Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 5 - Témoignages du 1er mars 2000
OTTAWA, le mercredi 1er mars 2000
Le comité sénatorial permanent des peuples autochtones, saisi du projet de loi C-9, Loi portant mise en vigueur de l'Accord définitif nisga'a, se réunit aujourd'hui à 18 heures pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Jack Austin (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Chers collègues, je vois que nous avons le quorum. Le premier point à l'ordre du jour est l'autorisation d'un budget. Vous avez devant vous un sommaire des dépenses se chiffrant à 9 500 $. Il s'agit d'un poste tout à fait courant qui n'a pas été voté quand le comité a été mis sur pied cet automne. Nous devons avoir cette autorisation pour l'exercice se terminant le 31 mars 2001.
Le sénateur Andreychuk: Monsieur le président, ces dépenses couvriront-elles les audiences relatives au traité nisga'a?
Le président: C'est pour la période après le 1er avril.
Le sénateur Andreychuk: Après le 1er avril, et que couvriraient-elles?
Le président: Des travaux législatifs.
Le sénateur Chalifoux: Je propose l'adoption du budget.
Le président: Êtes-vous tous d'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: La motion est adoptée. Je vais signer l'autorisation, et ce sera parti.
Honorables sénateurs, nous avons de nombreux témoins ce soir. Notre premier témoin est M. Ken Georgetti.
Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Georgetti. Comme vous le savez, nous étudions le projet de loi C-9, Loi portant mise en vigueur de l'Accord définitif nisga'a. Vous êtes ici en tant que président du Congrès du travail du Canada, et nous vous souhaitons la bienvenue.
Je crois que vous avez soumis un mémoire. Vous avez la parole.
M. Ken Georgetti, président, Congrès du travail du Canada: Permettez-moi d'abord de remercier les membres du comité de m'avoir donné l'occasion de traiter devant eux de cette question des plus importantes. Je dois vous dire que j'ai eu le plaisir de faire un exposé au nom du mouvement ouvrier en Colombie-Britannique, et maintenant à Ottawa, devant les trois comités qui ont étudié cet accord. L'Accord définitif nisga'a est l'un des faits nouveaux les plus importants qui se soient produits sur les plans économique et social du dernier siècle. Les dirigeants et dirigeantes et le conseil exécutif du Congrès du travail du Canada, qui comprend 2,3 millions de membres, appuient pleinement l'accord négocié pour régler une revendication autochtone de longue date.
Il y a plus de 30 ans que le Congrès du travail du Canada et la Fédération du travail de la Colombie-Britannique préconisent le règlement des revendications territoriales. Nous prônons particulièrement les ententes négociées par opposition aux ententes imposées par les tribunaux. Au cours de l'assemblée statutaire la plus récente du CTC, les propos de Joe Gosnell, chef de la nation nisga'a, au sujet de l'accord de principe et du besoin d'arriver à un règlement par la négociation ont été accueillis chaleureusement par les délégués et déléguées.
Il importe de voir plus loin que les arguments des détracteurs de l'accord qui prétendent parler au nom des familles ordinaires de travailleurs et travailleuses. Le Conseil du travail de Kitimat, de Terrace et du district, lequel comprend des personnes représentant les travailleurs et travailleuses qui devront composer avec l'accord et qui côtoient les Nisga'a, appuie activement le règlement de la revendication depuis le début. En juin 1999, le conseil exécutif du CTC a approuvé unanimement l'accord. Le syndicat représentant le personnel forestier syndiqué (IBA-Canada) a lui aussi appuyé l'accord pendant son congrès.
Cependant, je tiens à exprimer mon exaspération au sujet du long retard qu'accuse la ratification de l'accord par le Canada. Il y a plus de 100 ans que les chefs et les aînés nisga'a se sont rendus à Victoria (Colombie-Britannique) et en Angleterre pour demander que leur revendication territoriale soit réglée de manière juste. Il y a plus d'un quart de siècle que la Cour suprême a statué sur la cause des Nisga'a et que des négociations ont finalement été entreprises. Et il y a plus de quatre ans que l'accord de principe a été conclu. Des centaines de Nisga'a sont nés, ont grandi et sont morts pendant que leur peuple attendait que le Canada agisse honorablement. Le Canada et la Colombie-Britannique ont fini par agir ainsi en concluant l'accord définitif le 4 août 1998, il y a presque 19 mois.
Il est temps d'enchaîner en supprimant tout obstacle à la mise en oeuvre de ce très important traité. Les Nisga'a ont été les premiers à ratifier l'accord, après une importante consultation et un vote auquel ont participé tous les membres adultes de la nation nisga'a. L'accord a été ratifié par l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique après le débat le plus long de l'histoire parlementaire de cette province. Plus de 100 000 exemplaires de l'accord définitif ont été distribués aux citoyennes et citoyens de la Colombie-Britannique. L'assemblée législative provinciale et la Chambre des communes ont tenu des audiences publiques.
Il ne convient pas de laisser des intérêts étroits faire traîner davantage les choses pour tenter de compromettre l'accord conclu de bonne foi par les trois parties. Il ne faut pas transmettre de nouveau à nos frères autochtones le message que nous, les membres de la culture dominante, nous ne sommes tout simplement pas capables de répondre de manière honnête et équitable à une revendication légitime présentée il y a plus d'un siècle. Préféreriez-vous que l'affaire soit réglée par un tribunal? Il y a lieu de se rappeler qu'en 1974 la Cour suprême du Canada est passée à un juge près de déclarer qu'il ne serait pas nécessaire de procéder à des négociations parce que les Nisga'a détenaient le titre de propriété. Les représentantes et représentants élus de la population de la Colombie-Britannique et du Canada et les Nisga'a eux-mêmes ont ratifié l'accord. Il est temps que le Sénat en fasse autant.
Je sais que vous connaissez très bien l'accord, mais j'aimerais revoir certains de ses points saillants avec vous afin de vous indiquer pourquoi je crois qu'il est favorable au Canada, aux Nisga'a et aux familles de travailleurs et travailleuses de la Colombie-Britannique.
Il permettra aux Nisga'a de doter leur communauté d'une base économique et de mettre ainsi fin à 100 ans de dépendance. L'autosuffisance économique permettra de hausser le niveau de vie du peuple nisga'a. En réglant la question territoriale, il permettra aux investisseurs et créateurs d'emplois d'avoir enfin une certaine certitude au sujet des lieux où ils peuvent investir pour créer des emplois dans la région.
Un des reproches que vous entendez probablement au sujet de l'accord, c'est qu'il n'y a pas eu suffisamment de consultation. Pour ma part, j'ai siégé au comité consultatif depuis sa création. Le mouvement syndical, le patronat, les conseils municipaux et les groupes communautaires ont participé à la consultation la plus vaste que nous ayons vue. Si une consultation de ce genre avait été tenue au sujet de l'ALENA, la situation serait très différente actuellement au Canada. Tous les intervenants en question ont été représentés au sein du comité consultatif de négociation des traités et de ses sous-comités, qui ont tenu des réunions cinq jours par mois pendant les six derniers mois, à mesure que se poursuivaient les négociations intenses. Le négociateur forestier de la province a tenu des réunions avec le comité consultatif de négociation des traités à Terrace toutes les deux semaines pendant de nombreux mois. Je crois que l'Accord définitif nisga'a atteint les buts d'équité et d'égalité de toutes les parties.
L'envergure des terres accordées dans l'accord a été très critiquée, mais il faut la voir dans son contexte: 1992 kilomètres carrés sont accordés aux Nisga'a; leur territoire traditionnel s'étendait sur 22 000 kilomètres carrés. Ils ont donc obtenu 8 p. 100 de ce qu'ils demandaient. Cela correspond à deux dixièmes pour cent des terres de la Colombie-Britannique. L'accès aux terres nisga'a à des fins de chasse, de pêche d'utilisation récréative sans prélèvement et d'extraction des ressources est garanti. Même si toutes les revendications territoriales étaient réglées de façon semblable, cela n'influencerait que 5 p. 100 des terres de la Colombie-Britannique.
L'entente sur les impôts a témoigné d'un important changement de position des Nisga'a qui n'a pas été suffisamment reconnu. La mise en vigueur de l'impôt sur le revenu sera échelonnée sur 12 ans et celle de la taxe de vente sur huit ans. C'est une concession majeure et difficile pour les Nisga'a, qu'ils se sont fait reprocher vivement par d'autres Premières nations.
Le montant du règlement financier n'est pas exorbitant si l'on tient compte du fait que les Nisga'a ont attendu une indemnisation pour la dépossession de leurs terres pendant 100 ans: 190 millions de dollars répartis sur 15 ans. Une étude réalisée par KPMG a révélé que la négociation et la mise en oeuvre des traités dans l'ensemble de la province coûteraient annuellement environ 35 $ par ménage. Le coût du règlement avec les Nisga'a revient à 16,50 $ par personne habitant la Colombie-Britannique, et cette somme est répartie sur 15 ans. Un autre élément important du règlement est que l'application de la Loi sur les Indiens aux Nisga'a sera éliminée peu à peu. En l'an 2000, le coût de cette application aura atteint 11 milliards de dollars par année. Puisque celle-ci ne sert à rien et est dégradante et insultante, c'est nettement un progrès.
Bien entendu, l'applicabilité des lois sur l'emploi et le travail comptent parmi nos principaux sujets d'inquiétude. L'accord ne nuit nullement aux relations de travail, au respect des normes d'emploi et des droits de la personne, ni à la santé ou à la sécurité au travail. On ne sait pas, au juste, si c'est le code fédéral ou le code provincial qui sera appliqué, mais puisque les terres nisga'a seront occupées à titre de propriété libre, nous croyons qu'il est plus probable que la législation provinciale s'y appliquera.
La «certitude» est une question qui importait beaucoup au mouvement syndical et au patronat. Elle a d'ailleurs fait l'objet de discussions au cours de nombreuses réunions du comité consultatif de négociation des traités. L'un des avantages de la conclusion de traités, c'est qu'elle élimine l'incertitude. L'accord de principe nisga'a et le traité subséquent définissent clairement les droits des autochtones et indiquent le rapport entre les droits gouvernementaux et les droits issus du traité. Le traité tranche la question de savoir qui exerce les droits à différents égards et crée des possibilités d'investissement et d'emploi.
L'exploitation forestière est une question cruciale pour l'ensemble de la population de la Colombie-Britannique, et particulièrement pour bon nombre de travailleurs et travailleuses syndiqués. L'accord proposé règle cette question de manière amplement satisfaisante. L'exploitation forestière demeurera inchangée pendant les cinq premières années. Les Nisga'a devront atteindre ou dépasser la norme provinciale des pratiques forestières. Ils s'engagent à alimenter les usines locales en fibre de bois pendant 10 ans et ne construiront pas leur propre usine avant 10 ans. La procédure d'approbation semble être supérieure à celle qui est en vigueur actuellement. L'accord définitif assure une meilleure protection aux travailleurs et travailleuses que celle que les entreprises leur ont assurée par le passé.
Le rapport entre les droits de pêche des autochtones et ceux des autres personnes habitant la province compte parmi les questions qui ont été les plus controversées en Colombie-Britannique au cours des 10 dernières années. L'accord proposé règle celle-ci aussi. Les dispositions sont complexes, mais je suis convaincu qu'il a été dûment tenu compte des intérêts des autres pêcheurs. La stratégie prévue semble plus judicieuse que la Stratégie sur les pêches autochtones, car les Nisga'a ne pourront pas vendre de poisson si personne d'autre n'en vend.
J'ai indiqué au début de mon exposé que l'accord est le fruit de décennies de négociations et qu'il est globalement judicieux. Il est sûr que si un négociateur d'expérience, comme je le suis, le dissèque, il y trouvera, comme dans toute convention collective et tout autre traité ou convention, des éléments qu'il désapprouvera. Cependant, il s'agit d'un traité obtenu de longue lutte et par la négociation qui assure l'équité, et c'est là une caractéristique que le mouvement syndical défend fièrement. Tous les Canadiens et les Canadiennes devraient célébrer la fin de l'incertitude et de l'iniquité et le début d'une nouvelle relation d'égal à égal.
Monsieur le président, je vous remercie et je remercie le Sénat de m'avoir donné l'occasion ce soir de présenter le point de vue d'une personne qui participe au processus depuis 10 ans et qui représente 2,3 millions de travailleurs et de travailleuses canadiens.
Le sénateur Grafstein: Je vais commencer par votre dernière phrase. Vous dites que la nouvelle relation sera d'égal à égal. Le Congrès du travail du Canada se préoccupe depuis de longues années des droits des minorités, et je suppose que cela n'a pas changé.
M. Georgetti: Oui.
Le sénateur Grafstein: Avez-vous examiné ce traité et les activités des résidents nisga'a et non nisga'a sur les terres nisga'a à travers le prisme des droits des minorités?
M. Georgetti: Je ne peux vous dire que nous l'avons examiné à travers ce prisme, mais je peux vous dire que nous avons examiné la question à la lumière des droits des non-résidents et des résidents non nisga'a sur les terres nisga'a. Nous pensons que l'application semble, à priori, être équitable et qu'elle saura résister à toute contestation à ce chapitre.
Le sénateur Grafstein: On nous a dit, monsieur Georgetti, que les résidents non nisga'a, qui essentiellement ne possèdent pas de terres, ont le droit de participer et d'avoir leur mot à dire, mais n'ont pas le droit de voter, même s'ils forment une minorité distincte, et ne pourront jamais écraser la majorité, la majorité étant les Nisga'a. Je crois que la proportion est environ de 100 contre 5 000 ou 6 000.
M. Georgetti: En effet.
Le sénateur Grafstein: Les membres de la Nation nisga'a qui vivent hors de leur territoire conservent leur droit de vote, et je n'y vois rien à redire. Je me demande cependant ce que vous en pensez.
M. Georgetti: Le traité crée une autorité administrative territoriale qui relève des Nisga'a. Il stipule que seuls les Nisga'a sont autorisés à se prononcer sur l'utilisation des terres où ils vivent, car elles leur appartiennent. Cela nous paraît acceptable. Quant aux droits des non-résidents ou des résidents non Nisga'a, ils sont prévus par l'accord, qui leur permet de participer aux affaires et de vivre sur ces terres. Cela signifie qu'ils ont le droit de participer aux discussions, mais non au vote.
Le sénateur Grafstein: Estimez-vous cela satisfaisant du point de vue du Congrès du travail du Canada?
M. Georgetti: Oui.
Le sénateur Grafstein: Vous avez parlé de la clarté de l'entente, puis d'incertitude. Vous avez affirmé qu'on ne semble pas savoir lequel des deux codes de travail sera mis en oeuvre, le fédéral ou le provincial. Toutefois, étant donné que le territoire des Nisga'a est une propriété en fief simple, c'est la loi provinciale qui devrait s'appliquer. J'aimerais que vous en parliez, car je ne comprends pas tout à fait la question, et même, elle ne me paraissait pas être un enjeu avant que je ne lise votre mémoire. Encore maintenant, elle ne me paraît pas être un enjeu, mais j'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Georgetti: À l'heure actuelle, dans la province, l'application du code du travail dépend de certaines normes. Si le secteur visé est celui des transports, c'est probablement le code fédéral qui s'appliquera. À l'extérieur du territoire des Nisga'a, on a entendu bon nombre d'arguments au sujet du code à appliquer. Ni emplois ni industries ne se sont installés là, mais on pourrait discuter longuement au sujet du code approprié à appliquer.
