Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 7 - Témoignages du 11 février 2003
OTTAWA, le mardi 11 février 2003
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 18 h 32 pour étudier l'impact du changement climatique sur l'agriculture, les forêts et les collectivités rurales au Canada et les stratégies d'adaptation à l'étude axées sur l'industrie primaire, les méthodes, les outils technologiques, les écosystèmes et d'autres éléments s'y rapportant.
Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous poursuivons notre étude des stratégies devant permettre aux secteurs de l'agriculture et des forêts de s'adapter au changement climatique.
Nous recevons deux témoins aujourd'hui. Accueillons tout d'abord M. Lazar, puis M. deMarsh.
M. Avrim Lazar, président, Association des produits forestiers du Canada: Je vous présente mon collègue, M. Jean- Pierre Martel, qui est également membre de l'Association des produits forestiers du Canada. Il est un forestier accompli qui me viendra en aide lorsque vos questions seront trop techniques pour moi.
Le sujet de cette étude intéresse au plus haut point l'industrie forestière. L'Association des produits forestiers du Canada parle au nom des producteurs canadiens de bois et de pâtes et papiers qui exercent leurs activités au pays et à l'étranger. Nous représentons une industrie qui génère 1 million d'emplois, ce qui représente une contribution importante dans l'économie de 1 200 collectivités, et pour ainsi dire la principale source de subsistance dans 350 de ces collectivités. Lorsque nous parlons des répercussions du changement climatique sur le secteur forestier, nous pensons aussi aux répercussions du changement climatique sur le gagne-pain d'un million de Canadiens.
L'Association des produits forestiers du Canada représente 75 p. 100 des industries qui exploitent les forêts canadiennes. Nous sommes la seule association sur le globe qui exige de ses membres qu'ils respectent les normes internationales en matière de certification forestière et qui voit au respect de ces normes par l'entremise de vérifications de troisième niveau et d'attestations.
Trois choses nous tiennent à cœur. Premièrement, nous croyons que le changement climatique est un phénomène réel qui mérite que l'on s'en occupe sérieusement. Deuxièmement, nous sommes inquiets des répercussions du changement climatique sur les forêts et sur les collectivités qui dépendent de ces forêts. Troisièmement, nous pensons que l'approche stratégique axée sur le ralentissement du changement climatique est erronée. Il doit y avoir un équilibre entre la nécessité de ralentir le changement climatique et le besoin de s'adapter à ce changement et de comprendre ses répercussions sur les Canadiens et les collectivités canadiennes.
La gestion du dioxyde de carbone n'est pas entièrement nouvelle pour l'industrie forestière; de fait, c'est l'essence même de nos activités. L'aménagement forestier consiste à éliminer le dioxyde de carbone de l'air, à le piéger dans la fibre et à transformer cette fibre en papier, en bois et en diverses choses que nous utilisons dans la vie de tous les jours. La gestion du carbone n'est pas une nouveauté.
Nous n'avons pas attendu que le gouvernement adopte une réglementation et nous n'avons pas non plus attendu qu'il ratifie le Protocole de Kyoto. Nous avons commencé à agir en fonction du changement climatique depuis belle lurette. Aujourd'hui, notre taux d'émissions se situe à 26 p. 100 au-dessous de ce qu'il était en 1999. Le Protocole de Kyoto exige seulement que l'on abaisse le taux d'émission s au-dessous de 6 p. 100; nous avons donc amélioré notre taux quatre fois plus que ce qui était exigé. Prenons une feuille de papier, nous avons réussi à la produire en émettant 38 p. 100 moins de CO2 qu'en 1990.
Nous n'attendions pas que le gouvernement adopte une réglementation et nous n'étions pas particulièrement enthousiastes à cette idée. Nous avons pris nos responsabilités. Si vous jetez un coup d'œil sur ce graphique, la ligne verte représente les émissions du secteur des pâtes et papiers. La ligne rouge représente les exigences liées au Protocole de Kyoto. Nous sommes fiers de ce que nous avons accompli, mais nous espérons aussi que le programme d'atténuation des changements climatiques que le gouvernement mettra en place en vue de la mise en oeuvre du Protocole reconnaîtra pleinement ce que nous avons déjà fait.
