Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 13 - Témoignages du 10 mai 2000
OTTAWA, le mercredi 10 mai 2000
Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce, devant lequel a été renvoyé le projet de loi S-19, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions et la Loi canadienne sur les coopératives ainsi que d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 15 h 45 pour examiner ce projet de loi.
Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, la séance est ouverte.
Avant que nous entendions le témoin, je tiens à faire une déclaration liminaire.
Le projet de loi S-19 est un texte complexe et important. Les sénateurs comme le personnel du Sénat ont consacré beaucoup de temps à se familiariser avec ce projet de loi. Nous voulons aussi prendre connaissance de l'opinion de nos témoins et leur accorder suffisamment de temps lors de leur comparution pour qu'ils puissent intervenir utilement devant notre comité. Cela s'avère impossible si les membres du comité n'ont pas la possibilité de prendre connaissance des mémoires des témoins avant leur comparution. Le greffier de notre comité, M. Levy, a informé tous les témoins par écrit qu'il leur fallait déposer leurs mémoires avant de comparaître; nous ne pouvons pas toutefois leur accorder toute l'attention nécessaire lorsque nous les recevons un jour avant l'audience, ce qui arrive dans la plupart des cas.
Je crois savoir que certains témoins nous disent qu'ils n'ont pas eu suffisamment de temps pour examiner le projet de loi et rédiger leur mémoire. Étant donné que la plupart, sinon la totalité, des témoins que nous avons entendus et que nous allons entendre par la suite prennent part aux consultations depuis des années, je trouve cela un peu surprenant.
Quoi qu'il en soit, nous allons tirer le meilleur parti possible de cette situation. Nous verrons où nous en sommes à la fin de séance d'aujourd'hui et de celle de demain, et nous déciderons dans quelle mesure il nous faut réentendre ces témoins ou les suivants.
J'informe les témoins, conformément à ce que nous leur avons indiqué par écrit, que nous leur demandons de répartir leur temps entre leur exposé et les réponses aux questions. Nous avons quatre groupes de témoins, chacun d'entre eux disposant d'une demi-heure. Nous préférons qu'ils fassent un exposé de 10 minutes suivi d'une période de questions de 20 minutes. Si vous souhaitez prendre sur le temps réservé aux questions, vous pouvez consacrer davantage de temps à votre exposé, mais vous ne disposerez de toute façon que d'une demi-heure au total. Excusez-moi de me montrer dictatorial, mais nous avons encore des dizaines de témoins à entendre. Nous allons étudier vos mémoires et les amendements que vous préconisez, et nous avons déjà commencé à le faire.
Je demande au premier témoin de se présenter.
Mme Susan Wolburgh-Jenah, avocate générale, Commission des valeurs mobilières de l'Ontario: Au nom de la Commission, je vous informe que nous sommes très heureux d'avoir été invités à prendre la parole devant le comité sénatorial des banques sur ce texte législatif très important.
Cela ne fait pas des années que nous prenons part à la procédure, contrairement peut-être à de nombreux témoins que vous avez entendus par le passé et que vous entendrez à l'avenir, mais nous nous intéressons de près à nombre des questions que soulèvent les amendements législatifs qui vous sont présentés.
Étant donné l'ampleur et la portée des projets d'amendement à la législation, nous avons jugé important de nous en tenir dans nos observations aux questions qui font appel à une large interaction entre le droit des entreprises et le droit des valeurs mobilières -- notamment, les questions se rapportant aux comptes rendus et aux transactions d'initiés, aux prises de contrôle et aux transformations en sociétés fermées, aux règles s'appliquant aux procurations et à l'information des actionnaires, aux communications informatiques, à l'instauration d'une responsabilité proportionnelle et à l'indépendance des vérificateurs.
Sur toutes ces questions, nous nous intéressons en particulier aux amendements législatifs apportés par ce projet de loi et nous relevons l'orientation que vous prenez aux termes de la loi.
Nous sommes très favorables au projet de loi quant à son orientation sur toutes ces questions. Nous considérons que les efforts que vous avez faits pour éliminer les réglementations faisant double emploi selon qu'il s'agit des droits provinciaux sur les valeurs mobilières ou du droit fédéral sur les entreprises, sur un certain nombre de questions abordées dans ce projet de loi, sont dignes de mention. Nous estimons que cela réduira en fin de compte les coûts d'application de la loi dans des domaines qui sont déjà efficacement réglementés par les législations sur les valeurs mobilières.
C'est un sujet dont entendent constamment parler les responsables provinciaux de la réglementation des valeurs mobilières. Nombre d'opérateurs sur nos marchés et de parties prenantes ont affaire à une myriade de commissions provinciales des valeurs mobilières et, par-dessus le marché, doivent connaître les dispositions du droit sur les entreprises sur un certain nombre de questions déjà abordées dans les lois sur les valeurs mobilières.
Ces dernières années, nous nous sommes efforcés de plus en plus de supprimer ces lourdeurs dans tous nos projets. Je parlerai davantage de ces projets dans mon exposé.
Nous considérons par ailleurs que le modèle de réforme et l'orientation prise dans le projet de loi sont les bienvenus et que de nombreuses questions de détail ont été laissées au soin de la réglementation, qui apportera plus de souplesse et permettra d'apporter des changements à l'avenir. C'est aussi la solution que nous préconisons en ce qui a trait à la législation provinciale sur les valeurs mobilières.
La commission elle-même a reçu des pouvoirs de réglementation il y a cinq ans environ. Nous avons constaté en conséquence qu'une très grande partie de ce dont nous avions besoin et de ce qu'il nous fallait faire pour réagir face à l'évolution très rapide des marchés exigeait une réponse immédiate, qui ne nous laisse pas toujours le temps d'apporter des modifications à la loi elle-même. Le modèle que nous envisageons pour ce qui est précisément de la Loi sur les valeurs mobilières en Ontario vise à apporter un cadre souple qui fixe une structure appropriée de réglementation des valeurs mobilières imposant des principes généraux de réglementation et des normes de comportement ainsi que des sanctions en cas de non-respect des exigences de la loi elle-même, une grande partie des dispositions détaillées de la réglementation pouvant être adoptée par la Commission des valeurs mobilières.
En même temps que l'on a confié des pouvoirs de réglementation à la commission il y a cinq ans environ, on a fait figurer dans notre loi une disposition exigeant tous les cinq ans un réexamen de la Loi sur les valeurs mobilières ainsi que des règlements d'application. Cette tâche a été confiée à un comité ministériel mis sur pied par le ministre des Finances de l'Ontario. Le premier comité de ce type a déjà été créé et ses travaux sont en cours. Il a commencé à se réunir en février de cette année.
Ce sera une opération très intéressante. Le comité a publié entre autres une liste des questions à examiner; la liste qui est annexée au mémoire que vous avez devant vous recense un certain nombre de questions sur lesquelles le comité va se pencher. Le comité consultatif va étudier la façon dont on peut modifier la loi, ou l'harmoniser, par exemple, avec les exigences du droit des entreprises. Dans la mesure où nous parviendrons à le faire, nous essaierons d'harmoniser notre législation avec celle des autres provinces. Nous chercherons à voir ce que vous avez fait, par exemple, dans le domaine de l'information des actionnaires et des demandes de procuration, où il y a une interaction considérable entre les dispositions de la Loi canadienne sur les sociétés par actions et celles de la Loi sur les valeurs mobilières de l'Ontario.
La disposition de la Loi sur les valeurs mobilières de l'Ontario qui exige un examen tous les cinq ans est très importante. Son objectif est de garantir le réexamen en permanence de la législation pour qu'elle reste pertinente et suffisamment souple de manière à pouvoir s'adapter à un marché qui évolue de plus en plus rapidement. Nous sommes heureux de nous engager dans cette voie. Je pense que le dépôt de ce projet de loi nous permettra d'examiner la façon dont vous avez envisagé toutes ces questions et dont vous vous proposez de les régler puis, nous l'espérons, de parvenir à un maximum d'harmonisation dans tous ces domaines.
Nous sommes très favorables à la démarche adoptée dans le projet de loi en ce qui a trait aux transactions d'initiés. Les dispositions s'appliquant aux comptes rendus des initiés ont été confiées aux responsables provinciaux de la réglementation des valeurs mobilières. Le rapport présenté à l'origine par le comité en 1996 relevait à bon droit que presque tous les initiés sont tenus de présenter des comptes rendus de cette nature auprès de la Commission. Les amendements apportés à ce titre supprimeront les chevauchements, inutiles à notre avis, qui existent à l'heure actuelle.
Vous êtes éventuellement nombreux à savoir que la Loi sur les valeurs mobilières de l'Ontario a été récemment modifiée pour exiger que les initiés fassent le compte rendu de leurs opérations dans les 10 jours de la date de la transaction. C'était auparavant 10 jours après la fin du mois correspondant à la transaction et, dans certains cas, cela entraînait un décalage non négligeable. Grâce à cette modification, nous avons adapté notre loi à celles des autres provinces. Nous cherchons tous à uniformiser nos lois dans ce domaine entre les différentes provinces et nous nous sommes par ailleurs dotés du pouvoir de modifier ces délais par voie de règlement si nous le souhaitons à l'avenir. Si par exemple, nous constatons à un moment donné que 10 jours à compter de la date de la transaction, c'est encore trop, nous pouvons passer à un délai de cinq jours dans toutes les provinces du pays. Cette évolution est facilitée par un projet en cours. C'est un projet qui a été confié aux Autorités canadiennes en valeurs mobilières, un groupe de représentants des différents organismes de réglementation du pays. Ce groupe s'efforce de mettre sur pied un système national de comptes rendus informatiques des transactions d'initiés. Une fois ce système mis en place, les initiés n'auront qu'à appuyer sur un bouton pour que la transaction soit consignée instantanément dans tout le pays, répondant ainsi à leurs obligations dans chacune des provinces. De plus, les informations correspondantes seront disponibles sur Internet à tous les membres du public qui souhaitent en prendre connaissance.
Nous accueillons avec enthousiasme ce projet. Nous considérons que c'est quelque chose dont ont besoin les marchés et que le public va accueillir à bras ouverts. Une fois que ce système informatique sera en place et fonctionnera comme il se doit, la commission, de même que les Autorités canadiennes en valeurs mobilières, pourront envisager de réduire les délais de comptes rendus et par conséquent de renforcer la transparence du marché tout en accélérant l'information.
En passant en revue ce projet de loi, nous avons constaté un certain nombre de différences intéressantes; par exemple, le projet de loi S-19 conserve des dispositions s'appliquant aux transactions d'initiés en soi, qui déterminent ce que peuvent faire ou non les initiés lorsqu'ils transigent les actions de leur société ou lorsqu'ils passent des contrats portant sur des droits d'achat ou tout autre produit dérivé. Il y a une différence qui nous paraît très intéressante puisqu'en vertu du projet de loi, la LCSA continue à interdire à l'heure actuelle certains types d'achats et de ventes d'options d'achat ou de vente portant sur une société émettrice au sujet de laquelle ils sont initiés. On interdit aussi les ventes à découvert portant sur les actions des sociétés au sujet desquelles ils sont initiés. De son côté, la Loi sur les valeurs mobilières de l'Ontario fait entrer ces valeurs mobilières dans la définition des «titres d'un émetteur assujetti» pour ce qui est des comptes rendus des transactions d'initiés, mais n'interdit pas aux initiés de faire des transactions sur ces titres.
On peut se demander pourquoi la LCSA interdit ce genre d'opération alors que la LVMO ne va pas jusqu'à les interdire, mais demande plutôt que l'on en rende compte lorsqu'elles se produisent. C'est un domaine qu'il nous faut considérer afin de voir s'il ne serait pas bon que les interdictions s'appliquant de manière générale aux transactions d'initiés soient les mêmes. Dans la mesure où il y a des traitements différents, c'est un piège pour ceux qui sont dans l'ignorance -- soit ceux qui ne savent pas que les interdictions prévues par la loi sur les entreprises sont différentes. Elles sont plus larges et plus exhaustives que celles qui sont prévues par la Loi sur les valeurs mobilières. C'est pourquoi il nous faudrait peut-être chercher à l'avenir à harmoniser ces dispositions.
En examinant les dispositions de la Loi sur les valeurs mobilières, nous n'avons pas non plus manqué de constater que les opérateurs sur notre marché ont toujours considéré être en mesure d'accumuler des actions pour acquérir une participation minoritaire au sein d'une entreprise dont ils envisagent de prendre le contrôle. Tant qu'ils ne parviennent pas un seuil de 10 p. 100, ils n'ont pas besoin d'informer le public ou de déposer un rapport d'initié ou une première notification, selon l'expression que l'on emploie. Nombre d'entre eux ont profité de ces dispositions pour prendre plus facilement le contrôle d'une entreprise. Il est ici d'intérêt public que l'on facilite les offres d'achats publiques et que l'on incite les entreprises à se faire connaître et à lancer des offres concurrentes. Les entreprises peuvent agir actuellement de manière plus ou moins anonyme et ne révéler l'état de leur participation qu'une fois qu'elle a atteint le seuil de 10 p. 100.
