Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Transports et des communications
Fascicule 14 - Témoignages pour la séance de l'après-midi
OTTAWA, le mardi 15 avril 1997
Le comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 15 h 30 pour examiner le projet de loi C-32, Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur.
Le sénateur Bacon (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, nous souhaitons la bienvenue aux représentants de la Writers' Union of Canada, de la Periodical Writers Association of Canada, de l'Union des écrivains et écrivaines du Québec, de la Canadian Copyright Licensing Agency et de l'Association des producteurs et distributeurs du multimédia d'éducation.
[Français]
Il nous fait plaisir de vous souhaiter la bienvenue. Le comité a jusqu'à 17 h 00 pour vous entendre et vous poser des questions. Nous allons vous entendre tout d'abord à tour de rôle, ensuite je pense que vous avez décidé entre vous de la manière de procéder. Vous allez choisir l'ordre de vos dépositions.
[Traduction]
Nous sommes heureux que vous puissiez comparaître aujourd'hui. Nous voulons accorder le plus de temps possible à l'étude de ce projet de loi. Non seulement les membres du comité pourront s'instruire, mais nous voulons aussi nous pencher sérieusement sur ce projet de loi et prendre bonne note de tout ce que vous avez à nous dire aujourd'hui, vous-mêmes et les autres groupes.
Vous avez la parole.
Mme Penny Dickens, directrice exécutive, Writers' Union of Canada: Je vous remercie, madame la présidente, de cette occasion qui nous est offerte de témoigner devant vous aujourd'hui. Je parle au nom de la Writers' Union, de la League of Canadian Poets et de la Playwrights Union of Canada, qui représentent plus de 1 700 écrivains, poètes et dramaturges professionnels; dans le cas d'un grand nombre de ces personnes, ce qu'elles touchent pour leurs oeuvres constitue leur unique gagne-pain.
Aux yeux des écrivains, le projet de loi C-32 est une question de gros sous et de contrôle de leurs oeuvres. Tous les écrivains veulent que leurs oeuvres reçoivent une grande diffusion et soient lues par beaucoup de gens, et ils ont tous besoin d'être rémunérés, que ce soit sous la forme d'un salaire universitaire, du produit de la vente de livres ou d'articles, de redevances provenant de la présentation de pièces ou de sommes versées par une société de gestion pour la photocopie. Toutefois, des milliers d'éducateurs et de bibliothécaires refusent de rémunérer les créateurs de propriété intellectuelle pour l'utilisation de leurs oeuvres. Nous vous exhortons d'utiliser les pouvoirs qui sont à votre disposition pour veiller à ce que les écrivains reçoivent une juste indemnisation pour l'utilisation de leurs oeuvres, en apportant les amendements suivants au projet de loi.
Selon nous, il faut à tout prix modifier le projet de loi C-32 pour que les exceptions prévues aux articles 30.2 et à l'alinéa 29.5a) ne s'appliquent pas aux oeuvres pour lesquelles on peut obtenir une licence d'une société de gestion. Les exceptions que permettent en ce moment l'article 30.2 et l'alinéa 29.5a) priveront de nombreux écrivains et dramaturges de recettes dont ils ont grandement besoin et, dans certains cas, influenceront considérablement leurs revenus.
Lorsque quelqu'un verse 25 cents. à une bibliothèque ou 10 $ pour un exemplaire de l'ouvrage d'un auteur, ce n'est que justice qu'une partie de cette somme soit remise à l'auteur qui est le propriétaire de la propriété intellectuelle. Le petit montant qui est versé à l'auteur ne nuira pas aux bibliothèques. Le consommateur, qui tient à avoir son propre exemplaire parce que l'oeuvre l'informe ou lui plaît, débourse ce qu'il faut. Voilà qui est normal.
On a tort de prévoir dans une loi une exception pour les bibliothèques, qui leur permet de demander des droits à ceux qui veulent des exemplaires de l'oeuvre des écrivains tout en refusant à ces écrivains une petite partie de cette transaction financière. On a tort également de prévoir dans une loi une exception qui permet la présentation d'une pièce par un établissement d'enseignement sans que celui-ci ait à obtenir la permission ou à verser quoi que ce soit. À l'heure actuelle, les dramaturges autorisent ces productions amateur et touchent régulièrement de modestes redevances pour celles-ci. De plus, les dramaturges autorisent les troupes de théâtre professionnelles des collectivités à jouer leurs oeuvres. Les groupes autorisés collaborent ordinairement avec le dramaturge pour assurer l'intégrité de la production.
Ces autorisations permettent non seulement d'obtenir un paiement mais aussi de veiller à ce que des licences d'amateurs et de professionnels accordées dans une même collectivité ne sont pas en conflit. Si l'exception en question n'est pas supprimée du projet de loi, non seulement elle provoquera une réduction des revenus que les dramaturges tirent à l'heure actuelle des productions amateur, mais aussi elle perturbera considérablement les revenus qu'ils comptent toucher des productions professionnelles autorisées.
Nous sommes également d'avis qu'il faut à tout prix supprimer l'article 6 du projet de loi ou le modifier. L'article 6 modifie l'article 7 de la Loi sur le droit d'auteur qui porte sur les conditions du droit d'auteur dans le cas d'oeuvres qui ne sont pas encore publiées au moment du décès de l'auteur.
Étant donné ce que contient le projet de loi à l'heure actuelle, les écrivains devront y réfléchir sérieusement avant de déposer des documents délicats ou des manuscrits dans des services d'archive, et s'ils décident de le faire, ils tiendront à ce qu'il y ait des restrictions sur l'accès à ces documents et à ce que celles-ci s'appliquent pendant beaucoup plus longtemps qu'à l'heure actuelle. Ils seront obligés de procéder ainsi parce qu'il ne sera pas nécessaire d'obtenir une autorisation lorsque quelqu'un veut publier certains documents 50 ans après le décès de l'écrivain. L'effet qu'une telle situation pourrait avoir dès aujourd'hui est le suivant: certains documents personnels des auteurs, vivants ou décédés, ne seront pas déposés dans les archives et seront vraisemblablement perdus.
Je répète que l'on a tort d'adopter des mesures législatives qui font diminuer soudainement la valeur de la succession d'un auteur.
Les documents personnels et les journaux d'auteurs et de personnalités sont extrêmement importants pour la compréhension mutuelle et l'épanouissement de notre pays. La perte que subira le Canada sera cumulative. Nous savons que des pressions considérables sont exercées pour que ce projet de loi soit adopté sans amendement afin qu'il entre en vigueur avant l'annonce d'une élection. Toutefois, nous vous prions de tenir compte des effets de l'adoption de cette mesure législative punitive. Si ce projet de loi est adopté à toute vapeur parce que les responsables en sont saisis à une période particulière, ce sont les écrivains qui finiront par faire les frais d'une telle précipitation, non seulement à court terme mais aussi à long terme. Nous vous demandons de prendre le temps qu'il faut pour bien faire le travail et d'adopter ces deux amendements indispensables.
[Français]
Mme Rose-Marie Lafrance, directrice, service des droits, Union des écrivaines et écrivains québécois: Fondée en 1977 en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels, l'Union des écrivaines et écrivains québécois regroupe quelque 950 membres. Depuis 1984, l'UNEQ, par son service des droits, agit également comme société de gestion des droits de reprographie. À ce titre, elle administre un programme de compensation pour la reproduction d'oeuvres littéraires, livres, revues, journaux, qui touchent annuellement quelque 8 000 auteurs et quelque 450 éditeurs québécois. Une licence de reproduction accordée par l'UNEQ concerne divers types d'usagers d'oeuvres protégées telles les établissements d'enseignement, les bibiliothèques et les ministères fédéraux, les ministères du gouvernement du Québec, les centres de photocopie privés, et cetera. Depuis 13 ans, l'UNEQ réussit, en privilégiant la libre négociation entre usagers et titulaires de droit, à concilier le respect du droit d'auteur et l'accès aux oeuvres protégées, c'est-à-dire les droits des créateurs et des titulaires de droit avec les besoins et les réalités financières de ceux qui utilisent leurs oeuvres.
L'UNEQ a toujours défendu le droit pour le créateur d'être associé à tous les aspects de la vie économique de son <#0139>uvre. Au cours des nombreuses années de consultation qui ont mené au projet de loi C-32, l'UNEQ a à maintes reprises réaffirmé son opposition à l'introduction de toute nouvelle exception à la loi sur le droit d'auteur. C'est vous dire avec quelle inquiétude nous avons accueilli le dépôt du projet C-32 qui introduisait dans la loi une kyrielle d'exceptions touchant les établissement d'enseignement, les bibliothèques et les archives. Nous avons alors mis en garde le gouvernement canadien de ne pas confondre l'accessibilité des oeuvres et la gratuité et de ne pas mettre en péril le travail accompli par les sociétés de gestion collective.
Depuis, le projet de loi C-32 a été modifié de façon à tenir compte de bon nombre de nos interventions ainsi que de l'existence de licences négociées entre usagers et sociétés de gestion. Ainsi, le projet de loi C-32 tel qu'adopté par la Chambre des communes stipule qu'accessible sur le marché veut également dire accessible via une licence émise par une société de gestion collective.
Le gouvernement a également répondu aux craintes fondées des créateurs et de leurs sociétés de gestion en restreignant la portée de clauses à prime abord catastrophiques pour les auteurs. Nous pensons particulièrement aux articles 29.2, 29.4 et 30.3.
Tout retour en arrière serait à cet égard très dommageable pour tous ceux que nous représentons dont un bon nombre d'auteurs qui, la plupart du temps, il n'est pas inutile de le rappeler, ne peuvent compter que sur des revenus fort modestes. Il est faux de prétendre, comme le laissent entendre certains groupes d'usagers, que le projet de loi C-32, dans sa version actuelle, restreint l'accès aux oeuvres protégées. En fait, l'accès aux oeuvres se trouve facilité par l'existence même des sociétés de gestion qui regroupent une multitude d'ayants droit. De plus, dans la mesure où l'accès à leurs oeuvres ne se traduit pas par la gratuité ou, pire, par l'expropriation pure et simple de leurs droits, il est clair que tous les auteurs ont intérêt à ce que leurs oeuvres soient diffusées le plus largement possible.
Il ne faut pas croire que les créateurs échappent à la loi du marché. Ainsi, ils n'ont aucun intérêt à ce que leur société de gestion établisse des tarifs irréalistes qui ne tiendraient pas compte de la capacité de payer des usagers ou qui risqueraient de forcer une décision défavorable de la Commission du droit d'auteur.
En matière de tarification, les sociétés canadiennes n'ont pas commis d'abus. Dans l'ensemble, les tarifs de l'UNEQ sont inférieurs ou équivalents à ceux des autres sociétés de gestion à travers le monde. Il est également malhonnête de soutenir que le projet de loi C-32 favorise la toute-puissance des sociétés de gestion canadienne au détriment des usagers.
En premier lieu, rappelons que les sociétés de gestion négocient la majorité du temps avec des associations d'usagers beaucoup mieux armées sur le plan financier et sur le plan des ressources humaines qu'elles-mêmes ne pourront jamais l'être.
Rappelons également que la Loi sur le droit d'auteur n'a jamais autorisé la reproduction d'une oeuvre en de multiples exemplaires. Pourtant, rares sont les établissements d'enseignement, les gouvernements, les compagnies et les associations de toutes catégories qui n'en ont pas fait un usage fréquent. Ainsi, bien que la Loi sur le droit d'auteur existe depuis 1924, bon nombre d'usagers continuent jour après jour de violer la loi et de priver les auteurs de leurs revenus.
Au Canada, bon nombre de maisons d'enseignement et de gouvernements n'ont pas encore convenu d'ententes avec les sociétés de gestion collective. Dans d'autres secteurs où de tels accords existent, la négociation de licences ou leur renouvellement a demandé des mois, sinon des années, de discussions et d'efforts.
Les sociétés de gestion canadienne ne sont pas puissantes, elles sont patientes. Elles croient à la libre négociation entre usagers et titulaires des droits. Bien sûr, le projet de loi C-32 est loin de l'idéal que nous poursuivions depuis des années. Ainsi même, dans sa forme actuelle, il vient notamment en ce qui concerne la question des bibliothèques et des articles de périodiques, restreindre le droit des créateurs de disposer librement de leur travail et d'obtenir une juste rémunération pour l'utilisation de leurs oeuvres.
Au nom de l'équilibre entre l'usager et l'ayant droit recherché par le gouvernement, tous ont dû faire des compromis. Ceux consentis par les auteurs et leur société de gestion sont importants. Il ne saurait être question pour nous d'accepter des compromis additionnels. Le temps presse puisque si le débat se prolonge, le projet de loi C-32 risque de mourir au Feuilleton. Un tel scénario équivaudrait à remettre en cause les sacrifices que nous avons consentis et à ne pas tenir compte d'un périple long de 73 ans. Le projet de loi doit être adopté puisque les créateurs de ce pays n'ont pas les moyens de consacrer encore quatre à cinq ans à la phase II de la révision de la loi, tout en étant des témoins impuissants de l'exploitation grandissante et non rémunérée de leurs oeuvres.
Il est temps de passer à la phase III et à l'examen des nouvelles technologies et des nouvelles techniques de diffusion.
L'UNEQ, au nom des milliers d'ayants droit qu'elle représente, vous demande d'adopter sans plus de délai le projet de loi C-32.
[Traduction]
Mme Sandra Bernstein, Periodical Writers Association of Canada: Honorables sénateurs, je suis pigiste à plein temps depuis 14 ans. La Periodical Writers Association of Canada représente 400 écrivains pigistes de toutes les régions du pays.
L'octroi d'une licence pour l'utilisation du droit d'auteur est bien souvent, pour les membres de l'association, un moyen difficile de gagner sa vie. Si l'on remonte à l'année 1979, notre guide de l'époque laissait entendre qu'un bon pigiste pouvait raisonnablement s'attendre à gagner 500 $ par semaine, ou 26 000 $ par an.
En 1995, sans tenir compte de 16 ans d'inflation, nos membres gagnaient un revenu annuel moyen presque identique, soit 26 100 $. Plus d'un quart de nos membres gagnaient moins de 12 000 $. Entre 1993 et 1995, les gains des pigistes à temps plein ont en fait diminué de 4 p. 100. Fait peu étonnant, environ 90 p. 100 de nos membres affirment qu'ils ne parviennent pas à gagner adéquatement leur vie en travaillant uniquement pour les périodiques. Ils sont nombreux à quitter la profession.
S'il devient impossible de gagner sa vie en faisant de la pige pour les magazines et les journaux au Canada, les lecteurs canadiens cesseront d'avoir accès à des opinions et à des points de vue typiquement canadiens qui constituent une partie essentielle de notre culture. Nous verrons de plus en plus dans les pages de nos publications des choses provenant de sources extérieures.
C'est là une tendance grave qu'exacerbera sans aucun doute l'exception prévue dans ce projet de loi pour la reproduction d'une seule copie. L'exception prévue au paragraphe 30.2(2) autorise les bibliothèques, les services d'archive et les musées à copier et à vendre un article documentaire d'un magazine ou d'un journal qui a été publié il y a plus d'un an, sans partager les recettes avec l'auteur de l'article. Nous disons que cette exception et les autres exceptions ne devraient être permises que lorsque l'accès à l'oeuvre par l'intermédiaire d'une société de gestion est impossible.
Fait paradoxal, cette exception, qui vise de façon injuste les auteurs d'écrits documentaires, a été proposée précisément au moment où les articles documentaires archivés ont acquis un potentiel commercial à cause de l'explosion des services d'information en direct.
Le revenu que les écrivains risque de perdre à cause de cette exception est devenu important et deviendra encore plus important à l'avenir.
Le membre moyen de notre association gagne aujourd'hui environ 500 $ par année de toutes les licences secondaires. Les licences pour la photocopie constituent une partie de ce revenu qui augmente rapidement et que les écrivains ne peuvent se permettre de perdre.
Selon un sondage effectué dernièrement par CANCOPY, environ 80 p. 100 de toutes les copies de documents publiés produites dans les bibliothèques publiques du Canada proviennent de livres documentaires, de journaux et de magazines. Les pigistes sont vraisemblablement les auteurs de la moitié de toutes ces oeuvres.
Après défalcation des choses appartenant aux éditeurs de journaux et provenant de l'étranger, la mesure législative proposée priverait les pigistes canadiens des redevances provenant de plus de 2,3 millions de copies effectuées tous les ans dans les bibliothèques publiques.
Maintenant que les nouvelles technologies de distribution permettent la croissance du marché d'articles documentaires, les bibliothèques sans but lucratif et à but lucratif de toutes les régions du monde mettent en place des services de transmission de documents possédant un potentiel commercial énorme. Un exemple au Canada est le service qu'offre la Bibliothèque publique de North York. Vous trouverez dans la documentation un exemplaire du prospectus annonçant ce service.
Moyennant des frais qui peuvent facilement atteindre 20 $ par article, la bibliothèque transmettra par télécopie à ses clients les articles de son courrier électronique provenant de collections de bibliothèques ou revendus à partir de bases de données commerciales. Il semblerait que la bibliothèque envisage de tirer profit de l'exception prévue dans la loi pour une seule copie pour offrir ce service sans partager d'aucune façon les recettes.
Nous savons tous que les bibliothèques traversent une période difficile. Toutefois, nous nous opposons au fait qu'à une époque où l'appui public s'effrite, les bibliothèques réagissent en privant les créateurs canadiens de même une petite fraction de leurs recettes provenant de la revente de leurs oeuvres. La solution est plutôt le financement public adéquat des bibliothèques.
Certains des amendements les plus récents apportés au projet de loi visent à répondre à certaine de nos préoccupations, et nous nous en réjouissons. Si vous avez le temps de modifier le projet de loi, nous tenons à ce que ces changements ne soient pas affaiblis, surtout les nouveaux critères d'immunité dans le cas du matériel de reprographie autonome et de l'exception pour ceux qui sont réputés ne pas avoir l'intention de faire un gain.
Si le temps le permet, nous aimerions que ces dispositions soient formulées avec plus de soin, de manière à mieux refléter l'intention des rédacteurs. Par exemple, à l'article 29.3, dans la disposition relative à «l'intention de faire un gain», l'expression «frais généraux» peut comprendre pratiquement tout. Comme les établissements en question sont ordinairement sans but lucratif, tout peut être inscrit parmi les frais généraux. Cette «intention de faire un gain» est un aspect primordial dans le contexte des services à péage que les bibliothèques offrent depuis peu avec beaucoup d'insistance, comme on l'a déjà mentionné.
Dans un échange qui a eu lieu dernièrement sur Internet, le directeur général de la Bibliothèque publique de Brantford écrivait que si cette exception n'était pas accordée aux bibliothécaires, les recettes provenant de la reprographie qui servent à financer le budget des livres de sa bibliothèque disparaîtraient, de même que les ressources permettant d'acheter davantage d'oeuvres canadiennes intéressantes. De toute évidence, on oublie le fait qu'il en résulterait la disparition rapide d'oeuvres canadiennes intéressantes parce que les écrivains seront obligés de chercher du travail ailleurs.
En conclusion, l'exception pour une seule copie ne concerne pas l'accès public, qui est facile et bon marché au moyen d'une licence de CANCOPY. La question de l'accès n'est que de la poudre aux yeux. Ce qui importe ici est le partage équitable des recettes et les mesures à prendre pour s'assurer que les écrivains canadiens peuvent survivre financièrement.
Le projet de loi tel qu'il est formulé ne permet aucunement d'atteindre pour notre secteur ce qu'on peut appeler un juste milieu. Il permet plutôt une mainmise sur nos biens et réduit la protection que la loi peut nous procurer, en n'offrant rien d'autre en compensation. Vous pouvez aider à redresser cette injustice en modifiant le projet de loi de manière à éliminer l'exception visant une seule copie dans le cas des oeuvres que l'on peut obtenir par l'intermédiaire d'une société de gestion.
M. Andrew Martin, directeur exécutif, CANCOPY: Honorables sénateurs, les activités de CANCOPY sont résumées au premier paragraphe du mémoire qui a été remis à votre greffier. Nous serons heureux de fournir de plus amples renseignements aux membres du comité si c'est ce qu'ils souhaitent.
Brièvement, nous octroyons des licences de reproduction pour le compte des écrivains et des éditeurs. Pour ce faire, nous concluons des accords avec les écoles, les collèges, les universités, les entreprises et les gouvernements.
Le projet de loi C-32 est en préparation depuis presque 10 ans. La version originale, déposée en avril dernier, s'inspirait beaucoup d'avant-projets qui remontent aussi loin que 1989. À notre avis, la version originale du projet de loi C-32 était fondamentalement viciée. Des changements ont été apportés aux étapes du comité et du rapport dans l'autre endroit, et on peut dire maintenant que le projet de loi C-32 est plus équitable, beaucoup plus réaliste et, en fait, plus pratique.
On vous dira que ces amendements ont été mal pensés, rédigés à la hâte et insuffisamment analysés. Nous disons dans notre mémoire que tel n'est pas le cas. Au cours des quelques mois qui ont suivi le dépôt initial du projet de loi, le comité et les fonctionnaires du Patrimoine canadien et d'Industrie Canada ont bel et bien entendu des témoignages et pris connaissance de mémoires. Le comité et ses conseillers ont conclu qu'il y avait de meilleures façons de procéder pour parvenir à un équilibre entre les besoins des utilisateurs et les droits des créateurs. Les amendements, dont la plupart ont été présentés en décembre, reflètent simplement cette conclusion. Ce que nous avons aujourd'hui est un projet de loi qui est sans doute le plus moderne et le plus avant-gardiste au monde.