Il est évident que les forêts sont un moyen de réduire les émissions de CO2 dans l'atmosphère, en les piégeant dans les arbres. Les méthodes d'aménagement forestier utilisées ont beaucoup d'importance sur la quantité de carbone piégée. Plus la sylviculture est intensive, plus le piégeage du carbone est important. Bien entendu, si tout le carbone est piégé dans un arbre et que vous utilisez ensuite cet arbre pour construire une maison, le carbone est toujours piégé dans la maison. Vous pouvez faire pousser un autre arbre pour piéger encore plus de dioxyde de carbone. La sylviculture active peut contribuer à faire face au problème du dioxyde de carbone dans l'atmosphère.
Que l'on s'attaque à la mise en oeuvre du Protocole de Kyoto avec détermination ou pas, cela n'empêchera pas le changement climatique de se faire, d'ailleurs c'est déjà commencé. Le tout est de savoir quelle sera l'ampleur de ce changement. Les répercussions du changement climatique sur les forêts canadiennes risquent d'être sérieuses. Un écosystème est comme une mécanique très fragile. Il suffit d'enlever une pièce pour briser tout l'équilibre. Si la température change de un degré à un degré et demi, cela aura une incidence sur le mode d'existence de certaines espèces d'insectes. Cet écart aura aussi une influence sur l'évolution de certaines maladies ainsi que sur la répartition des arbres et des plantes. Chaque fois que l'on réarrange l'un de ces éléments, on remanie tout l'écosystème et on déclenche une réaction en chaîne. Nous n'avons connaissance d'aucune recherche scientifique décrivant avec exactitude l'ampleur de ces réaménagements. Les chercheurs scientifiques affirment que les insectes et les maladies s'attaqueront probablement davantage à nos forêts. Nous avons pu en voir des signes avant-coureurs avec le dendroctone du pin. On assistera aussi à des changements d'habitat de la part de certaines espèces, et inversement, certains habitats en accueilleront de nouvelles. Durant cette période d'ajustement, nous prévoyons des bouleversements importants pour les Canadiens dont le gagne-pain dépend des écosystèmes forestiers.
Le réchauffement climatique n'est qu'une partie du problème. L'autre partie se caractérise par des incidences sur le climat, notamment des inondations, des sécheresses, un froid intense et une chaleur extrême. Ces changements ont eux aussi une influence déterminante sur les écosystèmes. Avec les sécheresses, les risques de feux de forêts augmentent de façon spectaculaire. Lors d'un incendie de forêt, nous ne perdons pas seulement des arbres utiles, mais aussi des quantités énormes de dioxyde de carbone sont émises dans l'atmosphère. Quant aux tempêtes de verglas, nous avons vu qu'elles détruisent d'énormes quantités d'arbres. Les répercussions des inondations sont évidentes.
Mais l'essentiel c'est que, au fur et à mesure que le climat change — et il n'est question que de ralentir ce changement, parce qu'il va se produire quoi que nous fassions — la forêt dont les collectivités rurales dépendent change elle aussi. Parce que ce comité s'occupe autant de l'agriculture que des forêts, il n'est pas inutile de rappeler quelle est l'importance des forêts pour les collectivités rurales. En effet, l'industrie forestière ne représente pas qu'un million d'emplois, mais aussi des emplois rémunérateurs, qui rapportent en moyenne le double du salaire moyen canadien. Demandez autour de vous dans un petit village combien d'emplois paient le double du salaire moyen. On peut bien se rabattre sur le tourisme, mais au bout du compte on se retrouve à changer des lits ou à travailler chez McDonald's. Il y a bien longtemps que l'agriculture n'a pas permis aux agriculteurs de se verser les salaires ou de générer les profits qui leur permettraient de gagner décemment leur vie. Dans le secteur forestier, nous avons créé des emplois bien rémunérés. L'industrie forestière utilise plus de matériel de haute technologie que l'industrie automobile, l'aérospatiale, l'industrie chimique et du transport réunies. La plupart de ce matériel de haute technologie se retrouve dans l'économie rurale.
Cette question est importante pour les Canadiens qui vivent dans les régions rurales. Il est certain que le changement climatique occasionnera des bouleversements dans la forêt dont dépend l'industrie forestière.
Notre conclusion est simple. Nous savons que quelque chose va se produire, mais nous ignorons quoi exactement. Le gouvernement devrait injecter beaucoup plus d'argent dans la recherche sur les changements provoqués dans les écosystèmes par le changement climatique ainsi que dans les stratégies d'adaptation. La préoccupation qui entoure la mise en oeuvre du Protocole de Kyoto, qui est une politique valable et rationnelle, devrait s'accompagner d'une préoccupation tout aussi importante à l'égard des répercussions du changement climatique sur les collectivités rurales canadiennes.
