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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 9 - Témoignages du 23 mars 2000


OTTAWA, le jeudi 23 mars 2000

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 11 h 03 pour examiner l'état du système de santé au Canada.

Le sénateur Marjory LeBreton (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente: Honorables sénateurs, c'est la troisième réunion pour laquelle nous recevons des témoins au sujet de l'état du système de santé au Canada. Ce matin, nos premiers témoins viennent de Santé Canada. Nous avons demandé au ministère de nous donner des informations générales sur la population et la santé au Canada, notamment un rapport provisoire sur la santé des Canadiens, les tendances récentes et à long terme et les comparaisons avec d'autres pays.

Nous recevons donc Mme Wendy Watson-Wright, M. Sylvain Paradis, Mme Liz Kusey et Mme Monique Charron.

Honorables sénateurs, les témoins ont une brève présentation vidéo à nous faire avant leur exposé. Vous entendrez l'audio en anglais et le français grâce à vos écouteurs. Étant donné qu'il s'agit de technologie relativement nouvelle, je vous demanderais d'être indulgents.

Mme Wendy Watson-Wright, directrice générale, Direction des politiques et des projets majeurs, Direction générale de la promotion et des programmes de la santé, Santé Canada: Honorables sénateurs, nous sommes venus aujourd'hui vous entretenir de la santé des Canadiens et des éléments qui influent sur la santé.

Nous déposons aujourd'hui le document intitulé: «Pour un avenir en santé: Deuxième rapport sur la santé de la population canadienne». Ce rapport, vous le savez pour la plupart, a été préparé par le Comité consultatif fédéral-provincial-territorial sur la santé de la population et offre certainement les renseignements les plus complets que nous ayons jusqu'ici sur la santé des Canadiens.

On vous a présenté mes collègues. J'aimerais ajouter que nous avons aussi dans l'auditoire deux autres personnes de notre division de l'enfance et de la jeunesse, Julie MacKenzie et Mary Johnston, qui pourront répondre à vos questions sur nos programmes visant plus particulièrement les enfants et les jeunes.

Comme vous l'avez indiqué, madame la présidente, nous vous présenterons d'abord quelques diapositives. Nous n'avions pas prévu faire d'exposé après cela mais, si vous le souhaitez, nous pourrons le faire. Ce sera à vous de décider lorsque vous aurez vu notre vidéo.

Suite à ce rapport, tous les ministres FPT de la santé se sont mis d'accord sur les champs d'action prioritaires. Le rôle du personnel est de collaborer avec les autres instances à la promotion des messages qui émanent de ce rapport.

Nous distribuerons aussi un document qui présente assez bien les renseignements que vous verrez au vidéo et met l'accent sur les points importants.

Nous nous ferons un plaisir ensuite de répondre à vos questions.

(Présentation vidéo)

La vice-présidente: Madame Watson-Wright, avant que nous passions aux questions, auriez-vous quelque chose à ajouter à ce vidéo?

Mme Watson-Wright: Peut-être que nous pourrions simplement souligner les points saillants du rapport. Je demanderai à Mme Kusey de le faire. Ces informations se trouvent dans le document qui vous a été remis.

Mme Liz Kusey, analyste des politiques, Direction des politiques et des projets majeurs, Direction générale de la promotion et des programmes de la santé, Santé Canada: Honorables sénateurs, le vidéo donne une bonne indication de certaines des mesures de la santé des Canadiens. Il répond à trois questions: Dans quelle mesure les Canadiens sont-ils en santé? Pourquoi les Canadiens sont-ils ou ne sont-ils pas en santé? Que pouvons-nous faire pour améliorer notre santé? Si vous le voulez bien, je vous parlerai brièvement de ces différentes questions.

Comme nous l'avons indiqué, «Pour un avenir en santé: Deuxième rapport sur la santé de la population canadienne» a été préparé par le comité consultatif fédéral-provincial-territorial sur la santé de la population en collaboration avec Santé Canada, Statistique Canada et l'Institut canadien d'information sur la santé.

Ce rapport donne un tableau complet de la santé des Canadiens et de ce qui fait que nous sommes en bonne santé. Le mode d'organisation et d'analyse du document reflète l'approche axée sur la santé de la population. Aussi intègre-t-il les mesures traditionnelles de la santé à des données sur les facteurs et conditions connexes qui font que les Canadiens sont en bonne santé. Ces facteurs ou éléments déterminants incluent l'environnement socioéconomique, l'environnement physique, le développement de la petite enfance, l'égalité des sexes et la culture, les habitudes d'hygiène personnelle, la biologie humaine et le bagage génétique ainsi que les services de santé.

Le but de cette approche axée sur la santé de la population est de maintenir et d'améliorer l'état de la santé de toute la population et de réduire les inégalités entre les groupes.

Pour ce qui est de la santé des Canadiens, vous verrez à la première image de votre document certaines des principales mesures de la santé de la population qui ont été utilisées, notamment l'espérance de vie où nous avons atteint de nouveaux records. L'autre est la mortalité infantile où là aussi nous avons atteint des records dans l'autre sens. D'autre part, les Nations Unies continuent à placer le Canada au premier rang au chapitre de l'indice du développement humain, qui tient compte de l'espérance de vie, du niveau d'instruction et du revenu ajusté.

Le Canada continue à jouir d'un système de santé enviable, bien que les réformes s'accompagnent de certains problèmes. L'accès à des services de santé assurés a été maintenu pour tous les Canadiens, quel que soit leur niveau de revenu.

Parmi les autres résultats positifs, signalons que la plupart des Canadiens âgés sont autonomes et en bonne santé, que les immigrants de fraîche date sont en bonne santé, que les Canadiens prennent des mesures pour améliorer leur santé et que les taux de mortalité et des années potentielles de vie perdues diminuent.

Le graphique qui se trouve à la page quatre porte sur les années potentielles de vie perdues. On constate que la maladie cardiaque et les blessures non intentionnelles, deux des principales causes de décès avant l'âge de 70 ans, continuent à décliner. Sur les 20 dernières années, nous avons vu en particulier une diminution impressionnante de la mortalité infantile. Toutefois, les blessures non intentionnelles qui sont presque toutes évitables restent la première cause de décès parmi les enfants et les jeunes.

Le cancer, qui est la principale cause d'années potentielles de vie perdues, a quelque peu décliné chez les hommes mais n'a fait que se stabiliser chez les femmes, en grande partie du fait de l'augmentation des décès dus au cancer du poumon chez les femmes.

Si le nombre de femmes qui fument ne diminue pas, nous verrons parmi elles une forte augmentation du nombre de décès attribuables au tabac dans les prochaines années.

Le vidéo a très bien montré que le niveau élevé de santé n'est pas partagé par tous et que les disparités s'expliquent par l'âge.

En 1990, un enfant sur cinq vivait dans des familles à faible revenu et, en 1995, ce chiffre était passé à un enfant sur quatre. C'est un problème important. Cela augmente les risques de décès durant la petite enfance, de faible poids de naissance, de retard dans le développement et d'exposition aux contaminants environnementaux.

La santé psychosociale de nos jeunes est inquiétante, de même que le niveau élevé de stress, de dépression et de suicide et des comportements à risques multiples.

Bien que les femmes aient une espérance de vie supérieure aux hommes, beaucoup risquent plus de souffrir de stress, de dépression, de maladie chronique et de blessures ainsi que de mourir à la suite d'un acte de violence familiale.

Les Canadiens autochtones ont fait des progrès impressionnants pour ce qui est du niveau d'instruction, de la mortalité infantile et de l'abus d'alcool ou d'autres drogues; toutefois, leur espérance de vie reste de sept ans inférieure à celle des autres Canadiens. Ils souffrent d'autre part de plus de maladies chroniques que l'ensemble de la population et il semble que certains problèmes continuent à augmenter.

Les enfants et les jeunes des familles autochtones ont beaucoup de problèmes respiratoires et sont victimes de blessures non intentionnelles et de décès prématurés dus aux noyades, suicides et autres causes. Beaucoup de problèmes de santé sont liés aux problèmes de logement et de nourriture, de chômage et de revenus.

L'ONU, qui place le Canada au premier rang au chapitre de l'indice du développement humain, ne le place qu'au dixième rang au chapitre de l'indice de pauvreté humaine pour les pays en développement en 1998 et au neuvième rang en 1999. L'ONU explique en effet que le Canada ne fait pas tout ce qu'il pourrait en matière d'alphabétisation, de chômage et de répartition des revenus.

J'attire votre attention sur le graphique de la page six qui montre l'état de santé autoévalué selon le niveau de revenu. Seulement 47 p. 100 des Canadiens du groupe des plus faibles revenus estiment que leur santé est excellente ou très bonne, contre 73 p. 100 dans le groupe des revenus les plus élevés. Vous voyez dans ce graphique que la progression socioéconomique a une incidence directe sur la santé. Cela se vérifie quelle que soit la cause du décès et quelles que soient les dépenses que nous faisons pour notre système de santé. Ces perceptions sont confirmées par des données statistiques. Les Canadiens dont les revenus sont inférieurs au seuil de faible revenu établi par Statistique Canada souffrent de plus de maladies et meurent plus jeunes que les Canadiens qui ont des revenus plus élevés.

Les ministres fédéral-provinciaux et territoriaux de la santé se sont mis d'accord sur les secteurs d'action prioritaire. Il faut notamment investir dans la santé des groupes clés -- enfants, jeunes et autochtones --, améliorer la santé en réduisant les écarts au chapitre de l'alphabétisation, de la scolarité et du revenu et, enfin, renouveler et réorienter les services de santé.

Investir dans la santé de la petite enfance s'impose si l'on en croit les études qui démontrent que les expériences vécues entre la conception et l'âge de six ans ont la plus grande influence sur le développement du cerveau et qu'ainsi tous les enfants et les familles peuvent bénéficier d'une stratégie intégrée pour le développement de la petite enfance.

Le deuxième groupe prioritaire sont les jeunes. L'on s'inquiète de la santé des jeunes, mais la participation de ceux-ci ne cesse de croître. Vous voyez que le nombre de jeunes femmes qui finissent leurs études postsecondaires n'a jamais été aussi élevé. Toutefois, le rapport indique qu'il est nécessaire de faire appel à la participation des jeunes pour régler les problèmes de santé et de bien-être qu'ils connaissent. Il indique d'autre part que les choix personnels de style de vie sont liés à la capacité des foyers, écoles, collectivités, lieux de travail et gouvernements de créer des environnements pour les jeunes qui facilitent les choix sains.