Cela demeure incertain parce que nous n'en sommes pas encore arrivés à cette étape. Cependant, il est courant qu'on discute de cela dans la plupart des provinces lorsque les codes du travail se chevauchent ou sont en conflit.
Le sénateur Grafstein: La constitution des Nisga'a ne leur permettrait-elle pas d'amender un code du travail de sorte qu'il s'applique aux activités relevant de leur compétence?
M. Georgetti: Non. Cela n'est pas prévu dans cet accord, et nous a d'ailleurs beaucoup préoccupés. C'est un élément de l'accord que nous avons réalisé avec la collaboration des Nisga'a.
Le président: Monsieur Georgetti, je ne vous demanderai pas de quelle autorité vous préféreriez relever; je vais simplement donner la parole au sénateur Beaudoin.
Le sénateur Beaudoin: Premièrement, au sujet de la taxe de vente et de l'impôt sur le revenu, vous estimez que les Nisga'a ont franchi une étape importante et difficile, et qu'ils ont d'ailleurs prêté le flanc à des critiques très vives à ce sujet de la part d'autres Premières nations. Pouvez-vous développer cela quelque peu?
M. Georgetti: À l'heure actuelle, les populations autochtones qui travaillent sur les terres des autochtones ne paient ni impôt sur le revenu ni taxe de vente. Certains groupes autochtones en cours de négociation tiennent à conserver cette exemption et voudraient la voir inscrite dans la législation fiscale canadienne. Or l'accord intervenu avec les Nisga'a prévoit son élimination. Les Nisga'a ont donc convenu de contribuer aux recettes fiscales du Canada, et par le fait même de bénéficier des mêmes services sociaux que les autres Canadiens. C'est une étape d'envergure, et, d'après mes contacts avec les dirigeants autochtones de la Colombie-Britannique, elle a fait l'objet de nombreuses critiques. Les Nisga'a ont accepté ce tournant important mais ils auraient préféré qu'il ne figure pas dans l'accord. Les réformistes invoquent d'ailleurs le même argument, car il leur déplaît tout autant de payer de l'impôt.
Le sénateur Beaudoin: En second lieu, j'aimerais parler du territoire. Je remarque avec plaisir qu'il représente deux dixièmes de 1 p. 100 de la masse terrestre de la Colombie-Britannique. J'ai entendu citer beaucoup d'autres chiffres à cet égard, mais c'est bien cela.
M. Georgetti: Oui. Une bonne partie de cette masse terrestre contient des montagnes et d'autres choses de ce genre, et elle ne peut donc pas être exploitée en entier.
Le sénateur Beaudoin: Si tous les traités s'alignaient sur celui-ci, ce qui demeure possible, ils auraient une incidence sur au maximum 5 p. 100 de l'étendue de la Colombie-Britannique. Il se peut qu'il s'agisse là d'un précédent. Je ne vois rien à redire, mais qu'en est-il de la situation dans les autres provinces de l'Ouest?
M. Georgetti: Sénateur, c'est le premier traité moderne que nous avons négocié. D'une certaine manière, il créera un précédent à certains égards, tout au moins je le souhaite. Quant à savoir s'il peut s'appliquer dans d'autres provinces, je l'ignore, mais j'ai entendu l'argument spécieux d'après lequel on revendique 110 p. 100 de la masse terrestre de la Colombie-Britannique. C'est peut-être vrai, mais il faut distinguer entre une proposition, un simple projet et le résultat définitif.
Le résultat définitif de l'accord conclu avec les Nisga'a correspond à ce que nous avons dit. S'il devait établir une tendance par rapport à ce que la province et le gouvernement fédéral sont disposés à remettre aux collectivités autochtones dans le cadre du règlement de revendications territoriales, alors cela constituerait un facteur décisif. Je ne suis toutefois pas habilité à répondre à votre question au sujet des autres provinces.
Le sénateur Beaudoin: Je n'ai pas soulevé la question en raison du facteur géographique. Il ne s'agit pas de savoir si cela correspond à 5 ou 6 p. 100 du territoire; c'est une question de justice. Si les autochtones ont ces droits, alors ils les ont. Je suis on ne peut plus d'accord sur le sujet.
Je tiens à vous remercier d'avoir attiré notre attention sur ces faits, car on ne les connaît pas bien. Quoi qu'il en soit, à première vue, cela me paraît raisonnable.
M. Georgetti: Éminemment.
Le sénateur Sibbeston: Monsieur Georgetti, vous nous avez dit avoir participé à ce processus pendant au moins 10 ans. Vous êtes-vous rendu dans les collectivités nisga'a, et y avez-vous rencontré les minorités, c'est-à-dire les quelques non-autochtones qui y vivent, et avez-vous observé leur situation?
M. Georgetti: Non, je n'ai pas été en mesure de rencontrer un seul des non-autochtones vivant sur le territoire des Nisga'a.
Le sénateur Sibbeston: C'est qu'on a soulevé la question des droits des minorités ici. Le sénateur Grafstein l'a fait auprès de M. Fontaine hier matin, et il a relancé cette discussion avec vous aujourd'hui même.
Je suis moi-même d'une petite collectivité autochtone. J'y ai remarqué qu'en général les quelques non-autochtones qui vivent parmi les autochtones sont des professionnels, par exemple des médecins, des infirmières, des enseignants et des administrateurs. En général, ils ont du travail et sont dans une position de pouvoir dans la collectivité. Je n'ai jamais fait l'expérience d'une situation où un non-autochtone vivant parmi les autochtones était soit privé de pouvoir, soit menacé dans ses droits de quelque façon que ce soit. Ils exercent souvent des fonctions de pouvoir. Lorsque le sénateur Grafstein soulève la question des droits des minorités, cela me paraît souvent assez abstrait. Dans les faits, les quelques non-autochtones qui vivent dans les territoires autochtones ne sont pas des voyageurs en vacances. En général, ils sont là en raison de leur emploi. Il s'agit d'agents de la GRC et d'enseignants, et le reste, ainsi que je l'ai déjà dit. Règle générale, ils sont relativement à l'aise, et leurs droits ne sont jamais remis en question. En fait, on peut même affirmer que la population autochtone est généralement d'avis que ces minoritaires jouissent de plus de pouvoirs et de droits qu'elle-même.
Est-ce vrai dans le cas des Nisga'a? Lorsque nous nous interrogeons au sujet des droits des minorités, c'est un exercice plutôt théorique. Dans les faits, la question ne devrait pas nous préoccuper. Si vous ne vous êtes pas rendu dans les collectivités nisga'a, vous pouvez difficilement vous prononcer là-dessus. Toutefois, si vous avez une idée sur la question, j'aimerais bien l'entendre.
M. Georgetti: À ma connaissance, personne ne s'est fait le porte-parole des non-Nisga'a vivant sur les terres nisga'a afin de protester contre l'accord. Si ce groupe était extrêmement préoccupé, je crois qu'on en entendrait parler dans le cadre de ces audiences. Il se peut qu'ils l'aient fait, mais je n'en ai pas entendu parler.
Le président: M. Talstra, maire de la ville de Terrace, témoignera ce soir. Sa collectivité est la plus grande parmi celles qui sont en périphérie des terres nisga'a. Nous allons également entendre M. Bill Young, propriétaire et exploitant de Tillicum Lodge. Il s'agit de personnes ayant de l'expérience à cet égard. Nous pourrons donc leur poser ces questions.
Le sénateur Tkachuk: Peut-on révoquer cet accord? Le gouvernement du Canada peut-il le révoquer?
M. Georgetti: Je l'ignore.
Le sénateur Tkachuk: On nous dit souvent que cet accord est semblable à un traité, mais il ne s'agit pas d'un traité. Vous avez mentionné l'ALENA, mais le gouvernement du Canada peut abroger ce dernier avec un préavis de six mois. Il ne peut cependant pas faire la même chose par rapport à ce projet de loi.
M. Georgetti: J'espère bien qu'il est définitif et qu'il a force exécutoire.
Le sénateur Tkachuk: Il est définitif, a force exécutoire et ne peut être abrogé.
M. Georgetti: Je suis d'accord avec cela.
Le sénateur Tkachuk: Dans ce cas, il faut que nous prenions notre temps et étudiions le projet de loi attentivement, parce qu'il n'y aura pas moyen de se débarrasser de l'accord une fois qu'il sera conclu.
Vous avez mentionné le fait que l'impôt sur le revenu sera mis en oeuvre progressivement sur une période de 12 ans, et la taxe de vente, sur huit ans. Je tiens à comprendre de quoi il est question ici. Êtes-vous en train d'affirmer que l'année prochaine les résidents des terres nisga'a vont commencer à payer de l'impôt? Êtes-vous en train d'affirmer que cela s'échelonnera sur 12 ans, ou plutôt qu'ils ne vont pas payer d'impôt avant 12 ans?
M. Georgetti: À ma connaissance, les taxes seront mises en oeuvre progressivement au cours des 12 prochaines années.
Le sénateur Tkachuk: En conséquence, ils vont commencer à payer l'année prochaine, puis l'année d'après, et encore l'année suivante?
M. Georgetti: Je n'ai pas mon tableau ici.
Le sénateur Tkachuk: C'est important.
M. Georgetti: À la fin de la douzième année, ils paieront le montant intégral de la taxe et de l'impôt.
Le sénateur Tkachuk: Je croyais que la taxe provinciale serait mise en oeuvre sur huit ans et l'impôt fédéral sur 12 ans, et aussi, sur huit ans, une taxe de vente de 8 p. 100. J'ai eu l'impression que la période de mise en oeuvre progressive commençait la huitième année, et non la première. Disposez-vous de faits pour appuyer cela?
M. Georgetti: Je n'ai pas mes tables d'impôt ici, mais je sais qu'il s'agit d'un processus progressif, à la fois pour ce qui est de la taxe de vente et de l'impôt sur le revenu.
Le sénateur Tkachuk: J'ai une question à vous poser au sujet du 35 $ par ménage accordé à toutes les collectivités situées dans toute la province. Le règlement intervenu avec les Nisga'a correspond à 16,60 $ par ménage de la Colombie-Britannique. Est-ce que cela correspond à la part provinciale, à la part fédérale, ou aux deux?
M. Georgetti: Je cite ici la première phrase de l'étude KPMG. La deuxième correspond au même règlement nisga'a lorsque amorti sur 15 ans.
Le sénateur Tkachuk: Il s'agit donc de la part de la Colombie-Britannique, et non pas de la part fédérale?
M. Georgetti: Non. La contribution du fédéral est constante et va chercher 35 $ par ménage.
Le sénateur Tkachuk: À jamais, aussi longtemps que durera le pays?
M. Georgetti: C'est exact.
Le sénateur Andreychuk: Vous semblez d'avis que le peuple nisga'a a attendu très longtemps cette entente, et je suis tout à fait d'accord. Nous aurions dû régler les revendications territoriales immédiatement. Je ne le conteste pas, mais j'espère que vous ne sous-entendez pas que le Sénat doit s'abstenir de faire son travail, c'est-à-dire d'analyser et d'évaluer le projet de loi comme il se doit. Cela a d'ailleurs une valeur éducative, car il y a des choses sur lesquelles on ne s'est pas penché ni dans l'autre endroit ni en Colombie-Britannique. Il y a beaucoup de malentendus au sujet de la teneur de l'accord. À mon avis, le Sénat doit donc étudier tous les aspects du texte afin de veiller à leur conformité avec la loi.
Ici, je suis en désaccord avec mon collègue; ces questions ne sont pas de nature théorique. Nous sommes ici pour étudier leurs conséquences juridiques, ce qui a son importance, mais également pour nous renseigner et renseigner les autres. J'aimerais bien que vous nous disiez ne pas être en désaccord avec l'exercice des fonctions et des responsabilités du Sénat, à savoir son devoir de poser des questions et de veiller à ce que nous comprenions de quoi il est question dans cet accord.
M. Georgetti: Mon intention n'était pas de donner une telle impression. Ces audiences s'inscrivent dans le processus auquel toutes les parties ont donné leur accord. J'encourage donc le Sénat à poser des questions et à obtenir les éclaircissements dont il a besoin dans les plus brefs délais. Nous attendons l'arrivée de ce moment de fierté où nous verrons ce traité ratifié et avoir force de loi à jamais.
Le président: Merci, monsieur Georgetti, d'être venu témoigner devant nous aujourd'hui.
Au sujet de la question de la taxe, sénateur Tkachuk, permettez-moi de vous renvoyer à la dernière version de l'accord intervenu avec les Nisga'a, plus précisément aux paragraphes 7, 8 et 9 de la page 218. La perception des taxes commence à partir du premier jour du premier mois suivant le huitième anniversaire de l'entrée en vigueur; cela correspond à la date de la promulgation de la loi par le Parlement. Toutes les autres taxes commenceront à être perçues à partir du premier jour de la première année civile qui commencera au douzième anniversaire de la date d'entrée en vigueur ou après cette date.
Le sénateur Tkachuk: C'est bien ce que je pensais. Il nous a dit que cela s'échelonnait sur huit ans, mais dans les faits la perception commence la huitième année, tandis que les autres taxes commencent à être perçues la douzième année. Il n'y a donc pas vraiment de période de transition progressive. C'est très clair.
Le président: Le compte à rebours de huit ou 12 ans commencera une fois que le projet de loi aura été adopté et mis en vigueur.
Je vais maintenant demander aux chefs héréditaires des Tsimshian de bien vouloir s'approcher de la table des témoins. Vous êtes les voisins des Nisga'a. Vous les connaissez bien. Nous savons que vous n'avez pas été en mesure de témoigner devant le comité de la Chambre des communes. Vous avez donc l'occasion de faire part de vos idées et de donner votre avis sur l'Accord définitif nisga'a. La parole est à vous.
M. Robert Hill, président, Conseil tribal tsimshian: Monsieur le président, le Conseil tribal tsimshian a été élu afin de représenter les chefs héréditaires de la nation tsimshian. J'estime important de faire une telle précision à l'intention des honorables sénateurs afin d'établir l'autorité dont on nous a investis pour parler au nom des autres.
D'abord, je tiens à vous remercier de nous donner cette occasion de venir témoigner devant vous. Cela nous fait vraiment plaisir d'être chez vous. Je ferai de mon mieux pour vous communiquer l'appui de la nation tsimshian aux enjeux dont vous êtes saisis, particulièrement l'Accord définitif nisga'a.
À titre de renseignement, si je dispose d'une quelconque autorité pour parler au nom de mon chef, c'est grâce à mon bâton d'orateur. Pour nous, c'est assimilable à la masse du gouvernement de la Colombie-Britannique et du gouvernement fédéral, qu'on trouve à la Chambre des communes et au Sénat.
À chaque assemblée annuelle, les chefs héréditaires me passent le bâton d'orateur, me conférant ainsi le pouvoir de parler en leur nom. Bien entendu, lorsque nous nous réunissons, je dois rendre compte de chaque geste posé à leur place. Cette réunion des sénateurs me rappelle d'ailleurs beaucoup nos assemblées de chefs héréditaires. Je me sens très privilégié de pouvoir prendre la parole ici au nom de la nation tsimshian.
J'aimerais d'abord vous présenter M. James Bryant, dont le nom indien est Gil ax aks, qui m'accompagne depuis que j'ai été élu président du Conseil tribal tsimshian. M. Bryant est le porte-parole des neuf chefs héréditaires des Chefs alliés des Lax Kw'alaams.
