Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 13 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 16 mai 2001
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, se réunit aujourd'hui à 15 h 30 pour examiner l'état du système de soins de santé au Canada.
Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous allons aujourd'hui poursuivre notre étude de l'état du système de soins de santé au Canada. Nous allons entendre plusieurs groupes qui vont se charger de discuter des ressources humaines. Nos témoins représentent l'Association médicale canadienne, l'Association des infirmières et infirmiers du Canada et d'autres groupements professionnels du secteur des soins de santé.
M. Steven Graham, à ma gauche, est le greffier du Comité du développement social de l'Assemblée de l'Irlande du Nord. Il nous rend visite pour mieux connaître le système canadien et ramener des informations utiles en Irlande. Monsieur Graham, nous sommes heureux de vous avoir parmi nous.
Sénateurs, nous allons entendre lors de notre première séance le représentant de l'Association médicale canadienne, le Dr Peter Barrett, ainsi que le Dr Hugh Scully, du Groupe de travail 1 du Forum médical canadien, et le Dr Thomas Ward, président du Comité consultatif fédéral, provincial et territorial sur les ressources humaines en santé.
Le Dr Peter Barrett, président, Association médicale canadienne: Honorables sénateurs, à titre de président de l'Association médicale canadienne, je représente ici aujourd'hui nos membres, soit plus de 50 000 médecins de toutes les régions du pays. L'association a une double mission: elle doit jouer un rôle de chef de file auprès des médecins et promouvoir les normes plus élevées de santé et de soins de santé pour les Canadiens.
L'Association médicale canadienne suit avec beaucoup d'inté rêt l'étude du comité sur l'état des soins de santé au Canada. Le plan de travail ambitieux du comité et le calibre des instances qu'il a déjà reçues nous impressionnent. L'AMC félicite aussi le comité d'avoir réservé la séance d'aujourd'hui pour aborder ce que nous considérons comme un des enjeux les plus importants pour le système de santé d'aujourd'hui et de demain, soit la situation des ressources humaines du secteur de la santé.
Lorsqu'il est question de capacité dans les ressources humaines en santé, on sait très bien que les soins de santé consomment beaucoup de main-d'oeuvre - médecins, infirmières, techniciens ou autres membres des professions médicales qui dispensent les soins aux patients. En pourcentage, il est généralement reconnu que plus de 70 p. 100 des dépenses des établissements de santé sont consacrées aux ressources humaines.
Dans le contexte des récentes décisions stratégiques des gouvernements en matière de financement du système de santé, les médecins, les infirmières, les membres des professions paramédicales et les administrateurs ont une série de choix très difficiles à faire pour se conformer aux objectifs budgétaires imposés. La réforme du secteur de la santé a eu un effet important, durable et négatif sur toutes les professions de la santé.
Dans notre exposé d'aujourd'hui, nous abordons cinq éléments de la viabilité qui sont reliés aux effectifs médicaux: la charge de travail croissante des médecins; la situation des médecins qui exercent dans les régions rurales et éloignées du Canada; le défi posé par l'accès aux médecins; les préoccupations des médecins et de leur famille au sujet de la qualité de vie; enfin, la question de la formation et de l'éducation médicales.
Le président: Vous pouvez évoquer tous les sujets que vous avez prévu d'aborder, mais plutôt que de nous faire un long exposé de 20 ou 25 minutes, pourriez-vous nous en donner un résumé? Je sais par expérience que la période des questions nous est particulièrement utile. Nous aimerions bien que vous procédiez ainsi, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.
Dr Barrett: Bien sûr, je vous en prie. Commençons par le premier point, qui est celui de la charge de travail.
Il faut nous demander si la charge de travail des médecins canadiens d'aujourd'hui dans notre système de santé estréellement viable. Actuellement, les médecins canadienstravaillent en moyenne 53 heures par semaine auxquelless'ajoutent 25 heures en attente avec un téléavertisseur. Bien des gens estiment que lorsqu'on est «en attente», on ne travaille pas, mais l'on a toujours l'esprit au travail. Même si l'on reste éventuellement à domicile lorsqu'on est en attente, la tension reste là parce qu'il y a des choses que le médecin ne peut pas faire avec sa famille, des endroits où il ne peut pas aller, ce qui fait que la tension reste.
Pour certains médecins du pays - près de 2 000 - il n'y a pas d'attente partagée. Ils sont en attente 24 heures par jour, sept jours par semaine, souvent sans répit pendant des années.
Je vais vous citer les propos de deux ou trois médecins. Ils vous aideront à comprendre quelle est la situation actuelle. Le premier nous dit:
-
Je pratique la médecine familiale depuis 10 ou 12 ans. Dans le système actuel de soins de santé, il m'est impossible d'offrir des soins de santé que je trouve satisfaisants. La plupart de mes amis ont un plan de cinq ans pour quitter la médecine. Ce qui arrive à la profession, c'est une honte.
En résumé, il est difficile d'être en première ligne dans un secteur de services et de devoir continuellement s'excuser des soins que l'on peut ou que l'on ne peut pas fournir. Presque tous les médecins font état d'une augmentation de la charge de travail. Ils voient plus de malades, il y a moins de médecins dans leur région, la paperasserie administrative a augmenté, il y a davantage de patients âgés, les cas sont plus complexes et il y a tout simplement plus de choses à faire. Nous avons besoin d'aide.
Dans les régions rurales et éloignées, les taux de satisfaction professionnelle des médecins diminuent de manière significative, comme vous pourrez le voir. L'AMC est très préoccupée par l'infrastructure des soins de santé dans les régions rurales. Le soutien professionnel manque tout simplement. Il ne permet pas de dispenser des soins de qualité et par ailleurs de recruter et de conserver des médecins qui répondront aux besoins de ces collectivités.
Nous avons par conséquent élaboré une politique que nous tenons à votre disposition. Elle comporte 28 recommandations. Les trois grands domaines d'intérêt sont les suivants: formation, rémunération et appui de la vie professionnelle et personnelle. Cette politique tient compte de l'exercice de la profession dans les régions rurales du Canada ainsi que des besoins des collectivités.
Pour répondre aux besoins de nos régions rurales, il faut que toutes les parties prenantes, que ce soit les gouvernements, les écoles médicales ou les associations professionnelles, prennent des engagements et des mesures. Il faut que ce soit fait d'urgence.
Le troisième point concerne l'accès aux médecins. C'est un défi de plus en plus difficile à relever. Vous avez beaucoup d'information à votre disposition, mais je vous avertis qu'il ne s'agit pas là d'un problème rural. La plupart des Canadiens semblent penser que la question de l'accès aux médecins est un problème rural; ce n'est pas le cas. J'ai voyagé dans tout le pays et j'ai entendu évoquer le problème partout. J'en ai entendu parler au Yukon et dans les territoires, mais aussi à Calgary, à Toronto et ici même à Ottawa.
Il y a ensuite la question du recrutement: l'accès aux techniques médicales courantes. Je sais que vous avez déjà entendu l'Association canadienne des radiologistes qui, dans son interven tion, a déjà insisté sur ce point, et je n'y reviendrai pas. Toutefois, l'accès à la technologie médicale nous pose d'énormes problèmes. Cette frustration amène les médecins et d'autres professionnels de la santé à quitter le Canada. Statistique Canada nous révèle que les professionnels de la santé sont responsables, dans une proportion anormalement élevée, de la «fuite des cerveaux» vers les États-Unis. Il nous dit que pour un médecin qui déménage dans le Nord, 19 s'en vont vers le Sud. Chez les infirmières, la situation est presque aussi grave - dans une proportion de 15 contre un. La situation se dégrade.
À l'heure actuelle, 24 p. 100 des médecins qui pratiquent au Canada ont un diplôme étranger. Dans certaines provinces, comme chez moi en Saskatchewan, 54 p. 100 des médecins ont eu leur diplôme à l'étranger.
Nous faisons de plus en plus appel à des médecins d'autres pays pour subvenir à nos besoins. Ce sera de plus en plus difficile à faire. Le Dr Scully va vous en parler. Il y a dans le monde entier une pénurie de médecins et de professionnels de la santé.
Je veux aussi insister ici sur toute la question des nouvelles technologies, de la multiplication des traitements et des différents services que les médecins peuvent dispenser. Les malades sont par ailleurs de plus en plus exigeants en raison principalement de l'information fournie par l'Internet. J'avertis constamment les gens, faites attention à la génération née après la guerre, informée et sûre d'elle. Nous allons être frappés de plein fouet et nous ne sommes pas prêts.
L'Institut canadien d'information sur la santé nous révèle que les coûts par habitant chez les 55 à 74 ans dépassent de 60 p. 100 ceux qu'on enregistre chez les 45 à 64 ans. Nous savons qu'à mesure que les gens prennent de l'âge, leurs besoins en matière de santé augmentent.
Il ne faut pas seulement les garder en vie mais encore leur permettre de vivre mieux. Il faut opérer leurs cataractes, leur greffer de nouvelles hanches, et cetera. Nous nous rendons compte que les besoins de services de santé vont augmenter avec le vieillissement de la population canadienne.
Lorsqu'on considère le coût des services médicaux et les services que vont dispenser les médecins, on ne peut pas se baser uniquement sur les chiffres actuels. On peut considérer qu'une personne de 65 ans équivaut à 1,6 personne en ce qui concerne le travail du médecin.
De plus, l'âge moyen des médecins augmente. Nous perdons nos jeunes. L'Institut canadien de l'information sur la santé nous fournit aussi ce genre de statistiques. En 2024, 40 p. 100 des médecins en activité auront plus de 55 ans. Les chiffres actuels ne sont pas les mêmes. Les médecins ne voudront pas travailler davantage et ils seront nombreux à penser à la retraite.
Le quatrième point a trait aux préoccupations liées à la qualité de vie des médecins et de leur famille. Les médecins ont passé leur temps à conseiller les malades et à leur dire d'éviter les tensions, de plus en plus fréquentes aujourd'hui, et d'aménager leur vie en conséquence. En attendant, ils n'ont pas pratiqué ce qu'ils prêchaient. Ils sont de plus en plus découragés par un système qui, selon eux, manque de ressources, est désorganisé et, dans une certaine mesure, débordé.
La tension augmente du fait de la nécessité d'équilibrer la vie familiale avec les demandes accrues de la profession. Il devient de plus en plus difficile de trouver du temps pour soi et pour sa famille. Je tiens ici à citer un médecin:
-
Je ne pourrai jamais rattraper le temps que j'ai passé loin de ma famille pendant que mes enfants grandissaient. Je n'aurais jamais choisi une autre carrière, mais je suis heureux que mes enfants n'aient pas choisi la même profession que moi.
Les médecins étaient fiers jusqu'alors de voir leurs enfants s'engager dans la même profession. Un sondage mené récemment par l'Association médicale de l'Alberta nous révèle qu'un médecin sur quatre déconseille fortement à ses enfants d'entrer dans la médecine. Je dis toujours aux gens que ma femme a menacé ma fille de la tuer si elle épousait un médecin.
Il faut aussi considérer qui va pratiquer la médecine. Lorsqu'on examine les inscriptions dans les écoles médicales, on s'aperçoit qu'il y a de plus en plus de femmes. Il y a 50 p. 100 de femmes dans nos classes. Traditionnellement, elles ont tendance à s'occuper davantage des autres et à rechercher une vie plus équilibrée. Nous ne le voyons pas seulement chez les femmes, d'ailleurs. Nous le voyons chez tous nos jeunes diplômés. Il nous faut en tenir compte.
Nous devons faire quelque chose en matière d'enseignement médical. C'est dans ce domaine que le gouvernement fédéral doit faire preuve de dynamisme et prendre des engagements.
Du fait de la déréglementation des frais de scolarité, les études de médecine sont devenues trop onéreuses. Si nous ne réagissons pas bientôt, seuls les fils et les filles des familles riches pourront au Canada entrer à l'école de médecine et faire carrière. Ce ne sera pas bon pour le profil démographique de nos médecins de même que pour la satisfaction des besoins culturels de certaines communautés défavorisées au Canada.
En outre, même si le Dr Scully va vous dire que nous avons réussi dans certains cas à faire augmenter les inscriptions dans nos écoles de médecine, en réalité ses écoles sont gênées aux entournures. Leur infrastructure laisse à désirer. Elles n'ont pas la capacité d'accueil de plus grosses promotions d'étudiants. Il nous faut faire quelque chose pour les aider.
Il y a une chose que pourrait faire le gouvernement fédéral pour les études de médecine. Il y a un précédent dans «Le rapport de la Caisse d'aide à la santé de 1966.» Nous devons nous assurer que tous les Canadiens qui le souhaitent puissent suivre une formation en médecine.
En terminant, il y a longtemps que les soins de santé constituent un avantage concurrentiel pour le Canada lorsqu'il s'agit d'attirer des entreprises et des investissements. Notre régime public de soins de santé et ses ressources humaines ont donné cet avantage concurrentiel au Canada.
Nous reconnaissons le bon travail que le gouvernement fédéral a fait en finançant des études sectorielles par l'entremise de Développement des ressources humaines Canada de même que l'étude proposée sur les besoins des médecins, dont lefinancement est en instance, que va mener mon collègue, le Dr Scully, et dont il vous parlera davantage dans son exposé.
Toutefois, il faut aller plus loin. Notre pays, et plusparticulièrement le gouvernement, doit prévoir et encourager la flexibilité afin que nous puissions procéder à des évaluations transversales et multidisciplinaires de besoins qui s'appliqueront à tout l'effectif du secteur.
Nous devons comprendre que la santé, comme bien d'autres choses, est aujourd'hui une marchandise commercialisée à l'échelle mondiale. Elle fait désormais partie des connaissances de la collectivité internationale. Comme dans tout autre secteur de l'économie, s'il faut être compétitif pour réussir, il faut que le Canada offre un environnement concurrentiel capable, non seulement de garder nos médecins, mais aussi de faire revenir ceux qui sont partis. Si nous sommes sérieux lorsque nous parlons d'avoir un système de soins de santé de calibre mondial, nous devons alors offrir un environnement qui attirera et nous permettra de conserver du personnel de santé de ce calibre.
La dégradation des conditions de travail, l'incapacité de dispenser des soins pour lesquels ils ont reçu une formation, le manque d'accès aux techniques de soins de santé, le manque d'autres prestataires de soins et, à un degré moindre, la faiblesse des honoraires et le poids de la fiscalité, sont tous des éléments à l'origine de l'environnement moins concurrentiel. D'ailleurs, lorsque je l'ai rencontrée, l'Association des consommateurs du Canada m'a dit que le système de soins de santé ne bénéficiait plus d'un avantage concurrentiel.
Le gouvernement doit reconnaître que le problème n'est pas seulement un problème d'effectif. C'est une question decompétitivité. Nous devons regarder vers d'autres secteurs de l'économie et d'autres pays pour déterminer comment ils ont réussi à s'adapter et à surmonter les complexités qui surgissent lorsqu'il s'agit d'attirer et de garder leurs effectifs sur le marché mondialisé d'aujourd'hui.
Je remercie le comité de nous avoir invités à comparaître aujourd'hui. Nous espérons avoir d'autres occasions de venir témoigner de nouveau. Vous faites un excellent travail sur cette étude importante. Nous souhaitons vous aider dans toute la mesure de nos moyens. Je vous remercie.
Le Dr Hugh Scully, président, Forum médical canadien, Groupe de travail I: J'aimerais poursuivre sur quelques points qu'a abordés le Dr Barrett. Je me pencherai ensuite sur ce qu'a fait la profession dans son ensemble, par elle-même et en collaboration avec d'autres, pour essayer de remédier au problème des effectifs des médecins au Canada.
Il existe une organisation appelée Forum médical canadien. Vous en trouverez la liste des membres dans le mémoire que nous vous avons fourni. Il a été créé en vue de coordonner l'action et les activités de neuf organisations médicales canadiennesqui ont un certain nombre de choses en commun. Il y ad'abord l'enseignement, ensuite l'accès et la qualité et enfin le renouvellement des effectifs.
Nos membres sont des organisations, comme je vous l'ai indiqué, mais j'insiste sur le fait qu'elles regroupent des étudiants, des résidents, des doyens, des médecins pratiquants, des services d'accréditation ainsi que les établissements d'enseignement et les hôpitaux. L'éventail est très large.
Comme nous étions préoccupés par les problèmes d'effectifs, aussi bien sur les lieux de travail, comme vous l'a indiqué le Dr Barrett, que dans les établissements d'enseignement, nous avons constitué en 1999 un premier groupe d'étude. On l'a intitulé «Groupe de travail I» parce que nous envisagions de poursuivre ensuite notre tâche. Nous avons cherché à remédier aux difficultés à court et à moyen termes que nous pouvions déceler.
Lorne Tyrrell, qui reste le doyen de la faculté de médecine de l'Université de l'Alberta et qui est président de l'organisation des doyens, l'AFMC, et moi-même, en tant que président de l'Association médicale canadienne, avons eu l'occasion de coprésider le Groupe de travail I. Lorne Tyrrell et Dale Dauphinee en ont rédigé le rapport.
Pour qu'il en soit pris acte dans votre procès-verbal, monsieur le président, je pense que l'on vous a remis l'intégralité du rapport correspondant ainsi qu'un résumé dans la documentation que vous avez devant vous. Il n'est pas nécessaire de tout reprendre en détail.
Nous nous sommes rendu compte qu'il nous fallait mettre en place un mécanisme permanent d'examen de ce qui arrivait à nos effectifs compte tenu de l'évolution de la santé et des besoins correspondants, des attentes du public, des médecins, des infirmières et d'autres professionnels de la santé ainsi que de notre cadre de travail.
C'est sur cette base que s'est constitué le Groupe de travail II, qui est aujourd'hui en activité. Il est intéressant de constater que son mandat s'apparente sur certains points à celui de votre comité. Nous espérons pouvoir collaborer avec vous sur cette question.
Le Groupe de travail II se penche sur les modèles de soins, sur les différentes façons de dispenser les soins et sur le travail en équipe. Nous tenons compte de l'évolution des systèmes d'information, de la technologie et de la médecine ainsi que de l'explosion des connaissances dans le domaine de la médecine.
Le Groupe de travail I avait cherché à examiner la situation des médecins en cours de formation et dans l'exercice de leurs fonctions. Nous avons fait un certain nombre de recommandations qui figurent dans le rapport que vous avez devant vous.
Le gouvernement a décidé de réduire d'environ 10 p. 100 les crédits affectés aux postes de stagiaires médicaux à la suite d'un rapport commandé par les sous-ministres en 1991. À l'époque, le nombre de médecins par rapport à la population était de 1,9 pour 1 000 soit, en arrondissant, d'un médecin pour 540 Canadiens. Comme l'ont signalé d'autres intervenants, ce rapport est resté le même jusqu'à maintenant. Nous y reviendrons parce que ce n'est pas ainsi que l'on pratique la médecine.
À la suite de cette recommandation, et à cause de plusieurs autres facteurs, les inscriptions dans les écoles de médecine ont diminué de 17 p. 100. L'une des causes de ce phénomène, c'était que les doyens chargés des études postdoctorales et que les directeurs de programme des écoles de médecine ne disposaient pas d'une marge de manoeuvre suffisante pour répertorier les besoins dans certains secteurs et y remédier. Il y a eu aussi quelque résistance de la part de certaines associations médicales et autres dans le pays, dont les budgets étaient eux aussi plafonnés, à mettre davantage de médecins en service en raison de la dilution des effectifs.
Les causes sont multiples, mais cela s'est traduit par une diminution de 17 p. 100 des inscriptions. En 1997, dans aucun autre pays développé du monde il était aussi difficile qu'au Canada d'entrer dans une école de médecine. C'est une chose qu'il ne faut pas oublier.
Le Groupe de travail I a estimé que le Canada devrait être raisonnablement autosuffisant pour former les médecins dont nous aurons besoin pour l'avenir. Cela ne veut absolument pas dire qu'il faut exclure les diplômés de l'étranger qui sont qualifiés. Comme l'a signalé le Dr Barrett, nous avons dans notre pays une longue tradition d'accueil de diplômés de l'étranger, qui ont largement contribué à renforcer la santé et la qualité des soins de santé dans notre pays.
Nous avons recommandé en premier lieu que l'on augmente d'environ 2 000 le nombre d'inscriptions dans les écoles de médecine à compter de l'an 2000, sans coercition. Enl'occurrence, il ne faut pas qu'il y ait des exigencesdéraisonnables imposant un certain type de services encontrepartie de l'inscription dans une école médicale qui ne s'appliquent pas aux autres domaines de l'enseignementuniversitaire.
Nous avons estimé par ailleurs qu'il fallait faire le maximum pour améliorer le recrutement, le maintien au pays et le rapatriement des médecins canadiens. Le Dr Barrett a évoqué le phénomène de l'immigration. Nous parlons de pertes nettes et pas seulement des personnes qui partent et qui reviennent. Je sais que je l'ai fait et que d'autres comme moi l'ont fait. Je sais que le sénateur Keon est revenu. Nous parlons d'une perte nette qui,au cours de la décennie des années 90 s'est montée àplus 4 000 médecins - la plupart d'entre eux étant partis moins de 10 ans après avoir obtenu leur diplôme. Ce sont pour une bonne part de jeunes et brillants médecins qui sont partis parce qu'ils ne pouvaient pas pratiquer ce qu'on leur avait enseigné. Il y avait la question de l'argent, mais ce n'était pas essentiel.
Quarante pour cent de ceux qui sont partis ont conservé leur droit d'exercer au Canada. Si nous pouvions créer un cadre accueillant permettant à ces jeunes Canadiens de revenir avec leur famille, nous serions bien placés pour remédier à certaines pénuries que nous voyons se profiler à court et à moyen terme.
Il faut que les Canadiens aient envie de rester chez nous. Grâce à l'ICRS, l'institution universitaire a largement enrayé le phénomène de fuite des cerveaux. La démarche s'est avérée très profitable et nous y sommes très favorables. Nous continuons à perdre l'équivalent des promotions de deux écoles de médecine par an qui représentent une perte nette en faveur des États-Unis.
Nous recommandons ensuite d'augmenter les effectifs des médecins stagiaires après leur diplôme. Tous les détails figurent dans le rapport. Nous avons évoqué trois grandes questions dans ce rapport.
Tout d'abord, il convient de diversifier les possibilités de carrière des diplômés de médecine pour qu'ils puissent choisir des secteurs déficitaires plutôt que d'être dirigés, comme c'est le cas à l'heure actuelle, dans des secteurs où ils ne souhaitent pas rester.
Il conviendrait aussi de mieux gérer l'endettement des étudiants en médecine. Environ 50 p. 100 des spécialistes ont pratiqué la médecine générale pendant une période de deux à quatre ans pour rembourser leur dette. Le Dr Barrett a fait allusion au fardeau de l'endettement - nous étions nombreux à avoir des dettes à la fin de nos études. Ces spécialistes ont commencé à exercer dans leur spécialité une fois que leur dette a été épurée. Il en a été ainsi dans les secteurs de l'obstétrique, de la pédiatrie, de la psychiatrie et de la radiologie, pour n'en nommer que quelques-uns. Ces postes n'ont pas été pourvus.
Troisièmement, il convient d'augmenter les effectifs des diplômés, il fut un temps où nous étions bien plus à même qu'aujourd'hui de valider les diplômes acquis à l'étranger par des personnes qualifiées. Il s'agit des hommes et des femmes nés à l'étranger qui ont fait de bonnes études et qui passent les mêmes examens d'accréditation que les étudiants en médecine du Canada. C'est important pour s'assurer de la qualité des soins dispensés à la population canadienne. En augmentant les effectifs du personnel ayant un diplôme postdoctoral, nous pourrions régler ces trois questions.
Nous devons aussi mettre sur pied une méthode permanente de contrôle de la situation. Vos efforts dans ce domaine ne manquent pas d'être appréciés. L'ICIS est de plus en plus impliqué. Le Groupe de travail II, qui ne regroupe pas seulement les gens de la profession, se penche sur la question. Je sais que les sous-ministres et que le Dr Ward vont chercher à régler certaines d'entre elles. Nous sommes dans la bonne voie.
Enfin, il nous faut pouvoir régler la question de ladiscrimination et de la répartition des médecins. Sur les questions de qualité de vie qu'a évoquées le Dr Barrett et en fonction des ratios que j'ai mentionnés, le problème ne tient pas tant au nombre des médecins, mais à la situation actuelle. Le corpus de connaissances double tous les 12 mois ou 18 mois.
Il n'y a pas seulement la question de la disparité entre les sexes au sein de la profession - quelque 50 p. 100 des nouveaux diplômés étant des femmes. La plupart des femmes médecins s'acquittent d'une plus lourde charge de famille et ne voient pas autant de malades que leurs homologues masculins pendant la période correspondante. Il y a aussi de nettes différences de génération. Les jeunes médecins hommes récemment diplômés ne veulent pas travailler comme nombre d'entre nous dans cette salle l'avons fait lorsque nous sommes entrés dans la carrière.
Malheureusement, cela s'est vu cette année en ce qui a trait aux spécialités choisies par les diplômés des écoles de médecine canadiennes. C'est ainsi que dans les disciplines chirurgicales, nous n'avons pas pu pourvoir tous les postes. Le message est clair. Les diplômés ne sont pas disposés à travailler autant. Le Dr Barrett a fait état d'une moyenne générale de 53 heures par semaine; un chirurgien orthopédique travaille en moyenne 64 heures par semaine. Pour un chirurgien spécialisé dans les opérations thoraciques, c'est 76 heures. De plus, on peut être appelé constamment. On en arrive à se demander s'il reste du temps pour faire autre chose.
Nous nous sommes rendu compte que nous avions besoin d'une nouvelle formule, d'un nouveau modèle de collaboration avec les autres. C'est ce qui a motivé la formation du deuxième groupe de travail. Le Groupe de travail II s'est penché au départ sur des modèles de soins et de fourniture des services. Nous avons consulté DRHC et collaboré plus étroitement que jamais avec les sous-ministres et le gouvernement fédéral. Ce dernier s'est montré particulièrement obligeant. Nous avons consulté les sciences infirmières, les départements de pharmacie et des représentants non professionnels tels que Louise Simard, ancienne ministre de la Santé qui oeuvre aujourd'hui au sein de services de soins régionaux en Saskatchewan. Nous avons collaboré avec Ray Hnatyshyn, ancien gouverneur général et député.
Grâce à ce genre de participation, nous pourrions élargir notre action. Nous cherchons désormais à instaurer une collaboration et un partenariat avec d'autres secteurs de la santé pour examiner quels vont être les besoins en prévision de l'avenir afin que chacun d'entre nous tire les enseignements du secteur qui l'intéresse plus particulièrement. Nous voulons collaborerouvertement et en toute franchise avec les autres intervenants de manière à pouvoir élaborer des modèles et mettre sur pied les équipes dont nous avons besoin.
Nous pourrions parler des rôles relatifs. Nous pourrions parler du nôtre et les autres intervenants du leur. Nous avons besoin de nous parler.
Comment va-t-on défrayer ces coûts? Quelles sont les meilleures façons de dispenser les soins de santé? La «meilleure façon» de payer toutes ces choses n'existe pas vraiment, mais l'on pourrait instaurer un ensemble de solutions que notre profession serait prête à appuyer.
Il y a eu une réduction significative des crédits dispensés aux institutions d'étude de médecine - avant et après le doctorat - à la suite des décisions prises au cours des années 90 pour résorber le déficit. Il convient d'injecter à nouveau de l'argent dans le système. Le Dr Barrett vous a rappelé que le gouvernement fédéral s'était nettement impliqué à la fin des années 60, ouvrant de nouvelles écoles de médecine et en agrandissant d'autres. Nous parlons de l'expansion des écoles existantes; comme vous le savez, on envisage de construire une autre école en Ontario. Toutefois, rien n'est encore décidé.
Si nous voulons pouvoir disposer des enseignants pour faire le travail ainsi que des ressources, qu'il s'agisse des finances ou de l'équipement, dont nous avons besoin, il faut que l'on injecte des crédits. Nous estimons que le gouvernement fédéral peut jouer un rôle significatif en association avec les provinces et les territoires.
Nous avons besoin d'examiner tout l'éventail des modèles existants et de nous demander ce que peuvent nous apporter les nouveaux modèles. Quelles en sont les implications à long terme pour les médecins puisque c'est là notre domaine de compétence et ce qui nous intéresse tout particulièrement? Nous devons collaborer et savoir que ces modèles peuvent être modifiés selon la façon dont les soins sont dispensés, qui les dispense, à quel endroit et dans quelles circonstances, ainsi que la façon dont on dirige les malades vers d'autres spécialistes à mesure que la technologie évolue et s'améliore.
Nous avons aussi besoin de savoir quelles sont nos options à long terme. Nous avons proposé trois étapes. La première revient à examiner ce dont nous disposons et où ça devrait nous mener. La deuxième concerne les différents facteurs qui influent sur l'arrivée de médecins. Nous en avons mentionné entre nous un grand nombre à mesure que nous progressions: l'environnement, le lieu de travail, les ressources, la technologie, l'information, et cetera. Comment ces facteurs vont-ils se répercuter sur nous? Que va entraîner, par exemple, la génomique? La troisième étape consistera à élaborer des stratégies visant à nous doter d'un personnel de médecins faisant preuve d'un esprit positif et constructif à mesure que nous collaborerons avec d'autres intervenants pour aménager l'avenir - les différentes stratégies que nous pourrons élaborer ensemble.
Les membres de notre profession ne prétendent absolument pas que nous pouvons ou que nous devrons le faire seuls. Ce n'est pas un système patriarcal; c'est un partenariat qui a besoin de nos compétences professionnelles ainsi que de la participation du public, du gouvernement et des autres professions de la santé.
Il n'y a pas de réponse automatique ni de solutions miracles. Votre comité s'est fixé un échéancier ambitieux pour accomplir sa tâche. Nous estimons que cela prendra deux ou trois ans, mais que nous devrions avoir recueilli beaucoup d'enseignements en un an concernant au sujet des orientations à prendre et des façons dont nous pouvons collaborer.
Je tiens à rappeler une nouvelle réalité qu'a évoquée le Dr Barrett et qui nous réjouit depuis quelques années. Au cours des années 80 et 90, il était rare que des responsables représentant les médecins, les infirmières ou d'autres professions de la santé participent aux discussions menant à l'élaboration de politiques en matière de santé. Cette situation a changé il y a environ un an et demi. Nous nous en réjouissons, parce que la meilleure façon de planifier l'avenir, c'est de faire participer les gens qui travaillent activement dans le domaine. Nous accueillons à bras ouverts ce genre de discussion et nous sommes heureux d'y participer.
Au bout du compte, c'est grâce à de bonnes communications, à de solides alliances et à l'instauration de partenariats que nous réussirons. Je vous remercie.
Le Dr Thomas Ward, président, Comité consultatif fédéral, provincial et territorial sur les ressources humaines en santé; sous-ministre du ministère de la Santé de la Nouvelle-Écosse: Honorables sénateurs, je suis le président du Comité consultatif sur les ressources humaines en santé. Je suis un sous-ministre bien particulier étant donné que j'ai pratiqué la médecine et que j'ai été administrateur des soins de santé. Voici par ailleurs un an et demi que je fréquente les allées du pouvoir, ce qui correspond plus ou moins à l'espérance de vie de la plupart des sous-ministres de la santé à notre époque. Il se pourrait bien que ce soit ma dernière visite.
L'année dernière, j'ai pris la tête du CCRHS parce que j'ai estimé que l'un des principaux défis que devait relever notre système était celui des ressources humaines dans le domaine de la santé. De tous côtés, nous voyons une main-d'oeuvre qui vieillit et une demande qui s'accroît sans qu'il y ait de plan de recrutement de la main-d'oeuvre dont on a besoin. L'argent dont nous pourrons disposer éventuellement ne servira à rien si nous n'avons pas des professionnels pour s'occuper des malades dans les lits d'hôpitaux ou dans les cliniques communautaires.
Comme l'ont fait remarquer le Dr Barrett et le Dr Scully, des problèmes se posent en matière de recrutement, de formation, de maintien et de remplacement des médecins au sein de nos effectifs. Tout au long de la journée, je suis sûr que l'on va vous dire qu'il en est de même pour tous les membres des professions de la santé. La situation va devenir catastrophique.
Au niveau du CCRHS j'ai pris en quelque sorte du recul et, avec l'aide du comité et d'autres intervenants, nous avons répertorié trois types de stratégies ou trois thèmes de réflexion qu'il nous faut aborder dès maintenant. Tout d'abord, il nous faut discuter du problème fondamental des ressources humaines en matière de santé dans notre pays. Dans toutes les juridictions, un certain nombre d'études sont en cours, que ce soit au niveau provincial ou national, notamment une qui est faite par les médecins. Nous avons dans ma province un groupe qui procède à une étude sectorielle sur le personnel dispensant des soins à domicile. Il n'y a pas vraiment de stratégie ni de formule précise dans ce cas; nous nous contentons en quelque sorte de remettre tous les éléments en place afin d'aborder la question de manière globale.
Le deuxième sujet d'étude, le Dr Scully en a parlé, est celui des modèles de soins de santé - les différents moyens de dispenser des soins et des services. Il existe dans le monde de nombreux systèmes de soins de santé financés par des fonds publics qu'il nous faudrait examiner de près pour voir comment sont dispensés les soins ou les services selon les pays. Disons-le carrément, il nous faudrait prendre ce qu'il y a de mieux dans ces différents systèmes si nous pensons pouvoir les adapter chez nous, ou il faudrait au moins que nous fassions des expériences pilotes les concernant.
Nous devons discuter plus largement avec les Canadiens des différentes options concernant les soins de santé. Lorsque nous considérons le rapport de la commission Claire comme celui de Ken Fyke en Saskatchewan, nous voyons bien qu'ils préconisent tous deux de nouvelles solutions lorsqu'il s'agit de dispenser des soins de santé au niveau communautaire.
Le dernier sujet de discussion consiste en fait à essayer de comprendre les répercussions du savoir et de la technologie sur la population, notamment s'ils sont bien appliqués. L'ICIS vient de terminer sa dernière étude, qui traite de la fluctuation des soins à l'échelle du Canada. Chez moi, nous avons un programme de soins cardiaques appelé «ICONS», dont nous célébrons le succès puisque nous sommes parvenus à 75 p. 100 de traitements bien adaptés à la condition des personnes souffrant d'un infarctus aigu du myocarde.
Pour moi, le défi consiste à répondre aux besoins du quart de cette population qui n'a pas bénéficié d'un traitement adapté. Est-ce que ces gens vont se retrouver avec un coeur qui fonctionne mal, subir des défaillances cardiaques répétées ou devoir être constamment réhospitalisés? Quelles seraient les conséquences d'une application à 100 p. 100 des techniques et des soins adaptés? Qu'est-ce que cela va signifier à l'avenir pour le personnel?
Le CCRHS est un comité qui conseille tous les paliers de gouvernement en matière de politiques, non seulement au sujet du réseau de soins de santé mais aussi, au bout du compte, du réseau d'enseignement. Nous nous félicitons, bien entendu, que des ressources aient été fournies à l'ICRS, à la Fondation canadienne de recherche sur les services de santé et à l'Institut canadien d'information sur la santé. Il faut toutefois privilégier davantage la question des ressources humaines en matière de santé - soit les services de recherche et de planification. C'est, à notre avis, un problème urgent.
