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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 66 - Témoignages du 11 septembre (matin)


OTTAWA, le mercredi 11 septembre 2002

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 h 13, pour examiner le document intitulé «Santé en français — Pour un meilleur accès à des services de santé en français».

Le sénateur Yves Morin (président suppléant) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président suppléant: Tout d'abord, il serait approprié de souligner l'anniversaire d'un des jours les plus sombres du continent et avoir une pensée pour les familles des victimes des événements du 11 septembre.

J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à Mme Pierrette Guimond, de la Faculté des sciences de la santé de l'Université d'Ottawa, au recteur Yvon Fontaine, de l'Université de Moncton et à mon collègue, confrère et élève, le vice-doyen adjoint à Faculté de médecine de l'Université de Sherbrooke, coordonnateur à la Faculté médicale francophone du Nouveau-Brunswick à l'Université de Moncton.

Madame Guimond, je vous donne la parole.

Mme Pierrette Guimond, professeure adjointe, Faculté des sciences de la santé, École des sciences infirmières, Université d'Ottawa: Je vais tenter de me limiter aux sept minutes de présentation qui me sont allouées. J'ai cinq diapositives à vous présenter.

Certains documents ont été rédigés sur la formation professionnelle. Le réseau des services de santé en français de l'est de l'Ontario a produit un de ces documents. Il s'agit d'un rapport exhaustif sur les besoins en formation de professionnels. Ce rapport rejoint les problématiques soulevées dans le document intitulé «Santé en français», de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada. Il est question dans ce rapport de la promotion des carrières en santé, des mesures incitatives, financières et humaines que devraient adopter les établissements francophones en ce qui a trait au recrutement et à la rétention de professionnels de la santé.

Ces documents exhaustifs et très bien faits reflètent le contexte actuel des besoins en formation des professionnels. Je ne répéterai pas les propos qui ont déjà été élaborés dans ces documents, mais j'aimerais ajouter une autre perspective de la formation professionnelle qui touche plus particulièrement ses fondements ou ses assises, perspective importante lorsqu'on fait l'étude de la problématique de la formation professionnelle.

Dressons d'abord un portrait de la formation professionnelle en sciences infirmières. Je suis infirmière de profession et mon doctorat traitait entre autres de la formation professionnelle en sciences infirmières. C'est la raison pour laquelle je parlerai plus spécifiquement cette profession. Toutefois, cette même problématique s'applique à plusieurs autres professions de la santé. Elle n'est pas exclusive aux sciences infirmières, exception faite du premier critère, soit le critère d'admission à l'exercice de la profession.

Nous révisons présentement le programme scolaire car nous devons établir une collaboration avec les collèges. Comme vous le savez, le baccalauréat en sciences infirmières sera maintenant le diplôme requis d'entrée pour exercer la profession. Cela résulte en une première problématique au niveau de la formation professionnelle en sciences infirmières. Non seulement on doit composer avec les problèmes linguistiques, mais aussi avec les problèmes liés à la culture aux niveaux collégial et universitaire.

Ma présentation d'aujourd'hui ne semblera peut-être pas traiter de la problématique spécifique à la population francophone. Effectivement, les problèmes que je soulèverai sont liés à la formation professionnelle en général, mais aussi dans la langue anglaise. Ces même problèmes sont par contre accentués en raison de la problématique linguistique, qui s'ajoute à une problématique déjà existante au niveau de la formation professionnelle.

Nous avons constaté qu'il y un besoin important d'une révolution des programmes de formation professionnelle pour améliorer la qualité de cette dernière. Actuellement et depuis plusieurs années, chaque révision de programme scolaire est plutôt une révision de programme visant une réorganisation du contenu, donc l'exercice est toujours à recommencer.

Il y aurait lieu de révolutionner les programmes de formation, en ce sens qu'il faudrait viser une reconceptualisation des relations pédagogiques en situation de formation, donc une nouvelle conception des fondements philosophiques. Ce faisant, on devrait tenir compte des résultats des recherches effectuées au sujet de la formation professionnelle. Il existe plusieurs données, et il semble qu'à chaque révision de programme scolaire on tienne très peu compte des résultats de ces recherches.

Il faudrait aussi valoriser la fonction de l'enseignement et la prestation de qualité dans les relations pédagogiques. Je parlerai plus longuement de ce sujet lorsque je vous montrerai une prochaine diapositive au sujet de la valorisation de l'enseignement, mais il s'agit d'un facteur très important, car si la qualité des formateurs est déficiente, tout le programme de formation s'en voit affecté.

Il serait également de mise d'implanter de nouveaux modèles pédagogiques axés sur l'apprenant et qui favoriseraient le développement de la pensée critique. La nouvelle orientation des professions de la santé est de former des professionnels aptes à porter un jugement critique, un jugement clinique éclairé, et à se défaire de la philosophie ou des modèles pédagogiques utilisés auparavant qui étaient, eux, plutôt axés sur la technique.

En sciences infirmières, plus particulièrement, nous voulons former des personnes capables d'établir des jugements cliniques éclairés et de développer une pensée critique solide.

Cela nous amène au problème de la pénurie d'infirmières pouvant recevoir de la formation en français. Pour ce qui est des établissements d'enseignement universitaire, j'ai parlé plus tôt de la dévalorisation de la fonction d'enseignement. C'est la composante pratique qui distingue une discipline professionnelle d'une discipline universitaire. En sciences infirmières, cette composante pratique est reconnue depuis longtemps comme étant au coeur de la formation de nos futurs professionnels. L'importance attribuée à la formation pratique des infirmières peut être illustrée par les comparaisons entre le nombre d'heures consacrées aux cours de formation pratique et celui des heures réservées aux cours théoriques.

En effet, on octroie deux fois plus de temps pour la formation pratique. Quel que soit le temps accordé, il existe un problème réel de dévalorisation qui se rattache principalement à des conditions institutionnelles de soutien défavorables à l'enseignement. Dans le milieu universitaire, le processus de promotion est axé sur la production de rapports de recherche, et l'enseignement est peu reconnu.

Une telle sous-estimation est encore plus vraie pour la formation professionnelle et pour la formation pratique. Cette perception influence donc les valeurs des professeurs, plus spécifiquement des professeurs d'université qui deviennent de plus en plus réticents à s'engager dans des activités d'enseignement ou de formation pratique. Il est aussi très difficile pour les professeurs de maintenir à jour leur compétence disciplinaire. Le formateur devrait avoir non seulement une compétence disciplinaire, mais aussi une compétence pédagogique.

Les professeurs d'université possèdent des compétences pédagogiques, mais après une absence prolongée des milieux de travail, la compétence disciplinaire est difficile à maintenir.

Malgré les exigences de formation pour la maîtrise et le doctorat sur le plan de l'enseignement théorique, dans la formation pratique ces exigences demeurent celles du premier cycle. Pour la formation pratique, les formateurs ou les infirmières enseignantes n'ont pas besoin de détenir une maîtrise ou un doctorat. La plupart de ces infirmières enseignantes ne possèdent aucune formation en pédagogie et n'ont jamais enseigné. Elles enseignent de la façon dont elles ont elles-mêmes appris.

Pour remédier aux problèmes des compétences disciplinaires par rapport aux compétences pédagogiques, on pourrait utiliser de plus en plus les services d'infirmières déjà en exercice, puisqu'elles possèdent les compétences disciplinaires requises pour faire la formation. C'est ce que nous tentons de faire. Ces infirmières n'auraient qu'à acquérir les compétences pédagogiques nécessaires.

Nous faisons face à une pénurie d'infirmières dans les milieux hospitaliers. Les nouvelles diplômées ont souvent besoin d'être supervisées par des infirmières expérimentées, ce qui exige une surcharge de travail pour ces infirmières qui ont déjà un excédent de patients. Ces conditions font que les infirmières actuellement en exercice sont débordées et qu'elles ne sont pas intéressées à assumer la formation des nouvelles infirmières.

Il y a plusieurs pistes à privilégier pour répondre à cette problématique. La première serait de construire une vision partagée, c'est-à-dire de concentrer les efforts entre les milieux universitaires et les établissements de soins lors du développement des nouveaux programmes scolaires et de la formation pratique; la deuxième consisterait à créer des conditions favorables à formation des formateurs; la troisième, à réviser les stratégies pédagogiques actuelles, par exemple préconiser des modèles pédagogiques qui visent la formation continue des formateurs; la quatrième, à mettre sur place des programmes coopératifs.

Il existe des programmes coopératifs dans plusieurs autres disciplines, mais pas en sciences infirmières. Ce serait vraiment une piste très intéressante. En ce qui concerne la population francophone, il faudrait décentraliser les programmes de formation. Les étudiants pourraient recevoir la formation théorique dans un centre pour quelques mois, puis être dans leur milieu ou dans leur région, et enfin effectuer des stages pour encore quelques mois. Cela accélérerait le processus de formation, parce que les programmes coopératifs sont plus concentrés. On pourrait former des infirmières plus rapidement. Le fait que ces infirmières travaillent déjà dans le milieu au cours de leur formation pour une période assez longue contribuerait à atténuer la pénurie d'infirmières.

