Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 53 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 6 mai 2002
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 9 heures pour examiner l'état du système de soins de santé au Canada.
Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous entreprenons aujourd'hui les audiences sur le volume 6 de notre étude du système de soins de santé. Comme la plupart d'entre vous le savent, nous avons, pour les cinq premiers volumes, d'abord étudié des documents d'information et des options; puis, dans le volume que nous avons rendu public il y a environ deux semaines, nous avons énoncé une série de principes pour la restructuration des soins hospitaliers et médicaux au Canada.
Nous allons entendre un groupe d'éminents Canadiens des quatre coins du pays, d'un océan à l'autre, littéralement, qui nous entretiendront de deux vastes questions: l'élaboration d'un plan d'action issu des principes que nous avons définis et, puisque nous avons établi clairement que le système de soins de santé tel que nous le connaissons n'est pas viable financièrement, leurs suggestions et leurs réflexions, d'un point de vue fédéral, sur les modalités d'injection de fonds additionnels dans le système de même que les options qui s'offrent aux Canadiens pour assumer les coûts de soins de santé améliorés.
Notre premier témoin est M. Jack Davis, président-directeur général de la Calgary Health Region et ex-secrétaire du Cabinet du gouvernement de l'Alberta.
M. Jack Davis, président-directeur général, Calgary Health Region: À titre de Canadien vivant dans l'Ouest, je dois avouer avoir ressenti un sentiment d'accomplissement personnel à l'idée de comparaître devant le comité. Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer sur la réforme des soins de santé au Canada. Comme nous le savons tous, il s'agit aujourd'hui d'une question brûlante d'actualité, un certain nombre de comités et de commissions, aux niveaux provincial et fédéral, étudiant le système de soins de santé, sa viabilité, son avenir, et cetera. Je vais vous présenter un bref aperçu des principaux problèmes auxquels nous sommes confrontés et des meilleurs moyens d'y faire face, de mon point de vue personnel, mais aussi de celui de certaines discussions qui ont cours en Alberta et dans la Calgary Health Region.
Au Canada, le système de soins de santé fait face à trois problèmes principaux. Le premier a trait à l'établissement de revenus durables et prévisibles. Le rapport Mazankowski, récemment déposé en Alberta, a été le premier examen majeur portant sur la compression des coûts et l'efficience dans le système de soins de santé et à mettre sur la table la question des revenus. Nous devons maintenant nous attaquer aux moyens d'établir des sources de revenu suffisantes et prévisibles.
Le rapport Mazankowski et notre expérience à Calgary et en Alberta nous amènent à conclure que le gouvernement ne peut être la seule réponse. On doit miser sur d'autres sources de revenu, et nous étudions présentement les options qui s'offrent à nous. Il peut s'agir d'un régime d'assurance à de nouveaux moyens de générer des revenus et même de la possibilité de vendre certains de nos services sur la scène internationale, soit en faisant venir des patients au Canada, soit en offrant des services dans d'autres pays. Sur le plan des revenus, nous devons faire preuve de beaucoup d'innovation. On ne doit pas pour autant permettre aux gouvernements d'abdiquer la responsabilité qui leur échoit de trouver un moyen plus acceptable de trouver des fonds et des ressources pour le système de soins de santé au Canada. En fait, nous sommes ici au cœur du problème.
Nous sommes déterminés à dépenser de façon plus intelligente, ce qui signifie que nous allons demeurer à l'affût de gains d'efficience possibles, mais aussi de gains de productivité dans le système de prestation, et nous pensons qu'il existe des possibilités à ce chapitre. Pour ce faire, nous allons peut-être devoir consentir certains investissements additionnels. À l'heure actuelle, il est beaucoup question du dossier de santé électronique, des index-maîtres sur les patients et du recours à la technologie comme moyen d'améliorer la productivité. Cependant, nous sommes d'avis qu'il existe certaines possibilités relatives à l'organisation du système et à la collaboration interrégionale et interprovinciale qui devraient être explorées en profondeur, et nous sommes déterminés à le faire. Dépenser de façon plus intelligente est un volet clé de la stratégie que nous avons mise au point pour l'avenir.
Le dernier élément a trait à ce que nous appelons la «gestion de la demande». Il s'agit de définir avec le public les moyens d'inciter les Canadiens à assumer de plus grandes responsabilités vis-à-vis de leur propre santé, en mettant l'accent sur le bien-être et la prévention de la maladie. Nous pensons que cette approche est extraordinairement prometteuse. Jusqu'ici, nous ne nous sommes pas attaqués à ce problème de façon structurée et cohérente. Nous n'avons pas encore fourni les ressources nécessaires, mais nous sommes déterminés, en particulier à Calgary, à progresser de façon dynamique dans cette direction. C'était la première recommandation du rapport Mazankowski. En Alberta, il s'agit d'une priorité de tout premier plan, et je pense que nous pouvons faire beaucoup pour donner suite à ces recommandations.
Je dirai plus tard un mot du rôle du gouvernement fédéral dans ce domaine, mais il est certain que nous préconisons le recours dynamique à des incitatifs fiscaux comme moyen de promouvoir l'adoption par les Canadiens d'un comportement favorisant le bien-être. À l'examen du système de soins de santé, on se rend compte que le volet du système portant sur la maladie est pratiquement financé à part entière ou gratuit pour l'utilisateur, tandis que, pour ce qui est du volet fondé sur le bien-être, c'est presque le contraire. Ce sont les particuliers qui assument la responsabilité de tous ces coûts, et le gouvernement fait très peu pour promouvoir l'adoption de comportements favorables au bien- être. Ce sont les trois principaux secteurs.
Le président: Nous reviendrons sur cette question intéressante. Nous allons maintenant entendre le Dr Les Vertesi, directeur médical à l'hôpital Royal Columbian de Vancouver. Fait intéressant, le Dr Vertesi se spécialise dans les salles et les soins d'urgence. Il a écrit un livre sur le système de soins de santé que le comité a jugé absolument fascinant. L'ouvrage est encore inédit, mais le Dr Vertesi a eu la gentillesse de le mettre à la disposition du comité. Cela nous a été très utile.
Le Dr Les Vertesi, directeur médical, hôpital Royal Columbian: Mesdames et messieurs, merci de l'occasion qui m'est donnée de comparaître devant le comité. Il y a quelques semaines, j'ai discuté avec un de mes collègues des problèmes auxquels fait face notre système de soins de santé. Étant d'un naturel optimiste et ayant pris connaissance des rapports publiés par le comité, j'ai mentionné que, dans quelques jours, le nouveau volume du rapport du comité du Sénat allait être publié et accessible et qu'on allait y retrouver certains renseignements intéressants et utiles. Sa réponse, cependant, m'a pris par surprise. Il a dit: «Ah non! Pas encore un rapport issu d'un comité sur les soins de santé». Ces mots, qui m'ont accompagné jusqu'à Ottawa, m'ont plongé dans la perplexité.
Dans l'ensemble, les Canadiens sont tolérants et confiants. Certains diraient même qu'ils sont peut-être un peu trop tolérants. Cependant, ils ne sont pas stupides et ils en ont assez d'entendre ressasser les mêmes arguments sur les soins de santé. Ils en ont assez, je pense, d'entendre ceux qui s'obstinent à faire de la question de la prestation de services une bataille entre le bien et le mal. Ils en ont assez d'entendre les gouvernements et d'autres leur dire ce qui est bien pour eux.
Mon impression, c'est que l'enjeu va ici bien au-delà des simples soins de santé, comme si ce n'était pas déjà suffisant. La crédibilité de notre gouvernement et de ses institutions est aussi en cause.
À titre de médecin, j'ai appris non seulement à établir des diagnostics, mais aussi à chercher des indices sur lesquels fonder ces derniers. Notre système de soins de santé est en difficulté, cela ne fait aucun doute. À mon avis, seuls les jusqu'au-boutistes les plus inflexibles continueront de le nier. Les problèmes qu'éprouve notre système de soins de santé semblent généralisés à toutes les provinces, peu importe l'administration politique, les institutions ou les ressources auxquelles nous avons affaire.
Voilà qui m'amène à conclure que nous commettons tous les mêmes erreurs, à supposer que ce soit là le problème. Je ne pense pas que quiconque s'amuse à saboter délibérément le système de soins de santé, ce qui m'amène à conclure que nous croyons faire bien ce que nous faisons de travers.
Voilà qui soulève une question troublante: qu'arrive-t-il si ce que nous croyons faire bien constitue en réalité une erreur et cette erreur a trait aux principes mêmes de la santé qui nous tiennent tant à cœur? L'une des questions que nous allons devoir nous poser est la suivante: que faire s'il apparaît évident que l'un des graves problèmes auxquels notre système de soins de santé est en butte a trait aux principes mêmes que nous nous sommes juré de défendre.
On me demande souvent quel rôle le gouvernement fédéral peut légitimement jouer dans les soins de santé, puisque la santé relève de la compétence des provinces. Or, s'il est vrai que l'un des problèmes que connaissent les soins de santé est lié aux principes mêmes que nous avons définis pour le régime d'assurance-maladie, qui d'autre que le gouvernement fédéral est en mesure de les cerner et d'y remédier?
J'espère sincèrement que l'audience d'aujourd'hui ne s'inscrit pas uniquement dans la perspective d'un rapport de plus sur les soins de santé. Les Canadiens désenchantés qui tendent à s'exprimer en allant ailleurs et en dépensant leur argent ailleurs subviendront à leurs besoins et à ceux de leur famille en s'adressant à des cliniques privées ou, s'il le faut, en se rendant aux États-Unis, et ils finiront par porter un jugement pour nous. Si nous échouons, nous allons alimenter le marché noir des services de soins de santé.
Peu importe l'importance que nous attachons à la séance d'aujourd'hui — et je crois pour ma part qu'elle est importante —, les Canadiens ne sont pas exactement disposés à boire nos mots de sagesse comme du petit lait. Nous ne devons pas nous contenter de produire un rapport de plus. Nous devons prendre des mesures qui comptent, et c'est pour cette raison que je me trouve ici à Ottawa.
Le président: Nous allons maintenant entendre Graham Scott, qui agit comme conseiller juridique auprès d'entreprises. Cependant, ce n'est pas à ce titre qu'il est ici aujourd'hui. Nous l'avons invité en raison de ses antécédents dans le domaine des soins de santé. Il a été sous-ministre de la Santé en Ontario et, jusqu'à tout récemment, il était le premier dirigeant d'Action Cancer Ontario, organisme assurant la liaison entre tous les centres de cancérologie de la province.
M. Graham Scott, ex-sous-ministre de la Santé, province de l'Ontario: Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à participer à la séance d'aujourd'hui. Je suis très impressionné par la qualité du travail effectué par le comité jusqu'ici. Même si les décisions les plus difficiles restent à prendre, vous avez jeté des bases très solides.
Je suis d'accord avec les réalités fondamentales que vous avez énoncées dans le volume 5. Je demeure convaincu que le gouvernement peut et doit continuer d'être la seule source de financement des services de santé essentiels et qu'il doit demeurer responsable de l'établissement de la politique en matière de santé.
C'est l'une des questions que je vous invite à préciser dans votre rapport. Je vous prie instamment de clarifier et de définir la terminologie qui entoure la participation publique et privée au futur système de soins de santé. La plupart des Canadiens tiennent à des soins de santé abordables, accessibles, efficients et de qualité. Franchement, la répartition effective des fournisseurs à but lucratif et sans but lucratif leur apportera peu, à condition qu'on leur assure de tels services.
L'absence de distinctions claires entre la prestation privée de soins de santé au sein du système public et le financement privé de certains volets des services de soins de santé actuels ou futurs plonge les citoyens dans la confusion totale. Le comité rendra un fier service aux Canadiens en présentant clairement les différences dans son rapport final. Ces précisions serviraient également de contexte essentiel aux recommandations que formulera le comité sur les rôles respectifs des fournisseurs des secteurs public et privé.
La meilleure façon de définir le potentiel du secteur privé et d'aider les Canadiens à réaliser leurs objectifs sanitaires au sein du régime public consiste à éviter le débat véhément et destructeur dans lequel on assimile tout ce qui est privé aux partisans d'un système de soins de santé à l'américaine, de même que les formules stériles d'établissement de ratios entre les services à but lucratif et sans but lucratif au sein du système. Le débat entre des positions polarisées empêche l'examen du rôle potentiel du secteur privé dans un régime public. Nous devons être prêts à déterminer où le recours créatif au secteur privé aidera les Canadiens à réaliser leurs objectifs sociaux dans le domaine de la santé. En se campant sur de vieilles positions inflexibles fondées sur la notion de profit, on risque de priver le régime public d'options précieuses.
Souvent, la question de la viabilité suscite plus de controverse que d'explications et le phénomène s'explique en grande partie par le fait que, en l'absence d'un mécanisme d'information fiable, toutes les opinions sont égales. Le système de soins de santé a aujourd'hui besoin d'un soutien financier accru, d'un financement prévisible et de plus d'informations solides. On doit injecter des fonds pour rattraper le temps perdu au cours de la dernière décennie, assurer le continuum de soins nécessaires au moyen d'un accès cohérent et raisonnable, fournir des soins à domicile et des médicaments financés en partie par le régime public et, bien entendu mettre au point des systèmes efficaces d'information et de gestion prévisionnelle.
Des fonds additionnels ne suffiront pas à assurer la viabilité du système. Nous bâtissons sur des fondements désuets et non viables. Nous pourrions accomplir bien davantage au moyen d'un réalignement des incitatifs inhérents au système, comme vous l'avez relevé dans votre rapport. Le réalignement des incitatifs, cependant, suppose que l'on fasse preuve de courage politique. En effet, on devra aider les fournisseurs et les acheteurs à accepter des changements considérables, tout en garantissant un financement prévisible pour soutenir l'organisation et la planification à long terme.
Entre 1996 et 2000, j'ai, dans ma pratique chez McMillan Binch, eu le privilège, de concert avec ma collègue Maureen Quigley de Maureen Quigley and Associates, de participer aux fusions auxquelles ont été mêlés 36 hôpitaux de l'Ontario. Nous avons tiré de nombreuses leçons de l'expérience, et rares sont celles qui sont propres à l'Ontario. À mes yeux, la leçon cruciale est que la réforme du réseau hospitalier aura en soi un effet limité si elle ne s'accompagne pas de la réforme d'autres volets du système. On n'avait rien prévu pour faire en sorte que les médecins, les infirmières et d'autres professionnels de la santé aient les moyens de travailler plus efficacement au sein des établissements réformés. Nous sommes encore bien loin d'exploiter au maximum le potentiel des professionnels de la santé du pays. Les problèmes que soulève la réforme des soins primaires font ressortir les restrictions souvent artificielles mais néanmoins rigoureuses qui nuisent à l'utilisation efficace de nos professionnels.
En ce qui concerne les moyens de générer des fonds additionnels pour la santé, on serait fondé à définir des méthodes de financement précises pour favoriser la responsabilisation et la transparence, à supposer que nous tentions de repérer des sources autres que les recettes générales. Ces nouvelles sources de revenu devraient être centrées sur les besoins précis du système, et je suis pour ma part d'avis que les systèmes d'information sur la santé constituent notre toute première priorité puisque sans un tel ordre de priorité et sans une forme ou une autre de financement de fonds réservés, de tels systèmes ne seront probablement jamais adéquatement financés. Les cotisations et les quotes-parts représentent des approches acceptables, à condition qu'on prévoie des garanties pour les personnes à faible revenu.
En ce qui concerne les réformes plus générales du financement, le comité devrait accorder une attention toute particulière à l'utilisation du régime fiscal, comme on l'a proposé il y a quelques années, question que l'Institut C.D. Howe a remise sur le tapis ce mois-ci, dans une version différente. En fait, il s'agit d'une approche efficace de bons nombres de problèmes liés à la génération de revenus. Les ministres des Finances ne la verront pas d'un bon œil, et pendant que nous parlons des sujets susceptibles de leur déplaire, je mentionne que même une majoration de la TPS pourrait constituer un véhicule utile. La mesure permettrait à coup sûr de vérifier la volonté des citoyens de dépenser dans le domaine des soins de santé.
En ce qui concerne l'administration et la gestion, il serait souhaitable, dans un monde idéal, de miser sur une administration autonome. Cependant, comme cela suppose l'utilisation d'une bonne part des budgets provinciaux, on ne peut s'attendre à ce qu'un gouvernement provincial accueille favorablement des dépenses d'une telle ampleur échappant au contrôle ministériel. Cependant, l'idée de recourir à des responsables précis clairement voués à la gestion de certains aspects du système et relevant du ministre de la Santé a de quoi plaire. Une telle mesure favoriserait la concentration de l'expertise et de la reddition de comptes.
Enfin, la réforme de la santé n'a rien de bien mystérieux. Le défi consiste à apporter du changement, et le changement est toujours menaçant. Des voix influentes et disparates s'élèvent dans le domaine des soins de santé, lesquelles se conjuguent à celles de Canadiens très nerveux, qui craignent pour l'avenir. Pour effectuer les réformes nécessaires, on devra compter sur le courage politique, la coopération fédérale-provinciale, la clarté et la détermination.
L'exemple fourni jusqu'ici par votre comité, qui n'a pas hésité à s'attaquer à cette tâche difficile, laisse croire que c'est peut-être possible. Le cas échéant, les Canadiens bénéficieront de soins de santé abordables, viables et de qualité.
Le président: Nous allons maintenant entendre sœur Nuala Kenny. En plus d'être membre d'un ordre religieux, elle est médecin et professeure de pédiatrie à l'école de médecine de l'Université Dalhousie. Elle est la présidente du Département de bioéthique et a déjà été sous-ministre adjointe de la Santé de la province de la Nouvelle-Écosse.
La Dre Nuala Kenny, professeure de pédiatrie et présidente, Département de bioéthique, université Dalhousie: Merci de m'avoir invitée à participer aujourd'hui. Permettez-moi d'entrée de jeu de vous dire sous quel angle je vous présenterai mes propos d'aujourd'hui. C'est l'angle que j'ai adopté de façon irrévocable. À mon avis, c'est sous cet angle qu'on doit aborder la question de la réforme des soins de santé au Canada. Je veux parler des valeurs canadiennes.
J'aimerais vous résumer brièvement des travaux considérables que j'ai menés et qui feront bientôt l'objet d'un livre, lequel sera relativement différent de celui du Dr Vertesi. J'espère que, dans le courant de la journée, nous aurons l'occasion de comparer nos vues et de les mettre en contraste, afin de porter un regard très respectueux sur les différentes interprétations possibles des problèmes auxquels nous sommes confrontés.
L'angle sous lequel je souhaite aborder le débat constitue en réalité une déclaration sommaire des valeurs intégrées jusqu'ici à l'élaboration du système de soins de santé du Canada. À l'examen de l'histoire et de la rhétorique qui sous- tend les principes de la Loi canadienne sur la santé, lesquels traduisent eux-mêmes les valeurs, j'en suis venue à la conclusion qu'il existe quatre valeurs fondamentales qui nous ont conduits là où nous sommes aujourd'hui et qui constituent l'angle sous lequel nous devons appréhender l'avenir.
La première valeur, c'est celle de la solidarité ou de la responsabilité collective. Il est apparu clairement que l'approche canadienne des besoins en santé se résume comme suit: «Nous sommes tous dans le même bateau». On considère les besoins en santé comme des besoins particuliers faisant appel à un sens collectif de la responsabilité, forme de solidarité sociale qui a joué un rôle très important dans notre histoire.
La deuxième valeur, qui s'inscrit dans le prolongement de la première tout en étant distincte, c'est que les Canadiens ont accordé une importance particulière à la justice. La justice a joué un rôle d'une importance extraordinaire dans notre histoire. Dans le domaine des soins de santé, «justice» s'entend d'«équité», et je crois que les Canadiens s'en font une conception unique. Dans le domaine des soins de santé, les Canadiens se rendent compte que la justice, au sens d'équité, signifie qu'on doit traiter tout le monde sur un pied d'égalité, dans le respect des différences de fond.
En fait, nous avons cru et compris que les besoins en santé sont sensiblement différents des autres besoins humains. Nous en avons tenu compte en nous dotant d'une solution collective, en vertu de laquelle les risques sont partagés.
Ces deux valeurs — la solidarité et l'équité — ont fait en sorte que, relativement aux besoins en santé et à la satisfaction de ces derniers, nous avons compris que le partage des risques entraîne forcément une forme de redistribution. Par la force des choses, les personnes qui sont plus malades — et les plus pauvres qui sont plus malades — exigeront, pour la satisfaction de leurs besoins particuliers en santé, plus de ressources que celles qui sont mieux nanties et en meilleure santé. J'y reviendrai dans mon analyse sommaire des questions dont nous allons débattre en détail aujourd'hui, du moins je l'espère, parce qu'elles sont importantes.
La troisième valeur que je souhaitais mettre en lumière est celle de la compassion. D'une certaine façon, les Canadiens ont toujours compris que la responsabilité collective ne visait pas simplement à assurer une forme d'efficience. Notre approche particulière repose plutôt sur la reconnaissance du fait que les besoins en santé, dont les formes sont complexes et multiples — je ne parle pas que des soins actifs —, exigent une certaine forme d'identification aux personnes qui souffrent. Au-delà de la certitude qu'elles sont malades, nous tentons de nous faire une idée de ce que représente le fardeau découlant d'une maladie ou d'une invalidité.
Outre, la solidarité, l'équité et la compassion, il y a une dernière valeur que je tiens à souligner. Ce qui est en jeu — vous le constaterez dans mon analyse détaillée de votre rapport —, c'est une nouvelle compréhension de la valeur que représente l'efficience. À mon avis, l'équité est remise en question.
Permettez-moi de vous rendre hommage pour avoir eu le courage, dans le volume 4, d'exposer d'emblée une nouvelle définition de l'équité: ainsi, la question serait de savoir non pas si les pauvres bénéficient d'un traitement équitable, mais plutôt de déterminer si nous devrions redistribuer pour assurer un traitement plus équitable aux personnes qui ont des ressources. C'est une question fondamentale à laquelle nous devrions nous attaquer de plein fouet.
Historiquement, nous avons préconisé un système de soins de santé universel et accessible à payeur unique parce que c'était le modèle le plus efficient. S'il était plus efficient, c'est précisément parce que c'est dans le domaine de la prestation de biens publics, et non de biens de marché, que le gouvernement est le plus efficient.
Bien entendu, nos frais d'administration, lorsqu'on les compare à ceux de tout système qui traite les soins de santé comme des biens de marché, dénotent plus d'efficience. Ce que je veux dire, c'est que l'idée que nous nous faisons de l'efficience est intimement liée à la conviction que nous avons que les soins de santé ne sont pas des biens de marché comme les autres. En fait, il s'agit de biens publics. Permettez-moi maintenant d'examiner votre rapport sous cet angle. Il y a un certain nombre de points dont nous allons débattre de façon très succincte aujourd'hui, du moins je l'espère.
Premièrement, je dois avouer que la conclusion à laquelle vous en venez, à savoir que le système actuel n'est pas viable, me pose problème, non pas parce que la Pollyanna que je suis est incapable de comprendre les pressions, mais plutôt à cause de l'interprétation, c'est-à-dire que notre système comporte de nombreuses pratiques non efficientes. Cependant, on ne met pas tout l'accent sur les mesures correctives. Vous avez fait du très bon travail en continuant de mettre l'accent sur un assureur unique pour ensuite tenter d'examiner les moyens d'établir une meilleure répartition entre les modes de prestation privé et public. Je vous suis profondément reconnaissante de tenter de cibler cette question parce que je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que nous devons définir avec plus de précision la distinction entre payeur et assureur public et privé, de même qu'entre prestations publique et privée, à but lucratif et sans but lucratif. Nous devons établir ces distinctions. Je pense que vous avez commencé à le faire.
Cependant, je tiens à dire que nous devrions nous attaquer aux pratiques non efficientes qui grèvent notre système actuel avant d'entreprendre une campagne susceptible de modifier les valeurs fondamentales auxquelles j'ai fait allusion. Je vais maintenant en mentionner une autre, après quoi je ferai cinq commentaires.
Il n'y a pas que toutes les provinces du pays qui subissent des pressions; on peut en dire autant pour tous les systèmes de soins de santé du monde. Tous les mécanismes, y compris ceux qui combinent les secteurs public et privé, y compris les mécanismes profondément ancrés dans l'économie de marché, subissent des pressions, du simple fait que la question des attentes n'a rien de simple. Nous faisons partie d'une société des plus complexes où les moindres aspects de la vie humaine ont été médicalisés. Nous vivons dans une société où les sciences et la technologie font des merveilles; du même souffle, en revanche, elles sont en partie responsables de la création d'attentes énormes qui renforcent la dépendance à l'égard des soins de santé et de la technologie de la santé.
Nos attentes à l'égard des sciences et des technologies de la santé et, par conséquent, du système de soins de santé sont donc profondément enracinées. Ainsi, la question du rationnement des soins de santé et de la non-disponibilité de services essentiels ne se pose pas en temps de guerre. En ce qui concerne la prise de décisions, le problème auquel nous faisons face tient au fait que, relativement à un large éventail de maladies et d'affections, nous disposons d'un grand nombre de possibilités d'interventions plus simples et plus précoces. Nous allons toujours devoir effectuer des choix relativement à la meilleure utilisation possible des ressources. Cela vaut pour l'assurance privée tout autant que pour l'assurance publique.
Les questions relatives aux attentes et aux pratiques non efficientes sont profondément ancrées dans le problème.
Mes commentaires au sujet des solutions qui fonctionneront et celles qui ne fonctionneront pas ainsi qu'au sujet de ce qui me plaît dans ce que vous avez fait jusqu'ici et de ce qui me paraît poser problème, peuvent se résumer comme suit.
D'abord, vous devez, dans le volume 6, exposer clairement le but de vos réformes. Nous devons établir clairement l'objectif qui consiste à préserver l'accessibilité universelle pour les pauvres ou l'accès aux services médicalement nécessaires, peu importe comment on établira cette distinction problématique. Quel est l'objectif de la compression des coûts? Quel est l'objectif en ce qui concerne la qualité et les résultats? Quel est l'objectif d'une interprétation différente des notions d'équité ou de justice? Vivons-nous aujourd'hui dans un lieu différent de la société canadienne? Devons- nous revenir sur toutes ces questions? Ce n'est que lorsqu'on aura établi clairement l'objectif que je serai en mesure de répondre à la question de ce qui fonctionnera ou de ce qui ne fonctionnera pas. J'ai besoin de plus de détails.
Ensuite, je précise que l'accent que vous mettez sur un bailleur de fonds unique revêt à mes yeux une importance extraordinaire. Il s'agit d'un point saillant de votre rapport, et je vous en félicite. La seule hésitation que j'ai, c'est que vous semblez vous limiter au médecin et au réseau hospitalier. Nous n'avons toujours pas entrepris la deuxième série de réformes qui étaient au cœur de la vision du régime d'assurance-maladie du Canada. Cependant, je tiens absolument à vous féliciter d'avoir fait ressortir l'importance centrale que revêt l'existence d'un bailleur de fonds unique.
Par ailleurs, l'idée clé que vous avancez d'un monopole non réglementé pose vraiment problème à mes yeux. Dans le volet 5, je suis d'avis que vous vous contredisez vous-même en indiquant dans les premières pages du document qu'il existe un très grand éventail de fournisseurs de soins de santé privés. Les médecins et la plupart des hôpitaux fonctionnent sans réglementation. Ensuite, vous dites que les assureurs et les fournisseurs jouent le même rôle. Je ne comprends pas de quoi vous parlez. Je n'ai pas non plus compris lorsque j'ai lu la même chose dans le rapport Mazankowski, et je n'ai rien vu à ce sujet dans une analyse très poussée de la documentation sur les systèmes de santé au cours des dix-huit derniers mois.
Les incitatifs sont importants. J'aimerais qu'on s'intéresse en profondeur à la question des hôpitaux. Le financement global est en soi un mécanisme de compression des coûts. Le mouvement qui consiste à dissocier les fonctions, je sais que nous y reviendrons plus en détail, me semble une formule permettant d'effectuer des interventions ponctuelles précises de façon rapide et efficiente, pendant que le soin des véritables maladies et des patients dont le cas est complexe courent des risques. Nous devons nous attaquer à cette question. Je suis tout à fait d'accord avec les incitatifs pour les médecins, et je tiens à vous féliciter de la place essentielle que vous faites à la réforme des soins primaires et à la nécessité absolue de repenser les champs d'activité. En fait, je suis d'avis que vous n'avez pas établi avec assez de force et de profondeur les difficultés qui s'y rattacheront. Il s'agit d'une question essentielle pour la réforme du système, et je pense que le problème se pose davantage au niveau de la philosophie et du partage des pouvoirs qu'au niveau de la rémunération, même si la rémunération et les incitatifs deviennent importants.
Enfin, en ce qui concerne les lacunes du système et les propositions que vous avez envisagées ici, je suis d'avis qu'on devrait prévoir un régime national d'assurance-médicaments et de soins à domicile. À l'examen de la concurrence, on se rend compte que nous avons affaire à un mécanisme de marché qui ne sert pas bien les intérêts des soins de santé, sauf en ce qui concerne les services clairs et précis qu'on peut assurer de façon presque machinale. Les soins complexes supposent l'intégration, et non la concurrence.
Avec tout le respect que je vous dois, je me demande si vous avez étudié la question de la concurrence dans une perspective autre que celle du centre-ville de Toronto. Pour répondre à la question de la concurrence, de l'approvisionnement, des enveloppes budgétaires, des fournisseurs éventuels et de ceux qui sont en mesure de fournir les services de la façon la plus efficiente, je vous invite à venir me rencontrer dans les Maritimes.
Enfin, je tiens à souligner que vous vous êtes engagé à associer les citoyens à l'étude des questions futures touchant la protection. Aucun régime ne suffira jamais à assurer à tous les avantages possibles sur le plan de la santé. Il y aura toujours des décisions à prendre, et j'en suis venue à la conclusion que le processus est la question la plus importante. Par ailleurs, le volet le plus difficile du processus consiste à éduquer le public. Le battage publicitaire qui entoure les soins de santé, les avantages de nouveaux médicaments ainsi que de technologies non éprouvées et mal évaluées est si grand qu'il est parfois difficile de trouver des interlocuteurs véritablement au courant, dans le public et parfois même parmi mes collègues médecins. Nous n'avons pas évalué la question comme il se doit. L'éducation du public devient un enjeu important pour une politique gouvernementale comme les soins de santé.
Je vous félicite de votre travail. Vous tentez ici de faire quelque chose de différent. Je tiens simplement à vous mettre en garde parce que, dans votre engagement envers un bailleur de fonds unique, que j'applaudis, et dans votre tentative d'étudier des mécanismes capables d'assurer le bon fonctionnement du système, on retrouve des éléments qui me plaisent et d'autres qui, sous l'angle de la solidarité, de l'équité, de la compassion et de l'efficience, m'obligent à m'arrêter pour réfléchir.
Le président: Nous allons maintenant entendre M. Lozon, président-directeur général de l'hôpital St. Michael's de Toronto et ancien sous-ministre de la Santé de la province de l'Ontario.
M. Jeffrey Lozon, président-directeur général, hôpital St. Michael's: Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée d'être parmi vous ce matin. J'attends impatiemment nos discussions et en particulier les échanges entre les membres du comité et les autres témoins. Je m'attends à ce qu'il y ait certaines divergences d'opinion de ce côté-ci de la table, comme il y en a probablement du vôtre, mais je tiens néanmoins à vous remercier de me donner la possibilité de participer.
Deuxièmement, je me permets de vous féliciter. Lorsque j'ai comparu devant votre comité à Toronto, je vous ai félicité pour le travail accompli jusque-là, et je tiens à le faire de nouveau dans le contexte du volume 5. Comme je l'ai indiqué auparavant, on devrait en faire une lecture obligatoire pour tous les étudiants en administration de la santé. On y trouve un contexte historique valable, une bonne présentation du contexte international, une description claire et certaines recommandations prégnantes pour l'avenir. Vous êtes sur la bonne voie.
Mes propos liminaires comportent deux axes. Le premier a trait à la portée et à l'opportunité, et le deuxième, au contenu.
L'une des difficultés que soulève l'analyse de la réforme des soins de santé a trait à la portée. Jusqu'où devrions-nous aller dans nos suggestions ou dans nos recommandations de changement? Si on aborde la question trop haut, on se contente de platitudes superficielles qui font consensus, ce qui signifie qu'elles ne donnent aucune orientation. Si on entre dans les détails et qu'on va en profondeur au point où les intéressés les dissèquent pour établir ce qui cadre ici et ce qui ne cadre pas là, la mise en application devient impossible. Dans les recommandations précises qu'il formulera dans le rapport no 6, le comité devra jauger avec soin la profondeur de ses suggestions. Vous ne devez pas vous contenter d'un déballage de platitudes, mais, en même temps, vous ne devrez pas entrer dans les détails au point où seules les personnes comme nous, qui avons passé notre vie dans le système, pourront les comprendre.
La deuxième mise en garde que j'aimerais faire au comité a trait à l'étendue de votre rapport. Dans le volume 5, j'ai constaté que vous proposiez des modifications de la structure de la rémunération à l'acte, un examen approfondi de la recherche et une étude des modifications à apporter au financement en plus d'exprimer des préoccupations au sujet des ressources humaines en santé, sans oublier la façon dont le système de soins de santé de l'avenir devrait être organisé comme il se doit et les investissements importants et nécessaires dans la technologie de l'information. Je vous invite à établir un ordre de priorité pour votre prochain rapport. L'étendue des questions que vous avez abordées constitue, je l'ai dit, un modèle valable pour les étudiants d'administration de la santé. Il n'est pas nécessairement celui qui convient le mieux aux gouvernements qui doivent mettre les recommandations en application et qui doivent savoir dans quelle direction s'engager et ce qu'il convient de faire en premier.
La deuxième chose, c'est que, la prochaine fois que vous publierez un rapport, vous devriez fixer une date puis la changer 48 heures auparavant parce que, chaque fois que vous fixez une date, quelque chose de malheureux arrive et personne ne fait attention.
Le président: Je me permets d'expliquer à l'intention de ceux qui nous regardent que le document sur les options préparé par le comité devrait être rendu public le 12 septembre et que nous en avons publié un autre le 18 avril, soit trois jours après le bombardement malheureux de soldats canadiens en Afghanistan.
