Délibérations du comité sénatorial permanent
des
transports et des communications
Fascicule 1 -- Témoignages
Ottawa, le mardi 26 mars 1996
Le comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 17 h 30, pour organiser ses travaux.
[Traduction]
M. Tim Wilson, greffier du comité: Honorables sénateurs, je constate que nous avons le quorum.
À titre de greffier de votre comité, je suis autorisé à présider à l'élection du président et je suis prêt à recevoir des motions à cet effet.
Le sénateur Poulin: Je propose la candidature du sénateur Bacon.
M. Wilson: Le sénateur Poulin propose que le sénateur Bacon soit élue présidente du comité. Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?
Des voix: D'accord.
M. Wilson: Adopté.
J'invite le sénateur Bacon à occuper le fauteuil.
L'honorable Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.
La présidente: J'aimerais remercier les sénateurs de la confiance qu'ils me témoignent. Même si tous les membres ne pouvaient être présents cet après-midi, j'espère que nous pourrons accomplir bien des choses au sein de ce comité. Je compte sur chacun de vous.
[Français]
J'espère qu'on aura la collaboration de tout le monde, pour continuer le bon travail déjà commencé à ce comité. L'article 3 de l'ordre du jour est l'élection à la vice-présidence.
[Traduction]
Le sénateur Poulin: Je propose que le sénateur Forrestall soit nommé vice-président.
La présidente: Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs?
Des voix: D'accord.
La présidente: Adopté.
[Français]
Alors, il y aura un sous-comité du programme et de la procédure. Il se compose d'un autre membre du comité désigné au besoin après les consultations d'usage. Alors, on voudrait:
Que le sous-comité soit autorisé à inviter les témoins et à établir l'horaire des audiences.
Donc, j'aurais besoin d'une proposition pour un membre du sous-comité. Sénateur Roux?
[Traduction]
Le sénateur Roux: Je propose la candidature du sénateur Poulin.
[Français]
La présidente: Est-ce que vous acceptez sénateur Poulin?
Le sénateur Poulin: Oui.
La présidente: Alors, sénateur Poulin vous faites partie du sous-comité du programme et de la procédure.
Il faut aller ici à l'article 5. Alors, on suggère de faire imprimer 600 exemplaires des délibérations du comité, mais nous avons besoin d'une proposition, que le comité fasse imprimer - 600 c'est le nombre qu'on nous suggère - des exemplaires des délibérations et que la présidente soit autorisée à ajuster cette quantité en fonction des besoins.
[Traduction]
Le sénateur Forrestall: J'aimerais poser une question au personnel de l'administration. Est-ce que cela a suffi l'année dernière?
La présidente: Peut-être devrions-nous poser la question. Est-ce que six cents exemplaires ont suffi?
M. Wilson: Une étude des besoins de tous les comités a été faite. Le chiffre auquel nous sommes arrivés pour ce comité est 600, soit pas plus que 5 p. 100 de plus par rapport aux besoins à n'importe quel moment donné. Il s'agit donc de 600 exemplaires pour ce comité.
Le sénateur Forrestall: Madame la présidente, la souplesse que prévoit cette motion nous est parfaitement acceptable.
La présidente: Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs?
Des voix: D'accord.
La présidente: Adopté.
Le point suivant porte sur l'autorisation à tenir des réunions et impression des témoignages en l'absence de quorum.
Le sénateur Forrestall: Je propose:
Que, conformément à l'article 89 du Règlement, la présidence soit autorisée à tenir des réunions pour entendre des témoignages et à en permettre la publication en l'absence de quorum.
Tels sont les procédures et usages habituels.
La présidente: Est-ce d'accord?
Des voix: D'accord.
La présidente: Adopté.
[Français]
En ce qui concerne le rapport financier, le comité doit, conformément à l'article 104 du Règlement, déposer un relevé des dépenses faites par le comité au cours de la session précédente. On aurait besoin d'une motion.
[Traduction]
Que, conformément à l'article 104 du Règlement, la présidence soit autorisée à faire rapport des dépenses faites au cours de la dernière session.
Le sénateur Roux: Je le propose.
La présidente: Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs?
Des voix: D'accord.
La présidente: Adopté.
Le point suivant porte sur le personnel de recherche. Les attachés de recherche affectés au comité sont recrutés par l'intermédiaire de la Bibliothèque du Parlement ou à l'extérieur. Nous avons besoin d'une motion à l'effet:
Que le comité demande à la Bibliothèque du Parlement d'affecter des attachés de recherche auprès du comité; et
Que la présidence soit autorisée à diriger le personnel de recherche dans la préparation d'études, d'analyses, de résumés et d'ébauches de rapports.
Le sénateur Roux: Je le propose.
Le sénateur Forrestall: S'agit-il d'une motion absolument courante? Je n'ai jamais vu un tel libellé. Elle indique en effet qu'il incombe à la présidence de décider ce qui doit se faire en dehors de la compétence du comité de direction ou, alternativement, en dehors des conseils du comité lui-même. J'aurais pensé - peut-être l'ai-je mal interprétée - qu'une telle autorisation serait donnée à condition ou, étant donné que la présidence est en fait chargée de donner suite à nos demandes.
Ai-je tort? Peut-être le greffier pourrait-il nous dire ce qu'il en est de la tradition. Je ne veux pas qu'il vous incombe de trouver les ressources nécessaires pour nos études et de les convoquer de votre propre initiative.
La présidente: On m'a dit, monsieur le sénateur, que la même formulation a été autorisée par tous les comités. Je ne sais pas s'il s'agit d'un nouveau libellé.
Le sénateur Forrestall: Ce que je veux dire, madame la présidente, c'est que bien que ce soit la même chose pour les séances d'organisation de chaque comité, je ne savais pas que la présidence devait avoir une telle autorité et un tel pouvoir.
Il est indiqué que la présidence soit autorisée à diriger le personnel de recherche dans la préparation d'études, d'analyses, de résumés et d'ébauches de rapports.
La présidente: Peut-être le greffier pourrait-il nous donner quelques renseignements à ce sujet.
Le sénateur Forrestall: Il me semble que c'est au comité de direction d'ordonner à la présidence de diriger les études. Il me semble qu'il manque un élément. Il se peut que j'aie tort. Si oui, je ne veux pas m'étendre davantage là dessus. Il me semble que cela est légèrement différent de ce que nous avions coutume d'avoir dans le passé.
M. Wilson: Madame la présidente, l'idée du sénateur Forrestall me semble bonne. Il serait très facile d'incorporer ceci dans la motion telle que proposée. Elle se lirait ainsi: Que la présidence, sur ordre du comité de direction, soit autorisée à diriger le personnel de recherche.
Cette motion qui est une motion courante, d'après ce que je comprends, vise à s'assurer que le comité peut faire faire le travail de manière opportune de façon qu'il n'ait pas nécessairement à attendre une séance du comité de direction ou du comité. De toute évidence, tout ce que les attachés de recherche font pour le comité doit, au bout du compte, être approuvé par le comité. C'est la dernière étape. Je ne vois rien de mal, madame la présidente, à ajouter ceci.
Le sénateur Forrestall: Je serais heureux de proposer cette motion telle que modifiée.
La présidente: Vous plaît-il d'adopter la motion?
Des voix: D'accord.
La présidente: La motion est adoptée, telle que modifiée.
Le point suivant vise l'autorisation d'engager des fonds et d'approuver les comptes à payer. La motion se lit comme suit:
Que, conformément à l'article 32 de la Loi sur la gestion des finances publiques, l'autorisation d'engager les fonds du comité soit conférée à la présidence ou, en son absence, à la vice-présidence; et
Que, conformément à la directive 3:05 de l'annexe II du Règlement du Sénat, tout paiement de fonds au nom du comité soit subordonné à une attestation, en vertu de l'article 34 de la Loi sur la gestion des finances publiques, de la présidence, de la vice-présidence ou du greffier du comité.
Le sénateur Forrestall: Cela me convient, madame la présidente. Il s'agit, une fois de plus, d'un nouveau libellé. Nous l'avons déjà mis en pratique. Cela ne me pose absolument aucun problème.
Le sénateur Poulin: Je propose cette motion, madame la présidente.
La présidente: Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?
Des voix: D'accord.
La présidente: Adopté.
Le point suivant porte sur les frais de déplacement des témoins.
[Français]
On pourrait dire:
Que, conformément aux lignes directrices du Sénat gouvernant les frais de déplacement des témoins, le comité peut rembourser des dépenses raisonnables de voyage et d'hébergement à un maximum de 2 témoins d'un même organisme, après qu'une demande de remboursement a été présentée.
Le sénateur Roux: J'appuie cette motion.
La présidente: La motion est adoptée.
[Traduction]
Nous devons essayer de trouver un horaire des séances régulières. Y a-t-il des propositions à ce sujet?
Le sénateur Poulin: Puis-je proposer l'heure à laquelle nous nous sommes réunis aujourd'hui?
Le sénateur Forrestall: Aujourd'hui, à cette heure-ci, ou après l'ajournement du Sénat le mardi.
La présidente: Est-ce d'accord?
Des voix: D'accord.
Le sénateur Forrestall: Ce qui est tout aussi important, madame la présidente, c'est que nous nous réunissions en un seul endroit, et non en quatre ou cinq endroits différents. C'est un point auquel j'attache beaucoup d'importance.
La présidente: Y a-t-il d'autres questions dont les sénateurs souhaiteraient débattre?
Le sénateur Poulin: Je crois que le président de la Régie interne souhaiterait probablement que nous présentions, en même temps que notre budget pour la session en cours, un plan de communications. Chaque comité doit produire un tel plan. Si vous le souhaitez, je peux commencer à travailler là dessus avec la présidence.
La présidente: Quand faudra-t-il le présenter?
Le sénateur Poulin: En même temps que notre budget. Le greffier pourrait nous indiquer quand il sera prêt à présenter un budget de fonctionnement.
Le sénateur Forrestall: J'ai deux points qui, à mon avis, sont assez importants.
Avant de vous les présenter, j'espère que nous serons en mesure d'avoir une séance du comité de direction avant les vacances de Påques, afin de décider des travaux d'enquête par opposition aux travaux législatifs. Après les vacances de Påques, nous devrions présenter au comité quelques recommandations quant aux questions que nous souhaitons examiner.
J'aimerais vous informer que je souhaite prendre fait et cause pour le sénateur Davey, membre fort distingué et de longue date de ce comité, et vous proposer d'examiner la question de la sécurité des camions sur les routes du Canada. Nous n'avons pas pu le faire ces dernières années à cause de l'importance accordée aux mesures législatives dans le domaine des communications et des changements de politique qui sont survenus. Ces questions ont énormément préoccupé notre comité.
Deuxièmement, j'aimerais faire part à mes collègues de mes très forts sentiments à l'égard du transport aérien national. La loi régissant le transport aérien date maintenant de 70 ans.
Maintenant que notre pays dépasse l'époque de l'avion à réaction et adopte d'autres formes de communication, nous devrions faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que cette forme démodée de communication - le vol en avion - reste à jour. Je propose que nous nous penchions sur cette question l'année prochaine ou à l'automne et qu'elle fasse partie des propositions d'autres membres. Ils auront peut-être de la difficulté à me convaincre que leurs idées ont la priorité sur la mienne.
Je propose que le comité de direction se réunisse là dessus.
La présidente: Nous essaierons de trouver un moment qui convienne.
Je propose que nous demandions aux membres du comité absents aujourd'hui de nous présenter leurs priorités. Nous ne devons pas oublier que les communications, ainsi que le transport, font partie de notre mandat. Certains s'intéressent davantage aux communications qu'au transport et vice versa.
Le sénateur Poulin: Serait-il possible que le comité de direction ait une mise à jour de l'étude entamée par le comité au cours de la session passée sur la concurrence interne au sein des télécommunications dans notre pays? J'ai assisté en partie à l'étude et j'aimerais en avoir une mise à jour.
M. Daniel Shaw, Bibliothèque du Parlement: Je peux commencer à préparer cela pour le comité.
Le sénateur Forrestall: Nous devrions probablement avoir terminé ceci d'ici les vacances d'été.
M. Shaw: Il faut d'abord décider si on poursuit cette étude. D'après l'ordre du jour précédent, nous voulions entendre 12 témoins de plus. Cela pourrait se faire, compte tenu du temps dont vous disposez; il s'agirait alors uniquement de rédiger le rapport.
Le sénateur Poulin: Avant de prendre quelque décision que ce soit, il serait sage d'avoir un résumé de l'objectif, de savoir dans quelle mesure l'objectif a été atteint, quels témoins ont été entendus et ce qu'il reste à faire.
La présidente: Nous pouvons en débattre davantage au comité de direction. Nous devons nous occuper du projet de loi C-14 cette semaine. C'est un début. À l'automne, nous aurons la loi maritime et les plans NavCan. Nous serons bien occupés.
Y a-t-il d'autres questions aujourd'hui?
Le sénateur Forrestall: Il n'y en a pas d'autres, sauf que nous voulons vous féliciter pour votre élection et vous assurer de tout notre appui.
La présidente: Merci beaucoup. Le comité de direction se réunira sous peu.
La séance est levée.
Ottawa, le mardi 23 avril 1996
Le comité sénatorial permanent des transports et des communications, auquel a été renvoyé le projet de loi C-14, Loi sur les transports au Canada, se réunit aujourd'hui, à 17 h 30, pour en faire l'examen.
Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.
La présidente: Je tiens à vous souhaiter la bienvenue, monsieur Keyes, madame Greene, monsieur Patenaude et madame Burr du ministère des Transports. Je crois que vous avez une déclaration à faire sur le projet de loi C-14, après quoi les membres du comité pourront vous poser des questions.
M. Stan Keyes, secrétaire parlementaire du ministre des Transports: Honorables sénateurs, c'est pour moi un privilège de comparaître devant vous cet après-midi bien que je doive avouer que c'est la première fois en huit ans de politique que je me trouve à ce bout de la table du comité. Je vous demande de ne pas être trop sévère.
Je suis accompagné aujourd'hui de Moya Greene, sous-ministre adjointe; de Kristine Burr, directrice générale de la politique et des programmes des transports de surface, Politiques et coordination, et de Jean Patenaude, conseiller spécial auprès du sous-ministre. Ils m'aideront à vous fournir des réponses détaillées et complètes à toutes vos questions concernant le projet de loi C-14.
Le ministre Anderson regrette beaucoup de ne pouvoir être des vôtres aujourd'hui au moment où vous entamez vos délibérations sur le projet de loi C-14, Loi sur les transports au Canada. Je crois toutefois comprendre que le ministre a pris des dispositions pour se joindre à vous le 7 mai afin de discuter du projet de loi.
Mes observations ce soir porteront principalement sur les aspects du projet de loi qui se rattachent à l'industrie ferroviaire. J'aimerais aborder trois grands thèmes. Le premier porte sur le renouvellement du réseau ferroviaire, qui constitue un enjeu pour le Canada à l'heure actuelle. Le deuxième concerne le processus que nous avons suivi pour préparer le projet de loi. Le troisième thème aborde les principes énoncés par le projet de loi.
Le renouvellement du réseau ferroviaire est un enjeu sur le plan législatif car nous n'avons pas été préparés à examiner la situation réelle dans laquelle se trouve l'industrie aujourd'hui. Il y a plusieurs dizaines d'années, l'industrie ferroviaire dominait notre économie. Environ 80 p. 100 du transport des voyageurs et des marchandises se faisait par chemin de fer. Dans ces conditions, nous avons établi des mesures législatives importantes pour compenser les risques réels et éventuels de monopole. Aujourd'hui, l'industrie ferroviaire est devenue relativement spécialisée dans le transport des marchandises en vrac comme le charbon, le blé, les produits forestiers, la potasse, le souffre et les produits pétrochimiques, qui constitue son gagne-pain.
Aujourd'hui, comme les chemins de fer sont restreints par les emplacements fixes de leurs lignes, ils sont probablement aussi captifs de leurs principaux expéditeurs que peut l'être tout expéditeur. La mondialisation des marchés permet à la plupart des expéditeurs, moyennant certains coûts, de réagir à l'évolution du marché en étendant leur production à un nouvel endroit dans une autre région ou un autre pays ou en fermant une exploitation sur le déclin.
Ce sont les nouvelles règles du jeu. Ceux qui préféreraient revenir à des temps plus simples ou fermer les yeux sur cette nouvelle réalité le font à leurs propres risques. La Loi sur les transports nationaux de 1987 a éliminé la plupart des règlements économiques qui régissaient encore les autres modes. Les entreprises ont réussi à relever tous les défis qui se sont présentés par suite de cette mesure. Les conséquences désastreuses prédites par suite de ces changements de politique ne se sont jamais matérialisées. La réglementation économique des chemins de fer a connu beaucoup moins de changements en 1987.
L'industrie canadienne est toujours dans le marasme tandis que l'industrie déréglementée aux États-Unis affiche une nouvelle vigueur. Étant donné que toutes les voies doivent être entretenues et que nos hivers canadiens sont rigoureux, l'industrie ferroviaire est une industrie extrêmement capitalistique. Chaque année, elle doit trouver et dépenser des centaines de millions de dollars simplement pour garder les voies dans un état raisonnable. Or, selon l'évaluation faite par l'Office national des transports, l'industrie n'a jamais réussi au cours des décennies passées à rentrer dans ses frais.
Qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie que l'industrie ferroviaire ne dispose d'aucun moyen de remplacer l'ensemble de son parc à rail actuel. On est en droit de se demander si on a vraiment besoin de toutes ces voies. La réponse est probablement non. Environ 84 p.100 du trafic ferroviaire n'utilise qu'un tiers de la totalité du réseau ferroviaire. La vente de lignes à de nouveaux exploitants de lignes secondaires dont les coûts sont moins élevés peut prendre jusqu'à deux ans. Le processus légal pour l'abandon d'une ligne prend tout autant de temps en plus d'être extrêmement accusatoire et coûteux.
Bref, même si nous constatons en quoi consiste vraiment le problème, nous n'avons pas été disposés jusqu'à présent, du moins sur le plan législatif, à autoriser les chemins de fer à s'y attaquer directement.
L'industrie ferroviaire connaît d'autres problèmes importants. Les conventions collectives perpétuent des méthodes de travail peu économiques et dépassées; l'industrie ferroviaire est aux prises avec un fardeau fiscal élevé et des règles fiscales différentes comparativement à ses concurrents qui sont bien entendu les chemins de fer et les camionneurs américains; et l'industrie ferroviaire est soumise à une surveillance réglementaire excessive.
En vertu des lois actuelles, l'organisme de réglementation doit accepter ou approuver environ 200 différents types de décisions d'affaires. Il s'agit donc d'une industrie aux prises avec de graves problèmes structurels, où le renouvellement se fait attendre depuis longtemps.
Un autre facteur qui contribue à ce problème structurel, c'est que le CN et le CP ont été obligés d'accepter des amortissements conjugués de pratiquement quatre milliards de dollars au cours des quatre dernières années, dont une faible partie pour des activités non ferroviaires. Il ne fait aucun doute que certains de ces problèmes sont le résultat des propres décisions de la direction. Cependant, une bonne partie de cette perte découle du fardeau législatif et réglementaire que nous avons imposé à cette industrie et qui fait obstacle aux changements tant attendus.
L'industrie ferroviaire a pris de nombreuses initiatives pour diminuer ses coûts mais se trouve pratiquement paralysée puisque ses recettes ont diminué au même rythme. Cette situation est en partie attribuable à la concurrence mondiale, de même qu'aux importants nouveaux leviers de négociation accordés aux expéditeurs en 1987.