Il ne faut pas oublier qu'un étudiant qui va entrer cet automne dans une école de médecine ne pratiquera probablement pas avant dix ans. C'est à ce moment-là que la génération née après la guerre va prendre sa retraite. Un délai de deux ou trois ans s'écoule très rapidement et je pense qu'il nous faudra agir de manière très résolue durant cette période. Il nous faudra poursuivre le dialogue actuel. Comme l'ont indiqué le Dr Scully et le Dr Barrett, la communication est absolument essentielle en la matière. Le CCRHS est prêt à discuter avec tous ceux qui voudront bien lui apporter leur aide sur la question. Une fois de plus, nous avons particulièrement apprécié l'occasion qui nous a été offerte de venir vous parler aujourd'hui et nous sommes tout disposés à répondre à vos questions.
Le sénateur LeBreton: Ma première question s'adresse au Dr Barrett. Lorsque vous nous dites qu'il y a des médecins qui font le projet, dans cinq ans, de quitter la médecine, c'est très révélateur. L'un des sujets de préoccupation sur toute cette question est celui de la possibilité d'accès aux médecins, notamment pour une population vieillissante. Il n'y a pas une semaine qui se passe sans que l'on entende quelqu'un se plaindre que son médecin a pris sa retraite et qu'il est difficile d'en trouver un autre. C'est un problème grave. Qu'a-t-on prévu pour y remédier? Par quoi commencer? Que faites-vous face à une telle situation?
Dr Barrett: Avant toute chose, c'est précisément de ça dont on a besoin. Nous avons besoin d'un plan, d'une stratégie comme l'a indiqué le Dr Ward. Nous pourrions commencer par une stratégie nationale parce qu'il s'agit d'un problème national. Je me rends compte que bien des soins de santé sont dispensés par les provinces ou les territoires. Avant toute chose, il nous faut un plan national.
Le problème est urgent. Les chiffres ne disent pas tout. En parcourant le pays, j'ai vu des situations dans lesquelles, si une personne venait à partir, tout le programme s'écroulerait en raison de la charge clinique et des gardes supplémentaires quecela imposerait. Ceux qui resteraient auraient une charge insurmontable et partiraient eux aussi.
Le problème, c'est qu'il leur est facile de partir. Ils peuvent aller où ils veulent. Tout le monde est à la recherche de médecins. Il y a un gros effort de recrutement à l'heure actuelle au Royaume-Uni. Les Américains recrutent désormais de l'autre côté de l'océan.
Dr Scully: Je représente le Canada au sein du conseil de l'Association médicale mondiale. Je préside le groupe de travail mondial sur la mobilité des médecins. On n'est pas censé faire ce genre de chose lors d'une première réunion, mais c'est ce qui s'est passé. Cette organisation regroupe 172 pays. La question des ressources en médecins et en infirmières est fondamentale pour chacun d'entre eux. Traditionnellement, le Canada allait chercher des diplômés en médecine au Royaume-Uni, en Afrique du Sud et dans certains pays européens. Cette source s'est en grande partie tarie, pas totalement. Ces pays font tout leur possible pour garder leurs médecins et leur donner des conditions de vie intéressantes. Les sources auxquelles nous puisions sont épuisées. C'est la situation à court terme.
Nous avons effectivement besoin d'un plan national.Les recommandations des groupes de travail concernant le renforcement des effectifs avant et après le doctorat et la nécessité d'inciter le personnel à rester et à rentrer au pays revêtent une importance cruciale. Ces mesures sont indispensables parce que nos médecins vieillissent et parce qu'ils sont de plus en plus nombreux à prendre leur retraite. C'est un problème dans tout le pays. Je ne fais que répéter ce qu'a déclaré le Dr Barrett.
Le sénateur LeBreton: Vous parlez dans votre étude de la nécessité d'augmenter les effectifs dans les écoles demédecine. Vous voulez que l'on passe «à 2 000 en l'an 2000», contre 1 577 à l'heure actuelle. Le Dr Barrett l'a dit, vous avez une population informée et sûre d'elle.
Si davantage de candidats s'inscrivaient dans les écoles de médecine, aurait-on des enseignants? Avec les nouvellestechniques, est-ce que les enseignants pourraient tous les accueillir? Les enseignants réussissent-ils à se tenir au courant des nouvelles techniques? Est-ce que les médecins vont revenir enseigner?
Dr Scully: J'aimerais pouvoir vous le dire et il est vrai que les médecins canadiens sont à la pointe du progrès. Il fait bon vivre dans notre pays quand on a besoin de soins. La qualité globale est excellente.
Nous avons cherché à démontrer par ailleurs qu'il faudra aussi s'occuper des ressources matérielles et du corps enseignant. Si l'on veut augmenter le nombre d'élèves, il nous faudra plus d'enseignants. C'est vrai pour la médecine, pour les sciences infirmières et dans tous les autres secteurs.
Nous ne pouvons pas nous contenter de dire que nous allons augmenter de 20 p. 100 les inscriptions si nous n'avons pas les ressources correspondantes. C'est pourquoi nous estimons que le gouvernement fédéral, qui a été notre partenaire par le passé, pourrait jouer un rôle.
Nous avons été quelque peu déçus de voir que le sujet n'a pas été évoqué dans le communiqué de presse des premiers ministres. Je comprends bien mieux la dynamique entre le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires.
Le sénateur LeBreton: Comment vous tenez-vous au courant de l'évolution des techniques? Qui enseigne aux enseignants?
Dr Scully: Il y a de nombreux programmes postdoctoraux. Par le biais de la réaccréditation, nous garantissons au public que nous sommes à la pointe de ce qui se fait ou, du moins, que nous ne restons pas à la traîne. Il y a des programmes de formation continus en médecine qui apprennent aux enseignants à enseigner et qui leur permettent de se tenir au courant de l'évolution scientifique.
Dr Ward: Dans la même veine, lorsque j'examine les ressources humaines en matière de santé, il y a pour moi trois composantes. La première est le renouvellement. Comment faire en sorte que la main-d'oeuvre continue à s'instruire? Étant donné que les connaissances sur les techniques médicales doublent probablement tous les ans, il nous appartient de concevoir un système qui incite et encourage effectivement tous les profession nels de la santé à se tenir au courant et à se recycler en permanence.
La deuxième composante consiste à concevoir un système dans lequel les gens se sentent bien. Nous avons besoin d'un système qui incite les gens à aimer leur travail. La troisième composante est celle du recrutement.
Chez moi, à Dalhousie, les deux tiers du personnel enseignant du département de médecine vont prendre leur retraite au cours des 10 prochaines années. Cent soixante-huit des quelque 240 membres du corps enseignant vont se retrouver à la retraite. Personne ne se présente pour les remplacer. Le défi qu'il nous faut relever, ce n'est pas seulement de maintenir des effectifs de médecins, c'est d'essayer de conserver une école de médecine.
Ainsi que l'a signalé le Dr Scully, tout cela coûte très cher. Nous estimons que le coût de formation actuel se situe aux alentours de 50 000 à 70 000 $ par étudiant auquel vient s'ajouter le travail postdoctoral.
Il s'agit ici d'un investissement public important, qu'il s'agisse des crédits ou des politiques. Le problème est là. D'un autre côté, nous avons un accord de commerce interne dans notre pays qui fait que notre école de médecine des Maritimes est avant tout une exportatrice nette de professionnels vers le reste du Canada,tout simplement en raison des disparités de salaires. Les gouvernements sont pris entre deux feux.
Est-ce que l'on investit bien notre argent si l'on forme quelqu'un qui ne veut pas rester ou qui n'est pas heureux dans son travail?
Dr Barrett: Je suis passionnément canadien. Je considère que nous avons un énorme avantage dans notre pays. Les Nations Unies nous répètent constamment que nous sommes le meilleur pays au monde. Je suis récemment devenu grand-père. Je peux vous dire que lorsque les jeunes abandonnent notre pays avec leurs enfants, ils laissent les grands-parents derrière. Il y a ici de nombreux liens.
Si nous réussissions à bien faire les choses, nous aurions un immense avantage. Il ne devrait pas y avoir de problème dans notre pays.
Dr Scully: L'une des choses que j'ai oublié de vous dire en faisant mon exposé, c'est que les écoles de médecine et les responsables ont plus bougé ces 18 derniers mois qu'aucours des 20 dernières années. On a augmenté dans une certaine mesure les inscriptions, au-dessous du niveau du doctorat plus particulièrement, mais on a aussi agi au niveau du postdoctorat, des réinscriptions et de la validation des diplômes étrangers. On n'a pas progressé autant qu'on aurait pu comparativement aux recommandations qui ont été faites, parce que l'on ne dispose tout simplement pas des ressources nécessaires - des locaux ou du personnel. Il nous faut chercher à voir ce que nous pouvons faire.
Je vais vous donner un exemple de crédits affectés comme il se doit à des secteurs bien déterminés, sans que cela ait tous les effets souhaitables. En s'appuyant sur des réalités concrètes, le réseau des soins cardiaques de la province de l'Ontario a amené son gouvernement à augmenter les crédits affectés aux services cardiaques des hôpitaux, mais pas en ce qui concerne le personnel. Nous n'avons pas atteint notre objectif. Nous avons fait des progrès mais nous n'avons pas pu atteindre les objectifs souhaités parce que nous n'avions pas le personnel; ce qui vient confirmer l'argument présenté tout à l'heure par le Dr Ward. Nous avons besoin de personnel si nous voulons pouvoir faire quelque chose.
Le sénateur LeBreton: Vous avez parlé de projets pilotes et de ce qui se fait dans d'autres pays, docteur Ward. Pouvez-vous nous donner un exemple précis de projet pilote auquel vous pourriez penser?
Dr Ward: En Nouvelle-Zélande, par exemple, on fait appel à un réseau d'infirmières spécialisées au niveau communautaire appelées infirmières Plunket, qui dirigent des cliniquescommunautaires.
Le président: Quel était le qualificatif?
Dr Ward: Plunket.
Le président: C'est le nom d'une personne ou un sigle?
Dr Ward: On les appelle «infirmières Plunket». Ce système a eu pas mal de succès dans ce pays. Nous n'ignorons pas non plus que dans d'autres pays les sages-femmes font le plus gros du travail en obstétrique. Il y a d'autres choses que nous pouvons envisager.
Le caractère d'urgence ou les possibilités qui découlent de certaines situations dans notre pays sont remarquables, notam ment dans les régions rurales. Nous avons deux îles au sud-ouest de la Nouvelle-Écosse - Long Island et Bar Island - qui n'ont pas de médecins ni d'infirmières depuis 18 mois. Nous dispensons des services par l'intermédiaire des techniciens médicaux d'ur gence, les TMU. Est-ce la meilleure solution? Non, ce n'est pas le cas, mais nous n'avons pas trouvé mieux.
Le sénateur LeBreton: Si nous organisons unevidéoconférence avec la Nouvelle-Zélande, nous pourronséventuellement poser des questions au sujet des infirmières Plunket.
Le président: Laissez-moi enchaîner sur votre derniercommentaire. Certains d'entre nous ont l'impression, du moins c'est mon cas, qu'il y a une mentalité de camp retranché. Il est extrêmement difficile de convaincre les différentes professions de la santé de s'entendre sur les transferts de responsabilité d'une profession à l'autre. Même si le modèle de la Nouvelle-Zélande s'avérait excellent et qu'on décidait de l'adopter, je peux imaginer à quel point il serait difficile de le mettre en oeuvre au Canada. J'ai un peu l'habitude des négociations qui ont lieu au niveau provincial, et j'imagine combien ce serait difficile étant donné la mentalité de camp retranché que l'on retrouve au sein des différentes professions. Est-ce que je me trompe?
Dr Ward: Vous avez raison de dire que c'est un sujet de préoccupation dans certains secteurs. Il est indéniable que nous avons eu quelque succès lorsque nous nous sommes efforcés d'intégrer le réseau des soins de santé et d'éliminer les cloisonnements au sein de l'hôpital. Toutefois, nous nous sommes heurtés, à l'occasion, à cette mentalité de camp retranché. Ça peut se surmonter.
Si nous nous réunissons et si nous instaurons le dialogue au sujet des différents modèles de soins et sur le travail en équipe, et si nous mettons l'accent sur l'entraide et sur ce que chacun peut apporter à l'autre, nous aurons du succès. Nous le savons tous. Nous avons travaillé dans des services de soins intensifs où l'on fait partie d'une équipe, et ces équipes fonctionnent bien. Le défi qu'il nous faut relever est le suivant: puisque nous réussissons à collaborer autour des lits d'hôpitaux dans des situations critiques, qu'il s'agisse des soins intensifs ou des soins coronaires, au sein d'équipes efficaces qui tournent bien, comment faire pour adapter ce modèle au niveau communautaire? Comment faire pour que les gens se sentent bien dans un tel système?
Le président: Est-ce que vous souhaitez adapter ce modèle aux soins primaires?
Dr Ward: Oui. Lors d'un sondage effectué en automne, on a demandé à la population canadienne si elle préférait recevoir des soins de son médecin de famille ou d'une équipe de soins primaires comprenant un médecin de famille, et les réponses favorables au travail en équipe ont été quatre fois plus nombreuses. Notre population préférerait nettement que les soins soient dispensés par une équipe de professionnels de la santé.
Dr Barrett: De toute évidence, les autres professionnels de la santé auraient un rôle accru. Ils ont un meilleur niveau d'instruction que par le passé et l'AMC le reconnaît. Nous avons rassemblé les éléments d'une étude à ce sujet, qui sera présentée à des fins de consultation aux infirmières et à d'autres intervenants. Elle devrait être prête très bientôt. Le Collège des médecins de famille du Canada a rédigé une étude en octobre 2000, qui traite des réseaux de pratique familiale. La mentalité de camp retranché est en train de disparaître. Il faut bien avouer que les médecins, les infirmières et les autres professionnels de la santé travaillent bien ensemble en première ligne et il suffit que leurs organisations s'habituent elles aussi. C'est en fait ce qui se produit actuelle ment.
Dr Scully: Nous nous attaquons résolument à la mentalité de camp retranché au sein même de la profession médicale, puisque nous travaillons plus efficacement ensemble. Je reviens toujours au fait que nous demandons aux jeunes médecins ce qu'ils veulent faire. Dans leur grande majorité, ils veulent travailler en équipe et avec des partenaires et non pas en solo. Ils veulent pouvoir planifier une vie plus normale pour eux-mêmes et pour leur famille et bénéficier de l'apport des autres disciplines.
Nous avons cinq infirmières praticiennes au sein denotre service et nous ne pourrions pas avoir les médecins correspondants. C'est une équipe très efficace. Nous nous dirigeons de plus en plus vers les soins communautaires avec des programmes de soins à domicile pour les cardiaques chroniques. Il y a plein de travail pour tout le monde, et il y a donc de quoi faire.
Le sénateur Robertson: Je propose aux membres du comité et éventuellement à nos témoins qu'au lieu d'aller en Nouvelle-Zélande voir comment fonctionne le système Plunket, il suffirait d'aller voir fonctionner au Nouveau-Brunswick le régimehospitalier décentralisé. Vous pourriez peut-être constater que ce système est encore meilleur que le système Plunket. Il y a beaucoup de choses qui se passent autour de nous et bien souvent nous oublions de regarder devant notre porte. Nous pensons qu'ailleurs on fait bien mieux, et ce n'est pas toujours vrai. Si vous décidez de venir au Nouveau-Brunswick, ne manquez pas de m'appeler, je me ferai un plaisir de vous faire connaître ce système.
Le président: Il y a peut-être des gens parmi vous qui ne savent pas que le sénateur Robertson a été ministre de la Santé du Nouveau-Brunswick pendant un certain temps.
Le sénateur Robertson: Lorsque le système décentralisé a été mis en place, nous sommes allés en Nouvelle-Zélande. À notre retour, nous avons quelque peu copié son système. Le Dr Keon m'a déjà entendu évoquer ce sujet.
Docteur Scully, vous avez parlé de quelque 2 000 étudiants en médecine en l'an 2000 environ. Est-ce que les membres de votre comité envisagent un certain ratio du nombre de médecins par rapport à la population?
Dr Scully: Laissez-moi tout d'abord faire un commentaire général. J'ai eu la possibilité d'étudier de près le modèle du Nouveau-Brunswick et je suis d'accord avec vous pour dire qu'il donne là-bas de bons résultats. Toutefois, tout le monde n'est pas logé à la même enseigne et nous devons savoir nous adapter. Nous pouvons tirer des enseignements de ce qui a été fait ailleurs, mais nous n'avons pas de ratio précis.
Dans leur rapport de 1991 - qui contenait nombred'excellentes recommandations qui n'ont pas été suivies - Barer et Stoddart ont recommandé que le Canada s'efforce de maintenir un ratio de un pour neuf, ce qui correspond au bas de la fourchette. Dans la documentation que vous avez devant vous, vous pouvez voir quels sont les ratios du nombre de médecins par rapport à la population dans les différents pays développés.
L'inconvénient des ratios, c'est qu'ils ne vous disent pas ce que font les intéressés. Le rapport de un pour neuf était bon il y a 10 ans, mais voyez ce qui s'est passé depuis lors dans les domaines de la technologie, de la connaissance, descomportements et des attentes, et de la population. Les gens vivent mieux et plus longtemps, et vivent mieux aussi lorsqu'ils sont plus vieux, mais cette tranche d'âge coûte par ailleurs davantage d'argent et cela signifie plus de travail pour les médecins, les infirmières, les bénévoles, les travailleurs sociaux et autres intervenants au sein de la collectivité. Nous devonsadapter les ratios et les chiffres en fonction de l'évolution des connaissances et de la population à l'avenir. Nous n'avons pas fixé précisément de ratio; nous sommes au-dessous de un pour neuf. À la suite du recrutement qui se fait au Royaume-Uni, le Canada est au bas de l'échelle de tous les pays développés. Il est certain que ce n'est pas suffisant.
Le sénateur Robertson: Nous sommes au bas de l'échelle.
Dr Scully: Nous sommes au bas de l'échelle.
Le sénateur Morin: Il y a une excellente citation au bas de la page 8 qui nous montre bien où nous nous situons.
Le sénateur Robertson: Nous aurons la possibilité de consulter cette documentation plus tard. Ce sont des chiffres inquiétants.
Docteur Ward, vous avez fait état du pourcentage de docteurs sortis de nos deux écoles de médecine des Maritimes. Combien reste-t-il de docteurs qui ont étudié dans ces écoles?
Dr Ward: Ces deux dernières années, l'université de Dalhousie a réussi à garder 39 p. 100 de ses diplômés, en comptant ceux qui ont quitté la province et qui sont revenus après leur formation postdoctorale.
Le sénateur Robertson: Messieurs, vous parlez dans votre étude du système de soins, mais est-ce que vous faites par ailleurs des recommandations en matière de prévention pour apprendre aux Canadiens à rester en santé? Du fait des compressions budgétaires qui ont été pratiquées dans nombre de provinces, les infirmières ont en fait été retirées des écoles. Au lieu que ce soit un enseignant qui appelle la mère pour lui dire: «Je pense que votre fils a la rougeole», c'est la mère qui doit emmener son fils dans une clinique de soins externes, dont les services vont être encombrés.
Vous avez fait allusion aux thèses de plus en plus répandues selon lesquelles les hôpitaux de l'avenir devraient probablement se consacrer exclusivement aux cas graves ou qui mettent en danger une vie humaine. Les autres cas, dans la mesure du possible, devraient être traités sur le lieu de travail, à l'école ou au foyer. Est-ce l'orientation générale que vous préconisez dans votre profession?
Dr Barrett: Oui, mais il vous faut bien comprendre qu'on en est déjà là. La gravité des maladies soignées dans les hôpitaux à l'heure actuelle est bien plus grande qu'avant les compressions budgétaires du milieu des années 90. On s'est déchargé d'une bonne part des soins de santé sur la collectivité, les employeurs et les conjoints. Ce n'est plus couvert par la Loi canadienne sur la santé.
Les médicaments étaient fournis gratuitement dans les hôpitaux aux termes des dispositions de la Loi canadienne sur la santé. Aujourd'hui, le malade doit les acheter lui-même à l'extérieur. On en est déjà là. On s'est déjà déchargé sur le dos de la collectivité. Dans certains cas, toutefois, la collectivité, évidemment à l'époque et jusqu'à un certain point aujourd'hui encore, n'était pas prête à l'accepter.
Le sénateur Robertson: C'est exact. Elle n'était pas prête.Ce n'est pas parce que le malade n'est pas pris en chargedans un hôtel/hôpital que les gouvernements doivent cesser de subventionner les médicaments prescrits et autres prestations de ce type. C'est un autre problème. Le comité doit revoir toute la question.
Dans la mesure où on limite certaines prestations à l'hôpital, il m'apparaît que nombre de malades et de médecins hésiteront à faire appel à un placement communautaire, surtout si l'intéressé n'a pas les moyens de payer le médicament à sa sortie de l'hôtel/hôpital. La charge augmente s'il lui faut payer des soins infirmiers et autres.
Nous nous débattons dans une structure périmée qui doit être repensée de fond en comble si nous voulons donner satisfaction de ceux qui y travaillent, que ce soit les médecins, les infirmières ou le personnel paramédical.
Je vous comprends. Bien des gens sont partis. Si nous parcourions aujourd'hui un hôpital, nous verrions bien des malades qui n'ont rien à y faire. Ils attendent d'être placés dans une maison de repos, de bénéficier d'un service à domicile ou d'être pris en charge d'une façon ou d'une autre. Je pense que le gouvernement - et vous ne serez peut-être pas d'accord avec moi - a établi des règlements et des directives si complexes qu'il est difficile au personnel, aux médecins, aux infirmières et aux personnes libérées de l'hôpital de bien les respecter.
Dr Scully: Vous venez de mettre le doigt sur un véritable problème. Le Dr Barrett en a parlé.
Lorsque je considère les possibilités d'accès qui existent dans notre pays, je ne suis pas sûr qu'il nous faille revoir notre système de fond en comble. Notre système offre encore un meilleur accès à davantage de gens et avec moins d'obstacles que tout autre système que j'ai pu voir ailleurs. Cela dit, il reste d'énormes problèmes. C'est indéniable et c'est pourquoi nous nous efforçons de les régler ensemble. Nous pouvons fournir l'information et vous pouvez prendre les initiatives et donner les orientations. Je pense que nous pouvons y parvenir ensemble.
Les services communautaires n'existaient pas lorsqu'on a établi le réseau d'hôpitaux. J'aimerais bien savoir combien de gens qui dirigent des hôpitaux à l'heure actuelle les considèrent comme des hôtels, mais l'analogie est intéressante. Ils n'ont pas les mêmes commodités que les hôtels. Toutefois, ils ont des compétences spécialisées qui sont précieuses lorsqu'ils réussissent à bien les mettre en oeuvre.
L'engagement en faveur de la sensibilisation du public est fort. Nous avons de nombreux comités qui travaillent dans ces domaines. Ce sont toutefois les soins intensifs qui ont tendance à faire les manchettes. Toutes les organisations médicales - l'AMC, le Collège royal et le Collège des médecins de famille - ont des programmes de sensibilisation du public bien développés. Ces programmes, en association avec Santé Canada et avec les gouvernements des provinces et des territoires, se sont dotés de sites Internet et de sources d'information mis à la disposition des malades et de leurs familles. Il s'agit de mieux les informer pour qu'ils puissent prendre mieux soin d'eux et, il faut l'espérer, éviter d'avoir à entrer dans les hôtels/hôpitaux dont vous parlez.
Dr Ward: Lors des compressions budgétaires dans le secteur hospitalier, aucun crédit n'a été versé et aucun investissement n'a été fait au sein de la collectivité pendant la période transitoire. En l'absence, dans de nombreuses provinces, d'établissements de soins infirmiers, de programmes de soins à domicile bien développés, de programmes de soins hospitaliers à domicile et d'hôpitaux décentralisés, aucun service et aucune installation ne permet d'accueillir les gens lorsqu'ils sont prêts. En dernière analyse, c'est le bien-être du malade qui passe en priorité et, par conséquent, on les garde à l'hôpital.
On pourrait faire bien davantage pour sensibiliser le public et le garder en santé. Un investissement non négligeable doit être fait, notamment dans les écoles, pour favoriser certaines activités et certains modes de vie. Le nombre d'enfants obèses au Canada a triplé au cours des dix dernières années. C'est énorme, c'est absolument renversant. Nous devons inverser la tendance. Il nous faut, d'une manière ou d'une autre, aider les individus et les collectivités à mieux prendre soin d'eux.
J'entrevois des difficultés pour des groupes comme l'ICRS. On a fait un magnifique travail en faveur de la recherche et des établissements universitaires, mais tout porte sur lessciences biomédicales pour lutter contre les maladies et sur les interventions à l'aide de diagnostics. Il faudrait investir tout autant dans le bien-être de la population et la promotion de la santé. Il faudrait le même investissement pour s'attaquer au problème que pose notre système ainsi que les ressources humaines du secteur de la santé. C'est une recherche en sciences sociales qu'il me paraît important de financer. Nous devons nous en occuper.
Le président: Le sénateur Callbeck est elle aussi une ancienne ministre provinciale de la Santé et ex-première ministre de l'Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur Callbeck: Docteur Ward, vous avez évoqué trois sujets qu'il nous fallait aborder. Il y a tout d'abord la question des modèles de soins. En répondant à une question posée par le sénateur LeBreton, vous avez cité la Nouvelle-Zélande en exemple. Pouvez-vous nous donner d'autres exemples? Vous nous avez dit qu'il nous fallait regarder vers d'autres pays.Pourriez-vous être plus précis?
Dr Ward: Comme nous l'avons signalé, il ne s'agit pas simplement d'examiner ce qui se fait dans d'autres pays que le Canada, mais en fait d'envisager des projets pilotes et des adaptations propres au Canada.
Il est souvent très intéressant de constater que nous nous tournons immédiatement vers d'autres pays sans chercher à savoir ce qui se passe chez nous. Si nous avions un site Internet permettant à chacun de nous faire part de ses conceptions ou de ses expériences, je crois que nous serions très étonnés de voir à quel point notre pays sait faire preuve d'innovation.
Nous avons en Nouvelle-Écosse des centres de santécommunautaires dont les programmes sont adaptés spécialement à leur collectivité. Ils dispensent des soins et sont rattachés à d'autres hôpitaux qui comptent parmi leurs effectifs des médecins qui vont les visiter. Ils ont des programmes spéciaux. Ils peuvent transformer des lits pour malades chroniques en lits d'observation au service de la population.
Il y a bien des choses qui se font dans notre pays et que l'on oublie d'applaudir. Nous devons nous en occuper.
Le fait de regarder honnêtement et en toute franchise ce qui se fait dans d'autres pays nous permet entre autres d'instaurer un dialogue national sur ce qui va bien dans notre système, sur ce qui est vraiment efficace, et sur ce qui fait obstacle à la santé et que nous pourrions améliorer.
Certains choix s'offriraient à nous. Il serait bien plus facile de discuter de ce problème si quelqu'un nous demandait: «Avez-vous pensé à faire certaines choses de telle manière?» plutôt que de nous dire simplement «Pouvez-vous imaginer un meilleur moyen?»
Dr Scully: Je dirai qu'il s'agit là du projet de la phase I repris à plus grande échelle par le Groupe de travail II. Nous nous pencherons sur les différentes expériences et sur les excellents modèles qui existent dans notre pays afin de pouvoir disposer d'un éventail d'options ou d'un menu que nous pourrionsadapter aux différentes circonstances. Nous pourrions tirer les enseignements des meilleurs modèles et progresser à partir de là.
Le sénateur Callbeck: Que pensez-vous des applications de la télémédecine? Pensez-vous qu'il nous faille faire preuve de plus d'initiative dans ce domaine? Où en sera selon vous ce système dans dix ans?
Dr Barrett: Tout ce qui entoure les technologies del'information et la télémédecine peut profiter énormément au système de soins de santé. Nous avons des projets pilotes en Saskatchewan qui sont administrés par l'Hôpital universitaire. On économise beaucoup d'argent dans le nord de la Saskatchewan étant donné que grâce à ce système il y a moins de gens qui doivent se déplacer pour aller voir un médecin. Au Canada, où les distances sont si grandes, un tel système offre d'immenses possibilités. Il y a aussi un programme de télémédecine à l'Université de Calgary, à l'Hôpital pour enfants malades de Toronto ainsi qu'en Nouvelle-Écosse. Il existe partout de nombreux programmes qui en sont au stade de l'évaluation.
En tant que pays, le Canada n'a pas beaucoup investi dans les techniques de santé et dans la connectivité. Nous l'avons demandé avant la rencontre des premiers ministres et nous avons été heureux d'apprendre que l'on avait fait quelques investisse ments dans ce secteur. Par rapport à ce qu'on dépense de manière générale dans le secteur, ça se situe autour de six ou de sept pour cent. La facture de la santé se montant au total à 95 milliards de dollars, nous en sommes bien loin. J'ai dit à maintes reprises que nous avions besoin d'innovation et d'idées tout autant que d'argent. Il n'en reste pas moins que nombre de ces idées nécessiteront un investissement au départ et il nous faudra en tenir compte.
Dr Ward: Dans bien des régions, la télémédecine est la clé de l'avenir, notamment avec les techniques axées sur l'Internet. Nous y avons recours pour aider nos médecins des salles d'urgence. Nous avons constaté par ailleurs qu'elles étaient d'un grand prix pour utiliser les services des deux dermatologues de notre province, les images des lésions de la peau étant transmises à Halifax. Les médecins peuvent voir 60 malades par jour sans avoir à se déplacer dans la province et les malades n'ont pas non plus à se déplacer pour aller voir leur médecin. Elle a été d'une aide précieuse pour aider l'hôpital des enfants à dispenser des services psychiatriques dans toute la région des Maritimes. La possibilité de faire des conférences à l'intention des familles et des équipes de santé a été d'un grand prix.
Il est indéniable qu'aux États-Unis, les services detélémédecine, soit la prise en charge des enfants asthmatiques à l'aide des ordinateurs installés à l'école, a permis de faire nettement baisser les taux d'hospitalisation et d'améliorer la santé des enfants.
Il nous faut bien comprendre qu'en termes de savoir et de connaissances, notre société est devenue de plus en plusvisuelle. Dans les Maritimes, nous avons un gros problème d'analphabétisme, notamment dans la population adulte. La plupart des gens quittent l'école très jeunes pour travailler sur les bateaux de pêche ou dans les mines. On peut veiller à la santé de cette population grâce à un réseau interactif de télévision. On dispose des techniques nécessaires pour que quelqu'un à l'autre bout - un simple visage - puisse répondre à une question, et il n'est pas nécessaire que l'on ait à s'asseoir et à lire un document technique. Ce sera une aide précieuse. C'est un outil important pour les services qui seront dispensés à l'avenir.
Le sénateur Callbeck: Ce sera l'un des secteurs prioritaires lorsqu'on fera des investissements en matière de santé.
Dr Ward: Chez nous, nous mettons en place un système d'information à l'échelle de la province. Nous avons l'avantage de disposer de notre propre réseau de fibres optiques qui dessert la totalité de la province. Le gouvernement n'en est pas le seul propriétaire, de sorte que ce n'est pas un réseau public. Nous considérons que ce sera la colonne vertébrale de notre réseau de soins de santé à l'avenir.
Le sénateur Callbeck: Au sujet des médecins provenant de l'étranger, vous avez indiqué, Dr Barrett, que 24 p. 100 des médecins qui pratiquent au Canada ont obtenu leur diplôme à l'étranger. Je pense que vous avez déclaré que le Canada délivrait 400 permis d'exercer temporaires aux médecins formés à l'étranger. Est-ce que nous cherchons délibérément à recruter ces médecins dans ces pays, ou est-ce parce qu'ils veulent venir au Canada et qu'ils présentent une demande?
Dr Barrett: Les deux. Il y a toutefois des provinces qui, au Canada, ont délibérément recruté ces médecins. Je ne sais pas ce que nous ferions sans eux, je vous le dis bien franchement. On pourrait soutenir qu'il y a là un problème d'éthique étant donné qu'il se pose à l'échelle mondiale: Est-ce bien là l'orientation qu'il faut prendre - voler un pays qui à son tour en vole un autre, et ainsi de suite? En fin de compte, ce n'est pas la façon de régler le problème. Le Dr Scully pourra peut-être vous en parler. C'est une question qui a été soulevée lors d'une réunion récente de l'Association médicale mondiale.
Dr Scully: Sur le plan de l'éthique, il s'agit de savoir si l'on peut accaparer les ressources de quelqu'un d'autre. N'oublions pas ce que coûte aux contribuables la formation de nos professionnels de la santé - médecins, infirmières, et cetera. - et ce que cela représente comme perte pour notre balance commerciale lorsque notre population migre vers le sud. Le Dr Ward a mentionné les coûts de la formation d'un étudiant en médecine à Dalhousie. Ces coûts varient selon les régions du pays, mais ils sont élevés.
L'intégration des communautés au Canada nous a rendus plus riches. C'est vrai dans bien des secteurs. Nous espérons pouvoir continuer à faire venir d'excellents médecins du monde entier, mais nous devons en revenir à ce que nous avons dit tout à l'heure et être autosuffisants avec toute la stratégie que cela suppose.
La délivrance de permis d'exercer temporaires se substitue à l'accréditation universitaire des intéressés. Cela nous inquiète car nous voulons être sûrs, pour le bien de notre population, que le niveau et la qualité de ces médecins sont suffisants. Nombre d'entre eux sont bons, mais nous voudrons être sûrs qu'ils le sont tous, comme nous le faisons pour nos propres diplômés.
Si nous nous retrouvons dans une situation de pénurie, exigeant la délivrance d'un nombre toujours accru de permis d'exercer temporaires tout simplement parce qu'il y a un manque, le problème de la qualité prend alors une grande importance. Notre profession va se pencher sur la question et en parler avec les responsables de l'accréditation à l'échelle du pays.
Le président: La parole est au sénateur Morin, et ce sera ensuite le sénateur Cook au sujet de l'expérience de Terre-Neuve.
Le sénateur Morin: Je remercie le Dr Scully de son excellente contribution. Je tiens aussi à féliciter le Dr Michel Brazeau, du Collège royal des médecins et des chirurgiens, qui joue un grand rôle dans notre pays sur la question du personnel médical.
Ma première question s'adresse au Dr Barrett et au Dr Scully. La semaine dernière, nous avons appris que les coûts de la santé avaient augmenté de sept pour cent et se situaient désormais à 96 milliards de dollars. Nous nous situons juste derrièrel'Allemagne et les États-Unis, mais au troisième rang dans le monde.
Est-ce que nous dépensons suffisamment? Est-ce que nous dépensons là où il le faut? Sinon, dans quel secteur devrions-nous dépenser?
Je vais aussi demander au Dr Ward, en tant que représentant de toutes les provinces, y compris le Québec, l'Ontario et l'Alberta, ce qu'il pense du rôle que doit jouer le gouvernement fédéral en matière d'élaboration des politiques du personnel.
Dr Barrett: Nous pourrions dépenser davantage, mais l'argent en soi ne résoudra pas les problèmes. Lorsqu'on considère la situation canadienne, on se rend bien compte du pourcentage de l'ensemble des budgets provinciaux qui est absorbé par la santé - souvent au détriment de l'enseignement et de l'environnement.
Sur la question du personnel, nous avons parlé des médecins, mais en fait notre pays va se retrouver devant d'énormes difficultés à l'avenir en ce qui a trait à la main-d'oeuvre qualifiée. Nous ne pouvons pas réduire nos investissements en matière d'enseignement. Nous pourrions dépenser davantage, mais il est temps de privilégier l'innovation et les idées. Dans certains cas, cela exigera des investissements au départ. Toutefois, à long terme, la connectivité pourrait nous permettre de faire mieux et moins cher en tirant un meilleur parti des modèles existants et de certaines idées que j'ai entendu évoquer aujourd'hui, comme la télémédecine. Il y a des moyens de dispenser des soins de santé qui ne nous obligent pas nécessairement à dépenser des fortunes. Nous devons nous familiariser avec l'innovation et les nouvelles idées.