Le sénateur Day: Monsieur Lazar, vous venez de dire que le Protocole de Kyoto est une politique valable et rationnelle. Pensez-vous que le Protocole de Kyoto aura une incidence sur le réchauffement de la planète?
M. Lazar: Permettez-moi de préciser: j'ai dit la «mise en oeuvre du Protocole de Kyoto». Que le Protocole soit ratifié ou non, cela concerne les arènes politiques. Toutefois, nous sommes d'avis que chaque pays et chaque industrie ont la responsabilité d'intervenir en ce qui concerne le changement climatique, et c'est la raison pour laquelle notre industrie l'a fait. Le Protocole de Kyoto est une autre paire de manches, parce qu'il détermine les dispositions particulières d'un accord international. Nous ne prétendons pas être des experts en ce qui concerne les modalités des accords internationaux. Mais, s'il s'agit de faire quelque chose au sujet d'un problème environnemental, nous pensons être des experts, aussi nous avons pris des mesures.
Le sénateur Day: Êtes-vous convaincu de la présence d'une tendance au réchauffement de la température à l'échelle de la planète?
M. Lazar: La recherche scientifique dont nous disposons nous indique que le climat est en train de changer. Elle révèle que la cause la plus probable est le comportement humain.
Pour finir de répondre à la question, est-ce que la mise en oeuvre du Protocole de Kyoto aura une incidence sur le changement climatique? La réponse est, seulement si l'accord est mis en oeuvre à l'échelle du globe, et seulement si on procède plus rapidement qu'on ne l'a fait jusqu'ici.
S'en remettre uniquement à l'atténuation, c'est-à-dire se contenter de la mise en oeuvre du Protocole de Kyoto, revient à nier le fait que le problème existe toujours.
Le sénateur Day: Même si les opinions divergent, vous avez évalué la recherche scientifique. Vous et votre industrie êtes convaincus du réchauffement de la planète. Si ce réchauffement n'est pas causé par l'activité humaine, il reste qu'elle contribue néanmoins à l'aggraver. Vous avez mis au point diverses méthodes et recommandations afin de vous en occuper.
M. Lazar: Il ne faut pas confondre l'industrie avec l'opinion scientifique. Un fort consensus se dégage au sein de la communauté scientifique sur le fait qu'un changement climatique est en train de se produire; qu'il est impossible de prévoir quelle sera son évolution ou de la comprendre, mais qu'il entraînera probablement un réchauffement plus marqué dans le nord que dans le sud et des effets catastrophiques sur le climat; et en outre, que l'activité humaine contribue au changement climatique.
La vaste majorité des scientifiques ont déjà affirmé que la terre était plate et que le soleil tournait autour de la terre. Il se peut donc que l'opinion scientifique sur le réchauffement de la planète soit erronée, mais jusqu'à preuve du contraire, elle ne se trompe pas. Je n'irais pas jusqu'à dire que notre industrie a une opinion scientifique sur le sujet. Nous avons tout simplement établi que telle était l'opinion scientifique la plus répandue, et nous avons agi en conséquence.
M. Jean-Pierre Martel, vice-président, Durabilité d'urgence, Association des produits forestiers du Canada: Des recherches et des études publiées récemment semblent démontrer avec preuves à l'appui qu'il y a un changement dans le climat. Le rythme avec lequel ce changement se produit est variable. Tout dépend de l'interlocuteur.
À notre avis, peu importe que l'on procède à la mise en oeuvre du Protocole de Kyoto ou non, les émissions de CO2 dans l'atmosphère vont augmenter. Nous devrions examiner les mesures d'atténuation, de même que les moyens de réduire les émissions. Nous avons besoin d'une stratégie qui tiendra compte de ces deux aspects: Comment réduire les émissions en adoptant une approche qui contribuera à améliorer la compétence générale de notre secteur? Nous pourrions prouver que notre approche est la bonne en affichant une réduction de 26 p. 100 depuis 1990. Nous voulons nous assurer que ce que nous ferons à l'avenir ouvrira des possibilités tout en améliorant notre compétitivité générale grâce à l'efficacité énergétique, la substitution interénergétique, et ainsi de suite.