Le troisième groupe prioritaire sont les autochtones qui ont un rôle prépondérant à jouer lorsqu'il s'agit de trouver les moyens culturellement appropriés pour leur permettre d'améliorer leur santé et qui doivent pouvoir compter sur l'appui de tous les Canadiens dans cet effort.

Prendre des mesures pour offrir à tous les Canadiens les possibilités nécessaires pour obtenir une bonne scolarité, des aptitudes suffisantes pour lire, écrire et compter et un revenu suffisant pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles aiderait à faire de nos citoyens des personnes en bonne santé et de notre pays une nation prospère et compétitive. Lorsque nous parlons de renouveler et de réorienter les services de santé, c'est ce que nous voulons dire. Les études montrent que la promotion de la santé et la prévention de la maladie et des blessures donnent des résultats. Dans des secteurs comme l'immunisation, les mammographies et l'utilisation des ceintures de sécurité, nous avons vu des améliorations très sensibles, et les activités de prévention et de promotion doivent être maintenues et étendues.

Un certain nombre de problèmes sont signalés dans le rapport, notamment l'accès à des services non assurés, tels que les soins ophtalmologiques et dentaires, les médicaments sur ordonnance, les soins à domicile et l'orientation concernant les maladies mentales. Étant donné que beaucoup des facteurs déterminants de la santé dont je parle sortent du cadre des services de santé traditionnels, une stratégie essentielle pour améliorer la santé de la population serait d'établir des alliances avec d'autres secteurs. Le résultat idéal de ces collaborations serait de bonnes politiques gouvernementales dans tout un éventail de secteurs ainsi que dans le secteur de la santé. Celui-ci ne peut pas tout faire à lui seul et ne peut imposer son programme à d'autres mais il peut entamer un dialogue et des partenariats avec d'autres et collaborer au changement.

Nous devons accroître notre compréhension de la façon dont les déterminants de la santé influent sur le bien-être. Par ailleurs, le rapport signale qu'il serait nécessaire d'avoir de meilleures données sur l'efficacité, les responsabilités et la qualité des soins. Il suggère un changement de paradigme dans la façon dont nous concevons la santé et déclare que les actions prises sur les grands déterminants de la santé sont aussi importantes que les efforts que l'on fera au sujet du système des services de santé traditionnel. Il est évident que l'amélioration de la santé doit être une responsabilité partagée -- entre les différentes organisations responsables, entre les disciplines et les secteurs. Honorables sénateurs, ce que nous pouvons donner de mieux à la prochaine génération c'est un avenir de santé.

Le sénateur Carstairs: J'aimerais parler de la question des jeunes et, en particulier, des déclarations faites sur les niveaux de stress des jeunes de 18 à 19 ans. Je crois que vous indiquiez que 37 p. 100 d'entre eux déclaraient souffrir d'une forme ou une autre de stress.

Après avoir beaucoup travaillé avec des jeunes de cette catégorie d'âge, j'ai constaté pour ma part que le mot «stress» est un peu galvaudé. S'il y a quoi que ce soit qui les ennuie, ils se déclarent «stressés». Mes deux filles m'ont déclaré cela à plusieurs reprises. Habituellement, je leur suggère d'aller courir un peu, ce qui peut faire diminuer sensiblement ce fameux stress. Je reconnais d'autre part que si l'on considère l'augmentation du taux de suicide, en particulier chez les jeunes hommes, le stress mène à des comportements évidemment très malsains.

Quelle preuve avons-nous ou quelle analyse a été faite sur la raison pour laquelle ces jeunes pensent qu'ils souffrent de stress? Plutôt que de simplement nous dire qu'ils sont stressés, les études nous ont-elles jamais dit ce qui leur fait penser qu'ils sont stressés?

Mme Kusey: Selon le rapport, les jeunes de 18 et 19 ans, et en particulier les jeunes filles, disent qu'ils souffrent de stress. D'après des observateurs de l'extérieur du système, les jeunes, et en particulier les jeunes filles de 15 à 19 ans, selon les constatations des professionnels de la santé, montrent des signes de détresse et de stress. Cela répond-il à votre question?

Le sénateur Carstairs: En partie, même si j'ai l'impression que c'est un domaine dans lequel on pourrait faire des recherches et des études plus précises.

D'après vos statistiques, 9 p. 100 des jeunes souffrent d'une forme ou une autre de dépression. Sont-ils traités pour ces dépressions? D'après ce que j'ai constaté, la majorité des personnes qui, dans notre pays, souffrent de dépression ne sont pas traitées convenablement. Cela s'applique-t-il aux jeunes aussi?

Mme Mary Johnston, consultante en éducation, Division de l'enfance et de la jeunesse, Santé Canada: Pour ce qui est de la première partie de votre question, nous avons fait des études et d'autres groupes ont fait des études et demandé aux jeunes carrément ce qui était à l'origine de leur stress. Ils répondent l'école -- la nécessité de réussir, de gagner de l'argent pour qu'ils puissent faire des études, les pressions exercées par les parents pour qu'ils obtiennent de bons résultats, et, tout comme les adultes, la nécessité de trouver un équilibre entre le travail, la famille et l'école.

Pour ce qui est du traitement de la dépression, vous avez raison de dire que la majorité des jeunes qui souffrent de dépression subclinique, et même beaucoup de ceux qui souffrent de dépression clinique, ne sont pas diagnostiqués et traités comme il faudrait.

Nous savons d'après les études faites en Ontario et dans d'autres provinces que beaucoup des provinces cherchent des moyens d'intégrer les services afin que lorsque l'on constate à un endroit ou dans un contexte quelconque que les jeunes ont un problème de santé mentale, ils puissent être dirigés vers un spécialiste et traités plus rapidement.

Le sénateur Carstairs: Les discussions et débats en cours portent-ils sur le stigmate que l'on attache encore à la maladie mentale dans notre pays, alors que probablement une personne sur cinq au Canada souffrira à un moment ou à un autre de sa vie d'une forme quelconque de maladie mentale?

Mme Watson-Wright: Votre question porte-t-elle spécifiquement sur les jeunes?

Le sénateur Carstairs: C'est vrai pour tout le monde, mais en particulier pour les jeunes, le stigmate existe-t-il toujours?

Mme Johnston: Je dirais que d'après les études que nous avons faites dans le cadre de programmes scolaires et d'autres programmes destinés aux jeunes, le stigmate demeure. Il y a aussi le problème de l'autodiagnostic ou de la découverte et de l'évaluation clinique de la dépression clinique.

Le sénateur Carstairs: Ma dernière question porte sur les raisons que vous nous avez données, notamment les résultats scolaires. J'étais autrefois éducatrice.

Ce que j'ai constaté, et j'y vois une aberration, c'est que les attentes que l'on a aujourd'hui pour les jeunes sont tellement plus élevées qu'elles ne l'étaient pour ma génération. Par exemple, on demandait récemment des moyennes supérieures à la fin de l'école secondaire pour faire des études d'hygiène dentaire que pour faire des études de dentiste; également une moyenne supérieure pour faire de la physiothérapie que pour des études préparatoires à la médecine. La coïncidence veut que beaucoup de ces secteurs soient en général dominés par la gent féminine.

Ce n'est par forcément dans le mandat du ministère de la Santé, mais lorsque vous parlez de résultats scolaire, est-ce que c'est le genre de chose que l'on vous dit?

Mme Johnston: Nous recevons des réactions effectivement. Nous examinons les différents indicateurs. D'autre part, les ministères de l'Éducation examinent les indicateurs scolaires ainsi que ceux qui sont plus pancanadiens. Ils essaient de voir si l'on ne pourrait pas étendre cela au-delà des résultats scolaires.

Le sénateur Callbeck: Ma première question porte sur ce qu'a dit un témoin hier. Il disait qu'à son avis, il n'y avait pas suffisamment pas de données nationales concernant tout le secteur de la santé. Ils étaient très enthousiasmés du système au Manitoba. Pensez-vous que nous manquons effectivement de données dans le secteur de la santé? Dans l'affirmative, que faisons-nous à ce sujet?

Mme Watson-Wright: Je demanderais à M. Paradis de répondre.

M. Sylvain Paradis, gestionnaire intérimaire, groupe des politiques, Direction des politiques et des projets majeurs, Section de l'analyse quantitative et de la recherche, Direction générale de la promotion et de programmes de la santé, Santé Canada: Madame, il existe en fait déjà beaucoup de données. Ce ne sont pas toujours les données les plus utiles et on manque de certains types de données pour faire certains types d'évaluations.

Un des gros problèmes est comment aborder toutes ces données. Par exemple, si l'on considère la mortalité, les ressources humaines des hôpitaux et les médecins et les infirmières, Statistique Canada a tout un éventail de sondages et le Laboratoire de lutte contre la maladie de Santé Canada examine la maladie, la mortalité, la morbidité et d'autres facteurs semblables.

Pour pouvoir faire toutes ces évaluations, nous devons relier toutes ces données afin de comprendre ce que cela signifie. On a investi dans un projet intitulé Initiative du Carnet de route qui est un lien entre Santé Canada, l'Institut canadien d'information sur la santé, Statistique Canada et les provinces afin de mieux comprendre ce qui est nécessaire, d'insister sur les méthodes de compilation de données et sur des normes plus strictes dans ce domaine. C'est une initiative énorme.

Par exemple, l'Enquête nationale sur la santé de la population se fait tous les deux ans et porte sur les 20 000 mêmes personnes. Vous pouvez effectivement suivre ainsi les mêmes personnes, voir si leurs conditions s'améliorent, si elles empirent, quel est leur état de santé et si elles sont fortement stressées.

D'autre part, nous venons de créer une nouvelle enquête intitulée l'Enquête canadienne sur la santé communautaire qui approfondira la question dans les collectivités en prenant un échantillonnage plus important de 150 000 foyers.

Le problème est que nous ne pouvions évaluer correctement les choses dans les petites régions parce que nous n'avions pas des chiffres suffisants. Nous augmentons donc l'échantillonnage afin de mieux capter ce qui se passe.

De même, le comité consultatif sur la santé de la population examine des statistiques de l'état civil telles que la cause de décès et la qualité du dossier. Nous espérons pouvoir ainsi améliorer la qualité des rapports produits à partir de ces données. Cela se fait systématiquement avec toutes les organisations.

Le sénateur Callbeck: Autrement dit, nous travaillons à trouver un meilleur système.

M. Paradis: Si l'on veut faire des comparaisons internationales, nous fournissons habituellement des données qui répondent aux normes internationales, alors que d'autres pays ne le peuvent pas. Le Canada met au point des tas de nouveaux indicateurs. Nous possédons énormément d'informations. Les recherchent indiquent que l'on dispose de beaucoup d'informations.