Nous devons nous rappeler que nos voisins, les Nisga'a, et les ancêtres des Tsimshian, ainsi que leurs ancêtres, se sont rendus à Victoria il y a plus d'un siècle pour s'efforcer de présenter collectivement nos revendications territoriales et d'autres questions liées à nos territoires.
Je suis très heureux de voir l'un des nôtres au sein de votre Chambre, mon frère, M. Harry Nyce, qui est un représentant du Conseil tribal nisga'a. Je connais M. Nyce depuis très, très longtemps. Il est aussi très proche des Tsimshian par alliance. Si j'évoque cela, c'est pour illustrer à quel point nos rapports avec les Nisga'a remontent loin. Nous leur avons offert notre soutien collectif pendant les années de leurs négociations, et ce, par l'entremise de la Native Brotherhood of British Columbia (Fraternité autochtone de la Colombie-Britannique). C'était le seul organisme où nous pouvions nous réunir pour aborder la question des revendications territoriales, car à l'époque il était illégal pour nous d'étudier cette question.
Je vais maintenant vous donner une idée de l'étendue de nos recherches sur les Nisga'a. En effet, à notre manière, nous avons effectué des recherches assez poussées, surtout au sujet des ancêtres qui nous ont quittés il y a longtemps. Ce sont eux qui assoient l'autorité des Tsimshian en ce qui concerne nos frères, les Nisga'a.
En 1974, les neuf chefs héréditaires des Tribus alliées ont rédigé une revendication territoriale correspondant à leur territoire et l'ont soumise au gouvernement du Canada, tout simplement parce qu'à l'époque le gouvernement de la Colombie-Britannique ne bougeait pas à cet égard. En même temps, les sept collectivités de la nation tsimshian ont constitué un autre organisme, appelé le Conseil de la nation tsimshian. De 1982 à 1985, on a accepté de réexaminer les revendications des Tribus alliées ainsi que celles du Conseil de la nation tsimshian.
C'est de cela que j'aurais besoin de vous entretenir. Je vais donc demander d'abord à M. Bryant de prendre la parole au nom des Tribus alliées, et de vous nommer ces dernières.
M. James Bryant, négociateur en chef, Tribus tsimshian alliées: Je porte le nom amérindien de Gil ax aks. Je vis au sein de la tribu des Gitwakowich, qui fait partie de la maison du Madeek, le symbole de l'ours grizzli.
Au sein des Tribus alliées tsimshian de Lax Kw'alaams, on trouve la tribu des Gitwilgoits, à laquelle j'appartiens, et la maison qui me représente, celle du Madeek; la tribu des Gitsees; la tribu des Gitnadoiks; la tribu des Gitspaxloats; la tribu des Gitlan; la tribu des Gitzaxlaal; la tribu des Ginaxangiik; la tribu des Gitandoah; et celle des Gitluzau. Je suis le porte-parole des chefs héréditaires de toutes ces tribus.
Il y a lieu aussi de rappeler la force de l'une des tribus des Gitspaxloats, qui est évoquée par des pétroglyphes dans diverses régions: ainsi par exemple, entre la baie Fishery et Lakalzap, ce qui correspond à Greenville: près de Irondale, à Three Mile Rock; à Ten Mile Point; ainsi que dans la rivière Skeena, dans la région de Kinitsa. On en trouve aussi un très grand gravé dans la pierre du canyon Kitsalas, et qui représente le visage du chef héréditaire et 12 boucliers qui illustrent ses pouvoirs en matière de commerce avec les autres nations.
J'aimerais aussi vous citer un extrait du document intitulé: «A Review of Archival Materials for Information Pertaining to Tsimshian Use and Occupation of the Nass Area» (examen des archives relatives à l'usage et à l'occupation par les Tsimshian des terres entourant la rivière Nass). Les recherches portant sur l'autoroute Greenville-Kincolith ont été effectuées par Susan Marsden en septembre 1997. Vous en avez reçu copie, monsieur le président.
J'aimerais citer le passage suivant, tiré de la page 25:
Parmi les intérêts des Tsimshian situés à l'embouchure de la rivière Nass et remontant aux périodes les plus anciennes, on compte les villages ou établissements situés à Gitksidzox, à Greenville et le long de la rivière Kincolith. Tout renseignement archéologique provenant de ces lieux peut avoir énormément d'importance pour les Tsimshian, surtout pour les descendants tshimshian des Gitksidzox, des Gitlaan, des Gits'iis et des Laxtiyok. Les sites de Kincolith et Greenville ont peut-être été trop bouleversés pour qu'on y mette au jour des pièces archéologiques d'envergure, mais un lieu aussi riche de possibilités que celui de Gitksidzox justifie d'importantes mesures de protection archéologique, sinon le statut de site patrimonial protégé. On trouve rarement chez les Adawx le parallèle de ces nouvelles virtualités de connaissances archéologiques des anciennes cultures tsimshian et nisga'a, et en l'occurrence ces sites constituent un témoignage sans égal de l'histoire et de la culture des Tsimshian.
En outre, l'exploitation des pêches d'eulakane par les ancêtres des Tsimshian, qui vivaient à l'embouchure de la rivière Nass et dans la région du col de Metlakatla, indique certainement qu'on s'intéressait à la pêche à l'eulakane aux temps les plus anciens. La pêche intensive annuelle à l'eulakane à laquelle s'adonnent les Tsimshian deux ou trois mois par année depuis des millénaires fait de la région en amont jusqu'à Fishery Bay et en aval jusqu'à la fin de la zone IR 13 (et peut-être plus bas) l'une des plus importantes sur le plan historique et économique aux yeux des Tsimshian.
Le document qui vous a été soumis comportait de petites cartes géographiques en annexe. Nous tenions avant tout à vous faire saisir l'importance que représentent ces pêches par rapport aux droits autochtones du peuple tsimshian.
M. Hill: J'aimerais vous lire un document que nous vous avons fourni et qui est intitulé: «Exposé de la Nation tsimshian présenté au comité permanent des affaires autochtones». Nous vous avons également communiqué le traité des voyages dans le nord-ouest ainsi qu'un protocole d'entente intervenu entre la nation nisga'a et la nation tsimshian. Voilà pour les principaux documents que nous vous avons soumis.
La nation tsimshian porte également le nom de Conseil tribal tsimshian. Elle est constituée des sept Premières nations tsimshian de Kitselas, Kitsumkalum, Lax Kw'alaams, Metlakatla, Kitkatla, Gitga'at et Kitasoo/Xaixais. Nous comptons également une autre collectivité où nous nous rendons souvent; il s'agit de celle de Metlakatla, située en Alaska, plus précisément sur l'île Annette.
Notre territoire traditionnel couvre quelque 13 000 milles carrés dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique. Cela englobe les régions de Terrace et de Prince Rupert. La Nation tsimshian regroupe quelque 10 000 membres, bien que les gouvernements provincial et fédéral ne reconnaissent que les 7 000 Tsimshian inscrits en vertu de la Loi sur les Indiens.
La plupart de nos membres habitent dans le nord-ouest et au sein de la région représentée par la circonscription fédérale de Skeena. Notre nation est l'une des voisines des Nisga'a, et nous partageons avec eux une frontière commune dans les bassins hydrographiques des rivières Skeena et Nass. Notre territoire traditionnel est aussi constitué d'un tiers de la côte actuelle de la Colombie-Britannique et d'un tiers du bassin versant de la rivière Skeena. Il est donc assez vaste. Nous vivons aussi à côté de la grande nation des Haida, avec laquelle nous entretenons de bons rapports, ce que vous trouverez confirmé dans les documents que nous vous avons remis.
Nous partageons une longue histoire avec les Nisga'a, entremêlée de guerres et d'amitié, de mariages, de fêtes, de rapports de commerce, et marquée au coin du respect de nos cultures respectives et semblables. Nous avons également tiré parti des exigences politiques de notre monde contemporain. Ainsi, par exemple, au cours des 10 dernières années, nous avons signé deux ententes officielles avec nos voisins, les Nisga'a. La première, le Traité des tribus du Nord-Ouest, a été signée le 11 février 1991 à Prince Rupert, et il a reçu l'aval non seulement des Tsimshian et des Nisga'a, mais aussi d'autres Premières nations établies dans la même région du nord de la Colombie-Britannique.
Son objet principal était et demeure de favoriser et de protéger nos intérêts communs dans la région du Nord-Ouest du Pacifique. Le second pacte est intervenu en 1996, lorsque, avec les Nisga'a, nous avons participé à une cérémonie traditionnelle très historique, qui confirmait nos rapports et renouvelait notre engagement, tout en affirmant notre respect mutuel et en reconnaissant que nous partagerions le même avenir. Il s'agit d'un protocole d'entente signé par la nation nisga'a et la nation tsimshian le 7 novembre 1996. Il porte sur notre frontière commune et sur nos besoins partagés en matière de ressources. Bien sûr, ce document figure lui aussi parmi ceux que nous vous avons communiqués.
Nous maintenons notre appui aux efforts de développement déployés par les Nisga'a par le biais de l'Accord définitif nisga'a, bien que nous ayons quelques préoccupations. D'abord, nous n'aimerions pas que cet accord devienne le modèle ou la référence obligée en matière d'établissement de traités en Colombie-Britannique. Le peuple tsimshian est semblable aux Nisga'a, mais quand même différent d'eux. Nos besoins, nos aspirations et nos valeurs doivent être pris en compte dans le processus de négociation des traités. Bon nombre d'autres Premières nations exigeront la même chose dans le cours des négociations menant à des traités, qu'il s'agisse du processus de la Commission des traités de la Colombie-Britannique ou bien d'un autre.
Nous craignons aussi que l'Accord définitif nisga'a ne contienne des dispositions restreignant l'exercice de certains droits par les Tsimshian sur des terres ou des territoires dont on n'a pas traité en profondeur dans le protocole d'entente de 1996.
Nous aimerions continuer à faire confiance au protocole d'entente, mais bon nombre de nos membres s'inquiètent de la possibilité de perdre des droits de pêche commerciale dans la région entourant la rivière Nass. Ils redoutent que leur pêche historique ne leur soit fermée par les Nisga'a ou que le système de gestion de la faune des Nisga'a ne restreigne diverses activités de notre peuple. Nous sommes aussi préoccupés par les nombreux débats qui se poursuivent au sein des Tsimshian au sujet de leurs rapports avec les Nisga'a ou avec d'autres nations, et même avec le public en général, au sujet des frontières exactes des territoires traditionnels. Il ne fait aucun doute qu'il faut en arriver à un processus précis si l'on veut signer des traités satisfaisants en Colombie-Britannique. Nous avons proposé qu'une entente relative à des frontières juridiquement reconnues s'inscrive dans les négociations sous la forme d'une entente de principe.
Il semble que l'Accord définitif nisga'a et l'adoption du projet de loi C-9 soient quasiment un fait accompli. Nous les avons appuyés, bien que nous nourrissions certaines réserves. La prise en compte par le Sénat des questions que nous venons de mentionner n'altérerait pas le contenu de l'accord, mais nous serait utile. Après tout, un jour nous prévoyons que vous vous pencherez sur les dispositions d'un accord relatif aux nations tsimshian.
J'aimerais conclure par certaines remarques. Grâce à des négociations poussées qui ont tenu compte des enjeux chers à leur peuple, les Nisga'a sont arrivés à un accord avec la Colombie-Britannique et le Canada. Nous félicitons les trois parties d'avoir conclu cet accord, qui fait époque en Colombie-Britannique. En effet, le traité signé avec les Nisga'a sera à la source de bon nombre d'avantages pour la région du nord-ouest de la Colombie-Britannique. Il permettra aux Nisga'a de travailler avec d'autres ordres de gouvernement afin d'améliorer la qualité de la vie de tous les habitants du nord de la Colombie-Britannique. Leur participation directe à leurs services d'enseignement et de santé, aux affaires économiques et à la mise en valeur générale de la collectivité sera très positive. Cela dit, le traité serait encore plus impressionnant s'il tenait compte de nos préoccupations.
Je tiens à remercier chacun des membres de votre Chambre, monsieur le président, de nous avoir donné l'occasion de prendre la parole aujourd'hui.
Le président: J'aimerais vous préciser que cette salle porte le nom de Salle de comité des autochtones. Ainsi que le sénateur Watt vient de me le rappeler, peut-être faudrait-il l'appeler notre chambre conjointe. Quoi qu'il en soit, vous êtes les bienvenus ici, car c'est votre place.
J'aimerais commencer par poser une question, après quoi mes collègues pourront en poser d'autres.
J'aimerais savoir si vous avez réglé vos revendications territoriales qui se chevauchent avec les peuples gitxsan et gitanyow.
M. Hill: Pour répondre brièvement, oui, pour ce qui est des Gitxsan. À ma connaissance, les Gitxsan et nous-mêmes nous sommes entendus là-dessus, et l'une des collectivités a signé l'entente il y a déjà quelque temps.
Pour ce qui est des Gitanyow, nous avons essayé de faire intervenir d'autres Premières nations, comme les groupes signataires du Traité des tribus du Nord-Ouest, et nous allons les réunir de nouveau afin que d'autres parties s'efforcent de résoudre l'impasse entre les Nisga'a et les Gitanyow. Croyez-moi, il s'agit là d'une entreprise considérable. Nous avons déjà tenu deux réunions à Terrace pour discuter du sujet.
Le président: Récemment?
M. Hill: Je crois que la dernière réunion portant sur les Gitanyow a eu lieu il y a peut-être trois ou quatre ans, si ma mémoire ne me trompe pas.
Le président: Depuis lors il n'y a pas eu d'échange?
M. Hill: Non. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles les chefs héréditaires des Tsimshian m'ont demandé de faire cet exposé devant vous aujourd'hui. Il y a bien eu des lettres d'envoyées, dont je suis sûr que vous avez reçu copies, et qui ne soutiennent pas nos frères, les Nisga'a, contrairement à ma position. Notre soutien à nous s'explique du fait que nous pouvons compter sur un processus permanent d'échange avec la nation nisga'a. Le plus récent exemple de cela se trouve, bien entendu, dans le projet d'autoroute devant relier Kincolith et Greenville, que M. Bryant a d'ailleurs évoqué. Je pourrais ajouter qu'un excellent comité a été mis sur pied pour étudier cette même question.
Le président: En tant que comité du Sénat, nous souhaitons très vivement voir les peuples du nord-ouest régler eux-mêmes leurs problèmes. C'est d'ailleurs ce que les Nisga'a nous ont affirmé, tout comme les Gitxsan; et je suis sûr que les Gitanyow seront du même avis.
Cela dit, Elmer Derrek, des Gitxsan, nous a fait part de ses préoccupations du fait qu'il n'existe aucun processus de négociation entre son peuple et les Nisga'a afin de résoudre la question des frontières qui se chevauchent. Il nous a demandé de lui venir en aide. Or, le comité n'est pas un tribunal d'arbitrage dans ce genre de différend. Notre mandat est de voir si le projet de loi répond à l'intérêt du public, mais nous aimerions certainement entrevoir un règlement. Estimez-vous que les pourparlers avec les Gitxsan peuvent reprendre bientôt? Qu'est-ce qui fait obstacle à cela?
