Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 18 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 27 novembre 2001

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 9 h 31 pour étudier le projet de loi C-34, Loi portant constitution du Tribunal d'appel des transports du Canada et modifiant certaines lois en conséquence.

Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente: Je voudrais vous souhaiter la bienvenue dans le cadre de l'étude que nous menons au sujet du projet de loi C-34, la Loi sur le Tribunal d'appel des transports du Canada. Notre rencontre, mercredi dernier, nous a permis d'assister à deux présentations fort utiles, l'une de la Fédération maritime du Canada et l'autre du Tribunal de l'aviation civile. La Fédération maritime a réitéré, comme vous le savez, ses inquiétudes au sujet des sanctions administratives imposées au transport maritime et du processus suivi au tribunal lui-même.

Le Tribunal de l'aviation civile nous a fait profiter de ses 15 années d'expérience. Étant donné que le Tribunal d'appel des transports proposé serait en fait un prolongement du Tribunal de l'aviation civile il englobera les secteurs maritime et ferroviaire - les renseignements fournis par cet organisme nous ont certainement grandement éclairés.

[Traduction]

Ce matin, nous accueillons deux groupes de témoins, à savoir les représentants de l'Association canadienne de droit maritime et ceux de l'Association des chemins de fer du Canada. Quand nous avons examiné le projet de loi C-14 modifiant la Loi sur la marine marchande du Canada, l'Association canadienne de droit maritime avait exprimé des réserves à propos des sanctions administratives et de la procédure suivie par le tribunal, et nous sommes impatients d'entendre ses observations au sujet du projet deloi C-34.

L'Association des chemins de fer du Canada représente les sociétés ferroviaires, grandes et petites, de l'ensemble du pays. Il s'agit de l'autre mode de transport auquel s'appliqueront les sanctions administratives et le processus du tribunal. Il nous intéressera particulièrement de savoir si les gens de ce secteur estiment que le nouveau régime sera bénéfique pour leur industrie et s'ils entretiennent encore des inquiétudes à ce sujet.

Nous accueillons ce matin M. William Moreira, vice-président, Atlantique, de l'Association canadienne de droit maritime, M. Don Morrison, président de l'Association des armateurs canadiens, et M. Shane Foreman, directeur des politiques et de la recherche, également de l'Association des armateurs canadiens.

M. Donald Morrison, président, Association des armateurs canadiens, L'Association Canadiene De Droit Maritime: Mesdames les sénateurs et monsieur le sénateur, notre groupe vous est peut-être déjà familier, étant donné que nous avons récemment comparu devant votre comité à propos du projet de loi C-14. Nous voilà de retour pour discuter avec vous du projet de loi C-34. L'Association des armateurs canadiens comparaît cette fois-ci pour appuyer l'Association canadienne de droit maritime. Nous avons passé énormément de temps devant votre comité parlementaire permanent à examiner les projets de loi C-34 et C-14. Ce matin, nous aimerions nous pencher sur les aspects juridiques du processus.

Je vais maintenant vous dire quelques mots au sujet de l'Association des armateurs canadiens. Nous défendons les intérêts de la flotte de navires de charge battant pavillon canadien qui naviguent sur le Saint-Laurent, dans les Grands Lacs, dans les eaux la côte est canadienne et dans l'Arctique. Nos membres possèdent quelque 80 navires de charge, dont des transporteurs de vrac sec, des navires-citernes et des porte-conteneurs. En 2000, nous avons transporté au-delà de 72 millions de tonnes de marchandises, dont plus de la moitié étaient destinées au marché des États-Unis. En tonnage, nous représentons plus de 85 p. 100 de la flotte de navires de charge battant pavillon canadien et employons l'immense majorité des capitaines et officiers de navigation.

Le Tribunal d'appel des transports du Canada proposé, le TATC, de même que les dispositions prévoyant l'imposition de sanctions administratives pécuniaires prévues dans la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, qui a récemment reçu l'aval du Sénat, pourraient avoir un impact considérable sur notre industrie, vu que les dispositions de cette loi s'appliquent principalement aux documents maritimes canadiens que détiennent nos navires, capitaines, officiers et autres marins. Autrement dit, les sanctions sont plus sévères envers un Canadien assujetti au régime des sanctions administratives pécuniaires que pour un officier d'un navire étranger.

Je n'entrerai pas dans les détails ce matin. Nombre des articles dont nous voulons discuter étant de nature juridique, nos collègues de l'ACDM, avec qui nous avons collaboré à la rédaction du présent mémoire, seront sans doute mieux placés que moi pour en traiter. Nul besoin de vous dire que nous contestons depuis le début le principe du tribunal d'appel. Nous étions contre les amendements à la Loi sur la marine marchande du Canada qui proposaient de remplacer le tribunal arbitral par un groupe d'appel, et il nous faut maintenant accepter la création du tribunal d'appel. Nous contestons toutefois le processus à trois égards, à savoir en ce qui concerne les règles de preuve, la charge de la preuve et les pouvoirs de réparation.

Nous avons appuyé la grande majorité des changements proposés à la Loi sur la marine marchande du Canada, mais, à l'instar d'autres intervenants de l'industrie, nous nous opposons à certains des amendements proposés à cette loi. Nous comparaissons maintenant pour appuyer l'ACDM, étant donné que les points à propos desquels nous ne sommes toujours pas d'accord sont de nature juridique et qu'ils seront sans doute mieux défendus par nos amis juristes, qui représentent l'ensemble de l'industrie maritime de notre pays au regard du droit maritime. Je crois que le moment serait peut-être approprié de laisser M. William Moreira, de l'Association canadienne de droit maritime, vous entretenir de ces préoccupations juridiques.

M. William Moreira, vice-président, Atlantique, Association canadienne de droit maritime: Mesdames et monsieur les membres du comité, permettez-moi de clarifier un point: Je vois dans l'avis de convocation de la séance d'aujourd'hui que mon association est décrite comme étant l'Association canadienne des avocats en droit maritime. Or, il s'agit plutôt de l'Association canadienne de droit maritime, car nos membres ne sont pas tous des avocats, heureusement, je pense.

Nous apprécions au plus haut point la possibilité que vous nous offrez de vous exposer notre point de vue ce matin. Pour diverses raisons, il ne nous a pas été possible de faire de même devant le Comité permanent des transports et des opérations gouvernementales à propos du projet de loi C-34. Nous remercions les membres de votre comité pour le temps qu'ils nous accordent et pour l'intérêt qu'ils manifestent à l'égard de notre position. J'espère qu'on vous a remis une copie du mémoire que j'ai fait parvenir à M. Patrice il y a une semaine et dont j'aimerais faire ressortir les éléments auxquels nous attachons le plus d'importance. Mon président, James Gould, s'excuse de n'avoir pas pu être des nôtres aujourd'hui.

Nous sommes ici pour examiner un projet de loi qui aura pour effet de créer un tribunal administratif. Il importe que je rappelle aux membres du comité qu'il existe tout un continuum de tribunaux administratifs en vertu du droit fédéral canadien. À une des deux extrémités de ce continuum, il y a les tribunaux qui rendent des décisions d'ordre purement technique ou administratif et au regard desquelles l'application des règles d'équité procédurales est relativement peu stricte.

À l'autre extrémité du continuum, il y a les tribunaux dont les décisions peuvent porter atteinte aux droits des personnes. L'ACDM est d'avis que le TATC proposé est un tribunal qui se situe à cette dernière extrémité du continuum. Ses décisions peuvent porter atteinte aux droits individuels de deux importantes façons. Premièrement, elles peuvent porter atteinte au droit d'une personne de faire son travail. Aux termes de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, le ministre est habilité à refuser de délivrer, à suspendre ou à annuler des documents maritimes canadiens, c'est-à-dire les permis de travail des gens de mer. Le TATC aura notamment pour mandat de revoir de telles décisions ministérielles.

Deuxièmement, et surtout, ce tribunal ne tient nullement compte de la présomption d'innocence à laquelle tous les Canadiens ont droit. J'ai mentionné dans mon mémoire, et j'insiste sur ce point ce matin, que le mandat de ce tribunal est de nature principalement pénale. Le ministre pourra, à sa discrétion, le saisir d'une affaire au lieu de s'adresser à un tribunal pénal. Je vous fais remarquer qu'il s'agit là d'un important aspect du travail de ce tribunal proposé qu'il vous faudra garder à l'esprit tout au long de vos délibérations.

