ce qui a trait aux travailleurs de remplacement et si des travailleurs de remplacement sont embauchés dans un cas particulier, il se peut que l'employeur ne sache pas qu'il contrevient à la loi. Si c'est le cas, il est assujetti aux peines qui y sont prévues. Il se peut que l'article 7 entre en jeu.

Je vais maintenant demander à mon associé, M. Wakeling, de traiter du troisième point, à savoir la question du principe démocratique du vote de la majorité.

M. Thomas Wakeling, associé, Milner Fenerty, avocats: Madame la présidente, j'espère que le greffier a remis à chaque sénateur notre mémoire intitulé «Submission of Echo Bay Mines Ltd. and Kennecott Canada Inc.»

La thèse que nous défendons dans ce document, c'est qu'une disposition du Code canadien du travail qui autorise le Conseil canadien des relations de travail, tel qu'on le connaît à l'heure actuelle, à reconnaître un syndicat sans procéder à un scrutin de représentation secret, contrevient aux valeurs fondamentales inscrites dans la Charte canadienne des droits et libertés. Ni la loi actuelle ni le projet de loi C-66 n'oblige le Conseil canadien des relations de travail, avant d'accorder une demande d'accréditation, à s'assurer qu'une majorité d'employés de l'unité de négociation a pu participer à un scrutin de représentation secret pour choisir un syndicat comme agent de négociation.

La Charte entre en jeu parce que le code oblige les travailleurs, qui ne sont pas syndiqués ou qui ne veulent pas qu'un syndicat négocie en leur nom, à s'associer malgré eux à un syndicat accrédité. On parle ici d'une association forcée parce qu'un syndicat accrédité représente tous les employés dans une unité de négociation et non seulement ceux qui lui ont demandé de négocier en leur nom.

Une association forcée contrevient aux dispositions constitutionnelles inscrites au paragraphe 2d) de la Constitution, qui dispose que chacun a la liberté d'association.

La thèse que nous défendons dans ce document c'est que le Code canadien du travail, pour satisfaire aux dispositions de la Charte, doit contenir une disposition exigeant du conseil de tenir un scrutin de représentation secret avant d'accorder l'accréditation à un syndicat.

Le groupe de travail dirigé par Andrew Sims s'est demandé s'il est sage d'entériner un vote de représentation secret et déclare à la page 68 du rapport:

Jusqu'à maintenant, le système de cartes de membres s'est révélé un moyen efficace pour vérifier la volonté des employés à l'égard de l'accréditation, et nous ne sommes pas persuadés que les employeurs jugent discutable ou peu convaincante cette façon de procéder. D'une part, ce système suppose l'adhésion de la majorité des travailleurs visés et non seulement de ceux qui votent. D'autre part, il réduit le risque d'une intervention malvenue de l'employeur auprès des employés qui ont à faire un choix. En outre, il serait difficile d'établir un mode de scrutin unique applicable à l'ensemble des secteurs de compétence fédérale, même si une collaboration était possible dans ce domaine avec les conseils provinciaux, dont bon nombre ont déjà mis en place les mécanismes nécessaires.

Permettez-moi de prendre quelques instants pour vous expliquer le processus d'accréditation que prévoit à l'heure actuelle le Code canadien du travail. Le conseil est tenu de tenir un scrutin de représentation secret «dans le cas où l'unité n'est représentée par aucun syndicat et où le conseil est convaincu que de 35 p. 100 à 50 p. 100 inclusivement des employés de l'unité adhèrent au syndicat qui sollicite l'accréditation.» Dans les cas où un syndicat, pour étayer sa demande d'accréditation, a démontré que l'appui pour le syndicat se situe entre 35 p. 100 et 50 p. 100, le Conseil canadien des relations de travail ordonnera la tenue d'un scrutin.

Le code dispose que le conseil doit déterminer le résultat d'un scrutin de représentation d'après le vote de la majorité des employés qui y ont participé. S'il a ordonné la tenue d'un scrutin aux termes du paragraphe 29(2), il dépouillerait le scrutin et en déterminerait le résultat d'après le vote de la majorité.

Le Conseil canadien des relations de travail peut aussi tenir un scrutin de représentation si un syndicat démontre qu'il a l'appui de plus de 50 p. 100 des travailleurs. Cependant, je peux vous dire que cette compétence est rarement exercée par le conseil. Je crois comprendre qu'environ 12 p. 100 des demandes d'accréditation sont tranchées par le Conseil canadien des relations de travail au moyen du scrutin de représentation secret.

Nous estimons que la Constitution ne confère pas au Conseil canadien des relations de travail le mandat d'accréditer un syndicat à moins que ce dernier n'obtienne l'appui d'une majorité des employés qui ont participé à un scrutin de représentation secret.

Qu'en est-il de la loi dans le reste du pays? L'Alberta, le Manitoba, l'Ontario, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve exigent de la part des conseils qui administrent la loi dans ces compétences qu'ils tiennent un scrutin secret. À Terre-Neuve, la loi permet de surseoir à un scrutin si l'employeur et le syndicat conviennent qu'il est inutile.

De 1984 à 1992 inclusivement, la loi de la Colombie-Britannique obligeait la tenue d'un scrutin secret.

Les travailleurs au Manitoba ont récemment obtenu le droit de voter pour décider s'ils désirent être représentés par un syndicat. En 1996, le ministre du Travail s'est levé à l'Assemblée législative du Manitoba pour parler de certaines des modifications qui étaient apportées. Vous trouverez ce passage à la page 3 de notre mémoire. Le ministre s'est exprimé en ces termes:

Je propose six modifications importantes à la loi. La première porte sur les scrutins ayant trait à l'accréditation d'un nouveau syndicat [...] Dans tout cas où une demande d'accréditation est approuvée par 40 p. 100 des employés, un scrutin secret supervisé par le gouvernement sera tenu sous les auspices de la Commission du travail du Manitoba et le vote doit se tenir rapidement. Du point de vue du syndicat, ce nouveau régime permettra à tous les syndicats nouvellement accrédités d'être considérés comme entièrement légitimes. Du point de vue des employés, du syndicat et de la direction, la rapidité du processus réduira au minimum les arrêts de travail et l'incertitude. Le point de référence fondamental ici est évident. En cas de doute, les syndiqués devraient décider d'une façon juste et franche. C'est le fondement de la démocratie. Il est universellement accepté et reflète les valeurs que partagent les Manitobains. Personne ne devrait s'opposer à cette modification étant donné que ce point de référence fondamental est nettement démocratique et équitable.

La modification dont parlait le ministre a été adoptée en novembre 1996 et est entrée en vigueur le 1er février 1997.

Lorsque l'Ontario s'est penché sur cette question, ceux qui se sont prononcés en sa faveur se sont fait l'écho du ministre du Travail du Manitoba lorsqu'il a présenté ce projet de loi. Le ministre du Travail de l'Ontario a signalé que l'introduction d'un scrutin secret obligatoire conférait maintenant à chacun le droit démocratique de décider s'il veut être représenté par un syndicat.

Cette modification a suscité beaucoup d'enthousiasme à l'Assemblée législative de l'Ontario. Laissez-moi vous lire ce qu'un des députés, M. Arnott, a dit à l'Assemblée législative:

Le scrutin secret est peut-être l'aspect le plus important et le plus fondamental de notre système politique démocratique. En effet, il permet aux électeurs, qu'il s'agisse d'élections municipales, provinciales ou fédérales, d'élire leurs gouvernements dans le secret et sans pression indue.

Ce droit démocratique légitime sera maintenant inscrit dans le droit du travail par l'entremise du projet de loi 7 et s'applique aux employés dans leurs lieux de travail. Ils peuvent ainsi prendre des décisions importantes lorsqu'il s'agit de joindre les rangs d'un syndicat, d'approuver un contrat ou de faire la grève. Comme ils n'ont pas à craindre des mesures de pression ou des manoeuvres d'intimidation de la part du syndicat ou de la direction, c'est le vote de la majorité qui prévaudra.

La Nouvelle-Écosse a introduit en 1977 les scrutins secrets obligatoires. Le ministre du Travail a alors posé la question suivante: «[...] qui peut s'inscrire en faux contre la démocratie?»

En Alberta, notre province, le conseil des relations du travail a procédé à environ un millier de scrutins secrets de représentation depuis la fin des années 80. Il vous intéressera peut-être d'examiner un tableau qui indique les résultats de l'expérience de l'Alberta concernant les scrutins secrets et obligatoires de représentation. Ce tableau figure à la page 5 de notre mémoire.

Dans la colonne de gauche, vous voyez l'année d'établissement du rapport qui prend fin, je crois, le 31 mars de chaque année. La colonne suivante indique le nombre d'élections remportées par les syndicats, puis le pourcentage d'élections remportées par les syndicats, suivi de la participation moyenne au scrutin en pourcentage. Examinons les données sur plusieurs années afin qu'il n'y ait aucun malentendu quant à ce que ce document nous indique.

La première année, il y a eu 54 élections. Les syndicats en ont remporté 44, ce qui représente un pourcentage de 81 p. cent et la participation moyenne était de 82 p. 100. En 1994-1995, 94 élections ont eu lieu et les syndicats en ont remporté 57. Le pourcentage d'élections remportées par les syndicats était de 61 p. 100 et la participation moyenne était de 86 p. 100. Pour ceux qui s'intéressent à l'expérience albertaine, c'est une indication de ce qui se produit lorsqu'on a recours à un scrutin secret de représentation.

Ceux qui étudient le droit du travail au Canada savent que la tradition canadienne tire ses origines de la législation américaine. En 1935, le Congrès a adopté la National Labour Relations Act, mieux connu sous le nom de Wagner Act, en vertu de laquelle il autorisait le National Labour Relations Board à régler les controverses en matière de représentation par un scrutin secret. En 1939, les Américains avaient conclu que le scrutin secret était la méthode la plus satisfaisante de déterminer l'appui de la main-d'oeuvre envers la représentation syndicale.

Pour vous donner une idée de la vaste expérience de ce processus que possèdent nos voisins du Sud, nous avons inscrit au bas de la page 6 et au haut de la page 7 les données disponibles des États-Unis. Examinons la dernière inscription du tableau à la page 7, pour l'année 1995 -- et il s'agit de données préliminaires que nous avons obtenues de Washington. Il y a eu 2 911 élections; les syndicats en ont remporté 1 468; le pourcentage d'élections remportées par les syndicats était de 50,4 p. 100; le nombre d'employés ayant le droit de voter au cours de cette période était de 192 000. Cela vous situe le contexte de l'argument constitutionnel que nous présentons.

Pourquoi est-il nécessaire, sur le plan constitutionnel, d'apporter les modifications au Code canadien du travail, qui s'imposent, selon nous? Cet argument s'inspire de l'adoption de principes démocratiques fondamentaux. Nous considérons qu'il est approprié d'insister auprès du Parlement pour qu'il introduise le scrutin secret dans le cadre du processus d'accréditation parce que le lieu de travail est, comme le juge Wilson l'a fait remarquer dans l'affaire Lavigne, une mini-démocratie. Nous tenons à souligner que l'analogie employée par le juge Wilson a été adoptée par la Fédération du travail de l'Ontario dans un mémoire qu'elle a présenté en 1969 à une commission royale d'enquête chargée d'examiner les conflits du travail dans la province de l'Ontario. La fédération a déclaré en 1969:

Les syndicats ont introduit le gouvernement constitutionnel dans l'industrie. La convention collective est une constitution industrielle et tous les travailleurs profitent du droit de cité qu'elle leur confère. Sans syndicat et sans convention collective, l'industrie serait une dictature de l'employeur.

La loi fédérale américaine importe les principes démocratiques. La Wagner Act utilise la règle de la majorité. Elle épouse la doctrine du scrutin secret. Le principe de la règle de la majorité est profondément ancré dans le subconscient américain.

Presque au bas de la page huit de notre mémoire se trouve un extrait d'un témoignage du secrétaire américain du Travail de l'époque, lorsqu'il a comparu devant un comité sénatorial américain de l'éducation et du travail en 1935. Il avait déclaré:

Il y a donc eu un cas où l'employeur soutenait que ses employés ne voulaient pas être représentés par le syndicat qui prétendait les représenter. Un membre du conseil a alors proposé tout simplement de procéder à un scrutin pour déterminer si les employés voulaient ou non être représentés par le syndicat en question. On a procédé au scrutin et à l'époque personne n'a soulevé la question de savoir si la règle de la majorité s'appliquait ou non. On partait tout naturellement du principe que lors d'élections en Amérique, l'idée que la majorité l'emporte est tellement ancrée dans les esprits que la question ne se posait même pas.

La présidente: Je dois vous interrompre. Comme le temps presse -- et je sais que vous avez d'autres arguments à présenter -- vous pourriez peut-être condenser un peu votre présentation.

M. Wakeling: Bien sûr.

Le sénateur Cools: Comme ce groupe a fait beaucoup de travail, je pourrais peut-être proposer que leurs documents soient versés au compte rendu comme déjà lus.

La présidente: Nous voulons en savoir plus sur d'autres questions qui, à votre avis, font intervenir la Charte. Nous aurons ensuite du temps pour des questions.

M. Wakeling: Je tiens évidemment à m'assurer que nos autres arguments seront entendus.

Si vous avez lu notre mémoire, vous pourrez constater que les tribunaux ont reconnu que la Charte protège non seulement la liberté d'association mais également la liberté de non-association, qui peut revêtir autant d'importance que la liberté d'association. Des problèmes peuvent surgir à cet égard car dans le milieu de travail, le syndicat, une fois accrédité, parle au nom de tous les travailleurs et non pas uniquement au nom de ses membres.

Il est important de souligner, lorsqu'on examine cette question, que la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies prévoit que nul ne peut être obligé d'appartenir à une association.

Il y a donc un principe fondamental en jeu ici. On ne peut pas accréditer un syndicat conformément aux principes énoncés par la Charte à moins qu'on tienne un scrutin secret de représentation. Il existe une disposition dans le projet de loi C-66 qui ne traite pas de cette question comme nous l'aurions voulu, en ce sens qu'elle ne cherche pas à remanier les procédures d'accréditation prévues par le code. L'article 46 du projet de loi est la disposition qui selon nous contrevient directement aux principes constitutionnels que nous venons d'exposer.

L'article 46 prévoit:

99.1 Le Conseil est autorisé à accorder l'accréditation même sans preuve de l'appui de la majorité des employés de l'unité si l'employeur a contrevenu à l'article 94 [...]

Il s'agit d'une disposition relative aux pratiques déloyales de travail.

[...] dans des circonstances telles que le Conseil est d'avis que, n'eut été la pratique déloyale ayant donné lieu à la contravention, le syndicat aurait vraisemblablement obtenu l'appui de la majorité des employés de l'unité.

Nous considérons que cette disposition n'est pas conforme à la Constitution.

