Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 65 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 17 juin 2002
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 12 h 27 pour examiner l'état du système de soins de santé au Canada.
Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Nous avons deux séries de témoins cet après-midi. Nous allons d'abord demander aux membres du premier groupe de faire leurs remarques liminaires, et nous poserons ensuite nos questions à l'ensemble du groupe. Vous avez la parole.
Mme Cheryl Hansen, directrice, Programme extramural, ministère de la Santé et du Mieux-être, gouvernement du Nouveau-Brunswick: Honorables sénateurs, je suis très heureuse de comparaître devant le comité à titre de directrice du Programme extra-mural du Nouveau-Brunswick.
En 1979, un comité interministériel a recommandé au ministère de la Santé du Nouveau-Brunswick de doter le système de santé de la province d'une nouvelle composante pour parer aux changements démographiques prévisibles et pour trouver une solution à l'utilisation intense des lits d'hôpitaux. Cette recommandation a mené à la création d'une nouvelle entité, en l'occurrence l'Hôpital extra-mural, maintenant appelé le Programme extra-mural, qui s'est vu confier le mandat général d'offrir une solution de rechange à l'hospitalisation et aux soins infirmiers à domicile.
Le Programme extra-mural du Nouveau-Brunswick a accueilli ses premiers clients en 1981. Au cours des 12 années suivantes, sa portée s'est graduellement étendue, si bien que le programme est actuellement offert dans chaque région et secteur de la province, tant en milieu rural qu'urbain.
Le PEM a été lancé avec un budget de 250 000 $. Cette année, les prévisions budgétaires prévues pour le programme s'élèvent à plus de 40 millions de dollars. Les dépenses globales du programme en 2001-2002 ont dépassé 39 millions de dollars. Nos dépenses au titre des soins à domicile dans la province sont de l'ordre de 53 $ par habitant.
Dans l'ensemble, les dépenses globales du PEM correspondent à environ 4,2 p. 100 des dépenses globales des régies régionales de la santé (RRS), et les régies régionales de la santé sont responsables des hôpitaux, des soins à domicile et de services de toxicomanie. Elles représentent environ 3 p. 100 du budget total du ministère de la Santé et du Mieux- être.
Les soins de santé à domicile sont une composante légitime du système de soins de santé du Nouveau-Brunswick et ils ont leur propre rôle à jouer, au même titre que les soins ambulatoires et en établissement. Leur rôle ne se limite pas simplement à faciliter l'obtention d'un congé précoce au moment où cela convient aux hôpitaux. Le fait qu'environ 55 p. 100 des clients qui reçoivent des soins actifs sont admis directement à partir de leur collectivité prouve que le PEM est un mode prestation des soins acceptable, et que pour un grand nombre de personnes, c'est le premier choix et le choix optimal à faire pour obtenir les soins requis.
Le mandat du Programme extra-mural a été élargi depuis 1981, mais il englobe toujours l'obligation d'offrir un service actif, qui est tout à l'honneur des fondateurs du programme. Ce programme offre une gamme complète de services de soins de santé coordonnés à des personnes de tout âge afin de promouvoir, maintenir ou rétablir la santé dans leur vie quotidienne. Nous assurons également des services de soins palliatifs afin d'assurer aux malades en phase terminale des soins de qualité. Ce travail est accompli grâce à la prestation de services professionnels de grande qualité, notamment des services de soins infirmiers, d'ergothérapie, de physiothérapie, d'orthophonie, d'inhalothérapie, de travail social et de nutritionnistes cliniques.
Les médecins sont aussi des membres essentiels de l'équipe et jouent un rôle critique dans la prestation des services de soins de santé à domicile. Nos médecins sont rémunérés à l'acte pour les services dispensés aux clients des services de soins à domicile, qu'il s'agisse de visites à domicile, ou de consultations au téléphone.
Les services de soins infirmiers offerts par le PEM sont accessibles 24 heures par jour, 365 jours par année, grâce à des quarts de services infirmiers ou, au minimum, à des services sur appel dispensés par une infirmière ou un infirmier. Nous offrons un éventail complet de services qui comprennent, sans s'y limiter, les soins actifs, les soins palliatifs, les soins de longue durée, l'oxygénothérapie et les services de réadaptation à domicile, de même que l'évaluation des services de soutien et soins de longue durée qui peuvent être requis.
Les clients qui sont acceptés pour recevoir des soins de santé à domicile reçoivent les médicaments et fournitures qui sont nécessaires pour les fins de l'intervention requise, en fonction de la raison du renvoi au programme. Tous les services sont dispensés conformément à notre politique provinciale, fondée sur l'expérience clinique, et ce afin d'assurer une prestation de services de soins de santé à domicile de qualité uniforme dans toute la province.
Nous collaborons d'ailleurs avec un grand nombre d'autres intervenants clés communautaires, étant conscients du fait que les soins communautaires reposent sur une approche multidisciplinaire. L'un de nos partenaires clés en ce qui concerne la prestation des soins à domicile est le ministère de la Famille et des Services communautaires. Ce dernier est responsable de la composante relative au soutien des soins à domicile de longue durée dans la province et finance également cet élément du programme de soins à domicile.
Avec le Programme extra-mural, les dépenses par habitant pour la prestation de soins de santé à domicile et de services de soutien à domicile de longue durée se sont montées en 2000-2001 à 135 $ par habitant.
À l'heure actuelle, le Programme extra-mural regroupe au-delà de 640 postes d'équivalents temps plein dans la province. En 2000-2001, près de 20 000 clients ont été admis au programme et nous avons effectué plus de 400 000 visites. Les indicateurs provinciaux révèlent que le coût moyen par unité de soins infirmiers, qui est d'une minute, est d'environ 1,14 $, et c'est un montant équivalent pour les soins thérapeutiques. Pour la province, le taux d'admission moyen au programme est de 26,19 admissions pour 1 000 habitants.
Comme c'est le cas dans d'autres provinces et pays, la majorité de nos clients sont des personnes âgées. Environ 62 p. 100 de nos clients sont âgés de plus de 65 ans; 20 p. 100 d'entre eux ont plus de 85 ans.
Onze pour cent de nos clients sont des enfants et des adolescents, alors que 27 p. 100 d'entre eux sont des adultes. À n'importe quel moment, entre 50 et 60 p. 100 des clients pris en charge par le PEM ont besoin de soins actifs ou de soins qui sont dispensés en remplacement des soins actifs ou de ceux assurés par les hôpitaux. Environ 5 p. 100 des clients du PEM reçoivent des soins palliatifs.
Le programme a fait face à de nombreux défis et a subi des changements considérables au cours des 20 dernières années. Mais les assises solides établies au départ lui ont permis de progresser et de s'épanouir. Au cours des dernières années, nous avons connu une demande accrue pour les services de soins actifs. Bien qu'on puisse attribuer cet accroissement de la demande à plusieurs facteurs, pour nous, le plus important de ces facteurs est celui de la planification. Nous avons un réseau solide et bénéficions d'une bonne collaboration avec les hôpitaux et les collectivités.
À notre avis, les soins à domicile ne doivent pas être considérés comme une solution à envisager seulement lorsque les lits d'hôpitaux ferment ou quand il y a pénurie d'infirmière et d'infirmier. Les services doivent être coordonnés en permanence et l'accent doit être mis sur le client et la prestation efficace de services. D'abord et avant tout, il faut satisfaire aux besoins du client au fur et à mesure de son cheminement dans le système.
L'élargissement de notre programme a été facilité par l'excellent appui que nous avons reçu de tous les intervenants clés, du grand public et des médecins. Cependant, malgré l'appui solide dont bénéficie le programme, nous sommes constamment tenus de renseigner les citoyens sur le rôle des soins de santé à domicile. Il convient de leur dire quels soins peuvent être offerts à domicile et ceux qui ne peuvent l'être.
Il faut constamment se garder de tenir pour acquis que parce que quelque chose peut être fait à domicile, il devrait ou doit nécessairement l'être. Une telle justification n'est pas suffisante; elle fait fi de bon nombre des facteurs complexes qui entrent en ligne de compte dans l'environnement du domicile, notamment l'adaptation de celui-ci aux services; par exemple, la sécurité du client et du fournisseur de services dans cet environnement, et la présence ou l'absence d'un réseau de soutien. Heureusement pour nous, notre programme permet à la direction du PEM de refuser des clients si les critères d'admissibilité ne sont pas satisfaits.
Il persiste cependant la perception erronée que les soins à domicile sont des soins bon marché. Les soins de santé à domicile ne sont pas des soins bon marché, ni des soins de second ordre; ce sont des soins de premier ordre qui sont adaptés aux besoins du client et de la famille. Par exemple, permettre à une personne qui se meurt de rester à domicile peut coûter très cher. Cependant, malheureusement, bien des gens voient dans les soins de santé à domicile la panacée qui réglera tous les problèmes, et en exagèrent les avantages au niveau du coût plutôt que d'insister sur le fait que le domicile est l'endroit tout indiqué pour offrir des services de santé à certains clients.
En ce qui concerne la prestation de services de soins actifs à domicile, j'insiste sur l'importance d'un système de soutien approprié pour assurer les besoins à terme. Le rôle des soins à domicile, qui viennent remplacer les soins actifs, exige la présence d'une équipe complète qui travaille en étroite collaboration pour répondre aux besoins du client et de sa famille. Cela suppose des services appropriés de soutien à domicile à terme. Or, on néglige souvent cette exigence, puisqu'on suppose que le réseau de soutien informel sera à même de répondre à ces besoins. Mais dans bien des cas, ce soutien est insuffisant ou inexistant. La question de la prestation à terme de services de soutien suffisants devra être examinée pour que le recours aux soins à domicile en guise de remplacement ou de substitution d'autres services permette d'assurer des services de première qualité au client et à la famille.
Le Programme extra-mural du Nouveau-Brunswick est un élément bien distinct d'un continuum complet de soins. Cet élément permet d'élargir la gamme d'options offertes aux fournisseurs de soins, aux clients et à leurs familles. À notre avis, le programme a atteint sa maturité mais non sa finalité. Il demeure adaptable et évolue en fonction des changements et des défis constants, afin de contribuer à assurer la durabilité des services de soins de santé dans la province.
M. Peter Coyte, codirecteur, Home and Community Care Evaluation and Research Centre, Université de Toronto: Les soins à domicile correspondent à un éventail à la fois vaste et complexe de services qui sont assurés à divers clients. Certains reçoivent des soins à domicile pour prévenir ou retarder la détérioration de leur état de santé et pour maintenir leur indépendance, alors que d'autres bénéficient de services de réadaptation après un séjour à l'hôpital.
Au cours des 20 dernières années, les dépenses au titre des soins à domicile sont montées en flèche. Cette progression peut être attribuée à cinq grands facteurs: l'accroissement du nombre de bénéficiaires qui y sont admissibles, par suite de décisions généralement prises par les administrations provinciales individuelles; l'accès accru à de tels soins, une fois que leur admissibilité est établie; d'importants changements d'ordre démographique; des progrès technologiques sans précédent qui ont contribué à faire évoluer la prestation des soins de santé; et enfin, la restructuration du système de soins de santé.
Les hypothèses stratégiques qui sous-tendent les soins à domicile ont été fondées sur trois prémisses critiques: les Canadiens veulent assumer une plus grande part des responsabilités à l'égard des soins assurés à domicile; la situation actuelle en ce qui concerne le logement et l'emploi est telle qu'il convient d'assurer la prestation de certains soins à domicile, lorsqu'il est possible de le faire efficacement et en toute sécurité; et enfin, les soins à domicile sont économiques.
À mon avis, nous sommes loin d'avoir des preuves convaincantes de la justesse de ces trois hypothèses critiques qui sont à l'origine des changements apportés à nos politiques dans ce domaine.
En ce qui concerne le secteur des soins à domicile, les dépenses publiques au titre des soins à domicile sont montées en flèche au cours des 20 dernières années. Cependant, le taux de croissance de ces dépenses s'est beaucoup ralenti dans les 10 dernières années. Les taux annuels de croissance étaient de 17 p. 100 par année durant les années 80, alors qu'ils n'étaient que de 10 p. 100 par an durant les années 90. Par contraste avec les dépenses publiques, les dépenses privées au titre des soins à domicile ont connu une augmentation encore plus importante, passant de 9 p. 100 par année dans les années 80 à 13 p. 100 dans les années 90. Il est clair que les dépenses publiques vont en diminuant, étant donné que le taux de croissance des dépenses publiques s'est ralenti, alors que les dépenses privées ont augmenté proportionnellement pour combler les lacunes.
En raison de cette différence de taux de croissance, la part du secteur privé des dépenses globales est tombée durant les années 80 mais a augmenté dans les années 90. En l'an 2000, une dépense sur cinq au titre des soins à domicile était une dépense privée dans cette industrie qui a un chiffre d'affaires de 3,5 milliards de dollars.
Les soins à domicile ne sont plus assurés qu'aux personnes âgées. En Ontario, 45 p. 100 des bénéficiaires de soins à domicile sont âgés de moins de 65 ans. Au Nouveau-Brunswick, c'est 37 p. 100. Quelque 15 p. 100 des clients qui reçoivent de tels soins sont des enfants.
Il existe deux catégories de clients bien distincts: ceux qui reçoivent les soins à domicile durant une courte période, normalement pour un maximum de 13 semaines, et ceux qui en reçoivent en permanence.
Les clients qui bénéficient de services à terme reçoivent deux tiers de leurs soins d'un infirmier ou d'une infirmière. Les autres services sont répartis plus ou moins équitablement entre les catégories du soutien personnel et d'autres thérapies. Pour les clients recevant des soins de longue durée, environ 60 p. 100 des services assurés sont du type «soutien personnel» et presque tous les autres services qu'ils reçoivent sont dispensés par du personnel infirmier. Environ 60 p. 100 des clients sont des clients à terme, alors que les 40 p. 100 restants ont besoin de soins de longue durée.
Il existe d'importantes variations interprovinciales sur le plan des dépenses par habitant au titre des soins à domicile, variations qui demeurent même après avoir rajusté les chiffres pour tenir compte de la composition démographique de la population. Cette différence est à ce point importante que les provinces qui dépensent le plus, comme le Nouveau- Brunswick, dépensent presque quatre fois plus que celles qui dépensent le moins, entre autres, l'Île-du-Prince-Édouard et le Québec.
Évidemment, le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer à cet égard, non seulement pour mettre en relief ces dépenses, mais aussi pour aider à corriger les variations qui existent afin que tous les Canadiens, quelle que soit leur province de résidence, bénéficient d'un accès raisonnable à des fonds équivalents.
Dans un autre document, j'ai préparé des estimations nationales pour un programme de soins à domicile de niveaux repères qui donnerait lieu à un accroissement du financement de l'ordre de 1,5 milliard de dollars.
Bien que j'aie calculé de telles dépenses par rapport à un programme national, je ne préconise pas l'établissement d'un programme parallèle qui serait financé par les deniers publics. J'insiste sur le fait que les soins de santé au XXIe siècle consistent en beaucoup plus que les séjours en établissement et les stéthoscopes. Le cadre de prestation des soins de nos jours dépasse de loin ce milieu privilégié, en l'occurrence les hôpitaux, et un fournisseur privilégié, en l'occurrence les médecins.
À l'heure actuelle, les soins sont demandés, distribués et reçus dans des milieux géographiquement dispersés, fait dont on ne parle jamais dans les rapports récemment publiés sur les soins de santé ni dans les discussions touchant la réforme du système de soins.
Le recours à des soins de santé assurés dans de nombreux milieux différents est la principale caractéristique du nouvel ordre qui s'est installé sur le plan des soins de santé. La Loi canadienne sur la santé est dépassée car elle ne correspond plus à la réalité des soins de santé au Canada et ne vise qu'une minorité de services et de soins de santé financés par les deniers publics ou même de sources privées. Les services de soins de santé visés par la Loi canadienne de la santé ne correspondent qu'à 45 p. 100 des dépenses globales, comparativement à 55 p. 100 qui concernent les soins assurés en dehors du milieu hospitalier ou par des fournisseurs autres que des médecins.
Au lieu de mettre l'accent sur les soins «médicalement nécessaires» devant être assurés en milieu hospitalier par les médecins, nous devons mettre l'accent sur les soins de santé nécessaires. Il nous faut élargir le principe de l'intégralité qu'établit la Loi canadienne sur la santé, car le milieu de prestation des soins ne devrait pas être un facteur dans la décision d'avoir recours aux deniers publics pour financer des soins ou services de santé jugés nécessaires.
La discussion actuelle sur les soins à domicile en tant que remplacement des soins actifs ou en établissement part d'une prémisse erronée. Cette discussion oppose les intérêts bien enracinés de ceux qui oeuvrent dans le système actuel de soins, aux intérêts qu'on peut rattacher aux soins à domicile et aux soins communautaires. Une vision beaucoup plus puissante du système de soins du XXIe siècle reposerait à mon avis sur le concept des soins à domicile en tant que complément aux soins qui sont distribués ou reçus dans d'autres milieux. Ainsi le domicile n'est plus qu'une composante d'un réseau regroupant une gamme de milieux de soins qui peut être restructurée pour tenir compte des conditions qui existent, des besoins des bénéficiaires de soins qui peuvent être à des époques différentes de leur vie et de l'évolution du contexte de la prestation des soins.
Je vous exhorte donc à ne pas recommander la création d'un autre programme distinct et parallèle — un autre cloisonnement, si vous voulez — visant à encourager les provinces à procéder à l'intégration de leurs services. Je vous conseille d'envisager d'incorporer les soins actifs post-intervention et les soins de courte durée dans l'enveloppe budgétaire des hôpitaux, et d'intégrer les crédits prévus pour les soins de longue durée dans la même enveloppe que les soins primaires. Ces changements de financement et organisationnels pourraient permettre d'améliorer l'efficacité du service du point de vue de la continuité et de la rentabilité des soins, et devraient être accompagnés d'activités de suivi permanentes aux niveaux provincial et fédéral, pour garantir la réalisation de nos objectifs en matière d'équité, à des degrés variables.
Une façon simple de régler le problème du passif éventuel du gouvernement pour les soins actifs post-intervention consisterait à prévoir une formule de capitation pour le remboursement des hôpitaux ou des services qui pourraient être sous-traités par les hôpitaux, par exemple, à des groupes cliniques ou des groupes offrant des services ou interventions de jour équivalents. La possibilité de sous-traiter les soins assurés suivant l'hospitalisation et de rembourser les fournisseurs selon une formule de capitation, différente de la formule de la rémunération à l'acte, est vraiment la plus intéressante du point de vue de l'aspect coût-efficacité des soins et de la réalisation de nos objectifs en matière d'équité, encore une fois à des degrés variables. Il y a des possibilités fort intéressantes qui sont rattachées aux économies d'échelle dont peuvent bénéficier les hôpitaux pour les soins intensifs post-intervention et aux économies d'échelle potentielles qui pourraient se créer si l'on confiait la responsabilité des soins de longue durée aux fournisseurs des soins primaires.
M. Marcus Hollander, président, Hollander Analytical Services: Je voudrais ajouter que je suis codirecteur du projet d'évaluation nationale du rapport coût-efficacité des soins à domicile, dont certains d'entre vous avez peut-être entendu parler. J'ai fourni à la greffière et au personnel de recherche les documents qui sont énumérés à la fin du mémoire, dans la section bibliographique. Le comité disposera donc de tous les détails, puisque je vais vous parler aujourd'hui d'un certain nombre de rapports.
Il semble que les besoins de centaines de milliers de Canadiens requérant des soins prolongés; d'enfants ayant des besoins spéciaux; de personnes ayant des besoins chroniques de soins de santé mentale; de personnes handicapées; et de personnes âgées souffrant d'un déficit fonctionnel, ne sont pas suffisamment pris en compte dans le cadre des discussions actuelles portant sur la politique sanitaire.