Enfin, ce tribunal est de nature arbitrale. Il a pour mandat de résoudre des différends entre, d'une part, des personnes qui sont assujetties à la Loi sur la marine marchande du Canada et à d'autres lois régissant les modes de transport et, d'autre part, le ministre des Transports. Étant donné que, de par sa nature même, le travail de ce tribunal consiste à trancher des différends où les droits d'une personne peuvent être lésés, il doit être considéré comme se situant à l'autre extrémité du continuum des tribunaux administratifs, lesquels sont soumis à des exigences plus strictes en matière d'équité et qui, sinon en apparence du moins dans les faits, s'apparentent davantage à des tribunaux judiciaires. De l'avis de l'Association canadienne de droit maritime, c'est la création de ce genre de tribunal que propose ce projet de loi.

Compte tenu de la nature même ce tribunal, l'ACDM s'est demandé, à propos du projet de loi C-34, en quoi cette mesure législative omettait d'établir pour ce tribunal une norme suffisamment exigeante en matière d'équité, compte tenu du haut degré d'équité qu'exige le genre de causes sur lesquelles devra se prononcer un tel tribunal et du fait que cet organe, de par sa nature, est une «quasi» cour de justice?

L'ACDM a identifié trois aspects où le projet de loi C-34 fait défaut à cet égard, le premier étant reflété au paragraphe 15(1). De la manière dont ce paragraphe est formulé, les règles juridiques et techniques en matière de preuve ne s'appliquent pas. Le projet de loi ne précise pas quelles règles, le cas échéant, s'appliquent en matière de preuve. Force nous est d'en conclure qu'aucune règle de preuve ne s'applique aux poursuites devant ce tribunal. Les membres de l'association que je représente estiment que c'est là l'antithèse même de l'équité. Les règles de preuve doivent être appliquées en toute équité par un tribunal arbitral et pénal dont les décisions peuvent porter atteinte aux droits des gens. Sauf tout le respect que je dois aux rédacteurs de ce projet de loi, ce postulat devrait avoir valeur de vérité évidente aux yeux des avocats et des législateurs canadiens. Ce défaut risque de se révéler particulièrement problématique en ce qui a trait au mode de transport maritime.

Quand la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada entrera en vigueur, le ministère pourra décider, à sa discrétion, au regard des dérogations prévues dans la loi, s'il poursuivra en justice le contrevenant ou s'il se limitera à dresser un procès-verbal. Le différend pourra ensuite faire l'objet d'une révision, puis d'un appel devant le Tribunal d'appel des transports du Canada. Dans une affaire pénale, c'est au ministère qu'il appartiendra de décider quelle voie il prendra.

Si la preuve est non concluante ou inadmissible, ou encore fondée sur de purs ouï-dire, comme dans l'exemple que nous donnons dans notre mémoire, le ministre sera habilité à éviter complètement la voie judiciaire, à engager une poursuite pénale au moyen d'un procès-verbal, auquel cas, s'il y a litige, l'affaire aboutira devant le TATC, où les règles de preuve ne s'appliqueront pas. Mesdames et monsieur les membres du comité, nous vous faisons remarquer respectueusement que cette procédure est insatisfaisante et qu'elle doit être modifiée en reformulant le paragraphe 15(1) du projet de loi de manière à ce que les règles de preuve s'appliquent devant le TATC au même titre que devant un tribunal judiciaire. Selon nous, ce paragraphe, tel qu'il est actuellement libellé, donne au ministère, en cas de poursuite pénale, un avantage substantiel qui ne saurait être justifié ni en vertu d'une politique ni en vertu de l'équité.

Mesdames les sénateurs et monsieur le sénateur, dans le sixième rapport de votre comité, en date du 18 octobre 2001, sur le projet de loi C-14, qui deviendra la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, vous vous êtes montrés inquiets à propos de la question de savoir si les personnes qui se verraient imposer des sanctions administratives auraient la possibilité d'interjeter appel devant les tribunaux. Je tiens à attirer votre attention sur l'article 21 du projet de loi C-34, qui définit le second stade des poursuites devant le TATC en ces termes:

21. La décision rendue en appel par un comité du Tribunal est définitive et lie les parties.

Comme dans de toute affaire portée devant un tribunal ou un organisme administratif fédéral, la personne peut toujours présenter une requête en révision en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Cependant, il ne s'agit pas là d'un appel. Le seul pouvoir de réparation qu'a la Cour fédérale découle de l'article 18, où il est dit qu'elle peut annuler ou renvoyer pour jugement l'ordre d'un tribunal. Elle n'a pas de pouvoir exprès de réparation. Surtout, la Cour fédérale n'a pas de pouvoir de révision concernant la sévérité des sanctions qui peuvent être imposées, soit par le ministre, soit par le TATC.

Étant donné l'inquiétude qu'ont exprimée les membres de votre comité à l'égard du projet de loi C-14, je tenais à souligner ce que l'ACDM voit comme étant la portée étroite du pouvoir de révision judiciaire des décisions du Tribunal d'appel des transports du Canada, qui n'accorde ni droit d'appel ni recours particulièrement utile à un particulier ou à un détenteur de permis qui s'estimerait lésé.

Dans notre mémoire, nous faisons également référence au paragraphe 15(5) du projet de loi C-34, qui stipule que, dans toute affaire portée devant le tribunal, la charge de la preuve repose sur la prépondérance des probabilités - autrement dit, elle est de nature soi-disant «civile». Les membres de l'ACDM sont d'avis qu'il devrait incomber au ministre, dans les poursuites devant le Tribunal d'appel des transports du Canada, de faire la preuve hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'intimé, ce qui correspond à la notion traditionnelle de charge de la preuve en matière pénale.

En tant qu'avocat, je reconnais, et je suis sûr que ceux qui sont avocats parmi les membres de votre comité en conviendront également, qu'il y a peu de cas où le résultat peut varier suivant que la charge de la preuve qui s'applique en l'espèce est civile ou pénale. En règle générale, ces cas limites sont relativement rares. C'est dans ces rares cas qu'il y a, à mon avis, risque de manquement grave à l'équité et où l'on devrait se garder de conférer au ministère un avantage non négligeable dont il pourrait se prévaloir en choisissant tout simplement d'opter pour la voie du tribunal administratif plutôt que pour celle d'une poursuite judiciaire.

Enfin, mesdames et monsieur les membres du comité, nous tenons à vous faire part de nos préoccupations concernant l'article 72, notamment en ce qui touche les nouveauxparagraphes 16.1(3) et 20.4(7) proposés de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada. Quand on considère toutes les restrictions et les exclusions que prévoient ces dispositions législatives, on constate que, même quand une personne lésée a gain de cause devant le Tribunal d'appel des transports du Canada, il y a des cas où le tribunal ne disposerait d'aucun pouvoir de réparation et en serait réduit à devoir renvoyer l'affaire au ministre. Il en est ainsi dans certains cas, mais pas dans tous.

J'ai tenu à attirer tout particulièrement l'attention des membres de votre comité sur le droit du ministère de refuser de délivrer un document maritime canadien aux motifs énoncés àl'alinéa 16(4)c) de la Loi sur la marine marchande du Canada, où il est stipulé que le ministre peut refuser de délivrer un document maritime canadien s'il estime que l'intérêt public le requiert en raison notamment des antécédents du demandeur ou de tel de ses dirigeants. On utilise un libellé similaire ausous-alinéa 20.4(1)g)(ii) de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada où il est question du pouvoir du ministre de suspendre ou d'annuler un document maritime.

Le tribunal n'a aucun pouvoir de réparation si le ministre a invoqué comme motif de l'imposition de sa sanction relative à un document maritime canadien les «antécédents du demandeur». Personne n'est trop sûr de la signification de ces termes, étant donné le caractère flou du motif énoncé dans cette disposition et du degré de sévérité avec lequel le ministre pourrait exercer son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur ce motif. Le tribunal devrait être habilité non seulement à revoir la décision rendue, mais également à ordonner vraiment réparation si, dans l'affaire dont il est saisi, il estime que le ministre est allé trop loin ou a fait défaut d'appliquer correctement cette disposition particulière de la loi de fond.

De même, mesdames et monsieur les membres du comité, le sous-alinéa 20(1)f)(i) de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada permet au ministre de suspendre ou d'annuler un document maritime canadien s'il estime que le détenteur du document en question est incompétent ou a commis un acte d'inconduite.

