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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 30 - Témoignages du 7 mai 2002


OTTAWA, le mardi 7 mai 2002

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-27, Loi concernant la gestion à long terme des déchets de combustible nucléaire, se réunit aujourd'hui à 17 h 35 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Nicholas W. Taylor (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous avons l'honneur d'accueillir au sein de notre premier groupe de témoins Blair Seaborn, la très révérende Lois Wilson, une de nos anciennes collègues du Sénat, et le Dr Louis LaPierre, de Moncton.

M. Blair Seaborn, président, Commission Seaborn: Merci, monsieur le président, de nous avoir invités à parler devant le Sénat de la question de la Loi concernant la gestion à long terme des déchets de combustible nucléaire.

La révérende Lois Wilson, le Dr LaPierre et d'autres de mes collègues ont passé des années à étudier la question de la gestion à long terme des déchets de combustible nucléaire. Je suis heureux d'avoir ici la possibilité de faire connaître mon point de vue sur la loi que se propose d'examiner le gouvernement.

Auparavant, je tiens à vous rappeler les principales caractéristiques du mandat et des conclusions de notre groupe d'étude. Dans le cadre de notre mandat, il nous a été demandé d'étudier le principe de l'enfouissement dans des couches rocheuses profondes, mis au point par EACL. Il nous a été demandé d'étudier la sécurité et la fiabilité de cette notion — pas d'un site et pas de la conception précise d'un site — de revoir les critères employés pour déterminer la sécurité et la viabilité et de conseiller les politiques à suivre à long terme.

Nous avons conclu entre autres que toute solution, celle-ci ou une autre, devait bénéficier d'un large assentiment de l'opinion publique pour être viable. La sécurité fait partie intégrante de la viabilité, mais ce n'est que l'une des dimensions du problème. Au niveau des principes établis par l'EACL, nous avons conclu que la sécurité de la solution retenue était, tout bien considéré, suffisamment bien démontrée d'un point de vue technique, mais pas d'un point de vue social.

Voyons maintenant dans quelle mesure le projet de loi C-27 reprend les conclusions et les recommandations de notre groupe d'étude. Je tiens à faire état de ma satisfaction en voyant que le gouvernement a retenu un grand nombre de recommandations importantes de notre rapport.

Notre première recommandation porte sur la consultation du grand public — notamment des Autochtones — pour essayer de résoudre le problème de l'entreposage des déchets accumulés. Il s'agissait ensuite de créer un nouvel organisme distinct, qualifié dans le projet de loi de société de gestion (SG). En troisième lieu, nous avons recommandé la création d'un comité consultatif de la SG ayant une base élargie. Quatrièmement, nous avons préconisé l'instauration d'une caisse distincte de financement du SG, les bailleurs de fonds étant les producteurs et les propriétaires de déchets de combustible nucléaire, en l'occurrence les sociétés de production d'électricité et EACL, et non pas l'ensemble des contribuables. Enfin, nous avons recommandé que la SG élabore plusieurs solutions de gestion à long terme des déchets avant qu'une solution puisse être prise en définitive.

Chacune de ces solutions doit faire état des coûts, des bénéfices et des risques en les rapprochant de ceux des autres, tenir compte des considérations éthiques, sociales et économiques et prévoir un plan de mise en application comportant un programme de consultations du public.

Je regrette cependant que le gouvernement n'ait pas accepté un certain nombre d'autres de nos recommandations. Je vais en faire état ici et vous expliquer pour quelle raison je suis déçu.

Il est encourageant de voir que l'on parle de consulter le grand public et les Autochtones dans le projet de loi C-27, mais il aurait été utile que l'on évoque dans ce texte — éventuellement dans un préambule — le caractère indispensable d'un large appui du public pour garantir la viabilité du projet; d'où l'importance fondamentale de véritables consultations menées auprès du grand public, des peuples autochtones et des collectivités risquant d'être touchées à tous les niveaux de décision.

Je relève, par exemple, que le paragraphe 14(1) dispose tout simplement: «le ministre peut procéder aux consultations qu'il juge nécessaires auprès du grand public sur les propositions figurant dans l'exposé». Il est particulièrement important que la collectivité devant abriter éventuellement les installations ait véritablement, et en toute connaissance de cause, la possibilité d'accepter ou de rejeter le projet visant à mettre en place cette installation.

En second lieu, nous n'avions pas précisé dans notre rapport quel devait être le type d'organisation et le statut légal de la SG, mais nous avions expressément mentionné qu'il fallait qu'elle soit indépendante des sociétés de production d'électricité et d'EACL, que son conseil d'administration devait comprendre des membres nommés par le gouvernement fédéral et des représentants des principales parties prenantes, que son comité consultatif devait lui aussi être nommé par le gouvernement fédéral sur la base des recommandations faites par des organisations professionnelles ou autres, et enfin que la SG devait être encadrée par des «mécanismes de surveillance multiples», et être soumise notamment à des contrôles périodiques effectués de préférence par le Parlement.

Il me paraît évident qu'il serait bien plus facile de respecter ces critères si l'on faisait de la SG une société d'État, ou quelque chose d'approchant, au lieu qu'elle soit une société privée.

Même s'il est tout à fait souhaitable que l'on insiste dans cette loi sur la nécessité, pour l'industrie nucléaire, d'assumer la responsabilité de ses déchets, je crains qu'une SG créée par les entreprises de l'industrie nucléaire elle- même puisse difficilement convaincre l'opinion publique qu'elle agit dans l'intérêt public. Il est indispensable que le public ait confiance dans le nouvel organisme si l'on veut qu'il accepte ce que fait ce que propose cet organisme.

En troisième lieu, le fait que la loi ne mentionne pas qui va faire partie du conseil d'administration, et encore moins si les membres de ce conseil vont être nommés par le gouvernement fédéral, risque de miner davantage encore la confiance du public à moins que les sociétés nucléaires fassent un effet particulier pour que les membres du conseil représentent davantage que la seule industrie nucléaire.

Nous avions indiqué, par exemple, dans notre rapport, que la qualification et l'appartenance des membres du conseil d'administration devaient refléter toute la diversité des intérêts en jeu, qu'il s'agisse, par exemple, du gouvernement fédéral et des provinces, des sociétés de production d'électricité, des responsables techniques ou de la communauté scientifique et sociale.

Enfin, il me faut aborder la question du comité consultatif. Ses membres, au lieu d'être nommés par le gouvernement fédéral, sont nommés par la SG elle-même. Si l'on veut que ce comité bénéficie de toute la confiance du public, il faudra faire un effort particulier pour s'assurer que ces nominations sont perçues comme étant représentatives de l'ensemble des intérêts en jeu. Il convient au minimum de retirer l'expression «au besoin» à l'alinéa 8(2)b) pour qu'il soit bien clair que les spécialistes des sciences sociales méritent tout autant de siéger au sein du comité consultatif que les scientifiques ou les techniciens.

Pour ce qui est des multiples mécanismes de surveillance, la SG sera bien entendu soumise au contrôle de la Commission canadienne de sûreté nucléaire, qui possède de solides pouvoirs pour lui dire ce qu'elle peut ou ne peut pas faire. En sa qualité de société privée, toutefois, elle ne relèvera pas des attributions du vérificateur général ni, je crois, du Commissaire à l'environnement et au développement durable.

Un grand nombre de responsabilités ont été attribuées au ministère des Ressources naturelles en ce qui concerne la SG. C'est un mécanisme de contrôle très important, de même que l'obligation faite au ministre de faire part au gouverneur en conseil de ses recommandations en ce qui a trait à la recommandation retenue en matière de gestion à long terme. Cette obligation serait cependant mieux considérée par un public réticent si les ministres des Ressources naturelles, de la Santé et de l'Environnement faisaient conjointement cette proposition au gouverneur en conseil.

Il est particulièrement regrettable que l'on ne fasse pas obligatoirement examiner par le Parlement le projet retenu ou, en fait, que l'on ne soumette pas périodiquement les travaux de la SG à l'examen du Parlement. Ces deux mécanismes renforceraient la confiance du public dans la procédure et l'organisation.

Il y a une dernière question qui me paraît importante, c'est celle des déchets domestiques. Il est probablement implicite dans le projet de loi que l'on veut parler des réacteurs nucléaires produisant des déchets au Canada, mais on pourrait l'expliciter dans la définition des déchets de combustible nucléaire qui figure à l'article 2 en faisant précéder le terme «commercial» du terme «domestique».

Je m'arrêterai ici en ce qui concerne ce projet de loi. Je m'efforcerai par la suite de répondre à toutes les questions que voudront me poser les sénateurs.

Le président: Je vous remercie. Nous allons donner la parole à la révérende Wilson.

La très révérende Lois Wilson, ancien sénateur, membre de la Commission Seaborn: C'est avec plaisir que je comparais devant certains de mes anciens collègues du Sénat et de la Commission Seaborn.

Les résultats des travaux concernant le projet de loi C-27, qui ont commencé en 1996, c'est-à-dire avant que ne prennent fin les audiences de la Commission Seaborn, utilisent une partie de la terminologie contenue dans les recommandations du rapport de la commission. Cependant, comme l'a souligné le président, ils ne reflètent pas l'esprit de nos recommandations. Certains termes employés sont les mêmes, mais ils ne reflètent pas ce que nous avons recommandé.

J'ai quatre points à faire valoir. Notre première recommandation portait sur la création d'une entité nouvelle et distincte, soit une société de gestion des déchets, qui devait être indépendante des entreprises publiques d'électricité et de l'EACL. C'était là une recommandation faite à l'unanimité par les membres de notre commission. Nous avons estimé que cela nous permettrait de prendre un nouveau départ au Canada et de restaurer la confiance du public. Dans ce domaine, l'opinion publique est très craintive et il y a de nombreuses inquiétudes qui, parfois, ne sont pas toujours rationnelles. Nous avons considéré que la société de gestion, quelle qu'elle soit, devait avoir la confiance du public. Voici un extrait du rapport de notre commission, tiré de la page 62:

De plus, il semblait y avoir un signe de conflit d'intérêts du fait que les deux sociétés semblaient rechercher une solution au problème des déchets de combustible nucléaire comme moyen de continuer à vendre des réacteurs CANDU, ou de continuer à utiliser des réacteurs nucléaires pour la production d'électricité.

Le fait que la solution d'élimination en formations géologiques profondes préconisée par EACL figure au nombre des options proposées et que cette solution risque d'être fermement adoptée, malgré ses 95 lacunes techniques relevées par la commission, ne suscite pas la confiance du public et il en va de même pour l'utilisation répétée de l'expression «chaque proposition» pour laisser croire qu'il existe réellement des options, alors que le document secret du cabinet dont j'ai obtenu possession et que j'ai remis au Globe and Mail le 2 mai 2001 indique que le gouvernement avait déjà conclu que la méthode d'élimination en profondeur est celle qui devait être adoptée.

