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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 13 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 20 juin 2000

Le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, auquel a été renvoyé le projet de loi C-34, Loi modifiant la Loi sur les transports au Canada, se réunit aujourd'hui, à 15 h 33, pour en examiner la teneur.

Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous allons entendre aujourd'hui le témoignage de deux ministres au sujet du projet de loi C-34, Loi modifiant la Loi sur les transports au Canada.

Les ministres sont pressés par le temps. Ainsi, le ministre des Transports, l'honorable David Collenette, doit nous quitter à 16 heures. Quant à l'honorable Ralph Goodale, il a une autre réunion à 17 heures. Nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui pour discuter du très important projet de loi C-34.

J'aimerais faire une remarque avant de donner la parole à nos témoins.

Le comité étudie attentivement les questions liées à la situation de l'agriculture au Canada, et plus particulièrement celle de l'industrie céréalière de l'Ouest du Canada. Nous nous intéressons tout spécialement à ce projet de loi sur les transports parce qu'il aura une incidence sur la vie des producteurs agricoles de l'Ouest. Bienvenue parmi nous, monsieur le ministre. Voulez-vous commencer, je vous prie?

L'honorable David Collenette, ministre des Transports: Monsieur le président, je suis heureux d'être ici aujourd'hui avec mon collègue, Ralph Goodale. Je m'excuse toutefois de ne pas pouvoir passer beaucoup de temps avec vous étant donné que je dois me rendre à Toronto pour un autre engagement ce soir. M. Goodale pourra répondre à toutes vos questions -- c'est lui qui sera sur la sellette -- parce que nous avons travaillé en collaboration dans ce dossier.

Comme vous le savez, le 10 mai 2000, avec M. Goodale et M. Vanclief, le ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire, j'annonçais une série de mesures pour réformer notre système de transport et de manutention du grain. Ce projet de loi est une partie importante de notre initiative globale en vue d'apporter aux céréaliculteurs des Prairies les économies dont ils ont grand besoin, tout en améliorant la reddition des comptes et l'efficience du système.

Ce projet de loi apporte des modifications importantes sur quatre grandes questions. Un revenu admissible maximal imposé sur le revenu annuel que les compagnies de chemin de fer peuvent tirer du transport du grain remplace le barème des taux maximaux aux articles 150 à 152 de la Loi sur les transports au Canada. Cette modification accroîtra la souplesse en matière de prix et les efficiences, tout en abaissant les frais de transport, ce qui équivaut à des économies de 178 millions de dollars. Ce sont des économies que les fermiers verront. Il est important que ce soit les producteurs qui profitent de ces mesures. Il reste que nous avons le sentiment que ce train de mesures est juste.

Le chiffre de 178 millions de dollars est basé sur un taux réel pour le 1er août 2000 de 32,92 $ la tonne en vertu de la loi actuelle, pour une récolte typique de 30 millions de tonnes. Le gouvernement, dans sa décision du 10 mai, a fixé le nouveau revenu admissible maximal à 27 $ la tonne, soit une réduction de 18 p. 100.

Les expéditeurs sur les embranchements seront protégés contre les hausses excessives de taux, étant donné que les taux pour le mouvement par wagon unique sur les embranchements ne pourront pas excéder de plus de 3 p. 100 les taux pour un mouvement analogue sur une ligne principale.

Nous ajoutons aux dispositions actuelles relatives à l'arbitrage un mécanisme abrégé, plus simple et moins coûteux qui est mis en place à l'intention des petits expéditeurs. En outre, les dernières offres seront maintenant présentées simultanément plutôt que successivement comme c'est le cas à l'heure actuelle.

Monsieur le président, la troisième modification principale renferme des mesures pour aider à établir des chemins de fer secondaires et des mesures de protection pour les chemins de fer secondaires existants et pour les expéditeurs sur les embranchements. La Loi sur les transports au Canada, adoptée en 1996, comprenait des mesures pour aider à promouvoir la création de chemins de fer secondaires. Nous sommes d'avis, à Transports Canada, que cette initiative a été très fructueuse. En fait, environ 80 p. 100 de toutes les voies ferrées que les compagnies voulaient cesser d'exploiter à l'époque continuent de fonctionner comme chemins de fer secondaires.

Toutefois, durant le processus de consultation sur le transport du grain, certains problèmes reliés aux embranchements ont été signalés. Le projet de loi continuera à encourager la création de chemins de fer secondaires partout au Canada. Nous aiderons aussi les communautés qui perdent un embranchement tributaire du grain en obligeant le chemin de fer à leur verser une indemnité de transition.

Nous protégerons les expéditeurs et les communautés contre toute décision de la part d'un transporteur de différer l'entretien ou de réduire les niveaux de service sur un embranchement tributaire du grain pour le rendre non rentable. Le gouvernement mandatera aussi l'Office des transports du Canada pour faire enquête, sur réception d'une plainte, et appliquer les correctifs lorsqu'il est d'avis que les transporteurs ont effectivement agi tel qu'il est allégué dans la plainte.

Les modifications proposées assureront que, si un tronçon d'embranchement est transféré, le reste de cet embranchement demeure en exploitation pendant trois ans. Grâce à cette disposition, l'expéditeur et le chemin de fer secondaire jouiront d'une stabilité accrue.

La quatrième initiative législative comprend des mesures pour permettre au gouvernement de recueillir et de transmettre des renseignements à un tiers pour surveiller le résultat de nos mesures. Nous agissons en outre sur ce plan de telle sorte que le tiers indépendant du secteur privé respecte la confidentialité des renseignements reçus.

Le gouvernement a appuyé une modification adoptée par le comité permanent des transports de la Chambre des communes, selon laquelle le ministre des Transports doit faire un rapport annuel au Parlement sur la surveillance du système de transport et de manutention du grain.

Monsieur le président, avant de terminer, je tiens à rappeler que cette entreprise a été très difficile et qu'il a fallu près de trois ans pour la mener à terme. Au cours de l'été de 1997, après ma nomination au poste de ministre, j'ai rencontré mes collègues et les parties intéressées à Winnipeg. Nous nous sommes entendus pour dire que le statu quo n'était pas acceptable, à cause du très mauvais temps de l'hiver précédent qui avait retardé les livraisons. Nous avons décidé d'établir un mécanisme et de nommer un éminent Canadien pour examiner la question. C'est ainsi que nous avons pressenti M. Estey, ancien juge de la Cour suprême, qui nous a remis un excellent rapport. Par la suite, M. Arthur Kroeger, qui doit vous rencontrer cet après-midi, je crois, et qui a déjà été sous-ministre des Transports, a entrepris de donner un contenu à la structure et à l'analyse présentées par l'ancien juge Estey.

Ces deux messieurs sont d'éminents Canadiens, le juge Estey étant originaire de la Saskatchewan et M. Kroeger de l'Alberta.

À partir des résultats de leur travail, nous avons mené auprès des parties concernées de vastes consultations qui ont, bien sûr, donné lieu à des débats. Nous voulions formuler une proposition finale qui soit acceptable au plus grand nombre de gens possible.

Notre objectif était d'établir un système concurrentiel, mais sans jamais oublier que les producteurs de l'Ouest du Canada ont connu des périodes difficiles et qu'ils doivent être les principaux bénéficiaires des réformes.

Je crois que c'est un premier pas vers un système plus commercialisé. Pour certains, nous avons été trop loin, nous avons trop accordé aux producteurs et nous n'avons pas assez modifié le mandat de la Commission du blé en matière de transports. Toutes ces critiques sont légitimes selon le point de vue mais, en politique, il faut faire ce qui est possible. La politique est l'art du possible, et nous devons essayer d'atteindre notre but en restant juste et objectif.

Je crois qu'une fois que le processus d'appel d'offres aura fait ses preuves, les producteurs de l'Ouest du Canada et les défenseurs de la Commission du blé vont demander que le système soit encore plus concurrentiel. Bien sûr, c'est ce que les sociétés céréalières et les compagnies de chemin de fer veulent. Je pense que c'est ce que nous voulons tous pour que le système soit plus efficace -- et un système plus concurrentiel va permettre aux producteurs et aux expéditeurs d'offrir un service plus fiable au Canada, ce qui sera avantageux pour toutes les parties concernées.

Je suis très heureux de travailler avec MM. Goodale et Vanclief là-dessus. C'est un dossier difficile qui a exigé beaucoup de travail, mais je pense que nous avons maintenant trouvé une bonne solution. J'espère que vous approuverez cette proposition et que le projet de loi sera adopté.

Le président: Merci, monsieur le ministre.

Le sénateur Wiebe: Depuis qu'on a commencé à cultiver des céréales dans l'Ouest, jamais les membres de l'industrie agricole n'ont réussi à s'entendre. Je tiens donc à vous féliciter de la série de mesures que vous nous proposez aujourd'hui.

Je pense que les quatre modifications dont vous avez parlé sont importantes. Le revenu admissible maximal des compagnies de chemin de fer -- et le versement pour la construction de routes d'une indemnité de 10 000 $ par mille d'embranchement qui cessera d'être exploité -- est un aspect déterminant.

Cependant, c'est la quatrième initiative législative sur la surveillance qui est l'élément le plus important du projet de loi. Le système de surveillance permettra de bien comprendre ce qui se passe dans tout le secteur de la manutention du grain. Des renseignements exacts seront mis à la disposition non seulement des ministres concernés, mais aussi du Parlement. Quand l'organisme de surveillance sera-t-il opérationnel? Pourriez-vous nous donner une idée de la façon dont il va fonctionner?

M. Collenette: Sénateur, l'objectif est d'établir le mécanisme de surveillance immédiatement. Il est important que la surveillance ne soit pas effectuée après un certain laps de temps, mais de façon continue pour assurer le bon fonctionnement du système. Nous allons nous mettre à l'oeuvre le plus rapidement possible.

Il y a une chose dont je n'ai pas parlé dans mon allocution qui, heureusement pour vous, a été moins longue que celle que j'ai prononcée devant le comité de la Chambre, et c'est la question de la liberté d'accès des chemins de fer et d'une concurrence accrue. C'est une question très controversée et certaines personnes nous ont reproché qu'il n'en soit pas question dans le projet de loi. Nous avons demandé à l'Office des transports du Canada de nous fournir un rapport indépendant sur les questions d'accès des chemins de fer. L'étude doit commencer le 1er juillet. Ce sera très important pour nous d'analyser ces informations du point de vue de l'industrie du transport du grain et de tenir compte des aspirations des autres expéditeurs utilisant le système. C'est une autre initiative qui est en cours.

Nous avons donc, comme vous l'avez dit, un système de surveillance permanent qui montre, je pense, que nous n'allons rien cacher et que nous allons savoir ce qui se passe. Et, par ailleurs, les mesures sur l'accès des chemins de fer seront assujetties à un autre processus. Les membres de l'Office vont présenter un rapport qui analysera et évaluera la loi d'ici six mois. Ce sera fait le 1er février 2001.

Le sénateur Stratton: Au sujet du projet de loi C-34, j'ai reçu des lettres des compagnies de chemin de fer et, bien sûr, des grandes sociétés céréalières -- Agricorp, James Richardson & Sons Ltd., SaskPool et United Grain Growers. Elles critiquent vigoureusement le projet de loi et soutiennent toutes que ce sont les sociétés céréalières qui devraient être considérées comme les expéditeurs. Autrement dit, c'est à elles que la responsabilité revient.

On a déjà eu un problème à ce sujet. En 1996 ou en 1997, quand le problème s'est présenté, tout le monde s'est renvoyé la balle. Les sociétés céréalières veulent assumer cette responsabilité et c'est aussi ce que veulent les compagnies de chemin de fer. Pourriez-vous peut-être nous expliquer pourquoi ce n'est pas ce qui se passe ou devrait se passer?

M. Collenette: C'est la société céréalière et la Commission du blé qui vont négocier cela. Je pourrais peut-être demander à M. Goodale de répondre à cette question, parce que c'est lié au protocole d'entente à l'étude, dont il est responsable. Si vous êtes d'accord, il pourrait peut-être vous répondre.

L'hon. Ralph E. Goodale, ministre des Ressources naturelles et ministre responsable de la Commission canadienne du blé: Monsieur le président, je répondrai volontiers à cette question, mais je pourrais peut-être le faire plus tard étant donné que M. Collenette doit nous quitter à 16 heures. Les sénateurs pourront ainsi lui poser d'autres questions avant sont départ.

Le président: Je vais demander au sénateur Stratton s'il est d'accord.

Le sénateur Stratton: Je n'ai pas d'objection.

J'ai aussi une question à poser au sujet des économies de 178 millions de dollars. Pour nous, c'est une carotte qui est tendue aux producteurs pour leur faire accepter le projet de loi dans son ensemble. Compte tenu de la situation difficile qu'ils connaissent actuellement, un montant de 178 millions de dollars est une somme d'argent importante.

Si vous comptez offrir ce montant aux producteurs, pourquoi ne pouvez-vous pas le leur garantir? Pourquoi ne leur dites-vous pas: «Si vous vous engagez à faire telle chose, nous allons vous garantir ces 178 millions de dollars?» C'est important pour eux de pouvoir planifier leurs revenus. Si les choses tournent mal, comme c'est souvent le cas, parce qu'il y a beaucoup de parties en cause, quelle assurance y a-t-il au sujet de ces 178 millions de dollars?

