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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 30 - Témoignages


WINNIPEG, le lundi 15 octobre 2001

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 9 h 05 pour étudier le système de soins de santé au Canada.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Sénateurs, nous sommes ici aujourd'hui pour entendre des réactions concernant le document intitulé «Questions et options», qui, comme la plupart des gens le savent, je crois, a été rendu public il y a environ un mois. Au moment où nous entreprenons une tournée qui nous conduira dans toutes les provinces au cours des quatre prochaines semaines, nous avons aujourd'hui parmi nous une série de témoins de Winnipeg.

Notre premier témoin est Mme Linda West de l'Asper School of Business de l'Université du Manitoba. Merci de comparaître devant nous pour présenter votre témoignage. Nous espérons que vous allez commencer par un résumé de vos commentaires, après quoi nous allons inévitablement vouloir vous poser diverses questions. Merci d'avoir pris le temps d'être parmi nous ce matin.

Mme Linda West, professeure, Asper School of Business, Université du Manitoba: Être ici est pour moi un privilège et un honneur.

Cet été, j'ai aussi eu l'occasion d'effectuer un voyage en France. Il est difficile d'aller faire des recherches dans un pays étranger. Mes commentaires, je voudrais vous les présenter par l'entremise d'une famille bien réelle. Permettez-moi de vous présenter un couple, soit Jean-Luc et Maria. Ils sont au milieu de la quarantaine et ont deux jeunes enfants. Jean-Luc et Maria vivent à Grenoble, ville des Alpes françaises où habitent environ 600 000 personnes.

Jean Luc exploite un petit hôtel, tandis que Maria enseigne dans une école publique. Ils sont tous les deux actifs au sein de leur collectivité.

Interrogés au sujet du système de soins de santé en France, ils vous diront qu'il est bon. Maria a accouché dans un centre privé. À l'instar de toutes les femmes qui accouchent en France, elle a eu droit à trois journées d'hospitalisation garanties. Il y a quelques mois, Jean-Luc a subi une intervention chirurgicale au genou dans une clinique privée. Il n'a pas dû attendre de consulter un médecin de famille. Il n'a pas dû attendre de consulter un spécialiste. Il n'a eu à attendre ni pour les tests ni pour l'intervention. Le jour de l'intervention, chacun connaissait son nom, et la clinique était meublée comme une maison, et non comme un hôpital. Il s'y est tout de suite senti très à l'aise. À 18 heures, il a reçu son congé, et il a rencontré le physiothérapeute dès le lendemain. Les visites répétées au physiothérapeute ont semblé jouer un rôle clé dans sa récupération physique, en plus de lui donner l'assurance que sa convalescence se déroulait normalement.

Pendant l'interview, j'ai appris que la mère de Jean-Luc se remettait du cancer. Il y a environ deux ans, elle a commencé à éprouver des douleurs à l'abdomen. Un matin, elle a eu de la difficulté à sortir du lit. Elle a donc décidé de réagir. Quelques minutes plus tard, son médecin de famille est arrivé chez elle. Très inquiet, il a demandé une ambulance par téléphone pour la mère de Jean-Luc, et l'a rejointe à l'hôpital.

Le même jour, la mère de Jean-Luc a vu un spécialiste, a subi de nombreux tests, y compris un scanner. Le lendemain, on l'a opérée aux intestins. Elle n'a jamais eu à attendre pour les examens de suivi.

Le système de santé de la France est venu au premier rang parmi 190 pays évalués par l'Organisation mondiale de la santé. L'enquête a porté sur cinq critères: premièrement, l'état général de santé de la population; deuxièmement, les iniquités entre habitants dans le domaine de la santé; troisièmement, la faculté de réponse du système de santé; quatrièmement, la qualité des services offerts aux divers groupes économiques; et, en dernier lieu, la répartition des coûts. Dans cette enquête, le Canada est arrivé au trentième rang.

L'une des principales conclusions du classement de l'Organisation mondiale de la santé, c'est que le fait de consacrer de colossales sommes d'argent n'est pas gage de réussite. Le système de santé des États-Unis, à titre d'exemple, accapare une proportion du produit intérieur brut plus grande que celle de tout autre pays, mais les États-Unis n'arrivent qu'au 37e rang. Environ le tiers de ses habitants ne sont pas assurés ou le sont mal. Le Royaume-Uni consacre une part beaucoup moins grande de son PIB aux services de santé et vient pourtant au 18e rang. Cependant, le système est en proie à quelques problèmes, notamment de très longues listes d'attente et l'insatisfaction des patients et des fournisseurs de soins.

La France a opté pour une solution mitoyenne. Le système de santé français repose sur un régime national d'assurance-santé universel et obligatoire lié à l'emploi et financé par les employeurs et les employés, ce qui assure une dissociation entre acheteurs et fournisseurs. Dans le domaine des soins de santé, le gouvernement a défini un cadre dans lequel les hôpitaux publics et privés coexistent de manière à assurer à la population un accès facile aux traitements requis.

Dans ce cadre, l'emplacement, l'expansion et les importants investissements dans le matériel médical des hôpitaux publics et privés doivent être approuvés par le gouvernement. Pour chacune des spécialités médicales, il existe un indice lit-population qui a un impact direct sur les approbations.

Le moment venu de choisir entre les systèmes de santé privé et public, les citoyens disposent d'une marge de manoeuvre quasi-absolue et n'ont pas besoin de passer par un médecin. Les organismes chargés des accréditations et des évaluations sont indépendants du gouvernement. Les listes d'attente sont rares.

Le système français et équitable pour les Français défavorisés, qui n'assument que 26 p. 100 des coûts. À 200 $ par personne par année, notre système est plus coûteux. En moyenne, nous assumons 30 p. 100 des coûts en assurance additionnels.

L'espérance de vie corrigée en fonction des risques d'incapacité est plus grande en France qu'au Canada. Au Canada, elle s'établit à 72 ans, contre 73,1 an en France. Quant à l'espérance de vie, elle est à peu près la même, les Françaises vivant plus longtemps que les Canadiennes. Cependant, elles vivent sans incapacité pendant un peu plus de un an.

En France, la cohabitation des secteurs public et privé dans les domaines du financement et de la prestation des soins de santé repose sur le principe du pluralisme, c'est-à-dire l'encouragement de la diversité organisationnelle, qu'elle soit axée sur la complémentarité, la compétitivité ou les deux.

Le directeur général de la Santé, Lucien Abenhaim, est convaincu que c'est ce mélange et cette souplesse qui expliquent que la France est en mesure d'offrir plus de services que le Canada, à un coût moindre. Je tiens à souligner que M. Abenhaim possède la double citoyenneté. Sa capacité de comparer les deux systèmes ne fait donc aucun doute.

Le fait que la France fasse partie de l'Europe n'est pas sans conséquence. Le continent se caractérise par une solide tradition de partage d'information et de stratégies. Aux cinq premiers rangs du classement de l'Organisation mondiale de la santé, on retrouve des pays européens.

La vision européenne de la santé pour tous, qui date de 1984, suppose un changement d'orientation radical, de valeurs implicites à des cadres éthiques clairs, des intrants des soins de santé aux résultats pour la santé, d'une politique autocentrée à une politique d'ouverture, de l'administration bureaucratique à l'orientation et au soutien stratégiques, du contrôle et de la réglementation au consensus et à la responsabilisation. Vous constaterez que, en 2000, l'Europe avait accompli un progrès considérable le long de ce continuum et récolté des réussites majeures.

Le président: Je vous remercie beaucoup.

Nous allons maintenant entendre notre deuxième témoin, M. Peter Holle, avant de poser des questions aux deux intervenants.

M. Peter Holle, président, Frontier Centre for Public Policy: Merci de l'occasion que vous me donnez de vous faire part de certaines réflexions au sujet de l'avenir du système de santé du Canada. Nous partageons la volonté des citoyens de préserver et d'élargir le système de santé actuel, qui repose sur le principe du financement public et de l'accès universel. Aujourd'hui, j'aimerais dire un mot de deux modèles différents qui donnent de bons résultats dans deux pays étrangers.

Le premier modèle, soit celui de la Suède, subit des améliorations et des ajustements depuis 1991. Les Suédois sont parvenus à améliorer leur système de santé grâce à l'adoption de ce qu'on a appelé la «division entre acheteurs et fournisseurs». Les gouvernements régionaux, en particulier le Grand conseil de Stockholm, ont dissocié l'achat de services de la prestation de services. Dans les faits, la mesure a mis un terme au monopole que le secteur public a, pendant des années, exercé sur la prestation de services. En tant qu'acheteur, le gouvernement a demandé des soumissions sur la prestation de services aux secteurs public et privé. Le cadre concurrentiel qui en est résulté s'est soldé par des gains de productivité considérables, lesquels ont entraîné une réduction des coûts de la prestation doublée d'une augmentation de la qualité des services.

En 1991, l'administration régionale de Stockholm a vendu son plus important centre hospitalier d'urgence médicale à une société privée et a utilisé les coûts de prestation moins élevés comme point de repère pour établir des comparaisons avec les hôpitaux publics concurrents. Le coût des services de l'établissement privé est de 15 à 20 p. 100 inférieur à celui des établissements publics. On a maintenant converti six hôpitaux publics en sociétés faisant un appel public à l'épargne. Ce n'est qu'une question de temps avant qu'un plus grand nombre d'établissements ne soient vendus au secteur privé.

Les syndicats des professionnels de la santé, en particulier celui des infirmières, sont favorables à la transition vers le modèle concurrentiel. Ils ont constaté qu'ils exercent un pouvoir de marché plus grand lorsque plus d'un acheteur s'intéresse à leurs services. Les infirmières s'associent aux cliniques privées en tant qu'employées-propriétaires et participent à la réorganisation du milieu du travail pour accroître l'efficience. Ces gains ont été répartis entre, d'une part, le gouvernement qui achète les services et, d'autre part, les fournisseurs de services de santé, sous forme d'augmentations de salaire ou de milieu de travail amélioré. Entre 1995 et 1999, la dynamique concurrentielle a permis aux infirmières de hausser leur salaire de 26 p. 100, taux d'augmentation salariale le plus élevé au pays.

Le modèle qui consiste à mettre en concurrence des fournisseurs privés et publics dans un cadre de financement public produit des gains d'efficience spectaculaires. Tandis que le monopole public des soins de santé dans chacune des provinces a affaibli les incitatifs à l'innovation et à l'efficience, le modèle suédois a, relativement à divers services, généré des économies de 10 à 50 p. 100. Je vais donc résumer la principale leçon à tirer du modèle suédois, en particulier dans la région de Stockholm: dans un modèle axé sur le financement public, la concurrence peut produire une situation qui ne fait que des gagnants, au profit des fournisseurs de services de soins de santé et des consommateurs.

Voici comment on peut schématiser le modèle suédois de division acheteur-fournisseur: premièrement, le gouvernement demande à des fournisseurs publics et privés des soumissions pour la prestation de services. Il ne favorise ni l'un ni l'autre secteur; il agit de façon neutre. Deuxièmement, la question de savoir à qui appartiennent les installations n'est pas un facteur pertinent; c'est le fournisseur le plus novateur et le plus efficient, qu'il soit du secteur public ou du secteur privé, qui fournit le service. Troisièmement, on impute depuis 1970 des droits d'utilisation pour toutes les visites à un centre ou à un fournisseur de services de soins de santé. Les personnes à faible revenu et les personnes atteintes d'une maladie chronique sont exemptées. Ces droits sont considérés comme un mécanisme efficace pour décourager l'utilisation frivole du système. Quatrièmement, on prépare de l'information haut de gamme sur l'établissement des coûts et les listes d'attente pour permettre la prise de décisions de qualité. Les délais d'attente pour les procédures et les centres divers sont affichés sur Internet. Les consommateurs ont accès à cette information, ce qui leur donne la possibilité d'éviter les centres où les listes d'attente sont longues.

J'ai joint à mon mémoire quelques documents d'information fournis par Johan Hjertqvist, spécialiste de la réforme de la santé, qui conseille l'administration de Stockholm et fait partie du conseil consultatif sur les politiques du Frontier Centre.

En concluant mes remarques au sujet de la Suède, je souligne que le gouvernement travailliste de la Grande-Bretagne que dirige Tony Blair, étudie de près le modèle de division acheteur-fournisseur axé sur la concurrence en vigueur à Stockholm, dans l'intention de l'adopter.

Le deuxième modèle que j'aimerais mettre en lumière au profit des membres du comité est celui qui a permis au régime de Singapour de devenir l'un des systèmes de santé les mieux cotés du monde. Il pousse le modèle de division acheteur-fournisseur à son extrême limite. En vertu du cadre stratégique, la prestation de services est entièrement dissociée de leur financement. Le gouvernement a pour rôle d'obliger les consommateurs à mettre de l'argent de côté dans des comptes d'épargne médicale pour l'achat de services de santé. La plupart des services sont privés, les derniers hôpitaux publics étant en voie de privatisation. Il n'y a pas de listes d'attente. Le gouvernement n'affecte que 2,7 p. 100 du PIB aux soins de santé. Le gouvernement facilite la prestation de services aux personnes qui ne sont pas en mesure de conserver des fonds suffisants dans leur compte d'épargne médicale.

Le Frontier Centre a proposé un modèle analogue au modèle de compte d'épargne médicale de Singapour, qui remporte un franc succès. Voici comment cela fonctionnerait. Au début de chaque exercice, les autorités de la santé déposeraient la part du budget de la santé qui revient à chaque citoyen dans un compte de banque dédié au nom de la personne en question. Chaque titulaire d'un compte pourrait accéder à ces fonds au moyen d'une carte de débit électronique. On ne pourrait effectuer de retrait dans le compte que pour payer des services médicaux. Les événements mineurs et non tragiques exigeant une visite à la clinique ou chez le médecin seraient débités directement, par voie électronique, du compte d'épargne médicale personnel de l'intéressé. Les particuliers souhaitant se mettre à l'abri d'événements catastrophiques pourraient acheter une assurance auprès de compagnies en concurrence. L'argent non dépensé serait reporté sur l'année suivante, et les fonds fructifieraient à l'abri de l'impôt dans le compte du titulaire, toute sa vie durant, jusqu'à ce que ce dernier atteigne un montant prédéterminé suffisant pour créer un flux de revenus suffisants en cas d'urgence médicale future. Les fonds demeureraient la propriété du consommateur ou de sa succession. Les cas particuliers, par exemple qui concernent la petite minorité de personnes dont les fonds s'épuiseraient ou qui ont des besoins particuliers, sont traités à part, grâce à une aide additionnelle du gouvernement.

En vertu d'un tel modèle, les consommateurs seraient en mesure de choisir entre une diversité de fournisseurs de services, y compris les centres publics et privés. Le gouvernement renverserait ainsi des décennies d'une politique qui s'est soldée par de grands fournisseurs de services gouvernementaux qui sont inefficients. On reconvertirait les établissements de santé en sociétés de participation aux bénéfices, en d'assurance et en organismes de bienfaisance comme les Soeurs grises et l'Armée du salut.

L'élimination du monopole de la prestation de services est la réforme clé du modèle de la Suède ou de Singapour que j'ai présentés ici. Le débat qui entoure la question de la prestation par le secteur privé ou par le secteur public est, à nos yeux, un faux-fuyant. Le véritable moteur de l'excellence, soit l'innovation et l'adaptation aux besoins des consommateurs, donne au citoyen consommateur la capacité de choisir dans un cadre où sont offerts des modes de prestation de services concurrents. Les deux modèles décrits ci-dessus permettraient d'y parvenir, tout en réservant l'idéal canadien qui représente le financement public et l'accès universel.

Le président: Je voulais vous poser à tous deux une question qui reprend un élément des commentaires de M. Holle sur l'exemple de la Suède. Les souvenirs que je garde à ce sujet sont un peu vagues. Je vais donc avoir besoin de votre aide.

Si je comprends bien, il y a eu, pendant la majeure partie des années 90 et peut-être même une partie des années 80, trois cliniques privées qui ont exercé leurs activités à Winnipeg. Par la suite, un certain pourcentage des contributions en espèces du gouvernement fédéral aux soins de santé a été retenu, essentiellement à titre de pénalité, parce que les cliniques en question imputaient des frais d'utilisation. Puis, en 1998 ou en 1999, le gouvernement provincial a commencé à faire l'achat de services auprès des cliniques. En un sens, ces cliniques ne traitaient donc plus de patients à titre privé. Je crois même que l'une d'entre elles a en fait été achetée par le gouvernement fédéral au cours des deux ou trois dernières années.

Voici donc ma question: dans quelle mesure ce récit est-il exact? Pouvez-vous nous donner une idée de l'historique avant que le gouvernement ne décide de prendre les services à sa charge? J'ai l'impression que les trois cliniques initiales s'apparentaient de très près au modèle suédois évoqué par M. Holle. Si je suis totalement dans l'erreur, n'hésitez pas à me le dire. Je m'inspire simplement d'un souvenir un peu vague. Vous avez des commentaires à ce sujet?

Mme West: Votre mémoire est très bonne, dans la mesure où il y avait effectivement trois cliniques chirurgicales au Manitoba. La vérité, c'est que, comme la plupart des cliniques de médecins sont en réalité privées, nous versons une rémunération à l'acte pour la quasi-totalité des services offerts dans la province.

Le président: Les cliniques appartenaient aux médecins?

Mme West: Oui, les trois établissements chirurgicaux appartenaient à des médecins. Ce qu'il y a d'intéressant, c'est que les cliniques qui imputaient ce qu'on appelait des «droits d'établissement», lesquels tendaient à être un peu plus importants, soient de l'ordre de 60, 80, 150, 200 et 500 $ ont été pénalisées par le gouvernement fédéral. La province a été pénalisée. On a récupéré une partie des fonds transférés.

Par conséquent, le gouvernement de l'époque a décidé de payer directement ces frais pour éviter les mesures de récupération appliquées par le gouvernement fédéral et s'amender au vu de la Loi canadienne sur la santé. Le gouvernement fédéral a complètement fait fi d'un grand nombre de frais dits de «fournitures médicales», lesquels tendaient à s'établir à 10, 20, 30, 40 et 70 $, et on continue aujourd'hui d'imputer ces frais. Ils se portent très bien au Manitoba comme dans la plupart des provinces.

Le président: Je n'ai jamais entendu l'expression. Que sont les frais de fournitures médicales?

Mme West: On impute des frais de fournitures médicales pour les sutures et le petit matériel et peut-être aussi pour tout ce qui a rapport à la «scopie», que les cliniques privées du Manitoba pratiquent beaucoup. Il est très intéressant de constater où les traits sont tirés dans tout cela, ce que le gouvernement fédéral pénalise et ne pénalise pas, et comment les citoyens réagissent. Maintenant que les droits d'établissement sont clairement illégaux, le nombre de frais de fournitures médicales augmente parce que c'est tout ce qui reste.

Le sénateur Pépin: Pourriez-vous me donner un exemple? Imaginons que je me rende chez un chirurgien. Devrai-je payer les frais de fournitures médicales à l'occasion de ma première visite ou de chacune de mes visites au cabinet? Comment les choses se passent-elles?

Mme West: Chaque fois qu'il y a utilisation, oui, c'est vrai. Souvent, on impute aux patients des frais d'utilisation ou des frais additionnels, peu importe le nom qu'on leur donne, quand on leur fait subir des tests, toute une batterie de tests. Si les médecins font effectuer de tels tests dans leur bureau, on impute ce qui est souvent qualifié de «frais de fournitures médicales». Ces frais se portent assez bien merci.

Le sénateur Pépin: Au Québec, on impute des frais - et peut-être que mon collègue, le sénateur Morin, pourra me corriger si je me trompe, pour les visites chez l'ophtalmologiste. On doit payer, je ne sais trop, 20 ou 30 dollars. S'agit-il du même genre de services?

Mme West: Il s'agit tout à fait du même genre de services. Franchement, le système de santé ne pourrait pas fonctionner autrement. Si les médecins ne pouvaient vous imputer de tels frais, les patients concernés seraient tous refoulés vers les hôpitaux ou les cliniques externes, et nous ne serions pas en mesure de faire face à la demande. Il faut trouver un moyen d'assumer ces coûts. À l'heure actuelle, il n'y a pas de méthode qui permette l'imposition de droits d'utilisation, et c'est pourquoi les médecins facturent les patients.

Le président: S'agit-il d'un droit d'utilisation simplement coiffé d'un nom différent?

Mme West: Oui, c'est un droit d'utilisation qui s'appelle autrement.

Le président: C'est un droit d'utilisation. M. Holle, je n'avais pas l'intention de digresser, mais il s'agit à mes yeux d'un exemple très intéressant de la réalité qui se vit sur le terrain et dont, dans les tours d'ivoire d'Ottawa, on n'entend pas nécessairement parler.

M. Holle: Ce qui est encore plus intéressant, me semble-t-il - je ne sais pas si les membres du comité sont au courant -, c'est que le Manitoba consacre plus aux soins de santé par habitant que toute autre administration canadienne. Nos dépenses sont supérieures de 20 p. 100 à la moyenne canadienne. Si vous ajoutez le genre de droit d'utilisation détournés dont il est ici question sans oublier un système qui, pour une province pauvre, est techniquement surfinancé, je pense qu'on a la confirmation qu'on aura beau injecter des tas d'argent, la situation ne s'améliore pas du tout, comme le montre bien l'exemple du Manitoba. La preuve est faite, je crois, que les listes d'attente ne raccourcissent pas.

Mme West: Si je puis me permettre d'ajouter à ce que vient de dire mon collègue, nous avons constaté une augmentation de 22 p. 100 du budget total de la santé au cours d'une période de deux ans, ce qui représente une tendance absolument intenable. À la suite de cette augmentation, la province est, par habitant, celle qui, au Canada, dépense le plus dans le domaine de la santé. Malgré tout, nous avons des listes d'attente qui, selon le Fraser Institute - franchement, je ne cite pas souvent le Fraser Institute, mais nous n'avons pas d'autres chiffres -, oscillent en moyenne entre 5,9 et 9,4 semaines. Relativement à un large éventail de services, la durée des périodes d'attente n'a pas tout à fait doublé, mais elle a augmenté d'environ 40 p. 100.

Le président: Malgré cette augmentation - je me souviens d'avoir vu des données publiées, je pense, par la Colombie- Britannique - l'argent n'est pas allé aux travailleurs de première ligne puisque vos infirmières comptent parmi les moins bien payées au pays, n'est-ce pas.

Mme West: Oui. Nous sommes passés au huitième rang. Après le dernier règlement, nous étions troisièmes.

Le président: Vous veniez au troisième rang?

Mme West: Oui, mais le coût des règlements successifs a été supérieur à ce que nous avons réalisé. L'argent ne va donc pas aux infirmières. Le groupe médical a également bénéficié d'augmentations substantielles. Je pense que les généralistes ont eu droit à une augmentation de 18,4 p. 100, mais tous les autres règlements intervenus depuis, par comparaison, font mal paraître ce pourcentage. À l'heure actuelle, on annule bon nombre de mesures correctives qui avaient été prises.

Le sénateur Morin: Où va donc l'argent additionnel?

Mme West: Franchement, nous avons toute une bureaucratie. Si vous voulez mon avis, nous sommes dotés d'une grosse et merveilleuse bureaucratie dotée d'une forte capacité de gaspiller de l'argent.

Si on veut une bonne bureaucratie, il suffit de créer quelque chose de simple et direct. Prenez l'exemple de McDonald. La société est dotée d'une merveilleuse bureaucratie. Les hamburgers sont tous faits de la même manière, la paille est glissée dans la serviette, et on la fait passer par la fenêtre de manière identique. C'est le genre de choses qu'on ne peut bureaucratiser. Il n'en va pas de même pour un monde techniquement difficile, en proie à des mutations constantes.

Laissez-moi vous donner un exemple. Un groupe d'infirmières a souhaité qu'on modifie un formulaire parce qu'elles avaient commis une erreur, l'ont reconnu et ont voulu que la même situation ne se répète pour un autre patient. Elles se sont réunies, ont produit un nouveau formulaire, l'ont soumis à l'infirmière en chef, et 100 p. 100 des infirmières ont dit que le nouveau formulaire leur convenait. On ne les a pas autorisées à utiliser le formulaire, mais l'infirmière en chef s'est engagée à le présenter au comité du palier supérieur.

Le comité du palier supérieur, interne à l'hôpital, a examiné le questionnaire, et tous les membres se sont dits d'accord, mais on n'a toujours pas utilisé le formulaire. Il a d'abord fallu le soumettre au programme des offices régionaux de la santé. À ce stade, il a fallu deux ou trois mois avant que le comité n'examine et n'approuve le formulaire: à l'époque, le système de santé était en état de mini-crise. Il y a ensuite eu le comité des formulaires, puis le comité des achats, puis le bon de commande, et on a fait l'acquisition du formulaire. Les infirmières l'ont reçu un an et demi après l'événement déclencheur; à ce moment, il était déjà désuet. En effet, on avait reçu un nouvel appareil.

On pourrait trouver de multiples exemples de cette nature dans les systèmes de santé. On ne peut réussir sous l'emprise de lourdes bureaucraties monolithiques. En fait, l'Organisation mondiale de la santé a affirmé que les établissements deviennent dysfonctionnels à partir du seuil d'environ 1 000 lits et bien avant que la marque des 2 000 lits ne soit atteinte. Nous avons créé ces grands offices régionaux de la santé qui comptent des hôpitaux ayant presque cette taille, six ou sept autres établissements hospitaliers et toutes sortes de programmes, de soins à domicile et tout le reste. On compose avec des bureaucraties énormes qui semblent se contenter de tourner à vide.

M. Holle: Permettez-moi une brève intervention. Nous devons établir une distinction entre les réformes dans le domaine des ressources et la réforme structurelle. Dans le système canadien, on privilégie les réformes touchant les ressources, c'est-à-dire la nécessité d'injecter plus de ressources dans le système. Je pense que le Manitoba constitue probablement le meilleur exemple d'une administration qui dépense beaucoup sans obtenir de bons résultats. Nous devons envisager une réforme structurelle, qui concerne l'administration du système. Si, une fois de plus, on se penche sur le modèle de la France, de la Suède et d'autres modèles, on constate la présence d'un élément de choix et de concurrence. Linda et moi sommes d'avis que c'est probablement dans cette direction que le système doit s'engager.

Le sénateur Morin: J'ai une autre question. Prenons les principaux postes budgétaires. Pour ne pas trop entrer dans les détails, je propose que nous nous en tenions aux hôpitaux, aux honoraires des médecins, aux médicaments et aux soins à domicile. Dans quels secteurs les dépenses du Manitoba sont-elles supérieures à la moyenne? La bureaucratie est la même partout dans le monde. Nous avons tous déjà entendu le récit du formulaire. Où dépensez-vous plus que les autres? Est-ce dans le secteur des hôpitaux, des médecins, des médicaments ou des soins à domicile?

Mme West: Une bonne partie des fonds va directement aux hôpitaux du secteur des soins actifs. En fait, la durée moyenne des hospitalisations à Winnipeg est supérieure de 20 p. 100 à la moyenne canadienne, ce qui représente un important facteur de coûts. Ces longs séjours tendent à exercer des pressions à la hausse sur les autres secteurs. Nous avons constaté une augmentation marquée du coût des médicaments.

Une fois de plus, j'aimerais revenir au modèle français parce que ce pays est parvenu à contrôler le coût des médicaments et d'une gamme complète de technologies médicales, au moyen de conférences consensuelles. La province envisage de retenir les services de dix ou 12 pharmaciens qui auront pour tâche d'aller rencontrer les médecins et de leur proposer de ne pas commander ceci ou cela, de ne rien commander du tout. Ni les médecins ni les pharmaciens n'accueillent la mesure avec satisfaction.

Ce que fait la France, plutôt que de tenter de créer ce genre de situation, consiste à organiser une conférence. On charge des techniciens de réunir toutes les recherches disponibles. Puis on invite des médecins, des infirmières, des pharmaciens, des physiothérapeutes, des chiropraticiens de tout le pays, selon le groupe visé par la conférence, et ils trouvent ensemble une solution. Ils ne quittent pas la conférence avant d'avoir accouché d'une solution. Sept jours plus tard, ils se sont engagés à mettre sur papier et à diffuser un tel engagement. Il figure sur Internet. On y trouve le moyen le plus efficace et le plus efficient de régler un large éventail de problèmes, par exemple les lombalgies, ou les médicaments qu'on peut préférer à une intervention chirurgicale, ce genre de choses. On a déjà passé en revue une longue liste de procédures.

Ce faisant, on a non seulement obtenu de bons résultats pour la santé, mais en plus les coûts sont diminués de 5 p. 100 en moyenne. Pour ce faire, on réunit sous un même toit les personnes qui connaissent le mieux le système de santé, et on les oblige à mettre au point une solution. À la fin, on dispose d'une solution qui peut être rédigée au bénéfice de tous, laquelle jouit en outre d'une grande crédibilité. On n'a pas répété la démarche d'hôpital en hôpital, d'office régional de la santé en office régional de la santé.

M. Holle: Nous dépensons trop dans la gestion. Nous dépensons trop dans l'infrastructure. Il existe bon nombre d'hôpitaux ruraux sous-utilisés. En ce qui concerne certains services dont a besoin le système, services d'entretien et autres, par exemple, on paie, comme des données le montrent hors de tout doute, des salaires supérieurs au cours du marché. Il s'agit aussi, à mes yeux, d'un élément qui pèse dans la balance.

Le sénateur Morin: Je vais vous poser une question à tous deux. Vous pouvez prendre des notes pour me répondre ensuite.

Mme West, je connais très bien le système français, et je déplore que la France ne compte pas parmi les divers pays étudiés par notre comité. Bien entendu, la répartition des soins de santé et les mécanismes de prestation sont fonction de l'histoire. La France jouit d'une longue tradition dans le domaine de la sécurité sociale. Naturellement, l'assurance sociale porte sur l'assurance-invalidité et un régime de pensions. Ces éléments font partie du même régime. Je ne vois pas comment nous pourrions nous engager dans cette voie.

Par ailleurs, l'assurance que vous qualifiez de «privée» est privée jusqu'à un certain point seulement, mais chacun souscrit cette assurance privée, à l'exception des chômeurs, de certains travailleurs autonomes ou des membres d'autres groupes, par exemple, certains agriculteurs et ainsi de suite. Je ne connais pas le chiffre exact, mais la vaste majorité des Français, je dirais qu'iron 90 p. 100 d'entre eux sont protégés par cette prétendue «assurance privée».

Mme West: Dans le cas contraire, c'est le gouvernement qui paie la note.

Le sénateur Morin: Il ne s'agit plus d'une véritable assurance privée au sens où on l'entend dans les autres pays.

Mme West: La différence n'est pas bien grande par rapport à nos impôts.

Le sénateur Morin: Non, mais ce que je dis, c'est que, en Grande-Bretagne, par exemple, on offre une assurance privée, mais elle ne vise que 1 p. 100 de la population. Il ne s'agit donc pas véritablement d'une assurance privée. Le troisième point, c'est que ces cliniques privées ne font que de l'obstétrique et des interventions chirurgicales mineures. Elles n'offrent pas de services majeurs.

Mme West: Des opérations à coeur ouvert?

Le sénateur Morin: À l'extérieur de Paris, les cliniques qui offrent de tels services sont très peu nombreuses. Il y en a deux ou trois à Paris, mais, pour le reste, elles ont tendance à s'en tenir aux interventions mineures.

Mme West: Elles tendent à s'en tenir à des interventions plus mineures, et nous ferions la promotion des chirurgies orthopédiques. Dans certains secteurs, 80 ou 90 p. 100 des remplacements du genou et de la hanche se font par le secteur privé.

Le sénateur Morin: Vous savez que les cliniques privées éprouvent actuellement des difficultés financières parce que le gouvernement actuel leur est moins favorable que par le passé.

Quoi qu'il en soit, je pense qu'il s'agit d'un modèle intéressant, et vous avez raison de dire qu'il bénéficie d'un taux de satisfaction élevé de la part des citoyens. En ce qui concerne l'équipement, nous figurons parmi les derniers de la liste des pays de l'OCDE, tandis que la France est bien équipée.

Pour en revenir à la Suède, je pense que la division acheteur-fournisseur constitue véritablement la marche à suivre. Je pense que vous avez tout à fait raison de l'affirmer.

Je croyais savoir qu'un nouveau parti avait pris le pouvoir en Suède au cours de la dernière année. Ce dernier a, me semble-t-il, quelque peu renversé la tendance vers les cliniques privées, et il n'y en a pas à l'extérieur de la Suède. Elles ont beau être «privées», sont-elles «sans but lucratif»? La nuance est importante. En Amérique du Nord, nos hôpitaux sont en réalité privés, mais ils sont sans but lucratif. Je pense que la Suède s'oriente vers des cliniques privées, certes, mais sans but lucratif, ce qui correspond à ce que nous avons ici. Lorsque, ici, nous voyons le mot «privé», nous pensons à la notion de profit. Nous devons être très prudents. Je pense que la Suède s'oriente vers des cliniques privées, mais sans but lucratif. Par exemple, les hôpitaux à participation aux bénéfices seraient des organismes sans but lucratif.

M. Holle: En Suède, on établit une distinction entre le gouvernement central et les administrations régionales. De façon générale, les soins de santé relèvent des administrations régionales. Par exemple, la ville de Stockholm, le grand conseil de Stockholm, a, de façon dynamique, fait preuve d'innovation et tenté d'améliorer le système. Je pense que c'est le gouvernement social-démocrate central de la Suède qui se sent mal à l'aise à l'idée d'un modèle concurrentiel, et il a adapté certaines dispositions législatives qui, dans les faits, ont eu pour effet de suspendre la vente des hôpitaux. Selon mes sources, il s'agit d'un phénomène temporaire, et le fait que tous les hôpitaux soient constitués en personnes morales signifie que, à moyen terme, il y aura probablement plus de ventes.

En ce qui concerne l'opposition entre «à but lucratif» et «sans but lucratif», on doit se rappeler que les Suédois tiennent compte de ce qu'ils appellent le «coût du capital». Si, dans une installation, vous avez des capitaux bloqués qui pourraient rapporter 5 p. 100 à la banque, vous assumez un coût.

Au Canada, nous commettons l'erreur d'affirmer que, par exemple, le secteur public doit offrir des services à moindre coût, mais nous ne tenons pas compte de facteurs comme le coût du capital, les taxes et tout ce que les fournisseurs privés doivent inclure dans leur prix. Lorsqu'on compare pommes avec des pommes, on se rend souvent compte que les fournisseurs privés sont souvent moins cher que les fournisseurs publics.

Au Canada, nous ne disposons pas de telles informations. Malheureusement, nous nous trouvons aux prises avec toute une série d'arguments à caractère politique - les bons ou les mauvais côtés du secteur privé ou du secteur public. À mes yeux, les Suédois ont pour philosophie que la concurrence est préférable au monopole. L'opposition entre les secteurs privé et public joue un rôle très secondaire.