Il est par conséquent très important que le projet de loi comporte des garanties en matière de mécanismes de surveillance multiples et d'examen parlementaire. Si c'est le mieux que nous pouvons obtenir, autant veiller à ce que ce soit bien précisé.

En second lieu, mes observations au sujet du conseil d'administration vont dans le même sens que celles de M. Seaborn, et je ne les reprendrai donc pas ici. Je préciserai cependant que nous avons proposé et recommandé une représentation large s'étendant à tous les secteurs socioéconomiques et aux membres de l'enseignement public. C'est l'une des principales dispositions indispensables dans ce projet de loi.

J'aborde ensuite la question du comité consultatif. Là encore, il faut qu'il ait une représentation large pour que l'opinion publique lui fasse confiance. Il conviendrait d'envisager d'apporter un amendement pour bien préciser que non seulement doivent y figurer des représentants des milieux techniques et scientifiques, ce qui est fondamental, mais aussi des spécialistes des sciences sociales, des Autochtones, des écologistes, des représentants des groupes ethniques et religieux et d'autres intervenants susceptibles d'apporter une grande contribution à l'organisme. C'est ce que nous avions recommandé.

À notre avis, les membres du comité consultatif devraient être nommés par le gouvernement fédéral en même temps que ceux du conseil d'administration — et non pas simplement par les membres du conseil d'administration, qui se contenteraient alors de nommer des gens qu'ils connaissent et qui seront susceptibles de penser comme eux. Il n'est pas non plus acceptable que cette organisation s'efforce «dans la mesure du possible» d'assurer la représentation d'un large éventail de disciplines. À mon avis, cette représentation devrait être obligatoire et il ne suffit pas de faire «de son mieux». Je suis d'accord aussi pour dire que l'expression «au besoin, d'autres sciences sociales connexes» doit être supprimée, parce que nous avons désespérément besoin des spécialistes des sciences sociales dans le cadre de cette discussion.

En troisième lieu, le projet de loi fait état de la nécessité de mener des consultations auprès du grand public et de la population autochtone. Cependant, il ne suffit pas de mentionner que le ministre «peut» procéder à ces consultations; celles-ci devraient être obligatoires, ne serait-ce ici encore que pour susciter la confiance du public. Si la «région économique» retenue pour la mise en œuvre de l'option englobe de petites communautés du nord et des communautés autochtones fragiles sur le plan économique, ces communautés devront posséder toute l'information nécessaire avant de pouvoir se prononcer pour ou contre l'option d'élimination des déchets. Selon notre expérience à ce chapitre, ce ne sera pas une tâche facile car on ne peut pas placer à la même enseigne tous les groupes de personnes rencontrés. Les communautés du nord nous ont clairement exprimé leurs réticences à accepter les déchets du sud du pays et je n'ai pas manqué personnellement de recevoir dernièrement un grand nombre de courriels à ce sujet.

Les consultations publiques doivent être planifiées avec soin pour éviter que le projet de loi ne fasse qu'ouvrir la voie à un mouvement de protestation publique, comme ce fut le cas en Allemagne. Vous serez sans doute au fait des profondes divisions sociales que cette question a engendré dans d'autres pays. Vous devez vous assurer que ce projet de loi ne donnera pas lieu à de telles divisions au sein de la population canadienne. Jusqu'ici, le gouvernement du Canada n'a pas été particulièrement efficace en matière de consultations publiques.

Comme je l'ai mentionné, la Commission Seaborn a fait connaître ses recommandations en 1998 alors que deux ans auparavant, en 1996, Ressources naturelles Canada menait ses propres consultations auprès d'un groupe d'intervenants triés sur le volet, prenant essentiellement un moyen pour contourner la commission. Une telle approche ne permet pas de gagner la confiance de la population, qui s'est vu promettre, encore une fois, des consultations publiques, ce qui nous amène à nous poser des questions sur la qualité de ces consultations et sur leur sérieux.

En dernier lieu, et c'est peut-être l'élément le plus important, j'aimerais parler de la nécessité de créer des mécanismes de surveillance multiples afin d'équilibrer un processus marqué par la méfiance du public, la crainte et la peur. Ne serait-il pas prudent d'établir des mécanismes d'examen supplémentaires, surtout lorsque des entreprises privées qui ne sont pas visées par la Loi sur l'accès à l'information donnent l'impression que le processus est enveloppé de mystère?

Il serait certainement possible de recourir à un examen — conformément à ce que nous avons recommandé — effectué par le vérificateur général et le Commissaire à l'environnement et au développement durable. Je souhaite que l'on fasse parvenir au Parlement et à ses comités un rapport annuel, par opposition à un rapport envoyé tous les trois ans au seul ministre. Il faut que les parlementaires puissent se tenir au courant de ce qui se passe lorsqu'on commencera à mettre en application cette loi. Cela pourrait se faire par l'intermédiaire de votre comité ou d'un comité mixte de la Chambre des communes, mais il faut effectivement que le Parlement participe et qu'on lui rende compte de l'application de la loi.

Les sénateurs savent ce que cela signifie d'être écarté des décisions importantes en matière de politiques et cette question a suscité de nombreuses discussions pendant mon court passage au Sénat. Ce projet de loi a vraiment besoin d'un mécanisme de surveillance. Vous avez la possibilité de proposer un amendement qui fera une grande différence et qui vous permettra collectivement de jouer un rôle de premier plan dans les décisions futures.

Vous comptez sur l'appui des citoyens de vos régions et de vos provinces. Votre participation dans le cadre de ce projet de loi vous permettrait d'exprimer le point de vue de ces citoyens. Ces derniers auront tous une opinion sur le sujet, surtout lorsque le choix de l'emplacement sera annoncé. À mon avis, l'obligation habituelle de «rendre compte au ministre» une fois par année est nettement inappropriée dans le cas de cette société de gestion, compte tenu de l'importance des enjeux.

Je résumerais mes observations en disant qu'il faut un conseil d'administrateurs indépendant, un comité consultatif à représentation élargie dont les membres ne soient pas nommés par le conseil d'administration mais qui le soient de manière indépendante par le gouvernement, des consultations publiques et des mécanismes de surveillance multiples.

Le président: Nous vous poserons certainement des questions plus tard après avoir entendu M. LaPierre. Avant que vous commenciez, monsieur LaPierre, puis-je vous demander si vous êtes consultant ou conseiller de la nouvelle centrale nucléaire du Nouveau-Brunswick?

M. Louis LaPierre, membre, Commission Seaborn: Non, ce n'est pas le cas.

Le président: Vous êtes indépendant. Je vous posais simplement la question pour que ce soit consigné dans notre procès-verbal.

M. LaPierre: Honorables sénateurs, je suis heureux d'avoir l'occasion aujourd'hui d'aborder les sujets évoqués dans le projet de loi C-27. Je ne répéterai pas ce que viennent de dire mes collègues. Je m'en tiendrai cependant à une question en particulier; en l'occurrence que sur le plan technique et au niveau de la conception, notre groupe d'étude s'est accordé à dire que, tout bien considéré, le projet de l'EACL présentait toutes les garanties de sécurité.

Nous avons effectivement fait des réserves, toutefois, concernant l'intégrité du modèle et les conclusions qui en découlaient. Des mécanismes de sécurité entraient ici en jeu. Si tous les paramètres étaient respectés, nous avons alors convenu que la sécurité du système était assurée. De nombreuses hypothèses ont été prises en compte dans ce modèle. Lorsqu'on projette ces hypothèses sur une longue période — sur 10 000 ans, en particulier — on peut alors se demander jusqu'à quel point elles vont rester fiables.

Le passé peut nous servir d'exemple. En écoutant Radio-Canada dimanche dernier, j'ai entendu que l'on commémorait le 10e anniversaire de la catastrophe de la mine Westray. Cela nous rappelle que les meilleures techniques ne sont pas toujours à la hauteur des hypothèses que l'on a faites. La catastrophe de la mine Westray en est un bon exemple. Les ingénieurs, les chefs d'exploitation et le PDG avaient fait clairement savoir avant l'ouverture de la mine que l'on allait mettre en œuvre les meilleures techniques, que toutes les précautions de sécurité avaient été prises et que l'abattage du charbon ne posait aucun problème. Neuf mois plus tard, toutefois, de nombreux mineurs perdaient la vie en raison d'une défaillance technique.

Étant donné le nombre d'hypothèses qui ont été intégrées au modèle, il me paraît prudent que la société de gestion chargée de l'entreposage des déchets adopte le principe de précaution avant d'arrêter les options définitives. Ce principe de précaution exigerait que l'on prévoie une gestion évolutive permettant d'incorporer les nouvelles techniques au projet à mesure qu'elles apparaîtront.

Je ne veux pas dire par là qu'on ne va pas le faire. Toutefois, cela ne ressort pas clairement, à mon avis, du projet de loi dans sa formulation actuelle. Le paragraphe 8(2) du projet de loi dispose que le comité consultatif représente un large éventail de disciplines scientifiques et techniques ainsi que des compétences en entreposage des déchets nucléaires et en sciences sociales. Il est important de s'assurer que l'on ait le sentiment que ce comité consultatif assume la responsabilité de faire évaluer par des personnalités scientifiques indépendantes tous les éléments faisant partie intégrante de l'option retenue.

On a souligné à maintes reprises, lors des audiences, qu'il fallait que l'on ait le sentiment que l'organisme ne soit soumis à l'influence d'aucun intérêt en particulier. Selon la façon dont j'interprète le texte actuel du projet de loi, étant donné que les membres du comité consultatif sont nommés par la SG, il est possible que l'on ne considère les deux entités comme ne faisant qu'une et que l'on ait l'impression que les dernières avancées de la science ne seront pas prises en compte.

Mon argumentation part essentiellement de la nécessité de mettre en place un organisme indépendant, clairement chargé aux termes de la loi de procéder à une étude scientifique indépendante effectuée par des pairs. Je pense que cela apporterait beaucoup de crédibilité à la structure actuelle. Voilà qui met fin à mon exposé, monsieur le président.

Le président: Monsieur LaPierre, où feriez-vous figurer dans le projet de loi ce principe de précaution dont on parle tant? Est-ce qu'il faudrait, à votre avis, que ce soit dans le préambule?

M. LaPierre: Le principe de précaution devrait figurer dans le préambule du projet de loi. Je pense que nous avons tiré les meilleurs enseignements de la science actuelle pour produire ce modèle. Les honorables sénateurs savent bien, cependant, que ce qui est à la pointe du savoir aujourd'hui pourra très bien être dépassé demain. Le principe de précaution est important. Il entraîne une stratégie de gestion évolutive, qui implique des études indépendantes effectuées par les tiers, d'où une plus grande impression de justice.