Là encore, il s'agit de concepts vagues et de pouvoirs ministériels d'une très grande portée. Ce projet de loi devrait habiliter le Tribunal non seulement à revoir la décision du ministre, mais également à exiger réparation dans de telles circonstances.

Le fait que le tribunal ne soit pas habilité à imposer réparation dans les circonstances que je viens de décrire brièvement signifie que le ministre n'est en l'espèce pas lié par la décision rendue par le tribunal, et, partant, que cette absence de pouvoir de réparation risque de rendre l'apparent droit de révision vide de sens et inutile. Si ce tribunal existe, il doit avoir des pouvoirs réels.

Mesdames et monsieur les membres du comité, comme M. Morrison l'a mentionné, nous avons longuement discuté avec les représentants du ministère, les décideurs et les membres de votre comité du régime d'imposition de sanctions administratives au mode de transport maritime. Nous reconnaissons que la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada comporte un processus d'imposition de sanctions administratives. Nous n'entendons pas poursuivre ce débat, que nous admettons avoir perdu. Cependant, nous avons la ferme conviction que, s'il doit exister un régime de sanctions administratives, celui-ci doit être appliqué dans le respect des principes de la justice fondamentale à l'égard de toutes les personnes auxquelles la mesure législative de fond proposée s'appliquera. Le Tribunal d'appel des transports du Canada doit pouvoir agir en toute équité et être légalement constitué de manière à ce qu'on puisse le juger compétent dans l'éventualité fort prévisible où son travail ferait l'objet d'une contestation devant les tribunaux, et il doit être en mesure de démontrer qu'il applique, en matière de procédure et d'équité, les normes auxquelles doit se soumettre tout tribunal se trouvant à l'extrémité du continuum des tribunaux administratifs où se situent les tribunaux d'arbitrage dont les décisions peuvent portent atteinte aux droits des gens.

Mesdames et monsieur les membres du comité, merci de nous avoir donné la possibilité de faire cet exposé et de l'attention que vous avez accordée à nos propos.

La présidente: Le projet de loi a essentiellement pour objectif d'encourager le respect des règles en matière de sécurité. Estimez-vous que le niveau actuel de respect de ces règles et le niveau de sécurité qui en résultent dans le cas du mode de transport maritime sont acceptables? Dans la négative, que recommanderiez-vous ou qu'avez-vous recommandé à cet égard dans le cadre des consultations sur le projet de loi C-34 auxquelles vous avez participé avec les gens du ministère?

M. Moreira: Le comité qui, au sein de l'ACDM, est chargé du dossier du Tribunal d'appel des transports a été actif non seulement à propos de ce projet de loi, mais également à propos des diverses versions de ce qui est devenu le projet de loi C-14 et de ce qui deviendra la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada.

Tout au long du processus de consultation, notre comité n'a pas été convaincu, ni par les représentants de Transports Canada ni par ses propres membres qui sont actifs au sein de l'industrie, parmi lesquels se trouvent des gens chargés de faire appliquer la loi, qu'il existait au sein du mode de transport maritime de sérieuses lacunes en matière de respect de la loi. Nous ne saurions prétendre que nous n'enfreignons jamais les règlements. Il serait d'ailleurs impossible de soutenir une telle affirmation. Cependant, les membres de notre comité et de notre association sont d'avis que la simple menace de poursuites judiciaires, telle qu'elle existe déjà dans la Loi sur la marine marchande du Canada actuellement en vigueur, s'est traduite par un tel niveau de respect de la loi dans le secteur du transport maritime qu'il ne semble pas y avoir de problème ni sur le plan de l'exécution ni sur celui du respect de la loi.

Étant donné que les poursuites coûtent cher et que le plaignant risque parfois de perdre sa cause, les membres de notre comité n'ont pas l'impression, pas plus d'ailleurs que les représentants de Transports Canada n'ont réussi à en faire la preuve, que les lacunes en matière de respect de la loi dans le secteur du transport maritime justifiaient qu'on s'en remette à autre chose qu'au modèle traditionnel du recours à l'appareil judiciaire.

L'argument constamment invoqué était que le système fonctionnait tellement bien dans le secteur du transport aérien qu'il ne pourrait en être autrement dans celui du transport maritime. Nous avons toujours était d'avis que c'était là s'attaquer à un faux problème.

M. Morrison: Je n'ai pas en main ce matin les statistiques à ce sujet, mais nous les avions quand nous avons commencé à examiner le projet d'adoption d'un régime d'imposition de sanctions pécuniaires et de création d'un tribunal d'appel. Chose certaine, depuis 10 ou 15 ans, il ne s'est rien passé qui puisse justifier qu'il s'impose d'exercer une surveillance et un contrôle plus serrés sur la façon dont la flotte de cabotage canadienne se conforme à la loi.

Nos sociétés membres et leurs employés vivent, existent, travaillent, sont formés et détiennent des permis sous le régime des documents maritimes canadiens. Ils ne peuvent pas s'en passer. Ils vivent, travaillent et gagnent leur vie dans le secteur maritime. Si le problème, c'était d'essayer d'exercer un meilleur contrôle sur les navires, capitaines ou marins étrangers, nous estimons qu'il y aurait peut-être eu un autre moyen de le faire que de tendre un filet pour prendre également au piège les armateurs, capitaines et navires canadiens. Aux termes des projets deloi C-14 et C-34, ce sont ces derniers qui sont les plus touchés.

Les capitaines canadiens qui contreviennent aux règlements et qui finissent par être reconnus coupables par un tribunal ou autrement perdent en réalité leur droit de travailler dans notre pays dans le domaine maritime de leur choix, alors que les étrangers, eux, peuvent se voir imposer une amende, mais ne risquent pas de se voir retirer un document maritime canadien puisqu'ils n'en ont pas.

Dès le départ, nous estimons que l'adoption d'une nouvelle approche n'était nullement nécessaire, puisque le régime judiciaire actuel nous apparaissait suffisant. De toute façon, vu qu'on ne nous accusait pas très souvent de contrevenir à la loi, nous trouvions que les nouvelles mesures proposées seraient très onéreuses pour le régime canadien.

La présidente: Vous proposez que ce tribunal soit lié par les mêmes règles de preuve qu'une cour de justice et qu'il soit tenu de prouver hors de tout doute raisonnable que l'intimé est coupable. Si vos suggestions étaient acceptées, croyez-vous que ce tribunal administratif pourrait continuer d'adopter une approche non légaliste, approche qui est à la base du succès des tribunaux administratifs?

M. Moreira: Oui, je le crois, et ce, pour deux raisons. Premièrement, les membres de ce tribunal ne sont pas des juges; ce sont des gens qui proviennent du milieu des transports. Ils ont reçu une formation technique. Ils sont véritablement les pairs des personnes dont ils ont à juger la cause. Deuxièmement, on peut rendre obligatoire l'application des règles de preuve, des règles de preuve en matière pénale, pour prendre cet exemple, sans devoir forcément donner à ce tribunal tous les attributs d'une cour de justice. Les requérants n'ont pas besoin de se faire représenter par un avocat. Ils n'ont pas à y prononcer de longs discours. On n'a pas à y appliquer des procédures de voir-dire pour établir l'admissibilité des éléments de preuve. Tout ce dont on a besoin d'y appliquer, ce sont les règles élémentaires du droit. Les règles de preuve dont il est question dans notre mémoire sont en quelque sorte une norme. À défaut de répondre à cette norme, les particuliers ou les sociétés qui comparaissent devant ce tribunal n'ont pas de garantie que leurs droits seront respectés.

On peut appliquer des règles de fond claires, bien comprises et fondamentalement normatives sans nécessairement rendre le processus indûment chronovore, formel ou intimidant, tant pour le tribunal que pour les requérants qui comparaissent devant lui.

Le sénateur Oliver: J'aimerais souhaiter chaleureusement la bienvenue à M. Moreira et lui dire que, tout comme d'ailleurs M. Wood qui a comparu avant lui à propos d'un précédent projet de loi, il a fait un excellent exposé. Je vous félicite tous deux de nous avoir présenté plusieurs points de droit qui nous amènent à nous interroger sérieusement.