Au cours des prochaines minutes, je veux faire trois choses: situer le projet de loi C-32 dans un certain contexte financier, parler de quelques mythes qui semblent entourer le projet de loi C-32 et discuter brièvement de certains des amendements qui ont été apportés à l'autre endroit et qui semblent avoir suscité de vives critiques de la part des représentants de groupes d'utilisateurs.
Permettez-moi de placer le projet de loi C-32 en contexte. Le coût maximal annuel d'une licence par élève, de l'école maternelle à la douzième année, est de 2 $. Si on le compare au coût moyen associé à l'instruction d'un élève, qui se situe entre 6 000 $ et 8 000 $, on ne peut pas dire que c'est vraiment très élevé.
Au niveau postsecondaire, le coût des reproductions susceptibles d'être visées par certains éléments du projet de loi C-32 est de 2,50 $ par étudiant. Mon fils, qui est étudiant, paie plus en TPS pour louer un casier par semestre que ce que verse le collège en droits de reproduction pour lui. Ces droits équivalent au prix d'un café grand format ou de deux de petit format. Ce n'est pas beaucoup d'argent.
En ce qui concerne l'octroi de licences aux bibliothèques publiques, aux termes d'un accord qui est sur le point d'être conclu avec des représentants du secteur, le coût annuel par Canadien sera d'environ 1,2 cent, ce qui n'acculera personne à la faillite.
Plusieurs mythes entourent le projet de loi C-32. À chacun d'eux, je répondrai non, ce n'est pas vrai; non, ce n'est pas vrai; non, ce n'est pas vrai; et oui, c'est vrai, mais...
Non, ce n'est pas vrai que le projet de loi C-32 limitera de quelque manière que ce soit les activités des bibliothécaires et des enseignants. Soyons francs. L'absence d'exceptions dans la loi actuelle ne les a jamais gênés et le peu de limites imposées maintenant à l'égard de certaines des exceptions proposées n'entravera pas non plus leur mode de fonctionnement.
Non, ce n'est pas vrai que le projet de loi C-32 appauvrira les Canadiens ou nuira à leur position concurrentielle. Les sociétés de gestion qui octroient des licences font déjà l'envie des universitaires aux États-Unis et en Grande-Bretagne, et le projet de loi C-32 ne changera rien à ce sujet.
Non, ce n'est pas vrai que le projet de loi C-32 entraînera des coûts supplémentaires pour les bibliothèques et les établissements d'enseignement. Aucune des licences octroyées par CANCOPY ne coûtera plus cher si le projet de loi est adopté.
Non, ce n'est pas vrai que le projet de loi C-32 accordera de nouveaux pouvoirs aux sociétés de gestion. Au contraire, il conférera une protection et des avantages sans précédents aux gens qui s'adressent à elles pour obtenir des licences leur permettant d'utiliser des oeuvres protégées par un droit d'auteur.
Oui, c'est vrai que le projet de loi C-32 a été modifié de façon assez radicale à certains égards, mais il continue d'exiger d'énormes sacrifices de la part des créateurs et des éditeurs canadiens, et nous estimons qu'il ne faudrait pas leur demander de faire plus de concessions.
Trois amendements font l'objet de très vives critiques de la part de personnes qui ont déjà comparu et comparaîtront devant vous.
Il a été question ce matin d'un petit changement se rapportant aux devoirs scolaires. La version initiale du projet de loi C-32 prévoyait une exception pour toute reproduction par un établissement d'enseignement en vue des exercices scolaires.
Le problème, selon les producteurs et les créateurs, c'est que l'expression «exercice scolaire» n'est définie nulle part. Je peux vous renvoyer à des lettres publiées dans le bulletin de nouvelles de l'Association des universités et collèges du Canada qui indiquent très clairement que ces exercices englobent pour ainsi dire tout le processus d'enseignement. Ils ne servent pas seulement à évaluer les étudiants.
Dans plusieurs lettres, des professeurs signalent que les exercices scolaires s'appliquent maintenant aussi à la lecture, souvent d'un chapitre de livre, d'un livre tout entier ou de plusieurs articles. Pour nous, et le comité en a convenu, si l'exception visait les exercices scolaires, cela sonnerait le glas des programmes d'octroi de licences par CANCOPY et l'UNEQ dans le secteur de l'enseignement. Voilà pourquoi on a supprimé l'expression.
Certains ont proposé de rétablir cette expression en précisant qu'il doit s'agir d'un exercice scolaire formel à des fins de notation. Il s'agit toutefois d'un terme vague, impossible à définir. Nous considérons que les exercices scolaires font partie du processus d'enseignement et non simplement du processus d'évaluation et que le comité avait donc raison d'apporter cet amendement en décembre. Nous vous demandons donc de le conserver tel quel.
Deuxièmement, l'expression «accessible sur le marché» a fait l'objet d'un débat intense. Dans le cadre du comité permanent du patrimoine canadien, un amendement a été apporté à l'expression «accessible sur le marché», qui prévoyait que certaines exceptions ne s'appliqueraient pas si une oeuvre ou une copie d'une oeuvre était accessible sur le marché. Cet amendement a élargi la définition de l'expression «accessible sur le marché» pour désigner aussi l'oeuvre pour laquelle il est possible d'avoir une licence de reproduction octroyée par une société de gestion.
On vous dira que cet amendement se trouve en fait à saper l'exception mais nous ne sommes pas d'accord pour deux ou trois raisons. La première, c'est qu'il existe de plus en plus d'oeuvres qui ne sont désormais accessibles que par le biais de l'octroi de licences. C'est le moyen le plus efficace de produire des oeuvres pour lesquelles la demande commerciale, sous la forme d'une oeuvre publiée sur le marché, peut être limitée. Bien des gens ont recours à l'octroi de licence pour permettre aux utilisateurs de transposer des oeuvres sur un autre support. Par conséquent, on fait de plus en plus appel aux sociétés de gestion. C'est pourquoi nous considérons qu'il est raisonnable d'inclure dans cette définition la possibilité d'obtenir une licence.
Cette mesure avait également été envisagée dans un projet de loi présenté il y a près de huit ans mais auquel on n'avait pas donné suite. Mme Lorna Marsden, qui était alors sénateur, avait présenté le projet de loi S-8, qui prévoyait que pratiquement toutes les utilisations pédagogiques d'oeuvres protégées par des droits d'auteurs seraient autorisées à la seule condition que le droit d'utiliser l'oeuvre n'ait pas fait l'objet d'une licence. Je suppose que ce n'est pas ainsi qu'elle décrirait son projet de loi aujourd'hui et ce n'est sûrement pas ainsi que l'Association des universités et collèges du Canada le définirait aujourd'hui. Or, si vous lisez le projet de loi S-8, que vous pouvez obtenir de la Bibliothèque du Parlement, vous constaterez que c'est effectivement ce qu'il prévoit. Par conséquent, définir une oeuvre «accessible sur le marché» comme une oeuvre pour laquelle il est possible d'obtenir une licence n'est pas une notion nouvelle.
Les bibliothécaires ont exprimé certaines réserves à propos de l'application de la définition de l'expression «accessible sur le marché». Ils craignent que si les utilisateurs doivent tâcher de déterminer s'il est possible d'obtenir une licence ou non, cela entraîne d'importants retards. Je considère toutefois que la réponse à cette question réside dans le libellé même de la définition qui prévoit qu'il doit être possible d'obtenir la licence dans un délai raisonnable. Si le délai ou le prix sont déraisonnables, les utilisateurs pourront alors se prévaloir de cette exception particulière. C'est pourquoi nous vous demandons à nouveau de conserver cette disposition du projet de loi C-32 telle quelle.
Enfin, j'aimerais dire quelques mots à propos de l'exonération proposée pour la reprographie à l'aide de photocopieuses à maniement individuel. Dans sa version originale, le projet de loi C-32 prévoit que les bibliothèques et les établissements d'enseignement ne violent pas le droit d'auteur s'ils reprographient des oeuvres à l'aide des photocopieuses installées par l'établissement, à condition qu'ils affichent un avertissement réglementaire près de la machine pour informer les usagers de la Loi sur le droit d'auteur.
Tous les représentants des milieux de la production et de la création qui ont comparu devant le comité permanent du patrimoine canadien ont indiqué que cette disposition n'était pas suffisante. Il n'est pas suffisant d'afficher simplement un avertissement près de la machine que vous avez installée, une machine souvent conçue pour la reprographie d'oeuvres, qui viole manifestement le droit d'auteur. L'amendement qui a été apporté -- et qui d'ailleurs n'était pas mal conçu, ni élaboré à la hâte; il avait été proposé dans de nombreux mémoires présentés au comité permanent -- est allé plus loin. Il prévoit qu'en plus d'afficher un avertissement, l'établissement d'enseignement ou la bibliothèque devrait également obtenir une licence d'une société de gestion. C'est une mesure raisonnable, qui tient compte de la grande majorité des documents qui seront copiés et en prévoit le paiement, ce qui les protège aussi contre l'utilisation abusive des machines.
Certains ont laissé entendre que cette disposition représente un danger pour les établissements d'enseignement et les bibliothèques. Je maintiens le contraire. Cette disposition leur confère un niveau de protection sans précédent. Le vrai perdant, si perdant il y a, est le titulaire du droit d'auteur qui ne pourra pas entamer de poursuites contre une bibliothèque ou un établissement d'enseignement qui a obtenu une licence d'une société de gestion. Cette mesure ne compromet d'aucune façon les utilisateurs de photocopieuses, ni ceux qui les installent.
J'aimerais terminer par une prédiction. Immédiatement après notre présentation, vous entendrez des témoignages d'enseignants qui vous diront que le projet de loi C-32 et en train de nuire à la compétitivité de nos écoles et de nos universités et tarira le savoir au Canada. Ils seront suivis d'avocats qui vous diront qu'à moins que le Barreau soit exonéré des dispositions de la Loi sur le droit d'auteur, l'administration de la justice sera paralysée. Vous voudrez peut-être lire la transcription des délibérations du comité permanent du patrimoine canadien où l'un des membres du comité a dit que des honoraires d'avocat de 300 $ l'heure étaient un obstacle légèrement plus important que les quelques dollars par année de frais de droit d'auteur. Vous entendrez demain des bibliothécaires qui vous raconteront des histoires d'horreur et qui vous diront vivre dans la terreur que la police du droit d'auteur vienne frapper à leur porte.
Nous rejetons évidemment toutes ces déclarations. Je prédis simplement ceci: si vous adoptez le projet de loi C-32 sans y changer quoi que ce soit, absolument rien ne changera. Je vous remercie.
M. Tom Whyte, Association des producteurs et distributeurs du média d'éducation du Canada: Je suis ici à titre de porte-parole de 22 entreprises, institutions et organisations qui produisent du matériel didactique audiovisuel, y compris des films, des vidéos et des diapositives, en anglais et en français, et qui les distribuent aux établissements d'enseignement et aux organisations communautaires dans l'ensemble du Canada.
Le chiffre d'affaires de nos membres s'élève à une vingtaine de millions de dollars et représente environ 90 p. 100 des ventes de matériel didactique audio-visuel au Canada.
Nous comptons parmi nos membres quelques entreprises du secteur public mais notre association se compose en majeure partie de petites entreprises indépendantes canadiennes. En plus de nos propres productions, nos membres distribuent des milliers de programmes produits par d'autres petits producteurs indépendants canadiens. Bien que nous distribuions également beaucoup de matériel produit à l'étranger, plus de 40 p. 100 de ce que nous distribuons est produit au Canada. Il s'agit d'un pourcentage remarquable compte tenu du coût élevé de la production, de la petite taille du marché canadien, de l'absence d'aide gouvernementale comparativement aux subventions octroyées à l'industrie de la télévision et du cinéma, et des restrictions financières dont font l'objet les écoles, les collèges et les autres établissements qui sont nos principaux clients.
Malgré les importantes compressions dont fait l'objet le secteur de l'éducation, il reste une industrie de plusieurs milliards de dollars, dont les budgets ont suivi jusqu'à maintenant le rythme de l'inflation chaque année depuis 1965 bien qu'une proportion de plus en plus restreinte de ces budgets de plus en plus élevés soit consacrée à l'achat de matériel didactique. En même temps que notre part du gâteau diminue, nous devons faire face aux nouvelles technologies, et en partie à l'avènement du magnétoscope à cassettes, qui ont entraîné un piratage généralisé des productions de nos membres. Devant ce piratage et des dépenses en matériel didactique qui n'ont pas suivi proportionnellement les dépenses générales consacrées à l'éducation, nous appuyons les dispositions du projet de loi C-32 qui introduisent ou consolident l'administration collective du droit d'auteur lorsqu'il n'est pas pratique pour les titulaires individuels de droit d'auteur d'administrer et de faire respecter leurs propres droits d'auteur.
Nous considérons qu'il est approprié de prévoir des dispositions qui offrent aux établissements d'enseignement l'accès aux oeuvres de nos membres, protégées par le droit d'auteur, par le biais d'une société de gestion, bien que nous déplorions que le régime particulier proposé par le projet de loi C-32 n'ait pas établi la création obligatoire d'une société de gestion que nous avions nous-mêmes proposée.
Nous craignons que le projet de loi entraîne la création de plus d'une société de gestion. Si les sociétés de gestion prolifèrent, elles ne seront pas rentables.
Nous sommes toutefois très satisfaits des améliorations qui ont été apportées par le comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes, notamment l'exclusion claire des documentaires de l'exemption prévue dans le cas des enregistrements d'antenne d'émissions d'actualités et de commentaires d'actualités et l'élimination de la disposition considérant qu'un étudiant d'un établissement d'enseignement était une personne autorisée à procéder à un enregistrement d'antenne.
Nous craignons que les enseignants qui comparaîtront devant vous demandent d'autres amendements ou l'élimination de certaines mesures de protection qui ont été ajoutées au projet de loi C-32 par la Chambre des communes. Il est probable qu'ils invoqueront le manque d'argent du secteur de l'enseignement. Le fait est que l'on consacre des milliards de dollars à l'enseignement et qu'il est toujours possible de choisir comment cet argent sera dépensé.
Enfin, bien que nous nous opposions catégoriquement à la forme des dispositions du projet loi C-32, relatives à l'enregistrement d'antenne, nous appuyons l'objectif visé par le projet de loi, à savoir faciliter l'accès pour les établissements d'enseignement aux oeuvres protégées par le droit d'auteur dans certains cas par l'intermédiaire d'une société de gestion. Nous tenons maintenant à préciser que nous avons tâcherons de faire en sorte que cette forme particulière de gestion collective fonctionne.
Cependant, nous pressons le gouvernement de retarder la proclamation des exceptions relatives à l'enregistrement d'antenne prévues dans le projet de loi jusqu'à ce que des règlements connexes aient été établis et que les nouvelles sociétés de gestion aient eu la possibilité d'établir leurs tarifs. Autrement, les dispositions relatives à l'enregistrement d'antenne deviendront des exceptions de facto, ce que notre industrie, qui est déjà dans une situation financière précaire, ne peut se permettre. Je vous remercie.
Le sénateur Roberge: Madame Dickens, je constate que vous proposez certains amendements au projet de loi C-32. Vous savez également qu'il est possible qu'une élection soit déclenchée la semaine prochaine. Si tel est le cas et nous proposons des amendements au projet de loi C-32, il est fort probable que le projet de loi sera reporté jusqu'à la prochaine législature.
Si vous aviez le choix, préféreriez-vous que le projet de loi soit adopté tel quel, sans amendement? J'aimerais également que les représentants de l'autre association répondent à cette question.
Mme Dickens: Nous aimerions que les amendements soient adoptés.
Le sénateur Roberge: Et risquer que le projet de loi soit abandonné?
Mme Dickens: Je ne peux pas lire dans les pensées de M. Chrétien, mais ce n'est pas la fin du monde. Nous ne sommes pas au bord du précipice. Le droit d'auteur est une proposition à long terme qui risque d'influer sur les oeuvres d'écrivains le reste de leur vie et au-delà. Il ne faudrait pas agir à la hâte.
Il est extrêmement malheureux que vous n'ayez pas été saisis du projet de loi plus tôt mais ce serait faire fausse route que d'adopter ce projet de loi parce que des élections sont possibles et que nous risquons de manquer de temps. Ces exceptions sont très importantes. Elles sont très importantes pour les créateurs. M. Martin de CANCOPY dit que rien ne changera. La situation ne changera peut-être pas demain mais elle changera avec le temps. Je pense que ces exceptions causeront beaucoup de tort aux créateurs.
Le sénateur Roberge: Pouvons-nous entendre l'opinion des autres membres du groupe?
Mme Ruth Biderman, Periodical Writers Association of Canada: Nous sommes d'accord. Il est malheureux que l'étude du projet de loi tombe à ce moment-ci. Nous savons que ce projet de loi renferme de nombreuses dispositions qui sont dans l'intérêt d'autres artistes et créateurs. Si les amendements que nous proposons ne sont pas apportés, ce projet de loi privera les écrivains de l'argent qui leur revient. Il nous est absolument impossible de préconiser l'adoption du projet de loi sans ces amendements.
M. Martin: Nous sommes mal placés pour répondre. Nous administrons les droits au nom d'autres personnes. C'est pourquoi je préfère ne pas me prononcer à ce sujet.
[Français]
Mme Lafrance: Je pense que nous avons été très clairs dans notre intervention. Bien que le projet de loi C-32 soit imparfait et brime certains droits des créateurs, nous préférons que le projet de loi soit adopté plutôt que de passer encore plusieurs années à en discuter.
[Traduction]
M. Whyte: Nous aimerions que le projet de loi soit adopté.
Le sénateur Johnson: J'aimerais poser une question qui complète celle posée par le sénateur Roberge. Elle se rapporte aux réponses que nous avons reçues concernant les amendements.
Nous avons entendu les témoignages de plusieurs autres groupes qui ont demandé des amendements. Comme vous le savez, le gouvernement a rejeté toutes ces propositions lorsqu'il s'est prononcé sur la version définitive du projet de loi. Ce n'est pas un projet de loi qui a été élaboré en 48 heures; il est l'aboutissement de dix années de travail. La ministre nous a indiqué hier assez catégoriquement -- et je suis sûre qu'elle vous a dit la même chose -- qu'il est impossible de revenir en arrière pour le refaire ou y apporter d'autres mises au point.
La réalité politique, c'est que si nous modifions le projet de loi au Sénat et le renvoyons à la Chambre des communes, cela relancera le débat sur tous les autres aspects du projet de loi qui ont déplu aux uns et aux autres. C'est comme tirer sur un fil. Il nous reste d'autres options, à condition que tout le monde au Sénat soit d'accord.
Je suis sensible à vos préoccupations. J'ai même demandé à la ministre hier ce qu'elle pensait des amendements proposés par la Writers' Union of Canada, comme exemples de changements que nous aimerions voir apportés.
La loi doit faire l'objet d'un examen dans les cinq ans qui suivent la date de l'entrée en vigueur du projet de loi. Ce délai est trop long. Il faudrait l'examiner à intervalles plus réguliers -- si le projet de loi est adopté, bien entendu.
On a également laissé entendre que les amendements seraient réexaminés au cours de la troisième phase de la réforme. Le problème, c'est que personne ne sait quand cette réforme va commencer, ni en quoi elle consistera. Comme il n'y a pas de plan précis auquel je puisse me reporter, je ne peux pas vous dire si ces questions seront effectivement abordées à ce moment-là.
J'aimerais savoir ce que vous en pensez, car nous voulons répondre aux préoccupations des groupes intéressées et modifier le projet de loi, si c'est possible. Est-ce que le fait que ces amendements seront vraisemblablement examinés au cours de la troisième phase de la réforme constitue, pour vous, une solution acceptable?
Mme Dickens: Est-ce qu'il est possible d'enlever un os de la bouche d'un chien -- un très gros chien?
Examinons un peu la situation. On retrouve des photocopieurs dans les bibliothèques depuis 30 ans. La reproduction de copies est une pratique illégale qui existe depuis 30 ou 40 ans et les écrivains en souffrent. Les modifications apportées en 1988 nous ont permis d'établir des sociétés de gestion. Or, ces sociétés ont tellement bien rempli leur rôle que la Commission du droit d'auteur n'a pas eu à se prononcer sur quoi que ce soit, les différends ayant toujours fait l'objet d'un règlement.
Les amendements que nous proposons revêtent une très grande importance pour nos membres, qui vivent de leurs oeuvres. Ils n'ont pas de salaire. Il est parfois difficile pour les gens qui ont un traitement fixe de comprendre que quelqu'un puisse gagner sa vie en créant des oeuvres et que chaque dollar compte. Cela permet de payer l'épicerie cette semaine, une nouvelle paire de chaussures la semaine suivante, ainsi de suite. À mon avis, le projet de loi actuel porte atteinte aux droits des créateurs. Nous avons des sociétés de gestion. Que les usagers paient pour les copies. Si ce projet de loi est adopté, il sera impossible de revenir en arrière.
Nous avons remarqué, au cours de la campagne de lobbying qui a entouré ce projet de loi, qu'il était possible de faire apparaître, d'un seul coup, 300 lettres sur votre bureau. Nos écrivains sont éparpillés dans toutes les régions du pays. Environ 90 p. 100 d'entre eux ne sont même pas branchés sur un ordinateur. Un pays qui ne s'occupe pas de ses créateurs est condamné à disparaître.