Mme Watson-Wright: Pour répondre à votre, sénateur Callbeck, nous y travaillons en effet.

Le sénateur Callbeck: En 1974, le ministre de la Santé de l'époque, M. Lalonde, avait présenté un rapport. En 1984, le ministre de la Santé d'alors, M. Epp, en a présenté un autre. Je crois qu'ils traitaient l'un et l'autre de la santé de la population. Nous en avons encore un autre maintenant, ou est-ce que ce que vous venez de faire n'est pas aussi approfondi que les deux autres rapports?

Mme Watson-Wright: Non, ce rapport est tout à fait différent des autres. Il s'agit de réunir des statistiques et de voir en quoi cela doit orienter nos politiques. Les deux autres étaient des rapports beaucoup plus intellectuels sur la façon dont nous pourrions changer ce que nous faisons et changer le monde. On envisage de faire un autre rapport dans ce sens mais celui dont nous parlons aujourd'hui est tout à fait différent.

Le sénateur Callbeck: Ces deux autres rapports traitaient de la santé de la population au Canada. Depuis cela, depuis les rapports de 1974 et de 1984, quelles initiatives majeures a pris le gouvernement fédéral dans ce domaine?

M. Paradis: En fait, le premier rapport était un rapport assez général portant sur quatre secteurs différents -- la biologie, les comportements personnels, un système de santé public et l'environnement.

Le rapport de M. Epp portait spécialement sur la promotion de la santé. Si vous vous souvenez, M. Glouberman, hier, a parlé de quatre phases dans le système de santé.

La nouvelle vague est la santé de la population qui porte beaucoup plus sur les conditions de vie. Le rapport de M. Epp portait plus sur les habitudes des gens, sur l'éducation en matière de santé et sur le soutien communautaire. Le nouveau rapport porte sur des sujets plus larges tels que la scolarité, le revenu, la petite enfance, la culture et les facteurs dépendant du sexe de l'individu. C'est une nouvelle orientation. Nous faisons cela en collaboration avec les provinces. La plupart des documents viennent du comité consultatif sur la population et la santé.

Le sénateur Callbeck: J'ai lu le rapport en 1974, mais il semblait très axé sur la santé de la population comme l'était le rapport de M. Epp. Ma question est en fait la suivante: quelle est la principale orientation prise par le gouvernement fédéral dans ce domaine depuis ce temps?

Mme Watson-Wright: Si vous me permettez d'essayer de répondre à cette question, il y a certaines importantes approches qui ont été adoptées. Il ne fait aucun doute que la promotion de la santé de la population dans le cadre des initiatives de Santé Canada représente un facteur important. Un certain nombre d'initiatives plus retreintes ont été prises, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé.

Pour vous en brosser un tableau satisfaisant, il serait important de rassembler toute cette information pour vous plutôt que d'essayer de vous décrire certaines de ces initiatives.

L'important, comme vous le savez sans doute déjà, c'est de réunir avec le secteur de la santé d'autres secteurs de manière à se pencher sur les déterminants.

Si vous aimeriez que nous synthétisions pour vous toutes les initiatives prises dans le cadre de cette approche axée sur la santé de la population, nous nous ferons un plaisir de le faire.

Le sénateur Callbeck: Je me demandais s'il y avait de grandes initiatives qui se démarquaient vraiment.

Mme Watson-Wright: M. Paradis pourrait peut-être parler de l'Initiative sur la santé de la population canadienne.

M. Paradis: Dans le cadre de l'Initiative du Carnet de route dont je parlais plus tôt, bien que le rapport de M. Lalonde traite des quatre secteurs des conditions sociales et environnementales, nous n'avons pas eu beaucoup d'indications concernant ce facteur.

Ce rapport indique vraiment des disparités au niveau de l'économie sociale. Nous avons considéré qu'il était important de faire de nouvelles recherches pour présenter ces facteurs au niveau de la condition sociale.

Une nouvelle initiative, appelée l'Initiative sur la santé de la population canadienne, rassemble des chercheurs de l'Institut canadien de recherches avancées. M. Fraser Mustard en fait partie. Ils examinent des liens très précis entre les facteurs.

L'un des aspects sur lesquels ils se penchent, c'est l'impact de l'environnement ainsi que l'impact de la pauvreté. Comment l'environnement même touche-t-il la population? Nous n'avons pas beaucoup de renseignements sur cette question. C'est là où nous sommes en train d'actualiser les propositions présentées dans le rapport Lalonde, propositions qui n'ont pas été mises en oeuvre au cours des ans. C'est la principale initiative. Nous avons commencé à examiner les conditions dont nous connaissions l'existence mais qui n'avaient jamais été examinées de près.

La vice-présidente: Dans votre rapport, vous indiquez que les cas d'asthme ont augmenté de façon spectaculaire parmi les jeunes enfants au cours des dix dernières années. Pouvez-vous nous fournir plus de précisions à ce sujet? L'impression que l'on a c'est que l'on vit dans un environnement où il y a moins de fumée qu'auparavant. Avez-vous des données qui indiquent pourquoi les cas d'asthme augmentent? Est-ce à cause de l'environnement?

M. Paradis: Le rapport n'aborde pas cette question proprement dite, mais une étude préparée par Santé Canada il y a quelques années indiquait que lorsque la température augmente, il existe des conditions plus susceptibles de déclencher des crises d'asthme dans un corridor géographique s'étendant du midwest à la ville de Québec, y compris toute la région des Grands Lacs. Il s'agit certainement d'un important facteur.

Je crois que le risque d'années potentielles de vie perdues est relativement uniforme, puisque l'on constate un nivellement pour tous les âges. Cependant, si nous adoptons une approche axées sur des groupes d'âge en particulier, nous constatons des variantes systématiques parmi ces groupes.

La vice-présidente: S'il y a eu une augmentation spectaculaire des cas d'asthme parmi les jeunes enfants, alors de toute évidence cette ligne ne restera pas uniforme. Si l'asthme touche ce groupe d'âge en particulier, on peut sûrement recueillir davantage de données. Il doit y avoir un facteur quelconque qui explique cette augmentation. Nous croyons tous que l'air que nous respirons et que l'air dans les édifices sont moins pollués, mais de toute évidence ce n'est pas le cas.

Mme Watson-Wright: Si vous me le permettez, je demanderais à Mme Johnston de répondre à cette question.

La vice-présidente: Il existe peut-être aussi d'autres facteurs.

Mme Johnston: Santé Canada est en train de préparer un autre rapport qui examine le développement des enfants selon chacun des déterminants de la santé. En ce qui concerne l'environnement physique, nous avons recueilli une grande quantité de données sur l'air.

Nous savons que l'hospitalisation s'accroît pour les cas de détresse respiratoire. Le taux d'asthme chez les jeunes enfants augmente habituellement lorsque la concentration d'ozone au niveau du sol augmente dans le corridor Windsor-Québec. L'ozone au niveau du sol est une question de pollution atmosphérique.

Comme M. Paradis l'a dit, nous devons travailler sur plusieurs fronts à la fois. Nous pouvons prendre des mesures pour assurer des environnements sans fumée, mais il faut d'abord que l'air à l'extérieur soit pur. Nous devons réduire nos niveaux de pollution et l'ozone au niveau du sol dans l'environnement extérieur. Les environnements intérieurs et extérieurs sont étroitement liés.

Le sénateur Cohen: Hier, M. Mustard nous a expliqué les maladies qui touchent les personnes âgées. La recherche a permis de constater que l'on peut retracer l'origine de certaines maladies au cinq premières années de la vie d'un enfant, et même jusqu'à la conception. Nous savons que les enfants de familles à faible revenu courent beaucoup plus de risques en matière de santé. Si la mère qui porte l'enfant n'a pas une alimentation adéquate, l'enfant aussi souffrira de carences. Cela se répercute sur la santé en général.

Pourrait-on améliorer la santé des Canadiens grâce à des programmes d'intervention dès la petite enfance dans des centres d'aide aux parents ou des centres de soins à l'enfance? Je ne parle pas de garderies. Je parle de centres qui pourraient aider les gens à faible revenu et même certaines familles de classe moyenne, où les deux parents travaillent et qui n'ont pas de grands-parents ou de famille élargie pour leur offrir l'appui qui existait à l'époque où j'ai grandi au Canada après la Deuxième Guerre mondiale. J'aimerais entendre certains de vos commentaires sur la façon dont des fonds consacrés à des programmes d'intervention dès la petite enfance permettraient d'assurer des programmes à l'intention des enfants.

Mme Watson-Wright: Je demanderais à Julie MacKenzie, qui s'occupe précisément des questions relatives à l'enfance à Santé Canada, de répondre à cette question.

Mme Julie MacKenzie, analyste principale en recherche, Division de l'enfance et de la jeunesse, Santé Canada: Honorables sénateurs, il s'agit d'une très bonne question à laquelle travaillent à l'heure actuelle les responsables de Santé Canada.

En ce qui concerne les coûts-avantages ou les dollars consacrés à des programmes d'intervention dès la petite enfance, plusieurs études ont été faites, surtout aux États-Unis où le financement de leurs programmes appelés Head Start a commencé dans les années 60. Ces études ont permis de suivre les enfants jusqu'à l'âge adulte. À l'heure actuelle, il s'agit de la plus importante source de données en général.

Les programmes qui ont été mis sur pied aux États-Unis dans les années 60 mettent l'accent sur les enfants à risque élevé, de familles à faible revenu, qui de toute évidence ont un contexte culturel différent que celui des enfants au Canada. Un grand nombre des indicateurs de base sont assez comparables à ceux des enfants au Canada.

La Rand Corporation a constaté que pour chaque dollar consacré à l'intervention dès la petite enfance, on économise 7 $ en bout de ligne. Ce ratio concerne les coûts éventuels économisés au niveau de la prévention du crime, du non-recours à l'aide sociale et ainsi de suite.

Pour revenir sur ce que M. Mustard a dit hier, ce qui nous préoccupe à Santé Canada et ce qui préoccupe les provinces, c'est de tâche d'augmenter le poids à la naissance qui est insuffisant, ce qui est une dépense clé pour le système. L'insuffisance de poids à la naissance est la cause de 75 p. 100 des morts néonatals. Les enfants qui survivent coûtent très cher au système de soins de santé et de services sociaux. On calcule que l'on consacre environ 200 000 $ au cours de la première année de vie d'un enfant qui survit. Nous espérons réduire ce taux en injectant un montant d'argent relativement modeste dans les soins prénataux et la nutrition et même dans la santé préalable à la conception. Le vidéo indique que ce taux a diminué, mais il n'est certainement pas aussi faible que le taux qu'affiche les autres pays de l'OCDE, surtout le Japon et les pays du Nord. Il est possible de réduire encore plus ce taux, et cela permettrait au système de soins de santé et aux services sociaux de réaliser d'énormes économies.