Si les statistiques étaient disponibles, elles révéleraient que les dépenses publiques au titre des soins de longue durée se rapprochent beaucoup de celles engagées pour les médecins et dépassent certainement les dépenses publiques au titre des médicaments.
Il convient de reconnaître que les soins prolongés, qui comprennent les soins à domicile, constituent l'un des grands piliers du système canadien de soins de santé. Les piliers que nous proposons sont les suivants: les soins préventifs, c'est-à-dire l'amélioration de la santé publique et de la santé de la population; les soins primaires, c'est-à-dire les soins médicaux pour la population générale; les soins permanents, c'est-à-dire les soins communautaires prolongés; et les soins actifs. L'utilisation des médicaments peut-être considérée comme un type d'intervention qui vise les quatre piliers, ou qui serait peut-être un cinquième pilier.
Les services à domicile et communautaires ne sont pas des extras ou des services personnalisés de luxe; il s'agit plutôt de véhicules clés à faire intervenir pour améliorer le rapport coût-efficacité global du système canadien de soins de santé. Le cadre d'organisation des réseaux de prestation des services à l'intention des personnes ayant besoin de soins prolongés dont il est question dans le Rapport sur la troisième voie, constitue une meilleure méthode de prestation de soins de meilleure qualité à un coût inférieur aux personnes ayant besoin de soins prolongés. Il représente également un moyen de réduire les coûts et d'améliorer la qualité des soins dispensés dans l'ensemble du système de soins de santé au Canada.
Il convient de faire une distinction entre les services curatifs et les services liés aux soins. Les interventions curatives requièrent généralement que des soins soient assurés par des spécialistes médicaux ou d'autres professionnels de la santé et, de façon générale, ce genre d'intervention est pratiqué par des médecins dans des hôpitaux. Les interventions liées aux soins sont conçues pour réduire le taux de détérioration fonctionnelle et pour permettre aux gens qui ont un déficit fonctionnel de vivre à un niveau optimal pendant aussi longtemps que possible. Les approches de ce genre s'appuient sur un modèle de soins psycho-social-médical, qui met l'accent sur les services de soutien. Des services de soutien qui consistent à préparer les repas, à aider un client à prendre un bain ou à l'emmener faire les commissions, comme le client n'est pas en mesure de vaquer à ces tâches de façon indépendantes, visent à aider les gens à vivre de façon aussi normale que possible et jouent un rôle très important pour ce qui est de réduire ou de retarder l'admission à l'hôpital ou à un établissement de soins prolongés.
Les personnes ayant besoin de soins de longue durée requièrent des services médicalement nécessaires pour traiter leurs incapacités fonctionnelles, mais dans bien des cas, il s'agit de services de soutien. Il est parfois difficile aux gens qui assimilent les soins de santé aux soins médicaux de reconnaître que les services de soutien font partie intégrante de notre système de soins.
M. Coyte a affirmé qu'il convient de faire plus de recherches sur le rapport coût-efficacité des soins de santé à domicile. C'est tout à fait vrai. Cependant, nous avons déjà des conclusions initiales fort intéressantes à examiner. En ce qui concerne le rôle préventif des soins à domicile, une récente étude indiquait que des personnes qui ne bénéficiaient que des services de ménage à qui on avait supprimé les soins à domicile généraient, trois ans plus tard, des coûts pour le système de soins de 3 500 $ par personne en moyenne, comparativement aux personnes qui ont continué à recevoir des soins. Cette étude prouve bien la rentabilité des soins à domicile préventifs et des services de soutien à domicile. Les résultats de la recherche internationale laissent également supposer que des programmes spéciaux de prévention à l'intention des clients du programme de soins à domicile peuvent améliorer le rapport coût-efficacité de ces services.
De récentes études indiquent que les coûts des soins à domicile représentent en moyenne entre 50 et 75 p. 100 des coûts des soins assurés en établissement à des clients ayant des besoins similaires. Étant donné que les résultats au niveau de la qualité de vie des clients et de leur degré de satisfaction à l'égard des soins reçus sont normalement semblables, on peut assumer que les soins à domicile représentent une solution économique de remplacement des soins en établissement. Les conclusions relatives au rapport coût-efficacité concernent le coût pour les gouvernements et les coûts supportés par les clients et les membres de leurs familles en terme de déboursés réels et d'appui non financier.
S'agissant de soins à domicile et de soins actifs, les conclusions touchant la rentabilité des soins à domicile, comparativement aux soins actifs, ne sont toujours pas très claires. Bien que certaines études concluent à la rentabilité des soins à domicile, ce n'est pas généralisé. C'est peut-être à cause du manque d'intégration et de coordination entre le réseau de soins à domicile et les hôpitaux, en ce qui concerne des systèmes et structures qui facilitent le remplacement réel et efficace des services en milieu hospitalier par des services de soins à domicile.
Il reste que selon certains faits, le remplacement des soins hospitaliers par des soins à domicile peut être économique si l'on a recours à des programmes ciblés. Par exemple, il y a quelques années, la régie de santé de la région de Simon Fraser en Colombie-Britannique a fermé 30 lits, ce qui a donné lieu à une économie de 2 millions de dollars par année. La régie a ensuite réinvesti un million de dollars par an dans un nouveau modèle de planification des sorties appelées Carelinks, et disposait donc d'un million de dollars de plus chaque année pour améliorer d'autres types de soins.
Mais qu'en est-il des soins à domicile dans le contexte général des soins de santé? Le fait d'avoir mis l'accent sur les soins à domicile a certainement été bénéfique au cours des dernières années. Il semble à présent que des pressions financières s'exercent sur ce plan et que ce secteur est faible comparativement à d'autres composantes du système de soins. Sa viabilité à long terme n'est peut-être pas garantie.
Il y a donc trois options en ce qui concerne les soins à domicile: premièrement, limiter les soins à domicile à un programme hospitalier d'extension des services; il s'agirait là d'un modèle de remplacement ou de substitution en milieu hospitalier. Cela entraînerait de la fragmentation et du double emploi, étant donné que bon nombre des personnes qui vont à l'hôpital sont déjà des clients d'établissement de soins prolongés. Donc, qui les soignerait et comment? Cette tâche relèverait-elle des fournisseurs communautaires de soins à domicile ou du personnel chargé du programme d'extension des services en milieu hospitalier? De plus, les gens peuvent habiter loin de l'hôpital qui assure les soins. Qui serait donc chargé de soigner les patients à leur retour à la maison?
L'autre possibilité consiste à incorporer les soins à domicile dans une large définition des soins primaires. Cela permettrait peut-être d'améliorer l'intégration horizontale au niveau communautaire, mais l'intégration verticale des services communautaires, des services en établissement et des services de soins actifs en serait réduite. C'est justement cette intégration verticale qui permet la substitution de services ou soins plus économiques.
La troisième option que nous recommandons consisterait à incorporer les soins à domicile dans un modèle amélioré de soins prolongés et de services communautaires. Dans l'Ouest et au Canada atlantique, les soins à domicile ont toujours été liés à la notion générale de soins prolongés. Le modèle des soins prolongés et communautaires permet une intégration horizontale et verticale coordonnée et la coordination d'une vaste gamme de services qui répondent en permanence aux besoins des clients et lui assure les meilleurs soins possible. Il réunit les meilleurs éléments des soins primaires et des systèmes de soins intégrés et garantit une solide liaison avec d'autres composantes du système de soins.
Cette approche semble avoir de plus en plus de partisans au sein de l'industrie des soins prolongés et communautaires. Il ne s'agit pas d'un modèle universitaire ou théorique. Il s'appuie au contraire sur des faits et précédents réels, et sur d'autres modèles qui ont été mis en application par le passé.
Il y a un certain nombre de questions stratégiques clés que le comité voudrait peut-être examiner. Les personnes ayant besoin de soins prolongés sont actuellement prises en charge par le système de soins. Cela devrait-il continuer? Si l'on décide de créer un programme de soins à domicile lié aux services de soins actifs, une certaine dynamique y sera nécessairement associée. Il s'agit à ce moment-là de déterminer ce qu'on fera de tous ceux qui reçoivent des soins à domicile et qui en ont besoin en permanence.
Si nous décidons de réduire l'étendue des soins à domicile, cela causera sans aucun doute certains problèmes qu'il faudra chercher à résoudre. Quels mécanismes, structures et types de financement remplaceront ceux qui permettent à l'heure actuelle de prendre en charge les personnes qui ont besoin de soins prolongés? Un changement de cet ordre aurait pour résultat d'imposer aux membres les plus frêles et nécessiteux de la société un modèle résiduel de services sociaux, au lieu d'un modèle de soins quasi universels, si bien que les soins ne seraient plus considérés comme un droit dont jouit chaque citoyen.
Un tel changement ferait sensiblement baisser la rentabilité du système de soins puisqu'il deviendrait beaucoup plus difficile de substituer de manière coordonnée des services moins chers, tels que les soins à domicile, aux services plus coûteux assurés en établissement, si ces services plus économiques relèvent de la responsabilité de ministères ou d'organismes différents.
Cela rejoint ce que disait M. Coyte concernant toute mesure qui aurait pour effet d'aggraver le cloisonnement et la fragmentation du système actuel. Si les personnes ayant besoin de soins prolongés vont continuer d'être prises en charge par le système de soins, conviendrait-il alors de reconnaître officiellement que les soins prolongés et communautaires représentent l'un des piliers fondamentaux de notre système de soins? Dans l'affirmative, quelles mesures s'imposent parmi celles que je vais énumérer: par exemple, faut-il encourager les ministères de la Santé ou régies régionales de la santé à se réorganiser de façon à confier la responsabilité des soins prolongés et communautaires à un haut fonctionnaire? Vu la complexité de ce secteur, faut-il établir un comité consultatif fédéral-provincial- territorial sur les soins prolongés et communautaires? Étant donné que l'étendue de ce secteur n'est pas bien comprise, conviendrait-il de demander à l'Institut canadien d'information sur la santé (ICIS) de fournir des données dans ses rapports sur le recours aux services de ce secteur et les dépenses qui lui sont attribuables? Et enfin, conviendrait-il que les soins prolongés et communautaires soient désormais des services assurés, et faut-il passer par la Loi canadienne sur la santé, une loi parallèle semblable ou le mécanisme de l'union social pour opérer ce changement?
Les dépenses du Nouveau-Brunswick sont beaucoup plus élevées que celles des autres provinces. Est-ce à cause de votre Programme extra-mural ou de votre façon de préparer les données? Pourriez-vous nous expliquer cette différence considérable entre vous et les autres provinces?
Mme Hansen: Nous avons fait la même constatation. D'une province à l'autre, la façon de prélever les impôts n'est pas la même. Par exemple, le Programme extra-mural comprend tout: le coût des médicaments, des fournitures, de l'administration et de notre parc. Dans certaines provinces, cela peut ne pas comprendre le coût des médicaments, par exemple. Je ne sais pas si les dépenses inscrites pour l'Ontario comprennent les médicaments distribués dans le cadre du programme de soins à domicile.
Le président: Ces dépenses sont peut-être comptabilisées à part, sous la rubrique de l'assurance-médicaments.
Mme Hansen: C'est exact. Je vous ai énuméré toutes les dépenses du programme.
Le président: Le comité a déjà déclaré qu'il est d'accord avec l'observation de M. Coyte selon laquelle le milieu qui prodigue les soins est sans importance. C'est pour cela que nous avons toujours dit que le Canada a un programme national d'hôpitaux et de médecins, et non un programme national de soins de santé. Nous insistons sur le fait que ce programme aurait dû être conçu horizontalement, c'est-à-dire de façon à englober toutes les catégories différentes de soins, plutôt que verticalement, c'est-à-dire à l'intérieur de chaque catégorie individuellement. Mais nous sommes bien obligés d'accepter la réalité concrète de notre situation actuelle.
Comment donc peut-on éliminer le cloisonnement du système actuel, tout en reconnaissant que notre point de départ est la situation actuelle, et non celle dans laquelle nous préférerions nous trouver?
L'une des idées que nous examinons, c'est que le milieu qui prodigue les soins est sans importance, et donc nous ne devrions pas considérer l'hôpital comme un mur de briques. Il est tout aussi clair que dans un domaine comme celui-ci, avec les dépenses très importantes qui le caractérisent, les progrès se réaliseront nécessairement par petite étape. Il ne peut y avoir de changement révolutionnaire. Notre stratégie devrait donc être de nature très progressive, c'est-à-dire qu'il faut prendre la première petite mesure qui va nous faciliter les étapes futures.
Comment donc peut-on organiser les dépenses engagées pour les soins à domicile de manière à respecter deux critères: d'abord, ces dépenses seraient limitées en ce sens que les services assurés seraient clairement définis; et deuxièmement, ces dépenses seraient justifiables, en ce sens que les coûts seraient liés aux soins ou services traditionnels assurés dans les hôpitaux mais qui ne le seraient plus, parce que ce ne serait plus nécessaire.
Avez-vous des idées concernant ce qu'on peut faire à cet égard?
M. Coyte: J'ai évoqué une solution potentielle à la fin de mes remarques liminaires. Le travail réalisé pour la commission ontarienne sur la restructuration il y cinq ou six ans...
Le président: Celle présidée par Duncan Sinclair.
M. Coyte: Oui. Wendy Young et moi-même avons été chargés d'examiner un élément de ce projet de restructuration. Nous avons conclu qui la restructuration du secteur hospitalier nécessiterait des investissements ou le réinvestissement de certains crédits dans le secteur des soins à domicile.
Nous avons examiné différents troubles médicaux, tels que les affections cardiovasculaires ou musculosquelettiques, et cetera. ou les personnes qui en sont atteintes sont directement prises en charge par la collectivité dès qu'elles sortent de l'hôpital, et nous avons donc suivi ce genre de patients. Comme le disait M. Hollander, la plupart d'entre eux recevraient normalement des soins continus avant d'être hospitalisés et après également, même pendant plus de 90 jours. Ces personnes ne représentent que 5 p. 100 des clients. Rappelez-vous que la grande majorité des gens qui sont hospitalisés ont moins de 65 ans.
Pour ce qui est des personnes qui ont recours aux soins à domicile suivant leur séjour à l'hôpital, nous avons examiné des cas de ce genre en fonction d'un délai de 90 jours à compter de la date de sortie de l'hôpital, et pour chacune de ces catégories cliniques, nous avons calculé le coût des soins à domicile reçus par les malades concernés. Pour des personnes atteintes d'une maladie comme le SIDA, par exemple, les dépenses devant être supportées par la collectivité par la suite étaient importantes.
Le président: Après que le délai de 90 jours s'était écoulé?
M. Coyte: Non, pendant ce délai de 90 jours. Dans le cas des personnes hospitalisées pour se faire mettre une prothèse de hanche ou de genou, le coût des soins à domicile s'est monté en moyenne à environ 1 000 $. Tout de suite, en se fondant sur les données cliniques, on peut concevoir une formule de capitation prédéfinie qui serait variable, selon le principal motif de l'hospitalisation, et couvrirait le coût des soins infirmiers, de la réadaptation et des services de soutien du patient dès sa sortie de l'hôpital. Ce serait une méthode basée sur les faits cliniques et l'affection concernée.
Dans le rapport que nous avons rédigé à l'intention de la commission sur la restructuration, l'une des recommandations formulées au départ était que les crédits réinvestis viennent s'ajouter au budget des hôpitaux, pour que ces derniers puissent administrer eux-mêmes cet argent et bénéficier ainsi d'une certaine latitude pour internaliser les économies potentielles en réduisant le nombre de lits d'hôpitaux et la durée des séjours, et en réacheminant les fonds ainsi économisés vers la collectivité.
Cette idée s'est révélée fort épineuse sur le plan politique.
Le président: Pourquoi?
M. Coyte: Parce que certains, notamment ceux qui travaillent dans le secteur des soins à domicile et communautaire, estimaient qu'il leur fallait une garantie que ces crédits leur seraient réellement affectés. Ils craignaient que les hôpitaux gardent ces fonds additionnels pour financer les soins en établissement, même si les mesures d'incitation dont il était question semblaient clairement indiquer que ces fonds ne pourraient servir exclusivement à financer les soins en établissement. Il existe cependant des tensions entre les divers groupes et les gens qui oeuvrent dans le secteur des soins à domicile communautaires, ont de grandes inquiétudes concernant le comportement potentiel des hôpitaux.
C'est pour cela que les gens avaient des réticences face à cette idée. Ils nous les ont clairement communiquées, et nous avons donc modifié le rapport en supprimant cette recommandation-là.
Je suis trésorier du North York's Community Care Access Centre, et nous constatons justement une augmentation phénoménale du nombre de personnes aiguillées vers le Centre par les hôpitaux, alors que les services de la collectivité nous renvoient moins de clients. Les gens peuvent décider de s'adresser au Centre directement ou passer par leur médecin de famille. Notre charge professionnelle a évolué: il y a cinq ans, un nombre égal de clients qui s'adressaient au Centre y avaient été aiguillés par les hôpitaux et les services communautaires alors qu'à l'heure actuelle, il y en a beaucoup plus qui nous sont renvoyés par les hôpitaux, surtout parce que les responsables des programmes de soins à domicile ne peuvent dire «non» aux hôpitaux qui demandent que leurs clients reçoivent des soins à domicile. S'ils disaient «non» trop souvent, les politiciens pourraient plus facilement justifier la réaffectation des fonds qui seraient normalement affectés aux programmes de soins à domicile aux programmes de soins actifs. À certains égards, les programmes de soins à domicile font l'impossible pour répondre aux besoins du secteur des soins actifs, alors que ce dernier contrôle toujours les crédits en question. Dans certaines provinces, la question du contrôle est peut-être moins claire.
Le président: Vous avez subi les mêmes difficultés que d'autres paliers de gouvernement, à savoir que les niveaux d'administration supérieurs se sont déchargés sur les niveaux d'administration inférieurs, qui se sont ensuite déchargés sur les municipalités.
M. Coyte: Toutes les décisions gouvernementales ont des répercussions sur les paliers inférieurs.
Le président: Et en l'occurrence, vous vous trouvez au bas de l'échelle.
M. Coyte: Oui, tout à fait.
Le président: Vous avez parlé de votre recommandation initiale. Pourriez-vous nous faire parvenir les données que vous avez rassemblées? Et si vous avec une copie de cette première recommandation, nous vous saurions gré de bien vouloir nous l'envoyer aussi.
M. Coyte: Oui, je m'en charge.
Le président: Monsieur Hollander, voulez-vous intervenir?
M. Hollander: Si vous voulez prévoir des soins à domicile qui se substitueront aux soins en établissement, il existe déjà des mécanismes qui vous permettraient de le faire. Vous pourriez opter pour un mécanisme de financement ciblé ou encore conclure une entente fédérale-provinciale.
Le président: C'est ce qui a été fait dans le cadre du programme Carelinks, n'est-ce pas?
M. Hollander: Non, pas tout à fait. Vous parlez plutôt d'un nouveau mode d'organisation des services assurés par le système de soins en vue de mettre davantage l'accent sur les soins à domicile comme soins de remplacement à terme de ceux assurés en établissement.
Comme je vous l'ai déjà dit, il y a diverses façons d'y parvenir, mais cela suppose certaines conséquences. D'abord, ce serait difficile à mettre en oeuvre, étant donné que beaucoup de gens bénéficient déjà de soins à domicile. De plus, il faudra négocier la prise en charge des malades; il faudra déterminer si c'est le programme d'approche de l'hôpital ou les responsables communautaires qui vont s'en charger.
Si on parle de gens qui travaillent à l'hôpital et assurent des services de liaison, ces derniers peuvent ne pas être bien informés des services communautaires qui sont disponibles. De plus, il y a beaucoup de gens qui viennent des régions rurales pour recevoir des soins. Vous ne pouvez pas assurer des services d'approche si le client habite à 400 kilomètres.