M. Hill: Monsieur le président, si vous faites allusion à l'impasse entre les Nisga'a et les Gitanyow, je souhaite la même chose que vous. Je pense que l'obstacle s'enracine dans les deux nations. Par conséquent, il serait bien qu'une troisième Première nation vienne nous prêter main-forte pour dénouer cela, et il devrait toujours être possible d'y recourir.
J'ai lu les documents que vous ont présentés M. Derrek et M. Ryan, et après nombre de réunions sur le sujet, je dois avouer que la situation est difficile. Toutefois, je ne pense pas que nous ayons épuisé toutes les possibilités.
J'aimerais bien que les Nisga'a et les Gitanyow se réunissent, ce qui serait possible sous le parrainage des signataires du Traité des tribus du nord-ouest. Il y en a dix, qui grâce à ce simple et puissant document ont résolu des questions liées au partage des ressources.
Le président: S'agit-il du document du 11 février 1991?
M. Hill: C'est exact. J'estime que nous n'avons pas épuisé toutes les possibilités. Cela dit, M. Derrek a plaidé en faveur de choses qui sont de son ressort et non du nôtre. S'il le souhaite, à mon avis les sénateurs devraient pouvoir lui donner tout l'appui dont il a besoin.
Le président: J'ai remarqué qu'en dépit de vos objections vous appuyez l'accord et recommandez son adoption.
M. Hill: Oui.
Le président: Vous êtes donc disposés à travailler en collaboration avec les Nisga'a afin de régler les problèmes encore non résolus. Cela dit, je crois que M. Derrek nous a dit souhaiter l'appui du comité afin qu'on puisse relancer les discussions. Je ne pense pas qu'il demandait que nous résolvions les problèmes à sa place.
M. Hill: Voilà qui rétablit les faits.
Le président: Il a même laissé entendre que c'est aux collectivités autochtones qu'il revient de se saisir de ces questions, et pas à nous. Vous n'avez pas besoin de rétablir les faits.
Je tiens à répéter ce sur quoi vous et moi nous entendons, à savoir que c'est d'abord et avant tout aux collectivités des tribus du Nord-Ouest qu'appartient la responsabilité de régler ces questions.
M. Hill: Oui.
Le sénateur Christensen: Pourriez-vous développer quelque peu votre remarque au sujet de l'accord nisga'a devenant le modèle de tous les autres traités à venir en Colombie-Britannique?
M. Hill: Oui. Je savais que le sujet serait soulevé, et, franchement, je n'étais pas disposé à répondre à des questions là-dessus, parce qu'il est entendu d'avance que nous ne pouvons fonder les limites des terres revendiquées sur la population qui y habite.
Par ailleurs, il y aurait lieu aussi d'étudier attentivement la question des minorités qui vivent au sein des Premières nations. Il y a quelque 112 ans, nous vous avons accueillis à bras ouverts et vous avons donné les pouvoirs sur lesquels le sénateur si bien renseigné posait des questions, et nous faisons de même aujourd'hui. Nous accueillons chaleureusement des gens d'autres races dans nos territoires.
À mon avis, les Nisga'a sont arrivés à un tournant. En dépit de nos différends au sujet des frontières des terres revendiquées, il est incontestable qu'ils ont réussi à conclure leur traité. Il s'agit en effet de leur accord, et, quant à nous, nous espérons atteindre un jour la même étape, quelles que soient les terres que nous revendiquerons. Si j'ai parlé d'éviter de considérer ce traité comme un modèle, ou comme une référence obligée, c'est qu'en dépit de notre culture partagée avec les Nisga'a, nous sommes très différents d'eux et vivons séparés. Cela dit, M. Nyce et moi pouvons converser dans nos langues respectives et néanmoins nous comprendre. C'est dire comme nous sommes proches les uns des autres.
J'estime que les autres nations situées dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique ont des besoins divers. Il a fallu aux Nisga'a plus d'un siècle pour atteindre cette étape, mais on s'attend à ce que nous franchissions le même parcours pour en arriver à un traité dans les six ans qui viennent. Nous sommes rendus à la quatrième étape, et nous espérions pouvoir signer une entente de principe l'année prochaine; cependant, notre nation estime que l'atmosphère politique actuelle en Colombie-Britannique ne se prête pas à cela. L'accord de principe est donc hors de notre portée pour le moment.
M. Jack Talstra, maire, ville de Terrace: Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de m'avoir invité à prendre la parole devant vous ce soir. La ville de Terrace, située dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique, compte une population de 12 600 personnes et une population régionale totale de 22 000 personnes. Elle est établie dans les territoires historiques des Tsimshian et est une voisine immédiate de la vallée de la Nass et de son peuple, les Nisga'a.
Terrace est née comme village consacré à l'agriculture et à la coupe du bois, à l'époque où le chemin de fer du Grand Tronc du Pacifique a progressé vers l'Ouest, depuis Edmonton jusqu'au Pacifique, plus précisément à Prince Rupert, au début du XXe siècle. Aujourd'hui, la ville est le centre de vente au détail et de distribution commerciale du Nord-Ouest, principalement en raison de sa situation stratégique, au carrefour de l'autoroute 37 venant de Kitimat et reliant le Yukon et de l'autoroute 16, qui se dirige vers l'ouest, jusqu'au port de Prince Rupert.
La population de la région de Terrace est constituée de groupes divers d'Européens immigrés, d'un groupe minoritaire francophone assez important, et plus récemment d'immigrants venant de l'Inde, des Philippines, de la Chine et d'autres pays asiatiques. La ville est aussi un lieu de rencontre de nombreuses Premières nations, y compris les Tsimshian, les Nisga'a, les Gitanyow, les Gitxsan, les Wetuwetsen, les Haisla, les Haida, les Talhtan, et même de quelques Dénés. Les autochtones constituent environ 15 p. 100 de notre population. Bon nombre d'entre eux vivent de façon permanente en ville. Nous sommes une collectivité en pleine croissance, dynamique, diverse et énergique.
Après avoir été maire de Terrace pendant 14 ans, j'ai reçu un autre mandat de trois ans de la part de mes électeurs en novembre dernier. Auparavant, j'ai été conseiller municipal pendant six ans. J'ai été le directeur délégué de la ville auprès du district régional de Kitimat-Stikine pendant toute cette période de 20 ans, et j'en ai été le président pendant six ans. À l'heure actuelle, je représente le district régional auprès de l'autorité financière municipale de la province, et j'ai exercé les fonctions de président de divers comités. J'ai participé aux négociations relatives à l'accord nisga'a en tant que représentant local auprès du comité consultatif des traités, et à titre d'agent de liaison du conseil de ville auprès de l'Union des municipalités de la Colombie-Britannique, les premières années des discussions entourant ce même accord.
Je suis ici ce soir à titre personnel, mais aussi en tant que représentant du conseil de ville de Terrace, afin de vous communiquer notre appui de principe à l'accord nisga'a et notre souhait de le voir mis en oeuvre. Cela ne signifie pas que nous n'avons aucune préoccupation. Nous en nourrissons évidemment en tant que collectivité, et en tant que citoyens du Canada vivant auprès de nos voisins, les Premières nations; cela dit, ces réserves nous paraissent surmontables. Dans l'ensemble, nous souhaitons que l'on adopte le traité tel quel, sans laisser traîner les choses, afin que nous puissions concentrer nos énergies et notre imagination à sa mise en oeuvre plutôt qu'à de vieilles discussions et à d'anciens différends.
Dans la cause historique Delgamuukw, la Cour suprême du Canada a affirmé ce que nous avons toujours su à Terrace. À la fin de leurs délibérations, les juges ont en effet dit: «Admettons-le, nous sommes tous ici pour y rester.» Ces simples paroles revêtent un sens profond. La population de Terrace ne va jamais s'en aller, ni les peuples de la vallée de la Nass, et, en raison de ce simple fait et de cette réalité très puissante, nous cherchons à résoudre les différends non encore réglés grâce à un processus de traité. Les solutions de rechange au traité sont tout simplement inacceptables pour ceux qui vivent dans notre région maintenant ou pour ceux de l'avenir.
Qu'en est-il alors du traité des Nisga'a? Les citoyens de Terrace et de la région environnante ont quatre préoccupations principales: d'abord, que le traité apporte des certitudes et un règlement définitif; deuxièmement, qu'il favorise le bien-être économique de tous les citoyens, autochtones et non autochtones, et qu'à cette fin, on conserve les mécanismes y menant; en troisième lieu, qu'il continue à améliorer notre qualité de vie; et quatrièmement, qu'il assure l'avenir de nos enfants dans cette partie du pays.
En tant qu'administrations locales, nous tenons à ce que les règlements menant à des traités soient sûrs et définitifs, c'est-à-dire que le résultat des négociations vienne achever le processus de règlement des revendications encore en instance de la part des Premières nations. Pour ce qui est des droits et des titres de propriété des autochtones, nous espérons que l'accord les établira le plus possible de façon définitive et certaine, tout en reconnaissant que l'autonomie gouvernementale pour les autochtones pourra évoluer de façon dynamique, tout comme c'est le cas des administrations municipales. Cela permettra à tous les citoyens de la Colombie-Britannique de faire des progrès économiques et sociaux et de vivre dans des collectivités durables.
De l'avis de mon conseil, et aux yeux de l'Union des municipalités de la Colombie-Britannique, organisme qui regroupe les municipalités de la Colombie-Britannique, l'Accord définitif nisga'a pour l'essentiel est conforme aux politiques et aux principes municipaux en matière de besoin de stabilité. Ses dispositions prévoyant les amendements et les modifications sont conçues pour évoluer en parallèle avec la société, et, de concert avec celles qui portent sur le règlement des différends, elles promettent une assez grande certitude.
Cela dit, il ne fait aucun doute que la mise en oeuvre d'un traité qui découlerait de l'Accord définitif nisga'a puisse entraîner des modifications, soit par entente mutuelle, soit à la suite du recours au mécanisme de règlement des différends, tel que stipulé dans le texte. Cela nous paraît inévitable, étant donné la nature évolutive de l'autonomie gouvernementale des autochtones, et les possibilités de chevauchement avec d'autres revendications autochtones, la mise en oeuvre de mesures financières découlant d'arrangements intergouvernementaux et de l'évolution des circonstances, et d'autres circonstances imprévues, dont on ne peut prédire et donc préciser la nature au moment de la rédaction du texte.
La définition des droits au sens de l'article 35 et la cession au Canada des droits non définis au sens de l'article 35 sont des pierres de touche importantes du traité en matière de certitude. À notre avis, les imprévus de la mise en oeuvre sont pris en compte par l'accord, ce qui est tout à fait normal et nécessaire si l'on veut une application souple des conditions et des principes qui le sous-tendent. C'est en ce seul sens que l'Accord définitif nisga'a comporte certaines incertitudes et des dispositions plus ouvertes que définitives.
L'Accord définitif nisga'a ne se conforme pas au modèle de l'UMCB de cession ou de cession partielle, car il ne cherche pas à mettre fin aux droits des autochtones. Toutefois, les Nisga'a cèdent effectivement au Canada les droits non définis au sens de l'article 35, à moins qu'ils ne soient expressément inscrits dans le texte de l'accord. En outre, le texte se conforme aux principes régissant les décisions en matière de certitude dans les négociations relatives au traité, tels qu'ils figurent dans l'énoncé de 1995 de l'Union des municipalités de la Colombie-Britannique. On définit les droits des Nisga'a; on établit clairement les frontières des territoires des Nisga'a. On définit la compétence du gouvernement nisga'a, et on établit clairement les rapports entre les lois nisga'a et celles des gouvernements fédéral et provincial.
La Colombie-Britannique conserve sa compétence sur les activités effectuées dans les terres de la Couronne situées à l'extérieur des terres nisga'a. Quant aux droits dont jouissent les Nisga'a à l'extérieur des limites de leurs terres, ils sont définis de façon très précise. Bon nombre de ces droits sont complexes de par leur nature et leur mise en oeuvre, mais le fait qu'ils aient fait l'objet d'une définition et d'une entente améliore sensiblement la certitude pour la population. Le conseil municipal de Terrace se sent donc à l'aise face à cette question.
Je vais maintenant passer aux préoccupations de nature économique. Le rapport préparé par le groupe d'experts-conseils ARA Consulting Group Inc. pour le compte du ministère des Affaires autochtones de la Colombie-Britannique et du Bureau fédéral de négociation des traités du gouvernement du Canada, qui date de décembre 1995, comporte des observations qui correspondent à ce que nous avons vu dans notre propre région. Certaines des grandes tendances observées ailleurs après la signature de traités nous rassurent. Mentionnons entre autres que les controverses ayant précédé ou accompagné les négociations des revendications s'atténuent pendant la période de mise en oeuvre; que les réactions du milieu des affaires deviennent plus favorables au règlement au fur et à mesure que les avantages en deviennent plus connus; que les règlements n'ont pas entraîné de modifications profondes pour les non-autochtones; qu'il faut mettre en place des règles et des processus clairs en matière d'investissement ou de développement afin de créer un climat de certitude à la suite du règlement; que dans bien des cas les règlements ont vu naître des alliances plus fortes entre les sociétés autochtones et non autochtones; que des groupes d'autochtones se sont lancés dans toute une gamme d'entreprises et ont cherché à s'associer à des entreprises non autochtones qui se soucient assez souvent de développement communautaire; que l'on a besoin d'encourager l'enseignement et la formation pour tirer le plus d'avantages possible à la suite d'un règlement; et enfin que les sociétés tant autochtones que non autochtones profitent du règlement de ces revendications pour se sensibiliser davantage à leurs modes de vie respectifs ainsi qu'à leurs valeurs culturelles.
Nous croyons au traité nisga'a, nous croyons que l'on devrait maintenant s'occuper de la mise en oeuvre de ce traité. Il est essentiel de commencer maintenant à faire comprendre ce que cela va représenter pour les autochtones et les non-autochtones. La ville de Terrace croit que c'est possible en partageant la gestion des ressources, en augmentant l'interaction commerciale à la fois par des investissements autochtones privés et par des entreprises en coparticipation et en parvenant à une meilleure sensibilisation culturelle par la communication au cours du processus de négociation.
Pour ce qui est des valeurs socioculturelles et de style de vie, nous voulons tous un meilleur style de vie à la fois pour nous et pour nos enfants. La ville de Terrace croit que le processus du traité est une façon d'améliorer le bien-être commun, pour les Nisga'a et pour nous, pour le présent et pour l'avenir.
Comme cela est indiqué dans le rapport ARA, le succès des traités dépend des solutions spécifiques que l'on trouve à des problèmes spécifiques. Les Nisga'a et les non-Nisga'a sont capables de trouver de telles solutions en coopérant à des efforts productifs à la fois dans le processus de négociation et après, ce qui servira tous ceux qui vivent dans le Nord-Ouest sur le plan social, sur le plan culturel et dans d'autres relations enrichissantes.
Je ne sais pas si le mandat du Sénat couvre la mise en vigueur, mais nous voulons insister là-dessus. C'est la quatrième partie de notre exposé.
Comme le savent les sénateurs, au début, les négociations relatives au traité nisga'a étaient extrêmement fermées et ne comptaient que des équipes de négociation fédérale, provinciale et nisga'a. Les gens de la région et ceux qui pouvaient être touchés par le traité en étaient exclus. Finalement, après beaucoup de protestations et de pressions de la part de la ville, le processus a été ouvert, et des comités consultatifs régionaux et locaux ont été créés pour donner leur point de vue. Aux derniers stades de la négociation, la province a autorisé un représentant municipal à faire partie de l'équipe de négociation provinciale. Le gouvernement fédéral, bien qu'on le lui ait demandé, a toujours refusé une telle participation locale à son équipe de négociation. Je crois que cela a gêné le processus.