Une décision rendue par la Commission des relations de travail de l'Ontario au début de 1997 indique comment cette disposition fonctionnerait dans la pratique. Selon cette décision, la commission a accrédité un syndicat comme agent de négociation pour les travailleurs d'un magasin Wal-Mart à Windsor, même si par suite d'un scrutin secret de représentation, 151 employés ont voté contre la représentation syndicale et 43 ont voté pour. Si l'article 46 n'est pas retiré du projet de loi C-66, ce qui s'est produit à Wal-Mart pourrait se produire au niveau fédéral.

Nous considérons qu'il existe des recours beaucoup plus efficaces en cas de conduite illégale de la part de l'employeur que le fait de déterminer qu'un groupe de travailleurs sera représenté par un syndicat.

Le sénateur Cools: Êtes-vous en train de proposer que nous supprimions ou que nous rejetions cet article du projet de loi?

M. Wakeling: Je vous demande de supprimer l'article 46 du projet de loi parce qu'il est anticonstitutionnel. Je presse également le comité d'envisager de réviser les dispositions du Code canadien du travail pour exiger que le Conseil canadien des relations de travail s'assure, dans le cadre d'un scrutin secret de représentation, qu'une majorité s'est prononcée en faveur du syndicat.

Le sénateur Cools: Avez-vous une idée précise de la partie du projet de loi où devrait figurer cet amendement et pouvez-vous en proposer un libellé?

M. Wakeling: Nous en avons préparé une ébauche, mais je ne l'ai pas avec moi aujourd'hui. C'est un amendement qui concerne plus d'une disposition, comme vous pouvez l'imaginer. C'est une partie essentielle du code, qui renferme de nombreuses dispositions qui traitent de l'accréditation. Si on devait apporter le changement que nous proposons, un certain nombre d'amendements corrélatifs devraient suivre. Nous en avons préparé une ébauche et je me ferai un plaisir de vous la remettre. Je ne l'ai malheureusement pas avec moi aujourd'hui.

Le sénateur Bosa: Est-ce que vous nous l'enverrez?

M. Wakeling: Avec plaisir, sénateur Bosa.

Le sénateur Beaudoin: J'ai simplement une question. Je suis votre raisonnement du début à la fin.

M. Wakeling: Venant d'un expert constitutionnel de votre calibre, c'est un commentaire que je suis ravi d'entendre, sénateur.

Le sénateur Beaudoin: Je n'ai aucune objection à la tenue d'un scrutin secret; bien au contraire. Même si cela n'est pas expressément énoncé dans la Constitution, je pense que cela est protégé par les conventions de la Constitution et par les lois. Vous concluez que la liberté d'association inclut implicitement le droit à un scrutin secret. Vous dites que conformément aux articles 2 et 7, le droit à un scrutin secret fait partie de la liberté d'association. Est-ce bien votre raisonnement?

M. Wakeling: C'est exact. Si la liberté de non-association existe, nous considérons qu'en créant un régime législatif qui met un travailleur dans cette situation, il faut opter pour la méthode qui empiète le moins sur les droits individuels du travailleur. Nous reconnaissons qu'en cas de scrutin secret, il est concevable -- et c'est d'ailleurs ce qui se produit la plupart du temps -- que le vote sera en faveur de la représentation syndicale. Les données que nous avons produites indiquent qu'en Amérique, plus de 50 p. 100 des votes sont remportés par les syndicats. En Alberta, le chiffre est beaucoup plus élevé et en Nouvelle-Écosse, je crois comprendre qu'il s'élève autour de 70 p. 100.

Cependant, si vous forcez une minorité de travailleurs à se joindre à une association qu'ils n'approuvent pas, le moyen de justifier une telle mesure, qui empiète le moins possible sur leurs droits, consiste à donner à chacun son mot à dire et que la majorité l'emporte. C'est le principe fondamental suivi dans toutes les autres sphères de notre société lorsqu'il faut se prononcer sur d'importantes questions démocratiques.

En fonction de l'idée d'association forcée que la Charte reconnaît, nous considérons que pour déterminer un agent de négociation, nous devons utiliser la méthode qui portera atteinte le moins possible aux droits des travailleurs individuels. Le mécanisme que nous avons développé en Amérique du Nord et au Royaume-Uni est le scrutin secret, qui est un principe démocratique qui va de pair avec la règle de la majorité.

Le sénateur Beaudoin: Je comprends votre point de vue selon lequel la liberté d'association devrait comprendre implicitement le droit à un scrutin secret. Je n'y ai aucune objection.

M. Chipeur: Je pense qu'il faut examiner l'article 1 de la Loi constitutionnelle également. L'alinéa 2a) garantit la liberté de non-association. Pour supprimer cette liberté, ce qui se produit lors de l'accréditation d'un agent de négociation, il faut justifier cette mesure en invoquant l'article 1. C'est là où le droit de vote intervient. La tenue d'un vote permet aux employés d'exercer leurs droits démocratiques et justifie cette mesure en vertu de l'article 1, «dans le cadre d'une société libre et démocratique.» Par conséquent, il faut lire les articles 1 et 2 ensemble.

Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord avec cette thèse. Ma seule objection, c'est que lorsque l'on a demandé à la Cour suprême de se prononcer sur la liberté d'association, elle est arrivée à la conclusion que la «liberté d'association» ne comprenait pas nécessairement le droit de vote.

M. Wakeling: C'est exact.

Le sénateur Beaudoin: Vous dites qu'étant donné que la liberté d'association est prévue par la Charte, cela signifie implicitement que le droit au scrutin secret est protégé. J'espère que vous avez raison. Je suis tout à fait d'accord avec vous mais jusqu'à présent la Cour suprême ne s'est pas prononcée à cet égard.

M. Wakeling: Il n'existe aucun jugement de la Cour suprême sur cette question.

Le sénateur Cools: Je suis toujours fascinée de constater comment des droits et des principes aussi simples et fondamentaux deviennent si compliqués avec l'introduction de la Charte.

Chaque société a une assemblée annuelle pour élire son conseil d'administration. Le principe de la représentation par scrutin est si fermement établi, du moins, c'est ce que je croyais, en common law et en droit que je suis étonnée qu'il faille développer toute cette série d'arguments pour justifier ce qui me paraît l'évidence même.

Je suis une libérale, comme vous le savez. Le Parti libéral avait un premier ministre qui était un expert en matière de relations industrielles. Son nom était William Lyon Mackenzie King. Il a écrit l'un des ouvrages qui ont fait autorité en matière de relations industrielles à l'époque, intitulé Industry and Humanity. Je pense qu'il l'avait écrit dans le cadre d'un projet de recherche pour l'un des instituts Rockefeller. Mackenzie King était à l'avant-garde des relations industrielles. Par conséquent, certains de ces principes ont été formulés il y a longtemps. J'aurais cru qu'il allait de soi que l'accréditation d'un syndicat reposait sur le principe selon lequel le syndicat avait l'appui de ses membres.

Le sénateur Maheu: Vous avez indiqué que cinq provinces s'occupent de questions d'accréditation en employant une méthode analogue à celle prévue dans le Code canadien du travail. Est-ce exact?

M. Wakeling: Cinq provinces considèrent que le principal moyen de déterminer si le syndicat a l'appui de la majorité consiste à tenir un scrutin secret. L'Alberta, le Manitoba, l'Ontario, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve ont recours au scrutin secret.

Le sénateur Maheu: Faisiez-vous allusion également au système de cartes?

M. Wakeling: Non. En vertu du Code canadien du travail, le Conseil canadien des relations de travail a la compétence d'ordonner la tenue d'un scrutin secret mais cela fonctionnerait comme suit. Si le syndicat dépose des preuves à l'appui de sa demande d'accréditation indiquant que 40 p. 100 des travailleurs sont en faveur de la représentation syndicale, le code renferme une disposition qui autorise le conseil à traiter la demande d'accréditation parce que plus de 35 p. 100 des travailleurs ont signé des cartes. Dans cette situation, le conseil serait obligé d'ordonner la tenue d'un scrutin secret de représentation. Cependant, le Conseil canadien des relations de travail n'est pas obligé d'ordonner la tenue d'un scrutin de représentation si le syndicat présente des preuves selon lesquelles plus d'une majorité des travailleurs ont signé des cartes et par conséquent appuient le syndicat.

Selon l'information dont je dispose, et qui remonte à un ou deux ans, environ 12 p. 100 des demandes d'accréditation présentées en vertu du Code canadien du travail font l'objet d'une ordonnance d'un conseil exigeant la tenue d'un scrutin secret de représentation.

Le sénateur Maheu: Le système de cartes n'a donc pas été contesté en vertu de la Charte, si ce que vous dites est exact. Pourquoi pas?

M. Wakeling: C'est exact. À ma connaissance, aucune décision n'a été rendue par les tribunaux à ce sujet. Il est arrivé que le Conseil canadien des relations de travail s'occupe de cette question sans qu'elle ait été plaidée par l'avocat qui présentait la cause. Une décision récente rendue sous forme de lettre rejetait l'argument en une phrase ou deux. Cependant, à ma connaissance, il n'existe aucune décision judiciaire portant sur cette question.

À notre avis, le système de cartes n'est pas un indicateur fiable des souhaits des travailleurs. Ce point de vue est incompatible avec celui exprimé par Andrew Sims dans son document intitulé «Seeking a Balance». Nous considérons que ce n'est pas un indice fiable et que ce n'est certainement pas un procédé démocratique.

Je vous renvoie à un passage de la page 16 de notre mémoire tiré d'une décision de 1979 rendue par le Conseil canadien des relations de travail dans Communication Workers of Canada v. Communications Union Canada. Cette cause portait sur une controverse entre deux syndicats dont chacun disait représenter les travailleurs. C'était une cause de maraudage syndical et non un cas de demande d'accréditation, où la controverse faisait rage entre les employés qui voulaient être représentés par un syndicat et les employés qui refusaient d'être représentés par un syndicat. Le Conseil canadien des relations de travail a déclaré:

Notre règle concernant la tenue d'un scrutin, même lorsqu'un syndicat détient une majorité au moment où il dépose sa demande, tient compte du fait que les employés sont tiraillés entre plusieurs syndicats et font l'objet d'énormes pressions. Dans de telles circonstances, nous avons souvent constaté que différents syndicats affichent un appui de la majorité des mêmes employés. L'expérience nous a appris que dans les cas de maraudage syndical, la tenue d'un scrutin doit être ordonnée pour que les employés puissent choisir librement, dans l'intimité de l'isoloir, le syndicat dont ils veulent comme représentant.

Il s'agissait d'un différend dans le cadre d'une rivalité entre syndicats, le syndicat A contre le syndicat B, qui se battaient tous les deux pour obtenir l'adhésion des travailleurs qu'ils voulaient représenter. Nous considérons que le même problème se pose lorsqu'un syndicat cherche à obtenir l'appui des travailleurs et que certains travailleurs n'appuient pas le syndicat.

Nous avons cité une autre cause à la page 16 de notre mémoire dans laquelle on fait remarquer qu'il n'est pas rare pour les employés de signer des cartes d'adhésion à deux syndicats. Il se produit sûrement des cas où des employés signent des cartes syndicales et le lendemain signent une pétition déclarant qu'ils ne veulent pas de syndicat.

Je soulève ces cas pour vous signaler les problèmes que comporte le système de cartes. À notre avis, il est nettement préférable de procéder par scrutin secret, qui est un système conforme à nos principes démocratiques fondamentaux.

Si les politiciens pouvaient faire du porte à porte et demander aux électeurs de signer des cartes d'appui, je soupçonne que dans un bon nombre de circonscriptions au pays, il y aurait plus d'un candidat qui se présenterait chez le directeur général des élections en déclarant: «J'ai l'appui d'une majorité d'électeurs. Veuillez me déclarer élu». Je soupçonne qu'il pourrait bien y avoir trois candidats dans certaines circonscriptions qui agiraient ainsi.

Le sénateur Cools: Tout d'abord, je tiens à vous remercier pour ce que je considère comme une présentation extrêmement exhaustive et bien documentée. Vous avez signalé entre autres les lacunes du système de cartes, qui est toutefois préférable à ce que propose le projet de loi. Le système de cartes qui, selon des indications claires que vous nous avez données, comporte des lacunes et laisse à désirer, est supérieur à ce qui est proposé dans le projet de loi.

C'est extraordinaire: le conseil peut accréditer un syndicat même en l'absence de preuves d'un appui de la majorité.

La présidente: Notre temps est écoulé. Je vous remercie de votre présentation.

M. Chipeur: Madame la présidente, nous savions que nous n'aurions pas beaucoup de temps. Nous laisserons deux documents au comité pour information. L'un s'intitule «Canadians and Unions: A National Survey of Current Attitudes», par M. Reginald Bibby, qui se fonde sur un sondage Angus Reid. Nous vous laissons également le rapport annuel de Echo Bay Mines, ainsi qu'une lettre qui vous est adressée par la Chambre de commerce.

La présidente de la Chambre de commerce de l'Alberta, qui n'était pas au courant de la tenue de ces audiences, m'a demandé d'indiquer au comité que si vous avez le temps d'entendre des représentants de la Chambre de commerce de l'Alberta, elle se fera un plaisir de comparaître devant vous. L'organisation communiquera directement avec vous.

La présidente: Nous poursuivons avec M. Bruce Phillips, Commissaire à la protection de la vie privée du Canada.

M. Bruce Phillips, Commissaire à la protection de la vie privée du Canada: Je suis accompagné de l'avocat-général du Commissariat à la protection de la vie privée, Holly Harris.

J'ai reçu un appel à la fin de la semaine dernière d'un membre du comité qui me demandait si le Commissariat avait des observations à faire à propos de l'article 50 du projet de loi, devant remplacer l'article 109 du Code du travail. Je dois avouer que je n'avais pas examiné cette partie du projet de loi. Nous avions toutefois d'autres réserves au sujet du projet de loi C-66, que j'avais communiquées à d'autres parties et j'estimais que la réponse que nous avions obtenue était finale.

J'aborderai d'abord la question de savoir si le libellé de l'article 50 du projet de loi, qui remplace l'article 109 du Code, nous inspire des réserves. La réponse est: Oui, nous avons des réserves. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir porté cette question à notre attention.

L'article 50 du projet de loi énonce, essentiellement, que les syndicats pourront communiquer avec des travailleurs à distance par ordonnance du conseil et de la manière prescrite par le conseil. Cet article vise essentiellement à tenir compte de l'évolution du milieu du travail et du fait que le travail à la maison est désormais très fréquent. Il soulève un nouvel aspect des relations syndicales-patronales, sur le plan de la protection de la vie privée, car dans l'ensemble, les communications entre les syndicats et les employés ont lieu soit dans les locaux de l'employeur, soit dans les locaux du syndicat. Nous avons ici une situation qui présente une dimension à la fois personnelle et professionnelle puisque, dans le contexte de la protection de la vie privée, l'adresse du domicile d'une personne est un renseignement personnel. Certaines personnes risquent d'avoir de sérieuses objections à ce qu'on communique à un syndicat des renseignements personnels comme l'adresse et le lieu de leur domicile.