Le président: Je sais qu'il y a plusieurs versions du principe de précaution. Il y a celle qui est retenue dans la Loi sur la protection des espèces en péril. Avez-vous une idée de la version que vous préférez?

M. LaPierre: C'est pourquoi j'ai inscrit mon principe de précaution dans le cadre d'une stratégie de gestion évolutive. Cela implique que l'on dispose d'un mécanisme permettant d'incorporer les nouvelles connaissances à mesure qu'elles apparaissent.

On prend une décision en fonction des connaissances du moment, mais l'on s'assure de pouvoir incorporer les nouveaux savoirs au fur et à mesure. Le meilleur moyen de le faire est de recourir à des études indépendantes, effectuées par des personnalités scientifiques. Au Canada, nous avons un modèle excellent de révision scientifique effectuée par des pairs. Nous servons de référence dans le monde entier à ce titre.

Le président: Le sénateur Gauthier qui, je vous le signale en passant, est chargé de piloter ce projet de loi à la Chambre, avec ou sans amendement, veut vous poser quelques questions.

Le sénateur Gauthier: Révérende Wilson, vous avez parlé de consultations publiques et vous n'avez pas l'impression que le gouvernement donne suite aux recommandations de la Commission Seaborn. Pourriez-vous nous en dire un peu plus? Que proposez-vous pour renforcer la procédure de consultation publique dans le projet de loi? Quelle est votre opinion actuelle de la chose?

La révérende Wilson: Il faut que l'on consulte le public pendant que l'on peut encore faire des choix, soit avant que tout soit fixé définitivement. Sinon, le public va s'inquiéter, mais sans rien pouvoir changer. Le calendrier est donc important.

Si j'en crois mon expérience, il semble que le gouvernement procède toujours aux consultations de la même manière, soit en faisant passer une annonce dans le journal ou encore, dans un cas particulier, en mettant une affiche dans un bureau de poste. Il attend ensuite que les gens se présentent. Il serait bien avisé d'engager des professionnels spécialisés dans les consultations publiques dans d'autres domaines. Ces derniers mettraient leurs compétences au service de cette procédure de consultation publique et la rendraient plus crédible.

En troisième lieu, le gouvernement a repris les termes adéquats mais, lorsqu'on y regarde de près, l'intention des recommandations n'est pas respectée même si, à première vue, tout paraît bon en raison des termes employés.

L'essentiel serait de recourir à du personnel qui fait cela tout le temps et dont c'est le métier et de ne pas se contenter de lancer une bouteille à la mer en attendant une réponse.

Le sénateur Gauthier: Dans votre exposé, vous avez par ailleurs évoqué la nécessité d'un contrôle parlementaire. Vous avez parlé d'un «examen parlementaire». Est-ce que l'on devrait recourir au mécanisme de consultation du public? Vous avez siégé ici. Vous avez été au Parlement. Comment rapprocher les conseils scientifiques du savoir parlementaire?

La révérende Wilson: C'est aux pouvoirs publics d'en décider. M. LaPierre a évoqué certains enjeux scientifiques, mais c'est avant tout une question de politiques publiques, parce qu'il faut que l'opinion publique accepte la solution retenue pour qu'on puisse la mettre en œuvre. Les parlementaires, les sénateurs et les députés sont particulièrement bien placés pour contrôler et superviser la chose. J'aimerais qu'un rapport soit présenté chaque année, éventuellement à un comité spécial mixte, ou au moins à un comité sénatorial, qui serait chargé de l'examiner. Vous auriez alors une idée de ce qui se passe et vous pourriez le faire savoir publiquement. Cela permettrait de renforcer la confiance.

Le sénateur Gauthier: Aux termes du projet de loi C-27, le ministre va déposer un rapport annuel devant le Parlement. Tous les trois ans, il déposera un rapport plus complet, là encore devant la Chambre des communes ou devant le Sénat. Est-ce que vous n'êtes pas d'accord avec cette procédure?

La révérende Wilson: Non, en effet. J'ai siégé suffisamment longtemps au Sénat pour savoir que lorsqu'un ministre y dépose un rapport, il est généralement adopté sans problème. Il faut que ce rapport passe devant un comité très qualifié, comme l'est le vôtre.

Lorsqu'on participe à ce genre d'audiences, on connaît les problèmes et on peut poser les questions qui s'imposent. C'est le rôle d'un comité sénatorial: réexaminer les problèmes.

Le sénateur Gauthier: Je pense vous avoir bien compris.

[Français]

Le sénateur Gauthier: Ma question s'adresse à monsieur Seaborn. Le Sierra Club a publié un communiqué de presse dans lequel il est dit que le gouvernement n'a pas porté attention à vos recommandations.

J'ai consulté votre rapport et la réponse du gouvernement à votre rapport. J'en ai conclu qu'il avait accepté la grande majorité de vos recommandations, à part une ou deux relatives à la constitution du comité de gestion, mais le reste m'apparaît assez évident. Avez-vous vu le document des recommandations Seaborn et les objectifs du projet de loi? La recommandation 3.3 est la seule que le gouvernement n'a pas acceptée en totalité. Quelle est votre réaction?

[Traduction]

M. Seaborn: La réponse du gouvernement à notre rapport, présentée quelques mois plus tard, était rédigée en termes assez généraux. Nous avons d'ailleurs été assez encouragés de voir que nombre de nos recommandations avaient été retenues ou encore acceptées sur le plan des principes.

Toutefois, je vous le répète, lorsqu'on me demande ce que je pense de la réponse du gouvernement, je dis ce qui suit: «Pour l'instant, c'est positif. Les principes généraux sont bons. Je regrette qu'il n'y en ait pas un ou deux qui ne se rapprochent pas davantage des recommandations de notre rapport.» La question importante est la suivante: «Comment cela va-t-il se traduire dans la loi?» Quelles seront les exigences légales et jusqu'à quel point vont-elles répondre aux recommandations du rapport?

C'est pourquoi, en intervenant aujourd'hui devant votre comité, j'ai cherché à mettre le doigt sur un certain nombre d'éléments qui, indépendamment de ce qu'a déclaré le gouvernement dans sa réponse à l'origine, semblent s'écarter considérablement de ce que nous avons recommandé dans plusieurs domaines très importants.

La réponse du gouvernement n'était pas mauvaise, mais la loi n'est pas tout à fait à la hauteur de ce que nous espérions.

[Français]

Le sénateur Gauthier: J'ai posé la question au ministre des Ressources naturelles, M. Dhaliwal, concernant la possibilité d'un conflit d'intérêt entre votre recommandation visant la création d'un organisme indépendant de l'industrie nucléaire et de Atomic Energy Canada Limited. Le ministre a répondu comme suit:

Le rôle du gouvernement consiste à exercer une surveillance appropriée et efficiente, non pas à contrôler les activités commerciales de l'industrie.

Cette réponse faisait suite au projet que j'avais soulevé, l'éventualité de la vente d'un Candu à un pays. Ce Candu est polluant et le principe du pollueur qui paie s'applique et le vendeur canadien, Atomic Energy Canada Limited, dit: «On prend la responsabilité des déchets que votre usine va produire».

Mais le projet de loi est silencieux quant à l'importation de déchets nucléaires. Quelle est votre opinion à ce sujet?

[Traduction]

M. Seaborn: Je sais bien à quel point il est important d'affirmer que l'industrie nucléaire doit assumer la responsabilité des déchets qu'elle produit et qu'elle doit être pleinement et en permanence responsable de la gestion à long terme et en sécurité de ces déchets. Je crains toutefois que l'organisation proposée dans le projet de loi C-27 n'ait pas la confiance du public pour les raisons évoquées par la révérende Wilson et d'autres intervenants, et que l'on ne puisse prendre une décision acceptable. Elle apparaît un peu trop comme un organe au service de l'industrie nucléaire. Elle sera, bien entendu, contrôlée par la Commission de sûreté nucléaire. C'est le cas de toutes les activités nucléaires et cet organisme revêt une grande importance. Toutefois, pour donner une plus grande ouverture et une plus grande transparence à cette organisation véritablement importante, des modifications seraient tout indiquées pour instaurer plus de confiance dans le public qu'avec une société privée instituée par l'industrie nucléaire.

Le président: Pendant que vous êtes sur le sujet, nous avons en Alberta, dans ma province d'origine, une organisation intitulée Petroleum and Natural Gas Conservation Board, qui a été instituée plus ou moins pour les mêmes raisons que celles-ci. Ce conseil albertain a été mis sur pied il y a un demi-siècle pour la production du gaz naturel, du benzène et du soufre. Sa composition est semblable à celle-ci étant donné que son coût de fonctionnement est facturé aux sociétés pétrolières. Cette organisation est toutefois totalement indépendante et semble répondre aux préoccupations du public — du moins, elle tient des audiences publiques, par exemple — même si elle est financée exclusivement par l'industrie. Elle semble pouvoir conserver un point de vue indépendant en dépit du fait que ses membres sont nommés par le gouvernement et non pas par l'industrie pétrolière et gazière, alors que c'est cette dernière qui les paie.

M. Seaborn: Je ne connais pas le fonctionnement détaillé de cette organisation albertaine. Est-ce que vous m'avez bien dit qu'elle est financée par l'industrie pétrolière et gazière, mais que ses membres sont nommés par le gouvernement albertain?

Le président: C'est bien cela.

M. Seaborn: Nous disons qu'un tel organisme serait plus acceptable si c'était le gouvernement fédéral qui nommait les membres du conseil d'administration et du comité consultatif.

Le président: Vous n'aimez pas le principe d'une représentation de l'industrie nucléaire?

M. Seaborn: Au contraire, il faut bien sûr qu'elle soit représentée.

Le président: Mais non qu'elle contrôle l'opération?

M. Seaborn: Il faut des représentants éminents de cette industrie, parce qu'ils sont très compétents, mais il faut aussi que d'autres intérêts soient représentés. Sans que l'on ait précisé à l'avance la composition du conseil d'administration de cette organisation, j'ai bien peur que cette représentation ne soit pas aussi large que nous l'avons fermement recommandé.

Le président: En Alberta, on ne se préoccupe pas de la représentation de l'industrie pétrolière au sein du conseil d'administration. On y retrouve un ensemble de personnes qui ont des compétences techniques dans l'industrie ainsi que des personnes préoccupées par les questions sociales. L'industrie a intérêt à avoir l'opinion publique de son côté. Elle ne veut absolument pas que l'on ait l'impression qu'elle contrôle le résultat des délibérations.

M. Seaborn: Toute la question est là. L'industrie se heurterait à moins de difficultés si l'on apportait un certain nombre de changements au mode de nomination des personnes au sein de ces conseils et si l'on garantissait par ailleurs une représentation plus large du public.