En règle générale, le prix payé par un expéditeur en 1996 pour transporter une tonne de marchandises par train est d'environ 30 p. 100 inférieur en dollars constants au prix qu'il payait pour le même service en 1986. Le gouvernement doit se donner un plan d'action pour contribuer à l'avènement du changement gråce auquel des solutions commerciales négociées entre les parties directement touchées remplaceront la réglementation chaque fois que cela est possible; pour se retirer d'une vaste gamme d'activités directes de Transports Canada; pour vendre nos intérêts au CN; pour exiger que la décision arbitrale imposée à l'issue de la dernière grève des cheminots tienne dûment compte de la viabilité commerciale dans l'industrie; et pour moderniser le cadre législatif comme le prévoit le projet de loi C-14.
En ce qui concerne le deuxième thème portant sur la préparation du projet de loi, le sénateur Bacon a déjà fait des observations lors de la deuxième lecture sur les vastes consultations qui ont été entreprises avec les parties directement touchées par ce projet de loi qui s'appelait alors le projet de loi C-101. Tout au long de ce processus de consultation, qui a débuté il y a plus de 18 mois, l'ancien ministre des Transports et le ministre actuel ont souligné que le gouvernement était disposé à prendre connaissance des propositions constructives destinées à améliorer ce projet de loi.
La première étape de la consultation sur ce projet de loi a duré une année entière avant même la présentation du projet de loi en juin dernier. La deuxième étape, qui s'est déroulée pendant tout l'été, a permis aux principaux intéressés de présenter leurs propositions d'ajouts et d'améliorations.
Lors de la troisième étape, le comité permanent que j'ai eu l'honneur de présider a reçu plus de 120 mémoires écrits, entendu 83 témoins pendant 55 heures de témoignages et a apporté plus de 80 amendements au projet de loi.
En vertu d'une nouvelle procédure en vigueur à la Chambre des communes et énoncée à l'article 73(1) du Règlement, le projet de loi a été renvoyé à notre comité avant l'étape de la deuxième lecture. Notre comité a donc eu plus de temps pour tenir des audiences sérieuses et en profondeur et a réussi à établir un consensus sur les aspects fondamentaux du projet de loi, comme en témoigne le degré d'unanimité dont les amendements ont fait l'objet.
Je tiens également à souligner que même le pugnace porte-parole réformiste en matière de transports a dit beaucoup de bien de cette procédure. Vous remarquerez que j'ai dit «pugnace» et non «contrariant».
Enfin, au cours du débat à l'étape du rapport le mois dernier, le gouvernement a accepté 17 amendements supplémentaires, y compris des changements aux articles 27 et 113 du projet de loi, qui est devenu l'article 112. Une centaine d'amendements ont donc été apportés pour mettre au point et éclaircir le projet de loi. Aucun de ces amendements ne rompra le délicat équilibre général que le gouvernement a cherché à établir, dans ce projet de loi, entre les intérêts des expéditeurs et ceux des transporteurs.
Le dernier thème que je veux aborder porte sur les principes généraux que devrait établir ce projet de loi à l'intention de l'industrie ferroviaire et d'autres secteurs. Le premier est la simplification de la loi. Ce projet de loi condense plus d'un millier de pages de dispositions législatives en majeure partie obsolètes en un document de 200 pages plus facile à consulter.
Bien que toute loi fasse inévitablement l'objet de certaines critiques, au bout du compte, seuls quelques-uns des 180 articles du corps du projet de loi ont fait l'objet de commentaires négatifs par suite de cette modernisation d'une telle ampleur. Les critiques dans ces quelques secteurs provenaient des deux camps. Certains ont dit que nous étions allés trop loin; d'autres ont dit que nous n'étions pas allés assez loin. Au bout du compte, toutefois, il ne faut pas oublier que nous, les législateurs, ne sommes pas directement en mesure d'améliorer l'efficacité commerciale de l'industrie ferroviaire. Cette tåche relève des entreprises et de leurs employés.
En tant que législateurs, nous pouvons faciliter des changements positifs gråce à un cadre qui incite l'industrie à se comporter davantage comme une industrie de services, ce qu'elle est en réalité; qui offre de nouveaux leviers susceptibles d'encourager l'industrie à améliorer son efficacité; et qui veille à ce qu'une protection soit assurée là où elle est vraiment nécessaire.
Pour mettre en oeuvre de tels principes, nous avons abordé la rationalisation des lignes de chemin de fer sous un angle commercial, c'est-à-dire une démarche axée sur la recherche de l'option la plus positive pour une ligne que son propriétaire ne peut plus exploiter; où un préavis suffisant est donné; où on détermine l'intérêt de tous les acheteurs possibles; et où une ligne n'est fermée qu'une fois que tout le monde a rejeté l'option d'en poursuivre l'exploitation.
Nous avons conservé tous les leviers de négociation spéciaux que nous avions ajoutés à l'intention des expéditeurs dans la loi de 1987. Conformément à l'orientation adoptée par le gouvernement en matière de réglementation, le projet de loi élimine toutes les dispositions et tous les processus réglementaires inutiles ou qui font double emploi, pas seulement dans le secteur ferroviaire mais dans d'autres domaines importants.
Le projet de loi achève la déréglementation du secteur du transport aérien intérieur en éliminant tous les vestiges inutiles des règlements économiques dans le Nord, en établissant des critères financiers minimums pour l'admission de nouveaux transporteurs et une disposition interdisant la vente de billets avant l'octroi d'une licence, ce que je considère très important aujourd'hui. Le projet de loi élimine également la réglementation économique inutile du transport routier, des services d'approvisionnement par eau dans le Nord, et des fusions et acquisitions.
Même si le gouvernement déréglemente les modes de transport et réduit la surveillance au jour le jour exercée par l'Office, le projet de loi veille également à ce que le gouvernement puisse encore intervenir advenant une série de circonstances imprévues susceptibles de perturber l'efficacité du réseau national.
Dans l'ensemble, le projet de loi rend le cadre législatif plus logique, plus court et compréhensible.
En conclusion, nous avons abordé la question du renouvellement du réseau ferroviaire pour donner suite aux problèmes que connaît l'industrie aujourd'hui. Nous avons entrepris un vaste processus de consultation sur 18 mois et apporté une centaine d'amendements au projet de loi afin de l'améliorer. Nous avons préparé un projet de loi destiné à accentuer l'orientation commerciale de l'industrie tout en diminuant la réglementation à laquelle elle est assujettie.
Je crois que ces politiques sont cohérentes, transparentes et équitables. Elles contribueront à moderniser le secteur ferroviaire et permettront au Canada et aux entreprises canadiennes d'exercer une concurrence efficace qui se poursuivra pendant une bonne partie du XXIe siècle.
Madame la présidente, ce sont mes commentaires. Mes collaborateurs de Transports Canada et moi-même sommes prêts à répondre à vos questions.
Le sénateur Roberge: Je tiens à vous féliciter du travail consciencieux accompli de l'autre côté dans votre comité. Ce projet de loi se faisait attendre depuis longtemps.
Certaines dispositions de l'article 145, à la page 68 du projet de loi, se lisent comme suit:
La compagnie est tenue d'offrir aux gouvernements ou administrations municipales de leur transférer tous ses intérêts à leur valeur nette de récupération ou moins...
J'aimerais savoir ce que l'on entend par cette disposition.
En ce qui concerne la valeur nette de récupération, je ne crois pas que ce soit un problème s'il s'agit de biens durables comme des locomotives, et cetera. Cependant, comment sera évaluée la valeur nette de récupération par rapport à la valeur marchande du terrain?
M. Keyes: Je demanderais à Moya Greene de répondre à cette question.
Tout d'abord, je tiens à vous remercier des compliments que vous m'avez adressés ainsi qu'au travail accompli par le comité. Je tiens à souligner que cela a été rendu possible gråce à la collaboration de toute une équipe. Le président y a été pour quelque chose, mais les membres de l'opposition aussi car ils ont grandement contribué à ce projet de loi. Je dois avouer aussi que nous n'aurions pas réussi à obtenir certains des compromis que reflète ce projet de loi si dans certains cas les amendements présentés n'avaient pas fait l'objet d'une approbation unanime.
Mme Moya Greene, sous-ministre adjointe, Politique et coordination, ministère des Transports: Sénateur, en ce qui concerne la question que vous avez soulevée sur la différence entre l'évaluation de la valeur marchande et de la valeur nette de récupération, d'après ce que je crois comprendre, cela dépend de l'endroit où est située la voie. Nous sommes tout à fait disposés à mettre des spécialistes à votre disposition pour traiter de cette question si vous le désirez.
La valeur nette de récupération peut inclure la valeur marchande du terrain. Cependant, elle inclut également la valeur de l'acier qui se trouve sur la voie. Dans bien des cas, les lignes les plus susceptibles d'être mises en vente se trouvent dans des parties du pays où la valeur du terrain n'est pas tellement élevée. Dans la plupart des cas, nous ne parlons pas du centre-ville des grandes agglomérations urbaines du pays. Il s'agirait de déterminer la valeur de l'acier à vendre.
Le sénateur Roberge: Je veux bien me faire comprendre. Je comprends de quoi il s'agit lorsque l'on parle d'acier, de locomotives ou de ce que vous voulez. Cependant, en ce qui concerne les biens durables - et je parle du terrain - il est impossible d'évaluer la valeur nette de récupération d'un terrain; on peut uniquement en évaluer la valeur marchande.
Mme Greene: C'est exact. Cependant, la valeur nette de récupération du tronçon de voie dont vous parlez comprend également une évaluation de la valeur marchande de ce terrain, laquelle, à cause de son emplacement, sera souvent très faible.
Le sénateur Roberge: Je comprends que si ce terrain est situé dans un bled quelconque, il n'aura pas une grande valeur. Cependant, êtes-vous en train de dire qu'il sera évalué selon la valeur marchande de l'endroit où il se trouve?
Mme Greene: Oui.
Le sénateur Roberge: Il ne sera pas évalué selon la valeur nette de récupération puisqu'il est impossible d'évaluer la valeur nette de récupération d'un terrain.
Mme Greene: Cette expression a toujours été utilisée à l'égard des tronçons de lignes de chemin de fer. On a toujours parlé de la valeur nette de récupération du tronçon. Il ne s'agit pas d'une nouvelle tåche pour l'Office, ni évidemment pour les évaluateurs professionnels.
Je comprends où vous voulez en venir, sénateur, à savoir qu'habituellement lorsque nous parlons de récupération, nous parlons de la valeur résiduelle d'un bien qui doit être vendu sur un marché. Cependant, en ce qui concerne les tronçons d'une voie ferrée, c'est l'expression qui a toujours été utilisée. Elle incorpore les deux éléments. Le premier élément est le terrain qui est utilisé à des fins ferroviaires ou à d'autres fins s'il existe d'autres fins. Le deuxième élément est l'acier.
Le sénateur Roberge: Avez-vous d'autres commentaires à faire à ce sujet?
M. Jean Patenaude, conseiller spécial du sous-ministre, ministère des Transports: Non, je suis d'accord avec cette explication. C'est la valeur du terrain moins le coût de sa mise en marché.
Le sénateur Roberge: Vous êtes en train de parler de la valeur marchande du terrain moins les coûts de sa mise en marché, n'est-ce pas?
M. Patenaude: Oui. C'est une mesure prévue par la loi actuelle qui n'a pas été modifiée par le projet de loi.
Mme Greene: Elle existe depuis longtemps.
Le sénateur Roberge: Ce n'est pas précisé, c'est pourquoi je voulais vérifier.
Ne nous avez-vous pas dit qu'au cours des dix dernières années le prix des rails avait diminué de 30 p. 100?
Mme Greene: Oui.
Le sénateur Roberge: Auriez-vous un graphique qui illustrerait la courbe des prix des rails par rapport à la fluctuation du marché au cours de la même période?
Mme Greene: Certainement, mais je n'en ai pas avec moi aujourd'hui.
Le sénateur Roberge: J'aimerais avoir ces renseignements pour les utiliser à une prochaine réunion du comité.
Mme Greene: Je vous en ferai parvenir un sans problème.
Le sénateur Roberge: Le fardeau fiscal des compagnies de chemin de fer est beaucoup plus élevé ici qu'aux États-Unis. Je crois que l'écart se situe entre 8 et 14 p. 100. Le gouvernement se penchera-t-il sur cet aspect du régime fiscal?
Mme Greene: Le gouvernement examine la situation fiscale de l'industrie ferroviaire depuis quelques mois. Toutefois, comme vous le savez, cette question ne relève pas exclusivement du gouvernement fédéral. Le fardeau fiscal que doivent supporter nos compagnies de chemin de fer est en grande partie attribuable aux provinces ou, dans certains cas, aux municipalités qui assujettissent ces compagnies à de lourds impôts fonciers. Seulement un faible pourcentage du fardeau fiscal est attribuable au gouvernement fédéral.
Nous avons discuté de cette question avec nos collègues provinciaux. Certaines provinces, notamment le Québec, ont décidé de réduire le fardeau fiscal de l'industrie ferroviaire pour la raison que vous venez de mentionner, à savoir que celle-ci doit être en mesure de concurrencer l'industrie américaine.
Nous surveillons la situation. Il s'agit de discuter régulièrement avec nos collègues provinciaux. Nous parvenons à faire entendre d'autres points de vue afin que tous comprennent l'importance que revêt cette question pour la compétitivité du système.
Le sénateur Roberge: Vous travaillez déjà sur la TPS; ce point sera peut-être plus facile à régler.
M. Keyes: Lorsqu'il est question d'argent, les négociations avec les provinces sont toujours difficiles.
Le sénateur Spivak: Pouvez-vous me rappeler quelle part de marché occupait le transport ferroviaire par rapport au transport routier? Je crois que vous avez mentionné le chiffre de 40 p. 100.
M. Keyes: Oui, elle est d'environ 40 p. 100.
Le sénateur Spivak: D'après vous, dans quelle mesure les compagnies de chemin de fer parviendront-elles à conserver leur part de marché? Quand cette part a-t-elle changé? À quel rythme ce changement s'est-il produit? À l'exception des coûts, à quels facteurs attribuez-vous le changement très rapide qu'a connu l'industrie canadienne des transports?
Mme Greene: Depuis que l'industrie du camionnage pour le compte d'autrui a pris un grand essor vers la fin des années 1950, la popularité du transport routier s'est accrue au détriment du transport ferroviaire. Les camions peuvent être utilisés à des prix concurrentiels et ils offrent plus de souplesse pour transporter certaines marchandises sur des distances inférieures à, disons, 500 kilomètres.
Je crois personnellement que malgré les énormes progrès qu'elles ont réalisés depuis dix ans pour récupérer une partie du marché des produits transportés sur des distances inférieures à 500 kilomètres, nos compagnies de chemin de fer auront beaucoup de difficultés à reprendre tout le terrain perdu. Elles tentent de s'associer à des entreprises de camionnage, d'adopter une nouvelle conception de la livraison, d'améliorer leur ponctualité et d'offrir des liaisons ferroviaires régulières pour se montrer aussi flexibles que les camionneurs sur le plan de l'expédition et de la destination.
Le système ferroviaire est, et sera toujours, avantageux pour transporter des marchandises en vrac sur de moyennes à longues distances. Malgré cela, les entreprises de camionnage ont notablement empiété sur cette part du marché. Toutefois, compte tenu des progrès réalisés au cours des dernières années pour contrôler les coûts, nous croyons que les compagnies de chemin de fer conserveront ce marché aussi longtemps qu'elles axeront leurs efforts sur les services et qu'elles entretiendront avec les expéditeurs des relations plus solides et plus directes.
D'une certaine façon, la réglementation de l'industrie ferroviaire fait partie intégrante du problème. Tant qu'un organisme de réglementation est en place pour faciliter les liens entre l'expéditeur et le transporteur, ce dernier n'est pas obligé de se montrer aussi entreprenant que d'autres fournisseurs de services parce qu'un intermédiaire intervient dans la relation. Une réforme de la réglementation aurait entre autres comme avantage notable d'obliger les compagnies à se préoccuper davantage de leur clientèle et à traiter directement avec l'expéditeur plus régulièrement, comme toute autre entreprise. Elles devraient conserver le transport à grande distance des marchandises en vrac. Elles devraient mettre un terme à l'érosion qui s'est produite dans le transport à moyenne distance.
Le sénateur Spivak: Comment évaluez-vous le facteur prix? J'ai vu des chiffres qui indiquent que l'industrie du camionnage est subventionnée dans la mesure où elle n'a pas à payer pour les routes.
Mme Greene: C'est une question très controversée.
M. Keyes: C'est une question avec laquelle nous nous sommes beaucoup amusés en comité.
Le sénateur Spivak: Je n'ai pas lu les délibérations de votre comité mais cette question revient sans cesse sur le tapis.
Mme Greene: Les camionneurs répondraient qu'ils ne sont absolument pas subventionnés, qu'ils payent une petite fortune en taxes sur le carburant et que c'est simplement que les gouvernements partout au pays ne consacrent pas leurs taxes à l'infrastructure qu'ils utilisent.
M. Keyes: Sénateur Spivak, votre première question concernant l'industrie ferroviaire était intéressante. Lorsque les sociétés ferroviaires ont comparu devant nous au comité des transports, elles savaient sans aucun doute qu'elles n'étaient plus un organisme fédéral qui pouvait compter sur le gouvernement fédéral pour les tirer d'affaire. Une fois privatisées, elles savent qu'elles doivent désormais assumer toutes les responsabilités propres à une entreprise. Elles doivent fonctionner selon certaines règles, tout comme n'importe quelle entreprise. Par conséquent, elles s'empressent elles aussi de réduire leurs frais administratifs. Elles aussi travaillent d'arrache-pied pour rationaliser leurs activités y compris les règles syndicales archaïques qui ont été négociées par le passé. C'est un tout nouveau monde que celui de la concurrence.
Le sénateur Spivak: Permettez-moi de souligner que le gouvernement du Canada a une obligation en vertu de conventions et de traités internationaux de réduire les émissions qui risquent de provoquer des changements climatiques à l'échelle de la planète. Il ne fait aucun doute que le trafic ferroviaire ne contribue pas autant au changement climatique mondial que le transport par camion. À l'aube de l'an 2000, c'est un important facteur dont il faut tenir compte. Certains ne seront peut-être pas du même avis. Cependant, c'est effectivement un important facteur à prendre en considération et qui a d'importantes incidences au niveau des coûts.
Comment le gouvernement du Canada peut-il accepter la possibilité que le transport par camion augmente sans examiner la structure de la subvention fiscale susceptible d'influer sur la politique nationale?
M. Keyes: L'essentiel, c'est de déterminer comment améliorer l'environnement, comme vous le demandez, en ayant moins recours au transport par camion et davantage au transport ferroviaire.
Le sénateur Spivak: La question n'est pas d'améliorer l'environnement mais bien de déterminer comment assurer notre survie, comment continuer à respirer.
M. Keyes: N'oublions pas que cette responsabilité n'est pas propre au secteur des transports. Il y a de nombreux facteurs à examiner et à prendre en compte. Par exemple, quel type de silencieux installons-nous sur un camion pour obtenir certains résultats? L'essentiel, c'est que les chemins de fer arrivent à faire concurrence aux camionneurs pour permettre ainsi à l'expéditeur de faire un choix.
Les travaux effectués par la Chambre des communes et les travaux que le Sénat est en train d'effectuer permettront de s'assurer que l'Office ne sera plus astreint à suivre tout ce charabia réglementaire pour obtenir des résultats. Ces travaux permettront à l'Office de faire son travail de façon efficace, rentable, sûre et concurrentielle.