Le problème, selon nous, en ce qui a trait à l'article 50, c'est qu'il n'y est pas question de consentement. Sous le régime fédéral, les employés qui travaillent pour des organismes et ministères gouvernementaux, bien sûr, fournissent leurs noms et adresses à leur employeur qui ne transmet toutefois pas cette information au syndicat. Je crois que le syndicat doit en général se débrouiller pour obtenir cette information. L'article 50 créerait un régime différent pour les travailleurs à distance. En effet, s'il fallait protéger le caractère privé d'une relation d'un employé avec l'employeur, il faudrait alors obtenir le consentement de l'employé avant de transmettre des renseignements le concernant.

Comment cela devrait-il se faire ou existe-t-il quelque autre moyen pratique ou commode? Voilà peut-être un sujet qui prête à discussion. L'article lui-même reconnaît l'aspect de la vie privée puisque, deux ou trois paragraphes plus loin, il en est question.

Je remarque aussi que l'Association des banquiers canadiens, dans un mémoire qu'elle a présenté à votre comité au début de ces audiences, attire l'attention sur le même point. Je suppose que les membres du comité sont au courant du point de vue qu'elle a exprimée.

La présidente: Vous faites allusion au paragraphe 109.1(4) proposé.

M. Phillips: Oui.

Le conseil est également tenu d'assortir l'ordonnance des conditions à respecter de manière à assurer la protection de la vie privée et la sécurité des employés concernés et empêcher l'utilisation abusive des renseignements.

Voilà qui semble assez bien de prime abord. Je me contenterai de dire que je fais quelques réserves sur le pouvoir que l'on conférerait à un conseil de ce genre de décider de ce qui constitue ou non un droit à la vie privée. D'après notre expérience, les conseils ne sont pas les mieux placés pour décider de ces choses. Ils le font habituellement sans consultation. En fait, nous sommes aux prises avec le Conseil canadien des relations de travail en ce qui a trait à un autre aspect de confidentialité. Je crois qu'il vaudrait mieux définir le concept et établir des lignes directrices. À mon avis, il faudrait ordonner au conseil de consulter le Commissariat à la protection de la vie privée ou le ministère de la Justice.

C'est à peu près tout ce que j'ai à dire sur le sujet à moins qu'il y ait des questions.

Le sénateur Maheu: Je veux simplement faire une observation et vous demandez ce que vous en pensez. Il ne semble pas difficile pour les gros vendeurs au détail, les banques et d'autres établissements financiers d'obtenir les listes des noms et des adresses des clients potentiels. On a communiqué avec moi à plusieurs reprises et je n'ai jamais donné mon consentement. Serait-il raisonnable de refuser à d'autres organismes un moyen de communication de ce genre, surtout avec des employés qui ne se rendent peut-être pas compte de l'impact qu'aura l'accréditation d'un syndicat sur les lieux de travail, sans le consentement des personnes en cause.

M. Phillips: Si je vous comprends bien, compte tenu du fait que les banques et d'autres établissements commerciaux semblent accéder facilement aux renseignements personnels d'une personne, y compris les noms et les adresses, vous voulez savoir s'il est raisonnable de priver les syndicats du même accès? Je réponds à cela, n'aggravons pas le mal. Vous avez mis le doigt sur l'un des principaux problèmes qui se posent à l'heure actuelle dans notre société en ce qui a trait à la protection de la vie privée. Je veux parler de l'utilisation intense des renseignements personnels par des établissements commerciaux sans que les personnes en cause soient au courant ou y consentent. Nous devons nous attaquer à ce problème et le régler rapidement.

Laissez-moi vous dire que le gouvernement du Canada est tout à fait au courant de la situation. Le ministre de la Justice, dans une déclaration importante qui date de septembre dernier et qui n'a malheureusement pas reçu toute l'attention méritée, s'est engagé à ce que le présent gouvernement dépose un projet de loi national exhaustif sur la protection de la vie privée d'ici l'an 2000. Ainsi, le secteur commercial qui est visé par le Parlement du Canada sera assujetti à la Loi sur la protection de la vie privée. Je considère qu'il s'agit peut-être du progrès le plus important accompli en matière de protection de la vie privée depuis les 25 ou 30 dernières années. Je suppose que cette mesure législative tentera de s'attaquer au problème que vous avez soulevé.

Cependant, le fait que les banques ou d'autres établissements commerciaux font quelque chose qu'ils ne doivent pas faire, ne justifie pas, selon moi, qu'on aggrave le mal.

Le sénateur Cools: Je ne comprends peut-être pas la question de le sénateur Maheu. Elle a dit qu'à l'heure actuelle une banque peut divulguer des renseignements personnels sur ses propres clients. Je crois comprendre que ce n'est pas le cas.

Le sénateur Maheu: Elles obtiennent des listes.

Le sénateur Cools: Mais dans ce projet de loi le conseil peut rendre une ordonnance en ce qui a trait à la base de données que possède une entreprise sur ses employés. C'est différent de ce que vous demandez.

Le sénateur Maheu: Ces listes semblent être facilement accessibles à tout le monde.

Le sénateur Cools: Je sais de quelles listes vous parlez et cela m'intéresse énormément parce que je crois comprendre qu'à l'heure actuelle les banques n'ont pas le droit de divulguer de l'information au sujet de leurs clients.

M. Phillips: Vous avez en partie raison, sénateur Cools. Les banques doivent satisfaire à des exigences de confidentialité qui leur interdit de divulguer de l'information au sujet du compte des clients et certaines autres informations, mais les lois en ce qui a trait à l'information que possèdent les banques et d'autres entreprises commerciales sont loin d'être exhaustives. Les banques peuvent faire ce qu'elles veulent d'une bonne partie de l'information qu'elles tirent de leurs banques de données.

Le sénateur Cogger: Je n'ai pas tant une question à poser qu'une observation à formuler. Je vous dis, sénateur Maheu, que recevoir de la publicité-rebut ou non sollicitée, qu'elle provienne d'une banque ou de Wal-Mart, n'a absolument rien à voir avec le fait que des agents de recrutement syndicaux enthousiastes viennent frapper à votre porte après avoir obtenu votre adresse de votre employeur. Cela pourrait être légiféré, s'il vous plaît!

Je crois que le Commissaire à la protection de la vie privée a tout à fait raison. Pourquoi aggraver le mal en légiférant de manière à ce que les renseignements personnels soient remis aux syndicats?

En fait, en réponse à l'une des mes questions, des représentants de l'Association des banquiers canadiens ont déclaré qu'ils seraient très heureux d'un amendement qui leur permettrait de respecter les dispositions de l'article 50 en remettant au conseil une liste des travailleurs à distance, à la condition que celui-ci soit alors tenu d'obtenir le consentement de chaque membre dont le nom figure sur la liste avant de divulguer l'information.

Est-ce que cette disposition vous satisferait?

M. Phillips: Sénateur, je crois que oui. Le principe sous-jacent à la transmission de renseignements personnels est la transparence et le consentement des personnes en cause. Bien que je ne m'érige pas en spécialiste sur les points plus délicats en matière de relations de travail, je peux voir que ce projet de loi vise à aplanir les relations patronales-syndicales, ce qui est raisonnablement conforme aux pratiques actuelles. Cependant, je crois que les rédacteurs du projet de loi n'en ont pas vu la conséquence discriminatoire. S'il est possible d'intégrer le consentement au processus -- et vous avez suggéré un moyen de le faire -- je crois que cela réglerait le problème en ce qui a trait à la protection de la vie privée.

La présidente: Monsieur Phillips, avez-vous un autre point que vous aimeriez faire ressortir?

M. Phillips: Oui. Mon point porte sur l'article 54.

En ce qui concerne cet article, le Conseil canadien des relations de travail demande au Parlement d'adopter une disposition qui, pour l'essentiel, mettrait de côté la Loi sur la protection de la vie privée à l'égard d'une partie du travail du Conseil canadien des relations industrielles, à savoir, les documents des audiences et des tribunaux. Laissez-moi replacer la question dans son contexte.

Depuis un certain temps, le statut des notes d'audiences et de tribunaux des membres de divers conseils et organismes émanant du Parlement du Canada fait l'objet d'un conflit entre mon bureau et divers autres bureaux. Selon nous, lorsqu'une personne comparaît devant un tribunal, les notes, observations et autres dossiers la concernant sont considérés comme des renseignements personnels, conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Sous réserve des diverses exceptions prévues dans cette loi, la personne a accès à ces dossiers.

Il y a quelques années, nous avons reçu une plainte d'une personne qui s'était vu refuser l'accès aux notes découlant d'une audience du Conseil. Nous avons mené une enquête et nous sommes arrivés à la conclusion qu'elle devait avoir accès à ces notes. Notre recommandation a été rejetée, et nous nous sommes adressés à la Cour fédérale.

La Cour, dans son jugement, a donné raison au Conseil. Cette décision a été portée en appel. Il y avait d'autres facteurs dans le jugement de la cour qui nous préoccupait, outre la simple question de savoir si le plaignant pouvait avoir accès aux notes dans ce cas-ci. La cour a statué que, dans ces circonstances, les notes en question ne relevaient pas de la compétence du Commissaire à la protection de la vie privée.

Il existe une distinction entre les renseignements qui peuvent être communiqués et ceux qui ne peuvent l'être en vertu d'une exemption prévue par la loi. La Loi sur la protection des renseignements personnels dispose que le Commissaire à la vie privée doit, au cours d'une enquête, avoir accès à tous les renseignements relatifs à une plainte. Il y a très peu d'exceptions de prévues, les documents confidentiels du Cabinet étant l'une de celles-ci.

La cour a peut-être statué, dans ce cas-ci, que ces notes faisaient l'objet d'une exemption en vertu de la loi, mais nous estimons que notre bureau devrait tout de même y avoir accès. C'est pourquoi nous avons porté ce jugement en appel.

J'ai écrit au ministre du Travail pour lui faire part de notre mécontentement au sujet de l'article 54. À notre avis, aucun ministère en particulier ne devrait avoir le droit de demander d'être exempté de l'application de la Loi sur la protection des renseignements personnels. De plus, puisque le jugement a été porté en appel, il serait préférable de laisser le processus judiciaire suivre son cours avant de demander au Parlement d'approuver une telle exemption.

Je vois que le comité a reçu, ce matin, une lettre du Commissariat à l'information, signée par Daniel Brunet, avocat général du bureau, qui soulève la même objection.

Je demande au comité de ne pas approuver cet article. Vicier la Loi sur la protection des renseignements personnels d'une façon si absolue est contraire, à mon avis, à l'esprit de la loi elle-même. Je trouve ce geste prématuré, compte tenu du fait que ce jugement a été porté en appel devant les tribunaux.

Je pourrais aussi vous dire quelques mots au sujet d'une pratique qui est de plus en plus répandue au sein des ministères. Elle ne s'agit pas, à mon avis, d'une nouvelle politique de la part du gouvernement du Canada, mais plutôt d'une pratique administrative concoctée par les bureaucrates, pour leur commodité. En introduisant des dispositions de ce genre dans les projets de lois soumis à l'examen du Parlement et de ministres fort occupés sans en expliquer toutes les ramifications, ils cherchent à se donner des petites dispenses et des exemptions de lois comme la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Je tiens à rappeler au comité que le Commissariat à la protection de la vie privée relève du Parlement, et qu'il cherche à faire appliquer une loi qui vise à protéger un droit civil fondamental -- c'est-à-dire, le droit à une vie privée décente. Ce droit est consacré par la Déclaration universelle des droits de l'homme et par le Pacte relatif aux droits civils et politiques. Je n'ai pas l'intention de vous donner toute la liste des conventions internationales qui régissent ce droit, dont la Cour suprême du Canada a dit qu'il découlait de la Charte, même s'il n'est pas défini de façon précise dans celle-ci.

Permettre aux ministères de contourner une loi qui consacre un droit très fondamental, le droit à la liberté de sa personne, sans lequel notre société subirait une transformation radicale, pour, à mon avis, leur propre commodité est une pratique absolument déplorable à propos de laquelle les comités parlementaires devraient dire: «Arrêtez immédiatement. Nous ne sommes pas ici pour servir les bureaucrates, mais pour servir les intérêts de la population du Canada».

Le sénateur Cools: J'aimerais demander à M. Phillips de nous fournir des précisions sur un point. Il a parlé des mandataires du Parlement, qui comprennent le Commissaire à protection de la vie privée, le directeur général des élections, ainsi de suite. Comme il y a de nombreuses personnes dans ce pays qui ne connaissent pas le caractère unique des postes qu'occupent le directeur général des élections et le Commissaire de la protection de la vie privée, pouvez-vous prendre quelques instants pour nous parler de leurs fonctions?

M. Phillips: Avec plaisir. L'expression «mandataire du Parlement», bien qu'elle ne confère aucun privilège spécial, sauf que j'arrive parfois à trouver une oreille attentive ici, signifie que nous sommes indépendants de l'exécutif et que nous relevons directement du Parlement. Je n'ai pas d'autre maître que la Chambre des communes et le Sénat. Mon rapport annuel est présenté aux présidents de chacune des deux chambres.

Mon bureau, le Commissariat à l'information et le Commissariat aux langues officielles sont souvent appelés à mener des enquêtes sur des plaintes portées contre des ministères du gouvernement, d'où la nécessité d'établir notre indépendance par rapport à tout ministère en particulier. Les autres mandataires du Parlement sont le vérificateur général et le directeur général des élections. Il y en a cinq au total.

Le sénateur Cools: Il conviendrait de rappeler aux membres du comité que ces cinq postes sont uniques, et que leurs titulaires sont en fait les serviteurs du Parlement.

M. Phillips: De toutes nos fonctions, la plus importante, à mon avis, est celle qui consiste à conseiller le Parlement sur les questions touchant la protection de la vie privée, c'est-à-dire l'impact général, sur la vie privée, des changements qui s'opèrent dans la société en général -- comme les changements technologiques --, mais surtout des activités qui relèvent de la compétence du Parlement du Canada.

Nous avons ici un ministère qui dit que ses activités ne seront assujetties à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Je ne crois pas que les rédacteurs de cette loi, le Parlement qui l'a adoptée ou ce Parlement-ci, s'ils étaient vraiment conscients du problème, approuveraient cette façon de procéder.

Le sénateur Cools: Vous avez employé une expression que j'ai beaucoup utilisée -- et, que Dieu le bénisse, le regretté sénateur Eugene Forsey avait souvent l'habitude de parler de la commodité de l'administration. Pouvez-vous nous en dire un peu plus là-dessus?