M. Lozon: Ma deuxième série de commentaires porte sur le contenu de votre rapport. Il s'agit de commentaires de haut niveau, et je m'attends à ce qu'on y revienne en détail dans les discussions. Je fais nommément référence aux principes 1 et 2, qui ont trait à la stabilité. Comme je l'ai indiqué à l'occasion de ma comparution précédente devant le comité, je suis un ardent partisan de l'établissement, dans les provinces, d'un organisme chargé des questions relatives aux soins de santé.
Je sais que cela exige un acte de foi de la part des politiciens provinciaux, qui sont sur la ligne de front jour après jour, de la part des ministères des Finances, qui s'inquiètent de voir des fonds échapper à leur contrôle et de la part d'un grand nombre de personnes. Cependant, il s'agit d'une idée dont on n'a pas encore fait l'essai parce que c'est de là que notre système est parti, surtout dans le contexte des soins hospitaliers et médicaux. S'ils avaient pu entrevoir la situation en vigueur en 2002, les décideurs qui ont choisi de faire de ces questions une fonction de base du ministère y auraient peut-être réfléchi à deux fois.
J'entrevois un conseil d'administration, dont les membres seraient nommés pour cinq ans, avec possibilité de renouvellement pour un an, ayant la responsabilité d'organiser et de fournir des services de santé dans la province. Le conseil bénéficierait de l'appui d'un personnel spécialisé, dont les membres seraient rémunérés en fonction de leurs responsabilités. L'assemblée législative s'engagerait à financer le conseil pendant plusieurs années. L'importance de cet engagement fluctuerait selon les recettes de la province ou une formule plus complexe — je laisse cette question aux bons soins des mathématiciens et des statisticiens.
Dans ce contexte, les ministres et les ministères de la Santé ne seraient pas laissés sur les lignes de touche. Ils auraient la responsabilité de définir des paramètres pour les soins garantis. Ils joueraient un rôle important en continuant d'étudier les ressources humaines en santé et l'introduction des technologies dans la province. Cependant, ils ne seraient plus sur la ligne de front, comme ils le sont aujourd'hui.
Compte tenu de la façon dont le système actuel est organisé, il serait très difficile de réformer le financement du réseau hospitalier et de modifier la rémunération à l'acte de façon cohérente, claire et opportune. Avec tout le respect que je dois aux témoins qui m'ont précédé, je pense que bon nombre des ministères provinciaux de la Santé sont responsables des pratiques non efficientes qui grèvent le système de soins de santé — je parle non pas du fonctionnement des ministères eux-mêmes, mais bien plutôt de la façon dont ils fonctionnent en relation avec le système de soins de santé.
Le deuxième principe que je tiens à évoquer se rapporte aux principes 5 et 14, dont l'un a trait aux technologies et l'autre, aux ressources humaines en santé. Il existe également un lien avec le chapitre consacré à la recherche dans le domaine de la santé du volume 5. Ces trois secteurs sont intimement liés à l'avenir des centres universitaires des sciences de la santé du pays. Le plus souvent, c'est dans ces centres que les nouvelles technologies sont d'abord introduites; c'est aussi là que le gros des fonds pour la recherche dans le domaine de la santé sont alloués et que les défis liés aux ressources humaines en santé se posent concrètement.
Le comité voudra peut-être étudier la possibilité d'adopter une approche nationale de l'établissement et de l'expansion des centres universitaires des sciences de la santé au pays. Ainsi, on se rapprochera davantage de l'autosuffisance relative à la planification des ressources humaines en santé; on disposera également d'un centre plus officiel pour l'introduction des technologies. Enfin, une telle démarche est conforme au vaste programme d'innovation dont le gouvernement fédéral fait la promotion.
Mes derniers commentaires ont trait au principe 15, qui porte sur le dossier de santé électronique. Comme bon nombre d'entre vous le savez, je suis le vice-président de l'Infostructure canadienne de la santé. Je ne parle pas au nom de l'organisation, mais je sais que les importantes dispositions déjà prises pour l'Infostructure canadienne de la santé ne sont qu'une première étape en vue de la création d'un dossier médical électronique pancanadien.
La plupart des spécialistes estiment que les coûts s'élèveront de quatre à six milliards de dollars. À l'heure actuelle, l'Infostructure canadienne de la santé reçoit 500 millions de dollars de la part du gouvernement fédéral. Nous mettrons un certain temps à parvenir à nos fins. En dépit des commentaires du Vérificateur général, je suis personnellement convaincu de la validité du modèle. Le projet suppose une certaine agilité. Du même souffle, on soustrait cette question au monde «tordu» des relations fédérales-provinciales, sans aller à l'encontre de la réalité des rôles des gouvernements fédéral et provinciaux. Au fil du temps, nous serons en mesure d'établir des registres de patients et de fournisseurs de même que les réseaux de pharmacies et de laboratoires qui, selon nous, sont au cœur du dossier médical électronique.
Vous parler a été un privilège, et je vous en remercie. J'attends nos échanges avec impatience.
Le président: Notre dernier témoin est M. Forget. Il a été sous-ministre et ministre de la Santé au Québec. Il y a environ deux ans, il a cosigné un ouvrage remarquable sur les possibilités de réforme des soins de santé au Canada intitulé: Qui est maître à bord?
M. Claude Forget, ex-ministre de la Santé, province de Québec: Merci de m'avoir invité à la discussion d'aujourd'hui. Je me joins au conférencier qui m'a précédé pour vous féliciter de vos excellentes observations et recommandations. Que vous ayez pris le temps d'examiner les faits concrets se rapportant à notre système de soins de santé tout autant que l'expérience d'autres pays représente une véritable bouffée d'air frais. Je suis tout à fait d'accord avec bon nombre de vos recommandations.
Dans mes brefs propos de ce matin, j'aimerais m'intéresser à la vision que vous avez selon ce que j'en comprends tout au moins, de la meilleure façon d'aborder la mise en œuvre de cet ensemble de recommandations. Mes deux premières remarques tout au moins s'inspirent du titre collectif de l'ensemble de vos rapports, «La santé des Canadiens — Le rôle du gouvernement fédéral».
À lire l'analyse que vous faites des forces qui sous-tendent la croissance des coûts des soins de santé au pays, on en vient forcément à la conclusion que le système actuel n'est pas viable à son niveau de financement présent et que des solutions devront être apportées. Les sommes que le gouvernement verse actuellement pour le maintien du système sont très substantielles. Cependant, cette contribution, qui se chiffre à environ 16 p. 100 des dépenses brutes effectuées par les provinces, ne suffit pas pour donner au gouvernement fédéral la possibilité d'aller au-delà du simple maintien du système pour entreprendre de le transformer.
On doit prendre conscience de l'écart entre les promesses implicites du système et la réalité. On devra notamment contracter des engagements plus importants pour une période prolongée. On ne parviendra à transformer les choses qu'au prix d'investissements additionnels très considérables. À mon avis, l'essentiel de ces fonds additionnels devrait provenir du gouvernement fédéral, d'une façon ou d'une autre.
Le gouvernement fédéral fait face à une alternative difficile: jouer un rôle accru dans la transformation du système ou reconduire sa participation financière actuelle, qui est relativement modeste, sans perdre de vue l'intérêt, la motivation et la faisabilité politique se rapportant au maintien à long terme d'un tel niveau de participation. À mon avis, ce n'est que si le gouvernement fédéral choisit de hausser sa contribution qu'on pourra aborder vos recommandations dans l'intention de les mettre en œuvre. C'est la première condition.
Deuxièmement, je tiens à dire que le seul fait de hausser le financement ne constitue pas une solution, ce avec quoi d'autres et vous serez certainement d'accord. Pour ceux qui vivent au quotidien la réalité du système de soins de santé, il existe un risque politique important du fait qu'on doute que le gouvernement honorera sa promesse d'accroître le financement, sinon en en faisant le moins possible, surtout dans la perspective d'une détérioration de la situation économique ou de la transformation de l'ordre de priorité gouvernemental. Cela s'est déjà vu par le passé, ce qui a nui à la crédibilité des tentatives de réforme et du système de soins de santé lui-même.
Sur une note plus constructive, je conçois qu'Ottawa invite les provinces à s'engager elles aussi à fournir des ressources pour le système de soins de santé, par exemple en permettant que le produit d'impôts réservés soit versé à un organisme correspondant peu ou prou à celui que M. Lozon a décrit — un organisme autonome pour chacune des provinces auquel les gouvernements fédéral et provincial verseraient des fonds prévisibles à long terme, qui serait transparent et rendrait des comptes. Ainsi, nous saurions quels fonds sont affectés à tel ou tel poste. Bien entendu, l'organisme en question serait tenu de rendre compte de l'utilisation des ressources.
Une telle mesure favoriserait la transparence. Si un organisme autonome touchait une telle subvention, nous pourrions imposer des exigences ayant force exécutoire. En effet, on peut imaginer une forme de contrat ayant force exécutoire qui fournirait des garanties relatives à la planification de la mise en œuvre et de la transformation, sans compter que les responsables de la modification du système, ou même de son maintien, ne risqueraient pas de se faire couper l'herbe sous le pied.
En vertu d'un tel système, les Canadiens sauraient de façon certaine pourquoi ils paient davantage d'impôts que les Américains. Dans un monde de libre-échange et de mobilité de la main-d'œuvre qui transcende les frontières, les Canadiens se montrent de plus en plus critiques et dubitatifs à l'endroit du poids de l'imposition. Nous savons tous que ce poids est le résultat direct de l'engagement que nous avons pris de maintenir un système de soins de santé public. Cependant, il s'agit d'une notion abstraite. La plupart des gens n'arrivent pas à établir un lien entre cette notion abstraite et le chèque qu'ils ont libellé il y a quelques jours à peine, à la fin d'avril, et dont le montant leur paraît trop élevé. Les Canadiens croient que le gouvernement peut faire mieux avec les sommes colossales que les contribuables versent chaque année.
Le troisième point, c'est que l'injection de fonds additionnels, même garantis, ne suffira probablement pas à dissiper l'impression grandissante que le système ne fonctionne pas. Les sondages indiquent que les Canadiens sont d'avis que le système ne respecte pas ses promesses.
Au fil du temps, l'accroissement des ressources contribuera peut-être à régler certains problèmes. L'écart s'explique par le taux de croissance implicite du système de soins de santé, que certains évaluent à 4 p. 100 par année, et un taux de croissance économique moyen de 2 p. 100. On pourra combler cet écart pendant un certain temps en haussant les investissements publics, comme je le propose, mais pendant un certain temps seulement. En ce qui concerne la rhétorique entourant le système de soins de santé, on doit donc mettre la pédale douce. Dans un moment d'euphorie politique, on a fait preuve d'une insouciance extraordinaire en laissant entendre que le système était en mesure de tout faire pour tous, jusqu'à un degré ultime de perfection et de disponibilité. Les discussions actuelles sur l'assurance- médicaments et les soins à domicile, si elles ne sont pas injustifiées, confirment que, au prix d'un effort ultime, nous pourrions tout assurer à 100 p. 100. Ce n'est pas vrai, comme nous le savons aujourd'hui, et ça ne l'a jamais été. À mon avis, on devrait admettre que c'est impossible et que ce ne sera peut-être jamais souhaitable.
Le phénomène s'explique par l'augmentation insidieuse des services de santé assurés au pays, où on s'est davantage préoccupé de l'augmentation de l'offre que des priorités axées sur les patients. D'abord, nous avons assuré les hôpitaux, puis les médecins, et nous envisageons maintenant d'assurer les médicaments ou les fournisseurs de soins à domicile. En fait, nous devrions plutôt chercher à assurer les Canadiens contre les risques liés à la santé.
De la rhétorique, tout ça? Non, parce que, si vous les interrogez sur leurs besoins, les Canadiens vous diront qu'ils ne sont pas tous aussi importants. Ils admettraient peut-être que les besoins prioritaires soient assurés à 100 p. 100, tandis que ceux qui sont moins prioritaires bénéficieraient d'un niveau de protection réduit. À l'heure actuelle, les besoins moins prioritaires bénéficient d'une protection à 100 p. 100, presque de façon accidentelle ou ils ne sont pas assurés du tout. On semble établir une distinction fantaisiste entre les niveaux de protection, laquelle s'explique au mieux par des raisons purement historiques. Cependant, je suis d'avis qu'on doit ramener la rhétorique à un niveau plus réaliste en réévaluant les priorités. Il s'agit d'un processus douloureux et difficile sur le plan conceptuel, sans compter qu'il est politiquement dangereux. À mon avis, le gouvernement fédéral a pour rôle d'aider les provinces à s'avancer conjointement dans cette voie. Je ne crois pas qu'aucune d'entre elles pourra avoir le courage d'agir seule dans ce sens en raison des écueils politiques inhérents à une telle démarche.
Le gouvernement fédéral pourrait, à titre de coordonnateur, aider les provinces à élaborer et à harmoniser une approche du problème que représente la redéfinition de l'ordre de priorité. Il y a là urgence — même si tout ne se retrouverait pas sens dessus dessous. Je suppose que le modèle résultant d'une telle démarche correspondrait, à maints égards, au système actuel, mais la justification serait différente, et il y aurait des écarts considérables. De toute évidence, il serait plus facile d'expliquer aux Canadiens pourquoi certains services sont assurés, d'autres non. On ferait référence non plus à un système échafaudé sur une période de 50 ans, mais bien plutôt à une distinction à jour et pertinente.
Pour qu'on donne suite à vos recommandations, il importe de créer un climat dans lequel les gestionnaires des services de santé sont habilités à gérer. Les gouvernements ont contribué à répandre l'idée, pas tout à fait sans fondement, selon laquelle le système de santé n'est pas aussi bien administré qu'il le devrait. Il s'agit d'un prétexte commode pour justifier la compression du financement. C'est malheureux, parce que le gouvernement qui affirme que le système de santé n'est pas bien administré n'a rien fait pour corriger la situation.
Notre pays bénéficie d'un système de soins de santé unique au monde. On a affaire à un système de guilde d'origine pratiquement médiévale conjugué à une approche de commandement et de contrôle de type socialiste. À mon avis, vous ne trouverez nulle part ailleurs un autre exemple réunissant deux systèmes se prêtant si peu à de bonnes pratiques de gestion. Cependant, ils coexistent au sein du système de santé. Ainsi, les gestionnaires de la santé n'ont pratiquement rien à dire sur des facteurs cruciaux, possibilité dont doivent bénéficier la plupart des gestionnaires d'ailleurs dans le monde et d'autres industries pour être efficaces. Dans la plupart des provinces, ils n'ont rient à dire sur les conditions de travail des personnes avec qui ils travaillent. Ils n'ont rien à dire sur les modalités d'affectation des biens d'équipement ni sur l'amélioration des installations parce que les gouvernements, d'entrée de jeu, leur ont interdit de recourir à l'amortissement cumulé. On les juge sur leur utilisation des intrants et non sur ce qu'ils produisent. Par conséquent, ils n'ont pas vraiment intérêt à prôner la responsabilité financière ou l'efficience ni à faire l'acquisition de systèmes de TI qui contribueraient à répondre à ces questions. Même s'ils connaissaient la réponse, ça ne changerait absolument rien dans la plupart des cas, et ce n'est pas un argument qui milite en faveur de la hausse du financement de leurs établissements.
Dans ce contexte, diverses recommandations contenues dans votre rapport sont pertinentes. Elles seraient à coup sûr utiles à condition qu'elles ne débouchent pas une fois de plus sur un système de gestion descendante axé sur le commandement et le contrôle. Dans toutes les provinces, on a effectué quelques réformes qui, dans la plupart des cas, n'ont strictement rien changé. Ces réformes sont caractéristiques à des réformes bureaucratiques axées sur le commandement et le contrôle qui ont été effectuées dans les anciens pays du bloc soviétique. Ces pays procédaient à des réformes tous les cinq ans, et leurs économies n'allaient nulle part.
Ce n'est pas la façon d'effectuer des changements. Assurons-nous que, dans le contexte du déballage de bonnes intentions dont il est aujourd'hui question, qu'il s'agisse de l'assurance-médicaments ou de l'assurance des soins à domicile, objectifs qui en soi apparaissent souhaitables, nous n'érigions de nouveaux silos. La gestion des programmes de santé devrait être intégrée. Relativement aux diverses ressources qui se complètent dans la prestation des services de santé, il ne devrait pas y avoir de disparité touchant la protection.
N'oubliez pas que l'un des arguments à l'appui de notre système de soins de santé actuel est l'existence d'un bailleur de fonds unique. En pratique, cependant, nous allons à l'encontre de la raison d'être du bailleur de fonds unique parce que nous rangeons tout dans les boîtes distinctes, des compartiments étanches qui empêchent la bonne administration. Dans la bonne gestion, tout est affaire de compromis. La plupart du temps, on doit être en mesure de privilégier A par rapport à B, mais, si A et B sont isolés dans des structures administratives et des enveloppes financières distinctes, il sera très difficile, voire impossible, de le faire.
Au moment de donner suite à vos recommandations, assurons-nous de ne pas créer de nouvelles boîtes et de nouveaux silos: il y en a déjà assez.
Le président: Nous allons maintenant passer à des questions, à des commentaires et à un échange de vues entre nos témoins et les membres du comité. Puisque nous allons être ensemble pendant le plus clair de la journée, je propose que nous axions nos interventions sur des thèmes particuliers.
Pendant la prochaine heure, nous pourrions mettre l'accent sur certains des thèmes que vous avez fait ressortir, particulièrement en ce qui touche les patients. Permettez-moi simplement de présenter deux ou trois pistes.
M. Davis a laissé entendre que nous devrions, relativement à la notion de bien-être, envisager le recours à des incitatifs fiscaux pour encourager les citoyens à mieux s'occuper d'eux-mêmes. M. Forget a souligné qu'il y avait une limite à ce qu'on peut assurer, même si, pour le moment, on s'en tient au réseau hospitalier et aux médecins. L'autre coté de la médaille, c'est qu'un certain nombre d'organismes ont relevé que notre rapport, où il est question d'incitatifs invitant les médecins, les gouvernements et les administrateurs d'établissements à modifier leur comportement, ne prévoit pas d'incitatifs ayant pour but d'amener les patients à changer de comportement ou à utiliser le système de façon responsable. S'il en est ainsi, c'est parce que nous n'avons pas trouvé de moyens pratiques de le faire, mais des réflexions à ce propos nous seraient utiles.
Au cours de la prochaine heure, concentrons-nous sur les questions touchant les patients, et laissons pour plus tard les enjeux organisationnels et peut-être aussi les enjeux financiers.
Le sénateur LeBreton: Je vous remercie de votre excellente participation de ce matin. Elle a eu pour effet de modifier un peu l'orientation de mes questions.
Monsieur Scott, vous avez fait allusion à des incitatifs dans le système et au courage politique considérable dont il faudra faire preuve. M. Forget a pour sa part affirmé qu'il allait falloir atténuer quelque peu la rhétorique qui entoure la réforme des soins de santé.
Si nous pouvions tout reprendre depuis le début pour faire l'éducation du public, de manière à éviter la rhétorique excessive dont nous sommes témoins, comment associeriez-vous les citoyens au débat et leur feriez-vous comprendre, en tant que patients la complicité et l'ampleur du problème? Que nous recommanderiez-vous de faire pour obtenir que les citoyens soient adéquatement informés et qu'ils aient en mains l'ensemble des données du problème, sans se laisser prendre au piège de la rhétorique actuelle?
M. Scott: Je suis heureux que vous ouvriez le bal avec une question aussi simple. Je me suis moi-même posé la question, et je ne crois pas qu'il y ait de réponse facile.
Dans le domaine du traitement du cancer, par exemple, il existe de nombreuses mesures de prévention qui ont fait leurs preuves que les citoyens peuvent prendre. Il est difficile d'avoir leur attention. Au fil des ans, par ailleurs, on est parvenu à réduire sensiblement les taux de tabagisme. Il faut, pour obtenir des résultats, prendre des moyens relativement spectaculaires.
Le principal problème que j'entrevois — je n'ai pas la réponse, faute de savoir comment m'y prendre pour attirer l'attention du public — concerne l'histoire d'amour qui lie les patients à leurs hôpitaux locaux, même si, dans des dossiers comme la masse critique, leur hôpital local représente peut-être pour leur santé un danger tout autant qu'un avantage. Lorsqu'on aborde la question de la rationalisation des hôpitaux ou de la coordination des services, peu importe, apparemment, qu'on ait affaire à un centre des sciences de la santé de pointe en proie à des problèmes ou à un petit hôpital rural. Faire comprendre que des briques et du mortier ne se traduisent pas nécessairement par une meilleure santé représente un défi colossal.
Compte tenu de la complexité des soins de santé, où il est permis de penser que les grands centres des sciences de la santé ne devraient pas nécessairement proposer certains des services de pointe qu'ils offrent aujourd'hui, c'est un problème qui est très difficile à saisir. Le fait que la plupart des administrateurs d'hôpitaux ou les politiciens, selon le cas, ne souhaitent pas s'y attaquer, parce qu'il s'agit d'un défi si difficile à surmonter, n'aide pas non plus. Je suis navré de ne pas avoir une réponse toute faite et toute propre à vous proposer. Je voudrais bien qu'il en soit ainsi. C'est le genre de problème auquel nous devons continuer de réfléchir.
La Dre Kenny: Sénateur, j'ai conclu mon témoignage sur la question de l'éducation du public et de l'anticipation. Tel est notre problème. Il s'agit d'un problème pour les citoyens. C'est la question centrale. Comment faire en sorte que les Canadiens comprennent ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans le domaine des soins de santé, et ce que «fonctionner» signifie dans le contexte d'interventions?
À mon avis, un rapport existe. C'est pourquoi l'accent mis sur les résultats dans votre rapport est si important. Je ne sais pas si le dossier de santé électronique constitue un outil budgétaire valable, mais, en tant qu'outil d'éducation, en tant que registre de l'utilisation du système permettant d'analyser les résultats, il constitue un élément important du besoin absolu d'information.
J'aimerais dire deux choses. Premièrement, le défi consiste à convaincre les citoyens des avantages offerts par les sciences et les technologies de la santé humaine dans un monde où, que nous l'interdisions ou non, chacun est confronté tous les soirs à de la publicité directe. On voit la grand-mère qui patine grâce à son nouveau médicament contre l'arthrite et l'homme que le Viagra fait danser.
Il s'agit d'une question d'une importance extraordinaire puisque, à l'ère de l'information, nous avons désormais affaire à un patient qui, avant de se présenter pour recevoir les services de santé, a navigué sur Internet. Après 25 ans de pratique pédiatrique, je rencontre aujourd'hui des parents qui arrivent avec des tonnes de documents puisés dans le Web. La qualité de ces derniers est fort variable. Les risques qu'on les manipule en leur faisant croire que la seule personne capable de sauver leur bébé se trouve à Houston sont énormes. Outre la gamme d'informations et l'incapacité de démêler le bon grain de l'ivraie, on doit désormais composer avec l'influence que la publicité directe exerce sur chacun d'entre nous.
Disons-le clairement. La publicité crée d'abord un besoin pour ensuite affirmer posséder les moyens d'y répondre. Le problème a trait non pas à l'éducation, mais bien plutôt à la création d'un contexte dans lequel les attentes vis-à-vis du système de soins de santé sont problématiques et complexes. Ils sont profondément ancrés dans notre dépendance à l'égard des sciences et de la technologie au XXIe siècle et dans la façon dont l'information parvient aux citoyens qui, ensuite, deviennent ou ne deviennent pas des patients.
Deuxièmement, on doit se demander comment aider les citoyens à comprendre ce que sont les données scientifiques. Ce n'est qu'ainsi qu'on pourra appréhender ce problème important. À lire les manchettes, on a l'impression que les problèmes catastrophiques d'aujourd'hui pourront être guéris demain, alors que les médecins présents autour de la table vous diront que le progrès s'effectue une décimale à la fois. Par tâtonnements, on montre que ceci est supérieur à cela. Les attentes, en revanche, sont phénoménales.
À l'opposé, les professionnels de la santé, en particulier mes collègues médecins, tolèrent, dans la pratique, des écarts qui sont en réalité plutôt effrayants. Ces écarts ont trait à la nature fondamentale de la responsabilité qu'ont les médecins de fournir les meilleures données possibles à l'appui des choix de leurs patients.
Je pense que cette question, qu'on l'applique aux résultats en général ou à la réforme des soins de santé primaires, ou encore à la façon dont vous aborderez dans le volume 6 la question de l'utilisation et de la rémunération des spécialistes, nous ramène aux incitatifs qui font que nous nous éloignons davantage de la bonne utilisation des données par rapport à la recherche de moyens de mieux éduquer le public. Cependant, les professionnels et les citoyens sont aux prises avec des informations mal utilisées et des attentes concernant ce qu'on pourra accomplir, que ce soit au moyen de médicaments ou de technologies non éprouvées.
M. Lozon: J'aimerais faire quelques commentaires. Premièrement, je suis d'accord pour dire que nos attentes sont plus grandes que jamais auparavant. Nous sommes en mesure de faire plus que jamais auparavant. Nous bénéficions tous d'une longévité plus grande et d'une espérance de vie en bonne santé plus longue, qui s'expliquent en partie par le système de soins de santé et beaucoup par nos comportements personnels.
En règle générale, les Canadiens accordent à leur santé un peu plus d'attention qu'avant la publication du rapport Lalonde intitulé «Nouvelle perspective de la santé des Canadiens». Il s'agit d'un lent processus.
Cependant, je pense que des attentes élevées représentent un avantage. Soit dit en passant, nous ne pourrions rien faire pour les prévenir, même si nous étions convaincus qu'elles sont néfastes.
Nous savons deux ou trois choses au sujet des incitatifs pour les patients qui sont inopérants. Nous savons que les relevés détaillés publiés par les ministères provinciaux de la Santé ne fonctionnent pas. Nous ne savons pas si le fait d'établir un lien entre le paiement et le service reçu constituerait ou non un avantage. Nous admettons que, en tant que Canadiens, nous n'en viendrons jamais là. Je vais donc passer à autre chose.
Fait intéressant, les ministres des Finances en sont venus à certaines conclusions à ce sujet. Les budgets provinciaux les plus récents s'accompagnent de hausses des taxes sur les cigarettes et l'alcool. On peut penser que ces mesures visent deux objectifs: nous aider à être en meilleure santé ou générer des recettes additionnelles. Je laisse au comité le soin de trancher.
Les audiences publiques qui laissent entendre que les Canadiens devraient recevoir davantage du système de soins de santé sans en comprendre les coûts ne sont pas utiles. En fait, cette situation est en partie responsable du problème d'aujourd'hui.
Au moment où nous discutons de la possibilité d' «ajuster» les attentes des consommateurs, nous devons nous rendre compte que nous vivons dans un monde caractérisé par des attentes à la hausse, et la tendance ne donne aucun signe d'essoufflement. Franchement, c'est peut-être une bonne chose. Deuxièmement, nous sommes davantage scolarisés et en mesure d'obtenir des renseignements sur les comportements et les médicaments qui nous étaient auparavant inaccessibles. Le changement sera très lent. Rien ne va bouger tant et aussi longtemps que des politiciens affirmeront qu'on répondra à tous les besoins et à tous les désirs, sans, soit dit en passant, qu'il en coûte un sou.
M. Forget: Dans le même ordre d'idées, je pose la question suivante: quand l'information est-elle utile aux personnes à qui elle est destinée? D'abord, elle est utile uniquement aux personnes attentives. Si le destinataire n'est pas attentif, l'information produite, quelle qu'en soit la quantité, n'aura aucun effet.
Le champ d'attention varie d'un problème à l'autre. Si, par exemple, nous étudions les habitudes de consommation de viande rouge, de sucre et de tabac au pays et dans la plupart des pays occidentaux, on constatera que des modifications spectaculaires se sont effectuées sur une longue période. Nous ne comprenons pas tout à fait comment les choses se sont passées. De toute évidence, on a fourni de l'information qui a touché une corde sensible. Il serait peut-être avantageux d'étudier de façon rétrospective en quoi l'information limitée accessible à l'époque a été si efficace par rapport à tout ce dont on dispose aujourd'hui grâce à Internet. Ce dont je parle remonte à bien avant l'avènement d'Internet.
Les patients comme les membres de leur famille deviennent très attentifs lorsqu'ils sont malades. On a compris que, par le passé, on ne fournissait pas assez aux patients et à leur famille d'informations de haut niveau sur les traitements. À l'avenir, cette information devrait jouer un rôle beaucoup plus grand. Elle a un impact majeur.
Il n'y a pas que les personnes malades qui prêtent l'oreille à l'information fournie. On constate qu'elles sont attentives lorsque l'information est importante pour des décisions qu'elles doivent prendre. Si, comme l'a indiqué M. Lozon, tout est accessible, sans restrictions, pourquoi s'encombrer d'un grand nombre d'informations? Vous pouvez vous fier à la publicité que vous avez vue dans un magazine et compter sur le médecin ou le système pour dire: «Non, vous n'en avez pas besoin, ce serait mauvais pour vous.»
Cependant, rien n'est jamais si tranché. Il y a des nuances. Les études des technologies de la santé font souvent état de cas où tout n'est pas si clair. Il y a une dizaine d'années, et le Dr Morin en sait beaucoup plus que moi à ce sujet, on a mis au point un nouveau milieu de contraste, qui était très coûteux. On l'utilisait surtout dans le domaine neurologique. Il était, si je me souviens bien, non ionisant et ainsi de suite. Tout semblait indiquer qu'il allait entraîner une réduction des problèmes. Un petit pourcentage de personnes traitées au moyen de l'ancien milieu de contraste éprouvaient une légère nausée, mais, sinon, elles n'étaient pas indisposées. Aucune donnée statistique ne laissait croire à l'existence de problèmes plus graves. Certains réseaux hospitaliers du pays ont massivement adopté le nouveau milieu de contraste plus coûteux. On a beau dire: «C'est la faute du consommateur», dans ce cas-là, nous n'avons que nous- mêmes à blâmer. Nous n'avons pas examiné la question d'un œil très critique en nous disant: «Non, les avantages supplémentaires offerts sont trop limités pour justifier les dépenses additionnelles. Si un patient tient à ce qu'on utilise un tel milieu de contraste, imposons-lui un droit correspondant».
Cette idée trouve d'autres applications. Lorsqu'on a affaire à des problèmes autres que les problèmes de vie et de mort, qui entraînent des inconvénients majeurs ou une légère augmentation des risques d'effets secondaires bénins, des compromis sont possibles. Notre système nous empêche d'imputer des frais aux personnes qui tiennent mordicus à éviter des risques de nausées légères. Est-ce acceptable? S'agit-il d'un incitatif pour les consommateurs?
L'information, si elle ne présente aucun intérêt pour le public en général, intéresserait au plus haut point les patients confrontés à ce genre de choix. Grâce à elle, on peut confronter les citoyens à des choix. S'ils n'ont pas de choix à faire, pourquoi s'encombreraient-ils l'esprit de toutes ces informations.
Le Dr Vertesi: Il s'agit d'une question très intéressante, et les intervenants ont déjà relevé certains des points que j'avais l'intention de soulever. J'aimerais cependant faire ressortir deux ou trois choses.
L'éducation du public correspond à l'une de nos attentes les plus exagérées et les plus surévaluées. D'abord, le public n'est pas uniforme dans l'ensemble du Canada. Il y a des groupes ruraux et des groupes ethniques. Il existera toujours des groupes d'intérêt particulier que nous n'arriverons jamais à éduquer ni à satisfaire. Peu importe leur importance, la presse leur fera toujours une place prééminente. Ici, la clé consiste à tenter non pas d'éduquer toutes ces personnes de façon à ce qu'elles parviennent à un consensus, mais plutôt à veiller à ce que l'activité des médias n'ait pas pour effet de paralyser le gouvernement.
Même si on doit tenir compte des attentes du public, et je suis d'accord avec le Dr Lozon pour dire qu'elles sont à la hausse — comme il se doit —, c'est parce que nous avons davantage à offrir et que les citoyens sont autorisés à vouloir davantage. Ce n'est pas un buffet. Les patients ne peuvent pas dire: «Je vais prendre ceci et cela». Dans certains cas, c'est ainsi qu'on présente la situation. Les citoyens sont autorisés à établir un premier contact avec le fournisseur de soins de santé, habituellement un médecin, et les choses s'enchaînent ensuite. Le coût de ce contact initial n'est pas très élevé. C'est à l'arrière-plan, dans ce que font les médecins, qu'on retrouve les véritables coûts. Les véritables coûts, on les retrouve dans les hôpitaux, et ils ont trait au traitement du cancer, aux chirurgies cardiaques et ainsi de suite. Les citoyens ne choisissent pas ces procédures parce qu'ils en ont entendu parler. Si tel était le cas, ce serait au médecin de les détromper. Ici, je tiens à revenir sur ce qu'a dit Mme Kenny. Nous devrions cibler les écarts dans les pratiques médicales des médecins. Ce sont elles qui ont une grande incidence sur les coûts.
Il existe une perception répandue selon laquelle les citoyens abusent des salles d'urgence. Au lieu de dire que les citoyens abusent des services médicaux, nous affirmons qu'ils se rendent trop souvent à l'urgence et qu'ils utilisent trop fréquemment les services hospitaliers. À titre d'urgentiste, j'ai beaucoup de mal à accepter une telle allégation. Le fait est que les personnes qui se rendent dans les urgences, mais qui n'ont rien de grave ne monopolisent pas de bien grandes ressources. On les identifie rapidement avant de les renvoyer chez elles. Celles qui requièrent des ressources importantes et engorgent le système, ce sont celles qui, de l'avis des professionnels de la santé, ont besoin de traitement. Voilà où les véritables problèmes se posent.
Lorsque j'interroge les patients sur les motifs de leur présence à l'urgence, ils me fournissent invariablement des raisons qui, suivant leur logique, ont du sens. Ces personnes se trouvent alors en situation de crise. Elles éprouvent des douleurs à l'abdomen ou quelque chose du genre. Dans une telle situation, elles ne parviennent pas à réfléchir de façon rationnelle à quoi que ce soit. Que l'on soit professionnel ou que l'on possède de vastes connaissances, on n'arrivera pas à faire preuve de jugement rationnel en cas de panique ou de peur, en particulier lorsque des membres de sa famille sont touchés. Le travail de la salle d'urgence consiste à effectuer un tri très rapide et à déterminer ce qui doit être fait. Ce n'est pas aux patients de faire ce travail.