Le sénateur Johnson: Est-ce que quelqu'un d'autre souhaite ajouter quelque chose?
Mme Biderman: Les choses évoluent très rapidement pour les écrivains. Il existe bien des façons aujourd'hui de distribuer leurs oeuvres, et donc de faire de l'argent, grâce aux nouvelles technologies qui sont mises au point. Les vautours sont là qui attendent. Ils veulent tous une part du gâteau, même celle des écrivains. Nous représentons des écrivains qui gagnent très peu, surtout si nous tenons compte de ce qu'ils apportent à la culture. Ils doivent transiger avec de grandes maisons d'édition qui veulent que les écrivains abandonnent leurs droits relatifs à l'usage secondaire de leurs oeuvres, sans dédommagement aucun.
Ce projet de loi consacrerait le principe selon lequel il est permis, dans certains cas, de copier et de vendre des oeuvres des écrivains sans leur verser de redevances. Nous ne pouvons pas accepter cela.
Le sénateur Johnson: Votre position est très claire. Le comité est pleinement conscient de la situation dans laquelle vous vous trouvez et nous allons analyser votre témoignage de très près lorsque nous procéderons à un examen article par article du projet de loi.
Le sénateur Kinsella: Pour revenir à la question du sénateur Roberge concernant vos priorités en ce qui a trait au projet de loi, étant donné l'imminence des élections, la Chambre des communes s'est penchée sur ce projet de loi pendant un an. Il est ridicule de demander au Sénat du Canada d'examiner un projet de loi aussi complexe en trois ou quatre jours, ou même en dix jours, alors que la Chambre, elle, l'a gardé pendant un an. Si le projet de loi était modifié par le Sénat et renvoyé à la Chambre des communes, elle pourrait l'expédier en quelques jours. Si le dernier jour de séance est jeudi prochain, comme on s'y attend, il faudrait qu'elle en soit saisie d'ici mardi.
Qu'arriverait-il si le projet de loi était redéposé à l'automne? Il est question ici d'intérêts opposés qui concernent les droits et la propriété. Toutes les parties en cause ont des revendications légitimes. De nombreux intervenants ont laissé entendre que la version originale du projet de loi reflétait le compromis sur lequel les parties intéressées s'étaient entendues après de nombreuses années de négociations. De nombreux changements ont été apportés par le comité de l'autre endroit. Il faut donc nous donner plus de temps pour examiner ce projet de loi.
Pouvez-vous me dire ce qui arriverait si le projet de loi était redéposé à l'automne et que la deuxième Chambre se voyait accorder un délai plus long pour l'examiner?
M. Paul Ledoux, Playwrights' Union of Canada: Cela fait plusieurs jours que nous nous demandons si nous devrions dire, «Adoptez ce projet de loi.» On a fait pression sur les organisations d'écrivains pour qu'ils disent, «Allons de l'avant avec ce projet de loi parce que nous estimons, pour la plupart, qu'il contient des mesures intéressantes.» Or, certains d'entre nous -- et nous représentons à bien des égards un très petit segment de l'industrie -- semblent avoir été laissés de côté. On a accordé très peu d'attention aux intérêts des dramaturges dans ce projet de loi. Nous sommes sur la bonne voie, mais il reste encore du chemin à faire. Pour vous donner un exemple de ce qui pourrait arriver, les dramaturges seraient désavantagés si leurs pièces étaient présentées par des universités, et non par des troupes de théâtre professionnelles.
Si le projet de loi est redéposé à l'automne, nous aurons peut-être l'occasion de parvenir à un résultat satisfaisant. Or, le projet de loi actuel n'est pas satisfaisant. Dire qu'il répond à presque tous nos besoins ne suffit pas. Nous ne voyons aucun inconvénient à reprendre cette démarche; c'est ce que pensent du moins les dramaturges. Ce qui risque de nous causer des inconvénients, c'est de voir les universités présenter nos pièces avant même que nous ayons eu l'occasion de les faire jouer par des troupes de théâtre professionnelles. Ces pièces ne seront jamais présentées par des professionnels si elles le sont d'abord par une université.
Le sénateur Spivak: On nous dit que ce projet de loi concilie les intérêts des parties concernées et qu'il constitue le meilleur compromis auquel nous puissions arriver. Il ne concilie pas les intérêts des parties si, d'une part, vous avez une grosse entreprise et, de l'autre, un écrivain qui ne gagne que 10 000 $ par année. Je pense que vous avez bien cerné le problème. Je fais partie du comité de l'agriculture. Les producteurs, c'est-à-dire les agriculteurs, gagnent un cent de plus, tandis que les intermédiaires, eux, réalisent de gros profits. Cela ne me semble pas juste.
Pour revenir à la question du sénateur Kinsella, pensez-vous que nous sommes encore loin d'une solution satisfaisante? Est-ce que vous partagez l'avis de votre collègue, qui soutient que nous sommes sur la bonne voie, mais que nous avons encore du chemin à faire?
Mme Dickens: Les amendements que nous avons proposés nous rapprocheraient du but.
Le sénateur Johnson: Il y a d'autres groupes qui ont proposé des amendements.
Le sénateur Spivak: Ils n'exercent pas la même influence.
Est-ce que le projet de loi favorise trop les groupes comme les étudiants, ainsi de suite, au détriment des écrivains?
Je sais qu'il est injuste de vous poser cette question parce que vous êtes un écrivain.
Mme Dickens: Je représente les écrivains. Je pense que Margaret Atwood a très bien résumé la situation quand elle a comparu devant le comité de l'autre endroit. Elle répondait à une question des médias. Elle parlait des bibliothèques, mais son commentaire visait toutes les exceptions qui s'appliquent aux droits d'auteur. «Ils veulent le beurre et l'argent du beurre.» Ce n'est pas juste. Ce n'est pas une solution équilibrée. Nous ne nous attendons pas à ce que la vie soit juste. Toutefois, nous nous attendons à ce que l'assemblée législative adopte un projet de loi qui n'empiète pas sur les droits des créateurs qui vivent de leurs oeuvres. Les revenus qu'ils en tirent ne sont peut-être pas tellement élevés dans bien des cas, mais je ne voudrais pas vivre dans un pays où ces droits ne sont pas reconnus.
Le sénateur Johnson: Je voudrais poser une question supplémentaire. Qu'est-ce que le comité de l'autre endroit vous a dit lorsque vous lui avez présenté vos arguments? Je n'ai pas encore lu le compte rendu. Je m'en excuse.
Mme Dickens: Notre liste de doléances était beaucoup plus longue.
Le sénateur Johnson: Avez-vous obtenu ce que vous vouliez?
Mme Dickens: Pour être juste envers le comité, il a tenu compte de bon nombre des points que nous avons soulevés -- par exemple, l'exception relative à la reproduction pour des travaux, qui a été mentionnée par M. Martin. Il était absolument essentiel qu'on supprime cette exception parce que, autrement, les étudiants auraient pu reproduire une oeuvre au complet, sans payer quoi que ce soit.
Le comité a tenu compte de certaines de nos préoccupations. Toutefois, les gens ne considèrent pas le droit d'auteur comme un bien. C'est un bien réel. C'est parfois le seul bien que les écrivains lèguent à leur succession. L'article 6 du projet de loi annule ce droit, tout simplement parce que d'autres personnes veulent avoir le droit de copier une oeuvre.
Nous sommes en faveur des changements qui permettent aux archivistes de faire des copies aux fins d'études, mais la décision d'annuler le droit de la succession -- du jour au lendemain, la durée de la protection passera de 50 ans après la publication à 5 ans dans certains cas, et même à zéro -- semble très dure. Pour nous, c'est une mesure punitive.
Le sénateur Johnson: Pourquoi pensez-vous qu'elle a été incluse?
Mme Dickens: Jetez un coup d'oeil sur les autres témoins qui ont été entendus -- les créateurs, les éducateurs, les bibliothèques, les usagers. Les usagers sont à peu près cent fois plus nombreux que nous. Les autres, c'est-à-dire les étudiants et les clients des bibliothèques, se comptent dans les millions. Nous sommes très peu nombreux.
Mme Marian Dingman Hebb, conseillère juridique de CANCOPY, PWAC, Playwrights Union of Canada et EMPDAC: J'aimerais ajouter quelque chose. Vous voulez savoir si le comité a tenu compte de nos préoccupations. Il est intéressant de noter que les mêmes arguments ont été invoqués à l'égard du droit relatif à l'enregistrement éphémère. Un nouvel alinéa a été ajouté. Il s'agit de l'alinéa 30.8(8). On a proposé une motion très simple qui disait: «Le présent article ne s'applique pas dans le cas où l'entreprise peut obtenir, par l'intermédiaire d'une société de gestion, une licence.»
Le sénateur Roberge: Ils ont écouté, mais ils n'ont pas compris.
Le sénateur Johnson: Merci pour les précisions.
[Français]
Le sénateur Roberge: Je suis un peu surpris. J'essaie de comprendre votre position au Québec. Vous oeuvrez dans le même genre d'association que les autres au Canada, pourquoi votre position est-elle différente à ce sujet?
Mme Lafrance: Nous sommes tout à fait d'accord avec ce que la Writers' Union dit. Simplement, cela fait des années que l'on discute de ce projet de loi, que l'Union des écrivains participe à des comités de consultation avec les usagers, qu'on en débat, qu'on en discute. Si le projet de loi n'est pas adopté à ce moment-ci, on voit mal ce qui pourrait arriver dans le futur, si on se remet tous à discuter de ce qu'on a discuté depuis 15 ans. Ce n'est pas nécessairement une opposition à nos collègues de la Writers Union, loin de là. Nous sommes d'accord. Au départ, nous n'étions pas du tout favorables à l'approche de l'équilibre entre auteurs et usagers, puisque, à notre avis, si déséquilibre il y avait, c'était du côté des auteurs. Après en avoir tant débattu, nous préférons le projet de loi tel qu'il existe présentement à un hypothétique projet de loi que nous verrons peut-être dans 5 ou 10 ans.
Le sénateur Roberge: Vous êtes fatigués.
La présidente: Voulez-vous ajouter d'autres commentaires avant de quitter?
[Traduction]
Le sénateur Johnson: Quelqu'un m'a dit ce matin que le projet de loi sur le droit d'auteur n'est même pas adapté aux réalités des années 70, et que si nous passons encore plusieurs années sur cette question, nous allons prendre encore plus de retard.
Le sous-comité des communications examine le projet de loi sur les télécommunications depuis un an maintenant. Il est vrai que nous accusons du retard par rapport aux autres pays dans le domaine du droit d'auteur. Nous ne voulons pas passer encore 10 ans là-dessus. Mais est-il juste de dire que nous commençons à peine à combler notre retard?
M. Martin: Un des aspects les plus importants de mon travail consiste à examiner la législation sur le droit d'auteur qui existe dans les autres pays. Je dirais que ce projet de loi est adapté aux réalités de la fin des années 80 ou du début des années 90.
Le sénateur Johnson: C'est très bien. Je pensais qu'on faisait preuve de pessimisme.
M. Martin: Non. Le libellé et les concepts de la législation sur le droit d'auteur ont tendance à être plutôt archaïques, mais les solutions et les structures proposées dans le projet de loi C-32 sont, en fait, étonnamment modernes et avant-gardistes. Comme je l'ai dit plus tôt, après avoir parlé à des gens dans d'autres pays qui produisent, administrent et utilisent des oeuvres protégées par des droits d'auteur, je pense que notre Loi sur le droit d'auteur, et surtout le projet de loi C-32, sont très progressifs. Les solutions proposées pour permettre l'utilisation efficiente et rentable des oeuvres protégées par des droits d'auteur sont beaucoup plus avancées que ce qui se fait dans la plupart des autres pays.
La présidente: Merci beaucoup pour votre exposé.
Honorables sénateurs, nous accueillons maintenant des représentants de l'Association des universités et collèges du Canada, de la Fédération canadienne des enseignants et enseignantes, de l'Association canadienne des commissions et des conseils scolaires, de l'Association canadienne des professeurs d'université et de l'Association des collèges communautaires du Canada.
Vous avez la parole.
Mme Sally Brown, vice-présidente, Association des universités et collèges du Canada: Honorables sénateurs, j'aimerais vous parler de deux des amendements que nous avons proposés. Mes collègues prendront ensuite la parole à tour de rôle.
Toutes les associations nationales ici présentes qui oeuvrent dans le domaine de l'éducation estiment que les nombreuses modifications apportées par le comité du patrimoine -- environ 125 --, ont compromis l'équilibre qu'établissait le projet de loi C-32 entre les droits des créateurs et les besoins des usagers, c'est-à-dire les établissements sans but lucratif.
Lorsque le projet de loi a été déposé le 25 avril, les ministres Copps et Manley ont déclaré publiquement que le projet de loi constituait une mesure réfléchie et équilibrée qui conciliait les intérêts concurrentiels des parties qu'elle touche probablement le plus.
À ce moment-là, toutes nos institutions membres, et de nombreuses associations de bibliothécaires, ont convenu que le projet de loi C-32, bien que loin d'être parfait, constituait un compromis raisonnable et équilibré. Toutefois, les quelque 125 modifications qui ont été apportées, presque toutes en faveur des groupes de créateurs, remettent en question cet équilibre. C'est essentiellement pour cette raison que ce projet de loi doit faire l'objet d'un examen approfondi par cette chambre.
Accorder des exemptions raisonnables aux établissements d'enseignement et aux bibliothèques est aussi important, du point de vue de l'intérêt public, que le fait de protéger les droits des créateurs. L'un n'exclut pas l'autre. Les universités sont à la fois des créateurs et des usagers d'oeuvres protégées. Nous savons qu'il nous faut une loi sur le droit d'auteur qui soit équilibrée. Ce que nous semblons avoir complètement oublié dans ce débat, qui a été largement dominé par des intérêts commerciaux, c'est que les établissements d'enseignement ne sont pas des entreprises commerciales et que les créateurs dans le milieu universitaire sont guidés par des objectifs différents, ceux-ci étant la diffusion de leurs travaux et l'accès aux travaux de leurs pairs, et la rémunération. Le projet de loi C-32 répond aux besoins de ceux qui créent des oeuvres dans le but d'en tirer un gain, mais pas aux besoins des créateurs dans le milieu universitaire qui réclament un accès raisonnable aux oeuvres de leurs collègues au Canada et à l'étranger.
Il n'est pas question ici des oeuvres de Margaret Atwood ni, malheureusement, des ouvrages canadiens, mais des travaux d'érudition produits par des universitaires, aux frais du public. Les études révèlent que 75 p. 100 des ouvrages et 70 p. 100 des périodiques copiés dans des bibliothèques canadiennes sont d'origine étrangère. Le projet de loi C-32, dans sa forme actuelle, aura pour effet d'accroître le montant des redevances versées par les usagers d'oeuvres protégés à des auteurs à l'étranger. Ironiquement, nos professeurs, chercheurs et étudiants devront maintenant payer, dans certains cas, pour le droit d'utiliser des ouvrages américains pour lesquels leurs homologues américains, eux, ne versent aucune redevance.
La ministre Copps a déclaré, hier, au comité que les créateurs doivent être rémunérés lorsque leurs oeuvres sont utilisés à des fins commerciales. Nous sommes entièrement d'accord avec elle. Nous sommes même d'avis que le secteur sans but lucratif, les établissements d'enseignement et les bibliothèques devraient, dans certains cas, verser des redevances. Toutefois, des exceptions, comme celles décrites dans la version originale du projet de loi, devraient être autorisées, dans l'intérêt public.
Certains assimilent, à tort, l'utilisation gratuite d'oeuvres protégés à un vol. Ils laissent entendre que les associations représentant les établissements d'enseignement ne veulent pas verser de redevances pour l'utilisation d'oeuvres protégées par un droit d'auteur. C'est faux. Les universités canadiennes, les bibliothèques, les professeurs et les étudiants consacrent énormément d'argent à l'achat d'oeuvres protégées. En fait, en 1995, les bibliothèques des universités ont consacré 176 millions de dollars à l'achat de livres et de périodiques. De plus, nos membres ont versé des millions aux sociétés de gestion pour avoir le droit d'utiliser des oeuvres protégés. Les établissements sans but lucratif se sont empressés de signer des ententes avec les sociétés de gestion, ce qui n'est pas le cas des entreprises commerciales. Ils continueraient à le faire même si toutes les exceptions prévues dans la version originale du projet de loi C-32 était adoptées.
La ministre a dit, hier, que si les établissements d'enseignement sont disposés à payer pour des pupitres et des fournitures, ils devraient être disposés à payer pour l'utilisation d'oeuvres protégées par un droit d'auteur. Nous tenons à lui faire remarquer que, une fois le pupitre acheté, nous n'avons pas à payer chaque fois que nous voulons l'utiliser. De plus, lorsque nous achetons un pupitre, nous ne sommes pas obligés de l'acheter d'une entreprise qui exerce un monopole créé par une loi, et dans un marché dans lequel nous n'avons aucun pouvoir d'achat.
Comme je l'ai déjà indiqué, nous consacrons chaque année des sommes énormes à l'achat d'ouvrages. Nos bibliothèques achètent des livres. Nous convenons que nous devrions payer pour l'usage que nous faisons de ces mêmes livres. Toutefois, nous estimons qu'il est dans l'intérêt public de permettre aux étudiants, aux professeurs et aux usagers des bibliothèques d'utiliser les oeuvres protégées, conformément aux exceptions prévues par la loi, sans coût aucun, à des fins d'éducation et de recherche. Rien dans ces exceptions ne viendra désavantager financièrement les titulaires de droits d'auteur. De plus, ces exceptions statutaires ne sauraient remplacer l'achat d'ouvrages.
J'aimerais aborder deux questions précises avant de céder la parole à mes collègues. D'abord, bon nombre des exceptions accordées aux établissements d'enseignement et aux bibliothèques dans le projet de loi C-32 sont limitées par des clauses qui les rendent inopérantes si une copie d'une oeuvre est accessible sur le marché.
Lorsque le projet de loi C-32 a été déposé, nous avons conclu que l'intention de ces restrictions était de protéger l'exploitation commerciale d'une oeuvre -- c'est-à-dire le marché des nouvelles éditions d'oeuvres publiées séparément et vendues dans des librairies et autres points de vente au détail. Il existe des restrictions semblables à certaines exceptions dans les lois sur le droit d'auteur d'autres pays, comme les États-Unis et l'Australie. Nous avons accepté ce compromis dans le projet de loi C-32.
Toutefois, le comité du patrimoine a modifié la définition de «accessible sur le marché» pour qu'elle désigne aussi le cas où il est possible d'avoir une licence de reproduction octroyée par une société de gestion. De toute évidence, cette nouvelle modification a pour effet de saper les exceptions auxquelles elle s'applique, parce que ces exceptions deviendront inopérantes aussi longtemps qu'une société de gestion a le pouvoir d'autoriser un établissement d'enseignement ou une bibliothèque à faire sa propre copie en payant une licence. Le gouvernement a donné aux établissements d'enseignement et aux bibliothèques certaines exceptions avec une main, et les a reprises de l'autre. Ce changement mine l'équilibre que le gouvernement s'était engagé à établir lorsque le projet de loi C-32 a été déposé.
La ministre Copps a déclaré, hier, que ce changement va coûter environ 500 000 $ par année aux établissements. Nous ne savons pas comment elle est arrivée à ce chiffre. Toutefois, ce qui est en cause ici, ce n'est pas le coût, mais le principe. Le système d'octroi de licences par les sociétés de gestion vise à compléter les exceptions statutaires, non pas à les remplacer. On trouve des exceptions statutaires dans les lois sur le droit d'auteur d'autres pays, que ce système existe ou non. Il n'y a aucune raison de détruire ce principe dans la Loi canadienne sur le droit d'auteur.
De plus, les modifications apportées à la définition de «accessible sur le marché» créent un précédent inacceptable qui risque de nuire aux intérêts des établissements d'enseignement et des bibliothèques au cours de la troisième phase de la réforme. Nous avons déjà vu, avec le projet de loi C-32, que certains groupes d'éditeurs et d'écrivains cherchent à limiter l'application des exceptions prévues dans le projet de loi aux cas où les établissements ont conclu une entente avec des sociétés de gestion. Nous sommes convaincus qu'ils vont continuer d'exercer des pressions au cours de la troisième phase de la réforme. Par conséquent, nous prions le comité de rétablir la définition originale de l'expression «accessible sur le marché».
Le deuxième et dernier point que j'aimerais aborder concerne l'exonération accordée aux établissements d'enseignement, aux bibliothèques, aux services d'archives et aux musées de toute responsabilité relativement à l'usage de machines à reprographier installées dans leurs locaux.
Le projet de loi C-32, dans sa forme originale, prévoyait une telle exonération, mais exigeait qu'un avertissement sur la violation du droit d'auteur soit affiché selon les modalités réglementaires. À notre avis, cette exemption codifie simplement une protection qui existe probablement déjà en common law.
Le comité du patrimoine a modifié la nature de l'exemption statutaire, de sorte qu'en fait, elle n'existe plus à moins qu'un établissement ait une entente avec une société de gestion. Des exemptions semblables dans d'autres pays ne requièrent que l'affichage d'un avertissement approprié et ne sont nullement liées à une licence de société de gestion.
Il n'y a pas de raison impérieuse de lier l'exemption à une licence, si ce n'est pour renforcer le pouvoir des sociétés de gestion d'exiger que les établissements sans but lucratif obtiennent une licence.