M. Phillips: Lorsque vous ne relevez de personne, la vie est beaucoup plus simple. La Loi sur la protection des renseignements personnels a pour objet, entre autres, d'obliger les ministères à rendre compte de leurs décisions et de leur gestion des renseignements personnels.

Votre nom, sénateur, et le mien, figurent en moyenne dans 25 dossiers différents; les ministères possèdent aussi beaucoup d'autres renseignements à notre sujet. L'utilisation imprudente ou inappropriée de ces renseignements constitue une menace à la protection de la vie privée. C'est pourquoi nous avons une loi qui dispose que le gouvernement ne recueillera pas des renseignements sur votre compte sans d'abord vous informer de la nature des renseignements dont il a besoin. Il recueillera uniquement des renseignements lorsqu'il en aura besoin pour un programme. Vous aurez accès à ces renseignements et vous aurez le droit de les faire corriger s'ils comportent une erreur. Ces renseignements ne pourront être divulgués ou utilisés à d'autres fins, sans votre consentement.

Il est vrai qu'il peut y avoir des occasions où la loi peut constituer un obstacle pour un ministère. Toutefois, les lois sont là pour une raison. Le fait que quelqu'un décide, de son propre chef, que le Commissaire à la protection de la vie privée ne devrait pas avoir le droit de consulter un dossier au nom d'un plaignant ne constitue pas, à mon avis, une raison suffisante pour passer outre à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Aucune autre raison ne justifie l'ajout de cette disposition dans un projet de loi. Quelle autre raison pourrait-il y avoir? Aucune, à mon avis.

Le sénateur Cools: Nous pourrons peut-être poser cette question au ministre lorsqu'il comparaîtra devant notre comité cet après-midi.

Le sénateur Cogger: L'autre document que vous avez cité provient du bureau de M. Grace.

M. Phillips: C'est exact.

Le sénateur Cogger: Comme vous, il relève du Parlement.

M. Phillips: En effet.

Le sénateur Cogger: Si je vous pose ces questions, c'est pour le compte rendu.

Vous a-t-on consulté au sujet du projet de loi C-66?

M. Phillips: Non. Je suis content que vous ayez soulevé cette question, sénateur. Je n'avais pas l'intention d'importuner le comité avec nos problèmes. Vous en avez déjà beaucoup de votre côté.

Une des principales difficultés d'un bureau comme le mien, qui a le devoir de signaler toute question d'intérêt aux membres du Parlement, qu'il s'agisse d'un bien ou d'un mal, c'est de savoir vraiment ce qui se passe.

J'ai une très petite équipe d'employés. Le bureau compte actuellement 36 employés, dont presque 20 enquêteurs. Notre rôle est de faire enquête sur les plaintes. La taille du bureau n'a pas changé au cours des dernières années; toutefois, la charge de travail, elle, a augmenté. J'occupe ce poste depuis six ans, et le nombre de plaintes que je reçois et qui doivent faire l'objet d'une enquête a doublé. Je n'ai pas le choix. La loi m'oblige à faire enquête sur une plainte. Nous en avons reçu 1 000 l'année où je suis entré en fonction; nous en sommes à 2 000 cette année. Mon personnel est épuisé.

J'aimerais établir de meilleurs contacts avec tous les ministères du gouvernement qui soumettent des propositions au Parlement. Pour l'instant, ils ne sont pas obligés de nous consulter. Le Conseil du Trésor, à l'occasion, et les sous-ministres les encouragent à communiquer avec mon bureau, et parfois ils le font. J'entretiens d'excellents rapports avec certains ministères.

Le directeur général des élections, lorsqu'il a songé à mettre sur pied un registre permanent, a collaboré avec mon bureau dès le départ. Il nous a expliqué comment il comptait procéder et nous a demandé notre avis. Il a donc -- et je crois que M. Kingsley qualifierait de fructueux les échanges entre les deux mandataires du Parlement --, mis sur pied un système qui respecte la vie privée des Canadiens.

Les fonctionnaires ne se sentent pas aussi pressés de communiquer avec nous. Par conséquent, nous sommes souvent informés sur le tard, de sorte qu'il est très difficile d'apporter des changements utiles. Dans la pratique -- et n'y allons pas par quatre chemins --, lorsque les gouvernements mettent leur réputation en jeu en s'engageant à faire quelque chose, il est beaucoup plus difficile d'apporter des changements. C'est également plus difficile de le faire, parfois, sur le plan administratif.

Je serais très heureux qu'un comité comme le vôtre recommande que les ministères, à l'avenir, consultent le Commissaire à la protection de la vie privée chaque fois qu'ils veulent proposer un amendement ou un projet de loi qui a un impact sur la protection de la vie privée. Sinon, un énoncé des incidences sur la protection de la vie privée devrait être annexé à chaque proposition soumise au Parlement, et approuvé par le ministère de la Justice, pour montrer que cette question a fait l'objet d'un examen approfondi.

Le sénateur Beaudoin: Bravo!

M. Phillips: Cela nous épargnerait bien des maux de tête. À défaut de cela, j'aimerais qu'on me donne plus d'argent pour que je puisse affecter un plus grand nombre d'employés aux recherches.

La présidente: Comme toujours, nous voulons savoir si ce projet de loi va à l'encontre de la Charte des droits et libertés ou de la Constitution.

Le sénateur Cools: Nous devrions remercier M. Phillips pour cette précision.

Le sénateur Maheu: Je dis cela sans parti pris, mais le juge qui a statué sur votre cas a déclaré que le commissaire, sans se fonder sur aucune autorité, a tout simplement choisi de faire fi d'un principe juridique reconnu qui protège les décideurs contre toute ingérence dans le processus décisionnel. Il a affirmé que le commissaire, en prétendant être mieux à même de diriger l'appareil judiciaire, avait perdu de vue l'objet et les limites de sa propre loi.

Le juge Noël, de la Cour fédérale, entend actuellement cette cause.

Même si vous en appelez de sa décision, le juge ne mâche pas ses mots.

Existe-t-il une raison valable de ne pas confirmer, dans la partie I du Code du travail, la pratique actuelle, déjà bien établie? Se peut-il que vous ayez tort de vouloir que pareilles notes puissent être communiquées?

M. Phillips: Je peux souvent avoir tort, du moins de l'avis du juge Noël.

Le sénateur Maheu: Il s'agit de votre conseil.

M. Phillips: La Loi sur la protection de la vie privée ne mentionne pas les notes des membres du conseil. Même si les renseignements sont d'ordre personnel, les notes des membres ne sont pas soustraites à l'application de la loi. C'était certes le fondement de notre argument.

Si vous souhaitez aller plus loin, il faudrait que je vous réponde: «Parfois oui, parfois non». Je suis un ombudsman, non pas un juge. J'examine les données qui me sont soumises. J'essaie de prendre une décision raisonnable quant aux mesures à prendre et je les recommande au ministère contre lequel la plainte a été déposée.

C'est peut-être parce que je ne suis ni juge ni avocat et que je suis enclin à faire des erreurs qu'on ne m'a pas conféré de pouvoir d'exécution. Jusqu'ici, la plupart du temps, les ministères acceptent de bon gré ce que j'ai à dire.

Le sénateur Maheu: Nous ne parlons pas ici d'un ministère, mais bien d'un conseil.

M. Phillips: C'est vrai, mais toute cette histoire a commencé quand le Conseil canadien des relations industrielles m'a remercié de mon offre et a affirmé pouvoir se passer de mon aide.

Je vous ai cité ce que je crois être le fondement légal de notre argument, soit que la Loi sur la protection de la vie privée prévoit que ces renseignements sont accessibles. Le juge Noël est d'un avis contraire. Sa décision comporte d'autres éléments préoccupants. Si vous désirez des précisions, Mme Harris pourra vous les donner.

Mme Holly A. Harris, avocate générale, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada: Il importe de se rappeler que le conseil figure à l'annexe de la Loi sur la protection de la vie privée. Il y est donc assujetti, alors que les tribunaux ne le sont pas.

Le sénateur Cools: Il relève aussi du Parlement, au cas où vous l'auriez oublié.

Le sénateur Beaudoin: Comme tous les grands principes auxquels vous faisiez allusion, il y a quelques instants, le droit à la protection de la vie privée est garanti dans une loi, au Canada.

Comment répondriez-vous au point soulevé, ce matin, concernant les scrutins secrets? En tant que Commissaire à la protection de la vie privée, estimez-vous qu'il y a un rapport avec le droit à la protection de la vie privée? J'aurais tendance à le croire.

M. Phillips: Je pourrais probablement trouver une définition de la protection des renseignements personnels en réponse à cette question. Le vote d'une personne est un renseignement personnel qui lui appartient effectivement. Par conséquent, il ne faudrait pas en permettre la diffusion, sauf avec son consentement. Si quelqu'un tient à dire publiquement comment il a voté, il est libre de le faire. Par contre, dans toutes les autres situations, cette information est strictement personnelle et particulière.

Le sénateur Beaudoin: Chaque jour, on établit des précédents en ce qui concerne la Charte. Le droit à la protection de la vie privée découle, selon moi, de l'article 7 de la Charte des droits.

Il faudra que beaucoup plus de décisions soient rendues à cet égard. Dire que le droit à la protection de la vie privée est protégé par le Parlement et par les lois est une chose mais, quand il est protégé par un texte comme la Charte, cette protection est beaucoup plus étanche.

M. Phillips: Si le comité souhaite ajouter à ses nombreuses recommandations une suggestion voulant que, lors de la prochaine série de modifications, la protection de la vie privée soit expressément mentionnée dans la Charte, je célébrerai l'événement, et vous serez tous invités.

Je ne puis m'empêcher de rappeler que j'ai fait cette même suggestion à l'autre endroit -- vous étiez présent, ce jour-là --, soit qu'il faudrait l'inclure dans la Charte.

En un certain sens, c'est une question à suivre. Elle a connu une évolution plutôt intéressante. Dans les premières ébauches de la Charte des droits et libertés qui ont été soumises aux premiers ministres du pays, lors des premières conférences constitutionnelles, la Charte incluait une mention expresse de la protection de la vie privée.

Le ministre de la Justice d'alors était l'actuel premier ministre, M. Chrétien. En cours de route, la mention a disparu dans le dédale des compromis auxquels on se livre habituellement à ce genre de réunion. Il est dommage, en un certain sens, qu'on ne l'ait pas conservée. J'espère qu'un jour, nous pourrons y revenir et l'inscrire dans la Charte.

Le sénateur Cools: Il y a bien des années, j'ai beaucoup travaillé au sein d'un de ces tribunaux administratifs. Souvent, il existe une foule de problèmes à examiner. En ce qui concerne vos préoccupations en matière de protection de la vie privée, connaissez-vous un autre tribunal ou un autre conseil créé par une loi du Parlement, par exemple la Commission nationale des libérations, qui ait le pouvoir équivalent, c'est-à-dire qui puisse essentiellement ordonner la communication de renseignements privés appartenant à un particulier? Je ne crois pas que la Commission des libérations puisse le faire.

M. Phillips: Je ne le crois pas, non plus, mais je ne connais certes pas en détail toutes les lois du Canada.

Par contre, dans plusieurs cas qui m'ont été soumis, les notes des membres des tribunaux ou des commissions ont été mises à la disposition de particuliers. Jusqu'à l'actuelle poursuite devant les tribunaux, tout dépendait de l'information en cause. En règle générale, nos relations avec les conseils et les tribunaux sont plutôt efficaces et utiles. Ce qui se passe actuellement est un phénomène nouveau.

Si le Parlement adopte le projet de loi à l'étude, vous pouvez parier que les commissions, tribunaux, organismes et que sais-je encore viendront vous demander la même chose.

Le sénateur Cogger: En fait, il y aura une ruée.

Le sénateur Bosa: Commissaire, vous avez dit que, depuis que vous aviez été nommé à ce poste, la charge de travail avait doublé, passant de 1 000 à 2 000 cas. En quelle année avez-vous assumé vos fonctions?

M. Phillips: Je suis devenu Commissaire à la protection de la vie privée en 1991.

Le sénateur Bosa: Combien avez-vous d'employés?

M. Phillips: Les effectifs atteignent actuellement 36 ou 37 personnes. J'en ai peut-être oublié une ou deux.

Le sénateur Bosa: Y a-t-il un arriéré de travail? Pouvez-vous nous décrire le cas typique dont vous êtes saisi?

M. Phillips: Dans un dossier typique, quelqu'un écrirait au ministère pour demander qu'on lui envoie toute l'information existante au sujet d'une question particulière. Le ministère lui répondrait: «Non. Vous ne pouvez obtenir cette information parce que, en vertu de l'article 1, et cetera, nous ne sommes pas tenus de la communiquer.» La plainte est ensuite transmise à mon commissariat. Un enquêteur est affecté à l'affaire. Il ira examiner tous les dossiers. Ensuite, il rédige un rapport à mon attention. Je prends connaissance du rapport, de l'information refusée, puis je rends une décision. Cette décision est communiquée au ministère. Si je donne gain de cause au plaignant, je demande au ministère de lui donner accès aux documents. Si le ministère persiste dans son refus, j'ai le droit d'entamer une poursuite devant les tribunaux au nom du plaignant, ou encore le plaignant peut le faire de son propre chef.

C'est ainsi que se déroule le processus. Parfois, il faut beaucoup de temps. Cela a l'air simple, mais, fréquemment, des milliers de documents sont en jeu. Parfois, le même plaignant peut déposer des centaines de plaintes. Nous avons eu récemment un cas où un seul plaignant avait déposé 300 plaintes environ.

Le sénateur Bosa: J'aimerais lire une phrase extraite de la lettre que vous a envoyée le ministre:

La Division de première instance de la Cour fédérale a confirmé, dans la décision rendue le 12 août 1996, que les notes personnelles des arbitres responsables d'appliquer la partie I du Code canadien du travail étaient protégées.

On avait déjà porté le fait à votre attention.

M. Phillips: C'est l'affaire dont nous parlions effectivement et que nous avons portée en appel. Le ministère de la Justice fait une intervention.

Le sénateur Cogger: Monsieur Phillips, même si vous perdiez cet appel, vous ne seriez pas plus à l'aise avec l'article 50 que vous ne l'êtes actuellement, n'est-ce pas?

M. Phillips: Vous avez raison.

Le sénateur Cogger: Elles sont donc sans rapport avec l'affaire.

M. Phillips: Non, il s'agit d'une question distincte.

En réponse à votre question, sénateur Bosa, vous serez peut-être intéressé d'apprendre que, comme je l'ai dit, le ministère de la Justice interviendra dans cette cause pour notre compte.

Le sénateur Cogger: Pour votre compte?

M. Phillips: Il nous donne raison, effectivement.

Le sénateur Cogger: Le ministère de la Justice épouse votre cause?

Le sénateur Maheu: Je crois savoir que le Procureur général se rangera dans l'autre camp.