Il me semble qu'un tel débat pourrait trouver des échos dans le contexte canadien. Nous ne préconisons pas un modèle de style américain. Nous devons nous éloigner du débat qui met trop l'accent sur la privatisation. Ce qui compte, c'est la prestation concurrentielle grâce à des incitatifs adaptés aux besoins de différents fournisseurs. Si un établissement public est en mesure de le faire à moindre coût, on lui confère tous les pouvoirs. C'est à lui que revient le droit d'offrir les services concernés.

Le sénateur Morin: Je suis tout à fait d'accord avec votre dernière affirmation.

Le président: Permettez-moi de faire un commentaire au sujet du coût du capital. Du fait qu'on n'en tienne pas compte dans le système de santé du Canada n'est pas unique à notre système. Dans les affaires gouvernementales, le seul cas où on tient compte du coût du capital, c'est lorsqu'on se demande s'il vaut mieux acheter un édifice à bureau ou le louer. On procède alors à ce qu'on appelle une «analyse financière normalisée», en vertu de laquelle, on compare, comme vous le dites «des pommes avec des pommes», mais je ne connais pas d'autres exemples. Je tenais simplement à établir clairement que le défaut de procéder de cette façon n'est pas propre au système de santé. Ce n'est pas la meilleure façon de procéder, mais c'est la réalité.

M. Holle: Non, non. Des pays comme la Grande-Bretagne, l'Australie, la Nouvelle-Zélande obligent maintenant tous les organismes du secteur public à fonctionner ainsi, et c'est de la sorte qu'on obtient une analyse plus perfectionnée de la politique gouvernementale.

À cet égard, le Manitoba est notoire. Il y a chez nous des politiciens qui vont et viennent en affirmant que nous offrons les prix les plus bas possibles au Canada, qu'il s'agit d'un miracle et d'une fonction de la régie publique. Eh bien, lorsqu'on tient compte du fait que Hydro ne paie pas de dividendes ni d'impôt ni rien de ce genre, on se rend compte qu'on a affaire à une subvention qui crée l'illusion de prix plus bas. Une fois de plus, c'est l'une des raisons qui font que, au Manitoba, le débat sur la politique gouvernementale est, à mon avis, relativement médiocre.

Le sénateur Keon: Madame West, je tiens d'abord et avant tout à vous faire compliment: votre exposé est tout à fait splendide et des plus exacts. Il y a deux ou trois aspects véritablement passionnants à propos desquels j'aimerais que vous étoffiez.

La première chose qui m'a fasciné à propos du système français, et, dans une mesure moindre, d'autres pays de la CE aujourd'hui, c'est qu'on fonde en réalité toutes les décisions sur la santé de la population. En fait, on surveille sans cesse la santé de divers groupes. Lorsqu'on constate une anomalie, on réunit les ressources humaines nécessaires, à qui on confie la tâche de remédier à tel ou tel problème. À mes yeux, c'est là, plus que toute autre mesure, la clé de la réussite. C'est comme prêcher dans le désert. Je profite de toutes les tribunes pour dire que le Canada ne réglera pas ses problèmes, peu importe ce que nous ferons, tant et aussi longtemps qu'il ne se sera pas engagé dans cette voie.

Le deuxième phénomène des plus intéressants en France a trait à la santé publique. Du seul fait de la chance, d'une bonne gestion ou de je ne sais quoi, notre pays bénéficie d'une faible incidence des maladies cardiovasculaires qui entraînent un fardeau économique majeur ici au Canada, aux États-Unis, en Finlande, en Irlande et dans certains autres pays.

Il y a vingt-cinq ans, le Dr Fraser Mustard de McMaster prêchait l'Évangile de la vigne - vous avez vu ces segments à satiété - selon lequel les Français économisaient une fortune simplement en buvant beaucoup de vin rouge. Je pense qu'il y a là un élément de vérité, mais, comme nous le savons tous, l'alcool cause d'autres problèmes.

Je voulais vous entendre sur ces deux questions qui, me semble-t-il, altèrent quelque peu les chiffres. Lorsqu'on considère l'économie du système et son fonctionnement, on constate qu'il n'est peut-être pas aussi parfait que vous le pensez.

Avec votre permission, monsieur le président, et celle des membres du comité, je vais vous raconter une anecdote. Je viens tout juste de prendre ma retraite à titre de chef du département de chirurgie cardiaque de l'Institut de cardiologie de l'Université d'Ottawa, et l'homme qui me remplace vient de la France. S'il est venu au Canada, c'est parce qu'il était mécontent du système français. Je tiens simplement à souligner que tout n'est pas rose là-bas, comme tout n'est pas rose ici. Je veux que vous donniez plus de détails sur la notion de contrôle constant de la santé de la population en tant que nation, en tant que groupe et en tant que région de même que sur la mise en place des mécanismes nécessaires pour faire face aux problèmes éventuels.

Mme West: Vous avez raison, la France possède une longue tradition dans ce domaine, laquelle a été encensée au milieu des années 90 par la création d'un nouveau groupe appelé ANAES, chargé du processus d'accréditation et d'évaluation. Tout à fait indépendant du gouvernement, le groupe formule des recommandations que le gouvernement en place n'apprécie pas nécessairement. Comme dans notre système, le groupe est responsable de l'accréditation, sauf que les accréditations sont rendues publiques, de façon que les citoyens sachent ce que fait l'hôpital local. Il évalue la nouvelle technologie. À titre d'exemple, il a recommandé un rapport d'une IRM par tranche de 240 000 habitants. Le gouvernement a manifesté de la mauvaise humeur, mais il s'est ressaisi et éponge la facture, sans oublier le maintien et l'actualisation du système.

Cet organisme-cadre assume également la responsabilité des conférences consensuelles. On pourrait par exemple tenir une conférence consensuelle sur les maladies cardiovasculaires. On profiterait de l'occasion pour examiner les informations les plus récentes, tous les nouveaux médicaments, les renseignements nécessaires, dans les domaines de la prévention et de la promotion de la santé, et, enfin, les techniques curatives. On réunit tous ces talents dans une même pièce, puis les recommandations sont rendues publiques. Les citoyens considèrent la démarche comme extrêmement efficace et crédible. Je ne vois pas comment on pourrait en sous-estimer les effets. Lorsqu'on réunit sous un même toit les éléments les plus brillants du pays, on aboutit souvent à des moyens plus efficaces et efficients de faire les choses, de veiller à ce que tel ou tel segment de la population ou telle ou telle maladie reçoive toute l'attention voulue.

La question des maladies cardiovasculaires est particulièrement intéressante. Vous avez raison de dire qu'on crédite les olives et le vin, mais nous assistons également à une diminution rapide de la consommation de matières grasses. En France, les niveaux de consommation étaient supérieurs aux nôtres, mais ils sont en voie de devenir inférieurs. Les Français semblent prendre l'information sur la promotion de la santé beaucoup plus au sérieux que les Canadiens, et ils modifient leur mode de vie en conséquence. Ils modifient leur mode de vie selon certaines des recommandations, ce que nous semblons avoir beaucoup de difficulté à faire. Je ne dis pas qu'ils y parviennent facilement, mais ils semblent le faire plus efficacement que les Canadiens.

Le sondage sur la satisfaction à l'égard de l'hôpital public de Grenoble a montré que les gens étaient satisfaits ou très satisfaits des soins reçus dans une proportion de 91 p. 100. Ils veulent qu'on améliore la communication. À cet égard, le taux de satisfaction est tombé à 80 p. 100. En ce qui concerne la communication avec les patients relativement aux soins de santé reçus et à d'autres questions connexes, des études canadiennes récentes ont fait état de taux de satisfaction dans les 50 p. 100. Les répondants n'étaient pas non plus heureux de la nourriture servie, mais je ne sais pas s'il y a une solution au sujet de la nourriture d'hôpital. Du point de vue du patient, le système de santé semble fonctionner. On redoute demain et les coûts additionnels que pourront apporter avec eux les enfants de la génération du baby boom du pays. Nous avons interviewé un grand nombre de personnes et nous les avons vraiment poussées pour qu'elles définissent les problèmes éventuels, lesquels sont minimes lorsqu'on les compare à ceux d'ici. Les répondants disent par exemple que les soins reçus dans un établissement privé sont d'une meilleure qualité parce qu'ils étaient plus personnalisés que ceux offerts par un établissement public, mais ils ont une très grande confiance dans le système public et savent qu'ils doivent compter sur lui en cas de problème de santé grave. C'est vraiment très intéressant.

Nous les avons aussi poussés sur la question des listes d'attente parce que, interview après interview, on nous a répété qu'il n'y en avait pas. Nous disions: «Allez, vous devez bien avoir une liste d'attente». Un homme a répondu: «Eh bien, il y en a une pour l'intervention chirurgicale destinée aux personnes atteintes de la maladie de Parkinson que nous avons inventée au pays, et le nom d'Arafat figure sur cette liste. Il y en a une aussi pour certaines interventions mineures aux yeux», mais rien qui se compare à la situation observée ici.

Le sénateur Pépin: J'aimerais dire un mot de la situation du nursing. Nous savons que, depuis des années, disons peut-être une dizaine d'années, les infirmières sont surmenées et démoralisées, tandis que les patients sont plutôt mécontents. Imaginons maintenant que nous puissions leur proposer de meilleures conditions de travail, un horaire flexible plus propice à la vie de famille, une technologie plus accessible, une meilleure organisation et une meilleure répartition, un salaire plus élevé et, d'abord et avant tout, du respect. Y a-t-il d'autres propositions que nous puissions faire pour améliorer la situation des infirmières, de façon qu'elles se sentent au moins à l'aise et heureuse de faire leur travail?

À mon avis, ce sont elles qui font les frais de la restructuration du système de santé qu'on laisse de côté et qui, pour le moment sont si fatiguées qu'elles arrivent difficilement à se défendre. Comment pourrions-nous mieux faire les choses?

Mme West: Je m'attaquerai d'abord à la question du respect. En fait, je donnerais aux intéressées la possibilité de se faire entendre. Les travailleurs de première ligne devraient pouvoir prendre les décisions qui n'influent que sur leur unité ou leur division afin de faire face aux problèmes et de les régler. Je pense que les infirmières et les autres travailleurs de première ligne savent où sont les goulots d'étranglement, comment les supprimer. Si vous leur donniez voix au chapitre, ils seraient de fait en mesure d'apporter bon nombre des modifications souhaitées. Nous devons déléguer certains pouvoirs décisionnels au niveau de l'unité, au niveau de l'hôpital. Tout devra être défini. Je ne dis pas qu'il faille leur déléguer tous ces pouvoirs sans avoir au préalable défini un cadre. Qu'on privatise, qu'on modifie le système, on doit d'abord établir un cadre qui permette à tous ces changements de s'effectuer de façon sécuritaire.

En ce qui concerne les heures de travail, la difficulté vient du fait que les infirmières ne parviennent pas à travailler à temps plein. Ici, dans la province, nous sommes en butte à une grave pénurie d'infirmières, et seulement 35 p. 100 d'entre elles parviennent à trouver du travail à temps plein. À partir de mon expérience de professeure et des discussions que j'ai avec les futures diplômées, je peux vous donner l'assurance qu'elles vont partir. Elles ne vont pas obtenir un diplôme pour travailler à temps partiel et s'en contenter. Elles vont se rendre dans une autre province, dans un autre État, ou 70 p. 100 des postes sont à temps plein, ce qui semble à peu près convenir aux femmes. Certaines d'entre elles voudront avoir des enfants et, à l'aube de la retraite, être en mesure de vivre leur propre vie, mais la vaste majorité d'entre elles tient à occuper un poste à temps plein, et une proportion de 35 p. 100 ne suffit tout simplement pas.

Aux États-Unis, dans certains États de l'Australie et dans quelques pays européens, on a créé des postes à temps plein pour les week-ends. Les infirmières effectuent trois quarts de travail de 12 heures et obtiennent un salaire et des avantages sociaux complets, mais la mesure permet à deux ou trois autres personnes de travailler selon un horaire raisonnable, en vertu duquel elles ont droit à un week-end de congé sur deux. Si j'en juge par les conversations que j'ai eues avec des représentants de divers pays, il s'agit d'une innovation importante, en ce sens qu'elle favorise l'harmonisation des quarts de travail.

On doit aussi offrir une rémunération adéquate. Cette dernière doit être équitable à l'interne et à l'externe, mais je pense qu'on doit pouvoir permettre une rémunération additionnelle. Par exemple, les infirmières n'ont pas droit à une rémunération additionnelle parce qu'elles travaillent dans le Nord ou dans certains services de soins intensifs des plus pointus, ou dans d'autres secteurs où on n'arrive pas à recruter des candidates. Les infirmières ont une formation et des responsabilités additionnelles, et on devrait les rémunérer en conséquence. Dans certains services difficiles à la fine pointe de la technologie, il y a des postes à temps plein vacants. Pourquoi accepter de tels postes, où on doit investir corps et âme? Les infirmières s'investissent corps et âme dans tout ce qu'elles font, mais il faut dans de tels cas consentir un effort encore plus grand et posséder des compétences techniques encore plus poussées.

Le sénateur Pépin: Vous vouliez ajouter quelque chose, monsieur Holle?

M. Holle: Je pense qu'on peut également dire que les syndicats ont ici un rôle à jouer. En fait, on note un écart considérable entre les infirmières plus âgées, les infirmières plus jeunes, en ce qui a trait aux horaires de travail et ainsi de suite, et je pense qu'il s'agit là aussi d'un problème de relations de travail. En fait, certaines infirmières qui travaillent officiellement à temps partiel effectuent beaucoup d'heures supplémentaires. Le salaire officiel est de 35 000 $, et vous aurez beau crier sur tous les toits que vous êtes les moins bien rémunérés, au bout du compte, vous gagnez 70 000 $ parce que vous effectuez beaucoup d'heures supplémentaires. Je pense que c'est l'une des raisons qui font que le Manitoba est la province où se retrouvent le plus petit nombre de travailleurs à temps plein. Il y a ici en jeu des questions politiques liées aux relations de travail que nous devons comprendre.

Le sénateur Keon: Monsieur Holle, vous avez, à la fin de votre exposé, lancé une idée très intéressante, à savoir la notion de compte pour les consommateurs. L'analogie que, personnellement, à tout le moins, je connais a plutôt trait aux cliniques britanniques, qui reçoivent un compte pour l'année et bénéficient d'un montant donné établi en fonction du nombre de patients éventuels.

Sur le plan anecdotique, une fois de plus, il se trouve que j'ai une fille qui exerce la médecine en Grande-Bretagne est mariée à un médecin. J'ai donc à l'occasion la possibilité de poser des questions au sujet du système. J'ai demandé comment le système fonctionne, et ils m'ont répondu: «Eh bien, il fonctionne bien pendant la première moitié de l'année, après quoi l'argent est épuisé». Le problème vient du fait que la répartition des services devient plutôt injuste.

L'adoption au Canada d'un compte privé pour les patients constituerait certes un moyen très ingénieux d'introduire une forme de responsabilisation dans le système, et il ne fait aucun doute que nous devrons passer par là au Canada. Cependant, comment faire face au risque que certaines familles, par exemple, ou des particuliers économisent les sommes qui dorment dans leur compte par crainte de les surutiliser?

M. Holle: À la lumière de l'exemple de Singapour, on constate que les résultats obtenus à l'égard de tous les indicateurs, l'espérance de vie et tout le reste, sont très élevés. Je pense que l'exemple de Singapour montre que le système assure de bons services.

Vous avez au départ fait allusion au problème de l'écrémage, et on dispose de quelques moyens pour y faire face. On peut obliger les compagnies d'assurance, par exemple, à ne pas choisir que les personnes les plus jeunes et les plus en santé et à retenir une fraction de la population.

Je dirais que, de façon générale, la proportion de personnes ayant des problèmes particuliers est relativement limitée, et nous pourrions élaborer une politique spéciale pour la tranche de la population qu'elles représentent, soit 5 p. 100 ou je ne sais trop, ou encore faire en sorte qu'elle soit prise en charge par le gouvernement dans le système public. Cependant, la vaste majorité des personnes, celles de la classe moyenne et ainsi de suite, peuvent tirer des avantages de l'utilisation judicieuse des fonds dont elles disposent pour leur santé. Si vous ne fumez pas, vos primes d'assurance sont réduites, etc. Si vous vous inscrivez à un club de conditionnement physique, vous pourriez également déduire cette somme de votre compte d'épargne santé. Ainsi, le gouvernement disposerait d'un autre levier stratégique pour encourager l'adoption de bons comportements.

 

Le problème, c'est que nous disposons d'un système axé sur le plus petit dénominateur commun, en vertu duquel nous tentons de traiter le cas de tous ces groupes diversifiés dans un seul et même système, ce qui ne fonctionne pas très bien. Nous en avons la preuve.

Fait intéressant, la Chine, il y a quelques années, a étudié les systèmes de santé du monde et conclu que notre modèle n'était pas à retenir. Elle a fini par adopter un régime de compte d'épargne médicale, dans le cadre duquel la politique a pour but de donner aux citoyens les ressources dont ils ont besoin pour veiller sur eux-mêmes, mais les Chinois éclatent de rire à l'idée que les politiciens exploitent des entreprises de services perfectionnés.

À mon avis, le problème que nous avons au Canada vient du fait que les politiciens tentent d'en faire trop. Il y a quelques années, il y a eu ici un vaste fiasco à propos des cuisines - lequel a de fait entraîné la perte du dernier gouvernement: un ministre du gouvernement était mêlé à la technologie des cuisines centralisées et à tout ce dossier, et ce n'est vraiment pas une question qui relève de la responsabilité de politiciens. Laissons au système le soin de s'occuper des dures réalités de ce genre.

Je pense que le modèle des comptes d'épargne médicale, dans la mesure où ils créent une séparation entre le politicien et le système, vient en aide au politicien, mais il permet aussi à tous les autres intervenants d'obtenir de meilleurs résultats.

Le président: Puis-je poser une question de suivi à ce sujet? Comme vous le savez, la Commission Clair au Québec a effectivement proposé ce genre de modèle de compte d'épargne médicale pour les soins de longue durée. Elle a proposé que les citoyens soient tenus de mettre de côté, tous les ans, un montant donné, dans lequel ils pourraient puiser lorsqu'ils auront besoin de soins de longue durée.

Je connais la réponse, mais voici ma question: le compte d'épargne médicale devrait-il, au Canada, s'appliquer à l'ensemble du système de santé ou y a-t-il lieu de débuter par un secteur précis, par exemple les soins à domicile ou les soins de longue durée?

M. Holle: Sur le plan politique, je pense qu'on aurait intérêt à présenter le système comme une option, un système parallèle. Allers jusqu'au bout constitue de toute évidence l'ultime solution. Les enjeux politiques sont complexes, mais on pourrait introduire le système un peu comme les REER complètent le RPC. La plupart des gens, du moins ceux de ma génération, n'attendent pas grand-chose du RPC. C'est dans notre REER que nous allons trouver de quoi financer notre retraite.

Le président: Soit dit en passant, je devrais préciser à l'intention de l'auditoire et de nos témoins que les questions savantes que nous posons s'expliquent en partie par le fait que nous comptons aujourd'hui parmi nous trois sénateurs qui ont consacré une grande partie de leur vie au système. Le sénateur Pépin a été infirmière, le sénateur Morin a été doyen de la faculté de médecine de l'Université Laval et le sénateur Keon dirige toujours l'Institut de cardiologie de l'Université d'Ottawa, même si, comme il l'a modestement indiqué, il a quitté le 1er octobre son poste de chef du département de chirurgie cardiaque. Ils m'aident à aller de l'avant, et la masse de connaissance que possèdent mes trois collègues est tout à fait remarquable.

Madame West, j'ai une dernière question pour vous. Quels sont, à votre avis, les deux ou trois caractéristiques qui font que le système français fonctionne mieux que le système canadien?

Mme West: Je mentionnerais une certaine forme de concurrence, le fait de pouvoir fixer son prix, de savoir ce que coûte un remplacement du genou ou un remplacement de la hanche. Si j'ai présenté le cas de la France, c'est parce que ce pays vient au premier rang du classement de l'Organisation mondiale de la santé, mais je ne suis pas certaine que ce pays fasse preuve d'autant de dynamisme que la Catalogne en Espagne. Cette province, en effet, est allée au-delà de la séparation du payeur et du fournisseur, obtient en conséquence des résultats des plus spectaculaires et s'apprête à dissocier pour une bonne part ses données et ses statistiques de celles du reste du pays.

Je pense que le fait que la France compte trois groupes différents revêt de l'importance. Le gouvernement définit les règles, le groupe chargé de l'évaluation et de l'accréditation fournit une armature d'informations techniques et sanitaires, puis les compagnies d'assurance, qu'elles soient privées ou qu'elles prévoient une participation des employés aux bénéfices, sont absolument obligatoires, tout comme les APM.

En fait, j'ignore ce que vous savez au sujet de l'APM.

Le président: Que désigne l'acronyme APM?

Mme West: Assurance publique du Manitoba. Nous devons tous souscrire une assurance-automobile dans un régime, de façon que tous soient protégés, mais nous avons le choix du garage privé. On doit laisser au citoyen la possibilité d'effectuer des choix, et ce sont les gens qui influent sur le volume. Enfin, le jeu de la concurrence fait en sorte qu'il n'y a pas de surplus dans un type de soins et des déficits dans d'autres, ce qui entraînerait de longues listes d'attente. C'est là que la concurrence est beaucoup plus efficace. Les bureaucrates ne réussiront jamais à prédire le nombre exact de chirurgies, qu'elles aient trait au coeur, aux genoux, aux hanches et aux yeux, et à bien configurer le système en conséquence. Plus nous nous adonnons à la micro-gestion du système, plus la situation se détériore.

Je propose que nous nous écartions de ce système au profit d'un nouveau système véritablement concurrentiel, qu'il soit privé ou public, ouvert à la quasi-concurrence, de façon à éviter les inexactitudes dans les volumes et les listes d'attente, facteurs qui président à nos coûts.

Le président: Madame West, la liste que vous nous avez remise constitue de toute évidence la table des matières d'un livre. S'agit-il d'un livre terminé ou d'un livre toujours en préparation? Je sais que vous avez remis le chapitre 8, outre la table des matières. Vous avez piqué ma curiosité, et je me demande où en est le reste.

Mme West: Le reste du livre est en cours d'examen par des pairs, et je recevrai les résultats cette semaine. Pour le moment, il n'existe que selon la présentation du chapitre 8, soit la première ébauche du livre. Il sera publié en janvier.

Le président: Si nous souhaitions obtenir un exemplaire en communication préalable, notamment la section E qui porte sur un système de santé stable et durable, seriez-vous disposée à nous remettre, à titre officieux tout au moins, certains des chapitres que nous aimerions en particulier consulter?

Mme West: En fait, vous pourriez recevoir un exemplaire identique à celui que les pairs examinateurs ont en main. L'éditeur peut maintenant fournir de tels exemplaires. J'ai fait préparer quelques exemplaires suivant la présentation prévue pour les pairs.

Le président: Cela nous serait utile. Nous allons en discuter avec vous à micro fermé.

Sénateurs, nos prochains témoins appartiennent au Western Canadian Task Force on Health Research and Economic Development. Il s'agit donc d'un changement de sujet assez brutal.

Le prochain témoin est le Dr Henry Friesen. Il est connu au Canada et dans le monde entier à titre de chercheur en médecine.

Je profite de l'occasion pour vous adresser mes félicitations. Il y a deux ou trois semaines, vous êtes devenu Compagnon de l'Ordre du Canada, honneur qui échoit, je crois, à de très rares Canadiens.

J'ai d'abord fait la rencontre du Dr Friesen à l'époque où il dirigeait le Conseil de recherches médicales. Il a ensuite présidé le groupe initial qui a conduit aux IRSC et préside toujours, si je ne m'abuse, Génome Canada. Sa feuille de route, au pays et à l'étranger, est tout à fait remarquable, notamment dans le domaine de la technologie. Aussi, nous sommes ravis de vous compter parmi nous aujourd'hui.

Je crois comprendre que vous avez fait circuler un document. Aux fins du compte rendu et des sténographes du hansard, il serait peut-être utile que vous présentiez vos collègues avant de présenter votre exposé, après quoi nous passerons aux questions. Merci d'être ici.

Le Dr Henry Friesen, chef d'équipe, Western Canadian Task Force on Health Research and Economic Development: C'est avec plaisir que nous sommes ici. Nous vous sommes reconnaissants de nous accueillir aujourd'hui, mes collègues de l'initiative de l'Ouest canadien sur les innovations en santé et moi.

Je vous présente, à ma gauche immédiate, le Dr Aubrey Tingle, président du Michael Smith Fund de l'Université de la Colombie-Britannique. Professeur de pédiatrie, il est depuis longtemps associé à la recherche en santé. À ma droite se trouve le Dr John Foerster, directeur du Centre de recherche de l'Hôpital général de Saint-Boniface. À l'extrémité gauche, on retrouve Chuck Laflèche, président de Momentum Healthware. Nous sommes ici à titre de membres du groupe de travail chargé par l'honorable Ron Duhamel d'étudier l'avenir de la recherche en santé et du développement économique dans l'Ouest canadien. On a lancé cette initiative pour analyser les débouchés qui s'offrent à l'Ouest canadien de devenir une plate-forme ou une aire de lancement pour le développement économique et les possibilités à exploiter. Le consensus auquel nous sommes parvenus, c'est que, à condition de positionner adéquatement les entreprises et les institutions de l'Ouest canadien du domaine de la santé, nous pourrions voir dans l'innovation, la commercialisation et la recherche en santé une occasion de développement économique majeure.

Je tiens à associer nos efforts au fil conducteur de votre rapport et à formuler un certain nombre d'observations puisque je demeure convaincu que l'optique dominante de nos travaux est pour l'essentiel absente des options que vous avez définies. Comme nous avons l'espoir de vous en persuader, je pense qu'il importe d'admettre que, outre l'apport des connaissances et de leur application pour le système de santé et la santé des Canadiens directement, il existe une autre application possible de ces connaissances, qui découle de l'investissement dans la recherche, relativement à la création de produits, de services et de compétences en gestion.

Permettez-moi de présenter les choses d'une autre façon. Au cours des dix prochaines années, le Canada consacrera un billion de dollars à son système de santé, et il y a affecté de 600 à 700 milliards de dollars au cours de la dernière décennie. Je me demande, et je vous demande à vous, combien de services et de noms de marque ont été générés grâce à ces milliards de dollars d'investissement public? Pour ma part, j'aurais du mal à identifier un seul produit. En fait, j'en viens à la triste conclusion que le seul produit que les Canadiens reconnaîtraient immédiatement est le Pablum. C'est une percée qui remonte aux années 30. Combien d'autres avancées et produits nouveaux sont-ils imputables à cet investissement public colossal?

Nous soutenons constituer une économie du savoir. Où les connaissances que les Canadiens ont de la gestion de leur système de santé sont-elles réunies et rendues disponibles sous forme d'expertise offerte au monde? Dans le domaine du génie, par exemple, SNC-Lavalin, pour ne citer qu'une société, dispose d'un actif de 4 milliards de dollars. Dans le domaine des soins de santé, on est bien loin de ce genre de potentiel et d'activité.

Nous nous enorgueillissons de notre savoir-faire et de nos compétences en gestion. À l'occasion de quelles assemblées annuelles s'attend-on à ce que les conseils d'administration et les PDG d'hôpitaux rendent compte des produits et des services générés par leurs institutions et vendus dans le monde entier?

Je soutiens pour ma part que la situation s'apparente à celle que les universités ont connue dans les années 70 et 80: l'éducation, la formation et la recherche étaient la norme attendue, mais, trop souvent, les percées et les produits qui en découlaient étaient malheureusement financés par des capitaux américains, et les chercheurs canadiens étaient attirés vers les États-Unis. Nous devions alors racheter ces produits et services à des prix gonflés, et nous le faisons encore. Dans ce domaine, le déficit de la balance des paiements frôle les 8 milliards de dollars et va croissant. À mon avis, il ne s'agit pas d'une bonne politique gouvernementale, et c'est l'un des enjeux auxquels nous souhaitons nous intéresser dans notre rapport. Nous tenons à affirmer que nous pouvons faire mieux, que nous devrions faire mieux et que nous devons faire mieux. Cependant, notre façon de penser et notre approche devront faire l'objet d'un changement culturel.

Lorsque, dans votre rapport, vous affirmez que l'un des principaux rôles du gouvernement fédéral consiste à soutenir la recherche, nous sommes donc de tout coeur avec vous. L'investissement devrait permettre de soutenir la concurrence internationale. Nous pensons qu'il faut miser sur des stratégies et des politiques pour profiter des connaissances générées par l'investissement public comme on ne l'a jamais fait auparavant. Outre l'investissement dans la recherche, on pourrait aussi, à notre avis, voir l'expérience canadienne - l'actif colossal que représente notre système de santé - comme une plate-forme ou une occasion de développement économique.

Le dernier point que je tiens à soulever, et je pense que vous y faites allusion dans votre rapport à propos des disparités régionales, c'est que nous sommes conscients de l'asymétrie qui caractérise le pays et l'Ouest canadien, en particulier le Manitoba et la Saskatchewan, et nous sommes d'accord avec vous pour dire qu'un changement structurel massif et soudain ne constitue vraisemblablement pas la bonne solution. Cependant, nous soutiendrons avec vigueur que les véritables innovations proviendront d'une exploitation, en un sens, des expériences naturelles menée par diverses autorités sanitaires dans divers milieux de la santé, dans le cadre de toute une série de programmes novateurs de recherche et d'évaluation. Mon collègue, le Dr Aubrey Tingle, vous dira un mot de certaines des approches et des priorités possibles.

Le Dr Aubrey Tingle, Western Canadian Task Force on Health Research and Economic Development: Au cours des six derniers mois, nous avons élaboré un processus permettant d'obtenir l'engagement des leaders d'opinion de l'Ouest canadien. Nous avons tenu une série d'ateliers dans chacune des provinces de l'Ouest, auxquels ont participé les travailleurs de la santé de première ligne, les chercheurs universitaires de premier plan, les directeurs d'institut de recherche, les responsables du transfert de technologie dans les universités, les chefs de file de l'industrie et les responsables de la politique publique.

Dans le cadre de ces ateliers, on s'est demandé comment assortir le système de santé d'une stratégie industrielle. Le consensus qui s'est dégagé et qui figure dans le document d'information que vous avez reçu, c'est que la principale stratégie consiste à établir une série de réseaux dirigés qui mettront l'accent sur des régions données du réseau de la santé. Le Dr Foerster expliquera comment on pourrait y parvenir.

Les participants se sont dits convaincus que les provinces, en se regroupant pour élaborer et administrer les réseaux, permettraient l'établissement d'une masse critique. L'hypothèse repose sur un groupe de provinces intéressées prêtes à collaborer dans le cadre d'un projet pilote d'évaluation de nouvelles stratégies de prestation des soins de santé et de leurs résultats commerciaux ou industriels éventuels. Ce réseau est la clé. Il serait introduit graduellement et choisi de façon stratégique.

Le deuxième volet de la stratégie a trait à l'établissement de certaines technologies clés qui sous-tendent les domaines de l'informatique de la santé et de la bio-informatique en particulier, et Chuck Laflèche abordera cette question plus en détail.

Le dernier volet a trait au recrutement - et les représentants du monde de la technologie l'ont indiqué clairement - de sociétés de capital-risque et d'autres partenaires industriels. Nous devons faire mieux au chapitre de la gestion intégrée des résultats de nos universités, de nos hôpitaux universitaires, de nos instituts de recherche et de notre système de santé.

Le consensus qui se dégage de tout le processus, avec l'aval de plus de 300 participants, c'est l'établissement d'un réseau intégré pour l'Ouest canadien ayant pour but de favoriser l'innovation dans le système de santé et la réalisation sur le plan commercial des avantages qui en découleraient.

Je cède maintenant la parole à John Foerster, qui illustrera certains des moyens qui pourraient être pris pour arriver à cette fin.

Le Dr John Foerster, Western Canadian Task Force on Health Research and Economic Development: En guise de soutien aux exposés précédents, je tiens à réitérer et à illustrer qu'un regroupement des autorités sanitaires, des universités, des centres de recherche, de l'industrie et des fonds de capital-risque dans les quatre provinces de l'Ouest pourraient dynamiser bon nombre d'initiatives figurant dans votre rapport préliminaire.

Par exemple, on accorde une importance remarquable à la restructuration de notre système de santé, à la prestation des soins, y compris les soins primaires, aux divers systèmes de rémunération, à la capitation plutôt qu'à la rémunération à l'acte et à de nombreux autres aspects. En raison des pressions politiques qui s'exercent, on apporte souvent des modifications aux conséquences considérables qui ne s'appuient pas sur des données. Nous, du système de santé, sommes toujours encouragés à prendre des décisions sur les soins aux patients qui soient fondée sur des données. J'ai bien peur qu'il arrive souvent que les modifications recommandées et adoptées ne le soient pas. Elles rendent compte du point de vue de particuliers, de groupes, de partis et ainsi de suite. À mon avis, l'Ouest canadien est idéalement placé pour régler bon nombre de ces problèmes au moyen de la recherche et de tests comparatifs. Si on nous en donne l'occasion, je suis certain que nous parviendrons à mettre au point un système qui répondra à nombre de ces questions.

On affirme souvent qu'une telle démarche prend du temps. Le système de santé subit des modifications depuis les années 60. En dépit du fait que nous y travaillons depuis quatre décennies, nous faisons toujours face au même dilemme, soit à un processus décisionnel non fondé sur des données.

La deuxième question à laquelle vous vous êtes intéressés est l'accès à la technologie, qui constitue un enjeu politique «chaud», et pourtant nous devons nous rappeler, particulièrement en tant que médecins, qu'il existe une corrélation beaucoup plus forte entre des soins de santé ou un état de santé supérieur et l'éducation, l'emploi, le revenu et d'autres mesures du mieux-être social qu'avec l'accès aux soins tertiaires ou à la technologie.

La dernière fois que j'ai consulté les chiffres, les États-Unis avaient probablement dix fois plus d'IRM par habitant que le Canada, et souvent cette technologie procure plus d'avantages aux fournisseurs qu'aux utilisateurs. Pourquoi ne pas fonder les besoins en technologie sur des données plutôt que sur la consommation? Je loue l'accent que vous mettez sur les résultats plutôt que sur les intrants à la page 7 de votre rapport, et j'affirme que l'Ouest pourrait fournir des données très précieuses à ce sujet. Nous pourrons plus tard revenir en détail sur cette question.