Toutefois, la section 5 du chapitre 21 du traité prévoit un comité de mise en application. La ville a respectueusement demandé au gouvernement fédéral de nommer une ou plusieurs personnes locales qualifiées pour la représenter à ce comité. L'adoption d'un plan de mise en application sensible aux besoins de tous ceux qui vivent dans le nord-ouest est essentielle pour l'évolution qui va s'imposer dans les prochaines années.
Nous tous qui vivons dans le nord-ouest voulons jouir d'un meilleur avenir. Nous savons que les traités ne sont pas une panacée, mais nous savons aussi qu'ils ne sont pas une lourde menace. Ils sont un outil parmi beaucoup d'autres qui nous facilitent la prospérité sociale et économique.
Le traité nisga'a donne aux autochtones et aux non-autochtones la possibilité de se tracer un avenir commun et un cadre de collaboration. La ville de Terrace s'en réjouit. Commençons le nouveau millénaire avec une vigueur et une foi renouvelées. Nous voulons du bien à nos voisins nisga'a. Faisons marche ensemble dans le cadre de ce nouveau traité.
Le président: Merci de votre exposé, monsieur. C'était très intéressant, venant d'un administrateur public élu qui a eu une longue carrière dans la région.
Je voulais que vous sachiez que le comité sénatorial des peuples autochtones examine continuellement tous ces accords. Nous continuerons ainsi à examiner ce document important qu'est l'accord définitif, même une fois qu'il sera devenu loi. Nous suivons ce qui se passe après; cela fait partie de notre mandat concernant les affaires des peuples autochtones. Si vous ou votre successeur avez des points de vue à nous communiquer ultérieurement, nous serons très heureux de les recevoir.
M. Talstra: C'est très réconfortant, monsieur le président.
Le président: Un des éléments les plus importants du traité, qui est en fait analogue au traité plutôt qu'un élément de celui-ci, c'est la procédure de mise en application à laquelle vous faisiez allusion. Étant donné que le comité de mise en application est mis sur pied par les signataires, dont les Nisga'a, et non pas seulement par le gouvernement fédéral, avez-vous eu des discussions avec les Nisga'a?
M. Talstra: Nous n'en sommes pas encore arrivés tout à fait à ce stade, bien que j'aie reçu un message d'un membre nisga'a de Greenville il y a environ une semaine me disant qu'ils discutaient de mise en application et qu'ils aimeraient m'inviter à leur réunion. Malheureusement, c'était justement au moment où je devais être ici. En tout cas, l'invitation est venue, ce qui est très encourageant.
Le président: M. Harry Nyce est ici. Il sait que vous êtes ici. Il sait donc que vous n'êtes pas parti jouer au golf en Arizona.
M. Talstra: J'ai une bonne excuse.
Le sénateur Wilson: Vos commentaires sur la mise en application sont intéressants. Vous avez dit que la province avait accepté dans son équipe de négociation un représentant municipal, mais que le gouvernement fédéral l'avait refusé. Pourquoi?
Vous dites au paragraphe suivant que la ville de Terrace a demandé au gouvernement fédéral de nommer une ou plusieurs personnes qualifiées pour la représenter au comité. Pourquoi?
M. Talstra: Les négociations nisga'a sont devenues plus sérieuses ces quatre ou cinq dernières années. À titre de non-Nisga'a et de non-autochtones, mais ayant une forte population dans la région, nous nous sommes sentis un peu écartés. Je ne sais pas si vous connaissez le syndrome que nous ressentons beaucoup à Terrace, à savoir que plus on est loin d'Ottawa ou de Victoria, plus on a l'impression que l'on n'est pas représenté convenablement. Même si l'on vous représente, on a des doutes.
Vivant là, nous avions l'impression que nous ne devrions pas être écartés. Nous sommes en première ligne. Nous essuyons les conséquences de tout ce que peuvent donner ces négociations. À notre avis, ceux qui négocient le traité rentrent chez eux à Victoria et à Ottawa. Toutefois, nous sommes là avec nos problèmes. Nous avions donc l'impression que nous devrions pouvoir participer au processus.
Ce n'était pas simplement cela. Nous connaissons ces gens-là, les Nisga'a et les Tsimshian. De façon générale, nous nous entendons assez bien avec eux. Ils nous connaissent. Ils savent que nous devrons vivre côte à côte ces 100 ou 200 prochaines années. Nous avions l'impression que nous pourrions donner notre avis aux équipes de négociation fédérale et provinciale. En effet, si quelque chose se présentait et qu'il fallait prendre une décision dans un sens ou dans l'autre, nous pouvions donner notre avis. C'est pourquoi nous avons demandé d'être inclus.
L'Union des municipalités de la Colombie-Britannique nous a défendus à cet égard et a fait pression avec nous sur le gouvernement provincial. Finalement, le premier ministre Harcourt nous a accordé ce que nous demandions. Son gouvernement a retenu les services d'une personne que nous avons sélectionnée nous-mêmes, un ancien maire de Kitimat qui est maintenant à la retraite et qui est devenu membre de l'équipe de négociation provinciale et a à mon avis apporté une contribution importante.
Nous avons écrit au ministre des Affaires indiennes, ici à Ottawa, pour demander la même chose. La réponse que nous avons reçue était très brève: simplement que l'on n'accepterait pas cette demande. Pourquoi, je ne le sais pas. Ils n'ont pas donné d'explication.
Le président: Les voies du gouvernement fédéral sont mystérieuses, même pour nous.
Le sénateur Grafstein: Votre exposé a été très utile et nous éclaire. Le sénateur Chalifoux et moi-même nous sommes occupés des problèmes des autochtones vivant hors réserve. J'ai remarqué, dans votre déclaration, que vous disiez que Terrace est un lieu de rencontre pour diverses Premières nations, notamment les Tsimshian, les Nisga'a et d'autres. Quelle est la population de Nisga'a qui réside à Terrace? Est-ce important?
M. Talstra: Oui, c'est proportionnellement important.
Le sénateur Grafstein: Quel serait le chiffre?
M. Talstra: Je dirais environ 1 000 personnes.
Le sénateur Grafstein: Dites-moi, de votre point de vue, comment le mécanisme exposé dans le traité fonctionnera. Il y a une structure de gestion qui semble à la fois simple et compliquée, à la fois pour ce qui est des terres et en ce qui concerne les Nisga'a hors des terres couvertes par les traités, dans lesquelles vous seriez vraisemblablement inclus, puisque vous avez une forte population nisga'a. Comment cela marcherait-il et quel genre de problèmes pourrait poser le fait que vous avez des Nisga'a qui vivent dans votre ville, en ce qui concerne leurs droits ici et sur les terres? Est-ce que cela peut poser un problème? Je ne comprends pas très bien comment cela marche.
M. Talstra: Je ne pense pas que cela posera de problème. Les Nisga'a qui vivent dans les limites de Terrace hors de la zone centrale sont traités comme tout citoyen canadien ou tout citoyen de Terrace. Ils ont le droit de voter à nos élections municipales, ils peuvent être propriétaires d'un terrain, ils ont le droit de se lancer en affaires et de faire tout ce que vous et moi faisons.
Le sénateur Grafstein: Ils ont leurs pleins droits de citoyens en ville?
M. Talstra: C'est exact. Ils ont aussi une section à Terrace où ils se réunissent et discutent des questions nisga'a qui les concernent en tant que Nisga'a.
Le sénateur Grafstein: Ça, je le sais. Je voulais simplement savoir si le fait qu'ils vivent en dehors des terres nisga'a ajoutait ou retirait à leurs responsabilités ou droits? Vous dites que non, qu'ils ont tous les droits des autres citoyens?
M. Talstra: Oui.
Le président: Peut-être pourrais-je poser une question assez similaire à celle du sénateur Grafstein. Y a-t-il jamais eu un résident non nisga'a des terres qui seront des terres nisga'a qui vous ait dit qu'il s'inquiétait de ne pouvoir voter sur les questions relevant de la tribu nisga'a ni voter pour les gens qui dirigent les affaires tribales nisga'a?
M. Talstra: J'allais dire qu'il y a en effet une personne qui a manifesté une telle réserve, mais c'est probablement plus d'une. En tout cas, c'est un groupe très restreint. Je sais qu'il y a un de mes clients qui vient m'en parler de temps en temps, et je suis sûr qu'il y en a d'autres, mais ce n'est certainement pas la majorité des non-Nisga'a. Il n'y en a d'ailleurs pas tellement, et, comme quelqu'un l'a dit plus tôt, ce sont habituellement des gens qui bougent, soit qu'ils soient enseignants, soit qu'ils travaillent pour les services de santé ou dans d'autres postes semblables. Ils sont là pour quatre ou cinq ans, puis ils sont mutés ailleurs. Ainsi, les seuls non-Nisga'a qui vivent là de façon permanente sont ceux qui ont des terres et qui essaient de faire de l'agriculture ou de l'exploitation forestière ou autre.
Le président: J'aurais une question sur le district régional de Kitimat-Stikine, et je crois que vous serez ou que vous êtes déjà dans le district régional. Est-ce que les terres nisga'a feront partie du district régional?
M. Talstra: Oui. La région des terres nisga'a a toujours été dans le secteur électoral A de notre district régional et le restera. Ils participeront à part entière au secteur électoral A. Rien ne change à ce sujet, à ma connaissance. Il y a un chapitre sur le gouvernement, le chapitre 18; c'est très bref. À ce sujet, nous avons en fait discuté de la question avec les Nisga'a et pris la décision ensemble.
Le président: C'est le résultat d'une négociation directe avec les Nisga'a?
M. Talstra: Oui.
Le président: Sénateurs, je tiens à remercier le maire Talstra en votre nom d'être venu nous présenter le point de vue de son conseil et de la population de Terrace. Merci beaucoup d'être venu de si loin nous faire cet exposé.
Notre témoin suivant est le professeur Scott, de la faculté de droit de l'Université McGill. Bienvenue, monsieur. Allez-y.
M. Stephen A. Scott, professeur, faculté de droit, Université McGill: Je considère toujours comme un privilège de venir ici. Il y a plusieurs mois que je ne suis pas venu, et je trouve toujours cela stimulant et intéressant, si bien que je vous remercie de cette invitation.
Le 23 novembre 1999, j'ai comparu devant le comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord de la Chambre des communes au sujet du projet de loi C-9, Loi portant mise en vigueur de l'Accord définitif nisga'a, qui a depuis été adopté par la Chambre. Je l'ai fait avec quelques hésitations, et j'éprouve ces mêmes hésitations aujourd'hui, n'étant pas particulièrement expert des questions autochtones et n'ayant eu la possibilité que d'étudier le projet de loi lui-même, certains éléments de l'accord définitif et certains documents à ce sujet. Toutefois, étant donné que le projet de loi et l'accord soulèvent des questions d'une grande importance générale, je me permettrai, simplement à titre d'étudiant des questions constitutionnelles et des affaires publiques, de partager avec vous quelques impressions. Je m'arrêterai surtout sur les questions de justice historique, de forces centrifuges et de gouvernement de la fédération, et de primauté du droit.
Tout d'abord, la justice historique. En ce qui concerne les droits fonciers, j'ai l'impression que les droits donnés aux Nisga'a ne sont pas inhabituels dans un contexte historique général. Il me semble mal à propos de contester ce règlement en invoquant le principe de l'égalité, même si celui-ci est important. L'égalité ne signifie pas que quelqu'un à qui l'on a pris des biens ne devrait pas être indemnisé. Bien au contraire. Trop souvent, dans notre histoire, les autochtones, en réalité, pas simplement dans les lois, ont été spoliés de leurs terres, et même de leurs libertés civiles essentielles, telles que la liberté de religion et la liberté d'utiliser leurs propres langues.
La vérité religieuse révélée à certains peut être considérée comme une superstition par d'autres. L'imposition forcée des croyances religieuses judéo-chrétiennes par les missionnaires, avec l'assistance de l'État, dans les écoles et ailleurs, même si l'intention pouvait être bonne, est une insolence ahurissante et a eu des effets dramatiques. On peut en dire autant de la suppression de l'utilisation des langues autochtones et des activités culturelles par des lois telles que les lois sur les potlatchs. C'est une négation des droits dont jouissent tous les Canadiens. Lorsque les mesures de réparation sont convenablement évaluées et raisonnables, il est ridicule de les condamner comme privilèges spéciaux. Les Nisga'a et autres peuples autochtones méritent d'être traités de façon juste et généreuse.
Deuxièmement, les forces centrifuges et le gouvernement de la fédération. Il n'y a pas de défi plus complexe que de veiller à ce que les peuples autochtones puissent maintenir certaines de leurs traditions tout en atteignant des niveaux économiques comparables à ceux du reste de la population. Il me semble clair que ce n'est possible que si l'ensemble du pays est économiquement prospère, et pour cela il faut que le gouvernement soit efficace. Le déclin de la compétitivité du Canada se traduit depuis quelques décennies, par exemple, par la chute de notre devise. Quelle que soit la conjoncture, les forces centrifuges sont tellement puissantes que ce pays est pratiquement ingouvernable. Je crois que cela explique beaucoup nos problèmes économiques. Dans les Balkans, ils parlent de «canadianisation». Pour l'avenir, nous devons veiller à ce que les autochtones partagent notre richesse, et non pas notre pauvreté.
Il y va de l'intérêt de toute la population canadienne, et notamment des autochtones, que l'autonomie gouvernementale autochtone soit atteinte par des moyens analogues à l'autonomie municipale, mais en vertu d'une législation fédérale plutôt que par la création d'un nouvel ordre de gouvernement enchâssé dans la Constitution et comportant d'innombrables mini-États, probablement plusieurs centaines. Il n'y aurait aucune honte à occuper un rang analogue à celui de Toronto, par exemple, mais sous compétence fédérale.
Même si les dispositions gouvernementales prévues dans l'accord définitif peuvent, de façon générale, être considérées comme un point de départ acceptable, elles doivent, me semble-t-il, pouvoir être au besoin modifiées par le Parlement canadien. On ne sait pas trop comment ces arrangements gouvernementaux -- par opposition aux droits fonciers -- prévus dans l'accord définitif seront enchâssés dans la Constitution aux termes des paragraphes (1) et (3) de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, telle que modifiée. Il est clair dans l'article 3 du projet de loi qu'une certaine forme d'enchâssement constitutionnel de l'accord est souhaité, attendu, et, je crois, réalisable.
Je remarque, par exemple, la déclaration, à la section 8 du chapitre 2, Dispositions générales, de l'accord définitif, que celui-ci ne modifie pas la Constitution du Canada, notamment, entre autres, la répartition des pouvoirs; toutefois, beaucoup de dispositions de l'accord donnent la priorité aux lois nisga'a sur les lois provinciales et fédérales. L'article 6 du projet de loi C-9 donnerait la priorité à l'accord définitif sur toute loi fédérale ou provinciale, «y compris la présente loi» elle-même.