Mme Harris: Le Procureur général intervient, mais sa position est ambiguë. Nous n'avons pas encore pu prendre connaissance de ses documents d'intervention. Cependant, je m'attends que le Procureur général sera d'accord avec nous au sujet de certains points et moins d'accord au sujet de certains autres.

La présidente: Monsieur Phillips, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation aujourd'hui. Nous vous savons gré d'avoir pris la peine de nous exposer vos préoccupations et de nous avoir donné votre avis. Nous en tiendrons compte lors de l'étude article par article du projet de loi.

M. Phillips: C'est moi qui vous remercie, madame la présidente et honorables sénateurs.

La présidente: Le comité accueille maintenant M. Olivier Laurendeau.

[Français]

M. Olivier Laurendeau, avocat: Madame la présidente, si vous me permettez, je vais m'adresser à l'assemblée en français. Je suis avocat, pratiquant à Montréal depuis 1970. Je suis principalement ce que l'on appelle un avocat plaideur, ou en anglais, un «litigator». À ce titre, je plaide devant les tribunaux des cours supérieures ainsi que devant les tribunaux administratifs. Je précise que bien que le droit du travail constitue une partie importante de ma pratique, je n'ai pas eu, au cours des dernières années à me présenter devant le Conseil canadien des relations de travail, et je n'ai pas actuellement de dossiers devant ce tribunal.

Cependant, j'ai une certaine familiarité avec le Code canadien du travail et je connais la place importante que le Conseil canadien des relations de travail tient dans notre droit du travail canadien. Alors, je pense que vous comprenez que je ne viens pas ici à d'autre titre que comme avocat plaideur, et à ce titre, intéressé à toutes les questions importantes qui touchent la fonction judiciaire.

Je pense que le projet de loi que vous avez devant vous pour étude comporte certaines implications qui sont, disons, sérieuses -- pour ne pas dire, assez graves -- relativement au système judiciaire, tout au moins dans ce que l'on appelle le système administratif.

Je n'aspire pas à faire reconnaître ici une compétence particulière dans les questions constitutionnelles, et je n'entends pas rivaliser avec certains des professeurs et des grands juristes qui sont ici. Je pense que mon point de vue est important parce qu'il représente le point de vue d'avocat plaideur, et c'est le genre d'avocat que l'on consulte, en général, lorsqu'on a un recours à exercer, et pour connaître l'état du droit sur une question.

Le projet de loi amende l'article 9 du Code canadien du travail et remplace l'actuel Conseil canadien des relations de travail par un tribunal qui lui ressemble beaucoup -- le mot est faible -- et qui s'appelle le Conseil canadien des relations industrielles. Je ne veux traiter ici que des articles 87 à 90 du projet de loi C-66. L'article 87 se lit comme suit:

87. Le mandat des membres de l'ancien Conseil prend fin à la date de référence.

Ce qui veut dire qu'à la date où le projet de loi entre en vigueur, le mandat de toutes les personnes qui sont actuellement au Conseil, prend fin immédiatement et ipso facto.

Comme vous savez sans doute, le mandat des membres de l'actuel Conseil est de 10 ans, dans le cas du président et des vice-présidents, alors qu'il est de cinq ans dans le cas des autres membres. En vertu de la loi actuelle, il s'agit de nominations qui sont faites à titre inamovible, c'est-à-dire «during good behaviour», et garantissent aux membres le maintien de leur fonction pendant la durée prévue, et assure ainsi, je crois, l'indépendance des membres de ce tribunal.

À l'heure actuelle, selon les informations que j'ai pu obtenir, nous avons un président et cinq vice-présidents, et la durée de mandat de ces personnes varie, selon le cas, entre deux et sept ans. Quant aux autres membres, qui sont nommés pour cinq ans -- et ils sont six -- la durée de leur mandat encore à courir varie entre moins d'un an et un peu plus de trois ans. Tout dépend de la date de leur nomination.

Alors donc, comme je disais, en vertu de l'article 87 précité, le mandat de toutes ces personnes exerçant des fonctions judiciaires importantes au Canada prend fin dès la mise en vigueur du projet de loi C-66.

L'article 88, alinéa l, du projet de loi prévoit que toutes les affaires dont le Conseil est saisi à la veille de la mise en vigueur de la loi, se poursuivent devant le nouveau Conseil. L'alinéa 2, confère une certaine discrétion au nouveau président qui sera nommé par l'exécutif, sur recommandation du ministre. En effet, le nouveau président pourra, s'il le juge à propos, demander à un membre de l'ancien Conseil de continuer l'audition d'une affaire qui lui aurait été soumise avant la date d'abolition et aura déjà fait l'objet d'une procédure à laquelle il aurait participé en sa qualité de membre. Alors, il s'agit d'un pouvoir discrétionnaire qui n'est pas réglementé par le projet de loi.

Si le nouveau président décide d'exercer cette prérogative à l'égard de l'un ou l'autre des membres du tribunal actuel -- que ce soient les vice-présidents ou les autres membres -- le membre en question aura droit à des honoraires qui seront fixés par le gouverneur en conseil.

Cependant, les membres qui auraient ainsi l'occasion de s'occuper d'une affaire dont ils étaient déjà saisis devront s'arranger pour terminer cette affaire dans l'année, puisque passé ce délai, le président peut à nouveau le désaisir en vertu de l'article 90.

Alors, on peut dire pour résumer -- et je pense que ce n'est pas exagéré de le faire ici devant vous -- que les articles 87 à 90 font totalement échec au caractère inamovible des nominations qui ont été faites dans le cadre de la législation actuelle et conformément aux principes constitutionnels applicables en un tel cas.

Je ne m'intéresserai ici à d'autres articles du projet que dans la mesure où ils sont absolument nécessaires à la compréhension de mon propos. Je n'ai absolument pas l'intention de critiquer tous les autres articles de ce projet de loi. Il ne faut pas voir dans mon intervention une critique quelconque des objectifs qui sont poursuivis par ailleurs par le gouvernement dans ledit projet de loi.

Pour moi, comme, je pense, pour beaucoup d'autres juristes -- j'en suis certain -- l'article 87, c'est-à-dire l'article qui met fin au mandat des membres actuels, tombe au milieu de ce projet comme un cheveu sur la soupe, ou si l'on veut, comme un éclair dans un ciel sans nuage.

Je veux dire par là qu'il n'y a aucun lien nécessaire entre cet article qui met fin au mandat et le reste du projet de loi. Je suis de même personnellement d'avis qu'il n'y a aucun lien nécessaire entre les objectifs poursuivis par ce projet de loi qui comporte de très nombreuses modifications plus ou moins importantes à divers aspects du Code canadien du travail, et je ne vois donc aucun lien entre tous les objectifs qui sont poursuivis par ce projet de loi et l'abolition du Conseil canadien des relations de travail et son remplacement par un tribunal semblable -- et j'expliquerai tout à l'heure ce que j'entends par «semblable» -- qui s'appellera Conseil canadien des relations industrielles, tel que prévu à l'article 9 du projet de loi.

À mon avis, les articles 87 à 90 constituent une attaque en règle contre la garantie d'indépendance judiciaire puisque ces articles ne respectent pas l'obligation la plus fondamentale qui en découle: l'inamovibilité des juges. De plus, je crois que ce projet de loi ne fait voir aucun motif important ni urgent, au sens de la jurisprudence de la Cour suprême, qui pourrait justifier qu'on passe outre à cette garantie fondamentale et qu'on renie les obligations qui ont été contractées.

Notre Constitution telle que interprétée par la Cour suprême du Canada prévoit que la garantie d'indépendance et d'impartialité de nos tribunaux fait partie intégrante des garanties constitutionnelles reconnues à tous les Canadiens.

Cette notion d'indépendance et d'impartialité a été définie par un certain nombre de décisions de la Cour suprême du Canada dont certaines sont très connues et sont souvent citées. Elles impliquent un certain nombre d'attributs qui sont vraiment fondamentaux.

Il est bien établi que l'indépendance et l'impartialité des tribunaux doivent reposer sur des législations appropriées, c'est-à-dire que tout organisme qui remplit des fonctions à caractère judiciaire au Canada doit posséder certains attributs stables qui lui sont conférés par la loi et qui protègent l'indépendance et l'impartialité à la fois de l'organisme et des membres qui dans l'organisme, sont appelés à rendre la justice.

J'emploie ici le mot «tribunal» -- je tiens à le préciser -- dans son sens le plus large, et sans référence aux distinctions qui existent en anglais entre les notions de «court» et de «tribunal». Et de la même façon, je désigne parfois des membres de ce tribunal comme avec l'appellation de juge, parce que je pense qu'ils remplissent des fonctions adjudicatives suffisamment importantes pour qu'on puisse les désigner comme cela, tout au moins, dans le cadre de la présente présentation. Et j'emploie évidemment le vocable de juge dans son sens le plus large.

Selon la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, il semble que les attributs de l'indépendance et de l'impartialité judiciaires puissent varier dans leur application. Il semble d'après cette jurisprudence qu'il faille demeurer pratique. Il ne faut pas tomber dans l'angélisme ni dans l'idéalisme. On exigera moins de garanties judiciaires, juridiques formelles pour un tribunal administratif qui est chargé de l'application de certaines lois particulières, que l'on en demandera pour les tribunaux de droit commun.

Ainsi, par exemple, on n'exigera pas que les membres d'un comité de discipline professionnel soit nommé à vie, alors qu'on l'exigera certainement pour les tribunaux de droit commun qui représentent bien souvent le recours ultime des justiciables.

Cependant, je pense qu'il y a certains attributs qui doivent nécessairement être conférés par le législateur à un tribunal, parce que ces attributs sont absolument nécessaires à la fonction judiciaire dans le cadre d'une société libre et démocratique. Ces trois attributs sont: la sécurité d'emploi, en anglais «security of tenure»; la sécurité financière et l'indépendance institutionnelle. On connaît à cet égard les célèbres arrêts Valente, Beauregard, Généreux et plus récemment, celui de Bande indienne de Matsqui, dont les références sont toutes en annexe au petit document qui vous a été remis.

J'ai l'impression que la plupart des juristes, sinon la totalité des juristes au Canada, s'entendent pour dire que parmi toutes les conditions que j'ai mentionnées, la plus importante, la plus fondamentale est l'inamovibilité. C'est-à-dire, ce qu'on appelle en anglais «security of tenure».

Et puisque nous en sommes à rappeler de grands principes, rappelons-en un autre: on ne peut faire indirectement ce qu'on ne peut faire directement. J'y reviendrai.

Cette garantie fondamentale assure la sécurité d'emploi pendant la duré prévue du mandat, que ce soit jusqu'à l'âge de la retraite, comme dans le cas des juges de la Cour supérieure ou pour une durée fixe de 10 ans et cinq ans, comme c'est le cas pour les membres du Conseil canadien des relations de travail. Alors, l'application concrète du principe de l'inamovibilité peut varier d'un tribunal à l'autre, mais dès qu'un organisme remplit réellement des fonctions judiciaires, cette caractéristique doit se rencontrer, ne serait-ce qu'au moins pour la période durant laquelle les gens qui rendent la justice au sein de cet organisme sont appelés à le faire, de manière à ce qu'ils puissent le faire à l'abri de toute ingérence ou menace d'ingérence.

En vertu du principe fondamental de la séparation des pouvoirs, il faut que pendant la durée de son mandat, le juge soit à l'abri des interventions du pouvoir exécutif ainsi que du pouvoir législatif. La garantie d'indépendance s'applique aussi au pouvoir législatif. C'est bon de le rappeler.

Le juriste anglais A. L. Goodhart, écrivait en 1953:

[Traduction]

Le quatrième et dernier principe sur lequel repose la constitution britannique est l'indépendance des tribunaux.

Ses origines sont encore plus lointaines que celles des chartes.

Il serait impensable que le Parlement s'estime aujourd'hui libre d'abolir le principe qui sert de pierre angulaire à toutes les libertés depuis l'Acte d'établissement de 1701. Il est généralement admis que, si le pouvoir judiciaire relève du pouvoir législatif ou exécutif du gouvernement, il se peut fort bien que l'application de la loi ne se fasse plus avec l'impartialité voulue pour que justice soit rendue.

[Français]

Il ne fait aucun doute, je crois, aujourd'hui que les éléments essentiels qui constituent la valeur traditionnelle de l'indépendance judiciaire au Canada s'appliquent également aux tribunaux administratifs, que ceux-ci relèvent des provinces ou qu'ils relèvent du fédéral. Les arrêts Ruffo, Bande indienne de Matsqui, et le récent arrêt de la Cour suprême du Canada en novembre, 1996 sur la Régie des permis des alcools contiennent des affirmations de principe qui ne laissent aucun doute à ce sujet.

Le Conseil canadien des relations de travail constitue un tribunal auquel s'appliquent les garanties constitutionnelles d'indépendance et d'impartialité. Ses membres doivent remplir des fonctions à caractère judiciaire qui sont importantes et qui constituent une grande part de leur travail.

Le champ d'action du Conseil, comme vous pouvez le constater dans l'étude que vous entreprenez actuellement, est très vaste. Il couvre des matières diverses: les normes du travail, les relations de travail, la négociation collective, la santé et la sécurité au travail. Au Québec, par exemple, des pouvoirs semblables, qui découlent des lois provinciales en matière de relation du travail, sont exercés par divers organismes très importants: la Commission de santé et sécurité au travail, la Commission des normes du travail, le Bureau du commissaire général du travail, le Tribunal du travail, le Conseil des services essentiels. Le Conseil canadien concentre en son sein plusieurs des pouvoirs qui sont exercés par tous ces organismes provinciaux, du moins, au Québec.

Mais, je pense que c'est surtout la nature et l'importance des pouvoirs qui lui sont accordés par le Code canadien du travail qui doivent nous intéresser ici. Il s'agit d'un tribunal administratif qui, particulièrement depuis 1972 et 1978, est devenu une juridiction majeure jouissant de pouvoirs coercitifs et déclaratoires importants. Citons en particulier son pouvoir d'émettre des ordonnances de la nature d'une injonction les «cease and desist orders». Le non-respect de ces ordonnances peut entraîner des conséquences extrêmement graves pour ceux qui y contreviennent.

Le Conseil a le pouvoir de rendre des décisions à la suite d'un débat contradictoire -- et c'est un tribunal, dans ce sens-là -- où chaque partie doit avoir la possibilité de faire valoir ses prétentions. Ces décisions peuvent atteindre le justiciable dans ses intérêts et ses droits les plus fondamentaux, tant sur le plan économique que juridique.

Si on regarde un peu, très brièvement, l'historique de ce Conseil, on voit que jusqu'en 1972, ce qu'on appelait alors le Conseil canadien des relations ouvrières, ne disposait que de pouvoirs vraiment très limités. L'aspect judiciaire de ces pouvoirs n'occupait pas une place importante dans ses attributions. C'est sans doute la raison pour laquelle jusqu'à l'adoption de la Loi de 1972, les membres qui formaient ce Conseil étaient nommés à titre purement amovible, ou selon l'expression de Common Law, «during pleasure».