Troisièmement, nous apportons déjà des contributions dans les domaines de la santé rurale et de la santé des Autochtones qui seront fort utiles à la prestation de services. Par exemple, nous participons à Winnipeg à un projet majeur visant la numérisation des données radiologiques au point où, dans un très proche avenir, nous ne pourrons plus consulter de rayons X en noir et blanc sur un négatoscope. Toutes ces données, qu'elles aient trait à des rayons X ordinaires, à des échographies, à des tomographies par ordinateur ou à des IRM seront numérisées. Nous avons conçu, en collaboration avec le réseau téléphonique du Manitoba et d'autres partenaires industriels, un moyen de transmettre cette information, à relativement bon compte, sur de grandes distances. Ainsi, une personne qui travaille à Thompson, à Churchill ou dans une grande communauté autochtone pourrait transmettre des rayons X ou des résultats d'échographie à un radiologiste qui pourrait tout aussi bien être sur appel à la maison. Le radiologiste pourrait consulter les résultats sur un écran d'ordinateur, soumettre un rapport immédiat et même diriger une intervention à l'aide de cette technologie. À notre avis, le perfectionnement et l'élargissement des services au moyen de la recherche et de la participation du secteur privé sont des plus prometteurs.

Dans le regroupement de l'Ouest canadien, nous envisageons également un intérêt tout particulier pour les questions propres à la santé des Autochtones, y compris la forte prévalence d'affections comme le diabète et les maladies infectieuses, d'une part, et à la faible incidence d'autres maladies comme la maladie d'Alzheimer, d'autre part. J'ajoute que les communautés autochtones sont fort désireuses de s'associer à une telle démarche. Elles attendent avec impatience d'apporter une contribution positive au reste de la société plutôt que de se contenter de voir leurs lacunes et leurs problèmes catégorisés et étudiés.

Quatrièmement, j'aimerais dire un mot de la génération de retombées économiques et de la stabilisation des coûts de la santé grâce à l'innovation. Dans notre rapport, nous indiquons que nous aimerions être témoins de la création de 50 nouvelles sociétés chaque année, lesquelles produiraient tôt ou tard d'importantes retombées économiques dans l'Ouest. Certaines personnes diront qu'il s'agit d'une sorte de rêve chimérique. Je vous rappelle que, au Manitoba, 13 sociétés ont vu le jour au cours des quelques dernières années, grâce en particulier aux travaux effectués par les universités. Huit de ces sociétés se trouvent au seul centre de recherche de l'Hôpital de Saint-Boniface. Nous formons une institution relativement petite. Il y a chez nous environ 45 chercheurs principaux et un effectif total de quelque 280 employés. Notre budget total actuel s'élève à environ 20 millions de dollars par année.

Permettez-moi maintenant d'illustrer mes propos de quelques exemples. Le premier est imputable au Dr Shoo Lee, chercheur qui travaille en Colombie-Britannique. Il a fait partie d'un groupe qui a constaté qu'on pourrait sensiblement réduire les coûts de santé dans les pouponnières si les mères qui vont connaître un accouchement difficile recevaient une dose de stéroïdes de un jour. La mesure a produit des changements extraordinaires. En fait, elle peut entraîner une diminution de quelque 20 p. 100 des coûts de la santé dans les services intensifs des pouponnières.

Le problème a trait à la mise en oeuvre de telles modifications. À l'occasion d'un examen récent, le Dr Shoo Lee a constaté que la mise en place de ces modifications, dont le bien-fondé a déjà été établi à l'aide de données, varie entre 17 et 75 p. 100 dans l'ensemble du Canada. Nous faisons donc face à un autre problème, c'est-à-dire comment inciter des changements déjà recommandés sur la foi d'études fondées sur des données.

Permettez-moi d'illustrer mes propos à l'aide de quelques autres observations liées au coût de la santé. À titre d'exemple, il y a le problème de la resténose: chez les personnes dont on a élargi les artères coronariennes au moyen d'une angioplastie par ballonnet ou dont on a rebranché les artères au moyen d'un pontage, les risques de nouvelle occlusion sont très élevés. Chez les patients atteints de diabète, le risque de nouvelle occlusion des artères est, après une année, de près de 100 p. 100. Chez les personnes qui n'ont pas le diabète, les risques demeurent très considérables. Ils se chiffrent probablement à 25 p. 100 par année ou même un peu plus. Des chercheurs de Winnipeg ont constaté, dans le cadre d'études sur les animaux dont la constitution se rapproche de très près de celle des humains, que l'application d'une substance, à l'intérieur ou à l'extérieur des vaisseaux sanguins, prévient entièrement le processus de resténose. C'est ce que nous appelons la solution «Dick Cheney». Dick Cheney a déjà subi quatre ou cinq interventions, et on imagine sans peine les coûts. Nous avons demandé la permission de procéder à des études sur les humains dans le cadre d'une première phase d'essais. Si l'hypothèse se vérifie, je crois que nous pourrons réaliser d'importantes économies au titre des coûts de la santé.

Le président: Je m'inquiète du temps parce que je tiens à ce que nous puissions poser des questions.

Le Dr Foerster: Permettez-moi de conclure sur un autre exemple, le traitement du diabète. Un de nos chercheurs a découvert une substance, un produit végétal qui, relativement aux diabètes de type 1 et de type 2, a la capacité de normaliser la glycémie dans les organismes animaux pour une période prolongée. Il s'agit d'une seule pilule prise à intervalles de trois à 15 semaines. Si, une fois les études additionnelles terminées, le médicament était intégré à la pratique clinique, le système de santé réaliserait d'énormes économies. Nous pourrions citer d'autres cas du genre, mais je vais en rester là.

M. Chuck Laflèche, Western Canadian Task Force on Health Research and Economic Development: Vous avez tous reçu un exemplaire de mon exposé. Je vais le passer rapidement en revue parce que je sais que le temps nous presse.

On a affaire à un microcosme non seulement de ce que le groupe de travail du Dr Friesen tente de faire du point de vue du développement économique, mais aussi du message qui figure au chapitre 10 du volume 4 de votre rapport, qui porte sur ce que nous devons faire, du point de vue de la TI, dans le domaine de la prestation des soins de santé.

Nous en sommes au stade embryonnaire et à un mois de l'établissement définitif des coûts et des bailleurs de fonds éventuels, mais nous proposons un partenariat entre les secteurs privé et public dont font partie quatre sociétés de TI de l'Ouest canadien, à savoir la société Sierra de Victoria, sans doute bien connue à titre de firme d'experts-conseils dans le domaine de la santé, Momentum Healthware, d'ici à Winnipeg, Fifth Dimension et IW Technologies, deux entreprises dont le siège social se trouve à Edmonton.

À la page 2 de votre document, vous trouverez une analyse de la situation actuelle du point de vue de la TI. On y présente des faits nouveaux récents, par exemple le Carnet de route des IRSC, le plan de l'infrastructure nationale de la santé convenu par le Conseil des sous-ministres, et enfin le dossier de santé électronique (DES) aux fins de la prestation des soins de santé. Enfin, il y a eu, au printemps 2001, 500 millions de dollars promis pour l'établissement de l'inforoute santé.

Le dossier de santé électronique est essentiellement un dossier médical de patients qui, croyons-nous, est la pierre d'angle essentielle à l'accessibilité des données et à la production de documents fondés sur des données.

Aux pages quatre et cinq, on trouve une déclaration faisant l'unanimité sur ce que nous tentons d'accomplir. Au chapitre 10 de votre rapport, vous précisez que la somme d'un demi-milliard de dollars ne constitue qu'un point de départ. Certains ont laissé entendre que la mise en place de ce que vous proposez coûterait de 5 à 6 milliards de dollars. On voit ici l'«avant» et «après». Nous avons donc du chemin à parcourir. Ce que nous recommandons correspond à une toute petite partie de cette somme.

Si vous passez à la page 7 de l'exposé, vous trouverez un aperçu de ce que nous considérons comme des soins continus. Il s'agit d'une expression dangereuse, mais nous considérons que les soins de longue durée, les soins à domicile, certains soins actifs et la réadaptation en font partie.

À la page 8, nous expliquons pourquoi, à notre avis, cela est important. L'impact que le vieillissement de la population aura sur ce secteur est de toute évidence très important. À l'heure actuelle, les personnes âgées de plus de 65 ans comptent pour environ 45 p. 100 des jours-patients à l'hôpital, et on estime que la proportion sera supérieure en 2021. De toute évidence, il s'agit là d'éléments importants pour les décideurs et les bailleurs de fonds.

À la page 9 - parce qu'il s'agit d'une initiative pour l'Ouest canadien et que nous travaillons de concert avec Diversification de l'économie de l'Ouest Canada - on trouve un microcosme de ce que sont les soins continus dans l'Ouest, soit 770 établissements de soins continus, 400 centres de soins à domicile et environ 20 p. 100 des dépenses régionales, ce qui correspond probablement aux chiffres nationaux. La situation actuelle ne diffère pas de ce qu'on trouve dans votre rapport. On dispose de peu d'informations pour soutenir la prise de décisions, et la reddition de comptes à l'égard de ces décisions est limitée. On a ici affaire à de nombreux silos, et les systèmes sont fort peu intégrés. Je n'apprends rien à personne.

À la page 11, nous avons présenté la solution que nous préconisons. Nous proposons une initiative qui, appliquée dans l'ensemble de l'Ouest, aurait pour effet d'automatiser entièrement ce segment du marché des soins de santé.

À la page 12, une fois de plus, un de nos membres utilise l'expression «lenteur foudroyante». Si nous ne pouvons pas miser sur ce type de système ni sur l'adhésion des bailleurs de fonds et des parties, tout sera d'une lenteur foudroyante parce que, franchement, les choses n'évoluent pas assez rapidement. À titre d'entreprise, nous avons attiré 20 millions de dollars en investissements au Manitoba. Nos ventes projetées accusent un retard de deux ou trois ans parce que le système ne se déploie tout simplement pas assez rapidement, même si l'automatisation est souhaitée par tous.

À la page 13, nous avons fourni un aperçu du projet. Le dossier de santé électronique pour les soins continus de l'Ouest canadien est un projet auquel participent de multiples administrations mettant l'accent sur l'établissement d'un dossier de santé électronique dans le secteur des soins continus de l'Ouest.

La page 14 ne constitue qu'un aperçu graphique. Qu'est-ce que cela signifie? Il s'agit ici de l'accès au système au moyen d'appareils tenus à la main. C'est le sénateur Pépin, je crois, qui a fait allusion aux pressions qui s'exercent sur les infirmières au chapitre de la prestation de soins et du fait qu'elles manquent de temps. Nous pensons que le recours à des appareils de ce type pourrait alléger leur charge de travail et leur permettre d'assurer des soins de meilleure qualité.

Vous avez peut-être entendu parler de la vague du système d'évaluation de MDS qui déferle sur le pays. Nous menons des projets pilotes en Nouvelle-Écosse et en Colombie-Britannique. Nous avons vendu un système à la Saskatchewan. Nous recommanderions son utilisation en amont comme moyen d'évaluer adéquatement les candidats à des soins à domicile ou à des soins de longue durée. Nous recommandons également un système clinique entièrement automatisé qui influera sur les indicateurs de qualité, des éléments comme l'utilisation de contentions, l'utilisation de médicaments et les interactions médicamenteuses.

On trouve cet outil d'évaluation dans 26 pays. Nous sommes la première entreprise au monde à mettre au point l'outil d'évaluation des soins à domicile avec les chercheurs concernés. Par l'entremise d'une société connexe, nous travaillons en collaboration avec le gouvernement de l'Angleterre, et nos travaux suscitent également beaucoup d'intérêt aux États-Unis. Nous ne l'avons pas encore annoncé publiquement parce que nous en sommes au stade des négociations finales, mais nous avons été sélectionnés par Extendi-care aux États-Unis - chaîne de 169 établissements pour notre système, parmi 50 fournisseurs possibles. Voilà donc un exemple de ce qu'a dit le Dr Friesen. Il est très gratifiant de damer le pion à 49 fournisseurs américains grâce à un investissement de 20 millions de dollars canadiens.

À la page 15, on explique ce que nous allons obtenir, soit 770 établissements de soins de longue durée entièrement automatisés comptant 2 279 préposés à l'évaluation des candidats à des soins à domicile au moyen d'appareils tenus à la main entièrement automatisés et d'outils communs permettant d'évaluer les intéressés et de les faire cheminer dans le système.

À la page 16, on trouve une illustration des résultats. Entre autres choses, le système permettra d'améliorer l'équité de l'accès au secteur des soins continus, de renforcer la coordination des cas, de soutenir la gestion et les secteurs offrant des soins continus en plus d'assurer l'uniformisation. Le Canada bénéficiera ainsi d'un modèle.

À la page 17, nous expliquons comment le système permettra d'accélérer la mise en oeuvre d'un dossier de santé électronique complet au Canada. On a avancé un chiffre de 6 milliards de dollars. Nous pensons que la mesure coûterait moins de 100 millions de dollars.

Pour y parvenir, nous devrons miser sur le leadership et l'engagement. Nous en sommes actuellement à la détermination des coûts et des avantages qualitatifs et quantitatifs de la réalisation de l'initiative, sans oublier les sources possibles de financement.

Enfin, à la page 20, nous montrons le lien entre les travaux de votre comité et ceux du Dr Friesen. On établirait ainsi un réseau intégré de soins continus dans l'Ouest canadien, lequel se traduira par une amélioration de la prestation de services et permettra de mesurer l'amélioration des résultats pour la santé. Grâce au système, on disposerait de l'infrastructure nécessaire pour améliorer considérablement la prise de décisions fondée sur des données, facteur important pour les fournisseurs de service, les bailleurs de fonds, les décideurs et les chercheurs. Avec la participation des quatre entreprises de l'Ouest canadien, l'initiative constitue un très puissant outil de développement économique. Merci de votre temps.

Le président: J'aimerais demander deux ou trois éclaircissements. Le dossier de santé électronique pour les soins continus dans l'Ouest canadien est-il un projet pilote, une simple idée ou, à l'autre extrême, une initiative en cours de mise en oeuvre?

M. Laflèche: Un peu de tout cela. Nous présenterons d'ici environ un mois un projet officiel à Diversification de l'économie de l'Ouest Canada.

Le président: À qui le présenterez-vous?

M. Laflèche: À Diversification de l'économie de l'Ouest Canada. L'intention est d'obtenir l'adhésion des quatre provinces, puis nous présenterons une demande officielle au gouvernement fédéral.

Le président: Docteur Friesen, le dossier de santé électronique pour les soins continus fait-il partie de votre proposition, ou s'agit-il d'un exemple éloquent du genre de projet qui pourrait être réalisé?

Le Dr Friesen: C'est la deuxième possibilité qui est la bonne. Il s'agit d'un exemple magnifique, et c'est pourquoi nous avons invité M. Laflèche.

Le président: Je veux poser deux questions précises. Dans votre proposition, telle que je l'interprète, vous invitez Diversification de l'économie de l'Ouest Canada à investir d'entrée de jeu une somme de quelque 265 millions de dollars, les provinces étant appelées à faire une contribution - un peu d'argent, mais surtout des crédits d'impôt pour la recherche et le développement et d'autres changements fiscaux. Comme le montre votre graphique, les gouvernements récupéreraient des fonds grâce à la recrudescence de l'activité économique.

Avez-vous eu avec le gouvernement fédéral ou les gouvernements provinciaux des pourparlers dont vous pouvez nous entretenir? Je comprends que vous avez pu avoir avec eux des discussions confidentielles.

Le Dr Friesen: Nous avons eu des pourparlers avec des fonctionnaires fédéraux comme nous en avons eu avec vous, lesquels ont porté sur l'étendue et la nature de l'idée. Ces discussions avaient pour but d'obtenir une réponse, une réaction au projet. Comme le Dr Tingle l'a mentionné, on a, dans le cadre du processus initial, invité tous les ministères provinciaux responsables de la santé et du développement économique, et ils ont participé à des degrés divers. Les ministères chargés du développement économique ont participé plutôt massivement, au contraire des ministères responsables de la santé, qui se sont montrés plus tièdes. Voilà qui confirme le point de vue selon lequel le fait que les avancées, les fils conducteurs et les points de vue relatifs à la santé et à la politique économique se retrouvent aux deux extrémités du même enjeu ne constitue pas une bonne politique gouvernementale. Au bout du compte, ce n'est pas avantageux pour le développement au Canada, ni dans le domaine de la santé ni dans celui de la politique économique.

Je pense que la validité de l'idée bénéficie de l'appui de tous. Selon certaines des réactions que j'ai observées à la suite de mon allusion au Pablum, on s'étonne qu'il s'agisse du dernier important produit canadien à être présent sur le marché. Le cas échéant, c'est un peu gênant. De toute évidence, il y a d'autres molécules et d'autres percées, mais aucune n'est vendue dans le monde entier et ne bénéficie de la reconnaissance immédiate du type de celle dont s'enorgueillit Coca-Cola. Ce n'est tout simplement pas la réalité.

Peut-être pourrais-je inviter le Dr Tingle à dire un mot de la réaction de la province parce qu'il a été mêlé de plus près à ce dossier.

Le Dr Tingle: Dans le cadre de pourparlers privés, il est ressorti très clairement que les ministères responsables de la santé sont si accaparés par les interventions d'urgence quotidienne que la planification ne fait tout simplement pas partie de leurs activités courantes. L'idée d'associer les services de santé au monde industriel ne fait pas partie de leur vocabulaire. À titre d'exemple, je me souviens d'une discussion que j'ai eue avec un sous- ministre provincial de la santé. Je lui ai demandé qui était le sous-ministre de l'industrie. Il ne connaissait pas le nom de la personne. L'approche stratégique que nous adoptons consiste à collaborer avec Diversification de l'économie de l'Ouest à titre d'investisseur principal pour élaborer des propositions relatives à des réseaux intégrés, après quoi nous miserons sur la participation directe des provinces en utilisant les établissements de santé provinciaux de façon combinée, dans le cadre d'une initiative pilote.

Le président: Dans l'un des documents que vous nous avez remis, docteur Friesen, vous faites allusion, parmi les coûts pour les quatre provinces de l'Ouest, à l'établissement plus souple de prix pour les formulaires. Comme bon nombre de discussions que nous avons eues autour de la table ont porté sur ce que j'appellerais l'établissement plus «serré» de prix pour les formulaires, pouvez-vous nous préciser ce que vous entendez par là?

Le Dr Friesen: Ce qu'il y a, c'est qu'on doit intégrer de plus près les politiques relatives à la santé et à l'économie. Si on considère le coût des médicaments à titre de seul intrant, nous disons que nous devrions tenir compte aussi de divers résultats. Si, en fait, certains médicaments novateurs sont plus rentables, le rapport coûts-avantages pourra être en faveur de ce médicament novateur plus coûteux même si son prix de départ paraît élevé, à condition que l'on ne doive plus hospitaliser les patients ou que ces derniers aient moins besoin d'attention médicale à court et à long termes. L'analyse, si elle se centre uniquement sur le coût des médicaments, est inefficace.

Le président: Je suis heureux de vous avoir posé la question parce que ce n'est pas du tout ce que j'avais compris.

Le Dr Friesen: À l'examen de la politique nationale sur les médicaments, on doit impérativement comprendre les modifications apportées. Ce n'est qu'ainsi que les multinationales de l'industrie pharmaceutique considéreront le Canada comme un pays propice à l'investissement. Il faut leur proposer un climat commercial favorable et des débouchés. Dans le cadre de toute discussion sur l'établissement du prix des médicaments, on doit tenir compte de la possibilité de solliciter - et, en dernière analyse, d'obtenir - des investissements nettement plus importants au pays dans le domaine de la R-D. Nous n'obtenons pas notre juste part des multinationales. Pour peu que le climat commercial soit favorable, je pense qu'on pourrait exiger des investissements accrus au nom de l'argument de la réciprocité.

Le sénateur Morin: Je tenais moi aussi à remercier mon bon ami, le Dr Friesen, d'être venu. Outre les prix dont il a été fait mention, je profite de l'occasion pour souligner qu'il est titulaire d'un doctorat honorifique de mon alma mater, l'Université Laval. Je le remercie également des propos éloquents qu'il a tenus au sujet de la santé et de l'économie, sujet important qui, à mon avis, n'est pas toujours bien compris.

Le Dr Foerster a fait une déclaration très importante au sujet des dangers que représentent les modifications de notre système de santé non fondées sur des données. Fait surprenant, le même raisonnement s'applique aux chercheurs et aux politiciens: chacun semble examiner la situation d'un point de vue idéologique, y compris les chercheurs du domaine.

M. Laflèche s'est intéressé en détail au système d'information. Il s'agit d'un enjeu très important. L'American Institute of Medicine vient tout juste de publier Crossing the Quality Chasm, ouvrage portant sur la qualité des soins de santé. L'une des recommandations des auteurs consiste à éliminer les données cliniques écrites à la main d'ici la fin de la décennie. Cela dit, ils ont également affirmé qu'on ne doit pas sous-estimer les difficultés que représente l'utilisation des systèmes d'information sur la santé dans le domaine des soins. Ils ont affirmé que la démarche serait coûteuse et difficile. En outre, elle suscitera beaucoup de réticence. J'ai été intéressé d'apprendre que le chiffre de 6 milliards de dollars avait été avancé par l'Institut canadien d'information sur la santé (ICIS). J'ai été surpris de voir que vous pouviez le réduire. Avez-vous bien dit 250 millions de dollars?

M. Laflèche: Ce n'était que pour la portion qui nous concerne.

Le sénateur Morin: Uniquement pour l'Ouest canadien?

M. Laflèche: Exactement.

Le sénateur Morin: Avant de poser une question au Dr Friesen, j'aimerais que M. Laflèche nous dise quel système a effectivement été vendu à la société américaine?

M. Laflèche: Il s'agit d'un outil d'évaluation de MBS en cours d'utilisation dans les 50 États et dans 18 000 établissements de soins infirmiers de même que d'un outil clinique, un tableau électronique, sans support papier.

Le sénateur Morin: Docteur Friesen, j'ai eu l'occasion de lire le rapport. Je pense que le rapport complet porte naturellement sur un certain nombre de réseaux et de regroupements de centres d'excellence intégrés qui s'occuperaient de la recherche, il y a aussi un important secteur axé sur la commercialisation. Ma question porte également sur ce qu'a laissé entendre le sénateur Kirby. Sous la rubrique consacrée à la commercialisation, on retrouve une déclaration qui a piqué ma curiosité: «Établir des règles du jeu égales pour l'industrie biopharmaceutique. Plus loin, vous faites référence à des obstacles réglementaires.

À quoi pensiez-vous exactement? Le resserrement de la réglementation qui s'applique à l'industrie pharmaceutique fait couler beaucoup d'encre. Vous avez lu le communiqué du premier ministre qui a été publié à St. John's il y a deux semaines. Loin de préconiser la suppression des obstacles, on veut au contraire les accroître. À quoi exactement pensez-vous ici?

Le Dr Friesen: Une partie de l'appareil réglementaire portant en particulier sur les percées dans les domaines de la biotechnologie et du génie biologique date d'une époque révolue. Lorsqu'on considère la diversité de produits à évaluer, on se demande: «Cet appareil favorise-t-il une approbation efficiente, rapide et opportune au Canada par rapport à ce qui se fait dans d'autres administrations?» Il s'agit d'un premier problème. L'enjeu est de taille dans la mesure où, jusqu'à un certain point, il a une incidence sur l'endroit où se dérouleront certains essais cliniques. Si, en fait, il y a des obstacles au Canada par rapport à d'autres administrations - le Royaume-Uni par exemple - là, la phase 1 des essais cliniques peut essentiellement se faire dans le cadre d'une procédure d'approbation de 24 heures, comparativement au Canada où elle est d'un mois ou deux. Est-ce là le genre d'obstacle auquel nous faisons référence?

En ce qui concerne le régime de brevets, sommes-nous à jour? Disposons-nous en réalité d'un régime de brevets qui se compare à celui d'autres pays industrialisés qui nous permette d'assurer une protection équivalente de la propriété intellectuelle?

Nous tenons à ce que les possibilités d'affaires et de commercialisation bénéficient de règles du jeu égales, de façon que, au sein de l'économie mondiale dans laquelle il doit soutenir la concurrence, le Canada bénéficie d'une occasion égale et équitable de se faire valoir.

Le sénateur Morin: Ai-je raison de penser que vous êtes en faveur d'un climat plus propice à l'industrie biopharmaceutique en tant que mécanisme de levier pour la recherche et le développement en santé?

Le Dr Friesen: Oui, c'est exact.

Le sénateur Morin: À mon avis, c'est là, monsieur le président, une déclaration très importante.

Le président: Pour étoffer quelque peu ce point, je crois comprendre que vous êtes en faveur de ce mécanisme non seulement en tant que moteur de la recherche, mais le point central de votre document est un moteur qui, en dernière analyse, favorise la création de sociétés privées dérivées qui, à leur tour, deviendront des employeurs. Ce n'est pas de la recherche pour la recherche - non pas que ce soit une mauvaise chose -, mais bien plutôt de la recherche axée, en dernière analyse, sur le développement économique.

Le Dr Friesen: Oui, et une prestation de soins de santé améliorée. Peut-être le Dr Tingle dira-t-il un mot à ce sujet. Je pense qu'il est certain que les particuliers associés à la gestion de protocoles, dans le cadre d'un réseau intégré, disposent au bout du compte d'un système de santé de qualité supérieure.

Le Dr Tingle: J'aimerais revenir sur l'exemple évoqué par le Dr Foerster - c'est-à-dire un modèle élaboré par le Dr Shoo Lee. Le Dr Shoo Lee est un pédiatre originaire de Singapour, qui a fait un doctorat en économie de la santé à Harvard. À son retour au Canada, il a constitué un réseau de toutes les unités de soins intensifs néonatals du Canada, unies par une seule et même base de données.

Le président: Dans l'ensemble du pays?

Le Dr Tingle: Dans ce cas, oui. Dans le cadre de ce réseau, il peut étudier tous les centres néonatals du Canada et comparer les résultats des uns et des autres. Il peut examiner les valeurs prédictives pour se pencher sur l'efficience des résultats. Il a reçu des propositions de la part de l'industrie de l'assurance et de la réassurance des États-Unis, ces entreprises s'intéressant à l'efficience des soins et aux risques qu'elles courent en protégeant des bébés prématurés. Il a donc créé deux entreprises qui étudient la possibilité de commercialiser la capacité décisionnelle du réseau de soins intensifs néonatals au Canada.

Il l'a fait à l'aide d'une subvention de fonctionnement initiale de un million de dollars et a éprouvé beaucoup de difficultés à financer l'entreprise, qui n'est plus considérée comme un projet de recherche classique. Il répond à des questions du genre: «Comment améliorons-nous le système de santé?» «Comment faire des analyses coûts-avantages dans le système de santé?» «Comment améliorer la qualité de chacune des institutions partenaires dotées d'une unité de soins intensifs néonatals?»

Le président: Où, au pays, une personne qui souhaite pousser une idée au-delà de la recherche fondamentale pour s'intéresser à l'application et à la mise en oeuvre devrait-elle s'adresser? Si je comprends bien ce que vous avez dit, docteur Tingle, ce genre d'études ne répond pas aux critères des anciens conseils de recherche classiques ni à ceux des IRSC. Où doit-on s'adresser dans de tels cas?

Le Dr Tingle: Nous avons déjà perdu la moitié des membres de l'équipe formant cette unité au profit des États-Unis. Nous avons mentionné qu'il s'agit d'un élément clé de la stratégie parce que nous avons l'impression que cet aspect fait défaut dans le cadre canadien.

Le président: J'imagine que cet élément qui fait défaut, ainsi que vous l'avez mentionné, n'est pas propre à cette étude particulière. Le problème, c'est qu'il y a une lacune dans les efforts de financement. Si nous avions affaire au secteur privé, vous parleriez de «capital-risque», mais il s'agit de l'écart entre l'obtention des résultats de la recherche primaire et de la recherche fondamentale et de leur mise en oeuvre effective?

Le Dr Tingle: Laissez-moi vous donner un exemple. En Colombie-Britannique, le budget de la santé est de 9 milliards de dollars. La proportion de cette somme qu'on consacre à l'amélioration ou à l'évaluation de la qualité correspond pratiquement à zéro. Le volet du système axé sur les soins de santé ne bénéficie d'aucun appui.

Le président: Ce qui s'explique par le fait que les fonds sont si rares pour d'autres éléments que ce dossier se retrouve tout simplement au bas de la pile?

Le Dr Tingle: Vous avez absolument raison.

Le sénateur Keon: Je vais adresser directement mes commentaires et la question qui suivra à vous, docteur Friesen, mais je vous invite tous à y répondre. Il s'agit d'un domaine fascinant. Pourquoi n'avons-nous pas mieux réussi? Je me souviens très bien, comme vous, docteur Friesen, que, à l'époque où vous étiez président du Conseil de recherches médicales, nous faisions essentiellement face à deux solitudes: la communauté canadienne de la recherche fondamentale et le complexe industriel. À la longue, des liens se sont créés et établis. En réalité, je pense que la création des IRSC, de la FCI, des organismes provinciaux et d'un certain nombre d'autres organismes philanthropiques et de sociétés publiques qui s'intéressent au capital de risque et à d'autres questions du genre marque un progrès considérable.

J'ai l'impression que le pont que nous n'avons pas réussi à franchir est le suivant: convaincre les grandes sociétés industrielles du domaine de la santé de changer d'état d'esprit opérationnel et les amener à poster des ressources humaines dans nos universités et nos institutions, consentir d'importants investissements à long terme dans les chaires de recherche et ne plus tant attacher d'importance aux brevets et à ce genre de choses, ce qui les a motivées sur le plan commercial et les garde en vie.

Je sais que vous avez consacré les quelques dernières années à la création d'un milieu propice à une telle évolution. On a accompli des progrès réels - ça ne fait aucun doute. Lorsque, cependant, on se penche sur les géants industriels - les sociétés pharmaceutiques, les sociétés qui fabriquent des appareils, les entreprises qui oeuvrent dans le domaine de la technologie de la santé - les plus grandes d'entre elles sont les organismes qui fournissent des services de santé - les organisations de soins de santé intégrés (OSSI) et les grandes sociétés du domaine de la santé qui ont désormais une envergure internationale. Nous devons toujours réunir les ressources intellectuelles de notre pays pour faire quelque chose de positif pour la plupart de ces gens.

Par exemple, les OSSI ou les grandes sociétés internationales qui fournissent des soins de santé, gaspillent une fortune en finançant des choses qui ne sont pas du tout efficaces. Elles ne financent pas de projets qui font beaucoup de bien, faute de recherches appropriées sur les résultats et l'épidémiologie.

Le pont que nous devons franchir, ce n'est pas que celui de l'investissement gouvernemental. En fait, nous devons obtenir de notre communauté intellectuelle scientifique qu'elle persuade le complexe industriel mondial de faire un virage à 180 degrés et de cesser d'investir dans ses propres forteresses et d'investir plutôt dans nos institutions. Je n'ai aucune idée des moyens à prendre pour y parvenir. Je sais que nous réalisons des progrès, et je sais que vous avez tenté d'y parvenir, mais j'aimerais entendre vos commentaires à tous à ce sujet.

Le Dr Friesen: Sénateur Keon, vous avez mis le doigt sur le noeud du problème. Au fond, les changements de comportements dans ce secteur exigent une sorte de transformation de la culture et des attitudes, au niveau fondamental et profond. À nos yeux, cela fait partie de l'exercice. Je pense que les fournisseurs et les administrateurs de soins de santé ont été absorbés - à juste titre - par la prestation des soins de santé. C'est leur mandat; c'est leur mission. Quant aux autres maillons des portefeuilles économiques industriels, ils ont d'autres chats à fouetter, et les frontières de ces activités ne recoupent pas celles du système de santé. Relativement à ce qui est possible et à qui incombe la responsabilité des diverses scènes, on a donc affaire à deux visions du monde.

Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire qu'il y a eu du progrès. Pourtant, si je vous demandais combien de temps les sous-ministres provinciaux de la santé consacrent à la recherche - je ne parle même pas de l'élaboration de produits et de services - À moins que la situation n'ait changé au cours des dernières réunions, on consacre à cet aspect un temps limité, voire inexistant.

J'avais l'habitude de taquiner mes collègues à propos de cette omission - si la recherche est le moteur de l'innovation, pourquoi la question ne les préoccupe-t-elle pas? À mon avis, c'est le gouvernement fédéral qui devrait jouer ce rôle.

Je digresse un peu avant de répondre précisément à votre question. Je pense que le gouvernement fédéral a pour rôle de définir la vision du système de santé du Canada - de façon large et inspirée. Personne ne l'a fait; personne ne s'en occupe. Nous nous absorbons dans l'analyse du processus, de la mécanique et des structures; en un sens, nous sommes en voie de passer à une description bureaucratique de ce que devrait être notre système de santé. Je pense que le système de santé devrait porter la «marque» du Canada.

Les enjeux que nous soulevons ont trait au développement économique, à l'innovation et aux produits. Pour peu que nous en ayons la volonté, nous pouvons mettre au point des produits et des services d'excellente qualité, que nous pourrons vendre dans le reste du monde, ce qui nous procurera un rendement sur notre investissement grâce auquel nous pourrons sans cesse améliorer notre système de santé, grâce aux innovations. Parfois, je pense que nous nous représentons notre système de santé comme un étudiant au rendement médiocre qui, à l'occasion, obtient la note de passage, et nous sommes alors tous disposés à célébrer ce fait comme s'il s'agissait d'une victoire. On est bien loin de la vision que j'ai du système de santé du Canada.

Si nous faisons bien les choses, tant d'occasions s'offriront à nous. Je prie instamment les membres de votre comité d'articuler cette vision porteuse d'un grand potentiel. À mon avis, c'est sur cette question que pourrait porter le rapport du comité.

Je vais laisser à mes collègues le soin d'apporter des éléments de réponse plus précis.

Le Dr Tingle: Pour faire suite, je vais me contenter de citer un exemple que j'utilise pour illustrer le dilemme auquel nous sommes confrontés. Demandez aux universités si l'amélioration de la qualité du système de santé est une entreprise universitaire, et elles vous répondront que non. Demandez aux hôpitaux et aux ministères de la Santé si la recherche et l'amélioration de la qualité représentent des problèmes de santé, et ils vous répondront que non, que ce sont des problèmes de recherche. Une dynamique culturelle inhibe ce domaine. Pourtant, le Dr Shoo Lee s'est rendu chez Kaiser Permanente en disant avoir dans sa poche un système permettant de modifier la prestation de services de santé à une population précise. Kaiser Permanente a fait cobreveter le système avec le Dr Shoo Lee, et la société est présente à la table, enthousiaste et intéressée.

Un voyage, aussi long fût-il, débute toujours par un premier pas. On doit mettre au point une forme de système pilote qui permette d'examiner la situation dans des domaines prioritaires choisis et d'établir le nouveau paradigme culturel entre le secteur de la santé, l'industrie, les chercheurs et les professions liées au service, grâce auxquels nous pourrons arrêter la marche à suivre.

Voilà qui a fait partie de la stratégie qui sous-tend l'initiative que nous avons proposée. Il faut commencer quelque part. On doit passer par un système pilote. On doit obtenir d'un nombre de centres suffisant qu'ils collaborent pour former une masse critique et changer la dynamique à laquelle, pour diverses raisons, nous sommes confrontés depuis les quelques dernières décennies.

