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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 4 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 17 février 2000

Le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit ce jour à 9 h 6 pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture au Canada (étude sur les questions du revenu agricole).

Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, la séance est ouverte. Nous examinons l'état de l'agriculture au Canada. Nous nous sommes plus précisément penchés sur les problèmes du secteur céréalier et sur la grave crise que traversent les agriculteurs. Nous accueillons ce matin M. Darrin Qualman, de la Saskatchewan, qui travaille auprès du Syndicat national des agriculteurs. Nous sommes prêts à écouter son exposé.

Allez-y, monsieur Qualman.

M. Darrin Qualman, secrétaire exécutif, Syndicat national des agriculteurs: Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier du travail que vous avez accompli depuis deux ans dans le domaine de l'agriculture et de la sécurité alimentaire.

Je suis venu aujourd'hui vous parler de trois choses. D'une part, la crise du revenu agricole. Les agriculteurs qui produisent des céréales, des oléagineux et du porc sont confrontés à une crise sans précédent. Ils se débattent avec des revenus agricoles extrêmement faibles. En deuxième lieu, je voudrais vous expliquer que les subventions de l'Union européenne, qu'on accuse couramment d'être à l'origine de cette crise du revenu agricole, ne sont pas en réalité la véritable cause de cette crise. Il existe très peu de preuves que ces subventions de l'Union européenne soient la cause de cette crise du revenu agricole. En troisième lieu, j'aimerais au contraire montrer qu'il existe des preuves flagrantes d'une autre raison à cette crise du revenu agricole, à savoir les énormes déséquilibres entre le pouvoir des agriculteurs et celui des compagnies avec lesquelles ils doivent traiter sur le marché agroalimentaire. J'illustrerai ces points à l'aide de graphiques et de chiffres figurant dans notre mémoire.

En ce qui concerne la crise du revenu agricole, vous pouvez voir à la page 2 de notre mémoire un graphique montrant le revenu agricole net depuis 1926, par ferme, et ajusté en fonction de l'inflation. Nous avons choisi la Saskatchewan pour illustrer cet argument, mais la situation décrite dans ce graphique est tout aussi valable pour les exploitations de céréales, de porc, d'oléagineux et les cultures commerciales partout au Canada. Vous pouvez constater que le revenu net des agriculteurs est retombé à des niveaux que nous n'avions jamais vus depuis la Grande crise, et parfois même encore plus bas.

C'est une constatation frappante, mais à l'époque de cette dépression, il y avait une crise économique mondiale, un effondrement des marchés boursiers, un chômage massif et une sécheresse qui touchait l'ensemble des Prairies. Il a fallu tout cela la dernière fois pour faire chuter à ce point les revenus agricoles. En revanche, à l'heure actuelle, les marchés boursiers sont surchauffés et le chômage est modéré. Je lis dans The Economist que l'économie canadienne devrait progresser de 4 p. 100 cette année, et pourtant nous sommes plongés dans cette crise du revenu.

Cette crise du revenu agricole est sans précédent dans l'histoire du Canada. Nous n'avons jamais vu une crise de ce genre en période de prospérité et de stabilité économique. Compte tenu de la gravité de cette crise, il faut absolument l'expliquer de façon claire et approfondie.

Actuellement, on s'en prend aux subventions de l'Union européenne pour expliquer cette crise. Je suis sûr que vous avez déjà entendu plusieurs fois cet argument. C'est là-dessus que nous avons fondé notre stratégie de négociation à l'Organisation mondiale du commerce et ailleurs. Quand on leur demande des explications, nos propres ministres provinciaux et fédéraux pointent du doigt les subventions de l'Union européenne. Cette explication semble logique et convaincante. L'argument est le suivant: les subventions de l'Union européenne stimulent la production en Europe, ce qui entraîne une surproduction et une baisse des cours sur les marchés mondiaux, et par conséquent la crise du revenu agricole.

Encore une fois, cela semble logique et c'est un argument qui est généralement accepté. Pourtant, si vous examinez les données, vous constaterez que, bien qu'il soit exact que la production a augmenté en Europe, elle a aussi augmenté tout aussi rapidement dans les pays où il n'y a pas de subventions. Elle a augmenté tout aussi rapidement en Australie, en Argentine et dans le reste du monde, et même dans une certaine mesure au Canada.

Les tableaux des pages 7 et 8 de notre mémoire récapitulent ces accroissements de la production. Le tableau A porte sur la production de blé. La production de l'Union européenne a progressé, mais la production de l'Australie a encore plus augmenté. La production de l'Argentine a augmenté considérablement, de même que la production du Canada. La production américaine -- et n'oublions pas que les États-Unis sont le deuxième pays ou bloc le plus subventionné au monde -- est en baisse. À partir de ces chiffres, il est difficile de conclure que les accroissements de production sont proportionnels aux niveaux de subvention.

C'est encore plus frappant quand on examine la situation des céréales secondaires et des oléagineux. Dans le domaine des céréales secondaires, la production de l'Europe n'a augmenté que de 0,4 p. 100 au cours des 20 dernières années. La production de l'Australie a augmenté de presque 50 p. 100, celle du Canada de 10 p. 100, pendant qu'aux États-Unis, elle a diminué de 22 p. 100. Le tableau C montre la production de grains oléagineux: certes, elle a augmenté de 73 p. 100 dans l'Union européenne, mais en Australie elle a progressé de près de 300 p. 100 et en Argentine, de plus de 500 p. 100.

Étant donné ces chiffres, force est de conclure que les subventions se traduisent effectivement par un accroissement de la production, mais aussi que l'absence de subventions entraîne aussi une augmentation de la production. Dans ces conditions, l'argument qui voudrait que les subventions européennes soient la cause de la surproduction, de l'effondrement des prix et de la crise agricole, ne tient plus.

C'est le message le plus important que je voulais vous communiquer aujourd'hui, le caractère fallacieux de cet argument au sujet des subventions de l'Union européenne. Je ne sais pas si quelqu'un a déjà examiné réellement les données. Vous voudrez peut-être inviter vos chercheurs à étudier la question sous un angle différent et à partir de sources différentes. En ce qui nous concerne, la théorie selon laquelle les subventions de l'Union européenne seraient la cause de notre crise de l'endettement agricole actuelle, ne tient pas.

Naturellement, si je vous dis que ce ne sont pas les subventions de l'Union européenne qui sont la cause de notre crise, vous allez me dire: «Alors, quelle en est la cause?» C'est effectivement ce que nous nous sommes demandé quand nous avons commencé à étudier de près les subventions de l'Union européenne. Et nous nous sommes penchés sur la chaîne de l'agriculture.

Je vais vous demander d'imaginer un instant la chaîne agroalimentaire. C'est comme une longue chaîne horizontale. À une extrémité, nous avons les puits de pétrole et de gaz naturel. Au maillon suivant, le pétrole est raffiné en diesel et le gaz naturel en engrais. Le maillon suivant de la chaîne, c'est l'industrie chimique, l'industrie des semences et l'industrie de la machinerie. Ensuite, il y a les banques, qui nous octroient du crédit et des capitaux, et le maillon central, c'est l'agriculteur. En aval, vous avez les compagnies de céréales, les chemins de fer, les abattoirs, les transformateurs, les brasseries, les épiciers et les restaurants. Si vous visualisez l'agriculteur en tant que maillon central d'une longue chaîne qui va littéralement des gisements de pétrole et de gaz naturel aux restaurants, vous commencez à comprendre la crise actuelle de l'agriculture.

Si vous examinez cette chaîne, et c'est ce que nous expliquons juste après la page 13 de notre mémoire, vous constatez deux choses frappantes. D'une part, chacun des maillons de cette chaîne est dominé par des entreprises qui sont des milliers et même dans certains cas un million de fois plus grosses que les agriculteurs. Le deuxième point, c'est que chacun des maillons de cette chaîne est dominé par deux à 10 entreprises. Par conséquent, vous constatez que chacun des maillons de cette chaîne est contrôlé par un très petit nombre de très grosses entreprises. La seule exception, c'est le maillon de l'agriculteur.

À ce maillon, on trouve des centaines de milliers d'exploitations familiales, qui sont de taille infime comparativement à des multinationales qui ont des revenus de centaines de milliards de dollars. Si vous regardiez la chaîne sans y connaître quoi que ce soit en matière d'agriculture ou d'économie, vous vous demanderiez comment ces agriculteurs s'en sortent. Si chacun des maillons de la chaîne est dominé par trois ou quatre compagnies ayant des chiffres d'affaires de l'ordre du milliard ou de la centaine de millions de dollars, à l'exception du maillon de l'agriculteur, vous allez vous dire: «Je me demande comment ces agriculteurs peuvent tirer un revenu honnête et adéquat de ce marché». Vous allez commencer à avoir des doutes, et il se trouve que ces doutes sont parfaitement fondés.

Ce mémoire regroupe, probablement pour la première fois, des données comparables de rentabilité de toutes le grandes sociétés et des agriculteurs pour l'ensemble de la chaîne agroalimentaire. Ce que l'on constate, c'est que ces sociétés ont un rendement sur leur actif de l'ordre de 10 p. 100, 20 p. 100, 30 p. 100, 50 p. 100 et 100 p. 100, alors que le rendement sur l'actif des fermes canadiennes n'a été que de 0,3 p. 100 l'an dernier.

Ce qui se passe, c'est que l'argent du consommateur repart vers l'agriculteur, mais que ces entreprises extrêmement puissantes contrôlent le marché parce qu'elles ont très peu de concurrents. Elles sont énormes. Nestlé a un chiffre d'affaires de 73 milliards de dollars par an. Ces entreprises peuvent puiser dans cet argent qui circule pour avoir un bon rendement sur leur actif. C'est ce qu'elles font, et en général elles ont des rendements à deux chiffres. Les agriculteurs n'ont pas ce pouvoir. Il y a un énorme déséquilibre de pouvoir sur le marché. Les agriculteurs ne peuvent pas puiser dans cette source d'argent et en tirer assez de ressources pour continuer à survivre, sans parler d'avoir des rendements à deux chiffres sur leur actif.