La révérende Wilson: Nous espérions que ces autres parties prenantes seraient nommées dans la loi au lieu d'espérer pour le mieux. Après tout, il s'agit là d'une question d'intérêt public.

Le président: La révérende Wilson nous a fait savoir que le fait de privilégier un entreposage dans les couches géologiques profondes l'inquiétait.

La révérende Wilson: C'est inexact. Ce n'est pas ce qui m'inquiète; ce qui m'inquiète, c'est qu'il semble que l'on ait déjà choisi cette solution.

Le président: Je comprends.

Est-ce que votre réaction est influencée par le fait que les États-Unis entreposent leurs déchets à Yucca Mountain? J'aimerais vous demander, à vous et à M. LaPierre, si vous vous sentez plus à l'aise face à un système d'entreposage en sous-sol à partir du moment où vous savez que les Américains ont retenu ce système?

M. LaPierre: Je vous répète que le comité a convenu que, tout bien considéré, la solution faisant appel à un entreposage souterrain, qu'a retenu EACL, était techniquement faisable. Comme je vous l'ai dit, toutefois, nous étions quelque peu préoccupés par les hypothèses qui étaient faites. Ces hypothèses s'appuient sur l'état de nos connaissances scientifiques à l'époque, mais nous avons toutefois besoin d'un complément d'information dont nous ne disposions pas au moment considéré. Nous espérons en apprendre davantage au fil des années.

Je tiens à ce que nous fassions en sorte de mettre en place une procédure nous permettant d'incorporer les nouvelles connaissances à mesure qu'elles apparaîtront. Il n'en est pas toujours ainsi. On met en place des projets et les budgets sont fixés à terme. Il s'agit ici d'un énorme projet de société qui va durer de nombreuses années et sur plusieurs générations.

Les États-Unis ont pris leurs dispositions. Ils se heurtent aux mêmes problèmes. Au sujet de Yucca Mountain, ils ont retenu le principe de précaution en se donnant la possibilité de faire évoluer la gestion du projet.

La révérende Wilson: Je tiens à appuyer M. LaPierre lorsqu'il recommande que le comité consultatif soit transformé en un groupe d'examen par les pairs pour que l'on puisse adapter les nouvelles connaissances scientifiques à mesure qu'elles apparaissent. La loi ne retient pas cette possibilité.

Pour ce qui est de Yucca Mountain, lorsque nous siégions au sein de la commission, nous entendions dire que tout le monde s'accordait au plan international pour préconiser un entreposage souterrain. Je me demande si ce consensus existe bien au sein du public, qui n'a jamais été consulté. Est-ce qu'il y a un véritable consensus au sein de la population ou est-ce que ça ne concerne que la communauté scientifique? Seul le temps nous dira comment va être acceptée cette proposition si les gens n'ont pas été consultés.

Le sénateur Keon: Monsieur le président, je voudrais revenir sur l'organisation fondamentale. Nous avons reçu au sujet de ce projet de loi un énorme courrier qui montre que les gens sont très déçus par cette organisation. J'ai bien du mal à comprendre pour quelle raison le gouvernement n'a pas mis en place l'organisation recommandée par la Commission Seaborn. La correspondance que j'ai reçue reprend la vieille fable du renard dans le poulailler, et ce genre d'observation nous vient de différentes sources indépendantes entre elles.

M. LaPierre a fait état d'un examen par les pairs pour faire en sorte que le comité consultatif soit toujours à la pointe de la technique. À moins que ce soit une question de coût ou un oubli de la part des rédacteurs, je vois mal comment la chose a pu se produire. Je considère cependant que c'est pratiquement en soi un obstacle insurmontable et que la population en est très mécontente.

J'aimerais que vous nous expliquiez un peu plus longuement pour quelle raison, à votre avis, le gouvernement nous a présenté à la base cet organigramme qui paraît tout à fait illogique.

M. Seaborn: Monsieur le président, je peux comprendre que le gouvernement souhaite confier une bonne part des responsabilités à l'industrie nucléaire — non seulement au sujet du financement de l'opération, qui doit procéder dans les formes, mais aussi en lui disant: «Ces sous-produits sont les vôtres; vous êtes l'éventuel pollueur; il vous incombe de contrôler la situation à long terme.» C'est probablement la raison pour laquelle on a institué ce modèle en particulier.

Comme je l'ai indiqué par ailleurs, je crains qu'un modèle de ce type, émanant de l'industrie nucléaire, bénéficie bien moins de l'appui et de la confiance du public que celui que vous avez à l'esprit, soit celui d'une société d'État ou de son équivalent tel qu'à l'heure actuelle on l'emploie, il me semble, au sein du gouvernement.

J'ai hésité à dire: «Écartez tout ce fatras et recommencez à zéro», même si ce serait une très bonne chose. Je me suis contenté de préciser: «Si vous êtes déterminé à mettre en œuvre ce modèle précis de société privée, apportez au minimum un certain nombre d'amendements qui permettront de rendre davantage de comptes au public, de renforcer les exigences de consultations publiques et d'ajouter des mécanismes de surveillance, qui pourraient contribuer à renforcer la confiance d'un public assez sceptique.»

La révérende Wilson: Je ne sais vraiment pas pourquoi le gouvernement a procédé ainsi. J'ai peur que ce faisant, le gouvernement ait semé au Canada le germe de la désobéissance civile pour l'avenir.

La population a des idées bien arrêtées à ce sujet. Les médias ne l'ont pas encore abordé. Ils ne le feront probablement pas avant qu'un site soit retenu. Lorsque ce sera fait, toutefois, je souhaite bien de la chance au gouvernement compte tenu des dispositions actuelles.

Le sénateur Sibbeston: Monsieur le président, je suis convaincu que l'on considère à l'heure actuelle qu'un enfouissage dans les couches géologiques correspond à un entreposage permanent, à l'idée selon laquelle on peut se débarrasser des déchets dans des couches profondes et ne plus s'en préoccuper.

Je pense toutefois que l'on envisage aussi jusqu'à un certain point de récupérer ces déchets à l'avenir pour pouvoir s'en défaire dans de meilleures conditions en faisant appel à de nouvelles techniques. Est-ce que c'est une possibilité que vous avez évoquée dans ce domaine?

M. Seaborn: Nous en avons certainement entendu parler par un certain nombre de gens ayant pris part aux audiences, par des personnes qui estiment qu'il convient de prévoir certaines possibilités de récupération au cas où l'on souhaiterait recycler plus tard les déchets enfouis ou au cas où l'on découvrirait une meilleure méthode pour s'en départir.

Nous avons fait certaines observations à ce sujet dans notre rapport. Toutefois, c'est sur la base de ce principe que nous avons souligné l'importance d'envisager plusieurs options autres que l'enfouissement plus ou moins à perpétuité dans des formations rocheuses profondes. Nous avons déclaré qu'il fallait au minimum présenter deux solutions de rechange — nous en avons répertorié plusieurs — et comparer ensuite leurs coûts et leurs bénéfices pour en arriver à une décision définitive.

M. LaPierre: Nous avons consacré un certain temps à l'étude de trois options. La première était celle de l'entreposage sur place qui, selon les renseignements dont nous disposions, devait nous permettre d'entreposer les déchets en toute sécurité pendant 100 ans. Nous avons examiné ensuite la possibilité d'un stockage intermédiaire. En troisième lieu, nous nous sommes penchés sur l'enfouissement dans des couches géologiques profondes.

Quelle que soit la méthode employée, il faudra à un moment donné recourir à une forme d'entreposage plus permanente. Il reste cependant toujours l'argument selon lequel nous ne savions pas grand-chose il y a 50 ans au sujet de l'énergie nucléaire. Dans 50 ans, quelles seront nos connaissances?

Nous savons, effectivement, étant donné la façon dont sont construits les réacteurs CANDU, qu'il reste une quantité significative d'énergie dans les déchets de combustible. Nous nous sommes heurtés à ce problème. Notre mandat nous appelait cependant à évaluer la proposition d'entreposage dans des couches géologiques profondes et nous nous en sommes tenus à ce projet.

Le sénateur Sibbeston: La Commission Seaborn a conclu que les méthodes d'entreposage dans des couches géologiques étaient faisables d'un point de vue technique mais qu'il n'était pas prouvé qu'elles étaient acceptables par la société.

Je crois comprendre que cette commission et d'autres commentateurs ont conclu que l'on ne pourrait faire des progrès sur cette question que lorsque les personnes des régions touchées auraient véritablement et franchement été consultées, lorsqu'elles se sentiraient vraiment en sécurité et lorsqu'elles auraient eu la possibilité de prendre part aux décisions.

Vous avait fait état de vos préoccupations à ce sujet. Vous devez évidemment bien connaître la question étant donné que vous avez entendu les intervenants et pris part à toute cette procédure d'audiences.

Quelle est l'importance de cette procédure de consultation publique ainsi que de la crainte que l'on ne veille pas suffisamment sur la sécurité de l'entreposage des déchets?

M. Seaborn: Je vais d'abord vous répondre et j'imagine que mes collègues prendront la suite.

Il est extrêmement important que par divers moyens — la révérende Wilson en a évoqué quelques-uns — vous cherchiez résolument à faire en sorte que le public comprenne, au départ, quelles sont les options qui s'offrent à lui, et que vous instituiez ensuite une méthode vous permettant d'entendre ce que le public a à dire. Vous pourrez ensuite agir d'une façon qui tienne compte des préoccupations du public, qui sont bien réelles.

Il faudra absolument le faire lorsqu'on va retenir un site et une collectivité. À ce moment-là, nous sommes tout à fait persuadés qu'il faudra instaurer un mécanisme de consultation publique très ouvert et très honnête. De cette façon, la population comprendra ce qui est proposé et pourra toujours influer sur la façon dont l'installation, si elle est effectivement mise en place, doit être contrôlée et exploitée. On évitera les craintes constantes. La population aura jusqu'à un certain point la possibilité de comprendre le fonctionnement du projet.

La consultation et la participation des collectivités locales prennent une importance particulière à un moment donné.

La révérende Wilson: Je souligne, et vous le trouverez dans notre rapport, que nous avons conclu que, d'un point de vue technique, tout bien considéré — c'est une première réserve — au niveau de la conception — c'est une deuxième réserve — le projet présente des garanties de sécurité d'un point de vue technique, mais pas d'un point de vue social.

Chaque fois que je lis ce qu'en dit le gouvernement, je vois qu'il oublie de mentionner que le projet n'est pas jugé sécuritaire du point de vue social. Nous avons dit ensuite que le projet était probablement sécuritaire d'un point de vue technique, mais qu'il n'était pas acceptable et que nombre d'intervenants estimaient qu'il ne présentait aucune garantie d'un point de vue social étant donné que bien souvent les gens fondent leur jugement en matière de sécurité sur des considérations autres que techniques. Qu'on le veuille ou non, il faut tirer les enseignements de l'histoire et des expériences qui ont été faites ailleurs. Il faut tenir compte de ces facteurs, ce qui n'a pas été fait encore.