Nous savons que l'expéditeur cherchera à obtenir le meilleur prix possible. Par exemple, un agriculteur qui veut expédier des céréales à un port de la côte Ouest ou à un port de Thunder Bay choisira le mode de transport le moins coûteux. Si l'option la moins coûteuse consiste à recourir au chemin de fer, c'est ce qu'il fera, ce qui contribuera à atténuer tous les problèmes.
Le sénateur Spivak: Je suis tout à fait d'accord avec vous là-dessus. Cependant, là où je veux en venir, c'est que dans le cadre d'une politique nationale de transport, quels sont les travaux qui ont été faits pour déterminer les instruments économiques qui permettront de concrétiser non seulement les politiques en matière de transports mais les autres objectifs gouvernementaux? Les émissions des véhicules automobiles sont la principale cause du changement climatique de la planète.
M. Keyes: Différentes mesures sont prises par différents paliers de gouvernement. Certains ministères s'occupent tout particulièrement de l'aspect que vous avez soulevé, sénateur Spivak. Bien entendu, cela commence par le ministre de l'Environnement, Sergio Marchi, qui a fait des annonces à propos de la pollution automobile à Vancouver il y a deux semaines. Le gouvernement est très conscient de ces questions. Nous sommes en train de travailler, ministère par ministère, en vue d'atteindre les objectifs dont vous avez parlé.
Le sénateur Roberge: Avez-vous évalué les progrès des exploitants de lignes secondaires qui permettraient de rééquilibrer les moyennes entre le camionnage et le transport ferroviaire?
Mme Greene: Nous n'avons pas encore suffisamment d'expérience au Canada dans ce domaine mais nous espérons effectivement que ce projet de loi encouragera le développement d'une industrie de lignes secondaires au Canada. Nous avons étudié l'expérience américaine. Comme le laisse entendre votre question, sénateur, l'expérience aux États-Unis a été très positive. Les expéditeurs reçoivent des services moins coûteux que ceux qu'ils obtiennent des lignes principales sur ce tronçon de voie. Ils continuent à recevoir le genre de services qui incitent les expéditeurs à préférer le transport ferroviaire au camionnage, même lorsqu'ils ont le choix entre ces deux modes de transport.
Dans l'ensemble, les services offerts par les lignes secondaires sont plus souples et mieux adaptés aux besoins de l'expéditeur que les services offerts par les plus grosses lignes de chemin de fer dont les services de mise en marché ne sont pas toujours en mesure d'atteindre tous les petits expéditeurs.
Nous espérons reproduire ici l'expérience américaine en développant une industrie de lignes secondaires plus importante. Dans les rares cas où les services de lignes secondaires existent - et vous entendrez peut-être des témoignages des représentants de cette industrie - l'industrie ferroviaire de lignes secondaires au Canada assure des services là où autrement il n'y en aurait pas. Elle assure un service plus souple à un coût moins élevé.
On constate un mouvement positif vers la relance de l'industrie ferroviaire canadienne qui contribuera également à ralentir l'abandon graduel du transport ferroviaire au profit du camionnage.
Le sénateur Poulin: Monsieur Keyes, c'était une excellente présentation. Elle était très claire.
J'aurais deux questions à vous poser par suite de mes expériences antérieures. Comme ma région désignée est le nord de l'Ontario et comme je viens de Sudbury, je me demande quel impact ce projet de loi aura sur les régions éloignées.
M. Keyes: Votre question comporte deux aspects, sénateur. Sur le plan constitutionnel, nous sommes tenus de fournir des services à certaines régions selon leur emplacement. Mme Greene l'a mentionné en réponse à la dernière question. Nous conservons le service.
Cela dépend également des possibilités. Plus d'une personne a comparu devant le comité ou le ministre pour exprimer son enthousiasme à ce sujet. Ils comprennent qu'il ne sera peut-être pas nécessaire d'assurer un service particulier entre les villes A et B qui sont reliées aux villes C, D et E. Les chemins de fer cherchent à se défaire de ce genre de services que sont en train de reprendre les entreprises du secteur privé désireuses de diriger un chemin de fer.
Tom Payne est un type de l'Ouest du Canada. Quel entrepreneur! Le sénateur Adams le connaît bien. M. Payne est un exemple classique du genre d'entrepreneurs dont on entend parler en Ontario et qui disent au CN et au CP que si elles ne sont plus intéressées à diriger ces services, eux le sont.
Nous savons tous pourquoi cela est possible. L'entrepreneur peut assurer un service plus efficace de transport ferroviaire de voyageurs ou marchandises car il ne sera lié par aucune convention collective antérieure. Il pourra faire plus avec moins.
Je ne veux pas critiquer l'industrie. Cependant, comme je viens de Hamilton, je peux vous dire que la rationalisation à Stelco et Dofasco a entraîné une compression des effectifs qui de 16 000 sont passés à 9 000.
La rationalisation est partout. Ce projet de loi aidera l'industrie ferroviaire à amortir les effets de cette rationalisation. Le secteur privé est prêt à sauver ce qu'il peut et à prendre la relève.
Mme Greene: Ce projet de loi vise en partie à éliminer la réglementation inutile pour permettre aux lignes principales de réduire leurs coûts. Au fur et à mesure que les lignes ferroviaires réduiront leurs coûts, la possibilité de maintenir le service augmentera. C'est un aspect qu'il faut souligner.
À compter de 1987, on a procédé à une réforme importante de la réglementation. Or, dans le cas de l'industrie ferroviaire, nous avons déréglementé le prix du service sans autoriser les chemins de fer à réduire leurs coûts. Les règlements ont contribué à maintenir les coûts à un niveau inutilement élevé, ce qui, pour les lignes à faible trafic, risquait d'aboutir à l'abandon des lignes à moins que des mesures soient prises pour leur venir en aide. Dans ce cas, la réforme de la réglementation contribue directement à maintenir le service dans les régions où la densité du trafic n'est peut-être pas élevée.
Deuxièmement, comme l'ancien président du comité de la Chambre l'a souligné, ce projet de loi renferme un autre nouveau principe. L'ancien projet de loi prévoyait l'abandon des lignes dans le cadre d'un processus interminable pouvant aboutir à un refus. Sur le plan politique, j'estimais que l'interruption du service devait se faire dans le cadre d'un processus plus court et plus simple. Ce règlement visait essentiellement à empêcher le changement et à empêcher les chemins de fer de rationaliser leurs activités.
Le projet de loi actuel adopte une démarche différente. Il favorise la vente de lignes que les chemins de fer principaux ne veulent plus exploiter mais qui pourraient continuer à l'être de façon rentable par d'autres parties. En fait, ce projet de loi empêche les chemins de fer principaux d'abandonner le service sur cette ligne jusqu'à ce qu'on ait épuisé toutes les possibilités de la vendre. Cela permet également de maintenir le service, surtout dans les régions où la densité du trafic est faible.
Le sénateur Poulin: Vous avez tous deux parlé de l'organisme de réglementation. Nous savons à quel point il est important qu'un projet de loi soit mis en oeuvre par le biais d'un organisme de réglementation. Quels sont les principaux changements apportés par ce projet de loi qui différencient l'organisme de réglementation actuel, c'est-à-dire l'Office national des transports, du nouvel Office des transports du Canada qui sera créé par ce projet de loi?
M. Keyes: Voulez-vous dire les changements structurels de l'Office proprement dit?
Le sénateur Poulin: Je veux dire ses pouvoirs et sa composition.
M. Keyes: La liste est longue.
Mme Greene: La liste est longue. Elle peut aussi être courte, selon la façon dont on l'aborde. Selon l'esprit du projet de loi, ce sont les chambres du Parlement qui décident de la politique. L'Office est un groupe quasi-judiciaire qui décide des cas qui lui seront présentés.
Dans l'ancien projet de loi, ces deux rôles ont été confondus. L'Office prenait de nombreuses décisions en fonction de sa conception de l'intérêt public. Bien entendu, toutes ces décisions se sont retrouvées entre les mains du gouvernement en vertu du processus d'appel puisque toute décision rendue par l'Office peut faire l'objet d'une pétition au gouvernement.
Ce projet de loi définit plus clairement les rôles quasi-judiciaires de l'Office et les garde intacts. Il fait la distinction entre la fonction d'orientation du gouvernement en place et sa fonction politique.
Deuxièmement, le projet de loi restreint les domaines dans lesquels l'Office peut prendre des décisions. L'Office, du moins théoriquement, pourrait prendre des décisions à propos des pipelines, du transport routier, de domaines où, si on y regarde de plus près, on constate que pendant des années il n'a jamais été appelé à prendre de décisions et où il n'aura probablement pas à le faire.
Prenons comme exemple le transport routier. Lorsque nous avons examiné le genre de cas dont pourrait être réellement saisi l'Office à propos du transport routier, il s'est avéré qu'il s'agissait uniquement d'un autobus. Les équipes du service roulant sont transportées en autobus à Terre-Neuve, qui faisait partie des activités du CN. Il est inutile d'avoir tout un ensemble de dispositions législatives et un pouvoir de prise de décisions pour appuyer une activité de transport par autobus. Il est tout aussi inutile de prévoir tout un ensemble de dispositions législatives et toute une série de pouvoirs pour l'Office en matière de pipelines lorsqu'il existe un organisme mieux en mesure de traiter de ces questions.
Troisièmement, les pouvoirs de l'Office ont été précisés. Je fais allusion à toute cette question des objectifs qui ont toujours fait partie de la loi. La loi, depuis 1967 et jusqu'à la réforme de 1987, a toujours prévu qu'il ne fallait recourir à la réglementation qu'en dernier ressort. Les parties devaient d'abord tåcher d'arriver à une solution et ne recourir à l'intervention réglementaire que si elle était nécessaire. Cela a toujours été l'objectif de la Loi sur les transports nationaux et de la loi qui l'a précédée.
Cependant, les expéditeurs et les chemins de fer réglementés se sont habitués à avoir un intermédiaire pour les aider à prendre leurs décisions. Ils auraient donc fait appel à l'Office dans des cas où, dans une industrie en pleine maturité, 20 ans plus tard et à l'aube de l'an 2000, le recours à un médiateur n'aurait probablement pas été nécessaire.
Le troisième changement apporté par le projet de loi concerne les directives à l'intention de l'Office portant sur cet objectif. Selon ces dispositions, le gouvernement propose que l'Office accepte toute plainte de tout expéditeur, comme il le faisait par le passé, et prenne une décision rapide s'il estime qu'un intérêt commercial important est en jeu. Si aucun intérêt commercial important n'est en jeu, on pourrait dire que les objectifs de la loi ne sont pas respectés puisqu'une intervention réglementaire n'est probablement pas nécessaire.
Enfin, en ce qui concerne la structure de l'Office, on propose désormais qu'il compte sept membres et on prévoit une certaine souplesse au niveau de la nomination de membres à temps partiel chargés de traiter de questions particulières dont pourrait être saisi l'Office.
Le dernier point, c'est que l'Office conserve tous ses pouvoirs. Ses pouvoirs sont semblables à ceux d'un juge de la Cour supérieure, c'est-à-dire des pouvoirs quasi-judiciaires d'exiger la production de preuves, de citer des témoins à comparaître, d'assurer l'exécution de ses ordonnances au même tire que les ordonnances de la Cour fédérale du Canada et de prendre ses décisions en fonction des preuves et des faits qui doivent lui être présentés. En ce qui concerne ses fonctions quasi-judiciaires, tous les pouvoirs de l'Office analogues à ceux de la Cour fédérale sont maintenus par ce projet de loi.
Le sénateur Poulin: Dans l'esprit du projet de loi, madame Greene, comme vous indiquez qu'il semble y avoir une simplification de la réglementation, quelles seront les économies qui pourront alors être réalisées en ce qui concerne l'Office et le ministère?
M. Keyes: Le temps, c'est de l'argent.
Mme Greene: M. Keyes présente un argument pertinent. Les économies réalisées seront principalement des économies de temps, des économies au niveau des formalités administratives et de la supervision inutile qui faisaient obstacle au développement d'une relation. Si l'expéditeur et le transporteur ferroviaire n'entretiennent pas de relations directes, le transporteur ferroviaire ne saura pas comment adapter ses services aux besoins de l'expéditeur.
Cela dit, par le passé l'Office a été chargé de nombreuses fonctions administratives. Auparavant, il versait les subventions accordées en vertu de la Loi sur le transport du grain de l'Ouest et les subventions au transport des marchandises dans les provinces maritimes. Nous avions un effectif d'environ 500 employés, effectif qui diminuera considérablement puisqu'il n'aura plus à verser ces subventions étant donné qu'elles n'existent plus.
Comme je l'ai souligné également, certains secteurs de réglementation n'ont pas fait l'objet de demande depuis des années.
Le sénateur Poulin: Comme vous l'avez dit plus tôt, le ministère recevra moins d'appels des décisions prises par l'Office. Cela lui permettra-t-il de réaliser des économies?
Mme Greene: Je ne le crois pas. Nous n'avons eu aucun appel dans de nombreux domaines comme celui des pipelines ou du transport routier. La plupart des appels dont nous avons été saisis portaient sur l'abandon des lignes. Certaines économies sont peut-être possibles. Cependant, même là, le processus était d'une telle lenteur que je ne peux pas dire qu'un ministère de la taille de celui des Transports ait été vraiment surchargé d'appels concernant l'abandon de lignes. Le processus était tellement long que nous n'avons jamais été submergés d'une vingtaine d'appels à la fois, si je peux m'exprimer ainsi.
M. Keyes: Comme je l'ai indiqué, le temps, c'est de l'argent. Par conséquent, si vous réalisez des économies de temps, du temps consacré au processus de réglementation, du temps consacré à empêcher deux parties de se réunir et à devoir intenter une action devant l'Office des transports du Canada pour le faire, bref en sauvant tout ce temps, nous sauvons de l'argent.
Le sénateur Adams: Je vis dans une région éloignée. Je ne parlerai pas de chemins de fer, ni de transport routier mais plutôt de transport aérien et maritime.
Notre collectivité est desservie par des lignes aériennes. Lorsque le projet de loi C-14 sera adopté, le marché sera ouvert aux entreprises privées. La concurrence risque donc d'être plus forte. Les exploitants de compagnies de transport aérien et maritime savent combien coûte l'exploitation de leurs services. C'est un peu différent du camionnage et du transport de marchandises vers les villes. Dans certaines régions éloignées de l'Ouest, il y a les chemins d'hiver. Dans les régions aux alentours de la Baie d'Hudson, nous n'avons pas de routes et nous dépendons du transport aérien et maritime pour l'envoi de marchandises à notre collectivité.
À l'heure actuelle, je peux expédier des marchandises de Winnipeg à Rankin Inlet, qui se trouve à environ 900 milles, pour 1,80 $ le kilo. D'Ottawa ou de Montréal à Pond Inlet, le prix est d'environ 6 $ le kilo. Je peux expédier ces marchandises à meilleur marché en utilisant NWT Air, peut-être pour 1,30 $ ou 1,40 $ le kilo. Si j'étais dans l'entreprise privée et que je décidais de jouer le jeu de la concurrence, les autres transporteurs arriveraient-ils alors à survivre? Dès que le marché du transport s'ouvrira davantage, la concurrence s'installera. Comment ferons-nous face à cette situation dans des régions comme la mienne?
Mme Greene: Sénateur, si je vous comprends bien vous craignez que dans le Nord du pays, où les marchés sont plus petits et plus restreints, s'il y a une forte concurrence, le service stable soit perturbé parce que l'exploitant stable pourrait se voir chasser de ce marché par un exploitant peu scrupuleux. C'est ainsi que j'interprète votre question; est-ce exact?
Le sénateur Adams: Oui.
Mme Greene: C'est une question qui nous a préoccupés. Comme vous le savez, en 1987, l'industrie aérienne a été la première à être déréglementée au pays.
Nous avons conservé un système qui n'était pas vraiment un système réglementé mais qui prévoyait une certaine réglementation pour les services aériens dans le Nord pour la raison même que vous citez; la crainte que le marché soit si restreint que l'arrivée d'exploitants peu scrupuleux risque de perturber le service. Cela ne s'est jamais produit. En fait, il n'y a eu pratiquement aucune demande présentée à l'Office en vertu de ce règlement résiduel. Le service dans le Nord du pays est maintenant meilleur qu'il l'était avant 1987. En fonction des dix années d'expérience que nous possédons maintenant, il s'agissait d'une surveillance que l'Office prétendait exercer alors qu'elle n'avait jamais été nécessaire.
Comme M. Young l'a déclaré à l'époque, et comme M. Anderson l'a confirmé, si un problème devait surgir dans ces marchés restreints où il n'y a pas autant de gens que dans certains autres marchés, il interviendra immédiatement. De plus, nous examinerons très attentivement la situation des marchés semblables à ceux dont vous avez parlé. Le projet de loi prévoit un examen annuel de la situation du secteur des transports, y compris du fonctionnement de la loi ainsi qu'un examen exhaustif tous les quatre ans.
Nous estimons que le projet de loi permettra de donner suite à tout problème susceptible de surgir. En fonction de dix années d'expérience, nous ne croyons pas qu'il y aura de problèmes. En fait, nous estimons qu'il s'agissait d'un mécanisme de protection réglementaire dont personne ne s'est prévalu.
M. Keyes: Je suis allé dans le Nord à quelques reprises. J'ai vu qu'on y vendait trois sacs de lait pour 15,95 $. Cela nous donne une idée du coût de l'expédition des marchandises d'un bout à l'autre de ce pays.
Le sénateur Adams: Deux litres de Coke coûtent 7 $.
M. Keyes: Je crois que le sénateur Adams demande si le projet de loi permet d'accroître la concurrence de manière à réduire le prix des produits expédiés vers le Nord. Les services de transport aérien et maritime dans le Nord seront entièrement déréglementés par suite de l'adoption du projet de loi. Les dispositions relatives à l'arbitrage s'appliqueront désormais aux services dans le Nord. C'est ce que prévoit le projet de loi. Nous espérons que la déréglementation favorisera une concurrence accrue et permettra ainsi de réduire le prix des biens et des services.
La présidente: Je tiens à remercier chacun d'entre vous. Votre présentation a été intéressante. Si nous avons besoin de plus amples renseignements, nous n'hésiterons certainement pas à en faire la demande auprès du ministère et de M. Keyes.
M. Keyes: Je suis persuadé que les représentants du ministère se feront un plaisir de comparaître à nouveau devant vous si vous les y invitez.
La séance est levée.
Ottawa, le jeudi 25 avril 1996
Le comité sénatorial permanent des transports et des communications, saisi du projet de loi C-14, Loi sur les transports au Canada, se réunit ce jour, à 9 heures, pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, nos premiers témoins représentent l'Association des chemins de fer du Canada. Je veux souhaiter la bienvenue à son président, M. Robert H. Ballantyne, à sa secrétaire éxécutive, Mme Cynthia M. Hick, et à son directeur général des affaires publiques, M. Roger K. Cameron.
M. Robert H. Ballantyne, président, Association des chemins de fer du Canada: Nous avons distribué des copies de notre mémoire. Notre exposé en sera un résumé. Si les membres du comité ont eu l'occasion de parcourir le mémoire, nous serons ravis de répondre à leurs questions le concernant.
Ma collègue, Cindy Hick présentera une partie du bref exposé que nous allons faire. Nous sommes reconnaissants de votre invitation à exposer les vues de l'Association des chemins de fer du Canada sur la stratégie de renouvellement ferroviaire en général et le projet de loi C-14 en particulier. Dans notre exposé, nous allons nous concentrer sur les principes et les enjeux, mais nous nous ferons un plaisir de répondre aux questions détaillées que vous pourriez avoir sur nos recommandations.