Dr Scully: On peut répondre tout simplement en disant qu'on ne sait jamais ce qui est suffisant. La nouvelle définition de «l'universalité» à l'Organisation mondiale de la santé, c'est le fait pour chacun, au sein de la société, d'être placé sur un pied d'égalité. Chacun a la garantie d'accéder raisonnablement aux services et aux ressources disponibles dans le pays concerné.
Si notre système de santé ne s'est pas aussi bien classé qu'on aurait pu le penser au sein de l'OMS, c'est entre autres parce qu'il s'apparente à une mosaïque à l'heure actuelle.
Les ministres de la Santé et des Finances ont fait remarquer que nous pourrions mieux dépenser nos crédits. Il y a desrationalisations à faire. De nombreuses possibilités nous sont laissées dans ce domaine.
Il nous faudrait dépenser davantage dans certains secteurs. La télémédecine et la transmission de l'information pourraient nous faire économiser des milliards de dollars, des diagnostics principaux vont être transmis sans qu'il soit nécessaire de faire des copies. Ensemble, nous pourrions mieux dépenser sans avoir à remettre en cause inutilement d'autres programmes.
Dr Ward: Sachant que chaque province et chaque territoire est responsable à l'intérieur de ses propres frontières de la délivrance de ses services de santé, je considère que le gouvernement fédéral n'en conserve pas moins un rôle très marqué. Il pourrait notamment continuer à favoriser un dialogue national sur les questions de systèmes et de ressources humaines en matière de santé. Le gouvernement fédéral pourrait certainement nous aider à comprendre ce qui est raisonnable au sein de notre système et quelles sont les perspectives d'avenir qu'il nous offre.
Le gouvernement fédéral du Canada est partie prenante en la matière. C'est le sixième plus gros fournisseur de services de santé au pays. Il dispense des services aux forces armées et à d'autres institutions. Les dépenses directement consacrées à ces services par le gouvernement fédéral dépassent celles de nombre de provinces et de territoires. En plus d'être un intermédiaire, c'est un acteur important.
Comme l'ont indiqué le Dr Scully et le Dr Barrett, le gouvernement fédéral a un grand rôle à jouer pour renouveler le système. Il y a un problème de fond en ce qui a trait à l'infrastructure. Il ne s'agit pas seulement de l'équipement et des installations que l'on retrouve dans notre pays. Il s'agit surtout de l'infrastructure en matière d'enseignement. C'est la possibilité d'entreprendre, d'une façon ou d'une autre, de rénover les sites de formation professionnelle de tous les spécialistes de la santé.
Le gouvernement fédéral a un rôle à jouer dans la création des centres des sciences de la santé ainsi que dans la formation et le recyclage des nouveaux spécialistes des sciences infirmières, de la pharmacie et des techniques des laboratoires médicaux. Il pourrait décider d'appuyer ce genre de choses.
Comme l'a fait remarquer le Dr Scully, la création des instituts canadiens de recherche en matière de santé est une initiative majeure qui nous permet au moins d'essayer de conserver et de recruter des universitaires. Ce fut un gros événement dans notre pays. Toutes les provinces et tous les territoires se félicitent de pouvoir attirer et conserver leurs propres spécialistes. Surtout, ils sont fiers aujourd'hui de pouvoir faire venir des gens.
Il est nécessaire d'investir davantage dans la recherche sur les systèmes. Il faut que l'on s'investisse davantage pour essayer de comprendre le système, la façon dont il opère et les possibilités d'amélioration. Ce serait une bonne chose de pouvoir étendre les activités de groupes tels que l'ICIS ou la Fondation des services de santé. Il nous faudrait éventuellement penser en terme plus général à la question de l'enseignement.
Enfin, étant originaire d'une de ces provinces que l'on qualifie de «démunie», je considère que le gouvernement fédéral doit encore jouer un rôle important en faisant tout son possible pour orienter les activités au niveau national afin de faire en sorte que tous les Canadiens aient accès, dans des conditions justes et équitables, à un réseau de services de santé suffisamment complet.
Surtout, comme le Dr Barrett, je me sens passionnément canadien. Mon père a travaillé pour Tommy Douglas. Je me souviens de la création de l'assurance médicale, de la grève des médecins. Je me déclare ici favorable à un réseau de soins de santé financé par des fonds publics et je n'accepterai aucune forme de privatisation. Si le gouvernement est prêt à faire face et à dire «Pas de privatisation», je suis avec lui. Je serai à ses côtés.
Le sénateur Cook: Étant donné la quantité d'information que vous nous avez fournie cet après-midi, je suis sûre que lorsque j'en aurai fini, vous aurez répondu à la plupart de mes questions.
Je viens de Terre-Neuve. Je siège à titre de bénévole au sein du conseil sur la santé depuis neuf ou dix ans. Je n'ai qu'une connaissance limitée du système, ce qui pourrait être dangereux.
Je vous parlerai d'abord de télémédecine. Je suis sûre que vous savez que nous participons à télémédecine depuis 1972. Cette pratique est née de la nécessité de faire la lecture des clichés radiologiques dans la localité nordique de St. Anthony et de les envoyer à partir de là dans les pays du tiers monde de l'Afrique. Dans le domaine de la télémédecine, nous avons exercé des activités novatrices dont très peu de gens ont eu connaissance.
Il y a des réflexions qui me hantent et que je continue à entendre: «l'argent n'est pas la solution», «on manque de crédits», «il y a une pénurie de ressources humaines», «nous sommes ici pour prendre soin des gens.»
J'entends dire qu'il faut instaurer un dialogue national. J'entends dire qu'il y a toutes sortes de gens et d'organismes qui prennent toutes sortes d'initiatives pour dispenser des services de qualité à la population canadienne. Je suis sûre qu'il se passe de grandes choses.
Nous avons de l'équipement de pointe tel que l'IRM et les tomodensitomètres. Dans ma province, c'est le secteur public - les syndicats - qui ont fourni l'équipement pour aider nos services infirmiers et nos médecins à soigner notre population.
Je ne crois pas qu'il faille oublier l'importance de l'argent. Je suis convaincue qu'il nous faut davantage d'argent à la source. Comment dispenser des services si nous n'avons pas les équipements et des crédits suffisants pour pouvoir apporter des soins?
Il y a des infirmières qui lavent les planchers, qui rentrent chez elles après avoir fait leur journée et qui sont rappelées immédiatement. Il y a beaucoup de dévouement. On prend soin de notre population. Toutefois, il m'apparaît qu'il y autant de bon que de mauvais dans notre système et bien du laisser-aller.
Comment faire pour que tout fonctionne harmonieusement? J'ai l'impression d'être dans l'oeil du cyclone, messieurs. Vous êtes libres d'apporter vos commentaires.
Dr Barrett: Je tiens à insister sur le fait que la qualité des soins de santé au Canada est très bonne. Le problème ne tient pas tant à la qualité des soins, c'est la possibilité d'y accéder en temps utile. Il faut attendre pour la tomographie et il faut attendre pour les traitements et les radiologies ou alors sortir du pays pour les obtenir. Une fois que l'on est pris en charge, tout va bien. Il ressort de tous les sondages que le public est très satisfait des soins dispensés. Ce qui l'inquiète, c'est la possibilité d'obtenir au départ ces soins.
Le président: J'ai déjà entendu l'AMC et d'autres intervenants faire ce genre de déclaration. Laissez-moi vous poser une question. Comment pouvez-vous séparer la qualité des soins des délais d'attente? Il est difficile de dire aux gens qu'il leur faut attendre quatre mois pour subir telle ou telle opération et qu'ensuite ils seront bien traités, si dans l'intervalle leur mal s'aggrave et s'ils vont peut-être en mourir. Peut-on affirmer qu'ils ont été bien traités tant qu'ils étaient en vie? Vous ne pouvez pas faire la distinction que vous cherchez à faire. S'il en est ainsi, je ne comprends pas ce que vous entendez par qualité.
Dr Barrett: Je veux parler de la qualité des soins que dispensent les professionnels de la santé. Nous travaillons énormément, malgré la tension et les horaires chargés, pour dispenser des soins de grande qualité. C'est vrai pour les médecins, les infirmières, les techniciens, pour tout le monde. Le problème, c'est de faire en sorte que le malade ait accès à ces soins. Tout le problème est là.
Le sénateur Morin: Vous avez raison de le signaler. Nous savons que dans notre pays la qualité des soins varie d'une région à l'autre.
Le président: En fonction de notre géographie.
Le sénateur Morin: L'accès fait partie de la qualité.
Dr Scully: À propos de l'observation selon laquelle «l'argent ne fait pas tout,» nous ne disons pas que l'argent n'est pas nécessaire. Nous disons qu'il n'est pas suffisant.
Nous devons remédier au laisser-aller et aux défaillances du système. Jusqu'à présent, nous avons travaillé chacun de notre côté pour essayer d'y parvenir.
Nous nous sommes proposés, dans le cadre du projet du groupe de travail, d'oeuvrer au sein d'un partenariat avec d'autres intervenants - y compris les gouvernements - pour essayer de remédier à ces questions afin que tout le monde soit davantage sur un pied d'égalité. On pourrait offrir en conséquence un meilleur accès à tout le monde, que ce soit sur le plan des délais ou, plus encore, de la qualité. Ce sont des problèmes bien réels que vous soulevez ici.
Il est bien évident qu'une province comme Terre-Neuve, étant donné les distances et de par sa géographie et sa démographie, est un microcosme qui reproduit à petite échelle les problèmes que l'on retrouve dans l'ensemble du pays.
Il nous faut bien investir notre argent et dépenser davantage que nous ne l'avons fait jusqu'à présent dans des secteurs tels que la technologie et les ressources humaines. Essayons de collaborer pour que les chances deviennent plus égales.
Le sénateur Cook: Qu'est-ce qui va se passer selon vous à l'échelle nationale? Dans ma province, nous n'avons rien à envier à personne pour ce qui est de la qualité des soins qui sont délivrés. Je n'aurais absolument pas peur de tomber malade dans ma province - je sais que je bénéficierais de soins de qualité.
Ce n'est pas de ça dont je veux vous parler. Je vous parle de ce dont nous avons besoin: des mécanismes devant me permettre de recevoir des soins. Cela signifie qu'il faut qu'il y ait une quantité suffisante de médecins, d'infirmières, de membres du personnel de soutien et d'équipement. Comment mettre toutes ces choses en place pour s'assurer que le consommateur est bien servi?
Dr Scully: C'est pourquoi nous sommes ici. Nous sommes ici pour parler de la main-d'oeuvre. L'Association médicalecanadienne a présenté un exposé très détaillé sur la technologie et sur ce qu'on peut faire de ce point de vue. Le Dr Barrett pourra peut-être faire quelques observations à ce sujet.
Nous sommes ici aujourd'hui pour parler de ce que l'on peut faire pour régler les questions de main-d'oeuvre.
Dr Ward: Le problème de la qualité implique que l'on impose certaines normes. Ces dernières années, on réclame de plus en plus des normes nationales. L'étude sur la liste d'attente dans l'ouest du Canada va être publiée. On y trouvera desrenseignements d'un grand intérêt qui surprendront bien des Canadiens.
L'une des difficultés ici c'est d'en arriver à un système intégré de soins de santé. Le Dr Barrett nous a dit qu'il reste dans bien des cas des médecins qui travaillent de manière isolée. Comment vont-ils pouvoir discuter des normes avec un autre interlocuteur s'ils procèdent ainsi? Où sont les règles écrites? Quelles sont les démarches communes? Où se trouvent les directives cliniques?
Avec les techniques d'information, les connaissances et les mécanismes d'appui des décisions dont nous disposons, nous devrions pouvoir, à terme, adopter des méthodes plus ou moins normalisées en matière de diagnostic et de traitement, et arriver à des délais raisonnables.
Dans ma province, il y a un phénomène intéressant qui fait que chacun pense que si son médecin s'inquiète de sa santé, il va être envoyé à Halifax. Un habitant de Truro ne prendra jamais la route pour aller jusqu'à New Glasgow, même si le personnely est excellent. On vient d'y recevoir un tout nouveau tomodensitomètre. Ce malade va par contre être expédié à Halifax et attendre plus de cinq mois pour pouvoir bénéficier d'une tomographie non requise d'urgence alors qu'il aurait pu prendre la route et l'avoir le même jour.
Il y a certaines façons de procéder auxquelles il nous faut remédier. Vous évoquez une procédure harmonieuse faisant appel à l'équité, à des normes et à des objectifs devant être atteints. Nous devons instaurer un dialogue au sujet de la procédure.
Le sénateur Cook: Qui va prendre l'initiative de ce dialogue?
Dr Ward: Il faut que ce soit chacun d'entre nous. Je considère que nous sommes tous évidemment concernés au sein du système, y compris moi-même en ma qualité de sous-ministre, les gens qui travaillent dans le réseau hospitalier, les administrateurs ainsi que les représentants des associations médicales, des associations d'infirmières et d'infirmiers accrédités et des syndicats de personnel infirmier. Tous ces gens doivent participer àl'identification des problèmes et des moyens de les résoudre. Il leur faudra définir qui doit prendre la tête de l'opération.
Le sénateur Cook: Est-ce que vous pensez que le travail doit se faire au niveau de chaque province ou à l'échelle nationale?
Dr Ward: Je pense qu'il faut commencer au niveau provincial. Parallèlement, toutefois, je m'attends en ma qualité de sous-ministre que cela fasse partie d'un projet national.
Le sénateur Keon: J'ai bien apprécié vos interventions. Vous nous avez dit que «l'argent à lui seul ne réglerait pas le problème.» Je suis tout aussi fermement convaincu que ce n'est pas simplement en rajoutant du personnel qu'on réglera le problème de main-d'oeuvre.
Nous savons tous ce qui s'est passé en France. Tous ces diplômés en médecine se sont mis à conduire des taxis parce qu'il n'y avait pas de place pour eux. La même chose s'est produite en Italie. Ça se passe aujourd'hui dans l'est de l'Europe.
Nous devons répéter la leçon que nous a apprise le Dr Ward et envisager la mise en place d'un système intégré à l'échelle du pays pour que les professionnels de la santé s'insèrent dans le système lorsqu'ils sortent de l'école. Ce n'est pas difficile à faire.
Nos amis industriels, dans les secteurs de la haute technologie et des sciences de l'ingénieur, ont déclaré aux collèges et aux universités, il y a quelque sept ou huit ans, que leurs diplômés n'avaient aucune utilité pour l'industrie. Ils nous ont dit que les collèges formaient des ingénieurs «généralistes» qui n'avaient aucune valeur. Ils voulaient des programmes d'enseignement spécialisé qui leur permettraient d'engager les diplômés. Et alors qu'est-il arrivé? Tout s'est passé très rapidement.
Nous disposons d'une énorme quantité d'information, vous le savez tous. Nous avons tous fait partie de groupes d'études ces 20 dernières années qui se sont penchés entre autres sur la question de la main-d'oeuvre. Il y a des quantités énormes de renseignements disponibles. Nous devons les intégrer avec les autres professionnels de la santé, y compris avec le personnel infirmier, que nous allons entendre. Nous devons envisager des systèmes utiles.
Je pense que nous avons commis une terrible erreur en faisant venir les bulldozers pour éliminer certains hôpitaux et regrouper tous les services en un même endroit plutôt que de chercher à intégrer les réseaux de santé au sein des collectivités. Nous avons créé de véritables monstres incapables de bien fonctionner sans être branchés sur les ressources de la collectivité. Il nous faudra repenser à nouveau le système.
J'aimerais que vous fassiez appel tous les trois à votre science pour nous dire comment selon vous il nous faut former la prochaine génération de diplômés en médecine pour répondre à nos besoins.
Dr Scully: Laissez-moi vous répondre en premier. Je conviens que la quantité de personnel ne fera pas tout. Il faut bien reconnaître, cependant, que les pays que vous avez cités n'ont pas les mêmes critères de qualification à l'entrée et à la sortie que les étudiants en médecine du Canada et d'autres pays comme le Canada. Il se peut qu'il y ait beaucoup de médecins, mais ils ne seraient pas engagés de toute façon parce qu'ils n'onteffectivement pas la qualification ou le niveau des nôtres.
Le Groupe de travail I a fait preuve de prudence en choisissant le chiffre qu'il a recommandé. Au départ, nous pensions qu'il faudrait bien plus de 2 000 étudiants en l'an 2000 pour établir l'équilibre. Nous nous sommes dit que «la société évoluait et que les médecins collaboraient différemment avec les autres et qu'à l'avenir, il nous faudrait discuter de ce chiffre avec d'autres intervenants en sachant qu'il est en deçà de ce qu'il faudrait pour remplacer les effectifs.» Nous cherchons à ne pas nous laisser déborder par l'évolution de la situation.
Nous ne pensons pas avoir exagéré. Nous aurions recommandé un chiffre plus proche de 3 000 pour l'an 2000 si nous avions voulu prévoir un remplacement intégral.
Je comprends bien votre argument. Ce ne sont pas simplement les quantités mais ce que va faire le personnel. C'est pourquoi ce n'est pas non plus en agissant sur les ratios que l'on va y parvenir. C'est l'ensemble de tout ce que nous pouvons faire pour instaurer une collaboration entre les médecins, les infirmières et d'autres intervenants, les hôpitaux, les collectivités, les gouvernements et les dirigeants communautaires.
Je comprends votre argument, mais nous cherchons à parvenir à un équilibre et à une solution intégrée, comme vous pouvez le voir dans notre documentation, de manière à faire mieux les choses plus souvent que par le passé.
Dr Barrett: Nous avons besoin de cette stratégie nationale de planification. On doit prévoir dans ce cadre une évaluation des besoins. Le problème vient en partie du fait que les chiffres ne nous disent pas ce que font les gens, comme vous l'avez indiqué. Lorsqu'un médecin de famille prend sa retraite dans une localité du nord, il se peut que ce soit l'unique anesthésiste qui s'en aille. Une fois qu'il est à la retraite, on ne peut plus faire de chirurgie dans cette localité. Tout un programme s'écroule.
D'un point de vue fédéral, en plus d'apporter une stratégie de planification nationale, il nous faut nous pencher sérieusement sur l'enseignement postdoctoral, non seulement dans les écoles de médecine, mais dans toutes les filières, pour que nous ayons une main-d'oeuvre qualifiée à l'avenir. C'est particulièrementimportant lorsqu'on considère l'endettement de nos étudiantsà la sortie de l'école. Certains d'entre eux doivent plus de 100 000 $. Si un diplômé dans cette situation a des enfants jeunes et une hypothèque, il sera tenté d'aller dans le sud plutôt que de rester ici parce qu'il lui sera plus facile de rembourser cette dette dans des délais raisonnables.
Dr Ward: La souplesse dont font preuve les universités joue un rôle absolument essentiel ici. À l'heure actuelle, il faut environ deux ans pour changer un programme universitaire. Dans un secteur où les connaissances doublent chaque année, c'est, il faut bien l'avouer, inacceptable. C'est tout simplement inacceptable. Lorsque nous procéderons à tout ce remaniement, nous devrons aussi essayer de faire en sorte que les universités s'adaptent à ce nouvel environnement.
Pour ce qui est des diplômés en médecine à l'avenir, j'envisage un engagement et un partenariat entre le système et l'intéressé pendant toute la vie active de ce dernier. Si nous accordons un certain prix à ce personnel, je considère que notre système doit lui donner la possibilité - deux semaines par an, ou trois mois tous les deux ans - de perfectionner ses connaissances.
Dans un tel système, le personnel qui travaillerait en groupe dans une petite localité bénéficierait d'un point d'ancrage. Ce point d'ancrage serait un centre universitaire qui se chargerait de mettre à jour les compétences de tous les membres de l'équipe de soins de santé. Non seulement il fournirait un service, mais il dispenserait en outre un enseignement. Chacun bénéficierait donc d'une formation permanente. C'est ce que doit permettre et encourager le système.
On ne peut y parvenir en lançant quelqu'un dans la nature au bout de 10 années d'études en lui souhaitant tout simplement bonne chance. «Prenez vous-même en charge votre formation permanente, cherchez à avoir des points de contact et préoccupez- vous de vos enfants et de votre famille si vous en avez le temps et si on ne vous demande pas de travailler 100 heures par semaine.»
Nous devons nous préoccuper de la valeur que nous accordons aux gens et de ce qui nous intéresse. L'argent n'est pas ce qui est le plus important pour les diplômés d'aujourd'hui. C'est leur vie, leur mode de vie et la satisfaction dans le travail; c'est la possibilité de bien faire; enfin, c'est la possibilité d'apprendre et de rester compétent. L'argent n'est pas le principal. Nous avons un système qui les incite à vouloir gagner de l'argent.
Nous devons prendre du recul et nous pencher sérieusement sur la question.
Dr Barrett: Nous pouvons nous tourner vers le secteur privé, là où la concurrence a joué et où l'on a obtenu des succès. Il y a essentiellement trois choses que l'on peut faire. Tout d'abord, accorder de bonnes rémunérations, et il est indéniable qu'il faut payer suffisamment le personnel. Je suis d'accord pour dire que si on lui offre la possibilité de faire partie d'un bon système qui permet de réaliser de bonnes choses dans un cadre libre de toute tension, il sera prêt à travailler pour moins d'argent. Si l'on parvenait à améliorer ce cadre sur un troisième point - la possibilité de se perfectionner sur le plan professionnel - nous aurions tout ce qu'il nous faut pour être concurrentiels. Le secteur privé y est parvenu avec succès.
Le président: Vous avez établi une comparaison avec le secteur privé. Si, dans le secteur privé, on s'apercevait qu'il y a une pénurie de main-d'oeuvre qualifiée dans un secteur donné, il y aurait des rattrapages au niveau des rémunérations qui feraient que les qualifications que l'on recherche seraient mieux payées et les autres moins bien. Là encore, c'est extrêmement difficile à faire si je comprends bien les difficultés qui se présentent au sein de l'association médicale et des différentes institutions médicales lorsqu'il s'agit de faire évoluer les rémunérations respectives des différentes catégories de spécialistes. J'évoque la question parce que vous avez fait une comparaison avec le secteur privé et qu'il s'agit là d'une démarche fondamentale, que vous n'avez pas analysée cependant.
Dr Scully: J'ai déjà occupé les fonctions de négociateur en chef pour la province de l'Ontario.
Le président: Je le sais bien. Voilà pourquoi je dis que je comprends les difficultés.
Dr Scully: Je suis, avec le sénateur Keon, bien placé pour dire que, de tous les médecins, les spécialistes de la chirurgie du coeur sont parmi ceux à qui l'on pourrait en vouloir car, c'est un fait, ils gagnent plus d'argent que beaucoup d'autres. Nous estimons, certes, le mériter, mais il y a des limites à ce que nous pouvons faire. Nous ne pouvons pas, en effet, aller au-delà d'un certain nombre d'heures de travail.
Le problème ne se pose d'ailleurs pas uniquement au niveau des médecins. Il concerne toutes les catégories. On en revient, encore une fois, à la question de l'équilibre entre activité professionnelle et vie personnelle. L'augmentation des salaires ou des honoraires n'est pas une solution car, au-delà d'un certain revenu, on ne parvient même plus à dépenser ce qu'on gagne, on n'a plus de temps à consacrer à sa famille et, de toute manière, on se heurte au nombre insuffisant de personnes qualifiées.
Le problème fondamental provient donc du fait que même si vous décrétez une très forte augmentation des honoraires par rapport à ce qui est offert dans le reste du pays, comme cela s'est fait en Alberta, il n'en reste pas moins que le nombre de personnes capables de faire ce travail-là demeure insuffisant. Il ne suffit donc pas d'augmenter les revenus; il faut trouver les moyens d'attirer vers cette spécialité des personnes qui ne sont pas principalement motivées par l'argent. Il peut s'agir, par exemple, de personnes qui veulent faire oeuvre utile et qui veulent pourvoir au bien-être des autres. C'est la raison qui a poussé la plupart d'entre nous à entrer en médecine.
Le président: Votre réponse est intéressante, même si elle ne répond guère à ma question. Je n'en prends pas ombrage.
Dr Barrett: Je n'ai pour ma part aucun doute qu'on parviendra à recruter les spécialistes voulus si les conditions de travail, largement définies, paraissent satisfaisantes. En Saskatchewan, par exemple, pour une bonne partie de l'année le climat n'est pas tellement agréable et la rémunération n'est pas particulièrement élevée comparée aux autres provinces. La Saskatchewan n'a, cependant, aucun mal à recruter car les gens sont attirés par l'occasion de s'intégrer à un système médical qui est parmi les meilleurs au monde. Ça les tente de participer à un système de santé publique qui est à la pointe du progrès. Il n'y aura aucune difficulté à attirer des bonnes volontés si l'on parvient à créer des centres d'excellence.
Dr Ward: D'après moi, la passion du métier est une chose essentielle. Les Canadiens s'inquiètent des ratés du système de santé. Mais les diverses catégories professionnelles font savoir qu'elles travaillent actuellement dans des conditions qui ne leur paraissent guère satisfaisantes. Si l'on ne parvient pas, dans les deux prochaines années, à apporter les améliorations qui s'imposent, nous aurons du mal à susciter de nouvelles vocations. Je signale qu'au cours des quatre dernières années le nombre des inscriptions aux programmes d'études infirmières à l'Université Dalhousie a, chaque année, baissé de 50 p. 100.
Le président: Vous avez dit 50 p. 100 ou 15 p. 100?
Dr Ward: J'ai bien dit 50 p. 100. La carrière d'infirmière ne suscite plus guère de vocations et cela commence à nous poser des problèmes. Le coût des études pèse également sur la situation. Dans notre province, les choses ont assez radicalement changé ces quatre dernières années au niveau du recrutement des étudiantes et des étudiants en médecine. Reconnaissons que, pour la plupart des universités, l'augmentation du prix des études a fait des facultés de médecine une vache à lait. Nous avons ainsi constaté une baisse constante du pourcentage d'étudiants provenant des zones rurales de la Nouvelle-Écosse. Ainsi que le faisait remarquer le Dr Scully, seules les familles riches pourront se permettre de faire faire des études de médecine à leurs enfants. Et pourtant, s'agissant de savoir si un médecin entend exercer dans les petites localités, le facteur déterminant est le fait que l'intéressé soit lui-même originaire d'une petite localité. En fermant l'accès aux études de médecine aux personnes originaires de petitesagglomérations, on nuit à l'ensemble du système.
Le président: En ce qui concerne la question des honoraires, je ne vous demande pas de chiffres précis. Je suis certain que vous disposez d'une série chronologique qui démontre, pour les dix dernières années, l'augmentation des honoraires. Il nous serait utile d'en avoir une copie. Pourriez-vous en faire parvenir un exemplaire au comité? Je vous remercie.
Le sénateur Roche: J'aurais deux questions à poser au Dr Scully. La première porte sur l'aspect quantitatif du problème, et la seconde sur son aspect qualitatif. D'après ce qui s'est dit ici, je ne suis pas certain si l'aspect financier pose ou non un problème. Quant à l'aspect quantitatif de la question, comment se fait-il que dans un pays où l'on constate simultanément une croissance démographique et un vieillissement de la population, le nombre de candidats aux études en médecine baisserait. Le sénateur LeBreton a évoqué cet aspect de la question. Mais où se situe, véritablement, le problème? Le prix des études est-il trop élevé? J'ai été véritablement choqué il y a quelques instants d'entendre dire que, pour les universités, les facultés de médecine représentent une véritable vache à lait. En tant que non-spécialis te, je dois dire que cela m'a choqué.
Quelle est la véritable raison de cette baisse du nombre de candidats aux études en médecine alors même qu'il nous faudrait recruter davantage de médecins?
Voyons un peu, dans l'ensemble du processus, où se trouvent les obstacles. L'obtention du diplôme de docteur en médecine exige dix ans d'études. Où se situe le problème? Est-ce dans le nombre d'universités recevant des subventions gouvernementa les? Est-ce, simplement, que les études sont trop chères et que les jeunes hésitent pour cela à les entreprendre étant donné que cela entraîne un endettement de 100 000 $? Les critères derecrutement sont-ils trop sévères?
Aidez-moi un peu à comprendre ce qu'il en est. On dit que la situation est grave. Que se passe-t-il, à ce niveau-là, dans notre pays?
Dr Scully: Laissez-moi tenter de répondre brièvement.
D'abord, il est clair que, dans certains domaines, il va falloir plus et mieux investir. Les États-Unis y consacrent beaucoup plus d'argent que nous. Dans de nombreux domaines, leurs problèmes sont également beaucoup plus aigus que chez nous. C'est dire que l'argent à lui seul ne suffit pas. Cet argent doit être affecté là où il donnera les meilleurs résultats. Cela dit, nous devons consacrer davantage de ressources à l'éducation.
En ce qui concerne le nombre d'étudiants, je précise qu'en 1991 il a été décidé d'abaisser le nombre des étudiants à la fois en premier cycle et en deuxième cycle d'études de médecine. Nous subissons maintenant les conséquences de cette décision. Cela a en effet entraîné non pas une baisse de 10 p. 100 mais une baisse de 17 p. 100 des effectifs. Compte tenu de la croissance démographique, cela a fait baisser de 30 p. 100 en moyenne les chances d'être admis en faculté de médecine.
Il y a eu des coupures au niveau des études spécialisées; il y a eu également des coupures dans les programmes de recyclage; on a réduit en outre le nombre de diplômés étrangers bénéficiant d'une équivalence. Alors qu'on constatait simultanément une augmentation et un vieillissement de la population, on a procédé à des réductions radicales dans quatre ou cinq domaines d'activité. Cela a notamment réduit les occasions d'entreprendre des études de médecine. Cela a rendu à la fois plus rares et plus rigides les possibilités d'études.
Le rapport que nous vous avons remis dans un premier temps s'attache à modifier cette tendance et, à tout le moins, à suivre de près l'évolution démographique. Les besoins dont nous faisons état sont fondés sur des estimations modérées.
La phase suivante consiste à voir comment, par une action concertée, assurer que nous disposerons, à l'avenir, d'un nombre suffisant de personnes ayant la formation voulue.
Le sénateur Roche: Doit-on encourager les gouvernements provinciaux à modifier leurs politiques en ce domaine?
Dr Scully: La situation actuelle exige une intervention à la fois des provinces et du gouvernement fédéral. Chacun doit jouer son rôle. Vers la fin des années 60, alors que les facultés de médecine prenaient de l'expansion, le gouvernement fédéral a beaucoup contribué, de concert avec les provinces, à soutenir ledéveloppement des établissements d'enseignement. Il s'agirait d'en faire autant aujourd'hui.
Certaines provinces s'y sont engagées, d'autres non, selon les dépenses que cela semble devoir exiger d'elles. Pour parvenir aux résultats voulus, il est clair qu'il va falloir y consacrer les moyens nécessaires.
Le sénateur Roche: Notre comité pourrait peut-être faire un peu avancer les choses.
Mon second souci se situe au niveau de la qualité. Les capacités des médecins ne sont pas ici en cause. La compétence de ceux avec qui j'ai affaire ne m'inspire pas la moindre inquiétude. Il s'agit, plutôt, des conditions dans lesquelles ils exercent leur art.
Je m'inquiète beaucoup de la fuite des cerveaux vers les États-Unis. Pourriez-vous me dire, franchement, quelle en est la véritable cause. Est-ce vraiment pour des raisons financières?
Je suis originaire de l'Alberta. Mon médecin, un omnipraticien chevronné, dirigeait une polyclinique. Au faîte de sa carrière, il a déménagé aux États-Unis. Je lui ai demandé «John, pourquoi quittez-vous le Canada? Vous gagnez bien votre vie ici. Pourquoi aller vous installer aux États-Unis?»
Il m'a répondu, «Doug, le gouvernement ne m'accorde pas la liberté d'exercice qui me semble essentielle.» Beaucoup de médecins pourraient-ils en dire autant ou était-il seul comme ça à s'insurger contre les changements que lui avait imposés le gouvernement de l'Alberta?
Est-ce vraiment, pour de nombreux médecins, une question d'argent? Selon vous, certains se sont, pour leurs études, endettés à hauteur de 100 000 $ et les revenus plus élevés qu'ils auront aux États-Unis jouent pour beaucoup. Nous faudrait-il augmenter ici les revenus des médecins? Que nous faut-il faire pour les encourager à rester au Canada, le pays qui leur a permis d'étudier la médecine?
Dr Barrett: Il y a deux aspects de la question. Le premier concerne, effectivement, cette dette de 100 000 $. Les médecins, considérés en tant que groupe, semblent vieillir plus vite que l'ensemble de la population étant donné que ceux qui sont partis sont souvent les plus jeunes. La libération des frais d'inscription universitaires en est la cause. Lorsqu'à la sortie de l'université, vous avez une dette de 100 000 $, des enfants à élever et une hypothèque à rembourser, il est tentant d'aller travailler là où vous gagnerez le plus. Même un chirurgien qui, comme moi, est au sommet de sa carrière aurait du mal à rembourser rapidement avec ce qu'il touche actuellement des dettes de cette ampleur.
Deuxièmement, les étudiants et aussi les médecins plus âgés dont vous parliez - et il est effectivement décourageant de les voir partir - nous ont dit que ce qui les porte à partir c'est le sentiment de frustration que leur inspire cette impossibilité de travailler comme ils pensent devoir travailler.
Je disais tout à l'heure que nous sommes las d'avoir en permanence à nous excuser. Voici ce que nous devons faire. Nous disons, «Je regrette, madame untel. Nous pensons effectivement que vous êtes peut-être atteinte d'un cancer, mais vous allez devoir attendre un mois avant de pouvoir passer une scanographie car toutes les autres personnes qui attendent pour en passer un pensent, elles aussi, être atteintes d'un cancer». Cela prend, effectivement, aussi longtemps que cela car les équipements ne sont pas assez nombreux et certains d'entre eux ne sont plus en état de fonctionner.
Le sénateur Roche: Cette situation est-elle propre à l'Alberta ou est-elle générale?
Dr Barrett: C'est à peu près la même chose dans l'ensemble du pays.
Le sénateur Roche: Je ne comprends pas que lesgouvernements disent aux médecins comment ils doivent exercer leur profession, ou tentent de restreindre la manière dont les médecins estiment devoir exercer leur art dans le respect des principes de leur code de déontologie.
Dr Barrett: Ce n'est pas que les gouvernements nous donnent des instructions en ce sens, c'est que les ressources sont insuffisantes pour nous permettre de traiter les patients dans de bonnes conditions. Nous sommes constamment forcés de nous excuser. Après un certain temps, cela devient gênant.
Dr Scully: Sénateur Roche, vous avez donné un début de réponse à votre propre question lorsque vous nous avez dit que votre médecin vous avait répondu, fort justement, qu'on ne lui donnait pas les moyens d'exercer selon les principes qui lui avaient été enseignés. Un chirurgien orthopédiste de Calgary s'est vu dire qu'on lui accordait une journée et demie par semaine pour ses interventions. Au Dakota du Nord, on lui offre trois jours et demi et la disposition d'un IRM à quelques mètres de sa salle d'opération.