Le Dr Foerster: Pour répondre de façon plus précise à votre question au sujet de la participation des grandes compagnies pharmaceutiques et d'autres sociétés de ce genre, je dirais qu'elles ne s'intéressent malheureusement pas à ce qui n'est pas presque entièrement sûr. Ce qui fait défaut dans de nombreuses régions du Canada, ce sont les capitaux qui permettraient de faire la transition entre le CRM, les IRSC et l'industrie, à qui des produits seraient vendus. Pour ce faire, nous avons besoin de regroupements de capital-risque. Dans l'Est, on est beaucoup plus avancé. Dans l'Ouest canadien, nous en sommes aux premiers balbutiements au Manitoba, et on nous a aidés à faire progresser certaines de ces idées, mais il y a là une importante lacune.

Un de nos chercheurs a mis au point une nouvelle méthode de traitement du cancer à la fois novatrice et excellente. Il n'a pas été en mesure de réunir un capital-risque suffisant pour faire progresser l'idée. Il s'est adressé ailleurs. À la bourse, son entreprise vaut aujourd'hui 60 millions de dollars. Un autre médecin d'ici a mis au point un excellent moyen d'améliorer les respirateurs utilisés dans les unités de soins intensifs. Il n'a pu réunir ici le capital-risque nécessaire pour perfectionner l'idée et s'est tourné vers les États-Unis. Maintenant, tout se trouve du côté sud de la frontière, le fabricant et les avantages que procure ce genre de percée industrielle. Il y a un manque entre ce que les universités font et ce à quoi l'industrie s'intéresse.

Le président: Une précision, docteur Foerster. Quand vous utilisez le mot «ici», faites-vous référence au Manitoba, à l'Ouest canadien ou au Canada?

Le Dr Foerster: Dans ces deux cas, je faisais expressément référence au Manitoba.

Le président: Soit dit en passant - j'ignore si c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle, mais le problème du capital-risque n'est plus propre au Manitoba: il se pose dans l'ensemble du pays, et pas seulement dans le secteur de la santé. Lorsqu'on considère les idées créatives qui exigent du capital-risque dans un grand nombre de domaines, on se rend compte que le total du capital-risque disponible au Canada est très limité. Les investisseurs canadiens - et c'est ce que sont les investisseurs en capital-risque - ont tendance à être beaucoup plus prudents et à se montrer beaucoup plus réfractaires à l'idée de courir des risques que ceux des États-Unis, en particulier, et, de plus en plus, de ceux de certaines régions de l'Europe. J'ignore si cette mise au point vous réconfortera ou non, mais vous n'êtes pas les seuls.

Le Dr Foerster: Par ailleurs, on note des changements positifs, et j'en trouve une illustration dans une partie des percées que je viens tout juste d'évoquer. À titre d'exemple, des particuliers du Manitoba et de la Saskatchewan ont récemment créé un fonds pour les sciences de la vie, dans lequel ont été engagées des sommes d'une valeur de 45 millions de dollars. On s'attend à ce que le fonds plafonne à environ 90 millions de dollars.

Les choses bougent. Cependant, des personnes animées d'une vision comme celle du Dr Friesen et d'autres qui ont signé le présent rapport doivent présenter des idées qui suscitent l'enthousiasme de tous ces différents secteurs, y compris l'industrie privée et les universités.

Le président: Il est vrai également que le capital-risque est beaucoup moins susceptible de venir du gouvernement. Le phénomène s'explique en partie par la nature de la politique. De toute évidence, les fonds de capital-risque subissent un certain nombre d'échecs dans l'espoir de connaître tôt ou tard une réussite. Pourtant, dans le climat politique - la politique étant ce qu'elle est, on mettra l'accent sur les échecs et non sur les réussites, en dépit du fait que le fonds pourra se révéler rentable. Il y a là une énorme résistance.

Je reviens aux premiers jours du développement régional, à une époque où on ne parlait pas encore de capital-risque. Si on remonte à la belle époque de l'ARDA et d'ISTC, pour ne citer que quelques acronymes, les médias et les partis d'opposition mettaient l'accent sur les échecs et non sur les réussites. Le gouvernement se montre profondément réticent à l'idée de s'engager dans ce secteur.

Le Dr Foerster: Ce n'est pas ce que nous cherchons.

Le président: Non, je le sais bien.

Le sénateur Morin: Monsieur le président, j'aimerais, aux fins du compte rendu, préciser que j'ai eu l'occasion de lire les documents en détail et que je suis favorable au projet. Les trois principaux éléments, soit rapprocher le monde de la santé et le monde de l'économie, l'innovation dans le domaine des services de santé et, enfin, la commercialisation biotechnologique, sont très importants.

L'Ouest canadien a la possibilité de montrer la voie à suivre au reste du pays. Tôt ou tard, une fois que le projet pilote aura été amorcé, le reste du pays emboîtera le pas. Je suis donc très favorable à la proposition.

Le président: Je vous remercie tous d'être venus. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer. Docteur Friesen, je suis certain que vous allez nous tenir au courant de l'évolution de la situation.

Notre prochain témoin est Bill Bryant, président du Conseil des présidents, Offices régionaux de la santé du Manitoba.

J'ai en main une copie de votre mémoire. Vous connaissez notre mode de fonctionnement. Je vais donc vous demander de présenter d'abord vos collègues à l'intention des sténographes du Hansard. Puis M. Beresford ou vous allez présenter une déclaration liminaire, après quoi nous nous ferons un plaisir de vous poser des questions.

M. Bill Bryant, président, Conseil des présidents, Offices régionaux de la santé du Manitoba: Les Offices régionaux de la santé du Manitoba, à titre de représentants des administrateurs et des fiduciaires du système de santé, sont heureux de l'occasion qui leur est donnée de comparaître devant vous aujourd'hui.

Nous sommes heureux d'être ici pour représenter les offices régionaux de la santé du Manitoba. Je m'appelle Bill Bryant et je suis président de l'office du Sud-Ouest et président du Conseil des présidents des offices régionaux de la santé. J'ai à mes côtés Kevin Beresford, président de la région des lacs et président du Conseil d'administration des offices régionaux de la santé. Nous sommes accompagnés de M. Randy Lock, Directeur général des offices régionaux de la santé du Manitoba.

Comme vous le savez peut-être, le Manitoba compte douze offices régionaux de la santé, soit dix dans le Nord et en milieu rural, un à Brandon, et un, à Winnipeg. Collectivement, nous représentons le système de santé au Manitoba, à l'exception de Cancer Care Manitoba et de la Fondation manitobaine de lutte contre les dépendances.

Les offices régionaux de la santé sont chargés de la direction, du fonctionnement, de la coordination et de l'exécution du spectre complet des services de santé. Ce spectre englobe les établissements de soins actifs et prolongés aussi bien que les services de santé communautaires, de santé mentale, de santé publique et d'ambulance.

Notre mission consiste à élaborer un système de santé interrégional à la fois efficace et efficient et qui répond aux besoins de tous les Manitobains.

À titre de membre manitobain de l'Association canadienne des soins de santé, les offices régionaux de la santé du Manitoba collaborent activement aux travaux de préparation des mémoires sur diverses questions. Nous allons d'ailleurs nous inspirer des mémoires en question aujourd'hui.

Disons d'abord que, à notre avis, le système de santé que nous connaissons aujourd'hui ne peut, sous sa forme actuelle, être considéré comme viable pour l'avenir. Le besoin de changement est réel et immédiat. La grande question consiste à savoir comment apporter les changements voulus, car il semble y avoir un consensus qui se dégage pour ce qui est de la nature des changements requis.

M. Kevin Beresford, président, Conseil des administrateurs, Offices régionaux de la santé du Manitoba: Avant que nous puissions entreprendre une refonte importante et viable du système, ce qui, selon nous, s'impose, il faudra nous assurer de disposer d'un cadre de financement stable et constant. Certains des éléments de base de l'infrastructure du système de santé ont subi une grave érosion depuis dix ans, sous l'effet des méthodes de financement par à-coups de la part des administrations fédérale et provinciale. Par conséquent, une question de toute première importance consisterait à obtenir que le gouvernement fédéral s'engage à établir un budget conséquent et soutenu afin de stabiliser le système de santé et, en dernière analyse, à susciter de nouveau la confiance à l'égard de celui-ci.

De façon urgente, aussi, le gouvernement fédéral doit s'engager expressément à appliquer un facteur d'augmentation annuelle à une telle promesse de financement. L'établissement à 19,8 milliards de dollars d'un plancher des transferts en espèces suffirait à peine à répondre aux besoins existants, pour que l'on puisse maintenir les services au Manitoba comme dans l'ensemble du Canada. Le facteur d'augmentation annuelle donnera quelque peu de latitude pour assurer la viabilité à long terme de notre système de santé au regard de la croissance économique, de l'évolution démographique et d'autres secteurs encore. Il serait préférable que les promesses de financement en question se concrétisent par des paiements en espèces liés aux TCSPS, mais il est admis que d'autres mécanismes de financement pourraient être envisagés. Par nécessité, il faudrait que ceux-ci soient négociés entre les divers ordres de gouvernement, mais il ne faudrait pas que cela retarde la circulation des sommes d'argent dont on a immédiatement besoin.

Il est reconnu que l'augmentation des fonds devra s'accompagner d'un accroissement des comptes à rendre. Le cadre redditionnel devrait reposer sur un ensemble d'objectifs et de normes appliqués à notre système de santé. La reddition de comptes ne devrait pas s'articuler autour de la notion selon laquelle les administrations provinciales et territoriales sont responsables du suivi des sommes d'argent dépensées auprès du gouvernement fédéral. Plutôt, ce sont tous les ordres de gouvernement et les offices régionaux de la santé qui devraient être responsables devant les Manitobains et les Canadiens et privilégier les mesures du rendement et les effets sur la santé. Ce sont là les éléments que le public s'attend de voir communiquer et ce sont les éléments qui nous permettront de nous assurer d'apporter une contribution au bien-être de nos collectivités.

Toutefois, pour que les mécanismes redditionnels soient efficaces, il faudra des données fiables. Les systèmes intégrés d'information sur la santé sont des composantes essentielles des mécanismes redditionnels efficaces. L'Institut canadien d'information sur la santé reçoit des fonds pour réaliser un travail précieux, ce qu'il fait d'ailleurs, mais si le système sur le terrain ne permet pas d'obtenir des données fiables tirées de systèmes compatibles, nous n'allons pas obtenir les mesures voulues. Nous encourageons le gouvernement fédéral à consacrer directement des fonds à l'élaboration, à la mise en oeuvre et au soutien de la technologie d'information sur la santé pour atteindre les objectifs particuliers dont il est question ici.

Ces derniers temps, il a beaucoup été question de la nécessité de privatiser des éléments du système de santé canadien. À notre avis, un système de santé géré par l'administration publique, tel qu'envisagé dans la Loi canadienne sur la santé, peut bel et bien fonctionner. Il fonctionne, et il faut le maintenir. Si les fournisseurs du secteur privé ont un rôle à jouer, il faut que ce soit en fonction de contrats particuliers, qui définissent un ensemble de services. La coordination des contrats en question doit passer par l'administration publique. Cela permettra de s'assurer que le Canada maintient un seul et unique système avec un seul et unique ensemble d'objectifs et de résultats. Sinon, ce sera la confusion, la concurrence, et, en dernière analyse, des lacunes au chapitre des services. À la fin, il n'y a qu'une source de fonds - le public - de sorte qu'il devrait y avoir seulement un responsable du contrôle de la prestation des services.

Nous essayons de présenter un exposé qui privilégie seulement quelques aspects du milieu changeant de la santé où nous évoluons. Nous souhaitons au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie d'avoir à ce sujet des délibérations des plus fructueuses et nous le remercions de l'occasion qu'il nous offre de venir se rencontrer. C'est avec plaisir que nous répondrons à toutes les questions que les membres du comité voudront nous poser au sujet de ces questions ou d'autre encore. Merci.

Le président: Merci du bref exposé que vous nous avez présenté. Puis-je vous poser quelques questions qui portent sur votre avant-dernier paragraphe et le précédent? Elles découlent de certains des éléments d'un témoignage que nous avons recueilli au début. Étiez-vous là quand M. West et M. Holle ont témoigné? C'étaient nos premiers témoins. Je vais devoir pour vous faire une petite remise en contexte.

Je suis perplexe quand je vous entends dire qu'il ne faut pas insister sur le fait que les administrations provinciales et territoriales doivent rendre des comptes au gouvernement fédéral pour le suivi des sommes dépensées. Comment concilier ce point de vue et celui selon lequel le gouvernement fédéral est tenu - et c'est ce qu'il me semble - de rendre compte aux gens qui l'élisent des sommes dépensées par l'administration fédérale?

Je vais vous donner un exemple bien concret de la chose. À la conférence de septembre 2000, il y a eu deux grandes annonces, 800 millions de dollars pour les projets pilotes en soins primaires. On peut rendre compte de cette somme puisque le gouvernement fédéral doit approuver les projets pilotes en question. L'investissement d'un milliard de dollars a été approuvé pour l'acquisition de matériel, soit du matériel d'imagerie et des appareils d'IRM, des choses du genre - le gouvernement fédéral a versé les sommes voulues, mais il n'a absolument aucune idée de la destination de l'argent. Je ne comprends pas comment le gouvernement fédéral pourrait dire qu'il consacre de l'argent à X, et en même temps n'être pas en mesure de savoir si l'argent a bel et bien été consacré à X. Il aurait aussi bien pu annoncer qu'il donnait un milliard de dollars, car c'est tout ce qu'il en savait.

Ayant également été dans les provinces, je comprends pourquoi les provinces n'en veulent pas. Je n'avance pas que cela serait populaire auprès des provinces. C'est seulement que je suis perplexe quand j'entends une organisation comme la vôtre affirmer que cette forme de reddition de comptes n'est pas requise.

M. Beresford: Je suis certainement d'accord avec vous quand vous parlez de la responsabilité d'assurer le suivi des sommes dépensées. Pour dire les choses plus brièvement, notre position est la suivante: on ne doit pas forcément toujours s'attacher principalement aux sommes dépensées, mais il faut certainement que la responsabilité à l'égard des résultats soit considérée comme importante.

Le président: Je suis d'accord. C'est seulement que, lorsque les autorités annoncent la création d'un programme ciblé, elles doivent savoir si les fonds ciblés sont bel et bien consacrés au programme ciblé.

Puis-je entrer simplement dans le vif du sujet? Dans votre avant-dernier paragraphe, vous dites deux choses qui me paraissent un peu contradictoires. Si les fournisseurs du secteur privé ont un rôle à jouer, cela doit être en fonction de contrats particuliers qui définissent un ensemble de services. Je comprends cela. C'est le cas, encore aujourd'hui, pour deux des cliniques privées au Manitoba; n'est-ce pas? Ai-je raison de dire cela? Plus tard, vers la fin, je reviendrai là-dessus et je vous poserai des questions à ce sujet.

Ensuite, vous dites: sinon, il y aura de la confusion, de la concurrence. Ce qui est intéressant, c'est que nos deux premiers témoins ont insisté sur les avantages de la concurrence - même de la concurrence entre deux établissements publics. C'est-à-dire que la dichotomie public-privé n'est pas ce dont parlaient nos deux premiers témoins. Ils parlaient de l'expérience de la Suède, de la France, et d'autres pays, là où un élément de concurrence entre deux fournisseurs - qui peuvent appartenir tous deux au secteur public - se révélait, de fait, utile. Je veux savoir pourquoi vous vous opposez à la concurrence ou encore si vous assimilez la concurrence à la propriété privée, car ce sont là deux questions distinctes.

M. Randy Lock, directeur général, Offices régionaux de la santé du Manitoba: Quand nous parlons de concurrence dans ce cas particulier, nous parlons de concurrence et de public: le public est tout à fait dérouté lorsqu'il y a des fournisseurs publics et privés de services comparables. Nous ne contestons pas le fait que la concurrence - qu'elle oppose deux entités publiques ou autres - nous conduit à offrir un meilleur service, de meilleurs soins. Ce que nous souhaitons garantir, c'est que le public soit conscient du fait qu'il existe un critère de base. La façon de s'en assurer, c'est d'avoir un système géré par l'administration publique qui s'occupe du point d'entrée dans le système, dans un système et dans un seul système. À l'intérieur de ce système, il peut y avoir des éléments. Ces éléments peuvent consister en divers fournisseurs publics ou en une combinaison de fournisseurs publics et privés. Nous n'entendons pas par là qu'il n'y aurait aucune place dans le système pour les fournisseurs privés. Disons simplement que s'il doit y avoir des fournisseurs privés, ceux-ci doivent travailler à l'intérieur du système et ne pas entrer en concurrence directe avec le système, au sens où ils assumeraient certains services auxquels doit pouvoir accéder le système public aussi, s'il souhaite fournir le spectre complet des soins.

Le président: Je comprends cette partie - la première phrase. Vous êtes dans une position idéale pour essayer de traiter cette question. Présumons que tous les établissements appartiennent au secteur public. L'expérience vécue ailleurs dans le monde donne à penser que si les consommateurs ont le choix, s'ils peuvent choisir l'établissement A ou la clinique A ou la clinique B - et, dans une certaine mesure, toute clinique souhaite maximiser son volume, de sorte que les cliniques sont en concurrence les unes avec les autres - que cela améliore la qualité du service, quel que soit le propriétaire de l'établissement. C'est de cette façon que les deux premières personnes parmi celles qui ont pris la parole, autour de cette table, entrevoient la «concurrence». Je ne sais toujours pas si vous voyez la concurrence comme étant correcte ou non.

M. Lock: Certes, la concurrence est correcte et, certes, la concurrence fonctionne comme vous l'avez décrite. L'autre côté de la concurrence, c'est qu'il existe certains services qu'il est possible de fournir plus facilement, plus aisément que d'autres.

Le président: Donnez-moi un exemple.

M. Lock: Il est relativement simple de pratiquer des appendicectomies. Il n'est pas aussi simple d'assurer des services de santé publique; il n'est peut-être pas aussi simple de fournir des services de santé tertiaires; néanmoins, ceux-ci sont un élément intégral du spectre des services que nous chérissons au Manitoba et partout au Canada. Nous devons nous assurer que, dans un environnement de concurrence, le spectre complet des services continue d'être offert, plutôt que seulement les services qui sont facilement fournis au public, de sorte qu'il n'y aurait plus d'autres services qui sont tout aussi importants, mais qui ne sont pas aussi faciles à fournir.

Le président: Il y a maintenant de la concurrence pour ce qui est du traitement chirurgical de la cataracte, de la chirurgie oculaire au laser et ainsi de suite; il peut y avoir un élément de concurrence pour des interventions simples, par exemple en orthopédie. Par contre, il n'y en a pas pour la chirurgie à coeur ouvert, par exemple.

Le sénateur Morin: J'ai eu la même remarque au sujet de la concurrence. Je ne sais pas très bien pourquoi vous vous opposez à une concurrence entre le fournisseur privé et le fournisseur public, si tout cela relève d'un seul et unique payeur. Il y a une dissociation entre le fournisseur et le payeur, qui, ici, est le gestionnaire, vers laquelle tendent tous les pays européens. Je crois que cela est efficace, mais je ne veux pas m'engager dans cette voie. Par ailleurs, vous avez prononcé une phrase qui m'a impressionné: «... agir autrement mènerait à de la concurrence». À mes yeux, la concurrence représente ici la meilleure forme de stimulation possible.

Pour ce qui touche le financement, vous dites qu'il devrait y avoir un engagement financier important et soutenu de la part du gouvernement fédéral et tout cela. Il y a un an, le 11 septembre 2000, les autorités ont injecté 23 milliards de dollars dans le système. Combien encore le gouvernement fédéral doit-il donner? Doit-il donner 23 milliards de dollars par année, ou y a-t-il une limite à cela?

M. Lock: Je crois qu'une part importante, ou tout au moins une certaine part des 23 milliards de dollars constituait un paiement ciblé ponctuel, par opposition à un financement de base garanti pour l'avenir. En tant que représentant d'une organisation ou d'un groupe d'organisations qui essaie de mener leur affaire, nous ne savons pas à quoi vont ressembler, d'une année à l'autre, nos mouvements de trésorerie. Nous nous retrouvons dans une position difficile parce que nous dépendons des employés dans le système qui fournissent les services. Il faut payer les employés en question pour qu'ils fournissent les services dont il s'agit, alors que nous ne pouvons compter, d'une année à l'autre, sur des fonds garantis.

Par le passé, les budgets provinciaux ont été adoptés après le début de l'exercice courant. Nous ne savons pas ce à quoi va ressembler notre financement. L'argument que nous faisons valoir, c'est qu'il nous faut un montant de base garanti. Ce montant garanti devrait être prévisible. Alors, nous pourrions planifier la conduite des opérations de nos entités avant le début de l'exercice où les activités se mettent en branle.

Le sénateur Morin: L'inconvénient des dépenses d'État, par rapport aux dépenses d'entreprise, c'est que l'État a des priorités politiques. Du côté privé, j'ai mon assurance-dentaire; j'y consacre 1 200 $ par année, et ma police revient d'une année à l'autre, d'une façon qui est stable. Pour moi, c'est une priorité. Par contre, le gouvernement a d'autres priorités qui reposent sur une idéologie politique. Un gouvernement particulier peut être assez porté sur la dépense. D'autres questions entrent également en jeu. Nous sommes actuellement aux prises avec des problèmes de sécurité et, aux yeux de tout Canadien, cela peut revêtir une plus grande importance que les dépenses en santé. Si vous évoluez dans un milieu où les dépenses gouvernementales entrent en jeu, il faut donc pouvoir compter sur un financement stable. C'est là en même temps l'avantage et l'inconvénient du système.

M. Lock: C'est un environnement comme celui-là qui nous oblige à composer quotidiennement avec des urgences, ce qui empêche de planifier à long terme l'évolution du réseau de la santé, ce que, je crois, le public souhaite que nous fassions. Quels sont les moyens de base que le système met à notre disposition et qui, de façon garantie, seront là la semaine prochaine, le mois prochain, l'an prochain si nous en avons besoin? Si nous ne pouvons garantir aux gens un certain niveau de service, qui dépend d'un niveau de financement relativement prévisible, alors les gens croient que le système s'effondre. Tous les jours, ils ouvrent le journal pour découvrir qu'il y a dans le système de santé une autre défaillance dont ils n'étaient pas au courant et pour laquelle ils n'étaient pas préparés. Ce que nous demandons, c'est de pouvoir compter sur un niveau de base que nous pouvons prévoir.

Le sénateur Morin: Vous savez qu'un grand nombre de personnes - et cela a été dit au Forum canadien sur la santé et des gens bien connus ici à Winnipeg, dont le Dr Nora Lou Roos, l'ont dit aussi - affirment que l'argent qui circule dans le système est suffisant. Cet après-midi, le Dr Roos doit venir présenter un témoignage, et je suis sûr qu'elle nous dira qu'il y a suffisamment d'argent dans le système. Comment réagir à cela? Je suis sûr que vous avez entendu parler de ses travaux et de ce qu'elle fait.

M. Lock: Oui, nous sommes certainement au courant du Dr Roos et de ses travaux.

Nous affirmons quand même, à l'échelle régionale et par la voie de l'Association canadienne des soins de santé, qu'il faut un financement de base garanti. La base, telle que nous la connaissons aujourd'hui, ne correspond pas aux 23 milliards de dollars dont vous avez parlé. Il existe des fonds ciblés qui font partie des 23 milliards de dollars en question, et le montant de base dont on peut être sûr est inférieur à 23 milliards de dollars.

Le sénateur Morin: Nombre de gens affirment que, quels que soient les fonds supplémentaires que nous injectons dans le système, cela va être appliqué immédiatement aux augmentations de salaire des travailleurs. Le Fraser Institute fait valoir que les niveaux de salaire des travailleurs du système de santé sont nettement plus élevés que ceux du secteur privé. Je ne parle pas des infirmières et des médecins; je parle des électriciens et des plombiers et du personnel des cuisines et ainsi de suite. L'organisme donne des exemples précis à ce sujet. Nous avons eu droit à des grèves illégales d'un bout à l'autre du pays au cours de la dernière année. Dans plusieurs cas, les syndicats semblent avoir été plus forts que les gouvernements, et cela a débouché sur d'importantes augmentations des salaires.

Il semble y avoir une spirale: dès que nous injectons de l'argent frais dans le système, celui-ci est appliqué immédiatement à l'augmentation des salaires, et 80 p. 100 de l'argent que nous investissons en santé va aux salaires. Il ne semble pas y avoir de fin. Ce qui explique cela, c'est qu'il y a un monopole. S'il y avait cinq ou six sociétés différentes qui offraient le même service, là où il y a grève à la société A, les quatre autres continueraient. Ce sont des raisonnements que l'on a déjà fait valoir. Qu'en pensez-vous?

M. Bryant: Je ne conteste pas le pourcentage dont vous avez parlé pour les salaires. C'est une réalité avec laquelle nous vivons constamment. La lutte que les gens se livrent pour engager des employés est tout à fait féroce. C'est une bataille constante à l'échelle régionale. Et je peux parler au nom de tous les offices régionaux de la santé au Manitoba; c'est une bataille constante pour qui essaie de préserver une certaine égalité entre les provinces. C'est une bataille continuelle, non seulement pour ce qui est de nos infirmières, mais aussi pour ce qui est de nos médecins. C'est donc un problème. Je ne sais pas si vous avez des remarques à formuler là-dessus, monsieur Beresford, en tant que président et directeur général?

M. Beresford: Je suis d'accord et je ne contesterais certainement pas le pourcentage dont vous avez parlé pour ce qui touche les salaires, car je sais que c'est tout à fait vrai. Je conviens aussi du fait que, comme vous l'avez dit, dès que l'argent neuf est injecté dans le système, il y a toutes ces mains tendues du côté de la main-d'oeuvre dans les soins de santé.

Pour ce qui est de l'argent qui se trouve dans le système, j'ai l'impression que le système s'articule autour du modèle pathologique, des aspects curatifs des soins de santé. Pour parler de ma propre expérience dans la région où je travaille, je ne suis pas parvenu à dépasser cela pour envisager l'élargissement des besoins, le vieillissement de la population, la croissance démographique, pour consacrer des sommes d'argent à la promotion de la santé et à la prévention des maladies. À mes yeux, cela est très important, c'est d'une importance capitale. S'il y a des sommes d'argent ciblées que l'on dépense au Manitoba, au Canada, il faudrait qu'elles soient consacrées à cet élément particulier.

Il y a là des économies d'argent qu'il est difficile est difficile de quantifier pour une période donnée, et nous avons tous éprouvé de la difficulté à convaincre les responsables de notre gouvernement provincial, dans certains cas, du fait que pour chaque dollar investi dans la prévention, il y a des économies bien réelles qui se concrétisent plus tard. Toutefois, pour dépasser cela au Manitoba et au Canada, envisageons qu'il y a un besoin important d'argent neuf qui serait consacré à l'étude de projets de promotion de la santé et de prévention des maladies.

Le sénateur Keon: Monsieur Bryant, vous avez fait une déclaration qui peut nous paraître presque banale aujourd'hui: le système n'est pas viable. Je crois que tous les ministres provinciaux de la Santé chantent le même refrain. La question qu'il faut se poser est la suivante: comment travailler pour mettre en place un système qui serait viable?

La population canadienne - et particulièrement les personnes âgées - craignent de revenir à la situation qui existait avant l'instauration du système durant les années 60. Autrement dit, à une situation où, dans bien des cas, la maladie débouche sur la faillite. Par conséquent, elle accueille tout changement proposé avec beaucoup de réticence. Tout de même, nous devons admettre qu'il existe ailleurs dans le monde des systèmes qui fonctionnent beaucoup mieux que le nôtre à l'heure actuellement, particulièrement en Europe. Tous reposent sur une forme quelconque de sécurité financière pour la personne, le malade, mais les soins sont dispensés par des éléments publics et privés à la fois dans un contexte où une concurrence raisonnable est permise.

Encore une fois, quelqu'un a soulevé ce matin un exemple banal concernant l'assurance-automobile obligatoire, qui fonctionne très bien. S'il existe une assurance-automobile obligatoire dans une province, cela est très bien, personne n'a à payer de l'argent de sa poche après un accident. Toutefois, il ne faudrait pas que le gouvernement finance tous les ateliers de débosselage, sinon ce serait la catastrophe. Il est probablement un peu déraisonnable de comparer les soins de santé à la mécanique, mais il y a tout de même là une sorte d'analogie.

D'une façon ou d'une autre, nous devons nous débattre avec ce problème et trouver une façon de dire à la population canadienne que nous devons agir puisqu'il y a ce problème et que, aujourd'hui, 30 p. 100 des services de santé relèvent du secteur privé, et 70 p. 100, du secteur public. Ce qui effraie, c'est que les gens dont la vie tire à sa fin ne sont plus protégés du tout. Les gens vont faire face à une faillite à la fin d'une vie avec les soins chroniques, les soins à domicile et ainsi de suite.

L'autre élément dont il faut tenir compte, c'est les bons médicaments. D'ordinaire, les bons médicaments ne sont pas couverts dans les formulaires. Les meilleurs médicaments contre l'hypertension ne sont pas couverts. Si vous voulez prendre du Cozaar, vous allez à la pharmacie et vous l'achetez, sinon vous obtenez une ordonnance que prend à charge la pharmacie et qui porte sur l'un des médicaments moyens qui sont couverts.

J'aimerais donc que vous preniez une minute pour réfléchir à la question; ensuite, je voudrais que vous fassiez preuve d'audace et que vous proposiez des façons pour nous de nous en sortir. Nous devons faire preuve d'audace. Avant bien longtemps, nous devons produire un rapport et nous devons formuler certaines recommandations, et nous essayons de tirer les éléments de tout cela de vous, qui venez comparaître ici.

M. Bryant: Le terme «innovation» est bon. Oui, il faudra une certaine innovation. Je peux parler d'un point de vue régional, pour une petite région rurale dans la partie ouest du Manitoba, car je suis président de ce conseil depuis que la régionalisation a été instaurée au Manitoba. Notre croissance n'a pas toujours été de tout repos, et nous affrontons tous les jours le problème de la viabilité.

Par le passé, nous avons dû modifier l'orientation du petit établissement de soins actifs parce que nous n'arrivions pas à recruter un médecin, de sorte qu'il n'était plus possible d'offrir des services d'urgence ou de prendre en charge des cas aigus. Nous avons justement modifié l'orientation de cet établissement. L'établissement est encore là, et il fonctionne toujours. De fait, le taux d'utilisation des lits de cet établissement est maintenant plus élevé qu'il l'était à l'époque, car nous en faisons un point de transit pour les gens qui attendent d'être placés dans une institution de soins personnels, etc., pour qu'ils se retrouvent là plutôt que dans un autre établissement de soins actifs.

Là où nous pourrons le faire, nous essaierons donc d'être novateurs et de préserver ou d'essayer de préserver cette viabilité. Cela a été pour nous une heureuse surprise de constater la réaction des gens de chez nous quand nous nous sommes rassemblés avec certains des principaux intervenants, quelques politiciens locaux, pour discuter de l'avenir des soins de santé dans notre région et de la question de la viabilité. Au sortir de ces séances, nous avions l'impression que les gens étaient bien au courant du problème. Ils savent que les choses ne peuvent demeurer telles quelles pendant bien longtemps, qu'un changement s'impose, que cela devient plus évident de jour en jour.

Demain soir, je vais assister à un rassemblement public dans une autre localité. Là, en raison d'une pénurie d'infirmières, nous allons devoir modifier l'orientation de l'établissement qui s'y trouve jusqu'à ce qu'on puisse corriger le système ou régler le problème en engageant une infirmière.

Nous sommes donc très conscients de la nécessité du changement. Je crois que les gens sont prêts à ce qu'il y ait un changement. Je suis très optimiste: avec les bons éléments qui dirigent l'affaire, cela pourra se faire.

Le sénateur Keon: Croyez-vous que les gens sont prêts à accepter que l'entreprise privée offre les services?

M. Bryant: Je ne sais pas jusqu'à quel point je pourrais répondre à cette question avec honnêteté, car je n'ai pas vraiment parlé aux gens de cela. Je sais que pour une certaine part, le secteur privé offre des services dans notre région; essentiellement, c'est parce que nous ne pourrons pas ou parce que nous n'arrivons pas à recruter des ergothérapeutes ou des physiothérapeutes. Des centres privés se sont établis dans notre région, et les gens les fréquentent pour éviter de parcourir une longue distance et de se trouver sur une longue liste d'attente.

Le président: Y a-t-il d'autres témoins qui auraient le goût de s'aventurer dans ce champ de mines?

M. Beresford: J'ai certainement des opinions bien arrêtées sur le degré d'innovation du système et sur les façons possibles d'économiser à l'intérieur de celui-ci. Je ne veux pas qu'on pense que je dénigre les médecins, qui sont des éléments précieux du système de santé, mais je crois qu'ils représentent sans nul doute les principaux facteurs. Pour une part importante, ils contrôlent les dépenses du système de santé quand ils commandent des épreuves de diagnostic, recourent à nos établissements et prescrivent des médicaments.

Je ne suis pas que favorable à la promotion de la santé et à la prévention des maladies. Je suis également convaincu du bien-fondé des soins de santé primaires, des centres de santé communautaires et de l'accès approprié aux soignants appropriés à l'intérieur du système. Quand une personne décide de consulter, elle devrait être mise en relation avec un soignant approprié qui lui serait facilement accessible. Cela serait préférable au premier contact avec le médecin, car, à mon avis, cela aurait un effet salutaire sur les coûts, pour une bonne part.

Le président: Je comprends ce que vous dites à propos des fournisseurs ou des médecins. Je suis d'accord avec ce que vous dites. Toutefois, ne pourrait-on dire que tout être humain rationnel qui entre dans le système ferait déjà cela? Autrement dit, vous laissez entendre que le problème, c'est que toutes les mesures de stimulation du système sont mal avisées. Par conséquent, le gouvernement doit avoir la tendance - et nombre d'entre nous, moi-même y compris, ont occupé un poste de haut rang au gouvernement - à critiquer la conduite de gens qui réagissent de façon tout à fait rationnelle à un système que le gouvernement a établi et qui comporte clairement certains éléments irrationnels. Ma question pour vous est la suivante: étant donné la critique que vous formulez, avec laquelle je suis d'accord, pourquoi est-ce que vous ne modifiez pas les mesures de stimulation à l'intention des médecins, pour qu'ils n'adoptent pas cette conduite qu'ils ont?

C'est une question difficile du point de vue gouvernemental, car elle suppose que vous acceptiez la responsabilité de la chose. Je sais bien que la politique, c'est l'art de faire porter l'odieux de ses propres décisions sur autrui, c'est une situation que je connais bien depuis longtemps. Pourquoi alors ne changeons-nous pas le système? N'est-ce pas ce qui, pour être franc, est à l'origine des travaux de notre comité sur cette question?

M. Beresford: Oui, il existe plusieurs méthodes pour y arriver. La plus évidente, qui, je crois n'a pas eu de succès, concerne la rémunération des médecins - et qui a pour effet de diminuer ce que je qualifierais d'environnement concurrentiel dans l'industrie des soins de santé. Il y a certes là une occasion.