Quand une quantité d'argent plus importante que d'habitude arrive malgré tout aux agriculteurs, comme cela a été le cas en 1995-1996, les très grandes entreprises très concentrées qui produisent les intrants ont sur le marché le pouvoir d'aller puiser littéralement dans la poche des fermiers à leur propre profit.

À la page 19 de mon exposé, je présente un exemple de ce que signifie cette notion de domination du marché. Les petits traits noirs horizontaux représentent le cours du blé -- le prix net du blé pour Saskatoon -- et vous remarquerez que du début au milieu des années 90, ces cours ont progressé de façon impressionnante. La petite ligne continue représente le prix des engrais. Vous voyez ce qui s'est passé. Quand les prix des céréales ont augmenté, et que les agriculteurs ont commencé à avoir des revenus plus substantiels en raison de la pénurie mondiale, les compagnies d'engrais, les compagnies de produits chimiques et les entreprises de machinerie ont relevé aussi le prix de leurs produits en fonction de ce que le marché pouvait supporter, et elles ont extorqué des montants considérables aux agriculteurs, de sorte que le revenu agricole net n'a pratiquement pas changé. Malgré une augmentation considérable du prix du blé et des autres denrées, le revenu net des agriculteurs n'a pas augmenté. Une petite partie des recettes supplémentaires est arrivée jusqu'à l'agriculteur, mais lui a été reprise en grande partie.

Je terminerai par une dernière remarque qui illustre, je crois, mon argumentation au sujet du contrôle du marché et du coût des intrants.

Depuis les années 70, les agriculteurs ont triplé leur produit brut mesuré en dollars. Le revenu brut est passé de neuf milliards de dollars à 29 milliards de dollars. En revanche, le revenu net est resté le même. Cela veut dire que les fournisseurs d'intrants ont réussi à empocher la totalité de cette augmentation du revenu brut agricole. Ils ont réussi à se servir de leur pouvoir sur le marché pour être les premiers bénéficiaires de l'accroissement de la productivité, des nouvelles technologies et de la progression des rendements. Depuis 20 ans, en revanche, le revenu net des agriculteurs, corrigé de l'inflation, a diminué.

En conclusion, sénateurs, je vous invite à prendre conscience du fait que ce ne sont pas les subventions européennes qui causent ce problème. Il est probablement impossible de faire disparaître ces subventions européennes, mais même si on le faisait, cela ne règle pas le problème. Ce problème est parfaitement prévisible. Vous avez une chaîne avec des déséquilibres colossaux en matière de pouvoir sur le marché, et le maillon de l'agriculteur est le seul qui soit constitué d'un grand nombre de petites entreprises, ce qui fait que les agriculteurs ont énormément de mal à tirer un revenu équitable et adéquat de ce marché déréglementé.

Le sénateur Fitzpatrick: Votre exposé a été très intéressant et assez inhabituel. Vous avez manifestement fait un travail considérable et des recherches approfondies, et vous vous êtes posé des questions originales.

D'une manière générale, pensez-vous que la mondialisation n'a pas touché l'agriculture comme elle a touché les autres maillons de cette chaîne que vous nous avez décrite, avec ces entreprises multinationales? Comment cela se passera-t-il dans le cas de l'agriculture? Que devient l'agriculteur? En quoi cela influe-t-il sur la structure sociale d'une région comme la Saskatchewan, le Manitoba et l'Alberta, et même peut-être, dans une moindre mesure, certaines parties de la Colombie-Britannique? J'ai l'impression que vous nous présentez un phénomène différent de celui que nous avons constaté traditionnellement.

M. Qualman: C'est une bonne question. Je ne sais si l'on peut parler de mondialisation, mais il est certain que la croissance explosive constatée dans d'autres secteurs de l'économie ne s'est pas manifestée dans le secteur agricole. L'économie agricole occupe une place unique au Canada et peut-être en Amérique du Nord en ce sens que c'est le dernier secteur dans lequel des familles locales possèdent un segment de l'économie locale alors qu'elles constituent un maillon d'une chaîne agroalimentaire où ce n'est pas le cas. Sur le reste de la chaîne, ce n'est pas à des entreprises familiales que nous avons affaire, mais à des multinationales qui ont des centaines de milliards de dollars de chiffre d'affaires.

Vous avez raison: la mondialisation, c'est-à-dire les concentrations et les fusions, ne s'est pas produite dans l'agriculture. Comment risque-t-elle de se produire? Nous essayons d'éviter cela, franchement. Le Syndicat national des agriculteurs essaie d'éviter que nous devenions un secteur où il ne restera plus que quelques très grosses exploitations. Ce serait pour nous, les agriculteurs qui ont une entreprise familiale, une défaite. Nous continuerions à avoir une production agricole, mais elle appartiendrait à quelqu'un d'autre. Elle n'appartiendrait plus aux familles d'Amérique du Nord.

Le sénateur Fitzpatrick: Vous devez avoir une idée de la façon dont vous pouvez lutter contre la concurrence ou renforcer ce maillon que vous dites si fragile, celui de la petite exploitation agricole familiale. Je vais vous donner un exemple. Je suis dans l'industrie de la vigne et du vin. J'ai lu récemment un article très intéressant dans The Economist où l'on parlait du secteur du vin, qui est effectivement touché par la mondialisation. Les grandes compagnies qui font le commerce du vin deviennent de plus en plus grosses et tablent sur un marché de masse pour vendre leurs produits. Je crois que c'est vers cela que s'oriente l'industrie.

C'est peut-être la même chose qui va se passer dans l'industrie des céréales, auquel cas il ne sera pas possible de préserver l'exploitation familiale et par conséquent tout le mode de vie qui va avec, et je pense que ce serait regrettable. Je me demande quel est le pronostic de succès de l'objectif que vous nous avez énoncé.

M. Qualman: La première étape pour réussir, c'est de modifier le débat. Je pense que nous n'avons aucune chance de réussir tant que nos dirigeants élus et économiques, des dirigeants comme vous, ne se pencheront pas sur les causes réelles du problème.

Mais ne n'est pas tout à fait cela que vous me demandez. Vous me demandez quel est le pronostic. Nous pouvons faire deux choses. Toutes les mesures qui contribueront à atténuer le déséquilibre du marché aideront les agriculteurs. Tout ce qui pourra nous donner un pouvoir sur ce marché nous aidera.

Je vais vous donner quelques exemples. En Amérique du Nord, les usines d'abattage des porcs sont de plus en plus souvent propriétaires des porcs, et les usines d'abattage de boeuf sont propriétaires du bétail, et elles en contrôlent le mouvement comme elles le veulent. Elles n'ont pas d'enchère ouverte et les fermiers ne connaissent pas le prix des bêtes. Quand une entreprise d'abattage possède ses propres porcs, elle se moque de savoir si le prix des porcs tombe à zéro. C'est au niveau de l'abattoir qu'elle gagne de l'argent. Si le porc et le bétail se vendaient dans le cadre de marchés équitables et ouverts, à l'occasion d'enchères équitables et ouvertes, les agriculteurs récupéreraient un peu de pouvoir, surtout les producteurs de porc qui ont tellement de difficulté. Un office de commercialisation qui donnerait aux fermiers un pouvoir collectif sur le marché serait très utile.

Dans notre mémoire, vous trouverez un petit passage qui démontre qu'il n'y a pas en réalité d'excédent de céréales dans le monde. Si les grandes nations exportatrices du monde travaillaient au plan multilatéral, elles pourraient mettre sur pied un accord multilatéral analogue à celui de l'OMC pour les céréales qui donnerait satisfaction aux producteurs et entraînerait probablement une augmentation très rapide des prix. Un tel accord aurait en outre l'avantage secondaire de faire disparaître les subventions car quand les cours augmentent, les subventions diminuent.

On pourrait faire beaucoup de choses. Je ne peux sans doute pas tout vous dire aujourd'hui. J'ai un espoir beaucoup plus modeste, celui de provoquer simplement un changement d'orientation du débat sur cette question.

Le sénateur Fitzpatrick: Estimez-vous que le soutien gouvernemental, sous forme de programme d'aide, n'est qu'une solution à court terme aux problèmes que connaît présentement l'industrie? On entend beaucoup parler du manque d'efficacité des programmes d'aide gouvernementale, qu'ils relèvent du fédéral ou des provinces. Êtes-vous en train de nous dire que cela ne peut être qu'une solution provisoire, et que nous devons trouver une solution fonctionnelle à long terme et structurelle si nous voulons assurer la viabilité des exploitations agricoles?

M. Qualman: Oui, c'est tout à fait mon avis. Un soutien immédiat est tout à fait impératif si nous voulons que les agriculteurs survivent jusqu'à l'année prochaine, mais nous savons que les sommes ainsi affectées nous arrivent toujours assez tard et souvent en quantités insuffisantes. Lorsque nous devons compter sur l'appui d'un gouvernement, peu importe lequel, nous sommes en mauvaise posture. Nous devons créer les circonstances qui nous affranchiront de ce besoin d'aide.

Cela étant dit, en ce moment et au cours des prochains mois, les agriculteurs ont et continueront à avoir désespérément besoin de soutien financier. Aujourd'hui, nous discutons des causes de leurs problèmes, mais à moins qu'on ne soutienne ces producteurs agricoles bientôt, ils ne seront plus là pour bénéficier des solutions que nous aurons trouvées.