J'aimerais amorcer la discussion comme vous l'avez fait, en parlant de la distinction que vous avez faite entre votre association et les avocats. Lors de notre dernière séance, nous avons entendu la directrice générale du Tribunal de l'aviation civile. J'ignore si vous avez eu la chance de lire son témoignage.

M. Moreira: Oui, je l'ai lu.

Le sénateur Oliver: Nous l'avons interrogée à propos des façons dont se déroulaient les procédures lorsqu'elle ou ses représentants sont saisis d'une affaire. Un aspect qui est clairement ressorti, c'est qu'il n'était pas nécessaire d'être avocat pour se présenter devant ce tribunal, ce qui m'apparaît intéressant. On tient à simplifier les procédures. C'est donc dire qu'un accusé ou une personne qui s'estime lésée n'a pas à assumer de frais d'avocat pour défendre sa cause devant le tribunal. S'il nous fallait appliquer les règles strictes que vous proposez en matière de preuve, ça serait injuste pour ceux qui n'ont pas étudié le droit et qui désirent se défendre eux-mêmes devant le tribunal.

Il me semble n'y avoir rien d'inhabituel là-dedans. Comme vous l'avez fait remarquer dans votre déclaration préliminaire, il y a de nombreux types de tribunaux. Par exemple, un particulier peut comparaître devant la Commission d'appel des pensions. Comme c'est le cas pour le tribunal proposé, on n'y applique pas de règles de preuve formelles. On peut interjeter appel devant la Cour fédérale d'une décision de la commission, comme dans le cas qui nous occupe, et le régime semble bien fonctionner. Il y a possibilité d'appel s'il y a eu trahison des principes de la justice naturelle. Je ne vois pas pourquoi vous tenez tant à ce que le tribunal proposé applique des règles strictes en matière de preuve, car, d'après les témoignages que nous avons entendus et ce qu'on a pu observer dans le cas du Tribunal de l'aviation civile, le système semble très bien fonctionner.

M. Moreira: Si vous me permettez une digression, n'ayant pas eu la chance de comparaître devant le Tribunal de l'aviation civile, j'ai demandé à mon beau-frère, qui est pilote à Air Canada, ce qu'il pensait de ce tribunal. Il m'a répondu qu'il n'avait pas d'opinion sur le Tribunal de l'aviation civile et qu'il espérait n'avoir jamais à s'en faire une. Je ne vous disais cela qu'en passant.

La distinction qui existe entre le tribunal proposé et le tribunal d'appel des pensions, c'est le caractère pénal du travail du premier, et, je le répète, le choix qu'a le ministère de poursuivre le contrevenant en justice ou de simplement dresser un procès-verbal quand il constate ce qui lui semble être une infraction, et, en cas de contestation, d'en saisir le Tribunal d'appel des transports.

Le sénateur Oliver: Un certain nombre de lois provinciales confèrent à la poursuite le pouvoir discrétionnaire de choisir entre procéder par voie d'accusation ou par procédure sommaire. Il n'y a rien de nouveau dans le fait d'accorder à la poursuite une telle discrétion.

M. Moreira: Je sais, mais dans l'une et l'autre de ces deux situations, au moins les règles de preuve sont semblables. Les procédures sont plus complexes. On peut soutenir que le niveau de protection est plus grand dans le cas d'une procédure par voie d'accusation en raison notamment de la tenue d'une enquête préliminaire, mais les règles fondamentales d'équité s'appliquent au même titre dans les deux types de poursuites. Ce qui distingue en réalité ce tribunal, c'est son caractère pénal. Lorsqu'il s'agit d'un tribunal qui a pour mandat d'exécuter la loi et de punir les contrevenants, il se trouve dès lors, selon nous, dans une catégorie distincte de tribunal d'appel.

D'après le souvenir que j'ai du témoignage que vous avez entendu de la part de la représentante du Tribunal de l'aviation civile, je crois qu'elle a expliqué que ce tribunal appliquait ses propres règles de preuve, des règles qu'il adopte pour lui-même. Je n'ai rien contre cela. Ce qui nous préoccupe, c'est qu'il soit impossible en vertu du libellé actuel de s'assurer que les règles d'équité sont respectées - ce qu'on devrait pouvoir faire, selon nous. En effet, si, par exemple, il était expressément mentionné dans la loi que le tribunal en question est tenu d'appliquer les règles de preuve, le défaut de la part du tribunal de satisfaire à cette exigence donnerait vraiment ouverture à un recours en révision judiciaire aux termes de la Loi sur la Cour fédérale. C'est là la distinction que nous voyons entre un mandat conféré par la loi en matière de règles de preuve, même si la substance demeure la même, et l'application en cette matière de règles que le tribunal en question aurait tout simplement adoptées en même temps que ses autres règles de procédure.

Le sénateur Oliver: Actuellement, la Cour fédérale est saisie de six affaires de cette nature, ce qui montre que le régime d'appel semble bien fonctionner. La directrice générale du Tribunal de l'aviation civile nous a également dit que ce tribunal s'orientait de plus en plus vers les techniques modernes de résolution des différends, c'est-à-dire de règlement extrajudiciaire, comme la médiation. J'y vois une autre raison pour ne pas s'en tenir strictement aux règles de preuve officielles. Qu'en pensez-vous?

M. Moreira: Il est de toute évidence souhaitable qu'on privilégie le règlement extrajudiciaire des différends. Reste à espérer que cette méthode soit efficace dans le domaine du transport maritime.

Le sénateur Oliver: Auriez-vous à l'esprit quelque raison de penser que ce ne serait pas le cas?

M. Moreira: Non, je n'en ai pas. Le recours à un tribunal administratif, tout comme d'ailleurs à une cour de justice, ne devrait être indiqué qu'en dernier ressort lorsqu'on a épuisé tous les autres moyens dans la poursuite du règlement d'un différend. Tout ce qui pourrait permettre d'accélérer le processus et de réduire les coûts ne peut être que bienvenu et mérite d'être appuyé.

Cependant, quand on en est rendu au stade du différend, l'affaire doit être jugée et réglée. C'est ce stade du processus qui nous préoccupe et à propos duquel nous essayons de faire valoir notre point de vue. S'il faut opter pour un processus adversatif et à l'adoption de règles pour encadrer ce processus, il nous faut nous demander quelles règles devront s'appliquer. Même si, à l'instar, je crois, des membres du comité, nous reconnaissons que l'expérience s'est révélée satisfaisante dans le cas du mode de transport aérien, nous soutenons que ces règles devraient inclure les règles de preuve. L'absence de référence aux règles de preuve, comme on nous le propose actuellement - du moins dans le libellé de ce projet de loi - nous apparaît déplorable.

Le sénateur Oliver: Permettez-moi de vous poser une question d'ordre constitutionnel. Le projet de loi ne vous préoccupe-t-il pas en ce qui a trait à la séparation des pouvoirs? J'entends par là la distinction entre le pouvoir exécutif, celui du ministre et du cabinet, et le pouvoir judiciaire. Ne croyez-vous pas que ce projet de loi contrevient aux règles relatives à la séparation des pouvoirs? Cet aspect vous préoccupe-t-il?

M. Moreira: À vrai dire, je ne m'étais pas posé le problème, monsieur le sénateur Oliver.

Je suppose qu'on ne saurait exclure la possibilité que les faits, dans une affaire donnée, soient tellement graves qu'il faudrait en être amené à conclure que la résolution du problème relève du pouvoir judiciaire, bien que l'affaire se soit déroulée dans un contexte relatif au transport. Quant à la question de savoir si l'occurrence hypothétique d'une telle situation pourrait entraîner la contestation de la validité constitutionnelle de ce projet de loi, il faudrait qu'un avocat fouille passablement la question pour être en mesure de se prononcer là-dessus. Peut-être que M. Morrison a une opinion sur cette question.

Le sénateur Callbeck: Vous avez mentionné que votre association est loin de ne regrouper que des avocats. Qui d'autre que des avocats sont membres de votre association?

M. Moreira: Nous avons deux catégories de membres: des personnes morales et des particuliers comme moi. L'association que représente M. Morrison, l'Association des armateurs canadiens, fait partie de la catégorie membres à titre de personnes morales. Dans cette catégorie, il y a aussi des entreprises de l'industrie maritime ou des associations d'entreprises - qu'il serait injuste de désigner comme étant des groupes d'intérêt, mais je crois que c'est généralement ce qui les caractérise - qui défendent les intérêts de divers secteurs de l'industrie.