Bien que tous les membres de l'AUCC détiennent actuellement une licence, et espèrent la conserver, rien ne garantit que nos membres, à long terme, continueront de juger avantageuses les modalités afférentes à une licence, compte tenu du fait que les tarifs ne cessent d'augmenter. Ce ne sont pas tous les établissements sans but lucratif qui détiennent une licence.
Ce qui nous préoccupe avant tout, c'est que, d'après un avis juridique que nous avons reçu, l'exonération modifiée, qui vise manifestement à profiter aux organisations sans but lucratif comme la nôtre, peut en fait leur donner moins de droits que ne le fait la common law.
Il est fort probable que, en vertu de la common law, l'affichage d'un avertissement fournirait aux institutions comme la nôtre une protection adéquate contre tout risque de poursuites pour violation du droit d'auteur lors de l'utilisation de photocopieurs. Or, le projet de loi a préséance sur la common law, ce qui n'arrange guère les choses pour nos établissements.
Nous demandons que le comité revienne à l'exemption qui était prévue dans le projet de loi avant que le comité du patrimoine ne tienne des audiences sur la question.
[Français]
Merci de votre patience. Je laisse la parole à Pierre Killeen.
Monsieur Pierre Killeen, agent des relations gouvernementales, Association des collèges communautaires du Canada: C'est un privilège de comparaître devant le comité sénatorial des transports et des communications. Mon nom est Pierre Killeen, je suis l'agent des relations gouvernementales pour l'Association des collèges communautaires du Canada.
[Traduction]
Notre association regroupe 175 collèges communautaires, instituts de technologie et cégeps publics dans les dix provinces et deux territoires du Canada. Le droit d'auteur revêt une très grande importance pour nos établissements, de même que pour l'apprentissage et la formation au Canada.
L'information qui est tirée des oeuvres protégées constitue le moteur de l'apprentissage et de la formation dispensés dans les collèges, instituts de technologie et cégeps du Canada. C'est l'outil de base de notre métier. Donc, si nous voulons que nos établissements puissent enseigner et que nos apprenants puissent apprendre, nous devons leur assurer un accès équilibré et équitable à cette information.
Le projet de loi C-32, dans sa forme actuelle, nuit à cet apprentissage et à cette formation. Nos établissements d'enseignement ne seront plus que des contrôleurs de l'information. Or, nous voulons une loi qui va nous permettre de faire de nos institutions des créateurs et des diffuseurs de l'information.
Le Sénat peut dès aujourd'hui, ou dans un proche avenir, apporter au projet de loi les changements qui s'imposent pour faire en sorte que les créateurs soient justement rémunérés pour leurs efforts, et que les apprenants aient la possibilité d'apprendre, de travailler et de survivre dans un milieu complexe, dominé par l'économie du savoir, dans lequel évoluent tous les Canadiens.
Malheureusement, on a tendance à croire que les professeurs, les enseignants, les bibliothécaires et les établissements d'enseignement exigent d'avoir accès à un service gratuitement. Ce n'est pas le cas. Ce que nous demandons aujourd'hui, c'est de bénéficier du même équilibre et de la même souplesse dont jouissent nos homologues aux États-Unis.
Honorables sénateurs, ce que nous demandons existe déjà dans la législation de common law des États-Unis, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande. Ces changements sont donc réalisables.
Permettez-moi de vous donner quelques exemples des répercussions qu'aura le projet de loi C-32, dans sa forme actuelle, sur nos établissements d'enseignement. Les collèges et les instituts de technologie au Canada forment un très grand nombre de spécialistes des produits multimédias. Le collège Sheridan, par exemple, est situé à l'extérieur de Toronto. Ses diplômés sont sollicités partout dans le monde. Ce n'est pas par hasard que les studios Disney ont récemment décidé de s'implanter à Vancouver et à Toronto. La qualité du talent canadien que produisent nos établissements d'enseignement est exceptionnelle
La création de produits multimédias implique, de par sa nature, l'utilisation et l'assemblage de divers types d'information -- qu'il s'agisse de séquences filmées, d'enregistrements sonores ou de textes. On crée ainsi un nouveau produit, une nouvelle façon de présenter l'information.
Si le projet de loi C-32 est adopté sous son libellé actuel, nos établissements se retrouveront dans une situation très difficile. Nos étudiants n'auront plus le matériel ni la capacité d'avoir accès au matériel dont ils ont besoin pour créer des produits multimédias. Le plus souvent, nos établissements devront employer jusqu'à cinq avocats pour obtenir les droits voulus pour que nos étudiants puissent créer de tels produits.
Le droit d'auteur est crucial, puisqu'il détermine la capacité de nos établissements à remplir leur mandat et la capacité de nos étudiants à créer de nouvelles oeuvres.
En vertu du paragraphe 29.4(2) du projet de loi C-32, sous sa forme initiale, ne constituent pas des violations du droit d'auteur la reproduction, l'exécution en public ou la communication au public par télécommunication d'une oeuvre ou de tout autre objet du droit d'auteur faites par un établissement d'enseignement en vue d'un exercice scolaire, d'un examen ou d'un contrôle donné dans les locaux de l'établissement. Malheureusement, cette disposition, qui aurait donné à nos écoles le moyen d'éduquer les gens et de former des créateurs multimédias, a été modifiée par le comité du patrimoine canadien de deux façons très importantes.
Tout d'abord, l'expression «exercice scolaire» est supprimée du projet de loi dont vous êtes saisis d'aujourd'hui. Deuxièmement, la définition de «accessible sur le marché» a été modifiée de telle façon qu'elle a rendu ces exemptions inutiles.
Je vais m'en remettre à Mme Brown, ma collègue du secteur universitaire, et à ce qu'elle a déjà apporté à l'attention du comité au sujet de l'expression «accessible sur le marché». Néanmoins, nous pensons que réintroduire l'expression «exercice scolaire» ou prévoir une autre expression comme «projet multimédia» ou «exercice multimédia» donnerait à nos établissements le moyen et la souplesse nécessaires pour remplir leur mandat.
J'aimerais attirer votre attention sur un deuxième exemple, celui du professeur qui souhaite présenter un film en salle de classe. À l'heure actuelle, ce professeur va au magasin vidéo local, loue ce film et le présente ensuite à sa classe. Si le projet de loi C-32 était adopté, ce professeur violerait les lois sur le droit d'auteur. En vertu de ce projet de loi, nos établissements seraient tenus de payer le droit de présenter des films en salle de classe. En fait, le projet de loi C-32 nous forcerait à payer la personne titulaire du droit de distribution au Canada pour cette oeuvre cinématographique en particulier.
Le plus souvent, ces films sont étrangers ou américains et pour obtenir le droit de présenter ces oeuvres, nous finissons par payer l'intermédiaire et non le créateur de l'oeuvre originale.
Il est intéressant de noter que le projet de loi C-32 prévoit des exceptions pour les établissements d'enseignement en ce qui concerne les droits d'exécution, pour l'exécution en direct d'oeuvres par des étudiants, pour l'exécution de l'enregistrement sonore et pour l'exécution d'une oeuvre lors de sa communication en salle de classe par télévision. Toutefois, rien n'est prévu au sujet des oeuvres cinématographiques et des films. Par conséquent, nous recommandons d'amender le paragraphe 29(5) du projet de loi en ajoutant un alinéa d) relatif à «l'exécution en public d'oeuvres cinématographiques».
Donnez-nous la même souplesse que celle dont jouissent les établissements d'enseignement aux États-Unis. Ils n'ont en effet pas à payer de droits d'exécution pour présenter des films en salle de classe. Ils bénéficient d'une exemption.
Le dernier exemple sur lequel j'aimerais attirer votre attention est celui des articles de journaux. Disons par exemple qu'un professeur de génie électrique entend parler d'une percée scientifique dans le domaine de l'électromagnétisme.
Peut-être s'en est-il aperçu en lisant le journal. Si ce professeur décidait de faire des copies de cet article de journal et de les distribuer aux étudiants en salle de classe, il violerait le projet de loi C-32.
Dans ce cas précis, ce professeur et cet établissement seraient tenus non seulement civilement responsables, mais aussi criminellement responsables pour le simple fait d'avoir photocopier un article du Globe and Mail et de l'avoir distribué aux étudiants en salle de classe. Toutefois, un professeur aux États-Unis souhaitant photocopier le même article en aurait parfaitement le droit. Voulons-nous véritablement que professeurs et étudiants aient un casier judiciaire uniquement parce qu'ils tentent de faire progresser la connaissance ou l'éducation?
M. Savage, de l'Association canadienne des professeures et professeurs d'université, se propose d'aborder la question des sanctions pénales. Veuillez garder cet exemple à l'esprit lorsque vous poserez vos questions.
Compte tenu de ces absurdités, vous pourriez vous demander: qui va tirer avantage du projet de loi C-32 et pourquoi allons-nous l'adopter? De notre point de vue, nous dirions qu'il est à l'avantage des sociétés qui sont titulaires des droits de distribution au Canada dans le domaine des films, de la musique et des loisirs, à l'avantage des sociétés américaines d'édition et enfin, à l'avantage des sociétés de gestion de droits d'auteur.
Nous avons du mal à croire que le fait de frapper les étudiants et l'apprentissage d'une taxe permettra de régler les problèmes globaux et technologiques auxquels l'industrie canadienne de l'édition et les créateurs canadiens sont confrontés. Il n'est certainement pas question de sacrifier notre avenir pour payer les erreurs du passé.
M. Harvey Weiner, membre, Fédération canadienne des enseignantes et enseignants: Notre fédération représente plus de 240 000 enseignants d'écoles élémentaires et secondaires dans toutes les provinces et dans les deux territoires du Canada.
J'aimerais aborder cet exposé du point de vue des enseignants qui travaillent avec des enfants, lesquels ne sont pas représentés aujourd'hui; d'ailleurs, aucun des 80 groupes de pression que les sénateurs et les députés ont entendus assez régulièrement tout au long de ce débat ne les ont représentés.
En tant qu'enseignants, nous n'avons pas notre mot à dire quant à la négociation des licences de sociétés de gestion ni quant au matériel visé par ces licences. Pour la plupart, ces négociations se font avec les ministères provinciaux de l'éducation et dans certains cas, avec les conseils scolaires.
Nous n'achetons pas en fait les livres et le matériel auxquels nos élèves ont accès, ni les films et autres ressources que nous utilisons en salle de classe pour essayer de donner à nos élèves le meilleur enseignement possible à l'aube du XXIe siècle, qui a été qualifié d'ère de la connaissance.
Les élèves n'ont pas vraiment leur mot à dire au sujet de ces questions. Nous reconnaissons toutefois qu'il existe une responsabilité politique et publique à l'égard de tous les élèves, lesquels doivent avoir accès à ce matériel de manière équitable. Il s'agit pour nous d'une question cruciale.
Nous entendons souvent dire que les enseignants souhaitent obtenir plus de matériel gratuit. Vous devez vraiment mettre en doute une telle remarque.
En tant que ressortissants canadiens, les enseignants n'ont pas plus ni moins de droits en matière de droits d'auteur que n'importe quel autre ressortissant canadien. Selon nous, les enseignants devraient avoir la meilleure sélection possible de matériel pour la salle de classe afin de tirer avantage de ce que l'on appelle la «période sensible pour l'apprentissage».
Lorsque l'on travaille avec des jeunes, il arrive souvent que certaines situations nécessitent l'utilisation d'un éventail assez vaste de matériel. Nous n'avons pas le temps de consulter de longues listes d'organismes qui pourraient peut-être nous donner accès à du matériel ou nous donner la permission de l'utiliser. Nous n'avons pas le temps de nous occuper de paperasserie administrative pour trouver ce matériel et l'utiliser afin de dispenser un bon enseignement.
On a reconnu en 1988 qu'il fallait prévoir un nombre limité d'exceptions raisonnables dans le domaine de l'éducation pour des établissements publics comme les nôtres. Nous pensons que tous les ministres qui ont été confrontés à cette loi l'ont reconnu.
On nous a dit en 1988 que ce qui manquait en fait, c'était l'exception en matière d'éducation. Ces exceptions auraient dû être prévues en 1988, lorsque l'on a octroyé des licences aux sociétés de gestion.
Depuis, nous pensons que les sociétés de gestion ont carte blanche dans de nombreux domaines qui sont traités comme des cas d'exception à des fins éducatives.
Il est curieux, soit dit en passant, que le représentant de la société de gestion dise que le comité a adopté tous les amendements après en avoir délibéré comme il le fallait, qu'il s'agit d'amendements raisonnés, que ce projet de loi est le plus moderne et le plus novateur qui soit et que, bien sûr, ces amendements sont nécessaires.
Lorsque j'ai entendu M. Martin déclarer: «Les bibliothécaires et les enseignants vont vous présenter tous ces arguments; toutefois, je tiens à assurer les sénateurs que rien ne changera si ce projet de loi est adopté», j'en suis resté bouche bée.
Si tel est le cas, les sénateurs perdent beaucoup de temps, tout comme les députés de la Chambre des communes. De toute évidence, nous ne croyons pas que rien ne changera. Je ne pense pas que vous croyez que rien ne changera. Personne ne veut adopter un projet de loi qui est superflu ou qui maintient le statu quo.
Je pense que ceux qui sont ici sont d'avis qu'il est possible de faire des amendements raisonnés dans plusieurs domaines et d'adopter ainsi le projet de loi.
Comme l'a dit ma collègue Sally Brown, les deux ministres ont convenu avec nous il y a plusieurs mois que le projet de loi, avec ses exceptions, permet d'arriver à un équilibre raisonnable entre les intérêts des créateurs et les intérêts des usagers.
J'aimerais aborder deux propositions précises avant de céder la parole à ma collègue Donna Cansfield.
Nous sommes confrontés à un grave problème en ce qui concerne les contraintes relatives à l'enregistrement d'antenne. Une modification a été apportée à la loi déposée pour supprimer les documentaires de l'exception.
Le libellé du projet de loi limite en fait la capacité d'un enseignant d'enregistrer d'autres émissions et d'en évaluer l'utilité éducative, car il n'aura pas la possibilité d'expérimenter le programme auprès de ses élèves.
Nous pensons qu'il faudrait prévoir une exception à cet égard qui serait ponctuelle. Nous n'avons jamais demandé un droit général à cette fin. Toutefois, dans d'autres compétences, ainsi que l'ont indiqué mes collègues, il existe des lois qui sont progressives et novatrices à propos de bien de ces questions.
Je crois que la loi américaine en est un bon exemple. Elle donne aux enseignants la possibilité d'expérimenter un programme de façon ponctuelle, de l'évaluer pour savoir s'il pourrait leur être utile au plan pédagogique et ensuite, s'ils souhaitent continuer de l'utiliser, d'obtenir la licence ou l'autorisation nécessaire.
Pour conclure, mesdames et messieurs les sénateurs, nous proposons deux amendements, mais j'aimerais également soulever un dernier point avant de céder la parole à ma collègue. Je veux parler des créateurs et de ce qu'ils perdent, en quelque sorte, lorsque l'on examine leurs intérêts fort légitimes en matière d'indemnisation pour les oeuvres qu'ils produisent.
Nous enseignons à plus de 5 millions d'élèves. Plus ces élèves sont exposés à une variété de matériel -- matériel écrit, visuel ou artistique --, plus ils s'intéressent à la lecture. Ces enfants sont actuellement des consommateurs de ces produits, dans une large mesure, et le deviendront encore plus lorsqu'ils feront partie de la population active. Il me semble qu'il faudrait trouver des moyens de faciliter le travail des enseignants qui s'efforcent de faire connaître ce matériel, plutôt que de les entendre présenter des excuses du genre: «Je voudrais m'en servir, mais je ne le peux pas. Je ne sais pas à qui m'adresser ni comment faire. Cela va me prendre trop de temps pour obtenir l'autorisation ou pour savoir si, en fait, c'est un matériel que je peux utiliser afin de tirer avantage de la période sensible pour l'apprentissage.»
Ce découragement, mesdames et messieurs les sénateurs, se traduit par un accès limité -- et à un accès moins équitable -- pour les élèves de tout le pays.
Enfin, j'aimerais souligner que les licences relatives à la photocopie de matériel existent en Ontario et à l'ouest de cette province, alors que dans les provinces de l'Atlantique nous avons un trou béant, aucune licence n'ayant encore été octroyée. À mon avis, cela découle d'une stratégie délibérée de la part des sociétés de gestion qui détiennent le monopole et qui veulent conclure des ententes d'abord avec les provinces qui peuvent se permettre les coûts et ainsi créer les précédents qu'elles pourront ensuite imposer à celles qui peut-être n'ont pas autant les moyens de payer les mêmes tarifs.
Je vous remercie de votre attention. Je cède maintenant la parole à ma collègue.
Mme Donna Cansfield, présidente, Association canadienne des commissions et des conseils scolaires: Je vous remercie de m'avoir invitée. J'ai été élue commissaire scolaire pour représenter les élèves d'Etobicoke. C'est ma charge, mon droit et mon obligation aux termes de la loi. Eh oui! Je suis une politicienne, et très fière de l'être.
Il importe de reconnaître que je représente environ 16 000 écoles canadiennes, ce qui représente beaucoup d'argent. Je ne distribue pas 10 millions de dollars cavalièrement. Cet argent vient de la poche des contribuables. Il faut que je leur rende des comptes. Ces 10 millions s'ajoutent à tout l'argent que nous consacrons, avec fierté, au matériel canadien. Si vous interrogez les conseils scolaires un peu partout au pays, vous vous rendrez compte qu'en règle générale, lorsqu'ils achètent des fournitures et des manuels scolaires, ils accordent la préférence aux produits canadiens.
Nous ne laissons pas entendre que nous ne devrions pas avoir un accès raisonnable. Nous l'avons affirmé tout le long. Dès le début, nous étions des discussions concernant le projet de loi à l'étude parce qu'il représentait à nos yeux une rémunération juste et raisonnable et parce que nous estimions qu'il faudrait qu'il y ait un certain équilibre entre les droits de ceux qui créent et de ceux qui utilisent le matériel.
On nous avait dit que la deuxième phase de la réforme rétablirait cet équilibre. Je suis forcée de m'interroger sur la raison pour laquelle, après huit ans et un mois, à la dernière heure, on a ajouté 120 modifications au sujet desquelles nous n'avons pas été consultés et pourquoi on demande subitement au Sénat d'adopter le projet de loi en dix jours. Cherchez l'erreur! Est-ce là la façon dont un gouvernement adopte habituellement une loi juste et équitable ou agit-il par pur opportunisme politique? La question est selon moi raisonnable. C'est certes une question à laquelle il me faudra répondre auprès de mes électeurs. Compte tenu du temps et des efforts qu'absorbe une mesure législative, s'il faut en adopter une, j'aurais cru qu'on aurait voulu qu'elle soit la meilleure possible. Je compte sur vous pour faire une seconde réflexion. Comment peut-on le faire en un si court délai, quand il a fallu huit années pour en arriver là?
Le sénateur Spivak: C'est impossible.
Le sénateur Forrestall: Il n'y a pas moyen de le faire.
Mme Cansfield: Je vous le répète: cherchez l'erreur.
J'espère que le Sénat examinera avec soin le projet de loi à l'étude et qu'il ne l'adoptera pas à toute vapeur tout simplement parce qu'il satisfait à des fins politiques. Je vous fais confiance.
Le projet de loi met en jeu l'avenir de nos enfants. Je représente des élèves de la maternelle jusqu'à la douzième année. Ils sont notre avenir. Si vous voulez parler d'accès raisonnable et équitable, parlons alors d'accès raisonnable et équitable pour les enfants. Parlons des devoirs qu'ils doivent faire seuls. Il y a des années, lorsque j'étais moi-même une élève, il suffisait de réussir les examens provinciaux. Aujourd'hui, il faut faire de l'autodidactie, c'est-à-dire qu'il faut faire soi-même des exercices scolaires qui sont soumis à des contrôles. J'ai un fils qui fait actuellement de l'apprentissage autodidacte. Les exercices scolaires représentent 35 p. 100 de la note finale qui déterminera s'il peut étudier dans le collège ou l'université de son choix. Pourtant, vous allez le pénaliser en nous refusant l'occasion de définir l'expression «contrôle» ou «exercice scolaire» convenablement.
Nous ne souhaitons pas éviter un débat à ce sujet, au contraire. Rien ne nous ferait plus plaisir que de nous asseoir et de discuter avec vous d'une définition légitime de l'expression «exercice scolaire» qui inclue les contrôles et l'évaluation, mais nous n'en avons même pas eu l'occasion lorsque les modifications ont été apportées à la dernière heure, à la fin des audiences du comité. Quand aurions-nous pu offrir de contribuer à définir le terme de manière à ce qu'il réponde aux besoins tant des créateurs que des utilisateurs? C'était impossible.
En tant que parent d'un étudiant du secondaire et d'un autre qui fréquente l'université, je sais que l'accès au matériel canadien est névralgique. Sans cet accès, devinez ce qui arrive? L'étudiant ira à l'étranger, parce que c'est plus facile. C'est simple. Est-ce bien ce que vous souhaitez? Pensez-y bien, car c'est ce que vous incitez les étudiants à faire.
Qu'arrivera-t-il aux personnes comme moi qui doivent décider de la manière dont est dépensé l'argent qui leur est confié? Soit dit en passant, les fonds dont nous disposons se font de plus en plus rares parce que nul d'entre vous ne veut absorber une hausse de taxes.