Le sénateur Stratton: J'ai lu votre mémoire. Vous avez fait des recherches très impressionnantes pour étayer une position assez originale. Lorsque nous avons voyagé en Europe, on nous a constamment dit que c'étaient les subventions de l'Union économique européenne qui permettaient aux producteurs agricoles français de gagner 50 000 $ par année en exploitant une ferme de 40 hectares. Je l'ai moi-même répété bien des fois. Le chiffre que nous avons s'élève à 70 milliards de dollars par année, et je vois dans votre document, un montant de 90 milliards de dollars par année. Compte tenu de l'importance de l'agriculture en Allemagne, ce dernier pays contribue pour près de la moitié de cette subvention. Je crois que le gouvernement de l'Allemagne veut abaisser les subventions. Il estime qu'une aide de ce niveau n'est pas appropriée; or c'est le contraire de ce que vous êtes en train d'affirmer.

J'aimerais maintenant savoir combien il existe d'organismes représentant les agriculteurs. Je suis constamment étonné de la diversité des groupes que nous entendons. Or, lorsqu'il y a autant d'organismes qui représentent un groupe donné, comme les cultivateurs de canola ou les producteurs de blé de l'Ouest, on se pose la question suivante: si dans l'agroalimentaire, des entreprises se réunissent pour constituer de grandes multinationales, tout comme on l'observe dans les autres industries du monde entier, pourquoi les agriculteurs ne se réunissent-ils pas au sein d'un même organisme qui représenterait tous ces groupes et qui leur permettrait de parler d'une seule voix forte et cohérente?

Je conviens avec vous qu'il faut trouver une solution. Au fond, il faut changer l'opinion publique, comme on a réussi à le faire en Europe. En effet là-bas, on est fermement convaincu de l'importance primordiale pour la société de l'exploitation agricole familiale. Cette dernière fait partie intégrante de la société. Je ne pense pas que les Nord-Américains soient de cet avis.

Cela dit, il y a deux problèmes ici. Il y a incohérence du message émis. Si vous disposiez d'un organisme cadre, vous pourriez entreprendre de modifier la perception que le public se fait de l'agriculture comme industrie et de l'exploitation agricole. En second lieu, il vous faut une solution à long terme. Vous n'ignorez sans doute pas que l'OMC s'est lancée encore une fois dans des négociations. Or les dernières ont duré huit ans.

Lorsque vous vous adressez au gouvernement, il faut donc que vous ne vous contentiez pas de réclamer une solution à court terme pour cette année, mais également à long terme afin de résoudre vraiment le problème. En ce cas, vous ne reviendriez pas constamment demander de l'aide au gouvernement. Après quelque temps, on ne vous entend plus. La population canadienne cesse d'écouter, à force de vous avoir entendu réclamer cela trop souvent.

M. Qualman: Monsieur le sénateur, vous me demandez combien il existe d'organismes. Il y en a un assez bon nombre. Vous en avez d'ailleurs entendu quelques-uns. Dans bien des cas, ça n'est pas la faute des agriculteurs. Vous savez, les gouvernements provinciaux ont tendance à catégoriser les denrées. Ainsi par exemple, ils ont créé une contribution de l'agriculteur pour le canola ainsi qu'une association des cultivateurs de canola. Ils ont aussi conçu un même prélèvement pour les pois et créé une association de cultivateurs de légumineuses alimentaires. On peut compter sur les doigts de la main les groupes qui ont été mis sur pied par les agriculteurs eux-mêmes. Je pense que leur nombre correspond à peu près à celui des partis politiques au Canada. Il serait bien que tout le monde parle d'une seule voix pour que les choses se fassent, mais tout le monde n'est pas d'accord.

Le sénateur Stratton: Un seul groupe d'agriculteurs n'est pas en mesure de modifier la perception du public. Étant donné qu'il faudra peut-être 10 ou 15 ans d'effort pour résoudre le problème des subventions, il me semble que vous pourriez parler de façon unanime au sujet de ces deux enjeux.

M. Qualman: Pour ce qui est de parler d'une seule voix et de proposer des solutions claires au gouvernement, nous nous heurtons à un obstacle de fond, l'idée selon laquelle le problème ce sont les subventions de l'Union européenne, à laquelle le gouvernement fédéral croit fermement. Il ne veut donc pas écouter nos solutions. Le gouvernement sait quelle est la solution au problème. Il s'agit de se rendre à l'OMC et de se débarrasser des subventions de l'Union européenne.

Si l'on veut donc proposer des solutions claires, il faut auparavant faire dissiper les fausses solutions qu'on nous sert. C'est ce que nous nous efforçons de faire ici.

Le sénateur Stratton: Laissez le gouvernement faire son travail auprès de l'OMC, car cela s'impose. En même temps cependant, vous devriez collaborer avec lui à l'élaboration d'une solution à long terme. Pourquoi ne serait-ce pas possible?

M. Qualman: Parce que le gouvernement ne veut pas travailler avec nous. Il ne voit pas d'autres problèmes agricoles structurels à part les subventions européennes et le besoin de les éliminer. Je pourrais vous montrer des mémoires et des comptes rendus tirés de réunions où nous discutions de cette question. Nous avons présenté des propositions. Cependant, on essaie constamment de nous rassurer en disant que rien de tout cela n'est nécessaire, et qu'il faut seulement que les Européens cessent de subventionner leurs agriculteurs pour que la prospérité revienne.

Le sénateur Stratton: Que faites-vous pour changer l'avis des citadins ou tout au moins leur attitude au sujet de l'importance des agriculteurs?

M. Qualman: Nous travaillons en collaboration directe avec les habitants des villes. Nous essayons de faire comprendre que les aliments provenant de l'exploitation agricole familiale sont d'origine locale, et qu'ils sont sûrs et fiables. Nous essayons de mettre de l'avant l'idée de la souveraineté alimentaire. Franchement, il reste beaucoup de travail à faire là-dessus. Vous en avez parlé vous-mêmes. Les Canadiens sont blasés au sujet de leur alimentation. On leur dit constamment qu'il y a surabondance, et ils ne sont donc pas particulièrement inquiets. Il y a de grandes épiceries qui regorgent d'aliments. Vous avez raison, il faut que nous travaillions là-dessus.

Le président: Est-il vrai que dans bon nombre de cas, ce sont les compagnies céréalières qui mettent sur pied les groupes d'agriculteurs? Le Saskatchewan Wheat Pool est au fond une compagnie céréalière ainsi que la United Grain Growers. Bien qu'elles manifestent à l'occasion leur appui aux agriculteurs, ce qui est tout à leur honneur, elles cherchent avant tout à acheter des céréales et à tirer des profits de leur vente et de leur manutention.

Le sénateur Fitzpatrick: M. Qualman ne propose pas que le gouvernement mette fin à sa campagne visant à réduire ou éliminer les subventions de l'Union européenne. Ici, je ne veux parler à votre place, mais êtes-vous en train de nous dire qu'en se concertant, le gouvernement, l'industrie et les agriculteurs pourraient trouver des solutions de rechange?

M. Qualman: C'est juste. Si on me permet de développer quelque peu, puisque la délégation canadienne se rend à l'OMC avec l'idée fixe de faire réduire ces subventions, d'autres initiatives multilatérales, comme un programme mondial de retrait obligatoire des terres en culture sont reléguées au deuxième plan.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Vous dites que le gouvernement verse des montants aux agriculteurs de l'Ouest depuis 1995. En 1995, 1,6 milliard de dollars sans impôt ont été versés pour compenser l'abandon du tarif du Nid-de-Corbeau. Chacun des 100 000 agriculteurs des Prairies a reçu entre 15 000 $ et 20 000 $, non imposables. Le gouvernement fédéral, par l'entremise du programme NISA, a versé, depuis 1999, 600 millions de dollars, et par le biais du programme AIDA, au moins 1,1 milliard de dollars.

Selon vous, quelles sommes le gouvernement fédéral devrait-il verser tous les ans aux agriculteurs de l'Ouest pour les aider à rester actifs? Il n'y a aucune volonté de la part des agriculteurs de se prendre en main. Pourquoi un nombre très restreint d'agriculteurs ne veulent-ils pas faire partie des programmes NISA ou AIDA? Les fermiers continueront à demander l'aide du gouvernement. Se sont-ils pris en main? Ont-ils formé un groupe qui pourrait les représenter pour expliquer leurs problèmes?

[Traduction]

M. Qualman: Je reconnais que le gouvernement fédéral a accordé de l'argent au secteur agricole. Parfois ça ne semble pas suffisant, mais les sommes sont quand même très importantes. C'est pour cela que tous les ordres de gouvernement au Canada, c'est-à-dire tous les dirigeants, doivent savoir pourquoi il faut continuer à subventionner le secteur. C'est pour cela que je suis ici aujourd'hui. On vous dit que c'est en raison des subventions de l'Union européenne mais nous ne sommes pas d'accord.

Si vous tenez à réduire l'aide accordée à l'agriculture, il faut d'abord que vous compreniez pourquoi il faut le faire année après année. Nous ne vivons pas très confortablement là-bas. En dépit des immenses contributions des contribuables canadiens, nous perdons quand même nos fermes. Ça déchire les familles. En outre, nous tenons autant que vous à savoir pourquoi il faut continuellement accorder du soutien aux entreprises agricoles.