M. Collenette: Ce montant de 178 millions de dollars est basé sur une récolte typique de 30 millions de tonne. Il s'agit seulement de prévisions parce qu'il est bien évident que nous ne pouvons pas être absolument certains que ce chiffre est juste. Cela dépend de différents facteurs. C'est la meilleure évaluation que nous pouvons faire -- à savoir qu'il y aura une récolte typique de 30 millions de tonne et des économies de 178 millions de dollars.

Je n'aime pas que vous disiez qu'on tend une carotte, parce que vous voulez dire qu'on offre un incitatif aux producteurs pour leur faire accepter le projet de loi. C'est une façon de voir les choses mais, pour l'Ouest du Canada et peut-être même pour les producteurs -- ce sont des économies légitimes, des droits, qui seront réalisées grâce à un système plus efficace auquel ils ont droit.

L'analyse de l'OTC a montré que ce ne sont pas toutes les économies réalisées, ou du moins pas toutes celles qu'il faudrait peut-être, qui ont été refilées aux producteurs par les compagnies de chemin de fer. J'imagine que, selon le point de vue où on se place, on peut penser que c'est une carotte que nous tendons aux producteurs pour leur faire accepter les modifications apportées au mandat de la Commission du blé, ou que ce sont des économies légitimes auxquelles ils ont droit.

Le sénateur Stratton: J'aimerais poursuivre la discussion, mais je sais que nous manquons de temps. Je vais m'arrêter ici.

Le sénateur Oliver: J'aimerais poser une question sur les deux rapports de M. Estey et de M. Kroeger dont vous avez parlé. M. Estey a formulé 15 recommandations et on a reproché au projet de loi de ne pas en avoir tenu compte entièrement.

Si j'ai bien compris, quand le projet de loi a été déposé à l'autre endroit, le gouvernement a également annoncé qu'il comptait prendre d'autres mesures plus tard. Pourriez-vous nous dire quelles sont vos intentions concernant la mise en oeuvre de certaines des recommandations formulées par MM. Kroeger et Estey qui ne figurent pas dans le projet de loi?

M. Collenette: Il y a certains éléments proposés par MM. Estey et Kroeger qui se retrouvent dans le projet de loi. C'est une question de degré.

J'ai parlé des droits de circulation qui représentaient un problème pour ces deux messieurs, peut-être un peu moins pour M. Estey que pour M. Kroeger. C'est certes un problème qui sera examiné par l'OTC.

La loi fera sans doute l'objet de modifications. Ce sera possible après juillet 2001 -- la période législative de l'année suivante -- d'améliorer la série de mesures, selon la façon dont les choses fonctionnent. Comme je l'ai dit, il y a un processus de surveillance. La Commission du blé et les producteurs peuvent trouver que le processus d'appel d'offres est formidable et que la Commission du blé devrait être entièrement exclue du transport du grain pour ne s'occuper que de sa commercialisation. C'est ce que M. Estey visait.

C'est ce que la pratique pourrait nous révéler. Certains en doutent, mais c'est possible. Par conséquent, nous pourrons modifier la loi en conséquence parce que tous ses aspects feront l'objet d'un examen.

Le sénateur Oliver: Envisagez-vous de déposer d'autres mesures législatives qui donneront suite aux éléments des recommandations de M. Kroeger et de M. Estey qui ne se trouvent pas dans le projet de loi à l'étude?

M. Collenette: Non, je n'en prévois pas.

M. Goodale: J'aimerais en dire un peu plus à ce sujet. Les deux processus, celui de M. Estey et celui de M. Kroeger, ont considérablement diminué les sources de divergences dans l'Ouest du Canada au sujet de la manutention et du transport du grain. Parmi les 15 recommandations faites par le juge Estey, trois ont été analysées au moyen de processus distincts à Transports Canada -- une concernant les ports, une autre, les wagons- trémies et une troisième, les routes. L'examen de la troisième concernant les routes a abouti à l'engagement dans le budget de 175 millions de dollars qui seront maintenant intégrés au cadre budgétaire.

La question de la concurrence à laquelle fait allusion le rapport Estey, comme l'a mentionné M. Collenette, fera partie du processus d'examen de l'OTC.

La plupart des autres recommandations de M. Estey se reflètent dans une large mesure soit dans le projet de loi à l'étude soit dans le protocole d'entente, c'est-à-dire le document d'accompagnement.

Au bout du compte, trois questions continuent de gêner les intéressés. Une porte sur le niveau du maximum des recettes. On s'entendait sur le principe, mais pas sur le niveau. Le projet de loi à l'étude énonce le principe adopté par le gouvernement quant au niveau qui convient.

La deuxième question concerne la concurrence des chemins de fer. M. Collenette a mentionné qu'il en est question dans le cadre du processus d'examen de l'OTC.

Enfin, la troisième question, comme vous l'avez mentionné, concerne le rôle qui convient le mieux à la Commission canadienne du blé. Nous avons essayé d'en tenir compte dans les changements sur le point d'être apportés au protocole d'entente.

Il y a beaucoup de pièces à ce casse-tête. Il y a tout d'abord la teneur du projet de loi et du protocole d'entente, ce qui sera renvoyé à l'OTC et ce qui est maintenant une question budgétaire relative aux routes. Toutes les mesures prévues servent à faire un tout, à regrouper les diverses dimensions mentionnées par M. Estey et par M. Kroeger.

Comme toujours, dans le commerce des grains, il y aura des arguments de part et d'autre alléguant que l'on va soit trop loin, soit pas assez loin. Toutefois, dans l'ensemble, ce train de mesures touche presque tous les points qui ont été soulignés dans les deux études.

M. Collenette: Je pourrais peut-être exprimer une opinion en tant que personne qui ne vient pas de l'Ouest et qui a examiné cette question longtemps, dès ma première élection au Parlement en 1974 quand je faisais partie du comité des transports de la Chambre.

M. Goodale: C'était une bonne année.

M. Collenette: Nous sommes arrivés à la même date, le 8 juillet 1974.

Avec le recul, on voit qu'une grande partie du problème vient des années de méfiance et d'appréhension qu'ont vécues les producteurs. Même si nous avons été critiqués pour n'avoir pas été aussi loin que bon nombre l'auraient souhaité dans le sens d'un système plus complet et plus concurrentiel, la mesure à l'étude brisera l'impasse. Elle permettra de surmonter la crainte légitime des producteurs.

J'ai bon espoir qu'il s'agit-là de l'amorce d'un système beaucoup plus compétitif qui, tôt ou tard, correspondra à ce qu'envisageait M. Estey.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette: Si je me réfère à la page 2 de votre exposé, vous mentionnez que ce chiffre était basé sur un taux réel de 32,92 $, selon la loi actuelle, au 1er août dernier pour une récolte de 30 millions. Après le 10 mai, ce taux a été baissé à 27 $ la tonne, soit une réduction de 18 p. 100.

Il me semble avoir entendu M. Goodale dire:

[Traduction]

On s'entendait sur le principe, mais pas sur le niveau.

[Français]

Est-ce bien de cette entente sur le concept et le niveau que nous parlons? Comment en sommes-nous venus de 32,92 $ à 27 $? D'où provient ce 18 p. 100 de baisse sur le coût du transport à la tonne?

M. Collenette: Nous avons fait des analyses au ministère. Nous allons examiner les recommandations de M. Kroeger, par exemple, qui offre 12 $ la tonne. Nous étudierons également d'autres témoignages, dont celui de M. Estey. Les fonctionnaires de mon ministère et du ministère de M. Goodale, après analyse des chiffres, ont jugé que la réduction de 18 p. 100 était juste.

Le sénateur Hervieux-Payette: Quelle est la base mathématique justifiant cette réduction de 18 p. 100? Pourquoi pas 25 p. 100 ou même 10 p. 100? Je sais que c'est un tarif, mais nous avons déjà connu ce genre d'exercice dans le domaine aérien. Nous avions trouvé que ce n'était pas très pratique et avions décidé de laisser les forces du marché s'exercer.

Maintenant le marché du transport aérien est un peu moins fort, par contre, dans le cas présent, nous retrouvons deux compétiteurs, dont un organisme de taille importante qui gère les récoltes et nous fixons de façon unilatérale la réduction à 18 p. 100. Pourquoi ne s'agit-il pas d'une réduction négociée?

M. Collenette: Nous avons établi des estimations en nous basant sur des calculs effectués par l'Office du transport canadien. Nous pensons qu'ils sont justes. Après l'analyse des coûts, nous avons décidé que si nous changions le système, il serait bon d'accorder une réduction par un pourcentage ou un autre.

Le sénateur Hervieux-Payette: Je peux donc conclure que quand nous payions 32,92 $ aux compagnies de transport, c'était trop. Il s'agit ici d'une réduction substantielle. Je me demande comment les Américains font pour calculer le transport des tonnes de blé? Le gouvernement américain détermine-t-il un tarif de façon unilatérale ou entame-t-il des négociations avec des gens qui lui font part de leurs coûts d'opération, de leurs coûts d'acquisition des wagons ou des coûts plus généraux de tout l'ensemble du réseau ferroviaire?

M. Collenette: Je dois souligner que l'Office du transport canadien a déterminé que, oui, vous avez raison. Les compagnies ferroviaires ne donnent pas toutes les épargnes aux producteurs de l'Ouest et pour cette raison, l'évaluation que nous avons regardé prend note de la décision de l'Office du transport canadien sur cette question.

En ce qui concerne les Américains, c'est un peu compliqué. Le système est différent sur plusieurs des aspects. Je ne pense pas qu'il soit utile de l'examiner dans le contexte du système américain. On doit regarder simplement dans le contexte canadien.

Le sénateur Hervieux-Payette: Le blé qu'on veut transporter, n'est-il pas pour l'exportation?

M. Collenette: Oui, mais vous avez un système aux États-Unis qui est tellement différent du système au Canada et on doit examiner le rôle des compagnies ferroviaires et les traditions des non-paiements aux producteurs des États-Unis. Ce n'est pas utile de l'examiner dans ce contexte.

Le sénateur Hervieux-Payette: L'impression que cela donne, pour des néophytes qui, comme vous, habitez dans l'Est, c'est qu'on revient en arrière avec une tarification qui semble plutôt unilatérale face à une entreprise privée qui doit faire des investissements et qui opère selon des règles d'entreprises privées. Il me semble qu'il n'y a pas eu beaucoup de préavis d'une réduction substantielle. Je n'ai pas vu de contrepartie. Peut-être faisons-nous d'autres concessions qui seraient perçues par le milieu des affaires comme étant un retour à une méthode interventionniste sur les marchés où notre rôle est en déséquilibre avec l'entreprise privée.

M. Collenette: Il y avait beaucoup de concessions pour l'autre élément de la situation. Par exemple, au conseil de la Commission canadienne du blé on commence avec les contrats à 50 p. 100 dans deux ans, et c'est une grande concession qui balance la réduction pour les compagnies ferroviaires.

Je regrette, je dois partir à Toronto, mais M. Goodall vous répondra en détail pour la prochaine heure.

[Traduction]

Le président: Monsieur Collenette, je vous remercie d'être venu aujourd'hui. Nous vous sommes reconnaissants du temps que vous nous avez réservé, conscients que vous avez d'autres engagements.

Avez-vous quelque chose à dire en réponse à cette dernière question, monsieur Goodale?

M. Goodale: Monsieur le président, vous et moi avons battu bien des sentiers ensemble dans le sud de la Saskatchewan. J'ai certaines précisions à donner en réponse au point soulevé par le sénatreur Hervieux-Payette. M. Collenette faisait allusion à certains facteurs d'équilibre, de compensation. L'un d'entre eux qu'il faudrait mentionner est le passage de la situation actuelle, soit d'un tarif-marchandises expressément réglementé de point de livraison en point de livraison partout dans les Prairies à ce nouveau concept de plafond des recettes. Nous changeons la méthode du tout au tout. Vous serez peut-être étonnés d'apprendre qu'il s'agit-là d'un des points au sujet desquels presque tous les intéressés s'entendaient durant les consultations -- qu'un plafond des recettes, plutôt qu'un plafond des tarifs, serait un changement souhaitable.

Le changement fonctionnel en jeu, c'est que, alors que les recettes globales tirées par les chemins de fer du transport du grain seront plafonnées, le chemin de fer et les céréalières jouiront d'une grande marge de manoeuvre qui leur permettra de mener leur exploitation en deçà du plafond, plutôt que d'être limités à certains tarifs précis pour des points précis de livraison.

En d'autres mots, pour la première fois depuis longtemps -- du moins, depuis le début du siècle --, nous passons de tarifs fixes à des tarifs variables. En certains points de livraison, le taux sera plus élevé et en d'autres, il sera inférieur. Dans l'ensemble, il faudra que tout cela se situe en deçà du plafond des recettes. Cependant, les tarifs-marchandises seront variables, et de nouveaux facteurs de souplesse ont été introduits dans le système, chose que les chemins de fer réclament depuis au moins 30 ans, si ma mémoire est bonne, et probablement depuis plus longtemps.

Comme l'a dit tout à l'heure M. Collenette, pour décider du niveau actuel auquel on fixe le plafond des recettes, il faudra juger de ce qui est juste et raisonnable dans les circonstances. Les renseignements dont nous disposions étaient des calculs effectués par l'Office des transports du Canada pour le compte de M. Kroeger, dans le cadre de son étude. M. Kroeger avait en effet demandé à l'office de calculer les gains de productivité réalisés dans le système de transport et de manutention du grain depuis le dernier examen officiel des coûts qui remontait à 1992.