Ce qui m'inquiète le plus, c'est qu'on crée une cloison entre les soins de santé et les soins médicaux. Si vous mettez l'accent sur les soins médicaux, il est possible qu'on assiste avec le temps à une érosion des services de soutien et des politiques qui visent les personnes ayant besoin de soins de longue durée. Cela risque de créer une situation où on aura des soins à domicile «fixes». Il faudrait donc que vous vous penchiez sur la question de savoir ce qu'il faut recommander à l'égard des personnes ayant besoin de soins prolongés.
Le président: Vous avez dit que cela risque de créer une cloison entre les soins médicaux et les soins à domicile.
M. Hollander: Et les soins de santé.
Le président: Mais cette cloison existe déjà. Ça s'appelle le système d'assurance-santé et la Loi canadienne sur la santé. Vous êtes d'accord?
M. Hollander: Non, pas du tout.
Le président: Je veux dire par là que la Loi canadienne sur la santé ne concerne pas vraiment les soins de santé; elle concerne plutôt les hôpitaux et les médecins.
M. Hollander: Si vous examinez la liste des services assurés par les ministères provinciaux de la Santé, vous allez voir qu'il s'agit d'une vaste gamme de services qui dépassent de loin les soins assurés par les hôpitaux et les soins médicaux, y compris la plupart des types de services dont je vous parle aujourd'hui.
Le président: Je suis d'accord. Mais moi, je vous parle de l'optique fédérale.
M. Hollander: Encore une fois, sans vouloir vous contredire, il s'agit de ce qu'on appelle les services de santé complémentaires qui sont justement inscrits dans la Loi canadienne sur la santé. Il ne s'agit pas simplement de services assurés; ce sont des services prévus par la Loi.
Le président: J'essaie de comprendre pourquoi l'élargissement de la définition des services assurés vous semble tellement problématique.
M. Hollander: Je ne suis pas du tout contre l'idée d'élargir la définition. Moi, j'avais compris que vous me demandiez ce que nous pensons d'un modèle de soins de santé qui met davantage l'accent sur le remplacement des services hospitaliers.
Le président: Je me suis peut-être mal exprimé. Ma question est celle-ci: Que pensez-vous de l'idée d'élargir la protection actuelle pour comprendre les soins ou services post-soins actifs immédiats prodigués aux patients qui quittent rapidement l'hôpital, par opposition à la possibilité d'assurer tous les soins à domicile?
M. Hollander: Encore une fois, je n'ai rien contre, car je pense que ça aiderait bien des gens. Ainsi vous mettriez l'accent sur l'aspect remplacement des soins hospitaliers du programme de soins à domicile. Pour moi, cela suppose certaines conséquences. Peut-être que je ne comprends pas bien votre question. Si vous me demandez s'il convient de prévoir une gamme élargie de services aux termes de la Loi canadienne de la santé qui profiteraient aux citoyens à long terme, je serais tout à fait d'accord là-dessus.
Mme Hansen: Au départ, notre programme a visé surtout à assurer des soins et services de substitution mais il a rapidement pris de l'expansion. Le PEM ne s'appuyait pas sur le modèle du programme d'approche qu'on trouve dans les hôpitaux, mais constituait vraiment quelque chose de tout à fait distinct.
Le président: Pourriez-vous me dire ce que vous entendez par «programme d'approche ou de liaison» en milieu hospitalier?
Mme Hansen: Cela signifie que les fournisseurs de soins viennent de l'hôpital et prodiguent les soins requis au sein de la collectivité. Les soins communautaires ne sont pas équivalents aux soins hospitaliers. Les fournisseurs de soins communautaires sont très différents de ceux qui travaillent en milieu hospitalier. Nous disons souvent que nos fournisseurs se spécialisent dans la prestation de soins de santé à domicile. En ce qui concerne le recrutement des différents fournisseurs de soins, je dois dire que nous sommes très exigeants.
Nous nous décrivons souvent comme étant une sorte d'intermédiaires entre l'hôpital et la collectivité, et il est vrai que nous avons souvent un pied dans les deux camps. Nous assurons la liaison entre ces deux milieux et nous considérons que c'est l'une de nos forces. Nous assurons beaucoup de soins de longue durée, de soins prolongés et de services de réadaptation. Les clients passent entre les deux milieux. Un client recevant des soins de longue durée peut tout d'un coup avoir besoin de soins actifs et redevenir ensuite un client recevant des soins de longue durée ou des soins palliatifs. Nous avons des fournisseurs de services qui sont en mesure de répondre à tous ces besoins.
Il y a donc une grande différence entre un programme d'approche en milieu hospitalier et un programme communautaire.
Le sénateur Keon: Madame Hansen, j'estime que vous avez le meilleur programme de soins à domicile dans tout le Canada.
Mme Hansen: Merci. Nous sommes du même avis.
Le sénateur Keon: Que faire face à un dilemme pareil? Disons qu'un malade est pris en charge par votre programme, après un petit accident cérébrovasculaire. Vous soignez ce malade et vous lui assurez des services de réadaptation dans les limites de vos capacités. Mais après un autre accident cérébrovasculaire, il devient clair que ce malade ne pourra pas se passer de soins, et qu'il devra recevoir des soins pendant longtemps. Si cette personne bénéficie de services dans le cadre de votre programme, êtes-vous en mesure de continuer à lui prodiguer certains soins pendant quatre ou cinq ans, ou êtes-vous obligés à ce moment-là de l'aiguiller vers un autre service?
Mme Hansen: Tout dépend des besoins des patients. Nous assurons évidemment des soins de santé professionnels de longue durée lorsque de tels soins sont requis. Si le client a besoin de services de soutien à long terme, nous procéderons à une évaluation de ses besoins, et nous organiserons les services qu'il lui faut. La seule différence à ce moment-là, c'est que les crédits viennent d'un autre ministère. Il y a un seul point d'entrée au système pour ce genre de services. Un client peut frapper à une de trois portes: la nôtre, la porte des services de santé mentale, ou la porte du ministère de la Famille et des Soins et Services de santé communautaires, et demander à faire l'objet d'une évaluation en vue de services de soutien de longue durée.
Autrement dit, il n'y a pas de limite, si c'est ça que vous me demandez. Il n'y a pas un moment où l'on dira au client qu'il a atteint sa limite. S'il a besoin de services de santé professionnels, nous continuerons à lui en fournir.
Le sénateur Keon: Pourriez-vous donc m'expliquer comment on fait la transition entre votre programme et le programme de services communautaires?
Mme Hansen: Pour le client, il n'y aurait pas de véritable transition, puisque nous avons la compétence requise pour faire l'évaluation des besoins et organiser les services en conséquence. Un autre ministère paie les services, mais le client peut ne pas savoir que c'est le cas. De nombreux intervenants différents assurent la prestation des services communautaires. De plus, nous assurons la prise en charge des clients, qui est un élément critique dans la prestation des services communautaires. Nous y affectons un fournisseur de services primaires, plutôt qu'un agent de gestion des cas, et cette personne est chargée d'organiser la prestation de toute la gamme de services qui permettront de répondre aux besoins du client et de sa famille.
Le sénateur Keon: Dans bien des provinces, c'est justement pendant cette période que le malade et sa famille connaissent de graves difficultés financières.
Comment éviter une telle situation?
Mme Hansen: Dans notre province, nous procédons à un examen des ressources du client dès lors qu'il est question de services de soutien. Nous évaluons entre autres la situation financière du client et sa capacité de supporter une partie des dépenses liées aux services de soutien. Aucun paiement n'est exigé pour les soins de santé assurés à domicile, mais il peut y avoir des frais pour les services de soutien à domicile.
Le sénateur Keon: Vous parlez de services tels que la livraison des repas à domicile, et ce genre de choses?
Mme Hansen: C'est exact.
Le sénateur Keon: Monsieur Coyte, vous avez dit qu'un cinquième des services et soins à domicile est fourni par le secteur privé. Le coût global de notre programme est de 3,5 milliards de dollars. Les dépenses engagées au titre des soins à domicile assurés par le secteur privé se montent à environ 700 millions de dollars pour tout le Canada. Cela ne me paraît pas beaucoup, mais j'aimerais que vous me convainquiez que j'ai tort. Ce montant comprend-il les médicaments?
M. Coyte: Ce chiffre de 700 millions de dollars est tiré des estimations de Statistique Canada qu'on trouve dans les enquêtes sur les dépenses des ménages, rectifiées selon l'âge et le sexe. Ces chiffres sont sortis en mars 2001.
Je ne sais pas si ce montant comprend les médicaments. Les estimations que j'ai obtenues grâce à mes discussions avec les administrateurs de notre centre de recherche, auquel sont représentés les Infirmières de l'Ordre de Victoria du Canada, St. Elizabeth Health Care, Comcare Health Care Services et We Care Health Care Services, sont semblables. Ils nous ont fourni des données sur leurs sources de revenus, répartis selon que ces derniers provenaient de différents paliers de gouvernement, du paiement des services infirmiers de soutien personnel, du paiement d'autres services thérapeutiques, de paiements d'assurance ou des clients eux-mêmes.
Selon ces données, 1 $ de revenu sur 5 $ provenait de sources privées, par rapport à 80 p. 100 qui étaient de sources publiques. Les chiffres de Statistique Canada cadraient avec ceux de l'Ontario et de toutes les autres régions du pays, d'ailleurs, pour ce qui est du coût des soins et services de ce genre. Disons que ce chiffre de 700 000 $ pour les dépenses attribuables aux services privés me paraît assez exact. Mais quant à savoir si le coût de tous les équipements, médicaments et fournitures diverses est compris ou non, je ne peux pas vous le dire.
Le sénateur Keon: Je voudrais discuter avec vous du travail que vous avez fait pour la Commission Sinclair. La restructuration des hôpitaux était problématique dans certaines régions — par exemple, ici à Ottawa — parce que la Commission n'a pas adopté une vue d'ensemble. Ainsi les hôpitaux ont été restructurés sans tenir compte de la situation globale dans la région.
À votre avis, a-t-elle commis une erreur en n'optant pas pour un processus de régionalisation avant de restructurer les hôpitaux? Elle aurait pu tenir compte de la situation relative aux soins à domicile, aux soins prolongés et aux soins assurés aux malades chroniques, au lieu de se contenter de restructurer les hôpitaux.
M. Coyte: La commission sur la restructuration a tenu compte de la contribution de plusieurs secteurs différents, y compris celui des soins primaires, et a formulé des recommandations et l'énoncé de vision qui insistait sur l'importance des soins primaires. Elle a procédé d'abord en mettant beaucoup l'accent sur la consolidation du secteur des hôpitaux. Elle a ensuite reconnu qu'il fallait préparer des estimations des sommes à investir dans les soins à domicile.
En Ontario, nous avons constaté que pour 6 $ retirés du budget d'un hôpital, seulement 1 $ était réinvesti dans les soins à domicile et communautaires. Ainsi il y a des sommes importantes qui ont été supprimées du budget sanitaire à cause de la restructuration. On a aussi tenu compte du nombre de lits disponibles pour les soins de longue durée.
J'en ai justement parlé dans un rapport que nous avons publié en Ontario la semaine dernière. J'ai fait observer que la commission sur la restructuration avait peut-être été un peu trop zélée pour ce qui est de prévoir des lits pour des soins de longue durée en Ontario.
Je ne suis pas sûr qu'une administration régionale nous aurait fourni de meilleures estimations. Évidemment, lorsque la commission sur la restructuration a fait le tour de la province, elle a essayé de se concentrer sur les besoins précis des collectivités visitées. Il y a eu des rapports sur la situation à Thunder Bay, dans Ottawa-Carleton, etc.
Elle a également examiné jusqu'à un certain point l'interdépendance des diverses composantes du système de soins de chaque administration, mais en passant d'abord par la restructuration des hôpitaux, ensuite les soins à domicile post-soins actifs parallèles, et les lits destinés aux clients recevant des soins de longue durée.
Le sénateur Keon: Je voudrais en discuter avec vous en privé un jour, parce que j'aurais beaucoup de choses à dire à ce sujet.
Comme vous le savez, j'ai soumis un mémoire à votre examen. Si vous aviez suivi mes conseils, ces problèmes ne se seraient pas produits.
Monsieur Hollander, je voudrais aborder la même question avec vous. Vous avez parlé de coût-efficacité. Dans cette province, à la suite de la restructuration des hôpitaux — et c'est la seule restructuration du système de soins que nous avons connue jusqu'ici — les coûts ont beaucoup augmenté. Le budget affecté aux soins de santé a considérable augmenté. Dans certaines villes, la situation est à ce point grave que nous ne nous en sortons plus.
Est-il possible, d'après vous, d'assurer la continuité des soins communautaires, des soins à domicile, des soins assurés aux malades chroniques, etc., sans avoir de régies régionales de la santé dans une province ayant des millions d'habitants? Pour l'instant, parlons uniquement du cas de l'Ontario.
M. Hollander: À mon avis, c'est possible. J'étais responsable du système de soins prolongés en Colombie- Britannique vers le milieu des années 80 et au début des années 90. Nous avions un modèle bien intégré. Nous avons invité bon nombre d'experts internationaux à venir examiner notre modèle pour essayer de tirer certains enseignements. Ils nous ont dit qu'à leur avis, c'était l'un des meilleurs systèmes au monde à l'époque.
C'est l'une des composantes de base du modèle que j'ai proposé, qui est fondé sur mon expérience.
À l'époque, nous avions des unités de soins dans toute la province et des responsables des soins prolongés dans chaque unité. Nous avons réussi à administrer notre régime provincial relativement efficacement, en ayant des responsables régionaux, mais pas nécessairement des régies régionales de la santé.
Le grand avantage que nous avions comparativement à d'autres — et c'est en rapport avec la question des économies possibles et le rapport coût-efficacité — c'est que nous avions une seule entité administrative, soit la division des soins prolongés. Il y avait une seule enveloppe budgétaire pour la division.
Ainsi nous avions la latitude de faire toutes sortes de choses. Par exemple, nous avons élaboré un modèle de planification et d'affectation des ressources pour l'ensemble de la province et l'ensemble du système — c'est-à-dire, pas seulement pour les lits en établissement ou les services de soins à domicile. De façon structurée et proactive, nous avons pu utiliser les crédits qui nous étaient affectés par le Conseil du Trésor afin de répondre à la demande accrue de services pour financer les soins à domicile et limiter la création de lits en établissement. Ainsi nous avons pu réaliser le transfert aux services communautaires de sommes importantes qui auraient normalement été affectées aux services en établissement, et ce pendant un certain temps.
Le fait d'avoir une seule entité administrative et une seule enveloppe budgétaire nous a donné la marge de manoeuvre requise pour réorganiser les services dans l'ensemble du système de soins. À mon avis, un système plus global, comme celui-ci, garantit une plus grande efficacité par rapport à une approche fragmentaire.
Nous étions une grande division et le directeur général des Soins hospitaliers et moi-même avions nos bureaux l'un à côté de l'autre. Un système plus global chapeauté par un directeur permet de négocier des ententes plus intéressantes avec les hôpitaux. Dans le cadre d'un système global, vous avez la possibilité de faire des substitutions et de rehausser la rentabilité de tout le système.
Le président: Vous avez réussi à décloisonner le système, mais pas parce que vous l'avez réorganisé dans ce but précis.
M. Hollander: Je dirais que c'était un peu des deux. Si nous avons réussi à décloisonner le système, c'est parce que toutes nos activités relevaient d'une seule entité administrative et étaient payées à partir d'un seul budget. Par rapport à cet éventail de services, nous avions la possibilité de définir des politiques pour l'ensemble du système, et pas seulement pour les services en établissement ou communautaires. Nous étions à même de faire des choix proactifs concernant la réaffectation des fonds, etc.
En outre, comme nous administrions un programme de grande envergure, le directeur du programme jouissait de suffisamment d'influence auprès d'autres intervenants clés pour négocier d'égal à égal avec les responsables des services des médecins, des services hospitaliers et des associations provinciales de soins.
Le président: C'était les deux, donc.
M. Hollander: Oui.
Le sénateur LeBreton: Il y a toutes sortes de définitions des soins à domicile et, selon leurs besoins et la région qu'ils habitent, les gens peuvent avoir des attentes différentes. Souvent leurs attentes sont directement liées à leur situation.
Monsieur Coyte, vous avez dit qu'il existe essentiellement deux catégories de soins à domicile: ceux fournis aux malades qui restent moins de 13 semaines à l'hôpital et qui ont besoin de soins de courte durée; et ceux qu'on prodigue à un malade qui requiert des soins de longue durée, peut-être jusqu'au moment de son décès. Pour ce qui est des soins de courte durée, vous disiez que les deux tiers de ces soins sont des soins infirmiers, et que l'autre tiers est réparti équitablement entre les autres professionnels de la santé. C'est bien ça?
M. Coyte: Oui, c'est ça.
Le sénateur LeBreton: S'agissant de soins de longue durée — c'est-à-dire ceux assurés après 13 semaines, 60 p. 100 des soins sont des soins personnels, et les 40 p. 100 restant sont des soins infirmiers. Quand vous parlez de soins personnels, je suppose que vous faites allusion à l'aide donnée par les membres de la famille, n'est-ce pas?
M. Coyte: Non, il s'agit de services de soutien personnel assurés par des soignants.
Le sénateur LeBreton: Qu'en est-il des membres de la famille dans ce cas? Lorsqu'une personne requiert des soins prolongés, ce sont souvent les membres de la famille qui doivent abandonner leur emploi pour s'occuper du malade. Cela crée un problème supplémentaire pour la famille, notamment pour savoir qui va soigner le malade. Dans un système parfait de soins à domicile, comment faites-vous pour indemniser ces personnes? Faut-il leur donner des dégrèvements fiscaux? Peut-être préfèrent-ils continuer à travailler. Que faites-vous donc pour les membres de la famille?
M. Coyte: Les plus récentes statistiques laissent supposer qu'il y a actuellement environ 3 millions de personnes au Canada qui soignent les personnes requérant des soins tant de courte durée que de longue durée. Bon nombre de ces soignants sont les partenaires des malades, leurs enfants ou des amis.
Tant les fournisseurs officiels de soins que les personnes qui soignent les malades sans rémunération sont majoritairement des femmes. D'ailleurs, une bonne partie des soins reçus par les malades n'est incluse ni dans les 3,5 milliards de dollars — soit les dépenses qu'entraînent officiellement les services de ce secteur — ni dans les statistiques sur les soins que j'ai mentionnées. La somme citée officiellement comme correspondant aux dépenses engagées au titre des soins à domicile ne représente en réalité qu'une infime partie des dépenses réelles.
Quand on parle de soins de santé, on dit que la répartition est de 70/30 entre les dépenses sanitaires publiques et privées, respectivement. Dans le mémoire que j'ai corédigé avec la Dre Patricia McKeever, nous avons soutenu que si l'on tenait compte de la valeur de l'apport des soignants non rémunérés dans la répartition des dépenses entre les secteurs public et privé, la formule serait peut-être toujours de 70/30, mais ce serait plutôt 30 p. 100 pour les dépenses publiques et 70 p. 100 pour les dépenses privées, dont une partie correspondrait aux débours des clients ou aux dépenses remboursées par l'assurance, mais la majeure partie des coûts correspondrait aux activités des soignants non rémunérés.
Cela rejoint ce que disait M. Hollander concernant la rentabilité de la prestation des services. L'une des hypothèses qui sous-tendent les changements qui sont proposés est que bien des administrations qui transfèrent la responsabilité des soins hospitaliers vers la collectivité le font sans comprendre la nécessité de gérer leur budget globalement. Un patient qui sort de l'hôpital réduit effectivement le passif du secteur hospitalier, mais augmente d'autant celui du secteur des soins à domicile et ce qui est encore plus important, c'est que cela représente des dépenses importantes, non seulement pour les membres de la famille, mais pour leurs employeurs. Même des changements mineurs au sein du système de soins de santé toucheraient beaucoup de citoyens.