Je précise que la rémunération qui lui est offerte au Dakota du Nord n'est pas plus élevée qu'en Alberta. Ce n'est donc pas une question d'argent. Il s'agit de la possibilité de soigner le patient dans de bonnes conditions. Si nous voulons pouvoir attirer et conserver nos médecins, il faut faire un effort concerté afin de réunir les moyens permettant aux médecins, aux infirmières et aux autres intervenants de santé d'assurer aux patients les services dont ils ont besoin. Voilà le défi qui se pose actuellement.
Nous sommes très heureux de comparaître aujourd'hui devant le comité et si nous sommes venus c'est que trop souvent les décisions sont prises non pas par les intervenants de santé mais pour des considérations essentiellement financières. Il faut que les spécialistes de la santé soient davantage admis à participer au niveau des décisions.
Dr Ward: Dans la plupart des localités, il y aura toujours des difficultés aussi bien au niveau des intervenants de santé qu'au niveau des équipements mis à leur disposition. En Nouvelle-Écosse, une fois assuré le service de la dette, le ministère de la Santé - dont je suis responsable - absorbe 48 p. 100 des crédits qui nous restent. En effet, ministère de la Santé et le ministère de l'Éducation et des Services communautairesabsorbent à eux deux 87 p. 100 du budget de la province. Il faut, avec les 13 p. 100 restants, assurer le fonctionnement des ministères de l'Industrie, du Tourisme, des Ressources humaines, des Pêches, de l'Agriculture, des Services correctionnels, des Routes, des Travaux public, et cetera. Aucun gouvernement n'échappe à ce problème. L'année dernière, la province a calculé qu'il lui faudrait 150 millions de dollars simplement pour remplacer des appareils à rayons X. Dans un de nos hôpitaux, nous utilisons toujours un appareil portatif datant de 1971. C'est une véritable pièce de collection. Ce n'est qu'à l'étranger que nous pouvons nous procurer des pièces de rechange. Voilà la situation dans laquelle nous nous trouvons.
Nous restons confrontés à des problèmes d'infrastructure et à l'insuffisance des crédits qui permettraient de les résoudre. C'est, pour les provinces les moins prospères, un grave problème.
Le sénateur Cordy: J'aurais deux questions à vous poser. D'abord, Dr Scully, en ce qui concerne l'évaluation des services médicaux sous l'angle du nombre de médecins par rapport à la population. J'ai l'impression que le calcul reste purement numérique. On se contente de calculer le nombre de médecins par rapport à la population. Or, si vous comparez ce qui se passe aujourd'hui à la situation d'il y a 25 ans, le nombre de 150 médecins au sein d'une communauté donne une situation très différente de ce qu'elle peut être en 2001 étant donné l'évolution d'un certain nombre de choses, comme vous nous l'expliquiez plus tôt - le mode de vie, une plus forte proportion de femmes qui travaillent à l'extérieur, par exemple.
Comment intégrer ce genre de considérations afin d'étoffer les services de santé dans les diverses régions? Ça, c'est ma première question.
Deuxièmement, Dr Barrett, vous nous avez dit que la pénurie de médecins n'est pas un phénomène purement rural mais qu'il est ressenti partout. Cela est sans doute vrai.
En Nouvelle-Écosse, il semble, cependant, que ce soit les zones rurales qui souffrent le plus d'une pénurie à la fois de services et de personnel soignant. Vous nous disiez tout à l'heure, Dr Ward, qu'à l'Université Dalhousie on voit de moins en moins d'étudiants provenant des zones rurales.
Je me demande si l'on ne devrait pas, aussi bien à l'Université Dalhousie que dans d'autres facultés de médecine du Canada, réserver des places pour les étudiants acceptant d'aller travailler dans les zones moins bien pourvues en services médicaux, voire pour les étudiants originaires de zones rurales, c'est-à-dire pour ceux qui, effectuant des études de médecine, ont le plus de chance d'aller exercer dans leur communauté d'origine.
Dr Scully: En ce qui concerne le nombre de médecins, vous avez tout à fait raison. Je m'étais moi-même fait la réflexion. Un simple calcul numérique ne nous renseigne guère sur l'activité réelle des médecins ou sur la question de savoir si la société tire correctement parti des médecins disponibles. C'est d'ailleurs pour cela qu'il nous semble important de nous pencher sur les équipes médicales en place et sur les modèles de soins qui sont appliqués ou qui pourraient l'être. Il nous faut évaluer les besoins de la population dans le cadre d'une enquête nationale telle qu'évoquée par le Dr Ward. Cela permettrait de mieux coordonner les soins infirmiers, les soins à domicile et les soins médicaux. Nous pourrions alors constituer des équipes qui seraient chargées, selon les cas et les besoins, des soins, des mesures de prévention ou d'actions pédagogiques.
À l'époque où l'on avait établi les ratios entre le personnel soignant et le nombre d'habitants, l'exercice individuel de la médecine était la règle, comme l'était aussi la rémunération à l'acte. Les besoins en personnel avaient été calculés enconséquence. Or, les modalités d'exercice sont en pleine évolution et il va nous falloir nous-mêmes évoluer si nous voulons continuer à répondre aux besoins. Les proportions comptent mais il faut se méfier un petit peu des chiffres. Il s'agit de renforcer la coopération avec les autres intervenants - entre médecins, mais aussi entre médecins et infirmières. C'est en ce sens-là que nous oeuvrons. Si nous travaillons de concert, nous devrions pouvoir y arriver.
Dr Barrett: En ce qui concerne votre deuxième question, je suis parfaitement d'accord avec vous. La libération des frais d'inscription a provoqué une forte augmentation du prix des études. Nous avons, en cela, exclu les candidats provenant des localités de moindre envergure, où les parents n'ont pas les moyens d'offrir des études de médecine à leurs enfants.
Vous avez parlé des zones rurales de la Nouvelle-Écosse. Permettez-moi de vous citer un exemple tiré de ma propre province, la Saskatchewan, où habite une très importante population autochtone. La meilleure manière d'assurer à cette population des soins de santé serait, d'abord, et compte tenu de la culture qui leur est propre, d'accroître le nombre de profession nels de la santé issus des Premières nations. Or, actuellement, notre système leur ferme plutôt les portes des facultés de médecine. C'est pourquoi il nous faut nous pencher sur le dossier de l'enseignement postsecondaire. Compte tenu de la libération des droits d'inscription, il faut réfléchir au genre de personnes que nous admettons actuellement aux études médicales.
Dr Ward: En ce qui concerne les étudiants, je suis entièrement d'accord avec vous. En Nouvelle-Écosse nous étudionsactuellement les solutions qui nous permettraient d'accroître le nombre d'étudiants de zones rurales admis aux études en médecine par l'intermédiaire des conseils sanitaires de district.
Depuis longtemps les Forces canadiennes offrent desengagements à long terme à des étudiants en médecine ou des candidats aux études médicales. Je crois qu'un tel système pourrait être mis en place à l'intention des jeunes provenant des zones rurales. Cela permettrait d'ouvrir aux candidats qualifiés les portes des facultés de médecine.
Le sénateur Morin: De nombreuses provinces ont adopté ce système: l'Île-du-Prince-Édouard, le Québec et l'Ontario.
Le sénateur Cook: Terre-Neuve a également instauré un tel régime.
Le sénateur Fairbairn: J'avoue être un peu interloquée par les exposés que nous ont présentés nos témoins, et en particulier le Dr Ward. Je vous remercie d'avoir soulevé la question de l'illettrisme et des difficultés que les personnes qui en souffrent éprouvent devant la complexité de notre système de santé, même au niveau le plus élémentaire.
Le problème est grave dans les régions rurales. Je viens de Lethbridge, ville du sud-ouest de l'Alberta avec, tout autour, des agglomérations rurales. On ne parvient pas à assurer correctement la desserte de ces zones. Outre ce qu'a proposé le sénateur Cordy, je me demande si dans certaines régions les facultés de médecine ne pourraient pas dispenser une sorte d'«endoctrinement»? Certaines personnes aiment la vie rurale et, pour elles, il peut être passionnant d'entamer une carrière ailleurs que dans une grande agglomération urbaine. A-t-on essayé de mieux faire comprendre cette situation aux étudiants? En un mot, fait-on quelque chose pour mieux leur faire apparaître les charmes de la vie rurale?
Les inconvénients - au niveau des revenus et de l'insuffisance des services - sont beaucoup plus connus que les avantages. Les petites communautés ont un charme tout à fait particulier. Comment susciter des vocations rurales parmi les jeunes qui entreprennent des études de médecine; comment leur faire comprendre la formidable occasion que cela représenterait pour eux? Ajoutons qu'en même temps ils rendraient service dans des régions qui ont grandement besoin d'eux.
Dr Ward: Cela se fait déjà dans plusieurs provinces. À la faculté de médecine de Dalhousie, nos programmes d'internat en médecine familiale sont situés au Cap-Breton et à Sydney. Nous nous apercevons que la majorité des étudiants qui y prennent part restent, après leurs études, dans la région industrielle du Cap-Breton. Nous avons également un programme à St. John's ainsi qu'à Fredericton et à Moncton. Les facultés de médecine commencent à mieux comprendre l'occasion qui leur est ainsi offerte.
La difficulté subsistera dans les petites localités car il est malaisé de constituer des groupes ayant à la fois l'intérêt et la capacité d'assurer, en même temps, une activité pédagogique et une activité clinique. Malheureusement, la plupart des personnes en mesure d'assurer une formation clinique sont sous-rémunérées. Cela est un grand problème. Nous tentons actuellement de porter à 500 $ par mois la rémunération des praticiens acceptant des étudiants, compte tenu du fait qu'ils perdent, chaque mois, cinq fois cette somme en raison d'un fonctionnement moins efficace de leurs cabinets.
Dr Scully: Le Collège des médecins de famille est chargé de la formation de ces omnipraticiens une fois acquis leur diplôme en médecine. Le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada est responsable de l'accréditation des médecinsspécialistes. Ces deux institutions ont instauré des programmes d'accréditation beaucoup plus extensifs que ceux qui étaient autrefois en vigueur dans les hôpitaux d'enseignement. Dans le cadre de ces programmes, les étudiants sont maintenant tenus de passer une bonne part de leur temps - et cette part va d'ailleurs être augmentée - dans des communautés situées au-delà de la zone limitrophe de l'hôpital d'enseignement. Cela devraitpermettre de régler un des problèmes que vous avez évoqués.
Nous avons parlé de cela et je sais que vous allez vous réunir avec des représentants des localités et des zones rurales. Ils collaborent d'ailleurs activement aux travaux du groupe de travail II. Nous les avons, en effet, invité à participer pleinement aux discussions et ils participent, avec nous, à l'examen de ce dossier. Encore une fois, cela exige qu'on dégage les moyens nécessaires - et c'est là qu'intervient l'élément financier du problème - car, dans le cadre de ce grand effort pédagogique qu'il nous fait entreprendre, il y a lieu de dédommager financièrement les enseignants pour le temps et l'effort qu'ils consacrent à tout cela ainsi que pour le manque à gagner que cela représente pour eux au niveau de leurs propres activités.
Je pense que, de concert, nous devrions parvenir à régler les sérieux problèmes de répartition que nous constatonsactuellement.
Le président: Nous vous remercions des exposés que vous nous avez présentés ainsi que de la patience dont vous avez fait preuve lors des questions.
Le président: Sénateurs, nous accueillons maintenant quatre témoins représentant divers secteurs de la profession infirmière. Nous écouterons d'abord l'exposé de Mme Linda Jones, de la Nurse Practitioners Association of Ontario.
Mme Linda Jones, Nurse Practitioners Association of Ontario: Je tiens d'abord à vous remercier d'avoir invité à comparaître devant le comité la Nurse Practitioners Association of Ontario. La NPAO représente les infirmières praticiennes depuis 1972. En 1970, nous avons présenté, devant un comité du Sénat, un exposé assez comparable à celui que nous allons présenter aujourd'hui sur le rôle de l'infirmière praticienne et sur l'avenir de cette profession. Nous nous retrouvons ici avec plaisir pour examiner les grandes lignes que nous souhaiterions voir imprimer au développement de cette profession.
On m'a demandé de prendre la parole en tant qu'ancienne présidente de la Nurse Practitioners Association, et sans doute aussi parce que j'habite Ottawa. Je suis infirmière praticienne depuis 1984, mais je suis infirmière autorisée depuis beaucoup plus longtemps que cela. J'ai participé à l'initiative entreprise ici en Ontario depuis le tout début. Je suis actuellement coenquêtrice avec mon collègue médecin dans le cadre du projet conjoint de recherche infirmière praticienne-médecin de famille, financé dans le cadre du Fonds pour l'adaptation des services de santé.
Les infirmières praticiennes ne sont pas une invention récente. Le premier programme remonte, au Canada, à la fin desannées 60 et le début des années 70. Il s'agissait essentiellement d'élargir le rôle des infirmières autorisées exerçant dans les zones rurales et les régions éloignées. Pour de nombreuses raisons, ce projet n'a pas donné les résultats escomptés. Quand j'évoquerai, aujourd'hui, les divers obstacles constatés, une grande partie de ce que je vais dire vaudra également pour les années 60 et 70.
Après le premier projet en ce domaine, 250 environ d'entre nous ont continué à exercer ce métier. Nous sommes restées actives politiquement. Au début des années 90, de nouveaux projets ont été lancés. Il s'agissait essentiellement d'améliorer l'accès aux soins primaires.
Je vais dire à nouveau quelques mots pour expliquer ce que nous faisons, et j'espère que vous pourrez lire les tableaux représentant les principaux points de mon exposé. J'ai demandé qu'il me soit permis de procéder ainsi car j'ai besoin de mon portable puisque ma vue a un peu baissé et que je porte des lunettes à double foyer. On m'a également dit que vous aimiez prendre des notes et j'ai donc rédigé un exposé et préparé des diapositives. Mais je précise qu'il s'agit d'un seul et unique exposé.
Le président: Je vous demande simplement de bien vouloir nous laisser le temps de vous poser des questions à la suite de votre exposé.
Mme Jones: Je parlerai de l'Ontario car j'ai une connaissance plus particulière de la situation dans cette province. En Ontario, on nous appelle des «infirmières autorisées de la catégorie élargie». C'est le titre qui nous a été conféré. En Ontario, l'appellation d'infirmière praticienne ne bénéficie d'aucune protectionjuridique.
Nous sommes des professionnelles autonomes de la santé oeuvrant dans le cadre d'une pratique bien définie. Nous sommes des infirmières autorisées chevronnées et nous avons subi, en sciences infirmières, une formation avancée qui nous permet d'assumer un rôle élargi dans le cadre duquel nous mettons en pratique des connaissances et des aptitudes normalement réser vées aux médecins. Nous nous occupons d'individus, de familles, de groupes et de communautés et, de fait, notre action est plutôt ancrée dans la communauté.
Dans le cadre du rôle élargi qui nous est reconnu, nous dispensons toute une gamme de soins de santé. En Ontario, nous sommes ainsi autorisées à transmettre un diagnostic, à comman der des tests en laboratoire, des rayons X et des ultrasons et à prescrire certains médicaments.
Jusqu'en 1983, il y avait, en Ontario, des programmes de formation spécifiques. Puis, en 1993, un nouveau projet fut lancé par l'intermédiaire du gouvernement NPD. Pendant toute cette période, en l'absence de programmes, nous avons continué à défendre notre rôle et le concept sur lequel il est fondé.
Suite au projet lancé en 1995, le Collège des infirmières a instauré une nouvelle catégorie d'homologation dite IACE, ou catégorie élargie. En 1998, le législateur a statué sur notre cas par un texte nous permettant de porter un diagnostic, de prescrire et de commander des tests en laboratoire, des rayons X et des ultrasons.
Le collège instaura une procédure d'homologation qui fut appliquée pour la première fois en 1998. Il y a maintenant, en Ontario, un total de 401 IACE, et 25 autres qui devraient recevoir leur homologation à l'automne.
Le programme de formation à l'intention des infirmières praticiennes a été mis en place par un consortium de toutes les universités qui, dans la province, préparent au diplômed'infirmière autorisée. C'est la première fois qu'on crée, en sciences infirmières, un programme conjoint. Ce programme est assuré par télé-enseignement. Cela permet aux infirmières des zones rurales et des localités éloignées de s'inscrire auprès de l'université la plus proche. Une grande partie de cela peut se faire par Internet.
Il y a deux filières. Les infirmières autorisées qui ont déjà exercé dans le cadre des fonctions élargies peuvent s'inscrire au programme et recevoir le certificat après deux années d'études. Le programme offre également, aux personnes ayant un baccalau réat, un cursus de 12 mois. L'Université d'Ottawa et l'Université de Windsor permettent également de préparer une maîtrise.
L'homologation, par le Collège des infirmières, des membres de la catégorie élargie, prévoit une procédure très complètepermettant de vérifier que les candidats et les candidates ont bien les connaissances et aptitudes nécessaires.
Des normes de pratique prévoient le stade auquel on doit faire appel au médecin; les critères en vertu desquels on peut commander des tests en laboratoire, et prescrire des rayons X et des ultrasons. Notre rôle est clairement défini et circonscrit par les normes régissant notre profession.
Je dirais que depuis l'instauration de cette nouvelle classe de professionnels de la santé, le rôle de l'infirmière praticienne a donné lieu à un nombre remarquable d'études. Ces travaux ont toujours confirmé que l'infirmière praticienne est tout à fait capable de dispenser d'excellents soins de santé, la satisfaction des patients étant là pour en témoigner.
Dans le cadre des programmes de soins conjoints lancés en Ontario en tant que projets pilotes, le nombre de patients a augmenté de 25 à 50 p. 100. Cela a diminué le besoin de recourir aux services hospitaliers des urgences. Nos efforts en matière de pédagogie de la santé et de prévention de la maladie ont permis d'améliorer la prévention élémentaire, le taux d'immunisation et de prévention secondaire, d'accroître le nombre demammographies, de tests de Papanicolaou, l'identification des facteurs de risque, les mesures de dépistage, les conseils en matière d'exercice, d'alimentation et d'habitudes de travail. En veillant ainsi à la santé des patients, on a pu abaisser la demande médicale et, partant, les coûts.
En Ontario, nous travaillons principalement dans les centres de santé communautaires et les postes de soins infirmiers. Il existe dans cette province 401 infirmières homologuées IACE dont la plupart travaillent actuellement dans des centres de santé communautaires. En 2000, le gouvernement a débloqué des crédits nous permettant d'être détachées auprès de cabinets de médecine familiale, de cliniques, de services de santé publique, ou affectées à des soins de longue maladie, des services des urgences et des programmes communautaires.
Jusqu'ici, la province a financé 125 emplois qui viennent s'ajouter aux postes déjà prévus dans les centres de santé communautaires. Ont en outre été créés 31 nouveaux postes dans les centres de soins infirmiers et de santé institués à l'intention des populations autochtones. Il y a également eu, en 2000, les crédits qui ont permis l'élargissement de notre rôle.
Je précise que sur nos 401 diplômées, 200 occupentactuellement des postes qui ne tiennent pas, ou peu, compte de leurs capacités.
Ce que nous voudrions voir à l'avenir c'est l'intégration complète au sein d'une équipe de santé interdisciplinaire pour tout ce qui concerne les soins primaires. J'ai indiqué les activités dans lesquelles nous serions les plus utiles et tout cela est expliqué dans le mémoire.
Je retiendrais les leçons qu'on a pu retirer de ce qui s'est passé en Ontario, puis j'évoquerai ce qui se passe dans les autres régions du pays. Le premier obstacle est de nature financière. Il faudrait à la fois un financement permanent et des modalités d'emploi assez souples pour s'adapter à la géométrie variable de notre pratique. Au départ, les subventions étaient accordées à des organismes car il n'était aucunement prévu que nous exercerions dans le cadre d'un cabinet de médecine libérale avec rémunéra tion à l'acte.
Il a été extrêmement difficile d'obtenir des crédits pour cela. L'Ontario a, on peut le dire, vraiment compliqué les choses. Cette procédure dirimante a découragé beaucoup de zones rurales et éloignées qui auraient bien aimé avoir en poste chez eux une infirmière praticienne. On n'a pas prévu les crédits qui auraient permis de créer des postes et d'inciter des infirmières praticiennes à aller exercer dans des zones rurales ou éloignées.
Le système de rémunération des médecins de pratique libérale décourage le recours à des IP. Il ne prévoit pas leur rémunération; cela veut dire que les médecins de famille sont obligés de refaire presque entièrement l'examen médical et de facturer enconséquence. Cela veut également dire que si l'arrivée de l'infirmière praticienne dans le cabinet médical ne s'accompagne pas d'une augmentation du nombre de patients, le salaire de l'infirmière praticienne s'en ressentira.
La nouvelle législation, même si nous sommes extrêmement contentes de l'autonomie qu'elle nous reconnaît dans le cadre de nos fonctions, laisse subsister un certain nombre d'obstacles. Ainsi, la loi sur les hôpitaux publics ne nous permet pas d'exercer dans les hôpitaux. Nous ne pouvons pas prescrire; nous ne pouvons pas, dans un service des urgences ou de soins ambulatoires, faire les actes pour lesquels nous avons été formées. La liste restreinte des médicaments que nous pouvons prescrire nous empêche de jouer pleinement notre rôle lorsque nous suivons un malade chronique car nous ne sommes pas autorisées à renouveler son ordonnance. Oui, cette nouvelle législation nous paraît très prometteuse mais des obstacles subsistent.
Le travail au sein d'équipes interdisciplinaires entraînenécessairement un partage des responsabilités médico-juridiques et cela est un aspect très important de la collaboration entre les médecins et les infirmières. Cela constitue, pour nous, un obstacle de taille. Les médecins de famille hésitent, lorsqu'ils ne comprennent pas très bien cette question de responsabilité, à collaborer avec des infirmières praticiennes.
Au sein même de notre système, il y a des barrières systémiques. C'est ainsi que bien que nous possédions les connaissances et les aptitudes permettant d'adresser un patient à un spécialiste, le système de rémunération appliqué par le RAMO verse aux spécialistes des honoraires de consultation moins élevés si le patient leur est adressé par des infirmières praticiennes. Ils ont donc tendance à refuser les patients que nous leur envoyons.
Ni les infirmières praticiennes, ni la profession infirmière dans son ensemble n'a été admise à titre de partenaire égal au sein des services de soins primaires. Pas plus au niveau de la planification, qu'à celui des soins dispensés. En Ontario, les projets qui ont été lancés ont permis de faire de grands progrès, mais sans donner aux infirmières praticiennes le rôle qui leur reviendrait si l'on faisait enfin une utilisation rationnelle des compétences humaines dans le domaine de la santé. Il s'agit là d'obstacles propres à l'Ontario mais, comme vous le comprenez, il s'agit aussi de problèmes qui existent à l'échelle nationale.
Nous demandons que nos programmes de formation fassent l'objet d'un financement permanent. Or, cela ne s'est pas encore fait. La formation actuelle des personnels soignants ne les prépare aucunement à l'interdisciplinarité. L'aptitude au travail au sein d'équipes interdisciplinaires n'est pas une caractéristique innée. Cette aptitude se développe dans le cadre de programmes de formation et d'apprentissage.
Notre rôle est mal connu des employeurs, ce qui fait qu'on ne sait pas comment nous utiliser correctement. Ceux qui ont sollicité une subvention - il s'agissait souvent d'employeurs qui n'avaient aucune marge financière - voyaient d'un très bon oeil cette chance de s'attacher une infirmière praticienne même si c'était pour lui confier un rôle qui correspondait mal à la formation très poussée qu'elle avait reçue.
J'ajoute que le public connaît mal, lui aussi, le rôle et la formation des infirmières praticiennes. Le fait d'être parfois perçues comme des médecins suppléants - votre médecin de famille ne peut pas vous voir, adressez-vous à l'infirmière praticienne - n'est pas de nature à améliorer la manière dont nous sommes perçues par la population.
Les infirmières praticiennes adhèrent intégralement à la Loi canadienne sur la santé et aux cinq principes qui y sont exposés. Nous dispensons des soins primaires dans le respect des principes applicables à ce type de soin de santé. En 1984, la Loi canadienne sur la santé a créé une possibilité en prévoyant l'octroi de subventions aux professionnels de la santé, de manière générale, et non plus aux seuls médecins. Il faut que cette possibilité soit maintenue si l'on veut pouvoir effectivement constituer des équipes interdisciplinaires.
Il faudra donc qu'à l'échelon national soient introduites des modifications de la loi et des politiques applicables afin d'éliminer les obstacles qui s'opposent à une utilisation rationnel le de nos compétences. Une autre solution consisterait à élaborer des directives communes aux infirmières et aux médecins en ce qui concerne la responsabilité découlant d'une décision conjointe. Nos ordres professionnels doivent se concerter afin d'élaborer des lignes directrices et des directives spécialement adaptées au travail interdisciplinaire.
Au niveau des financements à long terme, une stratégie devrait être intégrée à la planification des ressources humaines dans le domaine de la santé. C'est l'objet même de cette commission. Elle permet une diversité de modes d'intervention dans les divers genres de situations où nous pourrons exercer notre métier. Je parle là d'un financement global, équitable et distinct des crédits affectés aux médecins et je dirais même entièrement indépendant de ces crédits.
Il serait bon, en outre, d'apporter certains changements aux règles régissant les crédits à l'intention des médecins, tels que les régimes facultatifs, les honoraires de consultation et la manière dont sont remboursées les visites de patients adressés à un spécialiste par une de nos praticiennes.
Des projets impliquant des infirmières praticiennes sont actuellement en cours dans sept provinces et trois territoires ou leur mise en oeuvre est plus ou moins avancée. Une bonne chose est le fait que les infirmières praticiennes sont des généralistes ayant des compétences adaptées à la diversité des problèmes qui surgissent localement. L'inconvénient est qu'il nous faudrait élaborer des normes nationales. Il faut instituer une procédure nationale d'homologation des infirmières praticiennes, prévoir un examen national d'homologation et la protection juridique de cette appellation.
Comme pour les médecins de famille, il nous faut adopter des stratégies permettant de recruter et de retenir, dans les zones rurales et éloignées, des infirmières praticiennes. Il faut à la fois renforcer le caractère interdisciplinaire des études et initier les gens au travail en collaboration. Afin d'améliorer auprès du public et des structures de santé la compréhension et l'acceptation du rôle auquel nous avons été formées, il faut lancer des actions pédagogiques auprès de la population.
Évoquant le rôle des infirmières praticiennes, j'ai rappelé le passé, évoqué l'avenir et décrit le présent. J'ai insisté sur la situation en Ontario lorsque j'ai parlé des obstacles auxquels nous continuons à nous heurter. J'ai ébauché quelques idées en vue de solutions nationales. Les infirmières praticiennes et leurs autres collègues de la santé publique ont pour mission d'aider, au niveau des soins primaires, les familles canadiennes, les groupes et les communautés, à retrouver la santé et à la conserver. Pour pouvoir mener à bien cette tâche, il faut que nous soyons beaucoup plus étroitement intégrées au réseau de soins primaires afin que nos compétences soient utilisées au mieux. Je vous remercie.
Le président: Je vous remercie de votre exposé et je vous sais gré d'avoir confirmé ce que je disais plus tôt quant à l'imbrication des diverses spécialisations en matière de soins de santé.
Nous accueillons maintenant M. Régis Paradis, président de l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec.
[Texte]
M. Régis Paradis, président, Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec: Au nom de l'Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec, je suis heureux que vous nous donniez l'opportunité de donner notre point de vue dans le cadre de vos travaux.
Tout d'abord, la profession d'infirmière auxiliaire au Québec a été créée en 1973 et reconnue comme ordre professionnel par le Code des professions du Québec. Actuellement, l'Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec compte plus de 16 000 membres. Cependant, il faut savoir que seulement le tiers de ces 16 000 membres occupent un poste permanent.
Cette profession est composée majoritairement de femmes dont la moyenne d'âge est de 43,3 ans. Les infirmières auxiliaires oeuvrent dans toutes les équipes de soins, principalement en soins de courte durée et en soins de longue durée. Cependant, elles sont pratiquement absentes du secteur des soins à domicile à l'intérieur des centres locaux de santé communautaire.
Pourtant, on estime que notre formation nous préparepleinement à jouer un rôle plus important à ce niveau, mais nous reviendrons à cette épineuse question un peu plus tard dans notre présentation. Comme vous l'avez souligné dans votre premier rapport, la santé est une priorité nationale qui rejoint les préoccupations de la population. L'universalité des soins est d'ailleurs une valeur fondamentale pour près de 85 p. 100 des Canadiens.
Au Québec, 88 p. 100 de la population considère que notre système de santé doit demeurer public, gratuit et universel. La population canadienne vieillit et requiert de plus en plus de soins de santé, ce qui a pour effet d'exercer une pression énorme sur les finances publiques. L'accroissement des dépenses pour les services de santé tend d'ailleurs à excéder nettement celui de la croissance de l'économie.
Les provinces ont manifesté depuis plusieurs années leur préoccupation constante quant à leur capacité de répondre aux attentes de leurs citoyens en matière de soins de santé. Cela s'est traduit par une insatisfaction croissante de la population quant à l'accessibilité aux soins de santé, compte tenu des impôts qu'ils paient.
Le gouvernement fédéral a également contribué, selon nous, à l'aggravation de cette problématique, notamment en réduisant considérablement, dans les années 90, ses engagements en procédant à une réduction très importante de ses paiements de transfert aux provinces.
Ces mesures ont eu pour effet d'accroître la contribution des provinces aux dépenses publiques de santé. Le ministère des Finances du Québec estime que le manque à gagner cumulatif résultant des coupures dans les transferts fédéraux au Québec s'établiraient à 16 milliards de dollars entre 1982 et 1999. La contribution monétaire fédérale qui était à l'origine, en 1976, dans le Financement des Programmes Établis de cinquante cents pour un dollar de contribution totale, s'est réduite peu à peu et ne représentera que 12 p. 100 du total des dépenses publiques pour la santé au Québec en 2005.
Même si le gouvernement fédéral devait prendre diverses mesures en vue de rétablir ses finances publiques, nous estimons que les compressions budgétaires ont été trop drastiques, sans véritable consultation et, également, sans tenir compte des besoins de la population.
Tout en ne pouvant pas mesurer la volonté réelle du gouvernement fédéral, nous sommes d'avis que s'il désire proposer et financer un programme national pour les services de santé à domicile, il devra être davantage respectueux de la compétence constitutionnelle des provinces en matière de santé.
Au-delà des questions constitutionnelles et des modesd'organisation de prestations des services, nous croyons que le Canada doit investir des ressources financières additionnelles dans le système de santé.
Nous contentons que l'expérience vécue par les Canadiens et tout particulièrement les Québécois, au cours de dix dernières années, a été toute autre que celle vécue par la population des autres pays de l'OCDE. Cette évolution du système de santé canadien accentue le sentiment de la population sur le faitque les services qui leur sont offerts se détériorent et ce, tout particulièrement lorsque les patients sont contraints, comme on l'a vu au Québec, à se rendre aux États-Unis pour recevoir des soins de santé.
Il est tout à fait normal de comparer notre situation à celle existant dans d'autres pays. Il faut se rappeler que les Américains consacraient aux dépenses de santé par rapport à leur PIB, en 1977, 56 p. 100 de plus que ne le font les Canadiens et ce, sans compter sur le fait qu'ils disposaient d'un PIB par personnede 25 p. 100 supérieur à celui des Canadiens pour la même année.
C'est l'un des facteurs ayant pu favoriser l'exode de médecins et d'infirmières, notamment attirés par la qualité desinfrastructures médicales ainsi que par les avantages financiers et fiscaux.
Ainsi, nous croyons que dans ces principes de base, le système de santé répond aux attentes des Canadiens et des Québécois même si certains irritants nous amènent à faire des comparaisons avec notre voisin américain qui ne tient pas compte de l'ensemble de la problématique.
Pourtant, un récent rapport de l'Organisation Mondiale de la Santé montre que le système américain manque d'efficacité en dépit des ressources financières qui y sont consacrées.
En effet, les États-Unis se situent au premier rang de tous les pays en ce qui concerne les dépense de santé par personne, mais se retrouvent au 37e rang concernant la performance globale de son système de santé, et au 72e rang pour les critères établis pour mesurer le niveau général de santé de population.
Pour ce qui est des pénuries d'infirmières, nous convenons qu'il en existe. Par contre, nous considérons que la portion des pénuries attribuables à une organisation déficiente des soins infirmiers n'a pas été étudiée à fond. L'an dernier, la Conférence des ministres de la santé du Canada a décidé de se pencher sur ce problème.
Cette initiative devait d'ailleurs permettre la réalisation d'une étude nationale, dès l'automne 2000, financée par Développement des ressources humaines Canada, devant porter sur le marché de l'emploi des infirmières auxiliaires et des infirmièrespsychiatriques. Nous sommes inquiets des retards que nous constatons sur l'échéancier prévu initialement, car nousconsidérons essentiel qu'une telle étude soit entreprise à l'échelle nationale.
Nous considérons également que les compétences desinfirmières auxiliaires québécoises ne sont pas utilisées au maximum. Le nombre d'infirmières par rapport à celui des infirmières auxiliaires n'a cessé de croître au coursdes 20 dernières années, et ce pour divers motifs. Plusieurs raisons ont été invoquées pour l'expliquer cette tendance de fond: l'alourdissement de la clientèle, les technologies plussophistiquées, les modes de prestation de soins, l'autonomie, la polyvalence, et cetera.
Peu d'études ont documenté sérieusement l'impact de ces facteurs sur la substitution des infirmières auxiliaires par des infirmières. Pourtant, des administrateurs d'établissementsagissent comme si la preuve était faite qu'il était plus avantageux d'utiliser des infirmières, quelle que soit la nature des soins à dispenser.
Les infirmières avec qui nous entretenons une collaboration professionnelle dispensent les soins requis par les patients.Il nous semble raisonnable de réclamer que les infirmières auxiliaires soient utilisées de manière optimale et avec respect, de la part des gestionnaires d'établissements et des responsables des soins infirmiers.
Le ministère de la Santé et des services sociaux du Québec a entrepris une démarche rigoureuse de planification de lamain-d'9uvre infirmière auxiliaire en mars 2000. Ce comité a pour mandat d'analyser les besoins futurs d'infirmières auxiliai res, et également l'offre prévisible de nouveaux diplômés pourles 15 prochaines années.
Le groupe de travail estime qu'il faudra admettre à la profession 1 155 infirmières auxiliaires annuellement pour répondre aux nouveaux besoins et aux remplacements attribuables aux départs du personnel en place. Le nombre moyen annuel de nouveaux diplômés est actuellement de 476. On prévoit donc une pénurie annuelle de l'ordre de 679 infirmières auxiliaires dans le réseau de la santé au Québec entre 2000 et 2015. Le ministère de l'Éducation devra donc relever d'environ 900 à 1 000 le nombre d'inscriptions dans le programme de base des infirmières auxiliaires.
L'organisation des soins infirmiers relève de la responsabilité des établissements. Or, le ministère de la Santé et des services sociaux prévot un changement dans la tendance observée depuis 20 ans dans le remplacement des infirmières auxiliaires par des infirmières. Dans les prochaines années, au lieu de constater une hausse de la proportion infirmières/infirmières auxiliaires, nous devrions voir une chute relative de ce rapport. Ceci implique des changements importants dans la gestion des soins infirmiers et dans les façons de faire des établissements, des changements qui ne sont pas encore faits.
Pour l'Ordre, il faut laisser aux infirmières auxiliaires la responsabilité de dispenser les soins pour lesquels elles ont été formées. Elles sont légalement habilitées à intervenir et même à accroître leur champ d'intervention. Une telle approche permettait d'utiliser plus efficacement l'ensemble des professionnels de la santé, notamment les infirmières qui pourraient davantage assumer des responsabilités de gestion et de soins nécessitant une formation plus poussée.