L'OTC a utilisé des données à jour de 1998, soit la dernière année pour lesquelles il existait des données complètes. L'office a constaté que, durant la période allant de 1992 à 1998, le niveau des rendements des chemins de fer avait augmenté par rapport à ce qu'il était sous le régime de l'ancienne Loi sur le transport du grain de l'Ouest. Les rendements variaient alors entre 20 p. 100 environ et 27 p. 100 par rapport à 40 p. 100 ou plus durant la nouvelle période débutant en 1998. Sous l'ancien régime de la Loi sur le transport du grain de l'Ouest, une série d'arrangements fixaient une fourchette allant de 27 à 28 p. 100. L'office a découvert, d'après ses calculs de 1998, que le rendement des chemins de fer en fonction des coûts fixes gravitait davantage aux alentours de 40 p. 100. C'est en fonction de ces données qu'on s'est entendu pour ramener le pourcentage à son ancien niveau.

Il existe une règle empirique intéressante quant à ce qui convient. Si vous examinez l'expérience typiquement vécue sur le plan des tarifs-marchandises aux États-Unis, il se trouve que les taux américains sont typiquement du même ordre que les taux qui existaient au Canada sous l'ancien régime. Là où il y a de la concurrence aux États-Unis, le taux pratique est à peu près le même que notre ancien taux réglementé, sous le régime de l'ancienne loi sur le transport du grain de l'Ouest.

Si vous fixez le plafond des recettes à un niveau du même ordre, cela nous semblerait raisonnable dans les circonstances. C'est exactement le résultat que donnerait essentiellement le calcul qui est prévu dans la loi.

Il demeure juste de dire que les chemins de fer toucheraient du grain un taux de contribution qui est probablement supérieur à ce qu'ils auraient pour le transport d'autres marchandises dans l'Ouest du Canada.

Le sénateur Hervieux-Payette: Quand vous parlez du plafond des recettes, la quantité transportée a-t-elle de l'importance? Si nous vendons une récolte qui a excédé les records mondiaux et que cela entraîne une augmentation de 20 p. 100 des quantités transportées, vous dites que le plafond des recettes demeure en place. Toutefois, tient-on compte de la distance? Quand vous parlez de recettes maximales de 348 millions de dollars, puis d'un taux de rendement, parlons-nous de la même chose? J'aimerais comprendre le principe.

M. Goodale: Dans le projet de loi C-34, on trouve une série de dispositions qui décrivent, en fonction d'une formule mathématique, comment calculer le plafond des recettes. Je sais qu'il est difficile de traduire un concept mathématique en texte de loi. Cela devient assez compliqué et il faut prendre des exemples concrets et jouer avec de vrais chiffres pour voir comment cela fonctionne. Vous constaterez dans cette formule que l'on tient compte à la fois des volumes et de la distance. Ces deux facteurs sont inclus dans le calcul mathématique. Je suis certain que les experts techniques du ministère de M. Collenette vous décriraient volontiers, étape par étape, cette formule pour vous montrer comment les deux facteurs sont en fait inclus.

Le sénateur Hervieux-Payette: Si j'ai bien compris, pour reprendre ce que vous dites, le plafond des recettes pourrait être plus élevé qu'il l'est actuellement, si l'on ajoute la distance et les volumes.

M. Goodale: Oui, selon la distance et les volumes, les nombres peuvent changer.

Le sénateur Hervieux-Payette: Le taux de rendement de 40 p. 100 ou de 20 p. 100 est-il un taux de rendement habituel sur l'investissement de matériel et d'autres dépenses liées à l'exploitation de moyens de transport du grain? Un rendement de 40 p. 100 n'est-il pas fabuleux?

M. Goodale: À nouveau, je précise que le taux de rendement est un taux de contribution à l'égard des coûts. Tout cela est réduit en jargon des Prairies à sa plus simple expression. C'est une contribution à l'égard des coûts assumés par les chemins de fer. Sous l'ancien régime de la Loi sur le transport du grain de l'Ouest, il y avait un «taux de contribution», comme on l'appelait, variant entre 20 et 27 p. 100. Durant la période allant de 1992 à 1998, ce taux a grimpé aux environs de 38 à 43 p. 100.

Grâce aux changements apportés dans le projet de loi à l'étude, il reviendra à ce qu'il était auparavant. À des fins de comparaison, il s'agit probablement d'un meilleur taux de contribution que ce que les chemins de fer obtiendraient normalement pour le transport d'autres produits que les grains.

Le président: Monsieur Goodale, auriez-vous une déclaration à faire maintenant?

M. Goodale: Très brièvement, monsieur le président, je reprendrais le point souligné par le ministre Collenette au sujet de la quantité de travail et d'efforts qui a été consacrée à ce train de mesures pour essayer de frapper un juste équilibre. Comme vous le savez, on dit couramment dans l'ouest du Canada que tout ce qui touche au commerce du grain est composé à 13 p. 100 de protéine et à 87 p. 100 de controverse. C'est vrai également, sans aucun doute, pour la série de mesures à l'étude. Nous nous sommes efforcés de frapper un juste équilibre, de réconcilier de nombreux points de vue divergents.

Les avantages immédiats sont manifestes, en ce sens que les gains de productivité seront mieux partagés avec les producteurs -- les 178 millions de dollars dont il a été question -- chaque année.

Un autre avantage évident est l'investissement que le gouvernement du Canada fera dans le réseau routier pour le transport du grain de l'Ouest. Il reconnaît ainsi que le système de transport par chemin de fer va changer, que plus de pressions s'exerceront sur les routes à mesure que les grains sont transportés sur de plus longues distances ou dans des directions différentes par camion plutôt que par rail. Une contribution du gouvernement du Canada en vue de contrebalancer une partie de ce fardeau additionnel est donc justifiée.

La partie des mesures sur laquelle je me suis particulièrement concentré est, naturellement, l'élaboration du protocole d'entente, en ma capacité de ministre responsable de la Commission canadienne du blé. Je crois savoir que des exemplaires du protocole d'entente projeté ont été distribués au comité. Je discuterai volontiers avec vous de ces modalités, si vous avez des questions.

D'un point de vue plus général, le protocole d'entente débute par plusieurs paragraphes -- numéros un à sept -- qui décrivent le contexte et de la politique. Les paragraphes huit et neuf portent sur la capacité globale des chemins de fer par rapport aux volumes d'affaires de la Commission canadienne du blé. Les paragraphes 10 à 16 traitent du nouveau système d'appel d'offres qui est envisagé pour une partie des services logistiques dont aura besoin la Commission canadienne du blé pour faire livrer son produit dans quatre ports, soit Vancouver, Prince Rupert, Thunder Bay et Churchill. Le paragraphe 17 se concentre sur l'attribution des wagons et la procédure à suivre si la commission exerce le pouvoir qui lui est conféré au paragraphe 28k) de la Loi sur la Commission canadienne du blé. Aux paragraphes 18, 19 et 20, on trouve plusieurs dispositions liées au maintien de relations d'affaires de bonne foi. C'est un point auquel les producteurs de grain et les chemins de fer tenaient beaucoup. Ils insistaient pour que le protocole d'entente en fasse état.

Cela nous ramène à une observation faite tout à l'heure par M. Collenette, soit que le commerce du grain de l'Ouest suscite depuis longtemps beaucoup de controverse, manifestement beaucoup trop de controverse. Il importe que tous les joueurs -- la Commission canadienne du blé, les producteurs de grains, les chemins de fer, les exploitants de silos -- essaient de tourner la page sur cette longue période de conflit et de mauvaises relations. Il importe d'aller de l'avant maintenant, de façon beaucoup plus constructive et dans un climat plus favorable. Nous avons essayé d'en faire état dans les dispositions qui portent sur les relations d'affaires de bonne foi.

Le paragraphe 21 du protocole d'entente traite, vers la fin, des renseignements à fournir, renseignements qui sont essentiels pour la surveillance dont parlait le sénateur Wiebe. On trouve aussi les paragraphes habituels au sujet de l'entrée en vigueur et de l'exécution.

Si vous avez des questions précises au sujet de l'ébauche, je ferai de mon mieux pour y répondre. En guise de conclusion, je signale que nous avons là l'occasion de passer à un système meilleur -- un système plus efficient, plus fiable, sur lequel on peut compter pour livrer le produit de la ferme à sa destination en temps opportun. Il permettra d'éliminer les dépenses inutiles, et les agriculteurs pourront profiter des économies ainsi réalisées. Dans l'ensemble, le système est plus transparent et permet une meilleure reddition de comptes, ce qui est à l'avantage de tous.

Le président: J'ai une question au sujet des wagons de producteurs.

Le sénateur Gill: Excusez-moi, il y avait une question à laquelle on devait répondre après le départ du ministre Collenette. Je crois qu'elle avait été posée par le sénateur Stratton.

Le sénateur Stratton: Monsieur Goodale, je suis préoccupé, car nous avons reçu des lettres disant que les sociétés céréalières et les chemins de fer se sont entendus pour désigner comme vrais expéditeurs les céréalières. Pourquoi n'étaient-elles pas réputées être les vrais expéditeurs?

M. Goodale: Sénateur, je soupçonne que j'ai des exemplaires de la même lettre. Je connais donc bien l'argument que vous faites valoir.

La situation relative au volume d'affaires de la Commission canadienne du blé est complexe, car cet organisme a des obligations légales, c'est-à-dire imposées par la loi, quant au rendement qu'il doit obtenir pour le compte des agriculteurs. C'est un bout du circuit de distribution -- celui des producteurs primaires. À l'autre bout, on trouve le fait que, naturellement, quand la Commission canadienne du blé signe des contrats avec des acheteurs étrangers, elle assume des obligations légales à leur égard.

Donc, la commission a des obligations légales aux deux bouts de la chaîne -- des obligations à l'égard à la fois de l'agriculteur et de l'acheteur. Toutefois, elle n'est pas propriétaire du système logistique qui relie les deux et ne l'exploite pas. Il faut établir des liens entre les deux.

La commission a besoin de pouvoir compter qu'elle pourra assumer ses obligations à l'égard des deux. Cette question de l'expéditeur devient un peu plus compliquée que s'il s'agissait de grains hors-commission, par exemple.

Comme l'a mentionné M. Collenette, c'est au moment de négocier le contrat qu'il faut régler cette question entre la Commission canadienne du blé, les céréalières et les chemins de fer. Une des subtilités dont n'ont peut-être pas pris conscience tous les participants que nous sommes en train de nous éloigner de l'ancien régime de réglementation.

Jusqu'ici, la distribution des services de transport relevait, sur un plan administratif, d'un organisme appelé le Groupe de la politique sur l'affectation des wagons. En vertu du nouvel arrangement, ce groupe n'est plus. Il n'y a plus d'organe d'administration global. Il faut que les parties aient une démarche plus commerciale, concurrentielle, fondée sur des ententes contractuelles.

En toute franchise, aucune d'entre elles n'a l'habitude de le faire. Ce sont de nouvelles règles du jeu. Il n'y a plus cette vieille béquille administrative, si on peut l'exprimer ainsi, sur laquelle on pouvait s'appuyer. Il me semblerait logique que, pendant la livraison de la ferme à un silo, puis à un port, il y ait des intérêts dont il faille tenir compte, soit ceux de la Commission canadienne du blé, ceux de la société céréalière et ceux du chemin de fer. C'est une pratique commerciale courante de voir les parties négocier entre elles pour décider qui tiendra quel rôle aux diverses étapes du circuit de distribution, de définir ces rôles très clairement dans un contrat et de préciser que, si le contrat est exécuté, chaque partie s'est acquittée de ses obligations. Si le résultat dépasse ce qu'exige le contrat, celui-ci prévoit probablement un incitatif ou une prime. Si le résultat est inférieur, il y aura une amende à payer. Tout cela est couché noir sur blanc dans les contrats.

C'est ce processus fondé sur des ententes contractuelles qui définirait les rôles. Il définirait les responsabilités ainsi que les conséquences de rendement insuffisant.

Le sénateur Stratton: Si vous permettez, vous dites que la responsabilité -- s'il y a quelque chose qui cloche, comme c'est déjà arrivé -- revient à l'expéditeur, soit la Commission canadienne du blé. Quelqu'un doit assumer la responsabilité. Le problème que nous avons toujours eu, monsieur, permettez-moi de le dire, c'est que tout le monde se renvoie la balle. Ce n'est pas la responsabilité des sociétés céréalières; c'est celle du chemin de fer; ce n'est pas celle du chemin de fer, c'est celle de la Commission canadienne du blé, et cetera. Comment ce projet de loi règle-t-il cette question?

M. Goodale: Cette question est réglée grâce à l'élimination de la structure administrative à l'origine du problème et de la confusion. Il n'y avait pas de hiérarchie claire des responsabilités et cette structure administrative va dorénavant être remplacée par des ententes contractuelles. Les parties auront des obligations juridiques les unes envers les autres. La partie «A» fera telle et telle chose et si son rendement est bon, elle sera payée. Si son rendement est insuffisant, elle se verra infliger des pénalités, prévues dans le contrat. Ce n'est pas une approche administrative, mais une approche contractuelle.

Le sénateur Stratton: Excusez-moi, monsieur. Disons par exemple que vous représentez une société céréalière et que vous achetez les céréales des agriculteurs. Les chemins de fer se chargent de l'expédition, mais vous ne pouvez pas exécuter votre contrat pour quelque raison que ce soit. Par voie de conséquence, la société de chemin de fer ne peut pas exécuter son contrat, vu que vous n'avez pas exécuté le vôtre. C'est une réaction en chaîne.