Nous sommes coincés. Il faut respecter les enfants et, simultanément, équilibrer les droits des créateurs et des utilisateurs. Nous sommes tout à fait disposés à le faire. Nous aimerions prendre part à ces discussions. Toutefois, quand des amendements sont présentés à la dernière heure et qu'on étudie le projet de loi à toute vapeur, il est impossible d'avoir un débat utile. En bout de ligne, ce sera vous et nos enfants qui en ferez les frais. Ce sont eux qui ont besoin de l'accès à ce matériel. Je ne crois pas que les créateurs en sortent gagnants. Par contre, les éditeurs feront beaucoup d'argent. Si vous avez lu la dernière édition du Globe and Mail, vous savez que les maisons américaines frappent à nos portes parce que, tout à coup, elles se rendent compte qu'une aubaine incroyable leur file entre les doigts.
Il importe que vous preniez du recul et que vous vous interrogiez au sujet de ceux qui utiliseront le matériel, soit les étudiants. Il faut trouver un moyen de leur garantir une utilisation raisonnable et équitable, qu'ils se trouvent au centre-ville de Toronto, à Dawson Creek, en Colombie-Britannique, ou à St-Jean, à Terre-Neuve. Il faut niveler les règles du jeu. Vous ne voudriez pas privilégier un étudiant par rapport à un autre ou qu'un enfant soit pénalisé parce que sa commission scolaire n'a pas les moyens d'acheter ce genre de matériel, de sorte qu'il n'y a pas accès pour son apprentissage.
On avait promis de rétablir un certain équilibre des droits durant la deuxième phase de la réforme. Pendant la première phase, nous avons collaboré à fond parce que nous faisions confiance au gouvernement -- naïvement peut-être. Cela nous semblait raisonnable.
J'ai pris note d'un autre bon exemple parce que je n'arrivais tout simplement pas à y croire. On nous a dit que nous disposerions d'un délai raisonnable. Qui décide de ce qui représente un délai raisonnable? Qu'est-ce qu'un délai raisonnable? C'est un peu comme dire qu'on est un peu enceinte. On en arrive à un point où il faut s'asseoir et discuter pour s'entendre au sujet des expressions, sans quoi on sera libre de les interpréter comme on veut. Qui en fera l'interprétation? Seront-ce les créateurs, les utilisateurs ou le groupe monopolistique des détenteurs de licence? Ce n'est pas exactement un concours ouvert à tous. Nous parlons d'un monopole. Je n'ai pas la liberté de rencontrer trois ou quatre fournisseurs et de signer avec celui qui me fait la meilleure offre. Je peux transiger avec un seul détenteur. Déjà, au départ, c'est injuste.
Cela étant dit, il me semble raisonnable de dire: «Pourquoi ne pas nous rencontrer pour définir certaines de ces expressions?» Ainsi, au pire, s'il y a désaccord, nous pourrons au moins revenir à ce dont nous étions convenus avant que le projet de loi ne soit adopté. Je ne crois pas demander une mesure inéquitable. Je préfère croire que je réclame une disposition qui limite certaines difficultés que nous réserve l'avenir.
En guise de conclusion, j'ai une attente. Je m'attends que vous rétablirez l'équilibre des droits entre ceux qui créent et ceux qui utilisent les oeuvres. J'espère que, lors de vos délibérations, vous n'oublierez pas les 5 millions d'élèves de ces 16 000 écoles qui utilisent les manuels. Réfléchissez bien. On autorise l'entrée au Canada des livres usagés, mais on assujettit uniquement les manuels scolaires usagés à la Loi sur le droit d'auteur. Combien de manuels usagés achetez-vous? Pas beaucoup, je parie, mais les étudiants, eux, en achètent beaucoup. Je répète que les victimes de cette mesure seront les étudiants. Y a-t-il une raison valable d'agir ainsi?
J'ignore pourquoi on a procédé avec tant de hâte, à la dernière heure, à moins que, comme pourrait me le faire croire ma nature cynique, ce ne soit pour des raisons politiques. Je compte sur vous pour faire une mûre réflexion. C'est aussi ce qu'attendent de vous les étudiants que je représente.
M. Donald C. Savage, directeur exécutif, Association canadienne des professeures et professeurs d'université: Je vous remercie de m'avoir invité à témoigner cet après-midi.
L'Association canadienne des professeures et professeurs d'université représente tant les créateurs que les utilisateurs du milieu universitaire. En fait, nos membres représentent l'un des plus importants groupes de créateurs du pays. On a tendance à oublier que les auteurs du milieu universitaire ne travaillent pas seulement au département d'anglais ou au département d'histoire. Les chercheurs, les ingénieurs, les mathématiciens et les professeurs de la faculté de médecine publient eux aussi. Il importe à nos membres que la Loi sur le droit d'auteur protège les intérêts de tous ces groupes au sein des universités.
Quand les modifications de la phase 1 ont été adoptées, il y a neuf ans, l'association a témoigné devant le Sénat et a appuyé cette réforme parce qu'elle estimait qu'il était opportun de créer des sociétés de gestion collectives et d'appuyer sous d'autres formes les créateurs canadiens. Presque chaque ministre responsable de ce portefeuille nous a assurés depuis lors qu'à la deuxième phase de la réforme, on prévoirait des exceptions raisonnables pour les établissements d'enseignement, les bibliothèques, les chercheurs et les étudiants. Or, ce n'est pas ce que fait le projet de loi C-32, dans sa version modifiée.
Les créateurs du milieu universitaire, comme tous les autres créateurs, sont vivement opposés à tout arrangement qui permettrait la reproduction à grande échelle et répétée de leurs oeuvres. Ils estiment que ceux qui utilisent des reproductions devraient aussi payer des droits d'utilisation qui deviendraient alors la principale source de revenu dans le régime du droit d'auteur appliqué au milieu universitaire.
Nos membres sont opposés à l'idée que la Loi sur le droit d'auteur puisse perturber l'étude ou la recherche ou encore qu'elle limite déraisonnablement le recours aux bibliothèques. Il faudrait au contraire qu'elle nivelle les règles du jeu pour nos membres, qu'elle les mette sur un même pied que leurs concurrents des États-Unis, de l'Australie, du Royaume-Uni et de la Nouvelle-Zélande en particulier.
Nous appuyons les modifications précises qu'a proposées l'Association des universités et collèges du Canada, mais nous avons aussi inclus d'autres modifications dans notre mémoire. J'aimerais vous parler de l'une d'entre elles que l'Association des universités et collèges du Canada appuie aussi, soit celle qui porte sur les sanctions criminelles prévues dans la loi.
Nous sommes d'accord qu'il faut prévoir des sanctions pénales en cas de piratage commercial. Il ne faudrait effectivement pas permettre à ceux qui violent la Loi sur le droit d'auteur de faire impunément des profits faramineux. C'est pourquoi nous estimons qu'une pareille disposition a sa place dans la loi. Toutefois, nous croyons que l'actuelle disposition a une trop grande portée. Elle prévoit des sanctions pénales pour presque chaque infraction à la loi, quelle qu'en soit la gravité. À notre avis, il faudrait limiter le droit pénal aux infractions vraiment graves. Les autres infractions relèveraient du droit civil, plutôt que du droit pénal.
En ayant recours au droit pénal pour réprimer des infractions relativement insignifiantes, on n'incite pas à respecter la loi. On encourage plutôt les forces policières locales trop zélées et les sociétés de gestion collectives à s'en servir comme moyen d'intimider les universités ou d'y créer un climat peut-être moins accueillant.
L'orientation mise en oeuvre dans le projet de loi américain est la bonne. Cette loi stipule qu'il y a contrefaçon criminelle seulement lorsqu'elle est faite délibérément en vue d'en tirer un avantage commercial ou un gain financier privé et uniquement si l'affaire a une valeur de plus de 5 000 $. Toutes les autres infractions relèveront du droit civil.
Dans notre mémoire, nous citons Jeff Berryman, ex-directeur du droit à l'Université de Windsor, qui appuie l'approche américaine en matière de sanctions pénales. Vous y trouverez aussi une déclaration faite par feu Gordon Henderson avant le dépôt du projet de loi C-32:
J'estime que le mouvement du pendule est allé trop loin et que l'on abuse du recours au droit criminel. D'une part, le droit criminel n'a pas sa place dans les établissements qui, de toute évidence, ne se livrent à aucune activité commerciale. La reproduction illégale de programmes informatiques par des personnes bien intentionnées mais mal avisées dans un contexte pédagogique peut être répréhensible et illégale selon le droit civil. Cependant, à mon avis, ce type d'actes se compare difficilement à d'autres crimes commerciaux ou contre les biens, passibles de punitions sévères. Il s'agit vraiment d'une question qui relève du droit civil. La série récente d'interventions apparemment draconiennes de la police résulte peut-être d'un excès de zèle. De l'autre côté, la loi définit peut-être de façon trop générale ce qui constitue un comportement criminel. Lorsque le droit criminel est trop draconien, au niveau des principes ou de l'exécution, les tribunaux hésiteront à le rendre pleinement exécutoire à long terme.
J'ai plusieurs autres commentaires à faire à propos des sanctions pénales. Il est intéressant de constater, par exemple, que le droit des brevets ne prévoit pas le recours à des sanctions pénales pour faire respecter les dispositions sur les brevets au pays. En ce qui concerne le recours aux sanctions pénales, nous constatons que ce sont les éditeurs et l'industrie cinématographique qui y ont recours mais pas l'industrie de la musique par l'intermédiaire de la SOCAN, qui opte très rarement sinon jamais pour ce genre de mesures.
Nous vous incitons fortement à prendre les mesures voulues pour que l'article 24 du projet de loi soit modifié afin d'assurer qu'aucune accusation ne sera portée en vertu des paragraphes 42(1), 42(2) et 42(3) à moins
a) qu'il existe des preuves, selon toute probabilité, indiquant que l'accusé avait délibérément l'intention de se livrer à la contrefaçon à des fins commerciales pour en tirer un gain financier direct ou à d'autres fins frauduleuses, et
b) la valeur de la violation présumée dépasse 5 000 $.
On vous a déjà signalé que si vous faisiez une copie d'un article de la revue MacLean's de la semaine dernière afin de vous en servir pour préparer un discours par exemple, vous commettriez un acte criminel. Cela nous paraît complètement absurde. Cela ne fait que corroborer ce que certains de mes collègues ont dit à propos de la nécessité de faire un second examen critique de la portée et de l'application du projet de loi et non de la réalité du projet de loi. Nous avons appuyé la Phase I et nous voulions la Phase II, mais pas comme elle nous a été présentée.
J'aimerais maintenant aborder la question des manuels usagés. En général, nous ne comprenons pas pourquoi l'importation parallèle figure dans un projet de loi sur le droit d'auteur. Il nous semble que cette question relèverait davantage d'un projet de loi sur la réglementation du commerce. Comme toutefois elle s'y trouve, j'aimerais traiter du cas précis des manuels usagés à caractère scientifique ou savant.
L'ajout de ces mots indique assez clairement que cet amendement vise directement les étudiants du niveau universitaire. C'était un amendement de dernière minute. La présentation de cet amendement n'a été précédée d'aucune consultation auprès d'organisations étudiantes nationales ni auprès d'administrateurs d'universités. Aucune étude indépendante n'a été faite par le gouvernement. Cet amendement est simplement apparu et a été adopté sans avoir fait l'objet d'une discussion ou d'un débat sérieux. Nous considérons cela absolument scandaleux.
Dans les universités canadiennes, les manuels neufs peuvent être coûteux et représenter des dépenses annuelles de près de 1 000 $ pour les étudiants en sciences et en génie. C'est beaucoup d'argent pour des étudiants. Il est donc très important pour eux que le marché des manuels usagés ne soit pas restreint artificiellement par l'adoption de cet article particulier du projet de loi.
Je crois comprendre qu'on vous a dit que ce projet de loi ne sera pas appliqué et que nous n'avons pas à nous inquiéter parce que la ministre et ses successeurs n'utiliseront pas ce pouvoir. Pourquoi alors ce pouvoir est-il prévu par le projet de loi? Il me semble qu'on adopte uniquement des lois s'il y a un problème à régler et qu'on a l'intention de recourir à la loi pour y remédier.
Cela suppose également que nous devrions faire confiance à la bureaucratie de Patrimoine Canada. Nous avons constaté que la bureaucratie de Patrimoine Canada était prête à accepter que cet amendement soit adopté à toute vapeur par le comité de la Chambre des communes sans consultation préalable, vraisemblablement sous la pression de quelqu'un d'autre. Nous sommes persuadés que ces pressions seront renouvelées pour bel et bien assurer l'application de ces dispositions si elles sont adoptées par le Sénat. Nous vous prions instamment de modifier ce projet de loi pour éliminer cette application injuste et précipitée de la loi à l'importation de manuels usagés à caractère scientifique ou savant.
En conclusion, j'aimerais répéter ce que tous mes collègues ont dit. Nous estimons que les amendements ont été adoptés à toute vitesse par le comité de la Chambre des communes et que les amendements présentés en troisième lecture n'ont fait l'objet d'aucun débat ou discussion avec les principaux intéressés des milieux universitaires. Nous sommes reconnaissants au Sénat de nous donner aujourd'hui la possibilité, contrairement à la Chambre des communes, de discuter avec vous de nos préoccupations à cet égard. Nous espérons que vous considérerez qu'il s'agit de préoccupations raisonnables, rationnelles et légitimes et que vous exercerez votre rôle de Chambre de second examen critique pour modifier ce projet de loi, afin que la version définitive de la loi établisse l'équilibre que les divers ministres ont dit rechercher.
Si la Chambre des communes peut adopter 76 amendements en trois heures, il devrait être possible au Sénat d'adopter une demi-douzaine d'amendements en dix jours pour améliorer de façon importante ce texte de loi. Je vous remercie.
Le sénateur Kinsella: Je me demande si ce n'est pas la dernière fois aujourd'hui que M. Savage comparaît devant un comité sénatorial à titre de directeur exécutif de l'Association canadienne des professeurs et professeurs d'université. Si c'est le cas, je tiens à lui transmettre les remerciements des divers comités sénatoriaux auxquels il a prêté son aide précieuse pendant l'étude de ce projet de loi par mes collègues et moi-même. Je crois comprendre que votre mandat tire peut-être à sa fin, après de très nombreuses années d'excellents services.
Chaque matin, nous recevons ici une publication intitulée «Quorum». Les sénateurs la connaissent bien. C'est une collection d'articles qui sont photocopiés. Voici l'exemplaire d'aujourd'hui. La première page reproduit un article du Globe and Mail, la deuxième un article de La Presse et ainsi de suite.
Si ce projet de loi est adopté, quel sera le statut légal de cette publication réalisée par la Direction des services techniques et d'information de la Bibliothèque du Parlement et distribuée aux parlementaires et à d'autres personnes?
Mme Brown: Je soupçonne qu'elle sera illégale. Le gouvernement du Canada a une licence de CANCOPY. Je ne connais pas les conditions de cette licence, mais pour faire des copies multiples de matériel imprimé à partir de journaux à des fins de distribution, il faut verser une redevance à moins que la chaîne de journaux ait une politique qui l'autorise. J'ignore quelle est la situation actuelle, mais l'une des grandes chaînes de journaux a déclaré: «Dans l'intérêt public, nous préférons que les sociétés de gestion n'acceptent pas de redevances pour nous. Nous voulons que ces articles soient diffusés.» Nous estimons que nous ne devrions pas avoir à dépendre des caprices de divers éditeurs pour savoir si du matériel d'actualité peut être utilisé dans un but non lucratif.
Le sénateur Kinsella: Monsieur Savage, avez-vous porté la question des sanctions pénales à l'attention du comité de la Chambre qui a examiné le projet de loi?
M. Savage: L'Association des universités et collèges du Canada et l'Association canadienne des professeurs d'université ont écrit une lettre conjointe énonçant une série d'objections, dont l'une portait sur les sanctions pénales.
Le sénateur Kinsella: Si j'ai bien compris votre argument, vous avez attiré notre attention sur la législation sur les brevets qui est peut-être analogue à la loi sur le droit d'auteur, et sur le fait que la législation des brevets prévoit des poursuites au civil, si quelqu'un se fait voler le produit qu'il a breveté.
Dans ce cas-ci, c'est-à-dire dans le projet de loi qui est devant nous, les sanctions prévues seraient pénales. Pourriez-vous nous donner un exemple pratique de la façon dont ces dispositions toucheraient les professeurs d'université au Canada?
M. Savage: Oui, bien sûr. Il y a eu un cas à l'Université d'Ottawa il n'y a pas longtemps où une société de gestion du droit d'auteur a allégué qu'un magasin de reprographie violait la loi.
Elle a persuadé la police de porter des accusations criminelles contre le magasin. Je pense qu'elle avait clairement l'intention de porter des accusations criminelles contre les professeurs. Cela ne s'est pas produit parce qu'elle n'a pas eu gain de cause contre le magasin.
Il s'agit de toute évidence d'un problème brûlant aujourd'hui puisque les sociétés de gestion du droit d'auteur ont l'intention d'utiliser ce pouvoir, ce qu'elles ont d'ailleurs fait. Cela signifie effectivement que toutes les dispositions du projet de loi peuvent être appliquées de cette façon.
Il ne faut pas non plus oublier que l'obtention d'une licence auprès d'une société de gestion ne constitue pas une garantie légale contre des sanctions pénales parce que les sociétés de gestion ne peuvent pas empêcher des tiers d'invoquer eux-mêmes le droit criminel. C'est l'un de ces aspects où le fait de détenir une licence d'une société de gestion ne vous confère aucune immunité contre des sanctions pénales.
Le sénateur Kinsella: Je crois comprendre d'après les témoignages des représentants des collèges communautaires que vous représentez également les cégeps. Est-ce exact?
M. Killeen: C'est exact.
Le sénateur Kinsella: Est-ce que les cégeps du Québec veulent que ce projet de loi soit amendé comme vous l'avez proposé, ce qui aurait pour conséquence de rétablir la version originale du projet de loi telle qu'il avait été présenté avec l'appui enthousiaste du gouvernement du Canada?
M. Killeen: Nous n'avons pas consulté la fédération des cégeps, qui représente les présidents des cégeps du Québec au niveau provincial, à propos de notre comparution d'aujourd'hui. Cependant, nous avons une lettre de la Fédération qui appuie notre position au sujet du projet de loi C-32 tel qu'il a été présenté au comité du patrimoine de la Chambre des communes.
Nous proposons aujourd'hui de rétablir cette version du projet de loi. Nous pouvons sûrement déduire de cette lettre que la fédération ne désapprouverait pas ce qui s'est dit aujourd'hui.
Le sénateur Kinsella: Est-ce que la Fédération québécoise des professeures et professeurs des universités du Québec appuie votre position?
M. Savage: Oui.
Le sénateur Spivak: Vous avez critiqué le processus utilisé pour faire adopter des amendements à la dernière minute. Cependant, il me semble que ces amendements devaient se trouver dans les mémoires d'autres présentateurs. Voulez-vous dire que ces amendements émanent d'un membre du comité ou des bureaucrates du ministère?
Mme Brown: En ce qui concerne les témoins qui ont participé au processus, un grand nombre de ces amendements sont sortis de nulle part. Ils n'ont fait l'objet d'aucune discussion. Ils viennent peut-être de Patrimoine Canada. Certains de ces amendements sont venus d'Industrie Canada, qui a d'ailleurs été assez ouvert à propos des amendements qu'il comptait présenter.
En ce qui concerne les amendements en question, on en a présenté 76 en trois heures. Ils ont été présentés avant même d'avoir été rédigés. De nombreux parlementaires avec qui nous nous sommes entretenus ont indiqué n'avoir jamais rien vu de tel.
Le sénateur Spivak: Voulez-vous dire que pratiquement aucun de ces amendements ne provient d'un groupe d'intérêt? Les écrivains qui ont comparu juste avant vous ont indiqué qu'ils aimeraient que les articles 30.2 et 39.5a) soient modifiés. Les positions diffèrent ici.
Nous nous trouvons dans une situation tout à fait inusitée puisqu'il nous est absolument impossible d'évaluer ces exceptions dans les délais qui nous ont été fixés. Je m'interroge sur l'origine de ces amendements et sur les raisons pour lesquelles ils ont été présentés de cette façon. Si le projet de loi existe depuis un an, il me semble que ces amendements auraient pu être présentés plus tôt.
Je peux comprendre en ce qui a trait aux amendements d'Industrie Canada, mais quels autres amendements ont été proposés par Patrimoine Canada?
Mme Brown: Par exemple, en ce qui concerne la suppression des exercices scolaires, n'ayant pu dans plusieurs cas déterminer qui les avait proposés, nous avons dû présumer qu'ils provenaient du ministère.
Les amendements n'ont même pas été lus à haute voix. On a simplement demandé si les députés étaient d'accord avec l'amendement no 37. Les membres du comité ont tous levé la main. Les gens qui se trouvaient dans la salle n'avaient aucune idée de l'amendement dont il était question. Nous estimons que le processus est imparfait.
M. Savage: L'amendement portant sur les livres d'occasion de nature savante et scientifique est un bon exemple. C'était tout à fait inattendu. Nous n'avons pas été avertis au préalable que quelqu'un proposerait cela dans le cadre de l'examen de la Loi sur le droit d'auteur. Pas plus nous que les étudiants n'avons eu l'occasion d'en discuter.
Le sénateur Spivak: Vous estimez que la plupart de ces amendements n'aideront pas les créateurs. Qui aideront-ils? Ce n'est pas tout à fait ce que pensent les écrivains qui ont comparu devant nous. Ils semblaient croire que la plupart des amendements seraient avantageux pour eux.