Dispensée par les commissions scolaires dans le cadre des programmes d'enseignement professionnel, la formation,exclusivement consacrée aux soins infirmiers, est d'une duréede 1 800 heures, réparties sur deux ans, après l'obtention d'un diplôme d'études secondaires. Il s'agit d'une formation théorique de 885 heures et une formation pratique de 915 heures.
Ainsi, on peut affirmer que la formation professionnelle des infirmières auxiliaires québécoises se compare trèsavantageusement à celle de ces consoeurs des autres provinces, qui est généralement d'une durée d'un an après le secondaire.
Dans un tel contexte, il est difficile de comprendre que la proportion infirmière/infirmière auxiliaire est nettement plus élevée au Québec qu'en Ontario et aux États-Unis. Selon les données les plus récentes, la proportion infirmière/infirmière auxiliaire était de 4,2 pour l'année 1999 au Québec,comparativement à 3,3 en Ontario et de 3,0 en 1998 aux États-Unis.
Si le Québec avait une proportion égale à celle de l'Ontario, on compterait actuellement près de 4 500 infirmières auxiliaires de plus au Québec, ce qui se traduirait par une économie appréciable d'environ 50 millions de dollars annuellement.
Les services de maintien à domicile sont sous-développés et sous-financés au Québec par rapport à l'Ontario et au Canada.En 1997, le Québec consacrait 2,4 p. 100 de son budget à ce service comparativement à 5.3 p. 100 en Ontario, et à 4 p. 100 dans l'ensemble du Canada. Au Québec, on dépense par personne moins d'argent que la moyenne canadienne, même si on comptait, en 1997, près de deux fois plus d'usagers par 1 000 habitants comparativement au reste du Canada.
Il y a beaucoup à faire au Québec dans ce secteur. Les infirmières auxiliaires y sont pratiquement absentes, puisque la proportion infirmières/infirmières auxiliaires au Québec estde 49 contre 1. Pourtant, les infirmières auxiliaires ontariennes et américaines sont fortement impliquées dans le secteur des services de maintien à domicile. Le rapport infirmières/infirmières auxiliaires est d'environ 3 contre 1 en Ontario et aux États-Unis.
Vu la qualité de la formation professionnelle de nos membres, nous croyons que l'utilisation des infirmières auxiliaires dans les services de maintien et de soins à domicile serait une option logique et pertinente du point de vue financier.
Selon nous, l'infirmière auxiliaire pourrait dispenser des soins infirmiers moins complexes mais tout aussi néessaires à la santé du patient, alors que l'infirmière pourrait davantage se servir de ses compétences professionnelles auprès de patients qui ont des problèmes plus complexes.
En conclusion, il nous semble évident que la formation est une responsabilité provinciale et qu'elle doit le demeurer. Par contre, il est nécessaire que les responsables politiques et administratifs, ainsi que population, soient en mesure d'évaluer les conséquences de leurs choix.
Toutefois, il est nécessaire de disposer de donnéesinterprovinciales fiables et documentées sur la performance et l'efficacité du système de santé, et tout particulièrement sur les services de maintien à domicile.
L'Institut canadien d'information sur la santé est un exemple de ce qui peut être fait. De plus, le rôle joué par Développement des ressources humaines Canada est important, car il permet de porter une évaluation globale du problème des ressources humaines dans un secteur. Certes, il faut bien planifier les ressources humaines qui seront requises dans le domaine de la santé, et gérer rigoureusement les fonds publics.
Cependant, il n'y a pas de doute que le gouvernement fédéral et les provinces doivent s'entendre pour réinvestir des sommes importantes dans le système de santé, afin de mieux répondre aux besoins actuels de la population, et de faire face aux nouveaux défis qu'il faudra relever pour continuer d'offrir des soins de qualité à la population.
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Paradis. Nous allons mainte nant écouter Mme Kathleen Connors, présidente de la Fédération canadienne des syndicats d'infirmières.
Mme Kathleen Connors, présidente, Fédération canadienne des syndicats des infirmières et infirmiers: La Fédération canadienne des syndicats d'infirmières est la plus grande organisation regroupant des infirmières et des infirmiers au Canada. Notre association a été créée en 1981 et regroupe tous les syndicats provinciaux d'infirmières sauf ceux du Québec.
Nos dirigeants, tous des bénévoles élus parmi les principaux dirigeants des syndicats-membres, et le président et secrétaire trésorier de la Fédération canadienne des syndicats d'infirmières doivent, tous les deux ans, briguer le renouvellement de leur mandat.
Nous représentons actuellement 118 000 infirmières, ycompris les infirmières autorisées, les infirmières auxiliaires autorisées et les infirmières psychiatriques autorisées. Nos adhérents travaillent aussi bien dans les hôpitaux, dans les services de soins de longue durée, à domicile ou, de manière plus générale, au sein de nos communautés. Il nous incombe, entre autres missions, de faire entendre la voix des infirmières, des infirmiers et des patients à chaque fois que leur situation est évoquée ici sur la colline parlementaire ou dans la presse nationale.
Nous nous intéressons de très près à la protection et à l'amélioration du système médical édifié par nos parents et nos grands-parents, un système qui a si bien servi les gens de ma génération ainsi que nos enfants. Ce qui nous distingue ici de nos autres collègues, c'est que nous sommes un organisme fédératif qui plaide la cause des infirmières du Canada notamment au niveau de la rémunération et des avantages sociaux.
On s'est beaucoup interrogé, ces derniers temps, sur la viabilité de notre système de santé. Ce mot a souvent été employé par des responsables politiques évoquant notre système de santé publique. Je sais que le débat n'est pas clos. Ce qui est curieux c'est que ce mot n'est jamais utilisé lorsqu'on parle des intervenants, c'est-à-dire des éléments essentiels du système. Personne ne se demande «Pouvons-nous continuer à payer les médecins et les personnels administratifs?.» Personne ne demande «Pouvons-nous continuer à payer les infirmières qui assurent 80 p. 100 des soins de santé au Canada?»
Quand on parle de ces systèmes, on en parle comme s'il s'agissait de choses inanimées et non pas d'êtres humains qui font de leur mieux pour prendre soin de personnes qui sont en convalescence, ou bien qui ont été blessées ou qui sont malades ou mourantes. Mes collègues de la Fédération canadienne des syndicats d'infirmières m'ont demandé de bien insister sur l'idée que la viabilité de notre système de santé dépend des personnes qui dispensent les soins.
Aujourd'hui, le Canada souffre d'une pénurie d'infirmières, ce qui entraîne régulièrement la fermeture de services des urgences et de blocs opératoires. Cette pénurie a également réduit les services dispensés dans le cadre de maisons de santé et de centres de santé communautaires. Cette pénurie a fait des ravages au niveau de la manière dont sont traitées les ressources humaines. À une époque où les organismes gouvernementaux et les entreprises les mieux gérées ont assoupli leurs attitudes envers leurs employés et atténué les structures hiérarchiques, dans le domaine des soins de santé, ils ont, au contraire, durci leur attitude à l'égard des infirmières. Je regrette infiniment d'avoir à le souligner.
Ils imposent régulièrement aux infirmières des heuressupplémentaires, même à celles qui sont mères de jeunes enfants dont elles doivent s'occuper. Ces heures supplémentaires qui s'accumulent sont pour les infirmières une source de grande fatigue alors même qu'elles peuvent être sollicitées par les soins qu'elles donnent à un parent ou à un enfant. Dans certains cas, nous faisons cela après un service hebdomadaire de plus de 60 heures.
Il arrive que les administrateurs nous obligent, nous infirmières, à annuler nos projets de vacances. Les agentes de bord ont des congés obligatoires, mais pas les infirmières. Cette situation est non seulement néfaste pour les infirmières mais aussi pour les patients.
La grande question est de savoir si notre système de santé peut continuer dans son état actuel. C'est un regrettable fait que les infirmières tombent plus souvent malades que n'importe quelle autre catégorie professionnelle. Chaque semaine, 8,4 p. 100 des infirmières sont en congé de maladie. Le taux est deux fois la moyenne nationale. Les infirmières quittent leurs emploiségalement très souvent. Selon une étude de 43 000 infirmières dans cinq pays, un sixième des infirmières travaillant dans des hôpitaux canadiens ont l'intention de quitter leur emploi l'année prochaine. Ce qui est encore plus grave c'est que, parmi les infirmières âgées de moins de 30 ans, la proportion est presque d'une infirmière sur trois. Le taux de maladie et de rotation fait que, chez les infirmières, 10 p. 100 des postes ne sont pas pourvus. On constate qu'à peu près 20 p. 100 des soins infirmiers sont dispensés par des infirmières effectuant des heuressupplémentaires, c'est-à-dire par des infirmières qui sontfatiguées, voire épuisées.
Le nombre de maladies et de démissions sont deux grands indices d'une situation qui, dans l'optique des infirmières, ne peut pas durer. Ces problèmes trouvent en partie leur source dans les coupures budgétaires et les réductions de personnel imposées au cours des dix dernières années. Je n'entends pas en parler aujourd'hui. Les faits sont là; nous vous exposons la situation dans la documentation que nous avons préparée.
J'aimerais évoquer maintenant le contexte dans lequel les coupures ont été décidées et les répercussions que cela a eues sur l'exercice de notre profession. Cela, il faut le reconnaître.
Selon l'Association des infirmières et infirmiers duCanada, d'ici 2011, la pénurie d'infirmières autorisées atteindra 113 000. Notre organisation internationale, IIC, constate qu'il s'agit là d'un phénomène international, Hong Kong étant le seul endroit où il y ait une abondance d'infirmières.
Les recruteurs dans tous les établissements de soins sont parfaitement au courant de cette pénurie internationale étant donné que les Américains n'hésitent pas à essayer de nous débaucher. Nos adhérents se plaignent du fait qu'on leur impose des heures supplémentaires, qu'on leur refuse des congés ou qu'on les oblige à annuler des projets de vacances, qu'on leur demande de travailler pendant les jours où elles devaient être en congé, qu'on leur demande aussi de rester de service pendant des périodes d'affluence qui peuvent durer jusqu'à 16, 18 voire 24 heures. Autant de cas qui m'ont été cités par nos adhérents dans les diverses régions du pays.
Seulement 21 p. 100 d'entre nous ont moins de 35 ans. Les infirmières de cette classe d'âge ont, en général, soit un emploi occasionnel soit des travaux à temps partiel - c'est-à-dire qu'elles travaillent pour plusieurs employeurs au lieu d'avoir un poste à plein temps. En 1998, 48 p. 100 des infirmières au Canada travaillaient à temps partiel. C'est une situationdéplorable.
Au cours de sa carrière, une infirmière va voir sonrevenu augmenter de 36 p. 100 alors que les comptablespeuvent s'attendre, eux, à une augmentation pouvantatteindre 193 p. 100. Ce chiffre m'a été communiqué par l'un de vos membres, le sénateur Pépin. Cela témoigne bien du contexte dans lequel les infirmières exercent leur profession et traduit assez bien la valeur qu'on accorde à leur travail.
Pourtant, les preuves ne manquent pas quant au rôle essentiel des infirmières au sein du système de santé. Compte tenu de ces réalités, nous nous interrogeons quant aux moyens quipermettraient de combler cette pénurie et de protéger la santé des infirmières dont dépendent les soins de longue durée, ainsi que les soins dispensés dans les centres communautaires et à domicile.
Faut-on privilégier une stratégie de recrutement ou une stratégie de rétention? D'après nous, il faut immédiatement trouver les moyens de retenir la majorité des infirmières déjà en poste. Il faudra un certain temps avant que l'on puisse former un nombre suffisant de remplaçantes. En attendant, si l'on ne parvient pas à conserver les infirmières qui exercent actuellement, le système risque de ne plus pouvoir tourner.
Il existe des solutions. Rétablissez les crédits à l'intention des infirmières et de la formation en ce domaine et exigez des provinces davantage de transparence. Le gouvernement fédéral ne peut pas se contenter de transférer des crédits aux provinces sans y attacher certaines conditions concernant notamment lesinfirmières. Les arrangements conclus par le gouvernement fédéral avec les provinces prévoient un certain nombre de conditions en matière notamment de technologies de l'informa tion appliquées au domaine de la santé et aussi de dotation en équipements, mais ne comportent aucune condition au niveau des ressources humaines. Cette solution semblerait de nature à améliorer les choses.
Faites en sorte que le travail des infirmières soit respecté et que soit reconnue leur contribution dans le domaine de la santé. Créez un environnement de travail sain qui permette de régler un certain nombre de problèmes auxquels les infirmières doivent faire front en matière de santé et sécurité au travail. Au Canada, le personnel infirmier souffre souvent d'affections musculosquelettiques. Ces modalités sont plus fréquentes chez les infirmières que chez les gens de la construction, de l'industrie forestière ou des chaînes d'assemblage. Les personnes travaillant dans ces trois industries ne sont pas tenues de lever des objets pesant plus que le poids limite prescrit, ce qui n'est pas vrai des infirmières. Il s'agit d'un aspect de la question qui mériterait d'être approfondi.
Les piqûres accidentelles, l'épuisement et la violence sur les lieux de travail sont autant de problèmes qui pèsent beaucoup sur la santé et le moral des infirmières. Il va falloir trouver le moyen de les atténuer. Il faut également garantir un environnement de travail qui assure aux infirmières une autonomie suffisante, le pouvoir de contrôler la manière dont les soins sont dispensés, des relations professionnelles correctes avec les médecins et la satisfaction d'un travail accompli dans de bonnes conditions. C'est ce qu'on trouve dans les hôpitaux les plus réputés et c'est ce qui est souhaitable dans l'intérêt de tous.
Il convient de reconnaître la confiance dont nous bénéficions auprès du public. En effet, selon l'indice de la confiance du public, les infirmières occupent la première place. Ce sont elles, et eux, qui consolent, soulagent et réconfortent, qui veillent à l'information du patient. Il y a là des motifs de satisfaction professionnelle qui, en même temps, améliorent le pronostic. Il est fréquent que ce genre de travail ne soit pas reconnu.
Garantissez-nous une rémunération et des avantages sociaux qui nous disent clairement, «Vous le méritez bien». J'entends par cela des salaires corrects, des primes pour le travail le soir, la nuit ou pendant les fins de semaine et un supplément pour les personnes occupant des postes d'autorité. Il y a lieu de reconnaître la formation que nous avons suivie.
Prévoyez en outre la rémunération de congés de formation. Je suis frappée de constater que les Travailleurs canadiens de l'automobile garantissent à chaque travailleur de l'automobile un congé de formation rémunéré. Ce n'est qu'au cours du dernier cycle de négociation que les United Nurses of Alberta ont obtenu qu'on leur paye un congé de formation de trois jours pour parfaire leurs connaissances et un congé de cinq jours pour celles qui voudraient poursuivre leurs études. C'est la première fois au Canada qu'une association d'infirmières obtient qu'on leur reconnaisse cela.
Il faudrait également ajouter les prestations médicales et avantages complémentaires. Nous voudrions que tout soitcouvert par un régime d'assurance maladie afin de pouvoir éviter les dépenses que suppose la négociation d'avantages complémen taires. Tous les Canadiens pourraient ainsi obtenir desmédicaments, des soins dentaires et oculaires, ainsi que des prestations d'invalidité temporaire ou de longue durée.
J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt l'exposé présenté par des représentants des médecins. Ce sont, encore une fois, les infirmières de l'Alberta qui, dans le cadre du contrat qu'elles ont négocié au mois de mars, ont obtenu une prime pour les personnes assurant la formation de nouveaux membres de la profession. L'annulation de nos vacances devrait donner lieu au versement d'une prime à titre d'indemnité. Nos pensions de retraites devraient être améliorées. Actuellement, les pensions versées aux infirmières sont notoirement insuffisantes et nous exposent à la pauvreté lors du départ à la retraite.
Améliorons donc les possibilités de prendre une retraite anticipée. Lors de la négociation de leur dernier contrat, les infirmières du Nouveau-Brunswick ont obtenu que les infirmières qui approchent de l'âge de la retraite puissent commencer à travailler à temps partiel alors que l'employeur et l'employé continueraient à verser les cotisations correspondant à une pension de retraite pour un travail à plein temps. C'est l'engagement qui a été pris et qui devrait être repris dans les autres provinces.
En matière de comportement abusif envers les personnels, il nous faut adopter le principe de tolérance zéro. Nous voudrions qu'une partie des fonds de l'assurance-emploi soit consacrée à la formation des infirmières et des personnes voulant embrasser cette carrière. Nous voudrions que tout au long de leur carrière, elles puissent utiliser des fonds de l'AE pour parfaire leur formation.
La pénurie d'infirmières était si grave en Irlande, que ce pays a rendu les études d'infirmières gratuites. Cette mesure a déjà donné des résultats.
Nous voudrions, en outre, que l'on tienne compte de ce qu'on a pu apprendre dans l'exercice de notre métier afin que nous n'ayons pas à consacrer autant de temps à faire la preuve de nos compétences en passant des examens.
Et enfin, les infirmières veulent que l'on reconnaisse le droit qu'elles ont d'effectuer leur travail en conscience. S'exprimant au sujet des 12 enfants morts alors qu'ils étaient en traitement au service de soins cardiaques du centre des sciences de la santé de Winnipeg, le juge Murray Sinclair a tenu des propos qui soulignent la gravité de la situation à cet égard. Selon lui, en effet:
[...] l'expérience et les constatations des personnels infirmiers impliqués dans ce programme les avaient portés à faire part des inquiétudes graves et légitimes que leur inspirait le fonctionnement de ce programme. Mais les infirmières n'ont jamais été considérées comme des membres à part entière du programme de chirurgie bien que cela ait été l'intention déclarée de ceux qui l'avaient mis sur pied. Les efforts déployés afin de réduire au silence les membres de cette catégorie de professionnels de la santé et le fait que l'on n'ait pas reconnu la légitimité des inquiétudes dont elles ont fait état a fait que les graves problèmes qui se posaient dans le cadre du programme de chirurgie cardiaque en pédiatrie n'ont pas été relevés et n'ont donc pas pu être corrigés en temps utile.
Le juge recommanda donc que:
La province du Manitoba envisage l'adoption d'un texte de loi favorisant la dénonciation des abus afin de protéger les infirmières et les membres des autres catégories d'intervenants de santé contre les représailles que pourrait leur attirer la divulgation d'informations fondées sur l'inquiétude que peut légitimement et raisonnablement leur inspirer le traitement médical accordé à certains patients.
Dans l'intérêt des enfants qui, que ce soit en raison d'accidents ou d'antécédents génétiques, se retrouvent à l'hôpital; dans l'intérêt des parents qui peuvent eux-mêmes un jour se retrouver dans des maisons de repos - dans l'intérêt donc de tous les patients, nous demandons à ce que le Canada reconnaisse le droit des infirmières à ne pas laisser leur conscience au vestiaire.
Un comité consultatif de la profession infirmière canadienne a été constitué. Ses 16 membres passeront une année à étudier les moyens d'améliorer l'environnement et les conditions de travail. Les ministres fédéral/provinciaux/ territoriaux de la Santé se sont engagés à définir une stratégie nationale en matière de soins infirmiers. Une étude sur les soins à domicile est actuellement en cours et une étude nationale sur les soins infirmiers sera lancée dès que la subvention sera accordée. Ce sont là des mesures importantes mais il faudra qu'elles soient suivies d'un certain nombre de changements dans le mode d'exercice de cette profession.
Permettez-moi de terminer en disant que j'admire énormément comment, au fil de ces longues auditions, vous parvenez à vous concentrer sur ce dossier important sans fléchissement de votre capacité à recueillir toujours de nouvelles informations.
J'insiste, pour conclure, sur les trois points les plus importants de ce dossier. Pour les infirmières, la situation actuelle ne peut pas durer. Les infirmières doivent être rémunérées à leur juste valeur et notre système de santé devra, d'ici la fin de la décennie, en recruter au moins 100 000 de plus. Nous voulons que les coupures budgétaires imposées à notre système de soins au cours des années 90 soient intégralement rapportées. Sauf en ce qui concerne l'augmentation rapide du coût des produitspharmaceutiques, nous n'estimons pas qu'il y ait vraiment, en matière de santé, un emballement des dépenses.
Mais il ne suffit pas de rétablir les financements. En effet, si l'on veut assurer la viabilité de l'assurance santé, il faut, en plus du rétablissement des modes de financement, accroître très largement la transparence du système. Il faut soumettre l'octroi des subventions à un certain nombre de conditions garantissant que l'argent continue à assurer aux personnels soignants de bonnes conditions de travail et permettant d'apporter aux soins des patients les améliorations qui s'imposent.
Les Canadiens se sont battus pour obtenir un système d'assurance santé et nous devons maintenant nous battre pour le rebâtir et l'améliorer. Nous devons cela à nos patients et à nos enfants.
Nous espérons être à nouveau invités à prendre la parole devant le comité. J'ai évoqué ici l'aspect ressources humaines du système de santé. En tant que représentant des infirmières, c'est-à-dire des personnes qui, en matière de soins de santé, se trouvent en première ligne et dont dépendent des services fonctionnant24 heures sur 24 et 7 jours par semaine, nous aurions fort à dire sur divers autres aspects de la question, qu'il s'agisse de la privatisation, des soins primaires, de la baisse des crédits hospitaliers, des soins à domicile et du coût des médicaments.
Aujourd'hui, j'ai insisté sur le maintien et le renouvellement de nos personnels infirmiers mais c'est avec plaisir quej'entretiendrais une autre fois le comité de la manière dont les infirmières entrevoient certains autres aspects de ce système de santé auquel nous tenons tous.
Le président: Merci madame Connors. Nous allons maintenant écouter madame MacDonald-Rencz, directrice des politiques, de la réglementation et de la recherche à l'Association des infirmières et des infirmiers du Canada.
Mme Sandra MacDonald-Rencz, directrice, Politique,réglementation et recherche, Association des infirmières et infirmiers du Canada: Je voudrais vous entretenir des problèmes qui se posent actuellement au niveau des soins infirmiers dispensés dans le cadre de notre système de santé. J'insisterai plus précisément sur les questions de recrutement, d'intégration et de rétention des personnels infirmiers. Vous relèverez sans doute un certain nombre de recoupements avec ce que vous ont dit les représentants d'autres associations. Il est clair qu'il s'agit de problèmes qui se posent pour toutes les catégories d'intervenants de santé. Cela dit, la situation est particulièrement grave en ce qui concerne les infirmières et les infirmiers.
Notre conseil suit avec beaucoup d'intérêt un certain nombre de projets entrepris dans les diverses régions de notre pays. Lors d'une récente réunion, notre conseil a retenu deux domaines prioritaires qui mériteraient particulièrement d'être soutenus. La première action prioritaire serait en matière de promotion et d'application des principes entourant les soins primaires et le fait qu'il s'agit d'un aspect extrêmement important de notre système de santé, aspect qui a pourtant été souvent délaissé lors des discussions. La seconde priorité consisterait à prôner et à défendre davantage des conditions de travail qui permettent aux infirmières d'exercer leurs compétences dans le respect intégral de leur mission.
J'en reparlerais en traitant des moyens qui permettraient d'assurer dans de meilleures conditions le recrutement,l'intégration et la rétention des personnels infirmiers. Vous ne parviendrez jamais à conserver nos infirmières et nos infirmiers si vous ne leur assurez pas un environnement de travail où elles se sentent libre d'accomplir leurs tâches comme elles devraient véritablement être accomplies.
L'AIIC constate avec satisfaction que les gouvernements provinciaux se penchent actuellement sur notre système de santé et formulent des recommandations permettant d'en améliorer le fonctionnement.
Nous avons accueilli avec enthousiasme les mesures annoncées en septembre, fixant les grandes lignes d'un renouveau du système de santé. Nous avons constaté, avec satisfaction aussi, que si les ressources humaines, c'est-à-dire les personnels soignants n'étaient pas spécifiquement retenus comme objectif, à chaque fois qu'un problème était abordé, la question des personnels apparaissait en filigrane.
Ce cadre de réflexion permet de conceptualiser les progrès que l'on entend faire accomplir au système de santé. Un aspect important de cette démarche consiste, cependant, à admettre que pour que ce projet se réalise, il faut le concours de travailleurs compétents et qualifiés.
Nous reconnaissons en outre qu'au niveau national plusieurs projets vont venir appuyer certaines des stratégies que je vais évoquer ici. Je compte parmi celles-ci quelque chose qui a été évoqué à la fois par Mme Connors et par M. Paradis, l'étude nationale actuellement en cours sous l'égide des ministères du Développement des Ressources humaines et de la Santé. Il s'agit de tenter d'élaborer un plan à long terme pour l'ensemble de la profession infirmière. Cela ne s'appliquera pas seulement aux infirmières autorisées, mais également aux infirmières auxiliaires autorisées et aux infirmières psychiatriques autorisées. Il s'agit de se pencher sur les problèmes à long terme en rapport avec ces trois catégories d'intervenants de santé.
Nous accueillons également avec satisfaction le document sur la stratégie en matière de soins infirmiers qu'ont récemment rendu public les ministres fédéral/provinciaux/territoriaux de la Santé. C'est un excellent pas en avant. Les 11 recommandations qui y figurent exposent certaines stratégies qui pourraient être mises en oeuvre immédiatement. Nous attendons avec impatience les mesures d'application.
Cela dit, rien de tout cela ne tient compte du fait que les infirmières ont vu s'alourdir leur charge de travail. Elles ont à s'occuper de patients plus gravement atteints; elles travaillent dans le contexte de listes d'attentes beaucoup plus longues qu'avant; il y a en outre le problème de l'accès aux soins médicaux; celui des heures supplémentaires obligatoires; et surtout l'augmentation des cas de comportement abusif, aussi bien verbal que physique. Bon nombre de ces problèmes sont d'ailleurs reliés au stress né des mauvaises conditions de travail. C'est aspect-là de la question nous préoccupe énormément. Les stratégies dont je vaismaintenant parler devraient permettre de s'attaquer à certains de ces problèmes.
Voyons maintenant quelques recommandations précises qui permettraient, par l'application conjointe de certaines stratégies, de pallier la crise dont souffre actuellement notre système de santé. Au niveau du recrutement, il s'agit d'attirer vers la profession infirmière des jeunes personnes intelligentes etcourageuses; d'intégrer les nouveaux diplômés aux équipes de travail; et de parvenir à les conserver.
Au cours des 10 dernières années, on a constaté une baisse de 50 p. 100 du nombre des diplômés. Une des intervenantes qui m'a précédée vous a dit combien le nombre des inscriptions avait baissé dans l'un de nos collèges. Ajoutons que plus de la moitié des nouveaux diplômés est allée travailler aux États-Unis. Nous formons donc actuellement des gens qui chercheront ailleurs à employer leurs compétences et cela constitue, à nos yeux, un grave problème.
Mais il s'agit également de retenir les personnes qui intègrent le corps des infirmières en leur assurant un environnementprofessionnel leur permettant de dispenser, comme elles ont été éduquées à le faire, des soins de qualité.
L'AIIC estime qu'il faut sans tarder prendre les mesures permettant de restaurer la profession. Afin d'améliorer le recrutement, il nous faut agir dans sept domaines, domaines que l'on peut ranger dans trois grandes catégories. Il s'agit, d'abord, d'attirer des étudiants avant même qu'ils ne terminent leurs études secondaires. Comment les attirer, cependant, alors que le programme manque de souplesse? Je le rappelle, le coût des études constitue un véritable obstacle. Il nous faut envisager la possibilité de bourses, d'incitatifs fiscaux ou autres stratégies novatrices permettant de lever cet obstacle. Il nous faut également améliorer la concertation entre le monde universitaire et le monde professionnel afin de faciliter l'intégration des jeunes diplômés.
Nous ne pourrons pas, cependant, inciter des gens à rejoindre les rangs de notre profession s'ils restent persuader que les conditions de travail sont mauvaises et que la rémunération qu'on leur offre est insuffisante. Il est clair que les meilleurs étudiants s'orienteront vers une autre profession dont ils espèrent qu'elle récompensera mieux leurs efforts.
Il faut créer des postes permanents. Au cours de ces dernières années, on a vu de plus en plus d'emplois occasionnels et de travail à temps partiel. On peut également envisager un système de primes à l'engagement, ce qui paraît presque être un sacrilège pour un professionnel de la santé. De nombreuses organisations sont cependant de plus en plus portées à le faire. Autrement dit, il va falloir se montrer plus entreprenant et tenir compte du fait que si l'on ne fait pas tout pour les attirer, les gens ne rejoindront pas les rangs de notre profession.
Un autre aspect est celui de la transition, c'est-à-dire de l'intégration dans le système de santé des nouveaux diplômés de manière à mieux parvenir à les conserver. Un système de mentorat nous paraît essentiel. Ainsi, les infirmières chevronnées peuvent beaucoup contribuer à l'intégration des nouveaux diplômés. Une telle mission ne saurait cependant venir s'ajouter à la charge de travail ordinaire de ces infirmières, à une époque, de plus, où leurs tâches sont déjà particulièrement lourdes. Il nous faut donc ajuster la répartition des tâches et assurer aux personnes qui acceptent de servir de mentors la rémunération correspondant aux nouvelles responsabilités ainsi exercées par des infirmières chevronnées.
Nous estimons également que dès l'achèvement de leurs études, les infirmières doivent se voir orienter vers des possibilités de formation permanente. Si les Américains parviennent à recruter un si grand nombre de nos jeunes diplômées, c'est en partie parce que dès leur embauche on leur promet la possibilité de pouvoir parfaire leur formation.
Il nous faut également faire preuve d'une approche plus créative en matière d'emploi du temps. Les nouvelles infirmières doivent sentir qu'elles exerceront un certain contrôle au niveau des horaires et des modalités d'exercice. De nombreux pays sont parvenus à faire de cela une réalité.
La dernière question que je voudrais évoquer c'est la rétention de nos effectifs actuels. Nous avons défini sept domaines d'intervention. Il nous faut améliorer la conception même de l'environnement de travail. La structure actuelle des tâches a été conçue à l'époque de l'industrialisation. Les infirmières d'au jourd'hui sont des travailleuses intellectuelles qui appliquent, dans le cadre de leur travail, de nombreuses compétences et des connaissances avancées. Il faut donc instaurer un environnement de travail qui leur permette d'exercer pleinement lesresponsabilités que leur formation les a préparées à assumer. Il faut leur permettre de faire pleinement usage de leurscompétences. Actuellement, nous avons un personnel qui possède une formation très poussée mais on ne sait pas encore très bien exploiter leurs compétences.
Il nous faut favoriser le perfectionnement des connaissances et encourager toutes les infirmières à souscrire aux principes de la formation continue. Celles qui ne se verraient pas reconnaître de telles possibilités, seront tentées d'aller ailleurs.
Il faut, en outre, faciliter le déroulement des carrières. Jusqu'ici, au sein de la profession, on n'a pas très bien su le faire. Il faut favoriser les horaires souples. Élargir l'accès aux connaissances des cliniciens en pointe afin d'encourager les praticiennes à intégrer à leurs savoirs les résultats des nouveaux travaux effectués dans les divers domaines de la médecine.
Il est clair que les connaissances sur lesquelles on se base en fins d'études devraient évoluer afin que, dix ans plus tard, on ait renouvelé son bagage intellectuel et professionnel. Il faut donc faire en sorte que l'environnement de travail permette aux divers professionnels de la santé d'intégrer, dans un contexte clinique, les nouvelles connaissances.
L'AIIC sait très bien que les mesures que nous proposons afin d'améliorer le recrutement, l'intégration et la rétention des effectifs infirmiers exigent de nouveaux moyens financiers. Nous estimons, par contre, qu'un tel investissement serait rentable. On devrait, en effet, constater une amélioration générale de l'état de santé des Canadiens et une plus grande efficacité du système de santé.
L'AIIC est parfaitement consciente du fait que le gouvernement se soucie beaucoup de la productivité de travailleurs canadiens. Pour nous, l'amélioration de la productivité dans le domaine de la santé passe par l'innovation. Or, il n'y a d'innovation que si le système parvient à recruter et à conserver des travailleurs intelligents, compétents et motivés. Si l'on dispose d'effectifs compétents et dynamiques, l'économie canadienne ne peut que s'en porter mieux.
Permettez-moi de terminer en insistant sur l'importance des investissements en ce domaine. Ce sont ces investissements qui nous permettrons de retenir, au sein de notre système de santé, les personnes qualifiées dont nous avons besoin. Sans ce genre de personnes, il n'y a pas de système de santé qui vaille.
Le président: Je voudrais poser une question à Mme Jones. Dans votre exposé, vous avez dit qu'il y avait, en Ontario, plus de 200 infirmières praticiennes qui n'étaient pas employées en tant que telles. Quelle en est la raison? Est-ce à cause des obstacles que vous avez évoqués? Il nous serait utile de pouvoir disposer d'une liste détaillée des obstacles dont vous avez fait état. Il se peut que votre organisation en ait dressé une étant donné qu'il s'agit, en certains cas, d'obstacles systémiques et, dans certains autres, d'obstacles liés à des considérations de responsabilité juridique.
Mme Jones: En Ontario et dans les autres provinces, les projets dont j'ai parlé ont été lancés à l'initiative des responsables politiques. C'est ce qu'il a fallu pour pouvoir avancer et mieux faire reconnaître le rôle de nos praticiennes. Cela veut dire que, parfois, ces projets n'ont pas été précédés de toutes les études qui auraient été nécessaires. En Ontario, nous avons réussi à faire adopter des dispositions législatives et à faire restaurer des programmes de formation. Personne n'avait vraiment réfléchi par contre à la manière dont les infirmières praticiennes pourraient être intégrées au système de santé. À une époque de contraintes budgétaires, personne non plus ne savait très bien comment tout cela pourrait être financé. Nous souffrons actuellement du fait que les deux sources de financement dont nous avons bénéficié - une en 1999 et une en 2000 - n'ont pas été complétées par des crédits supplémentaires. C'est pourquoi 200 de nos nouvelles diplômées n'ont pas reçu d'affectation.
Le président: Pourriez-vous nous en dire un peu plus au sujet des obstacles que vous avez constatés? Il n'est peut-être pas nécessaire de nous en fournir les détails maintenant, mais vous pourriez peut-être nous les faire parvenir par la suite.
Mme Jones: L'Association des infirmières praticiennes est une association bénévole qui constitue un groupe particulier au sein de la RNAO. Je peux certainement me procurer la documentation sur ce qu'il en est en Ontario. Cela serait un petit plus difficile pour les autres régions étant donné que certaines provinces ont lancé de nouveaux projets, et que nous n'avons pas encore d'organisation à l'échelle nationale. Je ferais de mon mieux, cependant.
Le président: Je vous remercie. Madame MacDonald-Rencz et madame Connors, vous avez toutes les deux évoqué des problèmes et ébauché un certain nombre de solutions. L'on peut, il me semble, regrouper en trois grandes catégories, les solutions susceptibles de pallier la pénurie. Dans une catégorie, on placerait les diverses formes de financement. Une seconde catégorie regrouperait les moyens d'accélérer le recrutement car c'est en effet la seule manière d'agir sur la charge de travail. La troisième catégorie regrouperait les solutions non financières, disons les conditions d'exercice telles qu'évoquées à la page 5 où Mme MacDonald-Rencz aborde divers aspects de la question tels que la planification des carrières et l'adoption d'horaires plus souples.