La LCSA pose le problème de savoir dans quelle mesure ces dispositions, celles qui touchent une prise de participation minoritaire et celles qui prévoient une notification anticipée, se rattachent aux dispositions imposant des responsabilités aux initiés lorsqu'ils disposent de renseignements confidentiels. Dans la mesure où aux termes de ces dispositions la personne qui se propose de faire une offre d'achat est un initié, on peut en conclure que celui qui achète des actions d'une société dont il se propose de prendre le contrôle est en possession sur cette société de renseignements que d'autres n'ont pas, ce qui risque de le faire tomber sous le coup des dispositions s'appliquant aux transactions d'initiés. D'autre part, les dispositions exigeant une notification à l'avance précisent clairement qu'il est possible d'accumuler des actions jusqu'à atteindre un seuil de 10 p. 100 sans avoir à révéler sa participation. C'est une simple nuance, mais il y a là un point important qu'il faudrait peut-être éclaircir dans les deux lois.
Pour ce qui est des offres d'achat et des transformations en société fermée, nous sommes très favorables au mécanisme adopté ici. Voici ce qui est dit en substance dans ce projet de loi: «Il existe au niveau provincial une structure réglementaire bien développée. Nous nous retirerons donc de ce domaine et nous incorporerons certaines notions, sur les questions de la transformation en sociétés privées, de l'équité et des principes s'appliquant à la réglementation à l'issue des opérations de transformation en sociétés privées, par exemple, et nous laisserons aux commissions le soin d'agir dans tout le pays.» C'est une façon de procéder très logique. Dans la mesure où il y a un chevauchement et où vous allez jusqu'à reprendre même les différentes dispositions dans ce texte, on a toujours en permanence la responsabilité de continuer à superviser la procédure et de s'assurer qu'elle soit conforme aux dispositions des lois provinciales. Dans la mesure où l'on peut instituer des règles s'appliquant à toutes ces questions, ce que nous avons fait pour les offres d'initiés, les offres des sociétés émettrices, les opérations de transformation en sociétés privées et les transactions entre plusieurs parties ayant des liens entre elles, il peut se produire un certain nombre de situations exigeant en permanence des changements et des modifications. Nous avons la possibilité de procéder à ces modifications sans avoir à nous adresser à l'assemblée législative et nous sommes bien conscients qu'il sera nécessaire de modifier certaines règles à l'avenir.
Récemment, à la suite de la publication du rapport du comité Zimmerman, la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario a présenté des demandes de modification à notre gouvernement, comme l'ont fait en vertu des règles d'uniformité les autres responsables provinciaux des valeurs mobilières. Ce rapport a été rédigé et publié il y a un an par un groupe qui s'est penché sur les dispositions s'appliquant aux offres d'achats dans les différentes lois sur les valeurs mobilières du pays. Il a recommandé une approche uniforme, des modifications supplémentaires de la période pendant laquelle l'offre d'achat reste valable, l'autorisation de publier dans les journaux les notifications des offres d'achats ainsi qu'un certain nombre d'autres modifications sur lesquelles les commissions des valeurs mobilières se sont alors penchées et qu'elles ont résolu d'adopter dans leur ensemble. Nous avons fait des recommandations à nos gouvernements à l'échelle du pays. Nombre de provinces ont adopté des lois reprenant les recommandations du comité Zimmerman; toutefois, ces lois n'ont pas encore été promulguées. Nous attendons que toutes les provinces soient en mesure de promulguer ces lois une fois qu'elles les auront toutes adoptées. Nous nous attendons à ce que cela se fasse en automne. C'est une bonne nouvelle en ce qui nous concerne.
Sur la question de la réglementation des offres d'achat, je tiens à informer votre comité que notre commission s'est dotée d'un groupe spécial traitant exclusivement de la question. Il y a beaucoup d'activité dans le domaine des fusions et des acquisitions, et nous avons jugé important de pouvoir compter sur un personnel compétent et spécialisé, chargé d'étudier le domaine pour ce qui est de l'élaboration des politiques, de la supervision de ces offres lorsqu'elles arrivent sur le marché, de l'audition des plaintes devant la commission, lorsqu'il y en a qui se présentent, ce qui est très fréquent, de l'étude des demandes de traitement discrétionnaire, et cetera. Ce groupe a bien travaillé. Il a été créé il y a un an et demi seulement et il se compose de quatre personnes qui consacrent tout leur temps à cette question. Nous en sommes très satisfaits.
Pour ce qui est de l'information des actionnaires et des règles de procuration, le travail qui a été fait est pour nous un guide très utile. Le droit sur les valeurs mobilières était resté en arrière dans le domaine. Nous nous penchons sur les changements apportés aux États-Unis il y a quelques années et nous examinerons plus en détail les changements apportés par la LCSA dans le cadre, on peut l'espérer, du comité consultatif évoqué précédemment.
Le comité consultatif s'intéresse de près à l'information des actionnaires. Nous sommes tout à fait pour que l'on autorise les actionnaires à communiquer librement entre eux. Nous sommes d'accord pour dire que la raison qui justifiait les restrictions apportées dans ce domaine ne sont probablement plus valables aujourd'hui. Il y a d'autres moyens d'éviter ce genre d'abus sans avoir à empêcher les gens de communiquer entre eux. Ce sont là d'excellents progrès à notre avis. Nous nous efforcerons d'harmoniser à l'avenir notre action en nous orientant dans ce sens.
Le projet de loi aborde par ailleurs la question des communications informatiques en adoptant un point de vue très général étant donné tout ce qui s'est passé ces dernières années avec l'avènement de l'Internet et la multiplication des communications informatiques. Nous nous sommes aussi attelés à la tâche. Heureusement, notre loi parle de signification; toutefois, elle n'en précise pas le mode, sauf dans deux cas où elle fait état du courrier affranchi comme mode de signification. Sans recourir à une modification législative, nous avons pu adopter une politique et émettre des directives politiques à l'échelle du pays. C'est la politique nationale 11-201 que j'ai joint à notre mémoire.
Lorsque le droit provincial, aux termes de la Loi sur les valeurs mobilières, parle de signification nécessaire des documents, nous considérons qu'il doit s'agir d'une «signification effective». Elle n'a pas à se faire par courrier, mais il faut qu'elle soit effective. Autrement dit, il faut qu'il y ait un avis de signification, une possibilité d'accès du destinataire au document, une preuve de signification ainsi que l'absence d'altération ou de transformation du document lors de la signification. Notre politique aborde toutes ces questions. Cette façon de procéder est bonne et nous permet de faire face aux évolutions du marché sans avoir à demander des modifications législatives.
La responsabilité proportionnelle modifiée est un élément intéressant du projet de loi. Nous étudions un régime de responsabilité civile limitée en vertu de la loi pour ce qui est de l'obligation de divulgation permanente. À l'heure actuelle, les lois sur les valeurs mobilières prévoient des recours lorsqu'un prospectus comporte des mentions trompeuses. Elles ne prévoient pas ces mêmes recours en cas de mention trompeuse figurant dans des documents soumis à l'obligation de divulgation permanente.
La plupart des renseignements donnés de nos jours par les entreprises figurent dans les documents divulgués en permanence -- communiqués de presse, offres d'achats, formulaires de procuration, états financiers. La plupart des transactions ont lieu sur la foi des documents divulgués en permanence. C'est un projet sur lequel se sont penchées les Autorités canadiennes en valeurs mobilières de façon à ce que l'on puisse disposer d'une certaine forme de responsabilité civile modifiée par la loi, sans s'appuyer sur les solutions du règlement 10b-5 adoptées par les États-Unis. Dans ce cadre, nous avons adopté un modèle de dissuasion et non pas d'indemnisation. Ces dispositions visent à s'assurer que l'on a pris les dispositions indispensables lors de la rédaction des documents. Il ne s'agit pas nécessairement de reconnaître à tout le monde le droit d'être pleinement indemnisé en cas de préjudice.
Nous avons aussi examiné dans ce cadre la question de la responsabilité proportionnelle. Nous affirmons, pour les raisons précisées dans notre mémoire, que ce régime devrait comporter une responsabilité proportionnelle.
Les solutions préconisées par ce projet de loi nous ont paru très intéressantes et nous nous pencherons sur un certain nombre de ses dispositions afin de les reprendre éventuellement dans notre code. Nos travaux sont parallèles, mais nous n'avons pas prévu, par exemple, une redistribution lorsqu'on ne peut pas recouvrer l'argent auprès d'un défendeur. Nous n'avons pas prévu de redistribution entre ceux qui restent. Nous nous pencherons sur la chose.
Notre chef comptable examine de près la question de l'indépendance du vérificateur. Notre président s'intéresse lui aussi beaucoup à la question parce que la façon de travailler des cabinets comptables a beaucoup changé, de même que le type d'opérations qu'ils entreprennent. La gamme des services dispensés par ces cabinets est devenue bien plus étendue, de même que la nature de leurs relations commerciales.
Des modifications mineures ont été apportées aux dispositions de la LCSA en matière d'indépendance. Nous nous pencherons sur les nombreuses questions qui se posent dans le domaine. Nous étudierons la marge de manoeuvre que nous procure le fait d'incorporer ce principe à la réglementation et nous nous réserverons la possibilité d'apporter des changements à l'avenir si cela s'avère nécessaire.
Le président: JVous êtes intervenue sur six points différents: les transactions d'initiés, les offres d'achats et les transformations en société fermée, l'information des actionnaires et les règles de procuration, les communications informatiques, la responsabilité proportionnelle modifiée, et l'indépendance du vérificateur. Nous devrons nous pencher sur toutes ces questions lorsque nous examinerons la multitude d'amendements proposés. Quel plaisir, toutefois, d'entendre quelqu'un faire les louanges du projet de loi, plutôt que de le vouer aux gémonies.
Le sénateur Kelleher: Nous avons été l'objet d'une énorme correspondance et d'un grand nombre d'interventions de la part de toutes sortes de groupements sociaux -- ce n'est peut-être pas la bonne expression à employer -- au sujet de l'amendement proposé à l'article 137, qui précise ce que les actionnaires peuvent faire figurer à l'ordre du jour. Nous en avons beaucoup entendu parler.
Qu'en pensez-vous? Est-ce que cet amendement va trop loin? Certains disent qu'il ne va pas assez loin.
Mme Wolburgh-Jenah: J'ai lu un article dont l'auteur estimait que l'amendement n'allait pas assez loin. Ces amendements visent à limiter les restrictions imposées à l'établissement de l'ordre du jour par les actionnaires, mais la difficulté porte sur la formulation précisément employée. Il faut que les points figurant à l'ordre du jour se rapportent à l'objet de la société. Que va-t-il se passer, par exemple, si quelqu'un veut faire figurer un code se rapportant à l'environnement en ce qui concerne une banque?
Le sénateur Kelleher: Les gens n'aiment pas que l'on impose aux actionnaires, et non pas à l'entreprise, le soin de justifier les points à l'ordre du jour.
Mme Wolburgh-Jenah: Oui. C'est un domaine difficile. Je suis sûre que votre comité s'est penché sur la question. La réponse n'est pas facile. Cela met en opposition les intérêts légitimes des actionnaires, qui veulent davantage intervenir. Au cours de ces dix dernières années, davantage d'actionnaires, tant au niveau institutionnel qu'individuel, s'intéressent à la façon dont les entreprises sont dirigées et aux questions de gouvernance. Ils veulent que certaines questions figurent à l'ordre du jour. Dans un premier temps, il se peut que les entreprises s'y opposent.
Je suis peut-être naïve, mais je ne vois pas qu'une catastrophe pourrait résulter d'un assouplissement de l'ordre du jour et d'une plus grande participation des gens. Les actionnaires votent avec leur tête. Je ne pense pas qu'il y aura des abus si nous autorisons que l'on puisse faire figurer à l'ordre du jour des points qui ne se rapportent pas automatiquement à l'objet des sociétés. Je ne pense pas que la chose soit bien prouvée. Vous avez peut-être entendu d'autres témoignages de ce type. Vous avez peut-être entendu les témoignages des entreprises.
D'un autre côté, les entreprises ont un intérêt légitime à ce que leurs assemblées se déroulent efficacement sans être dérangées dans leur véritable objet par des vendettas ou certains problèmes de société. Ce n'est pas facile, mais il convient de maintenir un certain équilibre.
Je comprends bien les raisons de cette disposition. Je comprends tout autant les raisons de votre question.