Voyons un peu ce que font les agriculteurs. C'est ce qui nous a laissés perplexes dans l'actuelle crise du revenu agricole. Pendant 20 ans, on nous a dit que l'agriculture se portera bien si nous étendons nos activités, les diversifions, commercialisons mieux, entreprenons des activités à valeur ajoutée, cultivons des plantes à fort rendement économique, etc. Aujourd'hui, les exploitations agricoles sont énormes et notre matériel est à la fine pointe de la technologie. Nous cultivons des pois chiches et des lentilles et élevons des sangliers. Nous utilisons des ordinateurs, l'Internet et des logiciels d'exploitation du système de positionnement global. Cependant, malgré toutes ces innovations, ces adaptations et ces investissements, notre récompense a été les revenus agricoles nets les plus bas depuis la Grande crise. Nous sommes tout aussi perplexes que vous et nous vous demandons aussi pourquoi tout cela nous arrive, en dépit de tous nos efforts. Chaque matin, nous nous levons et essayons de donner un bon coup de collier. Il est difficile d'imaginer ce que les agriculteurs pourraient faire de plus.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Le gouvernement aidera les provinces et les organisations. Je suis d'accord avec la suggestion du sénateur Stratton en ce qui à trait la création d'une organisation unique qui chapeauterait tous les groupes de fermiers. Ceux-ci n'auront qu'une voix pour avoir plus d'impact. Aucun témoin n'a dit combien le gouvernement fédéral doit donner aux fermiers pour qu'ils puissent poursuivre leurs activités. Un des témoins a déclaré que lui et sa femme avaient un emploi. Ils désiraient néanmoins conserver leur ferme parce qu'ils aimaient l'agriculture. Les contribuables doivent payer pour maintenir cette accession émotive de personnes qui ne se prennent pas en main.

Vous dites qu'en Europe, le gouvernement aide les agriculteurs. Par exemple, vous êtes propriétaire d'une usine de souliers. Vous vous apercevez que dans un autre pays, une usine fabrique des souliers à meilleur marché. Qu'allez-vous faire? Vous allez essayer de trouver une façon de fabriquer vos souliers à prix encore plus réduit pour demeurer compétitif. Y-a-t-il une volonté chez les fermiers de chercher à modifier leur façon d'exploiter leur ferme et d'expédier leurs produits?

[Traduction]

M. Qualman: Ainsi que je le disais, au cours des 20 dernières années, nous avons connu des changements profonds et houleux. Les agriculteurs sont occupés en ce moment à faire des calculs afin de voir quelles cultures ils peuvent se permettre de semer, en se demandant comment ils pourront gagner quelques sous au cours de l'année qui vient. Lorsqu'on examine chaque culture, on se rend compte qu'on peut perdre 50 $ sur le blé, 40 $ sur le canola et 100 $ sur l'orge. On cherche constamment à trouver des moyens de réduire encore les coûts de l'agriculture au Canada.

Notre mémoire brosse un tableau différent. Il dépeint une chaîne agroalimentaire nageant dans l'argent. Si l'on prend par exemple le prix du blé, il est demeuré stable pendant 20 ans. Toutefois, personne d'autre dans cette chaîne n'a été en mesure de maintenir ses prix pendant 20 ans. Aujourd'hui, nous produisons du blé pour moins qu'il y a 25 ans. Or, les entreprises de boulangerie ont triplé leurs prix; les détaillants ont fait de même ainsi que les fabricants de tracteurs. Je ne suis pas sûr que les agriculteurs peuvent en endurer plus. Je doute que la solution soit un rendement des capitaux propres de 40 p. 100 pour les supermarchés et de 50 p. 100 pour les entreprises de conditionnement. Il faudrait pour cela que les agriculteurs passent d'un rendement des capitaux propres de 0 p. 100 à moins 0,5 p. 100. Nous en avons déjà beaucoup fait. Je ne pense pas que nous puissions en faire davantage, mais nous faisons encore des efforts.

Le sénateur Ferretti Barth: Estimez-vous que le gouvernement lui en a assez fait? Vous ne m'avez pas encore répondu.

[Français]

Quelles sommes le gouvernement fédéral devrait-il accorder aux fermiers chaque année?

[Traduction]

M. Qualman: Il faudrait que le gouvernement verse 1,3 milliard de dollars ce printemps même, surtout aux agriculteurs du Manitoba et de la Saskatchewan afin qu'on procède aux semailles et que nous puissions compter sur une autre année de récolte, le temps que nous résolvions le problème. Franchement, cela fait cinq ans que les gens achoppent sur cette situation. On a assisté à un terrible carnage dans les milieux ruraux. Il faut que nous résolvions le problème, mais nous avons besoin de soutien financier à court terme pour que les agriculteurs puissent survivre.

Le président: Le producteur agricole canadien reçoit un appui de 8 p. 100 de son gouvernement, celui des États-Unis, 40 p. 100 et celui de l'Union européenne, 66 p. 100. Nous recevons 6c. d'un pain qui vous coûte 1,50 $. Les agriculteurs ne peuvent être plus productifs que cela. Grâce au commerce, nous injectons des sommes importantes dans l'économie canadienne. Les gouvernements doivent s'en rendre compte. Ainsi par exemple, nous connaissons un excédent commercial de 36 milliards de dollars dans nos échanges avec les États-Unis. Une bonne part de cela correspond au bétail. On vend des céréales, des graines oléagineuses et d'autres produits aux États-Unis. Essayer de priver le gouvernement de cet argent. Personne ne mentionne cela.

Le sénateur Comeau: Quelle proportion de cela revient aux grandes entreprises? Nous essayons de voir les deux côtés de la médaille ici.

Le président: La plupart de nos têtes de bétail sont expédiées directement aux États-Unis. Ces bêtes à cornes se retrouvent là-bas dans des parcs d'engraissement, et font le trajet dans les deux sens. L'industrie du bétail au Canada ne pourrait exister si elle n'était en mesure d'exporter du boeuf et du bétail aux États-Unis.

Le sénateur Stratton: Peut-être que le sénateur Ferretti Barth devrait demander au président combien le gouvernement devrait verser aux agriculteurs sur une base annuelle.

Le président: D'après le graphique de votre mémoire, la production céréalière a diminué aux États-Unis, mais la production d'oléagineux a augmenté de 73 p. 100. Le Dakota du Nord va se mettre à cultiver massivement notre récolte magique, le canola. C'est ce que m'ont appris les gens à qui je livre du canola, ADM à Velva, dans le Dakota du Nord. Ils vont en semer d'un bout à l'autre de cet État parce que le gouvernement américain leur donne jusqu'à 5 $US de subvention par boisseau, c'est-à-dire 7 $. Nous touchons 5,20 $ du boisseau et nous ne pouvons pas les concurrencer.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: C'est pour cela que je vous demande combien d'argent vous voulez que le gouvernement injecte pour être à la hauteur des autres pays. Personne ne répond à cela. Veulent-ils les cinq dollars, comme les Américains? Il faut être très précis, autrement nous allons perdre du temps à entendre toutes sortes de témoins.

[Traduction]

Nous sommes ici pour savoir ce qu'ils veulent.

Le président: Je peux vous répondre. Ceci est le résultat de discussions que j'ai eues avec le sénateur Sparrow à ce sujet. Depuis que les conservateurs sont partis, le gouvernement a retiré quatre milliards de dollars à l'agriculture. Si nous voulons surmonter cette crise sans que les agriculteurs soient acculés à la faillite, il va falloir injecter au moins deux milliards de dollars supplémentaires par an, c'est du sérieux, pas de la petite monnaie. Les gouvernements aux niveaux provincial et fédéral ont fait traîner cette situation en se livrant à leurs petits jeux. Il va falloir deux milliards de dollars pour rectifier le cours des denrées.

Le sénateur Robichaud: Monsieur le président, nous devrions peut-être en revenir à notre témoin.

Le président: D'accord.

Le sénateur Oliver: J'ai plusieurs questions qui tournent autour d'un thème central. Si je peux reprendre votre thèse, vous avez trois arguments. Vous voulez nous faire comprendre qu'il y a effectivement une crise du secteur agricole et que le revenu net des fermiers n'a jamais été aussi bas depuis la dépression. Deuxièmement, beaucoup de gens pensent que la cause principale de cette crise, ce sont les grosses subventions versées aux agriculteurs européens, en particulier en France, mais vous dites que ce n'est pas vrai. Troisièmement, vous avez l'air de dire que la véritable raison de cette crise, c'est que les divers maillons de la chaîne de l'alimentation se servent proportionnellement plus, alors que le revenu des agriculteurs est resté au même niveau et qu'ils n'ont pas leur juste part. Je pense que c'est votre thèse et je la comprends.

Il y a quelque chose que vous ne nous avez pas dit aujourd'hui, et toute votre argumentation est une pétition de principe sur ce plan. Le sénateur Fitzpatrick et le sénateur Stratton vous ont en partie posé cette question, mais vous n'y avez pas répondu. Vous êtes à la tête du Syndicat national des agriculteurs, qui est une grande organisation. Vous devriez venir ici avec un ensemble précis de solutions à proposer à notre comité, qui est un comité du Parlement du Canada.

On vous a demandé ce qu'il faudrait faire si tel est effectivement le problème. Vous avez répondu que dans l'immédiat, vous auriez besoin d'argent pour faire la soudure jusqu'aux semailles pour l'année prochaine. Ensuite, vous avez dit que ce que vous vouliez faire aujourd'hui avec les sénateurs, c'était réorienter le débat sur cette question.

Si j'étais un agriculteur qui gagne 20 000 $ par an, avec une femme et trois enfants, je n'aurais aucune envie que le chef du Syndicat national des agriculteurs vienne ici simplement pour réorienter le débat. Je voudrais le voir ici avec quelque chose de concret. Qu'est-ce que notre comité peut recommander concrètement pour résoudre ce problème?

J'ai l'impression que vous n'avez pas répondu à cette question. Vous avez dit à un autre sénateur que vous vouliez simplement attirer notre attention sur ce problème. Cela me paraît très insuffisant. Ce que je voudrais vous entendre dire, c'est par exemple: Écoutez, ce marché est régi par l'offre et la demande. Si nous pouvions freiner l'offre et accroître la demande, les prix pourraient remonter. Nous pourrions peut-être faire une grève, syndicaliser plus les agriculteurs. Il y a peut-être des moyens de nous renforcer, mais que pourrions-nous soumettre de concret au ministre de l'Agriculture pour élaborer une nouvelle loi? Que peut-on faire concrètement pour permettre aux agriculteurs de toucher enfin un juste prix pour leur production?