Mme Brown: Parlez-vous des nouveaux amendements?
Le sénateur Spivak: Le projet de loi dans sa forme actuelle, à l'exception de quelques amendements. Ils semblaient croire que le projet de loi, dans sa forme modifiée, serait avantageux pour eux et pas seulement pour certaines multinationales ou que sais-je encore.
M. Savage: De toute évidence, les amendements profiteront aux écrivains dans une certaine mesure. Nous estimons que les éditeurs et, plus particulièrement, l'industrie cinématographique en Amérique du Nord en profiteront encore plus.
Le sénateur Spivak: L'industrie n'a pas besoin qu'on lui accorde plus d'avantages. Elle accapare déjà la presque totalité du marché.
Mme Cansfield: Lorsqu'un amendement est traité en fonction de son numéro et sans contexte, il est très difficile d'y réagir. Si nous avions été au courant du contenu et qu'il n'avait pas été acceptable, nous aurions à tout le moins demandé un compromis. Par exemple, en ce qui concerne la question des exercices scolaires, nous reconnaissons que cela s'est produit en Nouvelle-Zélande, en Australie et aux États-Unis et qu'il y a des raisons spéciales à cela. Nous aurions aimé au moins en discuter. Nous n'en sommes même pas venus à cette étape parce que c'était un fait accompli. Ils nous ont damé le pion à la toute dernière minute. Ce processus est imparfait. Qui est le gagnant dans tout ceci?
Si vous avez la chance d'acheter du matériel à moindre coût ailleurs, où irez-vous? Tôt ou tard, vous allez là où c'est moins cher. Le contribuable n'est pas un gouffre sans fond et c'est absurde de croire le contraire. Il aurait été beaucoup plus acceptable de trouver des compromis et de chercher ensemble des solutions plutôt que de recourir à ce processus à la toute fin.
Le sénateur Forrestall: Quelqu'un sait peut-être qui a proposé ces amendements. L'ont-ils été par le président?
M. Savage: Ils ont été proposés par des membres du gouvernement.
Le sénateur Forrestall: Ils ont été proposés par divers députés à qui on avait apparemment remis une série d'amendements à proposer?
M. Savage: C'est cela.
Le sénateur Spivak: Est-ce que tous les partis d'opposition ont voté contre?
M. Savage: Non. Les partis d'opposition étaient divisés.
Le sénateur Forrestall: Il en ont accepté un certain nombre. Si on revenait à la question de la diligence raisonnable, pensez-vous qu'on pourrait voir qu'il y a eu débat, à tout le moins en comité?
Mme Cansfield: Oui, absolument.
Le sénateur Forrestall: Il ont été examinés en détail par le comité?
Mme Cansfield: Si vous reveniez en arrière, vous pourriez trouver le débat sur les amendements. Il n'ont toutefois pas été examinés en détail. C'est là le problème.
Le sénateur Forrestall: Ils ont été examinés en détail au moment du vote?
Mme Cansfield: Ils ont été proposés, appuyés et ont fait l'objet d'un vote.
Le sénateur Forrestall: C'était peut-être une façon de venir à bout de 100 amendements. Lorsque vous lisez d'un trait autant d'amendements, vous risquez de vous trouver encore là à 2 ou 3 heures du matin.
Si tous ces amendements ont fait l'objet de discussions au comité un certain nombre de semaines avant cela, les membres le sauraient.
Mme Brown: Ils n'ont pas été examinés en détail.
Le sénateur Forrestall: Je saurais, à partir des discussions, quels sont les amendements que je veux appuyer ou rejeter. Je ne crois pas dans des lois médiocres et celle que nous avons ici en est un exemple.
J'ai bien peur, tout comme un grand nombre d'entre vous, que si nous proposons un seul amendement, il soit arrêté quelque part et que rien ne se produise. Pouvez-vous imaginer un ministre de Patrimoine Canada qui, à un moment donné, peu après avoir été nommé à cette haute fonction, se rend à son bureau et se fait dire par un sous-ministre adjoint: «Bonjour, aujourd'hui nous nous attaquons à la Loi sur le droit d'auteur. Qu'en pensez-vous?»
Il se pourrait que le ministre se rende immédiatement chez le premier ministre pour lui demander d'occuper un poste de secrétaire parlementaire ou de présider un comité afin de ne pas avoir à s'occuper de la Loi sur le droit d'auteur.
Pour essayer d'être juste, si ces 75 amendements ont fait l'objet de discussions et ont été numérotés, alors...
Mme Cansfield: Il n'y a pas eu de discussions.
Mme Brown: Vous n'en trouverez pas au compte rendu.
M. Killeen: S'il y a eu des discussions, cela s'est passé dans les coulisses.
Le sénateur Forrestall: Lorsque j'étais là-bas, on avait l'habitude de dire qu'on y agissait comme des phoques dressés; on leur remettait les amendements et ils les proposaient.
M. Savage: La question des livres d'occasion, à ce que je sache, n'a jamais été examinée en détail en comité. Il s'agissait d'une idée tout à fait nouvelle qui est apparue à cette étape de l'étude de la mesure législative.
Le sénateur Forrestall: J'ai demandé à mon frère, à quatre ou cinq occasions, ce qu'il savait au sujet de ce projet de loi. Il m'a répondu qu'il n'en avait pas du tout entendu parler. Mais ce n'est qu'un peintre. On ne devrait pas s'attendre à ce qu'il en sache beaucoup au sujet de cette mesure, n'est-ce-pas?
Nous sommes devant un terrible dilemme. Nombre d'entre nous sont pleins de regrets en ce qui a trait à cette question. Nous ne n'avons pas deux ou trois semaines pour réfléchir sur la validité de votre argument. Ce que vous dites est très logique. Il est tout à fait absurde de se pencher sur une question qui n'a pas été médiatisée et n'a pas fait l'objet d'un débat.
Nous ne discutons pas. Nous ne pouvons mobiliser nos collègues pour en débattre. Ils sont devenus muets.
Le sénateur Watt: Parlez pour vous.
Le sénateur Forrestall: Ils n'ont rien eu à dire de la journée.
La présidente: Vous devriez avoir plus de respect pour vos collègues.
Le sénateur Forrestall: Ils veulent que le projet de loi soit adopté.
M. Weiner: J'espère que les sénateurs partagent avec moi cette préoccupation. Un projet de loi est présenté par deux ministres comme étant un compromis juste et raisonnable après 10 ans de négociations, de discussions et ainsi de suite. En l'espace de quelques semaines, les amendements dont nous parlons sont acceptés à la hâte. La ministre vient à ce comité -- j'y étais hier -- pour dire que nous avons en quelque sorte ici une délicate tapisserie et que le retrait d'un seul fil risque de défaire toute la trame.
Le sénateur Spivak: On parle d'une toile sans couture.
M. Weiner: Je ne voulais pas mentionner le nom de l'ancien premier ministre.
Mme Cansfield: Il est important de reconnaître cela, sénateur, et je comprends votre point de vue. Je le répète, si l'on doit adopter une loi, je m'attends à ce qu'elle soit efficace étant donné qu'elle sera en place longtemps. Le ciel nous en préserve! S'il faut une année de plus, je préférerais une loi efficace à une loi imparfaite qui nous amènera devant les tribunaux et nous coûtera tous beaucoup d'argent. Ce sont des dollars qui ne seront pas dépensés dans la salle de classe.
Avec tout le respect que je vous dois, si le ministre du Patrimoine canadien doit revenir à la Loi sur le droit d'auteur, qu'il en soit ainsi. C'est son travail.
Le sénateur Kinsella: Bravo!
Le sénateur Spivak: J'aurais dû poser cette question aux écrivains et aux autres groupes, mais je ne l'ai pas fait. Est-ce que la plupart des intervenants qui ont comparu devant le comité étaient satisfaits du projet de loi? Est-ce que les écrivains étaient satisfaits? Les créateurs? Les petites maisons d'édition?
Mme Brown: Il y a un noyau de créateurs qui est d'avis qu'aucune exception ne devrait être accordée. Il n'a jamais été possible d'arriver à un compromis avec ce groupe. Or, cela fait dix ans que l'on dit aux établissements d'enseignement et aux bibliothèques qu'ils devraient faire des compromis.
Nous n'avons cessé de répéter qu'il n'y a pas un seul pays de common law qui n'ait pas adopté d'exceptions pour les établissements d'enseignement et les bibliothèques. La législation sur le droit d'auteur vise à la fois à assurer l'accès aux oeuvres et à protéger les droits des créateurs.
Comme l'a mentionné M. Savage, il est question ici des créateurs du milieu universitaire. Les exceptions touchant les établissements d'enseignement et les bibliothèques ne visent pas le secteur à but lucratif. C'est vrai. Ils ont fait preuve d'une intransigeance incroyable.
Pendant ce temps-là, les établissements d'enseignement et les bibliothèques ont obtenu des licences. En fait, les sociétés de gestion se sont attachées à faire en sorte que le secteur sans but lucratif soit assujetti au système d'octroi de licences. Cela n'a jamais atténué l'importance des exceptions dans ces domaines. La situation a été très frustrante.
Le sénateur Johnson: On a répondu à bon nombre des questions que je voulais poser. Je veux tout simplement qu'on m'explique une dernière chose. Lorsque j'ai demandé aux écrivains ce qui était advenu des amendements qu'ils avaient proposés au comité, ils ont dit que certains avaient été pris en considération. Toutefois, il y en a deux auxquels ils tenaient vraiment qui ont été laissés de côté.
Vous dites que les amendements ont tout simplement été appelés par numéro. Est-ce qu'il y en a, parmi ceux que vous avez proposés, qui ont été inclus dans le projet de loi?
On a l'impression qu'ils se sont tout simplement contentés de lire les amendements et de les approuver sans discussion aucune. Y a-t-il des amendements parmi ceux que vous avez proposés qui se retrouvent dans le projet de loi?
Mme Brown: Au cours des premiers jours, les parties intéressés ont exposé leurs vues et présenté divers amendements qui ont fait l'objet de discussions. Toutefois, à la fin, on s'est contenté d'appeler les amendements par numéro.
Les gens, au début, ont pris le processus au sérieux. Plusieurs témoins ont déposé des mémoires. Toutefois, le processus a déraillé de sorte que, oui, certains amendements ont été apportés. Les deux parties estimaient que certains amendements avaient été entérinés après avoir fait l'objet de discussions.
Comme Mme Cansfield l'a dit, le processus s'est dégradé. À la fin, les créateurs avaient obtenu ce qu'ils voulaient, mais pas nous. Le vent avait tourné en leur faveur du jour au lendemain.
M. Savage: Il n'y avait que deux amendements qui servaient nos intérêts.
Le sénateur Forrestall: Qui a proposé les deux amendements?
M. Savage: Tous les amendements ont été proposés par des membres du gouvernement.
Le sénateur Spivak: Encore une fois, je suppose que c'est notre faute, parce que je n'ai pas vu cela venir. Normalement, nous avons l'occasion d'examiner les dossiers qui portent sur des questions d'intérêt public parce que les divers groupes nous informent, à l'avance, de la situation. Dans ce cas-ci, on ne nous a pas dit que le projet de loi posait des problèmes. On nous a plutôt dit qu'il constituait une mesure équilibrée.
Nous voulons tous protéger les droits d'auteur. Toutefois, nous avons soudainement commencé à recevoir un grand nombre de lettres sur le sujet. Les écrivains disent qu'il est possible de faire apparaître 300 lettres d'un seul coup. Ce n'est pas vrai.
Je trouve le processus inquiétant. Je l'ai déjà dit. Ce n'est pas de cette façon qu'on aborde les questions d'intérêt public. Il ne peut pas y avoir d'équilibre entre, d'une part, une multinationale et, d'autre part, des petits écrivains et des petites maisons d'édition. L'équilibre, ce n'est pas cela. Je me demande pourquoi il n'y en a pas plus.
Vous dites que le projet de loi établit un juste équilibre entre les créateurs et les petites maisons d'édition, mais je ne le vois pas. Là où l'équilibre a été compromis, si je peux le résumer ainsi, c'est dans le cas des usagers comme les étudiants et les établissements d'enseignement qui, à votre avis, ne sont pas seulement des usagers, mais également des créateurs. C'est cela que vous voulez que nous corrigions?
Mme Brown: Oui.
Le sénateur Kinsella: Il est vrai, comme vous le dites, que le Sénat s'est retrouvé avec ce fouillis sur les bras. Je trouve scandaleux qu'on ne nous donne pas plus de temps pour examiner ce projet de loi. Toutefois, il est parfois nécessaire que nous fassions preuve d'imagination.
J'ai l'intention de proposer les amendements que vous et d'autres témoins avez proposés pour les établissements d'enseignement. Je dois me limiter à ce domaine parce que je ne comprends pas tellement les dispositions du projet de loi qui traitent de la radiodiffusion et des autres secteurs. Si je disposais d'un mois pour examiner ce projet de loi, je pourrais peut-être, avec l'aide de mon personnel, en faire une analyse plus poussée. Toutefois, comme nous subissons des pressions pour que nous adoptions ce projet de loi, nous allons essayer de proposer des amendements qui sont neutres. Je vais proposer que l'on rétablisse les dispositions qui figuraient dans la version originale du projet de loi qui a été approuvé par le gouvernement. Je considérerais cela comme un amendement qui est neutre. Si cela ne donne pas de résultats, ce sera uniquement à cause de la force du nombre. En effet, dernièrement, c'est la raison du plus fort qui semble primer dans cette chambre.
Je vous demanderais de tourner à la page 93 du projet de loi. Sous la partie IX, «Dispositions générales», le paragraphe 92.(1) dispose que, «dans les cinq ans suivant la date de l'entrée en vigueur du présent article», le ministre présentera au Sénat et à la Chambre des communes un rapport sur la présente loi et les conséquences de son application, dans lequel il fera état des modifications qu'il juge souhaitable.
Pour moi, «dans les cinq ans» veut dire tout de suite. Si le Sénat demandait au gouvernement de faire preuve de souplesse et d'examiner les points que vous et d'autres groupes avez soulevés, est-ce que cela pourrait constituer un compromis adéquat?
Vous allez perdre s'ils utilisent leur majorité. Vous savez tous compter. Ils sont plus nombreux que nous. Ils peuvent imposer la guillotine, comme ils l'ont fait pour d'autres projets de loi sans justification aucune.
Pouvons-nous faire quelque chose en vertu du paragraphe 92(1) pour obtenir un engagement de la part du gouvernement en échange de notre appui pour cet affreux projet de loi?
M. Killeen: Le dossier relatif aux droits d'auteur est piloté, à l'échelle internationale, par l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. De nombreuses démarches ont été faites et, chose étrange, les seules personnes qui défendent les intérêts de notre groupe se trouvent aux États-Unis. Ces groupes d'usagers sont bien organisés. Ils seront nos alliés au cours de la prochaine bataille, qui commence d'ailleurs maintenant.
Vous savez à quel point cette question est importante. Si nous n'arrivons pas, aujourd'hui, à exercer une influence sur la législation ou le programme du gouvernement, la situation ne sera guère mieux dans cinq ans.
Je n'ai pas participé à la réforme de 1988. Toutefois, on a commis une erreur grave lorsqu'on a décidé de changer le processus et de dire: «Nous allons nous occuper d'abord des créateurs, et ensuite des usagers.» Les droits d'auteur sont devenus, entre-temps, une affaire de gros sous, et ce sont les studios Disney et le réseau ABC qui ont ouvert le bal. Les enjeux sont considérables.
Nous sommes des cibles faciles parce que nous représentons des établissements publics. Les policiers peuvent venir dans nos bibliothèques et s'installer près des photocopieurs. Ils peuvent aller dans les salles de classe. Le public ne s'insurge pas contre ce qui se passe à l'heure actuelle parce que les autorités ne peuvent pas, pour l'instant, envahir le foyer d'une personne pour voir ce qu'elle fait des oeuvres protégées qu'elle a en main. Toutefois, la technologie va bientôt changer tout cela. Et c'est à ce moment-là que les Canadiens vont se réveiller.
Mme Cansfield: J'aimerais revenir à une question qui a été posée par le sénateur Kinsella. Si j'ai bien compris ce que vous avez dit, notre présence ici est tout à fait inutile et le Sénat, par la force du nombre, ne peut remplir un rôle efficace quand vient le temps d'examiner des lois inadéquates.
Le sénateur Johnson: C'est faux.
Mme Cansfield: Je l'espère. J'ose croire que les membres du comité ne représentent pas les intérêts d'un groupe particulier de personnes sur la colline, mais qu'ils défendent les besoins et les intérêts de tous les Canadiens. Est-ce que votre rôle consiste à entériner automatiquement les projets de loi du gouvernement?
Ce n'est pas pour cette raison que je m'adresse à vous. En fait, j'attends beaucoup de vous, tout comme mes étudiants d'ailleurs. Sinon, tout ceci n'est qu'une comédie.
La présidente: Je tiens à dire quelques mots à ce sujet. J'essaie d'être impartiale et neutre.
Le sénateur Kinsella a dit que nous subissions des pressions. C'est faux. Les membres des deux côtés de la chambre ont tous approuvé le calendrier d'audiences qui a été proposé. Tout le monde l'a approuvé. Nous avons même ajouté à la liste un témoin proposé par le sénateur Kinsella. Nous allons en ajouter d'autres s'il le faut.
Si vous estimez que votre présence ici est inutile, ce n'est pas le cas. Les deux côtés essaient de remplir leur rôle du mieux qu'ils peuvent.
Je n'ai pas voulu intervenir dans le débat jusqu'ici, mais j'estime devoir faire ce commentaire. Nous ne serions pas ici si nous n'étions pas prêts à faire du bon travail. C'est pour cette raison que nous sommes ici aujourd'hui.
Le sénateur Kinsella: Madame la présidente, quand les audiences vont-elles prendre fin? D'après le document que j'ai devant moi, il y aura des audiences le mercredi 23 avril à 15 h 30 et à 20 h 30.
La présidente: Ce n'est pas exact.
Le sénateur Kinsella: Je vais déposer le document.
La présidente: Le sous-comité de la sécurité des transports devait se rendre à Washington. Il y a des membres de notre comité qui font partie du sous-comité. Nous avons décidé de rester ici et d'envoyer plutôt votre collègue, le sénateur Forrestall. Je suis certaine que vous ne voulez pas l'empêcher d'aller à Washington. Notre collègue, le sénateur Adams, accompagnera le sénateur Forrestall.
La version française du calendrier a été préparée par le greffier. Nous avons établi un autre calendrier avec les groupes de témoins que nous avions. Si nous devons siéger jusqu'à minuit tous les soirs, je suis prête à le faire.
Le sénateur Johnson: Vous n'avez pas répondu à la question du témoin.
Le sénateur Spivak: Est-ce que nous faisons preuve d'ouverture d'esprit?
La présidente: Reportez-vous à ce que j'ai dit hier.
[Français]
Je vais le dire en français, ce sera plus facile. Je reviens à ce que j'ai dit hier. Nous avons l'intention d'écouter et nous faisons tous un peu notre éducation.
[Traduction]
Nous allons garder l'esprit ouvert. C'est ce que j'ai dit hier. Nous voulons en savoir plus sur ce projet de loi. C'est pourquoi nous avons invité des groupes à témoigner devant nous.
[Français]
C'est pour cela que nous écoutons avec le plus d'intérêt et d'attention possibles les demandes qui nous sont faites; s'il faut étudier les demandes jusqu'à minuit tous les soirs, nous les étudierons jour et nuit mais elles seront étudiées par les membres du comité qui devront être prêts à siéger jusqu'à ces heures-là.
Le sénateur Pépin: C'était simplement un commentaire que je voulais faire suite aux remarques de madame. En vous écoutant, j'avais l'impression que vous faisiez beaucoup plus de politique et de partisanerie que quelques-uns d'entre nous. Nous sommes venus ici pour vous entendre et pour essayer de vous aider à adopter une bonne législation. Depuis que je vous écoute cet après-midi, j'ai l'impression que vous êtes beaucoup plus politique que plusieurs d'entre nous.
[Traduction]
La présidente: Y a-t-il d'autres questions?
Le sénateur Johnson: Madame la présidente, j'aimerais dire quelques mots au sujet des remarques formulées par nos témoins. Cela fait sept ans que je siège au Sénat. J'ai examiné de nombreux dossiers avec beaucoup de sérieux. J'ai toujours voté selon ma conscience, sans tenir comte de la ligne du parti. De nombreux sénateurs font la même chose. Si vous pensez que la décision dans ce cas-ci sera purement politique, vous vous trompez. Il arrive parfois que les décisions que nous prenons soient politiques. Cela fait partie des réalités de la vie.
En ce qui me concerne, je garde toujours, comme bon nombre de mes collègues, l'esprit ouvert. J'espère que mes collègues vont faire la même chose aujourd'hui.
Le sénateur Forrestall: La chair est parfois faible.
[Français]
Le sénateur Poulin: J'aimerais remercier le sénateur Johnson de ses commentaires. Je pense que vous avez soulevé un point important dans le sens où, quelquefois, la perception dépasse la réalité. La réalité c'est que, depuis que nous sommes revenus -- parce qu'on a eu une semaine où nous sommes tous retournés dans nos régions -- tous les comités ont été très actifs et la plupart des sénateurs siègent à plus d'un comité. Il faut que vous le sachiez. La plupart d'entre nous sommes assis à différentes réunions depuis 7 heures ce matin et, comme notre présidente l'a dit, nous sommes prêts à siéger jusqu'à minuit s'il le faut.