Je ne vois pas de changement fondamental. Même s'il s'agit de contrats qui sont clairement définis, je peux m'attendre à ce que l'on se renvoie de nouveau la balle, sauf que cette fois-ci, cela donnera lieu à des poursuites, j'imagine. Comment l'empêcher?

M. Goodale: Il y a déjà eu des poursuites dans le passé, sénateur.

Il n'y aura plus de complications administratives. Les parties devront définir leurs obligations légales les unes envers les autres, sous forme de contrats. Les contrats devront être exécutés. Si le contrat n'est pas exécuté, la partie lésée dispose d'un recours juridique.

Les sociétés céréalières ont notamment indiqué qu'il serait utile que le système prévoie des méthodes de règlement rapide des conflits.

Le sénateur Stratton: C'est essentiel et c'est là que je voulais en venir. Pourquoi de telles méthodes ne sont-elles pas prévues?

M. Goodale: Vous remarquerez qu'il en est fait mention dans le PE, au paragraphe 20, je crois. Le PE est un document intervenant entre le gouvernement et la Commission canadienne du blé. Le paragraphe 20 stipule que la Commission du blé devrait s'efforcer de négocier des méthodes efficaces de résolution des conflits commerciaux, prévoyant notamment un arbitrage indépendant ou d'autres méthodes de règlement des conflits.

Les sociétés céréalières et les chemins de fer ne sont pas parties au PE. Par conséquent, nous ne pouvons pas forcer la réussite des négociations, car l'autre partie indispensable à cette réussite n'est pas partie au PE. Nous indiquons clairement au paragraphe 20 que d'autres méthodes de règlement des conflits sont de loin préférables à de longues et complexes poursuites judiciaires. J'espère que nous arriverons à une situation -- et j'en ai parlé avec la commission -- où le contrat-type prévoira un processus d'arbitrage auquel les deux parties auront souscrit à l'avance.

Il existe beaucoup de précédents sur la façon dont des ententes justes et équitables en matière d'arbitrage peuvent être prévues dans un contrat. Je crois que ces mesures d'arbitrage, ou toute autre forme acceptable de règlement des conflits permettant de rendre rapidement des jugements indépendants, devraient faire partie des relations d'affaires.

Le sénateur Stratton: J'ai une question rapide. Avez-vous discuté de ce processus d'arbitrage avec les sociétés céréalières et les chemins de fer?

M. Goodale: J'ai eu l'occasion de le faire pas plus tard que la semaine dernière à Regina, lors de la conférence internationale sur les céréales. Les sociétés avec lesquelles j'ai parlé à cette occasion, et auparavant, ont manifesté le désir profond d'avoir un processus d'arbitrage susceptible de résoudre rapidement et en toute justice les conflits. J'espère qu'au cours de leurs négociations, les parties pourront arriver à un processus qui englobe ce genre de mécanisme dans pratiquement tous les contrats.

[Français]

Le sénateur Gill: Les témoins qui ont comparu ont manifesté beaucoup d'insatisfaction vis-à-vis le système. Vous préconisez une approche différente, c'est-à-dire par contrat. Tantôt, on a mentionné qu'il y avait un grand manque de confiance entre les parties. J'imagine que c'est parce que les gens ne savent pas suffisamment l'un et l'autre ce qui se passe. Pensez-vous qu'en prenant une approche différente, en ayant plus de flexibilité ainsi que des taux variables sur le transport, nous allons réussir à satisfaire les gens impliqués dans la production et dans le transport? Vous semblez optimiste. Toutefois les gens sont-ils suffisamment impliqués et recoivent-ils toute l'information nécessaire?

[Traduction]

M. Goodale: C'est certainement ce que j'espère, sénateur. Les questions relatives à tous les aspects du commerce des céréales ont toujours été très controversées. L'ensemble de mesures que nous avons prévu, dont ce projet de loi, le PE, le renvoi au processus de l'OTC, les fonds pour le réseau routier et le mécanisme de surveillance prévu pour l'avenir nous donnent une occasion unique de tourner la page et d'oublier les animosités du passé. Cela va nous permettre d'avoir un système amélioré, plus fiable, moins coûteux, plus transparent et plus responsable pour l'avenir.

Cela dépendra aussi, toutefois, de la bonne volonté et de la bonne foi de tous les intervenants. Ils doivent faire affaire les uns avec les autres comme des adultes. Ce n'est pas trop tôt.

Le sénateur Fairbairn: J'aimerais vous poser une question au sujet du système de surveillance. Dans le PE, on dit qu'il s'agit d'une surveillance continue. À quel rythme devront-ils faire rapport?

M. Goodale: Sénateur, comme nous l'avons indiqué, nous nous attendons à des rapports annuels, à tout le moins. J'imagine que nous recevrons des rapports beaucoup plus fréquemment. Certains des intervenants de l'industrie avec lesquels j'ai parlé ont indiqué que des rapports mensuels seraient trop fréquents, car l'instantané obtenu serait trop restreint. Des rapports annuels ne seraient probablement pas assez fréquents, tandis que des rapports semi-annuels ou trimestriels seraient plus valables. Nous nous attendons à avoir au moins un rapport annuel complet, ainsi que des rapports d'étape, du point de vue de l'agence de surveillance.

Le sénateur Fairbairn: Alors que vous essayez de tourner la page et d'instaurer des relations -- puis-je oser utiliser le qualificatif «collégiales» -- entre les trois parties, il semblerait important d'avoir ces rapports d'étape afin d'établir la crédibilité du système que vous essayez d'instaurer.

Dans sa déclaration, M. Collenette dit que le gouvernement a appuyé un amendement au comité de la Chambre des communes prévoyant que le ministre présente un rapport annuel au Parlement sur la surveillance du système de transport et de manutention des céréales. Lorsque vous utilisez le mot «Parlement», dois-je comprendre que vous englobez à la fois la Chambre des communes et le Sénat?

M. Ralph Goodale: Oui.

Le sénateur Fairbairn: Merci, je voulais m'en assurer.

Le président: J'aimerais poser une question au sujet des wagons de producteur. Certains agriculteurs semblent indiquer qu'il arrive que le vieux silo ne soit pas desservi, car la société de chemin de fer ne veut pas faire le détour pour 15 wagons. Pourquoi le ferait-elle pour un ou deux wagons de producteur? Pouvez-vous garantir que, avec l'adoption du projet de loi, les wagons de producteur continueront d'exister? À l'heure actuelle, je vis sur la ligne principale et la société de chemin de fer récupère 100 wagons au terminal Weyburn -- le syndicat du blé -- mais beaucoup d'agriculteurs se demandent si le wagon de producteur va survivre.

M. Goodale: Je crois qu'il est important de remarquer que les dispositions visant les wagons de producteur ne se trouvent ni dans la Loi sur la Commission canadienne du blé ni dans la Loi sur les transports au Canada, mais en fait, dans la Loi sur les grains du Canada. Rien dans ce projet de loi, dans le PE ou dans toute autre disposition que nous prenons, ne change de quelque façon que ce soit la Loi sur les grains du Canada ou le principe des wagons de producteur qui y est prévu.

Le président: Est-ce que la Loi sur les grains du Canada garantit que je vais recevoir trois wagons, si c'est ce que je demande, et que je ne vais pas devoir attendre deux mois?

M. Goodale: Il faudrait que j'examine la loi pour trouver les termes exacts, monsieur le sénateur. Toutefois, si cela s'avère nécessaire, la Commission canadienne du blé dispose du pouvoir prévu au paragraphe 28k) pour remplir ses obligations réglementaires justement et équitablement. Comme par le passé, on s'attend à ce que ce pouvoir prévu au paragraphe 28k) soit rarement exercé. Il existe toutefois, en cas de besoin.

Le sénateur Oliver: Ma question porte sur le système partiel de soumission prévu dans le cas des céréales de la Commission canadienne du blé. Une des critiques dont fait l'objet ce projet de loi, c'est le fait que le rôle de la Commission canadienne du blé dans le domaine de l'allocation des wagons et du transport y soit inscrit. Comme vous le savez, d'après de nombreux critiques, il est absolument essentiel que les parties qui remportent une soumission soient autorisées à passer directement des marchés avec les chemins de fer afin d'obtenir les tarifs de transport des céréales les plus rentables et les plus concurrentiels qui soient. Pourquoi cela n'a-t-il pas été prévu? Si vous voulez de la concurrence, pourquoi ne pas les laisser se faire concurrence? Pourquoi la Commission canadienne du blé a-t-elle encore autant de pouvoir?

M. Goodale: Sénateurs, j'ai dit plus tôt que la commission doit remplir des obligations légales en vertu de la Loi sur la Commission canadienne du blé. Ces obligations sont envers les producteurs. À l'autre bout de la chaîne de commercialisation, elle a des obligations envers les acheteurs, lorsqu'elle signe des contrats pour leur vendre des céréales.

Le défi consiste à avoir de bons maillons entre les deux extrémités de la chaîne. Pour que la CCB fonctionne bien, en ce qui a trait à ses responsabilités aux deux extrémités de la chaîne, elle doit avoir la certitude de disposer d'une capacité suffisante en matière de transport ferroviaire pour assurer le transport de tout son volume de transactions. La disposition qui est prévue au paragraphe 8 du PE, sous réserve du paragraphe 11, à propos des ententes contractuelles, se lit comme suit:

... la Société limite ses ententes contractuelles avec les chemins de fer aux questions qui touchent la nécessité de disposer du nombre de wagons dont elle a besoin, y compris les tarifs marchandises pour l'envoi d'un wagon.

Le sénateur Oliver: Et ensuite: «[...] et toute autre condition à établir entre les fournisseurs de services de logistique [...]»

M. Goodale: Non, il est indiqué, «[...] à établir entre les fournisseurs de services de logistique,» ce qui signifie, les sociétés céréalières et les chemins de fer. Une fois que la CCB a réglé cette question de capacité et de tarif marchandise pour l'envoi d'un wagon, elle s'adresse aux sociétés céréalières pour les services de logistique -- le chargement sur plusieurs wagons, les tarifs d'incitation, et cetera.

L'alinéa 14d) indique que ces fournisseurs de services de logistique, les sociétés céréalières, permettent aux soumissionnaires de se procurer les quantités de blé ou d'orge offertes à tout endroit situé dans les limites de la région des Prairies. Ainsi, les sociétés céréalières choisissent le point de livraison à partir duquel le transport des céréales sera assuré. Elles choisissent la voie ferroviaire, le terminal utilisé et prennent toute autre disposition afin de respecter les exigences de l'offre.

Par conséquent, il s'agit d'une entente de haut niveau entre la Commission canadienne du blé et les chemins de fer qui permet à la commission de s'assurer que ses exigences en matière de capacité totale sont respectées. Les sociétés céréalières qui traitent directement avec les chemins de fer se chargent de tous les détails logistiques pour la partie soumissionnée. Ainsi, les sociétés céréalières peuvent proposer tous les points forts dont elle dispose dans le processus contractuel.

Je vais vous donner un exemple qui m'a été relaté par l'ancien président du Saskatchewan Wheat Pool, qui a pris sa retraite il y a peu de temps. Il a souligné l'importance de ce point en disant que si la Saskatchewan Wheat Pool remportait une offre faite par la Commission canadienne du blé relative au mouvement de 50 wagons de céréales de la commission à partir d'un point de livraison en Saskatchewan et si, à ce même point, il se trouve 50 wagons de céréales hors commission, par exemple du canola ou une autre céréale, le Saskatchewan Wheat Pool pourrait faire ce que la Commission canadienne du blé ne pourrait pas faire, soit prendre les 100 wagons pour n'assurer qu'un seul mouvement ferroviaire. Ainsi, au lieu d'avoir un tarif pour 50 wagons remplis d'une céréale et un autre tarif pour 50 wagons remplis d'une autre céréale, tous les wagons sont mis ensemble de manière à avoir un train de 100 wagons à un tarif moins élevé pour tous.

C'est une des innovations du système qui n'existait pas auparavant. Il est possible de tirer avantage de tous les points des contrats pour que le système soit plus rapide et moins coûteux pour tout le monde.

Le sénateur Oliver: J'ai une question différente. Je veux parler de ma crainte face au pouvoir de monopole de la commission, organisme dont vous êtes responsable. Peut-être que les faits dont je dispose sont erronés et, si tel est le cas, veuillez m'en excuser. Si je comprends bien, on dit aux producteurs de blé que l'on veut qu'ils deviennent plus commerciaux. On veut qu'ils ajoutent plus de valeur et qu'ils soient plus rentables. Toutefois, si un producteur de blé veut produire un produit à valeur ajoutée et le vendre au sud de la frontière, il ne peut le faire, car il doit vendre le blé à la Commission du blé et le racheter. Est-ce bien cela?

M. Goodale: Essentiellement, en règle générale, oui. Si vous souhaitez exporter du blé ou de l'orge du Canada, vous devez avoir un permis d'exportation de la Commission canadienne du blé. La commission émet ses permis sous réserve du rachat dont vous avez fait mention.

Il s'agit de respecter l'intégrité de la mise en commun de la Commission canadienne du blé. Lorsque ce blé ou cette orge quitte le pays, la Commission du blé vise à obtenir -- pour l'avantage équitable de tous les producteurs des Prairies -- la valeur commerciale qu'elle pense qu'elle pourrait obtenir si elle assurait elle-même la transaction.