Le sénateur Cohen: Je m'intéresse davantage à l'intervention précoce après la naissance. Existe-t-il des statistiques sur l'efficacité d'un tel programme, ou s'agit-il d'un nouveau phénomène que l'on vient tout juste d'examiner. A-t-il fait ses preuves dans d'autres pays?

Mme MacKenzie: Pour ce qui est de l'intervention précoce, surtout en Amérique du Nord, l'activité a surtout porté sur les enfants à risque élevé. Cela signifie habituellement les enfants appartenant à des familles à faible revenu. Les données d'évaluation et les études d'économies de coûts sont légèrement faussées puisqu'elles examinent cette catégorie particulière d'enfants. Votre question était plus générale. Vous vouliez que l'on étende cela aux familles à revenu moyen.

Nous devons examiner les évaluations et les enquêtes qui ont été faites dans les pays européens parce qu'ils ont depuis assez longtemps des systèmes plus vastes de soutien social, de programmes de soins à l'enfance et de centres d'aide aux parents. Je ne dirais pas qu'il s'agit de systèmes universels mais ils sont plus généralisés que ceux qui existent ici. On constate des résultats positifs pour tous les groupes socioéconomiques.

Le sénateur Cohen: Santé Canada a-t-il certaines de ces études que nous pourrions examiner?

Mme MacKenzie: Nous pourrions probablement vous les obtenir. Je crois que M. Mustard a fait circuler son rapport sur les premières années, et il a mentionné certaines études. Il en a fait mention de façon assez détaillée. Nous pourrions tâcher de vous les fournir aussi.

Le sénateur Cohen: Lorsque nous nous sommes déplacés un peu partout dans le pays pour étudier la question de la pauvreté le printemps et l'été dernier, bien des gens se sont plaints que nous avions abaissé nos normes nationales en matière de soins de santé. Je sais que l'expression «normes nationales» n'est pas populaire dans les provinces aujourd'hui. Avons-nous besoin de normes nationales dans notre système de soins de santé ou devons-nous laisser chaque province développer ses propres normes? Dans l'affirmative, selon vous, quel devrait être le rôle du gouvernement fédéral à cet égard?

Mme Watson-Wright: Il existe à l'heure actuelle un groupe au sein de Santé Canada qui s'occupe du rôle fédéral général en matière de santé, et ce groupe doit comparaître devant votre comité le 5 avril. Avec votre permission, je crois qu'il serait préférable de laisser ce groupe répondre à cette question.

Le sénateur Keon: Il est très encourageant de constater l'information en train d'être recueillie sur la santé de la population, les améliorations qui sont apportées au mode de collecte de données et l'évolution de l'Institut canadien d'information sur la santé. Il est à espérer que le système canadien d'information sur la santé sera d'une grande aide à cet égard.

Je crains que nous n'ayons pas une seule façon de fermer la boucle. En raison de notre mosaïque canadienne, nous avons cette zone grise fédérale-provinciale en matière de compétences et de communication. Je félicite les ministres fédéral et provinciaux actuels ainsi que leurs sous-ministres des efforts qu'ils déploient pour résoudre cette question. Il n'en reste pas moins qu'il y a un manque de rétroaction dans le système.

Nous recevons beaucoup d'information maintenant sur la santé de la population, mais il faut beaucoup de temps avant que cette information atteigne les populations qui sont les plus touchées. Il doit exister une meilleure façon de procéder.

Comment devrait fonctionner ce système à votre avis? Vous avez votre information. Elle arrive dans le système pour qu'on y donne suite. Vous fermez le cercle avec les provinces et les territoires qui fournissent les soins de santé et qui sont, dans une grande mesure, responsables des facteurs environnementaux et de certains autres déterminants de la santé.

Mme Watson-Wright: C'est toute une question. Je ne suis pas sûre de bien comprendre exactement ce que vous voulez. De toute évidence, l'idéal serait d'avoir une collecte de données en parallèle et une suite en temps réel à ces données. Pourrais-je vous demander de reformuler votre question?

Le sénateur Keon: Je pense que l'un des principaux problèmes que nous connaissons au niveau de la recherche sur la santé et de la prestation de soins de santé, et en fait au niveau de la santé publique, c'est la fragmentation et les lacunes en matière de communication. Nous n'avons pas réussi à intégrer ces divers services de manière à ce que nous puissions en tirer tous les avantages possibles. Je ne veux pas dire que ce serait facile à faire, mais j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Paradis: Vous avez mis le doigt sur le problème que nous avons. Le fait que l'Initiative du Carnet de route et le projet de l'Institut canadien d'information sur la santé de même que le projet CIHP relèvent désormais du Comité consultatif sur la santé de la population crée certainement une dynamique plus vaste entre le gouvernement fédéral et les provinces. Statistique Canada s'apprête à présenter un nouveau rapport de même que l'ICIS. La capacité de rendre compte s'accélérera de façon incroyable.

L'une des difficultés que nous éprouvons lorsque nous rassemblons tous ces fichiers, c'est la confidentialité des renseignements personnels. Bien des Canadiens craignent que des organisations gouvernementales et non gouvernementales fassent le lien entre le nombre de visites qu'ils font à leur médecin et le nombre de médicaments qu'ils prennent. Ils ont l'impression d'être espionnés par Big Brother. L'Initiative du Carnet de route examine aussi les dimensions juridiques des droits individuels et collectifs, et cela rend certainement plus aigu le problème dont vous parlez.

En ce qui concerne l'Initiative sur la santé de la population canadienne, il y a une énorme représentation provinciale. La croissance de l'Institut de recherche sur la santé est aussi un très bon moyen d'améliorer, de simplifier et d'accélérer l'exécution. Nous avons tâché de le faire par l'intermédiaire, entre autres, du Réseau canadien sur la santé. J'ignore si vous avez eu l'occasion de visiter ce site Web, mais il réunit environ 400 sites Web de grande qualité renfermant des renseignements sur la santé, ce qui accélérera ce processus.

Je conviens que certaines provinces sont plus avancées, comme le Manitoba, pour ce qui est de relier les bases de données. C'est ce qu'a fait la Colombie-Britannique. Dans la dernière enquête de Statistique Canada, elle avait augmenté sa part de répondants aux enquêtes afin de recueillir une meilleure information. Il n'en reste pas moins qu'il est assez difficile de relier ces fichiers de données à cause des incidences en matière de confidentialité que cela comporte.

Le sénateur Keon: C'est un problème avec lequel nous nous sommes débattus.

La vice-présidente: Vous n'avez peut-être pas cette information sous la main, mais dans les bases de données, quel est le pourcentage des coûts de santé qui sont attribuables aux traitements de personnes qui subissent des blessures non intentionnelles? Le savez-vous?

M. Paradis: Je n'ai pas ces données avec moi, mais il existe un rapport intitulé: «Le fardeau économique de la maladie». Je pense que c'est maintenant le troisième ou quatrième rapport. Nous pouvons vous le fournir. Je suis désolé de ne pas l'avoir apporté avec moi aujourd'hui.

La vice-présidente: Il me semble que si les gens étaient mieux informés à cet égard, cela libérerait plus de ressources pour s'occuper des gens qui sont victimes de maladie et non victimes de blessures non intentionnelles. C'est une information que j'aimerais avoir à un certain moment.

M. Paradis: Les blessures non intentionnelles constituent un phénomène intéressant. Leur fréquence a nettement diminué au Canada mais elles n'en restent pas moins l'une des causes les plus répandues de décès dans la majorité des groupes d'âge plus jeunes.

La vice-présidente: À la télévision ce matin, on a présenté un reportage sur les jeunes au volant et sur le fait que le risque de blessures graves ou de décès augmente selon le nombre de personnes présentes dans la voiture. C'était un reportage intéressant.

M. Paradis: L'Organisation mondiale de la santé, en collaboration avec la Banque mondiale et le Harvard Center for Population and Development Studies, a préparé un ouvrage intitulé: The Global Burden of Disease. On y indique que les accidents de la route sont un problème de plus en plus fréquent dans les pays industrialisés et les sociétés de marché établies.

La vice-présidente: Je tiens à remercier chacun d'entre vous pour vos exposés.

Chers collègues, notre deuxième témoin aujourd'hui est M. Keith Banting.

Vous avez la parole, monsieur Banting.

M. Keith Banting, directeur, École des études en politique publique, Université Queen's: Honorables sénateurs, je tiens tout d'abord à féliciter le comité sénatorial d'avoir entrepris cette étude. Il s'agit de toute évidence d'un examen ambitieux qui exigera de l'endurance de la part des membres du comité puisqu'il s'agit d'une étude d'une vaste portée et à long terme. Elle est extrêmement opportune. Le Sénat s'est souvent chargé de lancer le débat sur des questions d'une importance primordiale pour notre pays. Je lui transmets mes meilleurs voeux.

Lorsque l'on m'a d'abord demandé de comparaître devant vous, j'ai hésité parce que bien que j'aie travaillé dans le domaine de la politique sociale canadienne et du fédéralisme canadien, je ne suis pas un spécialiste de la santé, et j'ai donc répondu que vous devriez peut-être faire appel à d'autres personnes. Cependant, on a reconnu que dans le contexte de votre discussion générale, une rétrospective de certaines des vastes approches en matière de politique sociale dans ce pays, et en particulier les relations fédérales-provinciales et le rôle de différents paliers de gouvernement, pourrait être utile. C'est là où je pourrais peut-être contribuer, dans la mesure de mes moyens limités, à vos délibérations.

Je vous parlerai du débat entourant l'union sociale au Canada; à savoir le débat sur la relation entre notre système fédéral et les façons dont nous abordons la politique sociale et dont nous avons organisé nos relations par le passé, les raisons pour lesquelles ces relations se sont détériorées au cours des récentes décennies, et les orientations que nous semblons établir au moyen de l'entente-cadre sur l'union sociale, et les incidences que cela risque d'avoir sur le débat entourant les soins de santé au cours des prochaines années. C'est un énorme mandat et on m'a demandé de limiter mes observations à dix minutes. Lorsque je l'ai dit aux membres de ma famille, ils ont éclaté de rire car ils trouvent que je suis programmé pour parler en séquences de 50 minutes.