M. Qualman: Notre syndicat, comme d'autres groupes, propose depuis 30 ans des solutions dont on n'a généralement tenu aucun compte. Nous avons identifié la raison pour laquelle on n'en tient pas compte actuellement, c'est le fait qu'il y a un malentendu et qu'on s'en prend à tort aux subventions européennes.

Nous progressons graduellement. Nous ne pensons pas qu'il soit possible de planter les graines d'une solution dans un sol qui n'est même pas labouré si pendant ce temps-là les gens passent leur temps à retourner des arguments sur les subventions européennes ou d'autres choses à l'OMC.

Avant tout, il faut comprendre le problème. Ensuite, il faut parler des solutions. Cela dit, nous ne manquons pas de solutions à proposer. Je vous en ai proposé une. Il n'y a pas beaucoup de céréales dans le monde. Au lieu d'aller demander la fin des subventions à l'OMC, il suffirait de diminuer de 15 p. 100 les superficies cultivées. Les cours monteraient en flèche. On n'aurait plus besoin de subventions.

Donnez aux agriculteurs ce dont ils ont besoin pour avoir un pouvoir sur le marché. Cela a l'air d'être de la vieille histoire, mais c'est toujours la même chose, les offices de commercialisation. Nous avons besoin de pouvoir travailler collectivement pour avoir un pouvoir.

Imaginons que vous ayez 5 000 $ de blé à vendre. Une société qui gagne 75 milliards de dollars par an peut vous acheter votre blé ou aller en acheter en Australie, en Argentine ou au Brésil, là où le cours est le plus faible. Dans ce cas, les prix vont être très bas.

Il faut intervenir au niveau des intrants. Je sais que votre comité s'y intéresse beaucoup. Le gouvernement du Canada, lors de sa dernière initiative en matière de coût des intrants, a cessé de recueillir les données. Si vous devez faire quelque chose demain matin, demandez donc au gouvernement de rendre à Statistique Canada l'argent nécessaire pour nous permettre de savoir au moins quels sont les coûts des intrants. Je ne me fais pas d'illusion, je ne pense pas que le gouvernement va imposer du jour au lendemain des contrôles des salaires et des prix des engrais ou du gazole, mais il pourrait au moins recueillir les données.

Je ne vois pas comment je pourrais vous donner toute une liste de ce que vous pouvez faire pour m'aider en tant qu'agriculteur si vous regardez dans la direction opposée. J'ai besoin d'aide au niveau des intrants, mais tout ce que le gouvernement a fait, c'est cessé de recueillir les données, ce qui fait que je ne sais même plus quel est le coût des engrais.

Alors, si j'hésite un peu à vous donner toute une liste de choses que le gouvernement pourrait faire, c'est bien pour cela. J'ai cette liste. Je n'ai pas voulu vous présenter un mémoire trop long. Nous pouvons vous envoyer une liste. Si vous pensez qu'il y a un vague espoir que le gouvernement se décide tout d'un coup à agir de manière à donner un certain pouvoir aux agriculteurs dans la chaîne de l'agroalimentaire, nous vous donnerons cette liste. Cela fait des années que nous la brandissons, mais le gouvernement fait exactement le contraire.

Le sénateur Oliver: Je sais bien qu'il y a une crise. Je comprends bien ce que vous dites au sujet des subventions européennes. Mais si les agriculteurs se font saigner par les fournisseurs d'intrants, que peut-on faire pour rendre à ces agriculteurs une partie de cet argent qui leur revient légitimement et qui sert à alimenter des profits exagérés des fournisseurs? C'est bien ce que vous nous dites à propos de ces fournisseurs d'intrants?

M. Qualman: Ces fournisseurs gagnent infiniment plus d'argent que les agriculteurs. Tous les maillons de la chaîne gagnent infiniment plus que les agriculteurs. La première chose, c'est l'information. La deuxième étape, ce serait d'aider les agriculteurs à se constituer un pouvoir d'achat pour avoir un certain poids sur le marché.

Le sénateur Oliver: Ce qui m'inquiète, c'est que cette crise agricole, c'est effectivement une crise. Si nous nous contentons d'en discuter sans agir concrètement, d'ici un an ou deux des centaines et des centaines d'agriculteurs vont faire faillite. Pouvons-nous nous permettre de laisser passer tout ce temps? Pourquoi ne recommandez-vous pas autre chose qu'une simple injection d'argent du gouvernement pour aider les fermiers à semer leurs récoltes? Pourquoi ne proposez-vous pas quelque chose de plus concret pour le long terme?

M. Qualman: Je trouve étrange, sénateur Oliver, que pendant 30 ans, nous ayons tenté de collaborer avec le gouvernement afin de mettre en place le genre de programmes qui permettront aux fermes familiales de survivre et que, aujourd'hui, alors que je viens ici pour présenter quelque chose d'un peu original, on semble m'accuser de provoquer la crise du revenu agricole en refusant de vous donner aujourd'hui ce qu'il vous faudra demain pour régler le problème.

Le sénateur Oliver: Si c'est ainsi que vous avez compris mes propos, je devrais peut-être les reformuler.

Si je peux me le permettre, monsieur le président, je ne veux pas critiquer le témoin. Je tente d'obtenir des informations, mais il ne semble pas comprendre le sens de ma question.

Je reformule ma question. Vous avez commencé par dire que la crise agricole est si grave que bien des agriculteurs canadiens ont actuellement un revenu net inférieur à ce qu'il était pendant la dépression. Deuxièmement, vous avez dit que la plupart des Canadiens estiment que cela est attribuable aux subventions injustes versées en Europe. Vous avez déclaré que tel n'était pas le cas et que le principal problème du Canada, c'est que les fournisseurs d'intrants, les autres maillons de la chaîne alimentaire, s'approprient une part disproportionnée d'argent et que les agriculteurs, eux, n'ont pas leur juste part. Ai-je raison? Est-ce bien ce que vous prétendez? Si tel est le cas, vous ne nous avez pas dit ce qu'un comité législatif pourrait faire pour régler la crise. C'est là ma question. Avez-vous compris ma question?

M. Qualman: J'ai énuméré bien des choses. Les offices de commercialisation sont utiles. La réglementation des secteurs qui jouissent des pouvoirs d'un monopole est aussi utile. La déréglementation du secteur ferroviaire qui sera probablement annoncée ce mois-ci ne sera aucunement utile. Le gouvernement doit absolument cesser la déréglementation de l'agriculture, cesser de s'en remettre au marché sous prétexte que le marché assurera la prospérité des agriculteurs. Comme nous l'avons démontré dans notre mémoire, si vous examinez le marché, vous voyez qu'il n'est pas constitué uniquement d'un groupe d'acheteurs et d'un groupe de vendeurs; il se compose d'un petit nombre de sociétés multimilliardaires qui ont presque les pouvoirs d'un monopole et qui laissent de moins en moins de place aux agriculteurs. Il faut que le gouvernement ait la volonté d'intervenir et de rétablir activement l'équilibre sur ces marchés afin que les autres joueurs ne se servent pas de leur considérable emprise sur les marchés au détriment des agriculteurs. J'espère que cela suffira. Si le gouvernement fédéral fait cela, la situation s'améliorera certainement. J'espère que cela créera un environnement où les exploitations agricoles familiales pourront s'épanouir.

Le sénateur Fairbairn: Votre mémoire est très intéressant. On pourrait le juger radical, en ce sens qu'il ne reprend pas le thème habituel de ces discussions, à savoir les subventions européennes et les aux subventions internationales.

Pour faire suite aux dernières questions posées par le sénateur Oliver, ce que vous suggérez, c'est que le gouvernement intervienne et réglemente la présence des multinationales sur le marché, n'est-ce pas?

Vous avez tout à fait raison. Nous entendons cela depuis de nombreuses années. Je siège à ce comité de façon intermittente depuis que je suis sénateur, soit depuis plus de 15 ans. Je me souviens que nous avions accueilli l'une de ces multinationales, dans le cadre de nos audiences sur le libre-échange, je crois. J'ai posé ce qui était probablement une question naïve dans les circonstances sur les retombées positives, pour les agriculteurs et les fermes familiales du Canada, des exploitations que ces multinationales établissaient avec tant d'enthousiasme. On m'a répondu sans hésitation et sans équivoque: «Ce n'est pas ainsi que nous voyons la chose. Il n'y a plus de frontières. Nous existons dans un monde sans frontières.» Le Canada n'est pas le seul à être envahi par ces multinationales; elles sont présentes dans le monde entier. Dans ma propre région du sud-ouest de l'Alberta, on le voit dans les parcs d'engraissement.

Voulez-vous dire que le mieux, ce serait pour le gouvernement de réglementer le marché de façon à réorienter ou à freiner les activités de ces multinationales? Je ne crois pas qu'au Canada, nous ayons les ressources nécessaires pour créer des structures concurrentielles. Nous en avons quelques-unes à nous, mais elles sont de petite taille et sont souvent absorbées par des sociétés plus importantes. Est-ce là ce que vous nous dites?

Mon autre question porte sur les chemins de fer et le système de manutention des grains. Vous avez, à juste titre, signalé que des décisions à cet égard seront prises très bientôt. De part et d'autre, on s'inquiète. Encore une fois, une foule de gens viennent nous voir à Ottawa. D'une part, ils affirment que la Commission canadienne du blé doit continuer à faire partie du système de transport des céréales au pays et, d'autre part, ils disent que pour corriger la situation, la Commission canadienne du blé ne devrait être qu'un office de commercialisation et ne pas s'occuper du transport. On nous bombarde d'arguments invoqués avec passion de part et d'autre, et c'est ce que vous dites. Si vous réussissez à semer des grains et à obtenir une récolte, il faut faire transporter celle-ci quelque part. C'est un aspect très important.