Si des exportateurs canadiens sont d'avis qu'ils peuvent obtenir un meilleur prix sur le marché américain que la Commission du blé, ils sont libres de le faire.

Le sénateur Oliver: Comment? Doivent-ils toujours passer par l'entremise de la Commission du blé?

M. Goodale: Oui, ils doivent obtenir un permis d'exportation, payer le coût du rachat. Ils vont alors sur le marché et vendent au prix qu'ils peuvent. Je crois que ce serait un meilleur prix.

Le système de mise en commun fait en sorte que le prix obtenu par la Commission canadienne du blé profite à tous. Si une société céréalière peut faire mieux que cela, elle a droit à la différence.

Le président: Le coût du rachat s'y ajoute. Est-ce que le coût du fret et de la manutention s'ajoutent également?

M. Goodale: Ces frais font partie des coûts de la transaction.

Le président: Le producteur ne peut pas moudre son blé lui-même et le vendre aux États-Unis sans payer le coût du rachat.

M. Goodale: C'est exact.

Le sénateur Oliver: Par conséquent, on retire pratiquement l'incitatif qui consiste à ajouter de la valeur et à devenir plus commercial.

M. Goodale: Sénateur, vous pensez peut-être aux dernières propositions faites dans les Prairies au sujet de la création de pasterie. Des discussions ont eu lieu entre les promoteurs et la Commission canadienne du blé pour savoir si l'on pouvait parvenir à une entente spéciale. Certains de ces promoteurs suggèrent que cela devrait être structuré comme une coopérative nouvelle génération, ce qui, d'après d'autres, est la prolongation naturelle de l'exploitation familiale.

Une exemption est prévue pour la mouture dans l'exploitation même. Cela existe dans les ententes actuelles. C'est lorsque le produit sort de l'exploitation que des restrictions interviennent.

La commission fait face à un dilemme, lorsqu'elle examine la question d'ententes spéciales pour des transformateurs particuliers: si elle peut prévoir des ententes spéciales pour certains transformateurs et non pour d'autres, cela pose un problème. S'il s'agit d'une petite coopérative nouvelle génération, est-ce que des ententes pourraient être faites, ententes qui donneraient un avantage particulier aux membres de la coopérative, mais non aux autres transformateurs au Canada? L'équité entre tous les transformateurs du côté canadien de la frontière est un élément du problème. Par ailleurs, d'autres problèmes se posent lorsque l'on envisage des ententes particulières pour une usine de transformation du côté canadien de la frontière. Si ce produit est ensuite exporté aux États-Unis, il se pourrait que les États-Unis prennent des mesures commerciales, prétendant qu'il s'agit d'une entente spéciale dans le contexte du commerce international, le transformateur américain étant considéré comme désavantagé. Il y a la question d'équité du concept de mise en commun. Le problème se compose de deux éléments: l'équité entre transformateurs du coté canadien et les conséquences commerciales internationales lorsqu'un produit est exporté à destination des États-Unis.

Ceci dit, la Commission canadienne du blé réfléchit déjà à tout cela. Elle en pourparlers avec les transformateurs. Ils tiennent vraiment à encourager les produits à valeur ajoutée, pour que nous n'exportions pas que la matière première, mais le produit transformé et fini. La Commission canadienne du blé préférerait que les emplois et la croissance soient au Canada plutôt qu'ailleurs.

J'ai encouragé la Commission canadienne du blé à être très créative et innovatrice dans la manière dont elle aborde ces situations. Ils devraient se voir comme un élément catalyseur positif des produits à valeur ajoutée, et non pas, d'aucune façon, comme un obstacle.

Le sénateur Oliver: Croyez-vous qu'il pourrait y avoir de nouvelles politiques là-dessus d'ici quelques mois?

M. Goodale: Non. Nous avons affaire à un nouveau mécanisme de régie, un conseil d'administration dont les deux tiers des membres sont dûment élus par les agriculteurs. Nous n'avons jamais fonctionné ainsi auparavant. Le conseil a innové sur plusieurs plans depuis un an et demi. Il y a de nouvelles politiques relatives aux marchés à forfait, et aussi relativement à la permutation des stocks entre divers emplacements, dans les provinces des Prairies. Il y a constamment du nouveau.

Le conseil d'administration est relativement nouveau. Il siège depuis 18 mois. Ce n'est pas très long quand on parle de la gestion d'une opération commerciale de 6 milliards de dollars.

J'espère qu'ils sauront faire preuve d'innovation et de créativité dans le traitement de ces dossiers et que nous continuerons de constater des changements positifs, fermes et prospectifs, qui viseront de meilleurs résultats pour les agriculteurs.

Le président: Est-ce qu'il n'y a pas aussi un problème pour les cultivateurs de produits biologiques? À ce que j'ai compris, ils se posent certaines questions à ce sujet. À la lumière des enjeux environnementaux et de la faveur dont jouissent les produits biologiques, ils n'ont pas tort.

M. Goodale: Oui. Il y a des questions bien légitimes qui se posent.

Tout ce dont je parle depuis quelques minutes relève de l'autorité du conseil d'administration. La loi dit expressément que tous les pouvoirs de la Commission canadienne du blé sont entre les mains de ses administrateurs. Il pourrait être utile, pour l'analyse que vous faites du dossier des grains, d'inviter les cadres supérieurs et les membres du conseil d'administration de la Commission canadienne du blé à comparaître devant vous.

J'aimerais profiter de l'occasion pour féliciter ce comité de son attitude si proactive et de l'examen constructif qu'il fait de ces questions.

Si les représentants de la Commission canadienne du blé témoignaient à l'une de vos réunions, vous pourriez échanger des points de vue sur ces questions et connaître l'état d'avancement de leur plan d'action. Je crois qu'il pourrait être très utile de faire directement un suivi avec la commission. Vous avez tout à fait le droit de les convoquer devant vous.

Le sénateur Stratton: J'aimerais discuter du protocole d'entente, aux alinéas 18 et 19. Le premier paragraphe de l'alinéa 18 parle de «relations d'affaires positives.»

À l'alinéa 19, on lit que «la Société agira de bonne foi.» S'il y a des doutes sur cette bonne foi, à qui la plainte devrait-elle être adressée?

M. Goodale: Sénateur, comme vous le savez, il est assez difficile de juger d'une conduite subjective. Si je devais voir dans un rapport quelconque de l'organisme de surveillance qu'il existe des preuves pouvant faire craindre qu'un participant ou l'autre à ce processus ne se comporte pas de bonne foi, cela m'alerterait. Nous diffusons un signal très clair. Les parties doivent se comporter de manière appropriée l'une envers l'autre pour que ce système puisse fonctionner, et qu'il fonctionne encore mieux à l'avenir. Ce système dépend en partie d'une relation d'affaires fondée sur la bonne foi.

Si l'un des participants au système affichait un comportement inopportun, j'espère bien que l'organisme de surveillance saurait le reconnaître. Puisque nous sommes en démocratie, si l'un des participants du système estime avoir été lésé par le manque de bonne foi d'un autre participant, il se doit de le porter à l'attention des ministres.

Le sénateur Stratton: C'est vous, ça?

M. Goodale: Nous sommes trois à collaborer sur ce dossier.

Le sénateur Stratton: Je crains qu'on se renvoie la balle de l'un à l'autre. C'est ce qui m'inquiète le plus. Au bout du compte, qui est responsable?

M. Goodale: C'est moi qui suis le signataire du protocole d'entente.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: J'aimerais d'abord vous féliciter pour le travail que vous avez accompli pour mettre sur pied le projet de loi C-34. Pour le moment, le projet de loi ne répond pas à toutes les attentes des agriculteurs, mais des pas importants ont été faits.

Les témoins que nous avons entendus nous ont fait part que le gros des problèmes se situait au niveau du transport. Le projet de loi C-34 semble vouloir équilibrer la situation. Avez-vous l'intention de faire connaître aux agriculteurs canadiens les règlements inclus dans le projet de loi? Recevront-ils des instructions faisant en sorte qu'ils ne se retrouvent plus dans la situation qu'ils ont connue il y a quelques mois?

Quant à la diffusion de l'information, il est très important que les agriculteurs comprennent cette information. Le projet de loi s'adresse également aux petits agriculteurs. Vous avez dit qu'à l'avenir, ce système conduira à la créativité et à l'innovation. Vous affirmez également que l'agriculteur qui possède une petite terre et qui n'a pas beaucoup d'argent pourra se bâtir un futur.

Les parlementaires parlent toujours de choses qu'ils comprennent très bien et utilisent parfois un jargon spécifique. Croyez-vous que la population visée par ce projet de loi, les agriculteurs, comprendra ce que nous voulons faire? Je suis étonnée de ce que vous avez fait. Ce n'est peut-être pas complet, mais c'est tout de même un bon début.

[Traduction]

M. Goodale: La communication a toujours posé de très grands défis, monsieur le sénateur, mais c'est un défi que nous prenons très à coeur. Avec le travail qu'ont réalisé M. Estey et M. Kroeger et tout le débat, les délibérations et les pressions exercées avant que nous prenions notre décision sur la politique, le 10 mai 2000, il y a eu un niveau raisonnable d'information publique et de compréhension de la part du public au sujet de cette loi.

Les quotidiens de l'Ouest du Canada ont disséqué le projet de loi. Plusieurs journaux spécialisés en agriculture, comme le Western Producer, en ont parlé en long et en large. La presse de l'Ouest aussi. Je ne doute pas que cela continue.

Il est nécessaire que le gouvernement communique, de façon périodique, directement avec les producteurs. Nous l'avons fait de temps en temps, en envoyant directement des lettres aux producteurs, pour les renseigner minutieusement sur les grands changements apportés aux politiques. Par exemple, lorsque nous avons modifié la Loi sur la Commission canadienne du blé, il y a quelques années, nous avons vraiment tout fait pour tenir les agriculteurs au courant du processus au fur et à mesure de ses progrès, sur une période de trois ans.

Lorsque cette loi sera prête et que le protocole sera signé, et avant d'entamer une nouvelle année de récolte, qui commence le 1er août 2000, le moment pourrait être opportun de faire une tournée de communication. La communication directe avec les agriculteurs les munirait d'une information détaillée. Ainsi, ils pourraient avoir l'information dont ils ont besoin par écrit sur support papier, sur Internet ou encore par l'entremise d'un numéro sans frais 1-800.

Le sénateur Wiebe: Monsieur le ministre, je vous dois des excuses. Je n'ai pas pu poser cette question au premier tour et je dois vous demander de fouiller votre mémoire. Je vous pose cette question surtout pour ma propre gouverne.

Les questions qu'ont posées au premier tour les sénateurs Stratton et Gill ont fait ressortir des préoccupations réelles. Certaines de ces préoccupations ne doivent-elles pas être prises en main par l'organisme indépendant de surveillance?

M. Goodale: Oui, sénateur, et elles devraient l'être. Nous demandons à tous les intervenants de modifier leur conduite, en fonction d'une gamme tout à fait différente de règles.

Depuis quelques années, la manutention et le transport du grain se font d'une certaine façon, qui tendait à être fortement réglementée. C'est en voie de changement.

Ainsi, la Commission canadienne du blé devra modifier sa façon de faire des affaires. Les sociétés céréalières devront aussi changer, de même que les compagnies ferroviaires et, à bien des égards, les agriculteurs, particulièrement en réponse à cette question de taux variables des transports dont j'ai parlé plus tôt.

Nous entrons en territoire inconnu. Nous pensons que les changements auront des effets positifs, mais nous devons pouvoir reconnaître s'il y en a ou non. Nous devons savoir si les agriculteurs en tirent parti et, le cas échéant, comment et combien cela représente.

Nous devons savoir si la Commission canadienne du blé est lésée de quelque façon que ce soit, ou encore si ce nouvel environnement d'exploitation entraîne une amélioration de ses opérations. Nous devons cerner les effets des changements sur l'efficience des compagnies ferroviaires, de la manutention des grains et de nos ports. Dans l'ensemble, le système est-il meilleur?

Nous savons, d'après les conclusions des consultations, qu'il est hors de question de ne rien changer. Le changement s'impose. C'est pourquoi nous avons conçu une trousse de changements se rapportant à la loi, au protocole d'entente, à la référence au processus de l'OTC, à la surveillance, aux routes, et cetera. De plus, dès le départ, nous voulons que le processus de surveillance soit assuré par un organisme absolument indépendant, respecté et impartial qui observera la conduite de tous les participants au système et fera rapport aux ministres sur la situation, en vertu du nouvel arrangement. Si quelque chose devait aller de travers, par exemple, et que l'on pouvait prouver que les négociations ne se déroulent pas dans les règles de la bonne foi, ou qu'un processus d'arbitrage ne donne rien, ou encore qu'un participant au système n'a pas le rendement qu'il est censé avoir, cela se saurait grâce au processus de surveillance. Les ministres seront en position, alors, de prendre des décisions en vue de corriger la situation et de régler les problèmes que fait ressortir la surveillance.

Le sénateur Wiebe: Monsieur le ministre, c'est bien ce que j'avais compris. À mon avis, et c'est aussi, j'en suis sûr, l'avis de tous les intervenants, cette partie du projet de loi C-34 est celle qui présente le plus d'intérêt. Voilà une merveilleuse occasion de mettre fin à d'anciennes querelles et d'entamer l'édification d'un système de manutention et de transport du grain qui profitera non seulement à tous les intervenants, mais aussi au pays.