Mme Cynthia M. Hick, secrétaire exécutive, Association des chemins de fer du Canada: Honorables sénateurs, l'ACFC est l'association sectorielle du transport ferroviaire. Les 32 transporteurs publics du Canada, tant de fret que de voyageurs, et tant ceux régis par le gouvernement fédéral que ceux relevant de l'autorité des provinces, sont membres de cette association. L'ACFC est entrée dans sa 79e année, puisqu'elle a été fondée en 1917, à la demande du gouvernement canadien, en vue de coordonner les activités ferroviaires au cours de la Première Guerre mondiale. Les membres de l'association peuvent revendiquer la quasi-totalité de l'activité ferroviaire au Canada, ayant dégagé en 1994 des recettes de 6,6 milliards de dollars sur le transport de marchandises et employé directement plus de 54 000 personnes.
Un système de transport fiable et de faible coût n'est pas un luxe. C'est un outil vital dans un pays aussi vaste que le nôtre et il est indispensable à notre prospérité. Les chemins de fer du Canada ont réussi à offrir un transport de faible coût pendant plus d'un siècle et ils pourront continuer à le faire à l'avenir dans le respect de l'environnement. Mais pour cela, ils ont besoin d'une stratégie de renouveau ferroviaire qui instaure l'égalité de traitement entre les modes, une fiscalité juste et une législation qui laisse les forces du marché régir les transactions entre acheteurs et vendeurs de services de transport.
Notre analyse et nos observations reposent sur trois principes. Premièrement, les sociétés ferroviaires sont des entreprises comme les autres - ni plus ni moins - et devraient être traitées en conséquence. Elles ne constituent pas des monopoles. Elles ne dominent pas le marché. Elles ne sont plus l'instrument d'une politique nationale. Il ne convient pas d'en faire des organismes servant à promouvoir l'expansion régionale. Deuxièmement, les sociétés ferroviaires n'ont pas intrinsèquement le droit d'exister. Quelle que soit la réglementation, elles sont assujetties aux lois du marché, qui détermineront et doivent déterminer leur avenir. Troisièmement, la politique ferroviaire et toute stratégie de renouvellement du secteur ferroviaire doivent refléter ces principes et garantir le traitement équitable des chemins de fer sur le plan de la politique, de la réglementation et de la fiscalité. Les directeurs de chemin de fer ne demandent pas de traitement spécial, seulement un traitement équitable.
La Loi sur les transports nationaux de 1987, et son antécédent, a pris quelques mesures partielles afin de reconnaître que les chemins de fer ne détenaient plus de pouvoirs de monopole et ne dominaient plus le marché.
Sous sa forme actuelle, le projet de loi C-14 demeure par trop timide quand il s'agit de laisser aux forces du marché le soin de gouverner l'activité commerciale des chemins de fer. Bien que nous soyons déçus du fait que la Chambre des communes n'ait pas pris des mesures plus audacieuses pour déréglementer les chemins de fer, nous pensons que le projet de loi C-14 représente un pas dans la bonne direction.
L'article 5 du projet de loi énonce la politique en matière de transport et l'Association souscrit aux principes qu'il contient. Nous sommes heureux de voir que le paragraphe 5 h) érige expressément en politique gouvernementale le principe voulant que chaque mode de transport doive être rentable.
Les chemins de fer ont été perçus tout au long de notre histoire comme des monopoles présentant certaines des caractéristiques des services publics. En cette fin de siècle, ils ne sont ni l'un ni l'autre. Ils sont des entreprises commerciales qui évoluent dans un contexte extrêmement concurrentiel. Il y a la concurrence à l'intérieur du secteur ferroviaire lui-même, aussi bien que la concurrence féroce avec les autres modes de transport. Le fait qu'il y ait concurrence concerne les responsables de la politique gouvernementale et le législateur sur plusieurs plans, en particulier celui de la fiscalité, du financement de l'infrastructure et de l'accès imposé, sans oublier la réglementation en général.
Étant donné la concurrence féroce que les chemins de fer américains et les entreprises canadiennes et américaines de camionnage livrent aux sociétés ferroviaires canadiennes, l'imposition de ces dernières représente un élément important de la compétitivité des sociétés ferroviaires canadiennes. L'industrie a fait valoir son point de vue sur la fiscalité à maintes reprises aux divers paliers de gouvernement ces dernières années, et nous ne les répéterons pas ici.
En bref, les recettes du secteur ferroviaire ont représenté en moyenne 2,35 cents par tonne/kilomètre payante en 1994, soit une chute de 8 p. 100 en dollars courants par rapport à 1989. Pour mettre cela en perspective, disons que les chemins de fer doivent transporter une tonne de marchandises sur 12 kilomètres pour obtenir de quoi acheter un crayon.
En 1994, l'industrie ferroviaire a versé 464 149 000 dollars en taxes sur le carburant des locomotives, taxes foncières et autres taxes de vente et d'accise, soit une hausse de 4 p. 100 par rapport à 1993. Durant cinq des sept dernières années, la valeur de ces taxes a dépassé celle des recettes nettes totales du secteur.
Ces chiffres ne représentent pas la facture fiscale totale. Ils n'englobent ni l'impôt sur le revenu ni les charges sociales.
Un deuxième élément majeur influant sur la compétitivité des chemins de fer est le financement des installations fixes et la prestation de services de contrôle de la circulation. Dans le cas du transport maritime, aérien et routier, divers paliers de gouvernement fournissent l'infrastructure et les services de contrôle de la circulation. En règle générale, le financement à cet égard provient des recettes courantes ou d'émissions d'obligations et ne figure pas dans les immobilisations à long terme, comme c'est le cas dans le secteur privé. Le plus souvent, les pouvoirs publics recouvrent une partie des coûts sous forme de redevances d'usager et tout déficit est couvert par l'impôt.
Les sociétés ferroviaires, au contraire, financent, construisent, possèdent, exploitent, entretiennent et contrôlent leur propre infrastructure, versent des taxes à cet égard et assurent même leur propre contrôle de la circulation. Le financement des routes intéresse particulièrement l'industrie ferroviaire, qui se préoccupe de l'ambiguïté concernant les taxes sur le carburant et les frais de permis. En effet, dans la plupart des cas, ces revenus sont traités comme des recettes fiscales et versés aux recettes générales, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas traités comme des redevances d'usager. L'égalité entre les modes ne sera pas réalisée tant que le financement des routes ne sera pas réformé et que les coûts ne seront pas correctement répartis entre les diverses catégories d'usagers des routes.
Plusieurs dispositions de la LTN de 1987 ont été reprises dans le projet de loi C-14 pour régir l'accès d'un transporteur aux installations d'un autre transporteur ou pour donner plus d'influence aux expéditeurs lorsqu'il s'agit de négocier les interconnexions entre un premier chemin de fer et un autre qui assure la correspondance. Il s'agit des dispositions concernant les prix de lignes concurrentiels - ou PLC - et les limites d'interconnexion étendues. On les regroupe couramment sous l'appellation de «dispositions d'accès concurrentiel», ce qui donne à entendre qu'elles serviraient à accroître la concurrence. C'est une expression trompeuse. Elles sont des exemples de recours à la réglementation pour entraver les forces du marché. Croire que cela est nécessaire dans les années 1990 revient à laisser des préoccupations du XIXe siècle déterminer la politique du XXIe siècle. Elles sont fondées sur la perception que les chemins de fer jouissent d'un monopole. Or, ils n'ont de monopole nulle part. Il y a concurrence à l'intérieur du mode ferroviaire, entre les modes et sur le marché. Il n'existe pratiquement pas d'expéditeurs captifs et encore moins qui manquent de pouvoir de négociation.
Les expéditeurs ont beaucoup insisté pour que ces dispositions soient maintenues, de même que celles relatives à l'arbitrage des propositions finales. Il n'y a évidemment pas lieu de s'en étonner. Ils n'ont rien à perdre à court terme et beaucoup à gagner sur le plan de leur pouvoir de négociation.
Le législateur qui se demande si ces dispositions sont bien nécessaires doit se poser les questions suivantes:
1) Ces dispositions sont-elles compatibles avec la politique déclarée de laisser jouer les forces du marché?
2) Les chemins de fer jouissent-ils réellement d'un monopole?
3) Les expéditeurs ont-ils besoin de ces dispositions pour protéger leur position de négociation avec les sociétés ferroviaires?
4) Des dispositions semblables sont-elles imposées à un autre mode de transport?
5) Comment les expéditeurs réagiraient-ils si on les assujettissait à des contraintes semblables?
Les dispositions relatives à l'accès obligatoire peuvent paraître logiques à première vue lorsqu'on les compare à la situation existant dans les modes maritime, aérien et routier: dans tout terminal, l'expéditeur peut trouver des transporteurs concurrents. Ces dispositions visent à faire en sorte que le secteur ferroviaire ressemble aux autres modes de transport, selon la perspective de l'expéditeur. Mais la différence fondamentale est que les sociétés ferroviaires fournissent leur propre infrastructure. Les investissements que font les sociétés ferroviaires dans les installations fixes font partie de leur stratégie de concurrence. Il n'est pas plus raisonnable de contraindre un chemin de fer A à donner accès à un chemin de fer B ou à un expéditeur C qu'il ne le serait d'ordonner à General Motors d'assembler des voitures Ford.
Les sociétés ferroviaires ne s'opposent pas au partage de l'accès. Cela fait partie inhérente de l'industrie depuis un siècle. Ce à quoi nous nous opposons, c'est l'accès imposé par législation ou par réglementation. Il vaudrait mieux en faire un objet de négociation commerciale.
M. Ballantyne: L'ACFC souscrit aux dispositions de la section V relative aux cessions de lignes. Ces mesures devraient accélérer la vente de lignes à des chemins de fer d'intérêt local et la fermeture de celles qui n'offrent aucune perspective de rentabilité.
Dans le débat sur le projet de loi C-14, les expéditeurs recommandent d'ajouter à la section V des dispositions prévoyant, dans le cas de la vente à un exploitant de chemin de fer d'intérêt local, que celui-ci reçoive obligatoirement le droit de circuler sur les voies de catégorie I qui le relient au premier point d'interconnexion avec un troisième chemin de fer.
Un sondage effectué récemment sur cette question par la LCTI - la Ligue canadienne de transport industriel - indique que c'est loin d'être un problème brûlant aux yeux des expéditeurs. Si 87 p. 100 des répondants se sont déclarés partisans d'une telle disposition, seuls 32 p. 100 des membres de l'Association ont pris la peine de répondre.
L'industrie ferroviaire s'oppose fermement à cette recommandation. Les transporteurs, petits et grands, sont d'avis qu'il convient de soumettre les droits de circulation à une négociation commerciale.
Comme c'est le cas ailleurs dans le projet de loi C-14, les articles portant sur les niveaux de service prévoient des conditions qui ne cadrent pas avec les principes énoncés à l'article 5. Ainsi, le paragraphe 116(4) dispose que l'office peut ordonner à un chemin de fer d'exécuter des ouvrages spécifiques ou d'acquérir du matériel roulant et préciser le prix maximal que la société ferroviaire peut exiger pour exécuter ces ordonnances. Nous sommes d'avis que les obligations ordinaires de transporteur public constituent une protection suffisante pour les expéditeurs et les voyageurs. Encore une fois, on réserve aux sociétés ferroviaires un traitement particulier qui aurait été approprié au XIXe siècle mais qui n'est certainement plus indiqué à l'orée du XXIe siècle.
Est-il plus raisonnable pour les organismes de réglementation de dicter leurs investissements aux sociétés ferroviaires qu'aux producteurs de papier journal ou aux agriculteurs, par exemple? Nous ne le pensons pas.
J'aimerais dire quelques mots de la section VI qui traite du transport du grain de l'Ouest, en particulier par la Central Western Railway. Tom Payne, président de la Central Western Railway, sera le prochain témoin et il vous parlera de cela plus en détail.
Dans la section VI, une «compagnie de chemin de fer régie» est définie à l'article 147, aux fins du transport du grain de l'Ouest, comme étant CN, CP et «toute autre compagnie exploitant un chemin de fer régie par règlement». L'article 154 dispose en outre que le gouverneur en conseil peut, par règlement, assujettir les compagnies à l'application de cette section.
La Central Western Railway est une société ferroviaire sous réglementation provinciale qui exerce son activité dans le coeur des terres agricoles de l'Alberta. Le grain en provenance des lignes de la CWR est transféré au CN ou au CP pour acheminement aux ports d'exportation. Les dispositions de la section VI ne s'appliqueront pas aux expéditeurs qui acheminent leur grain au point de chargement de la CWR, à moins que celle-ci ne soit désignée «compagnie de chemin de fer régie» par règlement, en vertu de l'article 154.
L'ACFC appuie la demande de la CWR d'être désignée «compagnie de chemin de fer régie» dans l'article 147 lui-même et d'inclure à l'annexe I les lignes dont la CWR est propriétaire.
En résumé, nous considérons que les textes de loi comme le projet de loi C-14 ne devraient pencher ni en faveur des expéditeurs ni en faveur des transporteurs, mais plutôt ériger un cadre équitable et stable dans lequel les organisations commerciales sont libres de prospérer ou de sombrer, selon les dictats du marché. Une telle loi serait sûrement «procanadienne».
Avec le projet de loi C-14, le Parlement du Canada a la possibilité de faire preuve d'audace et d'esprit novateur, et de faire oeuvre de pionnier dans le monde en créant une loi du XXIe siècle pour le transport du XXIe siècle. Bien que nous pensions que le projet de loi C-14 demeure trop timide par rapport aux réalités d'aujourd'hui, il représente un pas dans la bonne direction et nous préconisons son adoption.
Nous avons formulé des recommandations détaillées dans notre mémoire. Nous sommes à votre disposition pour tenter de répondre aux questions des membres du comité.
La présidente: Quelles marchandises sont considérées comme véritablement captives du rail?
M. Ballantyne: À notre avis, virtuellement aucun produit n'est vraiment captif du rail. Dans presque tous les cas, il y a un choix. Il y a des produits qui se prêtent mieux au transport par rail. Il s'agit surtout des produits en vrac tels que le charbon, le soufre, la potasse et les céréales, des produits transportés en grandes quantités et tendant à avoir une faible valeur marchande.
La présidente: Avez-vous idée du kilométrage de voies susceptible d'être fermé au cours des prochaines années, par exemple? Avez-vous une idée?
M. Ballantyne: Non, je ne peux donner de chiffre. CN et CP, lorsqu'ils comparaîtront ici, pourront peut-être vous en donner. Les deux sociétés ont déclaré publiquement qu'elles comptaient céder une bonne partie de leurs voies actuelles. Elles ont toutes deux indiqué que de longs tronçons de leurs réseaux actuels ne reçoivent qu'une petite partie de leur trafic.
Nous pensons que les deux grands chemins de fer vont se concentrer sur leurs lignes principales et se consacrer à ce que les chemins de fer font le mieux - transporter de gros volumes de fret sur de longues distances et sur un parcours concentré. Les embranchements à faible densité qui parsèment les cartes ferroviaires seront certainement des candidats. Ils représentent une grosse partie du réseau ferroviaire canadien total.
Le sénateur Kinsella: Je remercie les témoins de leur exposé et, en particulier, d'avoir attiré notre attention sur le sujet général des principes et des politiques.
L'article 5 du projet de loi énonce la Politique nationale des transports. Approuvez-vous chacun des termes contenus à l'article 5? Est-il conforme, à votre avis, aux principes que vous énumérez à la page 3 de votre mémoire?
M. Ballantyne: Nous pouvons souscrire à la plupart des principes de l'article 5. Pour ce qui est du paragraphe d), relatif au développement régional, nous ne pensons pas qu'à notre époque le transport en général et les chemins de fer en particulier soient réellement des instruments appropriés de développement régional.
Le sénateur Kinsella: Le paragraphe d) dit que:
...les transports soient reconnus comme un facteur primordial du développement économique régional...
Le gouvernement pose comme principe que les transports sont un facteur primordial du développement économique régional.
...et que soit maintenu un équilibre entre les objectifs de rentabilité des liaisons de transport et ceux de développement économique régional en vue de la réalisation du potentiel économique de chaque région;
Votre association est-elle d'accord avec cela?
M. Ballantyne: Nous disons que si le transport est une activité commerciale, il doit être traité en tant que telle.
Le sénateur Kinsella: Pouvons-nous analyser votre hypothèse?
M. Ballantyne: Certainement.
Le sénateur Kinsella: Dans vos deux premiers principes, vous dites que les chemins de fer sont une entreprise comme n'importe quelle autre. Dans le deuxième, vous demandez qu'ils soient soumis aux forces du marché, déterminés par le marché. Si je vous suis bien, votre association considère que notre réseau ferroviaire en particulier et notre politique des transports en général ne comportent pas de dimension sociale, du point de vue de l'intérêt général ou du point de vue de l'intérêt commercial; est-ce exact?
M. Ballantyne: Oui. Le transport ferroviaire est essentiellement une activité commerciale. Les chemins de fer aujourd'hui n'ont plus le rôle qu'ils avaient au XIXe siècle. Nous ne colonisons plus un territoire. Il y a toutes sortes de choix. Tout le continent nord-américain est parcouru de chemins de fer.
À notre sens, les chemins de fer ne jouent plus le rôle qu'ils avaient jadis, celui d'instruments de la politique sociale ou économique.
Le sénateur Kinsella: Le projet de loi concerne le transport en général et non seulement votre secteur.
M. Ballantyne: C'est juste.
Le sénateur Kinsella: Il est clair, d'après ce que vous avez dit et écrit, que vous n'êtes pas totalement en accord avec la politique du gouvernement.
Ma deuxième question intéresse la partie IV du projet de loi, qui concerne les relations de travail. Est-ce que votre association a une opinion sur ce qui est proposé ici? La législation en matière de transport contient depuis pas mal de temps des dispositions prévoyant un arbitrage des offres finales.
M. Ballantyne: Il y en a dans la loi de 1987. Ces dispositions ont été reprises dans le projet de loi C-14.
Le sénateur Kinsella: Quel en a été l'effet pour vos membres?
M. Ballantyne: Si ma mémoire est bonne, il n'y a eu que peu de cas d'arbitrage des offres finales. Je n'en connais aucun où les choses soient allées jusque-là. Il est arrivé que le processus d'arbitrage ait été lancé, mais les parties ont réussi à s'entendre avant d'en arriver là.
Le sénateur Kinsella: Le Parlement a été contraint d'appliquer ce principe lors de la dernière session du Parlement, avec une loi de réquisition visant les ports.
À la page 14 de votre mémoire, vous recommandez que les articles 113 à 116 soient supprimés. Vous dites que ces dispositions sont discriminatoires pour votre industrie et incompatibles avec les objectifs énoncés à l'article 5. J'imagine que vous les jugez contraires à ce que dit l'article 5, mais que vous n'êtes pas opposé à l'article 5 lui-même.
M. Ballantyne: Oui, effectivement.
Le sénateur Kinsella: Pourriez-vous redévelopper à l'intention des membres du comité votre argumentation fondamentale en faveur de la suppression de ces articles du projet de loi?
M. Ballantyne: La législation en matière de transport prévoit de longue date des obligations de transporteur public, qu'il s'agisse de transport par eau, par rail ou par quelque autre mode. Cela signifie que quiconque veut exploiter une entreprise de transport doit fournir ses services dans la mesure où un prix convenable peut être négocié.
Cependant, les dispositions relatives au niveau de service figurant dans le projet de loi C-14 imposent des obligations supplémentaires au secteur ferroviaire, et à lui seul, en ce sens qu'elles donnent pouvoir à l'Office d'ordonner aux compagnies ferroviaires d'exécuter des travaux particuliers et d'acquérir du matériel roulant particulier. L'Office peut ensuite prescrire le prix maximal que la compagnie peut exiger à l'égard des mesures imposées.