Le sénateur Fitzpatrick: J'ai trouvé vos commentaires très intéressants. Mes questions portent davantage sur un certain nombre de vos observations que sur les dispositions du projet de loi.
Vous avez parlé de l'établissement d'un registre informatique national rendant compte des transactions d'initiés, ce qui serait un pas dans la bonne direction même s'il fallait en rendre compte dans un délai de moins de 10 jours. Pouvez-vous me dire si les autres provinces sont d'accord avec vous sur ce point?
Mme Wolburgh-Jenah: Tout à fait. Les administrateurs canadiens des valeurs mobilières se sont tous engagés à mettre en oeuvre ce projet. J'entends par là les 13 provinces et territoires.
Dans la pratique, lorsque des projets de cet ordre sont envisagés par les administrateurs canadiens des valeurs mobilières, ce sont les provinces qui ont le plus de personnel à affecter au projet qui ont tendance à intervenir davantage. Ce sont l'Alberta, la Colombie-Britannique, l'Ontario et le Québec, et parfois d'autres provinces s'impliquent dans une moindre mesure, mais il n'en reste pas moins que ce genre de projet est supervisé au plus haut niveau par chacun des présidents des différentes commissions.
Les présidents organisent tous les mois des conférences téléphoniques. Ils se réunissent tous les trimestres. Les projets de ce type sont supervisés et des comptes rendus de situation sont remis régulièrement aux présidents. Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières décident des modes de financement de ces projets avant que nous commencions parce que, bien évidemment, les grandes provinces, qui ont davantage les moyens de payer la mise en place de ces systèmes, versent dès le départ les crédits. C'est compréhensible, parce que nous en retirons relativement plus d'avantages, ou du moins les opérateurs sur nos marchés. Tout le monde oeuvre dans le même sens. Nous estimons que ce sera formidable. Nombre de particuliers et de participants aux marchés veulent pouvoir accéder facilement à cette information. Souvenez-vous à quel point il était difficile il y a cinq ou six ans à peine de se procurer les renseignements que les sociétés émettrices étaient tenues de nous remettre. Il fallait se rendre dans les bureaux de Micromedia et demander à pouvoir consulter le document.
Nous avons maintenant un système de consignation et de retrait des données informatiques. Il a fallu longtemps pour y parvenir, mais c'est un progrès énorme par rapport à ce que nous avions il n'y a pas si longtemps. Tout le monde peut accéder à Internet et lire les rapports des sociétés.
Le sénateur Fitzpatrick: Savez-vous combien il faudra de temps pour mettre cela sur pied?
Mme Wolburgh-Jenah: Je peux vous répéter ce qu'on m'a dit. En étant optimiste, on peut se fixer la fin de l'année 2000. Nous travaillons justement avec le groupe, la Caisse canadienne de dépôt de valeurs, qui a repris la gestion et l'exploitation du registre canadien, après sa création. La CCDV est très impliquée avec nous dans l'élaboration d'une base de données faisant état des transactions des initiés; du registre informatique sur les initiés.
Le sénateur Fitzpatrick: Si je vous ai bien compris, vous êtes placée en quelque sorte devant un dilemme en ce qui a trait aux comptes rendus des initiés, ou à l'accumulation d'actions qui fait de quelqu'un un initié ou, en fait, qui révèle l'intention de devenir un initié. On sait aussi que cette intention est de prendre le contrôle de la société ou de faire une offre d'achat. C'est ce que vous dites?
Mme Wolburgh-Jenah: Oui.
Le sénateur Fitzpatrick: Mon autre question a trait à l'information et aux difficultés qu'éprouvent les sociétés en ce qui a trait à la caisse de dépôt. Les sociétés font de leur mieux pour fournir une information exacte et en temps utile, mais le problème, c'est la façon dont elle est effectivement communiquée aux actionnaires, parce qu'elle se perd dans les circuits de la caisse de dépôt, notamment pour ce qui est des comptes extraterritoriaux. La plupart des sociétés ne savent pas vraiment qui sont leurs actionnaires.
Mme Wolburgh-Jenah: C'est un problème. J'ai mentionné dans notre mémoire la politique nationale des Autorités canadiennes en valeurs mobilières intitulée Instruction canadienne no 41. Cette politique a probablement été adoptée il y a une dizaine d'années pour régler justement cette question. Il y a des actionnaires inscrits qui ne sont pas les véritables bénéficiaires alors que la loi exige pourtant que l'information se fasse aux actionnaires inscrits. Lorsque presque tout le monde s'est mis à détenir des actions par personne interposée, il est devenu en quelque sorte ridicule, d'un point de vue réglementaire, de prévoir cette exigence dans la loi. Nous avons donc élaboré cette politique pour nous donner en quelque sorte les moyens de remettre cette information entre les mains des actionnaires qui sont les véritables bénéficiaires.
Cette politique nous a posé des problèmes. C'est l'un des instruments les moins populaires dont se soient dotés les Autorités en valeurs mobilières. Cela fait probablement déjà quatre ou cinq ans que nous cherchons à l'aménager. Nous nous sommes régulièrement efforcés de concilier des intérêts concurrents et totalement divergents dans ce secteur. Nous sommes sur le point d'y arriver. Je crois savoir que ce projet va être présenté à notre commission dans quelques semaines et nous espérons pouvoir régler ainsi certains des problèmes posés, mais il est indéniable que les responsables ont fait le maximum pour essayer de trouver un meilleur équilibre que celui qui existait jusqu'alors.
Le sénateur Tkachuk: Vous avez indiqué que la Loi sur les valeurs mobilières de l'Ontario prévoyait une période de révision obligatoire de cinq ans pour tenir compte des changements. Vous me corrigerez si je me trompe, mais je ne crois pas que l'on ait prévu dans cette loi une période de révision obligatoire.
Mme Wolburgh-Jenah: Je ne le crois pas.
Le sénateur Tkachuk: J'ai particulièrement aimé la façon dont vous avez expliqué cette nécessité. Vous avez abordé ensuite la question de la réglementation. En vertu des dispositions actuelles de la Loi sur les valeurs mobilières et à l'avenir, lorsque vous allez apporter des changements, est-ce que les règlements devront avoir été déposés devant l'assemblée législative depuis un certain temps avant qu'ils puissent être appliqués?
Mme Wolburgh-Jenah: Je ne peux pas parler au nom des autres provinces, parce que toutes n'ont pas les pouvoirs d'établissement des règlements dont nous disposons en Ontario. Nous avons la législation, la loi, le règlement et les règles établis en conséquences. Plutôt que d'avoir à nous adresser à une multitude d'instances pour apporter des solutions, nous nous sommes efforcés de rationaliser la procédure et d'incorporer le règlement dans des règles d'application. Dans la mesure où l'on a affaire à des questions qui sont déjà visées dans la loi, le règlement et désormais les règles, nous nous sommes efforcés de rationaliser le tout pour que les utilisateurs s'y retrouvent mieux.
Pour ce qui est de l'établissement des règles, c'est la commission qui s'en charge sans qu'il faille aller devant le Parlement, mais ces règles sont soumises à l'autorisation du ministre des Finances de l'Ontario. Le ministre les passe en revue et décide de les accepter, de les rejeter ou de les renvoyer à l'examen de la commission, cette dernière ayant cependant le pouvoir de décider elle-même de l'établissement des règles, qui ont force de loi.
Le sénateur Tkachuk: Et pour ce qui est du règlement?
Mme Wolburgh-Jenah: Ce n'est pas nous qui établissons le règlement. Pour l'essentiel, nous avons un pouvoir de réglementation sur tout ce qui relève du règlement. Dans tous les domaines dans lesquels la commission peut établir des règles, le lieutenant-gouverneur en conseil a lui aussi la possibilité d'adopter un règlement.
Le sénateur Tkachuk: Ce règlement est déposé devant l'assemblée législative?
Mme Wolburgh-Jenah: Oui.
Le président: Nous allons étudier ici entre autres la question des règlements. Telle qu'elle se présente, on fait moins appel à la loi et davantage aux règlements. Les règlements, tel que je conçois la chose, dépendent en fait uniquement du bon vouloir de la bureaucratie. Il y a un comité qui se penche sur les règlements mais, lors de cet examen, il ne peut pas se replacer dans le cadre de la loi auquel ce règlement s'applique.
On envisage entre autres d'imposer la nécessité de soumettre ces règlements une fois par an à ce comité pour qu'ils soient réexaminés, sans nécessairement qu'il y ait des audiences, parce que certains d'entre eux, et peut-être tous, ne portent que sur des points techniques, mais afin de garder le contrôle de la situation.
Je vous remercie de votre comparution, madame Jenah. Votre exposé nous a été utile.
Les témoins qui suivent représentent l'Association des comptables généraux agréés du Canada.
Messieurs, vous avez la parole.
M. Bruce A. Hryciuk, premier vice-président, conseil d'administration, Association des comptables généraux agréés du Canada: Honorables sénateurs, c'est un plaisir pour nous, qui venons de Cranbrook, C.-B., d'être parmi vous aujourd'hui.
Notre organisation, l'ACGA Canada, est chargée de la formation, de l'agrément et de l'évolution des carrières professionnelles de plus de 60 000 élèves comptables et comptables généraux agréés au Canada. Nos membres dispensent des services en matière de comptabilité, de fiscalité et autres aux particuliers et à des entreprises de toute taille, notamment aux petites et moyennes entreprises. D'autres ont des responsabilités financières, administratives ou décisionnelles au sein des gouvernements, des institutions financières et des organisations à but non lucratif.
Nous constituons un ordre autonome chargé de s'assurer que ses membres respectent les normes de conduite professionnelles les plus strictes.
Comme vous le savez, nous comparaissons régulièrement devant les comités parlementaires, y compris devant le vôtre, pour aborder les questions de politiques publiques qui intéressent nos membres et mettre notre compétence au service des décideurs chaque fois que cela est possible.
Je félicite votre comité du travail qu'il a accompli en 1994 dans le cadre du mécanisme de consultation instauré par le gouvernement lors de la préparation du dépôt des modifications apportées à la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Les audiences que vous avez tenues à l'époque à l'échelle du Canada et le rapport que vous avez publié par la suite ont eu des répercussions importantes sur le projet de loi qui est déposé aujourd'hui devant le Parlement.
Nous abordons quatre questions dans notre mémoire. Trois d'entre elles intéressent plus particulièrement les membres de la profession comptable. La quatrième, soit le transfert de nombre de dispositions de fond, qui figuraient dans la loi, dans le corps de la réglementation, présente un intérêt plus général.
Pour être plus bref, je n'évoquerai que deux des trois questions comptables dans mon exposé, mais nous sommes tout disposés à répondre à vos questions dans tous les domaines abordés dans notre mémoire.
Je commencerai par la définition du terme «vérificateur» que l'on trouve à l'article 1 du projet de loi. La définition qui figure dans la loi actuelle nous amène à nous poser la question suivante: Doit-on imposer un minimum de qualification aux vérificateurs dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions? C'est effectivement ce que nous pensons.
Cela nous amène à nous poser une deuxième question. Quel doit être la norme imposée? Nous estimons que le Parlement a déjà répondu à cette question lorsqu'il a adopté la Loi sur les banques et la Loi électorale du Canada.
Je m'explique. Le fait que le Parlement fédéral ait omis de préciser dans la définition figurant dans la LCSA qui peut être comptable ou vérificateur aux termes de cette loi signifie que n'importe qui dans certaines provinces peut vérifier les comptes d'une société constituée selon le régime fédéral. En Colombie-Britannique, par exemple, que l'on soit qualifié ou non, n'importe qui peut vérifier les comptes d'une société aux termes de la LCSA. Ce ne devrait pas être autorisé. L'intérêt public est en jeu. Les investisseurs et les tiers devraient avoir la garantie que les vérificateurs comptables aient un minimum de qualification au Canada et que l'on puisse raisonnablement se fier aux documents financiers vérifiés ou préparés par eux.
Pour écarter tout doute au sujet des personnes qui peuvent procéder à des vérifications comptables ou effectuer d'autres services de comptabilité aux termes de la LCSA, nous proposons l'adoption d'amendements législatifs définissant plus précisément le terme de «vérificateur».
Nous avons proposé une formulation de ces amendements à la page 3 de notre mémoire. En substance, les amendements ainsi proposés répondraient à plusieurs objectifs. Pour commencer, les entrepreneurs qui exercent des activités en vertu des dispositions de la LCSA seraient obligés de retenir les services d'un comptable qualifié appartenant à l'une des trois organisations professionnelles du Canada.
En second lieu, la loi serait conforme à d'autres textes importants de la législation fédérale qui définissent le terme de «vérificateur» comme nous le faisons dans les amendements que nous proposons. Je veux parler plus précisément de la Loi électorale du Canada, de la Loi sur les banques, de l'Accord de libre-échange nord-américain et de la Loi sur les sociétés de fiducie, entre autres.