Le président: Ce sont probablement les compagnies ferroviaires qui ont fait les plus grands compromis avec ce projet de loi. Est-ce que les compagnies céréalières y ont apporté la moindre contribution, ou est-ce que vous laissez à la concurrence le soin de régler cela? Parfois, je compare les frais de manutention des États-Unis à ceux en vigueur au Canada. Il semble que certaines compagnies ont été très prospères. Il y a tellement de gares de transport intermodal en construction dans l'Ouest qu'on croirait que l'argent pousse sur les arbres. Et pourtant, les agriculteurs sont en train d'y perdre leur chemise.

Est-ce que les compagnies céréalières ont fait la moindre contribution à ce projet de loi?

M. Goodale: Sénateur, vous me demandez de m'aventurer sur un terrain délicat, parce que pour savoir qui donne et qui reçoit, la réponse dépend souvent de son auteur.

Les compagnies céréalières, je crois, diraient que depuis quelques années en particulier, en réaction à l'évolution de la conjoncture nationale et internationale, elles ont investi des dizaines de millions de dollars sur de nouvelles installations de manutention du grain, tout cela dans l'intention de créer un système de livraison plus rapide.

Puisqu'elles ont fait des investissements, elles sont maintenant pressées de les utiliser avec efficience, pour qu'au bout du compte, cette efficience se reflète non seulement dans les chiffres, pour leurs actionnaires ou leurs intervenants, mais aussi dans les ensembles de service, les incitatifs et d'autres formes de retombées dont elles pourraient faire profiter les producteurs.

Leur principale contribution a été, jusqu'ici du moins, un investissement important dans l'infrastructure intérieure et portuaire, dans le but d'accélérer la manutention du grain.

Le président: J'accepte cette réponse. Il ne fait pas de doute que nous soyons en train d'édifier dans les Prairies des installations terminales parmi les plus sophistiquées du globe. Vous n'avez qu'à traverser la frontière pour voir des installations plutôt mal en point, aux États-Unis.

Cependant, si les agriculteurs n'ont pas les moyens, avec le cours des produits de base, de produire ce grain, ces installations terminales ne serviront pas à grand chose. Je peux personnellement dire que nous, les agriculteurs, n'avons jamais subi autant que maintenant les pressions des prix des produits de base, et pour essayer de rentrer dans nos frais. Je suis sûr que le ministre en est conscient. Il est important de reconnaître que ce projet de loi est un pas dans la bonne direction pour comprendre cette situation. Il faut absolument alléger les coûts du transport et, dans une certaine mesure, les pressions qui s'exercent sur les routes.

Ceci dit, je remercie le ministre d'avoir témoigné devant nous.

M. Goodale: Merci, monsieur le président.

Le président: Tout bien considéré, ce projet de loi est plutôt positif. Nous aimerions certainement y trouver bien d'autres choses et, probablement, y constater une orientation différente, mais à mon avis, c'est un début. Je vous remercie d'avoir comparu ici aujourd'hui, et aussi l'excellent travail que vous réalisez dans des circonstances difficiles, qui existent toujours, comme vous l'avez souligné, lorsque l'on traite de manutention du grain et des situations dans les Prairies.

M. Goodale: Je vous remercie, mesdames et messieurs, pour l'examen attentif que vous faites de cette question des plus importantes.

Le président: Je souhaite la bienvenue à M. Kroeger au «meilleur comité de la Colline.» Je vous ai dit tout à l'heure qu'a mon avis, vous êtes le meilleur bureaucrate que j'aie connu en 21 ans de métier, parce vous êtes une personne pratique. C'est mon opinion, et vous pouvez en faire ce que vous voulez.

À ce que je comprends, vous n'avez pas préparé de déclaration formelle. Peut-être pourriez-vous nous expliquer votre rôle dans l'élaboration de ce projet de loi. Nous passerons ensuite aux questions. Je ne doute pas qu'il y en ait beaucoup.

M. Arthur Kroeger, O.C., facilitateur, Les consultations de 1999 sur le transport du grain: Je vous suis reconnaissant de votre généreuse introduction. Les ex-bureaucrates sont comme le bon vin, ils s'améliorent avec l'âge.

Je présume que le comité aimerait entendre parler du processus que j'ai dirigé pendant le printemps, l'été et l'automne de 1999. J'ai présenté mon rapport en septembre 1999; il se pourrait donc que j'en aie oublié quelques détails.

Je suppose pouvoir dire que je suis ici aujourd'hui à trois titres. Premièrement, j'ai grandi dans une ferme de l'Alberta. Deuxièmement, j'ai passé trois ans et demi de ma vie aux côtés de l'honorable Jean-Luc Pépin, qui a remplacé le tarif du Pas-du-Nid-du-Corbeau par la Loi sur le transport du grain de l'Ouest, quand j'étais sous-ministre des Transports. Troisièmement, au printemps dernier, M. Collenette a décidé de me recycler, et il m'a demandé de faciliter les séances de consultation dans l'Ouest. Les conclusions de ces consultations font l'objet du rapport que j'ai déposé en septembre et, bien entendu vous avez, depuis, appris la décision du gouvernement à ce sujet.

Le sénateur Stratton: Le ministre Collenette vous a demandé de recueillir certaines données pour lui et vous avez fait des recommandations à ce sujet. A-t-il écouté et adopté certaines de vos recommandations? Nous sommes toujours curieux de savoir ce que vous avez recommandé et ce qui est arrivé en réalité au bout du compte. Je pourrais comprendre qu'il ne les accepte pas toutes.

Y a-t-il des recommandations que vous avez faites, que vous estimiez devoir être dans le projet de loi, mais qui n'y ont pas été intégrées?

M. Arthur Kroeger: J'ai lu le projet de loi, sans toutefois l'analyser en profondeur, et j'ai lu les déclarations du gouvernement. J'ai l'impression qu'ils ont pris certains éléments des rapports que nous avons présentés, le juge Estey et moi-même. Il y a notamment le changement qui consiste à adopter un plafond de revenu au lieu de faire le contrôle détaillé des prix du transport. Cela met fin à environ 100 ans de contrôle détaillé des tarifs appliqués au transport du grain. Ainsi, les compagnies ferroviaires ont un peu plus de flexibilité.

Le juge Estey a formulé le concept original avec l'aide de CP Rail. De mon côté, nous -- et cela englobe les intervenants de l'Ouest qui ont participé à mon processus -- nous avons considérablement étoffé ce concept. Ils ont formulé les règles de gestion d'un plafond de revenus. C'était intéressant parce que, au départ, beaucoup de gens pensaient qu'un plafond de revenu ne pourrait jamais fonctionner parce que les compagnies ferroviaires l'emporteraient toujours sur nous. Cependant, à la fin de l'été, nous avions trouvé une série de règles qui permettaient la gestion efficace d'un plafond de revenu. Je crois que c'est un changement important dans le régime, puisqu'il donne aux compagnies ferroviaires une flexibilité qu'elles n'avaient plus depuis longtemps.

Nous avions fait certaines recommandations sur les lignes secondaires et l'arbitrage de l'offre finale. À ce que je comprends, le projet de loi ne suit pas exactement ces recommandations, mais on y trouve l'essentiel de certains arguments qui ont été soulevés dans le cadre des consultations que nous avons eues.

Dans ma lettre au ministre, je recommandais une réduction des revenus des compagnies ferroviaires, plus modeste, d'ailleurs, que celle que le gouvernement a finalement décidé. Cependant, le concept de la réduction des revenus des compagnies ferroviaires était bien là.

Le domaine où, d'après ce que je comprends de la loi, il y a le plus grand écart entre notre processus et le projet de loi est celui du rôle futur de la Commission canadienne du blé. Je ne prétendrai pas comprendre parfaitement la situation, mais deux modèles sont ressortis de nos consultations. Le premier était une série très modeste de changements que j'ai situés, dans ma lettre au ministre, à environ 20 p. 100 de ce qu'avait recommandé M. Estey. Le deuxième représentait environ 80 p. 100 des recommandations de M. Estey. À mon avis, la loi du gouvernement est probablement plus près du premier que du deuxième modèle et c'est sans doute la plus grande divergence qu'il y ait entre les conclusions des consultations et le projet de loi qui est présenté.

Le sénateur Stratton: Êtes-vous d'avis que le gouvernement a introduit un processus évolutif? Croyez-vous qu'il y aura plus de changements à votre rapport qu'à celui de M. Estey?

M. Kroeger: Il y a eu une évolution. Je crois qu'elle se poursuivra, mais la question qui se pose est plutôt à quel rythme? Certains changements découleront des décisions qu'a prises le gouvernement. Il y a beaucoup de gens, dans l'Ouest, qui voudraient que ces changements surviennent plus rapidement et aillent plus loin. Cependant, c'est un sujet qui suscite beaucoup de divergences dans l'Ouest, depuis très longtemps. Il faut prendre une décision, ce qui est l'affaire du gouvernement, et déterminer jusqu'où on veut aller et à quelle vitesse. Le projet de loi dont vous traitez reflète les conclusions du gouvernement.

Le sénateur Hervieux-Payette: J'ai devant moi votre recommandation et, encore une fois, je reviens au revenu de 12 p. 100 comparativement aux 18 p. 100 qu'indique le projet de loi. J'interrogeais le ministre, tout à l'heure, à propos de ces 18 p. 100. Il a expliqué que ce taux était fondé sur l'historique de l'augmentation et le rendement du capital investi. Comment êtes-vous arrivé à ce chiffre de 12 p. 100? À quel niveau a été établi le facteur le plus important du plafond de revenu? Pensiez-vous que la compagnie ferroviaire accepterait, au moins, cette réduction en regard d'autres compensations? Pensiez-vous qu'il y aurait un équilibre? Je n'ai jamais vu une compagnie adhérer sans réticence à la perspective de perdre 12 p. 100 de ses revenus. Je suppose que c'est une question d'«un donné pour un rendu» -- le donné étant le 12 p. 100, mais quant au rendu, qu'est-ce que ce serait? Y a-t-il une autre forme de compensation qui convient à la compagnie?

M. Kroeger: Vous avez raison de penser que les compagnies ferroviaires n'ont pas bien accueilli ma recommandation au sujet de ces 12 p. 100. Tout cela relève de diverses décisions. Le rapport du juge Estey recommandait au gouvernement d'établir le plafond au niveau des revenus actuels des compagnies ferroviaires, puis de compter sur la concurrence pour faire réduire ces revenus à l'avenir.

Lorsque j'ai entamé mon processus de consultation, un débat général était en cours dans l'Ouest sur la nécessité d'effectuer ce qu'on appelait un «examen des coûts.» Depuis 1996, les compagnies ferroviaires n'étaient plus tenues de passer par le même processus que les autres. Tous les quatre ans, en vertu de la Loi sur le transport du grain de l'Ouest, un examen des coûts et des revenus des compagnies ferroviaires était fait, puis les revenus étaient réduits d'une contribution de 20 p. 100 du coût constant. Elles ont été soulagées de cette contribution en 1996.

L'impression régnait, dans l'Ouest, que ces compagnies faisaient beaucoup d'argent, et c'est pourquoi nous nous sommes procurés certaines données auprès de l'Office des transports du Canada -- non pas un tableau détaillé des coûts, ce qui serait une entreprise fastidieuse, mais plutôt quelque chose de plus simple qui a pu nous être fourni au bout de deux mois. On y constatait qu'en effet, les revenus des compagnies ferroviaires connaissaient un essor très sain. Dans l'Ouest, l'on avait le ferme sentiment qu'il faudrait imposer une réduction quelconque de ces revenus. Le juge Estey n'avait pas eu l'avantage de connaître ces chiffres pour rédiger son rapport, comme nous l'avons pu.

L'impression générale était donc qu'il faudrait une espèce de réduction. La question suivante qui se posait était de combien? Dans la démarche qu'a dirigée l'un de nos groupes de travail, deux fois, une réduction de 8 p. 100 a été proposée, et une fois une réduction radicale de 20 p. 100, accompagnée d'une ferme réglementation.

Je le répète, c'est une décision à prendre. À l'examen des données, j'ai conclu que 8 p. 100, ce n'était pas assez, particulièrement à la lumière des difficultés qu'avaient les agriculteurs à assurer leurs revenus, et c'est pourquoi j'ai suggéré 12 p. 100. J'aurais tout aussi bien pu dire 13 p. 100 ou 10 p. 100. Ce n'est pas une science. D'un côté, j'ai conclu que 8 p. 100 n'étaient pas assez et, de l'autre, que la réduction de 20 p. 100 que recommandaient certains groupes d'agriculteurs était prohibitive. Outre cette réduction de 20 p. 100, il y aurait eu des réductions obligatoires, chaque année subséquente, des revenus des compagnies ferroviaires -- 3 p. 100 par année -- qu'il y ait ou non augmentation de leurs revenus. Ainsi, on revenait à l'espèce de contrôle détaillé dont s'étaient démarqués les gouvernements successifs depuis 10 ou 15 ans. J'ai suggéré 12 p. 100, et le gouvernement a statué à 18 p. 100.

Il y a deux observations générales qui s'appliquent, relativement aux facteurs pris en compte. Dans ma lettre à M. Collenette, je lui disais «Vous devez être prudent. Si vous imposez de trop fortes réductions aux compagnies ferroviaires, vous réduirez pour elles l'attrait du transport du grain.» Les compagnies examinent l'investissement dans le matériel roulant -- pour le transport du charbon, des voitures ou du grain -- puis les différents taux de rendement. Si elles estiment que le transport du grain manque d'attrait, nous constaterons, avec le temps, une détérioration du système.