Pour ce qui est de l'intérêt de la population, je vous répète qu'à mon avis ce projet n'éveillera pas un grand intérêt tant que les régions économiques n'auront pas été répertoriées et que quelqu'un ne se sera pas dit: «Ah, mais c'est chez nous que ça va se faire.»

Nous répétons constamment que les collectivités ont le droit d'être pleinement informées et de prendre leurs propres décisions, mais nous nous heurtons à la définition d'une «collectivité». S'agit-il seulement d'une municipalité? Que vont faire les localités qui l'encourent? Si elles ne veulent pas du projet, comment vont-elles faire pression? Les Autochtones ne souhaitent pas que nous assimilions la collectivité à une municipalité parce qu'il y a des chevauchements. Il y a bien des ambiguïtés concernant la mise en œuvre de ce projet et le déroulement des consultations.

Je suis convaincue qu'il faudra consacrer autant d'énergie, sinon plus, à cette question, qu'au côté scientifique ou à l'examen par les pairs, sinon nous allons tout droit à un échec.

Le président: Avant que nous nous quittions, j'aimerais vous poser une petite question, même si c'est un peu injuste. Vous vous souviendrez que vous avez consacré de nombreuses années à la rédaction de votre rapport. Vous nous dites ici que vous vous attendez à ce que la SG présente un rapport dans les trois ans. Est-ce que ce délai vous paraît bon ou est-ce qu'il est trop long?

M. LaPierre: J'ai été surpris par cette recommandation. Dans l'état actuel de la SG, je ne pense pas qu'elle puisse y parvenir en trois ans. Nous avons besoin d'une structure différente si l'on veut pouvoir le faire. Si l'on instaure une transparence — et la transparence a différentes composantes — il est possible qu'on ne puisse pas y parvenir.

La révérende Wilson: C'est pourquoi j'ai insisté sur le rôle du Parlement et du Sénat lorsqu'il s'agit d'effectuer un suivi sur la question. Elle ne va pas disparaître. Nous y serons confrontés pendant bien longtemps.

Le président: C'est tout à fait comme le Sénat.

La révérende Wilson: La question ne sera pas réglée en trois ans, j'en suis persuadée. Nous espérions qu'un an avant le dépôt du projet de loi la communauté autochtone se doterait elle-même d'un mécanisme de consultation. Ce n'est pas ce qui s'est passé. Je n'en vois pas la possibilité dans les trois ans à venir. Il faudra toutefois que l'on soit prêts à agir dans 10 ans.

Le sénateur Mahovlich: Pouvez-vous me dire quel est le pays dans le monde qui informe le mieux sa population au sujet de ses déchets?

La révérende Wilson: Vous voulez dire en matière d'entreposage?

Le sénateur Mahovlich: Oui. Est-ce que c'est la Russie?

La révérende Wilson: La Russie se contente de les jeter dans la mer du Nord.

M. LaPierre: La Suède. D'après les renseignements dont nous disposons et la structure qui a été mise en place, je dirais que ce sont les Suédois. Ils ont institué un mécanisme. Ils disposent d'un entreposage intermédiaire. Ils ont réglé la question de l'enlèvement progressif. Je ne sais pas où vont les déchets.

Ce qui nous est apparu clairement lorsque nous avons consulté les gens, c'est que la population comprend mal la radioactivité, mais qu'elle en a peur. Elle reconnaît aussi qu'elle doit assumer la responsabilité des déchets dont elle a tiré parti, et je crois que c'est une bonne chose.

Toutefois, il y a une autre question qui vient se greffer à partir de là. Je souscris à l'argumentation du sénateur Wilson et de M. Seaborn lorsqu'ils nous disent que nous avons besoin d'une structure transparente. En l'absence d'une telle structure, je crois que nous éprouverons des difficultés.

Le sénateur Mahovlich: La Suède est un bon modèle, n'est-ce pas?

M. LaPierre: Oui, c'est un bon modèle.

Le président: Je remercie les membres du groupe. Nous allons tenir compte de vos conseils. Nous avons encore quelques témoins à entendre et il vous faudra ensuite consulter les Débats du Sénat pour savoir où nous en sommes.

Notre prochain groupe est constitué par Charles Fox, chef régional de l'Assemblée des premières nations, et par David Martin, conseiller en politique nucléaire du Sierra Club. Vos exposés sont probablement totalement indépendants l'un de l'autre et je demanderais donc à chacun d'entre vous de faire son exposé, après quoi nous vous poserons des questions.

M. Charles Fox, chef régional, Assemblée des premières nations: Monsieur le président, je tiens à vous présenter tout d'abord Lawrence Ignace, conseiller des politiques en matière d'environnement au sein de l'Assemblée des premières nations.

Merci de m'avoir donné la possibilité d'intervenir. Je tiens à louer notre créateur, qui nous donne l'occasion de partager ce moment ensemble, et à prendre acte de la présence de l'esprit de nos ancêtres partis avant nous. Je tiens aussi à rappeler que nous sommes aujourd'hui sur les terres traditionnelles des Algonquins. Je suis le chef régional de l'Ontario.

J'ai ici un mémoire dont je ne lirai que certaines parties.

L'Assemblée des premières nations, l'APN, est un organisme sans but lucratif voué à la défense des intérêts des Premières nations du Canada. Par l'entremise des Chefs en assemblée, l'APN représente plus de 633 Premières nations réparties au pays, ainsi que nos citoyens vivant en régions rurales et urbaines.

L'état de l'environnement trouble profondément les Premières nations. De nombreuses collectivités des Premières nations vivent à proximité d'une centrale nucléaire ou d'un centre de recherche, ou encore leur territoire traditionnel se trouve dans une région où on pourrait songer à entreposer à long terme des déchets de combustible nucléaire.

Bon nombre de représentants des Premières nations ont participé à la Commission Seaborn. J'ai eu moi aussi le privilège d'intervenir devant cette commission. Ces représentants ont exprimé les préoccupations suivantes: ils n'avaient pas eu la chance d'examiner les propositions; les propositions ne reflétaient pas le savoir traditionnel lié à l'écologie; les propositions venaient en forte contradiction avec leurs croyances profondes; enfin, ils doutaient que le fait d'accueillir une installation pour l'élimination de déchets de combustible nucléaire sur leurs terres leur soit profitable.

En novembre 2001, l'APN a fait une présentation sur le sujet au Comité permanent des affaires autochtones, du développement du grand Nord et des ressources naturelles. Nous sommes reconnaissants du temps et de l'attention qui nous ont été accordés à ce moment-là pour proposer nos amendements.

Toutefois, les Premières nations tentent d'établir une relation de gouvernement à gouvernement avec le Canada. Cela s'applique à tous nos échanges, notamment en ce qui concerne l'élimination des déchets de combustible nucléaire et l'environnement.

Avec le temps, ces craintes ne se sont pas apaisées. Les Premières nations s'opposent à la production d'énergie à partir de sources nucléaires. Il faut trouver d'autres moyens de produire de l'énergie. En outre, les Premières nations réprouvent l'importation au pays de déchets de combustible nucléaire afin de les entreposer en permanence. Les commentaires qui suivent reflètent nos obligations.

L'article 3 de la loi précise que celle-ci vise à encadrer la prise de décisions entourant les déchets de combustible nucléaire selon une perspective globale, intégrée et efficiente. La formulation «globale, intégrée et efficiente» peut être comprise de bien des façons. Elle est suffisamment vague et générale pour revêtir tous les sens qu'une personne pourrait lui donner à partir du point de vue où elle se place.

Les Premières nations pourraient faire valoir, par exemple, que «globale et intégrée» veut dire que les répercussions sur les sociétés, les cultures et la santé humaine, ainsi que la possibilité de perturber l'habitat faunique seront prises en considération, et que l'approche retenue sera holistique, durable et respectueuse de l'environnement. D'autres pourraient y aller d'une interprétation plus limitée.

L'Assemblée des premières nations est d'avis que la viabilité, la protection de l'environnement et la reconnaissance des droits ancestraux et issus de traités doivent guider la prise de décisions entourant la gestion des déchets de combustible nucléaire. Ces préoccupations devraient orienter la société de gestion des déchets à mesure qu'elle élabore ses propositions.

Dans le discours du Trône de 2001, la Gouverneure générale affirmait:

Le Canada peut s'enorgueillir de la beauté de ses vastes espaces et de la richesse de ses ressources naturelles. Mais ce privilège va de pair avec la responsabilité de préserver ces trésors. Un environnement sain est essentiel pour assurer une économie durable et garantir notre qualité de vie.

D'autre part, la Loi constitutionnelle de 1982, reconnaît et confirme les droits ancestraux et issus de traités que détiennent les peuples autochtones du Canada, notamment les Premières nations. Le gouvernement fédéral a pris des engagements envers la protection de l'environnement, le développement durable et la reconnaissance des droits ancestraux et issus de traités. Or, il mettrait ces engagements en évidence si le texte de loi en faisait clairement mention.

Nous recommandons que l'on amende l'article 3 du projet de loi pour qu'il se lise comme suit:

La présente loi vise à encadrer la prise de décision du gouverneur en conseil, à partir des propositions de la société de gestion, concernant la gestion des déchets nucléaires, compte tenu de principes de développement durable et d'une perspective globale, intégrée, efficiente et soucieuse de l'environnement au Canada qui respecte les droits ancestraux et issus de traités garantis par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

L'article 6 de la loi stipule qu'il incombe aux sociétés d'énergie nucléaire canadiennes de constituer une société de gestion. La société de gestion n'est pas un agent de Sa Majesté du chef du Canada. Même si le gouvernement fédéral conserve sa responsabilité décisionnelle, il se tourne vers l'industrie nucléaire pour s'informer des solutions à sa portée et pour appliquer la décision.

Les dispositions de l'article 14 ne protègent en rien les intérêts des Premières nations. Le fait de confier la proposition, la mise en œuvre et la gestion de produits qui comptent parmi les plus dangereux que l'homme puisse produire à un organisme dit indépendant malgré ses intérêts, soulève de vives inquiétudes. En procédant ainsi, le gouvernement fédéral se départit de sa responsabilité de protéger le bien public et il compromet sa responsabilité fiduciaire à l'égard des Premières nations. L'Assemblée des premières nations décrie vivement cette approche.

L'Assemblée des premières nations recommande la création d'une agence publique qui représenterait la Couronne dans le but de soumettre et d'appliquer la décision du gouverneur en conseil, sans pour cela modifier les ententes de financement entourant le projet de loi. Voilà qui permettrait davantage de transparence et une responsabilisation accrue, et les Premières nations se sentiraient plus à l'aise à l'idée que leurs intérêts et ceux de la population canadienne sont protégés.