Je pense que nous sommes très ouverts et notre objectif est de nous assurer que chaque législation représente vraiment l'équilibre recherché par tous les Canadiens pour contribuer au progrès de notre pays.
Cette législation a une histoire très particulière. Il faut que vous sachiez que la plupart des membres de ce comité ont été en relation avec plusieurs d'entre vous et plusieurs autres groupes, depuis huit à dix années. Nous connaissons, pour la plupart d'entre nous, les intérêts et les enjeux, et nous en sommes très conscients.
La semaine dernière, une autre législation était à l'étude à ce même comité. Oui, nous avons jugé que cette législation, pour protéger les droits de tous les Canadiens et les Canadiennes d'un bout à l'autre du pays, méritait un amendement. Il est évident que nos collègues de la Chambre des communes n'en pas été heureux.
Nous prenons le temps d'étudier chacune des législations avec tous les risques que cela comporte. C'est notre rôle, et je pense que chaque sénateur des deux parties prend très au sérieux cette responsabilité.
[Traduction]
La présidente: Y a-t-il d'autres questions?
Le sénateur Spivak: Madame la présidente, cette discussion est importante. Nous savons tous comment les choses se passent ici. Je suis heureuse d'entendre les commentaires des sénateurs d'en face.
La présidente: Je pensais que vous le saviez déjà.
Le sénateur Spivak: Il est bon de le préciser.
M. Savage: Si je puis me permettre, madame la présidente, pour revenir à ce qu'a dit le sénateur Poulin, il me semble que le Sénat pourrait, dans ce cas-ci, agir comme il l'a fait dans le cas du projet de loi que vous avez mentionné -- c'est-à-dire, de proposer un nombre limité d'amendements, de les renvoyer à la Chambre des communes et d'adopter le projet de loi avant le déclenchement des élections. Ce serait bien si la Chambre adoptait tous les amendements en trois heures. Je plaisante, mais je suis en même temps sérieux. Ce serait certainement possible, si la volonté y était et que l'on était conscient des problèmes que le projet de loi modifié va créer pour le secteur de l'enseignement.
J'estime, et mon commentaire s'adresse en partie au sénateur Kinsella, que même si vos amendements ne peuvent pas être débattus à la Chambre et renvoyés au Sénat, il serait préférable de laisser le projet de loi mourir au Feuilleton et de le redéposer à l'automne, au moment de la convocation des Chambres. Pourquoi serait-ce catastrophique? Je trouve qu'il est préférable d'avoir un projet de loi qui se tient, plutôt que d'avoir un projet de loi qui est imparfait. La terre ne cessera pas de tourner si le projet de loi est adopté en septembre plutôt qu'en avril.
La présidente: Merci beaucoup.
Mme Brown: Madame la présidente, je tiens à préciser que les établissements d'enseignement et les bibliothèques ont travaillé ensemble sur ce dossier depuis le début. La liste d'amendements que vous avez devant vous est peut-être exhaustive, mais il y en a deux ou trois en particulier que nous serions prêts à appuyer. Nous pourrions simplifier votre tâche, si vous tenez vraiment -- et c'est ce que vous voulez -- à apporter des amendements au projet de loi pour le renforcer, et à l'examiner plus à fond. Nous pouvons abréger cette liste et proposer au plus trois amendements sur lesquels vous pourriez vous pencher et poser des questions afin de vérifier s'ils servent l'intérêt public. Ces amendements ne visent pas à servir les intérêts d'un groupe quelconque de lobbyistes. Nous travaillons pour les universités et les collèges, dans l'intérêt du public.
Nous parlons au nom de l'ensemble de la communauté. Les universités de langue française qui font partie de l'AUCC sont en faveur, peut-être encore plus que les autres membres de l'Association, de l'adoption d'exceptions pour les établissements d'enseignement et les bibliothèques.
L'Association des universités et collèges du Canada peut vous aider dans votre travail, si vous le désirez.
La présidente: Nous avons également d'autres groupes que nous devons entendre. Merci beaucoup.
Nous désirons souhaiter la bienvenue aux représentants du comité mixte de la Loi sur le droit d'auteur de l'Institut canadien des brevets et marques et de l'Association du Barreau canadien.
Vous avez la parole.
M. Glenn A. Bloom, comité mixte de la Loi sur le droit d'auteur de l'Institut canadien des brevets et marques et de l'Association du Barreau canadien: Merci beaucoup, madame la présidente. Je suis accompagné aujourd'hui de M. Bernard Mayer et de Mme Marian Hebb, qui sont tous les deux membres du comité mixte.
L'ICBM est une association nationale qui représente plus de 1 000 spécialistes en matière de propriété intellectuelle. Nous souhaitons vous présenter le mémoire du comité mixte qui a été approuvé par l'exécutif de l'ICBM. Ce mémoire n'a pas été approuvé par l'ABC, faute de temps. Par conséquent, il ne représente que les vues du comité mixte, qui ont été entérinées par l'ICBM.
Le comité mixte qui a examiné le projet de loi C-32 en détail se limite à faire des observations sur les questions techniques. Il n'appartient pas au comité mixte d'aborder les questions de politique.
Nous comparaissons aujourd'hui pour débattre avec vous de certaines préoccupations du comité mixte à l'égard des amendements apportés au projet de loi C-32 par la Chambre des communes et pour répondre à toute question que vous souhaiteriez nous poser.
Dans nos réponses, nous serons peut-être obligés de nous abstenir d'aborder des questions de politique qui ne sont pas de notre ressort.
Je vais maintenant céder la parole à Bernard Mayer, qui va vous faire part de nos observations générales sur le projet de loi C-32. Nous développerons alors notre mémoire écrit et aborderons trois points de préoccupation: premièrement, la durée du droit d'auteur sur les oeuvres non publiées; deuxièmement, le droit d'auteur sur les photographies et la paternité à cet égard, et troisièmement, l'effet des nouveaux droits créés par le projet de loi sur les contrats antérieurs au 25 avril 1996. Notre mémoire aborde d'autres questions de nature très technique. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions, mais nous ne ferons pas d'exposé formel sur ces points.
M. Bernard Mayer, comité mixte de la Loi sur le droit d'auteur de l'Institut canadien des brevets et marques et de l'Association du Barreau canadien: Le projet de loi est une mesure législative très complexe, ce qui est inévitable en raison de la complexité du sujet et des intérêts des titulaires de droits et des usagers. Il était inévitable qu'il donne lieu à beaucoup de controverse. Si l'on en croit l'expérience d'autres pays, on sait parfaitement bien que tout projet de loi important révisant une loi sur le droit d'auteur, qui serait non controversé, est une contradiction dans les termes. Autrement dit, vous devez vous rendre compte -- et je suis sûr que le comité s'en rend compte maintenant -- que le droit d'auteur touche tout un éventail d'intérêts. C'est un peu comme un projet de loi sur l'impôt sur le revenu. Dans chacun de ces domaines, on retrouve des intérêts contradictoires et je crois que les gouvernements canadiens, indépendamment de leur parti, ont eu pour politique de ne pas aborder de questions controversées dans le cadre de mesures législatives d'initiative parlementaire, dans la mesure du possible. Toutefois, dans la situation qui nous intéresse, ce n'est pas possible.
D'un point de vue pratique, le projet de loi représente une tentative par le gouvernement de parvenir à un équilibre. C'est au comité de juger si le gouvernement a atteint cet objectif. Il s'agit véritablement d'une question de politique au sujet de laquelle notre comité n'a pas vraiment son mot à dire.
Le comité mixte a examiné le projet de loi, lorsqu'il a été déposé à la Chambre des communes, et a présenté un mémoire très détaillé sur les divers articles, mémoire qui a été déposé auprès du comité.
Le projet de loi a été amendé en profondeur à l'étape du rapport et les amendements ont répondu à certaines de nos questions, bien que, selon nous, le libellé de certains des amendements significatifs ne permette pas d'atteindre complètement les objectifs visés. Comme l'a dit M. Bloom, dans notre mémoire à ce comité, nous abordons simplement les amendements de la Chambre des communes sans essayer de reprendre le tout.
Si le projet de loi était adopté sans amendement, je crois alors qu'il faudrait garder à l'esprit certaines considérations très pratiques. Ce projet de loi n'est pas une révision globale de la Loi sur le droit d'auteur. Mis à part la nécessité évidente de changements qu'il faut apporter aux mesures législatives sur le droit d'auteur en raison de la révolution technologique que nous vivons, ce projet de loi ne s'attaque pas à certains domaines. Il ne faut pas oublier qu'il n'y a pas eu de révision importante de la Loi canadienne sur le droit d'auteur depuis qu'elle a été présentée en 1924, si bien qu'il est tout à fait souhaitable de progresser globalement à cet égard.
Je ne sais pas quel gouvernement sera réélu ou élu, mais je crois qu'il est raisonnable de s'attendre à d'autres mesures législatives sur le droit d'auteur bien avant le délai de cinq ans prévu par la mesure de réexamen. En outre, on pourra avoir l'occasion d'aborder des amendements purement techniques. Par exemple, on sait que le gouvernement envisage un projet de loi visant à améliorer la propriété intellectuelle, projet de loi censé aborder des questions relativement non controversées. Cela peut être une façon de procéder. De plus, si certaines dispositions sont jugées non pratiques, il est prévu dans le projet de loi qu'il peut être promulgué article par article, ce qui donne la possibilité de ne pas promulguer certains articles. À toutes fins pratiques, l'adoption ou la non-adoption de ce projet de loi est une question de politique au sujet de laquelle nous n'avons pas notre mot à dire, mais en tant que comité, nous croyons que les problèmes techniques qui subsistent dans ce projet de loi ne sont pas suffisants pour en empêcher l'édiction.
Quant à savoir si ce comité doit apporter des amendements, il s'agit, je le répète, d'une décision politique et nous savons tous que des élections risquent d'être déclenchées et que ce n'est pas à nous d'émettre un avis sur toutes les interactions possibles. Ainsi se termine notre exposé d'introduction.
M. Bloom: Monsieur Mayer, voudriez-vous passer à la première question précise que nous souhaitons aborder? Il s'agit de la durée du droit d'auteur sur les oeuvres non publiées, point traité à la page 5 de notre mémoire.
M. Mayer: Permettez-moi d'expliquer ce dont il s'agit. À l'heure actuelle, il n'y a pas de limite quant à la durée du droit d'auteur sur des oeuvres non publiées. Cela est devenu quelque peu controversé et le projet de loi, tel que déposé à la Chambre des communes, a aboli cette durée illimitée et opté pour le régime général de durée de droit d'auteur qui, selon le principe général, correspond à la durée de vie plus 50 ans.
Tel que déposé à la Chambre des communes, le projet de loi renfermait une disposition prévoyant que si le décès était survenu au cours des 100 ans précédant l'entrée en vigueur du projet de loi, il était prévu une durée de 50 ans à partir de la date d'entrée en vigueur de la disposition. Si le décès était survenu plus de 100 ans avant l'entrée en vigueur, la durée prévue était de cinq ans. La Chambre des communes a apporté un amendement ramenant ces périodes à 50 ans de manière que la période de 50 ans ne s'applique que si le décès est survenu au cours des 50 ans précédant l'entrée en vigueur du projet de loi. Si le décès est survenu plus de 50 ans avant l'entrée en vigueur, la durée serait simplement de cinq ans à partir de l'entrée en vigueur du projet de loi.
Je vais vous donner un exemple pratique; si le projet de loi entre en vigueur le 1er janvier 1998 et que l'auteur «A» est décédé le 1er janvier 1948, le droit d'auteur sur une oeuvre non publiée expirerait le 31 décembre 2048. S'il était décédé un jour plus tôt, le droit d'auteur s'appliquerait 50 ans de plus. À notre avis, ce point limite est trop brutal. Il faudrait prévoir une progression graduelle de la protection à plus court terme.
Pourquoi une durée de 50 ans est-elle importante par rapport à une durée de 100 ans, alors que ces gens-là sont bel et bien décédés? Au bout de 50 ans, des parents ou d'autres personnes que l'on pourrait consulter peuvent toujours être en vie, et il pourrait y avoir une très bonne raison de maintenir cette durée. C'est l'une de nos préoccupations.
M. Bloom: Je vais maintenant passer à nos points de préoccupation relatifs à la durée du droit d'auteur sur les photographies et à la paternité à cet égard. Vous trouverez nos observations écrites à la page 6.
Permettez-moi de commencer en vous rappelant les dispositions actuelles de notre loi. Pour résumer, je dirais que la loi prévoit que l'auteur d'une photographie est le propriétaire du cliché initial au moment où la photographie est prise. La durée du droit d'auteur sur une photographie est actuellement de 50 ans à partir de la fin de l'année civile au cours de laquelle le cliché initial a été pris. L'auteur est le propriétaire du cliché et peut donc être une personne autre que le photographe; la durée est de 50 ans après la prise du cliché initial.
Le projet de loi C-32 a été amendé à la Chambre de manière à prévoir un nouveau régime pour la durée du droit d'auteur sur les photographies et pour la paternité à cet égard. L'article 10 du projet de loi crée trois régimes différents ou trois catégories différentes de photographies. La première catégorie regroupe les photographies dont le propriétaire du cliché initial est une personne morale. Dans ce cas-là, la durée du droit d'auteur est de 50 ans à partir de la prise du cliché initial.
La deuxième catégorie regroupe les photographies dont le propriétaire est un photographe constitué en personne morale -- c'est-à-dire, un particulier qui a créé une société et qui prend les photographies au nom de la personne morale. En pareil cas, la durée du droit d'auteur est de 50 ans après le décès du photographe ou de l'auteur véritable.
La troisième catégorie regroupe des photographies dont le propriétaire est un particulier -- c'est-à-dire le propriétaire du cliché initial. En pareil cas, la durée de droit d'auteur est de 50 ans après le décès de ce particulier, qui peut être une personne autre que le photographe.
L'article 10 donne lieu à plusieurs difficultés. En résumé, elles découlent du fait que l'article ne permet pas de savoir qui est l'auteur véritable d'une photographie, sauf dans le cas du photographe constitué en personne morale.
Pour les photographies dont le propriétaire est un photographe constitué en personne morale, l'article n'est pas complet. Bien que la paternité véritable soit déterminée, l'article ne règle pas le cas des oeuvres anonymes, pseudonymes et posthumes.
En outre, dans le cas d'un photographe constitué en personne morale, l'auteur est déterminé en fonction des critères traditionnels de paternité et la durée dépend de l'identification de l'auteur. Par contre, dans le cas d'une photographie prise par un photographe non constitué en personne morale, la paternité est déterminée en fonction de la propriété du cliché au moment où la photographie est prise. Ce propriétaire peut être une personne autre que le photographe, comme ce serait le cas si la photographie était prise à l'aide d'un appareil emprunté à une autre personne et que cette personne est propriétaire du cliché au moment où la photographie est prise.
Comme nous l'avons indiqué dans notre mémoire, d'autres pays ont tendance à abolir toute règle particulière à propos de l'identification de l'auteur d'une photographie et à protéger les photographies pour la durée complète -- c'est-à-dire, selon la règle générale de la durée de vie, plus 50 ans.
Je vais maintenant demander à M. Mayer de vous faire part de nos observations sur la dernière partie importante de notre mémoire, soit la disposition relative aux nouveaux droits créés par le projet de loi sur les contrats conclus avant le 25 avril 1996, dont nous parlons à la page 12.
M. Mayer: Cet article, ajouté par la Chambre à la troisième lecture, nous cause beaucoup de soucis. Il prévoit qu'aucun accord conclu avant le 25 avril 1996 -- c'est-à-dire avant la date à laquelle le projet de loi a été déposé -- qui cède des droits ou concède un intérêt dans un droit qui serait un droit d'auteur ou un droit à rémunération en vertu de la loi, ne doit être interprété comme cédant ou concédant des droits conférés pour la première fois par la loi, à moins que l'accord ne prévoie spécifiquement la cession ou la concession.
Le projet de loi crée plusieurs nouveaux droits. En ce qui concerne les contrats conclus avant cette date, cet article prévoit en fait que, à moins que ces droits n'y soient spécifiquement cités, ils sont considérés comme n'étant pas cédés en vertu de ces contrats. Il est évident que cet article a été proposé dans le but de protéger les particuliers qui acquièrent de nouveaux droits par suite du projet de loi et qui peuvent avoir signé des accords cédant leurs droits à d'autres dans des termes très généraux, à un moment où ils n'étaient pas conscients de la possibilité de concession de nouveaux droits. Cela parait un objectif louable, mais suscite d'autres problèmes pratiques graves, dans le contexte du monde des affaires. Ce n'est pas un problème inhabituel en tant que tel et le monde des affaires a tendance à le régler d'une certaine façon.
À notre avis, cette disposition ne tient pas compte de la réalité commerciale et représente une ingérence injustifiée dans les contrats. Les contrats de cession de droits d'auteur renferment fréquemment des termes généraux. Il est bien reconnu qu'il s'agit d'une question d'interprétation dans chaque cas auquel les règles générales des tribunaux relatives à l'interprétation des contrats s'appliquent.
Dans la mesure où les termes généraux ne s'appliquent qu'aux situations qui existaient au moment de l'exécution du contrat, mais aussi aux éventuels faits nouveaux, cette disposition donne lieu à une ingérence rétroactive dans les ententes commerciales dans le cadre desquelles un cessionnaire ou un concessionnaire a acquis tous les droits du cédant ou du concesseur, indépendamment des éventuels faits nouveaux. En d'autres termes, dans le monde des affaires, il est fréquent que des cessions se réalisent en termes très généraux pour justement parer à toute éventualité future.
Juger si l'interprétation d'un contrat particulier est exacte ou non relève de la compétence des tribunaux et ne dépend pas d'une loi imposée arbitrairement. Il faut noter, en outre, que cette disposition ne se limite pas aux contrats régis par la loi canadienne.
À notre avis, il est fort probable que cette disposition risque d'être interprétée par un tribunal canadien comme s'appliquant à tous les droits d'auteur canadiens, que les cessions ou les concessions soient régies par la loi canadienne ou non. On pourrait donc se retrouver dans une situation indésirable où des contrats régis par une loi étrangère pourraient être interprétés différemment, si les poursuites sont intentées devant un tribunal étranger, lequel pourrait ne pas faire cas de cette disposition, ou devant un tribunal canadien, lequel pourrait l'appliquer.
En d'autres termes, si un contrat, par exemple, est régi par la loi californienne et est interprété par un tribunal californien, ce dernier peut dire que c'est la loi californienne qui s'applique et qu'il ne faut pas tenir compte de cette disposition. Si les mêmes poursuites sont intentées au Canada, le tribunal canadien peut dire qu'il s'agit d'une disposition précise de la Loi canadienne sur le droit d'auteur et que cette disposition s'applique.
Je pourrais donner des exemples de la façon dont cette disposition pourrait s'appliquer. Toutefois, à toutes fins pratiques, elle risque tout simplement de faire échouer des ententes commerciales normalement attendues. Par ailleurs, à toutes fins pratiques, elle peut, lorsqu'une entente est conclue, exiger la vérification de beaucoup de documents -- dont les résultats seraient incertains --, pour déterminer la cession ou concession des droits.
M. Bloom: Ainsi se termine notre exposé. Nous vous remercions de nous avoir donné l'occasion de le présenter et de faire des observations orales. Nous sommes prêts à répondre à vos questions soit sur les points très techniques que nous avons abordés dans le mémoire en plus des points que nous avons soulignés dans nos présentations orales, soit sur les points que nous venons juste de mentionner. Nous nous ferons un plaisir de répondre à toute question sur la révision de la Loi sur le droit d'auteur.
Le sénateur Forrestall: Si j'étudiais tout cela pendant deux jours, je serais probablement en mesure de comprendre. Vous parlez à des non-initiés et à des non-spécialistes.
M. Bloom: C'est la raison pour laquelle nous voulons vous donner la possibilité de nous poser toutes les questions que vous souhaitez.
Le sénateur Forrestall: Ma question se résume à ceci: «Qu'est-ce que vous avez dit?»
Le sénateur Roberge: Ai-je bien compris que vous avez des inquiétudes quant au projet de loi, mais pas suffisamment toutefois pour justifier la non-adoption du projet de loi?
M. Mayer: Oui. D'après nous, les préoccupations techniques que nous avons à l'égard du projet de loi ne sont pas suffisantes pour empêcher l'adoption du projet de loi si le Parlement l'envisage, pour des raisons politiques. J'ai également dit toutefois, qu'en pareil cas, il faudrait prendre des mesures pour corriger toutes les insuffisances suffisamment tôt, et nous espérons et nous attendons à ce que cela puisse se faire.
Le sénateur Roberge: Ne pouvons-nous pas attendre le délai de grâce de cinq ans?
M. Mayer: Personnellement et sans vouloir parler au nom de qui que ce soit, je crois qu'il y a suffisamment de pressions dans le système, découlant en particulier des progrès technologiques et autres, pour qu'il soit fort probable qu'un autre projet de loi important sur le droit d'auteur sera présenté bien avant l'échéance de cette période de cinq ans. Comme je l'ai dit dans mes remarques, il existe d'autres moyens d'apporter des amendements relativement non controversés sans avoir à passer par un autre grand projet de loi sur le droit d'auteur.
Le sénateur Forrestall: L'adoption d'un projet de loi imparfait n'en fait pas une mauvaise loi. Il est probablement utile d'avoir quelque chose que l'on puisse commencer à amender ou, à tout le moins, examiner. Y a-t-il quoi que ce soit dans ce projet de loi qui soit difficile et insupportable si jamais il était adopté sous sa forme actuelle?