La Loi de 1972 qui continuait le Conseil canadien des relations ouvrières sous le nom de Conseil canadien des relations de travail -- l'actuel Conseil -- conférait de nouveaux et substantiels pouvoirs d'ordonnance au Conseil. Le Conseil est devenu alors un véritable tribunal administratif. Le législateur fédéral, je pense, a bien pris acte de ce fait en rendant inamovibles les nominations qu'il effectuait à ce Conseil. Dès 1972, le président et les vice-présidents seront nommés pour des périodes de 10 ans, à titre inamovibles, alors que les autres membres seront nommés également à titre inamovible «during good behaviour» pour des périodes de cinq ans, sous réserve évidemment du pouvoir de révocation pour inconduite ou incapacité.

En 1978, on confie à ce tribunal de nouveaux pouvoirs d'ordonnance, «cease and desist» et on accroît très considérablement ses attributions en matière de santé et de sécurité au travail.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Laurendeau, je remarque que vous n'en êtes qu'à la page 7 et que votre mémoire en comporte 12. Vous serait-il possible de nous résumer ce qui reste, que nous ayons le temps de vous poser des questions? Je vous en serais reconnaissante.

[Français]

M. Laurendeau: Je voulais simplement souligner ici que la réforme de 1978 qui était, je pense, passablement plus importante que celle que vous avez à étudier aujourd'hui, qui augmentait les pouvoirs d'intervention, avait néanmoins respecté intégralement le principe de l'indépendance judiciaire, et étant donné que la charge de travail augmentait, avait augmenté le nombre de membres.

Alors, pour des raisons qui appartiennent au gouvernement, on a décidé d'abolir le Conseil et on a introduit un certain nombre de dispositions particulières qui modifient, par exemple, la durée des mandats, et qui modifient, je dirais, certains aspects mineurs de la pratique de ce Conseil.

Peut-être que le seul changement plus important qui est apporté par le projet de loi, c'est le caractère paritaire du nouveau Conseil. C'est-à-dire que les membres, autres que le président et les vice-présidents, doivent représenter les milieux du travail et de l'employeur de façon égale, selon les recommandations des organismes que le ministre peut recevoir.

Alors, on a ainsi -- et c'est l'essentiel de mon propos -- une réforme dont les objectifs n'ont pas, je pense, à être commentés par moi aujourd'hui, mais qui effectue une transformation qui fait échec à l'inamovibilité des membres du tribunal. Imaginez, par exemple -- et je le donne ici simplement à titre d'exemple -- qu'un gouvernement décide qu'il n'est pas satisfait des tendances d'un tribunal administratif. Je donne cela vraiment comme exemple car je ne crois pas que ce soit le cas ici. Mais il faut voir quels sont les principes qui sous-tendent les mécanismes en cause, et en tenir compte. Et voir ce que cela peut donner quand on ne les respecte pas.

Alors, supposons par exemple, que l'on décide qu'on n'est pas satisfait, soit parce que c'est trop pro-employeur, soit parce que c'est trop pro-employé, des juges qui sont là. Alors, c'est très facile, je pense, de profiter d'une majorité que l'on détient en chambre pour mettre fin aux mandats des gens qui sont là, et alors qu'un très grand nombre de dossiers sont en cours et que le tribunal en est saisi d'une façon légale, et tout à coup, on se retrouve, suite à un amendement comme celui-là, devant un tribunal qui vient d'être entièrement renouvelé; les mandats des membres qui étaient là n'ont pas été respectés, et l'on se retrouve avec de nouveaux membres qui viennent tout juste d'être nommés, on ne sait pas exactement pourquoi.

Alors, au moment où ce projet de loi va entrer en vigueur, le pouvoir exécutif, c'est-à-dire le gouverneur en conseil agissant sur les recommandations du ministre, prendra ainsi temporairement le contrôle de ce tribunal et décidera qui parmi les juges en place pourront rester en étant renommés, et lesquels devront partir. Ensuite, le nouveau président nommé pour cinq ans, réassignera les dossiers existants aux nouveaux membres, tout en ayant la discrétion d'en faire continuer certains par des anciens membres, et à des conditions particulières.

Il me semble que l'on fait ici une attaque directe de la part du pouvoir législatif, qui fait, d'une part, fi de l'indépendance institutionnelle en supprimant un tribunal existant, et en transférant d'un trait de plume tous ses pouvoirs et tous les dossiers dont il était saisi, à un nouveau tribunal créé à cette fin.

En fait, le nouveau tribunal entre pratiquement dans les souliers de l'ancien tribunal. Je pense que cette réforme attaque et fait échec aux droits fondamentaux qui avaient été accordés à ce tribunal, à ce membre, et aussi aux justiciables qui font affaire à ce tribunal.

Je pense que les dispositions de l'article 87 ne sont pas nécessaires aux réformes qui sont entreprises. Elles sont très contestables sur le plan constitutionnel, et je pense qu'elles risquent de donner lieu à des débats constitutionnels auxquels je suis sûr, le législateur ne tenait pas particulièrement en adoptant cette législation.

Le sénateur Maheu: Monsieur Laurendeau, je vais faire certains de mes commentaires en français et certains autres en anglais.

Je voudrais peut-être soulever le point que c'est rare qu'après un changement de gouvernement, on ne change pas la raison d'être et la formation d'une de nos commissions ou commissions d'enquêtes, autant au Québec qu'au Canada. Si la formation est totalement changée, normalement on change les membres, mais cela n'a rien à voir avec les principes de ne pas respecter les décisions des tribunaux déjà nommés. Je trouve que c'est un peu «charrier», si vous me permettez l'expression.

C'est le premier amendement au projet de loi depuis 25 ans. Alors, c'est entendu qu'il va y avoir des changements. Il n'y a pas de gouvernement que je connaisse qui ne changera pas les membres des commissions, quasi-judiciaires ou non, dans une refonte fondamentale du projet de loi.

[Traduction]

Par souci de clarté, je précise que, comme tous les autres projets de loi, le projet de loi C-66 a été examiné en détail par le ministère de la Justice pour vérifier qu'il ne violait pas la Charte ou un principe fondamental de droit comme l'indépendance judiciaire.

Le sénateur Cogger: Le projet de loi concernant l'aéroport Pearson avait, lui aussi, subi pareil examen.

Le sénateur Maheu: Ce n'est pas tout à fait pareil, sénateur Cogger. Les dispositions transitoires répondaient à ces critères, et il n'y avait pas de précédent. Avez-vous des observations à nous faire à ce sujet?

Manifestement, vous avez été invité par un sénateur à comparaître devant nous. Représentez-vous, par hasard, un membre du conseil?

[Français]

M. Laurendeau: Non, je ne représente personne. Vous avez dit que c'était un peu «charrier». Sans doute que cette impression que vous avez est peut-être dûe en partie au fait que j'ai été obligé de sauter quelques étapes dans la présentation que je croyais avoir à faire, et je suis arrivé aux conclusions un peu trop rapidement. Sans doute qu'il y a des maillons dans le cheminement de ma pensée que vous n'avez pas suivis. Et j'ai un peu de difficulté, à saisir comment d'une part, sans raisons particulière, que l'on amende le Code du travail régulièrement à tous les cinq, 10, 15 ou 25 ans; bien entendu, tous les gouvernements le font. Même quand ils ne changent pas de couleur. Mais je pense que supprimer le caractère inamovible qui a été conféré à des nominations de personnes qui exercent des fonctions qui m'apparaissent, à moi, judiciaires ou quasi-judiciaires, cela, c'est jouer bien proche des questions constitutionnelles et des questions de la Charte et des questions de liberté fondamentales.

Il y a eu des exemples dans le passé de certains «boards» qui ont été abolis par différents gouvernements. Je ne connais pas d'exemple récents de tribunaux aussi importants que celui-là, possédant des pouvoirs aussi larges et des pouvoirs coercitifs aussi importants où l'on a traité, dis-je, un tribunal de cette nature, de cette façon. Et je pense qu'il y a très certainement moyen de concilier les objectifs qui sont poursuivis par le législateur dans cette réforme-là et le respect de l'indépendance judiciaire qui a été conférée à ces personnes-là. Parce que, d'arriver aujourd'hui et dire que le Parlement a de nouveaux projets, et parmi ces projets on décide de supprimer le tribunal en question. Bien que -- et c'est là-dessus où j'ai un peu de difficulté à suivre le législateur -- le nouveau tribunal se retrouve exactement avec les mêmes pouvoirs, à peu près les mêmes attributions que l'ancien tribunal.

Si dans l'esprit du législateur il est important que la composition du tribunal soit modifiée, je pense que dans la société dans laquelle on vit actuellement, et compte tenu du principe que la Cour suprême a déjà énoncé à plusieurs reprises, et avec force, que lorsque pour des raisons valables vous avez à brimer un droit fondamental -- et ici je pense qu'on parle d'un droit fondamental -- il faut que vous soyez animé par des motifs qui sont impérieux, graves et urgents. Et quand j'analyse le projet de loi en question, je ne vois aucun motif impérieux, graves et urgents qui puissent justifier de procéder de cette façon. On peut très certainement mettre en vigueur, dans tous ses aspects, ce projet de loi tout en respectant un principe qui est aussi important.

Il ne faut oublier que le Canada a quand même adhéré, sur le plan international, au principe de l'indépendance judiciaire et s'est donné une Charte et tout ce bagage auquel référait le témoin qui était ici avant moi. Je pense qu'on ne peux pas, sans penser que cela va avoir des conséquences démoralisantes pour le système judiciaire, procéder de cette façon.

Le sénateur Maheu: Je pense que votre argument touche sur l'impossibilité d'avoir une commission toute nouvelle, et c'est pour cela qu'il y a un article dans la loi qui permet dans les dossiers chauds, dans les dossiers où il y a déjà beaucoup de travail de fait, que les mêmes commissaires puissent continuer. Je trouve personnellement que c'est justifié si on représente l'employeur et l'employé, que l'on ajoute cela à la commission.

M. Laurendeau: Habituellement, ce qui est recommandable de faire, c'est de ne pas désaisir les juges des dossiers dont ils sont saisis. Tout ce que l'on retrouve dans la loi, c'est une disposition qui donne une discrétion au nouveau président, s'il le veut, et en fonction de critères qui ne sont pas énoncés pour lui permettre de faire cela dans les occasions où il juge que c'est approprié.

Le sénateur Maheu: Là où il le juge nécessaire.

M. Laurendeau: Et en plus de cela, on limite le mandat que l'on donne au juge à une année. Un juge ne peut pas savoir d'avance combien de temps un mandat va durer. La loi inscrit en toutes lettres dans ses dispositions qu'au bout d'un an, le président, si le juge en question ou le membre n'a pas terminé son mandat, pourra de nouveau l'en désaisir et faire ce qu'il veut avec son dossier.

Il n'y a pas seulement les droits des juges qui sont en cause ici, mais aussi les droits des justiciables qui font affaire avec ce tribunal.

Le sénateur Cogger: Monsieur Laurendeau, je ne suis pas un constitutionnaliste, mais vous n'ignorez pas que de façon constate ou régulière, les gouvernements modifient, changent, abrogent et font disparaître des organismes. Ce que j'arrive difficilement à situer -- et vous pouvez peut-être m'aider ici -- où la fonction quasi-judiciaire devient telle qu'elle met en péril, par exemple, l'indépendance du judiciaire vis-à-vis l'exécutif ou le législatif, et puis où on est carrément dans un domaine d'avantage administratif.

Je vous donne un exemple: il y a quelques années, le même gouvernement a aboli, je pense, l'Office canadien des transports pour le remplacer par un autre organisme à caractère à peu près identique. Mais les membres de cette office tenaient des audiences, ils rendaient des décisions et ils avaient des pouvoirs quand même importants, en quelque sorte. Dans les matières précises qui leur étaient soumises ou confiées, ils agissaient à titre de juges ou à tout le moins, quasi-juges.

Par contre, cette question-là n'a jamais été soulevée. Où est-ce qu'on fait la différence? Qu'est-ce qui est carrément administratif et qu'est-ce qui est judiciaire, d'après vous?

M. Laurendeau: Sur la question que vous soulevez, il y a une décision de la Cour suprême récente, qui date du mois de novembre 1996. Il s'agit de l'affaire qu'on appelle l'affaire de la Régie des alcools du Québec, où la Cour suprême a décidé que cet organisme qui exerce beaucoup de fonctions vraiment administratives, qui doit gérer un secteur de l'économie, et qui émet des permis en suivant des politiques qui viennent du gouvernement, dans certaines occasions rend des décisions qui ont véritablement un caractère quasi-judiciaire.

Dans le cas du Code du travail, je pense que le Code du travail doit être comparé au Code civil, par exemple. C'est vraiment une loi qui réglemente et régit les rapports économiques entre différents particuliers, entre différentes personnes, et qui prévoit le règlement des conflits importants qui se soulèvent dans ce cadre par différents modes de justice: soit devant des arbitres, soit devant le Conseil. Alors, la juridiction du Conseil canadien des relations de travail, d'après moi, peut se comparer par exemple à celle du Tribunal du travail, même si le Tribunal du Travail n'a pas les fonctions de médiation et certaines fonctions administratives que le Conseil canadien des relations de travail a. Mais il me semble que la décision à laquelle je viens de référer, dans la référence que j'ai dans mes notes ici, explique bien la différence qu'il y a entre les deux.

Il me semble qu'à certains égards les ordonnances qui peuvent être rendues par le Conseil canadien des relations de travail sont assimilables et comparables à des ordonnances d'injonctions qui sont rendues par des tribunaux comme la Cour supérieure.

Et le fait pour les parties de ne pas se conformer à ce genre d'ordonnance les rend passible, par exemple, d'outrage au tribunal, lorsque la décision est déposée devant la Cour fédérale.

Alors, si on examine en particulier tous les pouvoirs que l'on retrouve à l'article 99 du Code du travail, on retrouve là véritablement des pouvoirs qui relèvent du judiciaire et qui sont semblables aux pouvoirs qui sont exercés à certains égards par la Cour fédérale ou par la Cour supérieure ou la Cour suprême, telle qu'on l'appelle ici en Ontario.

[Traduction]

La présidente: Je vous remercie beaucoup d'être venu témoigner devant le comité. Je vous promets que nous lirons le reste de votre mémoire.

Les prochains témoins sont des porte-parole de l'Association canadienne des pâtes et papiers.

M. David W. Church, directeur, Transport, Recyclage et Acquisitions, Association canadienne des pâtes et papiers: Je vous remercie beaucoup de nous avoir invités à témoigner aujourd'hui. Comme vous le savez peut-être, l'association s'est vu refuser la possibilité de témoigner au sujet du projet de loi à l'étude devant le Comité permanent du développement des ressources humaines de la Chambre des communes quand il en a fait l'examen, cet automne.