L'interprétation de l'expression «la région économique» figurant à l'alinéa 8(2)c) et aux paragraphes 12(3)et 12(4) soulève des préoccupations. Ces régions économiques peuvent correspondre ou non aux territoires traditionnels des Premières nations. Les Premières nations définissent vaguement le territoire traditionnel comme étant une région à l'intérieur de laquelle une Première nation s'est adonnée à ses principales activités économiques. Les Premières nations ont le droit de pratiquer des activités traditionnelles comme la chasse, la pêche, le piégeage et la cueillette au sein de leurs territoires ancestraux, lesquels débordent des frontières des réserves; or, ce droit s'inscrit dans les droits ancestraux et issus de traités protégés par la Constitution en vertu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Pour assurer le respect des droits jouissant d'une protection constitutionnelle, nous demandons l'amendement de l'article 12 pour qu'il se lise comme suit:

(3) L'étude doit comporter les précisions techniques de chaque approche proposée et indiquer une région économique et un territoire traditionnel retenus pour sa mise en œuvre.

(4) Chaque proposition fait état des avantages, risques et coûts comparatifs compte tenu de la région économique et du territoire traditionnel retenus, ainsi que des considérations morales, sociales et économiques sous-jacentes.

Le paragraphe 8(2) précise que la société de gestion s'adjoint un comité consultatif. Dans la mesure du possible, l'organe dirigeant de la société de gestion veille à ce que le comité consultatif compte des membres possédant des connaissances traditionnelles autochtones et des membres nommés par des organismes autochtones dont la région économique est visée par la proposition retenue par le gouverneur en conseil en vertu de l'article 15, et approuvée aux termes du paragraphe 20(5).

Cette proposition cause plusieurs préoccupations à l'Assemblée des premières nations. Tout d'abord, les propositions de la société de gestion pourraient avoir de sérieuses répercussions sur les économies de subsistance et le mode de vie des Premières nations, ainsi que sur la santé humaine et l'habitat faunique. Aussi, les Premières nations s'attendent à être représentées au comité consultatif. Pour y veiller, nous demandons un énoncé plus clair voulant que les Premières nations et des organismes autochtones dûment nommés y siègent.

En plus d'être représentées au comité consultatif, les Premières nations visées doivent être pleinement informées et en mesure de participer efficacement. L'APN recommande au gouvernement fédéral de financer la participation des Premières nations, permettant entre autres à leurs gouvernements et organismes de mener des recherches et de se réunir avant les rencontres du comité consultatif afin de discuter de ces questions.

Deuxièmement, la formulation de l'alinéa 8(2)c) crée un dilemme quant à la participation des Premières nations aux travaux préliminaires du comité consultatif. Comme il a été mentionné plus tôt, le comité consultatif doit être constitué avant la remise de l'exposé dont il est question au paragraphe 12(1); par contre, les Premières nations représentées au comité consultatif seront choisies selon que la proposition retenue ou approuvée vise leur région économique. Cette mesure aurait pour effet d'exclure les Premières nations de l'étude des propositions et des recommandations de la société de gestion, ne permettant leur participation qu'une fois l'approche établie. Par ailleurs, l'article 14 ne corrige pas la situation car il ne prévoit que la possibilité de consultations, par le ministre, auprès de la population générale. Rien ne garantit que les Premières nations seront effectivement consultées. Ce n'est pas acceptable.

Troisièmement, le projet de loi ne fait aucune référence au «savoir traditionnel des Autochtones». Les Premières nations se caractérisent par une diversité tout aussi vaste que celle du pays, et il semble impossible qu'une société de gestion des déchets détermine facilement qui est un expert du savoir autochtone pour une région économique donnée. «L'expertise» peut aussi impliquer une certaine forme d'enseignement supérieur. Par contre, les Premières nations se fondent sur une connaissance profonde de la terre et des valeurs environnementales qui lui ont été transmises au fil des siècles. Les aînés ou les gardiens de ce grand savoir ne sont généralement pas qualifiés d'experts, et il est donc important de laisser les Premières nations décider de l'expert retenu pour une région économique donnée.

En outre, il convient de reconnaître que le gouvernement fédéral a pris plusieurs engagements, tant à l'échelle nationale qu'internationale, en vue de reconnaître l'importance du savoir traditionnel des Autochtones au chapitre du développement durable. Action 21, la Déclaration de Rio et la Convention sur la diversité biologique reconnaissent que les pratiques et le savoir traditionnels des peuples autochtones confèrent à ces derniers un rôle essentiel dans la gestion et la mise en valeur de l'environnement. L'APN recommande que le choix de l'expert devrait être à la discrétion des Premières nations en cause.

Enfin, il y a la question des régions économiques. Pour dissiper toutes ces préoccupations, on recommande l'amendement du paragraphe 8(2) et l'ajout de deux paragraphes, soit:

(2) Les membres du comité sont nommés par l'organe dirigeant de la société de gestion de façon à assurer la représentation,

a) d'un large éventail de disciplines scientifiques et techniques, y compris les connaissances traditionnelles des Autochtones, se rapportant à la gestion de déchets nucléaires;

(4) Le gouvernement fédéral allouera des ressources aux gouvernements et organismes autochtones, notamment pour soutenir la recherche et les discussions, afin que ceux-ci participent de façon éclairée aux travaux du comité consultatif.

Pour ce qui est des répercussions socio-économiques, l'alinéa 12(6)c) parle de prévenir ou d'atténuer «des répercussions socioéconomiques notables sur le mode de vie d'une collectivité, ou sur ses aspirations sociales, culturelles ou économiques''. Toutefois, le projet de loi ne définit pas ce qu'on entend par ``répercussions socioéconomiques notables ».

L'APN a appris que le ministère des Ressources naturelles compte appuyer sa définition des «répercussions socioéconomiques notables» sur le document intitulé Guidelines and Principles for Social Impact Assessment, préparé par un organisme américain — le Interorganizational Committee on Guidelines and Principles for Social Impact Assessment —, et sur les lignes directrices de l'Agence canadienne d'évaluation environnementale.

En outre, notre présentation comporte une annexe tirée du récent rapport découlant de la conférence des parties de la Convention sur la diversité biologique. Ce groupe fait partie du programme des Nations Unies pour l'environnement qui tenait sa sixième rencontre à La Haye le 19 avril dernier. L'annexe se veut une décision endossée par les signataires, dont le Canada.

La recommandation vise à faciliter la participation des Premières nations aux évaluations environnementales, lorsque les développements proposés se font sentir sur les territoires traditionnels. Les territoires englobent les terres, les cours d'eau et les sites sacrés. Cette recommandation stipule que les «études sur les impacts» doivent tenir compte des aspects sociaux, culturels et environnementaux. Nous avons inséré l'annexe pour démontrer qu'il existait une autre solution pour regrouper les aspects socioéconomiques de l'environnement afin d'approfondir et d'élargir l'analyse et la compréhension du sujet.

Toutefois, on ne sait pas trop comment la société de gestion interprétera les «répercussions socioéconomiques notables». Puisque la société de gestion se compose d'organes intéressés à limiter sa responsabilité, on conçoit aisément pourquoi celle-ci s'efforcerait de restreindre le sens de l'expression.

Une interprétation étroite ou autrement inappropriée de l'expression pourrait avoir une incidence négative sur les droits ancestraux et issus de traités. Les Premières nations souhaitent contribuer à la définition de l'expression «répercussions socio-économiques notables» de façon à englober les effets qui pourraient se faire sentir sur leurs droits. Cette situation rend encore plus impérative la participation des Premières nations au comité consultatif dès sa formation.

L'Assemblée des premières nations recommande l'insertion, à l'article 2 du projet de loi, de la définition suivante des «répercussions socioéconomiques notables»:

Les «répercussions socio-économiques notables» englobent l'incidence sur l'usage traditionnel des terres et sur les droits ancestraux issus de traités garantis à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

L'Assemblée des premières nations incite le gouvernement fédéral à assumer ses responsabilités envers les prochaines générations tout au long des travaux portant sur sa politique nucléaire. En outre, nous l'encourageons à prendre la pleine responsabilité de la gestion des déchets de combustible nucléaire en mettant sur pied une société de gestion qui agirait comme organisme public relevant de la Couronne. Toutefois, quelles que soient les décisions prises à cet égard, les Premières nations s'engagent à se pencher avec le gouvernement fédéral sur cette importante question. Les Premières nations seront mieux placées pour agir si la loi tient compte de leurs intérêts et si elles peuvent prendre part au processus décisionnel.

L'Assemblée des premières nations remercie le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles de bien vouloir tenir compte des enjeux ici soulevés.

Le président: Nous allons entendre maintenant David Martin et nous passerons ensuite aux questions.

M. David Martin, conseiller en politique nucléaire, Sierra Club du Canada: Monsieur le président et honorables sénateurs, je comparais ici au nom du Sierra Club du Canada. Par le passé, nous avons présenté des critiques détaillées de cette loi. Nous avons effectivement déposé plus de 30 propositions d'amendement précises au projet de loi C-27. Je m'en tiendrai cependant à deux questions fondamentales.

Le principal problème est celui du manque d'indépendance de la société de gestion des déchets qui est proposée. Vous n'ignorez pas, honorables sénateurs, que le projet de loi dispose à l'article 6 que la société de gestion des déchets ne comporte que des représentants de l'industrie nucléaire — soit des gens qui sont justement chargés de la production de ces déchets radioactifs mortellement dangereux et dont la durée de vie est très longue.

Non seulement cette décision retire à la société de gestion toute crédibilité, mais elle la place en outre directement en conflit d'intérêts. On sait à quel point l'industrie nucléaire penche en faveur d'un entreposage dans les couches géologiques profondes, et il est donc pratiquement certain que cette solution sera retenue de préférence aux deux autres propositions faites aux alinéas 12b) et c), à savoir «l'entreposage à l'emplacement des réacteurs nucléaires» et «l'entreposage centralisé en surface ou souterrain».

Le Sierra Club du Canada s'inscrit en faux contre le mythe avancé par l'industrie nucléaire et son allié, Ressources naturelles Canada, lorsqu'ils prétendent qu'il existe «un consensus à l'échelle internationale» concernant la viabilité de l'enfouissement dans les couches géologiques. Il y a peut-être un consensus au sein de l'industrie nucléaire, mais certainement pas dans l'industrie dans son ensemble ni même, dois-je dire, au sein de la communauté scientifique.

Le projet de loi dispose par ailleurs au paragraphe 8(2) que les membres du comité consultatif seront nommés par la société de gestion. On s'assure ainsi pratiquement que le comité consultatif lui-même reflétera uniquement le point de vue de l'industrie nucléaire.