Une dernière recommandation serait de créer des centres spécialisés qui, tout en procurant des services de formation en santé en français, pourraient servir de lieux de formation et de recherche. L'Hôpital Montfort serait un excellent milieu à cet égard. Il s'agirait de trouver un thème. Je pourrais en proposer quelque-uns qui conjugueraient services de soins de santé et services en français. Les infirmières pourraient ainsi favoriser le développement de la recherche par des outils d'éducation en santé, des outils pédagogiques, la production, l'adaptation et la validation d'outils d'évaluation, par la planification et par l'intervention en soins de santé. Il s'agirait d'agencer les trois composantes pratiques de la formation et de la recherche dans un seul centre.

Le président suppléant: Je vous remercie, madame Guimond. Je cède maintenant la parole à M. Yvon Fontaine, recteur de l'Université de Moncton.

M. Yvon Fontaine, recteur et président du Consortium national de formation en santé de l'Université de Moncton: Je remercie le comité du Sénat de l'intérêt qu'il porte à un problème aussi important que celui des institutions universitaires hors Québec et dans l'ensemble de la francophonie canadienne. J'espère que ma contribution vous éclairera.

Évidemment, ce qui intéresse particulièrement les membres de ce comité, c'est l'étude du rapport produit par le comité consultatif créé par M. Rock, ministre de la Santé de l'époque. On m'a dit que certains d'entre vous avez posé des questions assez percutantes hier sur la capacité des communautés et des institutions à absorber et à obtenir les résultats si, effectivement, le plan était financé comme le prévoit le rapport du comité.

Je voudrais quand même faire quelques constatations par rapport à une préoccupation qui m'apparaît tout à fait légitime pour avoir vécu deux phénomènes, celui de l'éducation au Canada dans les régions minoritaires. Il aurait été impossible de penser à établir une infrastructure pour les écoles de langue française à l'extérieur du Québec et, par la suite, établir des commissions scolaires qui allaient gérer ces écoles et disposer de spécialistes en pédagogie pour bâtir des cursus scolaires appropriés à ces communautés s'il n'y avait pas eu, un jour, un acte de confiance de la part du gouvernement fédéral à l'effet qu'il fallait financer des institutions universitaires et former des professionnels dans le domaine de l'éducation pour permettre de créer un bassin de ressources humaines dans le but d'établir un plan et une infrastructure d'éducation pour la minorité francophone au Canada.

Une autre réalité, c'est le domaine du droit. Dans les années 70, un débat s'est ouvert au Canada. À l'Université de Moncton, on avait eu l'idée de créer une faculté de droit entièrement de langue française pour enseigner la common law. On nous avait dit que c'était impossible parce que la common law, c'est une institution anglo-saxonne du Commonwealth, donc il n'était pas possible de faire cela. D'ailleurs, à cette époque, il était impossible d'obtenir des services juridiques en français. Le droit s'exerçait uniquement en anglais à l'extérieur du Québec. Grâce à un acte de foi, 25 ans plus tard, on a créé une faculté de droit à l'Université de Moncton entièrement de langue française et ensuite, l'Université d'Ottawa a doublé son programme de common law — qui existait déjà en anglais — pour en faire un programme en français. Vingt-cinq ans plus tard, allez voir les juges, les avocats, les personnes qui doivent se servir de l'appareil judiciaire à l'extérieur du Québec et vous verrez que l'évolution est formidable. Je voulais faire cette analogie parce qu'aujourd'hui, lorsqu'on étudie la question de la santé, on regarde le réseau de distribution des services de santé hors Québec et il y a des exceptions. Le recteur a parlé de l'Hôpital Montfort. Je connais moins bien la situation en Ontario, mais je connais la situation chez moi. Il y a des coopérations hospitalières qui peuvent donner des soins de santé en français. Si on dit que c'est le portrait et que c'est ce qu'il faut tenir pour acquis à l'avenir, bien sûr que le plan qui vous est présenté aujourd'hui est beaucoup plus luxueux par rapport à la capacité d'accès aux services de santé en français à l'heure actuelle. L'objectif fondamental de cette démarche est de nous permettre de bâtir cette infrastructure, de sorte que le citoyen francophone pourra avoir un plus grand accès aux services de santé dans sa langue.

La synchronisation de tout cela me semble tout à fait au point. D'une part, parce qu'on sait très bien que le gouvernement a réitéré son intention d'ajuster un certain nombre de programmes gouvernementaux pour s'acquitter de ses responsabilités en vertu de la Loi sur les langues officielles et qu'il a créé un comité, présidé par le ministre Dion — dont plusieurs ministres sont membres — et que ce comité doit présenter, dans les prochaines semaines, une proposition que le gouvernement devra considérer. Pour les communautés et les institutions universitaires hors Québec, c'est le secteur de la santé qui est le plus mûr pour mettre en oeuvre une vision de ce que nous voulons faire. Il est plus mûr parce que ce secteur constitue une grande priorité depuis trois ou quatre ans et que nous y avons réfléchi longuement.

Pour toutes ces raisons, le contexte est favorable et on doit considérer la pertinence et les conclusions du rapport. Le rapport, en fait, il faut l'étudier en même temps que le rapport qui avait été produit par la Fédération des communautés francophones et acadienne, déposé à l'été 2001, et dont les résultats ont servi à la réflexion du comité consultatif créé par le ministre Rock à l'époque. C'est à partir de ces données que nous en sommes arrivés à un certain nombre de conclusions. Ces conclusions sont assez proches de la réalité et des aspirations des communautés, ce qui n'est pas toujours le cas dans tous les ministères et tous les programmes. Nous devons admettre qu'une réflexion approfondie a été réalisée dans le dossier de la santé.

Tout de suite après le dépôt du rapport coprésidé par Mme Marie Fortin et M. Hubert Gauthier, les universitaires ont créé le Consortium pour la formation en santé. Ce consortium regroupe neuf institutions universitaires et/ou collégiales hors Québec et avec l'entente Acadie-Sherbrooke pour la formation en médecine. En quatre ou cinq mois, nous avons réussi à monter un dossier très détaillé sur la façon de mettre en oeuvre les conclusions du rapport de Mme Fortin et de M. Gauthier sur la formation des professions de la santé.

Le rapport que nous avons produit et qui a été analysé par le gouvernement...

Le président suppléant: Je suis désolé de vous interrompre, mais nous aimerions bien voir ce rapport.

M. Fontaine: Des copies vous seront distribuées dans les prochaines minutes. Il y a un sommaire exécutif.

Le président suppléant: Nous aimerions le voir en détail.

M. Fontaine: Il existe un rapport plus volumineux. Il y a aussi un rapport pour chacune des institutions, mais je ne l'ai pas avec moi.

Le président suppléant: Nous aimerions bien les voir.

M. Fontaine: Je peux vous les fournir. Essentiellement, le consortium vise un programme assez complet de formation pour les professions de la santé, Mme Guimond vous a parlé des défis en ce qui concerne la formation des infirmières. C'est une des composantes importantes de la proposition considérée actuellement par le gouvernement. L'ensemble des professions de la santé sont considérées y compris la médecine.

Nous avons élaboré un plan quinquennal. L'une des questions qui surgira ensuite, c'est si nous devons élaborer un programme récurrent à très long terme. Nous avons d'abord déposé un plan quinquennal, mais nous sommes très conscients qu'aux termes de ce plan, l'ensemble des besoins ne sera pas encore traité en ce qui a trait aux populations francophones hors Québec. Le consortium, si vous consultez les conclusions du comité présidé par Mme Fortin et M. Gauthier, jugeait qu'une enveloppe budgétaire annuelle d'environ 15 millions de dollars serait nécessaire pour le volet de la formation. La proposition analysée par le gouvernement est une enveloppe d'environ 20 millions de dollars par année. Ce ne sont pas 20 millions de dollars multipliés par cinq. C'est environ 100 millions de dollars. Cela peut paraître beaucoup. Je pense que 100 millions de dollars sur 5 ans, en tenant pour acquis qu'il y a 1 million de francophones hors Québec, cela signifie 100 $ par habitant, divisez ce montant par 5, c'est 20 $ dollars par année par habitant et divisez à nouveau par 365 jours. Ce ne sont pas des montants exorbitants quand on parle de soins de santé et quand on sait que c'est le service le plus coûteux dans la société canadienne. C'est une fraction de ce que coûte l'infrastructure de la livraison des soins de santé et la formation des professionnels de la santé. C'est une façon d'inviter les décideurs à étudier ce dossier. Il ne faut pas le regarder ces chiffres comme des chiffres absolus, mais de façon relative. Dans ce sens, c'est une proposition tout à fait nécessaire. Nous estimons qu'il faudra tripler le nombre de professionnels de la santé francophones pour y arriver. C'est le défi auquel doivent faire face les institutions.

Le coût de ce qui est proposé est uniquement une fraction du coût des inscriptions en cours pour former des professionnels de la santé. Dans notre université, nous avons 1750 étudiants à temps complet qui sont intéressés par les programmes visés dans la proposition. Imaginez le coût pour notre institution. Cela représente 20 p. 100 des effectifs à temps complet, un budget annuel de 90 millions de dollars. Calculez ce que l'institution injecte déjà dans la formation des professionnels de la santé. Je crois que cette enveloppe budgétaire proposée est tout à fait réaliste.

Ma dernière conclusion montre que le processus qui a suscité cette vision de la part des institutions universitaires est très intéressant. Vous comprendrez, monsieur le président, vous êtes un universitaire de carrière, que les universités sont très autonomistes, très individualistes. Le fait que l'on ait pu regrouper neuf institutions universitaires et collégiales autour d'une même table et arriver à adopter un consensus sur le rôle complémentaire de chacun dans l'identification des priorités constitue, à mon point de vue, un tour de force important. J'ai le privilège de coprésider ce comité avec le recteur de l'Université d'Ottawa, Gilles Patry. L'atmosphère y est excellente. Il faut continuer dans ce sens. Il y a une richesse dans chacune de nos institutions qui mérite d'être mise à contribution dans le plan d'exécution de la volonté exprimée par le comité.