Pour ce qui est de ce que vous avez dit avant cela, une des questions auxquelles nous faisons face, c'est celle de la perception du public - à savoir qui le public considère comme étant le gardien du système de santé.

Les différences d'attitude sont si nombreuses dans une région comme la mienne. J'aimerais vous décrire brièvement cette région. Elle commence à l'autoroute qui se trouve à la périphérie de Winnipeg et s'étend jusqu'au 53e parallèle. À l'intérieur de cette région, il y a 30 000 kilomètres carrés. Il y a un milieu urbain qui correspond à la partie sud de la région, avec l'accessibilité de Winnipeg et de certaines des localités les plus peuplées. Il y a un milieu tout à fait rural et un milieu très éloigné.

Le président: Est-ce que vous incluez Brandon dans cela?

M. Beresford: Non, c'est essentiellement la zone qui se trouve entre les lacs: le lac Manitoba et le lac Winnipeg.

D'après ce que nous a permis de voir le dialogue avec diverses localités, les gens qui ont des services de santé moins accessibles ou moins stables sont tout à fait prêts à accepter les modèles dits de santé communautaire ou de soins primaires. Plus les centres urbains sont proches ou accessibles, plus les exigences du public augmentent. Il est difficile de déterminer comment nous pourrions dépasser cet horizon et modifier la perception qu'a le public des soins primaires, comment nous pourrions trouver l'idée novatrice voulue pour changer le système. Toutefois, étant donné les quelques cas fructueux dont nous pouvons prendre note, à mon avis, nous allons pouvoir, lentement, dépasser, cet horizon. Dans notre région, les appuis communautaires en faveur de cela sont très forts.

Le sénateur Keon: Monsieur Beresford, j'aimerais approfondir cette question avec vous. C'est que j'ai beaucoup d'expérience en ce qui concerne les problèmes avec les médecins, avec la rémunération. J'ai été professeur et directeur d'un département de chirurgie pendant 16 ans, et j'ai dû m'occuper de contrats de travail à temps plein. Je suis président et directeur général d'un établissement où les médecins sont salariés. Certains de nos projets de recherche, par exemple, ont misé sur la télémédecine, là où il n'existe absolument aucun mécanisme de rémunération des médecins. La seule raison pour laquelle nous pouvions le faire chez nous, c'est que cela n'avait aucune incidence sur le revenu des médecins. J'estime donc qu'il y a là une grande marge de manoeuvre pour instaurer un changement, si les choses sont faites de la bonne façon.

Il y a au Canada des régions - et c'est certes le cas des régions du Nord du Manitoba je le soupçonne - où la rémunération à l'acte ne fonctionne tout simplement pas. Cela n'est pas possible. Il faut des équipes, et les membres de ces équipes doivent être rémunérés convenablement. Un médecin ne peut consacrer sa matinée à une conférence téléphonique s'il n'est pas rémunéré, s'il est rémunéré à l'acte médical. Je crois que le gouvernement doit accepter la responsabilité, pour n'avoir pas instauré certains des changements en question.

Je suis tout à fait conscient des critiques qui visent les médecins et tout cela, et elles sont parfois justifiées, parfois pas. Je ne crois pas que nous puissions demeurer là à ne rien faire, particulièrement en ce qui concerne la santé en milieu rural. Le gouvernement doit tout simplement se lever et dire: eh bien, nous allons établir une formule de financement qui couvre l'ensemble des professionnels de la santé dans cette région et nous allons tenir compte de leurs relations, de l'intégration des équipes chargées de gérer les choses dans cette région et ainsi de suite. Si cela se faisait, un bon bout de chemin serait parcouru dans le débat qui a lieu à l'heure actuelle. J'aimerais savoir ce que vous en pensez, car je sais que vous vous intéressez beaucoup à cela.

M. Beresford: Eh bien, je suis certainement d'accord avec ce que vous avez dit. Je suis convaincu qu'il doit y avoir un modèle de rémunération qui favorise le travail d'équipe à l'intérieur du système de la santé. Dans notre province, nous avons accompli certains progrès pour ce qui est des médecins salariés et des médecins à contrat. Nous avons réalisé certains progrès pour ce qui touche la télémédecine, et cela est maintenant inclus, je crois, dans les barèmes de rémunération. Je suis d'accord pour dire que les médecins et les associations qui représentent les médecins doivent avoir un dialogue axé sur la coopération en vue de procéder à une planification novatrice.

Un des traquenards possibles est la relation entre les associations professionnelles et l'organisme de financement. Si nous réussissons à régler ce problème, il existe de nombreux champs d'action où nous pouvons envisager des modes de rémunération novateurs qui favoriseront le travail d'équipe à l'intérieur du système de santé.

Le sénateur Pépin: Vous avez dit que les gens exigent, et s'attendent à recevoir, les mêmes genres de services que ceux qui sont offerts en ville. De même, vous proposez une autre façon de dispenser les services de santé, où le médecin ferait partie d'une équipe qui comprend des infirmières, des pharmaciens et ainsi de suite et où les salaires porteraient sur une année complète de services. Vous proposez qu'une infirmière recommande des patients au médecin ou au spécialiste compétent. Croyez-vous que le médecin sera prêt à accepter ce genre d'innovation?

M. Beresford: Les médecins dans ma région ont bien accueilli la proposition, et ceux qui y sont le plus favorables sont ceux qui travaillent à contrat ou à salaire. Ils ne voient pas la concurrence des autres fournisseurs du domaine de la santé et ils ont tout à fait l'impression de faire partie de l'équipe.

Le sénateur Pépin: Nous devons donc explorer cette avenue.

Le président: Puis-je poser une dernière question? Ce n'est peut-être pas à vous que je devrais la poser, mais vous allez peut-être pouvoir nous éclairer. Nous aimerions saisir le mieux possible ce qui a mené à la création des trois centres de santé privés qui ont exercé leurs activités pendant un bon moment, durant les années 80 et au début des années 90. Nous aimerions savoir s'ils ont bien fonctionné ou non, quelle a été la réaction du public et ainsi de suite. Ensuite, nous aimerions savoir si, au moment où le gouvernement a commencé à financer tous les services aux malades que ces centres prenaient en charge, cela a fonctionné ou non, et quel a été le changement.

Si je ne m'abuse, le gouvernement a acheté l'immeuble dans un des trois cas en question. Cela ferait mon bonheur de savoir pourquoi les pouvoirs publics ont fait cela: je ne comprends pas en quoi le fait d'être propriétaire d'un immeuble change quoi que ce soit - surtout qu'il y en a encore deux.

Si vous pouvez jeter un quelconque éclairage là-dessus, cela nous serait utile, car il y a bien des gens qui vont parler de cliniques parallèles, et d'autres choses. De fait, au Manitoba, nous avons vécu pendant un moment une situation proprement expérimentale. Où peut-on s'adresser pour obtenir l'analyse la plus complète et la plus à jour à ce sujet?

M. Lock: Ceux à qui il faudrait s'adresser à ce sujet, ce sont les représentants de l'Office régional de la santé de Winnipeg, soit une des organisations membres de notre association. Le président-directeur général est M. Brian Postl, et, sans aucun doute, il serait bien au fait de l'histoire de ces cliniques et des modalités qui les régissent actuellement.

Le président: Les trois étaient-elles situées à Winnipeg?

M. Lock: Celle dont vous avez parlé, la plus récente, celle dont les autorités ont acquis l'immeuble, est certainement l'exemple qui vient de Winnipeg. Il y en a au moins une autre à Winnipeg. Pour la troisième, je ne sais pas.

Le président: Il y a également une clinique qui a été construite, mais qui n'a pas de permis et qui exerce tout de même ses activités.

M. Lock: Celle-là est à Winnipeg aussi.

Le président: La source qu'il nous faudrait consulter est donc l'Office régional de la santé de Winnipeg?

M. Lock: Oui.

Le président: Nous allons faire cela. Je vous remercie tous les trois d'être venus. Nous apprécions que vous ayez pris le temps de venir témoigner aujourd'hui. Il importe pour nous de nous entretenir non seulement avec des gens qui ont fait de la recherche, mais aussi avec des gens qui dirigent des établissements, comme vous. Nous savons que vous êtes occupés; nous apprécions dont le fait que vous ayez pris le temps, compte tenu d'un horaire chargé, de venir nous retrouver parmi nous aujourd'hui. Merci.

Le comité suspend ses travaux.

Le comité reprend ses travaux.

Le président: Honorables sénateurs, notre premier témoin, cet après-midi, est Mme Nora Lou Roos du Centre d'élaboration et d'évaluation de la politique des soins de santé du Manitoba. Elle sera suivie de Madeline Boscoe, coordonnatrice de parrainage de la Women's Health Clinic for Manitoba.

Madame Roos, vous pouvez commencer.

Mme Nora Lou Roos, Centre d'élaboration et d'évaluation de la politique des soins de santé du Manitoba: Monsieur le président, c'est la première fois que je présente un tel exposé; et c'est un honneur pour moi de le faire.

Je commencerai par signaler que plusieurs aspects de ce rapport sont louables. Je crois que vos objectifs ont du sens. Les options que vous proposez pour réduire les coûts des médicaments d'ordonnance ont du sens. Votre appui à l'égard de la recherche et du développement, et de l'utilisation de l'information sur la santé est louable. Vous souhaitez que le rapport repose sur des faits et non pas sur une idéologie; or, c'est exactement ce dont a besoin le pays.

La question qui me préoccupe - et c'est une question très grave -, c'est que d'après ce que j'ai lu jusqu'à maintenant, et particulièrement dans le cas du volume IV, il n'y a pas là de rapport fondé sur les faits et non pas sur une idéologie. Les chapitres 6 et 7 du rapport comportent un grand nombre de lacunes graves.

J'ai exposé dans mon mémoire trois champs d'action où il y a des problèmes. Premièrement, les données ne confirment pas le fait qu'un financement privé s'imposerait, suivant la proposition du comité, pour régler le problème de l'accès rapide aux soins. Deuxièmement, les données ne confirment pas l'hypothèse du comité selon laquelle il faut injecter plus d'argent dans le système de santé. Troisièmement, aucun examen des faits concernant les mécanismes privés de financement n'est effectué.

Le problème que pose à mes yeux cette version du rapport, c'est que le comité présume que toute option nouvelle serait préférable au statu quo et que les problèmes sont horribles, même si les données que vous présentez dans les volumes antérieurs disent le contraire. De ce fait, le résumé présente sans réflexion critique une panoplie d'options, et le rapport entier repose, pour la question de la participation du secteur privé, sur un examen qui manque d'équilibre et d'exactitude.

Je vous recommanderais de collaborer avec certaines des organisations nationales que vous avez désignées. Les Instituts de recherche en santé du Canada, la Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé et les instituts de recherches sur la santé de la population sont autant d'organisations qui sauraient vous faire profiter d'un examen réfléchi et rigoureux de vos conclusions et de vos options, et de la mesure dans laquelle elles découlent des faits.

Je vais donner des précisions sur les points du rapport qui me posent certains problèmes. Vous affirmez que les listes d'attente représentent un des grands problèmes. Personne ne viendra vous contredire pour affirmer que cette question attire l'attention du public. Les options que vous proposez supposent un recours au secteur privé.

La Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé est une organisation à laquelle vous pourriez vous adresser pour faire examiner les données à cet égard. L'actuel président du conseil d'administration, M. Arnold Naimark, est président de notre université et a déjà été doyen de la faculté. MM. Matthew Spence et Michel Bureau, membres fondateurs du conseil de l'institut ont publié une série d'ouvrages pour démythifier la question, dans lesquels ils examinent de près les données concernant les temps d'attente et la participation du secteur privé. Dans un de leurs essais, dont j'ai parlé dans mon mémoire, ils examinent particulièrement les données qui dissipent le mythe selon lequel un système privé parallèle réduirait les temps d'attente du système public. Ils établissent que cela est un mythe. Les données ne permettent tout simplement pas d'en arriver à cette conclusion.

Aujourd'hui, vous avez posé une question concernant l'effet des cliniques privées au Manitoba, où certaines personnes pourraient aller au début de la file. Vous avez parlé de M. Brian Postl, qui est président de mon comité consultatif. C'est un homme très réfléchi qui dirige l'Office régional de la santé de Winnipeg. Je crois qu'il vous recommanderait notre rapport. Nous avons étudié la variabilité du temps d'attente pour le traitement chirurgical de la cataracte suivant que le chirurgien exerçait son métier uniquement dans le secteur public ou dans les deux secteurs. Nous avons constaté que les personnes opérées par un chirurgien qui exerçait uniquement ses activités dans le secteur public attendaient nettement moins longtemps que les personnes opérées par un chirurgien oeuvrant à la fois en clinique privée et dans un hôpital du secteur public.

Une enquête organisée par l'association des consommateurs de l'Alberta a permis d'établir le même constat. Quelqu'un a téléphoné pour demander combien de temps il faudrait attendre pour certaines interventions chirurgicales. De même, en Angleterre, on a constaté que l'existence d'un système privé parallèle ne réduit pas le temps d'attente dans le secteur public. Les données invitent plutôt à croire que cela fait augmenter le temps d'attente.

De même, l'hypothèse selon laquelle il faut plus d'argent, d'où la nécessité de se tourner vers des options faisant appel au secteur privé, ne repose pas sur des données solides. Visiblement, les Américains dépensent davantage que nous dans le secteur de la santé. Ils dépensent plus du côté privé et ils dépensent plus du côté public. Plus d'argent ne permet pas d'acheter plus de soins chez les Américains.

Globalement, le taux d'interventions chirurgicales est plus élevé chez nous qu'aux États-Unis. Les consultations de médecins par personne sont plus nombreuses ici. Nous passons un plus grand nombre de jours à l'hôpital que les Américains. Quant à la qualité des soins, il n'existe absolument aucune série de données irréfutables démontrant que les dépenses américaines beaucoup plus élevées permettent d'acheter des soins d'une qualité supérieure à ce que nous obtenons au Canada. De fait, les données sont très mitigées. Dans certains cas, il semble que les Canadiens reçoivent des soins de meilleure qualité. Certes, il est clair que les Canadiens sont en meilleure santé que les Américains, malgré les grandes sommes d'argent qui sont consacrées au système de santé américain.

Enfin, l'examen que vous faites des mécanismes de financement public par rapport aux mécanismes de financement privé est très mal équilibré. Dans ce volume, vous citez des données provenant de quatre organisations différentes en ce qui concerne les comptes d'épargne médicale. J'ai fait une recherche sur le Web pour déterminer les opinions des organisations en question en ce qui concerne le secteur de la santé. J'en ai conclu qu'elles cherchent toutes à miner le système public. Si on examine les études impartiales portant sur l'utilisation des comptes d'épargne médicale aux États-Unis, là où les chercheurs ont essayé d'évaluer la pratique, ou les données recueillies à Singapour, on constate que, selon les données, ce ne serait pas une option attrayante pour le Canada.

Le système canadien est, on le sait, efficient. La bureaucratie de l'assurance privée aux États-Unis absorbe entre 10 et 15 p. 100 de ce que dépensent les Américains dans le système de santé. C'est l'une des raisons pour lesquelles c'est si coûteux.

En résumé, vous n'avez pas produit un rapport qui repose sur les faits et non pas une idéologie, et cela me préoccupe beaucoup puisque vous visez très bien les objectifs que vous vous êtes donnés. Je vous invite vivement à adopter des mesures en vue de pallier les lacunes qui marquent actuellement le rapport.

Mme Madeline Boscoe, coordonnatrice de parrainage, Women's Health Clinic: Je vous remercie beaucoup de me donner l'occasion de présenter un exposé aujourd'hui. Je suis infirmière de formation, je travaille depuis longtemps à la Women's Health Clinic, ici, à Winnipeg. J'ai cru bon de le souligner, car je suis salariée, même si je présente aujourd'hui les réflexions et les remarques...

Le président: Je m'excuse de vous interrompre, Madame Boscoe, mais allez-vous lire les neuf pages de votre mémoire?

Mme Boscoe: Non, je ne ferai pas cela. Je crois à la télépathie, c'est-à-dire à une sorte de courriel de l'esprit.

Le président: Nous allons certainement nous en servir.

Mme Boscoe: Je vais insister sur quelques points préoccupants. J'ai préparé le rapport parce que j'ai pensé que vous vouliez des arguments.

Le président: C'est très bien.

Mme Boscoe: À l'origine, nous n'avions pas du tout l'intention de présenter un exposé, car nos préoccupations sont très précises. Mme Roos a bien illustré les préoccupations importantes que nous entretenons à propos de certaines parties du rapport. Tout de même, nous avons, à l'égard d'autres parties du même rapport, un enthousiasme sans réserve.

J'ai passé l'été auprès de ma belle-mère à New York, à essayer - et j'emploie le terme «essayer» - de la soigner à la suite d'une chirurgie de remplacement de la hanche. Moi qui travaille dans notre système, j'ai été dépassée par le nombre d'interactions avec le personnel d'administration et de garde et par le nombre d'opérations financières qu'il a fallu. Souvent, on pouvait envoyer ou recevoir des chèques pour une somme aussi modique que 4 $ à titre de participation aux coûts. Il y avait un système de remboursement et des franchises. C'était un système très compliqué. J'avais l'intention d'apporter le document à ce sujet, car cela confinait à de l'art, mais j'ai décidé de ne pas le traîner ici. Cela ne m'étonne pas du tout que leurs coûts administratifs soient si élevés. Je ressens une très vive inquiétude à penser que nous pourrions essayer de modeler notre système sur celui-là à l'avenir.

Nous sommes là parce que nous sommes convaincus que la réforme de la santé est une question qui intéresse particulièrement les femmes. Nous travaillons et nous mettons un réseau sur pied, ici, au Manitoba, depuis 1993. Les femmes, comme vous le savez, sont majoritaires parmi les bénéficiaires des soins de santé et parmi ceux qui dispensent les soins de santé, que ce soit à titre rémunéré ou non, au Canada.

À bien des égard, nous croyons que les soins et l'expérience des femmes dans le domaine de la santé et de la politique de santé publique illustrent l'évolution courante de la société. De bien des façons, nous sommes les oies du Capitole.

Je signalerais tout de même que notre recours plus important aux services de santé tient surtout à notre fonction de reproduction; de plus, comme c'est le cas aussi pour les hommes, il y a un lien entre le taux de maladie et le niveau de revenu. Cela inquiète beaucoup les femmes, car la pauvreté est de plus en plus «féminisée». On croit qu'environ 50 p. 100 des femmes seules de plus de 65 ans seront pauvres. Nous savons qu'en raison d'une participation inégale au marché du travail, d'un salaire moindre, du travail à temps partiel, du congé pris du marché du travail pour s'occuper d'enfants ou de parents, les femmes ont moins accès aux prestations de pension, aux régimes de pension, et ainsi de suite, aux régimes de services dentaires, que leurs homologues de sexe masculin.

La question de la privatisation est très importante aux yeux des femmes, et c'est pourquoi nous sommes ici aujourd'hui. Nous avons terminé un projet de très grande envergure visant à étudier l'effet de l'état de santé, la pauvreté et les femmes ici au Manitoba; et à étudier certaines des données recueillies par le service de Mme Roos pour ce qui touche l'utilisation des services de santé. Je vous en laisserai un exemplaire, puisque j'y ai fait allusion. Malheureusement, je n'ai pas apporté vingt-cinq copies.

Les conséquences de la réforme de la santé pour les femmes nous intéressent beaucoup. Selon ce que nous avons pu observer, d'abord et avant tout, la réforme de la santé à ce jour a consisté à privatiser des éléments du système public et à les transférer aux soignants bénévoles et aux entités privées, là où le fardeau de la chose est assumé de façon inégale.

Les femmes ont été conscrites et sont devenues les éléments bénévoles du système, tandis que les hôpitaux ont modifié des règles décisionnelles touchant le congé des malades, et c'est en raison de cela que, à mon avis, les questions comme les soins à domicile sont très importantes pour nous.

Nous appuyons vivement la vision que vous proposez d'un nouveau modèle de soins primaires. De fait, mon organisme illustre très bien le genre de mesures que vous envisagez dans votre rapport. Cela dit, je dois dire que les propos tenus au début de section 5, où il est question des soins de santé en tant qu'industrie de service, ont pour effet d'aliéner les bénévoles, les clients et le personnel de notre organisme. Toutefois, nous en arrivons à la conclusion que votre vision correspond à la nôtre.

À la Women's Health Clinic, cela fait vingt ans que nous appliquons un modèle de soins qui met la collectivité et les clients au coeur du processus décisionnel et, de fait, nous faisons souvent la blague en disant que nos clients sont nos patrons, de façons qui sont bien réelles. Notre conseil d'administration se compose de membres de la collectivité et de clients. Par conséquent, nous voyons des modèles de services uniques fondés sur les besoins. Par exemple, nous avons depuis dix-huit ans environ une clinique sans rendez-vous pour adolescents. Nos conseillères sont des bénévoles qui ont entre 18 et 24 ans. Les membres du personnel ont les cheveux mauves, et la musique est tellement forte que vous auriez peine à la supporter. Il n'y a pas d'attente, c'est une clinique sans rendez-vous. Une cliente peut arriver en compagnie de dix amies. Tout est très informel. Les adolescents nous ont dit qu'ils voulaient des services de santé utiles pour lesquels on pouvait rendre des comptes.

Je vous ai fourni notre rapport annuel et un exemplaire de ce que nous appelons notre modèle de soins, qui expose comment nous nous y prenons pour édifier un programme et interagir avec nos clientes. Je me réjouis au plus haut point de pouvoir vous signaler que nous avons reçu un prix d'excellence pour cela, le Commonwealth Award For Excellence. Nous avons tous travaillé très fort à ce projet; c'est donc bien de voir que celui-ci a eu droit à une reconnaissance internationale.

Nous avons dix-huit ETP et un budget de plus de un million de dollars. Nous avons des médecins, des infirmières, des sages- femmes, des conseillers, des travailleurs sociaux et environ 240 bénévoles qui s'occupent de counselling, d'éducation dans les écoles, de conférences publiques, de comités organisateurs, et ainsi de suite. Nous sommes liés activement à notre collectivité et nous élaborons des programmes qui reflètent les besoins de la collectivité.

Nous avons également un service actif d'élaboration des politiques et de défense des intérêts. Je suis la personne-ressource à cet égard. Cela nous permet d'organiser des mesures portant sur des questions comme les techniques de reproduction, les techniques génétiques, les troubles alimentaires chez les jeunes femmes et la restructuration de la Direction générale de la protection de la santé. Nous espérons qu'il sera davantage question du modèle de centre de santé communautaire dans votre rapport, car il s'agit à nos yeux d'un modèle utile dont on n'a pas suffisamment vanté les mérites au Canada.

Je ne vais pas reprendre les observations que Nora Lou a formulées au sujet de la rémunération à l'acte et de l'utilisateur-payeur, sinon pour dire que nous nous soucions particulièrement des inégalités qui marquent la partie ordinaire de notre système social. Ce sont des choses qui peuvent avoir un effet injuste sur les femmes, surtout les femmes âgées qui, bientôt, formeront la majeure partie des aînés. Mon rapport explore quand même certains des mythes auxquels Nora Lou a fait allusion.

Je tiens également à vous féliciter de la vision que vous avez d'un programme national d'assurance-médicaments. Nous croyons que cela a une importance capitale. Nous proposons que vous établissiez en parallèle un système d'information sur les médicaments et les appareils médicaux à l'intention du consommateur. Je crois que nous avons dépassé le point où il faudrait se fier uniquement aux notices des compagnies pharmaceutiques.

Je suis très active au sein du comité directeur du Réseau canadien de la santé, qui se soucie en premier lieu de mettre en ligne de l'information sur la prévention et le mieux-être. Nous savons que les Canadiens sont à la recherche d'informations impartiales.

Nous devrions adopter des mesures dissuasives à l'égard de la publicité pharmaceutique ainsi que des activités pédagogiques pour les médecins. Parallèlement, nous devrions établir un système de rapports sur les réactions indésirables aux médicaments qui recrute activement les consommateurs et fait appel à leur participation.

Nous avons beaucoup apprécié vos observations concernant la promotion de la santé et la santé de la population. Nous croyons que c'est là un élément d'une importance capitale, et nous nous réjouissons de voir proposer l'idée d'un commissaire aux études d'impact sur la santé. Nous espérons que les notions en question seront inscrites dans une loi fédérale. C'est d'ailleurs la blague qui circule chez nous: nous faisons bien des études d'impact pour l'environnement pourquoi ne pas en faire pour les gens?

Nous aimerions aussi voir des programmes qui favorisent et soutiennent les groupes d'entraide des citoyens, les groupes d'intervention sur la santé. Une de nos préoccupations depuis que le gouvernement fédéral a comprimé les dépenses - et il n'en est pas question dans votre rapport - c'est qu'un grand nombre de groupes communautaires de consommateurs, par exemple les gens qui traitent avec le cancer du sein et l'endométriose, ceux qui luttent contre la pauvreté et ceux qui offrent leur aide aux personnes qui souhaitent cesser de fumer ont perdu leur infrastructure avec les compressions des programmes de promotion de la santé et des programmes d'éducation de Santé Canada. De ce fait, nombre de ces groupes commencent à s'associer à l'industrie pharmaceutique d'une façon qui échappe à notre emprise. La responsabilité et la transparence importent pour le milieu des bénévoles, tout comme cela importe partout ailleurs.

Certains des partenariats ainsi établis ont eu pour effet de remodeler les programmes d'action des citoyens. Le paysage de l'action civique dans le domaine de la santé, désormais, fait voir surtout la maladie et le traitement de la maladie. Les groupes qui s'intéressent au mieux-être et à la promotion de la santé ne comptent pas de partenariat semblable. À mon avis, cela va fausser le débat sur ce que représente un système de santé efficace. Je m'arrêterai là.

Le président: Avant de donner la parole aux sénateurs Keon et Morin, j'aimerais traiter de certains des points que vous avez formulés, car, à mon avis, vous avez passé à côté de certains des points du volume 4. Dans votre mémoire, et vous l'avez d'ailleurs répété au cours de votre témoignage, vous dites:

«Les données ne confirment pas la nécessité de recourir au financement privé, suivant la proposition du comité, pour régler le problème de l'accès rapide aux soins».

Notre rapport ne renferme pas de proposition. Notre rapport renferme une série d'options. Il renferme des options allant de l'extrême droite à l'extrême gauche, et il occupe tout l'espace entre les deux. Cela m'inquiète de savoir que vous pouvez y voir une proposition, alors que nous avons affirmé expressément que nous n'allions pas présenter de proposition, que tout ce que nous allions faire c'était de présenter des options.

Permettez-moi simplement deux autres observations, puis je serai heureux d'écouter votre réponse. Dans la documentation que vous nous avez donnée, vous dites que l'affirmation selon laquelle les listes d'attente sont longues pour la plupart des interventions repose sur des données qui sont minces. Encore une fois, je ne crois pas que nous ayons dit cela. Je crois que ce que nous avons dit, c'est que le principal souci des Canadiens au sujet du système de santé concerne la longueur des listes d'attente. C'est là une affirmation qui me semble irréfutable, étant donné tous les sondages d'opinion publique qui ont été effectués et toutes les observations qui ont été formulées. Dans votre mémoire, vous dites qu'il faut attendre quarante jours pour le traitement des varices et cinquante jours pour les amygdales. Vous exprimez la longueur des listes d'attente en jours, même si cent vingt jours correspondent à quatre mois environ. Notre point de vue sur la question des listes d'attente est la suivante. Il n'y a pas beaucoup de doute là-dessus, le public perçoit les listes d'attente comme étant le plus gros problème et si vous avez à formuler une politique gouvernementale, il importe d'en tenir compte.

Cela dit, je crois que l'idée que vous avez d'une procédure nationalisée de liste d'attente est excellente, et nous devrions en discuter.

Vous avez également affirmé que les données ne confirment pas l'hypothèse du comité selon laquelle il faut injecter plus d'argent dans le système. Ce que nous disons dans le rapport, je crois, c'est qu'il y a toutes sortes d'experts qui exigent plus d'argent. Nous avons expliqué très clairement qu'il existe à cet égard deux écoles de pensée. La première dit qu'il n'est pas nécessaire d'injecter plus d'argent, l'autre affirme qu'il faut plus d'argent.

Notre point de vue, c'est que si nous allons commencer à étudier la question du financement, étant donné le temps qu'il faut pour modifier un élément quelconque de ce système, il serait important d'entamer un débat public sur la question de savoir ce qui se passe, s'il faut plus d'argent. Ensuite, nous parlons du besoin, comme Mme Boscoe vient de le dire, d'élargir le système de manière à bien prévoir les médicaments et les soins à domicile en cas de catastrophe. Visiblement, les gens ont besoin d'une plus grande somme d'argent qui proviendrait de quelque part. Je ne crois pas que nous ayons porté un jugement. Notre point de vue, c'est qu'il faut commencer à discuter de ce qui se passe, s'il faut injecter de l'argent dans le système, plutôt que d'accepter la première école de pensée, dont le jugement catégorique est qu'il n'est pas nécessaire d'injecter d'autre argent dans le système.

Enfin, je ne peux résister à l'envie de vous taquiner à ce sujet, car vous avez laissé entendre que notre position est idéologique. Dans la documentation que vous nous avez donnée, vos comparaisons concernent le Canada et les États-Unis. Je crois que nous le disons très clairement dans le rapport: la comparaison avec les États-Unis, ce raisonnement, tient à la vision bipolaire classique que nous avons du monde, ce dont, je l'aurais cru, les universitaires se seraient écartés. Tout de même, il y a une certaine perception dans le monde qu'il existe un modèle canadien et puis le modèle américain et rien d'autre entre les deux. De fait, je ne crois pas qu'il y ait dans notre rapport de référence significative à des données américaines. À dessein, nous avons parlé de modèles européens qui répondent à l'objectif canadien, soit l'universalité des soins, ainsi que de divers autres modèles.

Je comprends la raison pour laquelle vous avez employé les données américaines pour faire valoir votre point. Toutefois, en faisant cela, vous adoptez peut-être une position aussi idéologique que celle qu'aurait notre rapport à vos yeux. Je vous propose cette réflexion et je m'arrête là.

Avant que je ne cède la parole au sénateur Keon, vous allez peut-être vouloir répondre.

Mme Roos: La difficulté que vous avez peut-être en ce qui concerne votre rapport c'est qu'il peut être difficile pour nous tous de traiter d'une question quelconque d'une façon qui n'est pas idéologique.

Le centre où je travaille a été fondé à l'époque où les Conservateurs étaient au gouvernement. Nous fêtons dix ans de travail qui se sont déroulés sous l'égide de quatre ministres de la Santé. Maintenant, le NPD a été porté au pouvoir. Je suis tout à fait convaincue que le système doit reposer sur des approches rigoureuses fondées sur des données à cet égard.

Le président: Nous sommes tout à fait d'accord avec vous à ce sujet.

Mme Roos: Je suis seulement venue ici parce que j'ai reçu un appel téléphonique où la personne m'a demandé de venir présenter un exposé devant votre comité. À ce moment-là, j'ai regardé votre rapport. Pour être franche, j'étais très inquiète. Je crois que l'inconvénient pour vous, c'est que vous êtes perçu comme provenant du secteur privé. Vos liens avec Extendicare sont comme une sonnette d'alarme pour les gens. Je crois que vous allez devoir, en tant que président du comité, faire des pieds ou des mains pour vous défendre.

Le président: Simplement pour que les choses soient claires: il s'agit d'un rapport adopté à l'unanimité par 14 personnes.

Mme Roos: Tout à fait.

Le président: Soit dit en passant, deux médecins m'accompagnent aujourd'hui.

Mme Roos: Tout de même, comme nous en parlions dans le corridor, les gens ne sont pas d'accord les uns avec les autres. Ce qui préoccupe les gens, c'est la présentation sans réflexion critique d'une prépondérance d'options qui invitent à croire que le financement du secteur privé représente la voie qu'il faut choisir. Vous ne voyez peut-être pas cela dans votre rapport, mais j'en ai discuté avec des scientifiques partout au Canada, et je leur ai demandé de lire le rapport et de me dire si je me trompe.

Comme je l'ai dit, les gens estiment que plusieurs aspects du rapport sont tout à fait positifs, mais il y a le ton général qui dit que nous sommes aux prises avec une crise, qu'il faut juguler la crise en trouvant d'autres sources de financement et que le secteur privé semble tout indiqué - cela transparaît dans le rapport entier. Ce n'est pas que ma perception à moi, l'idée qu'il s'agit là d'un grand problème et d'une perception largement répandue.

Le président: Ce n'était pas notre problème.

Le sénateur Keon: Madame Roos, j'admire au plus haut point votre travail et le travail de votre organisation. À mes yeux, l'énigme que doit résoudre la collectivité canadienne dans son ensemble consiste non pas à savoir s'il faut mettre plus ou moins d'argent dans le système, mais plutôt la manière de régler le problème de distribution et la manière de briser l'embâcle. Nous avons un système auquel, je crois, la plupart des Canadiens sont terrifiés de renoncer. Ils ne veulent pas d'un système où ils pourraient devoir faire faillite pour s'être occupés d'une maladie. Ils constatent que cela arrive ailleurs dans le monde. Notre système a été conçu, fondamentalement, pour financer des hôpitaux et des médecins, et ce système est devenu déréglé.

Nous connaissons maintenant le taux de croissance le plus rapide des soins aux personnes en fin de vie et des soins médicamenteux, et dans les deux cas, cela est facturé de plus en plus à l'utilisation. Si vous voulez de bons médicaments, vous sortez de l'argent de votre poche pour vous les procurer. Si vous voulez des soins en fin de vie pour maman ou papa, suivant des critères qui sont acceptables à vos yeux, vous allez finir par devoir piger dans vos poches, bien qu'une certaine part puisse vous être accordée au début, mais ce ne sera pas grand chose.

La véritable énigme, c'est de savoir comment la société va régler cette situation, de «A» à «Z»? Ce dont il faut être conscient, c'est que le gouvernement paie environ 70 p. 100 de la facture et que le citoyen, d'une manière ou d'une autre, en assume environ 30 p. 100. Est-ce qu'il devrait y avoir un mécanisme de redistribution qui ferait que les coûts des services des médecins et des hôpitaux seraient établis au même tarif que celui des médicaments et des interventions en fin de vie? Sinon, pour résoudre l'énigme, faut-il ajouter de l'argent pour que les interventions de fin de vie et les médicaments soient couverts intégralement? Avez-vous une solution à proposer?

Mme Roos: Je crois que les solutions se retrouvent dans les données. Vous avez dit que celui qui veut de bons médicaments doit se les payer.

Le président: Un éclaircissement: je crois qu'il a énoncé un fait et non pas présenté une proposition. Le sénateur Keon a dit vrai: la plupart des formulaires provinciaux ne couvrent pas certains des médicaments les plus efficaces, justement parce qu'ils sont coûteux. Ce n'était pas une proposition. Je veux être tout à fait sûr que vous distinguez l'énoncé de la proposition. Il ne faisait que dire la vérité, autant que nous le sachions, en autant qu'elle s'applique à toutes les provinces au Canada. Je suis sûr qu'il peut vous donner des exemples précis de médicaments à ce sujet, si vous le souhaitez.