Je tiens à préciser une chose, notamment parce que c'est l'un des rares points sur lesquels nous ne sommes peut-être pas d'accord avec M. Seaborn. Nous estimons que l'industrie nucléaire n'a pas sa place au sein de la société de gestion. Il y a une trentaine d'années, il y avait des représentants de l'industrie au sein du conseil d'administration de la Commission canadienne de sûreté nucléaire, mais ce n'est plus le cas. On ne pourrait même plus l'imaginer. Ce serait scandaleux.

Il est scandaleux que l'on se propose de faire participer l'industrie aux décisions prises par la société de gestion. C'est au sein du comité consultatif qu'elle doit légitimement être représentée, à mon avis. Je ne vois aucun inconvénient à ce qu'elle donne des conseils. Par contre, nous nous opposons résolument à ce que des gens en conflit d'intérêts puissent prendre des décisions.

Plusieurs changements doivent être apportés au projet de loi pour garantir l'indépendance et l'objectivité des délibérations portant sur la gestion à long terme des déchets fortement radioactifs.

Tout d'abord, le ministre désigné aux termes de l'article 2 doit être le ministre de l'Environnement et non pas le ministre des Ressources naturelles, qui est clairement en conflit d'intérêts étant donné qu'il est responsable par ailleurs d'Énergie atomique du Canada limitée, l'EACL, une «société d'énergie nucléaire» selon la définition donnée justement par le préambule de la loi. Il est de notoriété publique qu'EACL joue un rôle clé en tant que producteur de déchets de combustible nucléaire, que promoteur de l'énergie nucléaire et que partisan de l'enfouissement dans des couches géologiques profondes.

En second lieu, il faut que la société de gestion soit véritablement indépendante et que ses membres soient nommés par le ministre de l'Environnement de façon à refléter un large éventail d'intérêts, de préoccupations et de compétences. Cette proposition est conforme aux recommandations faites par la Commission Seaborn dans son rapport de février 1998.

Troisièmement, il faut que les membres du comité consultatif soient eux aussi nommés par le ministre de l'Environnement de façon à représenter une large gamme d'intérêts.

S'il n'adoptait pas ces recommandations, le Sénat paverait la voie à une confrontation sans précédent en matière d'environnement. La tentative faite par l'industrie nucléaire de forcer certaines collectivités du Bouclier canadien — non identifiées pour l'instant — d'accepter des décharges de déchets nucléaires va donner lieu à la bataille écologique du nouveau millénaire. Je suis convaincu que cette bataille, l'industrie nucléaire va la perdre, mais uniquement au prix d'un véritable déchirement social. S'il était sage, le gouvernement s'efforcerait de trouver un consensus plutôt que de rechercher la confrontation, et de viser à l'objectivité plutôt que de se fonder sur des jugements préconçus.

Je tiens aussi à faire état de la préoccupation selon laquelle ce projet de loi va autoriser l'importation de déchets radioactifs étrangers au Canada. Il est entendu depuis longtemps, même si c'est de façon tacite, que le Canada n'autorisera pas l'importation de déchets radioactifs, même s'il s'agit de combustible usé tiré de l'exploitation des réacteurs CANDU vendus à l'étranger. Il faut que le Sénat étouffe dans l'œuf cette terrible perspective, qui ferait de nous une décharge internationale de combustible nucléaire.

On pourrait remédier facilement à cette difficulté en insérant tout simplement le terme «domestiques» dans la définition des «déchets nucléaires» à l'article 2 du projet de loi. Nous proposons que l'on amende cette disposition afin que les déchets nucléaires soient définis comme étant «les grappes de combustible irradié retirées des réacteurs domestiques à fission nucléaire, à vocation commerciale ou de recherche.»

Nous avons mis l'accent sur quelques points principaux du projet de loi sur les déchets de combustible nucléaire, mais je tiens à souligner que le Sierra Club a de nombreuses autres préoccupations sur des points précis, que nous avons évoquées précédemment devant vos collègues de la Chambre des communes. Je souscris aux conclusions du mémoire qui vous a été présenté par l'organisation écologique Northwatch le 21 avril 2002.

On n'a pas tenu compte de nos recommandations précédentes. Nous nous en remettons par conséquent aux honorables sénateurs et à leur capacité proverbiale à réfléchir sereinement sur toutes ces questions. On a assimilé les déchets radioactifs à une «thalidomide pour l'éternité» parce qu'ils restent toxiques pendant des centaines de milliers d'années. C'est un patrimoine délétère pour les générations de l'avenir qui grossit tous les jours. Il y a là de quoi nous faire réfléchir. J'affirme qu'il ne faut pas se contenter d'y réfléchir — il faut agir.

Je suis tout disposé à répondre aux questions que vous voudrez me poser.

Le président: Monsieur Fox, vous semblez recommander la création d'une nouvelle société d'État, et pourtant vous ne faites pas confiance à deux sociétés d'État qui sont déjà en place, Alberta Energy et EACL. Pourquoi voulez-vous que nous en établissions davantage? Ne pensez-vous pas qu'il serait utile qu'une société d'État supervise l'autre?

M. Lawrence Ignace, conseiller en politique de l'environnement, Assemblée des premières nations: Honorables sénateurs, nous ne voulons pas d'une autre société d'État. Nous sommes en ce moment en cours de négociations et nous partons du principe qu'il y aura une SG. Toutefois, si nous parvenons à vous faire changer d'avis autour de cette table, nous accepterons aussi cette décision. Pour l'instant, nous sommes en quelque sorte dans l'expectative.

Le président: Vous ne recommandez donc pas nécessairement que l'on fasse de la SG une société d'État.

M. Ignace: Non, en effet.

Le président: Monsieur Martin, est-ce que cette organisation revêt pour vous une grande importance?

M. Martin: Je ne pense pas que nous ayons un point de vue bien arrêté concernant l'opportunité d'en faire ou non une société d'État.

Le sénateur Keon: J'ai lu vos deux mémoires, et vous faites une quantité d'objections à ce projet de loi. Si l'on devait adopter, notamment, tous les amendements proposés par M. Martin — qui sont très judicieux — il faudrait, à mon avis, complètement reprendre la rédaction du projet de loi. Est-ce que c'est le message que vous souhaitez faire passer?

M. Martin: Il est indéniable que ce projet de loi pose des problèmes de fond. La question de l'indépendance de la société de gestion est fondamentale. Je suis d'accord pour dire, par conséquent, qu'il faudrait procéder à une refonte substantielle du texte.

Le sénateur Keon: Monsieur Fox, avez-vous le même sentiment? Pensez-vous que l'on pourrait amender le projet de loi pour que le texte soit acceptable?

M. Fox: Je suis profondément préoccupé par la question des déchets nucléaires, un point c'est tout. Je suis intervenu devant la Commission Seaborn en ma qualité de grand chef des Nishnawbe-Aski du nord de l'Ontario. Nous savons que l'on envisage éventuellement de procéder à l'entreposage dans la région du nord de l'Ontario.

Je vous répète ce qu'a déclaré l'un de nos chefs dont la localité est accessible par la route — pas aussi éloignée que la mienne. Il a dit à la Commission Seaborn: «Lorsque les camions vont commencer à apporter les déchets nucléaires, je vais aller à leur rencontre avec mes propres camions.» Voilà qui m'a fait dire qu'il avait l'intention de bloquer le transport des déchets nucléaires.

Compte tenu de cette situation, j'interviens ici sans avoir sur quel pied danser. D'un côté, je suis totalement opposé aux déchets nucléaires. De l'autre, je dois reconnaître qu'il nous faut bien régler le problème. Il est là et n'est pas prêt de disparaître.

Nous disons dans notre mémoire: vous devez respecter nos droits et comprendre notre point de vue. Parallèlement, nous sommes prêts à collaborer avec vous pour régler nos préoccupations et nous faire sortir éventuellement de l'impasse. Il faut trouver des solutions. Je considère qu'en faisant des recommandations, nous cherchons à mettre en place des solutions. S'il faut reprendre complètement la rédaction de la loi pour ce faire, nous sommes tout à fait favorables à cette solution. Nous adoptons une démarche axée sur les résultats. Il s'agit de régler tous les problèmes qui peuvent se poser dans le cadre de ce projet de loi.

M. Martin: J'ajouterais, si vous me le permettez, que ce projet de loi nous mène sur la voie de la confrontation. Ce n'est pas une bataille qu'a engagée la population de l'Ontario mais je suis sûr, toutefois, qu'elle la mènera jusqu'au bout.

Si l'on n'amende pas le projet de loi pour que tous les intérêts soient plus largement représentés au sein de la société de gestion et pour en écarter les parties en conflit d'intérêts, je pense que l'on ira tout droit à la confrontation. À mon avis, la question de la gestion des déchets fortement radioactifs sera la bataille de Waterloo de l'industrie nucléaire dans notre pays.

Le président: Lorsque j'étais garçon de ferme, puis ingénieur en Alberta, j'ai eu l'occasion de parler à de nombreux représentants de l'industrie nucléaire. On croit de moins en moins que l'on va retenir le principe de l'enfouissement dans les couches géologiques. Il est vraisemblable que l'on se contentera d'un entreposage sur place — à l'emplacement des installations — plutôt que de rechercher de nouveaux lieux d'entreposage. Ce n'est que ma conviction personnelle, mais il est certain que vous n'avez pas à vous inquiéter de voir passer demain devant votre porte des trains entiers remplis de déchets nucléaires. J'ai l'impression que tout le monde réagit si fortement à la question qu'on ne pourra faire autre chose que de laisser les déchets là où ils sont.

Le sénateur Sibbeston: La situation est difficile. Nous savons quelles sont les préoccupations des écologistes. Aujourd'hui, les Autochtones viennent nous dire qu'ils sont très préoccupés par le manque d'indépendance des organisations créées par ce projet de loi. Il semble qu'en quelque sorte une relation incestueuse va s'instaurer dans l'industrie. Ce sont les mêmes gens qui vont vraisemblablement être nommés au sein du comité consultatif.

Les comités consultatifs ne sont pas autre chose que des organes de consultation. Bien souvent, leurs avis ne sont pas écoutés et leurs recommandations ne sont pas suivies. Ce n'est qu'un organe consultatif.

Je comprends vos sentiments. Il nous appartient de déterminer si nous pouvons retenir certaines de vos idées et de vos propositions pour voir si nous pouvons renforcer ce projet de loi avant qu'il acquière force de loi.

Monsieur Fox, si l'on n'apporte aucun amendement, pensez-vous qu'un jour on pourra établir un site d'entreposage des déchets dans le nord de l'Ontario? Quels sont les amendements qui vous paraissent indispensables et qui suffiraient à vous faire accepter l'éventualité de l'établissement d'un site d'entreposage dans le nord de l'Ontario, là haut quelque part dans le Nord?