Deuxièmement, nous avons créé une nouvelle catégorie de défavorisés. Autrefois, les personnes qui n'avaient pas accès aux soins de santé étaient les pauvres, et nous avons constaté le problème. À l'origine, la Loi canadienne sur la santé était axée sur la pauvreté en tant qu'obstacle à l'obtention de soins. C'est beaucoup moins le cas aujourd'hui. Cependant, nous avons créé une nouvelle catégorie de défavorisés, ce que j'appelle les «personnes à la conscience vulnérable». Il s'agit des personnes que, en faisant appel à la culpabilité, nous parvenons à persuader de ne pas recourir aux services hospitaliers ou à d'autres services légitimes dont elles ont besoin, du moins en ce qui a trait à l'accès à l'information. Permettez-moi de vous citer l'exemple d'une dame qui vient me voir au milieu de la nuit avec des douleurs à la poitrine. Je lui demande: «Depuis combien de temps avez-vous ces douleurs à la poitrine?» Elle me répond: «Depuis trois jours.» «Pourquoi n'êtes-vous pas venue à l'urgence?» «Eh bien, je ne voulais pas vous déranger.» En fait, elle avait subi une crise cardiaque, qu'il aurait été beaucoup plus facile de traiter si nous avions pu intervenir plus tôt. Elle avait créé non seulement un problème pour elle-même, mais en plus des coûts pour mon hôpital. Elle avait converti un problème relativement simple en un problème beaucoup plus complexe. Elle continuera d'éprouver des difficultés, et les coûts seront élevés. Nous avons créé une catégorie de personnes trop consciencieuses pour accéder aux besoins dont elles ont besoin quand elles en ont besoin.
J'aimerais également revenir sur ce qu'a dit le Dr Lozon au sujet du ciblage de l'éducation. Nous devons d'abord éduquer les médecins qui contrôlent la majorité des ressources coûteuses et, deuxièmement, le public au moment où il a besoin de ce genre d'information. C'est le moment où il est en mesure de l'utiliser de la façon la plus profitable.
M. Davis: Par moments, nous risquons de chercher une solution parfaite dans un contexte très compliqué.
Les citoyens répondent aux incitatifs. Nous le savons. Le monde entier, à l'exception du système de soins de santé du Canada, prévoit des incitatifs dans ses activités. Je pense que nous devons envisager très sérieusement le recours aux incitatifs, en particulier dans la promotion des comportements sains et à faible risque. À cet égard, le gouvernement fédéral a un rôle à jouer parce que c'est lui qui administre le régime d'impôt sur le revenu et que ce dernier est l'un des principaux moyens dont nous disposons pour influer sur le comportement des particuliers et des organismes. Depuis la nuit des temps, les gouvernements utilisent le régime d'impôt sur le revenu de façon très positive et très curieuse pour favoriser différents types de comportements. Je vous invite à continuer de le faire.
Dans le domaine de l'éducation du public, nous devons nous garder d'agir de façon paternaliste. Les citoyens s'éduquent chaque jour, par l'entremise des médias de masse, d'Internet ou de recherches sérieuses. La question qui se pose est la suivante: quel rôle voulons-nous jouer dans l'éducation du public?
L'un des avantages de la régionalisation des systèmes de soins de santé vient du fait que ces derniers ont la capacité et le mandat d'agir dans le domaine de l'éducation et de l'information du public. Là où les systèmes de soins de santé ne sont pas entièrement régionalisés, les gouvernements doivent se pencher sur ces activités, qui présentent pour eux plus de difficulté.
Je pose la question: combien de réseaux hospitaliers ou de régies régionales de la santé font de l'éducation et de l'information du public leurs toutes premières priorités? Une fois de plus, la plupart des systèmes sont aux prises avec la prestation des soins aux malades et la gestion des hôpitaux ainsi que de ce que nous appelons le volet «maladies». Nous devons consacrer des efforts considérables à l'information du public. En fait, il ne s'agit pas vraiment d'«éduquer» le public parce qu'on ne peut dire aux gens ce qui est bon ou mauvais pour eux et espérer qu'ils vont passivement nous prendre au mot. Il faut plutôt créer une situation dans laquelle de l'information digne de foi est véhiculée de façon conviviale. L'information doit avoir une composante interactive et, comme je l'ai dit, être axée sur la crédibilité.
Au Canada, cette question nous donne un peu de fil à retordre. Nous demeurons convaincus qu'il suffit que le gouvernement publie des tas de dépliants pour produire un effet sur les citoyens. Nous allons devoir nous intéresser aux médias contemporains et commencer à nous adresser aux enfants et aux adultes de la même façon qu'on le fait dans divers autres secteurs de l'économie. Rien ne sert de déplorer l'influence qu'exercent toutes sortes de véhicules publicitaires ultra-puissants sur les gens. Nous devons jouer le même jeu, bien que de façon un peu différente.
Nous devons être présents dans les médias de masse, mais établir notre crédibilité en tant que source d'information. Nous devons gagner cette bataille. Ce n'est qu'alors que les citoyens n'hésiteront pas à s'adresser à nous pour obtenir de l'information sur les moyens de réduire au minimum les comportements malsains et d'accéder au système en cas de problème. À l'heure actuelle, il est très difficile de s'adresser à nous pour obtenir de l'information et des orientations. Comme le Dr Vertesi l'a souligné, les crises médicales ne sont pas le meilleur moment pour chercher des moyens rationnels d'interagir avec le système. Même dans ce cas, cependant, nous faisons en sorte que l'interaction avec le système est difficile du point de vue de l'utilisateur. Il y a beaucoup à faire. Nous n'avons pas fait du bon travail dans ce dossier, simplement parce que nous ne l'avons pas jugé prioritaire. Nous devons nous atteler à la tâche sans perdre une minute.
Le sénateur Morin: Je crois comprendre que nous nous en tenons pour le moment aux questions tournées vers les patients. J'ai un certain nombre de questions précises à poser aux témoins.
Monsieur Davis, vous m'avez intrigué en prônant le recours à des incitatifs fiscaux pour faire avancer la cause du bien-être, de préférence à une majoration des taxes sur le tabac, par exemple. Je me demandais si vous aviez des exemples précis à fournir. Les non-fumeurs paieraient-ils moins d'impôts? C'est une idée intrigante.
Ma question suivante, qui s'adresse à M. Forget, porte sur l'assurance des services de santé. Si nous pouvions réduire la gamme de services assurés, nous épargnerions des ressources. J'ai lu votre ouvrage récent avec beaucoup d'intérêt et de soin. Si je comprends bien, vous affirmez que nous devrions désassurer les procédures ou les techniques non fondées sur des données probantes.
À cela, je répondrai que la plupart des nouveaux inducteurs de coût dans notre système repose sur des données probantes. Nous dépensons la majeure partie de notre argent pour la deuxième moitié de notre vie. Avec la venue de technologies et de médicaments nouveaux, les essais cliniques aléatoires sont plus nombreux que jamais. À l'examen des dépenses, on se rend compte que le problème tient moins au vieillissement de la société qu'à l'introduction de nouvelles procédures auxquelles nous n'avions pas accès auparavant. Nous effectuons plus de pontages coronariens, et on a maintenant fait la preuve que la procédure était efficace chez les personnes de plus de 80 ans. Nous n'y avions jamais pensé auparavant. Voici un autre exemple: le coût des dialyses rénales a augmenté de 14 p. 100 au cours des trois dernières années. Il en coûte aujourd'hui 50 000 $ par patient par an.
Voilà donc l'origine des dépenses. Rien ne justifie le refus à des patients âgés des procédures que nous offrons aux personnes de 40 ans. M. Forget a fait allusion à l'exemple d'un marqueur utilisé en urologie, mais les cas de cette nature sont relativement rares.
Mon commentaire suivant, qui s'adresse à Mme Kenny, porte sur l'insatisfaction des Canadiens vis-à-vis de notre système. Je pense qu'il s'agit d'un phénomène unique au Canada. Sondage après sondage, nous constatons que les Canadiens comptent parmi les personnes les plus insatisfaites de leur système. Cependant, l'Organisation mondiale de la Santé nous a classés au trentième rang. La France occupe le premier rang, et tous les pays européens figurent dans la portion supérieure de la liste. En règle générale, les Européens, à l'exception des Britanniques — dont le taux d'insatisfaction demeure inférieur au nôtre — se disent satisfaits de leur système de santé. Il y a quelque chose qui cloche au sein de notre système.
Enfin, je suis d'accord avec le Dr Vertesi pour dire que la surconsommation des services par les patients est un mythe. Une urgence est ce que le patient considère comme une urgence. C'est là une définition valable. Les patients qui souhaitent se prêter à des procédures et à tout le reste sont très rares. Le problème a plutôt trait à la sous- consommation. Vous avez cité un excellent exemple en invoquant le cas des patients qui ne se rendent pas à l'urgence même s'ils éprouvent des douleurs à la poitrine parce qu'on leur a répété qu'ils monopolisaient de précieuses ressources, et ainsi de suite.
M. Davis: Nous devons pousser la réflexion sur toute la question des incitatifs, qu'ils soient positifs ou négatifs. À l'heure actuelle, les incitatifs liés au bien-être sont pour la plupart négatifs — le prix plus élevé des produits du tabac constituant le meilleur exemple. On peut imaginer l'octroi d'incitatifs fiscaux pour l'achat de services précis favorisant le bien-être, par exemple le conditionnement physique et d'autres services de cette nature. C'est l'une des pistes que nous devons explorer.
Pourquoi ne pas adopter une approche plus radicale et imaginer un système dans lequel des personnes s'inscrivent auprès d'une régie régionale de la santé et, à condition de respecter certains critères liés à la condition physique ou au bien-être, reçoivent des incitatifs fiscaux. Quand on y pense, c'est rempli de bon sens. On perçoit beaucoup d'argent auprès des citoyens pour financer le système de soins de santé qui s'occupera d'eux en cas de maladie. Pourquoi ne pas leur proposer des incitatifs en espèces — pas seulement pour l'achat de services, mais aussi des espèces sonnantes et trébuchantes — si elles répondent à certains objectifs, qu'ils aient trait à la santé cardiovasculaire ou au poids? Nous disposons de toutes sortes de données sur ce que signifient les notions de «sain» et de «bonne santé», mais, parce que nous sommes obnubilés par le volet du système axé sur la maladie, nous n'y avons pas consacré assez de temps.
Dans un système public structuré comme l'est le nôtre, nous pourrions probablement réaliser des progrès dans ce domaine. Si nous y mettions du nôtre, nous pourrions peut-être même devenir la référence mondiale dans ce domaine particulier. Il s'agit d'un secteur des plus stimulants, mais nous éprouvons toujours de la difficulté à attirer l'attention des gouvernements sur ces questions.
Le Dr Vertesi: On me permettra de formuler certains commentaires qui sortent un peu des sentiers battus, ne serait- ce parce que cela a pour effet d'animer le débat. Nous avons tous le mot «incitatifs» à la bouche. Les incitatifs visent deux objectifs: modifier l'utilisation des services de santé et prévenir la maladie. Nous avons déjà évoqué la question de l'utilisation. J'aimerais maintenant consacrer un peu de temps aux incitatifs en tant que moyen de prévenir la maladie.
Avant de nous lancer à corps perdu dans la prévention, nous devons établir clairement nos objectifs.
Il ne fait aucun doute que la prévention permet d'influer sur la structure de la morbidité, mais permet-elle de réaliser des économies? Nous tenons pour acquis que oui puisque, si nous parvenons à prévenir un accident de voiture, nous économisons de l'argent. Pour ma part, j'affirme que la prévention ne permet pas d'économiser, mais qu'elle influe sur la structure de la morbidité.
Des preuves? Examinons les 20 dernières années d'actions préventives: nous sommes parvenus à imposer des dispositions législatives relatives au port de la ceinture de sécurité, des dispositions législatives anti-tabagisme, la vaccination infantile, la santé publique, l'hygiène, les dispositions législatives contre la conduite en état d'ébriété. Bon nombre de ces lois et de ces programmes ont été de francs succès, mais, s'ils avaient permis de réaliser des économies, nous devrions aujourd'hui nager dans l'argent. Ce n'est toutefois pas le cas: nous avons simplement modifié la structure de la morbidité. Tout ce que nous avons fait, c'est permettre à une personne qui serait peut-être morte dans un accident de voiture de vivre encore pendant un certain temps, ce qui lui permettra de subir une crise cardiaque, de contracter le cancer ou d'autres problèmes associés au vieil âge, lesquels, nous le savons, sont coûteux. Nous avons amélioré la satisfaction de vivre, je ne le contesterai pas. Je ne dis pas que nous devrions renoncer à la prévention. Cependant, j'affirme que nous devrions cesser de tenir pour acquis qu'elle permet de réaliser des économies. Ce n'est pas nécessairement le cas.
M. Forget: Le sénateur Morin a soulevé une question au sujet de la pertinence d'associer la couverture à la qualité d'une procédure médicale ou chirurgicale. Dans sa question, il a laissé entendre que la plupart des coûts sont associés à des procédures bien éprouvées et fondées sur des données probantes. Tant mieux si c'est vrai. Cependant, j'en doute. Je constate la situation dans nos établissements de soins actifs, et à coup sûr dans ce que nous appelons les «établissements tertiaires» ou les «centres de santé universitaires». Je constate également la situation en vigueur dans un certain nombre d'autres établissements qui, même s'ils n'ont pas cette fonction, modifient ou améliorent des procédures établies dans un contexte très officieux. L'analogie que j'établis dans mon texte a notamment trait à la méthodologie rigoureuse, adoptée par la plupart des pays il y a déjà un certain temps, en vertu de laquelle nous soumettons les médicaments à des tests avant d'en autoriser la commercialisation. Nous savons qu'il s'agit d'une procédure coûteuse, mais des tests rigoureux sont effectués non seulement par les fabricants, mais aussi par les gouvernements, qui jouent un rôle actif dans la surveillance des détails de ces essais limités.
Imaginons maintenant qu'on met au point un médicament comme on le fait pour d'autres aspects du système de soins de santé. Tel ou tel médecin a une idée ou, peut-être en association avec un chimiste, a découvert une nouvelle molécule et souhaite en faire l'essai parce qu'elle est susceptible de produire de bons résultats. Ainsi, le médecin assiste à un congrès médical, à l'occasion duquel il informe ses collègues de ce qu'il a fait. Ces derniers ont envie de l'imiter. Tout se fait de façon informelle. Il s'agit d'un scénario envisageable. Si nous procédions de cette manière, les cas d'utilisation de molécules nouvelles et non éprouvées ou de variantes de molécules existantes risqueraient de se multiplier, et nous ferions face à des coûts énormes et à de nombreux accidents. Lorsqu'il s'agit de la mise au point de variations ou de procédures médicales et chirurgicales entièrement nouvelles, nous procédons avec plus de circonspection.
Par exemple, comme je l'ai peut-être déjà dit devant le comité à l'occasion d'une comparution précédente, on utilise depuis un certain temps les tuteurs intravasculaires pour les angioplasties. Il s'agit d'une procédure éprouvée. Au cours des deux ou trois dernières années, cependant, certains médecins ont commencé à utiliser trois tuteurs plutôt qu'un ou deux. La pratique s'est généralisée à un coût considérable.
S'agit-il d'une procédure éprouvée? Selon les données dont nous disposons, parmi 100 patients à qui on a posé trois tuteurs à un coût total de 200 000 $, seulement trois n'auront pas à revenir pour une intervention corrective. Établissons à 5 000 $ par cas le coût des personnes devant être réadmises à l'hôpital parce qu'un seul tuteur est insuffisant. Dans les faits, nous avons pris la décision, par souci d'efficience, de dépenser 200 000 $ pour économiser 15 000 $.
On a procédé de façon informelle, et l'application s'est généralisée, un peu comme un feu de brousse. Même si nous disposons maintenant de données et de résultats d'essai, le pli est pris, et il serait difficile de revenir en arrière parce que la pratique est désormais admise.
Nous devons faire preuve de beaucoup plus de retenue dans l'introduction de nouvelles procédures, au moyen d'essais réalisés dans un cadre approuvé et à petite échelle. Si elles se révèlent non seulement avantageuses pour les patients, mais en plus efficientes, on pourrait ensuite les généraliser. Les essais menés sur des médicaments s'effectuent en quatre temps. La première phase ne s'appliquerait pas puisqu'elle suppose le recours à des «cobayes», et personne n'accepterait de subir une intervention chirurgicale dans ce contexte. Les phases deux, trois et quatre supposent un élargissement rigoureux et progressif du cercle des bénéficiaires du traitement, dont on vérifie l'efficacité. C'est le genre de démarches dont nous avons besoin.
Outre la discipline plus grande dont on devrait faire preuve dans l'introduction de nouvelles procédures, il existe d'autres problèmes liés à des procédures utilisées dans un contexte où, pour des raisons de masse critique, par exemple, elles ne devraient pas l'être. Le problème s'inscrit dans la logique suivant laquelle on rend disponibles, de façon beaucoup plus large que nécessaire, les procédures qui n'ont pas fait l'objet d'essais et dont l'efficacité n'a pas été prouvée. La médecine fondée sur des données probantes ne me pose aucun problème, mais, ce qu'il y a, c'est que, lorsqu'on obtient enfin les données, la procédure a été appliquée de façon généralisée et depuis longtemps pour des milliers de personnes. C'est le passage du concept à des résultats fondés sur des données probantes qui monopolise une grande partie du temps, des efforts et de l'énergie de nos établissements de soins tertiaires. On doit examiner cette pratique de très près, dans l'intention non pas de l'interdire, mais bien plutôt de déterminer les conditions dans lesquelles le système public assumera les frais de la procédure. Si ces conditions ne sont pas réunies et que le médecin arrive à convaincre son patient que le jeu en vaut la chandelle, même s'il aura à en assumer les coûts, sans garantie s'appuyant sur des résultats fondés sur des données, grand bien lui fasse.
La Dre Kenny: Je vais répondre au commentaire du sénateur Morin concernant ma perception des systèmes de santé du monde. M. Forget a tout à fait raison. Il existe un article intéressant, un classique dans le domaine de la politique de la santé, intitulé «From ``promising report'' to ``standard procedure'': seven stages in the career of a medical innovation». On y montre que, au cours des 10 à 15 dernières années, nous sommes passés d'un «rapport prometteur» dans une manchette à des affirmations selon lesquelles la médecine fondée sur des données probantes était essentielle. Sur le plan philosophique, cela est nécessaire, mais insuffisant. On doit toujours faire preuve de jugement relativement aux données et à leur pertinence. Cependant, M. Forget fait état d'un écart remarquable entre la façon dont les médicaments, par exemple, passent du développement à l'approbation et à l'utilisation généralisée dans les soins de tous les jours, d'une part, et les procédures et les technologies, d'autre part. Il s'agit d'un problème important.
Pour ce qui est du commentaire du sénateur Morin concernant l'affirmation que j'ai faite selon laquelle le Canada doit comprendre que tous les systèmes de santé du monde sont en crise, il cherchait à me remettre à ma place ou encore il me réprimandait. Je vais lui rendre la pareille. En fait, je dois dire deux choses.
La première, c'est que la trentième place obtenue par le Canada dans le classement de l'Organisation mondiale de la santé s'explique par le pourcentage de capitaux privés dans notre système de soins de santé. Nous arrivions toujours au septième ou au huitième rang en ce qui concerne la réalisation des objectifs. Il s'agit d'une situation problématique pour l'ensemble du système.
Enfin, en ce qui concerne les incitatifs pour la santé, et cetera, je pense que M. Mazankowski, dans son rapport, a fait du bon travail et fait un travail important en soulignant que l'on doit mettre l'accent sur la santé et le maintien de la santé.
Une fois de plus, sous l'angle des valeurs que je juge importantes, affirmons tous ensemble que les mieux nantis sont en meilleure santé et que la pauvreté et la maladie ne vont pas disparaître des classes socio-économiques inférieures, même si nous nous attaquons de concert au problème.
Face à la complexité des déterminants socio-économiques de la santé et du bien-être, nous devons nous défier de ce qui semble être rempli de bon sens. Je suis tout à fait d'accord pour qu'on incite les citoyens à assumer la responsabilité de leur santé et de leur bien-être, mais nous devons admettre que personne ne choisit ni n'accepte intellectuellement le statut socio-économique hérité à la naissance. C'est beaucoup plus complexe et problématique que cela.
M. Lozon: Je tiens d'abord à dire que je suis d'accord avec M. Forget. Le système que nous utilisons pour les médicaments n'a pas son pareil relativement aux autres procédures. Lorsqu'il s'agit de faire entrer des éléments dont bon nombre ne s'appuient pas sur des données probantes, le système est plus novateur.
Le régime médical de rémunération à l'acte est un des aspects des incitatifs dont nous n'avons pas parlé. En Ontario, on effectue des travaux intéressants sur de nouveaux régimes de rémunération pour les praticiens et les médecins de premier recours. On pourrait, par exemple, inciter le praticien à éduquer le patient plutôt qu'à lui proposer une dialyse, par exemple. Examiner un nouveau type de rémunération des médecins ayant pour effet d'inciter ces derniers à prôner l'éducation plutôt que le traitement n'est peut-être pas sans mérite.
Le président: Ce que vous proposez, c'est que nous modifions le mode de rémunération des omnipraticiens, soit la rémunération à l'acte, au profit d'un régime ayant pour effet de récompenser et de rémunérer la médecine préventive et l'éducation du public.
Vous ai-je entendu dire que des expériences étaient en cours en Ontario? J'invite les autres témoins à nous faire part de nouvelles façons de faire en application ailleurs au pays. A-t-on obtenu jusqu'ici des réussites ou des résultats?
M. Lozon: Il est encore trop tôt.
Le président: Les expériences sont-elles en cours en Colombie-Britannique, en Alberta et en Nouvelle-Écosse également?
M. Davis: En fait, les résultats sont positifs, mais, une fois de plus, il est difficile de mettre en œuvre certaines de ces nouvelles stratégies en raison des problèmes liés à la modification des cultures et des habitudes de pratique.
Le président: Modifier la culture des médecins?
M. Davis: Oui. Là où la modification a été apportée, et un projet majeur est en cours à Calgary, nous avons constaté certains résultats très positifs. C'est notre stratégie et l'orientation que nous avons prise.
Le Dr Vertesi: Il y a également certains projets en Colombie-Britannique. Quant à savoir s'ils sont une réussite, tout dépend des interlocuteurs. En règle générale, les personnes favorables au départ retiennent les éléments positifs. Il ne fait aucun doute que nous avons certaines réussites à notre actif, mais la question est à l'étude depuis un long moment.
Nous voyons dans les États-Unis un pays où le système relève entièrement de l'entreprise privée, mais bien entendu, c'est faux. Aux États-Unis, on retrouve une énorme quantité de systèmes différents qui cohabitent tant bien que mal. Selon les endroits où vous portez le regard, il y a aux États-Unis de nombreux systèmes où on a fait des essais en ce sens et où on a effectué de nombreuses recherches.
Le consensus qui semble se dégager à l'examen des méta-analyses de ces essais est qu'il est parfois possible de réaliser des gains d'efficience en apportant ce genre de modification à la rémunération des médecins. Parfois, certains patients obtiennent des services de meilleure qualité. Cependant, rien ne semble faire état d'économies générales. Les coûts sont à peu près les mêmes.
Le président: Êtes-vous en train de nous dire que, indépendamment de la méthode de rémunération des médecins qui travaillent dans le secteur des soins primaires, les coûts demeurent les mêmes, tandis que les effets sur la santé des patients peuvent être sensiblement différents?
Le Dr Vertesi: Oui, selon la sous-population à l'étude. Il y a des populations rurales et des populations où le taux d'infection au VIH est élevé. Il faut donc étudier le cas de chaque groupe distinct. Tout n'entre pas dans le même moule.
Le président: Il y a peut-être d'autres raisons de modifier le système que le simple souci de réaliser des économies; en fait, on pourrait peut-être envisager de le transformer pour venir en aide aux patients.
Le Dr Vertesi: À l'occasion d'une réunion à laquelle j'assistais récemment, le registraire du collège des médecins et chirurgiens de la Colombie-Britannique a eu, relativement aux moyens d'influer sur le comportement des médecins, le commentaire heureux suivant: peu importe ce qu'on fera, 75 p. 100 des médecins effectueront un bon travail, et 25 p. 100 d'entre eux tenteront d'exploiter le système à leur avantage. Si vous modifiez les règles, vous constaterez que les mêmes 25 p. 100 continueront d'exploiter le système.
Le président: Au fur et à mesure de la présente série d'audiences, nous allons nous intéresser aux questions touchant le financement et l'injection de nouveaux capitaux dans le système. Tout le monde semble d'accord pour dire qu'on aura besoin, sous une forme ou une autre, d'une diversité de nouvelles méthodes de financement, ou au moins de nouveaux capitaux, pour un certain nombre d'aspects, notamment les systèmes d'information sur la santé et la technologie.
Nous allons devoir étudier la meilleure méthode à utiliser pour y parvenir et revenir sur le point soulevé par Mme Kenny au sujet de la méthode la plus juste et la plus équitable pour permettre aux particuliers d'apporter une contribution plus grande au système de soins de santé au Canada.
Dans quatre semaines, nous allons tenir une autre séance spéciale, à l'occasion de laquelle nous entendrons des spécialistes d'horizons divers nous entretenir de la question du financement. Nous tenons à mettre toutes les solutions de rechange possibles sur la table.
Le président: Je vais maintenant céder la parole au sénateur Robertson. Pour ceux d'entre vous qui l'ignoreraient, le sénateur Robertson, avant d'être nommée au Sénat, a agi comme ministre de la Santé du Nouveau-Brunswick pendant de nombreuses années.
Le sénateur Robertson: Avec toutes les personnes intéressantes réunies ici, il est difficile de savoir par où commencer: il y a tant de questions à poser. Nous avons réuni autour de la table une expertise qu'il faut mettre à profit.
Je pense que c'est M. Lozon qui a évoqué brièvement la simplification de ce que nous faisons, de façon que les citoyens comprennent mieux.
Ma première question s'adresse à tous les témoins, mais peut-être d'abord à M. Lozon et à M. Forget, qui y font référence dans leurs propos.
L'exercice du pouvoir au jour le jour a toujours été pénible. On évoque cette question dans le principe 2 du chapitre 2 du cinquième rapport. Je sais que certains membres du comité considèrent qu'il s'agit de l'un des principes les plus importants à analyser.
J'aimerais vous entendre sur la gestion du système de soins de santé si elle passait, comme on l'a d'abord envisagé, des ministères provinciaux de la santé à des organismes provinciaux autonomes. Comment contourner les écueils politiques d'une telle mesure, tout en permettant au pouvoir politique de continuer de jouer un rôle sans toutefois s'ingérer? Il serait intéressant que nous abordions cette question.
Plus tard cette semaine, nous allons entendre des témoins avec qui je désire également débattre vigoureusement de cette question. C'est frustrant. Il y a un changement de gouvernement, et tout le travail effectué... le travail reprend et le gouvernement change de nouveau. C'est un peu comme un tapis roulant. Il s'agit d'un gaspillage, frustrant pour le patient.
J'aimerais qu'on pousse plus loin l'analyse de la prestation des soins de santé par le secteur public par rapport au secteur privé. Les personnes à qui vous parlez régulièrement semblent se préoccuper assez peu de l'origine des services médicaux, à condition qu'ils en reçoivent. J'aimerais entendre vos réflexions à ce sujet.
Nous sommes quelque peu éloignés de la question des patients, mais l'une des choses qui me préoccupent, c'est que, dans notre système, tel qu'il existe aujourd'hui, nous avons pratiquement exclu les patients et leur famille de toute forme de participation. Nous «entreposons», comme nous le savons tous, les aînés dans des foyers de soins spéciaux, et ainsi de suite. On n'encourage nullement la famille à s'engager et à continuer de participer. Permettez-moi une comparaison boiteuse. Faire la cuisine pour ma famille tous les soirs constitue une meilleure solution non seulement parce que je suis bonne cuisinière, mais aussi parce que cette solution est moins coûteuse que de traîner tout le monde au restaurant tous les soirs. J'ai l'impression que nous avons découragé les familles d'apporter une aide, et je pense que nous devons trouver un moyen de faire marche arrière dans ce domaine. Dans le même ordre d'idées, connaissez-vous d'autres pays du monde où on agit ainsi avec succès?
M. Forget: En ce qui concerne les écueils politiques à contourner pour créer un organisme autonome, je me demande d'abord si on n'a pas tendance à exagérer l'importance des obstacles à une telle mesure dans le contexte actuel. À titre d'observateur du destin des ministres de la Santé et même des sous-ministres, je me rends compte qu'il s'agit d'un poste très vulnérable, ce qui explique probablement le haut taux de roulement. Pour une raison ou pour une autre, le poste n'est plus aussi gratifiant qu'autrefois. L'établissement d'un organisme autonome pourrait peut-être même procurer un certain soulagement à la classe politique. Il s'agit simplement d'une réflexion. Ce n'est peut-être pas suffisant.
Dans vos recommandations, vous proposez de dissocier l'évaluation de la responsabilité de la prestation des services, ce qui constituerait à coup sûr un bon point de départ pour l'établissement d'un contrat contractuel avec un tel organisme autonome. En cas de rendement insuffisant établi à partir d'un constat d'échec, on pourrait imposer des sanctions. En outre, il serait possible de remercier les responsables et de chercher de nouveaux candidats plus efficaces.
On doit définir un cadre de responsabilité. Il est ici question de fonds publics. Il ne fait aucun doute que les politiciens ou, de façon plus générale, nos institutions politiques ne devraient pas se retirer du domaine de la santé et se dire qu'ils ont réglé leur problème une fois pour toutes. Nous devons établir un contrat ou une série d'obligations contraignantes axées sur le respect des préoccupations des patients, et il existe des moyens de veiller à ce que cela soit surveillé, mesuré et évalué. De tels critères de rendement ne seraient pas si différents de ceux que certains établissements du pays ont élaborés pour eux-mêmes. Des contrôles périodiques permettraient de porter un jugement de temps à autre, chaque année ou moins fréquemment, au besoin.
Je pense que les politiciens n'en auraient pas moins l'impression d'être aux commandes. Ils auraient toujours la possibilité de modifier les dispositions législatives influant sur les allocations, et ainsi de suite. Il n'est pas inconcevable de penser qu'on puisse mettre au point une série d'obligations, de contraintes et de contrôles qui, essentiellement, feraient en sorte que les politiciens resteraient aux commandes, mais en même temps, éviteraient la microgestion à une échelle colossale dont nous sommes aujourd'hui témoins et l'absence de continuité, dont les conséquences sont si dommageables.
En ce qui concerne la prestation des soins de santé par les secteurs public et privé, je tiens pour acquis que vous voulez vraiment parler de la prestation, et non du financement. Le point que j'ai soulevé à propos de la nécessité de permettre aux gestionnaires de gérer trouve assurément une application ici. Décider de faire une chose soi-même ou de la confier à quelqu'un d'autre constitue indubitablement une question de gestion. Cela ne soulève aucun problème fondamental relatif au droit ou à l'équité, en rapport avec diverses catégories de bénéficiaires. La question est tout simplement de savoir ce qui fonctionne le mieux dans tel ou tel cas. Or, ce sont les gestionnaires, et non le système, qui devraient en décider. C'est l'une des options qu'ils pourraient avoir à choisir. La liberté de choix contribuerait au renforcement de leur autorité. En privant les gestionnaires de la liberté de choisir, on réduit leur rôle à celui d'exécutants, et non de gestionnaires à part entière.
En ce qui concerne la question des patients et de la participation des familles, je ne vois pas de problème lorsqu'on a affaire à de brefs épisodes de soins actifs. S'il y a une famille — parfois, comme nous le savons, il n'y en a pas — et qu'un épisode de soins actifs survient, la famille participe, à moins qu'il ne s'agisse d'un groupe de personnes fort étranges. Il s'agit d'une crise, considérée comme telle. Elle est de courte durée, ce qui facilite peut-être la participation, puisque, après tout, la vie se poursuit.
En ce qui concerne les soins de longue durée, on a trop souvent affaire à une proposition manichéenne. Si la personne est hospitalisée, la famille risque de perdre tout intérêt; si aucun service n'est offert, la famille risque d'éclater sous le poids des soins à prodiguer. Il doit bien y avoir des solutions qui permettent de marier ces deux approches. De fait, il en existe. Les soins à domicile, les services de relève et ainsi de suite sont tous pertinents dans ce contexte. Cependant, je ne suis pas un spécialiste du domaine.
Le président: Je me demande si M. Lozon et Jack Davis, qui sont tous deux gestionnaires, aimeraient dire un mot à ce sujet.
M. Lozon: Je vais tenter de formuler ma réponse en tenant compte de paramètres définis par le sénateur Robertson dans ses questions.
En parlant d'un organisme autonome et de la capacité de gérer, je ne voulais pas laisser entendre que le rôle joué par le ministre de la Santé dans le domaine de la politique de la santé est marginal ou superflu, surtout que, selon ma conception des choses, les ministres demeureraient responsables de l'établissement des objectifs provinciaux dans le domaine de la santé. Pour que ces objectifs soient atteints, les ministres pourraient recourir à tel ou tel processus.
Dans mes propos liminaires, j'ai indiqué que des garanties de soins pourraient très bien constituer l'aboutissement légitime de la réflexion d'un ministre à ce propos. Ce que je dis, c'est que la capacité des ministres d'organiser et d'administrer le système de soins de santé est au mieux marginale. Ils n'ont pas la capacité — je fais référence non pas aux personnes, mais aux institutions — d'organiser le système d'une façon continue et progressive ni de réorganiser, selon le cas, à la lumière de toute une série de nouveaux impératifs démographiques et technologiques.
On pourrait envisager la mise sur pied d'un organisme comme la société ou la commission des services de santé de l'Ontario. On doit à un politicien élu l'un des commentaires les plus prégnants formulés à l'occasion de la période de restructuration la plus intense, soit de 1996 à 1998. En effet, ce dernier a déclaré que le gouvernement assumait la responsabilité de toutes les modifications apportées par la Commission de restructuration des services de santé, mais qu'il n'aurait pu lui-même apporter la majorité des changements en question. Cela peut paraître contradictoire, mais les représentants élus font face à des contraintes très réelles.