Nous avons une grande variété de membres qui le sont à titre de personnes morales. Parmi elles, on compte la Fédération maritime du Canada, dont les représentants ont comparu ici la semaine dernière, l'Association du Barreau canadien et l'Association des banquiers canadiens. Des groupes de ce genre, nous en avons 19, mais je serais incapable d'en nommer plus de cinq. C'est là le genre d'entités que nous désignons comme membres de l'ACDM à titre de personnes morales.

La majorité des autres membres, qui sont au nombre d'environ 300, sont des avocats comme moi. Les autres sont des universitaires, des hauts fonctionnaires, des gens du milieu des assurances, des agents d'approvisionnement des navires - en réalité, tout l'éventail des gens qui, par métier ou autrement, s'intéressent au «droit maritime».

J'ai mis les mots droit maritime entre guillemets parce qu'ils englobent non seulement l'industrie du transport maritime, mais également, par exemple, l'industrie des pêches. De la façon dont les choses évoluent, nous avons maintenant au sein de notre association des représentants de l'industrie de l'exploitation des gisements pétroliers et gaziers extracôtiers. Quiconque s'intéresse aux affaires maritimes verra d'une façon ou de l'autre l'Association canadienne de droit maritime comme un bon endroit pour faire valoir ses intérêts.

Le sénateur Callbeck: Vous avez mentionné la Fédération maritime du Canada. Avez-vous dit qu'elle est membre de votre association?

M. Moreira: Oui, elle en est membre à titre de personne morale.

Le sénateur Callbeck: Une des choses qui a été mentionnée la semaine dernière, c'est que c'est dans l'industrie maritime qu'on impose les plus fortes amendes administratives. Est-ce inquiétant? Que pensez-vous des sanctions qui y sont imposées? Estimez-vous qu'à cet égard, il devrait y avoir uniformité au regard des trois modes de transport, ou êtes-vous satisfaits de la situation actuelle?

M. Morrison: Nous avons bien sûr soulevé cette question quand nous avons comparu devant vous à propos du projet deloi C-14, et il y a lieu de s'interroger sur les niveaux des amendes qu'on nous impose, quand on regarde non pas nécessairement les amendes qui sont contestées devant le tribunal d'appel, mais celles qui sont prévues dans la Loi sur la marine marchande du Canada que modifie le projet de loi C-14. On constate en effet que ces amendes sont plus élevées dans le mode maritime qu'elles ne le sont dans les autres modes de transport. Celles qui vont faire l'objet d'une révision par le Tribunal d'appel sont également généralement plus élevées.

La question du sénateur Oliver à propos de la séparation des pouvoirs entre le judiciaire et l'exécutif m'a fait penser à autre chose. Une des raisons pour lesquelles ont voit réagir ainsi la Fédération maritime et l'Association des armateurs canadiens, c'est qu'on nous annonce par ce processus que notre industrie pourra dorénavant faire l'objet d'un examen de la part d'un autre organisme gouvernemental. Quelle que soit la façon dont on décrive le Tribunal d'appel des transports, ce tribunal sera structuré et en quelque sorte dirigé et payé par le «gouvernement», contrairement à ce qu'il en est dans le cadre du processus actuel, où on peut toujours tenter sa chance devant une cour de justice. La réaction négative que vous pouvez observer de notre part et, jusqu'à un certain point, de la part de l'ACDM, réaction qui nous amène à réclamer que ce tribunal et la façon dont il exercera ses fonctions soient soumis à des règles plus rigoureuses, tient au fait que, si ce rôle devait être confié à un organisme gouvernemental, nous tenons à ce que celui-ci soit soumis à davantage de règles que ne le prévoit le projet de loi. Nous sommes biens placés pour savoir ce qu'il en est puisque nous traitons quotidiennement avec de nombreux organismes gouvernementaux, qu'il s'agisse de la Garde côtière, de l'Administration de pilotage, ou d'organisations comme la Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent. Or, si nos relations avec la plupart de tels organismes, sinon avec tous, sont habituellement passablement bonnes, il arrive cependant parfois qu'un groupe de l'industrie et le groupe gouvernemental aient chacun une perception divergente d'une situation. Sans entrer dans les détails, il y a donc des circonstances où nous estimons qu'il serait peut-être nécessaire que l'affaire fasse l'objet d'un examen qui ne soit pas simplement effectué par un autre organisme de type gouvernemental.

Quand vous nous voyez demander moins de discrétion de la part des tribunaux, bien que nous soyons bien au fait de l'approche provinciale qui privilégie la médiation et l'arbitrage pour résoudre certains types de différends - et nous entendons par là les techniques modernes de résolution des conflits -, notre position, en un certain sens, va encore plus loin. Comme M. Moreira l'a mentionné, il s'agit, dans le cas qui nous occupe, de sanctions imposées à des individus. Ce qui est en jeu ici, c'est le gagne-pain, la situation et l'emploi de personnes, de gens que nous représentons, pas sur le plan juridique toutefois. Nous nous efforçons de faire tout en notre pouvoir pour qu'au bout du compte, ces gens soient le mieux protégés possible.

Je tenais à revenir à la charge, car la question qui a été soulevée à cet égard m'apparaissait intéressante. D'ailleurs, je ne l'avais jamais envisagée sous cet angle, mais je me suis mis à me demander comment faire pour que, dans un différend opposant le gouvernement et l'industrie, l'affaire soit réexaminée en toute objectivité par une instance de l'extérieur.

M. Moreira: Pour ce qui est du montant des amendes et de la sévérité des sanctions administratives auxquelles des êtres humains sont exposés, je crois savoir qu'il faut s'attendre à ce qu'elles soient être considérablement plus élevées, voire cinq fois plus élevées, dans le mode de transport maritime que dans le mode de transport de l'aviation civile. Nous ne savons pas avec certitude ce qu'il en sera, étant donné que le montant des sanctions pécuniaires sera prescrit dans le règlement qui découlera de la Loi sur la marine marchande du Canada, et que - c'est du moins mon cas - nous n'avons pas encore vu ce règlement.

Comme les représentants de la Fédération maritime vous l'ont indiqué la semaine dernière, nous sommes réticents à accepter l'argument voulant que, puisque le Tribunal de l'aviation civile fonctionne bien, il en ira forcément de même du TATC sans qu'il soit nécessaire de le soumettre aux règles que nous proposons. Si nous hésitons à souscrire à ce postulat, c'est qu'à notre avis, l'enjeu est considérablement plus important pour les individus concernés, du moins dans le secteur du transport maritime. Quand on considère les sanctions auxquelles les entrepreneurs qui oeuvrent dans ce secteur sont exposés, on observe effectivement un écart considérable. Comme nous l'avons affirmé devant votre comité et en d'autres occasions au moment de l'étude du projet de loi C-14, les amendes maximales sont beaucoup trop élevées, mais cela s'explique jusqu'à un certain point par la vigueur économique de l'industrie, qui, dans le secteur maritime, est différente de celle de l'aviation. On doit reconnaître la normalité d'un certain écart sur ce chapitre, car ce qui peut constituer une sanction d'une sévérité excessive pour une industrie peut correspondre à une dépense de fonctionnement normale pour une autre, de sorte qu'il faut se garder de se méprendre à cet égard.

Le sénateur Callbeck: J'aimerais revenir sur un point que le sénateur Oliver a abordé quand il a fait allusion au Tribunal de l'aviation civile et au fait que cela fait 15 ans que celui-ci n'applique pas les règles de preuve qui ont cours par ailleurs. On nous a dit que cela ne pose vraiment pas problème. La raison en serait que, dans le mode de transport maritime, le ministère peut exercer un choix. Il peut porter la cause devant un tribunal administratif et même devant une cour de justice. Ne peut-il pas faire de même dans le cas de l'aviation civile?

M. Moreira: Je pense que oui, quoique je n'ai jamais pris soin de vérifier ce que prévoit exactement à cet égard la Loi sur l'aéronautique.

Le sénateur Callbeck: Les règles en cette matière sont-elles les mêmes pour les trois modes de transport?

M. Moreira: Je ne connais pas la réponse à cette question, mais je serais fort étonné que la Loi sur l'aéronautique ne comporte pas de disposition prévoyant la possibilité de poursuites.

Le sénateur Spivak: Les questions ont surtout porté sur les règles de preuve, mais vous avez également fait mention de la discrétion ministérielle et du fait que le ministère a un droit de révision sans toutefois avoir de pouvoir de réparation.