Le sénateur Day: Est-ce que l'industrie forestière a procédé à ces améliorations avant le début des discussions entourant la signature du Protocole de Kyoto? Si vous avez déjà effectué des changements, serez-vous en mesure d'en effectuer d'autres?
M. Lazar: Nous avons fait quatre fois plus que ce qui est requis dans le Protocole de Kyoto.
Le sénateur Day: Est-ce que l'on tiendra compte de ce que vous avez fait?
M. Lazar: Le gouvernement nous a dit que nous ne serions pas pénalisés. C'est mieux de ne pas être pénalisés pour avoir eu un comportement responsable.
Voici notre façon de voir les choses: nous avions cru au départ que le gouvernement avait dit: «Agissez rapidement et votre action sera reconnue». Alors, nous devrions avoir pour plus de 150 millions de dollars de droits d'émissions de carbone à vendre. Je n'ai pas entendu le gouvernement dire que l'investissement consenti par l'industrie lui serait remboursé en droits d'émissions de carbone qu'elle pourrait vendre.
Voici une autre façon de voir les choses: Sera-t-on moins exigeant avec nous, puisque nous avons déjà beaucoup fait? Nous avons reçu une réponse mitigée de la part du gouvernement.
La raison pour laquelle nous sommes troublés par les réponses ambivalentes est la suivante: chaque fois que l'on prend des moyens pour améliorer l'efficacité énergétique, l'étape suivante est de plus en plus coûteuse. Si vous voulez améliorer l'efficacité énergétique de 5 p. 100 dans une maison, vous calfeutrez les fenêtres et les portes, cela ne coûte pas très cher. Si vous voulez allez plus loin et l'améliorer d'un autre 10 p. 100, alors vous devez ajouter de l'isolant. Cela peut vous coûter entre 14 $ et 500 $. Et si vous voulez faire encore davantage, vous allez devoir envisager de remplacer le système de chauffage ou de creuser autour du sous-sol.
L'industrie a déjà calfeutré les fenêtres, changé l'isolant et installé un nouveau chauffage. Nous avons amélioré notre taux d'efficacité énergétique de 38 p. 100. Aussi, lorsque le gouvernement vient nous dire: «Nous recommençons à partir de zéro et vous allez devoir vous améliorer, comme tout le monde», cela revient à nous punir pour avoir pris des mesures avant tout le monde. Si nous entreprenions aujourd'hui ce que nous avons déjà fait il y a 10 ans, nous disposerions de l'équivalent de 150 millions de dollars en droits d'émissions de carbone à vendre. Nous ne regrettons pas d'avoir agi tôt. Nous exerçons nos activités en vertu d'un permis social. Nous travaillons dans les collectivités. Si nous n'agissons pas de façon responsable sur le plan de l'environnement, nous allons devoir mettre la clé dans la porte. Il est certain que d'aller au-devant de la réglementation était la chose à faire, que ce soit sur le plan social ou des affaires. Mais nous ne voulons pas être pénalisés pour cela.
Le sénateur Day: J'ai deux autres questions en ce qui a trait à l'adaptation. J'aimerais savoir ce que vous pensez de la différence qu'il y a entre aménager les forêts et les laisser pousser naturellement. Je vous pose la question en gardant à l'esprit l'utilisation complète du dioxyde de carbone et la contribution à la réduction du réchauffement de la planète.
M. Martel: Si on examine une base géographique, comme une forêt, on peut faire davantage que deux ou trois choses pour accroître le piégeage du carbone. Premièrement, réduire les pertes dues aux feux de forêt. Il y aura une augmentation des températures, des sécheresses et beaucoup plus de risques entourant les feux de forêt. Ainsi, nous pouvons améliorer nos activités de protection contre l'incendie.
Deuxièmement, la même chose s'applique aux insectes et aux maladies. Nos forêts seront infestées par de nouveaux insectes, dans certains cas, ou par des insectes que nous connaissons déjà en raison de l'expansion dans de nouveaux secteurs. Au moment où l'on se parle, la Colombie-Britannique est aux prises avec le dendroctone du pin. Les hivers sont plus doux. Aussi, le froid ne tue pas les insectes. C'est la raison pour laquelle ils se multiplient sur des millions et des millions d'hectares.
Nous devons nous assurer qu'une régénération suivra immédiatement la récolte, et c'est ce que nous faisons actuellement.