On pourrait voir dans la Commission des services de santé de l'Ontario l'acheteur effectif d'une série de services auprès de fournisseurs communautaires ou institutionnels. Au bout du compte, le gouvernement aura probablement pour tâche de fixer des objectifs à long terme et d'évaluer la mesure dans laquelle le système fonctionne. C'était donc une certaine réflexion additionnelle sur cette question.
Dans mon esprit, il ne fait aucun doute que, au cours des sept ou huit dernières années, le penchant naturel du gouvernement, au moment où la santé s'est de plus en plus imposée à titre de principal problème auquel les Canadiens sont confrontés, a été de s'engager plus avant. Son inclination naturelle est la suivante: si l'accès aux salles d'urgence pose problème, nous allons intervenir et gérer l'accès; si les listes d'attente dans le domaine du traitement du cancer se prolongent, nous allons intervenir et gérer le problème des listes d'attente, et cetera.
Les gouvernements sont des instruments relativement peu nuancés, en ce sens qu'ils peuvent financer ou non, réglementer ou non. Cependant, ils n'ont ni la capacité, ni, malheureusement, l'expertise voulue pour administrer effectivement le système. Au bout du compte, ils ont enrayé l'administration du système. Je ne voudrais surtout pas laisser croire que les administrateurs du système sont irréprochables. Les hôpitaux dépassent leur budget et, dans certains cas, n'administrent pas leurs affaires; certains médecins prescrivent plus que de raison — ce genre de problème existe. Le fait est que l'administration du système est limitée et en perte de vitesse. De plus en plus, c'est le gouvernement qui administre, les ministères des Finances, les cabinets des premiers ministres ou les bureaux du Cabinet dictant les orientations ou exerçant une influence massive.
Il ne serait pas exagéré d'affirmer que la politique de la santé est définie dans le cabinet du premier ministre, plutôt que dans celui du ministre de la Santé. La question est non pas de savoir si c'est le cabinet du ministre de la Santé qui devrait définir la politique de la santé, mais bien plutôt s'il devrait jouer un rôle soutenu dans l'organisation et l'administration du système.
Le président: Observons l'évolution du ministère fédéral des Transports. Il y a plus de 25 ans, lorsque je suis arrivé ici, le ministère exploitait les aéroports, des ports et ce genre de choses. Aujourd'hui, le ministère des Transports est essentiellement un ministère à vocation stratégique. Il a cédé la responsabilité de l'administration des aéroports et des ports, Via Rail constitue maintenant une société d'État distincte, et ainsi de suite. La politique et la sécurité relèvent du ministre des Transports, mais pas les aspects opérationnels. Est-ce une bonne analogie?
Si j'ai raison, en plus de laisser aux gestionnaires le soin de gérer — c'est l'expression qu'on utilisait il y a 10 à 15 ans —, on devrait réduire considérablement le nombre de fonctionnaires à l'œuvre dans les ministères provinciaux de la Santé. On n'aurait plus besoin d'eux. Les deux conclusions sont-elles exactes?
M. Lozon: Oui. L'une des véritables ironies du système, c'est que l'essentiel de l'expertise dans le système de soins de santé ne se trouve pas dans les ministères de la Santé. En fait, ce sont plutôt les fournisseurs et autres intervenants qui la possèdent. Dans les faits, on créerait non seulement une entité plus petite, mais aussi une entité plus spécialisée.
Le sénateur Morin: J'aimerais entendre les commentaires de M. Davis. M. Lozon recommande la mise sur pied d'un organisme autonome qui aurait dans les faits pour mandat d'administrer les soins de santé. L'Ontario ne possède pas les régies régionales dont sont dotées d'autres provinces. À ma connaissance, la province ne s'engage pas dans cette voie, et je sais que, à votre avis, rien ne prouve que les régies régionales aient contribué à l'amélioration de l'efficience du système. Qu'arriverait-il dans le cas d'une province dotée de régies régionales — j'attends avec impatience d'entendre M. Davis à ce sujet — où les pouvoirs et les responsabilités seraient effectivement décentralisés? A-t-on toujours besoin d'un organisme de cette nature?
M. Lozon: Je vais laisser à M. Davis le soin de répondre. C'est possible, parce que — l'Alberta n'est peut-être pas l'exemple qui convient — en Colombie-Britannique, par exemple, les patients pourraient décider de s'adresser à la régie de la santé de Vancouver ou à celle de la vallée du Fraser, après avoir examiné les questions relatives à l'accès, à la qualité et le reste. Au niveau provincial, un acheteur de services s'approvisionnerait auprès de ces régies régionales. En ce qui concerne l'Ontario, il serait beaucoup plus facile de constituer les régions si le travail était effectué par une régie provinciale de la santé plutôt que par le ministère de la Santé.
Le président: Puisque chacun se prononce sur le fonctionnement des régies régionales et que vous dirigez l'une des plus importantes au pays, je vous invite, monsieur Davis, à nous faire part de vos commentaires.
M. Davis: Je suis d'accord avec bon nombre d'affirmations de M. Lozon, mais je tiens à faire deux ou trois mises en garde. En Alberta, au début des années 90, lorsque le gouvernement a entrepris sa restructuration majeure sous la gouverne du premier ministre Klein, la démarche s'est inscrite dans une redéfinition fondamentale du rôle du gouvernement, ramenée à certains éléments très directs et pas aussi simples qu'il paraît. Ainsi, on en est venu à la conclusion que le gouvernement avait pour rôle de légiférer, d'établir des politiques, d'allouer des ressources, de mesurer le rendement et de rendre des comptes au public. De toute évidence, dans le cadre de ces grandes catégories, les ministres de la Santé ont pour rôle d'établir la politique et les normes. M. Lozon a affirmé que les objectifs en santé relevaient de la responsabilité du gouvernement.
Cependant, le gouvernement a certaines responsabilités du point de vue des ressources, et c'est là que les choses se corsent un peu. S'il est vrai que le gouvernement a un rôle à jouer dans la macro-allocation des ressources, il serait préférable, à mon avis, de prendre les décisions touchant les allocations de façon plus systématique et structurée et établir une sorte de zone-tampon entre cette procédure et le gouvernement. Jusqu'à un certain point, le régime de financement en fonction de la population utilisé en Alberta permet une allocation des ressources moins politisée. Je ne verrais pas d'un mauvais œil que certaines des ressources soient allouées par une commission ou un organisme autonome, parce que cela se justifie en partie. De toute évidence, c'est un organisme crédible et autonome qui devrait se charger de la mesure du rendement.
Le président: Au niveau national?
M. Davis: Au niveau national, régional ou provincial. L'essentiel, c'est qu'il n'y ait pas d'ingérence politique. Je ne crois pas que ce serait difficile à organiser.
Le président: Si je préconise un organisme national, c'est uniquement parce que, pour les provinces plus petites, les coûts d'exploitation d'un système d'évaluation seraient élevés, ou alors l'évaluation serait de mauvaise qualité. Il me semble qu'on pourrait réaliser de réelles économies d'échelle en procédant au niveau national.
M. Davis: Très brièvement, je précise qu'on devrait faire preuve de beaucoup de prudence avant de créer une commission nationale. Je pense qu'une commission «virtuelle», à laquelle participeraient les diverses régions, se justifierait. Il faut éviter de créer un système trop lourd ou bureaucratique.
Pour rendre des comptes au public, on pourrait utiliser des données émanant d'organismes autonomes, mais, en dernière analyse, c'est le gouvernement qui doit rendre des comptes. Pour ma part, j'hésiterais avant de créer une commission unique et intégrée chargée de superviser la gestion, l'allocation des ressources et l'évaluation du rendement du système. Une telle commission risquerait de devenir un lourd instrument bureaucratique — un organisme politique. Dans le domaine des transports et dans d'autres domaines où nous avons tenté de tout centraliser à l'intérieur d'un seul et même organisme de réglementation, les résultats n'ont généralement pas été convaincants.
Nous devons éviter de freiner l'innovation au niveau local, et nous devons également éviter de créer une dynamique en vertu de laquelle on doit consulter la commission avant de prendre toutes les décisions, ou presque. Tôt ou tard, en raison des pressions qui s'exercent sur le système de soins de santé, on aura tendance à déléguer suivant une dynamique ascendante. Les ministres et les premiers ministres ne sont pas les seuls à blâmer; le système se plaît à refiler les problèmes des régies régionales de la santé au gouvernement en disant: «Ce sont vos problèmes, pas les nôtres. Donnez- nous plus d'argent pour faire ceci et cela, et tout ira bien».
Je dirais qu'un système régionalisé confère plus de possibilités au chapitre de la gestion et de l'allocation des ressources, de l'établissement des priorités et de la gestion pure et simple du volet et des activités axées sur la maladie, soit l'aspect le plus réglementé. J'ai fait allusion à la communication, à l'information du public et au bien-être. Bon nombre d'interventions liées au volet non réglementé des soins de santé doivent être intégrées au système de soins de santé général et administré dans ce contexte. Il n'y a pas de réponse facile, mais, en règle générale, j'estime que la dépolitisation de l'administration au jour le jour du système est cruciale. Il existe pour ce faire quelques approches, même si personne n'a encore établi l'équilibre qui convient. Vous pourrez peut-être réaliser certaines percées dans ce domaine à l'aide de vos recommandations.
M. Scott: Sur ce, je renonce à la possibilité de revendiquer un jour le titre de «roi philosophe».
Je suis d'accord avec les commentaires de M. Lozon, malgré ce que j'ai dit au début, à condition qu'on établisse clairement que la politique demeure du ressort du ministère. Au niveau provincial, nous nous tirerions nettement mieux d'affaire, et je suis bien sûr lourdement influencé par l'Ontario. Je pense qu'il en résulterait un bien meilleur fonctionnement à moyen terme et peut-être à plus long terme, dans un horizon de dix ans.
Voilà où je mets aux rebuts tous mes énoncés de grandes notions philosophiques. Si j'agis de la sorte, c'est parce que je ne crois pas à l'existence d'une panacée qui permet de régler la plupart de ces problèmes. L'une des solutions qui s'offrent à nous pour réparer un gâchis consiste à mettre au point une nouvelle structure. Cette structure, dans dix ans, sera peut-être elle-même un gâchis: on en reviendra alors à la structure en vigueur dix ans auparavant. C'est la philosophie qui motive ma réflexion à ce sujet.
La description faite de l'Ontario par M. Lozon est absolument juste. La plupart des personnes d'expérience se trouvent à l'extérieur du ministère de la Santé, et je ne crois pas que cette situation soit propre à l'Ontario. Examinez ce qui se passe partout au pays, et vous allez constater que le système de soins de santé compte des professionnels extrêmement bien rémunérés. On ne retrouve pas un niveau de rémunération comparable dans la fonction publique. Au fil des ans, on incite les intéressés à quitter la fonction publique pour aller travailler dans d'autres secteurs du système.
En ce qui me concerne, cette situation est malheureuse. La création d'une nouvelle administration permettrait de corriger certaines de ces erreurs et de mettre au point une approche mieux concertée.
M. Lozon a fait allusion à l'ancienne Commission de restructuration des services de santé. Elle a attiré certains intervenants valables. Nouvelle et autonome, l'organisation a adopté un point de vue exhaustif. Le problème a été et demeure que le ministère, en raison de ses nombreuses subdivisions, n'a pu adopter lui aussi un point de vue exhaustif. Même si le ministère mise sur des employés de qualité qui ne ménagent pas leurs efforts, rien n'oblige ces derniers à se regrouper au sein d'équipes concertées afin de s'attaquer à des aspects généraux et interreliés à la politique de la santé. Pour cette raison, il est tout à fait permis de penser qu'un organisme autonome se justifierait pleinement dans le contexte actuel.
Je vais maintenant répondre brièvement aux autres questions posées par le sénateur Robertson. Je suis moi aussi convaincu qu'il n'y a pas de réponse miracle au débat entre le public et le privé. Tout ce qui compte, à mes yeux, c'est de ne pas fermer la porte uniquement pour des motifs philosophiques. Dans de nombreux cas, me semble-t-il, le recours au privé sera plus pertinent dans les grands centres; il ne le sera pas du tout dans les petits centres. Cependant, je ne veux pas porter de jugement hâtif. Je préfère garder la porte ouverte: nous pouvons ainsi étudier comment assurer la plus grande efficience possible dans un système public et faire en sorte que l'argent soit dépensé le plus directement possible pour les soins aux patients.
Quant aux familles des patients, c'est dans les soins aux malades chroniques aux prises avec des épisodes aigus que les véritables crises arrivent. Les plus fréquentes ont sans doute trait au cancer. Dans un certain nombre de centres de cancérologie de l'Ontario, certaines expériences utiles sont actuellement en cours. En fait, on confie le soin d'un patient à une infirmière. Cette dernière est à la disposition du patient et de sa famille, 24 heures par jour, que ce soit pour leur fournir des options, des conseils ou le reste. Cependant, le système est loin d'être parfait, et il ne fait aucun doute qu'on devra consentir des investissements majeurs dans ce domaine. Un patient très malade n'ayant pas une idée claire des possibilités de traitement qui s'offrent à lui peut, à cause des pressions, faire de nouveaux malades dans sa famille. On doit s'attaquer à ce problème.
Le président: Vos propos m'intriguent. Quelqu'un peut-il nous dire comment un tel système fonctionnerait? L'idée d'une infirmière à la disposition d'un patient 24 heures par jour pique ma curiosité. Pourriez-vous suggérer le nom d'une personne que nous pourrions inviter à comparaître devant le comité pour rendre compte de l'état d'avancement de l'expérience?
M. Davis: Je peux vous fournir certains renseignements à ce sujet, mais nous en sommes toujours aux premiers balbutiements. Lorsque tout fonctionne, c'est la réaction des patients et les membres de leur famille qui fournit les meilleures données non empiriques.
Le président: Ce sont de bonnes données.
Le sénateur Robertson: Monsieur Scott, comme vous le savez, ce sont habituellement les femmes qui, lorsqu'une famille est frappée par la maladie, assument le gros des responsabilités. Avant la maladie, ce sont souvent les femmes qui agissaient comme deuxième pourvoyeur, en particulier dans les familles à faible revenu et à revenu moyen.
Une fois que le patient a fait l'objet d'un diagnostic professionnel, peut-être un programme fédéral pourrait-il aider cette personne à rester à la maison. Un petit dédommagement permettrait-il d'assumer les coûts des services d'aide dont le patient a besoin pour rester à la maison pendant plus longtemps? Ainsi, la famille pourrait jouer un rôle plus poussé, la mère ou un autre membre de la famille restant à la maison. Un petit dédommagement pourrait procurer un certain soulagement à une telle famille. Est-ce une possibilité qu'on pourrait envisager au lieu de faire intervenir une infirmière qui devrait malgré tout s'efforcer de préserver la participation de la famille? Il me semble qu'une telle mesure constituerait une excellente occasion d'économie, mais pas au détriment de la santé du patient.
Le Dr Vertesi: L'un des aspects fascinants du débat sur les soins de santé, c'est qu'il est presque impossible de digresser parce que, discutant d'une partie, on se retrouve inévitablement dans une autre. C'est naturel, puisque toutes ces questions sont interreliées. Un peu comme une chaîne de dominos: il suffit de toucher une pièce pour que l'effet se fasse sentir ailleurs. La question de savoir pourquoi nous ne fonctionnons pas de façon autonome en est une excellente illustration.
Ce que dit M. Davis au sujet du rôle du gouvernement en tant qu'évaluateur, concepteur et gardien des objectifs généraux est juste. Nul ne peut en disconvenir. Pourtant, le fait d'agir comme vérificateur et défenseur des intérêts du public tout en administrant le système lui-même constitue en soi un conflit d'intérêts.
Pourquoi ne mettons pas en application la solution qui s'impose d'elle-même? Pourquoi le gouvernement ne s'oriente-t-il pas vers des relations fondées sur l'autonomie en se concentrant sur s'il est vraiment en mesure de le faire et en laissant à des spécialistes le soin d'assurer l'administration? C'est un grand mystère.
Je vais avancer une raison, qui s'appuie sur une théorie personnelle. Le modèle de financement actuel se caractérise par des exigences élevées en ce qui concerne la main-d'œuvre et l'administration gouvernementale puisque, dans le cas contraire, le couvercle risquerait de sauter. Le gouvernement est aspiré par la microgestion des activités et ne semble pas en mesure de se dépêtrer.
Pourquoi? Parce que nous avons recours à un modèle de financement archaïque. À mon avis, les mécanismes de financement global que nous utilisons tous ne fonctionnent pas en plus d'être lourdement bureaucratiques. Ils sont ancrés dans la tradition. Il est donc pratiquement impossible d'apporter des changements parce qu'on se fie invariablement à ce qui est arrivé l'année d'avant. Ces modèles ne se prêtent ni aux fluctuations démographiques, ni à l'adoption de nouveaux styles de gestion.
Pour les gouvernements, la marche est haute. Passer des budgets globaux à un système davantage axé sur les services exigera un acte de foi parce que les budgets globaux sont conçus pour permettre le contrôle des coûts.
Quel est donc le problème? Les budgets globaux ne permettent de contrôler les coûts qu'à court terme. À long terme, ils jettent les bases de nombreux autres problèmes. En fait, ils consomment plus d'argent que jamais.
Cependant, à court terme, dès qu'on renoncera à l'octroi d'enveloppes globales, on assistera à une augmentation de l'utilisation et des coûts. C'est la perspective à court terme d'une montée des coûts et l'incertitude entourant le contrôle qui font que le gouvernement se cantonne dans la microgestion, et non dans la gestion, domaine qu'il devrait pourtant occuper. Nous allons devoir réfléchir à cette question. Il y a d'autres moyens de contrôler les coûts que le système des budgets globaux, mais on n'en fait pas l'essai, et les gouvernements hésitent à faire le saut.
La Dre Kenny: J'aimerais revenir aux commentaires du sénateur Robertson sur la famille et les moyens de l'inciter à participer de même que sur l'équilibre adéquat entre les soignants familiaux et les soignants professionnels.
Avant, au sujet de la question de l'autonomie, j'aimerais dire que je suis d'avis, après avoir tenté pendant dix ans de venir en aide à la province de la Nouvelle-Écosse à titre de sous-ministre, qu'il faut dépolitiser les soins de santé. Il ne s'agit pas d'une critique des politiciens. J'ai constaté jusqu'à quel point il est difficile d'être un bon politicien sur le plan moral parce qu'on est à tout moment tiraillé par des positions extrêmes. La bonne politique exige une certaine forme de prise de décisions quelque part au centre.
J'aimerais revenir à la question des incitatifs, du soutien, de l'équilibre familial et de problèmes comme le modèle de traitement du cancer, autant d'enjeux qui sont sur la table.
À l'examen des travaux éthiques portant sur la réforme de la santé et ses conséquences négatives émanant du monde anglo-saxon en général, on constate qu'il ne fait aucun doute que la réforme des systèmes de santé a eu un effet disproportionné sur les soignantes à la maison, dont le fardeau s'est alourdi.
Ceux d'entre nous qui avons été mêlés au débat sur la réforme provinciale de la santé qui a marqué la dernière décennie savent que l'une des difficultés vient du fait que nous avons tenté de contenir les coûts et de réformer le système en même temps. Faute de moyens suffisants pour mener les réformes à bien tout en faisant face à la crise budgétaire, nous avons accéléré la rationalisation et abandonné les patients aux soins à domicile, sans avoir au préalable prévu des mesures de soutien pour les soignantes.
On trouve dans la documentation de nombreuses réflexions éthiques sur ce que nous avons fait pour aider les citoyens à comprendre ces enjeux au moment où nous leur avons refilé un fardeau qui a suscité en eux de la peur et de la colère. En fait, ils ont eu l'impression qu'on se déchargeait sur eux de responsabilités qu'ils croyaient relever de quelqu'un d'autre.
Ce «délestage» perçu, conjugué à la fermeture des petits hôpitaux, avec tout ce qu'ils représentaient sur le plan social, a eu un effet considérable sur la réticence des gens à comprendre que ces changements se traduiraient peut-être un jour par des améliorations.
Votre groupe devrait être en mesure de faire des déclarations très importantes au sujet de la redécouverte possible de l'équilibre entre les soignants familiaux et communautaires, d'une part, et les soignants professionnels, d'autre part, particulièrement au vu des conséquences de l'hospitalisation. Comment établir un meilleur équilibre entre les soins à domicile et qui font suite aux soins actifs et des soins de longue durée? On semble croire que c'est tout l'un ou tout l'autre. En fait, les deux vont de pair.
Dans ce domaine, des incitatifs seraient acceptables, même les incitatifs fiscaux, lesquels me préoccupent dans d'autres circonstances. Apparemment, il n'existe aucun mécanisme permettant aux membres des familles, en particulier les femmes, de recevoir une certaine forme de dédommagement en contrepartie du lourd fardeau émotif et financier qu'ils assument.
Notre pays compte six centres d'excellence sur la santé des femmes. L'année dernière, ils ont publié un rapport sur les effets de la privatisation et de la réforme de la santé sur les femmes et les familles, partout au pays.
Je vous en recommande la lecture parce qu'il s'agit d'un document important. On y retrouve un certain nombre d'exemples d'endroits où on a fait les choses différemment pour alléger le fardeau assumé par les familles, notamment l'acceptation de types de soins différents. On a également des projets à petite échelle, par exemple l'affectation d'une infirmière désignée comme personne-ressource. Je suis tout à fait d'accord pour dire que la maladie chronique et les crises qu'elle suppose constituent le véritable fardeau. Les familles, les collectivités et les groupes paroissiaux tentent d'offrir un soutien à long terme, sauf en ce qui concerne les crises les plus préoccupantes.
Des données existent, et j'affirme au Sénat qu'il s'agit d'une question qu'on a perdue de vue dans bon nombre d'autres domaines.
La participation des familles, des collectivités et des professionnels, à condition qu'on remette la question sur la table, pourra peut-être contribuer à rétablir l'équilibre. Il s'agit d'un enjeu majeur.
Le sénateur Pépin: Je suis d'accord avec vous sur la question des soins de santé et des femmes. Le comité consacrera une séance spéciale à cette question.
Le président: Le sénateur Keon, en plus de siéger au Sénat, est directeur général de l'Institut de cardiologie d'Ottawa.
Le sénateur Keon: Choisissant la solution de facilité, je vais m'intéresser à quelques questions. J'aimerais souligner deux ou trois domaines dans lesquels nous pourrions peut-être faire bouger les choses. J'aimerais beaucoup vous entendre tous à ce sujet.
Avant de poser mes questions, je vais formuler quelques remarques. Les deux domaines que je vous invite à aborder sont, premièrement, une nouvelle génération de professionnels de la santé — et j'insiste sur l'expression «nouvelle génération» de professionnels de la santé — et, deuxièmement l'écosystème de la santé, auquel M. Lozon a fait allusion, et dans lequel nous avons tous travaillé pendant la majeure partie de notre vie.
Il y a une dizaine d'années, j'ai acquis la conviction que nous ne pourrons pas régler les problèmes qui se posent dans ces deux domaines sans le concours des régies régionales de la santé. Pour régler les problèmes, nous ne pourrons pas non plus adopter un modèle unique de régie régionale de la santé, ni dans les provinces ni au pays.
Parlons d'abord de la nouvelle génération de professionnels de la santé. Vous vous rappellerez qu'il y a quelques années, le gouvernement fédéral a consenti un investissement énorme dans les écoles de médecine, ce qu'on a appelé les «caisses d'aide à la santé». Je ne l'oublierai jamais parce que je suis rentré des États-Unis grâce à cet argent, qui a servi à bâtir l'Institut de cardiologie d'Ottawa.
À l'époque, ces sommes ont réglé de nombreux problèmes. Cette remarquable initiative a permis à toutes les écoles de médecine du pays de croître et de se perfectionner. Les endroits comme McMaster ont pu s'élever à partir de rien. Sans ces sommes, rien de tout cela n'aurait été possible.
Au pays, nous faisons aujourd'hui face à une pénurie de médecins, d'infirmières et de techniciens. Les représentants de toutes les disciplines que nous avons entendus ont fait état des besoins en main-d'œuvre. Je crois que nous faisons face à un problème plus grave. Je pense que trop de médecins effectuent des tâches dont des infirmières devraient se charger. Trop d'infirmières effectuent des tâches dont des infirmières auxiliaires devaient se charger. Trop de techniciens effectuent des tâches dont des commis et des administrateurs devraient se charger. L'intégration et la compréhension entre la gestion, l'administration et la prestation de services sont déficientes.
Voilà pourquoi, même si je suis convaincu qu'il y a place à une gigantesque initiative nationale — et j'insiste sur le mot «national» — financée par le gouvernement fédéral, nous devons nous tourner vers les régions et leur demander: «De quoi avez-vous besoin pour assurer la prestation des soins primaires, les soins en établissement, les soins hospitaliers, les soins aux convalescents, les soins à domicile, les soins aux malades chroniques et les soins palliatifs?» Nous devrons ensuite consentir l'investissement nécessaire et tenter de recruter la main-d'œuvre pertinente.
J'aimerais tous vous entendre à ce sujet. J'aimerais savoir si vous pensez que c'est raisonnable ou déraisonnable. Si la proposition est sensée, comment pourrait-on procéder?
M. Scott: Je vais vivre dangereusement et briser la glace. Vous faites allusion à une nouvelle génération de professionnels de la santé, et il s'agit pour nous d'un aspect prometteur. Les professionnels de la santé d'aujourd'hui sont plus enclins à travailler en équipe et à adopter une approche nouvelle. Par ailleurs, on peut probablement en dire autant de toutes les nouvelles générations. Si nous laissons à la génération précédente la possibilité d'exercer sur ces nouveaux professionnels une influence trop grande, nous ne concrétiserons pas toutes ces possibilités.
À titre de sous-ministre, j'ai, en 1982, lancé un examen des professions de la santé en Ontario. Nous avons agi de la sorte dans l'intention manifeste d'accroître le nombre de groupes de professionnels de la santé, pour éviter de créer des catégories de professionnels de première et de deuxième classes. À l'époque, l'idée semblait excellente.
Il a fallu dix ans pour mener à bien l'examen à cause des pressions intenses exercées par les divers groupes, qui tenaient à obtenir une désignation professionnelle et un texte de loi habilitant.
Si je soulève cette question, c'est uniquement pour montrer que nous sommes confrontés à un monstre. Un monstre très bien financé, bien organisé et puissant caché sous les traits des organisations qui représentent les professionnels de la santé.
Sénateur Keon, vous avez mis dans le mille en présentant les problèmes auxquels nous faisons face. Nous n'utilisons pas nos ressources humaines à bon escient à cause des incitatifs inhérents aux professions de la santé. Sur le plan pratique, il est intéressant de constater ce qui se passe, avec quelle rapidité les obstacles tombent dès lors que l'intérêt financier le justifie.
Il y a quelques années, à l'époque où je menais une étude dans le nord de l'Ontario sur l'utilisation des salles d'urgence, les médecins qui travaillaient en groupes, en partageant le financement et les responsabilités étaient non seulement les plus satisfaits, mais ils voulaient savoir pourquoi nous ne formions pas davantage d'infirmières praticiennes. Ils étaient d'avis que des infirmières praticiennes spécialisées — je me souviens que les compétences en psychiatrie étaient l'un des domaines d'intérêt particuliers — auraient vraiment pu constituer un appoint à la pratique de la médecine familiale dans ces collectivités rurales et parfois éloignées. Ils étaient extrêmement enthousiastes.
Après, dans une autre collectivité tout aussi rurale et éloignée, centrée autour d'un petit hôpital où les médecins travaillaient chacun pour soi, on n'entendait parler que de la menace que représentaient les infirmières praticiennes qui, si on leur faisait une place, chasseraient les médecins de famille.
En fait, selon le mode de financement, on avait raison de part et d'autre. Bon nombre des barèmes d'honoraires incitent les médecins à sous-exploiter leurs compétences. Parce qu'ils occupent le haut de la chaîne alimentaire des professionnels, ceux qui les suivent sous-exploitent à leur tour leurs compétences.
On aura beau parler du genre de protection que nous souhaitons offrir, de l'efficience, de l'obligation que les médecins ont de parler aux patients, d'aider les patients à être mieux «ciblés» et de les aider à régler leurs problèmes — on devra s'attaquer au problème des protections artificielles en place. Voilà le genre de changement auquel je faisais référence plus tôt. C'est parfaitement logique et il y a des moyens de le faire, mais, si vous gagnez votre vie dans les marges d'une de ces zones protégées, la perspective est effrayante.
Le président: Je vais poser une question de suivi. Faudrait-il modifier les dispositions législatives ou les règlements concernant les champs d'activité?
Pour dire les choses autrement, je conçois qu'il est souhaitable de parvenir à une solution négociée du problème. Si on est incapable de trouver une solution négociée, comment pourrait-on agir par la force? Le mot «force» va peut-être un peu trop loin. Y a-t-il d'autres possibilités qu'une solution négociée?
M. Scott: À défaut d'une solution négociée, la seule possibilité est de recourir à un texte de loi. En Ontario, et dans un certain nombre d'autres provinces, je crois, de telles dispositions législatives existent.
Le président: Vous faire référence aux dispositions législatives sur les champs d'activité?
M. Scott: Les champs d'activité font partie des dispositions législatives.
Le président: C'est donc un aspect qu'il faut modifier.
M. Scott: C'est l'aspect qu'il faut modifier. En mettant l'accent sur la nécessité de revenir sur ces questions et en brandissant la menace de dispositions législations forcées, on réussira peut-être à convaincre les parties de s'asseoir à la table.
Le président: Si je pose la question, c'est parce que l'un de nos principes porte expressément sur la nécessité de modifier les champs d'activité.
M. Scott: C'est purement provincial, il serait très difficile d'aborder cette question sur la foi d'une conférence purement nationale.
M. Davis: À propos de ce vaste problème, le sénateur a clairement exposé les implications. L'un des aspects intrigants du système de soins de santé au Canada, du système public et de son administration centralisée, c'est que la gestion des médecins n'est pas elle-même centralisée. Pour l'essentiel, ils agissent à titre individuel, et bon nombre d'entre eux constituent des associations professionnelles et facturent leurs services au gouvernement de façon indépendante. Une bonne part du système échappe à ce qu'on appelle le volet public.
Les nouveaux travailleurs de la santé exigent une rémunération concurrentielle dans le contexte de l'économie nord- américaine. Même si nous ne souhaitons pas un système de marché, notre main-d'œuvre tient à être rémunérée au taux du marché nord-américain. Les grandes associations qui représentent les professionnels de la santé sont responsables d'une bonne part de l'escalade des coûts des soins de santé observée au cours des dernières années. Je mettrais les associations médicales provinciales dans le même bateau — même si elles ne sont pas à l'aise à cette idée —, en ce sens qu'elles ont incité les gouvernements à les rémunérer au taux du marché nord-américain, dans toute la mesure du possible. Au cours des dernières années, la plupart des grandes associations représentant des professionnels de la santé ont eu des affrontements majeurs avec les gouvernements du pays sur la question de la qualité des soins, mais aussi sur celle de la rémunération. Les règlements sont toujours une affaire de compromis, et certaines des considérations politiques qui ont présidé à ces règlements n'ont pas nécessairement été dans l'intérêt de la productivité ni dans celui des soins aux patients.
Il ne s'agit pas que de modifier les textes de loi parce que nous l'avons fait en Alberta. En ce qui concerne les dispositions législatives relatives aux champs d'activité, nous bénéficions d'une grande marge de manœuvre. Il existe de nombreux modèles partout en Amérique du Nord. Je viens tout juste de jeter un coup d'œil au modèle des auxiliaires médicaux de l'Arizona, qui me paraît très intéressant. Les grands syndicats et les grandes associations exercent une très grande influence sur la politique des soins de santé, et il faudra plus que de simples modifications législatives. Il faudra réaligner certains incitatifs, réinvestir des sommes considérables, bien réfléchir au modèle qui convient et faire preuve de beaucoup de détermination tout au long du chemin. Pour bénéficier d'un système financé publiquement et administré de façon intégrée à l'échelle où nous le voulons, nous allons devoir nous attaquer à ce problème. Sinon, nous nous faisons des illusions.
Franchement, en ce qui concerne la microgestion du système, les gouvernements se font damer le pion par les grands syndicats et les associations professionnelles qui, jour après jour, exercent un formidable contrôle sur la gestion, dans certains cas pour les bonnes raisons, dans d'autres non.
Le président: Si, comme nous en avons l'intention, nous recommandons des moyens précis de recueillir des fonds additionnels pour le système de soins de santé, nous voudrions que les sommes en question servent au perfectionnement de la technologie, à l'établissement du dossier médical électronique et à diverses autres mesures utiles pour les patients. Ce que nous craignons, c'est que les capitaux soient simplement engloutis dans les modifications des conventions collectives ou des barèmes d'honoraires.
M. Davis: Si nous n'allons pas de l'avant avec certains de ces projets — et nous devons le faire —, il faut les financer et les gérer d'une manière un peu différente de ce qui se fait dans le cas des budgets des régions et des systèmes hospitaliers.
La Dre Kenny: Je suis heureuse d'entendre le sénateur Keon tenir ces propos. Je ne suis pas heureuse du fait qu'il faille dire une telle chose, mais je suis très contente de constater qu'un autre membre éminent du monde médical tient ces propos. Pendant que je présentais ma déclaration préliminaire et que j'applaudissais le fait que vous insistiez sur la réforme des soins primaires, j'ai dit: ne sous-estimez pas la difficulté de l'exercice. Le Dr Keon a ramené le système entier à une sorte de miniature, mais les problèmes auxquels nous faisons face, pour vraiment réformer les soins primaires, et non seulement le travail du médecin de premier recours, sont les mêmes.
Je veux formuler trois observations, ayant fait des recherches sur l'histoire du régime de l'assurance-maladie au Canada et ayant essayé d'écrire quelque chose à ce sujet.