Compte tenu de l'ampleur du thème abordé, j'ai fait circuler parmi vous un document avec des chiffres permettant de souligner certains des points auxquels je ferai allusion. Nous pourrons nous reporter aux points particuliers ou à d'autres questions que vous voudrez soulever au cours de la discussion car je n'aurai pas le temps de développer tous ces points.

Lorsque l'on soulève la question du fédéralisme et des relations entre les paliers de gouvernement dans un débat sur la politique sociale, on perd vite l'intérêt de son auditoire. Les gens préféreraient nettement mettre l'accent sur les vraies questions, comme les soins de santé et les types d'intervention qui amélioreront la vie des gens -- le genre de choses dont vous avez discuté tout récemment avec des représentants de Santé Canada.

En règle générale, le débat semble se cantonner à des questions d'argent et de pouvoir, deux éléments perpétuels de notre vie politique, mais pour bien des citoyens, ces deux éléments semblent empêcher d'aborder les vraies questions. À ce niveau, je pense que les citoyens ont raison.

Cependant, j'estime qu'il existe des questions clés qui sous-tendent le débat à propos de notre système fédéral et de notre politique sociale. À bien des égards, nous élaborons nos opinions sur certains des éléments fondamentaux de la vie au Canada dans un contexte fédéral-provincial ou intergouvernemental. Dans le contexte actuel, nous élaborerons -- en grande partie et, sans nous y limiter -- les valeurs de notre politique sociale au moyen du mécanisme des débats intergouvernementaux. Il s'agira d'un mécanisme important pour débattre du rôle des secteurs public et privé dans la prestation des soins de santé. De toute évidence, l'une des façons dont nous y arriverons consistera à en débattre dans un contexte fédéral-provincial et dans le cadre d'ententes comme l'entente-cadre sur l'union sociale.

Beaucoup de nos attitudes sur le genre de démocratie que nous avons dans notre pays sont aussi définies dans le contexte des débats sur les relations fédérales-provinciales: les questions de reddition des comptes entre les citoyens et leurs gouvernements; les questions de transparence et de participation aux décisions dans notre pays; et les questions de divisibilité et la contribution que les différents gouvernements apportent aux principaux programmes qui influent sur la vie des citoyens. Ces questions sont souvent résolues, ou du moins délimitées, grâce aux relations intergouvernementales que nous établissons dans notre pays.

La mesure dans laquelle les citoyens et les groupes sociaux intéressés peuvent participer au processus d'élaboration des politiques est souvent déterminée par la façon dont nous structurons nos ententes fédérales-provinciales ou par la façon dont nous élaborons nos relations intergouvernementales. Il existe souvent une tension entre nos processus intergouvernementaux et nos processus de participation.

Lorsque nous parlons de relations fédérales-provinciales, nous parlons surtout du genre de pays que nous voulons former. S'agit-il d'un pays où il existe une communauté commune -- une communauté de citoyens canadiens suffisamment solide pour adopter une approche commune en matière de politiques sociales et en matière de politiques sur la santé, qui sont fondamentales? Ou sommes-nous, pour utiliser une autre expression, une communauté de communautés où l'important est de pouvoir bâtir un système qui reflète les différences régionales, linguistiques et autres de notre pays?

Comment concilier ces deux notions du Canada? À bien des égards, le débat à propos de ces questions ne suscite effectivement pas beaucoup d'enthousiasme. Lorsque je parle à mes étudiants à l'Université Queen's, ils deviennent découragés lorsque j'arrive à cette étape du débat. Je crois en fait que c'est la façon dont les Canadiens débattent des grandes questions. C'est la façon dont nous définissons nos attitudes concernant le rôle du gouvernement. C'est la façon dont nous définissons notre notion de la démocratie et le type de pays que nous formons. Par conséquent, je ne m'excuse pas d'être un peu un mordu du fédéralisme. J'espère simplement arriver à convaincre les gens qu'il s'agit d'un moyen important permettant aux Canadiens de se définir.

Dans ce contexte aujourd'hui, j'ai pensé parler des mécanismes que nous avons utilisés traditionnellement pour structurer nos relations en matière de politiques sociales et de politiques sur la santé. Je tiens à parler de ce que j'appellerai l'union sociale d'après-guerre, les processus que nous avons établis et pourquoi ils se sont détériorés. Je voudrais vous parler de la nouvelle entente qui a été mise sur pied -- l'entente-cadre sur l'union sociale. J'aimerais aussi parler des incidences sur les soins de santé dans ce contexte. Une meilleure façon de l'exprimer serait sans doute de demander: quelles sont les incidences des soins de santé pour l'avenir de l'entente-cadre sur l'union sociale? Je pense que c'est probablement plus important que l'inverse.

Je passerai maintenant aux modèles de fédéralisme.

L'argument que je veux faire valoir est assez simple. Il est vraiment préférable de ne pas avoir un esprit méthodique lorsque l'on discute du fédéralisme canadien parce que nous avons toujours eu divers modèles et diverses façons d'organiser nos relations. Nous avons un menu d'options. Il existe essentiellement quatre moyens de diviser les relations entre les gouvernements fédéral et provinciaux, et nous avons eu tendance à tous les utiliser. La question à laquelle nous faisons face aujourd'hui consiste à déterminer comment nous pouvons rééquilibrer ce menu. Il se trouve que certains de ces mécanismes sont en train de s'affaiblir et que certains prennent plus d'importance, et ils ont des incidences très différentes.

Selon le modèle classique du fédéralisme, le gouvernement fédéral a telles et telles sphères de compétence et les gouvernements provinciaux ont telles et telles autres. Les deux paliers de gouvernement prennent des décisions séparées dans leurs sphères de responsabilité respectives. Ils sont directement responsables envers leurs citoyens. Ils perçoivent leurs propres impôts. Ils exécutent leurs propres programmes. Ils sont responsables devant leur propre électorat et l'intégration ou la coordination des activités des deux paliers de gouvernement ne fait l'objet d'aucune priorité.

Traditionnellement, nous avons utilisé l'expression «compartiments étanches» pour décrire cette notion du fédéralisme. Pour ceux qui croient dans cette notion, l'important est de réduire le chevauchement et le double emploi, faire en sorte que les deux gouvernements ne mettent pas le nez dans les affaires l'un de l'autre, et les laisser être directement responsables devant leurs citoyens. C'est un modèle qui met l'accent sur la souplesse des systèmes et la capacité des différents gouvernements de réagir à la diversité du pays. Selon ce modèle, on ne cherche pas à trouver des démarches canadiennes communes dans une multiplicité de domaines. L'important dans État fédéral est d'avoir des approches diverses.

Les trois modèles suivants prévoient que l'interdépendance est inévitable dans une société moderne, dans un État fédéral moderne. Ils présentent différentes façons d'administrer cette interdépendance entre les paliers de gouvernement.

Le deuxième modèle est ce que j'appelle le fédéralisme coopératif. Nous avons fait beaucoup appel à ce modèle dans la période d'après-guerre. Essentiellement, selon ce modèle, le gouvernement fédéral établit des programmes à coûts partagés. Le gouvernement fédéral assure le financement des programmes exécutés dans les sphères de compétence provinciales par des gouvernements provinciaux, tant que ces programmes respectent les conditions, les principes ou les objectifs établis par le Parlement fédéral.

Comme je l'ai dit, on s'est beaucoup servi de ce mécanisme. L'important ce matin est de souligner le fait que bien que l'on ait tâché d'intégrer les deux paliers de gouvernement, légalement ces deux paliers de gouvernement sont restés libres de modifier leur position, leur niveau de participation et leur engagement dans un domaine donné. Il ne fait aucun doute que le gouvernement fédéral, selon le modèle coopératif, est capable d'agir de façon indépendante ou, comme le diraient les critiques, de façon unilatérale. Le gouvernement fédéral est capable de modifier les conditions dans lesquelles il assure un financement et est capable de modifier le niveau de financement fourni, sans contraintes légales. Il est libre d'apporter ce genre de changements.

Il est important de souligner qu'en vertu de ce modèle, les gouvernements provinciaux peuvent aussi agir de façon indépendante. Ils peuvent choisir de participer ou non à un programme. Traditionnellement, de nombreuses provinces ont pris un certain temps avant de décider de participer à certains de nos programmes. Il fallu sept ans pour que les provinces décident de participer au Programme de pensions de vieillesse qui a existé dans les années 20 et 30. Les provinces pouvaient décider d'apporter des changements et acceptaient les pénalités fédérales. Par exemple, pendant une certaine période, le gouvernement de la Colombie-Britannique a choisi d'imposer des conditions de résidence aux personnes provenant d'autres provinces qui demandaient alors de l'aide sociale à la province de la Colombie-Britannique. Cela allait clairement à l'encontre des conditions du régime d'aide sociale de l'époque, mais il était légalement possible pour la province d'agir ainsi tant qu'elle était prête à accepter la pénalité prévue.

Politiquement, il a toujours été difficile pour les provinces d'agir de façon indépendante, mais légalement -- et c'est le point que je tiens à souligner -- elles pouvaient le faire.

Le troisième modèle est celui de la cogestion. Ce qui est important dans ce cas-ci c'est que, sur le plan légal, l'unilatéralisme est extirpé du système. Sur le plan légal donc, le gouvernement fédéral ne peut pas intervenir sans l'assentiment des provinces, et vice-versa.

Le seul exemple que nous connaissions chez nous est le Régime de pensions du Canada. C'est un régime qui ne peut être modifié sans l'aval du Parlement fédéral et d'une majorité des assemblées législatives provinciales. Les critères du régime sont extrêmement contraignants. Il faut deux tiers des provinces représentant deux tiers de la population. C'est un critère plus rigoureux que la formule prévue pour modifier la plupart des dispositions de la Constitution.

Ce modèle est une bonne façon de gérer l'interdépendance. Il y a en l'occurrence deux ordres de gouvernement qui sont tous deux parties prenantes, mais ce modèle diffère du fédéralisme coopératif en ce sens que, selon la loi, le gouvernement fédéral ne peut agir sans le consentement des gouvernements provinciaux, et que les provinces ne peuvent opter pour quelque déviation que ce soit en marge du régime. Lorsque je dis cela, j'exclus la Régie des rentes du Québec. Nous pourrions en discuter si cela vous intéresse, mais c'est plutôt la notion de cogestion qui est mon propos ici.

Le dernier modèle est le modèle interprovincial. Je ne m'étendrai pas longtemps sur ce sujet parce que ce n'est pas une formule que nous utilisons beaucoup, si ce n'est dans le domaine de la politique en matière d'éducation.