Un autre aspect à considérer est la façon dont nous utilisons la sylviculture intensive pour stimuler la croissance des arbres sur une base géographique. On peut y arriver en pratiquant des éclaircies et au moyen de la fertilisation. C'est un bon moyen d'améliorer le piégeage du carbone dans cette forêt ou cette base géographique.
Le sénateur Day: Si les arbres sont dans une forêt aménagée et que vous pratiquez une éclaircie, est-ce qu'ils pousseront plus rapidement?
M. Martel: Tout à fait. Dans une forêt mature, on peut voir que la croissance générale est stagnante. En réalité, il y a même davantage de pertes dues aux chancres des arbres, à la présence de chicots, et ainsi de suite. Une jeune forêt en bonne santé absorbera plus de CO2. En pratiquant un aménagement approprié de la base géographique on peut réussir à accroître le piégeage du carbone.
Le sénateur Day: C'est intéressant.
Monsieur Lazar, au début de votre exposé, vous avez mentionné que tous les membres de votre association devaient disposer d'un certificat délivré par une tierce partie. Est-ce que cela inclut les techniques d'aménagement forestier dont nous venons de parler, comme la sylviculture et le reboisement rapide?
M. Martel: Il existe trois systèmes de certification pour la gestion durable des forêts. Les trois reconnaissent la promotion de bonnes techniques d'aménagement forestier, de la régénération et un système entre autres fait référence au changement climatique et mentionne l'établissement d'un bilan du carbone pour la forêt visée. Certains systèmes vont plus loin encore en ce qui concerne le changement climatique.
Le sénateur Day: Pour le compte rendu, voudriez-vous nommer les trois techniques de certification pour la gestion durable des forêts?
M. Martel: L'une relève de l'Association canadienne de normalisation ou la CSA; la deuxième relève du Forest Stewardship Council qui a son siège social à Mexico; et la troisième s'appelle Sustainable Forestry Initiative.
M. Lazar: Nous acceptons le fait qu'il y ait trois organisations parce que nous sommes une industrie d'exportation et que nos certificats doivent respecter les normes les plus élevées à l'échelle internationale que nos clients reconnaissent eux aussi. Plutôt que de simplement utiliser la norme canadienne, qui s'applique aux conditions au Canada, nous acceptons aussi les deux autres parce qu'elles sont plus largement reconnues à l'échelle internationale. Toutefois, les trois excèdent les exigences de l'ISO.
Le sénateur Day: Est-ce que la norme ISO 14000 n'est pas davantage une norme de gestion technique qu'une méthode d'aménagement forestier?
M. Lazar: Elle est moins spécifique, et en ce qui concerne l'aménagement forestier, moins rigoureuse. La plupart de nos membres ont la certification ISO, et nous avons pris la décision tous ensemble d'aller au-delà de l'ISO et d'appliquer des normes encore plus rigoureuses.
Le sénateur Day: En ce qui concerne l'atténuation, est-ce que l'industrie forestière est arrivée à un point où elle peut recommander à ses membres de planter une nouvelle variété d'arbre parce que, dans 60 ans, l'arbre qui aurait poussé naturellement dans un milieu donné ou que vous auriez planté après la récolte pourrait avoir des difficultés de croissance?
M. Lazar: La recherche scientifique n'est pas encore en mesure de nous faire des recommandations aussi précises. C'est la raison pour laquelle notre principale recommandation est que nous avons besoin d'un intense effort de recherche afin de comprendre ce qui risque de se passer.
Le président: Est-ce que l'on effectue des recherches de ce genre en ce moment, et dans l'affirmative, à quel endroit? Et qui fait ces recherches?
M. Lazar: Je sais que le ministère des Ressources naturelles finançait un groupe.
M. Martel: Un réseau d'excellence qui relève de Forêts Canada s'est penché sur le changement climatique et sur les répercussions éventuelles sur la forêt. La recherche est effectuée par le gouvernement fédéral ainsi que par certains gouvernements provinciaux.
Le président: Pouvez-vous nous donner les noms de scientifiques qui effectuent des recherches précises?
M. Martel: En ce qui concerne le changement climatique, Mike Apps et Werner Kurz sont deux chercheurs qui travaillent à partir de Victoria. Je pense que Gordon Miller, qui est le directeur général des recherches scientifiques pour Forêts Canada, et qui est venu témoigner en novembre, pourrait lui aussi être une bonne personne-ressource.