Aucun autre mode de transport n'est assujetti à des dispositions comparables. À ma connaissance, on en retrouve de semblable dans la législation d'aucun autre pays. Il y a peut-être des juristes dans la salle mieux renseignés que moi mais, à ma connaissance, il n'existe de telles dispositions dans la législation d'aucun autre pays occidental.
Le sénateur Roberge: En cas de cessation d'exploitation d'une ligne, l'article 145 précise que le transfert se fait à la valeur nette de récupération. Que signifie pour vous l'expression «valeur nette de récupération»? Nous en avons parlé avec les représentants du ministère des Transports mardi. Comment interprétez-vous ce terme?
M. Ballantyne: Je n'ai pas souvenir que le projet de loi comporte une définition de la «valeur nette de récupération». À notre sens, il faudrait englober la valeur des terrains dans le prix final payé par un organisme gouvernemental en vertu de cet article. Nous considérons d'ailleurs qu'il serait plus approprié de laisser le marché dicter, par le biais de négociations, la valeur des terrains et des équipements. Néanmoins, nous pensons que la valeur nette de récupération devrait englober la valeur du terrain en sus de celle des équipements.
Le sénateur Roberge: La réponse que l'on m'a donnée mardi est que, pour ce qui est du terrain, la valeur de récupération nette serait la valeur commerciale moins les frais de mise sur le marché. À mon avis, ce coût engloberait les frais de courtage, par exemple. C'est ce qu'a semblé dire le ministère des Transports. Est-ce que cela correspond à votre interprétation?
M. Ballantyne: Cela nous satisferait assez. Je n'ai guère réfléchi à des éléments tels que les frais de courtage, par exemple. Nous disons qu'une telle transaction devrait avoir une dimension commerciale, dans toute la mesure du possible.
Le sénateur Roberge: La valeur nette de récupération serait donc quelque chose de totalement différent s'agissant d'un terrain, par opposition à de l'acier.
M. Ballantyne: C'est juste.
Le sénateur Roberge: J'ai remarqué que le prix du transport ferroviaire payé par le consommateur n'a pas augmenté au cours des dix dernières années. Au contraire, il a chuté d'environ 30 p. 100. Pourquoi n'y a-t-il pas eu de hausse de prix? Qu'en pensez-vous?
M. Ballantyne: Il y a une variété de raisons à cela. C'est en partie le résultat de la Loi sur les transports nationaux de 1987. Premièrement, il y a une tendance à la baisse des tarifs ferroviaires, qui dure depuis longtemps et qui se poursuit, et qui remonte même à la Loi nationale sur les transports de 1967. Elle est due à un certain nombre de facteurs, dont le principal est la concurrence qui règne sur le marché des transports, et ce de très longue date. C'est bien la preuve que les chemins de fer n'exercent pas une domination sur le marché et qu'il n'y a pas beaucoup d'expéditeurs captifs.
Certaines dispositions de la Loi sur les transports nationaux de 1987 ont également eu un effet. Les chemins de fer eux-mêmes souhaitaient les dispositions sur les contrats confidentiels, introduites en 1987. Les sociétés savaient que cela pousserait les tarifs à la baisse, mais elles étaient tout à fait prêtes à s'en accommoder. Certaines de ces dispositions sur «l'accès concurrentiel» ou «l'accès obligatoire» ont également, à notre avis, donné aux expéditeurs un pouvoir de négociation accru, qui n'était peut-être pas commercialement justifié, ce qui a aussi exercé des pressions à la baisse sur les tarifs ferroviaires. Mais je pense que c'est surtout la concurrence très féroce que se livrent sur le marché des transports les chemins de fer et le camionnage. Les compagnies ferroviaires du nord des États-Unis ont accès à une bonne partie du trafic canadien, si bien que là aussi il y a une concurrence très vive et intense.
Le sénateur Roberge: Je vais réserver mes autres questions à ce sujet aux expéditeurs.
M. Ballantyne: Je suis sûr qu'ils vont exprimer un point de vue identique au mien.
Le sénateur Roberge: Pour faire suite à la question du sénateur Bacon sur les produits captifs, il en est un qui l'est sans doute plus que les autres, à savoir le charbon. Il est exploité dans une région isolée desservie uniquement par le rail, et encore par une seule ligne, même pas deux. Cette situation exige une meilleure explication. Pourquoi ne considérez-vous pas que le charbon est captif?
M. Ballantyne: Ce n'est vraiment pas difficile, sénateur. Le charbon est un produit soumis à une forte concurrence. Son marché est mondial. Une bonne partie du charbon canadien est vendue à des pays comme le Japon et Taïwan. Si le charbon canadien veut être compétitif dans ces marchés, il doit être offert au prix du marché mondial. Par conséquent, le charbon venant d'Australie, de Chine et d'Afrique du Sud concurrence le charbon canadien. Si tous les partenaires dans l'extraction et le transport vers le marché de ce charbon canadien ne sont pas compétitifs à l'échelle mondiale, il n'y aura pas de charbon à transporter. Ce ne sera dans l'intérêt de personne, même pas de la seule compagnie ferroviaire desservant la mine. Voilà la pression commerciale. Voilà la concurrence commerciale qui s'exerce.
Même si un producteur n'a accès qu'à un seul transporteur, la concurrence commerciale à l'échelle du monde fait peser les mêmes pressions concurrentielles que celles qui existeraient s'il y avait plusieurs transporteurs. Ces pressions peuvent même être plus fortes que lorsqu'il y a concurrence directe et immédiate avec d'autres transporteurs ou d'autres modes de transport. C'est vrai pour de nombreuses denrées exportées qui jouent un rôle si vital dans l'économie canadienne.
Le sénateur Roberge: En est-on jamais arrivé à un arbitrage des offres finales dans le cas du charbon? Cela est-il jamais arrivé? Vous ne connaissez peut-être pas la réponse et je devrais peut-être la poser aux deux grandes compagnies.
M. Ballantyne: Je ne pense pas que ce soit arrivé. CN et CP, lorsqu'elles comparaîtront, pourront vous donner une réponse plus précise. Mais, si vous voulez, je peux me renseigner.
Le sénateur Roberge: Non, je leur poserai la question.
La présidente: Je tiens à remercier M. Ballantyne, Mme Hick et M. Cameron d'être venus ce matin.
Je souhaite maintenant la bienvenue à M. Thomas Payne, de la Central Western Railway Corporation.
M. Thomas Payne, président et directeur général, Central Western Railway Corporation: C'est un honneur que de comparaître à votre comité.
La Central Western Railway a vu le jour en Alberta en 1986, par suite d'une loi spéciale du gouvernement albertain adoptée en 1984, touchant la propriété et l'exploitation des chemins de fer. Nous sommes la plus grande société ferroviaire régionale en mains canadiennes. Nous exploitons 250 milles de voies dans le centre de l'Alberta. Nous sommes associés à la Société de chemin de fer du Québec, une compagnie que nous avons lancée. Elle exploite une ligne reliant Québec à Clairmont. Nous négocions actuellement avec Canadien Pacifique le rachat d'une ligne dans la vallée de l'Outaouais.
Nous avons activement participé au fil des ans aux consultations intéressant diverses questions de politique, intéressant les céréales, le transport général et le fret général. Nous avons vécu les bouleversements apportés par la modification de la LTGO. J'y reviendrai plus tard.
La question à laquelle tous les chemins de fer, et particulièrement les chemins de fer régionaux, sont confrontés est l'impératif d'un équilibre réel entre expéditeurs et transporteurs; d'où la nécessité du projet de loi C-14. Nous jouons certainement le rôle de garçon de course dans les localités que nous desservons, mais nous sommes souvent beaucoup plus que cela.
Sur l'embranchement qui dessert la subdivision de Stettler et certaines localités avoisinantes, nous représentons jusqu'à 42 p. 100 de l'assiette fiscale locale. Si le service ferroviaire des expéditeurs qui l'utilisent devait disparaître, les localités elles-mêmes seraient anéanties.
Les modifications à la LTGO introduites l'année dernière dans la Loi d'exécution du budget ont eu des répercussions notables sur les embranchements de l'ouest du Canada. Un tronçon de notre ligne a vu passer 20 000 tonnes de marchandises l'année dernière, et plus encore l'année précédente. Cette année, 12 wagons seulement y ont circulé, transportant une moyenne de 83 tonnes chacun. Cette ligne devient très rapidement non rentable.
La difficulté avec la LTGO ne tient plus aux tarifs de transport ni au service ferroviaire, mais au prix que l'agriculteur se voit payer son grain à la livraison à une compagnie de silos. Il y a concurrence entre les compagnies de silos pour obtenir ce grain. Il en résulte des perturbations énormes dans les Prairies, lesquelles se répercutent sur les embranchements.
Une conséquence perverse, et peut-être ultérieurement favorable pour nous, est que la capacité des exploitants de silos de mélanger le grain et d'offrir ainsi un meilleur prix aux agriculteurs provoque des déplacements de trafic entre les embranchements. Certains embranchements que l'on envisageait de fermer jouissent maintenant de volumes de trafic plus élevés parce que les vieux élévateurs sont munis de nombreux compartiments et peuvent effectuer les mélanges. C'est assez drôle. À l'inverse, lorsqu'il y a une capacité de mélangeage sur une ligne voisine, des embranchements dépérissent.
L'industrie du camionnage pénètre les campagnes pour des transports de 400 milles et même 500 milles de distance, pour le compte tant d'expéditeurs que d'acheteurs, à cause du tarif lié à la distance prescrit dans ce projet de loi et dans la Loi d'exécution du budget. Étant donné que nous ne sommes pas une compagnie de chemin de fer régie, nos frais d'exploitation sont exclus de tout le chiffrage des coûts et de la répartition par division aux fins du transport du grain de l'Ouest. C'est là un problème non seulement pour nous, mais pour toute société ferroviaire régionale nouvelle dans les provinces des Prairies. Si nous ne pouvons participer sur un pied d'égalité avec CN et CP au transport du grain, les expéditeurs, les compagnies céréalières et toutes les parties concernées par la croissance ferroviaire régionale prendront la décision de ne pas appuyer cette politique et de ne pas avoir de compagnie régionale, en dépit des avantages potentiels qu'elle pourrait comporter.
Quels sont les avantages que Central Western a apporté à sa région? Nous avons transporté un plus grand volume, à environ 60 p. 100 du prix des transporteurs nationaux. Nous offrons un service hebdomadaire à la demande sur la ligne. Nous jouons de nouveau un rôle de premier plan dans la collectivité.
Étant donné notre exclusion du système imposé par la loi, nous allons être évincés. La politique visant une baisse des coûts et l'apparition de chemins de fer régionaux plus efficients n'ira nulle part dans les Prairies canadiennes.
Voilà pour la LTGO.
Pour ce qui est de l'équilibre entre expéditeurs et transporteurs ferroviaires dans ce projet de loi, les compagnies nationales et les expéditeurs vous donneront sans aucun doute leur point de vue. Les expéditeurs réclament davantage de privilèges. À mon sens, la loi de 1987 a servi les intérêts des expéditeurs. Il est temps maintenant de se pencher sur les difficultés des sociétés ferroviaires.
En cas de création d'une nouvelle société ferroviaire régionale, les articles 91 à 95 du projet de loi contiennent un critère d'assurance implicite obligeant le transporteur qui veut acheter une ligne ou l'exploiter sous juridiction fédérale de prouver à l'Office l'existence d'une assurance-responsabilité suffisante pour couvrir le risque public. C'est un objectif louable, mais difficile à atteindre. La première prime annuelle de Central Western pour une ligne transportant quelque 20 wagons de céréales par semaine, a été de 425 000 dollars. C'est là la prime annuelle couvrant un seul accident. Si nous avions un accident, nous devrions payer une autre prime. Les conditions se sont améliorées, mais il n'existe pas de mutuelle d'assurance au Canada à laquelle les compagnies régionales puissent participer.
Les transporteurs nationaux s'auto-assurent pour des millions de dollars. Si l'Office, aux fins de la délivrance d'un certificat d'aptitude, va exiger une assurance à hauteur de 20 ou 25 millions de dollars, il sera très difficile d'en souscrire une. L'autre difficulté est que peut-être aucun assureur sur le marché ne voudra souscrire une police à hauteur de 25 millions de dollars.
Il ne peut tout de même pas être dans l'intention du gouvernement du Canada de limiter l'apparition de compagnies ferroviaires au moyen de cette contrainte réglementaire. Il faut assurer la disponibilité d'une couverture d'assurance d'un tel montant dans les circonstances qui se rencontrent concrètement sur le terrain.
Les articles 140 à 146 intéressent le transfert et la cessation de l'exploitation de lignes. À la page 6 de mon mémoire, j'ai fait état par erreur du paragraphe 143(3); il faudrait plutôt lire 141(3).
Il existe deux types de lignes: celles qui sont des candidates à la fermeture et celles qui ne devraient pas être fermées. Il faudrait préciser le sens du paragraphe 141(3) et prévoir un mécanisme de notification à bref préavis d'une transaction entre compagnies ferroviaires, qu'elles soient fédérales ou provinciales ou sous quelque autre régime. La procédure actuelle prévoit le dépôt de l'avis auprès de l'Office, lequel dispose ensuite de 120 jours pour rendre sa décision. C'est très long.
Aux États-Unis, les décisions sont prises parfois en l'espace d'une semaine. Si une compagnie ferroviaire veut vendre ou céder pour quelque raison une ligne et qu'une autre compagnie ferroviaire compétente est prête à l'exploiter, elle devrait pouvoir conclure une entente, déposer un préavis court et continuer à exploiter la ligne. Au Canada, elles doivent conclure leur entente et laisser ensuite tout en suspens pendant six mois, peut-être, entre le moment de la notification et la décision de l'Office. C'est une longue attente pour une décision que l'Office prendra de toute façon. Peut-être pourrait-on apporter quelques changements pour permettre aux compagnies ferroviaires de conclure des transactions normales entre elles. La situation serait ainsi plus claire.
J'ai déjà parlé du barème tarifaire et des expéditeurs dans le cadre de la LTGO. Les chemins de fer régionaux doivent participer au transport du grain, faute de quoi il n'en existera pas dans les Prairies canadiennes.
En ce qui concerne l'achat de lignes, elles sont de prix élevés. En rapport avec la question du sénateur sur la valeur nette de récupération, nous avons payé la subdivision Stettler à la valeur nette de récupération. Elle comportait quelque 102 milles de voies, avec des rails de 60 livres sur des voies non réhabilitées, ayant des dates de fabrication situées entre 1898 et 1910. La valeur nette de récupération était 30 000 dollars. Qu'est-ce que cela signifie? Si le transporteur national devait arracher les rails et vendre l'acier au prix de la ferraille, vendre les traverses, labourer l'emprise pour la rendre utilisable, creuser pour enlever les ponceaux et vendre le terrain à un agriculteur local ou, dans certains cas, carrément le donner pour s'en débarrasser, cela coûte 30 000 dollars par mille. Cela, c'est pour une voie peu coûteuse. Si vous achetez une voie secondaire de grande ligne ou une ligne à relativement forte densité avec des rails de plus haute résistance, la valeur nette de récupération peut facilement atteindre 60 000 à 75 000 dollars par mille. Il en coûte cher de se lancer dans le transport ferroviaire. Il est difficile de réunir les capitaux requis, mais nous y sommes parvenus.
Nous considérons que le projet de loi doit faciliter l'entrée dans le secteur. La grande omission du projet de loi intéresse les obligations patronales de successeur. Lorsque la Staggers Act a été introduite aux États-Unis, qui est administrée par la Interstate Commerce Commission, on a découplé le Code du travail des transactions ferroviaires.
Cela n'a pas été fait au Canada. Un chemin de fer peut être marginalement déficitaire aux mains de transporteurs nationaux mais exploitable par un chemin de fer régional. Or, en raison des dispositions sur les obligations du successeur dans le Code canadien du travail, il faut faire toute une gymnastique pour éviter la juridiction fédérale. Supposons, par exemple, qu'une ligne franchisse une frontière provinciale et que l'on divise la propriété. Le tronçon situé d'un côté relèvera d'une province et celui de l'autre côté dépendra d'une autre. On crée ainsi des structures artificiellement compliquées pour éviter la juridiction fédérale, à cause des obligations de successeur.
Cela augure mal pour la conduite d'une politique ferroviaire de la part du gouvernement fédéral. Dans la pratique, cela contraint le gouvernement fédéral à créer des règles et à créer de nouveaux chemins de fer régionaux. Cependant, dès l'instant où il le fait, il en perd la tutelle car ce sont les législations provinciales qui couvrent les obligations de successeur en matière de main-d'oeuvre.
Quelle a été la réaction des syndicats à la multiplication des chemins de fer régionaux aux États-Unis suite au découplage des conventions collectives en vigueur? Curieusement, ils sont allés voir certains des transporteurs et ont dit qu'ils voulaient s'asseoir et négocier une convention collective pour au moins faire entrer le transport ferroviaire dans le XXe siècle.
Certains protocoles des conventions collectives qu'appliquent aujourd'hui encore les compagnies nationales portent la signature de responsables syndicaux et patronaux depuis longtemps décédés. Certaines signatures remontent probablement à une cinquantaine d'années. Nous appliquons des accords conclus dans les années 1910, 1920 ou 1930. Cela paralyse tant la partie syndicale que la partie patronale.
Si on faisait le ménage dans le Code du travail et qu'on le découplait de la législation sur les transports, on pourrait repartir sur une base nouvelle et l'on verrait surgir des chemins de fer sous régime fédéral.
La présidente: Monsieur Payne, vous avez mentionné la concurrence du camionnage. Quelle est votre vulnérabilité face aux camionneurs?
M. Payne: Cela surgit tout d'un coup. Si vous prenez le centre-est de l'Alberta, nous sommes le seul chemin de fer.
Nous avons eu une réunion avec les agriculteurs, il y a trois mois, pour parler des céréales. Encore une fois, vous entendrez souvent les expéditeurs de céréales se plaindre: «Nous sommes prisonniers du chemin de fer, nous n'avons personne d'autre à qui nous adresser. Il faut renforcer la protection des expéditeurs. Nous devons avoir des droits de circulation. Il faut donner aux transporteurs provinciaux le statut de transporteurs de correspondance sur les chemins de fer fédéraux».
Un agriculteur nous a dit qu'il livrait son grain aux élévateurs locaux du centre-ouest depuis 33 ans. Il a ajouté: «Je ne peux plus me le permettre; je fais 175 milles avec un camion que j'ai acheté, parce que je peux vendre mon grain ailleurs à meilleur prix». Voilà un agriculteur parmi d'autres. Il produit environ 11 000 tonnes de grain. C'est un client perdu qui ne reviendra pas. Il touche 9 dollars de plus par tonne de grain en le chargeant sur un camion et en le livrant plus loin. Voilà ce qu'il fait, et il n'est pas le seul. C'est un phénomène réel que l'on rencontre partout dans les Prairies. Nous, les exploitants d'embranchement, allons devoir aiguiser nos crayons et trouver les moyens de concurrencer le camionnage dans l'Ouest du Canada.
L'obstacle opposé à la rationalisation par ce projet de loi est la pénalité de 10 000 dollars par mille que les chemins de fer doivent payer lorsqu'ils veulent fermer des lignes pour réduire leurs frais.
Le projet de loi C-76, la Loi d'exécution du budget, prévoit que des milliers de milles de voies soient fermées. Dans les plans, vous n'en voyez aujourd'hui que 600 ou 700 milles. Il y a des arbres qui poussent entre les rails de certaines de ces lignes et il faudrait les laisser disparaître. Que s'est-il passé?