Mme Roos: Je comprends qu'il existe de nombreuses situations où ce que l'on nous présente comme étant le bon médicament, le médicament qu'il nous faut absolument, ne correspond pas à ce qui, selon les données, représente un médicament tout aussi efficace, mais moins coûteux. L'autre jour, Michael Rachlis a affirmé que, pour traiter son hypertension, il prenait un médicament qui coûte - je ne sais pas si c'est cinq cents ou 50 cents par jour, par opposition à un médicament qui coûte 5 $ par jour. Certes, cette information existe.

Je crois que, à un moment donné, vous dites dans le rapport que si on a suffisamment d'argent et qu'on veut aujourd'hui les soins de la meilleure qualité, on devrait aller aux États-Unis. C'est ce que font les Canadiens. Le nombre de Canadiens qui se rendent justement aux États-Unis pour obtenir des soins médicaux est très faible. Cela vaut même pour les Canadiens les mieux nantis.

Si vous regardez les soins en fin de vie, les services des centres d'accueil et les soins à domicile...

Le sénateur Keon: Si vous permettez que je vous interrompe, j'en conviens: le nombre de personnes qui se rendent aux États-Unis pour obtenir des soins est très faible. Toutefois, ceux qui le font sont très riches. J'en suis un témoin direct. Si les patients ont besoin d'une endoscopie sous anesthésie générale, ils vont simplement aux États-Unis.

Mme Roos: Je sais. Ma famille est américaine. Tous mes parents habitent aux États-Unis. Je peux vous donner un exemple de soins horribles dispensés à mon père aussi bien qu'à ma belle-mère. Quand on examine les données, comme l'ont fait des groupes de chercheurs en Colombie-Britannique et en Ontario, et qu'on dénombre les gens qui vont aux États-Unis, on constate que cela demeure extraordinairement faible. Ce ne sont pas les riches, les groupes à revenu élevé qui vont aux États-Unis. Je crois que vous devez inclure les données à cet égard dans le rapport pour comprendre quelle ampleur a ce problème.

Le sénateur Keon: Je ne suis pas du tout d'accord avec ce que vous dites. Je n'ai vu aucune donnée qui indique que les riches ne vont pas aux États-Unis pour obtenir des soins.

Je ne suis pas en faveur du système de santé américain. J'y ai travaillé avant de venir au Canada il y a 32 ans. Je n'ai jamais regretté être revenu au Canada. Je crois que notre système est merveilleux.

Par contre, ce n'est pas ce que je voulais dire. Ce que je voulais dire, c'est qu'il n'y a plus une répartition égale des fonds dans le système de santé canadien. Nous devons trouver une façon d'avoir une répartition égale des fonds. Comment aborder cette question?

Mme Roos: Au moment où je faisais partie du forum sur la santé du premier ministre, l'augmentation du coût des médicaments nous préoccupait beaucoup. Ce qui a été recommandé, essentiellement, c'est un programme d'assurance-médicaments qui ferait que tous les coûts des médicaments relèveraient d'un seul et unique payeur. C'est la façon la plus vraisemblable d'en arriver à des soins de qualité à peu de frais. Je crois que cette approche a encore aujourd'hui beaucoup de sens.

Le sénateur Keon: D'où proviendrait l'argent pour cela?

Mme Roos: Aucune donnée ne permet d'établir avec certitude que cela ne sera pas moins cher au cours des dix prochaines années que l'une quelconque des autres options que vous avez proposées. Certes, le système canadien - de fait, tout système - a mieux réussi à contrôler les coûts que le système américain. Le coût des médicaments donne le meilleur exemple de la participation solide du secteur privé.

Le sénateur Keon: Si je comprends bien, vous dites que nous devons aller chercher dans le système même des gains en efficience pour couvrir les secteurs que nous ne finançons pas en ce moment. C'est bien cela votre opinion?

Mme Roos: Je dis que dans le domaine de l'assurance- médicaments en particulier, il y a des possibilités de financement. Si nous adoptons un système national, ce que nombre de groupes ont recommandé, tout comme c'est le cas pour le système médical, cela donnera un système nettement meilleur et nettement plus efficace que les autres options que vous proposez. C'est ce que portent à croire les données.

Le sénateur Keon: Comment avez-vous interprété la solution que je proposais? Qu'avez-vous à dire là-dessus?

Mme Roos: La solution que vous proposez?

Le sénateur Keon: Oui.

Mme Roos: Votre rapport entier, à mes yeux, prône le maintien du système à payeur unique et propose comme option l'accroissement du nombre de possibilités d'appliquer des droits d'utilisation et de recourir au secteur privé. Dans votre résumé, vous exposez très clairement ces options et les présentez comme une façon souhaitable de contrôler la demande des consommateurs et de renflouer le système.

Le sénateur Keon: Monsieur le président, notre témoin en ajoute tant à la discussion que j'espère que vous allez me permettre de continuer à en débattre avec elle pendant quelques minutes.

Le président: Certainement.

Le sénateur Keon: Le compte rendu officiel le confirme, j'ai déjà affirmé que le système de santé canadien n'a pas besoin de plus d'argent et que ce n'est pas là notre gros problème. Notre problème, c'est une mauvaise répartition de l'argent et un manque d'efficacité dans les dépenses. Si l'adversaire d'un débat me met au défi de le faire, je ne sais pas quoi proposer pour régler le problème des médicaments et je ne sais pas quoi proposer pour résoudre la question des soins en fin de vie, sans imaginer l'injection de sommes d'argent. J'aimerais que quelqu'un me révèle l'argument que je dois employer pour la prochaine fois où je serai pris au piège.

Le président: Nous allons donner à Mme Roos un moment pour réfléchir à cela.

Mme Boscoe: Le National Working Group on Women and Health Protection étudie la question des médicaments et celle de l'utilisation des médicaments. Je vous ai apporté un rapport d'un groupe international de médecins qui se donne pour nom «No Free Lunch».

Ce groupe essaie d'envisager des approches rationnelles de l'utilisation des médicaments dans la pratique médicale. Le terme «New Free Lunch» évoque les sommes d'argent astronomiques que les compagnies pharmaceutiques consacrent prétendument à l'éducation des médecins. Je dis «prétendument» parce que je ne crois pas que cela soit vrai, même si je sais que les médecins vont faire valoir que les repas, les voyages et les échantillons de médicaments gratuits ne les influencent jamais. Si on regarde l'exemple de Celebrex et la façon dont le produit a été introduit dans l'économie canadienne, nous verrons là qu'il y a là des économies absolues dès le départ. Si nous avions un formulaire national et que nous avions eu une discussion nationale fondée sur les faits à propos de ce médicament, nous aurions économisé suffisamment d'argent pour payer tous nos médicaments pendant longtemps.

Je proposerais, et je ne suis pas économiste, que ces entreprises n'aient pas le droit de radier le coût de ces petits cadeaux et que l'on conçoive des mesures profondément dissuasives, par voie fiscale. Ces sommes d'argent pourraient facilement, et devraient facilement, être canalisées dans un programme d'assurance- médicaments, et l'on pourrait faire le suivi de certaines des propositions qui se trouvent dans mon mémoire.

J'ai connu la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme, le rapport Hastings sur les soins de santé et la vision que l'on se donnait des membres de la population canadienne travaillant ensemble pour résoudre des problèmes. Cette vision s'est dissipée, et nous travaillons maintenant en fonction du pire de nos fantasmes paranoïaques.

J'ai lu votre rapport, sénateur Kirby, d'une façon très semblable. Je l'ai lu non pas parce qu'il recelait toutes sortes de possibilités, mais parce qu'il figurait au programme. En tant que Canadienne, je prends très au sérieux les choses que nous faisons figurer à notre programme et les choses que nous excluons. Il semble que l'on n'envisage pas cela. Je vois que les gens de mon âge veulent passer devant les autres et je vois des gens qui sont terrifiés à l'idée que la collectivité ne sera pas là pour eux. Nous avons pour responsabilité de renverser la vapeur, non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour nos enfants et les générations qui suivront. Il y a des possibilités, mais cela veut dire qu'il faudra s'attaquer à certains des gros intérêts de notre système et se réapproprier leur champ d'action. J'ai parlé, en particulier, de la fiscalité à cet égard.

La Women's Health Clinic existe en tant que modèle. Nous avons fait cela à l'intérieur du système. Nous l'avons fait en discutant sérieusement avec la collectivité et en ayant un débat avec les consommateurs. Nos clientes ne consomment pas de médicaments pour lesquels on fait de la publicité. Elles ont une discussion avec nous, et elles ont tendance à choisir des systèmes et des médicaments moins chers, plus vieux et éprouvés. Si elles ont besoin d'intervention, elles attendent. Elles sont prudentes. Ces choses servent non seulement à protéger les économies financières de notre système, mais, fait paradoxal, à améliorer la santé et le bien-être des patients.

J'aimerais que vous songiez à l'utilisation de l'équipement de surveillance des foetus et à la décision de procéder à des tumorectomies du sein, dans les cas où il est préférable de le faire, plutôt qu'à des mastectomies. Ces changements proviennent d'une collectivité éduquée, engagée. Souvent, nous n'accordons pas à la population canadienne l'espace ou le crédit voulu pour prendre part à ce débat.

Faisons payer les riches. Voilà ma proposition.

Le président: Madame Roos, avez-vous des remarques à l'intention du sénateur Keon?

Mme Roos: Je ne suis pas sûre d'avoir grand chose à ajouter. Tout le monde cherche la panacée, mais il n'y en a pas. Politiquement, c'est un chemin très difficile qu'il faudra parcourir.

Ce que j'apporterais au comité, c'est l'observation suivante: assurons-nous de bien saisir les données. Quant à votre rapport, je crois que votre frustration, d'une certaine façon, transparaît dans toute la série d'options énoncées. Selon ce rapport, à quoi faut-il accorder de l'attention? Ma préoccupation, c'est que ce ne soit pas fondé sur les faits. C'est tomber dans la piège du débat idéologique selon lequel le secteur privé serait le sauveur d'un système défaillant; or, je ne crois pas que le système soit défaillant.

Le sénateur Keon: Non, je ne le crois pas non plus. Je suis d'accord avec vous.

Mme Roos: C'est de cela que je me préoccupe.

Le sénateur Keon: Merci, madame Roos. J'ai bien aimé notre discussion. C'était des plus édifiant, et j'ai prêté une grande attention à ce que vous aviez à dire.

Le sénateur Morin: Je tiens aussi à remercier Mme Roos d'être venue comparaître. C'est une bonne amie à moi. J'aimerais signaler qu'elle est directrice du Centre d'élaboration et d'évaluation de la politique des soins de santé du Manitoba. La semaine prochaine, à la réunion de l'OCDE à Ottawa, ce centre, avec sa directrice, Mme Roos, va recevoir un prix très prestigieux, le prix annuel de la Fondation canadienne de recherche sur les services de santé. C'est un prix annuel décerné à l'organisation et au directeur qui en ont fait le plus pour améliorer la qualité de la prestation des soins de santé au Canada. Je crois qu'il est tout à fait approprié qu'elle convienne de ce que le sénateur Keon a dit plus tôt.

Monsieur le président, une des raisons pour lesquelles Mme Roos parle si souvent du système américain, c'est qu'elle incarne l'exode des cerveaux, mais en sens inverse. C'est une Américaine qui est venue s'installer au Canada et qui est maintenant canadienne. Nous en sommes très heureux. Visiblement, elle connaît le système américain comme peu de gens le connaissent.

Ma question porte sur le système américain. À votre avis, quel est l'avantage des systèmes américains qui font coexister la prestation des soins de santé dans le système public et la prestation des soins de santé dans le système privé à but lucratif? Avez-vous des données solides quant à la qualité des soins offerts dans les deux systèmes? Avez-vous une opinion là-dessus?

Mme Roos: Pour ce qui est de la qualité des soins, je n'ai pas de données solides sur lesquelles appuyer une comparaison, mais il y a ces exemples anecdotiques de chirurgiens, dont il est question dans le New York Times, qui ont des contrats avec un hôpital à but lucratif, et qui envoient 20 de leurs patients pour une ablation de la prostate sans examen préalable.

Pour ce qui est de la qualité, par contre, je n'ai pas connaissance d'une étude comparative. Je suis intriguée par les études qui donnent à penser que les hôpitaux privés ne sont pas plus efficaces que les hôpitaux publics. De fait, dans un article du New England Journal of Medicine, on comparait les facteurs d'efficience, le coût par patient des hôpitaux publics et des hôpitaux privés. On s'attendrait à ce qu'il y ait un facteur de profit d'au moins 10 à 15 p. 100 dans les hôpitaux privés, ce qui peut expliquer le fait qu'il n'y a pas de différence. Ensuite, j'ai lu les petits caractères. On y disait que les profits avaient été exclus de la comparaison; par conséquent, un n'était pas plus efficace que l'autre, mais les hôpitaux privés étaient plus coûteux.

Le sénateur Morin: Ma deuxième question se rapporte à ce que disait le sénateur Keon plus tôt. Dans le système canadien, du moins pour les hôpitaux et les médecins, nous avons un seul et unique payeur et nous avons un seul et unique fournisseur, c.-à-d. le gouvernement. Dans le système canadien, lequel des deux aspects est le plus important selon vous: l'aspect payeur unique ou l'aspect fournisseur unique? Je sais que vous allez probablement défendre les deux, mais lequel choisiriez-vous si vous aviez le choix?

Mme Roos: Au Manitoba, nous avons un payeur unique et nous avons des centres d'accueil dirigés par des organisations à but lucratif et d'autres par des organisations publiques sans but lucratif. Le gouvernement décide du nombre de centres qu'il y aura et établit les normes d'inspection et ainsi de suite. Cela semble être un modèle qui, dans le secteur des centres d'accueil, ici, s'est révélé assez efficace. Le payeur unique est à mes yeux l'élément le plus important du système.

J'ai lu récemment un article de journal concernant le rapport du vérificateur général. Il y était question des préoccupations nourries à propos du payeur unique. Tout de même, je signale qu'il existe des cliniques privées et que les chirurgiens dirigent les services régionaux de la santé. On n'exerce aucune surveillance de la recommandation des malades aux cliniques privées. Je crois que les choses commencent à s'embrouiller sérieusement. On s'en aperçoit. Je crois que l'élément payeur unique est absolument capital.

Le président: Bon, je suis confus. En réponse à la question du sénateur Morin, vous avez dit qu'il y a un élément du secteur des soins de santé, les centres d'accueil, où il y a à la fois des fournisseurs privés et des fournisseurs publics. Vous avez dit essentiellement que cela semblait très bien fonctionner.

En lisant votre rapport et en écoutant vos observations à propos du secteur privé plus tôt, je me suis posé la question: si cela fonctionne pour les centres d'accueil, pourquoi est-ce que ça ne fonctionnerait pas pour les cliniques ou les hôpitaux? J'adhère à votre théorie du payeur unique. Je ne m'oppose pas à la question du payeur unique. Cela me paraît parfaitement indiqué. J'essaie de comprendre votre réponse à la question du sénateur Morin, à la lumière de toutes les autres observations que vous avez formulées à propos des vices du secteur privé dans le domaine des soins.

Soit dit en passant, pourriez-vous être précise? Vous avez employé le terme «privé» dans deux ou trois contextes différents, et je veux m'assurer que c'est toujours la même chose. Le «privé» qualifie-t-il le fournisseur? Tous les médecins, je crois que vous serez d'accord là-dessus, sont des fournisseurs du secteur privé. J'essaie de comprendre précisément ce que le terme «privé» veut dire selon vous, pour que nous puissions savoir comment interpréter certaines de vos observations.

Si cela fonctionne dans une partie du secteur des soins de santé, pourquoi est-ce que cela ne fonctionnerait pas dans les cliniques? Est-ce que cela fonctionnerait dans les hôpitaux?

Mme Roos: J'essayais de répondre à la question particulière du sénateur Morin: avais-je eu la connaissance de... et qu'est-ce que je voyais comme élément le plus important? J'essayais de songer à un exemple de participation du secteur privé où les choses semblaient fonctionner assez bien.

Le président: Peut-on extrapoler cela et l'appliquer à d'autres parties du système de prestation des soins de santé, en présumant qu'il est question d'un payeur unique?

Mme Roos: D'après ce que je sais des données concernant les cliniques privées et les cliniques chirurgicales, et de la manière dont elles fonctionnent au Manitoba, avec l'imposition de frais de fournitures médicales et avec des chirurgiens qui travaillent dans les deux secteurs, il est permis de croire que cela ne fonctionne pas bien.

Pour ce qui est des droits d'utilisation, ma réaction à votre rapport n'est pas réellement idéologique. Je n'affirme pas que le secteur privé est mauvais jusque dans la moelle. Ma réaction concernait les exemples particuliers tirés de votre rapport qui, collectivement, font davantage entrer en jeu des options faisant appel au secteur privé: comptes d'épargne médicale, droits d'utilisation.

Le président: Qu'est-ce que vous entendez par «secteur privé» quand vous employez ce terme? Je suis perplexe.

Mme Roos: Décider de donner plus de place au financement privé.

Le président: Le financement par des particuliers?

Mme Roos: Pour ce qui est du secteur privé, des cliniques du secteur privé sont en train d'être aménagées.

Le président: Je suis confus. Sénateur Stratton, veuillez poser votre question.

Le sénateur Stratton: Mme Roos, merci de venir nous voir et merci, Madeline, d'être venue.

Je ne suis pas un spécialiste de ce domaine. De fait, je ne suis pas un membre officiel du comité, mais comme l'audience a lieu à Winnipeg, j'ai cru qu'il était important d'y assister pour découvrir ce que pensent les Manitobains.

Je défends moi aussi notre système de santé canadien, mais comme nous le savons tous, nous sommes aux prises avec des problèmes assez graves. Je sais combien de projets pilotes ont été mis à l'essai dans le secteur de la santé, tout comme dans d'autres secteurs.

Je me souviens d'avoir rendu visite à ma fille à Calgary, une province de droite, comme nous le savons tous. Elle est travailleuse. Elle s'occupe de la réadaptation des travailleurs blessés dans une entreprise d'assez grande taille. Son champ de responsabilité couvre l'Alberta et la Colombie-Britannique. Bien sûr, sa tâche première consiste à s'assurer que le travailleur blessé obtient les soins voulus et qu'il revient au travail le plus rapidement possible. J'ai été ébahi d'apprendre de sa part que son employeur, entreprise du secteur privé, cotée en bourse, s'adresse directement à des cliniques privées pour le diagnostic et le traitement des travailleurs blessés. C'est parce que cela permet de réduire le délai de diagnostic et de traitement non pas de quelques jours, mais de quatre à six semaines. De ce fait, le travailleur blessé se rétablit et revient au travail dans un délai beaucoup plus court.

Depuis qu'elle m'a raconté cette histoire, cela me tracasse beaucoup, car j'estime que, peut-être, le secteur privé, et par là j'entends les compagnies privées ou les compagnies cotées en bourse, devrait s'occuper de leurs travailleurs blessés. Si cela accélère le rétablissement et les remet au travail plus rapidement, pourquoi pas? Visiblement, nous devrions être prêts à essayer de telles expériences. Si cela semble fonctionner pour son entreprise particulière à elle, alors pourquoi ne pas l'essayer?

J'admets que cela relève de l'anecdote. Je n'ai pas de données concrètes. Je ne peux que me fier à ce qu'elle a dit. Tout de même, je ne vois pas pourquoi elle aurait exagéré.

Mme Boscoe: Je pourrais donner l'exemple de l'organisme où je travaille moi-même; nous offrons un service spécialisé à l'intérieur du système public. Je considère que notre organisme fait partie du système public, même s'il est constitué comme société sans but lucratif. Notre financement provient d'une seule source, exception faite de quelques dons. Je peux dire avec confiance qu'en cas de grossesse indésirée, nous pouvons vous accueillir dans deux ou trois jours, contrairement à ce que peut faire un médecin ordinaire, parce que notre système est conçu pour prendre en charge des services spécialisés comme ceux-là.

Je ne suis pas une spécialiste de l'évaluation, mais si je comprends bien comment fonctionnent les cliniques pour travailleurs ailleurs au pays, il s'agit d'un groupement de personnes dont le mandat et la mission consistent à servir la population. Je ne crois pas que le but lucratif ait un effet particulier.

La question du but lucratif soulève d'autres problèmes dont nous avons déjà parlé aujourd'hui. La notion de spécialisation et le fait de pouvoir compter sur un personnel dévoué qui prend en charge des projets spéciaux me semblent être un bon exemple. Il est difficile pour nous d'être des généralistes. Comme vous le savez, ici, au Manitoba, nous avons connu l'expérience horrible de n'être pas suffisamment spécialisés en chirurgie cardiaque chez les enfants. Nous savons qu'il importe de se spécialiser. Je crois que ces modèles peuvent fonctionner.

Mme Roos: Comment mieux faire le travail qui consiste à faire en sorte que les gens qui ont besoin d'une intervention chirurgicale, qui ont besoin d'un test de diagnostic obtiennent ce qui leur faut au moment où ils en ont besoin? Ma recommandation, c'est de faire, comme nous le faisons au Manitoba dans le cas du dépistage au moyen de l'imagerie par résonance magnétique, une des épreuves de dépistage les plus coûteuses. Nous avons un merveilleux chef de la radiologie qui a mis au point une série de critères permettant de s'assurer que celui qui a besoin du test en premier l'obtient en premier. Les temps d'attente sont très courts. S'il s'agit d'une chirurgie élective, c'est-à-dire si la personne ne répond pas au critère rigoureux selon lequel le test fera vraiment une différence, les médecins ne sont pas encouragés, de fait ils ne sont pas autorisés à faire une recommandation. Les temps d'attente demeurent donc très courts.

Par contre, dans les secteurs où il n'y a pas de tri organisé des patients, les temps d'attente et les listes d'attente peuvent prendre des proportions incroyables. Si vous analysez les indications des patients qui figurent sur ces listes, vous prendrez conscience du fait que nous devons mieux organiser cela et que nous pourrions le faire à moindres frais. Nous faisons des choses que nous ne serions pas censés faire.

Le sénateur Stratton: Ne seriez-vous pas prêt à permettre à des entreprises du secteur privé de s'adresser à des cliniques du secteur privé pour faire traiter leurs travailleurs blessés, si l'exemple de l'Alberta est vrai, et je crois qu'il l'est - je ne crois pas que ma fille me mentirait - et que l'on mène un projet pilote à ce sujet pour déterminer si cela permettrait d'ôter au système un fardeau énorme? Les compagnies d'assurance qui assurent les travailleurs en question, y compris les commissions des accidents du travail, sont tout à fait prêtes à le faire. Pourquoi ne pas essayer cela?

Mme Roos: Je crois que vous présumez que les soins de santé sont une marchandise à la manière d'autres choses que nous achetons. Or, c'est différent.

Calgary est un grand centre pour les soins privés en Alberta, mais les temps d'attente pour la chirurgie de la cataracte y sont nettement plus longs qu'ailleurs en Alberta. Le fait d'avoir un plus grand nombre de cliniques privées ne réduit pas le temps d'attente.

Avec les cliniques privées vient une publicité plus importante, la génération d'une demande, et un plus grand problème pour les personnes qui utilisent le secteur public qu'au départ. Je crains que des données assez solides ne montrent que ce n'est pas là une solution, pour quiconque comprend comment le système fonctionnerait dans de telles circonstances.

Le sénateur Stratton: Vous ne seriez même pas prêt à l'essayer comme projet pilote?

Mme Roos: Il y a déjà eu des projets pilotes qui ont visé à évaluer ce genre d'accès aux soins.

Le sénateur Stratton: Je parle spécifiquement du cas des travailleurs blessés. Je parle de l'éventualité que le secteur privé mette la main à la pâte pour que ces gens reviennent au travail plus rapidement que c'est le cas à l'heure actuelle. Pourquoi pas?

Mme Roos: Je propose que vous conceviez un système général et rigoureux pour établir les temps d'attente appliqués à l'ensemble des interventions. Cela réglera votre problème.

Dans le cas de l'Ontario, où il y a un réseau de soins cardiaques, des médecins réfléchis auront étudié les temps d'attente et les types de patients qui attendent d'être opérés et, si je comprends bien, ils ont très bien réussi à encourager le gouvernement à investir des sommes d'argent là où ils ont démontré qu'il fallait un plus grand nombre de services.

J'aimerais qu'on me dise pourquoi ce qui se passe à l'intérieur du système ne peut être amélioré directement, avec aussi une amélioration directe de l'accès.

Le président: J'aimerais poser une question complémentaire au sujet des commissions des accidents du travail. Je ne peux vous aider avec l'exemple de l'Alberta, et je ne connais pas tous le détails dans le cas du Manitoba, mais je connais la plupart des autres provinces. Les commissions des accidents du travail appliquent généralement le seul système à deux vitesses permis par la Loi canadienne sur la santé, car une personne dont l'état est visé par la Loi sur les accidents du travail passe immédiatement avant les autres. Dans certaines provinces, on réserve même des lits pour soins actifs pour les accidentés du travail. Dans les provinces où l'on plafonne les honoraires de médecins, les honoraires que les médecins touchent pour le traitement d'accidentés du travail ne sont pas compris dans l'application du plafond.

Je n'ai jamais discuté de cette question avec des gouvernements ayant certaines allégeances politiques, mais il serait intéressant de savoir comment ils ont établi la position de leur commission des accidents du travail en énonçant une position plus générale.

Le sénateur Pépin: Madame Boscoe, je tiens à vous souhaiter le bienvenue et à vous féliciter du merveilleux travail que vous faites à la Women's Health Clinic. Vous vous consacrez à la clinique depuis de nombreuses années. Nous avons maintenant de nombreuses autres cliniques de santé pour femmes partout au pays, et je crois que c'est un important pas en avant. Je suis heureuse que vous ayez tiré avantage de cette occasion de témoigner devant le comité.

Votre clinique se charge-t-elle autant de la prévention que du traitement de maladies? Je m'excuse d'avoir manqué une partie de votre exposé. Lorsque je suis entrée, vous parliez de jeunes femmes aux cheveux teints qui font jouer de la musique à tue-tête. Que fait votre clinique?

Mme Boscoe: Je vous ai remis un exemplaire de notre rapport annuel.

Notre philosophie est fortement axée sur la promotion de la santé et sur la santé de la population, et nous percevons les soins que nous dispensons aux femmes comme un continuum. Nous n'offrons pas de lits de chirurgie ou d'autres choses similaires. Nous ne dispensons que des soins primaires et ambulatoires. J'ajouterais, cependant, que notre philosophie consiste à favoriser le rétablissement ou la régularisation. C'est une part importante de ce que nous faisons. Par exemple, une personne atteinte d'une maladie transmise sexuellement pourrait se contenter de consulter notre médecin, mais, en raison de notre engagement à encourager les gens à voir l'hygiène de la reproduction comme une partie normale de la vie, nous leur offrons l'occasion de rencontrer l'une de nos conseillères bénévoles. Cela leur donne l'occasion de s'asseoir et de parler de leur vie pendant deux ou trois heures, et d'acquérir beaucoup de connaissances sur la santé. Parfois, il leur arrive même de ne même pas voir un médecin ou une infirmière, car cette information leur suffit. Il y a donc une grande part de promotion de la santé et d'éducation, et cela s'inscrit dans les interactions de soins primaires.

Nous appliquons la même démarche lorsqu'il s'agit d'«alimentation troublée» et de préoccupations avec le poids. Nous voyons beaucoup de jeunes femmes qui, dans un cadre psychiatrique, seraient considérées comme boulimiques, mais puisque nous tentons de ne pas aborder ces choses comme des pathologies et de ne pas nous mêler aux discussions internes touchant le pouvoir et le contrôle, nous parlons d'«alimentation troublée» et de préoccupations avec le poids, et nous amenons ces femmes à dialoguer avec des femmes qui s'adonnent de façon cyclique à des diètes ou qui affichent d'autres types de comportement. Elles ne sont pas perçues comme malades. Nous tentons de faire les choses différemment.

Le sénateur Pépin: Quelle est la moyenne d'âge des femmes qui viennent vous consulter?

Mme Boscoe: Nous recevons des femmes âgées de 12 à environ 70 ans. Nous en voyons de tous les âges. Nous devons refuser environ 1 000 femmes par mois. Elles veulent nous voir, mais elles n'en ont pas la possibilité. Elles viennent pour rencontrer nos thérapeutes bénévoles. Je ne parle pas uniquement de femmes qui consultent nos médecins. Je crois que les femmes et les hommes du Canada veulent de nouvelles solutions, qu'ils ne dépendent pas des médecins et qu'ils n'ont pas besoin de rencontrer nos infirmières cliniciennes spécialisées.

Le sénateur Pépin: On dirait du bon travail d'équipe.

Mme Boscoe: Notre équipe adore ça.

Le sénateur Pépin: Plus tôt, vous avez dit que certaines femmes qui demandent une consultation dans votre clinique décident de ne pas aller de l'avant avec une intervention.

Mme Boscoe: Oui.

Le sénateur Pépin: De quel type d'intervention parlez-vous?

Mme Boscoe: Par exemple, nous avons mis en oeuvre un important programme d'éducation pour les femmes d'un certain âge, qui porte, entre autres, sur la ménopause. Au lieu d'inviter les femmes à rencontrer nos médecins à l'occasion d'une consultation en tête-à-tête, nous leur offrons, tous les deux mois, un atelier sur la ménopause, au cours de laquelle les femmes peuvent parler à nos éducatrices et apprendre tout ce qu'elles veulent apprendre sur la ménopause. De nombreuses femmes ne savent pas si elles devraient se plier à l'hormonothérapie substitutive. Elles ne sont pas certaines de devoir prendre ces médicaments. Nous leur expliquons tout. Nous leur parlons de ce qu'elles devraient faire pour vieillir en santé. Nous leur parlons des régimes de pension. Nous leur parlons des avantages et des désavantages de l'hormonothérapie substitutive, et du besoin d'information à cet égard.

En revoyant les dossiers avec nos médecins, nous constatons que la plupart de ces femmes ont davantage besoin d'un programme d'exercices que d'hormonothérapie substitutive. Elles ont besoin d'un endroit où elles peuvent parler de vieillissement et de mieux-être, et de comment elles se sentiront à 70 ans. Lorsque cette information leur est fournie, l'intervention médicale n'est pas aussi nécessaire.

Dans le même ordre d'idées, nos sages-femmes, qui sont dotées d'équipement de surveillance du foetus, sont très bonnes pour trouver d'autres moyens de soulager la douleur, insister sur le besoin de demeurer active pendant la grossesse et montrer comment s'affirmer pour qu'on ne nous mette pas au lit à l'hôpital.

Est-ce que ma réponse vous aide?

Le sénateur Pépin: Oui. Je crois comprendre que vous informez les femmes d'un certain âge afin qu'elles sachent quoi faire pour ne pas ressentir des bouffées de chaleur.

Mme Boscoe: Oui.

Le sénateur Pépin: Nous savons tous que les soins à domicile sont essentiels. Peut-on affirmer que les personnes qui participent le plus aux soins à domicile sont des femmes?

Mme Boscoe: Certainement.

Le sénateur Pépin: Vous avez mentionné qu'il faut consentir de l'aide financière pour dispenser des soins informels, et nous envisageons cette possibilité. À l'heure actuelle, les personnes qui dispensent de tels soins ne touchent aucun revenu. Elles quittent leur emploi et n'ont aucun autre revenu. Bien souvent, leur emploi n'est plus disponible lorsqu'elles tentent d'y retourner, et elles ne peuvent en trouver un autre.

Mme Boscoe: Je suis tout à fait d'accord, nous devrions nous pencher sur cette question. D'ailleurs, les gens oeuvrant dans le milieu de l'invalidité ont soulevé le besoin d'offrir un salaire ou une autre forme d'aide financière pour soutenir les membres de la famille. Des femmes sont à la maison avec des enfants handicapés qui ont besoin de beaucoup de soins. De fait, certaines femmes ont quitté leur emploi pour le faire. Elles doivent donc décider si elles gardent leur emploi, qui s'assortit aussi d'avantages sociaux et d'une pension de retraite, et d'embaucher quelqu'un pour dispenser les soins.

C'est un bon exemple de démarche en matière de santé de la population qui suppose une planification interministérielle. Cet enjeu concerne aussi la fiscalité, ou la possibilité d'un supplément de revenu. Cette question n'est pas soulevée souvent dans le milieu des soins de santé.

Lorsque nous lancerons un régime de soins à domicile, nous devrons veiller à ce qu'il reflète toute la gamme des besoins en matière de soins de santé à domicile. Comme je l'ai mentionné dans mon mémoire, de nombreuses femmes mises à pied se lancent dans les services de soins infirmiers, et, puisque nombre d'entre elles sont des infirmières, on tient pour acquis qu'elles sauront quoi faire lorsqu'elles arriveront sur les lieux, quelle que soit la situation. Cela cause beaucoup d'angoisse et de préoccupations, et les gens ont peur de laisser les fournisseurs de soins seuls. C'est pourquoi nous croyons qu'il faudrait adopter une loi pour créer des programmes de congés familiaux. De nombreux syndicats négocient de tels programmes pour leurs travailleurs, mais, trop souvent, cela signifie que les plus vulnérables, c'est-à-dire les personnes qui ne sont pas syndiquées, ne sont pas protégées.

Le sénateur Pépin: Il y a plus d'un an, un comité sénatorial, présidé par le sénateur Carstairs, publiait un rapport sur les soins palliatifs. Ce comité recommandait, entre autres, qu'on se charge des personnes qui quittent leur emploi pour prendre soin d'un membre de leur famille. J'espère que nous pourrons nous pencher sur cette question.

Mme Boscoe: Je suis à votre disposition.

Le sénateur Pépin: Merci beaucoup.

Le président: Je vous remercie toutes les deux de votre présence. Les 75 dernières minutes ont été fascinantes.

Notre prochain témoin est M. Paul Henteleff, président du comité de défense des intérêts de Hospice and Palliative Care Manitoba.

Monsieur Henteleff, pour aider nos sténographes du Hansard, je vous prierais de bien vouloir identifier les deux personnes qui vous accompagnent avant de procéder à votre exposé.

M. Paul Henteleff, président, Comité de parrainage, Hospice and Palliative Care Manitoba: Je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner aujourd'hui. Le mémoire que nous vous distribuons présentement identifie tous les membres de notre délégation.

Vous avez sûrement compris qu'il s'agit de Margaret Clarke, notre directrice générale, et de John Bond, membre du comité de défense des intérêts. Certaines occasions sont plus égales que d'autres.

Je tiens seulement à souligner que Hospice and Palliative Care Manitoba est une association caritative bénévole qui milite pour la disponibilité et l'accessibilité de services aux personnes en fin de vie et aux personnes en deuil, partout au Manitoba. À cette fin, nous exerçons des activités de sensibilisation, d'information, de défense des intérêts et de soutien de la prestation de services.