En ce qui concerne la rentabilité des soins, bien que je sois professeur d'économie de la santé, je ne vous apprendrai rien en vous disant que l'étude de l'économie est davantage un art qu'une science, tout comme la médecine. Il existe des méthodologies différentes et concurrentes concernant l'évaluation des coûts directs et indirects des soins formels, et la façon de mesurer les soins non rémunérés. Jusqu'à ce que nous ayons des connaissances beaucoup plus poussées dans ce domaine, nous ne pouvons émettre des hypothèses concernant la catégorie de soins qui est plus économique qu'une autre, et ce pour toutes les personnes ayant besoin de soins à n'importe quel moment. Pour le moment, nous ne disposons pas de données suffisantes pour pouvoir avancer des arguments solides à cet égard.
En fait, je participe à deux des études dirigées par M. Hollander. Par exemple, pour les services de consultantes en lactation suivant la naissance d'un enfant prématuré ou même une naissance à terme, les coûts ne sont guère différents. Ce sont les changements opérés au nom de l'efficacité qui laissent supposer que la fourniture de services de consultantes en lactation spécialisées serait peut-être une bonne chose après la sortie de l'hôpital. Les coûts ne sont pas très différents entre les divers groupes, mais les méthodologies qui sous-tendent ou favorisent diverses hypothèses sont parfois fort variables.
M. Hollander: Vous avez soulevé l'importante question des mesures de soutien informelles. Par exemple, si vous engagez une bonne d'enfants ou quelqu'un pour s'occuper de vos enfants, vous bénéficiez de certains dégrèvements fiscaux ou disons que vous avez la possibilité de déduire certains frais. D'après mon souvenir, le même traitement fiscal n'est pas prévu selon qu'il s'agit d'enfants ou de personnes âgées. Il faut peut-être se demander si cette différence de traitement est vraiment juste.
Supposons qu'un mari et sa femme soient près de l'âge de la retraite, mais que l'un d'entre eux souffre d'une incapacité de longue durée. En raison des pressions qui s'exercent sur le système de soins, ils ont du mal à obtenir la quantité de services qu'il leur faut. Ce que font des fois ces gens-là, c'est qu'ils ont recours à leurs REER à ce moment- là. Ce qui arrive, c'est qu'on remplace les prestations sanitaires par les prestations de pension sur une base involontaire, parce que ces gens-là vont épuiser les fonds investis dans leurs REER et il ne leur restera plus rien.
Dans le cadre d'une étude récente, nous avons examiné le coût des soins à domicile informels, comparativement aux soins en établissements, en tenant compte aussi des autres frais et du temps investi.
Les résultats variaient considérablement selon le type de soins que requérait le malade. En moyenne, nous avons constaté que si vous calculez le coût du temps investi, en fonction d'un salaire de remplacement, et que vous y ajoutez les autres frais, cela donne à peu près le même montant que celui fourni par l'État pour soigner ces personnes. Et si vous acceptez cette évaluation-là du coût, vous devrez en conclure que les familles assurent 50 p. 100 des soins prodigués aux malades ayant besoin de soins à domicile de longue durée. Là je vous parle d'une petite étude, et il est certain que d'autres recherches s'imposent. Mais il est intéressant de savoir que le pourcentage pourrait être de cet ordre-là.
Le sénateur LeBreton: Madame Hansen, pouvez-vous nous citer des exemples précis du Nouveau-Brunswick où vous vous seriez heurtés à ce problème des soins à domicile non rémunérés? Que faites-vous dans ce cas au Nouveau- Brunswick; comment ces personnes sont-elles indemnisées, si elles le sont?
Mme Hansen: Il n'y a pas d'indemnisation. Nous reconnaissons que les soins à domicile non rémunérés sont essentiels et que la charge des personnes qui les assurent est considérable, tant au niveau des soins de santé à domicile que des services de soutien à domicile.
Nous constatons que ces soignants non rémunérés demandent à présent plus de soutien sous forme d'information accessible et d'instructions. Je trouve intéressant que nos discussions aient surtout porté sur le soutien, plutôt que sur la compensation monétaire. Ces gens-là voudraient établir des réseaux de soutien avec d'autres soignants et avoir accès à des informations utiles quand ils en ont besoin. Nous examinons donc la possibilité de prendre ce genre d'initiatives.
Nos homologues des autres provinces étudient aussi la possibilité de prendre de telles initiatives pour soutenir les soignants, et surtout les soignants informels.
Le sénateur LeBreton: Monsieur Hollander, les questions stratégiques clés que vous avez énumérées tout à l'heure sont tout à fait appropriées. Vous avez parlé de la possibilité que l'ICIS fournisse des données sur l'utilisation des services de ce secteur, et j'ai inscrit à côté: «Oui.» Ensuite vous avez demandé ceci:
Les services de soins prolongés et communautaires devraient-ils être assurés et faut-il passer par la Loi canadienne sur la santé, une loi distincte ou le mécanisme de l'union sociale pour atteindre cet objectif?
J'aimerais donc savoir laquelle de ces possibilités vous recommanderiez, dans un monde parfait?
M. Hollander: Un monde parfait est un monde parfait. J'aimerais donc répondre à votre question en me fondant sur le monde réel, ou du moins ma perception de ce monde. Encore une fois, cela peut concerner uniquement les services de soins à domicile ou la gamme plus générale des services de soins prolongés.
Le problème de la Loi canadienne sur la santé, c'est que si vous la modifiez pour prévoir que ces services-là seront assurés, vous ouvrez automatiquement la porte à d'autres discussions sur la possibilité de copaiements pour les services hospitaliers et les services de médecins, et ça peut vous causer plus de problèmes qu'autre chose.
Le sénateur LeBreton: Ce serait une boîte de Pandore.
M. Hollander: Il a été recommandé qu'on adopte une loi parallèle. Mais il paraît qu'il serait difficile, dans le cadre d'une nouvelle loi, d'obtenir l'accord des provinces pour imposer le même genre de sanctions.
Même si ce serait peut-être moins sexy ou ferait moins d'éclat, on réussirait sans doute à progresser plus facilement si l'on passait par le mécanisme de l'union sociale. Ce dernier permet essentiellement d'atteindre le même objectif au niveau administratif. On peut faire en sorte que les responsables fédéraux et provinciaux travaillent ensemble pour voir sur quoi ils s'entendent.
Je me dis également qu'il serait bon de passer par l'accord cadre sur l'union sociale parce que les deux autres initiatives sont des initiatives fédérales. Au niveau provincial, ça peut être un peu délicat, puisque ce sont les provinces qui ont la responsabilité des soins de santé. Mais si elles pouvaient prendre une initiative par l'entremise de l'accord cadre sur l'union sociale, elles seraient perçues comme étant sensibles aux besoins des citoyens dont elles sont responsables, et non simplement comme participantes à une initiative lancée par le fédéral.
Je ne suis pas expert en la matière, mais je pense que la perception des responsables administratifs ou politiques serait peut-être différente et qu'on avancerait sans doute plus vite si l'on passait par ce mécanisme-là.
L'inconvénient, c'est que les gens pourraient décider de ne pas y participer et à ce moment-là, l'effet ne serait pas le même. Toutefois, il existe déjà des points communs entre les divers types de services qui sont actuellement assurés. Il ne serait peut-être pas si difficile d'avancer de façon marginale vers un programme plus uniforme.
Le président: Le vrai inconvénient, c'est la responsabilisation et la transparence pour ce qui est du suivi de l'utilisation des crédits, si vous êtes avec nous.
M. Hollander: Oui, c'est exact.
Le président: Je suis d'accord pour dire que ce serait plus simple pour les provinces; par contre, il n'est pas certain que ce type d'initiative constitue une grande priorité pour elles.
Le sénateur Cordy: Il est certain que les soins à domicile revêtent de l'importance pour bon nombre de Canadiens.
Comment faites-vous pour déterminer si l'environnement du malade à domicile est sécuritaire ou non? La maison peut ne pas être un environnement sécuritaire. Comment faites-vous cela? Qui est chargé de faire cette évaluation? Qui visite le domicile du malade pour déterminer s'il est sécuritaire ou non?
Mme Hansen: Nous visitons le domicile du client pour déterminer si son environnement peut-être considéré à la fois sécuritaire et approprié. Parfois il est nécessaire d'avoir accès à une salle d'urgence ou à un établissement dans un délai bien précis. Les décisions sont donc prises en fonction de chaque intervention. Nous tenons également compte de l'accès à un téléphone. Un domicile serait considéré non sécuritaire s'il n'y avait pas de téléphone que le client puisse utiliser en cas d'urgence. Donc, nous tenons compte de tous les éléments fondamentaux.
Par contre, c'est parfois délicat parce que le client a tout de même le droit de déterminer le niveau de risque qui lui convient. Souvent les clients âgés nous répliquent qu'ils habitent seuls sans téléphone depuis 50 ans, par exemple. Donc, ce n'est pas toujours net.
Par contre, en ce qui concerne les services que nous acceptons d'assurer, c'est tout à fait net. Nous refusons d'assurer une intervention ou un service qui peut mettre le client en danger. Il en va de même pour nos fournisseurs de services. Nous refusons de mettre nos fournisseurs en danger si l'environnement du client nous semble peu sécuritaire. Mais le client individuel a tout de même le droit de déterminer quel niveau de risque lui convient dans sa vie personnelle, et il faut en tenir compte.
Le sénateur Cordy: L'accès à certains services, ou à un téléphone, c'est une chose. Mais qu'arrive-t-il si un environnement n'est pas sécuritaire en raison de mauvais traitements, par exemple? Qui fait cette détermination-là? Il est possible qu'un malade fasse l'objet de mauvais traitements dans son milieu familial.
Mme Hansen: Nous avons des protocoles exigeant que ce genre d'information soit obligatoirement communiquée aux autorités. Il y a une procédure en bonne et due forme que nous devons suivre dans de tels cas.
M. Coyte: Patricia McKeever a mené une étude en Ontario, a présenté des rapports à de nombreuses conférences, et publiera des communications à ce sujet dans les revues universitaires au cours des deux prochaines années. Son étude intitulée Hitting Home est un récit fascinant de la mise en place des services de soins à domicile dans la province de l'Ontario.
Dans la région de Chicago, ils estimaient que c'était une grande réussite pour le système de soins que de pouvoir sortir un enfant de l'hôpital en lui fournissant un système d'aide à la ventilation. Cet enfant a donc été confié à la famille, qui vivait dans un autobus scolaire sans eau courante. Ils avaient installé une génératrice à côté de l'autobus scolaire pour fournir l'électricité requise pour faire fonctionner le système de ventilation.
Ça fait vraiment peur d'entendre dire que de telles choses se font dans le secteur des soins à domicile. Si nous considérons comme une réussite la sortie précoce d'un malade pour aller se faire soigner dans ce genre d'endroit, je pense qu'il y a lieu d'avoir de sérieuses préoccupations concernant les problèmes auxquels nous pourrions être confrontés à l'avenir en ce qui concerne notre système de soins.
Et si on parle des logements canadiens, le fait est que la plupart des maisons n'ont pas été conçues pour permettre la prestation de soins de longue durée, qu'il s'agisse de circuler en fauteuil roulant ou d'avoir un éclairage approprié dans la maison. Il y a d'importantes différences entre les maisons, les unités de location, etc., qui touchent les Canadiens de diverses façons. Présumer que chaque citoyen habite une maison comme celles des sénateurs n'est pas très réaliste et ne correspond sans doute pas à la réalité en ce qui concerne le genre de logements où habitent les Canadiens.
En ce qui concerne les droits individuels, notamment où c'est l'État qui paie les soins, il convient de tenir compte des besoins de la collectivité aussi, en plus des droits individuels. Ainsi il faut évaluer l'adéquation des logements, du point de vue non seulement de l'état des lieux et de ce qui y est disponible, mais aussi de l'environnement social et du caractère du voisinage, pour savoir si l'environnement concerné est propice à la prestation du genre de soins qu'on assure aux Canadiens.
Le sénateur Cordy: Quand il s'agit d'enfants surtout, on suppose toujours qu'ils ne sont jamais aussi bien que chez eux, n'est-ce pas? Et nous avons tous nos propres rêves de ce à quoi correspond la vie de famille parfaite.
Madame Hansen, vous avez dit que vous redéfinissez constamment le rôle des soins à domicile au Nouveau- Brunswick. Je me demande donc si vous redéfinissez ce rôle pour être à même de répondre aux besoins des membres de la collectivité, ou simplement parce que la situation évolue sans arrêt, ou les deux?
Mme Hansen: Les deux. Nous constatons qu'à mesure qu'évolue la technologie, les médecins sont souvent d'avis qu'il est possible d'assurer les soins à domicile. Mais le simple fait que ce soit possible ne signifie pas que c'est souhaitable. Nous prenons très au sérieux la question des éventuelles conséquences de l'introduction dans l'environnement d'une personne certains types d'interventions sanitaires. Parfois les soignants informels ne sont pas en mesure de s'en sortir. Dans d'autres cas, ce n'est pas sécuritaire.
Nous avons la chance de pouvoir refuser, et nous le faisons. Nous indiquons au médecin que ce n'est pas possible en évoquant les raisons pour lesquelles il n'est pas approprié, à notre avis, que le malade soit renvoyé chez lui pour recevoir des soins à domicile. Le programme a toujours été ainsi conçu.
Souvent c'est en raison de l'évolution des technologies, de l'introduction de nouveaux équipements ou de nouvelles interventions ou du désir de sortir les malades de l'hôpital pour les faire soigner chez eux. Mais nos politiques et procédures s'appuient fortement sur l'expérience clinique. Parfois les médecins ne semblent pas reconnaître que telle chose puisse se faire dans un hôpital, mais que c'est tout à fait autre chose du moment qu'on parle du domicile. Ce n'est pas un service sur demande en ce sens qu'il suffit pour nous d'appuyer sur un bouton pour que quelqu'un se rende tout de suite chez le malade. Voilà pourquoi nous prenons les décisions au cas par cas. Nous déterminons si le client est admissible et si nous sommes en mesure de lui assurer des soins sécuritaires et appropriés.
M. Coyte: Le Nouveau-Brunswick est peut-être unique en ce sens que les normes sont les mêmes dans toute la province, mais ce n'est certainement pas le cas en Ontario sur le plan de la prestation des services. Il y a au contraire un manque grave d'uniformité de services, qu'on soit à Renfrew, Peel, Windsor, Toronto ou Kingston. La disponibilité des services est sans parallèle dans le secteur des soins à domicile, comparativement à d'autres types de services, y compris les interventions chirurgicales. Certains organismes font état de variations importantes relativement à l'accès à divers types d'interventions chirurgicales en établissement, mais au niveau de l'accès, il y a des variations encore plus importantes relatives au niveau de service assuré d'une administration à l'autre; ainsi ce n'est pas uniquement la possibilité de recevoir des services qui est variable mais le niveau de service aussi.
Les agents de gestion des cas prennent des décisions touchant le service et agissent en quelque sorte comme des entrepreneurs indépendants. Autrement dit, le degré de prestation des soins et la gamme des soins peuvent varier considérablement. De même, les opinions des administrateurs concernant le genre d'environnement qu'on peut considérer comme étant raisonnable et approprié pour les soins à domicile peuvent également être fort variables.
Il faut donc élaborer des outils d'évaluation communs qui éliminent le caractère discrétionnaire de certaines décisions touchant le service. Bien sûr, il doit y avoir un certain pouvoir discrétionnaire de la part des professionnels, mais il devrait être minime, puisque le financement des soins concernés passe par le Trésor public.
Le sénateur Morin: Et qu'avez-vous à dire concernant les soins à prodiguer aux sans-abri qui se trouvent sur le trottoir le long de la rue Yonge? À mon avis, on n'a pas nécessairement besoin de chercher de tels exemples aux États- Unis.
Je me rends très bien compte que ce débat concerne au plus haut point les provinces et les collectivités. Y a-t-il un niveau minimum de soins à domicile auxquels tous les Canadiens devraient avoir droit? Par exemple, nous savons qu'aucun Canadien ne devrait être privé de médicaments d'importance vitale. Nous savons que ça existe, mais notre comité essaie de trouver une solution. Je songe, par exemple, aux personnes âgées très frêles qui sont plus en danger que celles qui reçoivent des soins post-soins actifs.
Y a-t-il un programme minimum que le gouvernement fédéral pourrait financer lui-même de sorte que tous les Canadiens puissent bénéficier d'un niveau minimum de soins à domicile?
M. Coyte: Au Japon, les personnes qui demandent des soins de longue durée sont évaluées à l'aide d'un questionnaire. Il s'agit d'une évaluation automatisée qui calcule le nombre de minutes de chaque type de soins que requiert le client.
Avec le questionnaire, grâce aux réponses aux questions et du calcul automatisé du temps qui sera financé par l'État ou la compagnie d'assurance, on peut savoir quels sont les besoins minimums en matière de soins de courte durée. Je suppose que tout dépend des types de services que vous voulez servir. Les soins infirmiers seraient évidemment inclus, comme d'autres thérapies. Et étant donné les études dont nous parlait M. Hollander, les services de soutien personnel seraient également compris.
La question est donc celle-ci: dans quelles circonstances les soins seraient-ils automatiquement prodigués? Deuxièmement: à quelle quantité de soins le client a-t-il automatiquement droit s'il remplit tous les critères d'admissibilité? Tout comme une compagnie d'assurance, On pourrait définir les conditions dans lesquelles certains soins seraient assurés. À mon avis, il n'existe dans aucune province une description claire des services qui seraient payés par la province et dans quelles conditions. Mais je me trompe peut-être.
Le président: Je croyais vous avoir entendu dire que l'étude que vous avez menée pour la commission Sinclair utilisait comme critère un délai maximum de 90 jours. Vous avez conclu, me semble-t-il, que c'était faisable. En tout cas, vous sembliez me dire que si les gens étaient prêts à faire la recherche que suppose l'élaboration des normes, ce serait faisable.
M. Coyte: J'ai dit que si l'on définissait la période de prestation des services en fonction d'un délai de 90 jours, et qu'on établissait des groupes cliniques spécifiques en fonction du diagnostic le plus responsable et que si l'on calculait ensuite le coût moyen des divers types de services qu'avaient reçus par le passé divers clients, on pourrait en arriver à une formule de capitation fondée sur les différents groupes cliniques. Ainsi la nouvelle formule de capitation serait fondée sur des données historiques réelles, et ce serait en fait une condition essentielle.
Le sénateur Morin: Les soins assurés aux malades chroniques seraient-ils exclus?
M. Coyte: Dans ce cas, les soins aux malades chroniques seraient exclus car ce serait peut-être l'un des domaines où l'on voudrait prendre toute une série de mesures pour faire avancer les choses.
Le sénateur Morin: D'après Mme Hansen, on peut difficilement séparer les deux. Je ne suis pas convaincu que ce sont les soins actifs qui correspondent aux besoins les plus urgents des Canadiens. À mon avis, l'urgence se situe plutôt au niveau des soins prodigués aux malades chroniques.
M. Coyte: On peut examiner la situation des personnes âgées frêles et leurs difficultés de vie quotidienne et prévoir des formules de financement spécifiques selon le degré de difficultés qu'éprouve le client à s'acquitter de certaines tâches et financer, selon un taux de capitation donné, les groupes individuels requérant des soins primaires; ainsi on pourrait offrir directement les services, opter pour la sous-traitance ou même fournir en établissement des soins infirmiers, des thérapies et des services de soutien personnel. À mon avis, ce serait sans doute la deuxième étape d'un projet de réforme globale car, même en Ontario, nous essayons de réformer les soins primaires depuis longtemps et les progrès sont très lents. Pour moi, c'est le genre de réforme qui va peut-être se faire dans une dizaine d'années.