Ces amendements permettraient de surmonter ce qui constitue à l'heure actuelle un obstacle à la mobilité prévue par les clauses de l'Accord sur le commerce intérieur, qui a été signé par les gouvernements de l'ensemble des provinces et des territoires en 1994. Nous savons que le gouvernement fédéral appuie la lettre et l'esprit de l'ACI. Le ministre de l'Industrie, qui a joué pleinement son rôle lors de la négociation de cet accord, voudra s'assurer que la loi provinciale n'empêche pas un comptable public, qualifié partout au Canada, d'agir en qualité de vérificateur d'une société constituée sous le régime fédéral.
La deuxième question que je tiens à évoquer porte plutôt sur la réglementation adoptée au titre de la LCSA. Je reconnais que ce n'est pas la réglementation qui est effectivement examinée ici, mais c'est là que l'on trouve nombre de politiques établies sur les questions de fond.
Étant donné les répercussions de ce point en particulier sur les politiques globales, je compte bien que vous tiendrez compte de cette intervention. Je veux parler plus précisément du fait que la loi actuelle et que le projet de loi que nous avons devant nous disposent, par voie de réglementation, que les états financiers rédigés aux termes des dispositions de la LCSA doivent se conformer aux normes établies dans le manuel de l'Institut canadien des comptables agréés.
Nous ne soulevons pas cette question pour critiquer le manuel ou son contenu. L'ACGAC ne trouve absolument rien à redire à ces normes. Nous voudrions cependant saisir cette occasion pour lancer un débat d'orientation politique portant sur l'adoption au Canada des normes internationales de comptabilité et de vérification plus conformes à l'évolution récente de l'économie mondiale.
Qu'entendons-nous par là? Pour répondre brièvement, l'adoption d'un ensemble de normes de comptabilité et de vérification dépassant le cadre de nos frontières permettra aux entreprises canadiennes d'éviter les frais d'adaptation dus à l'obligation de changer la présentation des renseignements financiers dans les pays étrangers de manière à se conformer à des normes différentes. Pour les investisseurs, il en résulterait davantage de transparence et la possibilité de comparer des renseignements financiers sur un marché qui est de toute évidence mondial.
Le comité international de normalisation et de comptabilité, en collaboration avec l'Organisation internationale des commissions des valeurs mobilières, s'est efforcé d'élaborer et de faire adopter un ensemble de normes CINC de base. Les principaux éléments ont été achevés en 1998.
La convergence des normes bénéficie d'appuis de plus en plus nombreux dans le monde. Nous relevons dans notre mémoire qu'entre autres, David Brown, président de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario, et Arthur Levitt, président de la Security and Exchange Commission des États-Unis, ont fait récemment des déclarations favorables.
L'ACGAC a commandé un rapport, publié en septembre dernier, qui s'intitule «The Case for International Accounting Standards.» Ce rapport expose en détail les nombreux avantages de l'adoption des normes CINC. On voit à bien d'autres signes que la campagne en faveur de l'harmonisation des normes prend de plus en plus d'ampleur.
Nous ne préconisons pas l'abandon par le Canada de ses propres principes comptables généralement acceptés. Nous reconnaissons qu'il y aura toujours des particularismes nationaux, en matière fiscale, par exemple, qui exigent un traitement national particulier.
Nous considérons que le Canada a une décision importante à prendre en la matière. Nous avons demandé au ministre de l'Industrie de renvoyer cette question devant le comité pour qu'elle soit étudiée en profondeur. Nous espérons que vous conviendrez avec nous que vous êtes bien placé pour offrir une tribune utile à un tel débat de politique et que vous vous joindrez à nous pour inciter le ministre à soumettre cette question à votre examen.
Merci de votre attention. Je suis prêt à répondre à toutes les questions que vous voudrez me poser.
Le sénateur Tkachuk: Vous venez de nous dire que n'importe qui peut procéder à une vérification en Colombie-Britannique. S'agit-il des vérifications des sociétés publiques ou des sociétés privées?
M. Hryciuk: Je me réfère aux sociétés qui relèvent de la LCSA.
Le sénateur Tkachuk: C'est donc possible dans les deux cas?
M. Hryciuk: Oui, c'est possible dans les deux cas.
Le sénateur Tkachuk: Un comptable public peut donc procéder à la vérification d'une société privée, par exemple, et alléguer qu'il s'agit d'une vérification; c'est bien ça?
M. Hryciuk: Je ne sais pas très bien ce que vous entendez par «comptable public». Voulez-vous dire n'importe quel comptable public?
Le sénateur Tkachuk: Oui.
M. Hryciuk: Oui.
Le sénateur Tkachuk: Sans qu'il s'agisse nécessairement, toutefois, d'un comptable agréé; c'est bien ça?
M. Hryciuk: C'est bien ça; ni d'un comptable général agréé.
Le sénateur Tkachuk: Qui à votre avis doit pouvoir procéder à une vérification comptable?
M. Hryciuk: Nous estimons que ce droit doit être réservé aux membres des trois ordres comptables professionnels, soit l'Institut canadien des comptables agréés, l'Association des comptables généraux agréés du Canada et l'Organisation des comptables en management accrédités.
Le sénateur Tkachuk: Connaissez-vous des sociétés publiques qui ne font pas appel à ce genre de comptables?
M. Hryciuk: Aucune à ma connaissance.
Le sénateur Tkachuk: Quelle est la différence, alors?
M. Hryciuk: Nous voulons protéger le public et plutôt qu'attendre une telle éventualité nous préférons, au stade où en est la discussion de ce projet de loi, qu'une définition précise évite que cela puisse se produire.
Le sénateur Tkachuk: À ma connaissance, cela ne s'est jamais produit. Ce que je tiens à dire, c'est que lorsqu'il s'agit d'une société publique, le comptable doit indiquer qu'il est membre de l'un de ces trois ordres. Il le fait pour s'assurer de la confiance du public, sinon il pourrait en résulter un préjudice pour lui-même ou pour l'entreprise. Il se gardera d'agir autrement. En quoi cela vous concerne-t-il si ma société privée décide de confier sa vérification comptable à ma mère, par exemple? Où est la différence? J'aurais moins à la payer et le travail sera fait. Cela m'est égal; c'est ma propre société et elle est privée.
M. Hryciuk: D'après votre question, sénateur, on peut penser que votre mère n'est pas membre de l'un de ces trois ordres comptables.
Le sénateur Tkachuk: Vous avez raison.
M. Hryciuk: Le problème, c'est que les états financiers ne sont pas élaborés uniquement pour votre usage personnel. Ils servent à des tiers. On a besoin d'avoir la garantie que ces états financiers ont été élaborés dans les formes par une personne qualifiée. C'est le fondement du contrat de vérification.
Le sénateur Fitzpatrick: Pouvez-vous nous dire quel est le pourcentage des vérifications comptables effectuées en Colombie-Britannique par les comptables agréés, les comptables généraux agréés et les comptables en management accrédités?
M. Hryciuk: Non, je ne connais pas cette répartition. En Colombie-Britannique, pour l'ensemble des entreprises, les comptables généraux accrédités et les comptables agréés représentent probablement 90 à 95 p. 100 du total. Pour les sociétés publiques, ça doit être différent.
Le sénateur Kroft: Sans trop entrer dans les détails, pourriez-vous nous dire quelles sont les principales différences qui caractérisent les études et la formation du personnel appartenant à chacune de ces trois catégories?
M. Hryciuk: Vous voulez parler du type de formation dans ces trois corps de la profession comptable?
Le sénateur Kroft: Je ne veux pas que vous vous lanciez dans une longue explication. Pourriez-vous cependant nous dire quelles vont être éventuellement les différences essentielles aux yeux du public?
M. Hryciuk: Selon la province, je ne suis pas sûr que le grand public puisse faire la différence. Sur le plan des études, l'Association des comptables généraux agréés du Canada dispense un programme de téléenseignement à différents niveaux. La durée des études est de cinq ans et demi environ et il n'y a pas de transfert de crédits. De plus, pour obtenir sa qualification, l'étudiant doit avoir obtenu au bout de ses études un diplôme universitaire. Il lui faut aussi bien sûr passer avec succès les épreuves de ce que l'on appelle le contrôle continu, soit une série d'examens attestant de sa compétence professionnelle.
Je sais que les représentants de l'ICCA sont ici. J'espère qu'ils me pardonneront si j'expose mal leur formation. Si j'ai bien compris, il faut de manière générale avoir un diplôme de licence pour entrer dans leur école comptable. La durée des études est d'environ deux ans. Pour devenir un comptable agréé, il faut passer un examen final, uniforme dans tout le pays, et avoir acquis par ailleurs une certaine expérience.
Je dois vous avouer, sénateur, que je ne sais pas très bien comment ça se passe pour les comptables en management accrédités, car la formation a peut-être beaucoup changé ces dernières années. Je ne sais pas exactement où ils en sont. Il leur faut évidemment avoir suivi une formation professionnelle. Je dois vous dire que je n'en sais pas assez pour entrer dans les détails.
Le sénateur Kroft: Quoi qu'il en soit, il n'est pas juste de vous interroger sur ce qui ne relève pas de votre ressort.
Pour ce qui est de l'exercice des vérifications comptables, savez-vous s'il y a d'énormes différences au niveau des cours ou de la formation et s'il y a des choses qui ne font pas partie de votre programme?
M. Hryciuk: Non. Je vous le répète, notre organisation dispense différents niveaux de formation. Il y a entre autres une formation spécialisée en vérification comptable. Nous sommes tout à fait convaincus que nos membres sont aussi bien préparés que les autres à la vérification comptable dans le cadre de notre formation.
Le sénateur Furey: Merci, messieurs, d'être venus cet après-midi nous faire part de votre point de vue.
Vous avez appuyé dans votre exposé le transfert de certaines dispositions de fond de la loi, qui sont incorporées à la réglementation pour tenir compte de l'évolution rapide du monde des entreprises. Toutefois, vous nous avez dit ensuite que vous aimeriez que les nouveaux règlements soient renvoyés à l'examen du Parlement. En quoi la procédure en serait-elle accélérée?
M. Hryciuk: Comme nous le précisons dans notre mémoire, nous estimons qu'il est important, dans un monde et au sein d'une économie qui évoluent rapidement, de pouvoir vite réagir. Nous comprenons que dans un premier temps, du moins, le fait de renvoyer ces règlements devant le Parlement nous garantira qu'ils seront débattus et examinés comme il se doit. Même si ce n'est peut-être pas la façon de procéder la plus efficace et la plus pratique, nous considérons cependant que c'est la solution la plus sage pour l'instant.
Le sénateur Furey: Même si cela s'oppose à l'objectif original, qui était de transférer les dispositions de fond de la loi et de les incorporer aux règlements pour accélérer la procédure?
M. Hryciuk: Oui, dans un premier temps.
Le sénateur Hervieux-Payette: Pour ce qui est de l'harmonisation des normes, j'assiste tous les ans à une conférence internationale regroupant des comptables et des avocats venus du monde entier. Je dois vous dire que l'harmonisation n'est pas pour demain. Si nous décidions d'harmoniser, il faudrait commencer par les avocats, qui appartiennent à des barreaux différents et qui ne peuvent pas exercer dans toutes les provinces. À l'échelle internationale, même si je suis d'accord avec ce point de vue, il me faut me poser la question suivante: si j'étais une banque ou si je voulais acheter une entreprise, est-ce que je ferais faire la vérification comptable par des gens de chez moi ou est-ce que j'aurais recours à d'autres, surtout si j'étais sur le point d'acheter une entreprise à l'étranger?
Quelle que soit la formation -- qu'il s'agisse d'un CA, d'un CGA ou d'un CMA, est-ce que vous ne vous sentiriez pas plus à l'aise de faire venir votre propre équipe pour examiner vous-même la comptabilité de l'entreprise? Allez-vous faire simplement confiance à d'autres et prêter par exemple 100 millions de dollars sur la signature d'un CA ou d'un CGA?
M. Hryciuk: Sénateur, je n'ai pas 100 millions de dollars à donner à qui que ce soit, mais je comprends votre question.
Je vous répondrai que ce sont les forces du marché qui avant tout dictent l'harmonisation des normes. Si toutes les normes étaient harmonisées, les prêteurs et autres parties intéressées exigeraient tout autant de vigilance qu'à l'heure actuelle, mais ces exigences seraient présentées dans un cadre légèrement différent qui serait uniforme dans tous les pays du monde.
Le sénateur Hervieux-Payette: Nous avons affaire à des professions qui relèvent des compétences provinciales. Où en sont les provinces au sujet de cette intégration? Est-ce que c'est uniquement en Colombie-Britannique que l'on met aujourd'hui sur le même pied les CGA et les CA?