En tant que société ferroviaire, je peux mettre un embranchement en sommeil, payer mes taxes locales d'environ 1 500 dollars par mille et trouver une foultitude de raisons de ne jamais y faire passer un train: le terrain est trop meuble, je ne trouve pas de conducteur, je ne trouve pas de locomotive, je ne trouve pas de wagons; vous ne pouvez m'assurer un volume de trafic suffisant pour justifier le passage d'un train. Il y a des multitudes de raisons de mettre cette ligne en sommeil sans jamais l'abandonner. Je peux le faire pour 3 000 dollars le mille. Si je l'abandonne, je paie une pénalité permanente de 10 000 dollars par mille qui viendra alourdir ma base de coût pour le transport du grain. Il n'y aura pas beaucoup d'abandons, mais il n'y aura pas non plus beaucoup de lignes en service. Ce n'est là qu'un des effets de cette petite formule de chiffrage des coûts.
Le sénateur Roberge: Cela dit, vous semblez vous en tirer pas mal.
M. Payne: Nous avons une gestion très serrée, sénateur. Nous avons subi une baisse de 35 p. 100 de notre chiffre d'affaires cette année, à cause des modifications à la LTGO, et nous fermons des lignes. À cause de ces changements, Central Western va sans doute perdre au cours des deux prochaines années la moitié de son réseau. Onze localités seront touchées. C'est regrettable, mais nous ne pouvons exploiter un chemin de fer là où il n'y a pas de trafic.
Les compagnies de stockage de grain regroupent leurs silos et en démolissent d'autres. L'Alberta Wheat Pool a fermé des silos dans la partie nord de la subdivision Stettler, ainsi que 55 milles de voies en dépit d'un trafic de 6 000 tonnes. Ce trafic est perdu.
Ces changements surviennent qu'il y ait un service ferroviaire ou non. Jusqu'à présent, dans les Prairies, on accusait le chemin de fer d'être le premier à vouloir partir, mais nous sommes le dernier. Nous faisons circuler des trains parce que cela nous convient et que nos contrats de transport exigent le maintien du service pendant encore un an. Mais il n'y a rien à transporter.
Le sénateur Roberge: Vous dites que vos frais d'exploitation sont inférieurs de 60 p. 100 à ceux des grandes compagnies.
M. Payne: Oui.
Le sénateur Roberge: Est-ce dû principalement aux négociations salariales que vous avez entreprises? Vous avez parlé des obligations de successeur sous le régime fédéral, par opposition à un régime ferroviaire provincial. Si je vous ai bien compris, vous relevez des deux à la fois, dans certains cas.
M. Payne: Non, nous sommes une entreprise exclusivement provinciale en ce moment. Nous espérons passer sous régime fédéral.
Le sénateur Roberge: Si vous y parvenez, vous aurez des obligations de successeur.
M. Payne: Oui, à moins de renégocier, ce qui n'ira pas sans difficulté. L'avantage de la réglementation provinciale concerne la quantité et la flexibilité de la main-d'oeuvre. La plupart de nos employés, environ 80 p. 100, ont des qualifications multiples. Je n'ai pas besoin d'employé différent pour conduire une boureuse ou une locomotive. Pendant les mois d'hiver, mon conducteur de boureuse travaille comme ingénieur ou conducteur de locomotive. J'ai donc des effectifs moindres et davantage de souplesse, sauf que cette souplesse est limitée dans la pratique car le conducteur de la boureuse doit travailler sur la boureuse l'été. Mais lorsque le nombre absolu d'employés est moindre, les coûts sont moindres.
Le sénateur Roberge: Avez-vous eu des majorations de prix? Vous existez depuis dix ans.
M. Payne: Oui.
Le sénateur Roberge: En est-il de même des grandes compagnies? Ont-elles eu des majorations de prix?
M. Payne: Non. Assez curieusement, sous le régime de la LTGO, nous avions un contrat avec le ministre des Transports, et tandis que les tarifs des compagnies nationales augmentaient, les nôtres ont baissé. Nous avons commencé à 13,65 dollars en 1986 et, en 1995, l'année de notre dernier contrat, nos coûts sur l'embranchement étaient tombés à 9,25 dollars. Pendant tout ce temps, les grandes compagnies ont bénéficié de majorations de leurs paiements au titre de la LTGO. C'était parce que nous n'étions pas partie prenante au système. Nous travaillions à contrat pour le ministre et les tarifs ont suivi nos coûts à la baisse.
Le sénateur Roberge: En ce qui concerne l'assurance, ne pourriez-vous pas vous entendre avec les grandes compagnies afin de participer à leur mutuelle d'assurance et obtenir de meilleurs tarifs?
M. Payne: Elles n'ont pas de mutuelle. Le problème est là.
Le sénateur Roberge: Elles pourraient en créer une.
M. Payne: Je ne sais pas. Je ne suis pas assureur, mais si je demandais à CN ou CP de bien vouloir me faire une petite place et d'assumer mes risques, la réponse viendrait vite et serait très brève.
Le sénateur Roberge: Ce n'est pas ce que vous leur demanderiez. Vous demanderiez les mêmes tarifs qu'elles et vous donneriez les mêmes garanties qu'elles.
M. Payne: Elles absorbent tout simplement les dix premiers millions de dollars d'un sinistre. Elles couvrent en puisant dans leurs liquidités.
Le sénateur Roberge: C'est une bonne réponse. J'imagine que vous devriez créer une mutuelle avec d'autres chemins de fer d'intérêt local à l'avenir.
M. Payne: J'en cherche autour de moi. Il n'y en a qu'un ou deux.
Le sénateur Roberge: Il y en aura davantage à l'avenir.
M. Payne: Peut-être.
Le sénateur Roberge: Quelles conditions devez-vous remplir pour devenir une compagnie de chemin de fer régie?
M. Payne: Je n'ai pas vu de règlement d'application de cette disposition, ni sous le régime de l'ancienne loi ni sous celui de la nouvelle. Il faut une décision du ministre, j'imagine, nous donnant statut de compagnie régie en vertu de la loi. Il faut une décision ministérielle.
Le sénateur Roberge: La lui avez-vous demandée?
M. Payne: Je ne l'ai pas demandée au ministre actuellement en exercice, mais tous les ministres précédents ont répondu non. Nous avons vu défiler 11 ministres des Transports, tous ont répondu non jusqu'à présent.
Le sénateur Roberge: Ont-ils motivé leur refus?
M. Payne: Non. La réponse était simplement «non».
Le sénateur Adams: Il est bon de vous revoir, monsieur Payne. La dernière fois, nous discutions de la question du chemin de fer de Sydney à ce comité. Ce tronçon a été racheté.
M. Payne: Il est parti. Il a été racheté par Railtex, un compagnie ferroviaire régionale américaine. Je crois savoir qu'elle se débrouille très bien.
Le sénateur Adams: Pour nous qui vivons dans les territoires, nos principaux fournisseurs sont situés à Churchill. Nous avons entendu dire que CN risque de fermer cette ligne; peut-être le secteur privé serait-il intéressé à la racheter. Vous avez fait état d'un coût de 30 000 dollars par mille. Je ne sais pas exactement combien il y a de milles de voies entre le Manitoba ou la Saskatchewan et le début du chemin de fer de Churchill. C'est probablement 500 milles.
M. Payne: Je pense que la longueur du chemin de fer de Churchill est 500 ou 600 milles.
Le sénateur Adams: Churchill est à un peu plus de 600 milles de Winnipeg. Si cette ligne était privatisée et offerte au secteur privé, pensez-vous que quelqu'un aurait les moyens de l'acheter?
Je ne pense pas que Churchill expédie encore du grain. Est-ce que la ligne peut vivre avec juste le fret général entre Churchill et le Sud? Churchill n'est pas une grande ville. Peut-être le trafic va-t-il s'accroître depuis la création d'un nouveau parc national, inauguré justement hier par le prince Charles. Je ne sais pas combien de gens vont vouloir venir observer les ours polaires et les baleines, comme il l'a fait.
M. Payne: La ligne de Churchill est un réel enjeu de politique gouvernementale. Il y a une disposition dans ce projet de loi qui permet au ministre de conclure des contrats dans le but d'exécuter la politique du Canada et de réaliser les objectifs de cette loi. Churchill sera l'un de ces enjeux, je pense, car il n'y a pas assez de trafic pour que la ligne puisse être rentable, aux tarifs de fret actuels. Si la décision de principe est prise de garder la ligne ouverte, il incombera au ministre de conclure la meilleure entente possible pour l'exploitation de la Hudson Bay Railway Company, que ce soit avec une société ferroviaire régionale, avec CN ou avec quelqu'un d'autre.
Le chemin de fer de l'Alaska passe sur un terrain très similaire, avec beaucoup de pergélisol et d'obstacles naturels. Il a été privatisé. Des modifications importantes ont été apportées aux méthodes d'entretien physique des voies et d'exploitation du chemin de fer. Aujourd'hui, des trains de charbon, de tonnage ordinaire, y circulent à 40 milles à l'heure.
C'est possible, mais il faut créer les conditions voulues. Je crois savoir que le chemin de fer de l'Alaska a été vendu, mais que des dispositions transitoires ont été prévues pour passer d'un régime public à un régime commercial. La transition s'est faite très vite. Cependant, un régime mixte est requis jusqu'à ce que toutes les questions soient réglées.
Le sénateur Adams: Dans l'intervalle, selon le projet de loi C-16, la voie sera ouverte à davantage de privatisation et moins de réglementation. Dans le Nord, presque toutes les marchandises sont actuellement acheminées par avion. J'ai discuté l'autre jour avec le ministre des Transports de cette question du fret aérien. Nous bénéficions actuellement d'un tarif spécial entre Winnipeg et Rankin Inlet, avec une correspondance entre NWT Air et Air Canada, d'environ 1,80 dollar le kilo. Le taux pourrait passer à 2 dollars le kilo ou plus. Quiconque achemine plus de 50 000 livres par an peut obtenir un tarif spécial.
Quelqu'un pourrait-il concurrencer la compagnie aérienne en offrant des tarifs de moins de 1 dollar le kilo?
M. Payne: S'agissant du transport dans le Nord, vous mettez en jeu la STNL et les autres compagnies de transport par barge. Est-ce que Churchill pourrait être utilisé comme point de transit entre le chemin de fer et Norterra? Peut-être, mais cela dépend toujours du volume. S'il y a un marché pour le transport de grain via ce port, les acheteurs vont certainement l'exiger si le service peut être conçu de façon à s'adapter à la saison de navigation. Je ne sais pas jusqu'à quand dure la saison de navigation là-haut.
Le sénateur Adams: Cela peut aller jusqu'à octobre. Dans l'intervalle, le gouvernement est peut-être satisfait, mais nous ne sommes pas ravis non plus des tarifs de STNL. Comme le CN, c'est une sorte de monopole. Si des compagnies privées pouvaient s'implanter, elles pourraient fixer leurs propres tarifs. Ce n'est pas le cas avec STNL.
M. Payne: Encore une fois, c'est l'un de ces services publics réglementés dont on ne peut se passer; il y a des localités du pays où l'on ne pourra jamais s'en passer. C'est la même chose en Ontario. C'est la même chose avec l'ONR qui a une ligne jusqu'à Moosonee. Il y aura toujours des cas de service public obligatoire. Churchill en est un, comme point de transit pour le transport océanique.
La présidente: Nos prochains témoins représentent la Halifax Grain Elevator Limited.
M. Allen L. Stevens, président, Halifax Grain Elevator Limited: J'espère changer votre optique, par rapport au témoin précédent. On vous a parlé jusqu'à présent du transport des céréales dans la partie ouest du pays. Je vous parlerai, moi, de ce qui se passe à l'autre bout - c'est-à-dire le transport et la distribution de grain dans les provinces maritimes et le Canada atlantique.
Notre société exploite des silos à grain à Halifax depuis une dizaine d'années. Ils étaient précédemment exploités par la Halifax Port Corporation. Nous louons les installations à cette dernière et les exploitons à titre de société privée. La capacité des silos est de 144 000 tonnes métriques. Ce sont de gros élévateurs, construits dans les années 1920. Ils servaient principalement à l'exportation de grain pendant les mois d'hiver, les céréales étant transportées jusqu'à Halifax par rail pendant les mois où le Saint-Laurent et certains de ses ports étaient pris par les glaces.
Notre société a transformé l'activité et s'occupe principalement de distribution de grain dans les Maritimes. Nous sommes actuellement confrontés à un problème de concurrence entre l'eau et le rail pour le transport des céréales fourragères, et si ce problème n'est pas réglé il en résultera probablement la fermeture de la seule installation de distribution par eau restante dans la région atlantique. L'élévateur de St. John a été fermé il y a quatre ou cinq ans et a depuis été démoli. Cette fermeture entraînerait sans aucun doute une forte majoration des coûts de transport des céréales fourragères et du blé de meunerie en raison du monopole ferroviaire qui existera alors. Les agriculteurs n'auront plus d'autres sources d'approvisionnement pour leur fourrage.
Le grain est acheminé dans notre région en provenance de l'Ouest du Canada, soit une distance de plus de 2 000 milles.
Comme vous le savez, le CN est aujourd'hui le seul transporteur ferroviaire national desservant les Maritimes. Sans la concurrence du transport par eau, il jouirait d'un monopole complet, sans même la concurrence de Canadien Pacifique dans notre région. À notre sens, cela se répercuterait sur les prix à la consommation de la viande, des produits laitiers et des produits de boulangerie, et serait préjudiciable au port de Halifax puisque son niveau de trafic baisserait. Nous ne pensons pas que la mouture actuelle du projet de loi C-14 apporte un remède adéquat dans les situations comme la nôtre.
Halifax Grain Elevator exploite depuis 1985 cette installation qui peut recevoir, entreposer et réexpédier du grain acheminé par bateau. Le silo sert de point de transbordement et de distribution de blé et d'orge en provenance de l'Ouest du Canada et de maïs et de farine de soja venant du sud-ouest de l'Ontario. Ces produits sont acheminés par eau, puis distribués dans les Maritimes. Nos principaux marchés sont les fourrages destinés aux agriculteurs et le blé de meunerie approvisionnant le seul moulin de la région atlantique. Nous exportons également un peu de blé pour le compte de la Commission canadienne du blé.
En 1986, nous avons lancé un programme consistant à utiliser des navires de la taille maximale pouvant circuler dans la voie maritime pour acheminer ces céréales fourragères jusqu'à Halifax, via les Grands lacs et la Voie maritime du Saint-Laurent. Auparavant, la quasi-totalité de ce grain était transportée par rail. Depuis la suppression des subventions ferroviaires vers l'Atlantique et l'Est en 1989, la manutention de céréales fourragères est devenue le marché principal, la clé de voûte de l'exploitation de l'élévateur.
De 1987 à 1994, l'élévateur a distribué entre 125 000 et 175 000 tonnes de grain fourrager par an, soit environ 50 p. 100 du volume des céréales fourragères consommées dans la région atlantique. Le reste a été acheminé directement par rail.
Gråce à la saine concurrence qui existe entre le rail et l'eau, les tarifs ferroviaires sont aujourd'hui inférieurs à ce qu'ils étaient il y a dix ans. Par exemple, le tarif de transport de maïs depuis Chatham, en Ontario, jusqu'à Moncton, au Nouveau-Brunswick, est de 39 dollars la tonne, contre 47 dollars en 1986, et ce sans pondération pour tenir compte de l'inflation. L'orge, depuis le point de jonction à Armstrong, en Ontario, jusqu'à Moncton, coûte aujourd'hui 45 dollars la tonne contre 56 dollars en 1986. Nous pensons que cela démontre l'intérêt d'une saine concurrence entre le rail et l'eau, concurrence qui aboutit à minimiser le coût du transport des céréales fourragères vers les Maritimes.
J'aimerais vous donner un exemple du type de difficulté que rencontre une petite société comme Halifax Grain Elevator face à une grosse compagnie ferroviaire, même sous le régime réglementaire actuel.
Halifax Grain Elevator a un chiffre d'affaires inférieur à 3 millions de dollars. Elle emploie 15 personnes. Pourtant, nous sommes un maillon clé entre le mouvement par eau et la distribution par route dans les Maritimes.
Canadien National a ajouté récemment deux points de livraison hors réseau à son barème tarifaire. Ces points sont situés dans la vallée de l'Annapolis, en Nouvelle-Écosse, et représentent le plus gros marché de céréales fourragères pour nous. Ils sont situés sur une ligne de chemin de fer d'intérêt local nouvellement créée. CN a publié des tarifs à destination de ces points qui sont identiques ou inférieurs aux tarifs à destination de Moncton, bien que la distance ferroviaire entre Moncton et ces points dans la vallée de l'Annapolis soient de 350 à 400 kilomètres. CN non seulement achemine le produit sur la distance supplémentaire sans majoration de tarif, mais absorbe en outre les versements qu'elle effectue au chemin de fer d'intérêt local pour le transport subséquent de ce produit jusqu'à destination. Le coût comparable du transport de Halifax jusque dans la vallée de l'Annapolis est d'environ 8 dollars la tonne. CN fournit le service pour rien. Il n'y a pas de tarif supérieur, le tarif à destination de ces points est même inférieur.
Ces mesures tarifaires ont fait que les expéditions de céréales fourragères à partir de Halifax sont tombées de plus de 25 000 tonnes métriques par trimestre à moins de 5 000 tonnes au premier trimestre 1996, soit une chute de plus de 80 p. 100.
Nous pensons que ces tarifs ne sont pas offerts dans le but de livrer une concurrence loyale, mais ont plutôt été fixés à un niveau tellement bas dans le but de capturer la totalité du transport des céréales fourragères et d'évincer totalement du marché notre société, avec pour conséquence la fermeture de nos silos et la disparition de la concurrence que représente le transport maritime.
Suite à cette attaque anti-concurrentielle de la part de la compagnie ferroviaire et de la perte de clientèle qui en résulte, Halifax Grain a déposé à contre-coeur une pétition auprès de l'Office national des transports lui demandant de faire enquête sur ces tarifs en vertu de l'article 59 et du paragraphe 62(1) de la Loi sur les transports nationaux de 1987.
Notre préoccupation est que le projet de loi C-14, sous sa forme actuelle, élimine la protection dont bénéficient les petites entreprises comme la nôtre dans un cas comme celui que je viens de décrire. Bien que le projet de loi précise que les chemins de fer sont assujettis à la Loi sur la concurrence, du fait de l'incapacité pour un particulier d'intenter directement un tel recours devant le Tribunal de la concurrence aux termes de la Loi sur la concurrence, il est probable que n'aurions plus aucun recours dans un cas comme celui-ci. C'est pourquoi j'exhorte votre comité à ajouter au projet de loi des dispositions similaires à l'article 59 de la Loi de 1987 sur les transports nationaux.
J'aimerais maintenant céder la parole à Forrest Hume, qui précisera plus avant notre requête.
M. Forrest Hume, conseiller juridique, Halifax Grain Elevator Ltd.: Le but de mes propos sera de faire l'historique récent de la disposition relative à la protection de l'intérêt public et peut-être vous indiquer pourquoi elle était considérée comme nécessaire et pourquoi elle le reste aujourd'hui, à notre avis.
Le prédécesseur de l'article 59 était l'article 63 de la Loi nationale sur les transports de 1967. Cette année-là a représenté, en quelque sorte, un tournant dans la législation ferroviaire de ce pays. La nouvelle loi adoptée cette année-là déréglementait largement la tarification dans les chemins de fer.