Notre association nationale représente la plupart des producteurs de pâtes et papiers et de bois massif du Canada. Le paragraphe 87.7(1) projeté qui traite du transport du grain et qui, s'il entre en vigueur, nuira à toutes les autres industries, y compris à la nôtre qui utilise les ports canadiens pour expédier ses produits à l'étranger, lui cause de graves préoccupations.

D'après la documentation publiée par Travail Canada, les manutentionnaires du grain et leurs employeurs conservent le droit de faire la grève et de décréter un lock-out. Toutefois, le paragraphe 87.7(1) projeté fait aussi en sorte que, si un arrêt de travail engageant d'autres parties venait à toucher des activités reliées au port, y compris le débardage, les services fournis aux navires céréaliers seraient maintenus. Cette disposition privilégie une industrie au détriment de toutes les autres industries exportatrices du Canada.

Le Canada est le plus important exportateur mondial de pâtes et papiers. Il en expédie dans plus de 70 pays. En 1996, les exportations ont absorbé 83 p. 100 de la production canadienne. Quarante-cinq pour cent de ces exportations, soit 10,6 millions de tonnes environ, ont été soit livrés à l'étranger soit expédiés par voie maritime aux États-Unis. S'il y a un conflit de travail dans un port relevant de la compétence fédérale, les expéditions de grain continueront de se faire sans obstacle alors que le transport des produits de pâtes et papiers et des produits de toutes les autres industries canadiennes sera gravement perturbé, s'il n'est pas complètement stoppé. Nous estimons que pareille mesure est arbitraire, inéquitable et contre-productive par rapport à notre objectif national, qui est de faire la promotion des exportations de tous les genres de produits.

Cette question nous intéresse particulièrement en raison de l'apport appréciable que nous faisons à l'économie canadienne. L'industrie des pâtes et papiers est en effet celle qui contribue le plus à l'équilibre de la balance des paiements du Canada. En 1996, sa contribution nette a totalisé 17,8 milliards de dollars. Les exportations nettes d'autres produits ont porté cette contribution totale à 31,2 milliards de dollars. Il est donc vital pour notre industrie que les conflits de travail externes qui surviennent dans les ports canadiens ne nuisent pas à la livraison de ses produits à l'étranger.

Lorsque ses représentants ont témoigné devant le Comité permanent des transports de la Chambre des communes au sujet du projet de loi C-44, c'est-à-dire de la Loi maritime du Canada, actuellement à l'étude au Sénat, l'association s'est dit favorable aux principes énoncés dans la politique maritime nationale, à l'article 3 du projet de loi.

En effet, l'article 3 prévoit, entre autres, que la loi a pour objectif de mettre en oeuvre une politique maritime nationale qui vise à assurer la mise en place de l'infrastructure maritime dont a besoin le Canada pour promouvoir et préserver sa compétitivité du Canada et ses objectifs commerciaux, de fonder l'infrastructure maritime et les services sur les pratiques internationales et des approches compatibles avec celles de ses principaux partenaires commerciaux et de veiller à ce que les services de transport maritime soient organisés de façon à satisfaire les besoins des utilisateurs à un coût raisonnable.

Nous sommes fermement convaincus que le paragraphe 87.7(1) du projet de loi va carrément à l'encontre de ces principes. En effet, il nuirait à la compétitivité des industries exportatrices du Canada sans pour autant coïncider avec des pratiques internationales et des approches compatibles avec celles de nos principaux partenaires commerciaux. Enfin, il serait loin de faire en sorte que les services de transport maritime, y compris les services de débardage, sont organisés de façon à satisfaire les besoins de tous les utilisateurs.

Aux termes du projet de loi, les expéditions de grain jouiraient d'un statut privilégié, et leur transport serait maintenu dans les ports réglementés par le gouvernement fédéral alors que les autres produits seraient affectés par les conflits de travail et que leur transport serait probablement beaucoup plus lent.

En 1996, la valeur de tous les produits forestiers exportés via des ports de la Colombie-Britannique a atteint 15 milliards de dollars environ. Nous sommes le deuxième ou le troisième plus important client des ports de la Colombie-Britannique. Tous les produits qui passent par des ports canadiens exigent des services sensiblement analogues. Toute disposition qui aiderait un secteur -- dans le cas à l'étude, celui des céréales -- aux frais des autres secteurs exportateurs minerait la compétitivité commerciale du Canada.

C'est pourquoi nous recommandons que le paragraphe 87.7(1) du projet de loi soit modifié de manière à conférer aux produits forestiers le même traitement privilégié qu'il accorde à l'industrie des céréales.

Mme Madeleine McNicoll, directrice, Ressources humaines, Association canadienne des pâtes et papiers: Pour ma part, j'aimerais vous parler du paragraphe 94(2.1), c'est-à-dire de la question des travailleurs de remplacement, la seconde grande préoccupation de l'Association canadienne des pâtes et papiers.

Comme vous pourrez le voir dans notre mémoire, qui a aussi été soumis au Comité permanent du développement des ressources humaines de la Chambre des communes, l'association est vivement opposée à toute modification du code qui changerait le droit qu'a l'employeur d'avoir recours à des travailleurs de remplacement durant une grève.

Le paragraphe 94(2.1) actuellement inclus dans le projet de loi C-66 nous indispose particulièrement. À notre avis, son libellé est vague et ambigu. Il introduit une nouvelle terminologie, par exemple l'expression «capacité de représentation d'un syndicat». Nous ne retrouvons cette terminologie nulle part ailleurs dans le code, et elle est absente des autres lois canadiennes relatives au travail.

Cela causera des difficultés parce qu'il n'existe pas de jurisprudence pour en faciliter l'interprétation. Ce paragraphe fera l'objet de beaucoup de désaccords et ouvrira la porte à des poursuites qui déstabiliseront le processus de négociation collective dans le secteur fédéral, ce qui, à son tour, se répercutera sur les industries exportatrices comme la nôtre qui dépendent lourdement des chemins de fer et des installations portuaires réglementés par le gouvernement fédéral pour acheminer leurs produits vers les marchés internationaux.

Selon le ministre, la modification projetée vise à empêcher le recours à des travailleurs de remplacement à des fins illégitimes, c'est-à-dire les tentatives visant à désyndicaliser le milieu de travail. De toute évidence, les dispositions actuelles de la Loi, y compris l'interdiction de négocier de mauvaise foi de même que les pouvoirs réparateurs du conseil qui peut imposer des solutions, permettraient déjà de mettre fin à des pratiques de travail aussi déloyales.

Comme l'a confirmé la Cour suprême du Canada dans l'affaire Royal Oak Mines, en février 1996, cette façon de procéder représenterait selon nous un moyen plus convenable de régler les cas où on a eu recours à des travailleurs de remplacement à des fins illégitimes.

Pour ce qui est de la négociation de mauvaise foi, le conseil a été capable jusqu'ici de faire la distinction entre d'âpres négociations, qui sont admissibles et légitimes, et des stratégies illicites qui visent à contourner le syndicat ou à éviter d'assumer ses obligations en matière de négociation.

Il a fait cette distinction en tenant compte de tous les rapports qui existent entre les parties.

Le paragraphe 94(2.1) inclut un concept passe-partout qui ne coïncide pas avec les autres obligations prévues au code. Il ne reflète pas la recommandation du groupe de travail Sims visant à trouver le juste milieu entre le droit des travailleurs à une représentation syndicale efficace et le droit tout aussi important de l'employeur de poursuivre l'exploitation durant une grève.

Le paragraphe 94(2.1) n'inclut ni la partie de la recommandation Sims qui établit l'intérêt de l'employeur ni son lien avec le principe des pratiques de travail déloyales. Bien que l'article du projet de loi ne représente peut-être pas, à première vue, une interdiction générale, nous estimons qu'il encouragera les syndicats à continuellement déposer des plaintes auprès du conseil.

Selon nous, il est raisonnable de prévoir qu'on exploitera le libellé en vue de se protéger contre tout déséquilibre perçu du pouvoir de négociation. Il s'agit-là d'une question bien différente de ce qu'avait examiné le groupe de travail Sims et de ce que le gouvernement avait annoncé comme objectif.

Je ne saurais trop insister sur notre préoccupation, soit que les conflits de travail dans le secteur fédéral n'aient un impact direct sur l'infrastructure de l'économie canadienne dont dépend notre industrie. La modification projetée rompra l'équilibre des pouvoirs prévu dans le système de négociation collective fédéral et accroîtra l'instabilité de l'infrastructure fédérale mise à la disposition de l'industrie. Les dispositions actuelles du code concernant les pratiques de travail déloyales suffisent amplement pour mettre fin à toute inconduite.

Nous demandons donc au comité de recommander que cet article soit retranché du projet de loi C-66.

Le sénateur Maheu: Nous avons entendu de nombreux témoins, cette semaine et la semaine dernière, nous demander de protéger tout ce qui transite par le port de Vancouver. Le commerce des céréales a une connotation constitutionnelle parce que ce produit est livré dans 70 pays. Dans votre mémoire, vous affirmez que 45 p. 100 de vos exportations, c'est-à-dire 10,6 millions de tonnes, ont été livrées par voie maritime sur des marchés étrangers ou aux États-Unis.

Pouvez-vous nous fournir une ventilation de ces données?

M. Church: Nous n'avons pas une ventilation exacte. Je dirais qu'entre 90 et 95 p. 100 des 10,6 millions de tonnes sont destinés aux marchés étrangers, à ces 70 pays.

Le sénateur Maheu: Que feriez-vous du droit des chemins de fer de décréter des lock-out et des cheminots de faire la grève?

Les débardeurs sont restreints à une petite équipe qui chargerait les navires céréaliers déjà dans le port au moment du lock-out et les aiderait à reprendre la mer. Ce service est garanti par la Constitution. Les changements visent à empêcher les industries de tant miser sur des lois de retour au travail du gouvernement qu'elles n'essayent bien souvent même pas de négocier de bonne foi. Elles se contentent d'attendre que le gouvernement oblige les employés à retourner au travail.

Avez-vous des observations à nous faire, dans une optique constitutionnelle, quant à la position à adopter en matière de céréales et de lois de retour au travail?

M. Church: Je ne puis commenter l'aspect constitutionnel, sauf pour dire que, si le grain jouit d'une protection dans la Constitution, les produits forestiers, eux, représentent une industrie importante pour l'économie canadienne. Cette industrie fait une contribution tangible à la balance commerciale du Canada. En tant qu'industrie exportatrice, elle n'estime pas qu'il convient de privilégier un secteur par rapport à un autre. À son avis, toutes les industries devraient être sur un même pied au Canada.

Quant à la deuxième partie de votre question, plutôt que de s'en remettre au gouvernement pour régler ces questions, nous préférerions laisser les forces du marché en décider. Notre industrie dépend des marchés d'exportation. Nous rivalisons sur le marché mondial et, si nous sommes incapables de livrer nos produits, nos clients de 70 pays se tourneront vers d'autres fournisseurs.

Il faut faire en sorte que les systèmes en place nous permettent d'exporter nos produits partout dans le monde. Nous sommes des fournisseurs secondaires et tertiaires dans la plupart des marchés où nos produits sont vendus. Certaines sociétés étrangères sont beaucoup moins éloignées des marchés de consommation que nous ne le sommes. Si nous n'arrivons pas à livrer nos produits à temps, quand le client les demande, d'autres sont tout à fait disposés à prendre notre place.

Le sénateur Maheu: Combien de journées de travail ont été perdues au sein de votre industrie en raison de conflits de travail, de lock-out et de grèves au cours des 10 dernières années?

Mme McNicoll: L'association ne recueille pas ce genre de données. Depuis 1990, il n'y a pas eu beaucoup de grèves dans notre industrie. Auparavant, elles étaient un peu plus nombreuses. Il y a eu un peu plus de grèves dans l'Ouest que dans l'Est, mais elles n'ont pas été, en règle générale, nombreuses.

Le sénateur Maheu: Pouvez-vous nous dire combien de ces grèves se sont soldées par l'adoption d'une loi de retour au travail?

Mme McNicoll: Il n'y a jamais eu de loi obligeant les employés de notre industrie à retourner au travail.

La présidente: Quel pourcentage de vos produits transitent par le port de Vancouver?

M. Church: Malheureusement, nous ne disposons pas de pareilles données. J'imagine que la plupart des produits de la côte ouest sont expédiés à l'étranger par le port de Vancouver ou par le port de Prince Rupert. C'est surtout une question de concurrence. Si le port de Vancouver ne peut nous fournir le service dont nous avons besoin pour servir nos clients, nous allons ailleurs. Par «ailleurs», il faut entendre des ports rivaux des États-Unis. Cependant, nous n'avons pas de données quant au nombre de tonnes qui passent par le port de Vancouver.

La présidente: Les producteurs de grains étaient capables de nous citer ce pourcentage. J'ai donc cru que vous pourriez nous le fournir, vous aussi.

M. Church: Nous pourrions essayer de vous obtenir ces données.

Le sénateur Cogger: Vous nous avez dit que, parce que vous évoluez dans un marché mondial très compétitif, lorsqu'il y a un conflit dans les ports, vous perdez de la clientèle. L'industrie du grain et l'industrie des produits chimiques nous ont affirmé la même chose. Tout le monde évolue dans un marché mondial compétitif. Vos concurrents ne vivent pas plus que vous dans un monde parfait, exempt de conflits de travail.

Afin de conserver au Canada sa réputation d'exportateur fiable, faut-il que nous abolissions les droits de grève, de débrayage ou d'interruption du mouvement des biens, surtout s'ils sont destinés à des marchés d'exportation? Les dockers ne seraient peut-être pas d'accord.

M. Brian McGurk, directeur d'entreprise, Transport, Avenor Inc., et membre de l'Association canadienne des pâtes et papiers: Sénateur Cogger, l'industrie canadienne des pâtes et papiers affronte une très forte concurrence à l'étranger. L'actualité faisait récemment état des moyens irresponsables dont se sert l'Indonésie pour conclure des transactions. Les Indonésiens n'ont pas les mêmes difficultés que nous. Ils peuvent livrer leurs produits à moindre coût. La loi projetée contient les germes de notre manque de fiabilité en tant qu'industrie canadienne. Cette loi est une forme d'ingérence dans les affaires patronales-syndicales. Le sénateur Maheu l'a souligné. En exemptant le grain, le gouvernement se trouve à modifier la dynamique des rapports de force entre le syndicat et la direction du port.

Le sénateur Cogger: Vous êtes en train de nous dire qu'en faisant du grain un cas isolé, nous désavantageons tous les autres.

M. McGurk: C'est effectivement ce que je dis.

Le sénateur Cogger: Ce que vous demandez, ce n'est donc pas forcément que tous soient privilégiés comme l'industrie du grain, mais que nul ne le soit.