Les tribunaux peuvent, et devraient, je crois, déclarer que -- sauf peut-être pour certaines garanties constitutionnelles connexes des droits fonciers -- les pouvoirs de gouvernement conférés aux autochtones ne sont pas des droits acquis par «accord sur une revendication territoriale» au sens du paragraphe (3) de l'article 35 de la loi de 1982 et ne deviennent donc pas enchâssés, même si les deux questions sont traitées dans le même accord. Toutefois, étant donné que nous ne pouvons être certains du résultat, je pense qu'il faudrait préciser que, une fois adopté et devenu loi, le projet de loi ne deviendra pas une loi non abrogeable. J'ajouterais l'article suivant:
Pour éviter tout doute, la présente loi est déclarée édictée sans préjudice pour le pouvoir législatif du Parlement canadien et peut ainsi être modifiée ou abrogée par le Parlement canadien; mais aucune loi modifiant ou abrogeant celle-ci ne peut retirer, ou permettre de retirer, ni de modifier les droits territoriaux ou autres liés à la propriété, d'une façon qui n'aurait pas été jugée légale si cet article n'avait pas été édicté; et cet article ne pourra être séparé de la présente loi et s'appliquera indépendamment de tout le reste de la loi.
Notre siècle a vu même de grands États s'adonner à la barbarie. Les populations peu nombreuses sont automatiquement vulnérables en ce qui concerne le maintien d'un gouvernement constitutionnel. Nous en avons eu un parfait exemple à Terre-Neuve en août 1838. Une altercation dans les rues de St. John's entre un député, John Kent, et un chirurgien, le docteur Edward Kielley, a mené à l'arrestation de ce dernier, qui a été accusé d'avoir atteint aux privilèges de la Chambre; il fut ensuite emprisonné par la Chambre, puis relâché par un juge de la Cour suprême, le juge Lilly. Rappelons l'arrestation, sur ordre de la Chambre, non seulement du docteur Kielley, mais également du shérif en chef et du juge Lilly lui-même, qui, alors qu'il s'acquittait de ses fonctions, a été traîné de la cour dans les rues de St. John's; et finalement la prorogation du Parlement par le gouvernement pour mettre fin aux délibérations. Ces événements ont mené à une décision importante du Conseil privé sur la portée des privilèges parlementaires dans la common law. Cet exemple ne veut évidemment pas dire que les autochtones ne peuvent pas s'administrer eux-mêmes; il montre simplement pourquoi, à mon avis, tout comme les administrations locales, les petites polities comme les collectivités autochtones devraient rester assujetties à l'autorité souveraine d'un ordre supérieur de gouvernement.
Troisièmement, la primauté du droit. Étant donné le bilan insatisfaisant, et parfois scandaleux, des ordres supérieurs de gouvernement à cet égard, je m'inquiète d'une disposition qui semble insuffisante, dans l'accord et dans le projet de loi C-9, visant à garantir l'intégrité et la préservation des archives législatives et administratives du gouvernement nisga'a, et, en fait, de l'absence de dispositions obligatoires visant la publication des décisions législatives et exécutives. Dans le projet de loi C-9, le Parlement canadien donne le pire exemple possible, puisque l'accord définitif et les textes connexes, bien qu'ils doivent être publiés séparément, ne sont pas annexés au projet de loi lui-même, alors qu'ils sont au centre de cette loi et ont même la primauté sur ladite loi aux termes des dispositions de l'article 6. En fait, l'accord définitif et les textes pertinents ne seront souvent pas accessibles à ceux qui consulteront les lois canadiennes au Canada et à l'étranger, alors que, en vertu de l'article 4, cet accord a force de loi. En vertu de l'article 5, il lie les tiers et peut être invoqué par eux; et en vertu de l'article 6, il prime sur les dispositions de la loi elle-même. Il ne s'agit donc pas d'un cas ordinaire où une loi renvoie simplement à quelques textes extrinsèques. Dans ces circonstances, en omettant dans le projet de loi le texte complet de l'accord, on fait fi de la primauté du droit, du constitutionnalisme, et c'est absolument honteux. Le projet de loi n'exige même pas qu'un original de l'accord définitif et des documents pertinents soit déposé devant le greffier des Parlements et conservé avec la loi. Cela ne remplacerait pas entièrement l'intégration du texte lui-même dans le projet de loi, mais garantirait au moins l'intégrité des archives parlementaires.
Je suis tellement convaincu de cela que je pense qu'aucun député ni sénateur ne devrait pouvoir voter pour le projet de loi C-9 sans qu'il soit modifié pour annexer, peut-être photographiquement, l'accord final avec les annexes et accords connexes. Le gouvernement a rejeté un amendement visant à incorporer l'accord textuellement dans le projet de loi alors que celui-ci était devant la Chambre, même si cette proposition n'avait rien à voir avec cet accord particulier et visait simplement à garantir le respect des principes constitutionnels et, en fait, à respecter l'esprit, et peut-être aussi la lettre, de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui exige la publication des lois. L'attitude de la ministre de la Justice à cet égard -- elle y a certainement réfléchi -- montre combien les gouvernements ont tendance à prendre des raccourcis, à trouver des solutions à court terme, à négliger les questions de principe et à créer des problèmes pour l'avenir. Le réflexe du gouvernement a manifestement été simplement de faire avancer ce dossier, de traiter toute suggestion ou amendement, même inoffensif, comme s'il était hostile, et de n'écouter que les louanges. J'en suis absolument dégoûté et ahuri. Le Sénat protégera-t-il l'intégrité du processus parlementaire?
Le président: Merci de votre exposé. Je comprends maintenant pourquoi l'on vous considère comme un aussi bon professeur.
Le sénateur Grafstein: C'est la deuxième fois que vous comparaissez devant le Sénat. Je conviens avec le président que votre point de vue est non seulement intéressant, mais également présenté de façon très animée. Je crois que nous comprenons ce que vous voulez dire. Votre message est très clair.
L'avocat des Nisga'a et d'autres, notamment le professeur Morse, nous ont expliqué pourquoi l'on avait dans ce cas supprimé ce pouvoir au gouvernement fédéral. L'idée -- et je n'ai pas le raisonnement sous les yeux, si bien que je m'en remets à ma mémoire -- c'est qu'il y a un droit inhérent de gouvernement qui précède l'exercice de la prérogative de la Couronne. Cela remonte avant 1754. En fait, les Nisga'a ont un droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, à la reconnaissance comme nation et à la souveraineté. En fait, il ne s'agit pas ici d'un groupe politique au sein d'un pays, mais essentiellement d'une nation. Nous sommes une nation négociant avec une autre nation -- d'où la nécessité d'un traité. C'est cela le modèle, et c'est le résultat des conclusions de la Commission royale sur les peuples autochtones, sauf qu'elle pensait que cela devrait être enchâssé dans la Constitution plutôt que seulement entériné dans une loi. La conclusion était donc différente.
J'ai essayé d'examiner la question avec l'esprit ouvert, parce que certains de mes collègues ici sont fermement convaincus que les droits inhérents et la souveraineté sont essentiels à l'identité des peuples autochtones, et j'y suis sensible. Cela dit, j'ai essayé de comparer les choses. Je n'ai pas encore terminé cet examen, mais je viens de recevoir des renseignements sur ce qui se fait aux États-Unis. Je me suis posé la question suivante: pouvons-nous, au Canada, libérer en fait le gouvernement fédéral de cette suprématie législative, qui est l'un de vos arguments fondamentaux ici en vertu de la Constitution?
J'ai considéré l'exemple de la Nation navajo aux États-Unis. J'ai ici une excellente note détaillée de la pratique du droit et des tribunaux par la nation navajo. Elle a des lois indépendantes et des compétences exclusives en certaines matières. Je crois comprendre, en me fondant sur les origines de l'affaire Marshall, -- et je n'ai pas obtenu confirmation: donc vous pourriez peut-être m'aider -- qu'aux États-Unis le Congrès a permis aux Navajos de se doter d'une forme de gouvernement autonome intrinsèque et exclusif sans jamais toutefois renoncer à son droit de légiférer en tant que Congrès. Il est entièrement libre.
Certains ont défini les Navajos comme une nation dans une nation, mais le Congrès des États-Unis ne s'est jamais retiré la possibilité de légiférer en la matière. Est-ce le même raisonnement que vous tenez?
M. Scott: Je pense que oui, essentiellement. Selon moi, il faut un certain contrôle législatif. J'ai bien dit dans mon exposé que cette mesure représente un point de départ acceptable. C'est un fait. La plus grande partie de la mesure fait très bien l'affaire. Il ne sera pas nécessaire de la réviser souvent, mais il faudra néanmoins le faire à l'occasion.
Sur le plan moral, on peut considérer que les Européens ont envahi le territoire. Il y a eu divers actes d'hostilité. Les Européens ont enlevé des terres et leur souveraineté aux autochtones, peu importe comment on a décrit ce qui s'est passé. Tout cela est vrai. On peut présenter des arguments d'ordre moral à ce sujet.
J'ai rencontré des autochtones traditionnels il y a une trentaine d'années, quand j'ai commencé à enseigner le droit et que je suis allé à Khanawake. Ils se tenaient à l'écart parce qu'ils ne voulaient pas se mêler à l'application de la Loi sur les Indiens, mais j'ai réfléchi à tout cela. Le fait est que nous sommes dans le même cas. N'importe quel groupe vous dira certainement: «Voilà ce qu'il nous faut et ce que nous voulons.» Il va envisager la situation de son propre point de vue plutôt que du point de vue de l'État et de l'intérêt du public. Ce sont les deux Chambres du Parlement qui doivent y voir.
Il ne s'agit pas de savoir quelles sont les conséquences de cet accord pris isolément, mais plutôt quelles sont ses conséquences si l'on s'en sert comme modèle pour d'autres accords. On ne pourra pas s'empêcher d'accepter le même genre de choses dans d'autres accords, et cela créera des centaines de mini-États. Le pays risque d'exacerber les forces centrifuges, et ce sera encore plus difficile que maintenant de contrôler la situation.
C'est un peu comme si l'on disposait autrement les chaises sur le pont du Titanic. Je ne veux pas dire que nous avons heurté un iceberg et je ne veux pas dire non plus que nous allons sombrer, mais le navire de l'État a été un peu ébranlé. Compte tenu de notre conjoncture économique générale et des divers points faibles du gouvernement, je ne crois pas qu'il soit souhaitable de créer un troisième échelon de gouvernement, comme le propose nettement le projet de loi.
À mon avis, nous devrions traiter de façon très généreuse les peuples autochtones. On pourrait leur verser beaucoup plus d'argent qu'on ne le fait maintenant, et je n'aurais rien à redire à cela. On pourrait leur donner beaucoup plus de territoire, et je n'aurais toujours rien à redire à cela. Ce que je n'aime pas, c'est qu'on crée des centaines, et peut-être des milliers, de Monaco, de mini-États, qui auront des pouvoirs variés. Même le coût d'administrer ces mini-États serait énorme.
Le sénateur Grafstein: Je voudrais avancer un argument ici, vu que vous avez mêlé la politique et la Constitution d'une façon qui est sans doute intéressante, mais qui estompe les différences entre les deux. Je voudrais que vous entendiez l'argument que je me suis présenté à moi-même au sujet du processus de modification. Nous avons entendu aujourd'hui que le processus de modification se trouve changé par le processus de négociation et le processus d'arbitrage. Il s'agit ici de savoir comment changer des choses qui ne semblent pas raisonnables.
Le projet de loi est rédigé de façon très astucieuse. Le maire de Terrace, M. Talstra, nous a dit ceci: d'après lui, la mesure contient de bonnes dispositions d'arbitrage. Il considère que l'incertitude actuelle va disparaître en partie à cause de la bonne volonté manifestée par les deux côtés et du processus d'arbitrage. C'est une bonne façon d'envisager la question. Il y a aussi le fait que les revendications finales des Nisga'a sont modérées. Nous avons donc des preuves de modération et de bonne foi.
Il faut ensuite voir ce que prévoit le traité lui-même. Selon le projet de loi, la seule façon de modifier l'accord, c'est d'obtenir l'accord des trois parties, y compris 70 p. 100 des membres du peuple nisga'a. En termes pratiques, au Canada, cela équivaut à une impasse. Il sera difficile de modifier l'accord, à moins qu'il ne se passe quelque chose d'extraordinaire et que les intérêts de tous les intervenants ne correspondent.
Maintenant que le gouvernement fédéral a conclu l'accord, il peut encore exercer d'énormes pressions économiques. Il pourrait toujours imposer un changement aux Nisga'a ou au gouvernement provincial si l'une des deux parties agit de façon déraisonnable à cause de ses moyens de pression économique. Ce serait une possibilité, mais est-ce une bonne façon de transiger une entente politique?
M. Scott: Ce serait sordide et extrêmement dommageable. Nous aurions à mon avis un grand nombre de mini-États qui fonctionneraient peut-être assez bien la plus grande partie du temps, mais qui causeraient parfois des problèmes parce qu'ils seraient très nombreux. On pourrait cependant les ramener dans le droit chemin en exerçant certaines pressions sur eux. Il me semble qu'envisager une telle solution à un comportement indésirable serait un bien mauvais point de départ. Il serait imprudent et indésirable d'adopter une telle politique publique.
Je crois qu'il vaut mieux être généreux. Dans certains cas, les pouvoirs pourraient peut-être être plus vastes. Je n'aurais pas d'objection si les lois nisga'a dérogeaient aux lois générales dans bien des cas. Par ailleurs, il me semble qu'il y aura des problèmes de temps à autre dans certains cas, mais il faut gouverner le pays, et l'on doit pouvoir apporter des changements.
Toronto peut demander à l'occasion à l'Assemblée législative de l'Ontario de modifier sa charte. M. Lastman n'est pas timide; on ne peut pas l'intimider facilement. Une forme de gouvernement basé sur un tel modèle pourrait très bien fonctionner pour créer toutes ces petites polities qui fonctionneraient comme des gouvernements autonomes.
Le président: Le sénateur Beaudoin, qui est professeur de droit constitutionnel, va s'entretenir avec le témoin, qui est lui aussi professeur de droit constitutionnel, et le reste d'entre nous essaiera de comprendre ce qu'ils disent.
Le sénateur Beaudoin: Je n'ai pas d'objection au mot «nation» tel que le juge en chef Marshall l'utilisait aux États-Unis en 1830. Je n'ai pas d'objection à la double citoyenneté. Cette notion sera certainement interprétée d'une façon tout à fait raisonnable. La seule chose qui me pose un problème, c'est la façon dont le projet de loi est rédigé.
Les rédacteurs ne voulaient pas que ce soit un amendement constitutionnel. Si c'en était un, il faudrait appliquer la formule des sept provinces et des 50 p. 100 de la population. C'est une loi ordinaire du Parlement du Canada qui touche la Colombie-Britannique et la nation nisga'a. S'il ne s'agit donc pas d'un amendement constitutionnel, il faut se demander si la mesure est valide. Est-elle constitutionnelle?
Il y a une chose dont nous pouvons discuter. Comme je l'ai déjà dit, dans le cas des pouvoirs concurrents, la nation a le pouvoir prépondérant. On pourrait considérer qu'il s'agit d'un abandon de la suprématie parlementaire.
Je ne sais pas ce qui va se produire, mais ce pourrait être contesté devant les tribunaux. Puisqu'il s'agit d'une simple loi, et non pas d'une modification constitutionnelle, nous devrons nous plier à la décision de la Cour suprême du Canada. Je fais pleinement confiance à la Cour suprême.
Comment cette mesure sera-t-elle interprétée? Les avis sont partagés. Certains constitutionnalistes affirment que le gouvernement inhérent est déjà prévu à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, autrement dit, que le troisième ordre de gouvernement est implicite dans l'article 35 de la loi de 1982.