Afin de prévenir les abus autorisés par la déréglementation, M. Pickersgill a élaboré l'article 23 de la loi, qui était un mécanisme de plainte dans l'intérêt public, autorisant quiconque avait des raisons de croire qu'un prix fixé par un transporteur sous régime fédéral était contraire à l'intérêt public, cette personne pouvait demander une enquête. Je dis «personne» car cette disposition ne s'appliquait pas seulement aux expéditeurs; elle s'appliquait aux concurrents du chemin de fer et à toute personne susceptible de subir un préjudice suite à une mesure tarifaire prise par un chemin de fer sous régime fédéral.
En 1987, lorsque la nouvelle Loi sur les transports a été adoptée, la politique nationale des transports est restée virtuellement inchangée, avec seulement un ajout mineur. Il est d'ailleurs inhabituel qu'une politique soit énoncée dans une loi. C'est pourtant ce qui a été fait en 1967 et en 1987 dans le cas des transports. Le mécanisme de mise en application de la politique était la procédure de plainte dans l'intérêt public. Dans la loi de 1987, cette disposition est devenue l'article 59, qui s'applique aujourd'hui et qui est la disposition en vertu de laquelle Halifax Grain Elevator Ltd. a récemment déposé une plainte contre Canadien National.
Il y a eu dans chacune de ces deux lois, celle de 1967 et celle de 1987, un mouvement vers la déréglementation. Dans chaque cas, le mécanisme de mise en application de la politique nationale des transports était la disposition de plainte dans l'intérêt public. En 1967, c'était l'article 23; en 1987, l'article 59.
Le mémoire que M. Stevens a déposé ce matin contient en annexe un extrait de la Loi de 1987 sur les transports nationaux. Il s'agit de l'article 59, la disposition sur l'intérêt public, qui décrit selon quels paramètres des particuliers et des sociétés peuvent intenter un recours auprès de l'Office contre les actes de sociétés ferroviaires sous régime fédéral considérés contraires à l'intérêt public.
En 1996, le projet de loi C-14 opère une déréglementation virtuellement complète des tarifs ferroviaires. Il y a quelques exceptions. Les interconnexions en sont un exemple. Cependant, les tarifs ordinaires sont virtuellement déréglementés. L'article 5 du projet de loi C-14 énonce la politique nationale des transports dans pratiquement les mêmes termes que le faisait l'article 23 en 1967 et l'article 59 en 1987. Cependant, il n'existe absolument aucun mécanisme pour faire valoir l'intérêt public. L'équivalent de l'article 59 a été rayé du projet de loi, avec pour résultat que si, aujourd'hui, une compagnie ferroviaire fédérale comme CN prend une mesure tarifaire contraire à la politique nationale des transports, le ministre des Transports n'a aucun recours. De fait, Halifax Grain Elevator Ltd. n'aurait aucun recours contre une mesure tarifaire contraire à cette politique. C'est pourquoi nous considérons que l'article 59 devrait être repris dans le projet de loi C-14 sous une forme ou une autre. À défaut, les compagnies ferroviaires seront libres de pratiquer les tarifs qu'elles voudront, qu'ils soient conformes ou non à la politique nationale des transports.
La présidente: Vous avez accès à trois modes de transport pour la plus grande partie de votre trafic, la route, l'eau et le rail. Ne disposez-vous pas d'un plus grand choix que tous les autres expéditeurs? Est-ce vrai, ou bien est-ce que je me trompe?
M. Stevens: Nous avons accès à trois modes, mais à ce stade, il s'agit d'une combinaison de transport par eau et par route. En d'autres termes, pour être compétitif, le grain est acheminé par eau depuis l'Ouest du Canada jusqu'à Halifax par de gros navires. Il est ensuite transporté par camion sur de courtes distances dans les provinces maritimes, pour distribution. La route ne serait pas un mode compétitif pour le transport sur longue distance. Il n'y a réellement que deux routes compétitives à destination des Maritimes. L'une est une combinaison de transport par eau et par route, via notre élévateur, et l'autre est un transport direct par rail sur toute la distance. Ma préoccupation face à cette mesure tarifaire est qu'elle rend le mode maritime non compétitif à ce stade. Non seulement n'est-il pas compétitif, mais les tarifs sont tels que nous en sommes très loin. Nous pensons que cette mesure a été prise par le rail pour évincer le mode maritime.
Malheureusement, l'élévateur est un équipement fixe. Nous avons une grosse structure en béton et nous ne pouvons pas la déménager ailleurs.
Les compagnies maritimes qui nous approvisionnent et assurent ce transport jusqu'à Halifax souhaitent préserver ce marché, mais elles ont une alternative. Elles peuvent prendre leurs navires et les envoyer dans d'autres ports avec d'autres cargaisons. Elles ne sont pas limitées au transport de céréales fourragères vers les Maritimes.
La seule concurrence réelle est entre le mode maritime et le mode ferroviaire. Nous avions jusqu'à présent une concurrence loyale. Les tarifs ont baissé au cours des dix dernières années, mais nous pensons qu'aujourd'hui le chemin de fer a pris des mesures tarifaires contraires à l'intérêt public, qui visent non à livrer concurrence mais plutôt à évincer totalement le mode maritime.
La présidente: Quelle foi avez-vous en la Loi sur la concurrence pour vous protéger?
M. Stevens: Nous entrevoyons des difficultés dans la Loi sur la concurrence en raison de l'impossibilité, ou de la capacité limitée, pour des particuliers d'intenter un recours en vertu de cette loi.
M. Hume: Il est possible à une personne d'intenter une poursuite en dommages intérêts en vertu de la Loi sur la concurrence, mais cela ne nous rapporterait pas grand-chose. L'argent ne compenserait pas la perte de l'élévateur de Halifax. Mais il n'est pas possible à une partie privée d'intenter un recours devant le Tribunal de la concurrence, ce recours étant réservé au directeur des enquêtes. Je sais qu'il est question de modifier cela, mais ce n'est pas encore le cas. Nous n'avons donc aucun moyen réel de saisir le Tribunal de la concurrence, à moins que le directeur des enquêtes ne le fasse pour nous. Or, celui-ci a beaucoup de pain sur la planche en ce moment. Il se pourrait bien que nous n'obtenions pas accès, même à long terme.
Le sénateur Roberge: Avez-vous saisi le Tribunal de la concurrence?
M. Hume: Non.
Le sénateur Roberge: Avez-vous l'intention de le faire?
M. Hume: Nous espérons que notre cause sera entendue en vertu de l'article 59 et que les remèdes disponibles en vertu de cet article nous seront accordés. Les dispositions transitoires du projet de loi C-14 permettraient à l'Office national des transports de poursuivre l'audition de notre plainte sur la base de la LTN de 1987.
Si tout le reste échoue, nous envisagerons de saisir le Tribunal de la concurrence. Cependant, pour toutes les raisons que j'ai indiquées, ce n'est pas une voie très prometteuse pour nous.
À notre avis, il faut une protection contre les abus d'une tarification déréglementée. Cette protection est plus nécessaire aujourd'hui qu'elle ne l'était en 1987 et en 1967.
Le sénateur Roberge: Y a-t-il un silo à grain dans la vallée de l'Annapolis? Vous nous dites que CN réexpédie directement à tarif réduit jusqu'à un point de livraison dans la vallée.
M. Stevens: La majorité des utilisateurs de la vallée ont un accès ferroviaire. Ces envois sont directement acheminés au destinataire par rail. Il n'y a pas de silo important. Il y a un petit silo agricole dans la vallée qui recueille la récolte locale, mais qui ne sert pas à distribuer les céréales de l'Ouest. Celles-ci sont acheminées directement aux clients.
Le sénateur Roberge: Avez-vous jamais songé à créer un chemin de fer d'intérêt local?
M. Stevens: Nous l'avons envisagé. Je suis en faveur de la création de lignes courtes. Je pense qu'elles ont un rôle très important à jouer dans la rationalisation du réseau ferroviaire canadien. Nous ne sommes pas opposés à l'exploitation du chemin de fer d'intérêt local en question et envisageons de faire appel à lui pour la distribution de nos produits, à partir de l'élévateur. Tout ce que nous demandons, c'est de pouvoir le faire sur la base d'un tarif équitable.
À l'heure actuelle, le chemin de fer d'intérêt local ne publie pas de barème tarifaire. Le tarif est publié par CN, jusqu'à destination. Ce tarif est inférieur au tarif pour le transport jusqu'à Moncton. Dans la pratique, CN transporte le grain au-delà de Moncton jusque dans la région de Halifax au même tarif ou à un tarif moindre que jusqu'à Moncton. Ensuite, le transport est confié au chemin de fer d'intérêt local. Celui-ci transporte le fret jusque dans la vallée de l'Annapolis. CN a fixé ce tarif à un taux moindre que le taux de Moncton. CN ne retire aucun revenu additionnel pour le transport de ce produit jusque dans la vallée de l'Annapolis.
Nous savons tous que le chemin de fer d'intérêt local n'assure pas ce transport gratuitement. Le tarif est subdivisé. CN remet au CFIL un chèque pour chaque wagon transporté et en absorbe entièrement le coût sans rien percevoir en retour. Quelles que soient les recettes du CFIL, quels que soient les tarifs et l'efficience de ce transport, CN en absorbe entièrement le coût.
Je ne vois aucune difficulté tant que le chemin de fer d'intérêt local pratique un tarif normal pour le service qu'il fournit. Si ce tarif est inférieur au tarif par camion, très bien; mais lorsque le tarif est nul, je ne pense pas que cela soit économiquement légitime. Ce n'est pas un tarif loyal.
M. Hume: Cela a commencé en octobre 1994 et se poursuit encore. M. Tellier, de CN, a indiqué que sa société perd 120 millions de dollars par an entre Montréal et Halifax, c'est-à-dire 50 <#00A2> pour chaque dollar de fret transporté. Nous ne voyons pas comment CN, dans ces conditions, peut pratiquer un tel tarif, à moins que ce soit dans le but précis d'évincer le mode maritime comme concurrent, dans son intérêt futur.
Le sénateur Roberge: Je pensais que CN transportait le grain directement jusqu'à destination dans la vallée de l'Annapolis, mais vous dites qu'il passe par un chemin de fer d'intérêt local. Ce dernier prend réception du grain à Halifax et l'achemine à destination. Ai-je bien suivi?
M. Stevens: Le barème tarifaire déposé par CN fait comme si les points d'arrivée dans la vallée de l'Annapolis, sur la ligne du chemin de fer d'intérêt local, étaient ses propres points de livraison sur son réseau. Le tarif ne mentionne même pas l'existence du chemin de fer secondaire, pas plus qu'il ne divulgue une division des tarifs entre CN et le chemin de fer secondaire. Nous ne connaissons pas la teneur de l'entente entre les deux mais, de l'extérieur, un expéditeur ou le public ne peut avoir que l'impression qu'il s'agit là de voies du CN et que CN assure lui-même le transport jusqu'à destination.
Or, il n'en est pas ainsi. La réalité est que CN fournit le service jusqu'à un point proche de Halifax appelé Windsor Junction. À partir de là, le chemin de fer d'intérêt local prend la marchandise et l'achemine jusque dans la vallée de l'Annapolis. Cela fait une distance d'environ 60 milles ou 100 kilomètres.
Encore une fois, nous ne savons pas ce que le chemin de fer d'intérêt local touche pour ce service. Tout ce que nous savons, c'est que CN a publié un tarif jusqu'à ces destinations égal ou inférieur au tarif de transport jusqu'à Moncton, au Nouveau-Brunswick. CN transporte cette marchandise au-delà puis, dans la pratique, sous-traite le transport ultérieur au chemin de fer d'intérêt local, payant quelque chose à ce dernier, sans que cela se répercute sur son tarif. Il absorbe la totalité de ce qu'il paie au chemin de fer d'intérêt local pour ce transport ultérieur.
Le sénateur Roberge: Je comprends. Vous allez peut-être devoir ouvrir vous-même un chemin de fer d'intérêt local.
M. Stevens: Nous devrons en parler avec M. Payne.
La présidente: Je vous remercie de votre exposé, monsieur Stevens et monsieur Hume.
Nos prochains témoins représentent Agricultural International Development Associates of Canada.
Nous sommes ravis d'accueillir l'honorable Eugene Whelan et M. Terrance Hall.
Allez-y, je vous prie, monsieur Whelan.
L'honorable Eugene Whelan, c.p., Agricultural International Development Associates of Canada: J'apprécie l'occasion qui m'est ici donnée de comparaître devant le comité. Mon associé, M. Hall, est un avocat qui travaillait autrefois pour le ministre de l'Agriculture comme adjoint législatif et parlementaire. Il a également travaillé pendant dix ans pour le CN dans le domaine de l'abandon de lignes. Nous habitons la même localité et nous connaissons depuis des années. Il a porté à mon attention un certain nombre de choses que je n'avais pas relevées au cours des différentes étapes de l'examen du projet de loi par la Chambre des communes.
Nous tenons à remercier les membres du comité sénatorial de nous donner l'occasion de prendre la parole devant lui concernant le projet de loi C-14, Loi sur les transports au Canada. Étant donné que j'ai été ministre de l'Agriculture pendant 12 ans et député pendant bien plus longtemps, je connais très bien les problèmes que peut soulever un projet de loi omnibus comme le projet de loi C-14. On pourrait être tenté d'en faire une étude rapide, mais avant qu'il ne soit rapidement adopté par le Sénat, j'aimerais attirer l'attention du comité sur certains problèmes, en particulier des problèmes de rédaction, que j'ai relevés, gråce à la perspicacité de Terrance Hall, aux articles 27, 95, 102 et 146 du projet de loi, dispositions qui pourraient toutes être contraires aux intentions réelles du Parlement.
Een ce qui concerne l'article 27, le communiqué du ministre qui accompagnait le projet de loi C-101 - le prédécesseur du projet de loi C-14 - précisait ce qui suit:
La nouvelle Loi garantira que les expéditeurs continuent à avoir accès à des services de transport concurrentiels. La Loi de 1987 sur les transports nationaux contient des dispositions destinées à améliorer le pouvoir de négociation des expéditeurs. Ces dispositions sont maintenues dans la nouvelle Loi...
Parmi ces dispositions qui visaient à protéger les expéditeurs contre les effets de la déréglementation des transporteurs figuraient les prix communs et les prix de ligne concurrentiels. Un prix commun permet à un expéditeur de forcer deux compagnies de chemin de fer à s'entendre sur un tarif concurrentiel pour un parcours continu. Un prix de ligne concurrentiel permet quant à lui à un expéditeur qui n'a accès qu'à un chemin de fer de forcer cette compagnie à lui offrir un tarif concurrentiel jusqu'au lieu de correspondance le plus proche avec une autre compagnie de chemin de fer.
Le paragraphe 27(2) du projet de loi C-14 impose une condition à l'obtention de cette réparation: l'expéditeur doit prouver qu'il «subirait autrement un préjudice commercial important», concept qui n'est pas défini dans la loi de 1987. Voici le texte du paragraphe 27(2):
L'Office n'acquiesce à tout ou partie de la demande d'un expéditeur relative au prix ou au service d'un envoi que s'il estime, compte tenu des circonstances, que celui-ci subirait autrement un préjudice commercial important.
L'expression «préjudice commercial important» n'est pas définie dans le projet de loi, pas plus qu'elle ne l'a jamais été dans une décision de l'Office national des transports. L'Office s'est penché sur une expression semblable, à savoir «porter gravement préjudice à un compétiteur», dans une décision récente dans l'affaire Upper Lakes Group Inc. c. Office national des transports, et il a statué qu'un tel préjudice n'est pas causé tant qu'une entreprise ne cesse pas ses opérations ou, comme le précise l'Office dans sa décision:
La concurrence n'en a pas souffert, comme le prouve la poursuite des activités d'ULS sur le marché des transports.
Par conséquent, il faut en conclure qu'une réparation serait refusée à moins qu'un expéditeur ne soit forcé d'abandonner ses activités. Ils appelleraient cela de la concurrence déloyale. Il me semble que cela n'est pas réaliste.
Les défenseurs du paragraphe 27(2) soutiendront probablement que cette condition vise uniquement la réparation et non le droit de se plaindre, mais ce droit de se plaindre ne présente aucun intérêt si aucune réparation ne peut être obtenue et en particulier si l'expéditeur a fermé ses portes.
Ni le ministre, ni le Parlement ne pouvaient poursuivre un tel objectif. Je crois cela fermement. Nos lois ont toujours été marquées au coin de l'équité et de la transparence. Les réparations qui semblent pouvoir être obtenues, mais qu'on ne peut obtenir en réalité, ne constituent certainement pas un signe de transparence. Il faut donc rétablir l'intégrité du Parlement et des réparations qu'il crée. Le gouvernement souhaitait probablement permettre à l'Office, un organisme quasi judiciaire, d'exercer un certain contrôle sur ce type de recours, tout comme le font les tribunaux, et en fait, l'article 25 accorde à l'Office certains des pouvoirs d'une cour supérieure. Les expéditeurs et les transporteurs ne devraient pas s'objecter à ce que l'Office dispose de moyens raisonnables d'exercer un contrôle sur ce type de recours. Cette limitation ne devrait pas viser uniquement les expéditeurs, mais également les transporteurs et les intervenants. Par conséquent, si l'on prenait exemple sur les tribunaux - l'article 25.11 des Règles de procédure civile de l'Ontario - le paragraphe 27(2) pourrait être modifié de la manière suivante afin de satisfaire toutes les parties:
27(2). Lorsqu'il reçoit une demande relative au prix ou au service d'un envoi, l'Office peut
a) radier une demande ou un autre document ou en supprimer des passages, en tout ou en partie, avec ou sans autorisation de le modifier, parce que la demande ou cet autre document, selon le cas
(i) est scandaleux, frivole ou vexatoire,
(ii) constitue un recours abusif;
b) acquiescer à tout ou une partie de la demande.
Le reste du paragraphe est abrogé.
De cette façon, le ministre respecterait son engagement de maintenir les réparations offertes aux expéditeurs, l'Office se prémunirait contre les recours abusifs, les expéditeurs auraient accès à des réparations sans devoir cesser leurs opérations, les transporteurs ne feraient plus l'objet de demandes frivoles et l'intégrité du Parlement serait rétablie. Il s'agit donc d'une solution gagnante pour tout le monde.
Passons maintenant à l'article 95. Dans ce cas-ci, le problème de rédaction se situe à l'alinéa 95(1) d), qui mentionne les différents types de services publics, mais sans se servir de la définition plus moderne que l'on trouve à l'article 100. Voici le texte de ces deux dispositions:
95(1) d) détourner une conduite d'eau ou de gaz, un égout ou drain ou en changer la position, et déplacer des lignes, fils ou poteaux télégraphiques, téléphoniques ou électriques, le long ou en travers du chemin de fer;
100. «desserte» Ligne servant au transport de produits ou d'énergie ou à la fourniture de services, notamment par fil, cåble ou canalisation.
Le libellé de ces deux dispositions devrait être agencé en modifiant l'alinéa 95(1) d) de la manière suivante:
95(1) d) détourner un égout ou drain ou en changer la position, et déplacer une ligne servant au transport de produits ou d'énergie ou à la fourniture de services, notamment par fil, cåble ou canalisation, le long ou en travers du chemin de fer;
L'imprécision du texte de l'article 102 causera des problèmes. Cette disposition tente de reprendre l'article 215 de la Loi sur les chemins de fer, qui donne aux agriculteurs le droit d'exiger d'une compagnie de chemin de fer qu'elle construise, à ses frais, un passage croisant la voie ferrée, pour les besoins de la ferme. Voici le texte de l'article 215:
La compagnie -
- de chemin de fer -
- fait, sur les terres que traverse son chemin de fer, à l'usage des propriétaires de ces terres, des passages croisant la voie ferrée, convenables et commodes pour les besoins de la ferme.