La première est une observation historique très intéressante qui, de fait, m'est seulement venue au moment où j'étudiais le développement du régime. Tommy Douglas a été élu en Saskatchewan en 1944, l'année de ma naissance. Je constate qu'il y a eu des événements marquants en 1944, en 1964 et en 1984. Dieu seul sait ce qui se passera en 2004, mais la progression de l'assurance-maladie au Canada est très intéressante.
Si on revient au début du siècle dernier, on peut constater que la médecine organisée ne défendait pas la cause des soins de santé universels. Il n'y a eu que deux périodes durant l'histoire du Canada où la médecine organisée — je veux pas dire non pas les médecins individuels, mais la médecine telle qu'elle peut s'exprimer par l'entremise de l'Association médicale canadienne ou des associations provinciales — a envisagé favorablement une telle évolution. Ce sont deux périodes où les médecins étaient défavorisés sur le plan des gains. Bien sûr, la première période est celle de la grande dépression.
J'en suis venue à penser que c'est une question d'une profonde gravité — pour moi-même et pour mes collègues du monde médical, de savoir que, dans les faits, historiquement, les principaux responsables de l'admission des malades dans le régime, si on discute avec eux et leurs être chers de ce que seraient des soins appropriés et en les aidant à faire des choix, semblent avoir éprouvé une certaine réticence. Le Canada n'est pas unique à cet égard. C'est une question générale en ce qui concerne les médecins. Les gens qui jouent un rôle central pour ce qui est de vous faire accéder au réseau et de ce qui vous arrive une fois que vous y êtes n'auront jamais vraiment été à l'aise dans le réseau. C'est ce qui est qualifié, dans l'œuvre maîtresse sur le régime de l'assurance-maladie au Canada, de «pacte fondateur» de l'assurance-maladie au Canada. C'était un régime universel, mais on ne l'a pas socialisé sur toute la ligne: on a permis aux médecins de négocier la rémunération à l'acte. On a permis aux médecins — dans ce régime autrement unifié — d'être des entrepreneurs.
Ensuite, si on envisage cela dans la perspective d'un système, on voit entrer en jeu, de fait, un principe de la théologie catholique romaine. Cela a à voir avec le travail fait en faveur de la justice pour les travailleurs; c'est le principe de la «subsidiarité». Nombre d'entre vous le connaissent, et c'est un principe qui a été adopté de nombreuses autres façons, mais il a d'abord été énoncé dans un contexte de justice théologique. Voici en quoi cela consiste: le fonctionnement optimal d'un système survient lorsque les tâches sont exécutées au plus bas échelon possible. Quand je dis cela, vous vous dites: «le plus bas échelon possible? De quoi parle-t-on?» Songez-y. C'est le plus bas échelon possible. Or, le régime d'assurance-maladie transgresse ce principe tous les jours. Je suis tout à fait d'accord avec le Dr Keon, si vous comprenez ce que je veux dire.
Nous avons cette mentalité — même dans les professions de la santé — selon laquelle il faut monter toujours plus haut pour obtenir un avis éclairé. Je ne sais trop comment, mais nous avons conçu un régime qui favorise cette utilisation à mauvais escient du temps et du talent, ce dont parlait le sénateur Keon. Je crois que c'est une question capitale qui se trouve au cœur même de la réforme des soins primaires.
J'ai été directrice d'un hôpital pour enfants. Les gens venaient à l'hôpital parce qu'ils ne voulaient pas aller à l'urgence — sauf le grand respect que je dois aux gens de l'urgence — et ils ne faisaient pas confiance au pédiatre là où ils habitaient. Nous avons créé un régime qui a fait que les attentes sont devenues plus grandes, mais, en même temps, nous nous sommes retrouvés dans une situation où les gens ne maximisent pas leurs talents et leurs capacités et n'utilisent pas et ne respectent pas les capacités de l'autre comme il se doit.
C'est dans ce contexte que j'essaie d'inscrire la question: il y a cette anomalie historique pour ce qui est du rôle des médecins. Il y a ce pacte fondateur qui a fait qu'ils se sont trouvés à la fois à l'intérieur et à l'extérieur du régime; et néanmoins, ils en sont un élément clé. Nous avons une façon étrange de respecter le talent et la capacité des gens, et, de fait, nous transgressons tout le temps le principe de la subsidiarité. Allez donc voir pourquoi nous n'arrivons pas à faire bouger les choses.
La dernière observation que je veux faire, c'est de dire que nous sommes enlisés maintenant; je n'ai jamais vu mes collègues du monde médical aussi démoralisés et, voici que s'amène le 30e anniversaire de ma sortie de l'école de médecine. Je suis en train de faire des recherches subventionnées sur les modèles de comportement et la formation des nouveaux médecins. Nos enseignants sont démoralisés. Ils sont fatigués, stressés et malheureux vis-à-vis de l'exercice de la médecine. Cela ne s'avère pas qu'au Canada; c'est un problème général.
Là où je veux en venir, c'est que nous sommes accablés, nous semblons incapables de nous tirer de cette situation. Ce n'est pas uniquement une question d'incitatifs financiers, bien que ce soit là un élément clé; il ne s'agit pas uniquement de modifier juridiquement les attributions des professionnels en question, même si cela est essentiel; il ne s'agit pas uniquement de répartir différemment le pouvoir et l'autorité, tout en essayant de trouver des façons nouvelles de soutenir les médecins, qui, je crois, ne se sont jamais trouvés dans une situation aussi étrange dans l'histoire — essayer de respecter cet engagement éthique fondamental envers les malades tout en exerçant une médecine où il faut des équipes entières pour accomplir la tâche la plus simple auprès d'un patient.
Je ne sais pas comment vous résumer cela en une ligne, mais ce que le sénateur Keon vient de dire à propos de l'inefficacité «interne» du régime évoque une question grave qu'une seule modification structurelle ne saurait régler. Toute de même, c'est un élément clé pour ce qui est de certains des problèmes que nous éprouvons et de notre incapacité de progresser.
Le président: Diriez-vous au sujet des infirmières tout ce que vous venez de dire au sujet de vos collègues, c'est-à-dire qu'elles sont démoralisées et ainsi de suite?
La Dre Kenny: Oui. Je viens de diriger la thèse d'une étudiante sur la détresse morale des infirmières dans les unités de soins intensifs pour nouveaux-nés. La pression qui s'exerce sur les gens dans ces unités est très forte. Celui qui doit participer à une chose qui n'est pas correcte voit un stress énorme sur son moral. Ce n'est pas un conflit ou un dilemme éthique; c'est une détresse. Il y a maintenant une documentation abondante sur les soins infirmiers. Les infirmières ont décrit cette détresse morale. Elles ne sont pas seulement démoralisées; c'est le fait que leur talent et leurs capacités ne sont pas bien utilisés dans le régime qui les perturbe. C'est une question très grave.
M. Lozon: Dans le réseau de la santé, la plupart d'entre nous ne savent pas s'ils représentent un bon ou un mauvais exemple pour ce qui est de la subsidiarité. Je ne sais pas très bien si je suis moi-même un bon ou un mauvais exemple. Je formulerais quelques commentaires sur l'observation du sénateur Keon, puis je poserais une question de taille.
Ma première observation, c'est que les professionnels de la santé au Canada sont l'élément premier qui explique la qualité élevée de notre réseau de la santé et que les groupes de professionnels eux-mêmes constituent peut-être le plus grand obstacle à une réforme.
Ensuite, je dirais qu'il y a quand même de l'espoir. La face de la médecine change. La nouvelle promotion à l'Université de Toronto est constituée à 52 p. 100 de femmes. Certaines études laissent croire que les femmes seraient plus enclines à travailler en groupe, plutôt qu'à exercer la médecine seules, et plus enclines à faire partie d'une équipe que leurs prédécesseurs — tout cela étant de bon augure. Cela complique un peu les choses du point de vue de la formation, simplement parce que nous ne voulons pas avoir l'ancien type de formation avec 36 heures en service et ainsi de suite.
Pour ce qui est de ce que M. Davis a dit au sujet du salaire concurrentiel, nous avons en ce moment une offre et une demande qui ne concordent pas. Les médecins et les infirmières ont actuellement beaucoup d'influence parce que la demande est supérieure à l'offre. Cela est tout à fait vrai.
Ma dernière observation est inspirée par l'époque où j'étais sous-ministre. Il n'y a rien qui m'a déçu davantage que les efforts déployés à l'échelle provinciale et nationale pour régler la question des ressources humaines dans le domaine de la santé. Les administrations gouvernementales étaient si loin de comprendre la question qu'on peut dire qu'elles ne vivaient même pas à la même époque. Elles disaient: «Nous avons réglé le problème des médecins; nous avons presque réglé déjà le problème des infirmières.» Rien de plus faux. Le problème tient en partie au fait qu'elles n'ont pas idée de ce que recherchent les nouveaux médecins et les nouvelles infirmières. Cela dit, je n'ai pas la moindre idée du lien entre cela et la régionalisation — et voilà le défi qu'il faut relever.
Le président: Vous dites que le problème des ressources humaines demeure quel que soit le scénario envisagé, quelle que soit la manière de structurer les choses, et que cela n'est pas forcément lié à la régionalisation?
M. Lozon: Tout à fait.
Le sénateur Keon: J'aimerais réagir à ce que M. Lozon a dit à ce sujet. Je connais sa pensée sur le sujet depuis un bon moment déjà, et j'admire vraiment son point de vue. Toutefois, je crains que si nous parvenons à convaincre le gouvernement fédéral d'injecter des fonds dans le dossier du personnel de la santé, nous allons faire erreur à nouveau. Si nous nous trompons, ce sera parce que nous n'aurons pas étudié la situation des régions. L'équipe de soignants qu'il faut à North Bay est radicalement différente de celle qu'il faut dans le Toronto métropolitain. North Bay, de fait, n'est pas un très bon exemple; j'aurais peut-être dû parler de Mattawa, qui est une localité de plus petite taille. Nous devons solliciter l'apport de la base, des régions, pour savoir ce dont elles ont besoin en fait de professionnels de la santé pour fournir les services requis.
M. Lozon: Je suis d'accord avec cela. Cela revient non pas tant à une question provinciale, nationale, régionale — ce sont là des termes qui, même si ce n'est pas toujours le cas, sont chargés —, mais de la nécessité d'intégrer la planification des ressources humaines. En ce moment, les responsables gouvernementaux le font, pour une grande part, à l'égard des employeurs, des écoles et des groupes de professionnels. Le Comité consultatif des ressources humaines en santé, jusqu'à maintenant — peut-être qu'il fonctionne différemment, maintenant, avec le nouveau président — s'est voulu, pour une grande part, un comité de responsables fédéraux et provinciaux qui ne bénéficie pas de l'apport des divers groupes d'infirmières...
Le président: Je m'excuse de vous interrompre, mais êtes-vous en train de me dire que le Comité intergouvernemental des ressources humaines en santé ne compte pas de représentants qui, dans les faits, sont chargés de former le personnel, par exemple des doyens de faculté de médecine ou de sciences infirmières?
M. Lozon: Tout à fait.
Le président: Pardonnez mon incrédulité.
M. Lozon: Voilà pourquoi il faut adopter des processus mieux intégrés, parce qu'il y a là deux ou trois solitudes qui entrent en jeu. Il importe d'avoir un processus intégré qui fait intervenir les sciences de la santé du monde de l'éducation — qui sont des ressources nationales — pour que les personnes formées à l'université Dalhousie en Nouvelle-Écosse puissent travailler au Cap-Breton ou en Saskatchewan ou dans le Bas-Fraser en Colombie- Britannique. Il faut une planification intégrée des ressources humaines qui permet à tous les joueurs de se présenter à la table.
Le président: À propos de cette question — et comme il a déjà été ministre et sous-ministre —, j'aimerais poser une question à M. Forget. Comme nous en arrivons toujours au fait que l'éducation et la formation sont des responsabilités provinciales, mais que les diplômés d'une faculté de médecine ou d'une école de soins infirmiers dans une province s'en vont travailler dans une autre province, croyez-vous qu'il est viable de concevoir un plan national, mais non pas fédéral? Est-ce que nous devrions essayer de savoir combien de médecins, d'infirmières et de techniciens il faut au pays, plutôt que d'essayer de prévoir les besoins des petites provinces, comme la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve? Je prends ces deux provinces comme exemple parce qu'elles sont petites, mais qu'elles comptent des écoles de médecine de bonne taille. Est-il possible de déterminer les exigences nationales et de mettre au point une formule nationale de planification?
M. Forget: Je comprends ce que peut impliquer votre question. Oui, il est possible de réaliser une étude et d'essayer d'estimer les exigences. La prévisions des besoins en main-d'œuvre — dans tout domaine et dans toute industrie, surtout dans un domaine comme celui de la santé, qui connaît une évolution notable malgré la rigidité qui le caractérise, constitue un exercice très difficile. Je me rappelle qu'il y a 25 ans, il y a eu une étude pancanadienne de très grande envergure sur les besoins en formation des professionnels de la santé. Il a fallu des années pour la mener à bien. Tout le monde dans les facultés de médecine et les établissements de santé a été sollicité. Ils ont essayé de prévoir le nombre de médecins dont on aurait besoin au moment de la diplômation. Si vous voulez accroître le nombre d'inscriptions dans les facultés de médecine, comme le Dr Morin l'a dit, vous devez prévoir au moins dix années d'avance pour que l'exercice ait une quelconque utilité, et personne ne sait le faire de bonne façon. La marge d'erreur est telle que l'étude ne vaut pas le papier sur lequel elle est imprimée, et c'est là la grande difficulté. Le fonctionnement du secteur n'est pas très différent de celui d'une guilde médiévale au sens où il est rigide, et ne permet pas d'aller chercher quelqu'un qui évolue dans une profession connexe, en cas de pénurie. Tout est très bien compartimenté. La nécessité de rajuster le tir — est-ce trop, est-ce insuffisant — sera toujours là. J'ai observé moi-même qu'il existe des places prévues pour la formation, mais qui demeurent vides, peut-être pas dans le cas des médecins, mais certainement dans le cas des infirmières. Au Québec, il y a de nombreuses places qui demeurent vides. Pourquoi?
Nous ne sommes plus dans les années 50, époque à laquelle les jeunes femmes pouvaient envisager, fondamentalement deux carrières: l'enseignement et les soins infirmiers. Aujourd'hui, les occasions abondent. Quand elles lisent presque tous les jours dans le journal que le personnel des salles d'urgence est en état de dépression nerveuse, elles se demandent pour quelle raison, étant donné que le salaire n'est pas très élevé si on le compare à celui qui est offert dans d'autres secteurs, elles iraient s'engager dans un métier où, selon certains observateurs, elles sont les négligées. Les quarts de travail, le travail la fin de semaine, cela fait partie du métier. Mais quelle vie est-ce? Je crois que nous avons là un problème fondamental. Il y a un autre problème qui touche les femmes dans le réseau de la santé. Le lien entre les médecins et les infirmières dans certains domaines, départements et établissements en est au point où c'est l'effondrement total. La relation en question tenait au fait que les médecins, pour la plupart, étaient des hommes; quant aux infirmières, pour la plupart, c'étaient des femmes. Cette réalité n'a pas complètement changé, bien que les inscriptions dans les écoles de médecine laissent voir que l'équilibre ne sera pas le même dans 20 ans. À l'heure actuelle, il y a bien quelques infirmiers — on peut les compter sur les doigts d'une main, pour un établissement donné.
L'autre problème perdure et est enraciné dans la culture de la profession. Il est très difficile de faire échec à cela. Dans l'établissement où je travaille actuellement, nous avons connu des exemples frappants de cet effondrement, et il y a eu des enquêtes sur les attitudes de part et d'autre, qui sont mortelles. Si cela était révélé au grand jour, les gens seraient horrifiés du manque de respect qu'il y a là — et cela va dans un sens comme dans l'autre. Il y a ce manque de respect pour les infirmières et des infirmières pour les médecins. Les motifs et les raisons pour lesquels les gens ne témoignent pas de respect envers l'autre forment une longue liste.
Tout cela existe, et ça ne changera que très lentement. L'adoption d'une nouvelle loi n'est pas la solution. Certes, l'Ontario est passée par là et l'effort de lobbying est intense. Il y a environ 30 ans, le Québec a procédé à une refonte majeure de sa loi. La difficulté que posent les lois sur les professions, c'est qu'elles remplacent un ensemble de contraintes périmées par un ensemble de contraintes à jour. La difficulté réside dans les contraintes elles-mêmes et dans le manque de flexibilité que cela suppose au sein d'une industrie ou d'un secteur d'activité. Par conséquent, il faut mettre l'accent sur la souplesse. Tout s'articule autour d'une façon archaïque d'envisager les rôles à l'intérieur des professions.
Prenez pour exemple le règlement interne du conseil des médecins de tout hôpital d'envergure. C'est un document proprement moyenâgeux: il y est presque uniquement question de statut. La question du statut est importante pour nous tous, je suppose; cela fait partie de la vie. Dans ce cas, toutefois, il s'agit d'un statut établi par une loi. J'ai compté pas moins de 11 catégories professionnelles dans un établissement donné. Tout est défini jusqu'à la dernière virgule — la catégorie 10 est plus élevé que la catégorie 9, car elle comporte des privilèges particuliers. Je ne peux comprendre pourquoi, au XXIe siècle, nous sacralisons la question du statut. Nous voulons que tout le monde travaille en équipe, mais nous avons des lois et des règlements internes archaïques où tout est pétrifié et où le système de rémunération privilégie un membre particulier de l'équipe.
Il est ahurissant de constater que les équipes parviennent même à travailler. Qu'ils aiment cela ou non, les gens doivent travailler ensemble et, dans la plupart des cas, ils parviennent à le faire assez bien. Tout de même, il y a des cas d'effondrement, et c'est tragique, car c'est le malade qui en souffre. Nous avons tendance à nous voiler le visage et nier que cela existe. C'est pourquoi les difficultés sont si grandes.
Même si nous parvenions à trouver une façon d'éliminer le caractère rigide du régime et d'encourager positivement le travail d'équipe, d'éliminer les obstacles, de minimiser la question du statut et d'éliminer les changements en ce qui concerne le système de rémunération, c'est un combat qu'une province à elle seule ne saurait mener. Imaginez qu'un ministère provincial prenne, dans le domaine de la santé, une décision arbitraire que les autres provinces ne reprennent pas. Les groupes de pression demanderaient pourquoi cela se fait dans une province, mais pas dans les autres. Il faut un effort concerté, car c'est là que le «bât blesse».
Le Dr Vertesi: J'aimerais ajouter quelques commentaires. Le sénateur Keon a commencé en affirmant que les médecins sont trop nombreux à effectuer des tâches qui reviennent aux infirmières et que les infirmières sont trop nombreuses à effectuer des tâches qui reviennent aux aides infirmières. Je suis d'accord sur ce point; j'ajouterais que les gens sont trop nombreux à effectuer des tâches inutiles.
Dans une grande mesure, il est question ici d'un phénomène humain naturel, c'est-à-dire l'instinct territorial — nous protégeons nos emplois, notre mode de vie et notre revenu. Nous n'allons pas changer cela. Il est tentant d'essayer d'imaginer des lois qui feraient échec à cela. Je ne crois pas qu'elles fonctionneraient, même si l'idée paraît attrayante, car quand les pouvoirs publics essaient de faire cela, ils deviennent eux-mêmes la plus grande cible. Il y a les ressources et les vulnérabilités politiques et il y a le payeur et ainsi de suite. Nous constatons que des pressions s'exercent sur le gouvernement. Si le gouvernement était éliminé, ces groupes ne sauraient sur qui mettre de la pression.
La formule de la rémunération à l'acte a été soulevée et, oui, il s'agit d'un problème, mais cela a du bon et du mauvais. J'y vois des avantages et des inconvénients. La plus grande difficulté réside non pas dans l'application de la rémunération à l'acte, mais dans le fait que les médecins ont eu à déterminer quelle elle serait et à décider où l'argent irait.
La meilleure méthode pour régler ces questions dont nous avons parlé serait non pas de recourir à une loi, mais probablement de laisser au marché le soin de décider. La meilleure méthode pour composer avec les mentalités de guilde, c'est simplement de faire baisser les obstacles et de laisser les associations traiter avec des gens en chair et en os qui ont à faire des choix. Je ne laisse pas entendre que le marché ne sera jamais un jour tout à fait libre au Canada.
L'autre question a question à l'apport régional. Je travaille dans un domaine qui a connu plusieurs changements, et j'ai des idées là-dessus. Je suis gestionnaire aussi bien que médecin; j'ai donc affaire aux deux côtés de l'équation.
La régionalisation présente nombre d'avantages éventuels. Il faut mettre l'accent sur le terme «éventuel». Il n'y a pas de véritables avantages à moins que d'autres éléments soient bien organisés. La souplesse du financement, la gestion indépendante des affaires face au gouvernement, certains éléments touchant le personnel et ainsi de suite — certaines conditions doivent être réunies.
Il existe de nombreux exemples de régionalisation, mais dans aucun cas est-il permis d'agir librement. Parfois, c'est la taille de la région qui est en cause. Les grandes régions ont plus d'influence, mais la gestion est plus difficile, car l'avantage des régions tient en partie au fait que c'est plus personnel — on apprend à connaître les gens et à cultiver des liens. La façon de régler le problème consiste à permettre aux gens d'étudier des besoins et des questions interétablissements et à faire des contrats et des arrangements avec les médecins qui se situent en dehors de la formule de la rémunération à l'acte.
Par exemple, dans ma région, nous avons commencé à recourir à des «médecins d'hôpital». Nous sommes en mesure d'intégrer les programmes d'hospitaliste. Ces médecins ne sont pas rémunérés à l'acte; ils sont salariés, pour qu'ils demeurent à l'hôpital. Comme c'est un groupe peu nombreux, son expertise peut s'accroître avec le temps. Nous pouvons nous attendre à une amélioration de la qualité du service et de l'efficience.
Le président: L'hospitaliste est-il un omnipraticien qui n'a pas de cabinet tel que nous l'entendons normalement, un employé à temps plein de l'hôpital?
Le Dr Vertesi: C'est cela. Le travail de l'hospitaliste consiste à s'occuper des patients à l'hôpital, indépendamment des médecins chargés du dossier et qui s'assure, au moment où le malade est prêt à prendre son congé, que la continuité des soins est bien assurée.
Voilà un exemple de programme interétablissements. Comme tous les établissements ne sont pas pareils — certains sont petits, d'autres sont grands, certains ont un programme de chirurgie cardiaque, d'autres, un centre de traumatologie qui n'existe pas ailleurs — nous ne pouvons aller au-delà des intérêts particuliers de chacun des hôpitaux.
Le sénateur Keon: Je ne veux pas donner l'impression que je tiens la régionalisation pour la solution à tous les problèmes, mais j'ai constaté moi-même les lacunes. Nous pouvons «fournir» les professionnels de la santé qu'il faut dans certaines des régions et nous n'avons pour l'instant aucune solution à ce problème. Nous pouvons avoir des écoles techniques ou des écoles de soins infirmiers ou des facultés de médecine pour former les gens, mais nous n'arriverons pas à la bonne combinaison de gens pour offrir les services.
Le président: Nous allons aller dîner, pour revenir à 13 heures.
Je veux m'assurer que nous allons aborder deux sujets au retour, avant de lever la séance à 15 h 30: quelles sont certaines des options de financement que le gouvernement fédéral aurait intérêt à adopter, à votre avis, étant donné que nous nous engagerons à proposer à ce sujet certaines options? De même, quelles conditions faut-il associer à ce financement, pour que l'argent se retrouve dans le réseau de la santé.
La prochaine question concerne le rôle fédéral au sens large du terme, étant donné qu'il s'agit d'une question qui relève des provinces. Comment exercer un leadership fédéral, étant donné les contraintes constitutionnelles qui s'appliquent?
Le comité suspend ses travaux.
Les travaux reprennent à 13 heures.
Le président: Pour les gens qui regardent la séance à la télévision, avant de devenir sénateur, Mme Callbeck a été ministre de la Santé et, par la suite, première ministre de l'Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur Callbeck: J'aimerais poser une question à propos du financement de la santé. Comme vous le savez, notre comité a conclu que le système n'est pas viable sur le plan financier, si d'autres fonds ne sont pas prévus. Certes, nombre d'autres comités sont parvenus à la même conclusion, notamment à la suite des commissions d'enquête portant sur les soins de santé en Alberta, en Saskatchewan, en Ontario et au Québec.
D'après les observations que vous avez faites plus tôt, avec l'exception possible de la Dre Kenny, je crois que vous êtes tous d'accord pour accroître le financement. En présumant que c'est la voie à emprunter, où allons-nous aller chercher l'argent?
Il y a toutes sortes de propositions qui ont été faites. La dernière provient de l'Institut C.D. Howe, M. Scott en a parlé. Selon cette proposition, les Canadiens devraient verser une nouvelle taxe établie à partir du coût de leurs services médicaux pour l'année; les familles ayant un revenu de 10 000 $ ou moins ne verseraient pas la taxe en question; et il y aurait une limite équivalant à 3 p. 100 du revenu de la personne.
J'aimerais savoir ce que vous pensez de la question du financement dans son ensemble et particulièrement de la proposition de l'Institut C.D. Howe.
M. Davis: D'abord, je soulignerais que nous formulons toujours la question en ces termes: le système n'est pas viable si le financement demeure le même, et je suis d'accord sur ce point. Toutefois, j'aimerais formuler la question différemment et souligner que le régime, à mon avis, n'est pas coûteux en ce moment. Nous devons réfléchir à la notion selon laquelle nous aurions un réseau de la santé qui est coûteux. Une comparaison internationale permet le plus souvent de voir que ce n'est pas le cas. Certes, en comparaison avec les États-Unis, où les normes d'accès et de technologie ont tendance à être très élevées, notre régime n'est pas du tout coûteux. L'argent que nous injectons dans le réseau de la santé n'est peut-être pas suffisant. En dernière analyse, on en a pour son argent.
Il est naïf et irréaliste de croire qu'il y aura une mesure magique qui viendra améliorer les niveaux de productivité dans notre réseau de la santé, au-delà de tout ce qui existe ailleurs sur la planète.
Quant à la source des fonds supplémentaires, comme les gens disent, il n'y a qu'un payeur. Au Canada, ceux qui payent sont généralement les membres de la classe moyenne. Les Canadiens à faible revenu ne paient pas grand chose au pays. Nous avons un bon programme de sécurité sociale qui leur permet d'éviter la majeure partie des coûts engagés pour les programmes et les services.
La question consiste à savoir si les fonds proviendront des recettes fiscales générales, d'un impôt spécialement affecté ou d'une mesure visant à faire le lien entre le paiement et le recours au régime.
Il existe une autre option, mais il faut savoir si nous pouvons utiliser le régime pour générer des recettes. Par exemple, l'Institut de cardiologie d'Ottawa pourrait-il générer des recettes importantes pour le régime, s'il regardait du côté étranger et adoptait un modèle d'affaires différent? Il faut étudier toutes ces options.
La notion selon laquelle il faut des impôts plus élevés pour financer le régime ne l'emportera pas. On estime que les Canadiens ne veulent pas d'une augmentation du niveau d'imposition. Il est probable qu'ils ne fassent pas suffisamment confiance au gouvernement pour croire que l'augmentation du niveau d'impôt se traduirait par un meilleur accès aux services de santé.
Les impôts spéciaux et les recettes qui en découlent représentent une option logique. Parmi les mesures incitatives dont il serait question, j'aimerais en voir une qui privilégie le côté mieux-être et santé du dossier.
La formule serait très avantageuse, bien que ce ne soit peut-être pas sur le plan des économies pour le réseau — je suis d'accord avec mes collègues là-dessus — mais au sens où on augmenterait la productivité tout en évitant la douleur et la souffrance et la misère humaine, voilà ce qui serait un avantage considérable.
Dans une certaine mesure, nous payons le prix du succès de notre régime. Nous en faisons plus, nous en accomplissons plus que jamais auparavant dans le réseau de la santé. Nous y consacrons plus d'argent, mais cela donne des résultats. Ce n'est pas forcément une mauvaise chose. La discussion vise à déterminer à quoi il faut attribuer les ressources en priorité.
Pour ce qui est d'un impôt spécial et de revenus résevés à la santé, j'aimerais qu'il y ait une certaine possibilité d'amasser et de gérer, tout au moins, ces revenus spéciaux à l'échelon local. Je me soucie toujours de ce qu'on recherche des approches provinciales et nationales en vue de régler un problème. Le cadre doit être national, et provincial, dans certains cas. Tout de même, nous voulons nous assurer de ne pas freiner l'innovation et la souplesse localement en instaurant de grandes entreprises bureaucratiques, qu'elles soient indépendantes des pouvoirs publics ou non. Les pouvoirs publics ont de la difficulté à demeurer souples et à s'adapter à la collectivité locale.
Je crois que les Canadiens payeraient un impôt spécialement affecté et qu'ils accepteraient que des recettes soient générées localement, dans la mesure où ils voient bien que l'argent est investi dans les services de santé et qu'il produit des résultats très concrets, par exemple une amélioration de l'accès.
Le président: Pouvez-vous me donner des exemples pour illustrer la génération de recettes à l'échelon local? Dans votre déclaration d'ouverture, si je ne m'abuse, vous avez fait référence indirectement à la possibilité, par exemple, de construire un nouvel établissement et d'en assurer le financement en pratiquant une part des interventions sur des gens qui ne vivent pas au Canada. Est-ce cela que vous voulez dire quand vous parlez de générer des recettes à l'échelon local?
M. Davis: Il y a une combinaison d'éléments que nous n'avons pas étudiés. Encore une fois, en tant que Canadiens, nous sommes heureux, généralement, de brader ce que nous avons de valeur. Parfois, il nous arrive même de «payer le transport». Il faut commencer à agir sur ce front. Nous sommes très présents pour ce qui est de fournir de l'information et de l'expertise sur le plan international. Nous devrions exiger un bon prix pour cela.
Le président: Vous parlez de la formation des médecins étrangers?
M. Davis: Les médecins, les fournisseurs de soins de santé étrangers. Il y en a toujours au Canada qui profitent de notre expertise en échange d'une modeste somme d'argent, sinon gratuitement, et souvent le geste réciproque ne vient pas, surtout quand on pense à nos voisins du Sud.
Il y a beaucoup à faire dans le dossier du mieux-être. Il n'y a pas de réglementation pour l'instant. Je sais que c'est une question controversée, mais il y a beaucoup à faire dans le domaine des examens de mieux-être et des programmes associés au mieux-être. Il y a beaucoup à faire pour ce qui est de la collaboration possible avec les entreprises et les grandes sociétés dans le domaine de la santé mentale. Nous devons nous engager dans certains de ces domaines. Nous ne pouvons laisser toujours la génération de recettes au secteur privé. Nous devons lancer des projets de coentreprise et nous lancer dans ce domaine pour générer des recettes.
Nous devons étudier certains des secteurs plus complexes. Sans nul doute, nous avons un régime supérieur pour ce qui est de la qualité, alors pourquoi ne pas envisager de fournir des services à des personnes non assurées — ce sera probablement des Américains, pour la plus grande part — d'une façon qui générerait des recettes pour nos fournisseurs aussi bien que pour le régime public? Nous devons obtenir le recouvrement intégral des coûts du côté des accidents du travail. Pour une grande part, nous avons permis à l'industrie de l'assurance de profiter sans payer du réseau public de la santé.
Nous devons instaurer un recouvrement intégral des coûts. S'il faut mener la barque davantage à la manière d'un entrepreneur, il faut mieux s'occuper du côté «revenu». La plupart des entreprises, pendant qu'elles cherchent à réduire les coûts, regardent aussi du côté des revenus pour élaborer leur futur plan d'affaires. De tradition, dans le domaine de la santé, nous avons cherché à réduire les coûts, à augmenter la productivité et l'efficience. Nous devons adopter une approche plus équilibrée.
De même, nous disposons peut-être d'informations susceptibles de générer des recettes. Nous devons étudier cette question à nouveau. Nous ne pouvons tout donner. Quand on donne quelque chose, on fait parfois voir que cette chose n'a pas beaucoup de valeur, alors pourquoi les gens s'y intéresseraient-ils?
Nous devons envisager toutes sortes de mesures. Il existe un marché pour un grand nombre des produits et services en question, et la crédibilité des administrations régionales de la santé et des réseaux régionaux d'hôpitaux qui «signent» cette information et ces services nous donnent un avantage concurrentiel. Que nous prenions en charge nous- mêmes l'exécution ou qu'il s'agisse d'un projet conjoint, nous devons rechercher le meilleur modèle de fonctionnement possible pour l'endroit où on se trouve à envisager les options, mais tout cela existe.
Le président: Vous êtes en train de dire que pour ce qui touche certains des services non assurés, des services de mieux-être et ainsi de suite, un centre de conditionnement physique qui ait l'appui de l'Institut de cardiologie d'Ottawa aurait une crédibilité plus grande que certains autres?
M. Davis: Peut-être pas un centre de conditionnement physique, mais un examen de mieux-être complet, comprenant certaines épreuves de diagnostic de premier ordre puis la recommandation d'un groupe d'entraîneurs d'un centre d'entraînement qui ont reçu l'approbation de l'Institut de cardiologie d'Ottawa. Ce genre d'ensemble est intéressant. Nous savons que c'est un forfait qui est actuellement en vente quelque part. Est-ce que nous voulons une part de ces recettes? Est-ce que nous voulons que le réseau public que la santé en bénéficie? Nous devrions seulement amasser des revenus en tant que rendement sur notre investissement de capital pour améliorer le régime. Nous n'amassons pas des fonds pour un but lucratif ou pour des actionnaires, mais plutôt pour que cela profite au public.
Le président: On génère des recettes en vue de les réinvestir dans le régime; par conséquent, il serait donc important que cela ne retourne pas dans les coffres des provinces.
Le Dr Vertesi: Je suis d'accord avec une bonne part de ce que M. Davis a dit, et, de fait, nous en avons quelque peu discuté. Il faut faire attention au choix de termes, et parler de «surplus» plutôt que de «profit». Cela veut dire que l'argent ne nous revient pas. Nous réinvestissons l'argent.