M. Fox: Les problèmes de sécurité et d'écologie sont au cœur de nos préoccupations. Nous avons besoin d'une forte prise de conscience et d'un gros travail de sensibilisation pour bien savoir ce que nous faisons au sujet des déchets nucléaires.

En matière de pollution causée par les déchets nucléaires, nous voyons se profiler un nouveau Tchernobyl. Pour que nous acceptions le principe de la gestion des déchets de combustible nucléaire, il faudrait au départ que nous soyons pleinement convaincus qu'il n'y aura pas de fuites.

À cet égard, si l'on devait décider d'entreposer des déchets de combustible nucléaire sur notre territoire, il faudrait que nous puissions donner notre consentement en toute connaissance de cause. En tant que peuple des Premières nations, il faudrait que nous donnions notre accord, sur la foi des connaissances et des informations qui nous seraient soumises. Nos décisions devraient s'appuyer sur la connaissance et les renseignements qui nous auraient été communiqués.

Il serait aussi indispensable de procéder à de bonnes consultations. Pour que nous puissions savoir exactement ce qui nous attend, il faudrait que les localités susceptibles d'être affectées par l'entreposage de déchets nucléaires soient consultées. Lorsque je parle de consultation en bonne et due forme, je ne parle pas seulement d'interprétation en anglais et en français, mais probablement dans quatre ou cinq dialectes différents du nord de l'Ontario dans le cadre d'assemblées communautaires.

De notre point de vue, pour répondre aux principes fixés par la jurisprudence, et je vous renvoie par exemple aux arrêts Sparrow et Delgamuukw, pour qu'il y ait une «consultation en bonne et due forme» il faut parler à la majorité des personnes appartenant à nos communautés pour être sûr qu'elles comprennent bien ce qu'entraîne la gestion des déchets nucléaires et quelles sont ses répercussions avant qu'elles puissent prendre cette décision.

Pour l'instant, ce n'est pas ce que l'on fait. Pour que nous puissions mettre en place une telle organisation, il faudra que votre comité s'interroge sur la façon dont le gouvernement du Canada, tous les tenants de l'entreposage des déchets nucléaires ainsi que les institutions qui représentent le grand public pourraient s'entendre sur la marche à suivre pour que nous puissions prendre cette décision sans réticences. C'est probablement, au moment où nous nous parlons, la meilleure démarche et la solution que je recommande. Quant aux amendements susceptibles d'être apportés à la loi actuelle, je ne peux pas vraiment vous en proposer ici.

Le sénateur Sibbeston: Monsieur le président, la loi mentionne les représentants des organisations autochtones. Je trouve que cette formulation est archaïque. Les peuples autochtones ne font pas état, en ce qui les concerne, d'organisations, mais le plus souvent de gouvernements ou de gouvernements des Premières nations. C'est la nouvelle façon de voir les choses dans notre pays. Nous avons des lois, comme la Loi sur les aires marines de conservation, qui font état des gouvernements autochtones.

Le président: Ne pensez-vous pas qu'en nous renvoyant à l'article 35 de la Loi constitutionnelle, comme l'a fait le chef Fox, cela suffit?

Le sénateur Sibbeston: J'interprète la façon dont la loi traite de la participation des peuples autochtones. Je considère que les rédacteurs de la loi ont pris quelque peu du retard et ne sont pas encore entrés dans l'ère moderne. Cela reflète peut-être leur conception de la société: ils n'ont pas une conception moderne des peuples autochtones.

Le président: Parfois, ce sont des choses qu'on oublie.

Le chef Fox a bien déclaré que c'était conforme aux droits autochtones et issus de traités garantis par l'article 35. Est-ce que c'est suffisamment clair, ou est-ce que vous voulez aborder toute la question des dispositions non dérogatoires?

Le sénateur Sibbeston: Le président nous renvoie aux situations qui font que lorsqu'une loi touche d'une manière ou d'une autre aux terres autochtones, on prévoit souvent une clause non dérogatoire établissant de manière générale qu'en dépit des dispositions de la loi, il n'est pas question de déroger aux droits conférés aux peuples autochtones par l'article 35 de la Constitution. C'est la disposition non dérogatoire type que l'on retrouve généralement dans les lois. Je ne crois qu'elle figure ici dans ce projet de loi.

Le président: Je ne crois pas que ce soit nécessaire. Voici ce que recommande à la page 10 de son mémoire l'Assemblée des premières nations:

Les «répercussions socioéconomiques notables» englobent l'incidence sur l'usage traditionnel des terres et sur les droits ancestraux issus de traités garantis à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

C'est bien clair. D'ailleurs, chef Fox, vous n'avez pas eu besoin d'un avocat pour rédiger cette recommandation; c'est simple et tout à fait évident.

Le sénateur Sibbeston: Monsieur le président, M. Fox nous demande que ces droits soient reconnus. Ce projet de loi ne comporte pas de disposition non dérogatoire.

Le sénateur Hubley: Merci de votre intervention de ce soir.

Jusqu'à quel point craignez-vous la décision qui sera prise en définitive? Étant donné vos préoccupations pour la sécurité de l'environnement, la nécessité d'une consultation publique et le recours aux derniers progrès de la science, êtes-vous prêt à prendre une décision en dernière analyse? Est-ce que c'est l'organisme de consultation qui devra en être chargé?

M. Fox: Parlez-vous du choix du site?

Le sénateur Hubley: Oui, je pense.

M. Fox: En ce qui me concerne, il faudra que ce soit en définitive les localités affectées. Ce sont elles qui devront prendre la décision.

Je considère que l'on peut faire état de connaissances ou apporter des solutions scientifiques — sur le plan technique, traditionnel et écologique — pour savoir où l'on doit déposer ou entreposer les déchets nucléaires. En dernière analyse, pour ce qui est du choix même du site, il faudra que la ou les localités concernées prennent la décision.

Lorsque nous parlons de droits autochtones ou issus de traités, c'est dans le cadre de l'article 35 de la Constitution. Je me félicite qu'on ait soulevé la question. Le projet de loi ne renvoie aucunement aux droits autochtones ou issus de traités. Comment régler cette question? C'est le défi qui nous est posé.

Il y a une question qui se pose à cet égard. Si on retient effectivement un site dans une région faisant l'objet d'un traité, il faudra alors se demander si c'est la localité elle-même qui doit se pencher sur la question de l'entreposage des déchets nucléaires ou si ce doit être la collectivité de l'ensemble de la région visée par le traité.

Je viens de la région visée par le traité no 9 du grand conseil, qui occupe une superficie de 210 000 milles carrés dans le nord de l'Ontario. Si l'on contacte ma localité dans le cadre de cette opération, est-ce c'est elle qui devra prendre la décision en définitive? Est-ce que la décision n'appartient pas aux 50 localités situées dans la région relevant du traité no 9, qui compte 30 000 habitants? Voilà une autre question à laquelle nous sommes confrontés. Lorsque je me penche sur la procédure de consultation et de prise de décisions, ce sont là les problèmes épineux que je relève. Nous n'avons même pas commencé à les aborder.

Quant à la nécessité de prendre des décisions en toute connaissance de cause, nous affirmons au comité qu'il reste bien du travail à faire. Nous devons nous doter d'un mécanisme de consultation que nous avons nous-mêmes inspiré avec lequel nous nous sentons à l'aise pour pouvoir prendre des décisions éclairées au bout du compte.

M. Martin: Les régions visées par un traité sont de toute évidence des cas particuliers mais, de manière générale, il faudra que ces décisions fassent l'objet d'un consensus le plus large possible au sein de la société. Il faudra, à mon avis, un accord local, régional, provincial et fédéral pour que ce projet voie le jour. Pour y parvenir, il faudra que l'organisation à la tête du projet ait une énorme crédibilité.

Cette société de gestion, telle qu'elle est proposée, n'a aucune crédibilité. À mon avis, on s'est lancé dans ce projet de loi dans une mission impossible.

Le sénateur Sibbeston: Monsieur Martin, vous avez indiqué que la création d'une décharge nucléaire serait la «bataille écologique du millénaire». J'aimerais savoir ce que vous entendez par là étant donné que je connais mal le Sierra Club, la représentativité de ses membres et ses capacités de faire pression sur l'opinion publique.

M. Martin: Le problème scientifique est celui de la validité du principe de l'enfouissement dans des couches biologiques profondes. Comme les honorables sénateurs l'ont entendu à plusieurs reprises ce soir, la Commission Seaborn a déclaré que tout bien considéré le projet d'Énergie atomique du Canada limitée était viable sur le plan technique. Laissez-moi vous dire, honorables sénateurs, que c'est là loin d'être le blanc-seing que prétend avoir obtenu l'industrie nucléaire.

Je vous ferai remarquer que le Sierra Club du Canada est opposé au principe d'un enfouissement dans les couches profondes et se prononce en faveur d'une technique de gestion hors sol dont on peut contrôler l'application. Je vous signale que la Commission Seaborn a relevé 95 lacunes dans le projet technique d'EACL. Ce n'est pas une simple impression des écologistes; c'est un point de vue général.

Dans cette situation, je considère qu'en raison de l'absence de consensus scientifique et social sur cette question, ce projet va inévitablement entraîner d'énormes batailles si l'industrie décide de le mettre en œuvre.

Je n'ai pas eu la chance de commenter les déclarations du président, qui estime que l'industrie s'oriente en faveur d'un entreposage sur le site. Je ne crois pas que ce soit vrai. Une partie de la confusion vient éventuellement du fait que l'industrie nucléaire est favorable à l'entreposage à sec — au moyen de ces fûts en béton permettant d'entreposer temporairement les déchets radioactifs de combustible usé.

Une procédure fédérale d'évaluation environnementale est actuellement en cours à la station nucléaire de Darlington ainsi qu'à celle de Pickering pour ce qui est des projets d'entreposage à sec. Nous venons juste de terminer l'opération d'évaluation environnementale de l'entreposage à sec sur le site de Bruce. On procède déjà à cet entreposage à sec à la station de Pointe Lepreau, et l'on envisage d'en élargir l'application.

J'ai pris part à cette procédure et j'ai pu voir la documentation. Dans tous les cas, on envisage que le combustible contenu dans ces fûts d'entreposage sur le site sera acheminé plus tard vers un site d'entreposage centralisé.

Les projets de l'industrie sont clairs sur ce point. Il n'est pas question d'en discuter. Elle prévoit la mise en exploitation à l'avenir d'un site d'entreposage centralisé. Elle y compte et elle consacre actuellement des millions de dollars à l'établissement des infrastructures en partant de cette hypothèse.

Le président: Je vous remercie d'être venus. Vous avez mis l'accent sur un certain nombre de points qui nous préoccupaient.

Le comité lève la séance.


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