M. Hryciuk: D'autres provinces le font aussi, soit l'Alberta, Terre-Neuve, la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick. Votre comité n'ignore certainement pas qu'il y a des guerres de paroisse. Cela va certainement se poursuivre pour le plus grand profit de M. Fraser et d'autres avocats.
Le sénateur Hervieux-Payette: Je tenais simplement à souligner que nous n'avons certainement pas le pouvoir de résoudre à nous seuls cette question. Elle déborde des compétences du gouvernement fédéral. J'aimerais bien que les provinces se montrent plus libérales vis-à-vis des professions comme les CA, les avocats ou autres. De gros obstacles sont érigés entre les provinces pour nombre de professions. Seuls les ingénieurs en sont arrivés à un accord, et même d'ailleurs au niveau mondial, de sorte qu'il leur est plus facile d'exercer leur profession dans différents pays tout en étant agréés par la législation locale.
M. Ian Fraser, conseiller juridique, Association des comptables généraux agréés du Canada: Puisque l'on fait référence à moi, j'imagine qu'il me faut intervenir ici. La définition de «vérificateur» qui est proposée n'empiète sur aucun domaine de compétence provinciale. Il s'agit simplement ici de faire ce que l'on a fait dans la Loi sur les banques et dans la Loi électorale du Canada. C'est la même formulation et les mêmes propositions. Cette législation n'apporte aucune solution au problème de la mobilité entre les provinces. Nous n'avions pas l'intention dans notre projet de résoudre ce problème.
Le sénateur Fitzpatrick: Pour ce qui est de la définition de «vérificateur», je suppose que vous préconisez l'élaboration d'une norme ou d'un test pour vérifier la compétence d'un CA, d'un CGA ou d'un CMA afin de pouvoir en informer le public. Je vous ai demandé tout à l'heure quel était le pourcentage de CA et de CGA qui procédaient à des vérifications. La plupart des gens semblent penser que ce sont les CA qui font les vérifications mais, si c'est faux, j'aimerais le savoir.
J'aimerais aussi savoir si vous voulez qu'un test ou qu'une norme atteste de la qualification des vérificateurs appartenant à l'une des trois organisations comptables.
M. Hryciuk: Oui, sénateur, pour répondre à votre question, il y a des CGA qui font des vérifications comptables. Nous disons qu'une qualification minimum est nécessaire. Elle ressort de la formulation que nous avons proposée, à savoir qu'il faut appartenir à l'un des trois ordres comptables. C'est conforme aux dispositions législatives qui figurent dans la Loi sur les banques, la Loi électorale du Canada et l'Accord de libre-échange Nord américain. Il n'y a pas d'autres exigences, mais l'appartenance à l'une de ces trois organisations devrait être un minimum.
Le président: Je demande maintenant aux représentants de l'Association du Barreau canadien de venir témoigner. Vous avez la parole.
Mme Joan Bercovitch, directrice principale, Affaires juridiques et gouvernementales, Association du Barreau canadien: Honorables sénateurs, vous n'ignorez pas que l'Association du Barreau canadien a joué un rôle, lors des consultations, dans la refonte de la LCSA. Ce rôle est conforme à son mandat général, qui est de contribuer à faire avancer le droit et l'administration de la justice. Nous espérons que notre intervention d'aujourd'hui sera conforme à cet objectif.
Notre mémoire va être présenté par John McIninch, un avocat d'affaires chevronné de Toronto qui préside le Sous-comité sur le droit des sociétés au sein de notre Section nationale du droit commercial, ainsi que par Philip Anisman, l'ancien directeur de la recherche sur les entreprises au sein de l'ancien ministère de la Consommation et des Corporations qui était le prédécesseur du ministère actuel d'Industrie Canada. Il a pris part à la mise en oeuvre de la LCSA d'origine et c'est un ancien professeur de droit des sociétés et des valeurs mobilières. M. Anisman exerce actuellement à Toronto dans le domaine du contentieux et du droit des sociétés.
M. John McIninch, avocat, Torys, Association du Barreau canadien: Honorables sénateurs, on a fait observer tout à l'heure que nombre d'interventions faites au sujet de ce projet de loi étaient assez négatives. C'est vrai, mais je pense que c'est parce que pour la plupart, nous cherchons à améliorer des dispositions précises du projet de loi. Comme nous nous sommes efforcés, peut-être maladroitement, de l'indiquer dans notre mémoire, nous n'avons fait aucun commentaire au sujet de la grande majorité des dispositions avec lesquelles nous sommes d'accord.
Le président: J'ai dit à un témoin précédent que son intervention nous causait une surprise bien agréable. Cela n'avait rien à voir avec votre intervention. De manière générale, lorsque les témoins se présentent ici, c'est pour nous dire que quelque chose ne va pas parce que, si tout dans le projet de loi est excellent, il n'y a aucune raison de comparaître devant notre comité.
M. McIninch: Dans cet ordre d'idées, j'aimerais signaler que l'on a fait des progrès remarquables au sujet de la disposition portant sur l'aide financière. Il s'agit de la suppression d'un régime encombrant et qui amenait les entreprises à payer de lourds frais d'avocats et de comptabilité. J'exerce dans le domaine depuis plus de 25 ans et ce régime, autant que je puisse en juger, n'a jamais vraiment protégé personne.
Pour en revenir au projet de loi S-19, notre sous-comité travaille depuis au moins 10 ans sur la LCSA et a fait des recommandations à l'occasion. Ces deux ou trois dernières années, nous avons passé énormément de temps à répondre aux 10 documents d'orientation publiés par Industrie Canada.
La majeure partie de ce travail, nous le précisions dans notre mémoire, a été effectuée par l'Association ontarienne du Barreau canadien. Le sous-comité est composé, comme vous pouvez l'imaginer, d'avocats praticiens qui sont par ailleurs très occupés. Le problème se complique du fait que les membres de ce comité sont des bénévoles à qui nous demandons de donner volontairement leur temps.
Cela étant dit, nous avons consacré deux ou trois ans et littéralement des milliers d'heures aux documents d'orientation. Nous avons eu bien du mal à rédiger nos observations au sujet du projet de loi S-19 dans le temps qui nous était imparti. Il n'est pas besoin de le rappeler aux personnes ici présentes, mais il s'agit là d'un projet de loi très important. Nous aimerions disposer de deux semaines supplémentaires pour pouvoir apporter une réponse plus complète et moins précipitée. Cela nous permettrait d'améliorer la qualité de nos commentaires techniques et de mieux digérer et commenter les décisions d'orientation politique qui ressortent implicitement du projet de loi S-19.
Le sénateur Furey: Depuis combien de temps participez-vous à la procédure et n'avez-vous pas été mis au courant de tout ce qui se passait pendant le nombre d'années au cours desquelles vous dites avoir été impliqués?
M. McIninch: Nous avons été mis au courant à mesure que les documents ont été publiés. On nous a donné à peu près trois semaines pour faire nos commentaires au sujet du projet de loi S-19. Nous avons fait porter nos commentaires sur nombre de recommandations figurant dans les documents d'orientation politique, mais bien souvent il ne s'agissait chaque fois que de l'une des 10 possibilités envisagées.
Ce n'est qu'au moment où nous avons reçu le projet de loi S-19 que nous avons pu pour la première fois savoir quelle était la politique qui avait été retenue et, ce qui est tout aussi important, comment elle avait été formulée dans la loi.
Le sénateur Furey: Est-il juste de dire que tout au long de la procédure vous avez été appelés à intervenir et vous avez pris connaissance de tous les changements éventuels qui étaient en train d'être discutés?
M. McIninch: Nous n'avons pas été mis dans le secret, bien entendu, des projets législatifs ou des décisions d'orientation politique qui en étaient à l'origine.
Le sénateur Furey: Les décisions d'orientation politique?
M. McIninch: Oui.
Le président: Nous avons eu des difficultés au sujet de votre mémoire et je suis heureux d'avoir ici la possibilité d'en discuter avec vous afin de voir si nous pouvons corriger la situation.
Vous nous soumettez un mémoire de 46 pages, c'est votre droit. Vous nous l'avez remis hier. Il comporte 52 recommandations. Je n'ai aucun idée de la façon dont nous allons pouvoir l'aborder aujourd'hui, parce que personne n'a eu le temps de le lire. Mon adjoint administratif a entrepris de le lire ce matin, mais il n'a tout simplement pas eu le temps de l'assimiler. Comment voulez-vous que nous procédions?
M. Philip Anisman, avocat, Association du Barreau canadien: Les fonctionnaires du ministère se sont déclarés prêts à discuter avec nous du contenu de notre mémoire. En fonction de l'échéancier que vous avez prévu nous aimerions, si possible, bénéficier d'une prorogation pour pouvoir approfondir davantage certains points techniques avec le ministère avant que vous passiez à l'étude article par article.
Je me joins à M. McIninch pour faire observer que si nous avons pris part aux analyses de politiques demandées par le ministère, nous n'avons jamais eu la possibilité, avant la publication du projet de loi, de nous pencher sur le mode d'application de la politique effectivement retenu par le ministère. Il y a des questions de formulation qui ont des incidences sur l'efficacité et l'application de la politique et qui sont difficiles à régler. Elles demandent réflexion.
Nous proposons aujourd'hui que M. McIninch vous fasse une présentation générale. Je propose que l'on complète ainsi le mémoire, en tenant compte du fait que vous n'avez pas pu pleinement en prendre connaissance. En nous préparant en prévision de cette séance, nous avons relevé d'autres questions qui nous paraissent importantes sur le plan de l'application et non pas nécessairement de la politique de base. Nous demandons qu'on nous accorde éventuellement deux ou trois semaines supplémentaires pour que nous puissions approfondir davantage les points techniques avec le ministère.
Le président: Vous savez que le ministère, lorsqu'il nous a confié l'examen de ce projet de loi, le voulait déjà pour «hier».
Nous pourrons peut-être vous donner satisfaction.
Le sénateur Kroft: Je tiens à préciser que cela nous crée des difficultés, comme l'a bien dit le président, mais nous voulons être justes envers vous et bien faire notre travail. Nous avons un calendrier parlementaire. Il nous reste très peu de jours avant les vacances d'été et nous sommes conscients du fait qu'il nous reste peu de temps.
Quand avez-vous reçu ce projet de loi?
M. Anisman: Le mois dernier. Nous avons dû nous battre pour l'obtenir. Certains d'entre nous l'ont consulté sur Internet. J'ai téléphoné au ministère le jour suivant l'annonce faite à la presse et l'on m'a fait parvenir une copie du projet de loi.
Tous les membres de notre comité pratiquent le droit et nous avons des journées chargées. Je dirai que nous avons reçu ce projet de loi il y a moins d'un mois.
Le sénateur Tkachuk: Je tiens à préciser qu'il n'y a pas urgence. Il est possible qu'un calendrier soit proposé par le ministre ou par son ministère mais, en ce qui nous concerne, il convient de procéder à un examen approfondi. S'il a fallu à l'Association du Barreau canadien tout ce temps pour donner un excellent début de réponse, sans toutefois parvenir à terminer le travail -- et je dois ajouter qu'il a été accompli par des bénévoles -- c'est bien la preuve que ce projet de loi est complexe.
Pour notre part, nous avons tout notre temps. Le Parlement va siéger au printemps et à l'automne. Nous aurons le temps de nous en occuper cet automne et nous le renverrons ensuite devant la Chambre des communes, qui se penchera alors sur ses dispositions.
Je pense, monsieur le président, que nous sommes tous deux d'accord pour dire qu'il n'est pas nécessaire de procéder à une étude article par article jeudi et que nous pouvons nous pencher sur la question en juin. Il nous reste du temps pour l'aborder.
Le sénateur Kroft: Notre comité s'est efforcé de bien faire les choses. Ma question visait à s'assurer que la procédure soit juste pour tout le monde.
Le président: Je ne veux pas jouer les trouble-fête, mais nous avons une quantité de textes législatifs qui nous attendent et dont il faut nous occuper. Je ne peux pas vous fixer une date limite. Je vous conseille cependant d'être prêts à vous représenter dans trois semaines et dans l'intervalle, si je vous ai bien compris, vous aurez alors la possibilité de rencontrer les fonctionnaires du ministère et d'éliminer une partie de vos 52 recommandations dont un bon nombre, il suffit d'y jeter un coup d'oeil, sont très techniques et consistent par exemple à remplacer un i par un o ou une virgule par un point-virgule. Ce serait très utile.
Notre travail consiste à aborder les questions de politiques. Nous ne nous occupons pas des modifications apportées sur des points de détail. Comme vous venez de nous l'indiquer, vous devriez être en mesure de régler ces questions avez le ministère.
Le sénateur Kelleher: Puisque les témoins reviendront plus tard, je vais faire un certain nombre de suggestions que je juge utiles.