M. McGurk: C'est juste.

Le sénateur Cogger: Voilà des mots que je peux comprendre. Peut-être les dockers les comprendraient-ils aussi?

M. Bob Beckwith, chef du mouvement des marchandises, Produits forestiers E.B. Eddy Ltée; président, Section du transport et de la distribution, Association canadienne des pâtes et papiers: Prenons un cas hypothétique qui surviendrait à Vancouver. Supposons que les dockers font la grève à Vancouver, mais que les manutentionnaires du grain continuent d'assurer les services comme le leur impose la loi. Les dockers continueront de toucher l'équivalent de deux ou trois journées de travail par semaine, peut-être, parce que les manutentionnaires de grain font partie du même syndicat. Ils pourront donc continuer leur grève, qui sera subventionnée par l'industrie du grain. Une autre industrie sera obligée de régler à des taux de rémunération plus élevés qu'ils ne l'auraient été autrement. Par conséquent, l'industrie du grain devra, elle aussi, payer plus à ses travailleurs. L'industrie, qui est débrouillarde, trouvera une solution. Elle résidera peut-être à utiliser, non pas dans le port de Vancouver, mais un autre port. Voilà ce qu'accomplirait cette loi.

Le sénateur Cogger: J'aimerais que vous me donniez votre avis sur ce qui suit. Vous êtes un spécialiste du transport. D'une part, les Syndicats du blé des Prairies nous ont dit qu'au cours de la dernière décennie, le transport du grain jusqu'aux marchés d'exportation avait été interrompu 16 fois, ce qui leur avait fait perdre 230 journées. D'autre part, le président de B.C. Maritime Employers' Association a affirmé qu'au cours de la dernière décennie -- soit de la même période --, les exportations de grain avaient été ralenties ou stoppées à cause de conflits de travail avec les débardeurs pendant 25 jours seulement. En d'autres mots, si vous examinez ces deux séries de chiffres, vous en concluez que le transport du grain a été interrompu pendant 230 jours au cours des dix dernières années. Si l'article 87.7 du projet du projet de loi avait été en vigueur, il y en aurait eu 25 de moins. Il reste quand même plus de 200 jours où, même sous le régime du projet de loi, le transport et la manutention auraient été suspendus à cause de conflits de travail dans l'industrie des chemins de fer, par exemple.

M. Church: C'est juste.

M. McGurk: Cela laisse entendre que le libellé est peut-être mal adapté au problème à régler. Par ailleurs, en fin de compte, les conflits de travail avec les débardeurs auront les mêmes effets que les autres.

Le sénateur Cogger: Que faut-il faire? Élargiriez-vous la portée de l'article 87.7 de manière à y inclure toute industrie qui a rapport avec cette question ou le retrancheriez-vous complètement?

M. Beckwith: À notre avis, il faudrait l'enlever.

La présidente: Je précise qu'aux pages 143 et 144 du rapport Sims, le groupe donne les raisons pour lesquelles il fait la recommandation. Cependant, le gouvernement a décidé d'omettre la première phrase de cette recommandation -- un passage qui précise qu'il ne faut pas qu'il y ait d'interdiction générale du recours aux travailleurs de remplacement. Certains qui ont témoigné devant le comité et qui lui ont écrit estimaient qu'ils auraient probablement accepté cet article si la première phrase de la recommandation s'y était trouvée. Elle aurait apporté un peu de précision.

Par contre, il s'agit d'une nouvelle terminologie qui n'a jamais été utilisée en rapport avec des conflits de travail auparavant, comme vous l'avez mentionné ce matin. Il faudra obtenir du ministre, cet après-midi, des éclaircissements quant à la raison pour laquelle on a utilisé cette terminologie.

La plupart des préoccupations visent cet article et celui que vous avez mentionné au sujet des conflits. Un des expéditeurs se demandait pourquoi, si l'article 97.7 ne pouvait être changé, on ne pourrait pas inclure un article imposant que les conflits soient réglés équitablement, c'est-à-dire que les autres travailleurs reçoivent ce qu'obtiennent ceux de l'industrie du grain. Ils ont dit qu'en bout de ligne, il aurait peut-être fallu inclure l'arbitrage des propositions finales.

Avez-vous des observations à faire en ce qui concerne d'autres sociétés?

M. Church: Nous n'avions pas envisagé l'arbitrage des propositions finales, mais il s'agit d'une option. La Loi sur les transports nationaux contient une disposition à cet égard. C'est une option que nous envisagerions pour régler les conflits.

La présidente: Cela pourrait faire l'objet d'une discussion, alors.

M. Brian R. Robinson, vice-président d'entreprise, Ressources humaines, Produits forestiers E.B. Eddy Ltée; Association canadienne des pâtes et papiers: Madame la présidente, en fait, c'est une option qu'a utilisée l'une de nos entreprises l'année dernière au Québec. Domtar Windsor y a aussi recouru. Elles sont parvenues à régler avant l'arbitrage des propositions finales; mais cela avait été prévu.

Le sénateur Cools: En ce qui concerne le paragraphe proposé 94(2.1) à l'égard duquel vous exprimez des objections, je crois comprendre que les témoins sont d'avis que les pratiques déloyales sont déjà suffisamment protégées par les dispositions que renferme, je crois, l'article 94 de la mesure législative.

Vous n'êtes pas le premier témoin à nous dire que ces dispositions sont suffisantes et adéquates.

Savez-vous pourquoi on a jugé nécessaire d'inclure le paragraphe 94(2.1)? Si vous dites que les dispositions sont là et qu'elles sont suffisantes, pourquoi voudrait-on alors introduire cette mesure? Il faudrait peut-être poser cette question au ministre.

Mme McNicoll: Je suis d'accord. C'est le problème que nous avons eu en examinant cette mesure. Nous avons participé aux travaux du groupe consultatif.

Le ministre a dit d'un bout à l'autre qu'il n'avait pas l'intention d'interdire les travailleurs de remplacement. La loi québécoise prévoit une interdiction totale à cet égard. Elle ne laisse planer aucun doute.

Le ministre a toujours dit qu'il s'agirait d'une interdiction limitée. Il s'agissait de faire en sorte que les travailleurs de remplacement, ou les travailleurs de remplacement temporaires, ne soient pas utilisés pour ébranler ou tromper le syndicat, ce qui constituerait une négociation de mauvaise foi et une tactique illégale. Le code renferme des dispositions sur les tactiques de négociation de mauvaise foi.

Nous avons demandé divers avis juridiques pour être sûrs de comprendre la loi et personne n'arrive à comprendre la nécessité de cette disposition.

Le sénateur Cools: Par exemple, l'article 94 de la loi dispose qu'il est interdit à tout employeur ou à quiconque agit pour son compte de participer à la formation ou à l'administration d'un syndicat ou d'intervenir dans l'une ou l'autre.

Je ne lirai pas le reste des interdictions mais, si la protection et les mesures de redressement existent déjà et si les dispositions sont adéquates, pourquoi avoir décidé alors d'introduire cette nouvelle disposition? Les avocats ont un mot pour cela et ils parlent de «double incrimination». J'apprends. Je les écoute. En fait, il peut même s'agir de triple incrimination.

Mme McNicoll: Nous pourrions peut-être apprendre également. Nous nous sommes aussi interrogés sur les pouvoirs de redressement du conseil en ce qui concerne les pratiques déloyales de travail.

À la page 213 du rapport Sims, les auteurs font des recommandations en ce qui concerne les pouvoirs de redressement. Ils ont fait remarquer qu'une certaine incertitude planait toujours au sujet des pouvoirs du conseil et que la Cour suprême du Canada était saisie de cette question dans l'affaire Royal Oak Mines. La décision de la Cour suprême n'avait pas encore été rendue lorsque le groupe de travail a mis la dernière main au rapport Sims. Par conséquent, le groupe de travail avait des doutes sur les pouvoirs de redressement en ce qui concerne l'imposition de solutions en matière de négociation collective lorsque des pratiques déloyales de travail sont en cause.

Ces pouvoirs sont maintenant confirmés. La Cour suprême a établi que le conseil dispose de pouvoirs de redressement pour imposer ce genre de règlement. Nous estimons que le code est tout à fait adéquat dans sa forme actuelle, sans le paragraphe 94(2.1), pour prendre des mesures à l'égard d'un employeur qui recourrait à des travailleurs de remplacement pour contourner ses obligations en matière de négociation collective. Voilà.

Le sénateur Cools: En accord avec ce que vous avez dit, nous nous interrogeons au sujet de l'expression «miner la capacité de représentation d'un syndicat». J'ai essayé d'en comprendre le sens ou de déterminer s'il existe une jurisprudence, un courant d'opinion ou une définition. Avez-vous une idée de ce que signifie cette expression?

Mme McNicoll: Non, nous n'avons pas de réponse. Cependant, nous avons tenté d'obtenir un avis juridique.

Le sénateur Cools: Savez-vous d'où peut venir le libellé?

Mme McNicoll: Nous ne le savons pas. Il faudrait que nous demandions au ministre.

Le sénateur Cools: Plus je m'y attarde, plus cela me semble curieux: «Miner la capacité de représentation d'un syndicat.»

Mme McNicoll: Dans le rapport Sims, à la page 144, la même expression est utilisée dans la recommandation et nous nous posons des questions. Nous avons comparé l'article du projet de loi C-66 à la recommandation du rapport Sims. Nous avons remarqué que dans la recommandation, les auteurs ont utilisé l'expression «Si la preuve est faite». Il y a donc un fardeau de la preuve.

Le sénateur Cools: Je viens tout juste de vous rattraper. Vous parlez de la page 144?

Mme McNicoll: Oui, au bas de la page 144, sous la rubrique «Recommandation». On lit «Si la preuve est faite» que le recours aux travailleurs de remplacement pendant un conflit -- ce qui signifie que le fardeau de la preuve incombe aux plaignants.

Le sénateur Cools: Oui.

Mme McNicoll: Les auteurs ont poursuivi en disant: «[...] vise à miner la capacité de représentation du syndicat» et ont ajouté: «et non à atteindre des objectifs légitimes de négociation.» Dans un premier temps il est question de représentation effective et, dans un deuxième temps, de l'intérêt des employeurs. C'est bien équilibré. Il faudrait considérer cela comme une pratique de travail déloyale.

Ils ont ensuite établi le lien avec l'idée de «pratique de travail déloyale», ce qui signifie que cela doit être interprété -- et, corrigez-moi si je me trompe -- dans le contexte de la jurisprudence existante.

Le sénateur Cools: Oui, dans le contexte de la jurisprudence relative aux pratiques déloyales. C'est ainsi que j'interprète la recommandation du rapport Sims.

Mme McNicoll: Le projet de loi contient une disposition qui supprime le fardeau de la preuve. La représentation effective est incluse dans l'article. Cependant l'intérêt des employeurs ne s'y trouve pas et aucun lien n'est établi avec la notion de pratique de travail déloyale. C'est la raison pour laquelle nous croyons que quelque chose manque.

Le sénateur Cools: Je suis sûre que les témoins ne confèrent pas et ne collaborent pas, mais d'autres témoins ont déjà soulevé à peu près la même objection.

Mme McNicoll: Oui.

Le sénateur Cools: Il est évident que dans la recommandation du rapport Sims, à laquelle les législateurs ont emprunté un ou deux mots, M. Sims parle des dispositions que vous avez jugées adéquates. De toute évidence, ces dispositions remplissent leur rôle depuis un bon moment. C'est très curieux.

Mme McNicoll: Les États-Unis, comme l'a dit M. Sims dans son rapport, disposent d'une législation sur les travailleurs de remplacement qui établit elle aussi le lien avec la notion de pratique de travail déloyale. Tant que cette notion est présente, le recours à ces derniers est interprété en fonction de la jurisprudence existante. Nous comprenons ce qu'est une pratique de travail déloyale. Nous comprenons ce qu'est une tactique illégale. Personne ne comprend vraiment de quoi il s'agit.

Le sénateur Cools: D'autres personnes ont soulevé ce point, mais cette explication a été plus particulièrement pertinente pour ce qui est de l'éclaircissement que vous avez apporté en ce qui a trait au lien que vous avez établi entre les deux déclarations et au rattachement au concept de pratique de travail déloyale.

La présidente: La plupart des réserves qui ont été faites sur cet article ont indiqué que, si le gouvernement avait donné suite à la recommandation du rapport Sims, les gens auraient été d'accord.

Mme McNicoll: Tant que le lien est établi avec le concept de pratique de travail déloyale de sorte que cela nous ramène à ce qui est déjà prévu dans le code et à ce que nous croyons être la jurisprudence sur la pratique de travail déloyale, l'article proposé devrait alors être interprété dans ce contexte dès qu'une plainte est formulée. Il s'agirait d'une protection.

Le sénateur Maheu: Je vous remercie de votre exposé. Ce point a été soulevé à plusieurs reprises. Je me demande si, peut-être par erreur, vous supposez que le rapport Sims est ce qu'il y a de mieux. Le ministre a procédé lui-même à une consultation pancanadienne. L'existence d'un groupe de travail ne signifie pas que chaque recommandation qu'elle fait et chaque mot qu'elle utilise doit se retrouver dans la loi, surtout lorsque le ministre, pour la première fois depuis longtemps, a étudié la question à fond et n'a pas lésiné sur les consultations populaires. Il se peut qu'il ait une opinion différente. Laissez-nous la découvrir cet après-midi.

Le sénateur Cogger: Si des consultants sont embauchés à grands frais pour les contribuables canadiens et qu'un rapport est préparé, pourquoi le ministre ne tiendrait-il pas compte des recommandations?

Le sénateur Cools: Le sénateur Maheu a raison. Il n'a pas à accepter ces recommandations.

Le sénateur Cogger: Il n'a pas à les accepter toutes, mais les consultants ont le droit de savoir pourquoi il n'en a pas tenu compte.

Le sénateur Cools: Il ne les a pas acceptées. Les témoins viennent d'expliquer clairement que le ministre n'a pas accepté les recommandations du rapport Sims.

Le sénateur Cogger: Nous savons cela. Nous voulons savoir pourquoi.

Le sénateur Maheu: Nous le lui demanderons cet après-midi.

Le sénateur Cogger: Vous dites que le rapport Sims n'est pas ce qu'il y a ce qu'il y a de mieux dans le genre. Dites-vous la même chose au sujet du ministre?

Le sénateur Maheu: Il n'est pas le seul à avoir une opinion.

Le sénateur Cogger: Nous le saurons lorsque le ministre sera ici.

Le sénateur Maheu: C'est sa prérogative, comme l'avaient les conservateurs lorsqu'ils étaient au pouvoir.

La présidente: Nous devenons partisans.

Vous avez à coup sûr bien exposé vos points de vue. Nous demanderons au ministre cet après-midi de nous expliquer cette disposition. Je vous remercie d'avoir comparu devant notre comité aujourd'hui.

La séance est levée.


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