L'organisme compte neuf employés rémunérés et 400 bénévoles. Nous disposons d'un budget annuel de 300 000 $, et nous ne touchons aucune aide gouvernementale.

La vision de notre organisme consiste à offrir, à l'échelle de la province, des services étendus, coordonnées, accessibles et de qualité optimale aux personnes qui sont en phase terminale ou aux parents et amis qui sont en deuil.

Puisque nous avons eu peu de temps pour préparer cette rencontre, notre témoignage sera plutôt bref et ne s'assortira d'aucune documentation justificative.

Nous nous attacherons particulièrement au chapitre 8, qui s'assortit de propositions relatives à l'offre de médicaments d'ordonnance et de soins à domicile, ainsi que de propositions concernant les fournisseurs de soins à domicile. Notre exposé s'attachera aux soins palliatifs.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, par contre, nous présenterons quelques commentaires généraux qui sont moins spécifiques. Nous estimons que, sous sa forme actuelle, le document met surtout l'accent sur les questions touchant le financement. Nous comprenons que les travaux du comité ont été accélérés par l'accroissement du coût des soins de santé, mais nous estimons qu'il serait préférable d'établir des principes fermes, et de déterminer ensuite ce que nous avons les moyens de faire pour respecter ces principes.

Plus spécifiquement, nous sommes étonnés de constater que le terme «nécessité médicale» est un principe énoncé dans la Loi canadienne sur la santé, et nous sommes d'accord avec le chapitre 8.2.1, qui montre que ce principe semble avoir une application utile très limitée. Nous croyons qu'il faut créer un processus favorisant l'applicabilité de la nécessité médicale avant de définir la nécessité médicale. Si on ne peut y arriver, il faut adopter d'autres principes ou critères pour déterminer ce qui devrait ou ne devrait pas être visé par la Loi canadienne sur la santé.

J'aimerais seulement délaisser le sujet de notre exposé pour un instant, et souligner que les témoins précédents ont soulevé des exemples très clairs de situations où un système de priorités a été établi en vue de résoudre les problèmes liés aux listes d'attente. Il semble qu'il existe peu d'exemples de définition de la nécessité médicale s'assortissant de critères efficaces et avantageux, et nous croyons qu'il faudrait en trouver d'autres.

Revenons au mémoire que nous avons présenté: le document insiste fortement sur la notion de consommateur dans une industrie de services, et nous n'avons pas l'impression que cela est compatible avec la notion de nécessité médicale. Dans quelle autre situation de consommation trouve-t-on un juge externe de la nécessité? Je crois qu'il faut tenir compte du conflit intrinsèque entre ces deux principes.

Une autre observation générale à l'égard de l'ensemble du document tient à notre étonnement devant l'occultation de l'un des principes généralement énoncés, c'est-à-dire le libre choix du fournisseur. Nous n'avons cerné aucune référence à cet aspect.

Les aspects particuliers que nous souhaitons aborder sont, premièrement, les médicaments d'ordonnance, et, deuxièmement, les soins à domicile. Nous sommes très heureux de constater que l'on reconnaît que le coût des médicaments peut constituer un fardeau. Le principe consistant à établir un formulaire pharmaceutique national avec les recherches connexes nous semble être comme une étape très positive, et nous nous en réjouissons.

Même si la création d'un organisme national d'achat de médicaments jouissant d'un excellent pouvoir d'achat semble être une proposition valable, mais nous craignons que l'appareil administratif nécessaire au fonctionnement d'un tel organisme ne mine les retombées économiques que l'organisme occasionnerait. Nous ne sommes pas certains de ce que nous avançons, nous ne faisons que soulever la question.

Comte tenu du peu de temps dont nous disposons, il serait difficile d'évaluer les divers régimes d'assurance-médicaments possibles. Cependant, nous aimerions signaler que, dans le cas de personnes atteintes de maladies terminales, tout régime visant à réduire le fardeau financier doit s'appliquer sur-le-champ. Un régime offrant des crédits d'impôt ne serait pas utile, car les crédits s'appliquent au cours de l'exercice suivant, au cours duquel le bénéficiaire éventuel ne sera peut-être même pas vivant.

Tout régime fondé sur des franchises prête le flanc aux mêmes critiques. À la lumière de notre expérience au Manitoba, puisque la franchise aux fins du régime d'assurance-médicaments est fondée sur le revenu pour l'exercice précédent, et puisqu'une personne atteinte d'une maladie terminale perd sa source de revenus car elle est incapable de travailler, les retombées anticipées pour cette méthode d'appréciation des coûts des médicaments surviendraient trop tard.

Le rapport reconnaît l'effet puissant de la publicité pharmaceutique sur les habitudes de prescription des médecins. Nous appuyons la proposition selon laquelle l'interdiction relative à la publicité pharmaceutique publique devrait être maintenue.

Les représentants des sociétés pharmaceutiques exercent aussi une puissante influence sur les pratiques de prescription des médecins. Nous soulevons donc la question suivante: une telle forme de promotion pourrait-elle être interdite? Dans une large mesure, on empêche les médecins d'exercer leurs activités hors du régime d'assurance-maladie, alors pourquoi ne pas empêcher l'information pharmaceutique d'être fournie au médecin par d'autres voies que les journaux scientifiques? J'ajouterais aussi que nous avons fortement restreint la publicité et la promotion des produits du tabac, car ils sont nuisibles pour la santé. Nous sommes d'avis que la promotion des médicaments les plus récents et les plus coûteux, vu son effet sur les pratiques de prescription, nuit non pas à la santé, mais bien aux soins de santé, quoiqu'il nuise peut-être aussi à la santé.

Revenons au rapport. Le rapport ne laisse planer aucune possibilité que l'on envisage de nouveau le type de protection par brevet qui avait été présenté relativement aux médicaments génériques. Tout le monde se souvient qu'à une certaine époque, les médicaments génériques étaient beaucoup plus utiles aux consommateurs que maintenant.

Enfin, sur la question de l'assurance-médicaments, nous aimerions signaler que l'expression «coûts catastrophiques des médicaments» nous a laissés perplexes. Nous croyons que les auteurs cherchaient probablement à dire que le coût des médicaments devient catastrophique pour l'acheteur.

Le président: C'est ce que nous voulions dire.

M. Henteleff: Mais on ne pouvait déterminer avec certitude si on faisait référence à une maladie catastrophique.

Le président: Je suis heureux que vous ayez soulevé ce point. Ce genre de commentaire nous est très utile, et nous encourage à être plus clairs lorsque nous rédigerons d'autres rapports.

M. Henteleff: De plus, nous n'arrivons pas à déterminer avec certitude qui définit cette catastrophe. Dans le domaine des soins palliatifs, une des préoccupations tient à l'identification officielle des personnes qui sont en phase terminale et qui reçoivent les soins palliatifs dans les hôpitaux, dans la collectivité ou à domicile, afin de déterminer l'admissibilité à des prestations spéciales qui pourraient être attribuables à la phase terminale de la maladie.

Dans le même ordre d'idées, concernant les nombreuses références aux soins aux personnes en fin de vie au cours de l'exposé précédent, je ne suis pas certain si l'analyse concernant le coût des médicaments et des soins médicaux aux personnes en fin de vie désignait les soins palliatifs officiels ou le coût extrêmement élevé des médicaments pour les soins en fin de vie qui ne sauvent pas la vie du malade? Autrement dit, on peut engager des coûts très élevés pour dispenser des soins de santé qui ne donnent pas de résultats et qui sont suivis du décès de la personne. Il ne s'agit pas là de soins palliatifs.

Donc, sur la question des soins aux personnes en fin de vie, j'aimerais insister sur l'importance d'établir une distinction entre la dernière année de vie, pour prendre un terme arbitraire, et la phase terminale de la maladie, où l'on dispense des soins palliatifs. Je crois que cette distinction doit être clarifiée et maintenue.

J'aimerais maintenant passer à la question des soins à domicile. De façon générale, nous sommes très heureux de constater qu'on se penche sur la question des soins à domicile et du soutien au fournisseur de soins bénévole. Nous appuyons la création d'un programme national de soins à domicile. Une personne mourante préfère généralement être chez elle si elle s'y sent en sécurité et si la famille reçoit du soutien à l'égard des soins à donner. À l'heure actuelle, ceux qui en ont les moyens sont plus en mesure d'atteindre ce but en recourant à des services privés. Pour de nombreuses personnes, l'option des soins à domicile n'est pas possible.

Le document que nous avons reçu contient des propositions concernant l'aide financière et les services de relève pour les fournisseurs de soins. Cela pourrait être très utile. Hospice and Palliative Care Manitoba, de concert avec l'aile manitobaine de l'Association canadienne des soins palliatifs, fait la promotion de la protection du revenu pour les prestataires de soins familiaux. Les personnes qui s'absentent de leur travail pour prendre soin d'un parent mourant permettent au système de soins de santé actuel d'économiser de l'argent; toutefois, cela occasionne souvent des difficultés financières indues, ce terme est utilisé dans le programme national de santé. La politique canadienne en matière de soins de santé tente d'éviter de telles difficultés.

Nous aimerions porter à votre attention plusieurs aspects des soins à domicile et du soutien aux soignants bénévoles qui semblent ne pas avoir été mentionnés dans le document jusqu'à maintenant. Le premier, qui a été soulevé plus tôt, est le besoin de protéger l'emploi des soignants qui s'absentent de leur travail. La Colombie-Britannique et le Québec ont mis en place des dispositions limitées pour protéger les personnes qui doivent prendre soin d'un parent. La Saskatchewan semble être la seule province à prévoir un congé significatif pour les personnes qui assument de telles responsabilités. Dans cet exemple, il s'agit de 12 semaines dans une période de 52 semaines. Nous croyons que le gouvernement fédéral pourrait montrer l'exemple aux provinces et aux employeurs en adoptant de telles dispositions pour ses propres employés.

Le deuxième aspect que nous aimerions souligner tient au fait que les soigneurs à domicile qui ne sont pas des professionnels ne jouissent, du moins au Manitoba, d'aucune protection juridique, et les politiques les empêchent de dispenser des soins qui pourraient être offerts tout à fait légalement par un parent non professionnel. À titre d'exemple, un parmi tant d'autres, un patient qui salive excessivement et éprouve de la difficulté à avaler a besoin que ses sécrétions soient aspirées. Cette procédure est absolument interdite pour un soignant non professionnel. Un membre de la famille peut le faire, mais une personne qui n'est pas membre de la famille ne peut pas le faire. La politique est établie par le service des soins à domicile afin de protéger l'organisme contre d'éventuelles poursuites contre un soignant qui ne fait pas partie de la famille.

Un autre aspect des soins qui serait habituel est l'administration de médicaments. Un membre de la famille a le droit de sortir le médicament de sa boîte, de le mettre dans la main ou dans la bouche du patient ou de l'administrer avec une cuiller. Au Manitoba, à tout le moins, un soignant visé par le programme de soins à domicile ne peut d'aucune façon manipuler les médicaments, à moins d'être un professionnel. Cela limite énormément l'utilité d'un soignant extrafamilial à domicile.

Le troisième aspect que nous désirons soulever concerne la possibilité que des parents qui dispensent des soins puissent résider dans une autre province que le patient. Le fait de déplacer un parent malade dans une autre province afin de lui dispenser de soins peut poser problème, car les soins à domicile, de quelque façon que ce soit, ne sont d'aucune façon transférables dans une autre province. On pourrait régler ce problème en prévoyant la transférabilité des soins dispensés au patient, ou en prévoyant que la province hôte est responsable d'offrir des services de relève pour la famille qui dispense des soins à un parent en phase terminale.

Comme vous le savez tous, les familles d'aujourd'hui sont dispersées; et il faut tenir compte de ce facteur. Nous n'avons pas de chiffres permettant de quantifier l'étendue de cette situation, mais les coordonnateurs de soins avec lesquels nous communiquons dans l'ensemble de la province nous ont signalé que cela cause des problèmes.

Le quatrième aspect que nous aimerions mentionner concerne le besoin d'envisager, d'une façon plus étendue que dans toute la documentation accumulée jusqu'à maintenant dans le rapport, la question des services de relève pour les personnes qui dispensent des soins à un parent mourant. Il faut pouvoir réagir plus rapidement, et ce pour plusieurs raisons. Le rapport reconnaît déjà, et nous vous en félicitons, que le soignant bénévole risque l'épuisement. Le service de relève offert uniquement lorsque la personne est victime d'épuisement est offert trop tard, car cette personne sera très réticente à recommencer à dispenser des soins après un tel épisode.

Par contre, le fait de prévoir des services de relève préventifs compte aussi certains risques. Il y a une possibilité de hausse imprévue de l'incapacité du soignant, c'est-à-dire que la planification des soins entre les services de relève est à risque si le soignant, généralement un autre membre de la famille, souvent frêle, est incapable de poursuivre ou tombe malade. De plus, il arrive assez souvent qu'un soignant se sente responsable de plus d'un membre de la famille, et que d'autres membres de la famille aient besoin de soins, ce qui crée une surcharge imprévue pour le soignant qui s'occupe d'une personne à domicile, entre les visites du service de relève. Il est donc nécessaire de créer un système permettant de réagir plus rapidement lorsqu'il y a urgence.

Sans nécessairement faire de recommandation, nous aimerions signaler qu'on suppose généralement que les soins à domicile sont moins coûteux que les soins en établissement. Cela dépend des services offerts. S'il faut affecter une personne dans une maison à toute heure de la journée et de la nuit, la fourniture de service n'est pas aussi efficiente que dans un établissement où les travailleurs se chargent de plusieurs patients ou clients. Par conséquent, le prix est fonction du nombre de soignants rémunérés et du nombre d'heures de travail.

Nous voulons aussi signaler que nous avons déjà recommandé, tout comme d'autres témoins, la fourniture d'aide financière aux soignants bénévoles. Si de telles mesures étaient adoptées, nous le répétons, le coût des soins à domicile serait supérieur aux coûts occasionnés jusqu'à maintenant.

En conclusion, même si nous avons eu peu de temps pour nous préparer, nous sommes heureux d'avoir eu l'occasion de comparaître devant le comité. Nous n'avons pas été en mesure de présenter nos idées dans les deux langues. Nous n'avons pas été en mesure de fournir des pièces justificatives. Nous n'avons pas été en mesure de dresser une liste de recommandations. Cependant, notre rapport est si bref qu'il devient une liste de recommandations lorsqu'on raye quelques lignes.

Le président: Je tiens à vous dire que vous suggestions touchant les soins à domicile sont très inventives et utiles.

J'aimerais aborder la question de la clarification. Vous affirmez qu'il ne semble pas y avoir de référence à la liberté de choisir son soignant. Il n'y a pas de doute, nous supposons que chacun serait libre de choisir son soignant, comme c'est le cas actuellement, mais si ce n'est pas clair, nous serons heureux d'insister sur ce fait.

M. Henteleff: Il est très difficile d'offrir un libre choix de soignant dispensant un service 24 heures sur 24, sept jours sur sept, ce que prévoit l'un de vos documents. Aucun soignant n'est disponible 24 heures sur 24, sept jours sur sept, 365 jours par année.

Le président: Je suis heureux que vous ayez clarifié cela, car j'avais mal interprété votre commentaire.

Lorsque vous affirmez que l'accent sur le consommateur dans une industrie de service n'est pas compatible avec la notion de nécessité médicale, que voulez-vous dire exactement? Je ne suis pas nécessairement en désaccord, je n'ai tout simplement pas compris.

M. Henteleff: Nous voulons dire que lorsqu'un système fondé sur la nécessité médicale est en vigueur, est en état de marche, il s'assortit de catégories et de règles. Cela signifie lorsque j'ai mal à la tête et je crois avoir besoin d'un examen par IRM, quelqu'un d'autre peut me répondre «désolé», monsieur le consommateur, vous ne pouvez vous procurer ce service, car nous ne considérons pas qu'il s'agit d'une nécessité médicale». Dans quelle autre situation le vendeur dit-il au consommateur qu'il ne peut acheter quelque chose?

Le président: Maintenant, je comprends votre argument.

Le sénateur Keon: Monsieur Henteleff, est-ce que cette dernière affirmation va à l'encontre de la Charte des droits et libertés? Croyez-vous que la charte nous donne le droit de choisir qui nous fournit des soins de santé?

M. Henteleff: Je crois que la Loi canadienne sur la santé attribue des droits universels à l'égard de ce qui est disponible, alors je ne vois pas de violation de la charte.

Le sénateur Keon: D'accord. Nous avons tenu un petit débat sur la question, mais nous étions pour le moins confus, alors je n'irai pas plus loin.

Cependant, j'aimerais, si vous le voulez bien, entendre vos commentaires, de façon plus générale, sur la situation de ces personnes, en général des personnes plus âgées, mais aussi d'autres personnes qui en sont à leurs dernières années de vie, que j'ai qualifiées de personnes en situation de fin de vie, qui ont accès à une gamme d'installations, de régimes et d'autres formes d'assurance-médicaments, et parfois de services, comme des soins infirmiers et des soins de garde pour lesquels ils peuvent payer, s'ils sont reconnus comme étant en phase terminale, et, s'ils sont chanceux, ils reçoivent des soins palliatifs. Au cours de mes dernières années de pratique médicale, cette question m'a beaucoup préoccupé, car, bien souvent, les patients qui recevaient leur congé de l'hôpital avaient accès à des ressources totalement inappropriées pour les aider.

Prenons, par exemple, les régimes d'assurance-médicaments. Selon la région où vous résidez au Canada, votre régime d'assurance-médicaments offre une couverture à 100 p. 100 ou à 65 p. 100, et un nombre croissant de personnes au pays se font rayer de la liste. Bien sûr, il n'existe pas de régime global pour prendre soin des citoyens canadiens qui ne sont plus en mesure de prendre soin d'eux-mêmes. J'aimerais entendre vos commentaires sur cette question. Je comprends que la portée de votre exposé était beaucoup plus limitée, mais j'aimerais tout de même entendre vos commentaires.

M. Henteleff: Je parlerai en mon nom propre, car l'organisme n'a pas préparé une réponse à cette question. Néanmoins, notre mémoire précise qu'il faudrait définir la «nécessité médicale». Il n'est pas difficile de trouver des domaines où les gens semblent avoir des besoins et éprouvent de grandes difficultés à recevoir ou à payer un service. Si nous pouvons cerner de tels problèmes, nous pouvons sûrement trouver des solutions. Ensuite, lorsqu'on a défini le service idéal, nous devons décider ce que nous pouvons nous permettre et comment nous assumerons les coûts.

Je sais qu'il y a d'autres pays où le fardeau fiscal est considérablement plus lourd que le nôtre, et où nombre de ces besoins peuvent être satisfaits. Au Canada, on semble supposer que cela n'est pas le cas, qu'il est hors de question de hausser les impôts afin d'obtenir les services que nous disons vouloir. J'estime qu'il s'agit d'une proposition impossible, et je suis sûr qu'un certain nombre d'autres personnes de partout au pays sont de cet avis. Comment peut-on obtenir tout ce que l'on veut si on n'est pas disposé à en payer le prix?

Le président: Vous avez raison: c'est la grande énigme de la vie politique.

M. Henteleff: Ce que j'essaie de dire, c'est que notre groupe croit qu'on pourrait établir des politiques - manifestement, un certain nombre de principes énoncés pour la Loi canadienne sur la santé jouissent d'un appui étendu au pays et suscitent l'admiration à l'étranger. Nous avons vu de modestes exemples de définitions de nécessité médicale susceptibles d'une application pratique - j'aimerais que nous puissions plutôt parler de nécessité des soins de santé. Il serait très rassurant d'avoir une proposition globale qui exige un tel système avant qu'on se penche sur la question de la fiscalité.

Le sénateur Pépin: Monsieur Henteleff, à la page 4, vous dites que le fournisseur de soins a besoin qu'on protège son emploi, et vous mentionnez la Colombie-Britannique, le Québec et la Saskatchewan. Votre proposition relative aux soins palliatifs est-elle comparable à la notion de congé de maternité? Suggérez-vous qu'on offre aux soignants une protection des emplois comparable à celle qui est offerte dans le cas des congés de maternité?

M. Henteleff: Oui. Toutefois, nous sommes conscients que cela relève de la législation provinciale du travail, ou d'une autre catégorie similaire. Par conséquent, notre suggestion est plutôt spécifique: nous invitons le gouvernement fédéral à montrer l'exemple.

Le sénateur Pépin: Vous dites que le gouvernement fédéral pourrait commencer par ses propres employés?

Vous avez aussi déclaré que les personnes qui dispensent des soins à domicile qui ne sont pas des professionnels ont besoin d'une protection juridique. Je crois que cela relève aussi de la législation provinciale.

M. Henteleff: Probablement.

M. John Bond, membre, Comité de parrainage, Hospice and Palliative Care Manitoba: On pourrait peut-être adopter une loi protectrice au moment où un éventuel programme national de soins à domicile serait établi.

Le sénateur Pépin: Pourriez-vous apporter des précisions sur l'affirmation selon laquelle les soins à domicile ne sont pas transférables lorsqu'un parent susceptible de fournir des soins ne réside pas dans la même province que le patient.

Mme Margaret Clarke, directrice générale, Hospice and Palliative Care Manitoba: Dans le contexte actuel, les soins à domicile relèvent de programmes provinciaux, alors je suppose qu'un programme national de soins à domicile favoriserait la transférabilité d'une province à une autre.

Le sénateur Pépin: Comme l'a recommandé le comité des soins palliatifs?

Mme Clarke: Oui, je crois que c'est de ce comité que provient la recommandation.

Le président: J'aimerais seulement ajouter que le problème ne se limite pas uniquement aux soins à domicile, car il concerne aussi, par exemple, les soins dispensés dans les maisons de soins infirmiers. Ma mère est dans une telle maison, dans une autre province. Mes frères et soeurs et moi-même avons envisagé la possibilité de la rapprocher de certains de nous, ce que nous allons peut-être faire. Premièrement, il est difficile de se faire inscrire sur une liste d'attente dans une autre province; deuxièmement, une part significative du coût doit être assumée par la famille pendant une période de transition. Alors, je ne suis pas en désaccord; je tiens seulement à souligner que le problème n'est pas uniquement lié aux soins à domicile. La réalité, c'est que pour les personnes fragiles et âgées, outre les problèmes liés aux soins palliatifs, il y a aussi maintenant le problème de la transférabilité.

Mme Clarke: Il faut tenir compte de l'éparpillement des familles canadiennes partout au pays, de la façon dont les familles vivent au XXIe siècle, et adapter le système de soins de santé en fonction de ces réalités démographiques.

Le président: C'est une question à laquelle je n'avais jamais songé, je vous remercie de l'avoir soulevée.

Le sénateur Pépin: Nous avons maintenant un secrétariat pour les soins palliatifs, et nous serons en mesure de suivre cette question de très près.

Sur la question des soins à domicile, le quatrième aspect que vous avez soulevé concerne les services de relève pour les soignants. Comment organiseriez-vous cela?

M. Henteleff: C'est une question administrative.

Le sénateur Pépin: Comment l'envisagez-vous?

M. Henteleff: D'abord, il faut établir une déclaration de principe selon laquelle un tel service doit être créé et administré. La méthode de mise en oeuvre devient une question administrative.

Il faudra estimer la fréquence et la durée de tels épisodes, et il faudra fournir un nombre correspondant de lits ou d'installations, selon que les établissements prennent la relève, ou qu'ils soient confiés à des services de soins à domicile. La proposition doit résoudre un problème, trouver une solution idéale. Ce serait coûteux, bien sûr, mais à quoi bon faire semblant qu'une solution superficielle permettra d'atténuer les pressions que subissent actuellement les fournisseurs de soins?

Le sénateur Pépin: Avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Bond: M. Henteleff fait référence au coût des services de relève, mais qui sait à combien s'élèveront les coûts supplémentaires si on ne réagit pas? Nous tenterons de déterminer ce qu'il en coûtera d'affecter une personne aux services de relève; mais si on n'offre pas un tel service, quels seront les coûts à long terme pour le système de soins de santé s'il y a épuisement? De fait, il serait peut-être plus coûteux de ne pas offrir ces services à long terme que de les offrir à court terme.

Le sénateur Morin: Je tiens à féliciter M. Henteleff et ses collègues de leur travail dans un domaine très difficile et très négligé, les soins palliatifs. Nous savons maintenant d'où le sénateur Carstairs tire son inspiration.

Je m'intéresse à la question du fardeau du coût des médicaments dans le domaine des soins palliatifs. Je ne suis pas un expert, loin de là. Êtes-vous médecin, monsieur Henteleff?

M. Henteleff: Oui.

Le sénateur Morin: J'avais l'impression que les médicaments n'étaient pas un facteur de coût important dans le domaine des soins palliatifs, de façon générale, le montant minimum. Au contraire, les analgésiques sont très importants, mais comme vous le savez, ils ne sont pas très coûteux, et, à moins que je ne me trompe, on n'aurait pas tendance à administrer le plus récent et le plus coûteux médicament dans ce contexte. Je le répète, je suis loin d'être un expert du domaine.

M. Henteleff: En principe, je suis d'accord avec vous. De nos jours, malheureusement, la pression des représentants pharmaceutiques sur la pratique médicale est telle qu'on semble préférer grandement des solutions de rechange plutôt coûteuses.

Je me rappelle clairement la première fois où j'ai entendu parler d'un programme de soins palliatifs à domicile consistant à perfuser continuellement un médicament. À l'époque, cela supposait une dépense d'environ 1 000 $ pour une pièce d'équipement permettant d'injecter continuellement le médicament dans le patient. Il fallait acheter un médicament en solution suffisamment raffinée pour qu'on puisse l'administrer directement dans le corps au lieu de par l'intestin.

Si c'est la forme que les soins palliatifs prennent dans la pratique, c'est-à-dire sans norme, le coût des soins palliatifs et du soulagement des symptômes devient très onéreux. Dans la réalité, on nous dit que le coût des médicaments pour les soins à domicile peut être catastrophique.

Le sénateur Morin: Si on utilise ce système, peut-être; toutefois, le type de soins qui seraient prescrits par vous, ou par une autre personne connaissant le domaine, ne serait pas nécessairement coûteux. Je ne suis pas un expert et je vous invite à faire une mise au point si je me trompe, mais j'ai l'impression que vous désirez avoir le minimum.

M. Henteleff: J'apprécie vos propos flatteurs concernant la comparaison entre ma pratique et la pratique en général. D'après ce que j'entends de personnes dans le domaine - car je ne pratique plus -, en particulier de ceux qui se chargent de membres de leur famille et qui sont des fournisseurs de services de soins à domicile, il y a un problème.

Mme Clarke: Puis-je ajouter quelque chose? Je ne suis pas clinicienne non plus, mais je sais qu'à l'heure actuelle les soins palliatifs sont devenus beaucoup plus spécialisés, et que la capacité de soulager les symptômes s'est accrue de façon importante au cours des dernières années. On mène actuellement des recherches vraiment encourageantes, de sorte que le domaine des soins palliatifs est effectivement une forme très active de soins et de traitement visant à assurer le confort du patient. Cela suppose souvent le recours à plusieurs médicaments, en raison de la myriade de symptômes qu'on veut chercher à soulager et, parfois, des effets secondaires de certains médicaments, ce qui exige le recours à un autre médicament.

En effet, le coût des médicaments et la question des médicaments prennent, selon moi, encore plus d'importance dans le domaine des soins palliatifs. Oui, je sais que certains médecins qui dispensent des soins palliatifs sont persuadés que les pompes à perfusion ou les médicaments les plus coûteux sont les meilleures solutions, mais je connais aussi d'excellents médecins dans le domaine qui analysent soigneusement le coût et les avantages de chaque médicament et tentent de choisir les médicaments les plus économiques.

Le sénateur Pépin: Monsieur Henteleff, lorsque vous parliez des médicaments, vous avez mentionné qu'à une certaine époque, les médicaments génériques étaient plus utiles au consommateur qu'à l'heure actuelle. Qu'entendiez-vous par cela?

M. Henteleff: Les sociétés pharmaceutiques sont désormais capables de protéger leurs brevets pendant plus longtemps. Dans le passé, les médicaments brevetés mettaient beaucoup moins de temps avant de devenir des médicaments génériques.

Le président: J'aimerais vous poser une dernière question; vous voudrez peut-être y réfléchir et nous faire parvenir vos commentaires plus tard. Lorsque vous envisagez les diverses instances, que ce soit au Canada, aux États-Unis, en Europe ou ailleurs, y a-t-il un endroit qui, selon vous, applique une démarche et une politique globale manifestement supérieure au chapitre des soins palliatifs? Ou est-ce que le domaine est si embryonnaire, en ce qui concerne l'attention qu'on y porte, qu'aucun endroit n'offre un modèle intéressant?

M. Henteleff: D'après ce que je sais, les Britanniques sont dotés d'un vrai bon système et affichent une avance d'au moins dix ans dans le domaine. On y combine un système privé et le service de santé national, de sorte qu'il s'agit d'un système divisé.

Je crois que les Australiens sont dotés du système le plus universel et le plus uniforme, et ils reconnaissent les soins palliatifs comme un domaine de spécialité. Il y a donc une question de statut. Il s'agit non seulement du statut de ceux qui agissent à titre de conseillers, mais aussi de l'étendue de la formation offerte aux travailleurs du domaine des soins de santé, laquelle est généralement très limitée au Canada à l'heure actuelle.

Mme Clarke: J'ajouterais - sans vouloir contredire M. Henteleff - que le Canada est considéré comme un chef de file mondial des soins palliatifs dispensés dans la collectivité ou à domicile.

Le président: Malgré les écarts dont nous parlons?

Mme Clarke: Malgré les écarts dont nous parlons.

Le président: Je ne sais pas si cela est encourageant ou décourageant. Cela dit, je tiens à remercier tous les participants d'être venus aujourd'hui. Les membres du comité apprécient le fait que vous ayez pris le temps de venir comparaître.

Honorables sénateurs, à l'occasion de notre dernière séance cet après-midi, nous accueillerons M. Paul Moist, du SCFP, c'est-à-dire le Syndicat canadien de la fonction publique, ainsi que M. Daniel Boucher, président-directeur général de la Societé franco-manitobaine.

Je tiens à vous rappeler que la plupart des comités du sénat, peut-être tous, permettent, à la fin des témoignages officiels, aux membres de l'auditoire de faire une déclaration de cinq minutes, sans période de questions.

Nous commencerons avec les témoignages de M. Boucher et des représentants du SCFP, puis nous passerons aux questions des sénateurs.

[Français]

M. Daniel Boucher, président-directeur général, Société franco-manitobaine: Honorables sénateurs, j'aimerais vous souhaiter la bienvenue au Manitoba et vous remercier pour cette initiative très importante dans le débat sur les services des soins de santé au Canada. Je vais vous parler surtout de la réalité de la communauté franco-manitobaine et des défis auxquels nous faisons face dans le domaine de la santé.

La Société franco-manitobaine existe officiellement depuis 1968, mais la défense de la langue française au Manitoba a débuté en 1916 avec l'Association de l'éducation des Canadiens français du Manitoba. La SFM est l'organisme porte-parole officiel de la communauté franco-manitobaine. Elle veille à l'épanouissement de cette communauté et revendique le plein respect de ses droits. De concert avec ses partenaires, elle planifie et facilite le développement global de la collectivité et en fait la promotion.

La communauté franco-manitobaine compte, en 1996, environ 49 100 personnes de langue maternelle française. Ces francophones représentent 4,5 p. 100 de la population totale de la province.

Les Franco-Manitobaines et Franco-Manitobains sont présents partout au Manitoba. La plus grande concentration de francophones se trouve dans la région métropolitaine de Winnipeg, où ils se regroupent sur le territoire de l'ancienne ville de Saint-Boniface. Les autres francophones se localisent dans les villes et villages, situés au sud-est et au sud-ouest de Saint-Boniface comme Saint-Lazare, Somerset, Notre-Dame-de-Lourdes, Saint-Claude, Saint-Pierre-Jolys, Sainte-Anne-des-Chênes et j'en passe.

Leur distribution suit le parcours des rivières Rouge et Assiniboine, premier site du peuplement francophone du Manitoba. Les localités de Sainte-Rose-du-Lac et Saint-Laurent constituent les rares enclaves francophones du nord de la province. Sainte-Rose-du-Lac était le village natal du regretté sénateur Molgat qui était un grand défenseur de notre communauté et il nous manque énormément. La très grande majorité des francophones, environ 90 p. 100, se trouve à deux heures ou moins de distance de Winnipeg.

Les francophones forment des proportions importantes soit plus de 25 p. 100 d'une quinzaine de localités, ce qui a contribué au dynamisme de la vie française dans la province.

Parlons d'abord de certains facteurs influents sur l'état du domaine de la santé. Essentiellement, on a constaté que les francophones de la communauté sont moins scolarisés. Cela contribue évidemment à la santé de la population. Cela fait en sorte qu'il est absolument essentiel que nos communautés travaillent dans le domaine de la santé. C'est un domaine très important.

L'accessibilité des services de santé dans sa langue constitue par le fait même bien plus qu'un respect pour la culture de l'utilisateur de services. Il s'agit d'un élément parfois essentiel à l'amélioration des conditions de santé et à l'appropriation de la santé par cette population. Dans l'ensemble, les écrits recensés dans la littérature scientifique permettent de conclure que la barrière de la langue diminuerait la probabilité de recourir à des services de santé pour des motifs d'ordre préventif ; influencerait peu la probabilité de recourir aux services de santé pour des motifs curatifs dans le cadre de problèmes de santé aigus. Cependant cette barrière augmenterait la durée de temps de conclusion; la probabilité de recours à des testes diagnostiques, voire la probabilité d'errer dans les diagnostiques et les traitements; influencerait davantage la qualité du service lorsqu'une bonne communication est essentielle, par exemple, les services de santé mentale; diminuerait la probabilité de fidélité aux traitements; et aurait pour effet de réduire la satisfaction à l'égard des soins de santé reçus par les utilisateurs de services. Ces points sont très importants.

L'accessibilité des services de santé prend deux formes génériques. Il s'agira surtout d'une relation avec un professionnel de la santé et des renseignements que l'on reçoit, par exemple, des brochures, des vidéos, des textes, et cetera.

Pour nous, l'accessibilité aux services de santé peut être facilitée de multiples façons. On peut regrouper les initiatives possibles en cinq grands niveaux: un lieu d'accueil où les gens peuvent travailler ensemble pour trouver des solutions communes pour offrir des services en français à notre population; la technologie - les moyens technologiques d'aujourd'hui nous aideraient énormément -; la formation qui est extrêmement importante, nous avons un problème de formation non seulement dans la communauté francophone, mais dans l'ensemble des communautés et des professionnels; et la disponibilité d'information pour les gens. Ce sont des choses très importantes.

Nous considérons que ces cinq niveaux sont des points qui devraient être appuyées rapidement. Ce sont des stratégies développées sur le plan national, par un comité national sur les services en français, qui est coprésidé par le ministère de la Santé et un représentant de nos communautés. Nous trouvons qu'il est absolument essentiel de débuter dans ce sens.