Je suis d'accord pour dire qu'il faut investir plus d'argent dans le réseau. Je crois que tout le monde est d'accord sur ce point. Il est utile d'étudier les sources possibles de fonds dans deux secteurs différents. Le premier concerne l'investissement de capitaux, et l'autre a rapport à l'argent prévu particulièrement pour des opérations relatives à des travaux accomplis. Il y a une sous-capitalisation de la santé au Canada, et, pour une bonne part, c'est parce qu'il s'agit d'un modèle public, que nous essaierons d'apporter des compressions et que ce sont des dépenses très importantes.
En même temps, nous n'investissons pas forcément nos capitaux avec la plus grande rigueur. Il y a encore à Vancouver, dix ans plus tard, un bâtiment vide qui était destiné à devenir le Vancouver General Hospital. Une somme d'argent énorme a été investie.
Le président: Pourquoi le bâtiment est-il vide?
Le Dr Vertesi: Parce qu'une fois le bâtiment construit, nous avons commencé à réduire les coûts, et nous n'avions pas les moyens d'y affecter du personnel et de le faire fonctionner.
Le président: Ottawa a déjà acheté une machine qui est demeurée dans la boîte parce qu'il n'y avait pas d'argent pour la faire fonctionner.
Le Dr Vertesi: Il y a ce bâtiment qui fait de la peine à voir à Vancouver. Cela montre bien que le gouvernement n'est pas infaillible pour ces choses.
De toute manière, l'autre difficulté pour ce qui est d'attirer des capitaux, c'est que le fonctionnement des hôpitaux repose sur un budget global; or, les budgets globaux n'attirent jamais de capitaux; les budgets de services en attirent. Par exemple, il y a les réseaux de laboratoires. En Colombie-Britannique, et c'est peut-être la même chose dans d'autres provinces, nous versons de l'argent aux laboratoires pour qu'ils nous fournissent les services requis; de ce fait, le gouvernement n'a pas à construire tous ces laboratoires. Nous attirons des sommes d'argent énormes pour la construction de laboratoires et la prestation de services. Le gouvernement fixe les tarifs et ne paie que les services fournis. Certains centres de santé privés fonctionnent de cette façon. Les cabinets de médecins constituent un excellent exemple de la façon dont la rémunération à l'acte peut attirer des capitaux extérieurs pour la construction d'établissements, et ils peuvent fonctionner indépendamment. Les services que le gouvernement souhaite obtenir et pour lesquels il est prêt à payer sont fournis. Nous ne procédons pas de la même façon avec les hôpitaux; or, nous devrions.
L'autre aspect de la question concerne les recettes publiques qui prennent la forme de recettes fiscales générales investies dans le réseau de la santé. Je crois que le public est prêt à investir plus d'argent dans son réseau public de la santé, mais pas pour des taxes qui font partie des recettes générales. C'est une question de confiance. Le bilan des administrations gouvernementales qui imposent le revenu des gens, puis garantissent que l'argent recueilli sera consacré à certains services désignés n'est pas reluisant — tout au moins c'est la perception. Le lien de confiance a été rompu. Les gens ne veulent pas donner de l'argent aux pouvoirs publics et constater que celui-ci ne fait que disparaître. Ils sont prêts à le faire si on les rassure sur le fait que l'argent ira aux soins de santé, et surtout aux soins de santé locaux. C'est une voie que nous n'avons pas suffisamment exploitée.
Cela nous ramène à ce dont il était question plus tôt, soit un organisme indépendant à qui l'argent peut être confié sans crainte. L'argent va où les gens peuvent le voir et non pas dans le Trésor général. C'est une autre des raisons pour lesquelles un organisme indépendant chargé de faire fonctionner le réseau de la santé est important.
Même si nous parvenons à amasser plus d'argent, ne nous faisons pas d'illusion en croyant que cela suffira. Même aux États-Unis, là où il y a beaucoup d'argent, les fonds manquent. Ce qui est important, à mon avis, c'est non pas que le public perçoive cela comme étant suffisant, mais plutôt que nous fournissions des soins aux gens. En ce moment, non seulement nous faisons attendre les gens, mais nous leur refusons les soins dans de nombreux cas, et c'est la vérité.
M. Forget: Je n'ai pas beaucoup à ajouter à ce que M. Davis et le Dr Vertesi viennent de dire, car je suis d'accord avec leurs remarques.
Les prélèvements spéciaux représentent la seule façon viable de générer des recettes supplémentaires. Je crois que j'y recourrais non seulement pour l'aspect progressif, mais aussi parce qu'une certaine part du financement de base pourrait fonctionner de cette façon. Sinon, on crée une impression erronée, soit que les coûts intégraux du réseau de la santé proviennent d'un très petit prélèvement, ce qui, en soi crée un problème.
Une question de principe importante — cela renvoie à ce que le Dr Vertesi vient de dire —, c'est que même sans fonds supplémentaires, le problème des ressources rares ne disparaît pas. Mon approche, c'est que nous envisagerions notre engagement public envers la santé comme étant limité — même si ce serait peut-être un peu plus important que ce l'est à l'heure actuelle. Autrement dit, les Canadiens, par le truchement de leurs pouvoirs publics, doivent se décider — et il y aura peut-être une certaine évolution au fil du temps — souhaitent-ils mettre telle part de ressources dans la santé et rien de plus, et reconnaître les conséquences de cette décision?
En quoi cela serait-il différent? À l'heure actuelle, c'est l'inverse qui est l'élément moteur du système; les pouvoirs publics laissent entendre que tout est fourni; que c'est un régime universel qui est transférable et complet, et cela donne l'impression que les ressources sont illimitées. Une chose est promise implicitement: quelle que soit la technologie, les exigences ou les attentes nouvelles qui puissent se présenter, c'est prévu et, par conséquent, ce sont les dépenses qui déterminent les exigences en revenus.
Je crois que nous devons dire que notre économie et notre volonté collective — pour ce qui est de consacrer des ressources publiques à la santé — ont une limite. Nous avons besoin d'une formule où, pour certains segments des services de santé, nous décidons de ne pas forcément tout couvrir, mais nous allons couvrir les éléments visés à un tarif moins élevé. Autrement dit, le public doit adhérer à la notion selon laquelle il y a certains éléments qui ne seront pas financés à 100 p. 100. Il faut expliciter cela, sinon je crois que la disparité entre la promesse tacite qui est associée au régime et ce qui est offert dans les faits se maintiendra. C'est-à-dire que non seulement le manque de ressources, mais aussi le manque de confiance va continuer à miner le régime entier. Il faut donc que ce soit les recettes qui déterminent les dépenses et non pas l'inverse. En ce moment, nous avons cela à l'envers.
M. Lozon: Je suis d'accord avec ce que tout le monde a dit jusqu'à maintenant, et j'ai quelques observations à formuler moi-même. Si on voulait d'un prélèvement spécial pour la santé, en partie, ce serait pour protéger d'autres services publics de la santé, parce que celle-ci, essentiellement, est en train d'avaler goulûment toutes les autres recettes des provinces. Non seulement on veut pouvoir rendre compte de l'argent amassé, mais également on veut s'assurer que les gens ne souffrent pas d'un manque dans d'autres domaines comme l'enseignement supérieur, l'éducation publique, les routes et les services sociaux, compte tenu des exigences de la santé.
Ensuite, j'ajouterais que, en Grande-Bretagne, la plupart des nouvelles installations se construisent grâce à une nouvelle initiative privée de financement; ce sont des consortiums du secteur privé qui se chargent, de fait, de la construction et du fonctionnement de l'ensemble et qui en sont les propriétaires. Les administrations régionales de la santé occupent les locaux; essentiellement, ce sont des locataires.
Je vais adopter ici un point de vue divergent. S'il n'est plus question d'une assurance privée et de frais d'utilisation, inévitablement, il reste la question des augmentations d'impôt, que ce soit un impôt spécialement affecté ou non. Je soulèverais la question suivante: pourquoi ne pas permettre aux gens qui le veulent de contracter une assurance-santé qui leur accorderait un niveau de soins autre, dans la mesure où, en tant que Canadiens, nous continuerons d'avoir en place le filet de sécurité sociale dont nous sommes incroyablement fiers. Le bilan de l'organisation dont je suis président — elle existe depuis 110 ans — laisse voir un service offert sans contrepartie aux personnes les plus défavorisées de notre société. Pourquoi ne pas permettre aux personnes qui ont ce qu'il faut pour dire: «Je ne veux pas attendre pendant six mois pour un remplacement de la hanche» d'acheter le service en question?
Le président: C'est un point de vue légitime. Quand vous parlez d'un «autre niveau de soins», essentiellement, vous parlez d'un système parallèle sous une forme ou une autre. Entrevoyez-vous que le service en question serait fourni au même établissement qui fournit le service aux malades du régime public, ou est-ce que ce serait un établissement distinct?
M. Lozon: Il faudrait faire attention à la manière de fournir le service et à l'endroit choisi. Dans une certaine mesure, ce dont M. Davis parlait — fournir d'excellents soins et d'excellents services aux gens des États-Unis — ne revient pas à quelque chose de fondamentalement différent. Ce serait là offrir un service à des gens qui ne vivent pas au pays, alors que les gens du pays ne pourraient les obtenir.
Le sénateur Morin: Je ne crois pas que M. Lozon ait répondu à la question. Est-ce que ces services seraient fournis dans des hôpitaux distincts? Le régime britannique compte des hôpitaux distincts, privés. Les Suédois ont une assurance privée, mais il y a dix ans, ils n'avaient pas d'hôpitaux privés.
M. Lozon: Je n'ai pas répondu directement à la question parce que je ne connais pas la réponse à la question. Je me donnerais pour prémisse que tous les gens ont le droit d'accéder aux soins, et les cas où cet autre niveau de services s'applique serait fonction de ce qui transgresse le moins le premier principe, sinon pas du tout.
M. Davis: Une des premières conditions fondamentales pour que ce niveau de soins améliorés puisse être fourni — et je suis d'accord, soit dit en passant et je conviens que cela s'apparente à la vente de services à des tiers payeurs de l'extérieur du pays —, c'est qu'il y aurait une garantie de délai maximal pour le régime public. Si vous souhaitez être opéré à la hanche dans un délai d'une semaine et demie parce que la saison de golf approche, cela ne peut se faire au détriment d'un patient du réseau public, qui aurait à attendre davantage. Il faut se faire à l'idée de passer à un régime où l'accès est élargi et où le temps d'attente maximal est garanti, puis il sera possible d'ajouter des niveaux de services améliorés et de vendre des services à de tiers payeurs.
Je crois qu'une combinaison réseau privé-réseau public facilite la prestation des services à niveau amélioré en question à l'intention de tiers payeurs, parce que les recettes générées permettraient de financer une partie du côté privé, voire une partie du côté public. Cela déboucherait sur un plus grand volume et sur une plus grande activité à l'intérieur du régime. Il en résulterait probablement une plus grande masse critique de fournisseurs. Il y a là un avantage considérable pour le réseau public. Refuser d'étudier la question rigoureusement serait probablement une grande erreur. Je sais que le comité a abordé le sujet et y a réfléchi mûrement. Je vous en félicite.
M. Scott: Je n'encouragerais pas d'activité privée parallèle parce que les principaux bénéficiaires sont aussi les gens qui font tourner le plus efficacement les rouages du système politique. Ils pourraient alors économiser de l'argent en santé parce que la question des éléments moteurs serait bien réglée. Ce n'est pas de cela que je voulais parler.
Le président: C'était simplement une parenthèse.
M. Scott: Tout à fait. Je crois qu'il devrait y avoir une hiérarchie, à commencer par un financement stable et à long terme de ce que nous essayons maintenant de faire dans le cadre du régime. Ensuite, il y a le retard à rattraper. Je présume que M. Lozon dispose de meilleures statistiques que moi, mais, cela ne fait aucun doute, nous avons perdu du terrain pour nombre d'indicateurs de base durant les années 90, en raison des compressions et réformes importantes qui ont eu tendance à nous faire perdre du terrain dans plusieurs secteurs. Ce n'est peut-être pas d'une dépense à long terme dont il s'agit.
Il y a également des aspects dont nous n'avons pas traité, par exemple l'information. M. Lozon a parlé des sommes d'argent mises de côté pour le fichier électronique de la santé. La gestion de l'information dans le réseau de la santé représente une question absolument capitale. Je ne vois pas quoi que ce soit qui prouve qu'un gouvernement quelconque n'a jamais estimé qu'il fallait investir là-dedans. De fait, je présume que certains ont une politique qui s'apparente à celle de l'Ontario, c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'argent pour la gestion de l'information — vous devez trouver des fonds vous-même.
Par conséquent, nous en sommes encore à l'âge des ténèbres sur le plan de l'information. Cela demeurera, s'il n'y a pas de fonds prévus particulièrement pour cela, simplement parce que le public n'accorde pas du tout de valeur aux systèmes d'information, si on compare cela à des services ambulanciers supplémentaires, à la nouvelle aile d'un hôpital ou à un nouveau programme de cathéter cardiaque quelque part. Cette façon de penser est si bien enracinée dans notre réseau que nous n'allons jamais être en mesure d'apprendre nombre des choses que nous devrions apprendre, si nous souhaitons avoir un réseau beaucoup plus efficace, s'il n'y a pas d'argent pour les systèmes d'information en particulier. J'y accorderais la toute première place dans mon ordre de priorité.
La deuxième place irait aux soins à domicile et aux médicaments parce qu'ils sont très étroitement liés à tout le reste. Tant qu'il n'y a pas d'effort ou de concertation en ce sens, nous allons avoir de la difficulté avec la combinaison classique hôpital-médecin.
Quant aux formes particulières de recettes, j'ai déjà abordé la question durant mes remarques préliminaires. Il doit s'agir de sommes réservées, et la TPS serait un très bon terrain d'essai, parce que si les gens veulent payer, ils le remarqueront chaque jour. Je viens de prendre connaissance hier de la proposition de l'Institut C.D. Howe, et j'en suis encore à l'analyser. Tout de même, j'invite vivement les membres du comité à l'étudier de plus près. Ce genre de formule fait intervenir de nombreux instruments qui pourraient se révéler intéressants, mais je ne suis pas prêt à donner mon appui pour l'instant. C'est une formule très créative qui donne l'occasion de s'attaquer à plusieurs des éléments qui figurent dans la liste.
Le président: Je le dis à titre d'information, la proposition de l'Institut C.D. Howe dit essentiellement qu'à la fin de chaque année civile, le particulier reçoit du gouvernement un relevé qui dit qu'il a eu un revenu additionnel égal au coût total des traitements du réseau de la santé reçus durant l'année, jusqu'à 3 p. 100 du revenu. Il est intéressant de noter que la structure de la proposition remonte à 1961, à l'époque où l'idée d'un réseau national de la santé a d'abord été soulevée. Ensuite, c'est une caractéristique qui a été mise de côté. Cela remonte à 30 ou 40 ans.
La Dre Kenny: Je dirai deux choses. À propos des examens de mieux-être, j'aimerais poser une question à M. Lozon, si vous le permettez.
Prenons garde — quand nous avons des choses à vendre qui ne sont pas assurées — de ne pas aller à l'encontre de la volonté profonde que nous avons de nous assurer que nos services reposent toujours sur des données probantes. Nous pouvons vendre n'importe quoi à n'importe qui en parlant de soins de santé, et quand j'entends le terme «examen de mieux-être», cela me donne des boutons. Il faut prendre garde de ne pas compromettre, en vue de favoriser la réalisation d'un objectif, une autre chose qui est nettement plus fondamentale. C'est une petite parenthèse, mais on peut croire qu'il y a toutes sortes de choses qui découleraient de cela. Les examens de mieux-être et autres activités du genre font peur.
M. Davis: Je ne suis pas en désaccord avec ça.
La Dre Kenny: Plus on est actif dans le domaine, plus il y a de concepts qui sont susceptibles de compromettre d'autres choses. C'est tout ce que je dis. Évidemment, je ne suis pas entrepreneur.
Je suis extrêmement heureuse de savoir que, contrairement à ce qui est dit dans le rapport Mazankowksi, le volume 5 ne recommande pas de comptes d'épargnes médicales, de frais d'utilisation et de réseau privé parallèle. La lecture que je fais de la documentation m'amène à poser à M. Lozon une question: Quel objectif est-ce qu'une assurance privée parallèle permettrait d'atteindre? Je croyais que les trois types d'objectifs que nous pouvions envisager étaient la viabilité à long terme du réseau universel de la santé, la restriction des coûts et l'équité dont j'ai parlé plus tôt. Quel serait le but que permettrait le plus vraisemblablement d'atteindre un système parallèle privé?
M. Lozon: Je présumerais qu'un système privé parallèle permettrait peut-être d'améliorer l'accès...
La Dre Kenny: ... l'accès à quoi?
M. Lozon: ... à un régime de services de santé. Il pourrait permettre d'en arriver à un accès amélioré, mais peut-être pour certaines personnes seulement. Est-ce que nous devrions dire que cela ne peut se faire pour tous? Voilà la question corollaire.
Le Dr Vertesi: Voilà que nous abordons enfin le nœud du problème qui nous empêche d'avancer depuis 30 ans. Je suis sûr que nous pourrions consacrer une journée entière à cette seule question, et peut-être que cela se justifie, mais nous n'avons pas de journée entière à notre disposition. J'appuie les propos de M. Lozon, je crois qu'un deuxième niveau est aussi important. Tout de même, il y a là des périls et il faudrait appliquer un contrepoids au deuxième niveau. Cela dit, je crois que notre pays est le seul au monde qui interdise encore formellement tout deuxième niveau. Il y a sûrement un message là-dedans. Quels en seraient les avantages?
Il y a là un avantage immédiat et apparent pour ce qui est d'attirer plus de fonds. Nous en avons déjà discuté. Le deuxième avantage, c'est que les gens qui sont prêts à payer sortent de la file d'attente. Ce sont des questions que nous avons déjà étudiées. Est-ce vraiment mieux? Oui, et c'est mieux pour d'autres si ceux qui payent assument plus que leur part. Par exemple, s'ils payent deux fois le tarif habituel pour une opération à la hanche et que l'argent supplémentaire sert à financer l'opération pratiquée sur quelqu'un d'autre qui en a besoin, nos objectifs seraient-ils atteints? Oui, ils le seraient. Pour cela, il faudrait que nous sachions ce que coûte vraiment une opération à la hanche, ce qui représente un autre problème.
Le véritable avantage d'un deuxième système, un système parallèle, n'a pas été évoqué. Un système parallèle représente la seule façon pour nous d'avoir l'heure juste, pour que les responsables du réseau public de la santé le sachent quand ils sont à côté de ce que les gens veulent vraiment, de ce que la qualité devrait être et de ce que le coût devrait être. Sinon, nous travaillons en milieu fermé et nous nous coupons de cette réalité. Si j'étais un politicien ayant un penchant machiavélique et que je ne voulais pas que les gens sachent qu'ils pourraient avoir quelque chose de mieux, c'est tout à fait ce que je ferais. Je dirais que j'interdis toute autre formule, sinon, les gens pourraient goûter à quelque chose de mieux. Nous pouvons nous en tirer de cette façon pendant un certain temps, mais la réalité finit par nous rattraper. Elle nous a rattrapés au bout de 30 ans.
La difficulté réside non pas tant dans le fait que nous restreignons la marge de manœuvre des gens, mais plutôt dans le fait que, nous-mêmes, nous ne savons plus quels sont les prix et les normes de qualité auxquels nous devrions aspirer et ce qui est raisonnable. Or, la seule façon de le déterminer, c'est d'avoir une autre option, même s'il faut y faire contrepoids d'une certaine façon, car nous ne voulons pas d'un système parallèle qui est de la même taille que le système public.
J'aimerais voir un système public dominant qui prend en charge la majorité — 90 p. 100, par exemple — des besoins en santé de notre pays. Par contre, le système public devrait obtenir légitimement «cette part de marché» et non pas l'avoir parce que cela est imposé par voie juridique à des gens qui ne sont pas conscients de ce qui arrive.
Le sénateur LeBreton: J'essayais d'être comique en disant «pour tous». Si je comprends bien ce que vous dites, M. Lozon, en se donnant un système parallèle, on se donne plus de technologie et plus de personnel dans le domaine de la santé, de sorte que cela permet de fournir un meilleur service dans le réseau public. C'est bien cela?
J'ai une question supplémentaire: En quoi cela a-t-il une incidence sur le but que nous nous donnons — l'accès garanti dans un délai limité, selon l'intervention dont il s'agit?
M. Davis: Je vais essayer d'aider M. Lozon. Il peut me corriger si je m'égare.
Nous avons dit que, tout au moins, la surveillance du réseau doit se faire indépendamment de l'appareil politique. Voilà un élément capital de tout ce que nous pouvons faire à cet égard: faire intervenir une commission de l'utilisation ou une commission qui fait rapport sur l'accès aux soins. S'il faut que les ressources du réseau public soient utilisées pour qu'un deuxième volet offre des services à de tierces parties, il faudrait alors expliquer clairement quels sont les avantages pour le réseau public, par exemple le réinvestissement, la présence d'autres fournisseurs de technologie, la réduction des délais d'attente ou l'accroissement de l'accès. Tout cela devrait faire partie de l'analyse. Certaines personnes affirment qu'on ne pourra jamais déterminer une telle chose. Si c'est le cas, c'est un constat décevant. Nous devrons essayer de le déterminer.
Nous devrions être à la recherche de nouvelles sources de revenus pour le réseau et non seulement penser à des impôts spécialement affectés. Nous devons convaincre les gens de la valeur du régime pour certaines des raisons que le Dr Vertesi a invoquées. Nous devons faire la lumière sur sa valeur. C'est une tâche complexe qu'il faut aborder rigoureusement, mais nous ne devrions pas écarter l'idée.
Il nous faut tout de même reconnaître que nous évoluons tout à fait dans une économie nord-américaine-mondiale, et qu'il y a beaucoup d'argent canadien qui s'en va aux États-Unis pour l'achat de soins. J'entends les gens dire: C'est très bien, que l'argent aille là, mais sur un marché concurrentiel international, nous voulons que cet argent-là reste ici et en utiliser une partie à l'avantage de notre régime, sinon c'est une perte nette pour le pays.
Il n'y a pas que l'argent qui s'en va aux États-Unis; certains de nos fournisseurs font de même. Il est remarquable de voir le nombre de Canadiens que l'on peut croiser à l'Université du Texas, à la Clinique Mayo ou au Scripps. Il n'est pas nécessaire non plus que nous perdions ces fournisseurs.
La question est la suivante: pouvons-nous envisager pour nous-mêmes une présence importante dans le domaine de la santé, mondialement aussi bien qu'en Amérique du Nord, ou allons-nous battre en retraite et dire que nous ne fonctionnerons que dans les limites étroites et que nous allons laisser quiconque souhaite le faire aller ailleurs tenter quelque chose de différent — qu'il s'agisse d'un fournisseur ou d'un patient?
M. Lozon: Je sais que ce que j'ai dit est assez controversé, mais c'est tout à fait intentionnellement que je l'ai dit. Je dirais au comité du Sénat que si vous déterminez, pour des raisons valables et solides, que vous ne voulez pas emprunter cette voie, alors il y a nombre de Canadiens qui aimeraient bien entendre vos raisons.
Le président: Tout à fait.
M. Scott: C'est un exercice qui est difficile à mener quand on se soucie de la réduction de la liste d'attente ou de l'amélioration du service. Peut-être que tous les expatriés reviendront pour s'occuper des clients richissimes et peut-être qu'on peut inscrire dans la Constitution une mesure qui permet de s'assurer que chaque dollar gagné est réinvesti dans le réseau public.
Il existe d'autres options à l'intérieur même du système, nous en avons discuté plus tôt, pour utiliser plus efficacement les services. Il n'est pas nécessaire d'avoir un système parallèle pour le faire. Il existe des exemples utiles. Toutefois, il y a eu la décision très controversée d'Action Cancer Ontario — soit de rapatrier les patients des États-Unis en ouvrant ce que le Toronto Star a qualifié de «clinique à but lucratif», parce que les médecins y travaillent bel et bien à but lucratif, bien qu'il ne s'agisse guère d'un conglomérat multinational.
Le président: Ne saurait-on dire que tous les médecins travaillent à but lucratif, au sens où ce sont des entrepreneurs qui travaillent à leur compte?
M. Scott: C'est vrai, ce n'est donc pas très différent de ce qui se fait dans les autres cliniques. Étant donné la pénurie de ressources médicales, ce qui est évidemment un élément important du problème qui a poussé tout le monde à se diriger vers les États-Unis au départ, comment fait-on pour traiter un nombre suffisant de patients pour éliminer l'arriéré s'il n'y a pas d'accroissement de l'effectif? Les Américains ont trouvé des façons novatrices d'y arriver.
On peut invoquer toutes sortes d'arguments — pour et contre.'' — mais, en dernière analyse, les Américains ont trouvé des façons de procéder plus novatrices que ce qui se fait ailleurs dans le réseau, pour nombre des raisons évoquées par M. Davis: les pratiques normalisées, la pensée syndicale à propos du changement. Avant de nous précipiter pour aller édifier un système parallèle, nous devrions étudier certaines des mesures plus efficientes et plus créatives que nous pouvons envisager à l'intérieur de notre régime. Toute ce qu'il faut faire, c'est casser le moule un peu.
Le sénateur Robertson: Si le gouvernement refuse de me permettre de contracter une assurance privée, ai-je un recours possible en application de la Charte?
M. Davis: Je ne suis pas avocat, de sorte que je ne peux répondre à cette question. Tout de même, c'est une question intéressante.
Le président: On a soulevé la question de savoir si le fait de refuser à une personne de contracter une assurance- maladie privée au Canada pour l'achat de services au Canada est une transgression de la Charte des droits et libertés. Comme vous n'êtres pas avocat spécialisé dans la Charte, vous ne répondrez pas à cette question?
M. Scott: Je ne connais pas la réponse à cette question, sauf que, à mes yeux, on a certainement soulevé la question du droit d'accéder à des soins de santé, et les tribunaux ont déterminé que ce droit n'existe pas.
Le sénateur Robertson: Il est étrange de voir ce que la Charte autorise ces derniers temps dans diverses régions du pays.
M. Forget: On ne saurait prédire ce que les tribunaux vont déterminer, mais à ma connaissance, cette question n'a jamais été présentée à la Cour suprême. On présume que, aux yeux du tribunal, les restrictions imposées aux libertés qui sont adoptées par voie démocratique dans une société libre constitueraient des limites valables.
Il faut faire une distinction entre ce type de déni de droit abstrait qui ne se rapporte pas à une cause particulière et la décision de la Cour d'appel du Québec où les juges ont donné tort aux responsables d'une régie provinciale de la santé, qui ont refusé de consentir un paiement pour une forme spéciale de traitement du cancer obtenu aux États-Unis sans autorisation préalable. Certes, c'était là l'affirmation du droit de recourir à un traitement en temps utile dans une affaire particulière.
Je suppose qu'on pourrait dire que si, peut-être, les tribunaux étaient plus proactifs — qui sait encore, nous avons été témoins de cela dans d'autres domaines — la question du système parallèle ne vaudrait plus, car les gens peuvent aller aux États-Unis dans plusieurs cas où le service en temps utile leur est refusé. Nous savons qu'il n'est pas difficile d'imaginer de tels cas. Par conséquent, il serait nettement mieux d'avoir au Canada un système parallèle.
Je suis d'accord pour dire que cela existe déjà. Songeons au fait que ce n'est pas le seul système parallèle qui existe. Il y a un système parallèle «sans argent». Cela dépend des contacts que vous avez et de la ruse que vous mettez à jouer avec les règles. Il me semble donc qu'il n'y a pas lieu d'être trop moralisateur à ce sujet.
La véritable question consiste à savoir comment on s'assure que le recours à un système parallèle ne nuit pas aux Canadiens qui n'ont pas les moyens de le faire ou qui choisissent de ne pas de prévaloir de cette possibilité. C'est un véritable défi, car il n'y aurait pas de multiplication du nombre de médecins et d'infirmières. On arriverait peut-être à multiplier le nombre de machines et d'installations, mais, au bout du compte, ce sont les mêmes gens qui seraient chargés de fournir le service. Comme il faut environ dix ans pour former un médecin, il n'y a pas de remède instantané à ce problème. C'est une autre question de gestion. Certes, si nous surveillons la qualité des soins, il devrait y avoir une façon de repérer les cas qui s'écartent de la norme.
Le sénateur Morin: Voilà que la majorité des invités de la table ronde est en faveur de la possibilité d'instaurer un système parallèle. Pensez à toutes les pressions qu'on a exercées sur nous et toutes les insultes qu'on nous a balancées quand nous avons présenté cette option dans notre premier rapport! Voici que nous y revenons. C'est une tournure intéressante.
Le sénateur Roche: Je tiens à remercier tous les membres de la table ronde de nous avoir présenté de merveilleux exposés. Monsieur le président, j'ai une question essentielle qui viser à faire toute la lumière voulue sur les questions financières. Les membres de la table ronde ont sur la question divers points de vue qui, à certains égards, reflètent les divers points de vue du comité lui-même.
J'aimerais trouver une solution consensuelle aux problèmes financiers dont il est question.
Je poserais d'abord une question à la Dre Kenny, mais j'invite les autres témoins à reprendre le fil à partir des thèmes secondaires que je vais aborder.
La Dre Kenny, dans sa déclaration liminaire, et plusieurs fois depuis, a insisté pour que nous nous rappelions le but que devrait avoir le sixième rapport et la façon dont nous devrions aborder les recommandations financières. Je vais demander à la Dre Kenny si elle est d'accord avec moi pour dire que le cinquième rapport peut être ramené à un choix que le comité propose aux Canadiens: soit payer davantage pour le réseau de la santé, soit permettre aux gens de contracter leur propre assurance.
Si c'est là la question clé, et nous y sommes certainement revenus plusieurs fois ici, alors cela nous amène à discuter des valeurs incarnées dans le régime d'assurance maladie. Sans revenir sur ce que le sénateur Morin vient de mentionner brièvement, nous pouvons dire que s'il faut injecter encore des fonds dans le réseau, la première question consiste à savoir combien il en faut.
J'ai été frappé par les nombreuses fois où les gens ont pu dire, au sujet du cinquième rapport, que le comité a peut- être exagéré en affirmant que le système en place n'est pas viable. Que ce soit vrai ou non, allons de l'avant toujours et disons que le système a besoin de fonds accrus.
Le Dr Sinclair, l'ex-commissaire de la Commission de restructuration des services de santé de l'Ontario, est venu comparaître il y a de cela plusieurs jours. Il a présenté certaines statistiques. Il a affirmé que si on étudie le système dans son ensemble aujourd'hui, qui coûte peut-être 100 milliards de dollars, plus ou moins — 70 p. 100 pour le public, 30 p. 100 pour le privé — le comité devrait peut-être ajouter 10 p. 100 pour la restructuration, l'amélioration ou l'efficience, pour que ce soit à la hauteur. Cela représenterait 7 milliards de dollars.
Nous lui avons demandé comment il répartirait ces fonds. Il a dit moitié-moitié — 3,5 milliards de dollars pour le gouvernement fédéral et 3,5 milliards de dollars pour les provinces.
J'aimerais savoir ce que la table ronde pense de ces statistiques et savoir aussi si, docteure Kenny, vous pourriez intégrer ce que vous avez dit à propos des soins à domicile et de l'assurance-médicaments — d'autres l'ont aussi mentionné — dans un système restructuré. Est-ce que cela coûterait beaucoup plus cher?
J'en viens à la question de fond qui consiste à savoir qui paiera la note. Tout le monde semble d'accord pour dire qu'une forme quelconque d'impôt spécial ou de prélèvement réservé est essentielle à la place d'une augmentation de l'impôt qui ferait que l'argent irait dans les recettes générales. Faut-il adopter à cet égard des primes d'assurance, ou encore un prélèvement est-il politiquement viable? Je crois que c'est M. Forget qui a dit qu'il ne suffisait pas de mettre en place un prélèvement en vue des coûts accrus, mais qu'il faut, d'une manière ou d'une autre, montrer que le système entier reçoit des impôts spéciaux, un prélèvement réservé. Comment s'organiser pour qu'un impôt spécialement réservé soit faisable?
Enfin, je reviens à la question de l'arène politique. On a affirmé ici que nous souhaitons dépolitiser la question. À coup sûr, il faut insister là-dessus au moment de s'engager dans la question des finances et de déterminer qui paye quoi. Y a-t-il, de fait, une lutte idéologique qui viendrait déterminer ce qui est à la racine de la question du financement?
Étant profane, je suis en mesure de poser des questions simples. Je ne veux pas faire de cette question un affrontement entre la vision de Mazankowksi et celle de Romanow. Dans ma déclaration d'ouverture, j'ai dit que j'aimerais que nous nous entendions. Le gouvernement fédéral et les provinces peuvent-ils s'entendre sans qu'une lutte idéologique sur le contrôle de la santé ne vienne détruire toute forme de coopération?
Je suis bien conscient du fait que le gouvernement fédéral investit dans de telles politiques nationales et que ce sont les provinces qui exécutent le programme. Pour que la coopération essentielle dont il est question prenne forme, nous devons savoir vers quoi nous nous dirigeons ensemble. Je crois qu'il y a encore trop de diversité d'opinions au sein du public au Canada, et la diversité des opinions exprimées autour de cette table, c'est trop pour moi.
La Dre Kenny: Voyons si je peux répondre d'une manière utile, mais brève. Je sais que le Sénat a signalé qu'il souhaitait sur la question une discussion et un débat non idéologique. Je rappelle aux sénateurs que le terme «idéologie» n'est pas péjoratif.
Une idéologie est un système de croyances, et nous avons tous des idéologies, tant personnelles que politiques. Le terme «idéologie» et le terme «idéologique» deviennent péjoratifs quand nous avons l'impression que les gens sont enracinés dans leur position et qu'ils sont incapables d'entendre même un point de vue différent. C'est en ce sens que le comité, à mon avis, souhaitait que le débat soit non idéologique.
De fait, je crois que le sénateur Roche a raison. Nous nous trouvons au cœur même d'un conflit d'idéologies, et c'est un conflit très précis. Ce sont des conceptions divergentes de l'équité qui s'affrontent.