Le président: Ce qu'il faut, c'est définir une première étape qui rend possibles toutes les autres étapes. Il faut être bien conscient de son objectif ultime. La mise en place d'une formule de capitation pour les soins primaires serait donc la deuxième étape. Les représentants de l'Association médicale ontarienne qui ont témoigné devant le comité nous ont dit qu'après trois ans d'effort, il n'y a que 275 ou 300 omnipraticiens sur 8 000 en Ontario qui sont inscrits. Donc, c'est un processus qui prend très longtemps.
Le sénateur Morin: C'est déjà 300 de plus que dans n'importe laquelle des autres provinces.
Pourrais-je demander à Mme Hansen de répondre à la question? Votre opinion à cet égard m'intéresse.
Mme Hansen: Je vous expliquais tout à l'heure que l'Hôpital extra-mural a prévu dès le départ une fonction de substitution.
Le président: Pourriez-vous nous faire parvenir le texte précis de votre définition?
Mme Hansen: Oui.
Nous avons rapidement pris de l'expansion parce que nous savions qu'il est difficile d'assurer un seul type de service lorsque tant d'autres sont requis. Par exemple, une dame âgée hospitalisée pour une fracture de la hanche devait rentrer chez elle. Elle avait besoin de nos services, mais il lui fallait aussi des services de soutien de courte durée. Les services de soutien de courte durée ne sont assurés par aucun programme dans notre province. L'une des possibilités consistait donc à lui trouver un lit réservé pour les services de relève dans une maison de repos. Mais le personnel infirmier de la maison de repos n'était pas en mesure de lui fournir le niveau de soutien qu'il lui fallait. Cette dame avait donc besoin de soutien par l'entremise du programme extra-mural.
Nous ne recevons pas de crédits pour la prestation de services de soutien de courte durée, mais nous avons tout de même assuré ce service. Nous l'avons donc fait rentrer chez elle et des services de soutien de courte durée lui ont été assurés. Elle a fini par devenir une cliente requérant des soins de longue durée. Les clients passent entre les catégories de soins de courte durée et de longue durée. Il est donc difficile de définir tout ce qui peut correspondre à des soins de courte durée. Dans un cas, il pourrait s'agir d'une infirmière qui assure des services à court terme, et dans un autre, d'un inhalothérapeute qui fournit des services à long terme. C'est pour cela que je vous dis qu'il est difficile de dégrouper les services.
Le sénateur Morin: Le Nouveau-Brunswick dépense quatre fois plus pour les soins à domicile que le Québec. Cependant, bien souvent les malades qui bénéficient de vos services à domicile ne peuvent pas se permettre d'acheter des médicaments d'importance vitale. Nous avons entendu parler de gens au Nouveau-Brunswick qui n'ont pas les moyens d'acheter leurs médicaments.
Le Québec dépense quatre fois plus pour les médicaments que le Nouveau-Brunswick. Les médicaments sont intégralement assurés, mais il n'est pas possible à mon avis qu'ils aient un programme satisfaisant s'ils dépensent quatre fois moins que vous. À mon avis, ce n'est tout simplement pas possible. Et il en va de même pour d'autres provinces, comme l'Île-du-Prince-Édouard et d'autres.
Tout le monde devrait être assuré pour les médicaments d'importance vitale. Ça c'est l'une des affirmations que nous ferons, tout comme la Commission Romanow. Tout le monde est d'accord là-dessus. La situation au Nouveau- Brunswick en ce qui concerne les médicaments est inacceptable. Il faut soit accepter de financer, soit trouver une solution qui règle ce problème.
Ceci dit, il y a ici aujourd'hui des experts qui sont dans l'impossibilité de me dire pourquoi nous ne pouvons pas faire la même chose pour les soins à domicile.
M. Hollander: Le problème qui se pose lorsqu'on cherche à fixer un nombre ou pourcentage, c'est que les besoins sanitaires des gens sont différents. En cherchant à fixer des normes numériques, vous devez forcément faire cet exercice selon différents niveaux de soins. Or, comme le niveau de service assuré d'une province à l'autre varie, il serait difficile de déterminer quelle quantité ou durée de service est appropriée, et cetera. Assigner une valeur numérique devient problématique dans ce contexte, surtout qu'à l'heure actuelle, nous ne disposons même pas de bonnes données qui nous permettraient de savoir quel niveau de soins est assuré dans l'ensemble des différents territoires et provinces.
Vous avez parlé de l'optique nationale. Je pense qu'il serait possible de recommander qu'on adopte le principe selon lequel les gens devraient être soignés en rapport avec leurs besoins. En fin de compte, la décision de fournir plus ou moins de soins est une décision d'ordre clinique. C'est pour ça qu'elle peut poser problème. Par contre, on peut toujours établir un principe. Par la suite, il conviendrait d'élaborer des méthodes de suivi et de comparaison. Si ce travail se réalise sur une certaine période, il nous serait peut-être possible de parvenir à un consensus national sur la question.
Au fur et à mesure que nous rassemblerons des données provenant des diverses administrations, nous pourrons établir de meilleures comparaisons et nous disposerons donc du genre de normes numériques dont vous parlez.
Le sénateur Cook: Madame Hansen, j'ai lu dans votre mémoire que vous recevez vos crédits du ministère de la Santé et du Mieux-être, crédits qui sont prélevés sur un «budget protégé» qui fait partie du financement global des régies régionales de la santé.
Comment faites-vous pour négocier votre budget chaque année? Est-ce que vous passez par la régie régionale de la santé, par le Conseil du Trésor de votre province, ou par le ministère de la Santé?
Mme Hansen: Ces fonds sont affectés directement au ministère. Toute demande de ressources budgétaires accrues doit être soumise à l'examen du ministère de la Santé et du Mieux-être.
Le sénateur Cook: Négociez-vous par le biais de la régie régionale de la santé?
Mme Hansen: Non. Puisque nos activités respectives sont financées à partir d'enveloppes budgétaires distinctes, c'est le ministère qui traite directement toute demande d'augmentation budgétaire.
Le sénateur Cook: J'ai regardé vos ratios, et la proportion de 3 p. 100 du budget du ministère de la Santé et du Mieux-être ne me semble pas du tout problématique.
Mme Hansen: Lorsque le programme relevait de la responsabilité des régies régionales de la santé en juillet 1996, la décision a été prise de protéger le budget. Les régies régionales de la santé peuvent affecter une partie de leur financement global à ce budget, mais elles ne peuvent rien prélever là-dessus. Mais elles acceptent d'augmenter le budget prévu lorsqu'elles se rendent compte que les besoins des citoyens en matière de soins à domicile ne sont pas satisfaits.
Le sénateur Cook: À mesure que la façon de distribuer les services a évolué — par exemple, les diverses options à domicile, et ce genre de choses — avez-vous rencontré des problèmes pour ce qui est d'obtenir les ressources supplémentaires qu'il vous faut en raison d'un mode de vie changeant ou de l'évolution des modes de prestation des services?
Mme Hansen: Jusqu'ici, nous n'avons pas eu de mal à obtenir les augmentations requises pour soutenir le programme.
Le sénateur Cook: Donc, les compressions budgétaires ne vous ont pas touchés?
Mme Hansen: Non.
Le sénateur Fairbairn: J'aimerais attirer votre attention sur quelques phrases qui m'ont paru épineuses du point de vue de l'obligation du gouvernement de réagir au concept qui semble les sous-tendre:
La première se trouve au début de votre mémoire, madame Hansen. Vous dites ceci:
Pour ceux qui ont besoin de services pour pouvoir continuer de vaquer à leurs activités quotidiennes en toute autonomie, le PEM est la solution toute indiquée.
Voilà justement ce que nous, en tant que gouvernement, décideurs et les élus recommandons aux Canadiens dans leur vie quotidienne.
Monsieur Coyte, vous laissez entendre à un moment donné que les décideurs doivent faire preuve de créativité pour s'assurer que les principes qui protègent les soins assurés par les médecins traduisent les réalités d'aujourd'hui.
Il me semble que nous avons réussi à créer un système de soins qui fait l'envie d'autres pays. Cependant, notre société a beaucoup évolué du point de vue de la façon dont les gens vivent et gagnent leur vie. Nous n'avons plus la même structure familiale favorisant les conditions dont on parle. Or on ne semble pas s'en rendre compte.
Pour moi, nous essayons de fournir une forme quelconque de soins à domicile, mais dans certains cas, nous ne savons pas trop ce que nous voulons faire, et dans d'autres, nous fondons bon nombre de nos décisions sur des attentes vis-à-vis de la famille qui n'existent plus. Dans ce contexte, il me semble qu'une personne qui est malade ou qui a besoin d'aide pour être indépendante ne doit pas payer le prix de ce manque de compréhension ou de sensibilité de la part des décideurs.
Avez-vous quelque chose à dire qui pourrait nous aider à cet égard? Il me semble que c'est essentiellement ce dont on parle en ce moment. Si nous avons un système de soins au Canada qui ne comprend pas les soins à domicile — ou du moins des soins à domicile qui sont vraiment pertinents et utiles — nous devons tout simplement faire mieux. Et le rôle du comité consiste justement à donner l'impulsion qui va faire progresser le système.
M. Coyte: Vos commentaires sont très justes. La plupart des Canadiens et la plupart des politiciens ne sont pas prévoyants. Il existe une certaine synergie entre les deux.
Le Programme national de subventions au titre de la santé fut le point de départ de ce que nous appelons aujourd'hui le système de soins de santé. En vertu de ce programme, les frais étaient partagés à 50 p. 100 avec les provinces, ce qui nous a permis de construire le complexe industriel moderne d'hôpitaux qui existe actuellement. Au début des années 70, entre 90 et 95 p. 100 de tous les lits d'hôpitaux qui existaient à l'époque étaient financés par ce programme.
Au début du siècle, la majeure partie des soins était assurée par les Canadiens dans leur domicile. Les hôpitaux jouaient un rôle minime. Les gens se soignaient ou se faisaient soigner chez eux.
Si vous regardez les différents milieux dans lesquels les soins sont actuellement assurés, vous remarquerez que chacun a connu une période de forte demande et d'expansion. Durant les années 60, jusqu'au début des années 70, les hôpitaux ont connu énormément d'expansion. Par suite de l'adoption de la Loi sur le financement des programmes établis en 1977, les services des médecins et les soins hospitaliers étaient financés selon une formule de financement global, plutôt qu'une formule de frais partagés. Cela a encouragé les provinces à réduire leurs investissements dans ces secteurs privilégiés et dans les fournisseurs de soins, et à se concentrer plutôt sur d'autres composantes du système de soins.
La plupart des électeurs actuels au Canada ont vécu cette période de changement. Ils sont très attachés à leurs fournisseurs de soins individuels, et ils sont certainement attachés aux hôpitaux où ils sont nés. Ils reçoivent des soins périodiquement, et 73 ou 74 p. 100 des Canadiens meurent dans les hôpitaux.
Or, nous devons cesser d'être aussi attachés à nos hôpitaux. Les progrès techniques et pharmaceutiques, et d'autres sortes de technologies conviviales et miniaturisées, ont permis d'assurer des soins dans d'autres milieux. En même temps, il faut être prudent et éviter de trop élargir le secteur des soins à domicile, car ce ne sont pas toutes les maisons ou situations qui permettent d'assurer des soins sécuritaires, efficaces et économiques aux Canadiens.
Nous devons connaître les soins de santé dans leur contexte historique. Si nous en sommes là aujourd'hui, c'est à cause de décisions prises au cours des 50 ou 60 dernières années, qui ont donné lieu à la création d'un grand nombre de groupes qui ont des intérêts importants à protéger, qu'on parle du secteur hospitalier ou des médecins. Il nous faut donc commencer à contester la perception selon laquelle ce sont les seuls éléments importants du système de soins.
Bien que nous affirmions au Canada que nous avons un excellent système de soins et que nous sommes perçus comme une nation privilégiée en raison de sa qualité exceptionnelle, notre système de soins exceptionnel n'assure à sa population qu'une petite gamme de services. Les hôpitaux et les médecins sont fantastiques au Canada, mais notre système est tout à fait déficient en ce qui concerne d'autres composantes du système. Vous devrez vous rendre à l'évidence que le système est déficient si vous avez besoin de soins à domicile, et il en va de même pour l'assurance- médicaments si vous habitez certaines régions du pays. Par conséquent, nous recevons des lettres où les gens nous disent qu'ils dépensent l'argent investi dans leurs REER, optent pour des prêts hypothécaires inversés, ou vendent leurs actifs. Les Canadiens ne devraient pas avoir à passer par là.
Le sénateur Fairbairn: Madame Hansen, vous devez avoir une opinion là-dessus puisque vous semblez avoir élaboré des réponses très complètes à bon nombre de ces questions dans votre mémoire. Depuis 1979, le Nouveau-Brunswick semble s'être penché sur ces questions et avoir réussi à solutionner beaucoup de problèmes où d'autres provinces n'ont pas eu autant de succès.
Mme Hansen: Oui. Je ne sens toujours privilégiée lorsqu'on commence à discuter de soins à domicile. À mon avis, nous avons effectivement un programme complet. Nous disons souvent que c'est le résultat d'une planification effectuée à dessein plutôt que par défaut. Il faut remonter à la fin des années 70 où un certain nombre de visionnaires comprenaient que ce programme pourrait correspondre à une composante réelle et viable du système de soins. Depuis, nous avons pris énormément d'expansion.
En 1997, tous les services de réadaptation ont été regroupés sous le programme extra-mural. À présent, nous assurons tous les services de réadaptation aux maisons de repos, au système scolaire, aux enfants d'âge préscolaire et aux membres de la collectivité grâce à ce programme. Il nous a permis d'assurer une certaine uniformité du nord au sud et d'est en ouest. Les citoyens du Nouveau-Brunswick savent à qui s'adresser, où aller et comment accéder au système. C'est cet objectif qui a été à l'origine de la planification dans le secteur des soins à domicile.
Le sénateur Morin: Ma question concerne ce que vous disiez concernant les personnes qui sont obligées de vendre leur maison et d'autres actifs pour obtenir des soins.
Peut-on accepter comme principe que personne ne devrait avoir à dépenser plus de 2 ou 3 p. 100 de son revenu pour les soins à domicile, et qu'au-delà de ce pourcentage, le gouvernement devrait accorder des subventions? Est-ce une bonne façon d'aborder le problème au niveau national, ou est-ce que je me trompe? Vous voyez ce que je veux dire, n'est-ce pas?
M. Coyte: Oui.
Le sénateur Morin: La définition de couverture des médicaments pour les situations catastrophiques prévoit qu'un client ne devrait pas avoir à dépenser plus de 2 ou 3 p. 100 de son revenu pour les médicaments. Voilà une façon de voir la chose. Peut-on appliquer la même logique aux soins à domicile? Le gouvernement fédéral ne peut pas assumer tout seul cette charge de 3,5 milliards de dollars. C'est impossible.
Vous m'avez dit que vous étiez dans l'impossibilité de définir un niveau minimum de soins à domicile. Essayons plutôt de fixer un montant maximum que chaque citoyen peut dépenser. À ce moment-là, on éviterait les problèmes qu'on nous a décrits jusqu'à présent.
M. Coyte: Permettez-moi d'apporter une précision. On peut toujours définir un niveau minimum pour n'importe quoi et établir ensuite les critères fondamentaux d'un programme national de soins à domicile à l'aide des documents que vous possédez. Pour ma part, j'ai dû établir un niveau minimum de soins en fonction des dépenses moyennes engagées pour chaque groupe d'âges et chaque sexe, et ce dans les trois premières provinces. Voilà donc une définition possible.
Le sénateur Morin: Qui est fonction du coût.
M. Coyte: Oui, c'est exact.
Le sénateur Morin: Mais moi je vous parle du niveau de soins.
Pourquoi ne pas prendre comme point de départ le pourcentage maximum de revenus qu'on peut consacrer aux soins à domicile?
M. Coyte: Ce serait possible. Le revenu moyen des personnes âgées est de l'ordre de 30 000 $. Trois pour cent correspondrait donc à environ 1 000 $. Les personnes qui assurent les services de soutien personnels touchent au moins 20 $ de l'heure. Ça représente 40 visites d'une heure. Ça n'ira donc pas bien loin.
Le sénateur Morin: Mais le pourcentage m'importe peu. Il faudrait peut-être que ce soit 10 p. 100. Serait-ce une bonne façon d'aborder le problème?&
M. Coyte: C'est une façon parmi d'autres, mais cela soulève la possibilité d'imposer un ticket modérateur pour les services assurés à domicile. Dans ce contexte, il faut se demander s'il est raisonnable d'imposer un ticket modérateur ou s'il ne convient pas mieux d'employer les critères de l'admissibilité aux services et des critères en matière de services pour déterminer quels services seront financés par les deniers publics.
En ce qui concerne le ticket modérateur, la question qui se pose est celle-ci: S'agit-il d'un service à propos duquel les gens peuvent prendre une décision concertée? Y a-t-il un degré de latitude qui pourrait inciter les gens à trop utiliser le service en question ou à en abuser s'il est intégralement assuré?
Beaucoup de gens âgés de plus de 70 ou 80 ans ont des problèmes de santé mentale et ne sont pas en mesure de prendre des décisions «éclairées» concernant le niveau de service qu'ils requièrent.
Le sénateur Morin: Vous préconisez donc que 100 p. 100 des services soient financés par le Trésor public?
M. Coyte: Telle est ma recommandation.
Le sénateur Morin: On peut difficilement voir en quoi consisterait le rôle fédéral dans ce contexte.
[Français]
Le sénateur Pépin: On dit que les femmes passent en moyenne 18 ans de leur vie à s'occuper d'une personne malade. En ce qui concerne les ressources humaines pour les soins à domicile et les soins communautaires, d'après vous, sur quel point devrions-nous nous attarder afin d'améliorer encore davantage la situation actuelle?
Nous devons trouver une façon de reconnaître le travail des travailleurs à domicile ainsi que des infirmières et des différents thérapeutes. Avez-vous suffisamment de personnel pour offrir les services requis?
[Traduction]
M. Coyte: La pénurie en Ontario de personnel infirmier et de soignants assurant les services de soutien personnel constitue une préoccupation. Même les établissements de soins de longue durée ont du mal à recruter des soignants qui assurent des services d'aide personnelle.
Le principal domaine où les administrations à la fois provinciales et fédérale pourraient jouer un rôle serait d'encourager l'utilisation des technologies de pointe pour assurer les soins à domicile. L'adoption de nouvelles technologies dans ce secteur permettrait de faire deux choses: d'abord, les personnes qui travaillent en établissement seraient plus disposées à offrir de travailler moyennant rétribution dans le secteur communautaire. Ceci aurait donc un effet positif sur l'offre. En même temps, dans la mesure où ces technologies sont utilisées pour compléter la prestation des soins, la demande de fournisseurs diminuerait aussi.
Il faut à la fois que les soins reposent sur l'utilisation des technologies de pointe et qu'ils donnent la priorité à l'intervention personnelle. L'utilisation des technologies serait une façon de rééquilibrer l'utilisation des ressources humaines et des ressources technologiques pour la prestation des soins à domicile.
Le remboursement en fonction d'une formule de capitation permet ce rééquilibrage, par opposition à une méthode de remboursement axée sur la rémunération à l'acte, qui ne vise que les fournisseurs de soins. Les décisions relatives au coût de l'équipement sont à part.
M. Hollander: Un important projet traitant de cette même question se déroule à l'heure actuelle. J'y participe. Mes observations reposent donc non seulement sur le travail que nous avons réalisé dans le cadre de ce projet, mais sur les données rassemblées dans le cadre d'autres initiatives dans ce domaine.