M. Moreira: Dans certaines circonstances, oui.

Le sénateur Spivak: Dans quelle mesure cela vous apparaît-il important? Croyez-vous que ce le soit suffisamment pour rendre nécessaire qu'on apporte des amendements? Avez-vous des amendements à nous proposer?

M. Moreira: Si nous avions cru que cet aspect n'était pas suffisamment important pour que nous proposions un amendement, nous n'aurions pas senti le besoin de soulever la question ici. Dans notre mémoire, nous proposons des amendements à certains articles.

Le sénateur Spivak: Vous aviez des propositions d'amendements? Je n'ai pas pris connaissance de la documentation que vous nous avez remise.

M. Moreira: Ça va. Ces amendements passent facilement inaperçus puisqu'ils ne tiennent que sur une ligne chacun. Cependant, s'il n'est pas possible d'obtenir réparation, alors pourquoi se donner cette peine? Sans vouloir vous contredire, nous créons ici un droit illusoire de révision, car, dans de telles circonstances, tout ce que le tribunal aurait le pouvoir de faire, c'est de demander au ministre s'il n'aurait pas l'obligeance de reconsidérer la décision qu'il a déjà rendue.

Le sénateur Spivak: Dans la plupart des projets de loi dont nous sommes saisis, plutôt que de mettre les points sur les «i», on confère au ministère un pouvoir discrétionnaire de plus en plus large. Quoi qu'il en soit, vous avez proposé des amendements. L'autre chose que je n'ai pas très bien comprise, c'est que, quand vous avez fait état des cas où il y a appel devant une cour de justice, c'est en fait de révision dont vous vouliez parler et non d'appel.

M. Moreira: C'est juste.

Les réparations que la Cour fédérale peut ordonner en rendant sa décision aux termes de l'article 18.1 sont les mêmes que prévoit le droit administratif traditionnel, c'est-à-dire décerner un bref de certiorari ou de mandamus, ou encore rendre un jugement déclaratoire. En règle générale, la Cour fédérale n'a pas le pouvoir de substituer son opinion à celle du tribunal administratif dont elle revoit le travail. Tout ce que peut faire la Cour fédérale, c'est de statuer soit que la critique contre le tribunal n'est pas fondée, soit que le tribunal a erré d'une manière ou d'une autre. Dans ce dernier cas, il faut généralement qu'il s'agisse d'une erreur passablement grave, qui mette en cause la compétence du tribunal administratif ou son défaut de respecter un principe de justice naturelle. De cette façon, le pouvoir de la Cour fédérale se limite à renvoyer l'affaire au tribunal administratif, qui devra la reconsidérer en ayant à l'esprit ce qui a posé problème lors de son premier examen.

Le sénateur Spivak: Étant donné que les règles de preuve ne s'appliquent pas ici, et je crois comprendre qu'il y a d'assez bonnes raisons à cela, comme l'a donné à entendre le sénateur Oliver, ne serait-il pas sage d'envisager que les causes portées en appel puissent donner lieu à un processus de réparation? Cela aurait pour effet de soumettre la cause au jugement d'une autre instance, ce qui contribuerait à rendre le nouveau tribunal plus informel. Comprenez-vous ce que je veux dire?

M. Moreira: Oui, je comprends. Cependant, je suis réticent à souscrire à ce qui me semble être votre proposition, à savoir qu'il faudrait en définitive s'adresser à la Cour fédérale pour obtenir réparation.

Le sénateur Spivak: Ce ne serait le cas que dans les affaires où il y a profond désaccord entre les parties. Il ne s'agirait pas de la grande majorité des cas, mais plutôt de cas où votre client serait persuadé qu'il y a eu un manquement flagrant à un principe de justice naturelle.

M. Moreira: Si je comprends bien votre question, vous demandez si on ne devrait pas conférer ce pouvoir de réparation à la cour d'appel plutôt qu'au tribunal administratif, et je réponds non.

Le sénateur Spivak: Une telle mesure ne donnerait-elle pas plus de force à la loi proposée?

M. Moreira: Selon moi, oui. Cependant, pour des raisons pratiques et de célérité du processus, je verrais plutôt que le tribunal administratif ait ce même pouvoir de réparation. De cette façon, si justice doit être faite, elle le serait immédiatement et de manière peu coûteuse.

Le sénateur Spivak: Vous voudriez qu'on rétablisse cet équilibre?

M. Moreira: C'est précisément ce que nous souhaiterions, oui.

La présidente: Je remercie les témoins d'avoir comparu devant notre comité.

Nos témoins suivants, MM. Chris Jones et Gérald Gauthier, représentent l'Association des chemins de fer du Canada.

M. Chris Jones, directeur, Relations avec les gouvernements fédéral et provinciaux, Association des chemins de fer du Canada: Mesdames et monsieur les membres du comité, nous vous sommes reconnaissants de nous donner l'occasion de comparaître devant votre comité aujourd'hui pour vous faire part de nos points de vue concernant le projet de loi C-34.

Ce sont des sociétés ferroviaires en concurrence qui ont fondé en 1917 l'Association des chemins de fer du Canada dans le but de coordonner l'effort de guerre. À l'origine, notre siège social était à Montréal, et ce n'est que l'an dernier que nous avons emménagé à Ottawa.

L'ACFC a pour objectifs de favoriser la rentabilité et l'efficacité de l'industrie ferroviaire, de fournir à la population, au gouvernement et à l'industrie de l'information concernant les chemins de fer et de coordonner les activités relatives à l'établissement et à l'application de la réglementation au sein de l'industrie.

Dans le moment, l'ACFC regroupe 56 membres qui représentent pratiquement toutes les sociétés ferroviaires du Canada, y compris les sociétés ferroviaires de classe 1, à savoir le CN et le CP; les entreprises faisant partie du nouveau réseau de chemins de fer d'intérêt local; les trains intervilles; les trains de banlieue comme le nouveau train léger d'Ottawa; et les entreprises du secteur ferroviaire touristique et d'excursion.

La déréglementation décrétée par le gouvernement depuis 1987 a mené à la création d'une quarantaine de nouvelles sociétés ferroviaires d'intérêt local et régional au Canada. L'industrie a eu la chance de connaître une renaissance tardive.

La sécurité ferroviaire s'est constamment améliorée depuis que l'industrie s'est vue confier davantage de responsabilité aux termes de la Loi de 1989 sur la sécurité ferroviaire. À l'heure actuelle, d'après le Bureau de la sécurité des transports, le BST, le rail est le mode de transport de surface le plus sécuritaire de tous.

Le nombre de déraillements sur des lignes principales a considérablement diminué. Selon le BST, les chemins de fer canadiens ont connu à cet égard en l'an 2000 le meilleur rendement de tous les temps. Ils ont été impliqués dans 13,3 accidents par million de milles parcourus par les trains cette année-là, contre 14,4 en 1999. Quatre-vingt-quinze pour cent de ces accidents avaient résulté d'incursions, de collisions et d'intrusions à des passages à niveau, des incidents sur lesquels le conducteur de locomotive a peu de contrôle.

La sécurité ferroviaire est hautement réglementée au Canada, ce qui contraste favorablement avec les autres modes de transport de surface, du moins au niveau fédéral. L'industrie ferroviaire canadienne propose l'adoption de nouveaux horaires de travail et de nouvelles règles concernant les temps de repos dans le cadre de plans de gestion de la fatigue que seraient tenues d'appliquer les sociétés ferroviaires. Le ministère des Transports est à revoir ces règles en ce moment.

En 1986, l'industrie a lancé «Direction 2006», une initiative publique-privée qui regroupe l'ACFC, les responsables de l'opération Sauvons des vies - qui existe depuis le début des années 80 -, Transports Canada, les gouvernements provinciaux et d'autres intervenants, et qui a pour objet de réduire de 50 p. 100 d'ici 2006 les mortalités et les blessures causées par les accidents attribuables à une présence inopportune sur les voies ferrées.

En mars 2001, les sociétés ferroviaires ont mis sur pied des programmes de gestion de la sécurité qui les obligent à faire la preuve de leur engagement à l'égard de la sécurité d'une façon concrète et visible aux yeux des employés, des clients et de la population en général, bien que les lignes directrices prévues dans le cadre de ces programmes ne remplacent pas les règlements et normes existants.