Ce que les gens voient comme étant «équitable» fait l'objet de divergences parfaitement légitimes. Songeons à la conception américaine de l'équité par rapport à la vision canadienne, parce que cela permet de les distinguer, et je le ferai brièvement. La conception canadienne de l'équité renvoie au communitarisme ou à l'égalitarisme. Cela revient à dire: «traitez tout le monde de la même façon, mais prenez en considération leurs différences». L'équité ne s'achète pas. C'est une approche philosophique du sens de l'équité. Les gens ne peuvent utiliser de l'argent pour se payer des privilèges spéciaux.
Dans la conception américaine de l'équité, la conception libertaire — qui est profondément enracinée — l'équité revient à dire: «traitez tout le monde de la même façon». La conception américaine concerne d'avantage l'égalité que l'équité. Il faut traiter tout le monde de la même façon. Il ne faut pas prendre en considération les différences de fond; il faut simplement prévenir les restrictions.
Voici que nous abordons une question que l'on avait heureusement réglée, croyais-je, dans le volume 5. La question refait surface justement parce qu'une conception différente de l'équité se manifeste maintenant au sein de la société canadienne, et elle sera au cœur de la décision que nous prendrons au sujet de l'avenir.
Permettez-moi trois autres observations.
Je vais répéter ce que j'ai dit au sujet de l'argent, parce que je n'ai peut-être pas été claire. J'affirme que le système comporte un si grand nombre d'aspects inefficaces — et vous les connaissez bien — qu'on ne saurait répondre à la question — Faut-il plus d'argent? — à moins de corriger d'abord ce qui ne va pas. Je ne dis pas que ce n'est pas vrai. Je dis qu'il faut corriger le tir d'abord.
Le président: Êtes-vous d'accord avec l'affirmation catégorique qui se trouve dans le volume 5: il faut de l'argent pour réparer le système?
La Dre Kenny: Vous lisez dans mes pensées. La restructuration est une question différente, et c'est ce dont le sénateur a parlé. Je crois que nous n'avons jamais investi dans le système les sommes d'argent nécessaire au développement d'infrastructures ou à la restructuration. Je suis d'accord. Je ne conteste pas ce point. D'après ma lecture des données et mon expérience propre, c'est bien le cas. Voilà la réponse à la question de la restructuration. Nous avons besoin d'argent frais. Nous n'avons jamais investi dans cela, et les tentatives de réformes ont été défavorisées, justement, de ce fait.
Tout de même, le principe philosophique qui devient maintenant important, pour revenir au point où nous en étions dans ce débat intellectuel, vous l'avez énoncé clairement — un seul payeur. J'applaudis à cela. Je crois que cela concorde avec les valeurs auxquelles les Canadiens ont adhéré et auxquelles ils adhèrent toujours, fondamentalement, même si ce n'est peut-être pas au même degré. Nous devons dissocier le bailleur de fonds, le payeur, ou l'assureur, du fournisseur. Dans ce contexte, il y a encore beaucoup de marge pour une discussion sur ce qui est privé, ce qui est public, ce qui est à but lucratif, ce qui est sans but lucratif. Cette une question distincte. Vous avez fait un bon travail en essayant d'éclaircir ces choses, et c'est une tâche qui se révèle nécessaire.
Je dirais que lorsqu'il est question d'un système privé parallèle, cela devient complètement différent et contradictoire. Il est alors question de multiples payeurs. Si vous débattez de cette question, je vous propose de revoir vos objectifs avant de décider. Les trois objectifs fondamentaux que nous pourrions envisager sont: d'abord, des mesures visant à préserver l'universalité des soins de santé; ensuite, la restriction des coûts; et, enfin, une conception différente de l'équité. Il se peut très bien que cet objectif ne soit plus le nôtre, que nous ayons maintenant une vision du monde qui est différente.
Je dirais que le sénateur Roche a raison. C'est une question idéologique qui entre en ligne de compte. C'est un affrontement entre deux conceptions de l'équité, entre l'idée de permettre ou de ne pas permettre un système privé parallèle.
J'ai de la difficulté à croire tout cela — et peut-être que le sénateur Morin obtient des conseils différents en raison du groupe qui se trouve à la table —, car j'aurais cru, d'après toutes les lectures que j'ai faites à propos de tous les autres systèmes dans le monde où on a bricolé un ensemble qui se compose d'éléments du privé et d'éléments du public, deux régimes, un régime parallèle, un seul régime, que le constat est clair: s'il y a un système privé parallèle, les appuis à l'égard du système public s'érodent, surtout au sein de la classe moyenne. Il y a alors un système privé parallèle, et on ne parvient pas à restreindre les coûts. Il y a cette escalade des coûts qui se poursuit, mais maintenant, cela vient du portefeuille des gens, par la voie des impôts, et du portefeuille des gens, par la voie de l'assurance privée.
Il y a le problème distinct, comme vous le faites bien ressortir dans votre propre volume, des médecins qui travaillent dans les deux parties du système. Crée-t-on une conception différente de l'équité dans un système privé parallèle? Oui.
C'est une divergence idéologique profondément enracinée, et vous allez devoir interpréter la situation pour déterminer ce qu'est la position du Canada à ce sujet aujourd'hui.
Je vous inviterais aussi à prendre en considération les documents existants sur ce que fait un système privé parallèle et ce qu'il ne fait pas, s'il est encore question de respecter les objectifs fixés — préserver l'accès universel aux soins et restreindre les coûts suivant une conception canadienne de l'équité. Si cela demeure, regardez alors la valeur d'un système privé parallèle et la documentation à ce sujet.
M. Scott: Pour passer d'une question idéologique à quelque chose d'un peu déroutant, c'est la première fois que j'entends dire que, de fait, le système parallèle enrichirait le système public. Je n'ai connaissance d'aucune donnée qui étaye cette affirmation, mais je serais intéressé à en voir.
J'aimerais envisager la question du point de vue économique. J'ai l'impression qu'on recommande non pas d'affecter moins d'argent aux soins de santé, mais bien plus, quoique la formule proposée soit différente. Puisque cet exercice vise en partie à tenter d'optimiser l'utilisation de ressources limitées, c'est une idée curieuse.
À l'instant même où l'on crée un système parallèle, il faut se demander qui en fera partie et qui sera exclu. Le syndicat des Travailleurs canadiens de l'automobile serait l'un des premiers groupes à en tirer avantage, car il ne veut rien de moins que les meilleurs soins pour ses membres. Le premier syndicat qui entrera là-dedans amènera les autres syndicats à faire de même. Par conséquent, on établirait vraiment un système parallèle qui occasionnerait une montée des coûts.
À titre de pays nord-américain très dépendant des États-Unis, peu importe les questions morales et éthiques soulevées, nous devrons envisager la situation de façon pragmatique: voulons-nous continuer de jouir de l'avantage économique que procurent les soins de santé à notre nation, ou risquer de perdre cet avantage en établissant un système parallèle qui occasionne une montée des coûts d'ensemble, accroît la part du produit intérieur brut affecté aux soins de santé, et mine notre compétitivité. Voilà pourquoi le Conference Board du Canada et d'autres intervenants sont bien plus en faveur d'un système à payeur unique que d'un système parallèle.
M. Davis: Je serais déçu si, sur la question de notre avantage concurrentiel par rapport aux États-Unis, on se contentait de dire: «Il faut garder le dollar canadien à un niveau bas et veiller à ce que les Canadiens reçoivent des services réduits dans certaines régions, car cela permet de maîtriser notre structure des coûts.» C'est une approche concurrentielle qui tient davantage du tiers monde, et je ne crois pas qu'il soit sage de s'aventurer dans cette voie.
J'aimerais, si vous le permettez, formuler un autre commentaire. Lorsqu'on enveloppe la question de notions idéologiques, comme l'équité, on crée un débat entre le bien et le mal. Or, nos discussions visent uniquement à tenter de déterminer s'il existe des moyens de générer des revenus supplémentaires pour le système public. C'est ça, le sujet de la discussion. Il est question non pas de la création d'un système parallèle complet de soins de santé, mais bien de déterminer s'il y a moyen de dispenser un service supérieur aux tiers qui sont visés par le mandat du système public — et c'est ce que nous faisons maintenant, en passant. Il n'y a rien de nouveau ici.
Enfin, je me demande si certains services non couverts pourraient être utilisés pour générer des revenus pour le système. C'est le début d'une nouvelle ère, axée davantage sur l'entrepreneuriat, et nous cherchons simplement d'autres sources de revenu. Je ne crois pas que quiconque, y compris les gens qui sont à cette table, veuille miner les soins de santé publics. Tout le monde appuie ce système. Les gens se demandent: «Quel est le meilleur moyen d'économiser et d'améliorer les soins de santé publics?» Le débat s'attache non pas à la pertinence de l'objectif, mais bien à la façon de le réaliser. Tous les Canadiens sont égalitaires, et notre perception du rôle social de l'individu est fondamentalement différente de celle de nos voisins du Sud. Il est important de placer cette question en contexte.
Le président: J'aimerais clarifier un point soulevé par M. Davis, car on l'a mentionné à plusieurs reprises aujourd'hui. Les CAT de partout au pays tirent effectivement avantage d'une médecine à deux vitesses, car leurs patients passent automatiquement avant les autres. Les médecins qui soignent les patients des commissions des accidents du travail sont payés non pas par le régime provincial de soins de santé, mais bien directement par les CAT. Dans les provinces où le revenu des médecins est plafonné, on ne tient pas compte des revenus découlant de soins prodigués aux accidentés du travail. C'est ce que M. Davis a dit au sujet des CAT.
Le sénateur Roche: J'aimerais revenir aux questions des sommes nécessaires et des moyens permettant de les obtenir. Premièrement, j'aimerais revenir à l'intervention de la Dre Kenny. Nous convenons tous qu'il faut plus d'argent, mais j'aimerais qu'on précise la question et qu'on se demande à quoi servirait cet argent supplémentaire? C'est à ce moment- là qu'on a soulevé la question de la restructuration. J'ai cité le chiffre de 7 milliards de dollars par année pendant dix ans, avancé par le Dr Sinclair. Un certain nombre de personnes affirment que, parmi les améliorations globales nécessaires pour sauver et étendre l'assurance-maladie, il faut accorder la priorité à la restructuration.
L'autre question est liée au point que vous, docteure Kenny, et d'autres personnes avez soulevé, soit l'enchâssement des soins à domicile et de l'assurance-médicaments dans le régime d'assurance-maladie. Selon vous, le montant que j'ai mentionné serait-il suffisant pour intégrer ces deux nouveaux éléments à l'assurance-maladie et pour procéder à une restructuration? La somme nécessaire à la concrétisation de ces mesures est-elle supérieure aux capacités du système public canadien?
La Dre Kenny: Monsieur le sénateur, je ne suis pas économiste, alors je m'abstiendrai d'avancer des chiffres pour quoi que ce soit. Je ne possède pas les compétences pour faire cela. À l'époque où j'en faisais partie, le Forum national sur la santé a fortement recommandé au premier ministre de créer un programme national d'assurance-médicaments. Nous croyions — je fais donc référence au point de vue d'experts qui se sont penchés sur la question — que les gens payaient leurs médicaments et que l'argent était dépensé. Toutefois, l'argent est dépensé d'une façon que nous ne pouvons contrôler, qu'il s'agisse du formulaire optimal ou des pratiques exemplaires. C'est un problème. Nous étions d'avis qu'il était possible d'optimiser l'argent dépensé. Ne perdons pas de vue que les coûts liés à l'assurance- médicaments ont monté en flèche au cours des dernières années, même si je ne peux fournir des chiffres exacts.
Encore une fois, je ne peux avancer un montant pour les soins à domicile. La couverture des soins à domicile varie partout au pays, d'une façon aléatoire et confuse. J'estime qu'une approche intégrée s'impose. Si on définissait les services dit «médicalement nécessaires», on arriverait à la conclusion que l'assurance-médicaments et les soins à domicile — ces derniers étant liés aux soins hospitaliers — devraient être visés par le régime, tout comme les soins dispensés par les médecins et les services hospitaliers. Cependant, je ne peux avancer de chiffres concrets.
Le Dr Vertesi: Je suis abasourdi par votre remise en question de l'existence même de l'enjeu idéologique. Il s'agit du «bébé idéologique» d'origine, et ceux d'entre nous qui étaient là à l'époque de sa naissance s'en souviennent. Maintenant, le bébé a grandi et est devenu autre chose.
Je suis d'accord avec un point soulevé par la Dre Kenny: on ne peut traiter cette question comme toutes les autres, en raison des enjeux idéologiques fondamentaux. Quel type de vision avons-nous? Il y a une limite à ce que nous pouvons faire sans modifier notre idéologie.
Nous avons négligé un autre aspect de la question: jusqu'à quel point avons-nous le choix? La Dre Kenny s'exprime comme si nous pouvions choisir ceci ou cela. Certaines personnes croient que nous n'avons pas réellement de choix à faire, et que tout cela est une illusion que nous avons su maintenir pendant un certain temps. Toutefois, nos coûts ont augmenté à un point tel que le système n'est plus viable, d'où cette conférence. Autrement dit, si nous avions le choix, il est évident que nous choisirions un régime public d'assurance globale qui nous protégerait. C'est comme dire que, si on avait le choix, on choisirait d'être pris en charge par un parent riche ou un «sugar daddy».
La question est la suivante: cette option existe-t-elle vraiment, ou s'agit-il d'une lubie qui, en raison du mode de fonctionnement des finances et des marchés, ne serait pas viable? J'ajouterais même qu'il nous a été impossible de débattre sainement de cette question, car notre idéologie nous interdit même d'en parler. C'est ce qui s'est produit jusqu'à maintenant. Il est difficile d'aborder cette question dans le cadre d'un débat ouvert, du moins ici à Ottawa. Jusqu'à maintenant, dans le bâtiment où nous nous trouvons, nul ne pouvait soulever cette question sans qu'on le lui reproche. Le simple fait que nous en discutions constitue un progrès.
Pouvons-nous débattre du bien-fondé de cette option et envisager les preuves et les données scientifiques? Nous ne pourrons nous entendre, j'en suis certain. Par exemple, je ne partage pas l'avis de la Dre Kenny en ce qui concerne les preuves touchant les systèmes parallèles et ce qu'ils peuvent ou ne peuvent accomplir. Il serait avantageux d'en discuter et de demander comment on interprète la situation en Australie, l'expérience du Royaume-Uni, et ainsi de suite. Nous devrions tenir ce débat, et une certaine logique nous permettrait de dire que «nous n'avons jamais vraiment eu l'option que nous croyons avoir, et nous devrions l'abandonner le plus tôt possible» ou que «oui, l'option est valide, et oui, nous pouvons la faire fonctionner».
Bien sûr, nous allons réduire les coûts en même temps. Il ne s'agit pas de choisir l'un ou l'autre, c'est-à-dire de générer le plus d'argent ou de réduire nos coûts. Nous pouvons faire les deux. De fait, l'adoption d'une formule financière différente permettant de recueillir plus d'argent constitue aussi un moyen de faire baisser nos coûts à l'interne, car elle favorisera la rétroaction et incitera les fournisseurs de services à réduire leurs coûts. Par exemple, si nous voulons que les hôpitaux publics réduisent leurs coûts, je crois que la meilleure solution consiste à les forcer à faire concurrence à des hôpitaux privés qui dispensent les mêmes services à des clients payeurs. Ce serait peut-être plus efficace qu'une solution administrative.
Je suis sûr que nous n'arriverons pas à bout de ce débat.
J'aimerais soulever un point supplémentaire concernant les commissions des accidents du travail, qui favorisent une médecine à deux vitesses en payant plus cher les services dispensés par les hôpitaux et les médecins, de façon à ce que leurs patients soient traités en premier. Cela se produit non pas parce que les CAT aiment dilapider leur argent, mais parce qu'elles sont responsables d'assumer tous les coûts liés aux accidents du travail. Autrement dit, elles doivent assumer tous les frais liés aux congés de maladie du travailleur. Si le travailleur doit attendre six mois pour une intervention chirurgicale, les CAT paieront la note.
Dans l'autre partie du système public de soins de santé — c'est-à-dire le système classique où chacun d'entre nous participe — ce n'est pas la même chose. On refile ces coûts aux particuliers. La personne qui doit attendre six mois ou un an pour subir une intervention doit compenser les pertes de revenu et, en raison de son incapacité, recourir à une aide à domicile.
Le simple fait que les CAT soient disposées à payer plus cher pour obtenir un service plus rapide montre qu'à long terme le jeu en vaut la chandelle, car elles réalisent des économies. Elles sont libres de choisir, et elles choisissent cette option parce qu'elle leur permet d'économiser de l'argent à long terme.
Le sénateur Roche: En ce qui concerne les chiffres que j'ai avancés, l'ensemble du système coûte actuellement 100 milliards de dollars, selon une répartition 70 p. 100-30 p. 100. Le Dr Sinclair affirme qu'il faut 10 p. 100 pour procéder à une restructuration, soit sept milliards de dollars, dont la note serait partagée également entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Est-ce viable? Chaque ordre de gouvernement aurait donc à contribuer 3,5 milliards de dollars par année. Sommes-nous capables d'échapper au dilemme actuel en demandant au gouvernement fédéral et aux provinces de verser 3,5 milliards de dollars chacun par année pendant les dix prochaines années? Quel est votre point de vue?
M. Lozon: Non, on ne peut en sortir. Premièrement, il est très improbable qu'une province comme la Saskatchewan participe à une telle initiative, et il est certainement improbable que l'Ontario, qui verserait 1,5 des 3,5 milliards de dollars soit disposé à investir davantage dans un budget de santé qui s'élève actuellement à environ 23 milliards de dollars. Je n'ai pas tous les chiffres, mais à vue de nez, cela n'a pas l'air vraisemblable.
Le sénateur Roche: Vous croyez que les provinces refuseront d'investir davantage, même si nous arrivions à convaincre le gouvernement fédéral de fournir plus d'argent pour restructurer le système de soins de santé?
M. Lozon: Les provinces estiment déjà payer au maximum de leur capacité.
Le sénateur Roche: C'est l'impasse. Serait-il vain de recommander que les provinces partagent les coûts de restructuration du régime d'assurance-maladie?
M. Lozon: Même la dernière fois que cette question a été soulevée, en septembre 2000, lorsque les premiers ministres ont conclu leur accord sur la santé, le chiffre était de 23 milliards de dollars sur cinq ans, et toute la somme devait être assurée par le fédéral. J'ai tendance à croire que, si cette idée était viable, on aurait pu l'adopter à l'époque.
Je parle en mon nom uniquement — je ne représente aucun organisme gouvernemental —, mais je doute que les provinces ne s'entendent sur le besoin d'injecter 3,5 milliards de dollars de plus.
Le sénateur Roche: Est-ce cette situation qui vous pousse à croire que nous devrions envisager une certaine privatisation en vue d'obtenir le financement supplémentaire?
M. Lozon: Le débat initial consistait à déterminer si on pouvait trouver une autre source de revenu, probablement auprès du public canadien, afin d'accroître les ressources. J'ai soulevé l'autre question, car je souhaitais qu'on en parle. À mon avis, si on opte pour une imposition accrue, qu'il s'agisse d'un impôt spécialement affecté ou d'un impôt général, on parle d'injecter des sommes considérables dans un système qui, au cours des six à dix prochaines années, connaîtra une croissance inévitable et coûtera plus cher.
Le président: Le comité n'a pas examiné les chiffres. On a posé la question au Dr Sinclair parce qu'il a travaillé sur une proposition de restructuration en Ontario.
Le sénateur Keon: M. Davis a répondu à ma question.
[Français]
Le sénateur Pépin: Je suis très heureuse que vous ayez accepté de nous faire partager votre expertise.
[Traduction]
Je partage les préoccupations du sénateur Keon en ce qui concerne les fournisseurs de soins de service et l'information pour les utilisateurs. J'aimerais revenir à la question de l'éducation du public, dont nous avons parlé plus tôt.
De nombreuses personnes ici sont de la génération qui a vu naître le système de soins de santé dans les années 60. J'étais infirmière à l'époque, et nous travaillions de concert avec les médecins. Nous faisions même des visites à domicile avec les médecins. Nos méthodes étaient bien établies, mais par la suite, le système a changé.
Je crois que l'information du public est impérative et que nous devons en faire une priorité. Nous devons aussi songer à informer le public des nouvelles technologies disponibles. Nous avons parlé de l'importance d'une telle sensibilisation, et nous devons utiliser les nouvelles technologies pour créer un système de soins de santé plus efficace.
La majorité des utilisateurs du système seront âgés de 65 ans et plus. Or, il s'agit du groupe qui se montre le plus réticent à l'égard des nouvelles technologies. Je rends visite à des aînés à l'occasion, et je leur parle de personnes qui sont formées pour montrer aux aînés comment utiliser un ordinateur. Ils refusent de tenter l'expérience, ils refusent même d'utiliser leur carte Interac, car ils craignent que quelqu'un accède à leur comptes bancaires. Une part importante des renseignements publics seront conservés sur support informatique, et cela me préoccupe, parce que les aînés ont des attentes si élevées.
Vous avez affirmé que le Canada est trentième au chapitre de la qualité des soins. C'est parce que la majorité s'attend à des soins de santé complets et de première qualité. Quelqu'un a fait référence à notre amour des hôpitaux. Nous connaissons les difficultés que cela occasionne lorsque deux hôpitaux fusionnent et que les gens s'inquiètent parce qu'ils devront se rendre dans un établissement qu'ils ne connaissent pas bien — il y aura peut-être de nouveaux médecins et de nouveaux services. Nous devons trouver un moyen d'encourager les gens à consigner leurs renseignements sur support informatique, peut-être au moyen d'incitatifs fiscaux. Cela serait peut-être efficace auprès des baby-boomers. À l'heure actuelle, les aînés constituent probablement la majorité. Toutefois, seules les personnes plus aisées accepteront cette nouvelle technologie, alors que la majorité fera la sourde oreille.
Lorsque nous parlons d'éducation, nous parlons de médecins, d'infirmières et de travailleurs sociaux. Comment informer les gens des nouvelles techniques recherchées par les médecins et les infirmières? Qui s'en chargera? Comment s'y prendra-t-on?
Nous avons parlé de la technologie et de ce que nous devons faire au chapitre du financement. J'appuie tous les débats que nous avons tenus, mais l'un des enjeux les plus importants tient aux méthodes que nous utiliserons auprès de ce groupe de personnes. Jusqu'à maintenant, nous avons parlé d'aspects pratiques. Les questions liées aux personnes seront très difficiles à résoudre.
De plus, si nous voulons que la population nous soutienne au lieu d'être en colère — parce qu'elle ne comprend pas ce que qui se passe —, nous devons envisager divers moyens de l'informer, par exemple, grâce aux médias contemporains. J'appuierais une telle démarche, mais je crois que nous devons consacrer autant d'efforts à discuter de la collecte de fonds et de la technologie.
Le problème que je soulève est le suivant: si nous organisons tout cela et présentons nos idées sans les expliquer, les gens seront déroutés. De plus, si nous n'expliquons pas ce que nous faisons, la majorité remettra en question notre capacité de protéger la confidentialité. Et nous ne parlons même pas de soins à domicile, où la situation est la même.
Avez-vous de bonnes idées pour que nos solutions deviennent réalité? Je crois que c'est la clé du succès, si nous voulons que la population accepte la notion de restructuration. La population doit comprendre cette notion, sans quoi le problème reste entier.
La Dre Kenny: Je crois que vous soulevez un enjeu très important. Je n'ai pas la réponse, mais j'aimerais signaler que, très souvent — et on en parle même dans quelques-uns de vos volumes —, lorsqu'on énonce les facteurs qui accroissent le coût des soins de santé, on fait référence au vieillissement de la population. Il est extrêmement important de bien choisir ses mots lorsqu'on aborde ce sujet. Premièrement, nous savons que la montée des coûts est liée non pas au vieillissement, mais bien aux pratiques dans le domaine. Le sénateur Morin a mentionné cette tendance à recourir à la dialyse plus tard ou à effectuer des procédures cardiaques sur des personnes âgées.
Pourtant, si on consulte la documentation empirique relative à la prise de décisions éclairées par les aînés, y compris au sujet de questions comme l'élaboration d'un testament biologique avant que ne surviennent des problèmes de santé, les résultats sont vraiment épouvantables. Notre rendement à ce chapitre est très médiocre.
En raison de ma profession, je dois souvent composer avec des dilemmes moraux. Je suis témoin de situations où des aînés croyaient que leur médecin voulait qu'ils subissent une intervention donnée, ou croyaient que leur médecin disait qu'ils avaient besoin d'une chimiothérapie, alors que, de fait, s'ils avaient vraiment compris, ils auraient pris une toute autre décision. Ils auraient été prêts à prendre une décision différente, peut-être plus appropriée — cela correspond parfois à recourir à la technologie, mais aussi à y renoncer.
Maintenant, en réponse à la question du sénateur, j'aimerais dire deux choses.
Premièrement, prenez soin, dans votre rapport, de ne pas présenter la population vieillissante, qui reflète en partie les progrès de la médecin moderne, comme problème, simplement parce qu'elle vieillit. Cela dénoterait une attitude très douteuse et âgiste.
Par contre, la question de la prise de décisions respectueuses et appropriées à l'égard de ce groupe, qui passe à la dernière étape de sa vie, devient extrêmement importante. Vous avez raison de dire que l'enjeu ne concerne pas les technologies de l'information, mais il n'en demeure pas moins que certains aînés manifestent un intérêt réel pour la technologie et la connaissent bien. Toutefois, la majorité d'entre eux auront certainement besoin que le personnel de soins de santé leur explique les recherches, les avantages et les risques.
J'aimerais donc revenir à la question de la réforme des soins primaires, dont il a été question au début, ainsi qu'au mode de paiement des médecins. Même lorsqu'on ne tient pas compte de l'achalandage ou du style de pratique, la moyenne des médecins sont angoissés par l'idée de ne pas pouvoir accorder aux patients, en particulier les aînés et les personnes aux prises avec une maladie terminale, tout le temps, les communications et le soutien dont ils ont besoin. Ainsi, nous devons prendre des décisions plus difficiles et fournir plus d'options à une époque où le médecin et l'infirmière — ou quiconque est le plus près du patient, mais c'est généralement le médecin — ont moins de temps pour aider le patient à comprendre l'information et comment elle s'applique à lui.
La recommandation selon laquelle nous devrions prêter une attention particulière à la prise de décisions déclarées par les aînés et les personnes atteintes de maladies chroniques ou terminales devrait devenir un engagement ferme envers l'éducation. C'est une question importante, car de nombreuses personnes mourantes reçoivent des soins appropriés. J'ai entendu le sénateur Carstairs parler du besoin absolu de soins convenables en fin de vie. Nous ne sommes mêmes pas près d'atteindre cet objectif. Il y a beaucoup d'interventions inappropriées. Cela montre en quoi notre système actuel ne nous aide aucunement à bien traiter ce groupe de personnes envers lesquelles, selon moi, nous avons une obligation spéciale.
M. Lozon: Vous avez soulevé une question très large. Parfois, lorsqu'on parle du système de soins de santé, on parle d'ajouter de l'argent, de recourir à de nouvelles technologies, d'améliorer la planification des ressources humaines ou de restructurer les établissements et les soins communautaires. Toutefois, notre raison d'être, c'est-à-dire prendre soin des gens, c'est notre point fort. Notre système est fort parce qu'il est fondé sur — comme l'a souligne la Dre Kenny plus tôt — la compassion et la compréhension entre deux êtres humains.
Lorsqu'on parle d'établir des systèmes d'information supplémentaires ou de procéder à une certaine restructuration, nous avons peut-être tendance à ne pas tenir compte du fait que de telles initiatives s'inscrivent dans un système qui repose sur la compassion, et qu'elles ne peuvent être que des compléments.
Je suis vraiment encouragé par le nombre de patients qui me demandent pourquoi les gens ne jouissent pas d'un accès accru aux technologies de l'information.
Les préoccupations que vous avez soulevées concernant la protection des renseignements personnels sont très réelles. Cet enjeu gagne en importance lorsque nous nous efforçons d'assurer une meilleure tenue de dossiers médicaux grâce à des outils électroniques. Après plusieurs décennies d'attente, j'affiche un optimisme prudent, car l'information semble beaucoup plus accessible et est présentée sous une forme beaucoup plus conviviale qu'autrefois.
M. Davis: Je reviens sur la question du travail d'équipe, déjà soulevée à deux reprises aujourd'hui, sur les moyens d'encourager les professionnels de la santé à travailler ensemble, car cette relation de travail n'est plus ce qu'elle était. Il s'agit, d'abord et avant tout, d'une question de leadership de la direction au sein du système de soins de santé. Les gouvernements peuvent éliminer certains obstacles législatifs, et ils devraient le faire.
Toutefois, nous devons nous attacher à recruter des dirigeants de premier ordre pour le système de soins de santé, et à assurer leur perfectionnement. C'est un environnement très large et très complexe, et nous devrions chercher les meilleurs dirigeants, ceux qui peuvent prendre efficacement les commandes dans un contexte où le travail d'équipe prime.
Cette préoccupation n'est pas propre aux soins de santé. L'autre jour, j'ai rencontré le président de l'Université de Calgary. Il m'a raconté que lorsqu'il se rend au centre-ville de Calgary et demande aux dirigeants du secteur du pétrole et du gaz ce qu'ils attendent des universités, ces derniers répondent qu'ils veulent plus d'ingénieurs, mais qu'ils cherchent des ingénieurs et des techniciens qui peuvent travailler en équipe, réfléchir de façon latérale, comprendre les préoccupations des Autochtones et posséder une gamme d'aptitudes plus étendues. Nous devons chercher ce type de dirigeant pour réussir à encourager de tels comportements dans le domaine des soins de santé.
Ce serait une erreur de croire que la modification des champs d'activité, en soi, favoriserait automatiquement le travail d'équipe. C'est vraiment une question de gestion du leadership.
Le président: J'aimerais poser au groupe de témoins deux questions qui n'ont aucun rapport entre elles.
Premièrement, puisque vous provenez de cinq provinces différentes, pourriez-vous nous donner une idée de ce que vous estimez être le rôle du gouvernement fédéral en matière de restructuration? Je pose cette question en partie parce que — comme vous l'avez probablement constaté en lisant le volume 5, nous étions extrêmement frustrés lorsque le gouvernement fédéral a annoncé, dans le cadre de l'entente de septembre 2000, qu'il affecterait un milliard de dollars à l'achat d'équipement, sans qu'on sache vraiment où l'argent est allé, ni même s'il a effectivement été utilisé pour acheter de l'équipement. Si vous lisez entre les lignes, le volume cinq révèle notre point de vue selon lequel le gouvernement fédéral, s'il crée un impôt affecté à une fin spéciale, devra s'assurer que l'argent sera injecté, premièrement, dans le système de soins de santé, et, deuxièmement, dans le type d'initiative dont nous avons parlé aujourd'hui, comme la restructuration.
J'aimerais donc savoir, de façon générale, quel rôle vous attribuez au gouvernement fédéral? Doit-il se contenter d'injecter de l'argent et de se croiser les doigts, ou doit-il exercer un certain pouvoir et assortir son investissement de conditions? C'est la première question.
Deuxièmement, comme nous l'avons expliqué clairement dans le rapport, notre vingtième principe, celui qui porte sur la garantie relative aux soins, qui promet aux gens qu'on établira un délai d'attente maximal pour diverses procédures et que la durée du délai d'attente dépendra de la procédure, avait pour but de déplacer la pression exercée sur le patient. Maintenant, le rationnement exerce de la pression sur le patient, en prolongeant le délai d'attente, et sur les fournisseurs de services de première ligne, car ils sont surchargés. Nous voulons remettre cette pression sur ceux qui l'ont créée au moyen d'une mesure de rationnement et de contrôle budgétaire globaux, c'est-à-dire les gouvernements provinciaux.
Je ne crois pas que nous l'ayons dit aussi brusquement, mais c'est un important facteur sous-jacent de la garantie de soins, outre le fait que la garantie visait à résoudre la principale plainte concernant le système.
Si une telle garantie existait, plusieurs d'entre vous seriez tenus de la respecter ou de voir les patients se faire soigner ailleurs, peut-être aux États-Unis. J'aimerais entendre vos commentaires sur cette question.
Le sénateur Morin: De nombreux membres du groupe de témoins ont signalé que certains enjeux étaient, pour vous citer, «purement provinciaux», comme la réforme des soins primaires, le financement des hôpitaux et ainsi de suite. Selon vous, quel est le rôle du fédéral? Avez-vous une idée de l'ordre de priorité des enjeux à l'égard desquels le gouvernement fédéral pourrait réagir, contrairement à ceux qui relèvent de compétences qui sont si purement provinciales qu'on ne pourrait pas vraiment proposer de solutions même s'il y en avait une?
Le président: Prenons l'exemple de la technologie. Certains d'entre nous ont demandé — le plus sérieusement du monde — pourquoi, si vous vouliez injecter un milliard de dollars dans la technologie, vous n'avez pas donné l'équipement au lieu de verser l'argent? Au moins, vous auriez su où était allé l'argent.
Est-ce que quelqu'un aimerait commenter? La plupart d'entre vous avez exercé les fonctions de sous-ministre à un moment ou à un autre?
Monsieur Forget, je vois que vous êtes le seul à avoir été ministre. Je commencerai par vous.
M. Forget: Monsieur le président, vous vous souviendrez que j'ai tenté, à l'occasion de ma dernière intervention devant votre comité, de dévier des questions fédérales-provinciales, mais cette dernière question est si directe. Finalement, je crois qu'elle est essentielle au succès de votre recommandation.
Ottawa et les provinces sont, pour ainsi dire, dans le même bateau. Ils peuvent décider de coopérer ou de ne pas coopérer. Bien sûr, nous avons des exemple de comportements peu coopératifs de la part des provinces.
À titre d'exemple, le fait d'attribuer tous les problèmes à la réduction des transferts du gouvernement fédéral, et de tenter de tirer la couverture de son côté sur des questions de visibilité politique, dénote une attitude peu coopérative. Évidemment, ces enjeux varient d'un territoire à l'autre.
Pour sa part, le gouvernement fédéral pourrait se montrer peu coopératif en adoptant l'attitude suivante: «Établissons quelque chose qui peut être exécuté sans conclure d'entente avec les provinces sur les enjeux fondamentaux de la santé, et créons des programmes fédéraux autonomes et isolés.» On peut aussi trouver quelques exemples de cela. À l'époque où j'étais en politique, je me souviens d'un «programme d'initiatives locales» qui avait beaucoup froissé les provinces, car il s'agissait de subventions de démarrage, et la plupart de ces subventions s'étaient épuisées après trois ans. Bien sûr, le problème politique était où vous savez, et cela a suscité beaucoup de bruit et d'angoisse sur le plan politique.