En ce qui me concerne, l'important ici c'est que le moyen terme entre ces trois modèles a changé depuis l'après-guerre. Le modèle de coopération a petit à petit disparu du paysage et la véritable question qui se pose est dans quel sens allons-nous faire le saut. Allons-nous opter pour le modèle classique ou pour le modèle de cogestion pour gérer les relations fédérales-provinciales?

Permettez-moi maintenant d'expliquer en quelques mots de quelle façon nous avons évolué entre ces deux modèles pendant l'après-guerre. Par souci de concision, je rappellerais que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux avaient d'importants champs de compétence en matière de politique sociale pendant la période de l'après-guerre. Sur un plan général, on disait que les gouvernements provinciaux avaient l'essentiel de la responsabilité dans toute une palette de domaines relevant de la politique sociale, mais que le gouvernement fédéral avait également sa juridiction autonome, qui découlait souvent de certaines modifications constitutionnelles, comme dans le cas de l'assurance-chômage ou des pensions. Le plus important était que le gouvernement fédéral avait le pouvoir de dépenser, ce qui est au coeur même du débat qui nous occupe. Il vaudrait peut-être la peine de prendre quelques instants pour souligner l'importance de la chose.

Selon la Constitution, le pouvoir de dépenser est réputé appartenir au gouvernement fédéral qui fait des paiements aux particuliers, aux institutions ou aux gouvernements provinciaux, et qui fait même des paiements dans des champs d'action pour lesquels, selon la Constitution, il n'a ni pouvoir législatif, ni pouvoir réglementaire. Le gouvernement fédéral est censé avoir le pouvoir constitutionnel de faire des paiements aux particuliers, allocations familiales ou prestations pour enfants par exemple, ou de faire des paiements à des institutions, par exemple subventions de recherche aux universités, ou encore de faire des paiements aux provinces. Ce pouvoir n'est pas à proprement parler inscrit dans la Constitution, mais un certain nombre d'autres instances en ont fait cette interprétation constitutionnelle. C'est ce pouvoir qui a été à la base de l'avènement au Canada de l'État-providence et du développement d'une politique en matière de santé. C'est également ce pouvoir qui a été le plus controversé.

Un pouvoir comme celui-là se retrouve dans la Constitution de quasiment tous les États fédéraux, mais dans l'exemple canadien, il n'a jamais été inscrit explicitement et il n'a jamais non plus été assujetti explicitement à quelque mesure de contrôle que ce soit. L'essentiel de la polémique et des tiraillements qui sont survenus au Canada s'est articulé autour de la question suivante: l'exercice du pouvoir de dépenser du palier fédéral devrait-il être assujetti à un processus d'approbation autre que la décision exclusive du gouvernement et du Parlement fédéraux.

Pendant l'après-guerre, il y avait au Canada un mélange de juridictions et de pouvoirs. C'est à partir de ce mélange que nous fonctionnions et j'en ai parlé il y a quelques instants. Dans une certaine mesure nous nous servions du modèle classique du fédéralisme dans lequel chaque ordre de gouvernement intervient dans son secteur de juridiction propre. Par exemple, le gouvernement fédéral payait la Sécurité de la vieillesse et faisait d'autres transferts directs aux particuliers, alors que les gouvernements provinciaux conduisaient leurs propres programmes sans lien aucun avec le gouvernement fédéral. Il s'agissait par exemple des programmes d'indemnisation des accidents du travail ou encore de l'enseignement primaire et secondaire. Comme je le disais, notre système comportait certains éléments tout à fait classiques.

Il y avait également le fédéralisme de concertation, le fédéralisme coopératif, c'est-à-dire cet ensemble de programmes à frais partagés dont je parlais et qui était essentiel à la conduite des grands programmes de services sociaux au Canada: la santé -- ou à tout le moins l'assurance-maladie --, l'enseignement post-secondaire, l'assistance publique et les services sociaux en général.

Nous avions également une certaine dose de cogestion. J'ai déjà signalé le modèle du Régime de pensions du Canada. Le seul secteur dans lequel nous avons eu recours à l'interprovincialisme est celui des soins de santé, les provinces se concertant pour établir des normes et des vérifications communes. Le passage à un système d'épreuves communes au niveau de l'enseignement primaire et secondaire et le fait d'avoir des épreuves copiées sur le modèle international ont été essentiellement une initiative des gouvernements provinciaux qui se sont concertés pour mettre au point une formule conjointe ou coordonnée. Le gouvernement fédéral a joué occasionnellement un rôle dans le processus, mais celui-ci a été principalement piloté par le Conseil des ministres de l'Éducation.

Le système de l'après-guerre avait des éléments très forts. Si vous voulez en discuter plus en détail, nous pouvons le faire. C'est en matière de valeurs de la politique sociale que ce système a donné les meilleurs résultats. Cette palette de modèles divers a produit de bons résultats en nous permettant de mettre sur pied un cadre commun pancanadien en matière de politique sociale. Il nous a permis de déclarer qu'il y avait effectivement, de façon générale, une formule commune et il nous a également donné énormément de souplesse pour adapter de nombreux programmes aux variantes régionales. Je me plais à penser que la politique sociale a été essentielle à l'avènement d'un ensemble commun de prestations sociales partout au Canada, et je pense également que nous avons une plus large palette de prestations sociales que n'aurait été le cas si nous nous en étions tenus au système plus décentralisé qui avait été en usage dans l'entre-deux guerres.

En revanche, cette palette de modèles a suscité de nombreux problèmes à propos de la démocratie et des valeurs démocratiques que j'ai évoqués lorsque je disais qu'on ne savait pas clairement qui devait rendre compte. La transparence en souffrait. Nous savions avec beaucoup moins de clarté qui faisait quoi et à qui il fallait demander des comptes lorsque nous n'étions pas satisfaits de notre système de santé. La participation en souffrait également étant donné que souvent, les décisions étaient prises à huis clos lors des conférences fédérales-provinciales.

S'agissant des valeurs démocratiques, une polémique est apparue. S'agissant des valeurs du fédéralisme, le système affirmait qu'il existe une communauté de citoyens canadiens et qu'il devrait y avoir un ensemble de prestations dont peuvent bénéficier en commun tous les citoyens canadiens. Il est indubitable qu'il y avait des tensions entre les deux ordres de gouvernement. Même s'il s'est trouvé des gens pour critiquer le système en raison précisément du fait qu'il limitait l'ouverture démocratique, les tensions fédérales-provinciales ont fini par éroder le système.

Je ne vais pas aborder dans le détail chacune de ces crises, mais je rappellerai simplement deux ou trois temps forts de cette évolution historique.

À certains égards, la date la plus importante est 1977 avec l'introduction du financement forfaitaire qui a produit trois choses. En premier lieu, cette formule a permis de réduire la tension au sein du système. Jusqu'alors, les provinces devaient présenter des rapports détaillés sur leurs programmes, et les fonctionnaires fédéraux devaient décider si tel ou tel programme -- par exemple un foyer pour personnes âgées -- relevait ou non de l'enveloppe à frais partagés. Beaucoup de décisions de détail ont été prises à Ottawa, ce qui, en réalité, représentait une intervention beaucoup plus lourde et un contrôle administratif beaucoup plus accentué du champ de compétence provincial. Les provinces en ont conçu beaucoup de frustrations.

Le gouvernement fédéral a également jugé que cette formule de partage à parts égales était embêtante parce qu'il n'avait aucun contrôle sur le budget. Le total de ce qu'il dépensait dans le domaine de la santé dépendait en effet de ce que dépensaient les provinces. Les provinces se pointaient en disant: «Nous avons dépensé X millions de dollars l'an dernier et vous devez donc décaisser la même chose.» Pour un ministre fédéral des Finances, cela n'est pas très agréable étant donné qu'une bonne partie de son budget est contrôlé par des décisions prises ailleurs.

C'est pour cette raison qu'en 1977, les deux paliers ont accepté de passer à un nouveau système. Pour l'essentiel, c'est alors que la formule de 1977 a commencé à s'élaborer. Le nouveau système, qu'on allait appeler financement forfaitaire, faisait en sorte que le gouvernement fédéral verse aux provinces une contribution générale pour couvrir les dépenses de santé et d'éducation postsecondaire. Il n'y aurait dès lors plus cette étroite correspondance entre les dépenses et les transferts, en ce sens que le gouvernement fédéral ferait un virement forfaitaire qui ne serait pas calculé en fonction de ce que les provinces auraient dépensé mais qui augmenterait au fil du temps parallèlement à la croissance de l'économie. Le montant du transfert n'aurait dorénavant plus rien à voir avec le montant dépensé par la province.

En second lieu, les provinces quant à elles n'avaient plus à demander l'approbation du fédéral pour chacun de leurs programmes, avec tout l'irrationnel et toutes les contraintes que la structure de leurs programmes supposaient. C'était un arrangement idéal. Il avait fallu beaucoup négocier et il y avait eu beaucoup d'antagonisme, mais peu importe, c'était la formule.

À bien des égards, cette formule allait être une pilule empoisonnée. Elle intégrait à notre système le germe d'un profond conflit entre les deux ordres de gouvernement étant donné que les dépenses se trouvaient dissociées du rôle d'orientation du gouvernement fédéral. Le gouvernement fédéral pouvait toujours, certes, assortir le transfert de certaines conditions. Mais rien ne se produisit en 1997. Les conditions étaient simplement que la législation sur l'assurance-maladie devait demeurer en l'état et que les provinces devaient accepter ces conditions pour obtenir leur financement. Par contre, le fédéral ne s'engageait plus à fournir une quote-part égale. Son rôle d'orientation demeurait entier, mais son engagement financier n'était plus le même. Les transferts aux provinces ont par conséquent commencé à diminuer, alors que le rôle d'orientation du fédéral demeurait intact.

L'autre raison pour laquelle la formule de 1977 allait être une pilule empoisonnée était qu'elle introduisait ce grand schisme entre les transferts pécuniaires et les points d'impôt. Les sénateurs sont sans doute bien au fait de cela, et je pourrais peut-être me contenter d'un survol. Cette décision prise en 1977 de verser une partie de la contribution fédérale sous forme de transferts pécuniaires et une partie sous forme de points d'impôt a introduit dans les politiques du pays un germe de conflit tenace.

Il n'existe pas de réponse monolithique à la question de savoir ce qu'est la contribution fédérale au système de santé. Les provinces sont parties du principe que les points d'impôt qui leur sont transférés font simplement partie de leur assiette fiscale et que la contribution fédérale provient simplement à un transfert pécuniaire. Le gouvernement fédéral pour sa part dit pas du tout, cette contribution est composée à la fois du transfert pécuniaire et de la valeur des points d'impôt qui ont été transférés en 1977, majorés selon la croissance de l'économie. Par conséquent, il y a deux réponses à cette question.