Il est clair que vous voudriez les voir adopter toutes les trois. Étant donné qu'il n'est guère envisageable d'obtenir entière satisfaction sur ces trois points, permettez-moi de vous demander ceci: à supposer que le gouvernement fédéral puisse accroître les crédits accordés a la profession infirmière, dans quel ordre de priorité rangeriez-vous les trois dossiers que nous venons d'évoquer?
Mme MacDonald-Rencz: Il est très difficile de répondre étant donné que chacune de ces trois solutions fonctionne aussi en renforçant les autres. Si vous n'êtes pas prêts à dégager les moyens permettant d'améliorer l'environnement dans lequel sont dispensés les soins de santé, permettant par là même aux infirmières d'atteindre le plein rendement de leurs compétences, vous ne parviendrez pas à attirer de nouvelles candidates. Les étudiants du secondaire se verront déconseiller cette carrière par les mères de leurs amis.
Si, par contre, vous décidez d'investir financièrement dans cette amélioration des conditions de travail sans dégager les moyens d'encourager davantage la formation afin d'assurer un nombre constant de nouvelles candidates, même si les conditions de travail sont excellentes, il vous manquera l'essentiel.
Il faut rappeler qu'au cours des dix dernières années, l'on a réduit le nombre de places dans les programmes de formation. Il y a cela, plus le fait que les gens n'ont pas été en nombre suffisant attirés par cette carrière. C'est une épée à double tranchant et la situation n'a, à l'époque moderne, jamais été si grave. Il ne suffit pas, en effet, d'attirer suffisamment d'étudiants dans lesprogrammes de formation, nous devons parvenir à reconstituer les effectifs de la profession et assurer en même temps le renouvellement dans ses rangs. Nous faisons face à un double problème.
La courbe démographique des membres de notre profession est très intéressante. Elle s'abaisse vers la catégorie des moinsde 30 ans puis, tout à coup, remonte en flèche jusqu'aux catégories plus âgées. Il nous faut reconstituer les effectifs. On ne peut pas envisager ces diverses solutions isolément car chacune influence les autres.
Mme Connors: Avant que ne s'engagent des négociations, on demande souvent aux infirmières de remplir un questionnaire. Le syndicat demande à ses adhérentes d'indiquer quelles sont leurs priorités - quels sont les éléments qu'elles aimeraient voir figurer dans la convention collective, les éléments correspondants à leurs préoccupations et besoins essentiels. Eh bien comme le disait Mme MacDonald-Rencz, tous ces éléments sont jugés prioritaires.
Les infirmières veulent être payées à leur juste valeur et elles veulent recevoir une contrepartie lorsqu'elles sont obligées d'assumer une très lourde charge de travail en raison de l'insuffisance des personnels. Elles veulent être dédommagées lorsqu'il leur faut rester après la fin de leur service. Elles veulent que ces heures leur soient payées au double du tarif et non pas seulement une fois et demie. Dans la mesure où elles travaillent très dur, elles veulent que le système le reconnaisse.
Elles veulent pouvoir en outre exercer leur profession de la manière qu'elles ont été formées à le faire. Elles ne veulent pas seulement faire les gestes qu'on leur a enseignés, mais elles veulent également faire un travail de pédagogie, et prendre le temps de passer un moment au chevet d'un patient qui a besoin de soutien et de réconfort. Elles veulent pouvoir conseiller,encourager et accomplir tous ces actes à la fois essentiels et difficiles à chiffrer. Elles veulent pouvoir travailler dans un milieu où l'on respecte intégralement les règles de santé et de sécurité au travail et où elles disposent d'un certain pouvoir de décision.
Si, en tant qu'infirmière, j'estime que nous n'avons pas les moyens d'admettre un malade de plus dans un service donné, je voudrais que le système me reconnaisse une certaine marge d'appréciation me permettant, en soirée et pendant la nuit, de prendre moi-même la décision à cet égard. Je sais que le simple fait d'admettre une personne de plus peut, si je ne dispose d'aucun personnel supplémentaire pour m'aider, m'empêcher dem'occuper comme je dois des patients dont j'ai la charge.
On ne peut donc pas opter pour l'une ou deux des mesures prioritaires dont nous avons fait état, en écartant les autres, car elles sont toutes solidaires. Je reconnais qu'il s'agit d'une situation d'une grande complexité. Au niveau des soins infirmiers il existe au Canada une crise des effectifs. Rappelons tout de même que cette profession est exercée par des femmes à 96 p. 100. Il y a donc ce traditionnel manque de considération pour «un travail de femme». Reconnaissons-le. Il est clair que si une telle pénurie était constatée dans le secteur privé, on trouverait très rapidement les moyens de la résoudre.
Mais, étant donné qu'il s'agit d'une activité relevant du secteur public au sein d'une profession majoritairement exercée par des femmes, on n'y a pas accordé trop d'attention. C'est pour cela qu'en Colombie-Britannique, certaines infirmières refusentdorénavant de faire des heures supplémentaires, ce qui a pour effet de paralyser le système.
[Français]
M. Paradis: Une partie de la solution au problème de la surcharge du travail au Québec, outre le fait d'injecter plus de fonds, réside dans l'utilisation accrue des infirmières auxiliaires.
Au Québec, par exemple, une infirmière auxiliaire pourrait facilement poser jusqu'à 15 gestes professionnels, dont la prise des signes vitaux, l'administration un certain nombre d'injections, ou le changement de pansements.
Dans les établissements, six gestes professionnels sur 15 sont exécutés par des infirmières auxiliaires. Naturellement, cela crée une surcharge de travail à l'infirmière qui, dans le passé, était compensée par des infirmières auxiliaires.
Il y a vraiment un gros problème au niveau de l'organisation du travail et de l'utilisation des ressources. Quand on dit qu'au Québec, 80 p. 100 des budgets d'un établissement sont consacrés aux salaires, il semble qu'on devrait décider d'utiliser, de façon optimale et rationnelle, les infirmières auxiliaires.
Au Québec, dans le maintien à domicile, on retrouve à peine 150 infirmières auxiliaires et environ 8 000 infirmières. D'ail leurs, parmi ces 8 000 infirmières, on retrouve 3 034 infirmières bachelières. Il y aurait une possibilité de désengorger les salles d'urgence, où on a besoin d'une main-d'oeuvre très qualifiée, en y utilisant plutôt les infirmières et les infirmières bachelières, et en utilisant davantage les infirmières auxiliaires dans les CLSC. De cette manière, cela ne coûterait pas plus et cela augmenterait l'accessibilité aux soins, sans diminuer la qualité des soins donnés à la population.
[Traduction]
Le sénateur Fairbairn: Monsieur Paradis, l'exposé que vous nous avez présenté témoigne d'un grand courage et vous avez dit des choses auxquelles, dans une certaine mesure, beaucoup d'entre nous sont à même de se rallier. Je n'ignore pas la force des arguments développés, ni ce qui s'est fait en Alberta, dont je suis originaire, et où de grands progrès ont été effectués même si cela a coûté fort cher.
Vous avez déjà en partie répondu à certaines de mes questions. J'aurais voulu revenir tout de même sur la question de la valeur du travail que vous accomplissez. On a le net sentiment que le public respecte beaucoup le travail des infirmières, que les patients respectent beaucoup le travail des infirmières mais que le système, dans son ensemble, ne fait que peu de cas du rôle qu'elles remplissent au sein de notre système de santé. Nous savons que le Canada a vu partir de nombreuses infirmières. Est-ce exagéré que de parler de la valeur de votre travail? Dans l'exercice de votre profession, éprouvez-vous une certaine discrimination dans la manière dont les autres professionnels de la santé, pour ne rien dire du système et de ses gestionnaires, considèrent ce que vous faites?
Mme Connors: Laissez-moi vous citer un exemple. Vous avez parlé de valeur, je vais vous répondre sur le plan de la valeur économique.
À Prince George (Colombie-Britannique) une infirmière à qui l'on demande de se tenir en disponibilité au cas où l'on aurait besoin d'elle est payée, pendant cette période d'attente, 1,25 $ de l'heure. Pour un médecin, l'heure de disponibilité estpayée 40 $. C'est une claire indication de la valeur relative qu'on attache à leurs services car le médecin tenu de se rendre d'urgence à la salle d'opération ne pourra se passer de l'aide des infirmières. Nous faisons un travail indispensable auquel, cependant, le système n'attribue qu'une valeur assez faible.
Cela dit, nous apprécions grandement la considération dont nous jouissons auprès des patients. C'est en grande partie ce qui nous motive - lorsque quelqu'un, par exemple, nous dit «Merci d'avoir pris le temps de faire cela». À Winnipeg, à l'hôpital pour enfants, les parents ont collectivement remercié les infirmières d'avoir eu le courage de dénoncer publiquement certaines situations inacceptables. L'estime des patients dont nous avons la charge, que ce soit dans le cadre de soins à domicile, en milieu hospitalier ou dans un centre communautaire, est ce qui encourage la génération d'après-guerre à rester à leur poste. Cela ne suffira pas par contre à retenir les gens de la génération suivante parce que ces personnes adhèrent à des valeurs différentes.
Il est donc question à la fois de valeur au sens économique et de valeur au sens organisationnel. Le fait que, dans certains cas, les infirmières ne soient pas invitées à participer aux décisions prises en matière de politique de santé montre bien la valeur et l'importance qu'on accorde à notre point de vue.
Étant donné que nous dispensons de 70 à 80 p. 100 des soins, ne serait-il pas à la fois juste et logique que nous soyons présentes lorsque sont prises des décisions affectant le système au sein duquel nous travaillons et les politiques qui influencentinévitablement notre activité professionnelle? Voilà quelques aspects de l'analyse que nous faisons de la valeur que les infirmières revêtent au sein de ce système.
Mme MacDonald-Rencz: Selon les études et les enquêtes qui ont été menées, nous constituons l'une des professions les mieux respectées. Comment se fait-il, dans ces conditions-là, que nous n'ayons pas plus d'influence au sein de l'organisation? Serait-ce parce que les soins infirmiers, par leur nature même, échappent un peu à la vue? Notre action s'exerce à tous les paliers du système. Nos services ont été, si l'on peut dire, institutionnalisés. Lorsqu'il s'agit de cerner la question d'un peu plus près - c'est-à-dire d'analyser le résultat net de l'activité infirmière prise dans son ensemble - il est vrai que nous n'avons pas très bien su manifester le contenu ou la substance même de l'activité infirmière et c'est sans doute en partie pourquoi nous en sommes arrivées là.
À une époque où l'on privilégie, lors de la prise de décisions, les démonstrations à base de données objectives, il est clair que nous avons pris du retard. Nous tentons, de concert avec d'autres groupes tels que l'Institut canadien d'information sur la santé de démontrer les choses plus clairement. Lors de la restructuration, et de ce que le Dr Keon a appelé le fusionnement d'immeubles au nom d'une plus grande collaboration, et qu'on a appelé globalement «intégration», de nombreux postes d'infirmière ont été supprimés pour faire des économies.
Les administrateurs n'ont pas vraiment réfléchi auxrépercussions d'une telle mesure. Pour les infirmières, l'inévitable contrecoup était une évidence. Il est clair que la suppression d'un quart des effectifs compterait pour quelque chose mais on ne disposait pas des preuves ou de données permettant de le démontrer.
Il nous faudra donc, là aussi, affiner nos analyses. C'est bien pour cela que nous prônons davantage d'efforts en matière de recherche afin de recueillir les données qui devraient servir de base aux décisions qui pourraient alors être prises en toute connaissance de cause.
Le sénateur Fairbairn: Madame MacDonald-Rencz, vous avez parlé de crise. Vous avez actuellement le pouvoir de mettre le pays en grande difficulté. Il me paraît contradictoire que des gens - essentiellement des femmes - qui, par formation autant que par vocation, s'occupent de gens malades, descendent dans la rue et manifestent des semaines durant, refusant d'assumer leur service afin d'obtenir de légères concessions qui les convaincront de reprendre le travail. J'y vois quelque chose de tout à fait anormal. Je ne sais pas si le comité va pouvoir recommander des solutions, mais il y a là quelque chose d'anormal dans un pays comme le Canada.
Le sénateur Morin: Je vous remercie de ces exposés d'un très grand intérêt. Il me semble que les problèmes qui se posent au niveau des personnels infirmiers sont de loin les plus graves de ceux que doit tenter de résoudre notre système de soins de santé. C'est d'ailleurs un problème assez caractéristique de l'ensemble des difficultés auxquelles nous devons faire face en ce domaine.
J'aurais deux questions à poser, la première àMme MacDonald-Rencz et la suivante à M. Paradis.
Vous nous avez dit que les États-Unis font ce que nous ne sommes pas nous-mêmes en mesure de faire, c'est-à-dire d'attirer et de conserver des infirmières canadiennes. Quel pourrait être, à cet égard, l'attrait du système de santé aux États-Unis?
[Français]
Vous nous avez dit que le taux d'utilisation des infirmières auxiliaires était supérieur aux États-Unis. Qu'est-ce qui est si bon dans le système américain que nous ne sommes pas capables de faire chez nous? Je vais demander à madame Macdonald de répondre le premier.
[Traduction]
Mme MacDonald-Rencz: Quel serait le grand avantage du système américain? D'après moi ce serait moins le système américain que la manière que les Américains ont de traiter les ressources humaines.
Le sénateur Morin: Cela fait tout de même partie du système.
Mme MacDonald-Rencz: Traditionnellement, au Canada, l'employeur considère que l'infirmière diplômée a déjà beaucoup de chance d'obtenir un emploi. L'attitude est un peu: «Remplissez une demande d'emploi et on vous appellera si l'on a besoin de vous».
Lorsque vous voyez les efforts que déploient les entreprises de haute technologie en matière de recrutement - des foires aux emplois, des primes à l'engagement, et cetera. - les entreprises partent à la recherche d'employés; et elles leur offrent du travail. Elles vont à la rencontre des candidats au lieu de les obliger à faire la tournée des directions des ressources humaines.
On peut dire aussi que les programmes d'orientation pourraient être largement améliorés. Depuis longtemps, les Américains font preuve d'un plus grand dynamisme en matière de recrutement. Ils aiment nos diplômées, le Canada étant considéré comme une source de main-d'oeuvre permettant de pallier les pénuries cycliques. Ils accordent des primes de déménagement; s'occupent de faciliter aux conjoints la recherche d'un emploi; fournissent une aide en matière d'immigration et aident à défrayer les divers coûts d'un tel déménagement. Lorsque l'employé arrive à son travail, il est accueilli dans le cadre d'un programme d'orientation très complet et pris en charge par un mentor. Bon nombre des propositions que nous avons formulées aujourd'hui nous ont été inspirées par ce qui se fait aux États-Unis.
Le sénateur Morin: Les Américains n'ont aucune peine à conserver leurs infirmières.
Mme MacDonald-Rencz: Dès la fin de la période de stage, les responsables se réunissent avec les infirmières pour dresser un plan de carrière. Voudriez-vous poursuivre vos études et obtenir une accréditation? Voudriez-vous préparer une maîtrise? Ils offrent une aide financière et des horaires souples permettant aux infirmières de recevoir un complément de formation ou d'entamer un nouveau cycle d'études en même temps qu'elles travaillent. Ayant ainsi investi dans l'avenir de leurs personnels, ils vont ensuite leur permettre d'accéder à des postes comportant davantage de responsabilités. On les prépare à assumer de nouvelles fonctions.
Or on ne voit rien de cela ici. Aux États-Unis on a vu également s'instaurer des pôles d'attraction - des pôles d'excellence en fait - où la profession infirmière est invitée à participer aux décisions. Ce genre de chose encourage les gens à rester car ils sentent qu'on tient à eux.
[Français]
M. Paradis: J'aimerais préciser que ce qui a été dit par mes collègues au sujet des infirmières est tout à fait juste. Les infirmières auxiliaires vivent des conditions de travail assez semblables à celles des infirmières, puisqu'elles font le même travail que leurs consoeurs. Sur le plan de la valorisation, quand deux tiers des infirmières doivent travailler à temps partiel pendant plus de dix ans avant d'obtenir un poste à temps plein, ce n'est ni intéressant ni valorisant.
Pour répondre à votre question, sénateur Morin, il y a 10 ans, au Québec, on a décidé d'avoir un réseau de la santé, composé, outre les médecins, uniquement d'infirmières. On pensait pouvoir se passer des infirmières auxiliaires, bien qu'à ce moment-là leur nombre était aux environs de 20 000. On était en période de croissance. D'ailleurs, pour ce qui est des infirmières, leur nombre dépasse maintenant 65 000.
En 1997, il s'est déroulé un événement important: le gouvernement du Québec a décidé de donner des conditions de départ avantageuses à tous les professionnels de la santé qui voulaient prendre leur retraite. Au-delà de 5 000 infirmièreset 2 000 infirmières auxiliaires se sont retirées. Cela a créé un problème qu'on n'a jamais résolu, et cela a accentué la pénurie que nous connaissons aujourd'hui.
À présent, on a davantage besoin d'infirmières auxiliaires. Cependant, la décision d'utiliser des infirmières auxiliaires de façon optimale, selon la formation qu'elles ont reçue, et la possibilité qu'elles ont de donner des soins plus étendus pour dégager les infirmières, n'ont pas encore été mis en application dans les établissements. Il y a une volonté, mais elle tarde à se manifester par des gestes. La situation reste donc toujours difficile. Je répète qu'une partie du problème pourrait êtreréglée. Une partie de la solution à ce problème se trouve dans l'utilisation des ressources des infirmières auxiliaires. Elles sont davantage disponibles et pourraient offrir chaque semaine beaucoup plus d'heures qu'elles ne le font actuellement.
[Traduction]
Le sénateur Keon: Ceux qui connaissent un peu les milieux de la santé, savent que vous êtes plutôt restée en deçà de la vérité. Nous ne pourrions pas en dire autant de beaucoup d'autres témoins que nous avons entendus.
Je me base sur une expérience de 30 ans pour dire qu'il ne fait aucun doute qu'on va vers une crise extrêmement sévère.On pourrait en partie l'éviter en produisant beaucoup plus d'infirmières. Cela est incontestable. Vous pouvez très bien voir ce qui se passe lorsque les infirmières sont surmenées. Les infirmières à qui l'on donne les moyens d'exercer correctement leur profession, sont contentes et assez satisfaites sur le plan du travail. Cela dit, à partir du moment où elles sont surmenées, rien ne va plus; elles tombent malades; elles démissionnent.
Laissez-moi, pour les besoins de la cause, esquisser à très grands traits une solution possible. Il nous faudrait,immédiatement, accroître énormément le nombre d'infirmières. Cela ne fait aucun doute. Il vous faudrait également travailler au sein d'un système beaucoup plus souple que le système actuel. Vous souffrez énormément de l'actuelle inflexibilité du système.
Le président: Vous voulez dire du système éducatif?
Le sénateur Keon: Non. Je veux dire le système de santé au sein duquel elles travaillent. Les infirmières ont été happées par d'énormes hôpitaux. Je suis moi-même administrateur d'hôpital et, au début, nos infirmières avaient un grand choix d'activités. Elles pouvaient ainsi devenir infirmières cliniciennes, infirmières de salle, d'unité de soins intensifs, de salle d'opération, infirmières pédagogues ou opter pour de nombreuses autres spécialités. Elles avaient la possibilité à la fois d'orienter leur carrière et de poursuivre leurs études. Aujourd'hui, les coupures budgétaires ont supprimé toutes ces possibilités.
Permettez-moi d'ajouter ceci. Un peu plus tôt, un sous-ministre nous a déclaré qu'il était radicalement opposé à l'idée de soins privés. Or, 30 p. 100 des soins de santé dispensés au Canada sont déjà assurés par le secteur privé. Les programmes de soins à domicile relèvent en grande partie du secteur privé. Larémunération d'infirmières, si tant est que vous en trouviez une, n'est souvent pas prise en charge. Certaines choses peuvent très bien être confiées aux initiatives privées.
En plus d'un accroissement des effectifs - et desaugmentations salariales que cela suppose - il y aurait lieu de revoir l'ensemble du système. Il nous faut mettre en place un système de santé où absolument tout est intégré, du début à la fin. Le rôle de tous les professionnels de la santé devra être mieux défini. Les centres de soins communautaires et l'ensemble des soins primaires seraient en grande partie confiés aux infirmières. Que pensez-vous du secteur privé?
Mme Connors: Permettez-moi, docteur Keon, de répondre à cela car vous avez parlé des soins à domicile. Un des résultats des restructurations imposées dans les années 90 a été une réduction sensible des capacités d'accueil en soins intensifs - les soins apportés aux malades. Nous avons réduit les séjours en hôpital, augmenté donc la proportion de malades en phase aiguë et accru en cela les difficultés de la pratique hospitalière. Puis, nous avons renvoyé les malades chez eux sans vraiment leur assurer à domicile les soins dont ils avaient besoin.
Je suis moi-même originaire du Manitoba où le système de soins à domicile relève, aussi bien au niveau du financement qu'au niveau du service, du secteur public. Il n'existe, dans cette province, aucun organisme à but lucratif actif dans ce secteur. D'ailleurs, l'expérience tentée par le gouvernement du Manitoba en matière de soins privés a donné des résultats désastreux. Ils n'ont pas pu obtenir, lors d'appels d'offre, des soumissions permettant d'assurer, au Manitoba, des soins de santé à domicile de manière plus efficace et rentable que le système actuel. C'est pour cela que le Manitoba est revenu à un service public en ce domaine.
Les infirmières de l'Ontario ont eu l'occasion de répondre à des appels d'offre et de soumissionner pour des contrats de soins à domicile. Elles sont en mesure de vous dire ce qui s'est passé, car l'entrée en jeu du secteur privé et la nécessité de satisfaire les actionnaires, ont exercé, sur la rémunération des infirmières dont pourtant dépend essentiellement le système, une pression à la baisse. En effet, il fallait bien que les entreprises de soins privés présentent des soumissions plus basses que celles présentées par la St. Elizabeth et par les Infirmières de l'Ordre de Victoria, qui, depuis une centaine d'années, assurent des soins à domicile dans le cadre d'une initiative privée mais sans but lucratif.
Nous avons recueilli de nombreux témoignages qui pourraient servir de fondement à certaines décisions. Notre organisation est tout acquise à un système de soins de santé à domicile relevant du secteur public et assurant la formation du personnel soignant. Nous sommes farouchement opposées à toute augmentation, pour l'instant, du rôle confié au secteur privé en ce domaine.
Le sénateur Keon: Je précise que j'ai moi-même eu l'honneur de passer toute ma carrière au sein du système tel qu'on le voit aujourd'hui, et j'aurai pris ma retraite avant qu'on parvienne à le refaire. Cela dit, certaines de vos adhérentes travaillentactuellement, dans le secteur privé, en tant qu'infirmières dispensant des soins à domicile. Pensez-vous que celacorresponde à un choix raisonnable ou pensez-vous que ce genre d'initiative n'a pas donné les résultats voulus?
Mme Connors: Certaines infirmières veulent se spécialiser dans les soins à domicile. Je dois vous dire que c'est parce qu'elles préfèrent cela au travail en milieu hospitalier ou dans les maisons de santé. De nombreuses infirmières sont très attachées à leur indépendance et les soins à domicile leur laissent une plus grande initiative. C'est un aspect du travail qui les attirent même si elles étayent ce système en acceptant une rémunération et des avantages sociaux moindres. Certaines d'entre elles n'auront même pas de pension de retraite.
Il s'agit là d'éléments de motivation ou de satisfaction propres à chacun et il faut en tenir compte. Entre le taux horaire de rémunération d'une infirmière offrant des soins à domicile et d'une infirmière travaillant en milieu hospitalier, il peut exister une différence de 5 $ et cela encourage beaucoup d'infirmières de l'Ontario à réintégrer les services de soins intensifs. Les infirmières savent tout de même bien qu'en raison du système des appels d'offre, elles peuvent s'attendre à être mieux payées dans un hôpital que par les entreprises de soins à domicile.
[Français]
M. Paradis: Au cours de l'été et de l'automne2000, Mme Pauline Marois, ministre de la Santé, a créé une commission d'enquête sur les services de santé. Cette commission d'enquête étudiait deux aspects, soit l'organisation du finance ment et l'organisation des services.Des sondages ont révéléque 88 p. 100 des Québécois ont réexprimé leur désir d'avoir un système de santé qui demeure public, gratuit et universel.
La population du Québec estime qu'elle consacredéjà 16 milliards de dollars dans les soins de santé, et que cette somme devrait être suffisante pour offrir des soins de qualité à toute la population. En ce qui nous concerne, nous nous opposons vigoureusement et fermement à la privatisation, car il n'est pas du tout démontré que le secteur privé ferait mieux que le secteur public en cette matière.
[Traduction]
Le sénateur Morin: À cet égard, vous avez, madame Macdonald-Rencz, dit il y a quelques instants que le système américain de soins de santé parvenait mieux que le nôtre à s'attacher les infirmières dont il avait besoin, et à les conserver. Vos arguments sont convaincants et je partage entièrement votre avis sur ce point. Leur système de soins de santé ne relève-t-il pas, pourtant, du secteur privé? Comment cela se fait-il? J'ai récemment regardé plusieurs documentaires traitant de ce sujet. Certains des hôpitaux qu'on nous citait comme ayant organisé des foires à l'emploi étaient des hôpitaux privés et, qui plus est, des établissements à but lucratif. Je ne parle là que des États-Unis où il y a des hôpitaux qui ne sont pas des établissements publics.
Mme MacDonald-Rencz: Vous effectuez là des comparaisons au sein même du système américain et la question mériterait un débat à elle seule. Mes exemples portaient notamment sur les activités de certains cabinets américains de recrutement qui travaillent aussi bien pour le compte d'établissements publics que pour le secteur privé.
Le sénateur Morin: Est-ce, par exemple, l'État de l'Illinois qui assure le recrutement?
Mme MacDonald-Rencz: Non, ce sont les hôpitaux eux-mêmes.
Le sénateur Morin: Aux États-Unis, il n'y a pas, entre les hôpitaux et le gouvernement des divers États, les mêmes relations qu'ici entre les hôpitaux et les gouvernements provinciaux. Au Canada, il est vrai, les hôpitaux privés ne le sont tout à fait.
[Français]
M. Paradis: Les États-Unis est le pays qui consacre le plus de ressources au domaine de la santé par personne. Au niveau de la performance, toutefois, il se situe au 37e rang, loin de l'Italie qui figure parmi les premiers.
En effet, aux États-Unis, le système de santé privé doit non seulement faire l'équilibre, mais il doit aussi faire des profits. En termes de qualité, la population est laissée pour compte, avec très peu d'accessibilité aux soins.
Le sénateur Morin: Pourquoi envoie-t-on les Québécois aux États-Unis pour des soins de santé?
M. Paradis: Comme je l'ai mentionné plus tôt, en 1997 on mis trop de professionnels à la retraite. Par la suite, de fait, plusieurs femmes atteintes du cancer du sein ont été obligées de recourir à des soins de santé aux États-Unis. Il est vrai qu'il existe un problème d'argent, mais il y a aussi celui de la planification de main-d'9uvre. Avec le temps, la situation devrait se corriger.
[Traduction]
Le président: Pour que les choses soient claires, j'estime que lorsqu'on parle du secteur privé, il faut bien faire la distinction entre source de financement et manière dont le service est assuré. Souvent, lorsqu'on parle d'un service subventionné, on prend pour acquis que le service lui-même va être assuré par un organisme public ou du moins par un organisme à but non lucratif. Mes collègues, me semble-t-il, tenaient à faire compren dre qu'à partir du moment où l'on distingue entre ces deux idées, il devient possible de prévoir, pour tel et tel secteur de la population, ou même pour la population tout entière, un programme de soins subventionnés qui seraient cependant assurés par des organismes privés.
J'ai cru relever, dans vos réponses, une tendance à assimiler le service subventionné à un service public alors qu'il s'agit de deux choses différentes.
Le sénateur Cordy: Je voudrais, en premier lieu revenir, madame Jones, sur certains des éléments que vous nous avez exposés. Nous avons eu l'occasion d'écouter nombre de témoins qui sont venus nous parler des équipes communautaires de santé, des partenariats dans le domaine de la santé et de diversesautres idées novatrices. Je suis troublée d'apprendre qu'en Ontario 200 infirmières praticiennes diplômées n'ont pas trouvé de travail dans le domaine précis de leurs compétences. Je pensais, en effet, que l'infirmière praticienne faisait partie intégrante des équipes communautaires de santé. Votre exposé me porte à me demander si les responsables prennent vraiment votre profession au sérieux.
Mme Jones: Alors que notre système de soins de santé est dans un état critique, on continue à négliger certaines solutions qui s'imposeraient pourtant. Il est clair que malgré la formation spécialisée qu'ont reçue les infirmières praticiennes, et le rôle essentiel qu'elles sont appelées à jouer au sein de la communauté, en matière de soins primaires, on ne reconnaît pas suffisamment le caractère fondamental de leur activité.
Il y a eu, à une certaine époque, un effort de changement et une reconnaissance du besoin d'insister davantage sur une médecine communautaire. Actuellement, on insiste plutôt sur les thérapies proprement dites et les infirmières praticiennes ont de nouveau été reléguées à un rôle secondaire.
Nous avons lutté pendant très longtemps, nous les spécialistes des soins primaires, pour obtenir que l'on reconnaisse nos compétences médicales et qu'on nous donne, dans le cadre du système de santé, les moyens de les exercer. Actuellement, le système insiste davantage sur l'aspect maladie et c'est, à ce moment-là, le médecin qui intervient.
En tant que spécialistes des soins primaires, nous avons toutes les compétences nécessaires pour prendre en charge ce domaine d'activité. Il s'agit d'une pratique qui met l'accent sur tout ce qui peut contribuer à la santé, sur une médecine préventive et sur l'écoute du patient.
Ce qui serait nécessaire ce serait d'accroître, dans le cadre de notre système de soins de santé, l'importance qu'on attache aux soins primaires, et de modifier en conséquence nos structures. En insistant principalement, comme nous le faisons actuellement, sur l'aspect maladie, nous avons tendance à abandonner le système de soins communautaires au secteur privé. Cela a pour effet de dévaluer nos structures communautaires et de ne pas tenir compte de leur importance essentielle.
Le sénateur Cordy: Nous sommes très conscients de la pénurie d'infirmières, notamment en Nouvelle-Écosse où le problème est souvent évoqué. Et pourtant l'on constateparallèlement un recours croissant aux infirmières à temps partiel ou au travail occasionnel. Le travail à temps partiel affecte, il est clair, les pensions de retraite et les avantages sociaux. Dans l'enseignement, de nombreux enseignants choisissent de ne travailler qu'à temps partiel alors que leurs enfants sont en bas âge. Est-ce de plein gré que les infirmières travaillent à temps partiel ou est-ce parce que la société a de plus en plus tendance à recourir à ce genre d'emploi?
Mme MacDonald-Rencz: Il y a, je pense, un peu des deux. La tendance s'est affirmée au début des années 90, à l'époque des restructurations; on a assisté alors à une réduction sensible des effectifs. Les services infirmiers constituent l'un des plus gros postes de dépense et en cas de contraintes budgétaires, on peut réaliser des économies importantes et immédiates en réduisant ce poste-là.
Les administrateurs - aussi bien dans le domaine des soins à domicile que dans les hôpitaux publics - savaient bien qu'à certaines heures de pointe il leur fallait tout de même avoir le personnel voulu et c'est alors qu'ils ont décidé qu'en engageant des infirmières à temps partiel ou à titre occasionnel, ils pourraient à la fois disposer du personnel dont ils avaient besoin et faire l'économie des avantages sociaux.
C'est ainsi que beaucoup de nos nouvelles diplômées se sont vues contraintes d'occuper simultanément trois ou quatre emplois à temps partiel. Elles s'y sont faites étant donné que cela leur permet de ne pas travailler toutes les fins de semaine - elles n'y sont pas astreintes à tour de rôle - et qu'elles peuvent choisir le service dans lequel elles vont travailler.
De nombreuses organisations signalent les difficultés qui découlent de cet état de choses. Celles qui avaient opté pour la précarité s'aperçoivent maintenant que c'était une erreur. Cela n'a d'ailleurs pas vraiment permis de réaliser des économies. Après avoir calculé le coût des heures supplémentaires et d'un certain nombre d'autres éléments, on a décidé de retransformer les postes à temps partiel en emplois à plein temps. Ces organisations éprouvent en cela des difficultés car il y a des infirmières qui ne veulent pas en revenir à l'ancien système.
Nos inquiétudes sont liées à la pratique même propre aux soins infirmiers. Disons, par exemple, que dans un service de transplantation rénale, plus de la moitié des infirmières travaillent à titre occasionnel. C'est dire qu'aujourd'hui elles travaillent dans ce service-là mais que demain elles peuvent aussi bien prodiguer des soins à domicile ou travailler dans un autre service. Sont-elles en mesure de comprendre les résultats des tests hématologiques transmis par le laboratoire? Ce qu'il faudrait c'est disposer, au sein du service rénal, d'un groupe permanent d'infirmières spécialisées dans le domaine des transplantations et sachant quels sont les indices à surveiller. Cela vaut pour tous les domaines des soins infirmiers mais je vous ai cité cet exemple car il décrit assez bien la situation.
Nous sommes préoccupées, donc, par ce qui se passe actuellement. Il est vrai que parce que notre profession est en grande partie exercée par des femmes, on peut prévoir que des infirmières qui ont des enfants en bas âge opteront pour un travail occasionnel ou à temps partiel. Normalement, cependant, elles reprennent le travail à plein temps lorsque leurs enfants sont en âge d'aller à l'école. Les situations ont changé.
Mme Connors: Au début des années 90, on a vu une forte augmentation du nombre de personnes travaillant à titreoccasionnel. C'était, souvent, de nouvelles diplômées. Or, comment une praticienne qui vient d'achever ses études peut-elle consolider ses connaissances et ses aptitudes si elle travaille dans quatre endroits différents, chacun ayant ses propres politiques et ses propres procédures.
On a recueilli, sur ce point, des récits effroyables. C'est une des raisons pour lesquelles un grand nombre de nouvelles diplômées, les meilleures, ont choisi d'aller travailler aux États-Unis, où ou leur promettait un emploi permanent. On leur assurait non seulement un emploi à plein temps, mais également certains des avantages dont nous avons parlé plus tôt.
Il est clair que certaines personnes préfèrent travailler à titre occasionnel. Soyons sérieux. Il n'y a, au Canada, pas de programme national de garderie. On n'a pas prévu, à l'intention des infirmières, de garderie sur les lieux de travail, alors que certaines d'entre elles sont des mamans qui allaitent leurs enfants. On n'a pas su prendre les mesures qui les inciteraient à reprendre le travail. Or, aux États-Unis, ils ont su agir en conséquence.
C'est vraiment sans plaisir que j'évoque la situation déplorable que l'on constate sur les lieux de travail. C'est plutôt grave. Il est facile pour un travailleur occasionnel de refuser un service qui s'annonce difficile alors que les infirmières permanentesn'hésiteront pas, même devant un service pénible, en raison d'une sorte d'engagement professionnel.
On en revient au problème de l'environnement de travail. Je suis persuadée que si l'on a la volonté d'améliorerl'environnement de travail beaucoup des infirmières qui ont refusé d'assumer un poste à plein temps accepteraient de revenir.
Il reste un nombre énorme d'emplois occasionnels qu'il va falloir transformer en emplois permanents.
Le sénateur Cook: En ce qui concerne les infirmières praticiennes en Ontario, vous avez bien dit, n'est-ce pas, qu'il y en a 200 qui n'ont pas trouvé d'emploi correspondant à leurs capacités. Travaillent-elles en tant qu'infirmières autorisées, ou attendent-elles de trouver un emploi?