J'aimerais avoir vos remarques sur ces deux choses. Je crois comprendre ce que vous dites, mais je ne vois pas comment, dans le monde actuel, nous pouvons y arriver. Je ne vois pas quel mécanisme on pourrait créer pour y arriver. J'estime que le gouvernement doit rester à l'écoute des gens. Il lui arrive de mettre en place des mécanismes qui sont mal acceptés, et c'est pour cela qu'il nous faut, non pas des critiques, mais des suggestions instructives. De toute façon, ce ne sont pas les critiques qui manquent.

M. Qualman: Le transport des céréales est une question clé dont l'étude peut être très révélatrice. Nous n'avons que deux chemins de fer qui constituent des monopoles géographiques, dans l'ouest des Prairies, du moins. Pour une raison ou une autre, la déréglementation du transport ferroviaire s'est amorcée en 1984. Depuis, les tarifs marchandises pour ma ferme se sont multipliés par sept. Certaines initiatives de déréglementation ont été prises dans un effort de diminution des dépenses, mais d'autres décisions, qui ont entraîné une augmentation importante du coût de transport pour mon exploitation, n'ont permis aux contribuables de faire aucune économie. Je vous en donne un exemple.

Aux termes de l'ancienne Loi sur le transport du grain de l'Ouest, les tarifs marchandises augmentaient chaque année en fonction de l'inflation et de la hausse du coût du carburant et des salaires. Tous les quatre ans, on comparaît les tarifs marchandises au coût réel et ils étaient rajustés à la baisse. C'est ce qu'on appelait le partage des gains de productivité, mais les gains de productivité ne se réalisent pas dans le vide. L'entreprise ferroviaire peut congédier un groupe d'employés et ainsi abaisser ses coûts, ou supprimer des lignes secondaires et exiger des agriculteurs qu'ils transportent leur grain plus loin. Ce gain de productivité se réalise grâce aux efforts des agriculteurs. Lorsque la LTGO a été remplacée par la Loi sur les transports au Canada, la LTC, il y a cinq ou six ans, le gouvernement a décidé de continuer à rajuster les tarifs à la hausse pour tenir compte de l'inflation, mais de ne pas les rajuster à la baisse pour tenir compte des gains de productivité. Cela nous coûte 5 $ la tonne.

Nous nous demandons pourquoi le gouvernement a cessé de partager ces gains de productivité. Il ne lui en coûterait rien. Ce sont les entreprises ferroviaires qui paieraient. Si vous lisez notre mémoire, vous verrez que les entreprises ferroviaires sont de 10 à 20 fois plus rentables que les exploitations agricoles. Par conséquent, demander aux agriculteurs de payer davantage pour accroître les profits des compagnies de chemin de fer ne nous semble pas une bonne idée.

Votre première question était de savoir si le gouvernement devrait réglementer certains de ces secteurs pour donner une meilleure chance aux agriculteurs. Oui, et le transport du grain est un élément important. Le gouvernement pourrait faire bien des choses qui ne coûteraient rien aux contribuables, et je viens de vous en donner un exemple.

Nous craignons beaucoup que les prochains changements, qui prévoient l'exclusion de la Commission canadienne du blé et l'élimination du plafond pour les tarifs, constitueront une cession du système aux entreprises ferroviaires. Je n'ai pas besoin de vous rappeler que les sociétés ferroviaires grossissent à vue d'oeil, surtout depuis la fusion du Canadien National avec Burlington Northern. De plus, CN n'est plus une société de la Couronne. Bientôt, elle fera partie de l'une des plus importantes sociétés ferroviaires privées du monde. Le gouvernement doit réglementer le secteur ferroviaire; sinon, nous qui sommes à la merci de ce monopole ne survivrons pas.

Le sénateur Fairbairn: Ces questions nous troublent. Vous serez d'accord avec moi pour dire que, que ce soit sur la scène internationale ou relativement aux chemins de fer, il n'y a pas de solution facile. Ce sont des problèmes très délicats. Nous avons besoin de votre aide et de vos idées. Je vous remercie d'être là.

Le sénateur St. Germain: Vous dites que le prix des denrées est celui de 1930, mais que les subventions européennes ne constituent pas le problème. Or, vous dites aussi que si, d'une façon ou d'une autre, on réduisait les coûts des intrants, le rendement de votre produit ne serait toujours pas suffisant. Pourriez-vous m'expliquer ce que vous voulez dire? Voulez-vous dire que ce n'est pas à cause des subventions que les prix sont au niveau de 1930?

M. Qualman: C'est exact.

Le sénateur St. Germain: Quelle est la cause, alors?

M. Qualman: Il y a 25 ans, les agriculteurs recevaient un quart du prix d'une boîte de flocons de maïs. Aujourd'hui, nous obtenons peut-être un vingtième.

Si on fait abstraction des subventions au secteur agricole, il n'y a qu'une seule source d'argent dans toute la chaîne. L'argent arrive au restaurant ou à l'épicerie et passe d'un maillon de la chaîne à l'autre. L'épicerie le remet au transformateur, le transformateur le remet à l'entreprise de conditionnement ou de céréales, qui, à son tour, le passe au suivant. C'est un peu comme une rivière comportant beaucoup d'écluses. Si, le long de la rivière, chacun ouvre son écluse pour avoir le plus d'eau possible, lorsque l'eau arrive à la ferme, elle n'est plus qu'un ruisselet.

Le sénateur St. Germain: Je ne comprends pas vraiment votre raisonnement, mais passons à autre chose.

Vous avez parlé des offices de commercialisation. J'ai moi-même été président d'un de ces offices et j'ai trouvé ça assez épeurant. L'office de commercialisation favorisait des inefficiences telles que je n'en croyais pas mes yeux. Le secteur comprenait des producteurs qui ne faisaient absolument rien mais qui survivaient. Ils exploitaient leur entreprise de façon négligente mais nous n'y pouvions rien. C'était tout à fait déplorable.

J'ai encore une ferme. Vous dites que les agriculteurs devraient se rassembler. Les semences de pommes de terre produites dans la vallée de Pemberton, où se trouve mon exploitation, sont parmi les meilleures du monde.

Le sénateur Robichaud: C'est à prouver.

Le sénateur St. Germain: Nous n'avons ni X, ni Y et nous expédions nos semences de départ dans toute l'Amérique du Nord. Si les producteurs estiment que le rendement n'est pas assez bon, nous les rencontrons pour en discuter. Dans les 24 heures qui suivent, quelqu'un accepte de vendre à un prix inférieur que le prix convenu. Je ne crois pas que vous puissiez vous organiser au niveau de l'exploitation agricole familiale, car elles sont individuelles.

Quel pourcentage des agriculteurs représentez-vous?

M. Qualman: Nous comptons des milliers de membres à l'échelle du pays. J'ignore quel pourcentage ils représentent. N'oubliez pas que notre organisation est une organisation bénévole. Aucune loi n'oblige les agriculteurs à se joindre au Syndicat national des agriculteurs. Le gouvernement ne perçoit pas de cotisations qu'il nous remet ensuite. Nous sommes un organisme bénévole. Les temps sont durs pour nous aussi. D'autres organisations sont plus nombreuses car elles comptent sur les prélèvements faits par le gouvernement, mais je ne m'attarderai pas sur ce sujet. Nous vous ressemblons de bien des façons. Lorsque nous adoptons une position sur la Commission canadienne du blé, nous constatons que de 70 p. 100 à 80 p. 100 des agriculteurs adoptent la même position. Eux aussi veulent une commission du blé qui soit forte et efficace.

Je suis certain que nous représentons de nombreux agriculteurs mais qu'ils ne sont pas tous membres de notre syndicat, tout comme les députés représentent tous leurs électeurs, même ceux qui ne sont pas membres de leur parti.

Le sénateur St. Germain: Je siège au comité sénatorial des peuples autochtones et au comité sénatorial de l'agriculture qui sont tous les deux très complexes. Je dirais seulement que la déréglementation qui s'est faite au pays a profité à la majorité. J'ignore où situer la ferme familiale dans ce contexte. Dans le secteur agricole, dont je fais partie, les exploitations sont de plus en plus grandes et c'est la seule façon de survivre.

Je sais que c'est une question qui soulève les passions. Ceux qui sont propriétaires d'une petite ferme, comme moi, doivent faire face à la réalité. Croyez-vous que les exploitants de petites fermes acceptent la réalité et s'adaptent à la mondialisation? Nous devons nous poser la question. Il ne sert à rien de faire l'autruche. Tout le monde affirme qu'il faut protéger les fermes familiales, et les politiciens basent leur campagne là-dessus. Toutefois, est-ce bien réaliste?

Le sénateur Fitzpatrick est dans le secteur vinicole. Les grandes sociétés de la Californie prennent de plus en plus d'importance, ce qui n'empêche pas l'existence d'entreprises familiales dans ce secteur. Certains ont prétendu que le libre-échange ferait disparaître l'industrie vinicole artisanale. Au contraire, la production de vin au Canada s'est améliorée.

Je vous pose la question sans vouloir être vindicatif ou malveillant: compte tenu du monde dans lequel nous vivons, acceptons-nous la réalité?

M. Qualman: Je vous dirai trois choses. Premièrement, en ce qui concerne la déréglementation et le rendement des fermes, les secteurs les plus déréglementés et les plus dépendants de la libéralisation des échanges commerciaux sont ceux des céréales et du porc, qui sont aussi les plus mal en point. Les secteurs les plus réglementés qui desservent le marché national sont ceux du lait, des oeufs, du poulet et de la dinde; la crise du revenu agricole les a généralement épargnés. Je ne crois pas qu'on puisse établir un lien entre la déréglementation et la santé des exploitations agricoles.