Je pourrais vous parler plus longtemps de ce sujet mais je ne voudrais pas non plus abuser de votre temps car je sais que vous aurez des questions à poser. Je terminerai en disant que le fait de consolider les institutions universitaires et leur capacité de former des professionnels dans le domaine de la santé donnera de la vigueur à toutes les communautés en ce qui a trait à la livraison des soins de santé. Dans nos communautés, les institutions universitaires, tout comme l'Église à l'époque, ont toujours connu une grande pérennité. Lorsqu'on consolide ces institutions et qu'elles s'occupent des priorités de leurs communautés, elles constituent des points d'ancrage absolument indispensables au développement de ces dernières.

Le octeur Aurel Schofield, vice-doyen adjoint, Faculté de médecine, coordonnateur de la formation médicale francophone du Nouveau-Brunswick: Je suis honoré de venir faire une première présentation à un comité sénatorial et je dois vous dire que le domaine de la santé, je l'ai à coeur depuis ma première année de pratique au Nouveau-Brunswick. Je me suis impliqué dans la formation médicale. J'espère qu'en vous rapportant l'histoire de la mise en place du programme au Nouveau-Brunswick, on pourra constater l'arrimage de ce dossier et du dossier national dans le secteur de la santé pour l'avenir.

Au Nouveau-Brunswick, dans les années 60, deux commissions ont étudié la mise en place d'une faculté de médecine. La première, celle de Hall, avait préconisé la mise en place d'une faculté de médecine francophone à l'Université de Moncton. Plus tard, la deuxième commission a décrété que cela n'était pas possible à cause des coûts et de la présence de deux communautés linguistiques au Nouveau-Brunswick, et elle a plutôt préconisé que le Nouveau- Brunswick fasse affaire avec le Québec pour la formation en langue française et avec l'Université Dalhousie pour la formation en langue anglaise.

De là est née l'entente entre le Québec et le Nouveau-Brunswick pour la formation en médecine ainsi que pour d'autres professions de la santé, comme par exemple les sciences de la réadaptation. Au cours des 10 premières années de cette entente, les bénéfices ont été assez minces. Le retour de médecins au Nouveau-Brunswick a été minime et le nombre d'admissions en médecine était bien en deçà de ce qui était prévu. Les gens suivaient la formation au Québec, se mariaient et demeuraient au Québec tout comme les autres professionnels de la santé. Dix ans plus tard, la situation n'avait pas changé.

C'est alors que l'étude de Jean Bernard Robichaud a démontré que l'état de santé de la population francophone du Nouveau-Brunswick était à ce moment-là bien inférieure à celui de la population anglophone. On attribuait ce fait à des facteurs socioéconomiques, au manque d'accessibilité à des services de santé en français et à un manque de ressources dans le domaine de la santé. C'est le manque de médecins qui était le plus criant.

En 1980, l'Université de Moncton et le ministère de la Santé et de l'Éducation se sont concertés. Ce fut une période de réveil pour la formation médicale francophone au Nouveau-Brunswick. Il y eut des admissions coordonnées dans les trois facultés de médecine du Québec, la mise en place d'un programme de formation médicale dans la communauté francophone du Nouveau-Brunswick et c'est à partir de là que tout s'est enchaîné. En fait, on a dû construire un programme de formation médicale et développer des services.

Il y a 20 ans, les services de santé en français étaient minimes au Nouveau-Brunswick. Aujourd'hui, 30 p. 100 de la formation préclinique se fait au Nouveau-Brunswick et 100 p. 100 de la formation en médecine familiale se fait dans la province, dans des milieux francophones décentralisés.

Nos professeurs sont en grande majorité des étudiants que nous avons formés grâce au programme depuis 20 ans. L'influence sur les services de santé a été importante, avec l'organisation de modèles de pratique de groupe.

Les modèles de cliniques d'obstétrique créés par des groupes de médecins francophones ont également eu un impact important sur les services de santé, en même temps que le programme s'est mis en oeuvre. Vingt ans plus tard, on constate un retour de 90 p. 100 des médecins de famille et de 75 p. 100 des médecins spécialistes. Il y a une bonne distribution à travers la province et une rétention de près de 100 p. 100 de nos étudiants qui terminent ces programmes.

En ce qui concerne la cohorte de nos étudiants qui ont étudié au Québec et qui n'ont pas fait de stages au Nouveau- Brunswick, 50 p. 100 sont restés au Québec. Nos conclusions, en termes de recrutement et de rétention des médecins, ont démontré statistiquement que l'origine du candidat est un facteur déterminant dans la décision de retourner pratiquer dans sa région. Les stages cliniques en communauté assurent également un lien continu avec ces dernières. Il y a un facteur de 4/3 pour le retour dans sa communauté. De plus, si on pouvait concentrer les stages, comme on l'a fait en médecine familiale, il y aurait sept fois plus de possibilité de retour des étudiants en médecine.

Le président suppléant: Pouvez-vous répéter ce que vous avez dit en ce qui concerne l'origine?

Dr Schofield: Lorsqu'on considère l'origine du candidat, il y a deux fois plus de probabilité d'un retour au Nouveau- Brunswick. Lorsqu'on assurait un stage continu, il y avait un pourcentage de quatre fois plus de probabilité de retour et lorsqu'on offrait une série de stages en blocs, comme en médecine familiale, il y avait sept fois plus de probabilité d'un retour en province.

Le président suppléant: Les stages de formation sont plus importants que le lieu d'origine?

Dr Schofield: Exactement.

Le président suppléant: La localisation des stages est donc plus importante que le lieu d'origine?

Dr Schofield: Ce sont des statistiques significatives. Dans une étude internationale réalisée par l'Organisation mondiale de la santé et par Wanka, ce sont ces mêmes valeurs prédictives qui ressortaient.

Aujourd'hui, au Nouveau-Brunswick, 30 p. 100 des médecins pratiquent en français, alors qu'il y a 20 ans, c'était seulement 18 p. 100. La proportion médecin/population, il y a 20 ans, était d'un médecin pour 1 742 habitants francophones. Vingt ans plus tard, cette proportion est d'un médecin pour 791 habitants. Il y a donc une nette amélioration mais on constate encore un déficit par rapport à la province et à la norme nationale. Le Nouveau- Brunswick est une des provinces les plus pauvres en ce qui concerne la proportion médecin/population.

Le ministère de la Santé et le gouvernement du Nouveau-Brunswick semblent très contents du succès de notre campagne de recrutement. On a dû se débattre pour prouver qu'on était capable de former des étudiants de qualité et de répondre aux objectifs du programme, qui étaient de recruter et de retenir le maximum de médecins au Nouveau- Brunswick.

Le partenariat entre les institutions et le rôle que l'Université de Moncton a joué dans la formation au niveau du diplôme de sciences santé et de la coordination des admissions dans les trois facultés de médecine ont été très importants. Je dois aussi souligner le rôle que le ministère de l'Éducation a voulu jouer en nous donnant un budget que nous avons pu administrer localement. Ce budget nous a permis de mettre en place une structure de sciences médicales dans la province et d'évoluer. Les trois facultés de médecine du Québec ont toujours appuyé ce dossier. Je dois dire que l'Université de Sherbrooke a été l'âme sœur qui nous a pilotés. Celle-ci nous a fait confiance pour développer ce programme. Grâce à tout ce monde, on a réussi à mettre en place une structure efficace qui répond de façon maximale aux besoins des étudiants en médecine. Cette structure a nécessité des ressources financières et beaucoup de temps. Tout le débat qui s'est fait au cours des 15 dernières années a été pénible et lent. On a fini par gagner du terrain grâce à la structure qu'on s'est donnée et au financement qu'on a reçu.

On doit continuer à vouloir augmenter le nombre d'étudiants en médecine. Actuellement, le gouvernement du Nouveau-Brunswick finance 25 postes par année. Les besoins réels seraient plutôt près de 40 postes francophones par année et de 40 postes anglophones. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick a toujours planifié sa main-d'oeuvre médicale en tenant compte du fait qu'il fallait payer pour former 50 p. 100 de ces professionnels de la santé et recruter le 50 p. 100 additionnel sur les tablettes parmi les autres universités.

Du côté anglophone, cela est plus réaliste parce que les facultés de médecine anglophones sont plus nombreuses. Le nombre d'universités francophones est limité à celles d'Ottawa et les universités du Québec. C'est la raison pour laquelle la proportion de médecins francophones au Nouveau-Brunswick est inférieure à celle de médecins anglophones. Il faut encourager l'augmentation des étudiants en médecine dans l'entente Québec-Nouveau-Brunswick. Suite à l'expertise acquise au cours des 20 dernières années, on serait prêt à jouer un rôle atlantique-francophone en aidant les provinces voisines à développer un programme semblable.

Notre objectif est de poursuivre la décentralisation du programme pour le Nouveau-Brunswick, ce qui aidera à répondre aux besoins de la province. Dans les programmes de formation, on aimerait ajouter une formation interdisciplinaire. On doit se pencher sur ces programmes de formation afin d'intégrer la formation de médecins et d'infirmières et des autres professionnels de la santé. C'est la direction que prendra cette discipline dans l'avenir. En tant qu'éducateurs et professionnels, je pense qu'on doit s'orienter dans cette direction. La formation professorale est aussi importante.