Je crois qu'il est plus constructif d'au moins essayer de coopérer. Pour ce faire, il faudrait se défaire de cette dissension à laquelle faisait allusion le Dr Morin dans sa question. Est-il possible d'attribuer quelque chose à l'ensemble des programmes de soins de santé, avec ou sans l'accord des provinces, et d'être certain que l'argent sera utilisé aux fins prévues?
Au contraire — et c'est ce que j'ai tenté de faire ressortir dans mes remarques —, pour ce qui est de ces aspects qui sont purement provinciaux, Ottawa peut, paradoxalement, jouer un rôle très important, mais cela suppose de porter conjointement l'odieux politique qui découlerait des grandes transformations qui s'imposent. De tels changements ne peuvent avoir lieu sans l'aide d'une province donnée, sinon ce serait déjà fait. On connaît ces problèmes depuis longtemps, mais, politiquement, il est presque impossible de résoudre ces questions sans concertation. De plus, les ordres professionnels et la syndicalisation très compartimentée de tous ces groupes ajoutent à la rigidité du processus. Il est très important de déterminer quels services sont couverts et lesquels ne le sont pas. C'est une question cruciale. Elle est plus importante que celle de l'équipement. La question de l'équipement pourrait se résoudre toute seule si notre système fonctionnait bien, car il y aurait une demande et, peut-être, un système de financement fondé non pas sur le budget global, mais bien sur la prestation de services.
Il n'est pas logique, lorsqu'un problème survient, de dire que le gouvernement doit intervenir et résoudre le problème. Ce sont des questions de gestion. Nous devons nous demander pourquoi les gestionnaires, c'est-à-dire ceux qui constatent l'existence de ces problèmes, ne sont pas en mesure de les résoudre. Ils ne sont pas capables de les résoudre parce qu'ils portent des camisoles de force. Changeons tout cela, et le gouvernement fédéral pourra jouer un rôle déterminant à l'égard de questions relevant de compétences purement provinciales, non pas pour remplacer les provinces ou leur forcer la main, mais bien avec leur coopération.
C'est comme le dilemme du prisonnier. On peut coopérer pour le bien de tous ou tenter d'optimiser nos positions respectives séparément, ce qui aggravera les choses.
On résout un problème et on en crée un autre en même temps.
À mon avis, le défi consiste non pas à distinguer les compétences fédérales des compétences provinciales, mais bien à s'attaquer à l'ensemble du problème. Je crois que si on pressent les provinces de la bonne façon, elles réagiront positivement si elles savent que le gouvernement fédéral est disposé à partager le coût politique lié aux changements, malgré le cynisme qui a marqué les tentatives antérieures. Avouons-le, il ne s'agit pas uniquement de jouer au Père Noël et de dire: «Voici un milliard de dollars.» Cela paraît bien et semble gentil, mais c'est un geste politique tout à fait gratuit. C'est un geste qui, inévitablement, divisera les intervenants dans le système. Trop de forces doivent être dérangées, de sorte qu'il est impossible, politiquement, d'apporter des changements sans qu'il y ait de répercussions. Les gens vous détesteront, mais c'est ce qui doit être fait.
M. Lozon: Il n'est jamais idéal de prendre la parole après une personne aussi éloquente que M. Forget, mais je tiens à soutenir ses commentaires sur l'adoption d'une approche coopérative, son importance d'assumer conjointement les avantages et les désagréments.
Je parlerai des caractéristiques de ce que j'appellerais un «rôle étendu du gouvernement fédéral au chapitre du financement». Premièrement, le financement doit être complet. Il ne saurait être partiel. Il ne s'agit pas d'aller chercher des sommes supplémentaires auprès des provinces.
Le président: Pour être clair, vous ne parlez pas d'une formule de partage des coûts où nous payons X et ils paient...
M. Lozon: Cela correspond à mon deuxième point c'est-à-dire le financement ciblé. Si le financement est ciblé, il ne peut être partiel. Il s'agit d'un financement complet, ciblé et, plus important encore, permanent.
À la table de négociation fédérale-provinciale, on a l'impression que le gouvernement fédéral peut impunément injecter de l'argent lorsqu'il en a, et le retirer lorsqu'il n'en a pas. Je ne crois pas que cela reflète l'esprit de coopération dont parlait M. Forget. Je crois que nous devrions envisager un financement complet, ciblé et permanent.
En fait, j'ai des compliments pour le gouvernement fédéral, qui, selon moi, a effectué quelques investissements stratégiques. L'investissement dans l'Institut canadien d'information sur la santé est judicieux. L'investissement dans l'innovation en matière de recherche sur la santé est énormément important pour notre pays. L'Inforoute santé est aussi un très bon investissement. D'un point de vue stratégique, le gouvernement a pris de bonnes décisions. Comme l'a souligné M. Forget, les provinces coopéreront si on les pressent d'une façon convenable.
Enfin, j'aimerais porter un dernier point à votre attention, soit la santé et la vitalité futures des écoles de médecine et des centres médico-hospitaliers universitaires du Canada.
Le sénateur Morin: J'ai assisté à la rencontre des doyens au cours de la fin de semaine, dans la belle ville de Calgary, et c'est exactement ce qu'ils ont dit.
M. Scott: Je suis d'accord avec tout cela. Toutefois, cela occasionne un grave problème de crédibilité, car il faudra effacer ce que les provinces perçoivent non pas comme quelques années, mais bien comme plusieurs décennies de participation du gouvernement fédéral à divers programmes de financement, au gré de ses caprices. Je crois qu'il est plutôt déprimant de voir que nous en sommes au point où il faut d'abord rétablir la confiance avant d'obtenir une coopération des deux ordres de gouvernement. Je crois que la première étape consiste à adopter une certaine forme de financement stable, et vous avez abordé cette question.
Le président: Parlez-vous de financement stable pour le système actuel, par opposition à un système restructuré?
M. Scott: Oui, de façon à ce qu'on établisse clairement qu'il y a un engagement à long terme des gouvernements provinciaux et fédéral, et qu'ils collaborent réellement afin de payer ce qu'il y a à payer maintenant, même si cela n'est peut-être pas suffisant. En adoptant une perspective à long terme, plus stable, on est plus susceptible de réussir la transition vers un financement ciblé dans d'autres domaines.
Si, par exemple, vous exauciez mon vœu et affectiez des fonds pour accélérer l'établissement de systèmes d'information partout au pays, je sais que certains dirigeants provinciaux avanceraient que nous voulons seulement montrer qu'ils ne font pas du bon travail, car on les a sous-financés dans ces autres domaines. Nous devons mettre fin à ce cynisme, et je crois que la première étape consiste à prévoir un financement stable.
M. Davis: Le gouvernement fédéral doit absolument assumer un rôle plus important au chapitre du soutien financier du système de soins de santé. Lorsqu'un gouvernement contrôle une part si importante de l'assiette fiscale, il est tout à fait illogique de ne pas participer plus pleinement au plus gros programme social du pays.
Si on se penche sur les dépenses du gouvernement fédéral, on découvre qu'il paie l'intérêt sur sa dette et transfère de l'argent à des particuliers, mais qu'il ne participe pas vraiment de façon significative aux soins de santé ou à l'éducation, nonobstant le TCSPS. Le gouvernement doit s'investir davantage, et, pour ce faire, je proposerais le versement d'un montant par habitant, ajusté selon l'âge, à chaque province, sans tenir compte du régime de péréquation et du TCSPS, une somme plancher. Aux États-Unis, le réseau routier inter-États n'aurait jamais été créé si on n'y avait pas affecté un financement de base et certains revenus.
J'ai déjà parlé du recours à des incitatifs fiscaux pour encourager l'adoption de comportements favorisant le mieux- être. C'est là une occasion importante, car le gouvernement fédéral contrôle largement l'imposition au pays. Toutefois, je n'adhère pas à l'idée de mes collègues selon laquelle toute initiative doit découler d'une coopération entre les provinces et le gouvernement fédéral, car cela ne se produira tout simplement pas. On peut tenir une série de rencontres des ministres ou sous-ministres fédéraux-provinciaux, et le ministre fédéral de la Santé actuel est probablement aussi apte que tous autres élus responsables de ce domaine au pays, mais je crois toujours que ce sera difficile.
Ce serait comme la FCI, une initiative stratégique brillante qui fonctionne très bien. Les provinces n'étaient pas d'accord, et elles se sont opposées énergiquement lorsque...
Le président: Vous faites référence à la Fondation canadienne pour l'innovation?
M. Davis: Oui. La fondation fait exactement ce qu'elle doit faire. Elle met l'accent sur l'excellence et le renforcement des capacités de recherche, et les provinces ont fini par la soutenir, car elles voient les avantages que la Fondation procure.
Le seul domaine où je vois un réel potentiel d'investissement fédéral est la création du dossier médical électronique. Si on veut un système national de soins de santé, il faut un dossier médical national. Il est tout à fait canadien d'avancer que cela ne peut être fait, ou qu'il faut le faire en consultation avec les provinces, avec tous les systèmes de santé du pays, mais il suffit de penser au nombreux systèmes nationaux et internationaux d'information. Il est possible d'utiliser sa carte Visa dans un guichet automatique partout dans le monde, et de procéder à une transaction financière assez confidentielle et complexe. J'encouragerais le gouvernement fédéral à créer tout simplement le dossier médical électronique national, à le financer, et, s'il le veut, à le considérer comme un service assorti de frais de transaction — ou d'une autre structure convenable — et d'adopter une architecture de TI assez souple pour qu'on puisse y ajouter des volets à l'échelon local. Nonobstant les efforts que nous allons déployer en ce sens à Calgary ainsi que les travaux avec M. Lozon et Santé Canada, nous avons des consortiums multirégionaux qui tentent d'établir des consortiums provinciaux. Ce sera très complexe si on procède de cette façon. Il s'agit d'un domaine où la technologie est disponible, et il suffit de faire preuve de volonté et d'effectuer un investissement considérable. Allons-y. Une telle initiative contribuera davantage à la pérennité des soins de santé publics dans un système national de soins de santé que toute autre initiative isolée.
Le sénateur Roche: J'ai entendu plusieurs commentaires qui abondent dans le même sens: l'argent supplémentaire nécessaire à la restructuration du système de santé canadien devrait provenir uniquement du gouvernement fédéral.
M. Davis: Je ne dirais pas cela; ce que je dis, c'est qu'il doit choisir soigneusement ses initiatives et se faire discret, de façon à mettre en place l'infrastructure de base d'un dossier médical électronique, même si certaines composantes sont controversées. Je ne crois pas que le gouvernement fédéral devrait prendre part à la réforme des soins primaires ou des aspects du système qui sont liés à la prestation de services.
Il doit mettre sur pied l'infrastructure de base. Ce serait bien d'avoir une bonne route transcanadienne, car cela procurerait certains avantages économiques pour de nombreuses provinces. Il en va de même pour le dossier médical électronique. Il permettrait une réforme des soins primaires et favoriserait le contrôle des coûts, de sorte que les autorités provinciales auraient la possibilité de procéder à une restructuration et à une réforme.
Le gouvernement fédéral s'est engagé dans une certaine voie sans y réfléchir de façon approfondie, et a financé 10 000 projets pilotes liés à tous les types de réforme imaginables. Cela a créé énormément de travail au chapitre de la préparation et de l'évaluation des soumissions. Les provinces ont dû se doter de bureaucraties pour gérer les initiatives du gouvernement fédéral et leurs propres initiatives. Cela a exercé une pression énorme sur nombre de fournisseurs, qui sont devenus plus efficaces pour rédiger et évaluer des propositions que pour dispenser des soins, ou qui y consacrent plus de temps.
Le sénateur Roche: Si de telles mesures étaient prises, est-ce que cela éliminerait le besoin pour les provinces d'injecter de l'argent dans la réforme du réseau de prestation de services? Est-ce que les réformes découleraient de cette extrapolation nationale dont vous avez parlé?
M. Davis: Toute restructuration a un coût. Par contre, si on est doté de cette infrastructure habilitante, l'initiative devient plus facile et moins coûteuse. Quelle est la plus grande partie de la réforme? Partout au pays, on réfléchit beaucoup à la façon de réformer le réseau de services. Il nous manque les facteurs habilitants, et l'un des facteurs mentionnés est l'information, ce qui nous ramène à la réalité d'un dossier médical électronique et d'un répertoire central des dossiers.
La Dre Kenny: Jusqu'à il y a environ trois minutes, je croyais pouvoir m'exclamer «Je suis d'accord avec M. Davis aujourd'hui.» Ensuite, il a dit quelque chose que je n'accepte qu'à moitié. M. Lozon a mentionné plus tôt qu'il était préoccupé par la portée et l'opportunité de ce que vous faites. Si, de fait, sous la rubrique générale de l'amélioration de l'information pour favoriser la prise de décisions éclairées par tous les partenaires, vous en limitez la portée, nous devrions opter pour le dossier médical électronique. Le pouvoir de cette initiative de nous aider à penser différemment à un si grand nombre d'autres choses est d'une importance cruciale. Je suis capable d'aller en Afrique, d'utiliser ma carte Interac de la Banque Scotia dans un guichet automatique, je reçois des rand sud-africains, et on porte une somme en dollars canadiens au débit de mon compte.
Si vous vous mettez à réfléchir à la portée et à la solution de facilité, optez pour celle-là. Je crois que c'est un élément clé pour l'adoption d'une attitude différente concernant l'utilisation de l'information et des preuves pour la prise de décisions éclairées.
Je ne sais pas comment le gouvernement fédéral y parviendra, mais je crois qu'il est le seul à pouvoir le faire. C'est lié à la réforme des soins primaires. Je ne peux quitter la séance d'aujourd'hui sans vous répéter ce que l'on vous a déjà dit à maintes reprises, et que vous avez très bien compris. Notre incapacité de procéder à une réforme importante des soins primaires découle directement des problèmes liés aux chasses gardées, au partage des pouvoirs et à la rigidité de nos syndicats. C'est un problème fondamental. Ce n'est pas que la réforme des soins primaires occasionnerait la réforme de tous les soins; il faut mieux saisir cette question de collaboration et utiliser l'expertise dont on dispose de façon plus appropriée.
J'ignore ce que le gouvernement fédéral pourrait faire, à part assurer une certaine forme de leadership moral. Peut- être qu'une idée géniale me viendra vers 2 heures du matin. Je dois néanmoins soulever la question.
Il est tellement frustrant de vivre dans une province qui reçoit des fonds fédéraux pour l'un de ces projets pilotes, — et la description que nous avons entendue concernant le temps et l'énergie consacrés à ces projets était modeste. Il s'agit de petits projets, et même lorsqu'ils réussissent, rien ne se produit. Le financement cesse lorsque le projet prend fin, même lorsqu'on sait que le projet fonctionnait bien. On les qualifiait de «programmes de boutique». C'est un enjeu important, et si vous songez à recommander le versement de financement fédéral ciblé, vous devrez déterminer comment une telle formule pourra mener à une transformation durable. Sinon, le jeu n'en vaut pas la chandelle. Le financement doit être total, car l'obtention de subventions fédérales qui supposent une contrepartie ne sont acceptables que lorsqu'on se trouve à Vancouver ou à Toronto. Cependant, lorsqu'on est à Halifax, il est inutile d'avoir 500 000 $ de subventions si on est incapable d'obtenir l'autre demi-million de dollars. C'est si démoralisant. Il doit s'agit de financement initial ciblé. Vous devez vous assurer d'obtenir des résultats visibles. Votre initiative doit tenir compte de l'importance cruciale de la réforme des soins primaires.
Le président: Vous insistez sur le fait que le financement doit être permanent.
M. Davis: Ne perdez pas de vue le fait que le rôle du gouvernement fédéral ne coûte absolument rien: assurer un leadership moral, tenter de proposer davantage de solutions et adopter une attitude moins antagoniste. C'est, selon moi, à cet égard que le gouvernement fédéral pourrait contribuer à la réforme des soins primaires, c'est-à-dire en présentant les trois ou quatre enjeux clés d'une façon positive et constructive, de façon à aider les provinces à aller de l'avant au lieu de les limiter.
Le ministre de la Santé actuel peut jouer ce rôle. Il est important de tenir le même langage auprès des Canadiens, pour montrer que nous devons aller de l'avant. On pourrait jeter des bases positives à l'égard du dossier médical électronique, qui, à une certaine étape, sera controversé. Nos dirigeants politiques doivent dire aux gens de ne pas avoir peur. Il y a des problèmes, mais nous allons les résoudre. Cette initiative procurera d'énormes avantages globaux, et c'est pourquoi nous devons saisir l'occasion et aller de l'avant.
Le Dr Vertesi: Je suis d'accord avec M. Davis, surtout en ce qui concerne le dossier médical électronique.
J'aimerais insister sur quelques points. Même s'il est important pour le gouvernement fédéral de savoir ce qu'il devrait faire, il est tout aussi important qu'il sache ce qu'il ne doit pas faire.
Voici une image qui vous permettra de mettre en contexte l'importance de la réforme des soins primaires. Je suis d'accord avec la Dre Kenny lorsqu'elle insiste sur l'importance de cette réforme, et je vous invite à vous demander comment vous vous sentiriez si votre belle-mère vous disait comment faire les choses, même avec les meilleures intentions. Cela ne fonctionne pas. Il y a des choses, comme la réforme des soins de santé primaires, qui doivent être effectuées par les fournisseurs, car le souci du détail est incroyablement important. Le gouvernement fédéral ne peut y parvenir et ne peut se pencher sur les détails.
Nous devons fournir aux provinces suffisamment de souplesse pour leur permettre d'adopter les processus qui répondent le mieux à leurs besoins locaux et mettre à l'essai certaines choses qu'elles ne connaissent pas bien. Le gouvernement fédéral, malgré toutes ses bonnes intentions, peut miner cette souplesse.
Je m'étonne que personne ne parle de la Loi canadienne sur la santé, qui est, bien sûr, la principale source d'intervention fédérale dans le domaine des soins de santé.
Les médias en ont beaucoup parlé. Je ne suis pas assis à la table ministérielle, mais j'entends dire que le gouvernement fédéral inhibe cette souplesse dont ont besoin les provinces. J'entends parler de gouvernements provinciaux qui ne veulent pas enfreindre la loi, mais qui sont prêts à en tester les limites.
L'un des rôles du gouvernement fédéral consiste à ne pas gêner le travail des provinces. Si c'est ce que fait la Loi canadienne sur la santé, nous devons corriger la situation. L'objectif principal de la Loi canadienne sur la santé était d'assurer l'accès aux soins. C'est un objectif que j'appuie tout à fait. Toutefois, est-ce que la loi atteint encore son objectif? À l'époque où on l'a rédigée, l'incapacité de payer les services était considérée comme un substitut pour l'absence d'accès, et on l'utilisait comme telle. Est-ce toujours le cas? J'avancerais que non, ou, du moins, qu'il s'agit uniquement de cas isolés.
Si la Loi canadienne sur la santé veut garantir l'accès, elle devrait faire référence à cette réalité et la mesurer.
Le sénateur Keon: J'ai parlé des solutions de facilité, et je suis heureux de voir que tout le monde s'entend sur le fait que la création d'un dossier médical électronique est une priorité et que le gouvernement fédéral devrait en assumer le coût.
L'autre point que j'ai soulevé est plus important. Je ne veux pas que vous quittiez cette séance sans revoir la question de la relève, de la nouvelle génération de professionnels de la santé. J'ai l'impression que l'on appuiera fortement l'idée d'injecter des fonds supplémentaires dans les 16 écoles de médecine pour assurer une relève médicale. Toutefois, je crois qu'il serait erroné de se contenter de cette mesure. Si on se contente d'investir dans les écoles de médecine et de sciences infirmières sans nous demander ce que nous attendons de cette nouvelle génération, l'initiative sera limitée. Je crois que nous devons faire plus que cela maintenant.
Il se fait tard, mais je ne voulais pas que cette question soit occultée.
M. Davis: Mon seul commentaire est celui que j'ai déjà soulevé, c'est-à-dire que tous ces plans stratégiques de main- d'œuvre des gouvernements mènent généralement à l'échec, car les périodes de référence sont trop longues, et toute la complexité de l'enjeu ne peut être appréciée pleinement avant que le plan ne soit établi. La question doit effectivement faire l'objet d'une réflexion approfondie. La mobilité de la main-d'œuvre est un aspect important de cette question. Nous avons fait bien peu de choses pour limiter la mobilité de la main-d'œuvre dans le domaine des soins de santé — et de nombreuses personnes demandent qu'on le fasse —, mais quelle serait l'incidence de telles mesures?
Nous devons nous pencher sur la restriction de la mobilité, la composition de la main-d'œuvre professionnelle et la reconnaissance professionnelle. C'est peut-être le genre de question qu'un groupe d'experts devrait examiner en vue d'orienter tous les gouvernements. Je crois que nous pouvons bâtir le dossier médical électronique. Je ne suis pas certain qu'on puisse résoudre ce problème à l'échelon fédéral.
Le sénateur Keon: Croyez-vous qu'il serait valable d'injecter des fonds dans les écoles de médecine sans établir un plan de main-d'œuvre?
M. Davis: Seulement s'il s'agit d'un investissement limité. Nous possédons suffisamment d'informations sur les tendances démographiques, le vieillissement des médecins et certains des enjeux liés aux spécialistes pour investir de l'argent avec un risque très limité. Il serait erroné d'investir de fortes sommes et de s'attendre à résoudre la question de la relève des médecins. Il faut y réfléchir de façon plus approfondie.
Le sénateur Morin: Il y a trois ans, le ministre Rock offrait un financement fédéral complet pour la création de programmes de soins à domicile. Au lieu d'accepter cette offre, les provinces ont touché 23 milliards de dollars il y a deux ans. L'argent a disparu, il y a eu des grèves partout au pays, et on ne constate aucun progrès. Si les provinces avaient accepté l'offre, nous serions dotés d'un programme national de soins à domicile.
Pour ce qui est de l'assurance-médicaments, le financement de l'achat de médicaments par les provinces est inégal. Il n'y a pas de régime d'assurance-médicaments «catastrophique» dans la région de l'Atlantique. Le gouvernement fédéral devrait-il intervenir à l'égard de ces programmes?
M. Lozon: Non, je ne crois pas qu'il devrait intervenir.
Le sénateur Morin: Malgré le fait que la population canadienne à l'est du Québec n'est pas aux prises avec un régime d'assurance-médicaments catastrophique?
M. Lozon: Le problème, c'est que cela a ouvert la voie à d'autres disputes, du genre «Vous n'offrez pas ce que nous vous avions dit d'offrir». Ce n'est pas la façon de procéder.
M. Forget: Je suis d'accord avec vous. Il n'est pas vraiment sensé de créer des enveloppes budgétaires supplémentaires à des fins spécifiques dans le contexte global de la fourniture de soins continus. Cela ouvre la porte à une foule de subterfuges. Au Québec, on constate même que le régime d'assurance-médicaments se fait jouer de l'intérieur. Certains hôpitaux, à court de fonds, ont trouvé un moyen d'inviter certains de leurs patients hospitalisés à obtenir leurs médicaments par l'entremise du régime.
Le président: Ils utilisent votre régime d'assurance-médicaments destiné aux malades non hospitalisés pour accroître leur financement?
M. Forget: La zone grise est assez large. Si un patient reçoit son congé de l'hôpital plus rapidement, de qui relève l'achat de médicaments? Du régime fédéral ou du régime provincial? Cela complique les choses davantage et ajoute au désagrément. Le financement des soins de santé au moyen d'investissements spécifiquement ciblés est un moyen de réduire au minimum la capacité du système de se gérer lui-même intelligemment. Ce n'est pas la bonne façon de faire.
De fait, certaines personnes ne sont pas protégées. Je suis certain que les provinces de l'Atlantique aimeraient offrir une assurance-médicaments convenable s'ils en avaient les moyens. Le problème, ce n'est pas qu'elles ignorent l'existence du besoin, c'est qu'elles n'ont pas les moyens d'y répondre.
De plus, il serait logique d'ajouter les soins à domicile au régime, car c'est un prolongement des soins hospitaliers. La création d'enveloppes budgétaires distinctes mènera directement au désastre.
Il ne faut surtout pas multiplier les enveloppes, car cela va à l'encontre d'une saine gestion.
La conception d'un dossier médical électronique est une initiative autonome, distincte. Votre comité doit tenir compte du fait qu'il y a essentiellement deux façons de procéder. Les programmes autonomes, comme celui-ci, ou la recherche, sont précieux. Cela signifie, et vous serez peut-être étonné de l'entendre d'un Québécois, car cette notion ne reflète pas la position classique, que le gouvernement fédéral s'abstient de se mêler du principal enjeu dans le secteur de la santé, et qu'à l'heure actuelle, d'après les commentaires que j'ai entendus aujourd'hui, il est probablement déjà trop tard pour le faire.
J'ai entendu beaucoup de paroles courageuses sur le besoin de changer le système et d'en assurer l'évolution et la transformation, mais si le gouvernement fédéral se contente de lancer des programmes autonomes distincts, en faisant valoir que les autres types d'initiatives sont trop compliqués, je prédis que le rôle du gouvernement fédéral, sauf à l'égard de ces programmes isolés, s'estompera tout simplement avec le temps. Les fonds ou les points d'impôt seront transférés, et le gouvernement fédéral ne jouera aucun rôle. Je crois que votre comité devrait examiner cette possibilité.
M. Davis: Premièrement, je dirais que les 23 milliards de dollars ont probablement évité à un certain nombre de systèmes provinciaux de soins de santé de sombrer dans un chaos total. Je ne crois pas que cet argent n'ait rien apporté.
Ensuite, j'aimerais terminer sur une note positive et réitérer le profond respect que j'ai pour mon collègue de la Nouvelle-Écosse. C'est peut-être parce que j'évolue dans un système de soins de santé régionalisé, mais je crois que les avantages de la fourniture de soins dans la collectivité sont tellement plus importants que les avantages de créer des obstacles à ces soins que nous devons trouver un moyen de financer l'assurance-médicaments et les soins à domicile afin qu'ils soient plus équitables, partout au pays. Je suis incapable de dire si un régime d'assurance est une solution idéale.
Quoi qu'il en soit, je serais nerveux si on lançait une telle initiative avant d'avoir mis sur pied le dossier médical électronique. Le potentiel d'abus serait énorme.
Le sénateur Robertson: J'aimerais revenir au commentaire du Dr Vertesi concernant la Loi canadienne sur la santé. Je suppose que vous envisagez les principes. Où voyez-vous des dispositions qui empêchent les provinces de développer convenablement leur système? J'ai peut-être mal compris votre commentaire selon lequel il y a un élément restrictif dans l'exécution de la loi. Lorsque vous examinez les 20 principes que nous avons proposés, pouvez-vous cerner des éléments qui pourraient restreindre et limiter la capacité d'agir?
Le Dr Vertesi: Les éléments restrictifs de la Loi canadienne sur la santé sont liés aux méthodes de financement. Les gouvernements provinciaux sont élus en bonne et due forme et sont responsables devant leur électorat. Or, un élément de la Loi canadienne sur la santé ne reconnaît pas cela. Elle traite les provinces comme des enfants. Il y a certaines règles, et il est interdit d'y passer outre. Même si la population d'une province donnée est en faveur, si l'objectif de la loi est l'accès — et je crois que c'est ce que le gouvernement fédéral tente de faire, et je l'appuie dans sa démarche — rien ne permet de mesurer la réalisation de cet objectif.
Une province qui, par exemple, applique un ticket modérateur à certains services pourrait être pénalisée, alors qu'une province qui n'applique aucun frais d'utilisation, mais impose un délai d'attente d'un an et demi — et ça, c'est la réalité — ne sera pas sanctionnée. La loi encourage les provinces à limiter l'accès aux soins au lieu de chercher des moyens d'améliorer l'accès. On ne procède à aucune évaluation de l'accès dans les provinces.
Cela favorise la création d'un grand trou noir au chapitre de l'accès, et c'est exactement ce qui s'est produit au Canada.
De fait, la Loi canadienne sur la santé n'a pas assuré l'accès aux Canadiens. La semaine dernière, une dame m'a téléphoné pour se plaindre du fait qu'elle attend une intervention chirurgicale pour une vertèbre depuis un an, et pour savoir combien de temps il lui restait à attendre. J'ai consulté la liste d'attente, et son nom n'avait pas bougé. Elle était toujours 86e sur la liste. J'ai dû lui dire que son dossier n'avançait pas parce qu'elle n'était pas encore assez malade. Elle m'a répondu: «Je souffre et je suis incapable de travailler. Est-ce que cela ne me donne pas droit à la chirurgie?» En réalité, non, cela ne vous donne pas, en Colombie-Britannique, droit à la chirurgie. Il faut être plus malade encore; il faut que les nerfs soient atteints; il faut qu'il y ait des dommages irréparables qui créent une sorte de responsabilité juridique.
Je crois que c'est inacceptable. Je ne crois pas que cela reflète l'intention de la Loi canadienne sur la santé. Cette femme ne peut aller aux États-Unis. Nous avons parlé des options qui s'offrent aux gens. Nous ne sommes pas dotés d'un régime d'assurance privé ici. C'est une erreur. Elle ne peut se rendre aux États-Unis, car elle paierait le coût total de l'intervention, et elle n'en a pas les moyens. Elle serait heureuse de verser un petit montant pour ne pas avoir à attendre un an et demi. Elle pourrait attendre trois mois, par exemple, mais cela n'est pas permis.
Il faut mettre du temps pour établir un régime d'assurance. Cela ne se fait pas du jour au lendemain. Si nous n'avons aucune forme d'assurance privée et que le système public est à la dérive et que le public a besoin de soins, on se retrouve avec un énorme trou, et on ne permet pas aux compagnies d'assurance de le combler.
Si le système public s'effondre, comme certains le prédisent, il n'y a pas de pont. Les gens tomberont dans le gouffre. Si on permettait les régimes d'assurance privée, au moins y aurait-il un peu de soutien pour la classe moyenne. Ce ne sont pas tous les citoyens qui peuvent se permettre d'aller aux États-Unis. Les soins aux États-Unis sont incroyablement coûteux, car les Canadiens ne peuvent se fier à leur régime d'assurance. Ils doivent payer le plein prix. Même les Canadiens aisés, s'ils devaient assumer le coût entier des soins qu'ils reçoivent, paieraient beaucoup d'argent. Je ne crois pas qu'ils en soient capables.
La Loi canadienne sur la santé ne permet pas la souscription d'assurance, car elle ne permet ni d'envisager ni de mettre à l'essai d'autres mécanismes de paiement.
Les provinces veulent avoir la possibilité de recourir à ces autres modes de financement, selon les limites établies par leur électorat.
Le sénateur Robertson: Au sujet de la même question, monsieur Lozon, vous avez déclaré que trop de questions étaient abordées dans le rapport, et que nous devrions cibler davantage notre étude et nous pencher sur les grandes priorités. Pouvez-vous nous fournir des précisions sur cette question?
M. Lozon: Je crois que 20 principes, même si je ne suis pas en désaccord avec aucun d'eux, c'est une trop grosse bouchée à avaler pour tout gouvernement. J'inviterais le comité à axer ses délibérations sur les questions qu'il estime prioritaires.
Il y a plusieurs façons d'y parvenir. La première, c'est de se demander quel est le meilleur moyen de dépenser nos ressources fédérales à bon escient. Si cette méthode était adoptée, je privilégierais exactement ce que Jack Davis a suggéré: financer la création d'un dossier médical électronique. Comme l'a dit le Dr Keon, on pourrait peut-être investir l'argent dans les centres médico-hospitaliers universitaires, qui sont des ressources nationales.
Il est clair qu'on pourrait aussi tenir une discussion préliminaire au sujet d'une nouvelle orientation ou d'un renouvellement de notre orientation. Cet après-midi, nous avons consacré une heure à parler des avantages et des désavantages d'un système parallèle. Si vous cherchiez à parler du sujet le plus controversé, vous arriveriez à tirer une conclusion sur ce sujet. Vous diriez que la proposition est sensée, sous réserve de certaines conditions, ou qu'elle est inacceptable, pour telle ou telle raison. Il y a plusieurs façons de procéder.
Je crois qu'il incombe au comité de déterminer s'il veut commencer par décrire le rôle le plus utile que pourrait jouer le gouvernement fédéral, ou par les aspects qui importent le plus aux praticiens et aux Canadiens en ce qui concerne l'avenir de notre système, et de poursuivre ses travaux en fonction de l'orientation choisie.
Le sénateur LeBreton: Les Drs Kenny et Vertesi ont déjà présenté leurs commentaires en ce qui concerne la 18e recommandation et la question des soins primaires.
Sur la question du rôle du gouvernement fédéral, j'aimerais évoquer la possibilité d'offrir des incitatifs pour encourager les provinces à restructurer graduellement les soins primaires. Vous avez parlé d'une nouvelle catégorie de personnes désavantagées. Nous avons entendu des témoignages publics au sujet de «patients orphelins». Le besoin de structurer davantage les soins primaires est manifeste.
J'ai entendu votre comparaison des rôles provinciaux et fédéraux dans ce domaine. Il est certain que le public — les gens que nous avons rencontrés partout au pays — accordent beaucoup d'importance à la réforme des soins primaires. Je ne crois pas qu'ils comprendront si nous n'arrivons pas à proposer une solution raisonnable et si nous nous contentons de dire qu'il y a trop de tiraillements entre le gouvernement fédéral et les provinces. Je crois qu'à l'occasion d'une autre séance, nous pourrions examiner la question de la réforme des soins primaires et tenter d'établir de façon beaucoup plus détaillée quel rôle le gouvernement fédéral peut jouer à l'égard de cette question très importante.
Le président: Au nom du comité, je tiens à vous remercier tous. Je sais que vous provenez des quatre coins du pays, et nous vous remercions de vous être déplacés. Nous vous invitons à nous faire part de toute idée supplémentaire qui pourrait nous être utile. Je soupçonne que la plupart d'entre vous aurez de mes nouvelles d'une manière ou d'une autre.
La séance est levée.