Deuxièmement, pour ce qui est des échanges commerciaux et de la mondialisation, j'ai ici un graphique très frappant qui n'a pas été inclus dans notre mémoire. Les exportations agroalimentaires canadiennes sont passées de 5 milliards de dollars à 25 milliards de dollars depuis la fin des années 70 mais le revenu agricole net, lui, a baissé. L'augmentation des échanges commerciaux agricoles n'a eu aucune incidence sur les fermes familiales. En fait, le revenu des exploitations agricoles familiales est inversement proportionnel à cette augmentation. Je ne voudrais pas attribuer la crise du revenu agricole à la hausse des échanges commerciaux, mais ceux-ci ne nous ont certainement pas été profitables.

Troisièmement, quant à savoir si, avec la mondialisation, on ne devrait pas tout simplement dire adieu aux fermes familiales, qui sont peut-être une chose du passé, un socialiste réputé du nom de Thomas Jefferson a dit que la démocratie politique se fonde sur la démocratie économique. Si vous donnez les actifs, tout l'argent, à un très petit nombre de gens, ils voudront tout diriger. L'Accord multilatéral sur l'investissement, comme d'autres accords, est un bon exemple des efforts des propriétaires du capital et des usines en vue de tout diriger.

Il n'y a plus qu'un secteur de l'économie canadienne où les familles sont encore propriétaires, et c'est celui des exploitations agricoles. Nous avons perdu les dépanneurs, nous avons perdu les magasins de chaussures, nous avons perdu les magasins de vêtements et, maintenant, les fermes sont menacées. Si notre pays estime qu'il est dans son intérêt que d'abandonner les fermes aussi, je suppose que c'est ce qui se passera. C'est essentiellement ce dont les agriculteurs discutent avec le reste du pays.

Les Canadiens sont-ils d'avis que les exploitations agricoles familiales contribuent à la vie du pays de différentes façons? J'ignore quelle sera la réponse, mais je crois que, chaque fois que nous renonçons à un autre secteur, nous le faisons à nos risques et périls.

Le sénateur St. Germain: Est-ce que votre organisation fait face à l'inévitable? Nous devons tous faire face à la réalité. Ainsi, la Colombie-Britannique a perdu sa dernière usine de transformation de la viande mais il reste encore quelques usines à façon. J'étais toujours horrifié au moment d'expédier mes veaux. Ils étaient vendus aux enchères à deux acheteurs. J'ignore qui achètera notre bétail dorénavant. Je suppose que ce seront les Américains.

Lorsque j'examine la situation, je ne vois pas comment les agriculteurs pourraient réduire l'offre de leurs produits pour forcer les prix à la hausse. Nous faisons face au fait que les pays de l'OPEP contrôlent le prix du pétrole et du gaz en manipulant le marché. C'est la réalité, que l'on appelle cela de la manipulation, de la réduction de l'offre ou quoi que ce soit d'autre. Les agriculteurs ne me semblent pas en mesure de s'organiser ainsi. C'est le problème. S'ils ne peuvent s'organiser, quelle est la solution? Je crois que c'est là où voulait en venir le sénateur Oliver.

M. Qualman: Les pays de l'OPEP sont des États. Ce sont des pays qui ont décidé de ne pas permettre à la société A de vendre moins cher que les sociétés B, C, D et E. Ces pays sont intervenus à ce titre en vue de réglementer cette industrie pour ensuite travailler de concert avec d'autres pays. Cela devrait nous servir d'exemple. L'OPEP n'est pas constituée de sociétés privées; des sociétés privées ne pourraient en faire autant. Des entreprises ne peuvent dire que l'intérêt national est en jeu, qu'elles doivent intervenir et contrôler le prix des denrées.

Le président: J'ai sous les yeux un exemplaire du Manitoba Co-operator. On y dit que le président Clinton, dans un discours qu'il a prononcé devant des milliers de gens assemblés à Washington Park, a déclaré:

Je vous demande d'appuyer nos efforts en vue d'aider les agriculteurs...

Il ajoute que son administration demandera au Congrès d'ajouter 11 milliards de dollars aux sommes déjà consenties, soit environ 33 milliards de dollars d'après mes calculs. Je me suis entretenu avec des agriculteurs américains qui souffrent. Le gouvernement leur versera 40 p. 100 de leur revenu.

Ma question est donc la suivante: si le gouvernement du Canada refuse de négocier avec le secteur des céréales, les Américains domineront-ils ce secteur sur le marché commun nord-américain?

ConAgra construit des usines en Saskatchewan. Un ancien PDG de ConAgra est maintenant PDG du Saskatchewan Wheat Pool. Il se peut que le Saskatchewan Wheat Pool soit absorbé par l'une des grosses multinationales. Cargill construit des usines dans le secteur du grain. Ce n'est certainement pas en vue de faire faillite. Archer Daniels Midland s'apprête à acheter 49 p. 100 de United Grain Growers. Le Canada ne risque-t-il pas de perdre ce secteur? Nous, du moins certains d'entre nous, les agriculteurs, survivrons. Nous sommes les meilleurs producteurs du monde et certains survivront. Mais qui contrôlera l'industrie?

M. Qualman: Je crains que les nouvelles soient mauvaises. Vous avez déjà perdu votre secteur de la transformation. Archer Daniels possède la moitié des usines de farine de malt. Vous avez perdu votre secteur de la transformation au milieu des années 80, après la signature de l'Accord de libre-échange. Il nous reste maintenant à déterminer si nous voulons conserver nos fermes.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Vous avez mentionné le problème des transports. Les représentants de la Coalition des fermes des Prairies ont mentionné dans leur présentation que si le gouvernement fédéral adoptait quelques mesure recommandées dans le rapport Estey et Kroiger en ce qui concerne le transport du grain, il en résulterait une augmentation de 15 000 $ par année par fermier.

Que pensez-vous de cette suggestion de la coalition? Vous avez lu les rapports Estey et Kroiger. Pensez-vous que leurs recommandations quant au système de transport apporteront des réformes dans ces domaines? Les revenus des fermiers augmenteront de 15 100 $ par année. Jusqu'à maintenant, c'est la situation en Europe. Ils sont subventionnés par les gouvernements pour les transports.

[Traduction]

M. Qualman: J'ai lu les rapports Estey et Kroeger. Des membres du Syndicat national des agriculteurs ont participé aux délibérations du comité Kroeger et j'ai rédigé des mémoires sur ces deux rapports.

Pour commencer, 15 000 $, c'est vraiment ridicule, à moins qu'il ne s'agisse d'une exploitation de 5 000 à 10 000 acres. Personne n'a fait de propositions permettant d'épargner cette somme d'argent. Deuxièmement, tout le monde veut que les agriculteurs réalisent des économies. La question est de savoir quelle est la stratégie qui permet d'économiser le plus d'argent. Si nous conservons le système actuel et rétablissons le partage des gains de productivité, les frais des agriculteurs baisseraient d'au moins 5 $ la tonne. Ni l'un ni l'autre des rapports Estey ou Kroeger -- et vous pouvez les lire -- ne recommande des réductions de cette ampleur des frais de transport qu'assument les agriculteurs.

Honnêtement, le rapport Estey nous a beaucoup amusés. Nous avons comparé les recommandations de ce rapport à celles du mémoire du Canadien Pacifique. Les deux listes de recommandations sont identiques. CP Rail a rédigé le rapport de Willard Estey.

Je vous donne un exemple. Le rapport Estey recommandait une réduction de 5 p. 100 de la facture totale de fret des agriculteurs. Les sociétés ferroviaires avaient conclu que, avec la déréglementation du système, elles pourraient éliminer 5 p. 100 de leurs voies ferrées. Elles pourraient supprimer des lignes secondaires et la distance moyenne parcourue diminuerait de 5 p. 100. Par conséquent, elles n'étaient pas disposées à céder quoi que ce soit aux agriculteurs. Leurs tarifs sont déjà gonflés puisqu'elles refusent de partager leurs gains de productivité et elles ne sont disposées à les abaisser un tout petit peu que si elles sont autorisées à supprimer toutes les lignes secondaires pour économiser autant d'argent. Les propositions Estey-Kroeger donnent très peu d'espoir aux agriculteurs.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Monsieur le président, sera-t-il possible de convoquer M. Estey et M. Kroiger à notre comité?

[Traduction]

Le président: Nous pourrions les inviter. Je m'en remets au comité.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: À tout le moins pour connaître les éléments qui les ont amenés à faire ces recommandations, puisqu'il s'agit d'un rapport gouvernemental.

[Traduction]

Le président: Vous avez tout à fait raison. Si nous sommes tous d'accord, nous verrons à les inviter.

Le sénateur Robichaud: Vous avez parlé des subventions européennes. Si j'étais un négociateur devant participer à des pourparlers sur le commerce, votre position démolirait tous mes arguments. Les Européens l'invoquerait pour dire: «Si cela ne vous pose pas de problème, n'en parlons pas.».

Vous dites qu'on pourrait aider les fermiers de différentes façons, vous avez mentionné les contrôles et la réglementation, mais si le gouvernement tentait de créer des offices de commercialisation, comme vous l'avez suggéré, la lutte serait ardue. Nous avons du mal à conserver les offices existants. Nous devons faire des pieds et des mains aux négociations commerciales pour les conserver. Croyez-vous que le gouvernement puisse imposer d'autres contrôles de ce genre sans abandonner les négociations commerciales dans la situation actuelle.