La recherche en soins de santé de première ligne, l'organisation des services et l'état de santé de la population sont extrêmement importants pour développer les programmes. Cela se fait à partir du terrain afin d'effectuer la décentralisation pour un projet plus global.

L'exemple du programme de formation médicale francophone peut s'appliquer à n'importe quel autre programme de formation dans les disciplines de la santé. Il faut promouvoir la collaboration avec qui voudra bien travailler avec nous pour développer des programmes décentralisés et le plus près possible des régions, afin de maximiser la formation, le recrutement et la rétention des professionnels.

Pour conclure, le dossier de la santé qu'on a présenté au niveau de la formation, fait partie de l'ensemble des dossiers que le comité consultatif a voulu mettre en place. Il est très important que le dossier de formation s'arrime bien avec l'ensemble des leviers, parce que la formation va définitivement avoir une influence sur la pratique des professionnels de la santé et sur l'organisation des services. Il est très important que cet arrimage ait lieu. Je voudrais bien que votre comité et le Sénat puissent appuyer fortement l'ensemble des dossiers de santé afin de retirer tout ce qu'on peut de l'intégration de ces cinq leviers. Il faut aussi que le dossier de formation soit décentralisé et le plus près possible des régions, et qu'il tienne compte des critères de succès de recrutement et de rétention du personnel de la santé.

On est capable de faire cela avec des budgets adéquats à long terme. Les budgets déposés sont des budgets pour une période de cinq ans. Toutefois dans cinq ans des professionnels de la santé n'auront pas terminé leur formation. Les programmes de formation prennent de six à dix ans, et c'est dans ce domaine que seront les besoins. On a beaucoup de rattrapage à faire. Il y a du pain sur la planche pour tous ceux qui voudront bien s'y adonner. Le dossier est présenté de façon très conviviale avec l'ensemble de ces cinq leviers et on espère que le dossier reposera sur un pied solide. Nos communautés francophones vont pouvoir bénéficier d'équité dans le domaine des services de santé.

Le président suppléant: Je vous remercie beaucoup, docteur Schofield, madame Guimond et monsieur Fontaine pour vos exposés qui ont été très clairs.

Le sénateur Pépin: Madame Guimond, je veux vérifier si j'ai bien compris les points que vous avez soulevés. Dans l'ensemble, vous avez dit qu'il faut revaloriser l'enseignement parce qu'il y a un problème réel de dévalorisation pour les personnes qui font l'enseignement?

Mme Guimont: Oui.

Le sénateur Pépin: Vous avez aussi dit qu'il faut mettre en place des programmes de coopérative pour ces pratiques de formation et de recherche, et que les personnes qui font de l'enseignement actuellement disent que plusieurs d'entre elles n'ont pas de formation pédagogique. Trouvez-vous que c'est un manque important? Les enseignants n'ont peut- être pas toutes les connaissance nécessaires.

Mme Guimont: Elles n'ont pas les approches pédagogiques mais elles maîtrisent bien l'aspect pratique. On utilise beaucoup l'approche du préceptorat ou du «mentorat». Le problème des professeurs d'universités dans les milieux cliniques est celui du maintien des compétences disciplinaires. Pour contrebalancer cela, on demande aux infirmières déjà en exercice et qui ont une bonne maîtrise de leur travail — elles travaillent tous les jours dans le milieu et elles ont d'excellentes compétences disciplinaires — de nous assister. Par contre, ce ne sont pas des enseignantes.

De plus en plus, on préconise l'approche qu'on appelle «programmes par preceptorat» où on jumelle une étudiante- infirmière avec une infirmière pratiquante. Cependant, du jour au lendemain on demande souvent à cette infirmière jumelée à une étudiante de devenir enseignante.

Ces infirmières sont dépourvues, ne sachant par comment transmettre leurs connaissances, ne disposant pas de ces habilités. Les étudiantes infirmières apprennent alors par observation, ce qui fait que les employeurs ne sont pas toujours satisfaits de leur rendement lorsqu'elles entrent dans le milieu du travail. Ils ne les trouvent pas suffisamment compétentes pour assumer les responsabilités qui leur incombent parce qu'elles n'ont pas d'expérience.

Le sénateur Pépin: Si je comprends bien, les infirmières apprennent le nursing au cégep ou au collège, puis elles viennent pratiquer une fois le cours théorique terminé seulement.

Mme Guimond: C'est exact.

Le sénateur Pépin: Il y a plusieurs années, les étudiantes prenaient leurs cours à l'hôpital. Les étudiantes pratiquaient 8 heures par jour en milieu hospitalier en plus de consacrer 4 heures supplémentaires aux études par jour. L'assimilation était plus rapide. Le système actuel devrait s'inspirer de ce modèle.

Mme Guimond: Absolument. Sur le plan théorique, on ne peut pas enseigner la théorie au complet. Sur le plan pratique, je vous donne un exemple. J'ai enseigné un cours de médecine-chirurgie au niveau de la quatrième année. Les étudiantes n'ont eu que 12 jours de stage pour appliquer cette théorie à la pratique. C'est très peu. C'est la raison pour laquelle des employeurs ne sont pas satisfaits des résultats. Pour contrebalancer cet effet, on fait des stages de consolidation, c'est-à-dire des stages intensifs de huit semaines à la fin du programme. Les étudiantes sont alors jumelées avec des infirmières qui ont les compétences disciplinaires. Par contre, c'est une tâche additionnelle pour ces infirmières qui, bien qu'elles soient expérimentées, n'ont pas nécessairement les compétences pédagogiques. Il y aurait lieu de former ces infirmières en pédagogie pour assister les étudiantes.

Le sénateur Pépin: La formation que vous me décrivez, est-elle offerte à tout le monde ou simplement aux francophones?

Mme Guimond: Elle est la même pour tous.

Le sénateur Pépin: Je préconiserais le retour à l'ancien système. Cela permettrait également aux étudiantes de savoir assez tôt après le début des classes si ce métier leur convient.

Mme Guimond: C'est la boucle où on retrouve des problèmes de rétention.

Le sénateur Pépin: De quoi aurions-nous besoin pour développer un système plus pratique et bien axé vers le patient?

Mme Guimond: Il faudrait valoriser la formation pratique, ce qui ne se fait pas suffisamment présentement. Il faudrait augmenter les stages pratiques. Pour ce faire, nous avons besoin de personnes du milieu capables de procurer cette formation. Il faudrait donc donner une formation pédagogique aux infirmières déjà en exercice. Le problème, à l'heure actuelle, c'est qu'elles sont vraiment surchargées.

M. Fontaine: Je ne suis pas au courant des détails, mais il y a peut-être des variations quant aux curriculum. En Ontario, une transition est en train de s'opérer. Les programmes de formation collégiaux cheminent vers le baccalauréat, nouvelle exigence pour entrer dans la profession. Chez nous, cela fait déjà cinq ans que c'est le cas. Tous les programmes collégiaux ou de deux ans n'existent plus. Il faut maintenant être bachelier pour exercer la profession.

C'est une réelle difficulté que pose le professeur Guimond. Dans notre université, nous avons été obligés d'embaucher des enseignantes praticiennes qui font uniquement l'encadrement des étudiantes lors de leur stage en milieu hospitalier. Ce ne sont pas des infirmières de la corporation hospitalière qui le font. Ce sont des employés de l'université, des infirmières professionnelles qui détiennent un diplôme de deuxième cycle. Elles ont une formation de praticienne, mais elles travaillent exclusivement pour l'institution, mais dans le milieu hospitalier. Le problème qui se pose est de trouver suffisamment de ce type de formateurs, lesquels sont peu nombreux.

Le président suppléant: C'est un système qui devient assez universel.

Le sénateur Losier-Cool: Monsieur le président, je ne sais pas si vous voulez continuer sur la question des infirmières.

Le président suppléant: On devrait plutôt se pencher sur la situation francophone spécifiquement.

Le sénateur Losier-Cool: Monsieur Fontaine, j'aimerais vous remercier d'avoir su, par vos exemples, illustrer la maturité atteinte sur les questions de soins de santé en parlant de l'éducation et de la justice.

Madame Guimond, vous avez mis l'accent sur la pénurie des infirmières. Vous avez même dit: «produire des infirmières aussi rapidement». J'ai accroché sur le mot «produire». Existe-t-il des programmes d'orientation afin d'intéresser les jeunes hommes à la profession des soins infirmiers? Avec le mouvement des femmes, beaucoup de femmes ont opté pour la médecine. Par contre, on ne voit pas cela chez les hommes. Est-ce parce qu'il n'y a pas encore assez de modèles?

Mme Guimond: Effectivement, on a très peu d'inscription du côté masculin d'année en année. Certaines années, on peut compter trois ou quatre jeunes hommes sur une classe de 30 étudiants du côté francophone, et le même problème existe du côté anglophone. Il n'y a pas de programmes incitatifs ou de recrutement spécifique pour attirer les hommes dans la profession. Je ne crois pas qu'il y ait de démarches précise dans ce but. J'ai fait une présentation dans une école secondaire. Cette présentation était annoncée simplement par affichage sur les babillards. Lors de la présentation, parmi toutes les personnes présentes, il n'y avait qu'un homme.