Dans ma lettre au ministre, je crois avoir établi un certain lien -- plus vous donnez de liberté aux compagnies ferroviaires pour appliquer les pratiques commerciales à l'avenir, pour réaliser des gains d'efficience, et cetera, plus vous pouvez réduire leurs revenus à court terme.

Inversement, si vous deviez maintenir l'ancien système administré en grande partie, surtout, par la Commission canadienne du blé, la capacité de la compagnie ferroviaire de se remettre des coupures serait plus limitée. C'est pourquoi le chiffre de 12 p. 100 que j'ai proposé était un juste milieu, fondé sur l'hypothèse que les compagnies ferroviaires auraient plus de liberté pour s'engager dans des pratiques commerciales, comparativement au passé.

 

Le sénateur Fairbairn: M. Kroeger, dans presque tous les exposés que nous ont présentés les témoins, quel que soit le sujet traité, nous avons entendu parler de concurrence dans le secteur ferroviaire, et des moyens d'améliorer cette situation. Je soupçonne que vous l'avez, vous aussi, entendu une fois ou deux durant vos consultations dans l'Ouest du Canada qui, d'après ce que j'ai entendu, étaient ouvertes et très animées.

Ce sera l'un des enjeux de l'examen de la Loi sur les transports au Canada qui, je pense, doit être entamé au début de juillet 2000. Je crois que l'on souhaite pouvoir présenter au gouvernement des conclusions sur cet aspect particulier de l'examen d'ici à Noël.

Selon l'expérience que vous avez vécue avec les consultations, quelles sont vos idées sur la hausse de la concurrence, étant donné les attentes et les réalités parfois contradictoires exprimées dans tout l'Ouest du Canada?

M. Kroeger: Je vais commencer avec une observation préliminaire. Le juge Estey et moi-même avons parlé d'un décret important de déréglementation de ce qui a été jusqu'ici un système assez rigoureusement contrôlé. Plus on déréglemente, plus on doit s'efforcer d'accroître la concurrence, parce que la concurrence est le substitut de la réglementation.

Il y a plus de concurrence dans les Prairies maintenant qu'auparavant. On se demande encore s'il y en a beaucoup plus, certains étant d'avis qu'oui et d'autres que non. À mon avis, cette croissance est devenue importante en raison de l'avènement des silos-élévateurs à grande capacité.

Quand je vivais là-bas, les voies ferrées étaient à 20 milles les unes des autres, et les silos élévateurs à 8 milles. Le choix ne se posait pas tellement pour savoir où on allait emporter le grain. Actuellement, les compagnies céréalières peuvent obliger les compagnies ferroviaires à se concurrencer.

Ainsi, SaskPool peut demander à une compagnie quel prix elle est prête à demander pour le transport des grains sur la ligne à haute capacité du CP, par exemple. CP fournit un chiffre, qui n'est pas jugé satisfaisant. SaskPool interroge alors le CN sur le transport des mêmes grains sur la ligne à haute capacité située à 60 milles au nord. C'est ce genre de concurrence qui est devenue la réalité. Elle augmentera encore au fur et à mesure de la disparition des silos élévateurs en bois, du recours accru aux camions à grande capacité, de l'amélioration des routes et des gains d'efficience des silos élévateurs.

La concurrence augmentera, mais ce n'est pas assez. Les grands enjeux soulevés, dans les consultations que nous avons menées, portaient sur les droits de circulation et la liberté d'accès. Le juge Estey l'a recommandé.

Le troisième groupe de travail était fortement divisé sur ce sujet. Les groupes de producteurs du troisième groupe étaient, pour la plupart, fermement convaincus que les droits de circulation étaient très importants. Je n'ai guère besoin de préciser à certains membres du comité, comme le président et le vice-président, que ce sujet a une longue histoire dans les Prairies. On y soutient depuis longtemps que le gouvernement devrait nationaliser les plates-formes et les considérer comme des biens nationaux. Quiconque voudrait conduire un train pourrait le faire sur n'importe quelle voie ferrée. C'est à ce passé que l'on peut attribuer l'intensité de l'engagement émotionnel du troisième groupe de travail envers la proposition sur les droits de circulation.

Les chemins de fer étaient affectivement plus opposés à la proposition relative aux droits de circulation qu'à tout autre élément de la consultation. À tort ou à raison, ils pensaient que cela aurait des conséquences extrêmement négatives pour eux; ils disaient également que cela créerait de l'incertitude et qu'il serait plus difficile de réunir des capitaux sur les marchés; enfin, ils redoutaient une sélection aléatoire par les chemins de fer américains. Plusieurs arguments de ce genre ont été présentés.

Le problème dans ce débat chargé d'émotion, c'était que tout le monde faisait des hypothèses, car personne n'avait de certitude. Nous n'avons jamais eu au Canada, ni non plus aux États-Unis, le genre de système d'«accès forcé,» comme on l'appelait. C'est le groupe de travail 3 qui l'a recommandé, à la majorité.

Je suis donc arrivé à plusieurs conclusions. Premièrement, il faut faire tout ce qui est possible pour augmenter la concurrence, tout en déréglementant. Deuxièmement, l'accès ouvert n'est pas une question très importante et ne se limite pas aux céréales. Si l'accès ouvert est adopté, il doit s'appliquer à tout le pays.

Vous parlez de l'état du réseau ferroviaire national. Ma conclusion, c'est que vous devriez examiner cette question de près et obtenir des conseils de spécialistes. Il y avait des membres du groupe de travail qui avaient certaines connaissances à ce sujet, mais sans doute pas beaucoup de connaissances spécialisées.

J'ai proposé au ministre de demander à des spécialistes de lui dire ce qui fonctionnerait le mieux. Si l'accès ouvert est ce qui fonctionne le mieux, il n'y a pas à hésiter. Si quelque chose d'autre donne de meilleurs résultats, il ne faut pas hésiter non plus. Toutefois, il devrait étudier la question avant de prendre une décision. Je lui ai suggéré de ne pas prendre de décision précipitée en fonction des dires de quelqu'un d'autre, car au bout du compte, en sa qualité de ministre des Transports, il est responsable de l'état du réseau ferroviaire canadien devant le public.

La concurrence entre les chemins de fer des Praires est une question qui se pose depuis longtemps. La concurrence augmente et j'aimerais bien savoir s'il est possible de trouver des moyens de l'intensifier encore plus à l'avenir.

Le sénateur Fairbairn: Comment, d'après vous, la proposition intéressante de fusion entre le CN et Burlington Northern Sante Fe influerait sur la concurrence?

M. Kroeger: Il est très difficile de vous donner une réponse assurée à ce sujet. Une des possibilités, c'est que s'il y a fusion entre le CN et BN, que Canadien Pacifique suive cet exemple et fusionne avec Union Pacific, le résultat risque d'être diamétralement opposé, il y aura moins de concurrence en Amérique du Nord.

Actuellement, il ne reste que quatre grandes sociétés de chemins de fer aux États-Unis. Les États-Unis s'inquiètent de la tendance vers une plus forte concentration. Les membres du comité se rappelleront que, il n'y a pas tellement beaucoup d'années, CN et CP envisageaient une fusion. Il n'est pas futile d'envisager la possibilité d'un seul chemin de fer au Canada, ce qui vous ramènerait dans un cadre de réglementation.

Le sénateur Oliver: Cela me fait penser à Air Canada.

M. Kroeger: Le problème, c'est que la réglementation est une solution de second choix par rapport à la concurrence. La réglementation peut créer une certitude à propos de ce qui va se passer. Le problème, c'est qu'on n'est pas au courant de ce qui aurait pu arriver de positif à cause du carcan de la réglementation.

S'il ne restait qu'un seul chemin de fer au Canada, j'imagine que des mesures de nature réglementaire s'imposeraient. Il se peut que nous n'ayons pas encore fini d'entendre parler d'Air Canada, société citée par l'un des sénateurs.

J'ai le sentiment que l'on tend vers moins de concurrence. Les rendements élevés pourraient atténuer et diminuer la concurrence dans un secteur donné. Toutefois, à l'échelle internationale, on tend vers moins de concurrence.

Le président: Si je comprends bien ce que vous dites, le transport des céréales vers le sud par le Mississippi va commencer au moment de la fusion CN et Great Northern? Cette fusion est certainement une possibilité. Si le coût du transport à destination de la côte Ouest devient trop élevé, c'est ce qui va arriver. C'est une affirmation, non une question.

M. Kroeger: Il est frappant de voir la quantité de céréales expédiées vers le sud aujourd'hui. Je crois que 10 p. 100, ou plus, des exportations céréalières du Canada passent déjà la frontière américaine, ce qui représente une augmentation très importante par rapport à la situation d'il y a 15 ou 20 ans.

Le président: J'ai lu l'autre jour que le transport vers le sud de grains transformés en farine est beaucoup plus important, ce qui, bien sûr, fait augmenter les chiffres.

[Français]

Le sénateur Gill: Monsieur Kroeger, je suis heureux de vous revoir après toutes ces années, -- je crois que c'était autour de 1975 -- et je m'aperçois que vous avez survécu à vos fonctions aux ministère des Affaires Indiennes. Vous survivrez sans doute facilement au ministère de l'Agriculture.

Je voudrais faire appel à vos talents de sondeur parce qu'il est ressorti des témoignages que nous avons entendus ici beaucoup d'insatisfaction de la part des agriculteurs, en particulier concernant les transports. Pensez-vous que l'adoption de ce projet de loi puisse apporter un taux de satisfaction convenable? Il me semble, à moi qui vient de l'Est, qu'il existe un taux d'insatisfaction très élevé dans l'Ouest, et presque toujours concernant les services gouvernementaux.

M. Kroeger: Les divisions dans l'Ouest sont tellement profondes qu'il serait presque impossible de produire un projet de loi qui satisferait tous les points de vue. Il est intéressant de constater qu'il y a 20 ans, lorsque j'étais sous-ministre des transports, il y avait beaucoup d'unité dans l'Ouest et ce, sur beaucoup de choses. Lorsque j'y suis retourné il y a 13 mois, j'ai constaté que l'Ouest était maintenant très, très divisé. Il y a ceux qui sont très en faveur de la Commission canadienne du blé, -- et l'émotion est assez forte à ce sujet -- et il y a aussi ceux qui s'y opposent. Je pense que l'Ouest est maintenant divisé à presque 50-50. Il m'est apparu, l'été dernier, qu'il n'y avait pas beaucoup de points de vue communs afin d'en arriver à un consensus dans l'Ouest concernant ces sujets. C'est presque impossible.

La tâche que les ministres avaient alors, avant tout, était de trouver une formule ou un compromis acceptable, et le projet de loi que vous avez devant vous représente leurs conclusions. La tâche incombe maintenant aux ministres de poursuivre le débat entre leurs conclusions et les points de vue des parties prenantes dans l'Ouest. C'est le débat qui doit avoir lieu. Je n'ai été que celui qui a fait une étude et émis des recommandations, mais le jugement politique à porter en ce qui a trait aux points de vue très différents devrait revenir aux ministres.

Le sénateur Robichaud: Vous êtes sage.

[Traduction]

Le sénateur Wiebe: Monsieur Kroeger, vous avez tout à fait raison de dire que certains ont des positions très arrêtées dans l'Ouest canadien en ce qui concerne la manutention et le transport des céréales. En ma qualité d'agriculteur, j'ai passé 30 ans de ma vie à essayer de parvenir à un consensus avec d'autres agriculteurs au sujet de cette question.

Je veux vous féliciter, ainsi que M. Estey, pour le travail que vous avez accompli ces trois dernières années et qui a permis -- dans une très grande mesure -- aux agriculteurs et aux intervenants de parvenir au consensus que nous avons aujourd'hui. Nous ne sommes toujours pas d'accord sur toutes les questions, mais le travail que vous avez fait tous les deux nous a permis d'aller dans la bonne direction. Je vous en remercie et vous en félicite.

Indépendamment de la direction que nous allons prendre, l'évolution du système de manutention des céréales va se faire beaucoup plus lentement que ce que les deux côtés souhaiteraient. Peut-être que d'un point de vue du gouvernement, est-ce la meilleure solution.

Vous avez remarqué, si vous êtes arrivé un peu plus tôt, que la surveillance est l'un des aspects du projet de loi qui m'intéresse au plus haut point. En tant qu'agriculteur, je crois qu'il est important qu'un mécanisme de surveillance soit prévu. Un organe indépendant mettrait, espérons-le, un terme aux mythes et aux accusations qui sont à l'origine de malentendus.

Que pensez-vous de la valeur du système de surveillance prévu dans le projet de loi?

M. Kroeger: J'ai lu l'annonce du gouvernement au sujet du système de surveillance, mais je n'ai pas eu de discussion avec des fonctionnaires du ministère des Transports ni avec qui que ce soit d'autre, par conséquent, je ne suis pas sûr de très bien le comprendre.

Je vais faire quelques observations générales. Quiconque s'occupe de la surveillance devra faire face aux opinions partagées de l'Ouest. Ce qui m'a vraiment frappé l'été dernier, c'est qu'il s'agit de la question économique la plus politisée du pays. Il n'y a rien d'autre du genre. Les émotions qui se manifestent au sujet du transport des céréales et les attitudes des deux côtés s'expliquent par l'histoire des Prairies, le radicalisme, les protestations et les attitudes à l'égard des chemins de fer. Il sera extrêmement difficile pour quiconque de faire ce travail de surveillance et de se faire accepter simultanément des deux côtés.