C'est un argument intéressant. J'en ai discuté avec mon collègue, M. Dussault, quand il siégeait à la commission royale. D'autres disent que ce n'est pas le cas. La Cour suprême n'a jamais affirmé que l'article 35 prévoit un troisième ordre de gouvernement. Elle a dit que les nations autochtones ont un statut spécial au Canada, et cela ne fait absolument aucun doute. Il n'y a pas de doute non plus quant aux droits collectifs des autochtones. À mon avis, tout cela est bien clair dans la loi.
Il faut aussi se demander quel est le caractère prépondérant du projet de loi. Peut-être que la Cour suprême jugera que cette prépondérance est tout à fait acceptable, compte tenu des circonstances, mais elle pourrait aussi décider que le reste va très bien, mais que l'aspect de prépondérance est discutable et contestable.
Avez-vous bien dit qu'il s'agit d'un troisième ordre de gouvernement?
M. Scott: J'ai dit que cette mesure vise à constituer un troisième ordre de gouvernement. Peut-être que l'article 35 prévoit certains pouvoirs gouvernementaux pour les peuples autochtones, et peut-être que non. Le Parlement du Canada ne peut rien y changer, et l'on pourra demander aux tribunaux de se prononcer sur la question. Ce qui compte, c'est de savoir quels seront les résultats du projet de loi et de l'accord. L'article 3 du projet de loi stipule que:
L'Accord définitif nisga'a constitue un traité et un accord sur des revendications territoriales au sens des articles 25 et 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Cette disposition s'applique non seulement aux droits territoriaux, mais aussi à tout l'Accord définitif nisga'a, y compris les pouvoirs gouvernementaux. Selon l'article 3, une fois que le projet de loi aura force de loi en vertu de la loi de la Colombie-Britannique, qui a déjà été adoptée, et d'une loi du Parlement fédéral, toutes les dispositions de l'accord conférant tous les pouvoirs gouvernementaux, dont certains dérogent aux pouvoirs fédéraux, et certains aux pouvoirs provinciaux, deviendront des droits ancestraux et issus de traités. Autrement dit, cela créera des droits ancestraux issus de traités.
Pour que cela puisse s'appliquer selon les modalités de l'accord, et peut-être que ce sera possible et peut-être que non, cela devra aussi être déterminé par la Cour suprême. Cependant, si l'on maintient l'article 3 dans le projet de loi sans faire quoi que ce soit, par exemple apporter les modifications que j'ai proposées, ce que la Cour suprême devra décider, c'est si les pouvoirs gouvernementaux se trouvent constitutionnalisés parce qu'un accord a été conclu et a force de loi.
J'ai lu attentivement l'ouvrage du professeur Hogg. Ce n'est pas complètement clair, mais je pense qu'il jugerait que, à cause de cette loi et de cet accord, les pouvoirs gouvernementaux seront effectivement conférés par l'article 35, et l'on ne pourra pas les modifier par la suite, sauf dans la mesure où l'accord stipule qu'ils peuvent l'être.
Le sénateur Beaudoin: Il faut faire la distinction entre les droits issus de traités et la création d'un troisième ordre de gouvernement. Les autochtones ont un grand nombre de droits issus de traités. Cela ne fait absolument aucun doute, et tous ces droits sont valides. Je ne me pose pas de question au sujet des droits issus de traités.
La question que je pose est celle-ci: quand un traité de cette nature exprimé dans une loi du Parlement équivaut-il à la création d'un troisième ordre de gouvernement que n'a pas encore reconnu la Cour suprême? Si le projet de loi est accepté par le Parlement, ce ne sera pas un projet de loi ordinaire, mais je ne pense pas non plus que ce soit un amendement constitutionnel. C'est une loi du Parlement. Certains articles du projet de loi pourraient faire l'objet de contestations judiciaires, comme les articles de bien des projets de loi adoptés par le Parlement, mais, d'après moi, c'est la seule chose qui pourrait arriver.
Comme vous l'avez dit, la Cour suprême a déclaré que nous serons tous encore ici pendant très longtemps et que nous devons donc trouver le moyen de conférer plus de pouvoirs aux nations autochtones. Ce qu'il faut déterminer, c'est si cet accord-ci est une bonne façon de le faire.
Selon moi, nous devrions éviter de parler d'un troisième ordre de gouvernement et adopter le projet de loi tel quel. S'il y a contestation devant les tribunaux, nous saurons à ce moment-là à qui la Cour suprême du Canada donnera raison.
M. Scott: Si l'accord portait uniquement sur les terres, la chasse, la pêche et d'autres questions de ce genre, le fait de le constitutionnaliser en vertu de l'article 35 ne créerait pas un troisième ordre de gouvernement. Par ailleurs, la mesure déclare que l'accord constitue un traité et un accord sur des revendications territoriales au sens des articles 25 et 35, et il porte aussi sur des pouvoirs gouvernementaux. Si, vu qu'il s'agit de pouvoirs gouvernementaux qui seraient constitutionnalisés selon l'article 35(1), on crée des pouvoirs gouvernementaux qui dérogent aux pouvoirs fédéraux et provinciaux et qui l'emportent sur ceux-ci, on aura créé un troisième ordre de gouvernement, peu importe comment on veut l'appeler. C'est ce que je pense, parce qu'il y a de nouveaux pouvoirs gouvernementaux qui l'emportent sur les pouvoirs fédéraux et provinciaux et qui seront constitutionnalisés aux termes de l'article 35(1) parce qu'il s'agit de droits ancestraux et issus de traités, comme on le précise au paragraphe (3), des droits qui sont maintenant conférés par des accords sur des revendications territoriales ou qui pourraient le devenir. Si la Cour suprême affirme qu'on peut insérer des pouvoirs gouvernementaux dans la Constitution en se servant de l'article 35(1), même si ce n'est pas par une modification comme telle, cela créera un troisième ordre de gouvernement, peu importe comment on l'appelle.
Le sénateur Beaudoin: Je ne suis pas vraiment d'accord. Si la Cour suprême décrète qu'il s'agit d'un troisième ordre de gouvernement ou si nous adoptons un amendement constitutionnel, je me rangerai à votre avis. Cependant, tant que nous procédons par voie législative comme nous le faisons maintenant, la question consiste à savoir où nous devrons nous arrêter. Nous devrons nous arrêter quelque part. C'est peut-être très près de la ligne de démarcation, mais nous devons choisir entre un amendement constitutionnel et une décision de la Cour suprême. C'est probablement ce que le gouvernement et le Parlement veulent faire.
D'après moi, la seule chose qui compte est la question des pouvoirs concurrents et de la primauté. Selon moi, le reste ne pose pas de problème.
Le président: Monsieur Scott, êtes-vous d'accord pour dire que votre argument sur la question de savoir si l'on doit déléguer des pouvoirs aux Nisga'a ou si cela doit faire partie d'un règlement négocié sur une définition aux termes de l'article 35 dépend d'un système de valeurs politiques?
M. Scott: Oui, c'est toujours le cas.
Le président: Si j'ai bien compris votre argument, votre système de valeurs politiques s'appuie sur la notion pragmatique qu'il n'y aura pas suffisamment de souplesse pour les intervenants si l'on applique l'accord tel que le prévoit le projet de loi actuel, qui stipule que l'article 35 de la Constitution protégera l'accord. Vous vous inquiétez au sujet des applications pratiques pour l'avenir. Est-ce exact?
M. Scott: Je veux être généreux envers les peuples autochtones. Essentiellement, je n'ai pas la moindre objection à cet accord-ci, qui a force de loi, peu importe comment l'on procède, tant que l'accord peut être modifié par le Parlement du Canada. C'est ma seule réserve.
Selon moi, nous nous préparons à créer un troisième ordre de gouvernement si le projet de loi a le résultat attendu, soit de devenir un traité et un accord sur des revendications territoriales, et cela comprend aussi les pouvoirs gouvernementaux. On aura alors de un à 30 mini-États au Canada. Compte tenu des forces centrifuges qui existent maintenant dans le pays, le Canada n'est pas un pays facile à gouverner selon moi.
Les honorables sénateurs sont certainement mieux placés que moi pour dire si le Canada est facile à gouverner ou non. Vous entendez des témoins tous les jours et vous étudiez des projets de loi sur tous les sujets. Comment les sénateurs envisagent-ils la nature de d'un État canadien qui serait constitué par un grand nombre d'enclaves constitutionnalisées ou de mini-États?
Le président: L'expression «mini-État» reflète aussi une notion politisée. Vous voulez invoquer les dispositions contenues dans le projet de loi C-9 pour dire qu'on crée un mini-État, mais ce n'est pas un avis. Selon moi, la Nation nisga'a devient une entité autonome grâce à la protection de la Constitution. Nous avons pu en arriver à cette protection constitutionnelle à l'issue d'une longue évolution constitutionnelle au Canada. Vous n'êtes peut-être pas d'accord avec le fait que la Loi constitutionnelle de 1982 comprenne l'article 35, mais il y est. Cela vient d'une décision politique du gouvernement fédéral et de bon nombre des provinces.
Cela fait partie de notre Constitution. Qu'est-ce que cela signifie? La Cour suprême du Canada a interprété cet article dans la pratique relativement aux revendications territoriales et à certains autres droits. La Cour suprême a dit au sujet de l'autonomie gouvernementale: «Selon nous, c'est une question qui doit être négociée entre les parties.» Dans ce cas-ci, le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial sont des parties contractantes à l'accord. Comme vous l'avez nettement dit, selon l'article 3, ils sont prêts à conférer une protection constitutionnelle à cette notion aux termes de l'article 35.
Apparemment, vous voudriez récrire le principe de l'accord. Vous voulez qu'on revienne aux pouvoirs délégués. Si j'ai bien compris, c'est en partie pour des raisons pragmatiques. Vous vous inquiétez de l'avenir. Vous voudriez ajouter un article rempli de conditions quelconques pour protéger l'aspect sacré de l'accord, mais, comme vous le dites dans votre argument principal, si ces pouvoirs sont délégués, ils pourront aussi être abrogés par le Parlement dans l'avenir.
M. Scott: Il s'agit d'accords sur des revendications territoriales. C'est très bien que les droits relatifs aux revendications territoriales soient constitutionnalisés et deviennent des droits de propriété que ni l'un ni l'autre échelon gouvernemental ne peut modifier. À mon avis, c'est exactement ce que sont et ce que doivent être les accords sur les revendications territoriales. Je ne tiens pas particulièrement à l'expression «mini-État». On pourrait parler plutôt d'unité d'un troisième échelon gouvernemental si vous trouvez que c'est plus neutre.
Imaginons qu'on ait 30, 50 ou 75 provinces plutôt que 10 au deuxième échelon gouvernemental, l'échelon provincial. Pensez-y. Quel serait le résultat pour le pays? Bien entendu, le troisième échelon gouvernemental n'a pas des pouvoirs ou des ressources aussi vastes ou aussi importants que le deuxième échelon. Cela nécessitera cependant de l'administration et entraînera des coûts permanents pour le ministère de la Justice.
S'il y a de plus en plus d'unités autonomes semi-souveraines, qui sont en même temps de plus en plus variées et de plus en plus puissantes, qu'arrivera-t-il au navire de l'État? Les Nisga'a vont dépenser autant d'argent que nous tous. Si nous continuons d'avoir une mauvaise performance économique au Canada et si nous devons partager de maigres ressources et de mauvaises conditions économiques, cela n'aidera pas les Nisga'a ou les autres peuples autochtones, et cela n'aidera personne d'autre au Canada.
À mon avis, nous ne devons pas créer un troisième ordre de gouvernement. Je n'ai d'objection à aucun aspect de l'accord tant que le Parlement peut révoquer les pouvoirs gouvernementaux. C'est tout ce que je propose. Rien ne devrait changer.
Le président: Je voudrais vous signaler deux choses que vous savez déjà. D'abord, comme le sénateur Beaudoin l'a bien dit, les contestations juridiques vont modifier l'accord; si la Cour suprême juge que quelque chose est contraire à la Constitution, cela va modifier l'accord. Deuxièmement, la Cour suprême a dit que les droits ancestraux ne sont pas absolus.
Le sénateur Beaudoin: La Cour suprême a dit cela?
Le président: Oui. Si la situation change, la Cour suprême est prête à réexaminer la nature des droits ancestraux. Les Nisga'a recherchent la certitude parce qu'ils ont cédé beaucoup. L'une des certitudes qu'ils veulent obtenir depuis longtemps a trait au droit de mettre l'identité de la nation nisga'a à l'abri de tout changement d'opinion futur au niveau politique national. Ils font confiance à la Cour suprême du Canada pour surveiller l'application de cet accord.
Nous ne sommes pas d'accord, mais qu'importe? Nous avons des opinions tout à fait différentes sur ce qu'il convient de faire, mais c'est ce qui favorise le débat et ce qui permet d'en arriver à une bonne décision finale.
Le sénateur Grafstein: Vous avez soulevé une question qui m'inquiète. Le sénateur Beaudoin est d'accord avec vous, mais je voudrais savoir ce que le témoin en pense.
Professeur Scott, nous avons entendu le point de vue de deux éminents sénateurs qui sont aussi législateurs. Ils ont signalé que, une fois qu'on a pris une décision politique relative à des questions constitutionnelles complexes, s'il y a un problème, les tribunaux doivent s'en occuper.
J'ai aussi entendu l'argument contraire, soit que l'une des obligations du Sénat consiste à s'assurer, avant d'adopter toute mesure législative, qu'elle est conforme à la Constitution. Qu'en pensez-vous? Vous avez entendu le débat. Où est le problème?
M. Scott: Je m'inquiète au sujet du processus constitutionnel qui n'a rien à voir avec l'accord nisga'a lui-même. Si vous aimez l'accord, je pense que vous devriez l'annexer à la loi. Ceux qui sont chargés d'appliquer les lois devraient y avoir accès. Cela n'a rien à voir avec les questions autochtones. C'est une question qui touche le processus lui-même, mais on ne s'en est pas vraiment occupé.
Il y a toutes sortes d'autres difficultés. Une question que je me suis posée, c'est si l'assemblée nisga'a pourra exercer les pouvoirs, conférés au Parlement et aux provinces par l'article 33 de la Loi constitutionnelle de 1982, de passer outre aux garanties prévues dans les articles 2 et 17 de la Charte. L'article 9 du chapitre 2 stipule que la Charte canadienne doit s'appliquer, mais il n'est pas question de la disposition dérogatoire.
Cependant, les tribunaux se prononceront peut-être sur cette question, comme on leur demandera tôt ou tard de le faire si un groupe autochtone veut déroger à certaines garanties de la Charte, comme cela arrivera certainement en vertu de ces accords. Il y aura donc des procès pour déterminer si, dans le cas des gouvernements autochtones, l'assemblée autochtone devient l'équivalent du Parlement ou de l'assemblée législative provinciale et peut déroger aux garanties de la Charte. C'est une question grave qui n'a pas encore été examinée.
J'avais pensé que nous pourrions examiner ces questions si nous en avions le temps, mais il est bien évident que le ministre ne changera pas d'avis même pour des choses comme la possibilité d'imprimer la Charte en annexe. On veut que les deux Chambres du Parlement servent de tampon, mais votre rôle consiste à déterminer si l'on doit ou non apporter certains changements. Dans ce cas-ci, même le changement le plus insignifiant qui soit ne fera que retarder les choses et ne doit pas être apporté.