Le sénateur Losier-Cool: Monsieur Fontaine, si le gouvernement fédéral dans son transfert aux provinces, mettait une restriction ou une obligation à la question de formation en français, risquerait-t-on encore de tomber dans l'ingérence? Il faut se rappeler les bourses du millénaire.

M. Fontaine: On y réfléchit lorsqu'on complète des dossiers de ce genre et ce, pour plusieurs raisons. À plus long terme, on ne peut pas imaginer que les provinces peuvent longtemps être absentes de tout cette initiative. D'abord elles ne le sont pas. Dans plusieurs cas, quand on a des institutions universitaires francophones hors Québec qui offrent des cours dans le domaine de la santé, les budgets opérationnels de ces universités viennent des provinces. Donc, les provinces financent déjà de la formation en français pour des professionnels de la santé. Évidemment, ce n'est pas universel. C'est plus ou moins important selon la juridiction et selon l'université.

D'expérience, on sait que si on veut avoir du succès et attirer des candidats dans les professions de la santé qui deviendront des professionnels de la santé, et qui resetront dans les milieux qui sont les leurs, il faut qu'une partie de la formation se fasse dans des institutions, et un autre partie dans les milieux qui auront besoin de ces professionnels par la suite.

Aujourd'hui, vous avez les juridictions provinciales qui financent en partie, l'Ontario, l'Université d'Ottawa, la Laurentienne, et cetera, et le Nouveau-Brunswick. Ailleurs, il y a très peu ou pas de programmes de formation professionnelle dans le domaine de la santé. Ce sont les provinces non pas les plus récalcitrantes mais celles avec lesquelles cela prendrait plus de temps à conclure des ententes.

Ce n'est pas étranger à d'autres dossiers qu'on a vécus. Je vous ai parlé d'éducation, de droit. Dans la crise des années 1980, je pense que le sénateur Pépin était politicienne à l'époque, n'est-ce pas? La crise des années 1980 dans l'Ouest a été réglé en bonne partie quand le cabinet fédéral a dit: on va injecter des fonds dans une entente spéciale pour la gestion scolaire et le développement des écoles francophones dans l'Ouest et ailleurs. Le gouvernement fédéral l'a fait. Ensuite, pendant ces cinq années, il y a eu des pourparlers et des ententes et graduellement les provinces ont emboîté le pas. Je vous dis que si le gouvernement fédéral n'est pas prêt à transiger directement, à court terme, avec les institutions et les communautés pour mettre en marche cette démarche, on aura de la difficulté à se mettre rapidement à l'œuvre. On n'a pas beaucoup de temps à perdre.

Si on ne peut pas former les professionnels de la santé, ils vont aller ailleurs et il va se produire le phénomène que le docteur Schofield a décrit. Ils vont aller au Québec. J'aime bien aller au Québec. Le problème, c'est que si on ne revient pas, cela fait plus d'Acadiens au Québec qu'en Acadie et cela crée un problème en Acadie.

C'est l'enjeu, mais dans la phase actuelle, je crois que le gouvernement fédéral aura besoin d'exercer un leadership important à ce niveau si on veut avoir des résultats.

Le sénateur Losier-Cool: Je veux poser une question au Dr Schofield sur les francophones de la région atlantique. Je sais que vous connaissez bien cette région. Le rapport de la FCFA a bien indiqué que les francophones de Terre-Neuve n'avaient pas accès à aucun soin en santé en français, que ce soit les francophones de Labrador City ou du Cap Saint- Georges. Seriez-vous d'accord qu'il faudrait établir une prime d'éloignement?

Dr Schofield: Pour les professionnels?

Le sénateur Losier-Cool: Pour les professionnels, pour les médecins. On se pose la question pour le Nord du Québec, pour bien des régions.

Dr Schofield: Je peux vous donner mon opinion sur les primes d'éloignement. Je vois cela comme une aide, mais je ne vois pas cela comme un garant de succès à long terme. Si on regarde les études qui ont été faites sur les primes d'éloignement, c'est très bon mais cela a une influence assez faible sur le recrutement et cela a encore une influence encore plus faible sur la rétention. Les gens y vont, ils y vont à contrat, ils reçoivent leur salaire et à la fin du contrat, ils partent. C'est donc toujours à renouveler. Les primes d'éloignement m'inquiètent un peu car on est dans un marché de compétition.

Actuellement, les professionnels de la santé au Canada valent leur pesant d'or. On cherche des professionnels de la santé et les provinces les plus riches les rénumèrent en conséquence. Ceux qui n'en bénéficient pas, ce sont les provinces pauvres et les régions rurales. S'impliquer dans un marché de compétition, je crains que cela va nous amener là où nous ne voulons pas aller. Cela peut aider mais c'est tout de même limité.

Le sénateur Losier-Cool: C'est souvent une question de principe et d'opinion personnelle. Vous avez parlé des postes. Vous êtes très bien au courant puisque vous êtes le directeur de l'entente avec Acadie-Sherbrooke. Ne sommes nous pas assez mature, à l'Université de Moncton et à la Corporation Beauséjour, pour donner une formation en médecine, 100 p.100 en Acadie?

M. Fontaine: Est-ce à moi ou à lui que vous posez la question?

Dr Schofield: Je pense que c'est certainement une décision qui ne dépend pas seulement de moi. Mais si on regarde tout le succès qu'on a eu avec le programme de formation médicale tel qu'il est construit, je pense qu'on a bâti, au sein du programme de formation médicale décentralisé, tous les critère intrinsèques de succès de recrutement et de rétention. C'est vrai qu'on fait principalement affaire avec la Corporation Beauséjour, mais pas seulement avec elle. J'ai des étudiants qui vont dans la région d'Edmunston, de Bathurst. Ils vont dans la péninsule acadienne, à Bathurst et d'Edmunston, ils vont dans la région de Grand-Sault. C'est comme un réseau d'éducation décentralisé que j'ai dans la province.

Ce qu'on devrait peut-être avoir au Nouveau-Brunswick, c'est une meilleure collaboration entre les quatre corporations hospitalières pour justement développer ce programme de décentralisation avec l'Université de Moncton et l'Université de Sherbrooke en partenariat. Si, un jour, tout est en place pour la faculté de médecine, allons-y, mais je pense que ce n'est pas une décision qui est de mon ressort.

Le sénateur Losier-Cool: Est-ce que cela aiderait aux francophones des autres provinces de l'Atlantique?

Dr Schofield: Je pense qu'un pôle de formation atlantique francophone va aider la nouvelle la Nouvelle-Écosse, l'Île- du-Prince-Édouard et Terre-Neuve. Je pense que c'est là l'influence qu'on pourrait avoir. De là à dire que l'on aurait besoin d'une faculté de médecine pour y arriver, je pense qu'on pourrait s'y rendre d'une autre manière. C'est peut-être une vision à long terme. Mais je pense que ce qu'on a acquis actuellement a certainement rendu beaucoup de services et cela marche bien. Il faut capitaliser sur ce qui marche bien. Continuons dans la même direction. Si la volonté politique veut un jour une faculté de médecine dans l'Atlantique francophone, cela me va.

Le président suppléant: C'est une réponse très diplomatique. Pour un médecin, c'est très diplomatique.

Le sénateur Gauthier: J'ai quelques questions. D'abord, ne vous choquez pas les médecins, les avocats sont à peu près 20 ans en avant dans la pratique du droit en français partout au Canada. Une des raisons, c'est que le gouvernement fédéral est impliqué dans le Code criminel et la loi.

La prestation des services de santé est une juridiction provinciale. Êtez-vous d'accord, docteur Schofield?

Dr Schofield: Oui.

Le sénateur Gauthier: Le problème, en grande partie, relève des provinces. Est-ce qu'il y a des provinces ou des territoires qui auraient indiqué une certaine coopération relativement aux recommandations de la Fédération des communautés francophones dans son rapport sur la santé en français?

Ma préoccupation, c'est le patient, c'est l'individu qui veut se faire servir dans sa langue. Je connais assez le système pour vous dire qu'en Ontario, la formation des infirmières ou des médecins se fait en anglais. À Ottawa, il y a un hôpital, Montfort, où la pratique se fait en français. Il y a aussi l'Hôpital Georges-Dumont, au Nouveau-Brunswick, donc, deux établissements où on sert la population en français. Le reste, c'est habituellement en anglais.

Je pense à mes grands-parents, mes oncles et mes tantes. On ne parlait pas français dans la basse ville d'Ottawa, imaginez-vous. On voulait se faire soigner dans notre langue, on était malade, on ne pouvait pas s'exprimer dans notre langue.

Le sénateur Gauthier: On a voulu fermer l'Hôpital Montfort, mais on a fait en sorte de le conserver. Les provinces ont un pouvoir de décision. Toutefois, le gouvernement fédéral a un certain pouvoir de persuasion et certes un pouvoir de dépenser qu'il utilise lorsqu'il doit le faire. On a donc mis 10 millions de dollars à Ottawa pour aider à la formation.

Le consortium demande 20 millions de dollars par année pour les années à venir. Quel rattrapage! Je suis d'accord qu'il serait à propos d'investir plus de temps et d'énergie dans la décentralisation de la formation et la régionalisation.

Vous avez raison de dire que, pour intéresser les jeunes à venir dans nos institutions francophones, on doit leur offrir la formation, non seulement dans des centres éloignés, mais aussi dans les régions plus rapprochées. La télémédecine existe et les moyens sont là. Il est possible aujourd'hui d'avoir des centres de formation centralisés et à la fois avoir des centres de formation décentralisés, reliés entre eux par la télémédecine.