Mme Jones: Sur les 200, la moitié se trouvent dans la première situation, et les autres sont en attente. Nos diplômées ont trouvé un travail soit dans les soins intensifs soit dans des centres de soins communautaires. Certaines d'entre elles font desremplacements ou travaillent à mi-temps en tant qu'infirmières praticiennes. La moitié d'entre elles travaillent donc dans leur spécialité, et l'autre moitié n'a pas encore trouvé d'emploi.
Le sénateur LeBreton: Nous sommes non seulementconfrontés à un problème de vieillissement généralisé de la population, mais de plus un problème de manque de ressources humaines dans tous les domaines que vous couvrez. Que peut-on faire? Sommes-nous en train de louper le coche du côté du recrutement? Comment allons-vous inciter les gens à embrasser des carrières dans ces domaines et à les retenir dans leur poste? Serait-ce que nous n'en faisons pas assez pour que ces postes soient attrayants pour les jeunes, dans nos institutionsd'apprentissage?
Mme Jones: Nous manquons de fonds spécifiquement destinés aux infirmières praticiennes. Nous ne savions pas très bien comment les intégrer dans le système, et nous misions sur un automatisme. En Ontario, il sera possible de les ramener à la pratique une fois que les problèmes de financement ainsi que de responsabilités législatives et médicales auront été réglés. On leur avait demandé un minimum de deux années d'expérience à titre d'infirmières diplômées, mais on s'est aperçu que la plupart des infirmières praticiennes qui intégraient ces programmes avaient en moyenne 15 années d'expérience.
Nous sommes parvenus à en attirer beaucoup dans les programmes en question parce que nous étions pleinement autonomes. Nous avons pu prendre des décisions que les infirmières d'autres secteurs auraient adoré pouvoir prendre. C'est merveilleux, pour une infirmière de pouvoir dire «J'ai une poste». Je ne pense pas que nous ayons perdu à jamaisces 200 infirmières. Si nous pouvions leur offrir un poste de praticienne, elles sauteraient dessus.
Le sénateur Callbeck: Vous venez de nous donner beaucoup de matière à réflexion.
Vous avez déjà répondu à ma première question, qui concernait les infirmières diplômées allant travailler aux États-Unis, et nous avons parlé des raisons qui les poussent à faire cela. Je me demande si le passage du statut d'employé permanent à celui d'employé occasionnel et à temps partiel a beaucoup joué chez ceux et celles qui ont pris cette décision. Dans un document de la Bibliothèque du Parlement, on parle d'un récent sondage comparatif selon lequel 41 p. 100 des infirmières américaines se disent satisfaites de leur emploi, contre 32,9 p. 100 pour les infirmières canadiennes. Je trouve ces statistiques étonnantes.
J'ai cru comprendre de ce que vous avez dit que cela a pu jouer un rôle au début. Ces infirmières et infirmiers diplômés sont allés aux États-Unis parce qu'ils ne trouvaient pas d'emploi permanent ici. Mais aujourd'hui, il y a beaucoup d'emplois permanents de disponibles, au point que nous n'avons pas assez d'infirmières pour les combler. Est-ce que je me trompe?
Mme MacDonald-Rencz: Comme l'ont montré nos études, une fois que ces infirmières sont allées travailler ailleurs, elles sont parties pour de bon. Elles s'intègrent dans leur nouvelle collectivité et prennent racine. Elles nouent des relations sur place, s'installent et fondent des familles. La plupart des infirmières qui sont parties ne veulent pas être «rapatriées» - c'est le mot qu'emploient les spécialistes du recrutement. Elles pourraient être intéressées à revenir si on leur garantissait une certaine sécurité d'emploi, et le même genre d'éducation continue et de possibilités de carrière qu'aux États-Unis.
Quant au degré de mécontentement, il suffit de comparer ce document avec ce que dit une autre étude. Un rapport, qui a fait l'objet d'une attention soutenue de la part des médias, vientjuste d'être publié... le 7 mai dernier. Il s'agit d'une étude internationale comparant la qualité des soins offerts et des conditions de travail du personnel soignant dans cinq pays. On y examine l'ensemble des problèmes aux États-Unis, en Angleterre, en Allemagne, au Canada et dans un autre pays. Ce rapport compare les niveaux de satisfaction dans les pays étudiés et établit une corrélation entre le degré de satisfaction, la charge de travail et les résultats du côté des patients. Il n'y a pas beaucoup d'écart entre le Canada et les États-Unis, ce qui est intéressant. Si vous le voulez, je vous ferai parvenir un exemplaire de ce rapport que vous pourrez examiner.
Mme Connors: Nous entretenons d'excellentes relations de travail avec plusieurs infirmières et groupes de négociation d'infirmiers et infirmières aux États-Unis. Il est vrai que le niveau de mécontentement des gens aux États-Unis, par rapport leur milieu de travail, est semblable au nôtre. Mais des questions se posent. À quoi ressemble le milieu de travail? Quel genre de système de soutien ont-ils là-bas? Ont-ils un milieu de travail qui attire les gens, où les gens sont appréciés pour ce qu'ils font? Ce sont là des aspects importants.
Plusieurs infirmières et infirmiers américains n'ont jamais rien connu d'autre que l'environnement américain. Ils ont bien entendu parler du système de soins de santé canadien, mais ils n'en ont jamais fait l'expérience. J'ai demandé à des infirmières aux États-Unis comment elles font pour travailler dans un système où les gens doivent vérifier leur solde en banque avant de songer à se faire soigner. Elles m'ont répondu «Ce n'est pas nous qui vérifions l'état des comptes des patients, nous leur prodiguons des soins. Ce sont d'autres personnes qui font la comptabilité».
Les infirmières n'ont pas à se préoccuper de cela. Cependant, certaines m'ont dit que c'est une des raisons pour lesquelles elles étaient rentrées au Canada. Je veux parler de toute la philosophie du système américain qui n'est simplement pas compatible avec leurs valeurs, ce qui les a incitées à rentrer au Canada.
Il y a aussi la question de la sécurité d'emploi. Les infirmières canadiennes qui vont travailler n'importe où aux États-Unis disent qu'elles aimeraient bien rentrer au Canada, mais qu'à la prochaine série de réductions budgétaires, elles seraient les premières à en pâtir, parce qu'elles seraient les dernières à avoir été engagées. Elles se demandent si elles vont renoncer à la sécurité d'emploi qu'elles ont là-bas.
Toutes les questions qui touchent à l'éducation continue, au soutien à l'éducation de même qu'au genre de carrière ou plutôt au genre d'emploi offert, sont très importantes. Elles ne voient pas toutes ces choses-là sur le milieu de travail, dans les propositions que leur font les agents de recrutement, qui portent maintenant leur action au sud de la frontière et qui essaient de ramener les infirmières canadiennes chez nous.
[Français]
M. Paradis: J'aimerais ajouter que si l'on créait davantage de postes à temps complet - et on en a parlé d'ailleurs - cela aurait pour effet de donner une meilleure qualité de vie, une meilleure cédule de travail et, par le fait même, il y aurait sans doute moins de temps supplémentaire.
Au Québec présentement, les infirmières et les infirmières auxiliaires sont obligées de faire du temps supplémentaire parce qu'elles y sont pratiquement forcées. C'est vraiment l'épuisement qui s'installe, dû à la surcharge de travail, et donc, on a tendance à aller ailleurs; aller aux États-Unis qui offrent des infrastructures plus intéressantes au niveau des conditions de travail, des salaires et des avantages fiscaux. Si on revoit ces organisations de travail au Québec, il y a certainement possibilité de créer un climat plus propice et ainsi garder nos infirmières.
[Traduction]
Le sénateur Callbeck: Tout à l'heure, nous avons parlé de la diminution du nombre d'étudiants en sciences infirmières ainsi que de l'importance d'une bonne fiche de route. Certaines provinces ont-elles mieux réussi que d'autres à attirer les jeunes dans le domaine des soins infirmiers?
Mme MacDonald-Rencz: Je ne pourrais vous donner de chiffres précis, mais on sait que certaines provinces réussissent mieux que d'autres. L'Alberta en est une, à la suite de la signature récente de la convention. C'est certain. Les programmes de l'Alberta attirent des infirmières d'autres provinces, si bien qu'il y a maintenant trop d'inscrites. Encore une fois, il ne s'agit pas là de données statistiques, parce que la tendance à adopter des incitatifs pour parvenir à de tels résultats est relativement nouvelle au Canada. Il serait intéressant de faire le suivi de ce qui est dit dans ce document.
Mme Connors: Dans les deux semaines qui ont suivi la signature de la convention collective des United Nurses of Alberta, 500 infirmiers et infirmières, qui ne travaillentactuellement pas dans le système de soins de santé albertain, ont téléphoné à l'administration de santé régionale de Calgary pour se renseigner sur les débouchés d'emploi. C'est toujours la même chose, si vous payez les gens à leur juste valeur, ils seront incités à revenir.
Voilà pourquoi un des dossiers que nous continuons de promouvoir et pour lequel nous espérons avoir un appui, est celui de l'utilisation de la caisse d'assurance-emploi à des fins de formation. Nous avons un excédent. Puisqu'on permetaux artisans d'utiliser l'argent de l'A-E pour continuer à se perfectionner, pourquoi ne fait-on pas la même chose avec les infirmiers et infirmières? Il faut étudier cette question. Pourquoi l'assurance-emploi refuse-t-elle aux infirmières la possibilité de toucher de l'argent pour poursuivre des études post-secondaires?
En fait, pour la plupart des personnes qui ont embrassé une carrière d'infirmier ou d'infirmière, ou d'autre carrière de soignant, il s'agissait d'emplois ouverts à tous, pas nécessairement aux enfants de familles riches. Personnellement, j'ai été élevée dans une exploitation agricole, mais ma famille avait les moyens de me payer des études d'infirmière. Si j'étais jeune dans la même collectivité aujourd'hui, je vous garantis que je m'interrogerais très sérieusement avant d'embrasser cette carrière, parce que ma famille ne pourrait plus se permettre de payer les frais d'inscription et de résidence dans une autre ville pour mes études post-secondaires.
L'Irlande a fait ce qu'il fallait du côté des frais de scolarité. L'organisation qui représente les infirmiers et infirmières là-bas a constaté une augmentation du nombre de candidats à la profession. Nous n'avons pas toujours compté sur les jeunes pour le recrutement. Bien des gens choisissent les soins infirmiers comme deuxième carrière. Il nous faut savoir accorder de la valeur à cela aussi.
Le sénateur LeBreton: Il y a déjà pas mal de temps que nous étudions l'état du système de soins de santé, et je trouve que ce témoignage est le plus déprimant de tous ceux qu'il nous a été donné d'entendre, parce qu'il concerne les véritables fondements de notre système de soins de santé. Nous avons parlé de technologies et de nouveaux produits pharmaceutiques. Toutefois, si nous ne réglons pas ce problème nous courrons à la catastrophe.
Madame Connors, ma prochaine question m'a été inspirée par une déclaration du Dr Keon qui m'a amené à me rendre compte à quel point vous avez raison. Il a dit que nous courrions à la catastrophe si nous ne faisons rien.
Vous avez parlé du taux d'infirmières qui quittent leur emploi. Vous avez dit qu'un infirmier ou une infirmière sur six travaillant dans un hôpital envisage de s'en aller dans le courant de l'année prochaine. Pire encore, vous nous avez déclaré que, parmi ceux et celles qui sont âgés de moins de 30 ans, cette proportion atteint presque une personne sur trois. Vous nous avez indiqué que les jeunes ne vont pas tolérer cette situation.
J'ai été élevée dans une ferme. Moi aussi, je pensais devenir infirmière quand j'étais jeune.
Où se trouve le point de non-retour? A-t-on effectué une étude? Si cette situation se perpétue, en arrivera-t-on au point où nous ne pourrons plus fonctionner?
Mme Connors: L'étude de 1997 réalisée par l'Association canadienne des infirmiers et infirmières annonçait que, si rien n'était fait pour régler ce problème, il nous manquerait113 000 infirmières et infirmiers diplômés en 2011. Ce n'est pas si éloigné de nous.
L'âge moyen de départ à la retraite pour un infirmier ou une infirmière au Canada n'est pas de 65 ans, il est de 56 ans. L'âge moyen dans la profession est actuellement de 47 ans. Le gros de nos effectifs va donc prendre sa retraite d'ici quelques années, dans moins de 10 ans. Nous allons alors connaître un moment critique.
Il faut se dire qu'il est absolument nécessaire de s'attaquer au problème des ressources humaines dans le domaine des soins infirmiers. Nous ne faisons rien, mais c'est péril du système de soins de santé. Voilà le message que nous ne pouvons que répéter haut et fort à votre comité qui se penche sur l'avenir de notre système de soins de santé.
Pour en revenir à la question de la viabilité, il est évident que si vous ne maintenez pas les effectifs infirmiers, vous ne parvien drez pas à assurer la viabilité du système canadien de soins de santé.
Le président: Sur cette note, je vous remercie d'avoir pris le temps de vous rendre à notre invitation.
Chers collègues sénateurs, nous allons maintenant passer à notre dernier groupe de témoins pour la soirée, qui viennent tous de l'extérieur d'Ottawa. Je vous demande d'être encore un peu patients.
Nous accueillons Kurt Davis de la Société canadienne de science de laboratoire médical, le Dr Tim St. Denis, de l'Association chiropratique canadienne, et le Dr Paul Johns, président sortant des Sociétés canadiennes en radiation et imagerie médicale.
Monsieur Davis, je vous invite à commencer.
Kurt Davis, Directeur exécutif, Société canadienne de science de laboratoire médical: Monsieur le président, pour commencer, je tiens à vous dire que nous sommes honorés de compter parmi nous M. David Ball, de Terre-Neuve, qui est président élu de notre société nationale. Il est directeur de laboratoire à l'hôpital Western Memorial de Cornerbrook.
Je vais vous dire rapidement qui nous sommes parce que nous représentons le troisième groupe en importance de professionnels de la santé au Canada et nous sommes sans doute les moins bien compris et les moins bien connus.
La société professionnelle nationale que nous sommes est l'organisme de certification des technologies de laboratoire médical au Canada. Nous avons été fondés à Hamilton en1937 sous le nom de Société canadienne des technologistes de laboratoire. Nous avons changé de nom en 1997 pour devenir la Société canadienne de science de laboratoire médical, mais nous avons toujours notre siège à Hamilton.
Nous sommes au troisième rang en importance parmi les professions de la santé. Quatre-vingt-cinq pour cent de nos quelque 21 000 membres au Canada sont des femmes.
Nos membres travaillent dans les hôpitaux ainsi que dans les laboratoires médicaux et diagnostiques. Ce sont eux qui analysent les échantillons sanguins, les prélèvements de mucus et toutes les autres sécrétions corporelles.
Je dois vous dire que les laboratoires produisent 85 p. 100 des données diagnostiques du système de santé. Ne l'oubliez pas, c'est très important et nous y reviendrons plus tard.
La réforme de la santé a eu d'importantes répercussions sur les laboratoires médicaux. L'effectif des technologistes de laboratoire a été amputé de 29 p. 100 dans les années 90. En Alberta, en 1995, nous avons subi une réduction de 1 500 technologistes du jour au lendemain.
Je vais vous donner l'information qui manque dans les documents que nous avons préparés hier. Nous offrons maintenant dix programmes au Canada et avons 295 inscrits pour septembre 2001.
Notre profession n'est pas différente de la plupart des professions de la santé, puisque nous allons être confrontés à des pénuries de personnel dans l'avenir. On s'en rend compte à l'analyse des données sur l'accréditation. Nous avons insisté pour que le comité consultatif des ressources humaines en santé analyse notre profession. Nous avons débuté ces discussions en 1996 et ce n'est qu'en 1998 que le comité a entamé son étude. Nous avons reçu ces recommandations en 1999.
Malheureusement, ce n'est pas allé plus loin. Notre problème s'aggrave. Nous sommes une profession composée de baby boomers. Près de 45 p. 100 de nos gens pourront prendre leur retraite d'ici 2015.
Nous allons perdre un immense savoir accumulé ainsi que des ressources considérables. Le nombre de programmes de formation a été grandement réduit partout au Canada, lors des débordements des années 90, quand les technologistes de laboratoire étaient en nombre excédentaire. Nous nous demandons très sérieusement où nous allons bien pouvoir trouver nos membres dans l'avenir. Voyez les chiffres de cette diapositive. Vous constaterez quedans les cinq prochaines années, il nous manqueraquelque 120 technologistes. Chaque technologiste effectue10 000 à 20 000 tests diagnostiques. C'est énorme et il ne sera plus possible d'effectuer ces tests si nous ne redressons pas le cap.
Cinq ans plus tard, le déficit aura presque doublé. Nous craignons de ne pas pouvoir être en mesure de maintenir les programmes dans l'avenir.
Le nombre de postes de formation au Québec n'a pas été réduit dans les années 90. Le gouvernement du Québec a pour politique de permettre à ses étudiants de suivre leurs études là où ils le veulent. Ce faisant, nous avons un très net excédent de diplômés francophones dans notre profession.
Il y a autre chose qui nous inquiète, et dont il n'est pas question dans ce rapport. Il s'agit de l'accroissement de la demande de tests médicaux. Tandis que nous avons subi des réductions d'effectifs dans les années 90, la quantité de tests diagnostiques, elle, n'a pas diminué. En fait, elle a même augmenté. Les patients étaient plus malades et il fallait fournir plus rapidement les résultats de tests, parce qu'il fallait les faire sortir le plus vite possible des hôpitaux.
Il y a aussi l'évolution de la technologie. Vous aurez sans doute lu à propos des répercussions du projet du génome humain et de la biologie moléculaire. Les tests génétiques seront confiés aux laboratoires médicaux et ils auront une énorme incidence sur l'avenir de notre profession.
Je me dois de vous rappeler les problèmes, qu'on vous a déjà mentionnés tout à l'heure, d'épuisement au travail à cause du manque de personnel et des surcharges. Nous constatons déjà les répercussions de cette situation sur la qualité du travail. D'après une étude produite l'année dernière en Ontario, on constate un très net déclin de la qualité des tests de laboratoire dans cette province.
Ce n'est pas un problème spécifiquement canadien. Comme on vous l'aura dit à propos d'autres professions, il existe un manque de technologistes de laboratoires dans le monde. Nous ne sommes pas à l'abri de la fuite des cerveaux vers les États-Unis. Dans les années 90, nous étions en situation excédentaire. Plusieurs de nos membres sont alors allés aux États-Unis. Ils y sont restés et il est fort peu probable qu'ils reviennent, d'autant que notre voisin américain est deux fois plus dans la panade que nous.
Nous ne pouvons pas compter sur l'immigration pour résoudre notre problème de ressources humaines. À la fin des années60, quand notre profession a connu une croissance rapide, nous avons compté sur l'immigration en provenance du Royaume-Uni pour trouver un grand nombre de praticiens, dont la plupart sont maintenant sortis du système. Aujourd'hui, nous ne parviendrons pas à les remplacer par du personnel provenant du Royaume-Uni, ce pays accusant un déficit à peu près deux fois supérieur au nôtre.
Dans le document que nous vous avons remis, nous énumérons un certain nombre de recommandations qui s'adressent aux provinces. Nous avons communiqué notre récente étude sur les ressources humaines à tous les ministres canadiens de la santé et de l'éducation. Nous y dégageons les grands secteurs problèmes. Nous sommes particulièrement préoccupés par la situation en Nouvelle-Écosse et au Manitoba où il n'existe actuellement aucun programme de formation de technologistes de laboratoire. Même chose en Ontario, en Colombie-Britannique et en Saskatchewan ainsi que dans d'autres provinces qu'il conviendra de suivre de près.
Nous allons assister à un recrutement intense par le secteur privé. C'est déjà ce qui se passe dans notre profession. Un employeur d'un groupe de santé de la vallée du Fraser, en Colombie-Britannique, va venir à Terre-Neuve pour recruter des technologistes à l'occasion de notre congrès annuel, en juin.
Nous aimerions que l'on accorde plus de priorité au rapport du CCRHS. Vous trouverez, dans les documents qu'on vous a remis, les principales recommandations de ce rapport. L'absence de base de données nationale sur les ressources en soins de santé nous gêne beaucoup dans ce que nous essayons de faire pour corriger la situation.
Nous endossons la recommandation de l'Associationcanadienne des soins de santé en faveur de l'établissement d'un fonds voué à l'éducation, à la formation et au recrutement des professionnels de la santé. Vous avez entendu ce que d'autres groupes vous ont dit avant nous. Nous allons nous faire concurrence entre nous pour attirer les mêmes et rares diplômés de la santé. Les professions de la santé vont se livrer concurrence pour le même petit groupe de personnes. Or, nous devrions plutôt travailler en collaboration et regrouper les programmes, outre que nous devrions planifier pour ne pas nous marcher sur les pieds.
Nous avons soumis notre étude sur les ressources humaines au Comité consultatif des ressources humaines en santé. Celui-ci a accepté de s'y intéresser. Nous en avons parlé avec le sous-comité le 26 avril 2001 et celui-ci nous a promis de l'étudier davantage.
De plus, nous avons envoyé ce rapport aux ministres de la santé et de l'éducation, partout au Canada. La semaine dernière, j'ai moi-même communiqué avec cinq gouvernements provinciaux. Le rapport a été rendu public le 10 mai 2001 et a fait l'objet d'un communiqué de presse général. Nous l'avons versé sur notre site Internet. Nous comptons le publier dans le numéro de juin de notre publication nationale afin d'informer tous nos membres qui se sentent stressés à cause du système actuel.
Dr Tim St. Denis, président, Association chiropratique canadienne: Monsieur le président, en tant que président de l'Association chiropratique canadienne, de prendre la parole devant votre comité ce soir. L'Association chiropratiquecanadienne - l'ACC - est une association fédérale qui représente ses membres en coopération avec les associations provinciales et nos autres associations membres. Nousreprésentons dix provinces et le Yukon. Ainsi, nous représentons en tout quelque 4 500 membres qui constituent 80 p. 100 de la profession au Canada. Dans les cinq prochaines années, nous espérons en compter 6 000.
Nous sommes la troisième plus importante profession dans les soins de santé au Canada, derrière les médecins et les dentistes, position que nous occupons depuis quelques années.
Notre énoncé de mission est le suivant:
Aider les Canadiennes et les Canadiens à vivre une vie plus saine en les renseignant sur les bienfaits des soins chiropratiques; promouvoir l'intégration de la chiropractie au système de soins de santé et faciliter la recherche dans ce domaine.
Cela fait près de 106 ans que nous existons. Nous sommes réglementés et reconnus dans les lois de toutes les provinces canadiennes. Nos diplômés doivent réussir les examens nationaux et provinciaux avant de recevoir leur permis d'exercer.
Nous avons deux collèges au Canada: le Canadian Memorial Chiropractic College, qui se trouve à Toronto, et l'Université du Québec à Trois-Rivières. Pour intégrer nos programmes, il faut avoir trois années d'université, mais 90 p. 100 de nos étudiants ont obtenu un diplôme de premier cycle de quatre ans avant d'entamer ce programme poussé de quatre années également.
Les chiropracteurs sont presque tous des praticiens en soins de santé, ce qui veut dire que les patients peuvent nous contacter directement sans devoir être recommandés par un médecin. Nous traitons, à un niveau primaire, les troubles de la colonne vertébrale, du système nerveux, des jointures et des extrémités. Nous émettons des diagnostics, offrons des traitements et des conseils sur la façon d'éviter que ces problèmes se reproduisent.
Nous cherchons surtout à faire en sorte que nos patients retrouvent le mouvement dans leurs articulations, essentiellement au niveau de la colonne vertébrale, pour permettre ensuite au corps de guérir naturellement l'inflammation des jointures. Les tissus concernés sont les ligaments, les muscles et les nerfs. Près de 90 p. 100 de toutes les visites chez les chiropracteurs ont trait aux maux de tête, aux douleurs vertébrales et aux douleurs lombaires.
Nous souhaitons vous entretenir de plusieurs choses. D'abord, parlons des tendances qui ont une incidence sur les coûts et les méthodes de prestation de santé. Nous avons entendu parler du problème des infirmières. Le nôtre est tout à fait opposé. Nous estimons être en mesure d'alléger les pressions qui s'exercent actuellement sur le système de soins de santé.
Nous estimons que, dans le domaine du financement public, on est en train de passer du bien-être du malade et des soins aux patients à la limitation des coûts reposant sur le maintien des actuelles méthodes de soins de santé. Nous sommes d'avis que les Canadiennes et les Canadiens ont droit à des options efficaces en ce qui concerne des soins de santé accessibles, abordables et adaptées.
Les chiropracteurs ne sont pas utilisés de façon efficace par le système canadien de soins de santé. La majorité des études réalisées jusqu'ici ont clairement établi que les soins que nous prodiguons sont rentables et efficaces sur le plan médical.
Les obstacles législatifs, politiques et parfois financiers ont souvent donné lieu à des répartitions inéquitables des ressources, sans égard au choix des patients.
Il faut adopter des mesures qui favorisent l'efficacité et la rentabilité de notre système de soins de santé national. Nous avons plusieurs mesures du genre à vous proposer.
Nous recommandons de réduire voire d'éliminer ledédoublement des services. Nous demandons une amélioration de la rentabilité des diagnostics. Pour cela, il faudrait que les patients soient dirigés vers le praticien le plus approprié, dès le début, et qu'on réduise les retards par l'application des soins appropriés.
Nous demandons à passer du système de soins actuel bâti autour des institutions à un système de soins à caractère communautaire, afin d'alléger les pressions imposées sur les hôpitaux.
Nous réclamons un système d'intéressement différentpermettant l'accès aux fournisseurs des soins sans égard à l'état de santé du patient.
Nous demandons, par ailleurs, d'investir dans la promotion et le maintien de la santé, de même que dans la prévention de la maladie.
Nous estimons nécessaire de nous doter d'un plan axé sur l'efficacité et la responsabilité, qui sera applicable à l'ensemble du système.
Nous sommes aux prises avec le double problème du vieillissement de la population et d'une croissance importante des populations autochtones et à besoins spéciaux. L'ICIS a constaté que 30 p. 100 de la population canadienne utilise 60 p. 100 du système de soins de santé. La population vieillissante, qui représente ces 30 p. 100, est en train d'augmenter et le système de soins de santé n'est plus adapté à ses besoins. La population autochtone, qui a adopté les soins chiropratiques il y a déjà longtemps, croît beaucoup plus rapidement que la population en général.
La progression de la population autochtone impose une demande sur des installations où la densité démographique a toujours été jugée insuffisante pour mériter une infrastructure plus importante. Les Canadiens s'inquiètent de l'avenir des soins de santé. Les méthodes de soins traditionnels ne permettent plus de répondre aux besoins de santé de la population en général. Bien que la médecine traditionnelle ait, jusqu'ici, permis de traiter les maladies aiguës, il n'en est pas de même pour la plupart des états chroniques. La longévité des personnes atteintes d'incapacité chronique risque d'être considérablement réduite à cause de défauts de qualité de vie.
Si nous permettions à d'autres professionnels de la santé de traiter les états chroniques, nous allégerions les pressions qui s'exercent actuellement sur le système de prestation des soins de santé. Autrement dit, de meilleurs services permettraientd'abaisser les coûts.
Les chiropracteurs sont quasiment des médecins spécialisés dans le système neuromusculosquelettique. Pour l'instant, on ne leur permet pas d'utiliser les instruments de la profession et leur action clinique est entravée. On nous interdit l'accès aux hôpitaux, et il arrive que nous ne puissions pas continuer de traiter nos patients après qu'ils ont été hospitalisés. On nous interdit l'accès aux radiographies de même qu'aux analyses sanguines et d'urine.
Les Canadiens sont très désavantagés par les restrictions déraisonnables imposées sur les services chiropratiques essentiels et auxquelles échappe la profession médicale. Les chiropracteurs sont légalement tenus de diriger leurs patients vers d'autres professions médicales, sans que la loi impose la réciproque. Les Canadiens sont de plus en plus conscients que l'administration de ce système dépasse à peine la gestion des intérêts économiques d'une profession.
L'ACC recommande la prise en compte prioritaire de la promotion de la santé et de la prévention de la maladie chez les personnes âgées, afin d'alléger immédiatement les pressions qui pèsent actuellement sur le système. Nous recommandons que les soins dispensés aux patients chroniques soient confiés aux personnes les plus qualifiées. Par exemple, les chiropracteurs sont parfaitement formés aux techniques de contrôle de la douleur et il n'y a pas lieu de les marginaliser parce qu'ils ne sont pas intégrés au système.
Nous recommandons en outre la suppression des restrictions qui empêchent aux populations autochtones de recourir à des types de soins moins coûteux mais correspondant davantage à leurs valeurs culturelles traditionnelles.
Afin de mieux répondre aux besoins émergents de ces populations, il conviendrait de répartir différemment les fonds disponibles, plutôt que de tout investir dans le système actuel.
On nous a, par ailleurs, demandé de parler des attentes croissantes que la population entretient vis-à-vis du système de soins de santé, et plus précisément de la diversité des services offerts. Il est bien connu que les Canadiennes et les Canadiens veulent pouvoir exercer des choix de vie. Cependant, on s'aperçoit que la liberté de choix en matière de soins de santé se limite aux médicaments et à la chirurgie. Les Canadiens ne veulent pas une gestion exclusive de leur santé. Ils veulent être en mesure de recourir aux professionnels susceptibles de répondre au mieux à leur situation du moment. Les Canadiens en savent de plus en plus au sujet de leur état de santé ainsi que des avantages ou des risques que présentent les différentes thérapies.
Vous êtes sans doute au courant des études qui ont été réalisées sur le plan des choix offerts aux Canadiens. Ceux-ci ont décidé de joindre le geste à la parole. Quatre millions et demi d'entre eux ont rendu visite à des chiropracteurs l'année dernière, soit une augmentation de 25 p. 100 par rapport aux cinq dernières années. Ces mêmes Canadiens ont surmonté plusieurs autres obstacles pour obtenir le traitement qu'ils avaient choisi, celui des coûts, celui de l'absence d'orientation par un médecin et celui de la réglementation.
Notre recherche indique que les nouveaux clients de la chiropractie ont souvent fréquenté le système public pendant six mois, mais qu'ils n'ont pas été soulagés. Cela représente donc six mois de traitements inefficaces et d'inconfort pour le malade. Pendant ces six mois, ils sont passé d'un état aigu à un état chronique, exigeant un temps de récupération plus long. En outre, cela représente six mois de dépenses supplémentaires pour le système, de même que six mois d'une vie perturbée pour les patients qui dû s'absenter du travail.
L'ACC recommande que l'on fasse évoluer le rôle de chaque profession afin que les patients aient plus de souplesse dans leurs choix et qu'on réduise les pressions imposées actuellement sur le système. Nous recommandons en outre un réalignement des ressources afin de reconnaître et de favoriser les professions de la santé réglementées mais sous-financées.
Nous recommandons de veiller à ce que des soins plus appropriés et plus économiques soient offerts aux patients sur la base de leur degré de satisfaction, comme l'indiquent les recherches effectuées à cet égard.
Nous recommandons en outre l'élargissement de la définition afin que la chiropractie soit considérée comme médicalement nécessaire.
Pour ce qui est de la recherche, nous vivons dans un monde où tout doit être étayé à coup de documents. Les Canadiens sont en droit de s'attendre à bénéficier de recherches poussées, de haute qualité, obéissant aux normes internationales les plus élevées. Ils ont le droit de savoir qu'ils peuvent bénéficier d'une information objective produite par des tierces parties, information à partir de laquelle ils pourront fonder leurs décisions relativement aux soins de santé. Ils ont le droit d'être informés de l'efficacité et de l'économie des soins proposés, de même que du degré de satisfaction des patients, grâce à des essais cliniques.
La majorité des recherches effectuées au Canada dans le domaine des soins de santé ne porte pas sur ce domaine mais plutôt sur des pharmacothérapies. Elles sont financées par l'industrie pharmaceutique, par le biais des hôpitaux et des universités. La profession chiropratique, qui ne dispose pourtant des énormes moyens qu'ont certains et qui n'a qu'un bassin relativement limité de praticiens, s'appuie tout de même sur 30 essais cliniques statistiquement aléatoires qui montrent que les ajustements et les manipulations sont supérieures aux autres thérapies destinées à traiter des lombalgies. Quatorze études prouvent que nos soins sont plus économiques et 16 autres qu'ils permettent de réduire les pertes de temps au travail. Sept études financées par le gouvernement sont favorables aux protocoles chiropratiques.
Un chercheur de l'Université d'Ottawa, le professeur Pran Manga, estime que le gouvernement de l'Ontario aurait économi sé 1,25 milliard de dollars par an s'il avait mieux intégré les services chiropratiques dans le système de soins de santé de la province. L'économie de 1,25 milliard de dollars que permet traientde réaliser 200 millions de dollars correspond à une dépensede 1 $ et à une économie de 6 $. Des études semblables ont été réalisées en Saskatchewan et au Manitoba et ont donné lieu à des résultats similaires.
L'ACC recommande d'entreprendre une étude économétrique afin de déterminer la rentabilité des services de soins de santé en fonction d'une élimination du dédoublement des services. Les services de santé devraient être offerts par les praticiens les mieux formés et les plus compétents dans leur domaine. Les traitements et les thérapies devraient être financés sur la base de résultats positifs probants.
Nous recommandons également d'octroyer des fonds publics à la recherche sur les avantages des soins préventifs en santé. Enfin, nous recommandons que les actes donnant des résultats positifs chez les patients et que la gestion de l'état des patients soient pris en compte dans le système public des soins de santé.
Le président: Docteur Johns, il y a trois semaines,l'Association canadienne des radiologistes est venue nous faire un exposé. Vous pourriez peut-être directement passer à vos recommandations. Vous pouvez certes nous préciser deux ou trois choses, mais sachez que nous disposons déjà de la plupart des données contenues dans votre mémoire.
Dr Paul C. Johns, président sortant, Sociétés canadiennes en radiation et imagerie médicale: Je suis physicien médical et je travaille à l'université Carleton en physique. Je représente les Sociétés canadiennes en radiation et imagerie médicale, qui est un organisme cadre. Je vous ai fait remettre deux jeux de documents, un qui est constitué de mes notes d'intervention et l'autre qui est un rapport daté de la semaine dernière, c'est-à-dire du 7 mai 2001.
Le président: C'est le rapport que je suis en train de lire.
Dr Johns: Je tiens à signaler la présence du Dr Richard Lauzon, directeur général de l'Association canadienne des technologistes en radiologie.
Je vais commencer par brièvement vous décrire les Sociétés canadiennes en radiation et imagerie médicale, soit les SCRIM. Nous sommes donc un organisme cadre qui a été fondé en 1998 et qui est constitué de cinq sociétés travaillant dans le domaine de l'imagerie médicale ou des rayonnements ionisants en médecine. Nous représentons les spécialistes en médecine nucléaire, en technologie de radiation médicale, en radiologie, en physique médicale et en ultrasonographie.
Trois choses nous inquiètent: le manque de professionnelsdans les domaines que je viens de mentionner; l'insuffisance d'équipements d'imagerie, de traitements guidés par image et de thérapie cancéreuse; et les retards que nous accusons au Canada sur les plans de la recherche pure et de la recherche appliquée. Ces préoccupations sont toutes reliées.
Étant donné le thème particulier de la séance d'aujourd'hui, je consacrerai la majorité de mon exposé au problème de personnel. Toutefois, je vous entretiendrai de deux autres sujets.