Dans certaines circonstances, ou disons à certains endroits et à certains moments, les personnes qui assurent les soins à domicile ont l'impression de subir énormément de pression. Cela donne lieu à plusieurs phénomènes intéressants. Parfois elles consacrent une bonne partie de leur temps de loisirs à assurer des soins à d'autres, si bien qu'elles sont à la fois soignantes rémunérées et bénévoles. Si elles font du bénévolat, c'est parce qu'elles ne sont pas rémunérées pour le nombre d'heures qui seraient requises pour fournir au malade les soins qu'il lui faut. Cela soulève donc la question de la suffisance des crédits disponibles.
Les normes de travail posent également problème. Je crois savoir qu'il existe des variations en ce qui concerne le paiement du temps de déplacement, le kilométrage, etc.
Une autre difficulté concerne la grande variabilité des taux de rémunération de ce genre de personnel d'un bout à l'autre du pays. Ainsi on pourrait envisager de préconiser une série de normes de travail raisonnables qui s'appliqueraient dans toutes les régions du pays.
Cette question relève de la responsabilité des provinces, mais il serait tout de même possible de faire des recommandations ou d'élaborer des normes à cet égard. Ces normes permettraient de garantir que les gens n'ont pas à payer l'utilisation de leur propre véhicule, que leur temps de déplacement est rémunéré; et qu'ils ne sont pas obligés de faire du bénévolat dans le cadre même de leur travail rémunéré.
Il conviendrait également d'examiner les salaires. Je ne sais pas si c'est vraiment le double, mais je sais que les soignants qui assurent les soins à domicile en Colombie-Britannique sont très bien payés. Dans certaines provinces, des personnes effectuant le même travail peuvent toucher un salaire qui correspond aux deux tiers ou peut-être seulement la moitié du salaire que reçoivent les travailleurs de la Colombie-Britannique.
Il y a énormément de variations, pour ce qui est non seulement de la rémunération mais des normes de travail. Vous voudrez peut-être vous intéresser à la question.
Mme Hansen: Je suis d'accord avec les observations de mes deux collègues.
Au Nouveau-Brunswick, nos professionnels de la santé bénéficient des mêmes taux salariaux que le personnel hospitalier. Par contre, les travailleurs qui assurent les services de soutien à domicile gagnent environ 12 $ de l'heure. Nous attendons avec impatience les résultats de l'étude qui est en cours pour pouvoir examiner les recommandations.
M. Hollander: Par contraste, le taux salarial est de 18 $ à 20 $ de l'heure en Colombie-Britannique. Ça fait une grande différence.
Le sénateur Robertson: Si j'ai bien compris, la frustration des administrateurs d'autres provinces et leur incapacité à faire des progrès sont liées en partie à des querelles de clocher; chacun protège son petit territoire. Je vous assure que nous nous sommes heurtés au même problème. Il y a 20 ans, nous avons décidé que nous ne pouvions plus nous permettre ce genre de rivalités de clocher ridicule. À un moment donné, il faut tout simplement trancher et dire aux gens: «Ou alors vous acceptez de collaborer avec les autres, ou alors vous ne travaillerez plus. C'est aussi simple que ça.» «Il y a des décisions à prendre.»
Je me rappelle de la réaction hystérique de VON, soit les Infirmières de l'Ordre de Victoria du Canada. C'était avant votre temps. Les services de VON coûtaient plus cher que ceux des infirmières hygiénistes ou du personnel infirmier hospitalier. Par conséquent, nous leur avons dit que nous étions désolés, qu'ils pourraient continuer à faire ce qu'ils voulaient, mais qu'il faudrait que ce soit en dehors de notre système. Donc, par la suite, nous avons utilisé notre propre personnel.
Je dois dire que la qualité des services infirmiers était sans égale dans la province, parce que les infirmiers et infirmières étaient contents de leur indépendance et de la possibilité de vraiment exercer leur métier. Les infirmiers et infirmières étaient chargés de soigner le patient avec des consultations périodiques auprès du médecin, s'il le fallait.
Il faut donc éliminer cet esprit de clocher. Nous aurons le même problème avec les professionnels de la santé. Pour une raison ou une autre, dans le système de soins, nous avons toujours eu peur de dire non. Mais à un moment donné, les gouvernements seront bien obligés de dire: non.
Je suis assez bien renseignée sur le système dans toutes les régions du pays, et je sais qu'il y a certainement un problème de mauvais traitements dans les hôpitaux psychiatriques, même si nous en avons fermé un bon nombre. Ce même problème de violence et de négligence se pose dans les maisons de repos. On peut prévoir que ce sera un problème dans tous les secteurs, et structurer le système en conséquence.
Si nous ne trouvons pas un moyen logique de solutionner ce problème, vu l'évolution démographique qui est prévue au cours des 15 prochaines années, il est probable que tous et chacun se mettront à élargir leurs structures hospitaliers à droite et à gauche. Qu'allons-nous faire pour être à même de desservir la population au fur et à mesure qu'elle vieillit? À mon avis, sur le plan déontologique, nous pouvons tous nous reprocher d'écarter les principes qui ne nous conviennent pas.
La plupart des gens n'aime pas l'idée de suivre ce que font les petites provinces; ils se disent que pour avoir des idées raffinées, il faut forcément être universitaire. Je ne dis pas ça pour offusquer quiconque. Mais comme le disent ceux qui se trouvent loin de Toronto: «Toronto est le centre de l'univers.»
Dans le cadre de vos recherches, efforcez-vous de trouver des solutions pratiques. Si vous conservez le cloisonnement actuel du système, ce ne serait pas une solution pratique.
Le président: Je tiens à remercier nos trois témoins de leur présence. Vous avez apporté une contribution des plus utiles à nos travaux. Nous vous remercions d'avoir pris le temps de comparaître devant le comité, étant donné que vous venez tous d'ailleurs.
Sénateurs, le comité directeur a décidé que ce serait utile d'inviter le professeur Brian Ferguson, de l'Université de Guelph, à préparer une réplique à l'étude qui soutenait que les hôpitaux privés sont moins efficaces et ont des taux de mortalité plus élevés. Il paraît que la méthodologie de recherche pose vraiment problème, comme nous l'ont fait remarquer les sénateurs Keon et Morin. Le professeur Ferguson est prêt à entreprendre ce projet de recherche, mais il faut adopter une motion en ce sens.
Le sénateur Cordy: J'en fais la proposition.
Le président: Honorables sénateurs, êtes-vous d'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: C'est adopté.
Honorables sénateurs, vous vous souviendrez que David Stewart-Patterson a présenté un mémoire devant la Commission Romanow il y a trois ou quatre semaines. On en a beaucoup parlé dans les médias. Son mémoire portait sur l'opportunité de faire administrer les budgets sanitaires par un organisme indépendant.
M. David Stewart-Patterson, vice-président principal, Politiques, Conseil canadien des chefs d'entreprise: Je voudrais aborder quelques points importants concernant l'avenir des soins de santé au Canada. Le premier concerne le fait qu'il convient de reconnaître le rôle du secteur privé, même dans la prestation des soins de santé publique au Canada. Je crois que le comité en est déjà conscient, puisqu'il a indiqué que le débat concernant le rôle approprié des secteurs public et privé dans la prestation des soins de santé était futile et nous avait simplement détournés de la tâche critique consistant à réformer le système.
Je tiens, d'ailleurs, à remercier les membres du comité d'avoir créé un environnement dans lequel il est possible de vraiment débattre du bien-fondé de différentes idées. Dans toute discussion concernant les mesures à prendre pour assurer de meilleurs soins de santé aux Canadiens à l'avenir, il convient d'examiner les moyens qui vont nous permettre d'y arriver, le plus efficacement possible. Cela suppose forcément le recours, dans certains cas, au secteur privé.
Je voudrais aussi insister sur le concept de la viabilité. Le comité a conclu que le système public actuel n'est pas viable et doit trouver de nouvelles sources de revenus. Pour notre part, nous insistons sur le fait que cela ne sert à rien de parler de viabilité uniquement sous l'angle de la capacité du gouvernement de financer le volet public du régime de soins de santé.
Quel degré de soins pouvons-nous nous permettre, en tant que société, d'offrir à nos citoyens? Pour nous, il faut chercher la solution dans les initiatives de développement économique plus qu'autre chose. Si vous regardez les pays industrialisés, vous constaterez que plus les sociétés sont riches, plus elles consacrent de crédits à leur système de soins parce qu'elles peuvent se le permettre.
Quant à savoir comment elles répartissent les dépenses entre les secteurs public et privé, c'est une question tout à fait à part. Si nous parlons vraiment de viabilité et de l'accès à la meilleure qualité possible de soins de santé, nous devons tout d'abord nous assurer que l'économie est sur la bonne voie. Dans une très large mesure — et il suffit de regarder ce qui se passe dans le monde et le nombre d'innovations en matière de nouveaux traitements, de techniques de prévention, et cetera. — c'est notre niveau de vie, en termes purement économiques, qui déterminera dans quelle mesure les Canadiens pourront profiter de ces innovations. Nous pouvons toujours choisir quelles activités devraient être publiques ou privées, ce qui va nécessairement influencer le degré d'accès des citoyens individuels, mais du point de vue du système dans son ensemble, c'est la vitalité de notre économie qui va déterminer l'ampleur et la qualité de notre régime.
Permettez-moi maintenant d'aborder cette notion de société d'État. Cette approche est tout à fait conforme à celle recommandée par le comité, en ce qui concerne la séparation des trois fonctions clés: l'assurance, la prestation et l'évaluation. Nous sommes d'accord pour dire qu'une approche par financement public unique offre maints avantages sur les plans de l'équité et de l'efficacité administrative. Nous acceptons la notion selon laquelle une évaluation du rendement du système de santé doit être indépendante pour être efficace, mais en même temps, nous percevons un besoin pressant de diversité, de souplesse et de concurrence accrue dans la prestation des soins de santé aux Canadiens.
C'est là qu'intervient notre recommandation selon laquelle il conviendrait peut-être de convertir la grande majorité des administrations provinciales de soins de santé en sociétés d'État. Un tel changement aurait pour principal avantage d'écarter la question politique consistant à déterminer qui doit être assuré, quels services doivent l'être et quel éventail de services doit être financé par les deniers publics — de la question purement administrative consistant à savoir comment on peut assurer les services de la façon la plus efficace possible. Je ne suis pas le seul à avoir chanté les louanges de ce genre de séparation devant le comité. Si je ne m'abuse, Jeffery Lozon a également parlé de l'importance de mettre le système à l'abri des vicissitudes du milieu public.
Je dois dire que nos membres étaient très inquiets face à cette possibilité-là. La création de sociétés d'État n'est certes pas une garantie de succès. Nous avons de nombreux exemples de sociétés d'État qui n'ont pas marché, ou qui donnaient des résultats inférieurs à ceux qu'on attendait d'elles. Par conséquent, la question de la méthode de régie d'une société d'État sera critique, notamment quand on parle de soins de santé et de la vie des gens.
Pour nous, le modèle de la société d'État présente de nombreux avantages: la possibilité de lever les capitaux nécessaires à des taux qui se rapprochent de ceux dont bénéficie l'État; la capacité de favoriser la concurrence pour ces capitaux au sein du système de soins; et la possibilité d'affecter les capitaux en fonction des meilleurs avantages marginaux; voilà donc quelques-uns des nombreux avantages que présente le modèle de la société d'État.
Les avantages de la continuité de la gestion et de la cohérence du processus décisionnel en sont d'autres qui ont émergé de mes discussions avec diverses personnes qui participent activement au système de prestation des soins, qu'il s'agisse de chefs d'entreprises qui le font en tant que bénévoles ou de professionnels qui oeuvrent au sein de la structure administrative. Quand il s'agit de projets pluriannuels complexes, le roulement du personnel ministériel et bureaucratique peut être considérable. La nécessité d'aider un nouveau ministre et un nouveau sous-ministre à se faire au travail tous les six mois s'est révélée un obstacle important à la bonne gestion de projets majeurs visant à réformer la prestation des soins. Nous en avons des exemples concrets à vous présenter, si vous le désirez.
Pour ce qui est de l'accès aux capitaux, j'ai parlé de partenariats entre les secteurs public et privé en tant que moyen potentiel d'accroître le financement du système. Encore une fois, de tels arrangements peuvent être complexes. Pour que des ententes de ce genre donnent de bons résultats et soient intéressants pour les contribuables du point de vue de leur rapport coût-efficacité, il faut qu'ils soient bien administrés. Cela suppose une expertise considérable. Les divers établissements qui en ont fait l'expérience se sont rendu compte que cela suppose énormément de temps et d'efforts pour apprendre à gérer convenablement des projets de ce genre. Évidemment, si vous centralisez cette expertise au niveau provincial de façon à pouvoir y accéder facilement, plutôt que d'avoir une succession de personnes qui doivent chaque fois apprendre à faire ce travail, il est certain que ces partenariats entre les secteurs public et privé se traduiront par une plus grande efficacité générale. Vous aurez des résultats qui sont à la fois meilleurs et plus uniformes.
Enfin, j'ai parlé d'économies d'échelle et de divers autres avantages, tels que le regroupement des acquisitions et la prestation centralisée de certains services — par exemple, dans le domaine informatique, et cetera. De nombreuses provinces ont déjà compris que cette façon de faire présente des avantages intéressants au niveau régional. Il y a tout lieu de croire que d'autres économies d'échelle pourront être réalisées si l'on regroupe certains services complexes comme cela a été fait au niveau provincial.
Il s'agit aussi d'introduire des mesures d'incitation dans le système. L'avantage d'une structure provinciale semblable à celle de la société d'État, c'est qu'elle présente l'avantage de conserver la propriété publique et d'exercer un contrôle rigoureux, tout en créant le genre d'attitude qui caractérise davantage le secteur privé, du point de vue de la prise de décisions et des disciplines qui doivent accompagner une structure d'entreprise. Ce modèle permet également d'offrir des encouragements à l'égard de toute une gamme d'activités. La structure de la société d'État prévoit aussi le pouvoir nécessaire de négocier la rémunération des médecins et le paiement en fonction des services pour les hôpitaux et d'autres établissements; on a beaucoup plus de possibilités d'en arriver là avec une structure comme celle-là, et de créer des encouragements dans l'ensemble du système, encouragements qui viseraient tout un éventail d'acteurs qui font partie du système.
Le président: Dans les provinces qui ont des régies régionales de la santé, est-ce que vous considérez ces dernières comme constituant une société d'État? Autrement dit, là où il existe des régies régionales de santé, on n'aurait pas besoin à la fois d'une société d'État provinciale et de régies régionales de la santé. Ainsi les crédits pourraient être versés directement aux régies régionales de la santé. Par contre, l'Ontario n'a pas de régies régionales pour la santé, si bien qu'elles pourraient avoir besoin de ce genre de structure. Avez-vous pensé à cette possibilité?
M. Stewart-Patterson: Évidemment, là où il n'y a pas de régies régionales de la santé, l'exercice est relativement simple. Là où elles existent, il suffirait de dire: «À notre avis, dans cette province, nous avons déjà atteint l'échelle optimale au niveau régional, et nous allons donc conserver cette structure et nous contenter de changer les services que nous sous-traitons et la façon de gérer nos relations avec autrui.»
Voilà le genre d'avantages dont je parle: l'intégration de services complexes; l'infrastructure de l'information; l'infrastructure de la sous-traitance; la gestion des partenariats entre les secteurs public et privé; l'accès aux capitaux; toutes ces activités seront sans doute plus efficaces au niveau provincial. Il faut alors se demander: Quel est le rôle approprié d'une régie régionale? Est-il justifié de prévoir que certaines décisions soient prises au niveau régional, comme on le ferait au niveau divisionnaire pour une société lucrative, où serait-il plus efficace d'éliminer cette couche de bureaucratie et de traiter directement avec les établissements individuels.
Les régies régionales de la santé semblent avoir certaines forces qui ont profité au système, et je ne voudrais pas les abandonner précipitamment sans être sûr que ces avantages continuent d'exister au niveau provincial. Ce qui peut être délicat dans la prestation des soins, c'est qu'on veut réaliser des économies d'échelle et créer une administration efficace tout en conservant la capacité de répondre aux besoins locaux et en s'assurant de la responsabilisation de tous les intervenants. Les besoins des citoyens en matière de soins de santé se font sentir au niveau local. C'est ce que nous avons constaté ici, par exemple, notamment dans le contexte du débat sur l'emplacement de l'unité de cardiologie infantile, qui assure des services spécialisés.
En ce qui concerne les centres d'excellence, nous savons que ces derniers permettent d'obtenir de meilleurs résultats sur le plan de l'état de santé de la population et d'atteindre un niveau supérieur d'efficacité lorsqu'on regroupe les actes médicaux dans des centres spécialisés. Évidemment, cela crée certains risques, puisque les citoyens doivent aller plus loin pour accéder à ces centres. C'est là que les décisions et les facteurs qui influencent les décisions peuvent être délicats.
Le problème des services de cardiologie infantile s'est également posé dans les provinces de l'Ouest. À Edmonton, le Capital Health District fournit ces services non seulement dans toute la province de l'Alberta, mais dans les autres provinces également. Ils ont conclu dans l'Ouest qu'il est préférable d'avoir un centre qui fait bien ce travail, même si les gens sont obligés de se déplacer pour s'y rendre. Je ne suis pas au courant des arguments économiques ni des facteurs précis qui font l'objet de la discussion en Ontario. Je sais seulement qu'il en a été récemment question localement, et c'est pour cette raison que j'en parle.
Le président: Vous dites ceci, à juste titre, à la page 8 de votre mémoire:
Pour provoquer la discussion, j'aimerais savoir quels encouragements à la santé de la population on peut dégager d'un système qui applique la TPS aux bâtons de hockey et aux patins à roues alignées mais pas aux aliments gras. Pourquoi les employeurs peuvent-ils fournir une assurance supplémentaire de soins de santé comme avantage non imposable, mais non le paiement de cotisations à un club de santé?
Ensuite vous posez la question que voici: Serait-il possible de modifier le régime fiscal pour accorder une forme de dégrèvement fiscal aux citoyens qui font l'effort de rester en bonne santé?
À cet égard, le comité a émis l'opinion que cette question doit absolument être examinée. Avez-vous une liste plus complète?
M. Stewart-Patterson: Non. Mais je tiens à préciser que nos membres n'ont pas encore décidé quelles mesures seraient les plus appropriées. Nous insistons simplement sur le fait que si l'objectif fixé consiste à encourager la population à améliorer son état de santé, il faut mettre l'accent sur la prévention, et pas seulement sur les soins. Dans ce contexte, la politique fiscale peut jouer un rôle de part et d'autre.
Pour des raisons de principe, nous avons tendance à préférer que notre politique fiscale soit simple, plutôt que complexe. Il faut éviter de faire de la microgestion à l'égard des articles qui devraient faire l'objet d'exclusions spéciales, et cetera. Le fait est que vous avez la possibilité d'orienter le régime fiscal pour encourager certains résultats. Voilà une façon de créer des encouragements.
Le président: Nous avons déjà dit que nous allons élaborer une recommandation spécifique touchant la collecte de revenus additionnels. Voilà qui m'amène à vos observations sur le régime fiscal. De toute évidence, vous êtes d'accord avec notre proposition touchant la collecte de recettes fédérales additionnelles. Vous dites ceci à la page 4:
Plus le Canada s'engage vers des dépenses en soins de santé par le truchement d'un système public, plus il doit, s'il veut demeurer compétitif, restructurer son assiette fiscale en fonction de la consommation.
Êtes-vous en train de nous dire: «Si vous comptez recueillir des recettes additionnelles, faites-le par l'entremise de la TPS»?
M. Stewart-Patterson: Pas nécessairement. Si vous prélevez un impôt supplémentaire, allez-vous le faire en fonction de la capacité contributive des citoyens? Selon ce modèle, il faut opter soit pour une taxe à la consommation, soit pour un impôt sur le revenu. Faut-il prévoir un taux uniforme, qui correspond à une forme de capitation en ce sens que vous payez la même somme quels que soient vos revenus ou quelle que soit votre utilisation du système? Le troisième modèle, qui ressemble à celui proposé par Tom Kent, prévoit le prélèvement d'un impôt selon l'utilisation du système de soins.