Dr. Schofield: Votre question comporte plusieurs volets. Votre premier point est la juridiction provinciale en termes de services de santé. Lorsqu'on regarde le travail du comité consultatif, dès le début, les représentants de ministères de la Santé de trois provinces siégeaient sur le comité. La démarche du comité consultatif a été d'intégrer ses objectifs avec les objectifs provinciaux.

La santé est de nos jours tellement prioritaire dans toutes les régions qu'il est difficile de croire qu'on va aller à contre courant si on amène un plus grand nombre de professionnels de la santé dans la province, qu'ils soient anglophones ou francophones. Car nos professionnels francophones vont, bien sûr, également offrir leurs services à des populations anglophones. La télémédecine et autres systèmes son bénéfiques sur ce point pour les ministères provinciaux.

Le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux visent l'état de santé de la population. C'est l'objectif final de toute la démarche. À cet objectif on a ajouté une chose bien importante: la santé des francophones. Il y a effectivement une question d'équité du côté de l'accessibilité des services de santé, et c'est un peu ce qu'on veut combler.

Quatre provinces ont envoyé des lettres au ministère de la Santé supportant cette démarche. Le Nouveau- Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l'Alberta et le Manitoba ont indiqué leur désir de s'intégrer à l'évolution du dossier. Nous bénéficions d'une occasion qui se présente pour la première fois depuis longtemps. Il faut éviter les faux pas. En s'impliquant, on a de meilleures chances de succès et tout le monde s'y trouve gagnant. Il s'agit donc de ne pas se marcher sur les pieds et travailler en concertation vers une vision commune et un objectif commun.

En termes de services, plus d'une corporation travaille en français au Nouveau-Brunswick. Beauséjour est la plus grande et la plus importante, mais Edmunston fonctionne en français, Bathurst fonctionne en grande partie en français et Campbellton fonctionne partiellement en français. La situation au Nouveau-Brunswick a beaucoup évolué depuis les dernières 20 années. L'évolution des services de santé, les programmes de formation qui ont été mis en place à l'Université de Moncton et l'entente Québec-Nouveau-Brunswick ont réussi à amener les professionnels de la santé à modeler un système de santé en français.

Si on prend l'exemple du programme de formation médicale francophone au Nouveau-Brunswick, il y a 20 ans, on a commencé avec deux médecins enseignants et un étudiant. Pourquoi ne pas en faire autant en Alberta, au Manitoba, avec un pôle dans chaque province? Il existe certainement des petites populations dans lesquelles on peut commencer à intégrer un service de santé en français avec un médecin et peut-être un étudiant.

L'intégration aux petites communautés est nécessaire. Il y a des milieux, des centres culturels, des centres d'éducation, des centres de santé qui existent un peu partout à travers le Canada. Pourquoi ne pas intégrer une clinique de santé à ces petits centres? Créer un milieu de santé nécessite des ressources et des infrastructures. Il y a, je crois, une volonté de la part de tous. Si on peut amener la vision nationale sur le terrain et commencer rapidement à bâtir, je crois sincèrement que l'on pourrait changer les choses.

Le sénateur Gauthier: On a soulevé plusieurs problèmes. J'aurais deux petites questions. Vous connaissez le sixième principe? Georges Arès, lorsqu'il a comparu devant le comité, avait suggéré qu'on ajoute aux cinq principes existants le sixième principe la dualité linguistique. Qu'en pensez-vous, Recteur Fontaine?

M. Fontaine: Je crois que c'est une question qui se rattache au débat. Est-ce nécessaire d'en faire un principe formel de La loi sur la santé? Je ne l'ai pas examiné sous cet angle. Il faut s'assurer que ce principe soit reflété dans les programmes fédéraux, les programmes de transfert aux provinces pour la santé et dans des initiatives directes du fédéral pour les communautés. Chose primordiale, les exigences linguistiques du gouvernement canadien et de la Constitution canadienne doivent être respectées.

J'ai présidé le comité du ministre du Conseil du Trésor sur la transformation gouvernementale et l'impact sur les langues officielles. Un certain nombre de mesures administratives ont été prises depuis ce temps par le gouvernement fédéral. C'était l'élément sur lequel on avait le plus insisté. Il est difficile de prévoir à tout coup. Ne pas prévoir veut souvent dire que ce n'est pas obligatoire.

Pour moi, c'est là une question obligatoire et une question de vigilance de la part du gouvernement fédéral. Lorsqu'on délègue ses responsabilités, que ce soit une province ou autre, on doit s'assurer que les exigences linguistiques suivent également cette délégation.

Le sénateur Gauthier: Docteur Schofield, avez-vous des commentaires?

Dr Schofield: Un principe est un principe. Je préfère une action à principe. Un principe peut être écrit et ne pas être mis en pratique.

Le président suppléant: C'est ce qui distingue le médecin de l'avocat. Vous avez une dernière question, sénateur Gauthier?

Le sénateur Gauthier: Vous avez parlé de recrutement à l'extérieur. Vous avez au Nouveau-Brunswick une politique de 50 p.100?

Dr Schofield: Le Nouveau-Brunswick calcule ses besoins en formation de la façon suivante. La province finance 50 p.100 du recrutement pour la formation, et on s'attend à ce que l'autre 50 p.100 vienne de l'extérieur. Le calcul de base du ministère s'est toujours fait ainsi. Vous savez que le calcul pour la main-d'oeuvre médicale n'est jamais chose facile. À tous les deux ans, on fait paraître de nouvelles données sur la planification de la main-d'œuvre et il faut toujours les prendre en considération. La province réalise aujourd'hui qu'il faut définitivement financer une plus grande formation dans le domaine de la santé.

Le sénateur Gauthier: L'équivalence professionnelle est-elle difficile à obtenir pour un immigrant en provenance de l'Afrique, de l'Europe ou d'autres pays?

Dr Schofield: C'est très complexe. Comme toutes les autres provinces canadiennes, les médecins étrangers arrivant au Nouveau-Brunswick ont de la difficulté à obtenir un permis de pratique. Toutefois, des permis restrictifs peuvent être donnés dans des conditions particulières. En ce qui a trait aux programmes de formation, au cours des dernières années, nous avons intégré des médecins étrangers pour leur donner un diplôme équivalent canadien avec des contrats de service dans des régions spécifiques. Cela s'est avéré un succès. Ce sont des candidats qui ont un très bon potentiel. Il faut passer un peu plus de temps à les intégrer harmonieusement au système de santé canadien et à notre manière de fonctionner. Cela donne d'excellents résultats avec un investissement moindre si on compare trois années de formation plutôt que six à 10 ans.

Le sénateur Gauthier: Est-il possible, au Nouveau-Brunswick, d'écrire un examen professionnel, de l'Ordre professionnel des médecins ou physiothérapeutes ou autres en français? Les ordres professionnels acceptent-ils les examens en français? Cela a été très difficile et très long en Ontario. Je connais le problème par coeur.

Dr Schofield: Pour le programme de formation médicale, c'est 100 p. 100 en français, il ne se passe rien du tout en anglais, aucun cours, aucune formation, aucun contexte clinique ne donne en anglais. Les examens sont rédigés par l'Université de Sherbrooke et l'Université de Moncton, le Collège des médecins du Québec et le Collège des médecins de famille du Canada. Ce sont tous des examens traduits en français.

M. Fontaine: Au Nouveau-Brunswick, nous avons le choix. Ce sont des examens exigés par la profession pour entrer dans l'ordre professionnel et on peut le faire dans la langue de son choix.

Le sénateur Gauthier: Vous ne connaissez pas la situation dans les autres provinces. Est-ce possible de faire cela au Manitoba ou en Ontario?

M. Fontaine: Je ne pourrais pas me prononcer là-dessus.

Le président suppléant: Pour les sciences infirmières en Ontario, est-ce que tout peut se faire en français?

Mme Guimond: On peut faire l'examen dans la langue de son choix. Les étudiantes qui suivent le cours en français ne sont pas obligées d'écrire l'examen de l'ordre en français, elle peuvent l'écrire en anglais si elles le désirent. Les volumes et la documentation sont en anglais et même si on leur enseigne en français, elles sont habituées de lire en anglais. Les milieux cliniques en français sont restreints et lorsqu'elles font leurs stages dans des milieux anglophones, elles apprennent toute la technologie en anglais, si bien qu'il est difficile pour elle de faire un retour au français. Malgré le fait que plusieurs étudiantes soient d'origine francophone elles décident souvent de faire l'examen en anglais.

Le sénateur Gauthier: Le problème repose toujours sur le francophone dans une institution qui travaille en anglais.

Mme Guimond: Oui.

Le sénateur Gauthier: L'Ordre des infirmiers et des infirmières de l'Ontario reconnaît-elle l'examen en français?

Le président suppléant: Ce sont des examens universitaires et non gouvernementaux, il faudrait peut-être expliquer la différence.

Mme Guimond: Les étudiantes écrivent en français les examens universitaires pour l'obtention de leur grade. Si elles sont inscrites au programme francophone, elles écrivent obligatoirement leurs examens en français. Par contre, lorsqu'elles vont rédiger les examens de l'Ordre des infirmiers et infirmières de l'Ontario, l'examen provincial, l'étudiante peut s'inscrire à l'examen en anglais si elle le désire.