M. Gérald Gauthier, directeur, Relations avec l'industrie, Association des chemins de fer du Canada: Mesdames les sénateurs et monsieur le sénateur, nous avons quelques observations à formuler à propos de ce projet de loi. Dans l'ensemble, l'ACFC appuie le principe de base du Tribunal des transports, qui a pour effet de créer une instance informelle, expéditive et économique à laquelle l'industrie ferroviaire pourra s'adresser pour le traitement de litiges relatifs à des ordres ou directives en matière de sécurité.

Nous applaudissons à l'idée qu'on offre aux sociétés de transport la possibilité de faire revoir par une entité quasi judiciaire formée de gens qui incarnent à la fois l'indépendance, l'expertise dans les modes de transport pertinents, le sens de l'équité et l'engagement à l'égard des principes de justice naturelle les décisions rendues concernant des litiges en matière de sécurité. L'Association des chemins de fer du Canada est heureuse d'avoir été consultée au sujet de ce processus.

Notre première observation consiste à proposer que le tribunal en question soit habilité à modifier une décision rendue par un inspecteur de la sécurité aux termes de l'article 31 de la Loi sur la sécurité ferroviaire ou par le ministre en vertu de cette même loi. Dans sa formulation actuelle, le projet de loi dit que le tribunal ne peut que confirmer une telle décision ou la renvoyer au ministre pour reconsidération. Le motif de notre suggestion est fort simple: Les membres du tribunal ont l'avantage d'avoir entendu des témoins et d'avoir pris connaissance de leurs dépositions écrites.

Notre deuxième observation s'inspire des mêmes considérations. Le comité d'appel de trois membres devrait être autorisé à modifier ou à révoquer les décisions faisant l'objet d'une demande d'appel.

Notre troisième observation consiste à proposer qu'on permette que l'application d'un ordre soit suspendue en attendant que la décision sur une requête en révision ou en appel ait été rendue pourvu que les conditions suivantes soient satisfaites. Premièrement, la société ferroviaire devrait demander une telle suspension de l'ordre. Elle devrait démontrer que la sécurité du transport ferroviaire ne risque pas d'être compromise. La suspension devrait être accompagnée de directives provisoires de la part du comité d'appel ou de ses membres. Enfin, le rôle du Tribunal d'appel des transports devrait être élargi de manière à ce qu'il ait compétence concernant les directives d'urgence émises en vertu de l'article 33 de la Loi sur la sécurité ferroviaire. Ces questions sont les mêmes que celles qui sont soulevées àl'article 31.

En conclusion, je vous signale que l'Association des chemins de fer du Canada appuie ce projet de loi, qui, à son avis, améliore considérablement le processus de jugement des différends relatifs à des ordres et directives en matière de sécurité. Il fait en sorte que tous les modes de transport puissent s'adresser à une instance de révision indépendante pour en appeler de tout ordre ou de toute directive. C'est un grand pas dans la bonne direction, mais l'association aurait préféré que le Tribunal d'appel des transports soit investi de compétences et de pouvoirs plus étendus dans les domaines mentionnés ci-dessus. Cela dit, l'association tient à souligner qu'elle ne s'attend pas à ce que les sociétés ferroviaires aient recours à ce mécanisme autrement qu'occasionnellement.

Je serai maintenant heureux de répondre à toute question qu'on voudra bien me poser.

La présidente: D'autres témoins nous ont dit qu'ils craignaient que des inspecteurs de la sécurité sur le terrain n'abusent de leurs pouvoirs en imposant des sanctions injustifiées qui ne pourraient être adéquatement reconsidérées plus tard étant donné que l'organe d'appel est un tribunal administratif et non une cour de justice. Observerait-on des craintes à cet égard dans l'industrie du rail?

M. Gauthier: Quand on examine les dispositions du projet de loi, on constate que les ordres portent principalement sur le fonctionnement et l'entretien des chemins de fer et très peu sur les sanctions qui pourraient être imposées à l'industrie du rail. Néanmoins, certains ordres pourraient avoir des conséquences très graves pour les sociétés ferroviaires. Par exemple, si un inspecteur ordonnait à une société de chemin de fer de réduire la vitesse des convois - ce qui serait très délicat sur le plan de la chronologie étant donné que les marchandises doivent être livrées à destination à l'intérieur d'un certain délai -, les conséquences pourraient être terribles sur le plan financier. C'est pourquoi nous estimons qu'il devrait y avoir un organisme habilité à entendre des témoins, à revoir les éléments de preuve et à rendre une décision finale. Ce n'est pas précisément ce que propose le projet de loi, car la seule chose que le tribunal peut faire, c'est de confirmer la décision ou de la renvoyer au ministre. En ce sens, nous nous inquiétons. Autrement, nous croyons que le nouveau tribunal sera l'organe tout désigné pour revoir les décisions rendues par le ministre ou par un inspecteur.

La présidente: Y a-t-il une différence considérable de vues parmi les membres de votre association concernant le régime prévu dans le projet de loi? Par exemple, les deux grandes sociétés ferroviaires ont-elles une opinion différente de celles nouvelles entreprises de chemin de fer qui exploiteront des réseaux locaux?

M. Gauthier: Au regard de ce projet de loi particulier, il n'y a pas vraiment de diverges d'opinion. C'est pourquoi l'ACFC a comparu devant vous. Les sociétés qui seront régies par la nouvelle loi sont surtout les sociétés ferroviaires de classe 1, mais également les sociétés ferroviaires d'intérêt local qui sont sous régime fédéral. Au sein de l'ACFC, nous disposons d'un mécanisme qui nous amène à consulter tous nos membres sur un projet de loi comme celui-ci. Ce processus à eu lieu. Nous sommes très à l'aise en disant qu'il n'y a pas eu d'opinions divergentes.

Le sénateur Oliver: Ma question est en rapport avec deux arguments presque contradictoires que vous avez avancés. Vous semblez tout à fait heureux du fait que vous avez été largement consultés par le ministère à propos de l'élaboration de ce projet de loi; vous souscrivez à pratiquement tout ce que le ministère a fait, et vous avez également dit à la fin de votre exposé que vous ne prévoyez avoir recours à ce tribunal qu'en de rares occasions.

Par contre, votre principal argument semble être que, si une affaire est instruite devant ce tribunal, le comité d'appel devrait être habilité à rendre une décision après avoir pris connaissance de tous les éléments de preuve et entendu les témoins. N'avez-vous pas soulevé cette question avec les gens du ministère? Si vous avez tellement collaboré avec ces gens, pourquoi une recommandation aussi fondamentale ne se retrouve-t-elle pas dans le projet de loi?

M. Gauthier: Je l'ignore. Nous avons été consultés et nous avons formulé des recommandations au ministère à l'occasion de versions antérieures au projet de loi définitif. L'une de nos recommandations a été acceptée. Initialement, le tribunal n'était pas habilité à revoir un ordre du ministre concernant le régime de gestion de la sécurité. Nous avons recommandé à Transports Canada de prévoir une disposition en ce sens, et on a donné suite à notre recommandation.

Par contre, concernant notre recommandation de conférer au tribunal le pouvoir de rendre une décision définitive et de modifier celle rendue par le ministre ou un inspecteur, malheureusement, les gens que Transports Canada avait chargés d'étudier ce projet de loi ne partageaient pas notre point de vue sur cet aspect.

Pour revenir sur votre remarque, cela ne signifie pas que nous sommes tout à fait mécontents du projet de loi, car nous croyons qu'il représente un grand pas dans la bonne direction. Si j'ai dit que nous ne nous attendons pas à ce que les sociétés ferroviaires s'adressent fréquemment à ce tribunal, c'est probablement que nous avons actuellement le sentiment que, lorsque des inspecteurs ou le ministre appliquent la Loi sur la sécurité ferroviaire, ils prennent soin d'agir prudemment et de ne pas émettre d'ordre sans prendre dûment en considération les faits. Cependant, s'il leur arrivait d'émettre un ordre que nous jugerions contestable, nous n'hésiterions certes pas à avoir recours à ces nouvelles dispositions.

Le sénateur Oliver: Aux termes du projet de loi dont nous sommes saisis, les membres du tribunal ne seront pas habilités à modifier ou à révoquer les décisions. Selon vous, cela signifie-t-il qu'il s'écoulera une longue période de temps avant qu'un jugement soit rendu, ou encore que cet état de chose entraînera des coûts supplémentaires? À votre avis, quels autres inconvénients sont susceptibles de résulter de cette omission de la part du ministère?