Voici maintenant le texte de l'article 102:
La compagnie de chemin de fer qui fait passer une ligne à travers la terre d'un propriétaire doit, sur demande de celui-ci, construire un passage convenable qui lui assure la jouissance de sa terre.
L'article 102 ne constitue pas une grande exigence pour les compagnies ferroviaires parce que cette situation ne se présente pas souvent. En effet, ce droit ne s'applique que lorsque les titres des deux propriétés ont toujours été détenus par la même personne depuis une date antérieure à la construction du chemin de fer. Habituellement, le chemin de fer a été construit avant l'arrivée des propriétaires et il arrive souvent que l'une des deux propriétés ait changé de propriétaire. Ce droit ne s'applique même pas si un propriétaire achète ultérieurement les deux terrains situés de chaque côté de la voie.
Néanmoins, l'article 102 est moins clair que le paragraphe 103(3), qui dit:
103(3) Les coûts de la construction et de l'entretien du passage sont à la charge du propriétaire de la terre.
Ainsi, l'article 102 ne précise pas qui assume le coût du passage, si les frais d'entretien sont inclus et si les terres subdivisées dans le passé sont visées. Cette disposition devrait être formulée de la même façon que le paragraphe 103(3) pour ce qui est des coûts de la construction et de l'entretien. De plus, l'article 102 semble traiter des cas à venir alors que la plupart des divisions de terrain par des voies ferrées auront précédé l'adoption du projet de loi et ne seront donc pas visées par cette disposition.
Ici encore, ces imprécisions porteront préjudice à l'intégrité du Parlement. Afin de mieux exprimer les intentions du Parlement, l'article 102 devrait être modifié de la manière suivante:
102(1) La compagnie de chemin de fer qui fait ou qui a fait passer une ligne à travers la terre d'un propriétaire doit, sur demande de celui-ci, construire un passage convenable qui lui assure la jouissance de sa terre.
(2) Les coûts de la construction et de l'entretien du passage sont à la charge de la compagnie de chemin de fer.
L'article 146 présente quant à lui deux problèmes de rédaction. Premièrement, les problèmes liés à la remise en état des terrains soulevés au paragraphe 95(3) se présentent habituellement au moment de l'abandon d'une ligne de chemin de fer; pourtant, les dispositions concernant la cessation d'exploitation incluses à l'article 146 ne sont pas liées au paragraphe 95(3). Les deux dispositions devraient être liées de manière à ce que l'intention du Parlement soit claire. Aucune obligation supplémentaire n'est imposée à la compagnie de chemin de fer.
Voici le texte du paragraphe 95(3):
95(3) Si elle détourne, déplace ou change l'un ou l'autre des ouvrages énumérés aux alinéas 1 b) et d), elle doit le remettre autant que possible dans son état original ou dans un état tel que son utilité n'en soit pas notablement amoindrie.
Les alinéas 95(1) b) et d) portent sur des éléments comme les cours d'eau, les routes et les services publics, comme on l'a mentionné pour l'alinéa 95(1) d).
Voici maintenant le texte du paragraphe 146(1):
146(1) Lorsqu'une compagnie de chemin de fer s'est conformée au processus établi en vertu des articles 143 à 145, sans qu'une convention de transfert d'une ligne de chemin de fer n'en résulte, la compagnie de chemin de fer peut mettre fin à l'exploitation de la ligne pourvu qu'elle en avise l'Office. Par la suite, la compagnie de chemin de fer n'a aucune obligation, en vertu de la présente Loi, relativement à l'exploitation de la ligne ni aucune obligation à l'égard de l'utilisation de la ligne par VIA Rail Canada Inc.
L'article 146 devrait selon nous être modifié afin de s'assurer que le paragraphe 95(3) soit porté à l'attention du public et de l'Office avant la cessation de l'exploitation puisque la loi ne stipule aucune obligation à la compagnie de chemin de fer par la suite.
Un autre problème de rédaction, qui a été réglé pour les passages à l'article 102, mais a été oublié à l'article 146, porte lui aussi sur la division de terrains. L'article 102, comme on l'a déjà mentionné, témoigne des préoccupations du Parlement à l'égard d'un propriétaire dont le terrain est divisé par la construction d'une voie ferrée et prévoit que la compagnie de chemin de fer construira un passage à ses frais lorsque le propriétaire le demandera. Toutefois, si la voie ferrée doit être abandonnée, il faudra alors, en toute équité, que le terrain soit remis dans sont état original lorsque le propriétaire le demande. Comme c'était le cas pour l'article 102, il ne s'agit pas d'une grande exigence pour les compagnies de chemin de fer puisqu'il arrivera rarement que la même personne soit demeurée propriétaire des deux terrains depuis une date antérieure à la construction du chemin de fer. De plus, on ne procédera à la remise en état du terrain que lorsque le propriétaire le demande. L'article 146 devrait être similaire à l'article 102.
Pour apporter ces changements, l'article 146 devrait être modifié pour dire:
146(1) Sous réserve du paragraphe (3),
(2)
(3) Avant la cessation de l'exploitation d'une ligne ferroviaire, la compagnie de chemin de fer doit:
a) se conformer au paragraphe 95(3);
b) remettre le terrain autant que possible dans son état original ou dans un état tel que son utilité n'en soit pas notablement amoindrie lorsqu'elle fait ou a fait passer une ligne à travers la terre d'un propriétaire et lorsque le propriétaire le lui demande.
En résumé, les changements que je propose visent à clarifier l'intention des législateurs de manière à ce que l'intégrité du Parlement et des lois qu'il crée soit respectée dans ce grand pays qui est le nôtre. Voici donc un rappel des changements que je propose. Premièrement, au paragraphe 27(2):
27(2) Lorsqu'il reçoit une demande relative au prix ou au service d'un envoi, l'Office peut
a) radier une demande ou un autre document ou en supprimer des passages, en tout ou en partie, avec ou sans autorisation de le modifier, parce que la demande ou cet autre document, selon le cas
(i) est scandaleux, frivole ou vexatoire,
(ii) constitue un recours abusif;
b) acquiescer à tout ou partie de la demande.
Deuxièmement, à l'alinéa 95(1) d):
95(1) d) détourner un égout ou drain ou en changer la position, et déplacer une ligne servant au transport de produits ou d'énergie ou à la fourniture de services, notamment par fil, cåble ou canalisation, le long ou en travers du chemin de fer;
Troisièmement, à l'article 102:
102(1) La compagnie de chemin de fer qui fait ou qui a fait passer une ligne à travers la terre d'un propriétaire doit, sur demande de celui-ci, construire un passage convenable qui lui assure la jouissance de sa terre.
(2) Les coûts de la construction et de l'entretien du passage sont à la charge de la compagnie de chemin de fer.
Quatrièmement, à l'article 146:
146(1) Sous réserve du paragraphe (3)
(2)
(3) Avant la cessation de l'exploitation d'une ligne ferroviaire, la compagnie de chemin de fer doit:
a) se conformer au paragraphe 95(3);
b) remettre le terrain autant que possible dans son état original ou dans un état tel que son utilité n'en soit pas notablement amoindrie lorsqu'elle fait ou a fait passer une ligne à travers la terre d'un propriétaire et lorsque le propriétaire le lui demande.
J'aimerais maintenant dire quelques mots au sujet des compagnies de chemin de fer et de leur situation financière. J'ai relevé dans le Financial Post de ce matin que ces compagnies ne souffrent pas beaucoup. Leurs actions augmentent en valeur et les gens continuent de les acheter. Leurs profits sont bons. Par conséquent, elles ne peuvent pas dire aux citoyens canadiens qu'elles connaissent des temps difficiles sur le plan financier.
Honorables sénateurs, nous espérons que vous étudierez les changements que nous avons proposés et que vous jugerez bon d'y donner suite.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Whelan, d'avoir exprimé les préoccupations des expéditeurs relativement à plusieurs articles du projet de loi.
Quelle serait la pire conséquence si nous n'adoptions pas vos recommandations en ce qui concerne les passages croisant des voies ferrées?
M. Terrance Hall, conseiller juridique, Agricultural International Development Associates of Canada: La pire conséquence serait que les agriculteurs perdraient un droit vieux d'un siècle. Cependant, s'il y a des décrets de l'Office visant la protection ou la création d'un passage et qui sont toujours en vigueur, alors ces décrets seront maintenus. Cependant, à l'avenir, les agriculteurs se trouveraient dans une situation où il leur faudrait s'adresser à la compagnie de chemin de fer et demander la construction d'un passage. Il leur faudrait également en payer le coût. Ce serait tout le contraire de la situation actuelle. En effet, à l'heure actuelle, c'est la compagnie de chemin de fer qui en assume les frais, mais ce sera un virage à 180 degrés, car ce seront les agriculteurs qui devront les payer.
La présidente: Quel trafic est selon vous réellement captif du rail?
M. Hall: Il existe, par exemple, dans le nord de l'Ontario plusieurs compagnies minières. Un seul chemin de fer les dessert.
C'est en 1987 que cette préoccupation relative aux «expéditeurs ferroviaires captifs», comme on les appelle, est arrivée sur l'avant-scène. Il fut décidé de les protéger car à l'époque, en 1987, on était en train de déréglementer les chemins de fer.
Lorsque vous déréglementez quelque chose, il y aura forcément des profits accrus. Par exemple, le gouvernement de l'Ontario a récemment parlé de déréglementer les loyers. Ce serait tout de suite la fête pour tous les propriétaires.
En 1987, on avait prévu que s'il y avait déréglementation des chemins de fer, cela rapporterait peut-être aux compagnies ferroviaires des profits fortuits. Il a fallu équilibrer ces choses et c'est pourquoi ces dispositions concernant les expéditeurs captifs ont vu le jour.
La préoccupation soulevée par M. Whelan est que même si les expéditeurs auront le droit de se plaindre, ils n'auront pas de réparation. À quoi sert-il de se plaindre si l'on ne peut rien obtenir? Ce droit ne sert à rien. C'est pourquoi M. Whelan a dit qu'il ne s'agit pas d'une situation transparente. Or, il nous faut beaucoup de clarté.
J'ai demandé à certains fonctionnaires pourquoi il faut cette disposition de «préjudice commercial important». Ils m'ont dit que c'est pour éviter toutes les demandes frivoles que pourraient faire des expéditeurs pour bloquer le système. Ma réponse à cela est: pourquoi le faire avec quelque chose qu'il vous faudra définir? L'expression «préjudice commercial important» n'est pas définie. Quelqu'un l'a pondue, mais personne ne sait ce qu'elle signifie. Cela va multiplier les litiges au fur et à mesure que les gens essaient de comprendre, et tout le monde va courir au tribunal fédéral.
Si vous voulez éliminer les demandes frivoles et inutiles que pourraient faire des expéditeurs, alors pourquoi ne pas faire ce que font les tribunaux? Ils ont tout simplement prévu l'exercice d'un choix dans les textes législatifs habilitants. La Loi sur la Cour fédérale stipule que la Cour a une barrière derrière laquelle se retrancher pour refuser les demandes frivoles. Pourquoi ne pas procéder de cette façon au lieu de se retrouver dans une situation où vous dites aux gens qu'ils ont un droit, pour qu'ils constatent par la suite qu'ils n'en ont pas?
Si vous le voulez, je pourrai vous fournir ce texte.
La présidente: Vous pourriez peut-être en fournir une copie au comité.
Le sénateur Roberge: Si j'ai bien compris, les expéditeurs s'opposent à cette notion frivole que vous soulevez. Est-ce bien cela? Comment définissez-vous cela?
M. Hall: Ce n'est pas la notion frivole que je soulève. Le problème ici c'est l'expression «préjudice commercial important».
Le sénateur Roberge: Je comprends cela, mais vous venez de dire que ce serait remplacé par un article couvrant, entre autres choses, les demandes frivoles. Comment définissez-vous le terme «frivole»?
M. Hall: Il s'agit là d'un terme dont la définition est très claire pour tous les tribunaux. Ce terme est défini depuis 100 ans, car les tribunaux ont toujours eu une disposition pour veiller à ce que n'entrent pas dans le système des demandes frivoles, scandaleuses, agaçantes ou ennuyeuses susceptibles de bloquer celui-ci. Si l'Office des transports du Canada, comme on l'appellera, veut être habilité à refuser de s'occuper de ces cas, alors pourquoi ne pas faire comme font les tribunaux? L'Office est de toute façon un organisme quasi judiciaire. Il agit dans le cadre de ses audiences à la manière des tribunaux. Il y a des règles de la preuve. Il y a des mécanismes tels que les demandes, les défenses et les répliques. Si l'Office veut se comporter comme un tribunal, alors pourquoi ne pas pouvoir faire appel aux mêmes dispositions?
Le sénateur Roberge: Pourquoi les expéditeurs ne s'y opposeraient-ils pas?
M. Hall: Je ne pense pas que les expéditeurs s'y opposeraient, car une demande frivole serait une demande dont ils sauraient eux-mêmes qu'elle est ridicule ou inutile, ayant pour seul objet d'encombrer le système et d'embêter les compagnies de chemin de fer.
En droit ferroviaire, vous le savez lorsque vous êtes saisi d'une affaire qui a pour seul objet de vous ennuyer et vous le savez lorsque la demande n'est pas fondée. C'est comme au tribunal. Le tribunal le sait lorsqu'il est saisi d'une affaire frivole ou scandaleuse qui a pour but unique de faire sortir en public le nom de quelqu'un. Pourquoi ne pas faire la même chose que les tribunaux si ce qu'ils veulent c'est éviter toutes les demandes frivoles? Je ne pense pas que les expéditeurs s'y opposeraient, car lorsque les cas de ce genre sont trop nombreux, cela bloque tout le système. L'Office a un bon personnel. Celui-ci est assujetti à des compressions budgétaires très strictes, mais j'ai constaté dans mes dix années de relations avec lui qu'il s'agit d'un groupe de personnes très efficaces et qui sont très sensibles à l'intérêt du public. Elles veulent faire un bon travail, mais il leur faut également veiller à ce que toutes les affaires qui risqueraient de bloquer le système restent dehors. Ce que je dis, c'est qu'il ne faudrait pas procéder de manière déloyale en recourant, par exemple, à un critère de préjudice commercial important, ce qui multiplierait les litiges à l'avenir. Qu'on procède de la même façon que les tribunaux. Il n'y a que cela à faire.
Le sénateur Roberge: Aviez-vous déposé vos recommandations auprès du comité de la Chambre?
M. Hall: Non, pas à l'époque.
Le sénateur Roberge: Y a-t-il une raison à cela? Est-ce parce que vous n'étiez pas prêt?
M. Hall: À l'époque, je n'étais pas prêt, car je m'occupais d'autres choses. Dans le cadre des offres d'indemnités de départ, et cetera, qu'on a vécues à CN, ils ont fini par arriver à mon niveau d'ancienneté. À l'époque, je m'occupais de toutes sortes d'autres choses avec un autre avocat, mais j'ai continué de surveiller ce qui se passait dans le domaine des transports. Lorsque j'ai vu le projet de loi et que j'ai commencé à le lire, je me suis inquiété car je commençais à entrevoir des problèmes potentiels pour l'avenir.
M. Whelan: C'est la formation en matière d'équité et de démocratie que M. Hall avait reçue auprès du ministre de l'Agriculture qui lui revenait.
Nous avons eu une discussion au sujet de ce qui se passait. J'habite près d'une ligne de chemin de fer, là où était l'ancienne ferme. Techniquement, elle avait été illégalement abandonnée. Elle est toujours là, mais elle a été envahie par les arbres. Les traverses sont toujours là. J'étais député lorsque cela est arrivé. C'était l'une des lignes les plus droites en Amérique du Nord. Elle allait de Buffalo jusqu'à Chicago sans une seule courbe. Avec une locomotive à bois, elle pouvait à l'époque faire plus de 100 milles à l'heure. Ça, c'était il y a plus de 100 ans. C'était à l'époque une des lignes de chemin de fer les plus droites et les plus rapides au monde. Elle est toujours là.
On parlait du Parlement. Il arrive souvent que les députés ne soient pas assez bien renseignés. Ils n'ont pas le temps d'absorber tous les projets de loi. J'ai demandé à M. Hall s'il n'y avait pas quelque chose que nous pourrions faire. Il m'a dit que le Sénat tenait des audiences. Je lui ai dit que nous devrions faire une demande au Sénat et le saisir de ces faits, afin qu'il puisse proposer des amendements et déposer des recommandations à la Chambre s'il jugeait bon de le faire.
Le sénateur Roberge: Merci beaucoup de les avoir portés à notre attention.
M. Hall: Je ne suis pas certain qu'on ait été très clair dans le libellé de certains des amendements proposés par M. Whelan.
À la page 9 de la version française du mémoire, les mots «lorsqu'il reçoit une demande relative au prix...» devraient être soulignés puisqu'il s'agit d'un ajout. Ce serait du nouveau texte.
Plus loin, à l'alinéa 27 a) (ii) on devrait lire, dans la version anglaise, «prejudice to, delay of» etc.
J'ai été formé comme rédacteur de lois par le ministère de la Justice, ici à Ottawa. Je découvre de nouveaux problèmes dans le projet de loi chaque fois que je le lis. Il ne s'agit pas de problèmes de fond, mais de forme.
J'aimerais attirer votre attention sur le paragraphe 27(4), à la page 11 du projet de loi. Le paragraphe 27(4) semble être de nature générale. Il dit:
27(4) L'Office peut, notamment sous condition, apporter ou autoriser toute modification aux procédures prises devant lui.
Cependant, ce paragraphe est limité par le paragraphe (5), qui dit:
27(5) Le présent article ne s'applique pas à l'arbitrage prévu par la partie IV.
Cela signifie que pour l'arbitrage d'offre finale, l'Office ne pourrait pas apporter d'amendement. Le paragraphe (5) limite le paragraphe (4). Ce que je ferais ici, c'est renuméroter les paragraphes 27(4) à 27(1) et rebaptiser le paragraphe 27(5), qui deviendrait le paragraphe 27(4).
La présidente: Si vous découvrez d'autres problèmes, je vous demanderais de bien vouloir nous le faire savoir.
M. Hall: Il y en a un à l'alinéa 185(3) b).
La présidente: Il vous faudra faire vite car il y a un autre comité qui attend d'utiliser la salle.
M. Hall: Un dernier problème de fond se trouve à l'article 40, qui traite du pouvoir d'appel du Gouverneur en conseil. C'est un gros problème pour tout le monde, expéditeurs et transporteurs confondus, car ce droit d'appel n'est assujetti à aucune limite temporelle. Cela devrait être coordonné avec l'article 41 pour que cela s'arrête quelque part dans le temps. À l'article 40, avec une période d'appel indéfinie, les décisions ne sont jamais arrêtées. Je suis aux prises avec ce problème à l'heure actuelle. Vous pourriez négocier une entente et, à l'avenir, une personne qui est mécontente pourrait écrire une lettre au Gouverneur en conseil lui disant qu'elle veut faire appel. Que faites-vous alors? Vous avez une entente qui a été négociée, et vous êtes en train d'essayer d'obtenir le financement nécessaire.
La présidente: Sentez-vous libre de nous envoyer tout autre amendement que vous jugez opportun.
M. Hall: Je vous les ferai parvenir par l'intermédiaire de M. Whelan.
La présidente: Nous nous ferions un plaisir d'en informer les membres du comité et de leur faire distribuer tout cela. Merci beaucoup.
La séance est levée.