Le sénateur Pépin: Cela se produit-il souvent?

Mme Guimond: Oui, effectivement.

Le sénateur Gauthier: Ma question est indiscrète. Avez-vous un doctorat en sciences infirmières?

Mme Guimond: En éducation.

Le sénateur Gauthier: L'avez-vous fait en français?

Mme Guimond: J'ai fait mon doctorat à Montréal en français.

Le sénateur Gauthier: Vous avez de la chance. Vous aviez les moyens!

Le président suppléant: Avez-vous d'autres questions, sénateur Gauthier?

Le sénateur Léger: Madame Guimond, vous avez dit qu'il fallait valoriser la formation pratique. Il me semble que la pratique est essentielle dans n'importe quel domaine.

Mme Guimond: Oui.

Le sénateur Léger: Qu'est-ce qui a été dévalorisé? La pratique? Pour le malade, c'est seulement de la pratique. Y a-t- il eu une déviation dans toutes les formations professionnelles? Certaines aide-infirmières m'ont dit qu'elles perdaient presque la tête parce qu'elles ne savaient plus comment soigner les malades. Je trouve incroyable qu'on en soit rendu à dire qu'il faut valoriser la formation pratique.

Mme Guimond: C'est surtout une question de fonds. Il est rare que des fonds soient attribués pour supporter la formation des formateurs, par exemple.

Le sénateur Léger: La formation pratique, cela veut dire les malades?

Mme Guimond: C'est la formation dans le milieu pratique.

Le sénateur Léger: Le but de tout cela, c'est le malade, n'est-ce pas?

Mme Guimond: Oui, c'est cela.

Le sénateur Léger: Vous avez aussi dit que vous vouliez que soit élaboré un nouveau modèle pédagogique pour l'apprenant, le jugement. C'est l'essentiel de la formation de base. Le jugement passe avant la technique.

Monsieur Fontaine, merci pour la confiance que vous manifestez à l'égard de la santé, comme on l'a fait en éducation et en droit à l'époque. Tout cela incarne une vision. Tout ce qu'on dit pour le Nouveau-Brunswick vaut aussi pour l'Île-du-Prince-Édouard. J'imagine que c'est la même chose pour Terre-Neuve et le Yukon. Vos écoles desservent- elles toute la francophonie du Canada?

Dr Schofield: Nous avons la particularité d'avoir intégré d'autres critères de succès dans le programme de formation. C'est ce que nous avons voulu favoriser en demandant à nos étudiants d'effectuer des stages au Nouveau-Brunswick. Grâce à l'entente Québec-Nouveau-Brunswick telle qu'elle existe aujourd'hui, un poste dans le domaine de la médecine existe déjà pour la Nouvelle-Écosse et l'Île-du-Prince-Édouard.

À cela nous pourrions greffer d'autres professionnels. Nous pourrions mettre en oeuvre ces programmes et avoir un impact sur les provinces avoisinantes. Nous pourrions aussi jouer un rôle pour les francophones de Terre-Neuve parce qu'ils sont complètement démunis. Cela se ferait à des niveaux différents et par des moyens différents. On a parlé de technologies de l'information. Il y a toujours la formation à distance qui peut être intégrée dans ces programmes. Il faut être novateur, mais il faut garder ces étudiants le plus près possible de leur milieu d'origine, tout en leur offrant une qualité de formation. Il faut également les aider à créer les infrastructures qui vont les accueillir lorsqu'ils vont terminer leurs études. Tout cela peut se faire de façon bénéfique.

Le sénateur Léger: J'apprécie le conditionnel «on pourrait». Est-ce que le comité sénatorial ne devrait pas inviter des représentants de l'Université de Sherbrooke parce que c'est le centre, mais aussi des représentants des autres provinces pour arriver à répondre aux besoins de la francophonie pancanadienne?

Dr Schofield: J'ai présenté le partenariat Acadie-Sherbrooke comme modèle, mais on peut l'adapter à toutes les provinces canadiennes. Si on pouvait susciter une vision nationale et des partenariats, je pense qu'on pourrait innover et répondre à des objectifs très précis, mais cela prend des ressources. Au Nouveau-Brunswick, cela nous a pris 20 ans à nous battre, à faire nos preuves avec un peu tout le monde en disant que nous pouvions le faire. Nous voulons être un modèle qui pourrait être appliqué ailleurs, partout au Canada et dans d'autres domaines, et pas seulement en médecine.

M. Fontaine: Il y a eu un peu d'intelligence appliquée dans tout cela, il y a eu un opportunisme bien calculé. Nous pouvions faire un effort considérable de formation des professionnels de la santé avec des ententes comme celles qu'a mentionnées le Dr Schofield, c'est-à-dire l'entente Acadie-Sherbrooke ou encore l'entente à Ottawa avec l'Hôpital Montfort. Je n'ai pas de complexe d'infériorité par rapport à la capacité de ma communauté de former la main- d'oeuvre dont elle a besoin. S'il y avait une volonté politique suffisante, il n'y aurait aucune raison de ne pas disposer d'une une faculté de médecine pour former les francophones ailleurs qu'au Québec. Le jour où il y aura cette volonté politique, nous pourrons le faire, nous trouverons les ressources. Elles sont là, elles ne sont pas encore toutes colligées et cristallisées. C'est une question de moyens, pas de capacité. Il faut regarder à moyen terme. Si la province de Terre- Neuve a une faculté de médecine à l'Université Memorial, je pense que les communautés francophones au Canada pourraient avoir une faculté de médecine francophone.

Il faut nous assurer que les éléments essentiels sont réunis pour pouvoir agir. Je sais qu'une faculté de droit n'est pas complexe comme une faculté de médecine, mais dans les années 70, on nous a dit qu'il n'était pas possible d'avoir des facultés de droit francophones à l'extérieur du Québec. Le jour où il y a eu une volonté politique et où les gens se sont attelés à la tâche, cette faculté n'a jamais déshonoré à personne. Ce serait exactement la même chose à moyen et à long termes pour une faculté de médecine. C'est une question de conjoncture et il s'agit de choisir le bon moment.

En tant que recteur d'université, je ne dis pas que c'est pour demain, mais lorsqu'il y aura une volonté d'agir, il y aura certainement une volonté de travailler pour faire avancer les choses.

Le président suppléant: C'est bien de voir un recteur s'impliquer de cette façon. Je pense que le Dr Schofield est content d'avoir entendu cela.

Le sénateur Losier-Cool: Je n'ai pas eu besoin de poser la question!

[Traduction]

Le sénateur LeBreton: Docteur Schofield, lorsque vous avez parlé de l'expérience du Nouveau-Brunswick, vous avez indiqué que 30 p. 100 des médecins exercent en français maintenant comparativement à 18 p. 100 il y a 20 ans et qu'aujourd'hui la proportion de médecins et de patients est d'environ 1 pour 700. Je n'ai pas entendu le chiffre exact. Combien de temps a-t-il fallu pour en arriver là? Compte tenu de la réalité, si tout fonctionne correctement, quels sont vos objectifs à court et à long termes pour ce qui est d'assurer des services médicaux aux francophones dans leur langue? J'aimerais savoir combien de temps il a fallu pour en arriver à ce stade et quelle est la proportion idéale pour ce qui est de servir la population dans le reste du pays.

Dr Schofield: Une proportion de un pour un.

[Français]

En fait, la modification de cette proportion s'est faite sur une période de 20 ans. On avait une proportion d'un médecin pour 791 habitants en 1980 et une proportion d'un médecin pour 742 habitants en 1999-2000. Cela a pris 20 ans à changer.

En 20 ans, le nombre d'admissions en médecine par année du côté francophone n'a pas changé et le nombre de finissants n'a pas changé non plus. On ne peut pas s'attendre à ce que la proportion s'améliore parce que le nombre d'admissions est resté stable, donc le nombre de finissants ne sera pas plus élevé et la proportion restera la même.

Ce qui est inquiétant, ce sont les facteurs qui vont jouer sur le nombre de médecins. Il y a la féminisation de la profession qui joue ainsi que le changement de style de vie pour tous. Les hommes médecins comme les femmes médecins veulent avoir une pratique mieux organisée. Ils veulent travailler 40 à 60 heures par semaine au lieu de 80 et 90 heures. Le vieillissement de la population exigera un travail énorme de la part des médecins, tout comme le phénomène de retraite prématurée. Auparavant, les médecins pratiquaient jusqu'à l'âge de 65 ou 70 ans. Ce sera de moins en moins le cas. Les médecins ont été un peu plus sages et ont accumulé des fonds de retraite. On les verra donc partir à la retraite, peut-être prématurément, entre 55 et 60 ans ou ils diminueront leurs heures de travail pour faire autre chose de façon concomitante. Les besoins futurs sont donc très complexes à chiffrer.

Les chiffres produits par le ministère du Nouveau-Brunswick, comme par exemple les besoins en formation médicale, sont pour 2014. À ce moment-là, on disait que pour combler nos besoins, en tenant compte de quelques-uns des facteurs que je viens d'énumérer, on avait besoin, dans les programmes de formation, de 40 médecins francophones et de 40 médecins anglophones. Ces chiffres étaient conservateurs. Les chiffres exacts des besoins sont très difficiles à définir et c'est toujours un dilemme parce que lorsqu'on fait référence à certaines données, on tire des conclusions à partir des chiffres qu'on a.