M. Gauthier: Nous espérons que le ministre, quand il recevra un renvoi du tribunal, dira qu'il a revu la preuve et qu'il ne peut confirmer la décision rendue par l'inspecteur ou par le tribunal, et que, pour les raisons mentionnées dans le jugement du tribunal d'appel, la décision initiale devrait être reconsidérée. Nous espérons que le ministre prendra ces éléments en considération et réagira rapidement.

Ce n'est peut-être que naïveté de notre part, mais nous nous sommes dit que le ministre ne créait probablement pas ce tribunal simplement par égard pour nous, et qu'il se conformerait probablement, la plupart du temps, à la décision du tribunal, tout en se gardant la possibilité de l'accepter ou non. Nous avons peut-être tort, mais à ce stade du processus, c'est ainsi que nous voyons la chose.

Le sénateur Oliver: M. Moreira a laissé entendre, et je partage son opinion, que, quand on comparaît devant la plupart des tribunaux d'appel, la première chose qu'on nous dit, c'est que le tribunal n'a pas le pouvoir de substituer sa propre opinion à celle des gens qui ont entendu les témoins et qui ont été en mesure de vérifier leur crédibilité, car ce n'est pas son travail. Dans le cas qui nous occupe, le ministre, qui ne voit ni n'entend les témoins et ne vérifie pas leur crédibilité, aura le dernier mot. N'avez-vous pas fait valoir cet aspect quand vous avez été consultés?

M. Gauthier: Oui, mais en vain.

Le sénateur Callbeck: Quand vous dites, dans votre première observation, que les membres du tribunal devraient être habilités à modifier une décision prise en vertu de l'article 31 par un inspecteur de la sécurité ferroviaire, y a-t-il une disposition en ce sens dans ce projet de loi? Je note que vous avez mis entre guillemets l'abréviation LSF.

M. Gauthier: L'article 31 est un article de la Loi sur la sécurité ferroviaire, et le pouvoir conféré au membre du tribunal découle de l'article 67 du projet de loi auquel vous faites référence. C'est l'article 67 du projet de loi qui traite du pouvoir de confirmer une décision rendue par un inspecteur en vertu de l'article 31. Cela répond-il à votre question?

Le sénateur Callbeck: Oui.

La présidente: L'industrie ferroviaire est souvent perçue, probablement à tort, comme étant vieux jeu et réfractaire au changement, et vous avez probablement une expérience vieille de 120 ans d'application des règlements de sécurité édictés par le gouvernement fédéral qui englobaient le recours au système judiciaire.

Pourquoi êtes-vous ouverts à ce changement, à un nouveau régime de sanctions administratives et à un tribunal d'appel? Y voyez-vous quelque avantage pour l'industrie du rail?

M. Gauthier: Il est probablement exact que l'industrie ferroviaire est perçue comme étant très jalouse de ses traditions. Après tout, c'est une industrie qui est passablement ancienne, mais qui, en même temps, rajeunit avec l'âge.

Bien entendu, ce que propose ce projet de loi n'est peut-être pas l'idéal, comme les témoins qui nous ont précédés l'ont signalé. Il y aurait place à des améliorations, mais nous nous sommes dit que c'était sans contredit un pas dans la bonne direction qui nous donne la possibilité, comme industrie, de faire valoir notre point de vue sur une question précise, de faire comparaître des témoins et de produire des éléments de preuve. Nous pouvons être assurés que quelqu'un de tout à fait impartial - peut-être que je ne devrais pas utiliser ce mot parce qu'il risque d'être mal interprété -, qui possède l'expertise voulue, et cetera, et qui est autre que le ministre, saura prêter une oreille attentive aux faits qui lui sont soumis et rendre une décision. Celle-ci pourra soit confirmer la décision, soit faire savoir au ministre que, pour diverses raisons, le tribunal d'appel n'accepte pas la décision qui a été rendue initialement. À notre avis, c'est là un grand pas en avant.

J'aimerais qu'on aille plus loin, comme je l'ai mentionné précédemment, mais, à ce stade-ci, nous en concluons que c'est probablement ce que nous pouvions obtenir de mieux.

Le sénateur Spivak: Madame la présidente, cela n'a pas de rapport avec le projet de loi, mais votre affirmation voulant que l'industrie ferroviaire soit perçue comme étant vieux jeu m'amène à me poser une question. En réalité, j'ai été intriguée par la proposition qu'a formulée le président du CN, je crois, qui a dit estimer que la circulation aux postes frontière pourrait être grandement améliorée si on recourait davantage au rail, étant donné que les déplacements s'y font sur une seule voie, que l'inspection y est facile et que, je présume, c'est un moyen de transport plus sécuritaire que le transport par camion sur de longues distances. J'aimerais savoir quelle est la réaction de notre témoin à ce sujet?

M. Jones: Nous avons le sentiment que l'industrie du rail s'en est très bien tirée à la suite des événements du 11 septembre, pour autant que très peu de nos convois ont été retardés à la frontière. Notre mode de transport comporte à coup sûr certains avantages. Nous circulons sur une voie réservée et contrôlée, nous disposons de nos propres forces de police, et les membres de notre personnel ferroviaire sont bien connus des douaniers et des inspecteurs de sécurité à la frontière. Un convoi, ce peut être une locomotive qui tire une centaine de wagons. Un seul manifeste et une série de questions au conducteur du train, et le tour est joué, alors que d'autoriser le passage de 100 camions à la frontière est un processus beaucoup plus long qui explique les retards qu'on a observés dans l'industrie du camionnage.

Les suggestions de M. Tellier sont sages. Nous croyons que nos services intermodaux à haute vitesse qui se prolongent au-delà de notre frontière avec les États-Unis constitueraient une amélioration en regard de la situation actuelle, en ce sens que, lorsqu'il y a des craintes concernant la sécurité, ces trains sont déplacés vers une voie d'évitement à la frontière, démontés, et le wagon suspect est sorti de la file et inspecté. Il s'agit là d'une procédure peu commode, et ces vérifications de sécurité devraient se faire au point de départ ou au point d'arrivée.

Le sénateur Spivak: Les autorités gouvernementales envisagent-elles sérieusement d'appliquer toute cette idée de transférer davantage de trafic frontalier de marchandises vers le réseau ferroviaire?

M. Jones: Je le crois. L'une de nos craintes, c'est que les politiques fiscales actuelles du gouvernement fédéral ne nuisent au rôle que le rail pourrait jouer à cet égard. Le rail n'est pas pleinement exploité. Nos charges fiscales sont plus élevées que celles des autres modes de transport.

Le sénateur Spivak: Nous sommes très au fait de cette situation.

M. Jones: Nous savons que nous pourrions jouer un rôle plus important qu'à l'heure actuelle si nous pouvions bénéficier de changements à cet égard dans le prochain budget fédéral.

La présidente: Merci de vos exposés, messieurs Gauthier et Jones.

Les sénateurs sont-ils d'accord pour que le comité procède à l'étude article par article du projet de loi C-34 ou préfèrent-il attendre à demain soir?

Des voix: D'accord.

La présidente: Très bien. L'adoption du titre est-elle reportée?

Des voix: D'accord.

La présidente: L'adoption de l'article 1 est-elle reportée?

Des voix: D'accord.

La présidente: Les articles 2 à 22 sont-ils adoptés?

Des voix: D'accord.

La présidente: Les articles 23 à 32 sont-ils adoptés?

Des voix: D'accord.

La présidente: Les articles 33 à 45 sont-ils adoptés?

Des voix: D'accord.

La présidente: Les articles 46 à 63 sont-ils adoptés?

Des voix: D'accord.

La présidente: Les articles 64 à 70 sont-ils adoptés?

Des voix: D'accord.

La présidente: Les articles 71 à 73 sont-ils adoptés?

Des voix: D'accord.

La présidente: L'article 1 est-il adopté?

Des voix: D'accord.

La présidente: Le titre est-il adopté?

Des voix: D'accord.

La présidente: Êtes-vous d'accord pour adopter ce projet de loi sans amendement?

Des voix: D'accord.

La présidente: Je propose que nous poursuivions la séance à huis clos pour discuter de l'ajout possible d'observations à ce projet de loi. Les sénateurs sont-ils d'accord?

Des voix: D'accord.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.


Haut de page