Cela semble être l'attitude du ministre. Je ne suis pas satisfait du processus ni même de la publication. Même pour une notion aussi élémentaire que la nécessité de montrer dans les lois à quoi les dispositions s'appliquent, on a fait exception dans ce cas-ci. Pourquoi l'accord n'est-il pas inclus dans la loi? C'est du mauvais travail législatif. On demande aux deux Chambres du Parlement d'approuver automatiquement le projet de loi.
Le sénateur Beaudoin: J'ai lu dans le projet de loi et dans l'accord avec la nation nisga'a que la Charte des droits s'appliquera. On dit bien que le Code criminel et la Constitution du Canada s'appliqueront.
Le président: Toutes les lois provinciales et fédérales s'appliqueront.
Le sénateur Grafstein: Nous généralisons, monsieur le président.
Il y a contradiction dans votre argument et il y a contradiction dans les articles 35 et 25. Les articles 35 et 25 stipulent que les droits ancestraux ne sont toujours pas définis. Ce qu'il faut savoir, c'est si les droits ancestraux tels qu'ils seront définis dans la Constitution nisga'a, qui pourraient aller à l'encontre de la Charte, seront aussi visés par la Charte parce qu'ils seront apparemment visés par les articles 25 et 35.
M. Scott: La Charte s'appliquera, mais peut-on évoquer la clause dérogatoire? L'article 9 du chapitre 2 dit bien que la Charte s'applique. Cependant, l'article 33 fait partie de la Charte. Peut-on invoquer la clause dérogatoire? Voilà ce qu'il faut demander et non pas si la Charte s'applique. Nous savons tous que la Charte s'appliquera puisque l'accord le stipule.
Le sénateur Beaudoin: Je conviens avec le sénateur Grafstein que nous devons nous efforcer de résoudre tous nos problèmes de droit constitutionnel sans compter sur la Cour suprême si possible. Ce n'est pas que je n'aime pas la Cour suprême, car je trouve qu'elle fait un excellent travail; nous avons cependant le devoir d'examiner tous les projets de loi et de nous demander s'ils sont conformes à la Constitution ou non. C'est ce que nous faisons maintenant.
Si jamais nous nous trompons, le projet de loi fera certainement l'objet d'une contestation devant la Cour suprême. C'est certainement ce qui arrivera. La Cour suprême devra alors interpréter le projet de loi. Elle devra dire qu'il ne s'agit pas d'un amendement constitutionnel puisque nous n'avons pas suivi la formule d'amendement. C'est une loi ordinaire. S'il s'agit d'une loi ordinaire, la Cour suprême l'interprétera.
Nous aurons peut-être besoin de l'avis de la Cour suprême à la fin du compte. J'en conviens. Nous ne pouvons pas en faire plus que ce que nous avons fait ce soir et la semaine dernière.
Le président: Professeur Scott, vous avez lancé une discussion intéressante. Nous avons entendu votre témoignage et nous l'examinerons attentivement. Nous entendrons d'autres experts constitutionnels, si je peux les désigner ainsi, et nous leur demanderons aussi leur avis sur les questions que vous avez soulevées.
M. Scott: Merci de votre accueil chaleureux, honorables sénateurs. J'espère que vous jugerez que mon témoignage a réussi à susciter un débat utile ce soir.
Le président: Notre dernier témoin ce soir est M. Bill Young, de Tillicum Lodge.
Monsieur Young, je tiens à vous remercier de vous être joint à nous ce soir. Nous avons distribué votre mémoire aux sénateurs. Vos antécédents sont intéressants. Vous venez de la vallée de la Nass et nous avons très hâte d'entendre ce que vous avez à dire. Vous avez la parole.
M. Bill Young, propriétaire, Tillicum Lodge: Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de m'avoir donné l'occasion de prendre la parole devant vous aujourd'hui. Avec mon épouse, Norma, j'exploite une entreprise ayant un titre enregistré en fief simple pour 160 acres de terre dans la belle vallée de la Nass. Les terres des Nisga'a entourent complètement notre propriété. Nous sommes l'un des plus importants propriétaires terriens non nisga'a de la région.
J'ai lu avec intérêt les transcriptions précédentes de vos audiences et je constate que, pour reprendre les mots du sénateur Grafstein, nous faisons partie de la minorité non nisga'a qui est la plus directement touchée par les traités. Nous sommes le trou du beigne.
Sur nos terres, que tout le monde appelle Nass Camp, nous exploitons un lotissement et Bill-Nor Tillicum Lodge, la seule installation complète de la vallée. Nous offrons des emplois saisonniers à 25 à 30 personnes, en majorité des Nisga'a. Nous avons un motel, une salle à manger et des maisons que nous louons aux autochtones et aux non-autochtones. Comme dans toute petite collectivité, les familles vivent côte à côte, en harmonie. Je suis convaincu, et c'est sûrement l'impression que j'ai lorsque je parle à ces personnes, que nous sommes tous de fiers Canadiens qui vivent ensemble dans ce grand pays qu'est le Canada.
Lorsque les négociations du traité se sont échauffées, nous ainsi que d'autres propriétaires avons commencé à craindre pour notre avenir dans la vallée de la Nass. Trois choses me préoccupaient. Tout d'abord, qu'adviendra-t-il des biens immobiliers privés comme les nôtres? Deuxièmement, que se passera-t-il en ce qui concerne le libre accès à nos propriétés? Troisièmement, qui aura le pouvoir de prélever des taxes sur nos terres?
Je suis ici aujourd'hui pour vous dire que l'accord définitif Nisga'a a répondu à toute cette question de façon entièrement satisfaisante à mes yeux. Les dispositions clairement énoncées dans le traité ont permis d'apaiser entièrement toutes les craintes que nous avions. Je fais allusion en particulier aux chapitres sur les terres, paragraphe (1), page 31. Je vais le répéter pour que tous les honorables sénateurs m'entendent clairement. Les négociations ont tenu compte de nos préoccupations en tant que propriétaires fonciers non nisga'a entourés de terres nisga'a, préoccupations auxquelles on a donné suite à notre entière satisfaction.
L'accord énonce que l'administration autonome nisga'a n'aura aucun pouvoir sur les terre qui appartiennent à l'heure actuelle à des non-Nisga'a dans la vallée de la Nass. Toutes les propriétés en fief simple sont explicitement exclues des réclamations des Nisga'a et les résidents de ces lots privés continueront d'avoir le droit de voter lors des élections fédérales, provinciales et régionales.
Nous avons déjà des représentants au conseil scolaire nisga'a et au conseil de la santé de la vallée Nisga'a. Le mandat et la constitution de ces organismes déclarent qu'il y aura toujours un représentant élu des collectivités non nisga'a au sein de ces conseils. Il s'agit d'une représentation nettement disproportionnée par rapport au nombre réel de ceux d'entre nous qui vivent parmi les Nisga'a.
Je tiens à souligner, monsieur le président, que mes droits politiques, fonciers et de vote ne sont ni touchés ni menacés par le traité Nisga'a. Je ne suis pas un Nisga'a, donc je ne vois pas pourquoi je devrais avoir ou je devrais souhaiter avoir des droits de vote concernant la culture et la langue nisga'a ainsi que la gestion des avoirs des Nisga'a, à savoir leurs terres et leurs ressources. Je parle en mon nom propre. Je reconnais que les Nisga'a ont le droit d'établir des critères de citoyenneté pour gérer les affaires gouvernementales des Nisga'a. Ce sont les autres, des politiciens qui ne parlent pas en mon nom, qui ont laissé entendre que l'on me privait d'un vote que je n'ai d'ailleurs jamais eu.
Au cours des neuf dernières années, j'ai eu l'honneur et le privilège de servir en tant que membre élu du conseil de santé de la vallée Nisga'a. Notre centre médical porte le nom de James Samuel Gosnell, un monsieur qui a consacré sa vie à obtenir un règlement juste des revendications territoriales des Nisga'a. Au cours de sa vie, il a comparu devant de nombreux comités comme le vôtre. Nos installations dans l'ensemble de la vallée sont maintenant dotées d'une équipe médicale dévouée, courtoise et professionnelle. Il n'y a aucune discrimination fondée sur la race, la couleur, la croyance ou l'appartenance ou non à la nation Nisga'a. Personne ne se voit refuser le meilleur traitement que nous pouvons assurer. De nombreux touristes et de nombreux visiteurs utilisent le centre et nous recevons des compliments sur l'excellent traitement qu'ils y reçoivent. Nous, les résidents non-Nisga'a de la Nass, devons remercier les deux paliers de gouvernement, surtout les Nisga'a, d'avoir mis sur pied ce centre. Sans leur engagement, il nous faudrait nous rendre à Terrace, situé à 120 kilomètres, et dont les installations sont déjà fortement sollicitées.
Honorables sénateurs, je ne perds rien en vertu de ce traité. En fait, mon épouse, mes employés et mes voisins vont beaucoup y gagner, parce que nous considérons que les collectivités nisga'a seront libérées de la Loi sur les Indiens. En tant qu'homme d'affaires et ami, je suis heureux de la croissance que cela entraînera. Je constate, chez les gens avec qui je traite chaque jour, un nouvel optimisme et un sentiment de force grandissant qui profite à tous ceux qui vivent dans la vallée de la Nass et qui se sont engagés à bâtir une collectivité plus solide.
Une fois que la nouvelle route menant à Kincolith et qu'un lien vers le Nord seront terminés, j'envisage un meilleur avenir pour l'ensemble de la vallée. Cette route permettra de sauver des vies et d'économiser le coût élevé du transport pour obtenir de l'aide médicale. Elle fortifiera la population, fournira de l'emploi, permettra aux touristes et au reste du monde de venir profiter de la splendeur, de la pêche et de l'hospitalité de notre population. Elle permettra de créer une nouvelle industrie touristique qui contribuera à la stabilité économique.
Les lois de la Colombie-Britannique et nos commissions de la voirie garantissent l'accès à nos propriétés. De plus, le chapitre du traité qui porte sur la taxation donne suite à nos préoccupations en matière de taxation. Nos taxes seront prélevées par le gouvernement provincial et versées à ce dernier. Si, à l'avenir, les gouvernements concluent des ententes qui permettent aux pouvoirs de taxation du gouvernement nisga'a de s'étendre à mes terres, alors je m'attendrais à ce que mes intérêts et mes droits soient protégés et pris en compte dans toute entente conclue. Et j'envisage une telle chose avec optimisme, honorables sénateurs. Cette entente est logique. Nous partageons l'accès et les installations publiques sur notre territoire. De plus, nous sommes tous protégés par la Charte des droits et libertés.
En conclusion, je tiens à reconnaître le travail assidu et le dévouement des équipes de négociation. Grâce à leurs négociations, les Nisga'a sont devenus des partenaires à part entière et permanents du Canada. Ils paieront des impôts et ne seront plus les pupilles de l'État. Ils disent, je suis d'accord avec eux, qu'ils ne seront plus des mendiants sur leurs propres terres.
Le traité nisga'a est une solution honorable qui protégera toutes les parties en toute équité, y compris les tierces parties et les voisins, comme mon épouse et moi-même. Ce règlement est synonyme de fierté et d'autosuffisance pour la nation nisga'a et sera un exemple pour l'ensemble du Canada et le monde.
En ce nouveau millénaire, je demande aux honorables sénateurs de ratifier le projet de loi C-9 aussi rapidement que possible afin que les Nisga'a, mes voisins, et moi-même puissions contribuer à faire de la vallée de la Nass un exemple de coopération et un endroit dont tous puissent profiter -- un endroit dont on peut être fier.
Le président: On a beaucoup discuté par le passé du risque que le projet de loi C-9 crée des dissensions politiques en Colombie-Britannique. D'après le témoignage du maire Talstra et votre témoignage, l'appui du nord-ouest est pratiquement unanime. Je crois que Joanne Monaghan, qui représente le district régional de Kitimat-Stikine, a pris la parole devant le comité de la Chambre. Pouvez-vous nous expliquer si, à votre avis, cela représente une opinion générale de cette région de la province, ou croyez-vous représenter une opinion particulière? Croyez-vous parler au nom de la majorité de la population du nord-ouest?
M. Young: Cette question me rappelle un appel que j'ai eu de l'une des stations radiophoniques de Vancouver qui me demandait si je pensais que l'on devrait tenir un référendum provincial sur cette question. J'ai fait l'analogie avec le cas de l'IWA il y a des années, lorsque les bûcherons et les travailleurs des scieries ont uni leurs efforts pour se battre contre les entreprises. Peu importe ce qui s'est passé ou ce qu'ont dit les sociétés forestières dispersées un peu partout dans la province: tout était contrôlé par le vote dans la vallée du bas-Fraser par les travailleurs des scieries.
Si nous tenions un référendum en Colombie-Britannique aujourd'hui même, en demandant directement aux gens s'ils veulent qu'on augmente un peu leurs impôts pour payer certaines de ces initiatives dans le Nord, vous savez que la réponse serait non. Si vous me demandiez si je suis favorable à ce qu'on augmente très légèrement mon impôt pour que le SkyTrain aille jusqu'à la vallée du bas-Fraser, ma réponse serait la même, non.
Bien des gens qui travaillent pour moi ne sont pas des propriétaires fonciers. Ils semblent très satisfaits des arrangements qui ont été pris. Ils sont tous sûrs que les choses se dérouleront dans un esprit de coopération. Je pense que ce sera la réponse ultime.
Le sénateur Pearson: Nous avons aimé le bon sens que vous exprimez parmi les nombreuses discussions abstraites que nous avons eues. C'est-à-dire que vous êtes là, vous vivez l'expérience et vous trouvez que vous avez un rôle à y jouer. Vous avez réussi à faire entendre vos préoccupations.
Lorsque nous abordons la question de primauté en ce qui concerne l'accord, ne sommes-nous pas vraiment en train de parler de questions comme la langue et le fait de savoir si les écoles ou non enseignent la langue nisga'a? Par conséquent, si la province de la Colombie-Britannique décidait soudainement que les écoles ne devaient enseigner que l'anglais, la province n'aurait pas la primauté dans ce cas, car cette question relèverait expressément des Nisga'a. Est-ce votre interprétation?
M. Young: Cela ne me pose aucun problème. Les enfants des gens qui travaillent pour moi vont à l'école. Ils semblent très heureux de la situation. Ils viennent de recevoir l'accréditation de la province de la Colombie-Britannique. La plupart des enseignants ne sont pas des Nisga'a. Je ne crois pas que cela causera de problème.
Pour ce qui est d'enseigner le nisga'a comme autre langue, cette langue peut être enseignée à l'école et ils peuvent apprendre la langue nisga'a. Cela ferait partie du programme d'études. J'ai fréquenté une école catholique à Vancouver et on nous enseignait le catéchisme pendant une demi-heure chaque jour, ce qui nous gardait à l'école une demi-heure de plus que les autres élèves. Cela faisait partie du programme d'études. Les gens qui n'étaient pas intéressés n'étaient pas obligés de suivre le catéchisme. Je n'y vois aucun problème.
Le sénateur Pearson: Cela me permet de mieux comprendre. J'ai tendance à voir la situation de la même façon à savoir que dans ce genre de domaine, ils doivent pouvoir prendre des décisions.
Le président: Je tiens à vous remercier, monsieur Young, d'avoir comparu devant nous ce soir.
La séance est levée.