Tout d'abord, après avoir discuté avec les fonctionnaires du ministère, j'imagine que vous aurez encore de nombreuses recommandations à nous faire. Il serait très utile pour le comité que vous en établissiez la liste par ordre de priorité. À l'heure actuelle, nous ne savons pas quelles sont les recommandations que vous considérez comme des priorités.
Ma deuxième suggestion renvoie à la question que j'ai posée aux représentants de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario. Nous avons reçu beaucoup de courrier et de nombreux témoins sont venus nous parler de la formulation révisée de l'article 137 en particulier. Ils nous disent que l'on ne va pas assez loin. Les entreprises nous disent de leur côté qu'il n'est pas nécessaire d'en faire davantage. Par le passé, nous avons toujours demandé à l'ABC de nous aider à formuler les dispositions législatives. Il serait bon que vous fassiez des commentaires sur ce point. Je ne pense pas que vous ayez abordé la question dans vos 52 recommandations.
M. Anisman: C'est l'une des dispositions que nous n'avons pas abordées.
Le sénateur Kelleher: Je veux vous en redonner la possibilité.
Le président: Présentez-nous votre exposé. Nous n'allons pas vous poser de questions. Lorsque vous serez prêt à nous présenter une version élaguée de votre mémoire, vous reviendrez témoigner. Ce sera cependant dans un délai de trois semaines.
M. McIninch: Sur le plan de la présentation, nous ferons la distinction entre les questions de politiques et ce qui nous apparaît comme étant des questions de pure forme sur le plan de la formulation juridique.
Je vais maintenant demander à M. Anisman d'aborder une ou deux questions que nous n'avons pas eu le temps de traiter auparavant afin que vous ayez une première idée de nos préoccupations.
M. Anisman: Quatre ou cinq points que nous avons relevés lors de notre examen ultérieur méritent d'être soulignés. L'un d'entre eux a déjà été évoqué dans un mémoire de l'Association du Barreau canadien. Il s'agit de la responsabilité proportionnelle.
Le projet de loi S-19 reprend un certain nombre de recommandations faites par l'Association du Barreau canadien et bien évidemment le barreau y est favorable. Il y a cependant une disposition qui s'écarte des recommandations de l'Association du Barreau canadien ainsi que des recommandations de votre comité, c'est celle qui définit les investisseurs avertis et qui les distingue des autres. Votre comité, le barreau et l'ICCA avaient recommandé que l'on tienne compte de la valeur nette du portefeuille, et les opinions divergeaient à ce sujet. Le projet de loi retient un critère tout à fait différent qui porte sur le montant investi par la personne en question dans la société considérée, le projet de réglementation fixant ce montant à 20 000 $.
Nous voyons mal ce qui justifie ce changement. Il n'a absolument rien à voir avec les connaissances de l'investisseur ou la valeur nette de son portefeuille. On ne fait que fixer un montant arbitraire correspondant à un investissement dans une société donnée, que la réglementation va fixer à 20 000 $. D'un côté, un investisseur qui n'atteint pas ce montant pourra avoir un portefeuille dont la valeur nette est largement supérieure aux 500 000 $ recommandés par l'association du barreau et il n'en pourra pas moins prétendre à être pleinement indemnisé sans partage de responsabilités. D'un autre côté, un investisseur ayant placé 25 000 $ dans la société ne sera pas pleinement indemnisé même si la valeur nette de son portefeuille se résume à cela.
Le reproche que nous faisons à cette disposition, en plus de s'écarter des recommandations antérieures de votre comité et des organismes qui ont comparu devant vous, c'est qu'autant que nous puissions en juger, rien ne la rattache rationnellement à l'objectif que vous vous étiez fixé, soit de faire une distinction entre ceux qui ont besoin de la protection que confère une pleine indemnisation et ceux qui peuvent être assujettis à l'équilibre plus complexe qui ressort de la responsabilité proportionnelle que vous avez instaurée.
Le deuxième point que je relève porte sur les transactions d'initié. J'irai dans le sens de ce qu'a dit tout à l'heure Mme Wolburgh-Jenah. Il ressort très clairement de l'application qui a été faite par le passé de notre législation sur les transactions d'initiés et de la réglementation des offres d'achat que celui qui fait une offre d'achat est fondé à acheter les actions de la société sur laquelle il entend faire une offre dans la mesure où il les achète en fonction de ses propres projets, parce que c'est lui qui les a élaborés, parce qu'il ne trompe personne et parce qu'il ne se sert aucunement d'une information confidentielle. Au cas où il y aurait une ambiguïté dans le projet de loi à ce sujet -- et il y en a une -- il convient de l'écarter et nous nous efforcerons de régler bientôt ce problème avec le ministère.
Nous avons aussi relevé dans notre mémoire un problème au sujet de l'étendue de la responsabilité en ce qui a trait aux transactions d'initiés. Voilà longtemps qu'on discute pour savoir si un initié qui transige les actions d'une société cotée en bourse sur un marché actif ne doit être responsable qu'envers la personne qui, par hasard, se trouve être l'acheteur direct des actions vendues par l'émetteur, par exemple, à condition qu'on puisse le prouver, ou s'il doit y avoir une certaine forme de responsabilité générale du marché. On débat de la question de savoir si la LCSA impose l'un ou l'autre type de responsabilité. La plupart des gens considèrent que la LCSA actuelle exige une relation privée. Dans un article que j'ai rédigé alors que j'étais directeur de la recherche sur les sociétés au sein du ministère, j'ai indiqué qu'il était possible d'interpréter la LCSA de manière à autoriser une responsabilité vis-à-vis du marché et qu'il convenait de l'interpréter ainsi. La formulation actuelle dans le projet de loi S-19 ne règle pas cette question en ce qui a trait à la responsabilité des initiés lorsqu'ils effectuent directement des transactions. Autrement dit, pour la LCSA, la question reste en suspens, alors qu'elle est importante.
Le président: N'y a-t-il pas des règles précises concernant la façon dont peut acheter ou vendre un initié?
M. Anisman: Non, il faut bien l'avouer. Il y a des interdictions d'ordre général qui empêchent un initié d'acheter ou de vendre dans tel ou tel cas. Certaines sociétés ont des règles précises.
Le président: N'est-ce pas la même chose?
M. Anisman: Je n'en suis pas sûr, sénateur.
Le président: J'ai agi en qualité d'initié à sept ou huit reprises et parfois il y avait une possibilité, parfois non. Après la publication d'un rapport trimestriel, on dispose de 10 jours ou quelque chose comme ça. Ces règles ne sont-elles pas précises?
M. Anisman: Ça ne fait pas partie de notre droit. Je pense que vous vous référez aux politiques internes adoptées par les sociétés cotées en bourse.
Le président: Selon vous, il n'y a pas de droit qui s'applique?
M. Anisman: Il y a un droit. On interdit les transactions d'initié lorsque celui-ci dispose de renseignements importants, non divulgués par ailleurs, et il s'agit alors de déterminer quand ces critères sont réunis. Les entreprises adoptent fréquemment des politiques, qui servent de guide à leurs dirigeants et aux autres initiés, mais c'est à peu près tout ce que l'on a.
Le président: De nombreuses entreprises emploient des agents chargés de veiller à l'application des règles, qui envoient une note de service aux administrateurs envisageant d'acheter telle ou telle action pour les informer qu'ils ne peuvent pas vendre ou acheter avant une date donnée.
M. Anisman: Effectivement.
Le président: Est-ce purement un mécanisme interne?
M. Anisman: C'est un mécanisme interne visant à s'assurer que le droit est appliqué lorsqu'une société envisage d'en acheter une autre.
Le président: Ça ne se limite pas nécessairement aux achats. Il peut s'agir d'un autre événement. Il peut se faire que la société soit sur le point de faire faillite. Il peut y avoir bien des raisons.
M. Anisman: On cherche ainsi à s'assurer qu'aucun des initiés à l'intérieur de la société ne fait de transactions illégitimes. Le droit comporte une interdiction d'ordre général, du moins dans les lois sur les valeurs mobilières. La LCSA n'interdit pas les transactions d'initiés, elle prévoit une responsabilité lorsque les initiés font des transactions illégitimes. Ce que je veux faire comprendre, c'est qu'il est difficile de fixer cette responsabilité, et la LCSA traite cette question de deux manières. Il y a tout d'abord le cas d'une transaction effectuée directement par l'initié, et elle ne se prononce pas sur l'étendue de la responsabilité. Toutefois, lorsqu'un initié fournit un renseignement, il n'est responsable des transactions de la personne ayant obtenu ce renseignement qu'envers celle qui a transigé avec cette dernière. Il y a donc une incohérence dans cet article sur une question très importante que nous nous efforcerons là encore de porter à l'attention du ministère, mais il se peut que cela soulève une question de politique dont nous devrons vous reparler plus tard.
Le président: Je comprends mal. Où commence et où finit la LCSA, d'une part, et les lois sur les valeurs mobilières, d'autre part? Y a-t-il des chevauchements et des conflits?
M. Anisman: Il y a toutes sortes de chevauchements. Je ne pense pas qu'il y ait de conflit au sujet des transactions d'initiés.
Le président: Je ne parle pas seulement de cette question. Je veux dire, en général. Autrement dit, est-ce que nous avons trop de lois dans le même domaine?
M. Anisman: Ce projet de loi nous montre que certains le pensent puisque, par exemple, le gouvernement fédéral se retire ici du domaine des offres d'achat. Je ne peux pas vous donner une réponse globale. Il faut en juger sur des points précis et en fonction de conflits bien déterminés. Les conflits ne sont pas trop nombreux, mais il se peut qu'il y ait beaucoup de chevauchements.
J'aimerais aborder deux autres questions. La première a trait aux propositions faites par les actionnaires. Cette question n'a pas encore été soulevée devant votre comité, mais elle est tout aussi importante que celle que vous avez abordée et, à mon avis, très simple. Je ne sais pas si mon interprétation du projet de loi est la bonne, mais je pense qu'il vise à remédier aux conséquences de l'arrêt prononcé par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Verdun c. Banque Toronto-Dominion. Je dois vous avouer que j'étais l'avocat de M. Verdun devant la Cour suprême et que j'ai perdu. Le projet de loi s'efforce de remédier à cette décision, à mon avis, en autorisant les véritables propriétaires des actions à faire des propositions aux sociétés dont ils détiennent effectivement les actions. Je ne suis pas sûr qu'il y parvienne. C'est une question de pure forme, se rapportant à la formulation de la loi et au fait que l'on avait conservé l'expression «personne autorisée à voter» qui a permis à la Cour suprême de juger que M. Verdun n'était pas habilité à soumettre une proposition. C'est là une autre question très importante et il n'est pas sûr qu'elle soit réglée par le projet de loi. Je pense que c'était l'intention des rédacteurs, mais je n'en suis pas sûr. Voilà le genre de difficulté que l'on rencontre lorsqu'on voit pour la première fois la formulation de la politique. C'est là une autre question que nous chercherons à aborder avec le ministère et dont nous reparlerons éventuellement devant votre comité.
La dernière question que je tiens à évoquer devant vous aujourd'hui a trait à la réglementation et à son élaboration. Tous les témoins qui ont comparu avant nous ont mentionné que ce projet de loi allait confier à la réglementation le soin de traiter d'un certain nombre de questions détaillées susceptibles d'être alors réglées plus rapidement que s'il fallait revenir devant le Parlement. Les dispositions actuelles de la LCSA prévoient une procédure de notification et de consultation avant l'établissement des règlements. Elle prévoit qu'avant l'adoption des règlements, on publie un projet de réglementation en laissant aux personnes intéressées le temps de les commenter. Cette procédure est obligatoire à l'heure actuelle aux termes de la LCSA. J'ajouterais qu'elle est aussi obligatoire en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières de l'Ontario pour ce qui est des règles élaborées par la commission.
Le président: À qui s'adressent ces commentaires?
M. Anisman: Au moment de la publication des projets de réglementation, les commentaires doivent être adressés à Industrie Canada.
Le président: Personnellement, je trouve cela inacceptable, mais je ne sais pas ce qu'en pensent mes collègues.
M. Anisman: Laissez-moi vous expliquer la raison d'être de cette disposition. Ce n'est pas le seul mécanisme qui oblige à rendre des comptes, mais c'est celui qui exige que les projets de réglementation soient soumis aux personnes qui vont être touchées. Ces personnes ont alors la possibilité de les commenter, comme nous le faisons pour cette loi, avant qu'ils n'entrent en vigueur. Tout élément nouveau ou toute question de politique susceptibles de devoir être examinés et commentés ont la possibilité de l'être par les personnes visées par la réglementation. C'est un mécanisme qui permet de rendre des comptes. Ce n'est pas le seul et il n'est pas exclusif.