Nous voulons mettre l'emphase sur l'accessibilité et la qualité des services. Nous trouvons qu'il est absolument essentiel pour nos communautés d'avoir accès à des services de qualité. Quand on parle de services de santé, les services de santé sont à la base des relations que l'on peut avoir avec quelqu'un d'autre, dans le sens que quand on est malade, quand on se sent moins bien, il est absolument essentiel de se sentir confortable. Se sentir confortable dans notre langue, pour nous, c'est absolument essentiel dans les services de santé. Il n'y a pas assez de services en français qui se donnent au niveau national. Nous trouvons qu'il devrait y avoir une stratégie nationale en ce sens. Nous travaillons étroitement avec la province du Manitoba en ce moment. D'ailleurs, notre communauté a une très bonne relation avec la province du Manitoba et nous avons fait de grands progrès au niveau de la santé et des services sociaux. Nous avons encore beaucoup à faire, mais nous espérons que les exemples de notre province et le progrès qu'on pourra faire dans les prochaines années seront un modèle pour l'ensemble du Canada parce que c'est très important pour nous d'évoluer dans ce secteur.

La santé est non seulement considérée comme le bien le plus précieux qu'un individu puisse posséder, mais la vitalité des communautés francophones et acadienne passe aussi par la santé des populations. Autant pour son importance individuelle que pour son rôle collectif, le dossier de la santé se doit d'être une préoccupation majeure et ce, pour l'ensemble des autorités gouvernementales, tant fédérale que provinciales, pour toutes les institutions concernées, tant de santé que d'enseignement, ainsi que pour chacune des communautés francophones en situation minoritaire.

Au Manitoba, nous avons déjà mis sur pied un conseil de 16 personnes pour diriger nos actions et stratégies dans le domaine de la santé et des services sociaux. Nous préparons une ébauche d'un plan d'action très concret et il sera discuté par le conseil et le secteur santé et services sociaux au cours des prochains mois. Nous comptons sur vous pour transmettre le message au gouvernement canadien et plus particulièrement à Santé Canada car sans leur appui, il sera très difficile de faire avancer les plans d'actions dans nos communautés.

L'importance à accorder à ce dossier est d'autant plus grande que la capacité de communiquer dans la langue de l'utilisateur de services représente une composante parfois essentielle du service de santé dispensé. Cette raison a d'ailleurs incité plusieurs communautés francophones à se doter de services de santé en français. Plusieurs expériences existantes prouvent même qu'il est possible d'offrir des services de santé de qualité à des populations francophones parfois peu nombreuses et de développer des approches efficaces capables de répondre à la diversité des besoins des communautés.

Nous comptons beaucoup sur vous pour cette approche efficace, si vous êtes à recommencer le système ou le revoir de fond en comble. Le défi d'accroître l'accessibilité aux services de santé en français ne peut être relevé avec succès que si les autorités gouvernementales sont disposées, les institutions de santé sont engagées et les communautés francophones sont mobilisées.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup, monsieur Boucher.

M. Paul Moist, président, Canadian Union of Public Employees in Manitoba (CUPE): Monsieur le président, honorables membres du comité, je travaille au sein du SCFP au Manitoba. Je suis accompagné de Mme Lorraine Sigurdson, coordonnatrice des soins de santé dans la province.

Au Manitoba, nous avons environ 10 000 travailleurs de soutien dans le domaine des soins de santé, et on en dénombre environ 150 000 au pays. Nous respecterons la limite de temps qui nous est accordée, et nous nous contenterons d'aborder seulement quelques questions.

Au bas de la page 1 de notre mémoire, nous exposons les trois grands thèmes que nous souhaitons aborder. Monsieur le président, je regrette que nous n'ayons pas parlé davantage du chapitre 11, c'est-à-dire les questions que vous avez soulevées au sujet des ressources humaines dans le domaine des soins de santé. Je vous dirais cependant, qu'ici à Winnipeg, outre la pénurie d'infirmières, nous avons besoin, sur le plan du soutien, de 600 infirmières auxiliaires autorisées supplémentaires, alors imaginez les lacunes dans le reste de la province.

Nous avons discuté avec des gouvernements de toutes les allégeances politiques au cours des dernières décennies. Il existe, dans le domaine des soins de santé, d'énormes problèmes de gouvernance que vous pourriez soulever. Nous vous soumettrons peut-être un commentaire sur le chapitre 11.

Le président: Cela serait très utile.

M. Moist: Sur la question de la qualité des soins de santé, nous avons eu diverses expériences ici au Manitoba. Nous avons connu un échec avec notre système d'alimentation pour les hôpitaux de Winnipeg, sous le régime d'un organisme connu sous le nom d'Urban Shared Services Corporation. Nous avons dû restructurer ce plan et nous débarrasser de l'expert-conseil américain qui avait été chargé de diriger le système.

À la page 2, nous citons une étude américaine de 1996 selon laquelle le taux d'hospitalisation évitable est de deux à quatre fois supérieur dans les zones pauvres que dans les zones aisées. Au Canada, par contre, les taux d'hospitalisation évitable sont moins susceptibles de varier en fonction du revenu, ce qui, selon nous, témoigne d'une différence fondamentale entre le système américain et le nôtre.

En ce qui concerne les listes d'attente, certains avancent qu'un système parallèle de soins de santé privés, c'est-à-dire à but lucratif, permettrait de réduire les listes d'attente dans le système de soins de santé à but lucratif et dans le système public sans but lucratif. Nous croyons que cet argument est sans fondement, et, à ce titre, nous tenons à mentionner l'étude du Centre d'élaboration et d'évaluation de la politique des soins de santé du Manitoba selon laquelle les personnes en attente d'une chirurgie de la cataracte au Manitoba devaient attendre environ quatre mois de plus pour un médecin qui exerce ses activités dans les deux systèmes que pour un médecin qui ne travaille que dans le système public sans but lucratif. Ces périodes d'attente de sept à dix semaines, par comparaison à 14 à 23 semaines, sont citées par les auteurs de cette étude.

Nous citons aussi une étude albertaine qui avance que la création d'organisations de soins de santé privées, à but lucratif, signifie qu'il y aura deux listes d'attente, car les médecins travaillent à la fois pour le secteur à but lucratif et le secteur sans but lucratif. La liste du secteur à but lucratif sera constituée de patients qui paieront des frais modérateurs et (ou) ont besoin de l'équipement le moins coûteux, alors que la liste du secteur public sans but lucratif sera constituée de patients à faible revenu tirant avantage du régime d'assurance-maladie de base.

Monsieur le président, à la page 4, dans la section portant sur la viabilité du système canadien de soins de santé, qui présente aussi des possibilités au chapitre du financement, nous affirmons qu'ici, au Manitoba, nous croyons que la réforme des soins de santé passe non pas par la privatisation, mais bien par la modernisation. Nous citons les ministres fédéral et provinciaux de la Santé qui, en septembre 1998, faisaient état du besoin de lancer une réforme des soins de santé primaires, d'établir un système de soins de santé qui intègre les soins primaires, les soins de courte durée, les soins à long terme et les soins à domicile, et dans le cadre duquel les médecins touchent un salaire. Votre chapitre 11 mentionne une telle option au sujet de la rémunération des médecins.

L'an dernier, par souci de modernisation, notre gouvernement province s'est porté acquéreur de la clinique sportive privée connue sous le nom de Pan Am, et en a fait un établissement sans but lucratif. C'est un exemple de réforme de la prestation de soins de santé publique sans but lucratif afin de satisfaire à la demande et aux normes d'aujourd'hui. Nous croyons que cette initiative de changement a été un succès retentissant dans notre collectivité.

Il y a d'autres cliniques de santé communautaire - d'ailleurs elles sont nommées dans notre mémoire - dans notre collectivité. Le financement consenti à ces cliniques de santé doit être approprié afin que nous puissions réaliser des économies globales dans le domaine des soins de santé, et cela s'inscrit dans notre thème selon lequel nous devons adopter une approche intégrée et envisager le système de soins de santé dans son ensemble, au lieu de nous attacher uniquement aux hôpitaux, si importants soient-ils.

Il y a un certain nombre d'années, monsieur le président, notre collectivité a tenu un débat sur le système public de soins à domicile du Manitoba. Nous sommes dotés d'un système de soins à domicile financé et dirigé par le gouvernement. Tous les résidents de la province qui en ont besoin ont accès à des soins à domicile, et puisqu'il s'agit d'un programme dirigé par le gouvernement, cela signifie que l'administration est centralisée.

Vers le milieu des années 90, on a tenté l'expérience d'offrir un système privé de soins à domicile. L'initiative n'a pas duré, en raison de plaintes des patients et, en toute franchise, des travailleurs, et l'entreprise a quitté notre province vers la fin des années 90.

Le Manitoba, à l'instar d'autres provinces, a tiré avantage de la péréquation et d'autres formes de transfert de notre gouvernement fédéral. La création du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux a durement touché certaines provinces, comme le Manitoba, la Saskatchewan et les Maritimes. Notre mémoire fournit des chiffres à cet égard.

Au Manitoba, l'un des plus gros enjeux fédéraux-provinciaux est la question de la péréquation et des transferts. Au Manitoba, on ne peut parler du rôle du gouvernement fédéral au chapitre du financement ou de l'aide aux soins de santé sans aborder la question de l'étendue des transferts fédéraux dans la province.

Enfin, monsieur le président, notre mémoire souligne que les soins de santé privés coûtent plus cher que les soins de santé publics. Le coût des soins de santé à but lucratif aux États-Unis connaît une croissance plus rapide que le coût des soins de santé sans but lucratif au Canada. Nous citons une étude de l'OCDE qui fournit des chiffres, en dollars américains, pour comparer nos deux pays.

Aux États-Unis, quatre grands facteurs influent sur la hausse du coût des soins de santé: l'absence de contrôle des coûts; les profits et la rémunération des cadres supérieurs; l'administration et les frais généraux; et la fraude, la corruption et l'absence d'obligation redditionnelle. En 1995, les coûts administratifs globaux pour le système de soins de santé américain s'élevaient à environ 995 $ par personne. Au Canada, toujours en dollars américains, ces coûts sont d'environ 248 $ par personne.

En conclusion, nous croyons que la qualité des soins de santé passe par un système de soins de santé public, sans but lucratif. Les soins de santé ne sont pas des produits de consommation. Cela ne signifie pas que nous favorisons le statu quo: nous cherchons une modernisation similaire aux exemples que j'ai soulevés. Toutes les statistiques figurant à la dernière page de notre mémoire sont assorties de références et de citations appropriées.

Le président: Avant de céder la parole au sénateur Morin, j'aimerais vous demander de clarifier quelque chose. À la page 5 de votre mémoire, il y a une section qui porte sur les «autres cliniques de santé communautaire du Manitoba». Il serait utile de nous expliquer exactement ce qu'est une clinique de santé communautaire.

Je vous dirai pourquoi je pose la question. La dernière phrase du paragraphe indique:

...qu'une clinique de Saskatoon avait conclu que les coûts globaux étaient de 17 p. 100 inférieurs pour les personnes qui se rendaient à la clinique de Saskatoon que pour les personnes qui étaient traitées dans le système fondé sur la rémunération à l'acte.

C'est la notion de rémunération à l'acte qui m'intrigue. N'est-ce pas le type de rémunération appliqué dans les cliniques? Peut-être est-ce le sens du mot clinique qui m'échappe. Pourriez-vous me dire de quoi il s'agit?

Mme Lorraine Sigurdson, coordonnatrice des soins de santé, Canadian Union of Public Employees in Manitoba (CUPE): Dans toutes les cliniques de santé communautaire qui existent à Winnipeg et qui sont nommées dans notre liste, sauf une, les médecins touchent un salaire. Les cliniques de santé communautaire sont des cliniques où les médecins sont des employés, et où l'on dispense une gamme complète de services. Les services varient d'une clinique de santé communautaire à l'autre.

Par exemple, le Women's Health Centre dispense des services aux femmes. La Mount Carmel Clinic est une clinique du centre-ville qui offre des services de consultation avec des médecins et des dentistes, ainsi que des services sociaux.

Le président: Des travailleurs sociaux, des thérapeutes.

Mme Sigurdson: Oui, mais les services ne sont pas aussi étendus que dans les établissements du Québec.

Le président: Mais un modèle comparable?

Mme Sigurdson: Oui.

Le président: On peut donc présumer que les économies réalisées découlent de ce que notre rapport appelle une réforme des soins primaires?

Mme Sigurdson: Oui.

Le président: Car il s'agit non pas, dans le cas des soins primaires, d'une rémunération à l'acte, mais bien d'une forme de rémunération par capitation. C'est ça?

Mme Sigurdson: C'est ça.

Le président: Puisque vous n'avez nommé que quelques cliniques, je suppose que cela n'est pas universel, qu'une partie des soins primaires au Manitoba sont fournis de cette façon, et qu'une autre partie ne l'est pas; ai-je bien compris?

Mme Sigurdson: Ces cliniques de santé communautaire sont destinées à des groupes spécifiques.

Le président: Faites-vous référence à des localités géographiques?

Mme Sigurdson: La Mount Carmel Clinic, comme je l'ai déjà mentionné, est située dans un quartier pauvre de la ville. Le Women's Health Centre est une clinique de soins de santé destinée aux femmes. La Village Klinic dispense des services aux personnes atteintes du sida. Tous les résidents de la province ne pourraient pas se rendre à une clinique de santé communautaire, car il n'y a pas suffisamment de cliniques.

Le président: Tentez-vous d'appliquer ce modèle ailleurs dans la province, de façon à doter, par exemple, une banlieue de Winnipeg, disons Saint-Boniface, de deux ou trois cliniques, ou quelque chose comme ça?

Mme Sigurdson: L'Office régional de la santé de Winnipeg a lancé un processus visant la création de centres d'accès, mais on n'a pas encore déterminé clairement si les médecins toucheront un salaire ou seront rémunérés à l'acte. Les centres d'accès visent à alléger l'achalandage dans les salles d'urgence.

Le président: Les cliniques sont-elles ouvertes sept jours sur sept, 24 heures sur 24?

Mme Sigurdson: Pas encore. Pas ces cliniques de santé communautaire. Ce que l'on envisage maintenant, c'est de trouver des moyens pour que les centres d'accès atténuent l'achalandage - par exemple, pour qu'une personne n'ait pas à se rendre à une salle d'urgence pour des points de suture sur un doigt.

Le président: Une volumineuse documentation montre que des cliniques en activité 24 heures sur 24 permettraient de résoudre le problème des salles d'urgence.

Mme Sigurdson: Oui. On prépare actuellement de tels établissements. Aucun centre d'accès n'a encore ouvert ses portes.

[Français]

Le sénateur Morin: Je voudrais féliciter et remercier M. Boucher pour la cause qu'il défend et qui est défendue par moi et d'autres sénateurs. J'aurais deux questions à vous poser.

La première a trait au message que vous aimeriez que l'on transmette à Santé Canada. J'aimerais que vous nous spécifiez quel message voulez-vous transmettre à Santé Canada?

À la page 7 de votre rapport, vous faites allusion à des obstacles, pourriez-vous élaborer davantage sur l'absence de personnel bilingue? Quelle est la situation véritable par rapport au personnel bilingue dans la province du Manitoba? Quelles sont les contraintes syndicales? Quelle est la volonté administrative quoique vous dites que vos relations provinciales s'amélioraient beaucoup?

M. Boucher: Au niveau de Santé Canada il est important de nous aider au niveau du «réseautage» des professionnels et des gens qui travaillent dans le domaine de la santé dans l'ensemble de nos communautés. Il y a des distances à parcourir. Je pense que l'on doit trouver des moyens de se concerter et des moyens efficaces de livraison de services.

Comme vous le savez dans un système où les populations, où la masse critique n'est pas toujours là, il faut trouver des solutions, il faut être créatif. Cela fait longtemps que nous faisons cela. On commence à savoir comment être créatif. On aimerait que Santé Canada nous appuie à ce niveau pour nous aider à les aider à livrer les services à la province.

Les obstacles à ce faire est un vrai problème. Il existe deux moyens de trouver du personnel: on peut le former et le recruter. On vient de commencer un programme pour les infirmières et les infirmiers au Collège universitaire de Saint-Boniface qui est très positif pour notre communauté. Nous travaillons en collaboration avec des intervenants partout au Canada, au niveau de la formation, incluant l'Université d'Ottawa. Ce sont des choses positives qui se sont passées. Il y a beaucoup de défis. Il y a une pénurie partout. C'est évidemment un gros problème pour nous.

Au niveau des contraintes syndicales, je ne veux pas passer énormément de temps sur le sujet. Le système est en place depuis longtemps et tout le monde travaille dans un système, cependant quand on veut proposer des choses différentes, étant donné la configuration de notre communauté, c'est très difficile de travailler dans des systèmes majoritaires, je dis cela dans un sens très large. Je ne pointe pas du tout du doigt vers les syndicats car ce n'est pas le point. Le point c'est qu'ils ont travaillé dans un système particulier, il y a un grand nombre de personnes qui oeuvrent à différents niveaux et on doit trouver des moyens pour assouplir cela pour tenir compte d'une minorité qui a besoin de services. C'est dans ce contexte qu'on parle de contraintes syndicales. On ne parle pas de façon de confrontation car il n'y a pas de confrontation.

[Traduction]

Le sénateur Morin: J'ai une question à poser à M. Moist. J'ai lu le rapport très intéressant que vous avez remis. À la page 8, vous affirmez que vous vous opposez à l'impartition des services, si je comprends bien. Je comprends que vous puissiez avoir des raisons de vous opposer aux cliniques privées et je crois que certaines des références dont vous avez parlé le montrent, la qualité des soins et l'efficacité des soins des établissements à but lucratif, par rapport aux établissements sans but lucratif, sont bien connues. Tout de même, vous dites que l'impartition des travaux de nettoyage est responsable des bactéries ultra résistantes. Qu'en est-il de l'impartition des travaux de cuisine, du travail sur les terrains des établissements, de la buanderie et ainsi de suite? Cela m'a surpris un peu.

M. Moist: Je ne ferais pas valoir ce raisonnement systématiquement, pour tous les contrats possibles, mais l'observation en question s'applique à l'expérience particulière qui a été vécue à ce moment-là. Il me semble que c'est une notion plus ou moins générale dont nous voulions faire part à vous et à vos collègues.

Si nous abandonnons un élément majeur du contrôle sur la gestion d'une partie quelconque du système de santé, la réforme sera d'autant plus difficile. La question posée plus tôt à propos des divers types de cliniques et ainsi de suite... si nous allons agir pour qu'il y ait des cliniques qui soulagent la pression dans nos hôpitaux, ici, au Manitoba, nous allons non pas imiter une pratique éprouvée qui consiste à accorder aux médecins des salaires très concurrentiels, mais plutôt leur appliquer un régime salarial - nous allons partir du mauvais pied quand on pense à ce que ces cliniques essaient d'accomplir, soit de fournir des services aux gens avant qu'ils aient besoin des services de notre hôpital.

J'établis une analogie avec la question directe que vous avez posée - je ne crois pas que nous devrions abandonner le contrôle, et je crois bien que l'on abandonne le contrôle pour gérer un système.

Au SCFP, nous remarquons que, dans tous les ordres de gouvernement, et non pas seulement dans le domaine des soins de santé, nous délaissons les contrats de deux ou trois ans en faveur de contrats de dix et de vingt ans. Pour ce qui est des services de cuisine communs aux neuf hôpitaux de Winnipeg, même si l'expérience s'est révélée mauvaise, l'entente vaut pour 20 ans. Nous ne pouvons défaire le bâtiment et reconstruire des cuisines dans ces hôpitaux.

Si l'audience avait eu lieu il y a dix ans, nous discuterions peut-être d'un contrat de deux ans ou de trois ans pour le nettoyage des planchers à l'hôpital en question. Cela n'intéresse pas le secteur privé de soumissionner sur un contrat de deux ou trois ans. Quand vous prenez cette décision, soyez conscient qu'elle s'applique à une longue période et que cela aura un effet défavorable, à notre avis, sur votre capacité d'évoluer à l'intérieur de ce système, ce qui est à peu près la seule constante qui vaille depuis dix ans, la volonté d'apporter des changements.

[Français]

Le sénateur Pépin: Monsieur Boucher, la désorganisation, l'offre de services, la faible visibilité des professionnels francophones et la non-disponibilité des professionnels francophones ne font qu'aggraver la situation. Vous avez mentionné que vous aviez de la difficulté pour le recrutement du personnel, est-ce que le manque de professionnels est associé à la difficulté de recrutement ou c'est associé à autre chose?

M. Boucher: Sénateur Pépin, je vais vous donner un exemple. Il y a deux ans, nous avons ouvert le Centre de santé de Saint-Boniface. C'était un centre urbain où l'on avait besoin de services en français, on le revendiquait depuis longtemps et la province a décidé de financer le Centre de santé. Ce centre a un potentiel extraordinaire. Il y a une liste d'attente de deux à trois mois parce qu'on ne trouve pas assez de professionnels. C'est très difficile de recevoir les services d'un professionnel francophone, car le Centre de Santé de Saint-Boniface fonctionne en français. Il offre des services dans les deux langues officielles, mais c'est un centre francophone. On a pu recruter trois médecins, mais nous en avons besoin de six ou sept . Notre plus grand problème est que l'on perd nos médecins, ils vont ailleurs. Évidemment, quand on a besoin de services de santé, on en a besoin immédiatement.

Nous croyons que nous devons trouver une façon de s'entraider au Canada surtout sur la question de la formation, des échanges avec le Québec et le Nouveau-Brunswick. Il faut travailler ensemble pour trouver des moyens d'aller chercher des gens d'un peu partout. Nous devons aussi faire la promotion des carrières dans le domaine de la santé dans nos institutions d'enseignement parce qu'on ne le fait pas assez et ce n'est pas assez valorisé. On croit qu'il faut vraiment valoriser les gens qui font ce travail.

Le sénateur Pépin: Vous mentionnez qu'il y a de plus en plus de francophones qui vont à l'université. J'étais très heureuse de cela. Il y a une augmentation assez importante à souligner.

Je sais qu'au Nouveau-Brunswick, la première fin de semaine de novembre, ils ont une réunion pour parler des services francophones. Je suis heureuse d'entendre vos commentaires car nous allons pouvoir faire le lien avec les autres communautés francophones des autres provinces.

M. Boucher: J'espère vous voir au Nouveau-Brunswick parce que c'est une rencontre très importante qui va regrouper environ deux cents intervenants du domaine de la santé et on espère commencer au moins à trouver des solutions très concrètes au défi qu'on fait face.

[Traduction]

Le président: J'ai deux petites questions. Sous la rubrique «Manitoba Public Home Care», vous dites - je vais simplement lire la phrase:

Tout le monde a accès aux soins à domicile, s'il en a besoin [...]

Est-ce vraiment vrai? Si je pose la question, c'est seulement que nous entendons, partout où nous allons au pays, que la pénurie des soins à domicile assurés par l'État semble être énorme. Y a-t-il quelque chose d'unique qui se passe au Manitoba?

Mme Sigurdson: Eh bien, je crois que nous voulions probablement dire que personne n'a à payer de sa poche pour les soins à domicile.

Le président: D'accord.

Mme Sigurdson: Il me semble que nous serions optimistes si nous disions qu'il n'y a jamais de file d'attente ou de temps d'attente.

Le président: Vous en êtes où la plupart des gens en sont, c.-à-d. qu'il y a là un besoin, un problème.

Mme Sigurdson: Il y a toujours le problème des gens qui ne peuvent accéder au système, mais les gens n'ont pas à payer pour - voilà, je crois, le contexte.

Le président: Tout à fait.

Quand vous parlez des économies réalisées grâce à l'achat de la clinique Pan Am par le gouvernement, corrigez-moi si j'ai tort, mais si je comprends bien, avant l'achat, les services fournis à tous les patients passant par cette clinique étaient couverts par l'assurance-maladie du Manitoba. Ainsi, d'une certaine façon, le fait que le bâtiment ait changé de propriétaire ne change pas le coût de fonctionnement, car ce sont les mêmes patients qui consultent et la même assurance qui s'applique après l'achat, qu'avant que le gouvernement ne fasse l'acquisition du bâtiment. J'essaie de comprendre en quoi un changement de propriétaire peut déboucher sur une quelconque économie. Je ne comprends pas le fonctionnement économique de la chose. C'est ce qui me rend perplexe.

M. Moist: Ce que vous avez dit est vrai en partie, mais auparavant, à la clinique, on offrait aussi...

Le président: Il y a plus longtemps encore?

M. Moist: Non. J'ai fréquenté moi-même cette clinique quand j'ai subi une arthroscopie des genoux et que je me suis vu offrir le service, pour la semaine suivante, plutôt que de le recevoir dans le système de santé.

Le président: Imaginons un scénario où le bâtiment appartient soit au gouvernement, soit à une personne dans le secteur privé, mais où, dans un cas ou dans l'autre, les patients sont couverts par l'assurance-maladie. Croyez-vous que cela va probablement permettre au gouvernement d'économiser beaucoup d'argent?

Mme Sigurdson: De la façon dont je comprends la situation, d'abord, il y aura une expansion des services à la clinique Pan Am. Deuxièmement, on dépendra moins des services dispensés dans les hôpitaux parce que la capacité va devenir plus grande. Si j'ai besoin d'une arthroscopie, il est nettement moins probable que je me retrouve à l'hôpital, non pas que j'aie à y coucher, mais il existe certaines interventions qui se font toujours dans les hôpitaux, mais qui ne se faisaient pas auparavant à la clinique Pan Am; il y aura donc élargissement des services en consultation externe.

Le président: Présumément, ils auraient pu donner de l'expansion à la clinique et prévoir toujours que les coûts des services aux malades soient assumés par le gouvernement, même si le gouvernement n'est pas le propriétaire du bâtiment, n'est-ce pas?

Mme Sigurdson: Sauf que tout l'argent revient dans le système public en ce moment, n'est-ce pas?

Le président: J'essaie seulement de comprendre l'aspect économique de la chose. Je comprends tout à fait pourquoi vous vous interrogez sur le nombre de jours d'attente, comme M. Moist l'a souligné, là où il serait possible de verser un supplément et d'avancer dans la file. J'essaie de saisir, pour être franc, pourquoi quiconque se préoccuperait de savoir si c'est le gouvernement qui est propriétaire du bâtiment ou non. Enfin: il suffit d'une analyse financière assez simple.

Par exemple, le gouvernement n'est pas propriétaire de la plupart de ses tours à bureaux de nos jours. Il obtient que quelqu'un construise le bâtiment, puis il fait établir une sorte de contrat de cession-bail. Pourquoi ne le faites-vous pas pour la santé? En quoi les bâtiments où l'on dispense des soins de santé sont-ils différents?

Mme Sigurdson: Quand vous étudiez la question des locaux pour les soins de santé, il n'y a pas que l'espace qui entre en ligne de compte; il y a aussi l'équipement, il y a toutes sortes de choses qui entrent en ligne de compte. Le ministère des Finances peut probablement en parler demain; ses responsables n'auraient qu'à y installer leurs ordinateurs et leurs bureaux. Toutefois, c'est un peu plus compliqué quand il est question de l'équipement nécessaire au fonctionnement d'un centre médical.

Le président: Merci à tous d'être venus. J'apprécie le fait que vous ayez pris le temps de venir nous voir.

Sénateurs, M. Barry Shtatleman, qui ne figure pas parmi nos témoins officiels, souhaite présenter un exposé.

Comme vous le savez, monsieur Shtatleman, notre politique consiste à accorder au témoin cinq minutes pour présenter son exposé. Il n'y aura pas d'observations de la part du groupe.

J'ai remarqué que vous êtes là depuis un bon moment. Merci beaucoup d'être venu. Je vous prie de commencer quand vous serez prêt à le faire, monsieur Shtatleman.

M. Barry Shtatleman: Merci beaucoup. J'apprécie votre bienveillance.

Le 13 août, le Winnipeg Free Press a publié des extraits d'un sondage réalisé à Montréal de la société Léger Marketing. M. Léger a affirmé que ce sondage et d'autres études invitent à croire à une évolution des préoccupations des Canadiens en faveur des valeurs collectives. Selon l'article de journal, les Canadiens se soucient moins du déficit ou de la dette, et davantage de valeurs sociales. Veuillez comprendre que l'enquête en question a été réalisée avant...

Le président: Le 11 septembre?

M. Shtatleman: L'enquête a été réalisée bien avant la possibilité d'un ralentissement de l'économie; j'oserais croire que cela serait encore plus pertinent aujourd'hui.

Les Canadiens, de façon générale, ont de solides convictions égalitaristes. De fait, les soins de santé universels sont considérés comme étant un élément intrinsèque de la démocratie, et les Canadiens perçoivent leur système de santé comme étant une chose précieuse qui les définit d'une manière un peu inexplicable.

Sondage sur sondage le démontrent: cela ne dérange pas les Canadiens d'être imposés pour des soins de santé de qualité auxquels ils croient avoir droit et à juste titre.

Selon Statistique Canada, à l'époque de l'administration conservatrice Mulroney, quelque 30 milliards de dollars ont été éliminés du système de santé du Canada pour que soit réduit le plus grand déficit connu jusqu'à ce moment-là, même si nous avions déjà retiré tellement d'argent du système de santé pour équilibrer le budget. Dieu seul sait pourquoi ils voulaient faire cela, mais ils l'ont fait. Paul Martin a été obligé de supprimer six milliards de dollars supplémentaires avant de rétablir une partie du budget l'an dernier. C'est un miracle que notre régime d'assurance-maladie ait même survécu à tout cela, pour être franc.

Nous voilà donc aujourd'hui, et même après l'injection l'an dernier de 23 milliards de dollars prévus sur cinq ans pour aider les soins de santé au Canada, le gouvernement fédéral n'assume qu'environ 14 p. 100 des coûts dans le domaine de la santé. C'est encore bien inférieur aux taux préalables aux compressions, en 1994 et 1995. À ce moment-là, Ottawa assumait environ 18 p. 100 des coûts de la santé des provinces. Nous sommes donc aux prises avec un système meurtri, mais un système qui fonctionne toujours bien malgré toutes les attaques.

Selon le rapport provisoire que votre Comité a publié le 17 septembre, la Loi canadienne sur la santé devrait être mise à jour de manière à accorder une plus grande place à la médecine privée et pour tenir compte d'une contestation à prévoir, fondée sur la Charte des droits, en ce qui concerne l'accès aux soins de santé, durant les quelques prochaines années, contestation qui proviendra sans nul doute de sociétés d'assurance-santé américaines - qui rêvent depuis longtemps d'investir dans les soins de santé privés.

Fait assez intéressant, en 1999, le Journal of the American Medical Association a publié les résultats d'une étude exhaustive de dix ans portant sur le marché de la médecine privée à but lucratif aux États-Unis. Constat: c'est la catastrophe la plus totale. Il n'y a rien d'autre à dire là-dessus.

Il y en a qui parlent des soins de santé privés dispensés ailleurs. Regardons les cas où cela peut être un succès. Regardons la Suède, l'Australie, la France. Regardons-nous dans le miroir.

Regardons l'Alberta pour l'instant, avec ses cliniques oculaires à but lucratif, qui sont un désastre. Après tout, n'est-il pas raisonnable de s'attendre à ce que les profits des investisseurs aient préséance sur la qualité des soins de santé? Pensez-vous que les Canadiens pourraient croire autre chose? Si c'est le cas, j'ai des actions de Bre-X à vous vendre.

Les États-Unis sont une sorte de fenêtre sur un avenir où s'appliquent les soins de santé privés. Le prestigieux New England Journal of Medicine signalait, en août 1999, que depuis des décennies, les études démontrent que le coût des hôpitaux privés à but lucratif est de 3 à 11 p. 100 supérieur à celui des hôpitaux sans but lucratif. La recherche du profit compromet la qualité des soins. Le nombre de personnes sans assurance est à la hausse. Les coûts connaissent une augmentation vertigineuse et deviennent rapidement exorbitants, sans compter les fraudes valant des milliards de dollars qui ont lieu aux États-Unis au moment même où nous nous parlons, sans qu'aucun contrôle ne soit exercé. Merci beaucoup.

L'Australie, entre autres pays, est une autre fenêtre sur l'échec que constituerait un système de santé privé aux côtés d'un système étatique - ce qui est devenu la raison des changements apportés à son propre système de santé. Au cours des dix dernières années environ, les gouvernements des États australiens ont commencé à permettre à des sociétés à but lucratif du domaine de la santé de soumissionner pour prendre les rênes d'hôpitaux publics. La différence envisagée, c'est que les hôpitaux privatisés devaient être plus efficaces. Comment? On ne l'a jamais dit clairement. Le gouvernement a simplement présumé que l'entreprise privée contrôlerait mieux ses coûts dans tous les domaines et que les hôpitaux privatisés offriraient une plus grande valeur en échange des sommes investies. Quelle erreur de leur part.

Premièrement, la privatisation des soins de santé en Australie n'a pas débouché sur l'un des avantages importants que ses défenseurs avaient promis. Elle n'a pas soulagé la pression sur le système public. De fait, les listes d'attente dans les hôpitaux publics sont plus longues que jamais. Plus il y a de spécialistes qui travaillent du côté privé, moins ils ont de temps pour travailler du côté public.

De même, la privatisation ne permet pas d'économies. Le gouvernement fédéral australien a été obligé de subventionner l'industrie privée de la santé à la hauteur de 2,2 milliards de dollars par année, pour seulement que les choses se maintiennent. Politiquement et financièrement, la tentative australienne de privatiser les soins de santé s'est révélée être une catastrophe éblouissante.

Je n'ai pas le temps de vous parler plus à fond des recherches que j'ai faites, des données empiriques que j'ai recueillies et non pas des opinions à la manière du Fraser Institute.

J'ajouterais une seule chose. Vous allez trouver cela très intéressant. Charles Baillie, directeur général de la Banque TD, a consacré tout un discours il y a un peu plus d'un an à la question des soins de santé publics au Canada, à l'idée de préserver un avantage concurrentiel. M. Baillie a choisi ce sujet parce que, comme il l'a dit, il est grand temps que les membres du secteur privé se lèvent et affirment que le système de santé public du Canada est un atout économique, et non pas un fardeau, atout que notre pays, aujourd'hui plus que jamais, n'oserait perdre. Je suis d'accord avec lui tout comme le sont la plupart des Canadiens, pour être franc.

Le président: Merci, monsieur, des observations que vous avez formulées et du travail de recherche bien fait dont vous nous avez fait part. Nous apprécions le fait que vous ayez pris le temps de venir ici aujourd'hui.

M. Shtatleman: J'aimerais avoir le temps de vous révéler les recherches que j'ai faites sur d'autres pays. Cela vous ouvrirait les yeux.

Le président: Merci, encore une fois, et merci aux gens qui ont assisté patiemment à l'audience durant toute la journée. Nous apprécions le fait que vous preniez le temps pour être avec nous.

La séance est levée.


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