Les provinces et le gouvernement fédéral ont tous deux raison. Tous deux définissent le système d'une façon différente et, chacun de leur point de vue, ils ont raison. Ici encore, il n'y a pas de réponse monolithique à cette question. Cette question ne fait pas consensus. Les relations fédérales-provinciales ont été considérablement aigries à cause précisément de la structure de l'accord de 1997.

Personnellement, je pencherais pour la version fédérale de la réponse en disant que nous devrions compter la valeur des points d'impôt qui ont été transférés. Par contre, sur le plan politique, il est certain que le citoyen ne parviendra jamais à comprendre parfaitement toute la complexité de cet accord financier. En 1977, nous avons greffé à notre système une pilule empoisonnée qui allait agir lentement et qui a conduit au conflit ouvert que nous connaissons actuellement.

La situation a rapidement évolué après 1977, puisque pour toute une série de raisons, le gouvernement fédéral a dû limiter ses transferts en raison de la croissance constante de ses déficits qui lui causaient de plus en plus problème. Le phénomène a commencé dans les années 80 pour s'accélérer pendant les années 90. Par contre, le gouvernement a conservé son rôle d'orientation et l'a même renforcé en 1984 avec l'adoption de la Loi canadienne sur la santé dans laquelle il renforçait les modalités et conditions rattachées au transfert dans le domaine de la santé avec certaines dispositions qui, à toutes fins pratiques, éliminaient ce qu'on appelait alors la juste facturation, c'est-à-dire le ticket modérateur, ainsi que les frais d'établissement.

Ces tendances ont culminé dans le budget de 1995 avec l'introduction du TCSPS. Ce budget a intégré aux transferts forfaitaires le volet assistance sociale, en plus de réduire notablement le montant du transfert fédéral. Les conditions rattachées au financement du volet santé n'ont pas changé pour autant, mais dans la foulée de l'introduction du TCSPS, toutes ces tensions sous-jacentes ont fini par exploser. Il en résulta pour les relations fédérales-provinciales une profonde méfiance, un méfiance qui demeure d'ailleurs profondément enracinée et qui ne se dissipe pas très rapidement, pour autant qu'elle diminue vraiment.

En fait, les provinces commençaient à dire que l'ancien modèle de l'après-guerre avait disparu pour de bon et qu'il leur fallait une nouvelle union sociale. L'union sociale qui a surgi de la négociation entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux était une tentative de rétablissement du système. Ce qui m'intéresse ici, c'est de savoir lequel de ces quatre modèles allait être retenu.

Si l'ancien modèle de fédéralisme coopératif ne fonctionnait plus bien dans le cas des subventions conditionnelles à parts égales, avec la possibilité pour chaque camp d'intervenir unilatéralement, et si ce modèle ne convenait plus aux parties, quel modèle allions-nous adopter? Le fédéralisme classique qui vise à éviter les chevauchements et le double emploi, ou encore le modèle de la cogestion qui sous-tend la mise en place de toute une palette de mesures de contrôle conjointes pour tous les programmes?

Le consensus provincial, qu'on a appelé la position de négociation consensuelle dérivée du conseil des ministres établi par les premiers ministres des provinces -- la position consensuelle à laquelle le gouvernement du Québec a adhéré au dernier moment -- revenait essentiellement à dire non au fédéralisme classique. C'est la raison pour laquelle l'adhésion du Québec a été extrêmement étonnante. Ce consensus revenait à accepter le fait que l'interdépendance procède de la nature des choses et que les deux ordres de gouvernement allaient participer. Essentiellement, ce que les provinces voulaient, c'était un processus décisionnel conjoint. C'est ce que j'appelle moi de la cogestion. Les gouvernements provinciaux voulaient donc un processus décisionnel conjoint pour tous les transferts fédéraux aux particuliers et aux provinces, ainsi qu'un mode conjoint d'interprétation, d'exécution et de contrôle des programmes comme la Loi canadienne sur la santé.

La position des provinces a ainsi été l'affirmation la plus vigoureuse de ce que j'appelle la cogestion ou le modèle décisionnel conjoint. En d'autres termes, c'est le modèle du RPC qui était appliqué à l'ensemble du secteur.

Le gouvernement fédéral hésitait à entamer les négociations, et il ne l'a fait que lentement. Et lorsqu'il l'a fait, ses priorités étaient extrêmement différentes puisqu'il s'intéressait beaucoup plus des questions de mobilité et de responsabilité.

Au bout du compte, l'accord qui est intervenu se rapprochait davantage du modèle fédéral que du modèle provincial, mais la formule que nous connaissons aujourd'hui comporte malgré tout certains éléments que les provinces avaient fait valoir.

Le modèle suivant concerne l'accord. Je parle ici de la nature de l'entente-cadre sur l'union sociale. J'ignore si les sénateurs y ont déjà réfléchi dans ce contexte. Nous pourrions aborder en détail tous les éléments de cette entente, mais c'est de principes qu'il s'agit.

Les deux parties suivantes de l'entente sont celles qui intéressaient alors et qui intéressent toujours le plus le gouvernement fédéral: la mobilité et la responsabilité. Ensuite, il y a les parties qui concernent le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral ainsi que l'évitement et le règlement des différends.

C'est précisément là que les provinces ont fait jouer leur poids. Elles demeurent vivement intéressées par l'entente qui a été adoptée. Je n'entrerai pas dans les détails financiers de cette entente, mais je pourrais y revenir si vous le souhaitez.

Je vous suggère de passer maintenant au dernier tableau que je vous ai fait remettre. Nous pourrions revenir plus tard sur la question de savoir si l'un ou l'autre de ces éléments influent vraiment sur la nature de notre démocratie, si vous le voulez, mais j'aimerais vous dire un mot du résultat final des modèles de fédéralisme que j'ai suggérés.

En vertu de l'entente-cadre sur l'union sociale, nous conservons une palette de modèles différents. Ce qui est amusant au Canada, c'est que nous avons toujours refusé de nous prononcer péremptoirement sur le fédéralisme. Nous n'avons pas une philosophie monolithique qui expose ce qu'est notre État fédéral. Nous avons toujours des sentiments mitigés sur le fédéralisme. Cette position a d'ailleurs été intéressante en ce sens qu'elle a ouvert sur une certaine souplesse. Si une formule ne fonctionne pas, on peut toujours en adopter une autre. Comme je l'ai déjà dit, une opinion bien arrêtée est, dans ce domaine, un grave défaut.

Nous continuons donc à mélanger les trois modèles et certains éléments du modèle classique demeurent. Dans le cas du pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral, ce dernier peut toujours faire des paiements aux particuliers et aux institutions, les établissements de recherche par exemple, grâce aux conseils subventionnaires. Ce pouvoir n'a pas changé. La seule condition est qu'avant qu'il puisse y avoir un transfert de ce genre, il faut que le gouvernement fédéral donne préavis et consulte.

Pour ce qui est des transferts aux provinces, une entente beaucoup plus complexe a été conclue, et cette entente comporte ce qu'à ce moment-ci on devrait appeler une mesure infime de cogestion. Même si je dis «infime», il y a quand même une certaine cogestion. Le gouvernement fédéral a accepté de ne créer aucun programme nouveau sans le soutien d'une majorité des gouvernements provinciaux. Par conséquent, le gouvernement fédéral s'est engagé à ne rien faire sans qu'il y ait un consensus assez large de la part des provinces.

Il y a également des dispositions concernant la nature des programmes qui peuvent être élaborés dans le cadre du nouveau système. Les gouvernements vont négocier les objectifs. En fait, ils vont se constituer toute une gamme d'interventions pour atteindre ces objectifs. Les provinces qui ont déjà des programmes pourront recevoir un financement, même pour cela. Tout gouvernement qui accepte de travailler pour réaliser ces objectifs et qui accepte les mécanismes de reddition de comptes recevra sa juste part du financement.

À certains égards, il s'agit d'une forme relativement faible de processus décisionnel conjoint. Par ailleurs, ce système modifie à coup sûr les règles qui régissent les nouvelles initiatives.

L'entente parle également de ce que les provinces considèrent comme des dispositions molles concernant l'évitement et le règlement des différents qui, pour l'essentiel, concernaient la Loi canadienne sur la santé. C'est ce que voulaient les provinces lorsqu'elles ont insisté dans ce sens. Par rapport aux normes qui existent dans les provinces, ces dispositions sont relativement faibles. Nous pourrions y revenir plus en détail si vous le souhaitez.

Je terminerai mon propos sur deux éléments. Tout d'abord, ce qui est intéressant dans l'ECUS et cette nouvelle relation fédérale-provinciale, c'est la généralité des règles et le fait qu'il est impossible de dire au juste comment les choses vont se passer étant donné précisément que les règles et les normes établies par l'entente sont fort générales. Cela dépendra surtout de la volonté politique que les deux ordres de gouvernement donneront à l'entente. Ce qu'ils voudront faire de cet accord sera aussi important que le texte même de celui-ci.

Étant donné le caractère général des modalités et conditions, les interprétations de ce qui en a été fait sont extrêmement diverses. Dans certains milieux au Québec, l'entente a été considérée comme un document centralisateur, et ceux-là qui ont cette opinion prédisent que cet instrument conduira à une expansion majeure du rôle du fédéral. C'est ce qu'ont dit le gouvernement du Québec ainsi que plusieurs intellectuels souverainistes qui voient cela comme le nouveau visage du centralisme.

Ailleurs, d'autres ont soutenu qu'il s'agissait au contraire d'un mécanisme hautement décentralisateur. Ainsi, Tom Kent était conseiller auprès du gouvernement du Canada au moment de l'introduction de l'assurance-maladie. Il était l'un des principaux conseillers de M. Pearson. M. Kent a déclaré que cela sonnait le glas du financement à frais partagés, point final, et que cette formule avait disparu à tout jamais. Aucun gouvernement sensé, disait-il, n'acceptera jamais de transférer de l'argent aux provinces dans ces conditions, et tout ce qui reste au gouvernement fédéral, ce sont les transferts directs aux particuliers.

Voilà donc deux interprétations diamétralement opposées mais dont chacune est parfaitement conforme à ce que dit le texte.

Étant donné ces interprétations extrêmement contradictoires, que s'est-il passé depuis treize mois, depuis que l'entente a été conclue en février de l'an dernier? À mon avis, il est trop tôt pour faire un bilan, mais il est clair néanmoins que cette entente provoque déjà de nombreuses tensions.