Une fois que l'on a procédé à la notification et aux consultations, le règlement une fois adopté suit le cours normal de la procédure appliquée à la réglementation. On peut y ajouter l'examen annuel que vous avez préconisé, sénateur.
Nous considérons qu'étant donné l'étendue de la délégation de pouvoirs qui sera accordée en droit par les dispositions du projet de loi S-19, la procédure de notification et de consultation devrait être obligatoire. Le projet de loi a supprimé cette exigence qui était prévue dans la LCSA. Nous recommandons qu'elle soit rétablie.
Voilà ce que nous avons à dire dans l'immédiat. S'il y a une question qui vous intéresse plus précisément aujourd'hui, nous sommes disposés à y répondre.
Le sénateur Kelleher: Vous avez parlé du caractère irrationnel de la raison des changements apportés à la disposition touchant la responsabilité proportionnelle. Je vous demande d'en parler avec les fonctionnaires du gouvernement lorsque vous les verrez parce qu'il se trouve que nous nous sommes tous entendus sur la formulation de ces dispositions mais que le gouvernement est revenu nous dire qu'il ne pensait pas pouvoir s'en accommoder. Il a déclaré que cela entraînerait des difficultés et nous a demandé d'envisager une solution de rechange. Pour lui donner satisfaction, nous avons retenu un autre critère. Il ne vient pas de nous. Effectivement, on nous a dit: «Si vous voulez obtenir cela, il vous faut modifier telle ou telle chose.» Étant donné que nous voulions absolument la responsabilité proportionnelle, nous avons accepté et adopté cet autre critère.
Le sénateur Hervieux-Payette: Est-ce qu'il y a de nombreuses entreprises qui vont décider de ne pas se constituer en société sous le régime fédéral en raison de la règle des 25 p. 100? Est-ce que ce serait un grand progrès si nous autorisions les conseils d'administration à se réunir à l'extérieur du pays? Avez-vous entendu des gens dire: «Nous ne nous constituerons pas en société parce que nous voulons avoir un plus grand nombre de Canadiens non résidents au sein de notre conseil d'administration»?
M. McIninch: Il est certain que dans ma pratique j'ai un certain nombre de clients qui préfèrent les ressorts dans lesquels aucun critère de résidence n'est exigé. Comme nous l'avons dit dans notre mémoire, nous estimons que la solution des 25 p. 100 ne règle absolument pas la question. Cela n'empêchera pas les sociétés de choisir des provinces comme le Nouveau-Brunswick, qui n'impose aucun critère s'appliquant aux résidents canadiens.
Quant au fait de réunir les conseils à l'étranger, c'est une question tout à fait distincte. À l'heure actuelle, je pense que l'on propose qu'à condition que cela figure dans les statuts de la société, les réunions peuvent avoir lieu n'importe où au monde. À mon avis, ce n'est pas un compromis déraisonnable. Je ne pense pas qu'il faille conférer aux sociétés le pouvoir de déclarer tout simplement que leur prochaine réunion aura lieu dans une ville du Mexique dont personne n'a entendu parler. Si les entreprises souhaitent se réunir à l'extérieur du Canada, il n'est pas déraisonnable d'exiger qu'elles précisent le lieu de leur réunion dans leurs statuts
Le sénateur Hervieux-Payette: Savez-vous pourquoi les entreprises veulent avoir des administrateurs qui ne résident pas au Canada? Si pour vous le seuil de 25 p. 100 n'est pas acceptable, est-ce que cela signifie qu'il y a des entreprises qui ne veulent avoir que des administrateurs étrangers?
M. McIninch: Oui.
Le sénateur Hervieux-Payette: Pour quelle raison?
M. McIninch: Lorsque nous nous sommes penchés au départ sur cette question, nous avons tenu compte à la fois de l'approche des sociétés publiques et des sociétés privées. Selon l'expérience des praticiens qui se trouvaient autour de la table, dans une large mesure, les conseils d'administration des sociétés publiques comportaient une large majorité de résidents canadiens. Cette disposition ne leur posait donc aucun problème.
Nombre de sociétés privées, pour leur part, avaient recours à des ententes entre actionnaires exigeant l'unanimité, ce qui a pour effet d'enlever tout pouvoir aux administrateurs et de faire en sorte que les actionnaires administrent directement la société.
Compte tenu de cette double réalité, si vous voulez -- le fait que les sociétés publiques avaient davantage de résidents que n'en exigeait la loi et que les sociétés privées avaient tendance à tourner la loi en se servant de la législation des États-Unis -- nous avons jugé qu'il convenait de recommander à votre comité, ce que nous avons fait, d'abroger cette disposition. Cette abrogation se justifiait par la pratique que nous avions constatée, de plus en plus fréquente, et qui faisait dire aux entreprises: «Nous voulons simplement les mêmes administrateurs. Nous ne voulons pas recourir à cette entente exigeant l'unanimité entre les actionnaires avec un homme de paille, des administrateurs canadiens et une entreprise gérée au moyen des signatures des actionnaires. Nous voulons que tout soit simple, clair et au vu de tous. Constituez-nous en société dans une province qui n'exige pas que la majorité des administrateurs soient des résidents canadiens.»
Le président: Contrairement à ce que vous dites, il y aussi le cas des petites entreprises canadiennes qui commencent chez nous et qui deviennent ensuite trop grosses pour le Canada. Elles s'implantent à l'étranger et s'aperçoivent qu'elles ne font plus peut-être que 5 ou 6 pour cent de leur chiffre d'affaires au Canada et que par conséquent elles ont besoin d'administrateurs connaissant les autres régions du monde dans lesquelles elles exercent leurs activités.
M. McIninch: Oui, c'est un scénario possible.
Le président: C'est plus que «possible». J'ai siégé au sein du conseil d'administration d'une telle entreprise. Il y en a probablement deux douzaines.
M. McIninch: Monsieur le président, on m'a demandé si, à en juger par mon expérience, bon nombre d'entreprises évitaient les dispositions de la LCSA précisément pour cette raison.
Le président: Je pense que c'est probablement le marché qui en décide.
M. McIninch: Oui. Je pense que c'est lui qui en décide.
Le sénateur Hervieux-Payette: Existe-t-il d'autres circonstances dans lesquelles nous pourrions autoriser les entreprises à avoir des administrateurs étrangers alors qu'il serait exigé par ailleurs, comme dans le cas du Québec, avec la caisse des dépôts, que l'on investisse de l'argent sur place. Ça ne figure pas dans la loi, mais c'est en fait une exigence lorsqu'on traite avec l'un des grands prêteurs ou des grands investisseurs du Québec. C'est fait de manière indirecte. Est-ce que vous le constatez dans d'autres provinces?
M. McIninch: Je ne l'ai certainement pas constaté ailleurs.
M. Anisman: Il faut faire ici une distinction, si vous me le permettez, car il y a une différence entre les nécessités économiques et le désir d'une société de tenir compte des desiderata d'un gros investisseur, et le fait d'imposer une exigence que les sociétés peuvent facilement éviter lorsqu'elles n'ont pas à faire face à ces nécessités économiques.
Le président: Comme vous dites gentiment les choses. Elles tiennent compte des desiderata des gros investisseurs. Il me semble, quant à moi, que c'est à prendre ou à laisser.
M. Anisman: C'est tenir compte de leurs desiderata.
Le président: Merci du temps que vous nous avez accordé. Revenez dans trois semaines. À ce moment-là, nous aurons peut-être déjà bien avancé. Nous avons reçu votre mémoire hier. Essayez de nous revenir avec quelque chose de plus simple.
M. McIninch: Nous n'y manquerons pas, monsieur le président. Excusez-moi une fois encore. Vous l'auriez reçu plus tôt si nous avions pu le rédiger avant.
Le président: Nous voulons tous que le travail se fasse dans les meilleures conditions.
Sénateurs, notre dernier groupe de témoins représente l'Institut canadien des comptables agréés.
M. Michael Rayner, président, Institut canadien des comptables agréés: Nous sommes heureux de comparaître devant vous aujourd'hui pour commenter le projet de loi S-19. J'ai à mes côtés aujourd'hui M. Ross Walker, président du groupe de travail sur la responsabilité professionnelle de l'ICCA, et Mme Diana Hillier, directrice des normes de certification de l'ICCA.
M. Walker va se charger aujourd'hui de présenter notre point de vue sur les dispositions touchant la responsabilité dans le projet de loi S-19. Auparavant, je tiens à remercier au nom de l'institut le comité sénatorial sur les banques, qui a passé énormément de temps au fil des années sur la question de la responsabilité proportionnelle modifiée. Je veux féliciter en notre nom le comité, dont les efforts ont débouché sur deux rapports clés venant appuyer les changements en 1998, rapports qui ont été à l'origine des amendements s'appliquant à la responsabilité qui figurent dans le projet de loi S-19.
À la suite de l'intervention de M. Walker, Mme Hillier fera état de nos commentaires au sujet de certains éléments du projet de loi ayant trait à la gouvernance. Je peux vous assurer que nous avons détaché quelques paragraphes et que notre intervention ne durera pas plus de 10 minutes. Je conclurai notre exposé, après quoi nous serons tout disposés à répondre à vos questions.
M. Ross Walker, président, Groupe de travail sur la responsabilité professionnelle, Institut canadien des comptables agréés: Monsieur le président, nous sommes heureux de constater que le projet de loi S-19 remédie aux risques posés par la responsabilité conjointe et solidaire en créant un régime de responsabilité proportionnelle modifiée dans le cadre de la LCSA et de la Loi canadienne sur les coopératives. Ces réformes sont le résultat d'une recommandation clé du rapport de 1998 du comité sénatorial sur les banques visant à appliquer un régime de responsabilité proportionnelle modifiée aux poursuites intentées au titre de la diffusion de renseignements financiers dans le cadre de la LCSA et de la législation sur les institutions financières.
Les dispositions du projet de loi S-19 rendront la responsabilité en grande partie proportionnelle à la gravité de la faute. Nous soulignons que la responsabilité conjointe et solidaire continuera à s'appliquer aux poursuites intentées contre tout comportement frauduleux ou malhonnête de la part d'un codéfendeur. La responsabilité conjointe et solidaire continuera à s'appliquer aux poursuites intentées par un demandeur dont le préjudice financier est inférieur au seuil prescrit. Cette disposition vise à protéger les petites créances. Ce seuil a été fixé à 20 000 $ par la réglementation, montant que nous jugeons approprié. Il y a aussi un mécanisme qualifié de discrétion judiciaire, qui permettra aux tribunaux de tenir compte de circonstances particulières et d'accorder aux demandeurs la protection de la responsabilité conjointe et solidaire même quand le préjudice financier dépasse ce seuil.
Le régime de responsabilité proportionnelle modifiée s'appliquera à la plupart des poursuites intentées au-dessus du seuil fixé parce qu'il s'applique aux préjudices financiers découlant d'une erreur, d'une omission ou d'une mauvaise information s'appliquant à un renseignement financier touchant une société et exigé par ces lois ou ces règlements. Il s'ensuit que tous ceux qui ont participé à l'élaboration, au contrôle, à l'autorisation et à la diffusion de renseignements financiers erronés -- ainsi, les directeurs, les administrateurs, les vérificateurs comptables et les avocats -- feront l'objet d'une responsabilité proportionnelle modifiée en cas de poursuites intentées en conséquence. Qu'ils aient effectivement pris part à l'élaboration de ces données, comme nous venons de l'indiquer, ou qu'ils se soient simplement fiés à ces données, ce qui serait le cas d'un évaluateur ou d'un conseiller financier, ils seront assujettis à une responsabilité proportionnelle modifiée.
Après avoir discuté avec Industrie Canada, nous avons relevé deux domaines dans lesquels nous considérons qu'il faudra apporter des amendements pour que les choses soient plus claires.
Le premier amendement vise à remplacer le terme «défendeur» dans le projet de paragraphe 237.2(1) par les termes «personne ou partie». C'est indispensable si l'on veut que le régime de responsabilité proportionnelle modifiée fonctionne comme prévu. Sans cette disposition, la responsabilité conjointe et solidaire continuerait effectivement à s'appliquer aux poursuites intentées contre un seul défendeur même si d'autres peuvent être aussi responsables du préjudice.
Le projet de paragraphe 237.2(2) prévoit une liste d'exemptions à l'application du régime de responsabilité proportionnelle modifiée; toutefois, ce paragraphe dispose qu'un organisme du gouvernement est exempté de l'application de la responsabilité proportionnelle modifiée si une part substantielle de ses activités ne porte pas sur le commerce des valeurs mobilières ou autres instruments financiers. Nous craignons que cette formulation prête à confusion et nous demandons par conséquent qu'elle soit modifiée afin de lui donner un tour positif, conformément à ce que nous préconisons aux pages 3 et 4 de notre mémoire.