Le président: Comme le modèle proposé par l'Institut C.D. Howe?
M. Stewart-Patterson: Il s'agit, autrement dit, de se demander quelle serait la formule la plus équitable. On peut faire un choix, parmi l'éventail des possibilités, qui ne comporte pas de conséquences économiques importantes. Il y a aussi des options qui auront la même conséquence économique pour tout le monde que cela passe par l'une ou l'autre des deux formules. Par exemple, vous pouvez prélever une taxe à la consommation, mais en passant par un régime fiscal progressif.
Le concept d'un impôt sur le revenu basé sur la consommation en est un qui a fait l'objet de nombreuses études. Cela signifie essentiellement que vous prévoyez un impôt sur le revenu progressif qui est calculé non pas en fonction des gains des citoyens, mais plutôt des gains qui ne sont pas économisés. Ainsi, en passant par le régime fiscal, on peut encourager davantage les citoyens à investir leurs gains dans des véhicules d'épargne qui bénéficient d'un abri fiscal. Donc, les citoyens paient des impôts sur le revenu en fonction de ce qu'ils n'ont pas mis de côté pour répondre à leurs besoins futurs.
Il y a diverses manières de prélever une taxe à la consommation que ce soit fondé sur la capacité contributive ou l'utilisation du système, ou qu'elle prenne carrément la forme d'une prime. Plus la somme que les gouvernements à tous les paliers veulent réunir est importante, que ce soit pour les soins de santé ou d'autres services d'utilité publique, plus ils devront compter sur les taxes à la consommation pour le faire, s'ils souhaitent maintenir un minimum de compétitivité sur le plan économique. Plusieurs économistes, y compris Tom Courchene, ont fait valoir ce même argument.
Le président: Donc, selon vous, les comparaisons internationales mettent l'accent sur les impôts sur le revenu et tiennent rarement compte du fardeau fiscal global, même s'il s'agit d'une taxe à la consommation? Si vous rajustez les taux d'imposition pour réunir plus de recettes fédérales, est-il préférable, du point de vue de la politique fiscale dans son ensemble, de recourir à une taxe à la consommation pour y arriver ou d'imposer une forme quelconque de prime plutôt qu'un impôt sur le revenu?
M. Stewart-Patterson: Le facteur économique qui influe le plus sur les possibilités de croissance économique est le taux d'imposition du revenu des particuliers, de même que les décisions des entreprises sur les types d'investissements qu'il faut privilégier et les sommes à investir.
Il existe diverses estimations concernant l'ampleur des conséquences économiques négatives. Nous avons cité l'estimation fournie par le ministère des Finances à l'OCDE en 1997. Selon cette estimation, le fardeau économique marginal d'un dollar d'impôt de plus était neuf fois plus lourd pour les sociétés, comparativement à une taxe de vente permettant de prélever les mêmes recettes.
Le président: Est-ce qu'il s'agissait d'une étude menée par le ministère fédéral des Finances?
M. Stewart-Patterson: C'était plutôt une étude de l'OCDE, mais cette estimation était attribuée au ministère des Finances.
J'en ai vu d'autres aussi. Mais disons que la corrélation est toujours assez évidente; autrement dit, plus vous recourez à l'impôt sur le revenu pour accroître les recettes gouvernementales, plus vous découragez les citoyens de travailler plus tard, et plus vous découragez les entreprises d'investir. Dans une telle situation, vous découragez forcément la croissance économique dont vous dépendez pour assurer la viabilité du système.
Le président: Donc, d'après ce que vous dites, une taxe à la consommation, du genre TPS, n'a pas les mêmes conséquences parce que les gens dépensent de toute façon.
M. Stewart-Patterson: Les faits laissent supposer que pour prélever un dollar d'impôt de plus, ce genre de taxe compromet moins la croissance économique.
Le président: Que pensez-vous de l'idée de créer une prime pour les soins de santé — en somme, une police d'assurance — qui varierait de façon linéaire selon le niveau de revenu? Où se trouve cette option dans votre éventail de possibilités?
M. Stewart-Patterson: Si vous l'appliquez en fonction du revenu — c'est-à-dire selon les définitions actuelles du revenu imposable — vous en faites essentiellement un impôt sur le revenu, et à ce moment-là, autant en profiter le plus possible. Par contre, la courbe de progression est moins raide. Évidemment, plus elle influence le désir des gens de travailler plus fort ou de faire des investissements à l'avenir, plus elle influera sur la croissance économique. Plus la courbe est raide, plus l'impact de la prime sera importante.
Le président: Le sénateur LeBreton a des questions à vous poser et elle va également occuper le fauteuil.
Le sénateur LeBreton (vice-présidente) occupe le fauteuil.
La vice-présidente: Monsieur Stewart-Patterson, j'ai bien aimé entendre toutes ces observations concernant les nombreux avantages de la TPS. J'ai pris note de votre commentaire concernant les bâtons de hockey par opposition aux aliments gras. Je me rappelle bien du débat sur l'opportunité d'une taxe sur les aliments. Et même si les gens pensent que cela ne représente pas grand-chose maintenant, je peux vous assurer que cela a coûté cher au moment où la taxe a été créée. Moi et mes collègues en avons encore les cicatrices.
M. Stewart-Patterson: Le fait qu'une taxe soit plus efficace sur le plan économique ne veut pas dire qu'elle sera plus facile à faire accepter par la population.
La vice-présidente: Non, c'est ce que nous avons compris. Le meilleur compliment qu'on aurait pu nous faire, c'était la décision de la conserver.
Ma question concerne les sociétés d'État. Pour moi, c'est la solution à retenir. Ceci permettrait d'éliminer bon nombre des problèmes causés pour le système de soins par les changements de gouvernement, de bureaucrates et de ministres. Cela permettrait peut-être de mettre un terme à certains projets pilotes qui sont, dans bien des cas, une façon pour tous les partis politiques de protéger leurs arrières. Il s'agit d'un stratagème pour les politiciens ou l'occasion de lancer un ballon d'essai et d'éviter ainsi une situation politique délicate.
Comment le gouvernement fédéral réussira-t-il à faire accepter par les provinces qu'elles transforment leur bureaucratie provinciale en société d'État?
M. Stewart-Patterson: Il faudrait, bien entendu, que les provinces elles-mêmes reconnaissent les avantages d'une telle solution. C'est à chaque administration provinciale de déterminer quelle solution lui semble la plus appropriée. De toute façon, rien n'obligerait les provinces à faire exactement la même chose en même temps.
Nous proposons cette idée parce qu'elle nous semble logique, vu l'impératif de la bonne gouvernance, que nous ne tenons pas pour acquise. À notre avis, c'est une possibilité intéressante. Mais je ne m'attendrais pas à ce que toutes les provinces agissent en même temps. Le scénario le plus probable, c'est qu'une province déciderait que c'est une idée intéressante et qu'il convient de la mettre à l'épreuve, et selon le succès ou manque de succès de son initiative, d'autres provinces seraient peut-être tentées de suivre son exemple. C'est ainsi qu'on a réussi à innover jusqu'à présent dans le cadre du système de soins de santé, depuis sa création, d'ailleurs.
La vice-présidente: Et le Conseil a-t-il réfléchi à ce qu'il faudrait faire pour enclencher ce processus? Y aurait-il moyen pour le gouvernement fédéral de donner des encouragements pour inciter au moins quelques provinces à s'intéresser à la question, pour que d'autres suivent leur exemple?
M. Stewart-Patterson: Si le gouvernement fédéral estime que ce serait une bonne idée, ce que nous proposons, c'est que ce dernier examine ses engagements actuels en les considérant comme une sorte de repère pour fixer les transferts provinciaux. Dans la mesure où le fédéral est disposé à affecter des crédits accrus et qu'il trouve approprié d'investir ces crédits dans un véhicule qui encouragerait l'innovation, il y a plusieurs façons d'y parvenir. La plus importante initiative de ce genre qui a été prise jusqu'ici est la création de la Canada Health Infoway qui consistait à investir 500 millions de dollars pour mettre sur pied un organisme indépendant qui se chargerait d'activités convenues d'avance.
Je ne sais pas si ce modèle-là conviendrait pour le genre de changement structurel dont il est question ici, mais le fédéral pourrait certainement prévoir des crédits pour encourager l'innovation dans les provinces individuelles, au lieu de distribuer ces crédits équitablement, en fonction de la situation financière des provinces ou d'autres accords qui ont été conclus.
Le sénateur Fairbairn: J'ai remarqué que vous étiez là pendant une bonne partie de notre discussion assez animée sur les soins à domicile. Votre mémoire, dans lequel vous présentez les sociétés d'État comme un véhicule d'innovation et de changement, m'a beaucoup intéressée.
À votre avis, le modèle de la société d'État pourrait-il être valable pour un gouvernement fédéral qui essaie de jouer un rôle à l'échelle nationale dans le secteur des soins à domicile? Nous avons déjà parlé des régies régionales de la santé. Mais les régies régionales de la santé ne sont libres et efficaces que dans la mesure où leur maître — c'est-à-dire le gouvernement — leur permet de l'être. Les responsables des régies régionales en Alberta sont excellents, mais quand les choses vont mal, celles-ci n'exercent plus tellement de contrôle sur leurs activités.
Qu'en pensez-vous?
M. Stewart-Patterson: Vous avez soulevé deux questions. D'une part, la question de la gouvernance, et c'est dans ce contexte que la structure de la société d'État est avantageuse par rapport à celles des régies régionales de la santé. Nous parlons d'un modèle en vertu duquel des ententes de service seraient conclues si bien que les sommes accordées à la société d'État seraient précisées dans un contrat et donc moins susceptibles de fluctuer d'année en année.
Évidemment, il faudrait modifier ces contrats sur une base annuelle, au fur et à mesure que le gouvernement change d'avis ou décide d'ajouter des soins aux services à la gamme des services assurés. Ces sociétés d'État pourraient plus facilement déterminer quels moyens seraient à prendre pour faire telle chose, de même que l'affectation des ressources à tous les différents secteurs qui assurent les soins de santé. Mais cela nous amène à déterminer ce qui est inclus dans le mandat des provinces. Cela va évidemment influer sur la façon de faire les choses.
En ce qui concerne un éventuel rôle pour le fédéral et l'inclusion des soins à domicile dans le système global de soins de santé, la question la plus épineuse dans ce contexte est celle des compétences. Les mécanismes qui permettraient au fédéral de jouer un rôle passent par les citoyens individuels, que ce soit le régime fiscal ou les transferts. Ce sont des mécanismes qui permettent aux particuliers de payer, contrairement à l'idée d'exiger qu'une autre gamme de services soit offerte et de définir le niveau de service le plus approprié.
Je ne sais pas si le genre d'approche dont il est question ici se prête vraiment à l'intervention fédérale. Le gouvernement fédéral voudra peut-être intervenir d'une façon ou d'une autre, mais je ne suis pas convaincu que ce type de changement structurel correspond au mécanisme le plus approprié en matière d'intervention fédérale.
Pour répondre à la question du sénateur LeBreton, il serait possible de passer par la Fondation canadienne pour l'innovation, par exemple, pour assurer la répartition, par un organisme indépendant, de crédits fédéraux en fonction de certains principes. La Fondation favorise la création de centres d'excellence pour la recherche, par opposition aux conseils subventionnaires traditionnels qui ont leur propre méthode. On lui a confié le mandat de renforcer les succès. Cela a donc changé la façon de financer la recherche, ce qui a eu un effet très positif.
Est-ce un modèle qu'on pourrait utiliser pour financer les soins de santé? Pas directement.
Le sénateur Fairbairn: Ni facilement.
M. Stewart-Patterson: Pour moi, le gouvernement fédéral a deux solutions possibles. Ce n'est pas quelque chose dont nous avons discuté au sein du Conseil; là je vous donne mon opinion personnelle. La première consisterait à traiter directement avec les citoyens, comme il l'a toujours fait par le passé, par l'entremise de sa politique fiscale et des transferts aux particuliers. L'autre solution serait la collaboration. On peut évidemment encourager la collaboration en mettant de l'argent sur la table, ce qui rejoint mon autre suggestion, à savoir que le gouvernement fédéral augmente le financement des soins de santé à l'aide d'un véhicule qui encouragera l'innovation mais il faut bien comprendre que ce véhicule ne lui permettra pas de faire cela de façon prescriptive.
Le sénateur Robertson: Recommandez-vous que les provinces transforment leur ministère de la Santé en société d'État? Et le gouvernement fédéral? À votre avis, conviendrait-il de créer une société d'État à l'échelle nationale pour favoriser la coopération avec les sociétés d'État provinciales?
Comme vous l'avez indiqué vous-même, l'une des grandes difficultés qui se posent dans ce domaine est celle des querelles politiques. Le public en a assez et veut que les responsables politiques collaborent les uns avec les autres. Si nous créions une société d'État au niveau fédéral, à votre avis, cela favoriserait-il la collaboration avec les provinces?
M. Stewart-Patterson: À mon avis, un organisme indépendant ou même une société d'État pourrait bien jouer un rôle utile au niveau fédéral. Mais son rôle ne serait pas tout à fait le même.
Si nous proposons la création de sociétés d'État au niveau provincial, c'est pour séparer les décisions touchant l'équité et ce qu'il convient d'avoir comme services assurés de celles qui concernent l'administration et la façon d'assurer la prestation des services. Puisque le gouvernement fédéral ne participe pas directement à la prestation des services, il n'est pas nécessaire d'assurer cette séparation des responsabilités au niveau fédéral.
L'initiative de la Canada Health Infoway a été confiée à un organisme indépendant, et le fédéral a accepté de financer cet organisme indépendant; ainsi il était plus facile de s'entendre sur la structure de régie, structure qui a permis à toutes les provinces de travailler conjointement au règlement d'un problème national. Si le fédéral passe par un organisme indépendant, ce sera peut-être plus facile de convaincre les provinces de collaborer. Cela peut être avantageux.
Par contre, la création d'un organisme indépendant n'est pas nécessairement une garantie de succès. Le gouvernement a essayé de financer les bourses d'études du millénaire en passant par un organisme indépendant, et dans certains cas, les provinces n'ont pas bien réagi à cette initiative. Donc, tout dépendra non seulement de la structure prévue pour l'intervention fédérale qui est envisagée, mais aussi de son intention et de la perception de son intention.
Le sénateur Robertson: Il y a un service au sein du ministère fédéral de la Santé qui s'occupe de la prestation des services au niveau provincial. Peut-être est-ce un mécanisme de collaboration possible à explorer. Si vous avez une société d'État qui traite avec le ministre fédéral de la Santé, les ministres provinciaux de la Santé ne seront sans doute pas contents.
M. Stewart-Patterson: Je ne veux pas trop insister là-dessus, mais le comité a également fait état d'autres possibilités d'intervention fédérale directe, notamment en ce qui concerne les populations autochtones. Le gouvernement fédéral a peut-être certaines responsabilités en matière de prestation des services qu'il voudrait examiner de plus près pour déterminer les avantages éventuels d'une telle structure.
Le sénateur Robertson: De quelle façon votre modèle garantit-il la responsabilisation ministérielle? Vous indiquez les responsabilités de la société d'État, et ensuite du ministère de la Santé — c'est-à-dire, le ministre au fond — et ensuite de l'assemblée législative.
Avec un tel processus, comment fait-on pour assurer la responsabilisation ministérielle?
M. Stewart-Patterson: Le problème le plus épineux est celui de savoir comment concrétiser la responsabilisation ministérielle. Pour nous, le ministère de la Santé, qui relève directement du ministre, doit se charger de la politique sanitaire, c'est-à-dire, quels services sont assurés. La responsabilité de la prestation des services doit relever d'une entente contractuelle entre le gouvernement et la Couronne, et viser non seulement les services assurés mais les normes de prestation de ces services.
En d'autres termes, cela cadre tout à fait avec ceux qui ont recommandé que les listes d'attente soient aussi longues que possible, et cetera. La relation contractuelle est telle qu'on peut aussi offrir le genre d'encouragements envisagés par le comité. Ces encouragements interviennent lorsqu'on a un budget fixe et la responsabilité d'assurer les services, mais aussi dans un contexte où on n'aurait pas respecté son budget. Si le budget est respecté, la société disposera peut- être de crédits qui pourront servir à créer des enveloppes de primes. Cependant, on peut certainement incorporer des encouragements relatifs à la qualité des services et aux normes de prestation des services qui sont requises. Il peut s'agir d'encouragements négatifs, plutôt que positifs.
On peut aborder la question de la responsabilisation sous l'angle de la qualité globale des services et de l'accès à ces services, et ce par l'entremise du mécanisme contractuel. Il faut que la séparation des responsabilités soit claire. À l'époque où j'étais journaliste, j'ai passé un certain temps à couvrir la conversion de Postes Canada en société d'État, et j'en suis venu à la conclusion que cette société d'État ne commencerait à fonctionner efficacement que lorsque les ministres auraient compris qu'il fallait s'en distancier et cesser de répondre aux questions à ce sujet à la Chambre.
La gouvernance suppose une certaine discipline. Nous avons fait certaines mises en garde concernant l'importance de la gouvernance, mais aussi, dans le mémoire détaillé que nous avons soumis à l'examen de la Commission, nous avons abordé la question de savoir comment on peut mettre en place une formule de gouvernance qui met l'accent l'indépendance des administrateurs, la qualité des membres du conseil d'administration, etc.
Le sénateur Robertson: Il faut surtout s'assurer qu'il ne s'agit pas de nominations politiques.
M. Stewart-Patterson: Il faut s'assurer d'avoir au sein du conseil l'expertise fonctionnelle et le leadership nécessaires pour gérer un secteur d'activité très complexe. L'avantage, c'est qu'on peut toujours chercher cette expertise à l'extérieur et payer les experts dont on a besoin. On peut faire ça sans rencontrer le problème du roulement constant du personnel qui caractérise la fonction publique.
Le sénateur Robertson: Ça semblerait être un moyen de stabiliser les choses, puisqu'il n'y a absolument aucune stabilité actuellement, vu le roulement constant des ministres et des sous-ministres.
M. Stewart-Patterson: Non, certainement pas. Mais cela ne permet pas d'éliminer les difficultés politiques constantes qui peuvent surgir. Il y aura toujours des problèmes quotidiens de cette nature, mais au moins cela crée le genre de cadre cohérent qui permet de bien gérer les problèmes qui se présentent.
L'un des éléments sur lesquels on insiste, c'est l'importance de la continuité en ce qui concerne les formules de financement. Si vous concluez un contrat à long terme, vous obtenez de la continuité, mais vous perdez de la flexibilité. Ça peut causer des problèmes. Cependant, si je peux traduire cela en partenariat entre le secteur public et le secteur privé, ce serait peut-être une meilleure façon de s'assurer que de nouveaux hôpitaux seront construits. L'une des critiques formulées à l'égard des partenariats entre les secteurs public et privé, c'est que si ça coûte moins cher aux gouvernements d'emprunter de l'argent qu'à un fournisseur du secteur privé, pourquoi les gouvernements ne se contenteraient-ils tout simplement de faire des emprunts et de financer les activités directement?
Lorsqu'une entreprise privée participe à un partenariat avec le secteur public, elle fournit les fonds et l'expertise, en plus d'assumer le risque des dépassements de budget. Ainsi les hôpitaux peuvent se concentrer sur la nécessité d'assurer 12 échanges d'air de l'heure au bloc opératoire. Ils n'ont pas besoin de créer une expertise à l'interne en ce qui concerne les meilleurs équipements qui sont disponibles sur le marché et le moyen le plus économique d'atteindre tel résultat. Autrement dit, il s'agit de partager l'expertise.