M. Qualman: Je l'espère. Je n'ose pas croire que le Canada n'a plus la souveraineté nécessaire pour créer des offices de commercialisation agricoles. J'ignore si tel est le cas. J'espère bien que non. J'espère que le Canada est encore un pays libre et souverain et qu'il peut mettre en marché son blé, son lin, son canola, son bétail, ses porcs et ses kumquats comme il le souhaite.

Le sénateur Robichaud: Vous savez comme il nous a fallu lutter pour conserver nos offices de commercialisation. Voici ma question: Comment les producteurs réagiraient-ils à des contrôles accrus? Lorsque nous étions dans l'Ouest, quand nous avons parlé de la Commission du blé, j'ai eu l'impression qu'il y avait autant de gens pour que de gens contre. Il n'y avait pas de juste milieu. C'était tout l'un ou tout l'autre. Si le gouvernement créait une autre institution de ce genre, il y aurait une révolte. On nous pendrait haut et court.

M. Qualman: Je peux vous dire deux choses. Premièrement, le Syndicat national des agriculteurs ne vous demanderait jamais cela si ce n'était pas le souhait des agriculteurs. Notre syndicat est une organisation démocratique, et tout nouvel office de commercialisation devrait être approuvé par la majorité des fermiers. Vous ne seriez pas pendus. Vous auriez le choix de prendre cette initiative avec le consentement de la majorité ou de vous en abstenir.

Deuxièmement, en ce qui concerne la Commission canadienne du blé, vous avez raison: les groupements de producteurs spécialisés financés par le biais de prélèvements et créés par certains gouvernements provinciaux ont très bien su mobiliser leurs membres et dire haut et fort que la Commission du blé ne plaisait pas aux agriculteurs, mais lorsque nous tenons des élections libres et des plébiscites sur la commission, c'est une autre paire de manches. Au dernières élections du conseil d'administration, huit des dix membres élus étaient des partisans farouches de la commission dont la campagne était fondée sur leur appui à la commission. Il semble que les défenseurs de la commission constituent une grande majorité.

Le président: Ne doit-on pas apporter des précisons cependant sur ce qu'est réellement la Commission du blé? Il ne s'agit pas d'un office de commercialisation. C'est une agence de vente. Elle n'est pas comme l'office de commercialisation des produits laitiers ou de la volaille, qui exerce un contrôle absolu et qui détermine combien il doit y avoir d'exploitants.

Combien y a-t-il d'agriculteurs, en Saskatchewan, qui élèvent des poulets?

M. Qualman: Je ne le sais pas.

Le président: Il n'y en a pas beaucoup. Regardons un peu l'industrie laitière. Fondamentalement, l'Ontario et le Québec contrôlent la production laitière au Canada. Il s'ensuit une controverse entre l'Est et l'Ouest qui fait partie d'un problème dont personne ne parle. Personne ne sait exactement combien d'argent va à l'Ontario et au Québec. Nous ne sommes sûrs que d'une chose, c'est que 49 p. 100 de la production laitière et des quotas sont attribués au Québec. Que reçoit la Saskatchewan? On ne se retrouverait qu'avec quelques fermiers seulement, là-bas, et le reste devraient déménager aux États-Unis.

M. Qualman: Avec tout le respect que je vous dois, monsieur le sénateur, il y a des exploitants agricoles qui se débrouillent mieux que d'autres. Nous ne croyons pas que le principal problème de l'agriculture canadienne, c'est que les producteurs laitiers de l'Ontario sont prospères. Ce ne sont pas eux qui appauvrissent les producteurs céréaliers de la Saskatchewan. Ce sont plutôt les entreprises de qui nous devons acheter et auxquelles nous devons vendre. Nous constituons un organisme national. Nous avons des membres qui sont des producteurs laitiers de l'Ontario et des producteurs de pommes de terre de l'Île-du-Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick. Nous sommes très heureux de ne pas retrouver le genre de problème dont nous discutons présentement dans chacun des secteurs de l'économie agricole.

Le président: Je suis d'accord. La dernière chose que je voudrais, ce serait de prendre quoi que ce soit aux producteurs laitiers ou aux producteurs de volaille. Tout ce que je dis, c'est qu'on confine l'ouest du Canada à la production des céréales. Nous ne recevons pas la même considération qu'ailleurs au pays, que ce soit de notre gouvernement ou du système.

Le sénateur St. Germain: Si le désastre présente l'ampleur que vous lui prêtez, et que les producteurs céréaliers sont incapables de s'organiser, quand seront-ils en mesure de le faire? Je comprends bien ce que vous dites, et vous avez peut-être besoin d'aide, mais si vous ne pouvez vous organiser face à un des plus grands désastres qu'on n'ait jamais connu dans l'agriculture -- et vous en faites partie tout comme les autres --, quand pourrez-vous vous organiser en tant qu'entité, afin de faire quelque chose d'efficace? Nous entendons parler de groupes ici et là. C'est comme le dit le sénateur Robichaud. Nous avons assisté aux audiences de la Commission canadienne du blé. Je suis d'accord avec lui. Je croyais que 50 p. 100 étaient en faveur et que 50 p. 100 y étaient farouchement opposés. Cependant, si vous êtes incapables de vous organiser devant un tel drame, quand serez-vous en mesure de le faire?

Le président: Je peux vous décrire la triste réalité. Quatre-vingts pour cent de la production céréalière vient de grands exploitants agricoles. Beaucoup de ces grands exploitants prétendent qu'on devrait se débarrasser de la Commission canadienne du blé. Ces exploitants vont survivre, mais on assistera à des changements majeurs dans l'agriculture des Prairies. Voilà l'approche dont nous parlons. Aussi bien être honnêtes à propos de ces choses. La production céréalière et l'agriculture comportent un très fort aspect politique, on doit voir la réalité en face.

Je crois que j'ai assez parlé en tant que président du comité. J'aimerais bien que le témoin nous fasse part de son opinion.

M. Qualman: Monsieur le sénateur St. Germain, voilà des propos durs à avaler pour des fermiers. Pendant des années, on leur a dit qu'ils n'étaient pas assez gros, qu'ils n'utilisaient pas assez de technologie, qu'ils n'avaient pas les bonnes cultures, qu'ils n'utilisaient pas le génie génétique. On nous a dit: «Si vous faites ceci et si vous faites cela, alors tout va baigner dans l'huile et tout le monde sera prospère». Maintenant, on nous dit: «Parlez d'une seule voie, levez-vous tous ensemble et formez des offices de commercialisation». Nous avons entrepris beaucoup pour tenter de nous sauver nous-mêmes. Mais nous sommes pris entre l'arbre et l'écorce, au sein de l'agro-industrie. L'une des raisons pour lesquelles nous éprouvons tant de difficulté simplement à nous accrocher aux offices de commercialisation existants, c'est que des entreprises comme le CN et le CP essaient de nous éjecter du domaine du transport. Aux pourparlers de l'Organisation mondiale du commerce, le gouvernement américain essaie de faire disparaître la Commission canadienne du blé. Sur nos fermes, nous livrons une âpre lutte, et nous avons besoin de l'aide gouvernementale, pas seulement de l'argent du gouvernement, parce que cet argent, comme je l'ai dit, arrive toujours trop tard et en sommes insuffisantes. Nous ne voulons pas avoir toujours à nous retrouver à des rassemblements ou à des manifestations au Parlement pour obtenir davantage d'argent.

Nous voulons qu'il y ait des changements structurels dans l'agriculture au Canada. Vous trouverez, dans notre mémoire, une caricature montrant comment les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour tous. Cette caricature montre Cargill et ConAgra dominant de toute leur hauteur de petits fermiers. Cela représente bien notre situation. Partout dans le monde, les gouvernements parlent de faire en sorte que les règles du jeu soient les mêmes pour tous, mais ils ne mentionnent jamais la taille des joueurs. S'il désire qu'il y ait des exploitations agricoles familiales au pays, le gouvernement doit modifier la structure de l'agriculture au Canada, afin que ces exploitations survivent. Sinon, tout comme le pays a perdu son industrie de la transformation, le Canada perdra ses fermes.

Le sénateur Robichaud: Cela impliquerait des changements majeurs dans les tendances qui sont nées au cours des dernières années. Cela voudrait dire qu'il faudrait limiter la taille des exploitations agricoles, n'est-ce pas, afin qu'elles ne puissent dévorer leurs voisins lorsqu'elles dépassent une certaine taille.

M. Qualman: Au moins, cela signifierait qu'il faudrait mettre fin à la déréglementation dans laquelle s'est lancé le gouvernement. Au moins, cela signifierait qu'on n'irait pas plus loin dans cette entreprise qui a été si désastreuse pour les exploitants agricoles. Cela signifierait qu'on ne présenterait pas de nouvelles lois visant la déréglementation la semaine prochaine, ou le mois prochain, comme ne cessent de le demander les entreprises ferroviaires et les entreprises céréalières. Je ne me souviens pas d'un seul rassemblement, dans l'Ouest canadien, où des exploitants agricoles se sont levés en masse pour dire: «Il faut que la Commission canadienne du blé se retire du transport». Or, il ne s'agit pas d'une initiative des fermiers. Au contraire, il s'agit d'une initiative lancée par les grandes entreprises. Le gouvernement doit rester ferme face à cette menace, sinon les fermiers sont perdus.

Le président: Honorables sénateurs, nous avons entendu un excellent exposé, ce matin. Vous nous avez indiqué exactement la gravité de la situation. Lorsqu'on voit ce que les fermiers obtiennent de la chaîne alimentaire, cela ne compte pas vraiment, selon les chiffres que vous nous avez donnés. Nous en sommes conscients, et cela constitue certainement un problème important.

Je vous remercie tous de votre présence, ce matin. Je suis sûr que vous nous avez forcés à voir d'un tout autre oeil la gravité de la crise du milieu agricole canadien.

La séance est levée.


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