Pour ce qui est du personnel, je constate l'existence de points communs avec les autres professions. La formation, entre l'entrée à l'université ou dans une école et la fin des stages, c'est-à-dire quand la personne est en mesure d'offrir le service, prend beaucoup de temps. En outre, nous approchons d'un point où le nombre de départs à la retraite va atteindre un pic.
Les domaines de la technologie d'imagerie et des procédures thérapeutiques deviennent de plus en plus complexes et exigent souvent beaucoup plus de temps. Ce travail est donc a forte intensité de main-d'oeuvre.
Vous voyez ici le temps nécessaire à la formation d'un de nos spécialistes. En général, les gens commencent par un baccalau réat, qui est suivi de quatre années d'études médicales débouchant sur un diplôme, lesquelles sont suivies d'un stage spécialisé en radiologie ou en médecine nucléaire, puis d'un fellowship. En tout, on en arrive à 10 ans d'études spécialisées.
Les physiciens médicaux connaissent une trajectoire qui dépend de la formation en recherche offerte au niveau universitai re. Leur filière les amène du baccalauréat au doctorat en recherche, en passant par la maîtrise, après quoi ils font un stage clinique.
Pour les technologistes, il s'agit d'un programme de deux à trois ans débouchant sur un diplôme. Dans le cas de la technologie en radiation médicale, le baccalauréat est de quatre ans. Il faut du temps pour modifier les niveaux de dotation.
Nous avons quelques chiffres quant aux effectifs dans les différentes professions. Je suis sûr que vous avez déjà vu ces chiffres. Il y a plus de 1 800 radiologistes au Canada,mais 200 postes sont encore vacants. Nous ne diplômonsque 58 résidents qui restent tous ici par la suite.
En médecine nucléaire, les nombres sont faibles car il s'agit d'une petite société, raison pour laquelle nous sommes un organisme cadre. Chaque année, 11 spécialistes du domaine prennent leur retraite et un autre quitte le pays, pour un totalde 12 départs. Cependant, moins de 10 personnes sont diplômées annuellement dans les programmes de résidence.
Pour ce qui est de la physique médicale, les nombres sont assez élevés dans les différents secteurs où travaillent les physiciens médicaux, mais nous en comptons un nombre raisonnable en radiothérapie et cancérothérapie.
On dénombre 217 physiciens qui exercent en milieu clinique dans ce domaine. On recense 41 postes vacants dans les centres régionaux de traitement du cancer, pour ce qui est des physiciens, soit environ 20 p. 100 de la totalité des postes. En Ontario, un centre anti-cancéreux est en cours de construction et que trois autres sont sur plans. Ces quatre nouveaux centres exigeront au moins 30 si ce n'est 40 physiciens de plus. Il nous en manque donc maintenant 80.
Du côté des entrées dans la profession, les universités canadiennes forment environ 60 radiothérapeutes par an. Les étudiants sont financièrement soutenus par les directeurs de recherche ou bénéficient de bourses. Beaucoup ne vont pas jusqu'à la résidence et ils quittent le pays.
Actuellement, nous avons 28 étudiants dans les programmes de résidence; la moitié se trouveront sur le marché du travail et 20 à 30 p. 100 quitteront le pays. Ce faisant, il nous faudra beaucoup de temps pour combler ne serait-ce que les 40 postes vacants.
Ces chiffres ne sont valables que pour les oncologues. Les physiciens médicaux se trouvent aussi en imagerie diagnostique, dans les programmes de protection contre les radiations de l'industrie et du gouvernement, et cetera.
Nos données en ce qui concerne les technologues en écographie ne sont pas statistiques. Nous constatons un manque de spécialiste dans ce domaine dans chaque province. Des services doivent être fermés de façon intermittente à cause d'un manque de personnel spécialisé. Leur charge de travail va en augmentant. Les ultrasons, qui sont de plus en plus employés, car ils permettentd'effectuer divers examens, notamment d'étudier l'appareil musculosquelettique et les intestins. Chez les technologues spécialisés en ultrasonographie, on a d'ailleurs constaté une épidémie de blessures de l'appareil musculosquelettique,notamment de problèmes du canal carpien et de blessures à la colonne vertébrale, tous des troubles dus à des efforts répétitifs. Nombreux sont ceux qui quittent la profession ou qui passent à temps partiel.
Tout comme pour la profession de radiothérapeute, celle de spécialiste en écographie est principalement composée de femmes. Après un congé de maternité beaucoup décident d'abandonner ou de ne retravailler qu'à temps partiel.
Les radiothérapeutes médicaux sont, de loin, notre groupe le plus important. On en compte environ 10 000 au Canada, dont un quart sera en mesure de prendre sa retraite dans cinq ans.Nous produisons environ 500 nouveaux diplômés par an. Nous manquons très sérieusement de technologues dans les thérapies spécialisées, par exemple, en radiothérapie, en médecine nucléaire et en résonnance magnétique.
On compte 964 radiothérapeutes au Canada et 244 postes sont vacants. Les programmes de formation ne permettent de diplômer que 55 personnes par an.
Nous recommandons que le Canada rejoigne la moyenne des pays de l'OCDE pour ce qui est de l'équipement installé d'imagerie et de radiothérapie. Ce faisant, il faudra ensuitetrouver du personnel pour le faire fonctionner, soit environ1 900 nouveaux technologues.
S'agissant d'équipement, nous sommes très loins derrière la moyenne de l'OCDE sur le plan des appareils d'imagerie médicale installés. Pour ce qui est des installations de thérapie, nous nous situons dans la moyenne. Cela est peut-être dû au fait que dans toutes les provinces, à l'exception du Québec, les radiothérapies du cancer sont assurées par l'organisme provincial plutôt que par les hôpitaux.
La grande partie de notre équipement est vieillissant. Je vous invite à passer à la page 14 de notre mémoire pour prendre connaissance des chiffres en question. C'est surtout du côté des appareils de radioscopie que le bât blesse. Il s'agit d'un équipement ordinaire utilisé dans chaque hôpital. Il est de plus en plus difficile de le faire remplacer. Les hôpitaux se lancent facilement dans des campagnes de financement pour acheter des tomodensitomètres ou des appareils d'IRM mais certainement pas un appareil de radioscopie, qui fait plutôt ringard. La combinaison pénurie de personnel et pénurie de matériel fait que la liste des patients s'allonge.
Dans le plus long des documents que je vous ai remis, je parle d'un article paru dans le Globe and Mail, où il est question d'un centre de Plattsburgh qui a pu s'acheter une nouvelle unité de traitement grâce aux frais d'utilisation payés par le gouvernement du Québec pour tous les patients que la province a dirigés vers ce centre. Il arrive fréquemment, en effet, que des patients du Québec soient envoyés dans l'État de New York pour y subir des traitements coûtant 10 000 $ par personne.
Enfin, je vais dire quelques mots de la recherche, parce que personnel, équipement et recherche vont main dans la main. Au Canada, nous avons été un des premiers pays du monde en matière de mise au point des technologies médicales.
C'est nous qui avons mis au point le traitement du cancer au cobalt-60, dans les années 50. Le marché international pour ce produit continue d'être dominé par une entreprise canadienne, M.D.S. Nordion. Le cobalt-60 a été mis au point par la division médicale d'EACL, qui vient d'être privatisée.
Tous ces progrès médicaux sont importants pour l'économie. La balance des paiements du Canada laisse à désirer du côté des technologies médicales.
L'un des événements importants pour nous, l'année dernière, a été la création des Instituts canadiens de recherche en santéqui ont remplacé le Conseil de recherche médicale. On dénombre 13 instituts virtuels, que j'ai énumérés dans mon document.
J'aimerais vous parler de la façon dont ces instituts sont structurés, en fonction de certaines maladies et de services de santé publique. Je me réjouis de leur existence mais, quant à nous, aucun de ces instituts n'a reçu pour mandat de faire quelque chose du côté des nouvelles technologies, sauf si ces technologies ont un rapport direct avec le cancer, le coeur, les poumons ou le cerveau. Ainsi, si vous voulez mettre au point de nouvelles modalités d'imagerie universelles, vous n'avez pas d'interlocuteur parmi ces instituts.
Le sénateur Morin: Si, les instituts de recherche sur les systèmes de santé.
Dr Johns: Peut-être.
Le sénateur Morin: Mais oui.
Dr Johns: Ça ne semble pas être le cas quand on lit la documentation de l'institut en question.
Le sénateur Morin: Lisez donc le mandat de l'institut et vous verrez que c'est bien le cas.
Dr Johns: J'en ai parlé au Dr Bernstein qui areconnu l'absence d'interlocuteur naturel pour ce qui est des développements dans le domaine de l'imagerie ou dubiomoléculaire.
Au sud de la frontière, la création du National Institute of Bioengineering a été sanctionnée dans la loi. Il fonctionnera en 2002 et aura pour mandat de favoriser le développement technologique.
Je vais maintenant passer à nos recommandations en ce qui concerne le personnel. Tout d'abord, il nous faut plus de monde. Certains programmes obéissent à des contingentements et les postes offerts en résidence sont également contingentés par les provinces. Nous estimons avoir besoin de 25 p. 100 de plus de radiologues en médecine nucléaire et de 50 p. 100 de plus de postes en résidence.
Les choses sont différentes en ce qui concerne les physiciens médicaux. Il n'y a aucune limite quant aux inscriptions et tout le monde peut décider d'embrasser cette carrière. Cependant, encore faut-il trouver une université où un responsable de recherche propose des études dans ce domaine. L'enseignement en physique médicale dépend du financement qu'accordent le RCIRS et le CRSNG dans ce domaine. Il existe donc un lien avec la recherche.
Nous nous réjouissons de voir que le gouvernement fédéral a transféré de l'argent aux provinces pour leur permettre d'investir dans de l'équipement de soins de santé. Malheureusement, il s'agit d'un programme unique qu'il conviendrait d'instaurer à titre permanent. En effet, si le financement est interrompu après quelques années, nous assisterons à un afflux d'équipements au début, avant de nous retrouver dans une situation de pénurie. Cela n'aidera en rien la planification.
Bien sûr, il faut que les provinces rendent des comptes au gouvernement fédéral quant à la façon elles dépensent cet argent. En outre, les provinces devront rendre des comptes à la population.
Pour ce qui est de la recherche, nous recommandons que le RCIRS mette en oeuvre un institut technologique polyvalent, comme celui des dispositifs biomédicaux. Il aurait pour mandat de stimuler la recherche et le développement dans les technolo gies appliquées aux soins de santé, notamment dans les domaines de l'imagerie, de la surveillance, de la radiothérapie et des technologies de traitement guidé par image. Il devrait aussi être appelé à contribuer à la formation des scientifiques dans ce domaine.
Le président: Merci, messieurs
Le sénateur LeBreton: Nous sommes non seulementconfrontés à un problème de vieillissement généralisé de la population, mais aussi à un problème de manque de ressources humaines dans tous les domaines que vous couvrez. Que peut-on faire? Sommes-nous en train de louper le coche du côté du recrutement? Comment allons-vous inciter les gens à embrasser des carrières dans ces domaines et à les y retenir? Serait-ce que nous n'en faisons pas assez pour rendre ces études attrayantes pour les jeunes?
M. Davis: Dans notre profession, nous cherchons à recruter des personnes ayant une orientation technique. Or, la plupart d'entre eux se trouvent dans la haute technologie. Nous sommes très axés sur la technologie. Nous constituons une profession dominée par les femmes, profession qui est donc en concurrence avec les autres du secteur de la santé. Il y a encore des places à combler dans les écoles de formation, partout au Canada. Ce sont des places, dans les actuels programmes de formation, qui ne seront pas remplies cette année. Nous sommes déjà à court d'une bonne centaine de postes pour répondre aux véritables besoins de l'industrie.
À Regina, il n'y a eu aucune inscription dans un programme de cytotechnologie. Normalement, le centre accueille six à huit étudiants par an, mais il n'y a pas encore d'inscrits pour la rentrée de septembre.
Le sénateur LeBreton: Est-ce à cause de notre système d'éducation? Quand j'allais à l'école, les orienteurs essayaient de diriger les élèves vers des emplois porteurs. Il y a quelque chose qui est en train de passer entre les mailles du filet.
M. Davis: De nos jours, les élèves ne vont pas voir les orienteurs scolaires pour leur demander ce qu'ils vont bien pouvoir faire pendant le reste de leur vie. Ils passent leur temps à surfer sur Internet.
Lors d'une rencontre récente de la HEAL Alliance, dont fait partie notre organisation, il a été question entre les organisations partenaires de la nécessité, pour les professions de la santé, de collaborer à la création d'un mégacentre Internet axé sur le recrutement dans nos domaines. Les étudiants pourraient remplir une sorte de mini-questionnaire qui les orienterait vers le meilleur secteur de la santé dans lequel ils pourraient envisager de faire carrière.
Tout le monde ne sera pas médecin ni infirmière. Il existe bien d'autres débouchés dans le secteur de la santé. Il est possible que nous perdions des candidats potentiels parce que nous ne leur fournissons pas suffisamment d'information. Bien des personnes qui se retrouvent dans les laboratoires médicaux y sont arrivées de façon indirecte. L'année dernière, à l'Institut Michener de Toronto - qui offre un programme de formation de trois ans - près de 90 p. 100 des inscrits détenaient déjà un diplôme de premier cycle en science, après quatre années d'études à l'université. Ces gens-là envisagent d'entamer un autre programme de trois ans au niveau collégial.
Dans notre profession, nous sommes sur le point d'exiger un diplôme à l'inscription. Malheureusement, quand on est confronté à une telle crise sur le plan des ressources humaines, on ne peut pas s'attendre à ce qu'une telle position soit bien accueillie. Les étudiants devront passer sept ans sur les bancs de l'université pour obtenir leur diplôme dans un de nos domaines. S'ils sont bien informés sur la carrière dès le début, ils peuvent raccourcir ce temps d'étude, économiser l'argent des contribuables et ne pas s'endetter autant en tant qu'étudiants.
Récemment, on m'a dit qu'il arrive souvent que des étudiants ne sachent pas exactement ce qu'ils veulent faire quand ils s'inscrivent en première année, ce qui est malheureux. Et puis, il y a ceux qui ont déjà imaginé de devenir ceci ou cela et qui, malheureusement, n'ont pas emprunté la bonne voie. Nous avons constaté qu'il fallait déployer un effort concerté afin d'informer les étudiants sur les carrières que nous offrons, avant qu'ils s'inscrivent dans nos programmes.
Le sénateur LeBreton: Puisque vous savez ce qu'il faut faire, disposez-vous d'un plan pour passer aux actes?
M. Davis: Nous sommes en train d'élaborer quelque chose avec notre groupe de professionnels. Nous travaillons aussi avec un sous-groupe de la HEAL Alliance. Nous avons eu une téléconférence à ce sujet la semaine dernière à l'occasion de laquelle nous avons discuté de certains projets initiaux. Nous devrions lancer quelque chose dans le courant de l'année prochaine. Pour être honnête, comme il y a déjà des places vides dans ces programmes, nous sommes en pleine urgence.
Le président: La pénurie n'est pas unique au Canada. Avez-vous examiné ce que font les autres pays industrialisés qui sont aux prises avec les mêmes problèmes?
Pourquoi donc, monsieur Davis, voulez-vous passer d'un programme en technologie de trois ans à un programme universitaire? Je comprends que l'optique est plus intéressante. Nombre d'entre nous autour de cette table sommes d'anciens professeurs d'université. Mais vous allez avoir du mal à nous convaincre que les étudiants en sauront beaucoup plus pour faire le travail après un diplôme universitaire de premier cycle qu'après un diplôme technique de trois ans. Pourquoi compliquer les choses?
C'est ce qui s'est fait dans les soins infirmiers. Cela semble à la mode, mais cela semble aussi aller à l'encontre d'une situation où il y a pénurie de main-d'oeuvre. Qu'en pensez-vous?
Que se passe-t-il ailleurs dans le monde? Il faut bien que nous apprenions des autres.
M. Davis: L'année dernière, à Vancouver, nous avons accueilli le Congrès mondial des technologies médicales, auquel ont participé des représentants venant de 36 pays. Le Canada avait l'air d'être nettement en avance de tous les autres dans la façon de régler ce problème.
Nos homologues américains, eux, semblent s'être endormis au volant. La moitié de leurs programmes sont fermés.
Pour contrer ce que vous avez dit tout à l'heure, il se trouve que le Canada est le seul pays du monde à ne pas offrir de diplôme en technologie de laboratoire médical.
Le président: Ce n'est pas forcément bien.
M. Davis: Mais ce n'est pas forcément mal non plus.
Le président: Ce que je veux dire, c'est que la bonne solution ne consiste pas forcément à jouer les moutons de Panurge.
M. Davis: Ce n'est pas ce que nous faisons. Nous ne suivons pas le mouvement, nous sommes plutôt aspirés par lui. Nous travaillons en partenariat avec des universités dans plusieurs de nos programmes en technologie médicale. Le Dr. Stuart Smith en a parlé lors de notre congrès en 1987. Il a parlé des partenariats que nous pourrions nouer avec les collèges communautaires et les universités.
De nos jours, la majorité de nos programmes qui débouchent sur un diplôme universitaire comportent également un volet collégial. En général, nos programmes comportent une première année d'université suivie de deux années de collège, puis d'une année d'université avec la possibilité de sortir après la troisième année et d'intégrer directement le milieu du travail. Il s'agit d'un programme universitaire typique.
Le président: Autrement dit, vous leur permettez de poursui vre leurs études s'ils le désirent, mais ils n'y sont pas obligés.
M. Davis: Ils sont admis à se présenter à l'examen d'agrément national après la troisième année du programme. Ils peuvent donc obtenir leur agrément tout de suite après la troisième année. C'est ce qu'il leur faut pour obtenir leur licence.
Dr Johns: Tout cela est question de recrutement et de maintien des effectifs. Il faut attirer les gens dans le système, puis il faut s'efforcer de les y maintenir. La concurrence que les entreprises de logiciels se livraient entre elles ces dernières années pour attirer des candidats ont retenu l'attention des diplômés du secondaire, au détriment de la profession de technologue. Nous devons donc être en mesure de livrer concurrence à d'autres secteurs et d'offrir des débouchés intéressants aux gens que nous recherchons.
Vous vouliez savoir pourquoi passer d'un programme menant à un grade à un programme menant à un diplôme? Nos professions deviennent de plus en plus complexes. On demande aux technologues de faire des choses de plus en plus complexes - on ne leur demande plus simplement de pousser sur des boutons.
Le système d'enseignement est-il en retard? Il faut du temps pour modifier le système, et la pénurie de technologues en résonnance magnétique s'explique en partie parce que nous commençons tout juste à offrir un programme de formation ciblé sur leur profession. On ne peut y accéder qu'après une formation de base en radiologie. Nous finirons par en faire un programme que l'on intégrera directement.
Il existe une concurrence au niveau du recrutement entre les médecins et les physicistes, mais cette concurrence est également caractéristique du milieu dans lequel nous évoluons. Au cours des deux dernières années, Cancer Care Ontario a nettement augmenté les salaires offerts aux physicistes médicaux qui étaient davantage attirés par des offres en provenance de l'État de New York. C'était la seule façon d'arrêter l'hémorragie. À présent, on s'attend à ce que l'Ontario fasse la même chose que les Américains auprès des autres provinces pour doter ses nouveaux centres.
Le président: Autrement dit, la Nouvelle-Écosse et d'autres provinces vont avoir beaucoup de difficulté.
Dr Johns: C'est possible, d'autant plus qu'il n'y a pas assez de physiciens à cause de la population réduite.
Vous vouliez aussi savoir ce que font les autres pays. Pour ce qui est des physiciens et de tout autre groupe dont les qualifications sont transférables en vertu de l'ALENA, les États-Unis viennent recruter chez nous. Il est bien connu que le système d'enseignement canadien est bon. En outre, les étudiants diplômés des programmes de physique médicale au Canada remportent proportionnellement plus de prix et de concours en recherche que leurs camarades d'autres pays, ce qui est très gratifiant.
Restent-ils tous au Canada? Il ne s'agit pas sur ce plan d'un problème de salaire. Le facteur le plus important, pour eux, est la possibilité de participer à des recherches de pointe, sur de nouvelles technologies ou nouvelles procédures, et cetera. C'est donc tout le milieu dans lequel ils se retrouvent qui est déterminant. Je pense pouvoir dire que la même chose est vraie pour le groupe des physicistes.
Le sénateur Keon: Docteur Johns, j'aimerais que nous parlions d'un problème canadien que j'ai soulevé de façon régulière au Collège royal pendant le temps que j'ai passé à son conseil. Près de la moitié des matières que nous enseignons à nos étudiants sont désuètes au moment où ils arrivent au diplôme. Les radiologues qui sont formés par le système doivent étudier environ 12 ans avant de pouvoir pratiquer. Je me trompe?
Dr Johns: C'est cela.
Le sénateur Keon: Nous n'exagérons pas un peu quand nous affirmons que la moitié de ce qui leur est enseigné est totalement inutile. Le titulaire d'un doctorat moyen, fait d'abord un bac puis une maîtrise en science suivie de quatre années de doctorat et de deux années d'études post-doctorales, avant de se trouver un emploi. C'est la même chose pour cette personne.
Il nous faut entièrement modifier l'orientation des programmes d'enseignement. Nous devons les raccourcir au début et en intensifier la dimension éducation permanente. Tout d'abord, tous ces programmes sont très chers et il est totalement illogique d'enseigner aux gens des choses qu'ils ne vont jamais utiliser. Qu'en pensez-vous?
Dr Johns: Je suis foncièrement d'accord avec votre analyse des faits. En revanche, je n'arrive pas forcément à la même conclusion. Dans un programme d'enseignement on commence par apprendre à apprendre, puis on acquière un ensemble de données. On suppose que, à la fin de vos études, vous continuerez à apprendre et à mettre vos connaissances à jour. Vous pourriez certes resserrer davantage le contenu des programmes, enseigner moins de choses mais des choses plus actuelles, et accélérer la période d'enseignement. Reste à savoir si vos diplômés pourraient s'adapter, après avoir passé 15 ans dans la profession, ou s'ils utiliseront leurs connaissances jusqu'à ce qu'elles deviennent obsolètes et dépassées. Voilà le danger que vous courez.
Un enseignement cible et restreint présente un autre danger. Si, au bout de trois ans, les diplômés décident qu'ils n'aiment pas le domaine parce qu'ils sont trop limités, quelles possibilités auront-ils de changer d'orientation? Leurs options serontbeaucoup plus limitées que s'ils avaient reçu un enseignement très large dans le domaine médical ou scientifique.
Ce ne sont pas tous les résidents en radiologie ou les résidents en médecine nucléaire qui poursuivent ces carrières pour le restant de leurs jours. Tous les physiciens médicaux n'aboutissent pas dans les domaines de la thérapie ou du diagnostic. Certains se retrouvent dans l'industrie des semi-conducteurs, et l'inverse est également vrai.
Personnellement, je crois que la majorité des gens préfèrent ce genre de souplesse.
M. Davis: Ces dernières années, notre système d'éducation s'est désintéressé de l'enseignement de toutes les techniques terminant en «ologie» pour enseigner les sciences. Si vous comprenez les bases scientifiques, vous êtes en mesure de vous adapter aux changements.
Pour cela, nous avons dû adopter dans nos professions une approche radicalement différente en matière d'éducation et de formation. Voilà qui explique en partie le changement de cap que nous voulons effectuer pour passer à un programme débouchant sur un diplôme.
Toutes les technologies que j'ai étudiées ont été dépassées bien des fois avant que j'arrive au diplôme, le glucose lui-même a changé six fois pendant que j'apprenais comment en produire dans un bain d'eau bouillante.
Le sénateur LeBreton: Ma question s'adresse auDr St. Denis. Je ne peux parler qu'en ce qui concerne l'Ontario, mais est-ce que le régime d'assurance santé de cette province couvre les soins chiropratiques?
Dr St. Denis: En partie.
Le sénateur LeBreton: Est-ce ainsi dans toutes les provinces?
Dr St. Denis: Non, on peut même affirmer que les provinces à l'ouest de l'Ontario assurent une certaine couverture des soins chiropratiques. En revanche, rien n'est assuré dans les Maritimes ni au Québec.
Le sénateur LeBreton: Sans entrer dans le détail, pourriez- vous me donner une idée du pourcentage de patients dont vous vous occupez en Ontario et qui sont couverts par le RAMO?
Dr St. Denis: Vous voulez savoir quel pourcentage de mes frais professionnels sont remboursés par le RAMO? Je dirais 30 à 40 p. 100.
Le sénateur LeBreton: Vous disiez que vous ne pouvez pas travailler en milieu hospitalier. Si vous avez un patient qui a été hospitalisé et que le RAMO rembourse les soins que vous lui prodiguez, vous ne pourriez pas exercer dans cet hôpital? Comment justifier cela? Votre association a-t-elle essayé de modifier cette règle?
Dr St. Denis: Nous sommes même passés à la télévision pour condamner cette situation. Nous avons fait tout ce que nous pouvions faire, mais on nous a opposé une fin de non-recevoir. C'est ainsi. Je peux toujours rendre visite à un patient en prétendant être son cousin. Nous n'avons pas le droit d'aller dans un hôpital en tant que chiropraticien soignant et de traiter une douleur lombaire provoquée par le fait que le malade sera resté longtemps alité.
Le sénateur LeBreton: Parlons de système de santé intégré. Si vous avez un patient qui a été admis à l'institut cardiaque du Dr Keon et qui souffre d'un mal de dos, je trouverais tout à fait logique que vous puissiez le traiter pour un état qui lui a déjà valu d'être votre patient.
Dr St. Denis: Je suis d'accord avec vous.
Le sénateur LeBreton: La situation actuelle me semble illogique.
Le sénateur Fairbairn: Plusieurs des questions que je voulais poser l'ont déjà été et vous y avez répondu. Je suis en train d'examiner le mémoire des radiothérapeutes. Est-ce que ces emplois sont bien payés?
Comment se fait-il, étant donné qu'on a autant besoin de gens dans ce domaine, qu'il y ait autant de places de libres et d'emplois vacants? Étant donné la nature de ces emplois, j'aurais penser qu'ils intéressent davantage les jeunes désireux d'entrepr endre des études universitaires. Comment se fait-il que les vannes ne soient pas ouvertes à fond? Est-ce la durée des études qui est rébarbative? Que pouvez-vous nous dire à ce sujet?
Dr Johns: Je ne pense pas que cette profession soit particulièrement bien payée. D'une façon générale, aucuntechnologue n'est bien rémunéré, quel que soit son secteur d'activité.
En outre, le travail peut être particulièrement stressant et exigé que l'on fasse des quarts. Pour toutes ces raisons, plusieurs technologues du domaine médical travaillent à temps partiel. Tout cela peut être décourageant. Ainsi, un élève du secondaire qui s'entretiendra avec un spécialiste du domaine entendra peut-être parler des aspects négatifs et aura peut-être plus envie d'aller apprendre le JAVA dans un collège communautaire. Il demeure que ce genre d'emploi peut être très intéressant, parce qu'on travaille au contact des gens, dans un domaine scientifique. L'imagerie est naturellement très intéressante pour bien des gens.
Le sénateur Fairbairn: Et c'est une profession importante.
Dr Johns: C'est vrai. Elle peut fort bien attirer de nouveaux venus. Tout dépend de la façon dont elle est présentée et de la manière dont le milieu de travail est perçu dans la société. Les infirmières ont suscité la compassion du public, à cause de leur milieu de travail. On se préoccupe par ailleurs de ce qui se passe dans le domaine de la radiothérapie médicale.
Certains problèmes du milieu sont dus à la façon dont les hôpitaux sont administrés. On constate actuellement unediminution du nombre de postes offerts à temps plein.
Le sénateur Fairbairn: Que se passe-t-il du côté des hôpitaux? Cette formule leur permet-elle de réduire la masse salariale?
Dr Johns: Les avantages sociaux coûtent moins chers dans le cas des employés à temps partiel. Cette situation règne depuis plusieurs années et il faut du temps pour changer les choses.
Les hôpitaux - du moins dans cette province - essaient de composer avec les conséquences des regroupements qu'on leur a imposés, si bien que ce problème est tout en bas de leur liste de priorité.
M. Davis: Les employeurs ont profité du surplus detechnologues et nos membres ont fait les frais des réductions d'effectifs des années 90. Comme dans le secteur des soins infirmiers, les hôpitaux ont réduit le nombre de postes à temps plein et ont subdivisé les emplois à temps plein en emplois à temps partiel, parce que cela leur confère une meilleure souplesse sur les plans de l'organisation et de la planification.
Nous arrivons toutefois au bout de cette logique parce que les employés à temps partiel sont maintenant intégrés dans des postes à temps plein. Désormais, la demande est supérieure à l'offre. Les employeurs sont en difficulté, même en très grande difficulté. C'est particulièrement le cas en Colombie-Britannique, à cause de l'approche adoptée dans les années 90. Les employeurs, là-bas, le payent cher.
Le sénateur Fairbairn: Dans votre mémoire vous parlez de la nécessité, pour le Canada, de se hausser aux normes de l'OCDE dans le cas des importantes pièces d'équipement, comme les tomodensitomètres. Dans ma ville, nous n'avons pas attendu que quelqu'un nous livre un IRM. Nous avons récolté l'argent nécessaire, à l'occasion d'une campagne à l'hôpital local et d'un téléthon, pour nous le payer. La même chose se produit ailleurs. Les gens veulent disposer de certains équipements dans leur collectivité pour ne pas avoir à franchir d'importantes distances pour subir des tests ailleurs. Ne pensez-vous pas qu'il risque d'être difficile pour vous, à un moment donné, de trouver du personnel pour exploiter cet équipement?
Dr Johns: Oui.
Le sénateur Fairbairn: Autrement dit, une ville pourrait se procurer ce genre d'équipement mais ne trouver personne pour l'exploiter.
Dr Johns: Le financement de toutes ces choses-là est fort complexe. Les collectivités peuvent recueillir de l'argent pour acheter le matériel, mais il faut encore convaincre la province de payer les 10 ou 30 p. 100 annuels que représentent les coûts d'exploitation. Des fonds sont nécessaires pour entretenirl'équipement, pour payer le personnel et défrayer les frais professionnels intervenant à l'étape de l'interprétation des examens.
Vous pouvez toujours avoir l'équipement, mais vous risquez de ne pas avoir les budgets nécessaires pour le faire fonctionner. Le cas échéant, il vous faudra aller puiser l'argent dans un autre budget de l'hôpital.
Le président: Nous avons eu un exemple du genre à Ottawa, l'année dernière. L'Hôpital d'Ottawa disposait d'une machine très perfectionnée, mais la province n'a pas voulu assumer les frais d'exploitation. Les patients d'Ottawa devaient donc se rendre à Montréal pour bénéficier des services d'une machine identique. L'absurdité de la situation a été transportée sur la scène politique et, finalement, la province a débloqué les fonds nécessaires pour permettre l'utilisation de cet équipement.
Le sénateur Morin: Il faut cependant tenir compte du point de vue du gouvernement. Il ne s'attend pas à ce que cet équipement soit acheté grâce à des dons et, par conséquent, il n'a pas prévu les budgets nécessaires pour en assurer l'exploitation. Il y a donc les deux côtés à considérer.
M. Davis: Peu importe, sans technologue correctement formé pour exploiter ce matériel - que ce soit dans un laboratoire médical ou dans un centre de traitement - tout l'aspect diagnostique du système de soins de santé va complètement dérailler.
Le sénateur Fairbairn: Voilà une drôle de façon de conduire une entreprise scientifique de nos jours, ce que nous sommes censés faire.
J'ai une question à l'intention du Dr St. Denis. Lespréoccupations que vous avez si bien exprimées dans votre mémoire ne sont pas nouvelles. Il a toujours été difficile de faire accepter les avantages de la chiropractie par le système officiel. Que devez-vous faire pour que les gens vous perçoivent plus positivement et qu'on vous ouvre les portes des hôpitaux?
J'ai des disques intervertébraux, au niveau des lombaires, qui sont en train de se détériorer. Personne ne m'a dit d'aller voir un chiropraticien. Vous pourriez sans doute me régler cela en quelques minutes.
Le président: Ça, c'est une consultation privée.
Le sénateur Fairbairn: Je n'aurais pas besoin de prendre d'anti-inflammatoires parce que je transporte mes bagages un peu partout au pays.
Je me demande comment nous pourrions parvenir à faire en sorte que les gens que vous représentez dans votre association soient intégrés dans ce système que nous souhaitons intégrer?
Dr St. Denis: C'est une des raisons pour lesquelles nous sommes ici. Contrairement aux autres, nous ne voulons pas demander plus d'argent. Nous voulons simplement qu'on utilise mieux ce que nous avons à proposer.
Pour répondre à votre question, il est vrai qu'il existe des façons dont on pourrait nous intégrer au système. On pourrait commencer par renseigner les futurs médecins au niveau de l'université. L'Université Dalhousie a effectué une étude il y a deux ans et a constaté que six écoles de médecine sur dix offrent un petit cours obligatoire sur la chiropractie. Il faut offrir davantage de recoupement du genre. Ça aiderait. De plus, nous faisons de la publicité et jouons sur le bouche à oreille. Nous le faisons en permanence.
Nous sommes ici pour parler d'intégration. Eh bien, nous pouvons vous fournir des données à cet égard et vous prouver que des gens ont délibérément choisi la chiropractie pour se faire traiter et que la médecine chiropratique constitue une discipline nécessaire et appréciée. Dès lors, comment travailler ensemble? Comment faire en sorte que le système fonctionne?
Le sénateur Callbeck: Je vais enchaîner sur ce que vousvenez de dire. Les services chiropratiques sont remboursés par l'assurance maladie, dans une certaine mesure, par six provinces. C'est exact?
Dr St. Denis: Oui, jusqu'à un certain montant.
Le sénateur Callbeck: Est-ce que la majorité des régimes privés d'assurance défraient les services de chiropractie?
Dr St. Denis: La plupart d'entre eux, jusqu'à concurrence de 300 $ ou 500 $, moyennant une franchise de 25 $.
Le sénateur Callbeck: Je veux poser une question sur les technologues de laboratoires médicaux. Est-ce que les progrès de la technologie ont un effet sur le nombre de technologues nécessaires? Autrement dit, avons-nous besoin de moins de technologues à cause des progrès de la technologie?
M. Davis: Ce serait bien que, grâce à la robotique et à la technologie en général, nous ayons à former moins de gens. Cependant, la technologie est devenue plus complexe et nous faisons de plus en plus de tests. Si, avant, on nous commandait un test diagnostique ou deux, maintenant on nous en commande une bonne dizaine si ce n'est plus et ils sont de plus en plus complexes. On songera, par exemple, au test de la troponine T, utilisé pour les évaluations cardiaques dans les services d'urgence. Il y a cinq ans, on n'aurait jamais imaginé que ce test puisse être aussi «courant» qu'aujourd'hui. On ne l'a pratiqué que dans le milieu de la recherche. Personne n'aurait pu dire quand il allait être mis en pratique. Eh bien, aujourd'hui, c'est un test de routine dans la plupart des grands centres médicaux.
À la faveur de l'automatisation et de l'améliorationtechnologique, on nous confie de plus en plus de choses. Le test qui, chez les messieurs, est l'équivalent du test Pap, et qui est exclu de la majorité des régimes d'assurance santé, est de plus en plus pris en compte par le système des soins de santé un peu partout au Canada.
Le président: Merci, beaucoup, messieurs, d'avoir répondu à notre invitation.
La séance est levée.