Nous croyons savoir qu'Industrie Canada est d'accord avec la nécessité de déposer des amendements pour régler ces deux questions.
Je vous remercie, au nom des membres de notre profession et de mes collègues du Groupe de travail sur la responsabilité professionnelle de l'ICCA, du travail que vous avez accompli dans le domaine.
Mme Diana R. Hillier, directrice, Normes de certification, Institut canadien des comptables agréés: Monsieur le président, nous sommes heureux de constater que nombre des propositions qui figuraient dans les documents d'orientation d'Industrie Canada ont été incorporées au projet de loi S-19. Nous estimons que ces amendements contribueront largement à éliminer les chevauchements, à remédier aux différences entre les provinces, à harmoniser la législation sur les entreprises avec les autres législations, et plus particulièrement avec les lois sur les valeurs mobilières, et à simplifier les exigences se rapportant aux comptes rendus et à l'application de la loi.
Notre exposé d'aujourd'hui porte principalement sur la responsabilité des administrateurs et sur les dispositions qui touchent les vérificateurs comptables, mais nous avons abordé dans notre mémoire d'autres questions telles que l'aide financière et les dispositions qui s'y rattachent, l'information des actionnaires et les demandes de procuration, les transformations en sociétés fermées, les transactions d'initiés et les offres d'achat. Les entreprises canadiennes ont tout intérêt à retenir les services des meilleurs et des plus brillants au sein de leur conseil d'administration. Cela étant, il faut que les administrateurs soient suffisamment protégés contre toute responsabilité personnelle lorsqu'ils se sont dûment acquittés de leurs obligations, en toute bonne foi. De ce point de vue, nous sommes heureux de constater que l'on a fait figurer dans le projet de loi un moyen de défense permettant aux administrateurs d'alléguer qu'ils ont fait preuve de diligence.
Nous considérons, cependant, qu'il convient de préciser davantage les responsabilités des administrateurs. Il est souhaitable, tout d'abord de mieux définir dans la loi ce qui est «au mieux des intérêts de la société». Nous ne sommes pas persuadés que si on laisse aux tribunaux le soin d'interpréter cette formule, on obtienne nécessairement de meilleurs résultats que par le passé. L'ICCA considère qu'il serait utile de définir clairement dans la loi les responsabilités fiduciaires des administrateurs.
En second lieu, nous estimons qu'il convient de préciser la description des «responsabilités des administrateurs» au paragraphe 102(1). Le projet de loi fait état de gestion ou de supervision des activités de la société par les administrateurs. Nous nous félicitons qu'on ait ajouté le terme «superviser», mais nous considérons qu'en continuant de parler de «gestion» pour décrire les responsabilités des administrateurs on confonde le rôle de gouvernance qui est celui des administrateurs avec le rôle de gestion confié à d'autres. Nous proposons à cet égard une formulation de rechange qui figure à la page 6 de notre mémoire.
En troisième lieu, nous aimerions aussi que les obligations des administrateurs soient précisées afin d'englober expressément l'obligation de s'assurer que la société peut compter sur des systèmes de contrôle et d'information appropriés pour exercer ses activités, ceci afin d'appuyer les administrateurs dans leurs tâches.
J'en viens maintenant aux dispositions du projet de loi S-19 qui touchent les vérificateurs comptables. Nous sommes heureux de constater que sur des points précis, des amendements sont proposés pour renforcer le rôle du vérificateur au sein du mécanisme de gouvernance de la société. Nous estimons qu'en obligeant les directions à exposer aux actionnaires les raisons du remplacement d'un vérificateur et en conférant à la personne remplacée comme à son successeur la possibilité de faire leurs commentaires, on contribuera à protéger les actionnaires.
Toutefois, il reste à notre avis trois autres questions touchant les vérificateurs qui devraient être examinées dans le cadre du projet de loi S-19. Nous relevons que l'on se propose dans le projet de loi S-19 de modifier la définition d'«indépendance» à l'article 161, qui définit dans quelles circonstances un vérificateur est considéré comme n'étant pas indépendant. Cet article a été amendé afin de renvoyer non seulement «à la personne elle-même ou à un de ses associés,» mais aussi aux «employés ou actionnaires.»
Nous croyons savoir qu'en procédant à ces amendements, Industrie Canada cherche uniquement à prévoir le cas des cabinets de services professionnels constitués en société. Nous sommes d'accord avec le fait de rajouter «actionnaire» à cette définition, étant donné que cela permet d'englober un vérificateur constitué en société. Nous avons peur, toutefois, qu'en faisant figurer le terme «employés» sur cette liste, on élargisse le champ d'application de cette disposition plus qu'il n'est raisonnable. On soumettrait ainsi les employés aux règles d'indépendance, qu'il s'agisse des professionnels qui ne participent pas à la mission ou même qui travaillent pas dans le même bureau que le vérificateur chargé de la mission, ou encore des non-professionnels comme les commis ou le personnel d'entretien. Ces employés ne dispensent pas de services à la société cliente, n'ont pas la possibilité d'influer sur le jugement et les décisions prises en matière de vérification de cette société, et n'ont pas accès aux renseignements figurant au sujet de la société dans les dossiers du cabinet comptable. Si l'on englobait ces personnes, on irait plus loin que les règles d'indépendance dans la loi canadienne ainsi que toutes les autres règles d'indépendance en vigueur ailleurs dans le monde, à notre connaissance.
Nous recommandons que l'on modifie le préambule du paragraphe 161(2). En supprimant le terme «employé», on conserverait l'esprit des dispositions en vigueur concernant l'indépendance dans la loi actuelle, tout en tenant compte des organisations constituées en société. Nous avons évoqué cette question avec les responsables d'Industrie Canada et nous croyons savoir que le ministère va l'étudier de près.
Sur un autre point, nous avons peur que les directions hésitent de plus en plus à autoriser les vérificateurs à avoir pleinement accès aux dossiers de correspondances juridiques, craignant que l'information qui y figure perde son caractère privilégié. Le projet de loi S-19 prévoit un amendement disposant que les règles de confidentialité ne seront pas remises en cause par le fait que des renseignements privilégiés sont mis à la disposition du vérificateur dans l'exécution de sa vérification. Nous proposons une formulation tirée de la Loi sur la preuve du Nouveau-Brunswick, à la page 8 de notre mémoire.
M. Rayner: Nous sommes heureux d'avoir pu vous faire part de nos commentaires aujourd'hui. Nous estimons que le régime de responsabilité qui figure dans le projet de loi reflète dans toute la mesure du possible les conclusions du rapport du comité permanent. De manière générale, nous sommes très satisfaits des dispositions prévues dans ce projet de loi au sujet de la gouvernance des entreprises.
Le sénateur Kelleher: Je pense que vous avez entendu l'intervention précédente de l'ACGA au sujet de la nécessité d'étendre la définition des vérificateurs comptables et d'adopter les normes comptables internationales. Je ne veux pas vous embarrasser, mais je me dois de vous demander de commenter ces propositions et recommandations. Êtes-vous d'accord avec cette association?
M. Rayner: Pour ce qui est d'étendre la définition s'appliquant aux vérificateurs, je pense que ce que recommande l'Association des comptables généraux agréés est conforme aux dispositions qui existent déjà dans d'autres lois fédérales. Je ne pense pas que nous puissions nous y opposer. Quant à savoir si cela va signifier que des comptables généraux accrédités vont effectivement faire la vérification des comptes des sociétés relevant de la LCSA, tout dépendra de la réglementation de la profession comptable dans certaines provinces du pays, et notamment les deux plus grandes. Il y a des dispositions d'agrément en matière de comptabilité publique qui établissent des critères devant permettre de savoir qui peut effectivement vérifier les comptes des sociétés publiques, ou des sociétés en général. Je pense que c'est de cette manière que la question sera résolue.
Quant à l'harmonisation des normes de comptabilité au niveau international, nous y sommes tout à fait favorables et nous avons activement collaboré avec le comité international des normes de comptabilité pour qu'il soit en mesure de faire adopter ses normes à l'échelle mondiale. On n'en est pas encore là. Certains changements importants ont été mis en place. Nous estimons qu'à terme les normes de comptabilité internationales en seront au point de pouvoir être acceptées au Canada. À l'heure actuelle, ces normes ne seraient pas aussi bonnes que les principes de comptabilité généralement acceptés au Canada et nous ne voulons pas faire un pas en arrière en abaissant le niveau des normes de notre pays.
L'ICCA a nommé il y a quelques années un groupe d'étude relativement indépendant sur l'établissement des normes. Ce groupe d'étude a tenu des audiences publiques, a sollicité la participation du public et a fait état de nos recommandations selon lesquelles il nous faudra en temps utile nous orienter au Canada vers l'adoption des normes de comptabilité internationales une fois qu'elles auront atteint le niveau requis. On ne continuerait à utiliser les normes canadiennes que dans le cas où des variantes mineures exigeraient une adaptation aux exigences propres à l'économie canadienne. C'est une possibilité qui sera mise à profit.
Nous avons par ailleurs besoin au Canada d'un organe chargé de faire le nécessaire pour que les sociétés canadiennes et les autres parties intéressées aient la possibilité d'influer sur l'établissement des normes internationales.
Le sénateur Hervieux-Payette: Je veux comprendre votre proposition touchant l'utilisation du terme «employé». Celui qui effectue une vérification et qui travaille pour le compte d'un cabinet comptable constitué en société, selon les principes généraux qui s'appliquent en l'espèce, est un employé. Comment faites-vous la différence entre un associé et un employé qui travaille pour le compte d'un cabinet comptable constitué en société? Je comprends bien que vous vous êtes référé à d'autres employés de ce cabinet. Toutefois, il semble qu'il y ait une nouvelle tendance. Je veux dire par là, par exemple, que l'on annonce que KPMG est en train de lancer une émission d'actions pour créer une entreprise à l'échelle mondiale. Quel sera le statut des comptables dans une telle entreprise? Deviendront-ils des employés ou conserveront-ils un statut spécial au sein de la nouvelle société?
M. Walker: L'émission d'actions de KPMG ne portait que sur le groupe de consultants. Elle n'impliquait ni la pratique comptable, ni l'assurance. Toutefois, vous avez raison de le souligner.
Mme Hillier: Si nous avons bien compris, après en avoir parlé avec ce ministère, Industrie Canada avait uniquement l'intention, en modifiant cet article, de traiter des entreprises de vérification comptable constituées en société. Cela étant, si l'on ajoute le terme «actionnaire», nous considérons que l'on se replace dans la loi dans la même situation qu'auparavant, lorsqu'on parlait de la personne elle-même ou de son associé. Au sein d'une organisation constituée en société, les actionnaires seraient en fait les associés et, par conséquent, la situation serait la même.
Nous craignons qu'en ajoutant le terme «employé», on englobe bien plus de gens qu'auparavant en incluant éventuellement, comme nous l'avons indiqué, les commis ou le personnel d'entretien, qui ne sont pas en mesure d'influer sur les décisions lors d'une vérification comptable ou de causer des problèmes sur le plan de l'indépendance. Par conséquent, nous craignons qu'en ajoutant par inadvertance le terme «employé», nous ayons créé des problèmes qui ne sont pas justifiés par la nécessité de veiller à l'indépendance du vérificateur.
Le sénateur Hervieux-Payette: J'imagine que les responsables d'Industrie Canada sont d'accord avec vous?
Mme Hillier: Nous leur en avons parlé et ils ont effectivement convenu d'étudier de près cette proposition.
Le sénateur Fitzpatrick: Vos commentaires au sujet de l'article 119 ont éveillé mon intérêt. À l'heure actuelle, en raison de la mondialisation et des fusions, un administrateur peut à tout moment être responsable de centaines de millions de dollars en salaires et en impôts sur le revenu impayés. Les employés ou les cadres sont parties prenantes à la gestion de l'entreprise et peuvent en fait être mieux au courant des événements susceptibles d'amener les administrateurs à être responsables de ces salaires ou impôts impayés.
Pourriez-vous nous en dire davantage et nous exposer les raisons de vos préoccupations? J'aimerais savoir si vous êtes sur la même longueur d'onde que moi en la matière.
Mme Hillier: Nous avons discuté de cette question en tenant compte du grand défi, sur le plan des politiques globales, qui consiste à retenir les services des meilleurs et des plus brillants en tant qu'administrateurs des sociétés. Pour ce qui est de la responsabilité des administrateurs concernant le paiement des salaires, s'il est nécessaire d'accorder la priorité à certains intéressés dans de telles circonstances, nous avons estimé qu'il était préférable de régler cette question dans le cadre de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité plutôt qu'aux termes de la LCSA.
Le président: Merci du temps que vous nous avez accordé et de ce mémoire intéressant et complet.
La séance du comité est levée.