L'entente-cadre sur l'union sociale n'a jamais été envisagée comme un moyen de mettre un terme au conflit. Il y aura toujours conflit. Il n'y a pas violation de l'entente si les provinces militent auprès du gouvernement fédéral pour qu'il augmente ses dépenses dans le domaine de la santé. Dans la même veine, je ne pense pas qu'il y ait violation de l'entente si le gouvernement fédéral se prononce sur le plan politique au sujet des intentions du gouvernement albertain au sujet des cliniques privées.

Il s'agit plutôt de savoir si cette entente offrira les règles nécessaires pour nous aider à gérer ces conflits. J'ai personnellement le sentiment que nous sommes encore loin du moment où ces règles seront tout à fait suffisantes. Le gouvernement fédéral s'intéresse bien plus aux dispositions concernant la mobilité et la responsabilité. Les provinces quant à elles veulent renforcer les dispositions de l'entente qui concerne le règlement des différends. Elles considèrent que ces dispositions sont faibles et elles s'emploient actuellement à les renforcer afin d'arriver à un code beaucoup plus complet qui indiquerait de façon beaucoup plus détaillée quand un différend est effectivement survenu et comment il pourra être réglé. Par analogie, ce code ressemblerait un peu à nos accords internationaux en matière commerciale. Comment réglons-nous nos différends en matière de commerce international? C'est le genre de mécanisme formel que les provinces voudraient voir greffé à l'entente. Les provinces estiment que les modalités actuelles ne sont ni suffisamment claires, ni suffisamment bien définies pour pouvoir être invoquées en toute confiance.

Il y a une autre grosse question, en l'occurrence dans le contexte actuel, les gouvernements et en particulier les gouvernements provinciaux vont-ils vraiment vouloir invoquer l'entente pour discuter de l'avenir du système de santé. J'ai la conviction que l'objectif des provinces sera d'accroître la contribution fédérale par le truchement du TCSPS, qui est relativement mal défini, au lieu d'entrer dans des négociations poussées sur l'avenir du système de santé au Canada, négociations lors desquelles le processus de définition sera conjoint.

Assez étrangement, même si les provinces ont beaucoup insisté pour avoir des règles et un processus décisionnel conjoints, il n'empêche qu'il y a parfois lieu de s'inquiéter un peu lorsqu'on demande quelque chose qu'on risque fort d'obtenir. On peut se demander si les provinces se félicitent vraiment de pouvoir s'asseoir à la même table que le gouvernement fédéral pour définir le nouveau système de santé de demain. Elles préféreraient peut-être une marge de manoeuvre maximum pour avancer chacune de leur côté en profitant du TCSPS.

Par ailleurs, je ne suis pas convaincu que l'entente rende plus difficile d'arriver à définir le problème. D'une part, il est clair pour moi que la façon dont les choses se passent dans le domaine de la santé sera la garante de l'efficacité de l'entente. Les améliorations apportées aux prestations pour enfants ont été merveilleuses, certes, mais la réalité est que les relations fédérales-provinciales futures dépendront énormément de l'issue qui sera donnée dans les tous prochains mois au contentieux des relations fédérales-provinciales dans le domaine de la santé.

La vice-présidente: Merci pour cet excellent exposé. Vous parlez éloquemment de la façon bien canadienne de faire les choses en concevant un ensemble de modèles et en revenant à celui de la cogestion. Les résultats d'un sondage qui ont été rendus publics hier par Environics et par Goldfarb montrent que la population canadienne ne tolérera pas qu'un palier de gouvernement rejette le blâme sur l'autre. Déjà, la population est suffisamment interpellée par cette question mais, encore une fois, elle veut aussi une entente. Vous avez parlé de cogestion. Selon votre interprétation de ce qu'ont dit les provinces, elles semblent effectivement vouloir adopter ce modèle.

Le sénateur Cohen: Je vais répéter la question que j'avais posée aux témoins précédents parce qu'à mon avis, la réponse pour les normes nationales a déjà été faite.

Lorsque j'ai parcouru le Canada dans le cadre du groupe de travail sur la pauvreté, nous avons partout entendu des témoins nous dire qu'ils voulaient que des normes nationales soient à nouveau mises à l'ordre du jour. Je sais que l'expression «normes nationales» est quelque chose que personne ne veut plus entendre. Les provinces n'aiment vraiment pas cela.

Pensez-vous que cette notion de normes nationales est complètement irréaliste ou qu'il est toujours possible que les paiements de transfert aux provinces soient assujettis à des normes nationales? Votre argumentation m'a déjà fait légèrement changé d'avis à ce sujet.

M. Banting: En fait, je suis tout à fait favorable à l'idée qu'il y ait un cadre de référence qui fixerait les grands paramètres des programmes sociaux de base comme la santé. Je parlerai de la question des normes nationales dans quelques instants, mais moi je vois cela comme un cadre de référence général.

Il est possible de faire valoir la chose sous deux angles. Pour commencer, on peut invoquer l'efficacité. Économiquement parlant, il est inefficace d'avoir un ensemble de prestations sociales tellement différentes d'un bout à l'autre du Canada que la personne qui voudrait un système de santé plus complet devrait changer de province pour pouvoir en bénéficier.

Les gens qui croient au modèle classique de fédéralisme affirment que ce modèle offre plusieurs niveaux de prestations sociales, et que les gens qui veulent des prestations plus complètes peuvent toujours aller s'installer là où cette palette plus large est offerte et que ceux qui préfèrent un ensemble plus modeste avec des prestations plus faibles et des impôts plus bas peuvent aller s'installer dans une autre région.

Je ne suis pas économiste. J'ai beaucoup d'amis économistes, mais je pense que seul un économiste dirait qu'il suffit de déménager pour obtenir ce qu'on veut. Je pense que ce modèle est inefficace d'un point de vue économique et qu'il conduirait à une répartition irrationnelle des ressources au Canada si, effectivement, il fallait que les gens déménagent pour ce genre des raisons budgétaires.

Les entreprises ont des activités non seulement nationales, mais aussi internationales. Compenser les différences entre provinces dans un secteur essentiel comme l'assurance-maladie en constituant un programme d'avantages sociaux privé me semble particulièrement inefficace sur le plan financier.

On peut faire valoir un argument économique pour toute une gamme de programmes où il y a comparabilité générale avec l'ensemble du pays. L'argument le plus solide toutefois vise les programmes sociaux qui reposent sur la prémisse selon laquelle malgré toutes nos communautés régionales et nos cultures, malgré toutes nos différences, il existe en fait une communauté de citoyens canadiens. Les citoyens au Canada possèdent une attitude ou une approche plutôt semblable face à ces questions, et nous devons en tenir compte dans nos structures de politiques. Il n'y a aucune variation opposée dans la préférence des Canadiens en matière de soins de santé d'une région à l'autre. En fait, le niveau de consensus au pays est assez frappant. Les citoyens souhaitent peut-être que les programmes leur soient offerts à l'échelle locale s'ils croient qu'à ce niveau leurs gouvernements sont plus réceptifs, mais il existe un consensus assez répandu dans tout le pays sur la structure générale des soins de santé.

J'ai été encouragé d'apprendre que votre comité a l'intention d'examiner ce qui se passe dans d'autres pays. J'espère que vous examinerez également d'autres structures fédérales. Nous avons fait quelques travaux sur ce sujet. Il est presque impossible de trouver une fédération moderne où il existe des niveaux très différents de prestations de maladie d'une région à l'autre. Un régime démocratique suppose de façon inhérente que les citoyens, où qu'ils vivent, doivent avoir des avantages semblables.

C'est ce qui me porte à favoriser un cadre commun. Est-ce que cela signifie que je favorise des normes nationales? Je dirais que dans la mesure où il y a un cadre commun, il doit y avoir une grande souplesse dans la prestation des services.

Je suis tout à fait à l'aise avec les termes de l'entente sur l'union sociale, qui prévoit qu'il nous faut avoir en commun des objectifs et un cadre général qui permettent de grandes variations dans la prestation des services. Je pense que la Loi canadienne sur la santé permet une variation dans les mécanismes de prestation des services et est conçue de façon à nous permettre d'avoir recours aux services de santé communautaires, etc.

«Normes nationales» est une expression qui a un lourd bagage politique, mais qui suppose des normes, des objectifs communs, et je préférerais qu'on s'en tienne à ce niveau général.

Le sénateur Cohen: J'aime le libellé; je n'y vois aucune objection. Je vous remercie de votre explication.

M. Banting: Je m'excuse de la longueur de mon explication, mais j'espère que vous examinerez d'autres régimes fédéraux.

La vice-présidente: Pouvez-vous nous en donner des exemples?

M. Banting: Nous sommes en cours de projet. Notre livre devrait sortir à la fin de cette année. Je vous le ferai parvenir volontiers, si cela intéresse les sénateurs. Les pays que nous examinons sont l'Allemagne, la Belgique, l'Australie et les États-Unis. Notre examen ne porte pas sur la Suisse uniquement parce que notre collègue est tombé malade et n'a pu participer au projet, mais ce serait un autre pays digne d'examen.

Ce qui est frappant dans tous ces régimes, c'est qu'il existe un régime de soins de santé commun. Il y a une grande similitude d'approche. Dans certains pays, l'orientation est fortement publique. Dans d'autres, comme les États-Unis, l'approche est différente et comporte un mélange gouvernement et marchés privés. Toutefois, dans chaque pays il y a une approche commune dans tout le pays, et dans de nombreux cas, une prestation de services à l'échelle locale. En Allemagne, il y a un régime à structure nationale accompagné de services locaux et de régimes de prestation beaucoup plus modestes que ceux d'un gouvernement provincial.

La vice-présidente: Voilà qui est intéressant. Si vous interrogez les Canadiens sur ce qui se passe aux États-Unis, ils croient qu'il y a un régime de soins de santé commun en place là-bas.

M. Banting: Il n'y a pas de régime de soins de santé universel auquel participent tous les Américains, mais il y a un mélange de soins de santé secteur public et secteur privé qui est assez semblable dans tout le pays. Il y a des variations au niveau des États, mais minimes. Si vous demandez quel pourcentage de la population n'a pas d'assurance-maladie aux États-Unis, il y a de légères variations entre les États, mais dans l'ensemble, la situation est semblable.

Les États qui ont une assurance universelle sont peu nombreux. Vous ne trouverez pas d'une part des États où l'assurance est universelle, et d'autre part des États où il n'y a pas d'assurance.

La vice-présidente: Merci de cet exposé et de ce témoignage des plus approfondis.

La séance est levée.


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