On sait que la commission de Barry Stoddart avait préconisé la réduction du nombre d'admissions en médecine et en nursing il y a quelques années. On voit ce que cela donne aujourd'hui. On n'avait pas pris en compte le facteur du changement de style de vie, qui va certainement amener une baisse importante des ressources dans le domaine de la santé.

Avant de produire cela, s'il y a un input aujourd'hui, on n'en verra pas les conséquences demain mais dans 5 ou 10 ans. Il faut être non pas conservateur mais très libéral pour donner des chiffres importants et rectifier le tir dans 5 ou 10 ans, à mesure que le phénomène va évoluer.

Nous connaîtrons une pénurie importante au cours des 10 prochaines années. Si on ne règle pas la situation aujourd'hui, qu'est-ce qui nous attend? Ai-je répondu à votre question?

Le président suppléant: Le sénateur Keon est chirurgien cardiaque et directeur de l'Institut de cardiologie d'Ottawa.

[Traduction]

Le sénateur Keon: Avant même d'aborder l'aspect linguistique, il faut revoir toute la question de la formation des professionnels de la santé. Nous n'avons pas vraiment déterminé le type de professionnel de la santé souhaitable pour constituer l'équipe intégrée idéale compte tenu de notre situation.

On ferait fausse route si on établissait une faculté de médecine pour les francophones quelque part pour répondre aux besoins de la population francophone. Je crois que si l'on crée une faculté, il doit s'agir d'une faculté des sciences de la santé. Cette faculté devrait permettre de former les professionnels de la santé dont on a besoin, c'est-à-dire les médecins — les médecins de soins primaires et les spécialistes — les infirmières, une nouvelle catégorie de professionnels de la santé, qui se situe entre celle des médecins et celle des infirmières, et toutes les catégories des 35 à 38 autres disciplines de la santé, selon la province.

C'est peut-être l'occasion non seulement de contribuer à régler le problème de la pénurie de professionnels de la santé pour la population francophone du pays, mais aussi de bâtir une faculté des sciences de la santé qui assurerait les changements appropriés dans l'évolution du domaine général de la formation en matière de santé. J'aimerais connaître vos commentaires.

M. Fontaine: Au moins deux de nos universités, qui font partie de ce consortium, ont déjà des facultés de sciences de la santé. Il y a un professeur à la Faculté des sciences de la santé à l'Université d'Ottawa. Cette faculté offre un certain nombre de disciplines et de programmes qui sont dispensés en français et en anglais.

Mon université, l'Université de Moncton, est une université francophone. Nous avons une faculté des sciences de la santé où 12 disciplines sont représentées, entre autres les sciences infirmières, la psychologie, la nutrition, la kinésiologie et les services sociaux. Certaines se rattachent à la santé, d'autres pas. Nous n'avons pas d'école de médecine; par conséquent, nous n'offrons pas ce programme à l'université. Nous n'offrons pas certains des programmes offerts dans le cadre des sciences de la santé, comme la dentisterie ou d'autres types de professions.

Oui, nous avons des facultés des sciences de la santé. Nous envisageons d'établir des baccalauréats en sciences de la santé qui offriraient un programme universel pour préparer l'admission des étudiants à des écoles d'études supérieures en professions de la santé ou à des écoles de médecine dans des endroits où ces cours préalables sont exigés.

Au Québec, il ne faut que deux ans — le cégep. Nous avons un programme de deux ans à Moncton, ce qui permet à nos étudiants de s'inscrire à l'Université de Sherbrooke.

Je ne suis pas du même avis que vous quant à la capacité d'une université en dehors du Québec d'établir une école de médecine. Si les gouvernements décidaient de financer une telle entreprise, il n'y a aucune raison pour que cela ne marche pas. Nous l'avons constaté dans d'autres professions.

Je ne suis pas médecin, et je suis sûr que la complexité de la formation dans ce domaine diffère de celle de la formation pour d'autres professions. Cependant, nous avons des facultés de génie, de droit, de foresterie et d'autres types de facultés professionnelles. Il n'est jamais facile de créer une école de ce genre, mais si le gouvernement de l'Ontario devait annoncer qu'il crée une nouvelle faculté à l'Université Laurentienne, cela pourrait se faire. L'infrastructure de l'Université Laurentienne n'est pas plus importante que celle de certaines de nos universités. Je crois que cela pourrait se faire.

Nous n'avons pas l'intention de nous lancer dans cette entreprise à moins que les gouvernements, les universités et les fournisseurs de services de santé coopèrent.

Dr Schofield: Un objectif que nous visons dans le cadre du programme de formation en français est la formation interdisciplinaire, comme vous l'avez mentionné. Je conviens avec vous que nous devons façonner, non seulement dans la pratique mais aussi au niveau de la formation, les services de santé de l'avenir. On sait que lorsque les étudiants entrent dans un certain système organisationnel, ils ont tendance à adapter cette approche organisée et la mettre en pratique par la suite.

Nous l'avons d'ailleurs constaté au Nouveau-Brunswick. Lorsque j'ai commencé à exercer au Nouveau-Brunswick en 1980, il n'existait aucune équipe de médecins de famille. Chacun travaillait seul. Nous avons été les premiers médecins à se regrouper en équipe et à travailler de façon collective. Nous nous sommes limités à la médecine familiale. D'autres médecins se sont moqués de nous en nous appelant les PUM, c'est-à-dire les pêcheurs-unis des Maritimes. Nous nous trouvions à aller à contre-courant de la tendance en faisant les choses différemment.

Notre équipe compte maintenant dix médecins. Nous assurons toutes sortes de services en région, y compris l'obstétrique, les soins d'urgence, les soins hospitaliers, les soins à domicile, les services à long terme, les soins palliatifs, les soins aux adolescents et bien d'autres services. Nous avons chacun développé de petites spécialités. La plupart de nos étudiants qui ont obtenu leur diplôme font de la médecine de groupe. Ils ne veulent pas travailler seuls parce qu'ils ont été formés avec nous à la médecine de groupe et ont adopté la notion de médecine de groupe.

L'avenir ne se limite pas à la médecine de groupe. L'avenir est axé sur le travail en collaboration d'équipes interdisciplinaires, d'infirmières praticiennes, de psychologues et de diététiciennes. Toutes ces personnes doivent travailler en collaboration avec les médecins parce que cela améliorera nettement l'efficacité du système.

Nous sommes en train d'établir un projet très semblable à celui de Mme Guimond, que nous appelons le Centre de santé communautaire universitaire. Ce centre offrira des services et une formation clinique interdisciplinaire parce que nous devons encourager ces spécialistes à travailler ensemble en milieu clinique. Lorsque nous aurons réuni tous ces gens, nous espérons faire de la recherche sur l'organisation du service et l'état de santé de la population.

Dans le cadre de cette approche, on pourrait songer à l'établissement d'une faculté des sciences de la santé. Je n'y verrais aucune objection.

Nous devons déterminer l'orientation que nous voulons suivre. Nous devons faire preuve d'innovation et intégrer cet aspect au système si nous voulons évoluer. Je suis tout à fait d'accord avec cela. Les gens espèrent que cela se fera à l'échelle mondiale. Je travaille parfois avec l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, pour promouvoir la notion de partenariat et d'équipes interdisciplinaires, et nous tâchons de créer des ressources en santé dans ce contexte. Nous sommes persuadés que cela permettra de créer un système beaucoup plus efficace.

[Français]

Le président suppléant: Il n'y a pas assez de temps pour d'autres questions. Il est midi. Je sais que plusieurs collègues auraient aimé vous poser des questions. Peut-être accepterez-vous, après la séance, de répondre personnellement aux questions qu'ils voudraient vous poser.

Avant de terminer, j'aimerais vous féliciter. On n'a malheureusement pas pu parler du centre national de formation en santé. Le sénateur Gauthier y a fait allusion. Pour nous, c'est un modèle dont nous aurions vraiment souhaité entendre parler. Je sais que grâce au financement de Patrimoine Canada, vous avez pu augmenter le recrutement. Cela nous aurait intéressés de connaître les résultats de cette expérience qui pourrait servir de modèle pour le financement du gouvernement fédéral dans le domaine des soins de la santé. Enfin, nous aurons sûrement l'occasion d'entendre parler de ce centre à une autre occasion.

Monsieur le recteur, votre université peut servir de modèle pour les universités de plus petite taille. Vous avez un dynamisme que j'avais déjà eu l'occasion de constater quand j'ai visité votre université, il y a maintenant un an. Je vous félicite et vous souhaite tout le succès possible dans votre travail.

Le docteur Schofield a mis sur pied un modèle et j'aime beaucoup sa façon d'agir et son approche, qui est de bâtir régionalement et ne pas avoir des visées trop ambitieuses. Il construit chez lui. Si cela fonctionne, d'autres pourront l'imiter. Vous avez fait allusion à la situation tragique de la Loi sur la formation professionnelle au Manitoba. Il n'y a absolument rien, c'est le désert, si je ne me trompe pas, sauf exception.

On nous disait hier que la troisième communauté francophone au Canada était celle de la Colombie-Britannique. On a mentionné l'absence complète de lieu de formation. L'Université Saint-Jean, en Alberta, est une excellente université qui n'a rien à offrir dans le domaine de la santé. Il y a sûrement un travail à faire de ce côté, mais je crois que vous avez donné une ébauche de solution en disant que c'est par de petits noyaux en certains lieux que l'on construit. Encore une fois, mes félicitations, vous travaillez dans des conditions difficiles, nous le réalisons.

La séance est levée.


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