M. Bloom: Je crois que votre question touche le domaine de la politique. Nous pouvons vous indiquer -- et nous l'avons fait dans notre mémoire -- les secteurs qui, à notre avis, peuvent donner lieu à des difficultés techniques. Nous n'avons pas parlé de certaines questions du projet de loi au sujet desquelles vous avez entendu des présentations de nature politique. Nous vous avons fait part de nos observations et vous avons donné un moyen de régler nos questions techniques si, pour des raisons politiques, ce comité permanent et ensuite le Sénat, considèrent qu'il faut adopter ce projet de loi. Je ne crois pas que, en tant que simples experts techniques, nous puissions vous dire autre chose. Notre rôle est technique, le vôtre, politique.
Le sénateur Forrestall: Nous ne sommes pas des représentants élus, monsieur, et, sans vouloir en débattre, je crois que vous en êtes conscients. Nous ne sommes pas non plus un organe d'orientation. Notre travail consiste à faire de bonnes lois. Si, sur le plan technique, la loi n'est pas bonne, les utilisateurs et les créateurs peuvent-ils s'en accommoder? Je ne vous demande pas une opinion personnelle ou un conseil en matière de principe; je vous demande, en tant que professionnel, de me donner un avis technique. La loi sera-t-elle applicable?
M. Bloom: Nous avons repéré des points qui créeront, selon nous, des difficultés, particulièrement l'article 58.1 concernant les ententes commerciales déjà en vigueur dont vous a parlé M. Mayer. Quant à savoir si les parties peuvent régler les autres problèmes, il faudra leur poser la question: peuvent-elles s'accommoder de l'actuel projet de loi à l'étude? C'est tout ce que nous pouvons dire. Il nous est impossible de dire qu'une disposition est souhaitable et l'autre pas, car nous nous trouverions alors à nous prononcer au sujet de questions administratives.
Il faut préciser que les membres de notre comité, en d'autres capacités, se pencheront sur des questions de principe pour le compte de clients dont les intérêts sont visés par le projet de loi et qu'ils l'ont déjà fait. Cependant, nos observations doivent se limiter à l'effet technique de certaines dispositions. Si vous pouvez me dire lesquelles, je pourrais peut-être les aborder, une à une, mais il me serait difficile de faire une déclaration générale à leur sujet.
Le sénateur Forrestall: Je vous remercie.
[Français]
Le sénateur Pépin: On nous a dit qu'il y aurait de grandes difficultés pour les universités et les CÉGEPS si on adoptait la loi telle quelle. On nous a dit qu'il y aurait des procédures et des poursuites et que cela pourrait coûter très cher.
On nous dit aussi que les universités et les collèges ne peuvent pas s'offrir de payer tous ces droits d'auteurs. Est-ce que vous pourriez nous donner votre perspective là-dessus? Nous dites-vous que si la loi est adoptée telle quelle, nous devrons faire face à de plus nombreuses difficultés d'un point de vue technique?
[Traduction]
Mme Hebb: Voulez-vous dire que l'on contesterait l'interprétation de certains articles? A-t-on mentionné des articles en particulier? Nous pourrions peut-être vous répondre si votre question était plus précise, sans quoi elle semble être une question de principe.
[Français]
Le sénateur Pépin : Si on utilisait, entre autres, les textes d'articles parus, des vidéos, si on les reproduisait dans les classes, cela pourrait causer des ennuis assez importants et il y aurait des poursuites à ce sujet.
[Traduction]
M. Bloom: Je pourrais peut-être souligner une disposition particulière dont il est question à la page 13 de notre mémoire. À l'alinéa 29.4(1)b), on prévoit une exception pour la projection d'une image au moyen d'un rétroprojecteur. Dans ces circonstances, nous croyons comprendre que l'on veut par là interdire la reproduction d'un film au moyen d'un rétroprojecteur. Si c'est effectivement dans cet esprit que l'on a inclus la disposition, nous estimons que le législateur a raté la cible ou, du moins, qu'il n'atteint pas le but recherché.
Par conséquent, si un établissement fait la projection d'un film au moyen d'un rétroprojecteur, on pourrait facilement arguer qu'il a le droit de le faire même si la politique à cet égard n'est pas claire. Cette disposition pourrait peut-être entraîner des litiges malencontreux. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que, tout comme dans le cadre de cette disposition, il existe peut-être des détails techniques qui empêchent de mettre en oeuvre la politique.
M. Mayer: Les préoccupations des enseignants -- au sujet desquels nous ne nous prononçons pas -- relèvent davantage de la politique. On se demande plutôt s'il ne vaut pas mieux élargir la portée de certaines exemptions, et ainsi de suite. Le Parlement n'a jamais adopté de mesures législatives de cette complexité sans que des tribunaux aient à trancher au sujet d'un certain nombre de points techniques.
En ce qui concerne les domaines dont vous avez parlé, sénateur Pépin, je ne crois pas qu'ils soulèvent plus de difficultés que celles que l'on retrouve normalement dans ce genre de loi complexe. Vus sous un angle pratique, les arguments invoqués par les enseignants -- je connais certains de ces arguments parce que la presse, entre autres, en a fait état -- s'en prennent en réalité à la politique.
Le sénateur Spivak: En ce qui concerne les dispositions de droit pénal, le dernier groupe à faire un exposé a semblé laisser entendre que le projet de loi à l'étude prévoit des poursuites criminelles qu'il ne devrait pas pour certaines infractions. Il estimait que de telles mesures n'étaient pas justifiées.
Qu'en pensez-vous?
M. Mayer: Tout d'abord, les modifications qu'apporte le projet de loi à la loi actuelle sont d'importance relativement mineure et améliorent légèrement le sort des accusés en ce qui concerne la saisie des plaques de contrefaçon. Je peux vous donner d'autres détails, mais je ne crois pas que cela intéresse le comité.
Le projet de loi prévoit des amendes maximales très élevées. Toutefois, ce sont des maximums. C'est à l'appareil judiciaire de fixer le montant des amendes selon les circonstances. J'ai une certaine expérience dans ce domaine. Dans les faits, l'escroc éventuel qui lit dans le journal qu'un autre s'est vu imposé une très lourde amende y réfléchira avant de commettre son acte. Toutefois, les tribunaux ont imposé des amendes très raisonnables à ceux qui ont cédé à la tentation.
Dans tout régime qui s'applique à l'industrie culturelle et à la propriété intellectuelle, il y aura inévitablement des ratés. Ces cas sont alors invoqués devant des personnes comme vous comme étant représentatifs de la réalité. Sur le marché, ce genre de situations est tout à fait atypique. Le système fonctionne plutôt bien, en règle générale.
Le sénateur Spivak: Je veux plutôt savoir si l'on prévoit des sanctions criminelles trop rigoureuses par rapport à d'autres lois et à ce qui est en jeu, par exemple la photocopie de matériel non autorisée. Je suis sûre que vous avez raison lorsque vous dites que celui qui a une once d'intelligence n'imposera pas de telles amendes, mais là n'est pas la question. Il s'agit plutôt de ce que prévoit la loi par rapport à la norme, par rapport aux autres mesures législatives et par rapport à l'infraction. Ces peines sont-elles plus rigoureuses?
M. Bloom: On a débattu en long et en large de l'ampleur des peines criminelles avant la première phase de réforme du droit d'auteur. À ce stade-là, on avait conclu que les dispositions antérieures à 1988 étaient beaucoup trop permissives. Le Parlement a décidé qu'il fallait accroître le montant des amendes. Les nouvelles amendes sont entrées en vigueur en 1988 et sont à peu près les mêmes, dans le projet de loi C-32.
Le sénateur Spivak: Les témoins ont laissé entendre qu'il ne faudrait pas exposer les universités à la possibilité de sanctions criminelles, que l'on pourrait ainsi créer un froid inutile, qu'il ne s'agit pas d'une situation hypothétique parce que, récemment, plusieurs professeurs de l'Université d'Ottawa ont presque été accusés par la GRC de contrefaçon pour avoir reproduit du matériel dans le cadre d'un cours de criminologie. Les témoins affirment qu'il faudrait que le corps professoral, les employés et les étudiants de l'université reçoivent l'assurance que la violation par inadvertance d'un droit d'auteur, c'est-à-dire sans vouloir réaliser un gain ou commettre une fraude, ne constitue simplement pas un crime.
Vous affirmez que c'est ce que prévoyait déjà la loi et ce qu'elle prévoit maintenant.
M. Bloom: C'est effectivement le cas. Quant à savoir si l'infraction doit relever du droit criminel ou civil, c'est une question de politique au sujet de laquelle nous refusons de nous prononcer.
Le sénateur Spivak: La norme en ce qui concerne l'infraction et les peines prévues est-elle plus rigoureuse que celle qui est prévue dans d'autres domaines analogues?
M. Mayer: Chaque genre de crime particulier est unique. La seule comparaison utile serait de voir ce que font d'autres compétences. Que je sache, la norme correspond tout à fait à ce qui se fait aux États-Unis ou au Royaume-Uni, pour n'en mentionner que deux, et elle n'est pas plus rigoureuse. Comme l'a dit M. Bloom, on a longuement débattu de toute cette question durant la première phase de la réforme.
La présidente: J'ai une question au sujet de l'alinéa 45.(1)e) qui prévoit:
[...] d'importer des exemplaires de livres d'occasion produits avec le consentement du titulaire du droit d'auteur dans le pays de production...
Auquel la Chambre des communes a ajouté un amendement:
[...] sauf s'il s'agit de livres de nature scientifique, technique ou savante qui sont importés pour servir de manuels scolaires dans un établissement d'enseignement.
Prévoit-on la même chose dans d'autres pays ou sommes-nous les seuls à le faire?
M. Bloom: En toute justice, je suis forcé de vous dire que nous ne pouvons pas répondre avec précision à votre question, à ce stade-ci. Nous pouvons par contre affirmer que le projet de loi C-32 introduit au Canada des dispositions quelque peu uniques en ce qui concerne la création de droits exclusifs de distribution de livres. La question que vous posez se rapproche d'un domaine où la législation canadienne n'est pas en parfait synchronisme avec celle d'autres pays.
Il se peut fort bien que, en raison de la nature unique de cette mesure législative, la disposition soit réputée être pertinente. Cependant, nous sommes incapables pour l'instant de dire s'il existe une disposition comparable à l'étranger.
Mme Hebb: Il existe effectivement une disposition de cette nature en droit australien concernant l'importation. Par contre, nous ignorons si la loi australienne prévoit une disposition analogue. Nous pouvons vérifier.
La présidente: J'allais vous le demander.
Mme Hebb: Votre conseiller juridique pourrait aussi le faire.
La présidente: Nous le ferons tous, mais si vous obtenez la réponse avant nous, je vous saurais gré de nous la communiquer. Je vous remercie.
Le sénateur Spivak: J'ai une question au sujet de la nature de la protection. Peut-être s'agit-il d'une question de principe. Le projet de loi à l'étude vise à protéger l'industrie de l'édition canadienne, la seule difficulté étant qu'il n'y a pas d'éditeurs canadiens de ces livres. On nous l'a fait remarquer. Il n'y a pas une seule maison d'édition canadienne qui redistribue ces livres d'occasion. La seule qui redistribue des livres scientifiques et techniques d'occasion se trouve aux États-Unis. Du moins, c'est ce que j'ai compris.
Mme Hebb: Ce sont des livres usagés qui sont vendus à des Américains, puis qui reviennent au Canada. Nul ne produit des livres usagés.
Le sénateur Spivak: Ce n'est pas ce que je voulais dire. Je m'explique. Il ne se produit pas beaucoup de livres de nature scientifique au Canada. La plupart de ces ouvrages nous viennent des États-Unis. On nous a dit qu'il existe aux États-Unis une grande entreprise à laquelle les livres usagés du Canada sont vendus, avant de revenir ici. Il n'y a pas d'entreprise analogue au Canada.
On nous a fait valoir qu'il n'y a pas de raison valable de prévoir pareille disposition puisqu'elle ne protège pas l'industrie de l'édition canadienne, qui n'occupe que le marché du livre neuf.
M. Bloom: La disposition visait en grande partie à protéger les éditeurs canadiens de nouveaux manuels. Que nous sachions, elle ne vise pas le marché du livre usagé. C'est du moins ce que nous croyons savoir.
Le sénateur Spivak: C'est vrai. Mon explication n'était pas très claire. Je suis désolée.
Mme Hebb: Quelque chose m'échappe peut-être, mais la raison pour laquelle on prévoit cette disposition pourrait bien être que certains éditeurs canadiens sont des agents de distribution des mêmes livres lorsqu'ils sont vendus sur le marché des livres neufs au Canada. Je fais des conjectures. On craint peut-être que le même livre soit importé au Canada en tant que livre usagé. Je suppose qu'ils craignent que ce livre se vende alors moins cher que le livre neuf. Ce ne sont que des conjectures de ma part.
Le sénateur Spivak: On nous a dit que ce n'était pas le cas, mais qu'au cas où ce le serait, on avait prévu une solution au problème. C'est ce qu'on nous a dit.
Je me demandais simplement si vous pouviez nous éclairer davantage à cet égard.
M. Bloom: Je ne le crois pas. C'est en grande partie une question d'orientation.
Le sénateur Johnson: Je fais appel à votre patience, car nous avons été inondés d'informations aujourd'hui. La Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique a témoigné, ce matin. Elle souhaite que soit retiré l'article 90 du projet de loi, ainsi que tout l'article 66.91, sans quoi elle craint de s'être enlisée dans des litiges pendant 10 ans.
Y a-t-il quelque chose que vous puissiez me dire à ce sujet?
M. Bloom: Nous pouvons peut-être parler de l'article 90. L'autre article était-il le 66.91?
Le sénateur Johnson: Oui. Il concerne le pouvoir qu'a le gouverneur en conseil de donner, par règlement, des instructions sur des questions d'orientation. Pouvez-vous nous l'expliquer?
M. Bloom: Je pourrai vous répondre jusqu'à un certain point au sujet de l'article 90, et M. Mayer pourra vous parler de l'autre.
Nous croyons savoir que le projet de loi a pour principe de ne pas créer une hiérarchie de droits en matière de propriété intellectuelle, certains droits primant sur d'autres. Du moins est-ce ainsi que nous le comprenons. Si c'est effectivement le cas, nous estimons que l'amendement à l'article 90 apporté par la Chambre se traduira probablement par une interprétation qui ne coïncide pas avec ce principe.
Permettez-moi de vous donner un exemple de ce que j'entends par hiérarchie des droits. Supposons qu'il y a violation des droits d'auteur prévus à la partie II, par exemple d'un enregistrement sonore qui incorpore une oeuvre musicale. Il existe donc un enregistrement sonore d'une oeuvre musicale -- c'est-à-dire d'une composition. Le titulaire du droit d'auteur concernant cet enregistrement sonore, qui fait partie des nouveaux droits voisins prévus à la partie II, souhaite obtenir une injonction interdisant la reproduction non autorisée de l'enregistrement sonore. Toutefois, le titulaire du droit d'auteur en ce qui concerne l'oeuvre musicale, c'est-à-dire une autre personne, ne souhaite pas que le tribunal rende pareille injonction parce que cela pourrait peut-être interrompre la rentrée de ses droits, entre autres.
Nous avons fait valoir que l'article 90 pourrait fort bien donner l'occasion au titulaire du droit d'auteur relatif à l'oeuvre musicale de dire que ses droits priment sur les droits voisins. Dans cette mesure, nous estimons que l'article du projet de loi, tel que modifié, ne coïncide peut-être pas tout à fait avec la politique, du moins telle que nous la concevons.
M. Mayer pourra vous répondre au sujet de l'autre article.
M. Mayer: L'article 66.91 du projet de loi confère au gouverneur en conseil le pouvoir de donner, par règlement, des instructions à la Commission du droit d'auteur quant aux critères à utiliser pour fixer des redevances justes et équitables.
Si je me souviens bien, cet article a été modifié par la Chambre. L'amendement reprenait une des recommandations faites par le comité en vue de bien établir que l'échelle des redevances doit être juste et équitable. Lorsqu'on adopte un régime au sein duquel la Commission du droit d'auteur est entièrement indépendante, ce que bon nombre pourrait considérer souhaitable, ou un régime au sein duquel le gouvernement a le pouvoir de donner des instructions au tribunal du droit d'auteur, cette question relève de la politique. Toutefois, si l'article, comme le fait actuellement l'article 66.91, limite le pouvoir qu'a le gouvernement de faire en sorte que la disposition soit juste et équitable, le pouvoir discrétionnaire du gouvernement s'en trouve sensiblement réduit.
La loi actuelle prévoit une disposition analogue dans un champ plus limité, soit au sujet des droits à payer pour la retransmission, c'est-à-dire, essentiellement, les droits que doivent acquitter les câblodistributeurs pour la retransmission de signaux distants. Cette question refait surface périodiquement devant la Commission du droit d'auteur.
Le gouvernement a donné certaines instructions en vertu de cette disposition, et je dois dire que le monde ne s'est pas arrêté de tourner pour autant.
Le sénateur Spivak: Le statut de la Commission du droit d'auteur par rapport au gouvernement ressemble-t-il à celui du CRTC, en ce sens que le gouvernement peut donner des instructions au CRTC, mais qu'il doit respecter certaines restrictions dans sa façon de le faire?
M. Mayer: Cet article particulier énonce les restrictions en termes plutôt simples.
Le sénateur Spivak: La situation serait-elle analogue à celle du CRTC dont on attend qu'il agira indépendamment, mais auquel le gouvernement peut tout de même donner des instructions? Cependant, les instructions doivent être d'une nature générale plutôt que précise.
M. Mayer: La disposition est encore plus restrictive. À moins de faire erreur -- et cela vaut aussi pour le CRTC --, les dispositions sont plutôt limitatives quant au pouvoir qu'a le gouvernement d'imposer des restrictions ou des conditions à la délivrance de licences, par exemple. La disposition est plutôt restrictive.
Le sénateur Johnson: Pareille restriction pourrait-elle entraîner les litiges dont parlait aujourd'hui la SOCAN?
M. Mayer: Non.
Le sénateur Johnson: À quoi s'oppose-t-elle alors?
M. Mayer: Je vais vous le dire. Je vais vous expliquer le problème, mais notez bien qu'il ne s'agit pas de mon opinion. Bon nombre croit -- il existe des arguments pour et contre ce raisonnement -- qu'une commission censée fixer des taux dont le travail consiste à fixer les droits justes et équitables ne devrait pas se faire dicter sa conduite par le gouvernement. Voilà ce qui les inquiète.
De plus, il pourrait y avoir des litiges au sujet de l'interprétation de l'article 90 et de l'interaction entre les divers droits actuellement prévus dans la loi et qui feront désormais partie des droits prévus à la partie I, les divers droits prévus à la partie II que fait entrer en vigueur le projet de loi à l'étude, l'admissibilité aux redevances et le montant des redevances.
Le sénateur Johnson: Je vous remercie. Voilà qui est utile.
Le sénateur Anderson: Vous avez dit que l'article 58.1 du projet de loi vous causait bien des préoccupations.
M. Mayer: Oui.
Le sénateur Anderson: J'aimerais que vous m'en disiez davantage à cet égard. Pourquoi cela vous préoccupe-t-il?
M. Mayer: Je vous donne un exemple qui a déjà été mentionné. Un artiste-interprète a déjà donné à une maison de disques le droit de faire un enregistrement sonore et de le reproduire. Il a maintenant le droit de toucher une rémunération pour la fixation des enregistrements sonores. Une disposition prévoit que, s'il l'a autorisée à une fin particulière, par contre, il ne l'a pas autorisée à d'autres fins.
Dans les faits, cela revient à dire que, si la représentation est fixée tout de suite dans la trame sonore d'un film, il n'y a pas de grande difficulté. Par contre, si le film comprend un enregistrement sonore qui a été fait auparavant -- par exemple un enregistrement des Beatles datant de 1962 --, on se demande si la licence habituellement donnée par la maison de disques pour permettre l'intégration de l'enregistrement dans le film suffit, s'il ne faut pas aussi redemander l'autorisation de l'artiste-interprète.
Les maisons de disques signent des contrats de portée assez générale qui sont fort complexes. Parfois, ces contrats ne posent peut-être pas de problèmes parce que la terminologie employée est assez générale pour englober les nouvelles situations. Par contre, ce pourrait être le contraire, et il est alors nécessaire de redemander l'autorisation de l'artiste-interprète.
En réalité, il faut vérifier avec soin que le libellé convient. Le gagnant sera celui qui sera inspiré dans l'interprétation et qui saura faire preuve d'intuition. C'est un exemple. Je pourrais vous en donner d'autres.
M. Bloom: Votre exemple est compliqué par le fait que, selon nous, l'interprétation de l'article 58.1 du projet de loi s'appliquerait aux contrats qui, aux termes d'une entente expresse entre les parties, sont peut-être assujettis aux lois d'une compétence étrangère.
On pourrait répondre à votre question d'une façon, comme l'a fait M. Mayer, s'il était contesté en Californie, et d'une autre façon, s'il était contesté au Canada.
M. Mayer: Il ne faudrait pas oublier non plus que le projet de loi ne confère pas des droits à tous les artistes-interprètes. Certaines restrictions s'appliquent selon la nationalité et ainsi de suite, mais il s'agit-là d'une autre question.
La présidente: Je vous remercie de votre exposé et de vos réponses.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.