L'été dernier, j'ai eu par moments l'impression qu'il aurait suffit que je dise à l'une des parties que deux et deux font quatre pour qu'elle me rétorque: «Qui en a décidé ainsi?» Il y aurait eu un autre argument, exigeant une autre étude.

D'innombrables études ont été réalisées par des consultants des deux côtés de la frontière; ils en ont conclu que pour obtenir de bons résultats, il suffit de prendre telle ou telle mesure. La polarisation de la question était telle que presque n'importe quelle étude, indépendamment des données sur lesquelles elle s'appuyait, était rejetée par un des deux côtés.

Je n'envie pas celui qui sera chargé de la surveillance et qui voudra affirmer que l'efficience est meilleure. C'est un domaine compliqué, car, tout argument avancé peut être à la fois appuyé et réfuté.

J'espère que la surveillance fonctionnera, mais je ne peux pas dire que j'en comprenne très bien le mécanisme. La polarisation de l'Ouest restera un problème.

Le sénateur Wiebe: Ma question suivante ne porte pas vraiment sur ce projet de loi particulier. Elle découle d'une des observations que vous avez faites.

Vous avez parlé de l'investissement des chemins de fer dans la manutention et le transport des céréales. Dans son rapport, M. Estey indique que les recettes des chemins de fer s'élèvent à près de 1,5 milliard de dollars par année et que cela représente près de 20 p. 100 de leur portefeuille global. En outre, ils reçoivent près de 300 millions de dollars pour le transport des céréales à l'intérieur du Canada. Le chiffre de 1,5 million de dollars correspond à l'exportation.

Les céréaliculteurs sont propriétaires de wagons, tout comme l'industrie de la potasse de la province.

Mis à part les locomotives et les moteurs, quel genre d'investissement font les chemins de fer pour la manutention des céréales qu'ils n'auraient pas normalement besoin de faire pour le transport de la potasse et d'autres produits, sur leurs lignes principales?

M. Kroeger: À un moment donné, il faudra renouveler le parc de wagons-trémie. Il faudra faire des choix, car il existe diverses catégories de wagons-trémie -- plus coûteux ou de plus grande capacité. Il faudra peut-être envisager d'investir dans les lignes tributaires du transport du grain. Dans les derniers jours du tarif du Pas-du-Nid-du-Corbeau, dont je suis sûr que vous vous souvenez, surtout le sénateur Wiebe, les chemins de fer n'investissaient tout simplement pas dans les embranchements ou le matériel roulant. Le gouvernement a dû finir par le faire à leur place.

Dans certains cas, l'investissement pourrait se faire ailleurs. J'aimerais revenir à la question du sénateur Fairbairn au sujet de la fusion Burlington-Northern CN. Si cela arrive, l'univers de l'investissement du chemin de fer s'élargira. Il ne s'agira plus seulement de l'investissement du CN au Canada ou avec l'Illinois Central, mais d'investissement dans un secteur beaucoup plus vaste. Dans n'importe quelle société, on se bat pour obtenir les fonds d'investissement. Une fois fusionnés, divers éléments du chemin de fer défendront leurs arguments devant le président et le conseil d'administration et diront: «Si vous investissez dans ces nouveaux wagons à charbon, vous obtiendrez un excellent taux de rendement,» ou «Les produits forestiers sont ce qui importe aujourd'hui et vous pouvez investir dans le transport de ce produit.» Ils peuvent ainsi parcourir toute la liste des produits.

Ce que je veux dire en fait, c'est que si l'on va trop loin et que l'on diminue trop les rendements du transport du grain, on risque de compromettre certaines décisions d'investissement prises par les chemins de fer. Cela ne s'appliquerait pas à toutes les décisions, car une locomotive reste une locomotive. Toutefois, il se pourrait que dans certains domaines, le système du grain soit lésé.

Le sénateur Wiebe: Les représentants de l'industrie de la potasse me disent qu'ils économisent près de 5 $ la tonne du fait qu'ils sont propriétaires de leurs wagons. L'agriculteur a fait d'importantes économies grâce aux gouvernements -- provinciaux et fédéral -- et à la CCB qui se sont chargés d'acheter ces wagons au fil des ans. Cela a été une bonne affaire pour CN et CP.

La ligne principale dessert la côte Ouest, qu'il s'agisse du transport de charbon, de potasse ou de céréales. On a dit que l'adoption du projet de loi pourrait entraîner une diminution de l'investissement; quelle part de l'investissement relative au transport des céréales, soit 20 p. 100, serait touchée? Peut-être s'agit-il d'une question déloyale, ce dont vous voudrez bien m'excuser, si c'est le cas.

M. Kroeger: Je ne crois pas qu'elle le soit, mais je ne suis pas sûr de pouvoir donner une réponse bien éclairée, car je ne participe pas aux décisions d'investissement des chemins de fer. Pour l'instant, vous avez des wagons-trémie qui appartiennent au gouvernement et un jour ou l'autre, ces wagons ne vont plus être utilisables. À ce moment-là, vous pourriez certainement être confrontés à des questions délicates sur le montant d'argent que les chemins de fer voudront investir dans les wagons-trémie destinés aux céréales par opposition aux wagons destinés au charbon ou à d'autres produits. D'autres régions du pays se feront concurrence pour les fonds d'investissement des chemins de fer.

Tout comme dans le cas de n'importe quelle autre société, je crois que cela s'appliquerait aux chemins de fer, bien que je ne sois pas suffisamment au courant pour vous donner une réponse au sujet des compensations.

Le président: J'ai deux autres questions au sujet des routes et du camionnage.

Comme vous le savez, cela pose un très grave problème dans les Prairies, surtout maintenant que les prix du carburant augmentent. Les camionneurs prétendent qu'ils ne peuvent pas assurer le transport des céréales pour le prix fixé antérieurement, vu que le prix du carburant est trop élevé. Ils avaient prévu dans leur budget un certain montant par boisseau et maintenant, à cause de l'augmentation du prix du carburant, ils doivent demander aux agriculteurs de payer davantage.

D'après les agriculteurs, si le coût des céréales devait augmenter, le coût des engrais, du fret et des intrants augmenterait aussi. Nous sommes des preneurs de prix -- nous prenons ce qu'on nous propose, nous ne fixons pas les prix. Tous les autres intervenants de l'industrie, même les chemins de fer, fixent les prix. Ils n'assureront pas le transport des céréales si cela doit leur faire perdre de l'argent. C'est le problème auquel nous sommes confrontés. Comme vous le dites, les distances de camionnage sont plus longues. Depuis longtemps, l'agriculteur n'utilise plus son propre camion -- à moins qu'il ne soit un gros exploitant -- pour transporter les céréales jusqu'à un terminal. Il embauche un camionneur, car il ne peut pas se permettre un camion de 250 000 $ pour assurer le transport de ses céréales.

De toute évidence, vous avez examiné cette question. Le projet de loi est positif, étant donné qu'il recommande une injection de 175 millions de dollars dans les routes sur une période de cinq ans. Avez-vous des observations à faire sur la situation des routes et du camionnage? Dans le cas de la Saskatchewan en particulier, c'est sans aucun doute un défi de taille.

M. Kroeger: Je conviens que c'est un véritable problème en Saskatchewan, étant donné que les routes tributaires du transport du grain, j'imagine, n'ont pas été construites selon les mêmes normes.

Dans le mandat qui m'a été confié, M. Collenette a exclu trois points: les ports, la vente des wagons-trémie et la question des routes. Ces trois points ont été abordés séparément. Toutefois, il y a eu un peu d'interaction et, la question des routes n'a cessé de surgir dans nos consultations, surtout de la part des habitants de la Saskatchewan.

Les agriculteurs supportent des coûts pour le transport de leurs céréales sur de grandes distances. Des études fort intéressantes spécialisées ont été faites à ce sujet, et je peux vous en donner des détails après la séance, si vous voulez. Une étude faite en septembre dernier a examiné combien il faudrait dépenser d'argent pour améliorer la route lorsqu'il y a fermeture d'un embranchement et à combien s'élèverait l'augmentation des coûts de camionnage. C'était le côté négatif. Puis, l'étude a envisagé combien il serait possible d'économiser dans le domaine du transport et de la manutention des céréales si on abandonnait les silos à bois pour adopter des silos à haute capacité.

J'ai été surpris par ces chiffres, car le spécialiste est arrivé à une économie de l'ordre de sept à un et de huit à un, si l'on ferme les embranchements à coût élevé, les silos à coût élevé et tout en tenant compte du camionnage. Cela pourrait se faire, le camionnage se ferait sur de plus grandes distances et on arriverait toujours à une économie nette.

L'agriculteur profite-t-il cependant de ces économies? C'est une question délicate, car les sociétés céréalières s'en sortent mieux, puisqu'elles diminuent leurs coûts en fermant le silo en bois et les chemins de fer s'en sortent mieux, car ils réduisent leurs coûts en fermant l'embranchement. La question est de savoir combien obtient l'agriculteur et cela dépend de la concurrence entre le Saskatchewan Wheat Pool et l'UGG ou de la concurrence entre CN et CP, dans la mesure où c'est possible.

Il est intéressant de voir que, intrinsèquement, si l'on examine les coûts globalement, on s'en sort mieux et l'efficience est plus grande. Toutefois, il reste la question de la répartition.

Le président: Pensez-vous que les exploitants de silos ont construit trop de terminaux? Il semble que cette concurrence soit très vive et que beaucoup d'argent ait été dépensé dans les Prairies. Ont-ils trop construit?

M. Kroeger: Je ne peux pas répondre à cette question, mais je peux vous dire que certains sont de cet avis. On s'inquiète de plus en plus du fait qu'il y a eu de l'exagération. Lorsque je suis retourné dans les Prairies et que je me suis retrouvé après Camrose l'été dernier, au bout de cinq ou six kilomètres, j'avais vu trois silos à grande capacité à l'est de la ville.

Cela pourrait être à l'avantage des producteurs, selon les circonstances. Plus la concurrence entre les sociétés céréalières est vive, plus il est probable que le producteur finira par bénéficier de l'efficience accrue, par rapport aux sociétés céréalières qui elles conservent les profits.

Le président: Monsieur Kroeger, je vous remercie d'être venu répondre à nos questions et je vous remercie également du travail que vous avez fait en rapport avec les Prairies et avec cette question délicate. J'ai lu dans les journaux des articles qui vous louangeaient et d'autres qui vous vilipendaient, comme vous le savez sans doute. Ce travail fut tout un défi.

M. Kroeger: Monsieur le président, je vous remercie. Ce fut pour moi un plaisir de me retrouver ici.

Le président: Nous allons maintenant passer à l'étude article par article du projet de loi C-34, Loi modifiant la Loi sur les transports au Canada.

Le sénateur Robichaud: Je propose que le comité passe à l'étude article par article.

Le président: Plaît-il aux membres du comité d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

Le président: La motion est adoptée.

Le sénateur Wiebe: Je n'ai pas mon exemplaire du projet de loi.

Le président: Au début, il y a assurément des dispositions du projet de loi que nous pourrions changer. Toutefois, dans l'ensemble, je crois que nous sommes tous d'accord pour dire que le projet de loi est une première prise de conscience de la gravité des problèmes des Prairies. C'est un premier pas en vue d'en corriger certains. J'espère que le gouvernement poursuivra dans la voie qu'il a empruntée avec le dépôt du projet de loi C-34.

Le sénateur Stratton: Monsieur le président, nous venons tout juste de les acheter pour 178 millions de dollars. C'est la carotte.

Le sénateur Hervieux-Payette: Nous les avons «achetés.» C'est un bien gros mot, mais je ferais remarquer que quelqu'un d'autre en assume les frais.

Le président: Plaît-il aux membres du comité d'adopter les articles 1 à 21 du projet de loi?

Des voix: D'accord.

Le président: La motion est adoptée.

Plaît-il aux membres du comité d'adopter l'annexe?

Des voix: D'accord.

Le président: Adoptée.

Plaît-il aux membres du comité d'adopter le titre?

Des voix: D'accord.

Le président: Adopté.

Plaît-il aux membres du comité d'adopter le projet de loi?

Des voix: D'accord.

Le président: Adopté.

Les membres du comité sont-ils d'accord pour que la présidence fasse rapport du projet de loi à la prochaine séance du Sénat?

Des voix: D'accord.

Le président: Motion adoptée.

Le sénateur Fitzpatrick: Monsieur le président, pourrions-nous consacrer quelques instants à la question du Sous-comité des forêts? J'ai une motion à proposer. Je crois que vous en avez le texte. Donc, je propose:

Que, conformément à l'article 32 de la Loi sur la gestion des finances publiques, le comité délègue à son sous-comité des forêts l'autorisation d'engager des fonds pour faire l'étude de l'état actuel des forêts au Canada;

Que, conformément à l'article 34 de la Loi sur la gestion des finances publiques et à la directive 3:05 de l'annexe II du Règlement du Sénat, le comité délègue au sous-comité des forêts l'autorité d'approuver les comptes à payer pour l'étude de l'état actuel et futur des forêts au Canada; et

Que le comité confère au sous-comité son pouvoir de permettre la diffusion des délibérations par la presse électronique.

Le sénateur Stratton: J'appuie la motion.

Le président: Plaît-il aux membres du comité d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Fitzpatrick: J'aimerais avoir une brève réunion avec les membres du sous-comité pour discuter de notre programme de l'automne.

La séance est levée.


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