Dès lors qu'il s'agit d'un partenariat entre le secteur public et le secteur privé qui comprend les frais de conception, de construction, de propriété, de fonctionnement et d'entretien, vous incorporez d'office des coûts fixes qui comprennent l'entretien. Voilà ce qui arrive actuellement à l'Hôpital royal d'Ottawa et à Brampton. Cela veut donc dire que si vous avez des problèmes de budget comme ceux que nous avons connus au début des années 90, les hôpitaux ne peuvent pas se permettre de réduire les dépenses d'entretien. Donc, si les crédits ne sont pas suffisants, les choix relatifs à la prestation directe des services cliniques seront forcément plus difficiles à faire. On pourrait également soutenir que dans un tel contexte, les gouvernements seraient moins susceptibles de réduire le financement des soins auxquels tiennent les citoyens.
Il n'y a malheureusement pas de solutions parfaites à proposer face à ces dilemmes, mais cette approche-là semblerait au moins constituer une amélioration par rapport à ce qui existe actuellement.
Le sénateur Robertson: Le comité a reçu les témoignages de nombreux témoins concernant les diverses méthodes d'accroissement des fonds qui seront nécessaires pour assurer la viabilité du système de soins. Dans l'ensemble, les gens semblent s'accorder pour dire qu'il faut faire quelque chose. Ce qui nous semble important, c'est de nous assurer que les crédits fédéraux supplémentaires seront des crédits réservés. Nous craignons justement que les recettes fiscales qui pourraient être générées passent directement entre les mains du ministère des Finances, et que ce dernier prenne tout, si bien que le ministère de la Santé ne profite pas de ces fonds.
Est-ce que vous avez bien dit que le prélèvement d'un impôt ne serait pas une bonne solution, puisqu'un impôt supplémentaire pourrait compromettre notre compétitivité?
M. Stewart-Patterson: Lorsqu'on parle de la viabilité du système, on parle de la capacité de tous les Canadiens, en tant que groupe économique, de financer la qualité de soins de santé qui nous semble appropriée. La répartition des coûts, cependant, représente surtout une question d'équité. Certains pays répartissent les coûts d'une certaine façon; d'autres, les répartissent autrement. Certains offrent une aide financière seulement aux groupes qui en ont vraiment besoin, alors que d'autres — comme nous — suivent un modèle axé sur l'offre d'un ensemble de services à toute la population. D'autres préfèrent opter pour une formule de partage des frais qui assure tous les services jusqu'à un certain point, mais seulement certains services à 100 p. 100. Il y a de nombreuses façons de concevoir le partage le plus juste des frais globaux d'un système de soins de santé.
Le fait est que le système public de soins de santé ne supporte pas tous les coûts; d'autres les supportent à leur place. Ce sont des particuliers qui peuvent ou non se permettre de supporter de tels frais, ou alors des employeurs. Le coût des régimes complémentaires privés d'assurance-maladie et d'assurance dentaire payés par les employeurs ou à frais partagés en est la preuve.
Si le système public ne fournit pas des soins de la qualité requise, et si les listes d'attente ne font que s'allonger, cela peut aussi influer sur la compétitivité. Lorsque les gens restent en chômage plus longtemps ou que lorsque leurs capacités sont affaiblies, du fait d'avoir d'attendre plus longtemps pour être soignés, la productivité diminue.
En ce qui concerne les pays industrialisés dans leur ensemble, ces derniers consacrent aux soins de santé environ la même somme, en tant que proportion de l'activité économique, soit entre 5 et 7 p. 100 du PIB. La plupart des pays membres de l'OCDE se trouvent dans cette catégorie-là. Nous nous situons légèrement au-dessus de la moyenne, dans cette catégorie. La somme que nous consacrons au système public de soins de santé n'est pas inhabituelle.
Il serait possible de consacrer une plus grosse part des deniers publics aux soins de santé, sans que notre situation soit compromise par rapport à nos concurrents économiques. Bien que les dépenses publiques sanitaires ne soient pas excessives, les dépenses publiques dans d'autres domaines — par exemple, pour faire le service de la dette publique — sont tout à fait excessifs. Il faut donc considérer que la participation globale du gouvernement à l'économie doit constituer un maximum.
Si nous voulons investir davantage dans le système public de soins de santé, d'où viendront les fonds nécessaires? Voulons-nous envisager de faire passer le fardeau fiscal net au-delà de 44 p. 100, en tant que pourcentage du PIB, pour tous les paliers de gouvernement, ou voulons-nous que les crédits supplémentaires qui sont prélevés soient réservés pour les soins de santé? Les soins de santé constituent la priorité des priorités, alors que les gouvernements mènent d'autres activités qu'il conviendrait d'éliminer ou de réduire.
Le sénateur Robertson: À votre avis, le gouvernement se conduit-il de façon morale en interdisant aux citoyens canadiens de prendre une assurance-maladie pour tout acte médical assuré selon les cinq principes de la loi?
M. Stewart-Patterson: On ne peut prendre des assurances privées pour des services publics. Par contre, il est tout à fait possible au Canada de s'adresser au secteur privé pour obtenir des services qui pourraient vous être assurés par le biais du système public. Ces services sont accessibles, mais pas à tout le monde, et ils coûtent cher. Cette interdiction est telle que les médecins ne peuvent pas fournir des services à la fois sur les marchés publics et privés.
Le sénateur Robertson: Mais le fait d'empêcher les citoyens de prendre une assurance-maladie privée revient à interdire certaines activités à la population, n'est-ce pas?
M. Stewart-Patterson: Mais cela n'empêche pas les particuliers d'acheter des services individuels.
Le sénateur Robertson: Si je veux me faire soigner dans une clinique privée ou dans un hôpital privé au Canada, je ne suis pas en mesure de prendre une assurance pour couvrir ce genre de services. C'est bien ça?
M. Stewart-Patterson: Autant que je sache, ce n'est pas possible.
Le sénateur Robertson: Et est-ce conforme à la morale?
La vice-présidente: Le sénateur Robertson vous demande si cela représente ou non une violation des droits individuels.
M. Stewart-Patterson: D'après ce que j'ai pu comprendre, si je veux consulter un spécialiste pour un service qui pourrait m'être fourni par mon omnipraticien, je peux le faire, bien que le spécialiste assure ces services dans le cadre du système public. Si je ne me trompe, un groupe de spécialistes en Colombie-Britannique assure justement ce genre de services.
Le sénateur Morin: Mais les médecins ne peuvent pas faire partie du secteur public et être rémunérés par le marché privé.
Le sénateur Robertson: Et je ne peux pas prendre une assurance pour ce genre de services.
M. Stewart-Patterson: Il existe certaines zones grises — par exemple, l'achat des services par les commissions des accidents du travail.
Le sénateur Morin: Ça, c'est différent.
M. Stewart-Patterson: Ça, c'est possible parce que du moment que les commissions des accidents du travail achètent ces services, ce ne sont plus des services assurés. D'après ce que j'ai pu comprendre, il existe un groupe de spécialistes en Colombie-Britannique qui font partie du système public qui assure directement des services au public, moyennant rétribution; il s'agit d'un service d'accès direct à des conseils de spécialistes. Quand ils assurent ce service de conseils directs sans que les malades soient obligés de passer par un omnipraticien, ce n'est pas considéré comme un service assuré. Un citoyen ne peut accéder directement à ces spécialistes que s'il est aiguillé par un omnipraticien.
Le sénateur Morin: J'espère que le ministre de la Santé de la Colombie-Britannique n'est pas au courant.
M. Stewart-Patterson: Ils en ont parlé dans les journaux.
La vice-présidente: Il s'agit du Dr Day. Il y a eu un grand article dans le Report On Business à ce sujet.
M. Stewart-Patterson: Là je vous fais part de mon opinion personnelle. Pour moi, il n'est ni moral ni possible que les gouvernements empêchent les Canadiens d'acheter les services qu'ils désirent. Par contre, ils peuvent leur compliquer la vie à un point tel que cela devient presque impossible. À ce moment-là, les gens seront obligés d'aller aux États-Unis ou ailleurs, mais pour moi, les gouvernements ne pourront empêcher les Canadiens de prendre une assurance maladie qui couvre de tels services à l'extérieur du Canada.
La vice-présidente: Nous sommes au courant d'un monsieur à Québec qui le fait: il a pris une assurance privée qui lui permet d'emmener les membres de sa famille aux États-Unis pour être soignés.
M. Stewart-Patterson: Je suis au courant de cas où des cadres recrutés à l'étranger ont insisté pour maintenir une assurance-maladie mondiale en raison de leurs préoccupations relatives à certaines perceptions de la qualité des soins assurés dans le cadre du système de soins canadiens. Par le passé, nous avons toujours dit que le système public de soins de santé au Canada représente un avantage concurrentiel puisqu'il assure des services, par l'entremise du régime fiscal, que les employeurs américains doivent payer directement. Donc, au niveau des coûts salariaux, nous avons certainement un avantage.
La vice-présidente: Parlez-vous de constructeurs automobiles?
M. Stewart-Patterson: Oui, et du secteur manufacturier en général. Pour moi, nous continuons de jouir d'un avantage en ce qui concerne les coûts salariaux. Mais pour beaucoup de nos membres, le problème se pose non pas au niveau de la production, c'est-à-dire de notre compétitivité-coûts à l'échelle des usines, mais plutôt au niveau de notre capacité de recruter de bons employés et de les maintenir en poste aux sièges sociaux. La grande préoccupation des cadres administratifs et des grands chercheurs internationaux, qui représentent un groupe très mobile, ce n'est pas le coût des soins mais plutôt la qualité et l'étendue des soins qui sont assurés.
Le sénateur Morin: Le Conseil du patronat de Montréal nous a dit exactement la même chose. C'est ce que j'ai communiqué aux syndicats, mais à leur avis, ce n'était pas un bon argument.
M. Stewart-Patterson: Les syndicats défendent évidemment leurs membres.
Le sénateur Morin: Ils nous ont dit que le Canada jouissait à cet égard d'un avantage concurrentiel.
M. Stewart-Patterson: Pour les employés syndiqués, c'est vrai.
Le sénateur Morin: Non, pour les employeurs; ils nous disaient que les employeurs ont un avantage concurrentiel. J'ai répliqué que selon le Conseil du patronat de Montréal, les employeurs avaient connu des difficultés pour recruter du personnel. Donc, vous avez raison. C'est une préoccupation sérieuse.
M. Stewart-Patterson: Dans le secteur qui intéresse les syndicats et les employés syndiqués, il est vrai que les employeurs jouissent toujours d'un avantage, comparativement aux employeurs américains, en raison de la méthode de prestation et de financement des soins de santé au Canada. Mais cet avantage en matière de financement n'est pas suffisant pour contrebalancer les inconvénients liés à la perception de la qualité de nos soins lorsqu'il est question de postes de niveaux supérieurs et surtout des employés des sièges sociaux de grandes sociétés ou de sociétés multinationales.
Le sénateur Keon: Vous avez commencé par poser une question concernant ce que la société est prête à payer, mais vous n'y avez pas répondu. D'ailleurs, personne n'y répond jamais. Nous parlons beaucoup de la somme additionnelle que le gouvernement devrait affecter, en tant que pourcentage du PIB, mais nous n'abordons jamais directement la question de savoir combien la société pourrait ou devrait payer pour obtenir ces services. Je vous invite donc à y répondre brièvement.
M. Stewart-Patterson: Quelle gamme de services est suffisante? Le fait est qu'il n'y a pas de bonnes réponses à cette question. Au fond, la réponse, c'est ce que nous décidons collectivement de prévoir comme gamme de services. Dans le monde industrialisé, il existe une norme assez uniforme en ce qui concerne le niveau de financement public; cela se situe entre 5 et 7 p. 100 du PIB. De même, si vous tracez une courbe représentant le revenu national par habitant par rapport aux dépenses sanitaires globales par habitant, pour les secteurs à la fois public et privé, vous allez voir que votre courbe aura un angle de 45 degrés. Plus les économies génèrent de l'argent, plus les gens dépensent.
Tous les jours nous exerçons des choix sur la quantité de services ou de produits qui nous semble suffisante. En tant que société, nous prenons des décisions collectives et nous nous ravisons de temps en temps. J'ai l'impression qu'au fur et à mesure que l'économie deviendra plus prospère, nous dépenserons davantage. Nous voudrons peut-être même accroître nos dépenses en tant que pourcentage du PIB. Mais à mon avis, il n'y a pas de bonne réponse en ce qui concerne la somme qu'il faut consacrer aux soins de santé. L'économie américaine est beaucoup plus riche et les États- Unis dépensent beaucoup plus que nous pour les soins de santé, mais malgré tout leurs résultats ne semblent pas être tellement supérieurs aux nôtres. Donc, dépenser davantage n'est pas forcément la bonne solution. Nous cherchons surtout à savoir comment nous pouvons obtenir les meilleurs résultats possible en ce qui concerne l'état de santé de la population. On ne parle pas seulement de résultats globaux; il faut faire le rapport avec les revenus, etc.
Nous n'avons pas cherché à répondre à cette question parce qu'il n'y a pas de bonne réponse qui nous permettrait de connaître le montant optimal qu'il faudrait consacrer aux soins de santé. Peu importe ce qu'on dépense, la vraie question qu'il faut se poser est celle-ci: Les ressources que nous y consacrons sont-elles optimisées par rapport aux résultats observés en ce qui concerne l'état de santé de la population? Voilà pourquoi nous avons mis l'accent sur la notion d'optimisation, plutôt que d'essayer de déterminer quel montant précis nous devrions dépenser.
Le sénateur Keon: Voilà quelque temps qu'on parle beaucoup du rôle du secteur privé. Certains entrevoient l'éventuel rôle de ce secteur avec enthousiasme. Pour ma part, je pense que les citoyens ne l'accepteront pas parce qu'ils n'ont pas été très impressionnés par Hydro One, Air Canada et le CNR.
M. Stewart-Patterson: Vous parlez des sociétés d'État ou de partenariats entre le secteur public et le secteur privé?
Le sénateur Keon: Je parle de sociétés d'État.
M. Stewart-Patterson: Nos membres nous ont également fait savoir qu'ils ont des réserves importantes à l'égard du modèle des sociétés d'État. Nous avons examiné les exemples que vous venez de citer, et notre conviction, c'est qu'il ne faut pas permettre que cela arrive à notre système de soins de santé. C'est pour cela que le processus de gouvernance sera critique — c'est-à-dire, qui est chargé de l'administration, quel est leur mandat, le contenu des contrats, et les mécanismes de responsabilisation.
Du point de vue du concept, les gens voudront savoir s'il s'agit d'une amélioration ou non. C'est ça, la question la plus importante. Si vous n'êtes pas satisfait du système actuel, qu'allez-vous faire pour l'améliorer? À l'heure actuelle, le public est très insatisfait du régime actuel. Il existe un certain nombre d'obstacles structurels à l'optimisation des ressources, à l'innovation et à des choix judicieux de la part des médecins pour ce qui est de l'affectation des ressources. Certains obstacles à l'affectation des ressources par les administrations provinciales selon les résultats et selon la répartition des capitaux au sein du système. Il y a aussi des problèmes pour savoir où construire de nouveaux hôpitaux et dans quels secteurs il convient d'investir pour être à même de répondre aux besoins futurs de la collectivité. Il y a aussi un certain degré d'intervention politique dans ce domaine.
Le point de départ des travaux entrepris par le comité était qu'il doit y avoir moyen d'améliorer notre bilan. Aussi le public est-il disposé à mon avis à examiner toute proposition d'amélioration si on peut le convaincre qu'elle donnera de bons résultats.
Le sénateur Keon: Une chose à laquelle tiennent les citoyens: c'est la responsabilisation. Quand ils en ont assez des bureaucrates, ils peuvent se débarrasser du ministre de la Santé. À mon avis, il est peu probable que les citoyens acceptent la notion d'une société d'État. C'est un débat qui se poursuit depuis un moment, mais à mon avis, cela ne va jamais se faire.
M. Stewart-Patterson: C'est une observation, je suppose, plutôt qu'une question.
[Français]
Le sénateur Pépin: À la page 2, vous dites:
[...] les entreprises canadiennes peuvent réduire la demande de services publics par le biais d'investissements communautaires et de politiques de ressources humaines visant à contribuer à améliorer la santé de la population.
La proposition est intéressante, mais en pratique cela prendrait quelle forme? Pourriez-vous nous donner quelques exemples de la façon dont pourrait s'appliquer cette proposition?
[Traduction]
M. Stewart-Patterson: Je reconnais simplement que les Canadiens d'âge adulte ont tendance à passer une bonne partie de leur vie au travail. Par conséquent, les politiques qui s'appliquent au travail peuvent avoir un impact. Il en va de même pour la culture d'une entreprise, pour ce qui est de savoir si c'est le genre d'entreprise où les gens sont à l'aise ou plutôt stressés. Qu'est-ce qui permet d'assurer la santé et la sécurité des employés au travail? Il peut même s'agir d'une question de tranquillité d'esprit du point de vue des politiques touchant les ressources humaines et la protection offerte au personnel — par exemple, la possibilité d'obtenir des soins pour des personnes âgées ou des services de garde d'enfants.
Donc, les employeurs influencent le bien-être de leurs employés et de leurs familles de toutes sortes de façons différentes. Et il y a aussi les questions d'ordre fiscal. Les employeurs peuvent également jouer un rôle en offrant des encouragements aux employés pour qu'ils adoptent des habitudes saines dans leur vie quotidienne, encouragements qui peuvent être imposables ou non, selon le cas. Ensuite il y a la question de savoir dans quelle mesure les employeurs prennent des initiatives; et quand ils en prennent, dans quelle mesure ils obligent leurs employés à payer des impôts là- dessus.
Il y a quelques années, nous avons eu un problème avec Revenu Canada qui faisait payer de l'impôt rétroactivement aux employés pour les cours que leur employeur leur avait payés. Nous avons signalé à Revenu Canada que c'était tout à fait improductif, notamment dans un contexte où le gouvernement disait aux employeurs qu'ils devraient investir davantage dans leurs employés.
La vice-présidente: Donc, Revenu Canada considérait ça comme un avantage imposable?
M. Stewart-Patterson: Oui. Dans un premier temps, ils ont ciblé les titulaires de maîtrise en administration, qui ont été informés par Revenu Canada qu'ils auraient à payer des impôts sur un avantage imposable d'une valeur de 40 000 $ pour les cours qu'ils avaient pris l'année précédente. Nous avons commencé à nous renseigner, et c'est ainsi que nous avons su que le ministère devenait de plus en plus agressif, à un point tel qu'il a traîné deux de ses propres vérificateurs devant les tribunaux pour avoir suivi des cours qui étaient exigés pour obtenir une promotion, aux frais du ministère et conformément aux règles du ministère lui-même. Ils ont soumis la question aux tribunaux, et le juge a décidé qu'il s'agissait effectivement d'un avantage imposable, car à moins qu'on ait menacé les employés de congédiement s'ils refusaient de prendre les cours en question, on pouvait conclure qu'ils les avaient suivis en raison d'un intérêt purement personnel et que l'avantage reçu était donc imposable.
Nous avons fait valoir nos arguments à cet égard et après avoir lancé un débat public sur la question, nous avons reçu un nouveau bulletin d'interprétation qui inversait complètement la charge de la preuve. Cela prouvait la nécessité d'examiner la cohérence des objectifs que nous avons fixés pour notre régime fiscal.
Donc, s'agissant de meilleurs résultats sur le plan de l'état de santé de la population, les employeurs ont un rôle et des responsabilités bien spécifiques.
La vice-présidente: Permettez-moi de vous remercier, monsieur Stewart-Patterson, pour votre présence aujourd'hui et pour vos observations, qui nous donneront certainement à réfléchir.
La séance est levée.