Le sénateur Wiebe: Vous avez mentionné que nous avions besoin de recherches, vous avez décrit l'ampleur du secteur forestier et la participation de quelques intervenants mineurs comme le gouvernement, à la recherche. Est-ce que l'industrie elle-même finance ou effectue de la recherche sur ce qui pourrait représenter un problème dans 60 ans? Est-ce la responsabilité du gouvernement, de l'industrie ou des deux?
M. Lazar: Les recherches scientifiques fondamentales sur ce qui risque d'arriver aux forêts canadiennes incombent au gouvernement. L'application de ces recherches scientifiques et comment nous devons modifier les techniques d'aménagement forestier appartiennent davantage à l'industrie.
L'industrie ne peut pas faire grand-chose si elle ne comprend pas en détail quelles seront les répercussions éventuelles sur les forêts. Ceci dit, nous collaborons et participons à pratiquement tous les programmes de recherche gouvernementaux dans le secteur forestier.
Les aspects de la recherche scientifique qui concernent l'intérêt général visent à déterminer quel sera l'avenir des forêts canadiennes. Et les aspects qui concernent l'intérêt de chaque compagnie respectivement et des collectivités visent à déterminer comment adapter les techniques d'aménagement forestier en s'appuyant sur les résultats de cette recherche. Tous ces aspects de la recherche devraient être menés en partenariat, mais pour le moment, le gros des efforts visent à comprendre comment les forêts vont changer.
On nous a demandé de nous faire les porte-parole de l'industrie forestière. Les forêts ont beaucoup plus de valeur que la simple production de bois et la création d'emplois, et les changements qui sont anticipés dans les forêts auront une incidence sur ces valeurs. Avec le changement climatique, ce ne sont pas seulement les valeurs liées à l'utilisation commerciale des forêts qui vont changer, mais aussi celles qui sont liées à la qualité de l'air, la qualité de l'eau, la valeur récréative ainsi que la valeur spirituelle.
Le sénateur Day: Elles peuvent avoir aussi un aspect commercial.
Le sénateur Fairbairn: Jusqu'ici, nous nous sommes concentrés sur le secteur de l'agriculture que plusieurs membres du Comité connaissent bien. Ce que vous nous dites ce soir représente un ajout important à notre étude. Ce qui me frappe, c'est la mesure avec laquelle vous avez établi un lien non seulement avec l'argent, les exportations, et ainsi de suite, mais aussi avec les collectivités qui tirent leur subsistance de votre industrie. Vous nous avez mentionné toucher 1 200 collectivités en tout, et un million de Canadiens. Puis, vous abordez l'impact potentiel sur ces collectivités qui souffriront énormément, d'après ce que vous dites dans votre témoignage, si ce dont nous discutons en ce moment devait survenir, et nous ignorons exactement quand.
Dans le cours des travaux que vous avez effectués, les changements que vous avez mentionnés et les incitations à ces changements, avez-vous déjà noté un stress dans les collectivités, par exemple en ce qui a trait à l'anxiété relative à la capacité de subvenir à ses besoins? C'est un grave problème auquel nous devons faire face dans le domaine agricole. Si le changement climatique évolue dans le sens où il semble vouloir le faire, alors préparons-nous à ce que la structure sociale de ce pays et les enjeux qui s'y rattachent sur le plan humain subissent d'énormes changements. Les arbres et les forêts dont vous parlez sont au cœur de tout cela. Pourriez-vous nous faire part de vos observations ou préoccupations en ce qui concerne la survie des villes et des campagnes au Canada?
M. Lazar: En agriculture, les fermes disparaissent une à la fois. Mais, lorsque nous fermons une usine ou une scierie, tout est dit.
Le sénateur Fairbairn: C'est fini?
M. Lazar: Oui, c'en est terminé pour l'épicerie, la quincaillerie, le garage et l'équipe de hockey. Pour 350 municipalités, c'est terminé. Si nous pouvons réouvrir, c'est formidable. Nous avons beaucoup de difficulté à attirer l'attention du gouvernement, sauf dans ces moments-là. Nous pouvons débarquer en hurlant, «Les mesures économiques ne fonctionnent pas. Il faut davantage de recherches scientifiques.» Nous ne demandons pas de subventions. Nous n'avons jamais demandé de subventions, mais en revanche nous avons demandé que l'on adopte des politiques qui reconnaissent les obligations des entreprises au sein d'un pays exportateur.
Ce n'est pas bien difficile d'attirer l'attention de tout le monde à Ottawa lorsque nous fermons une usine. L'argent arrive à flots, il y a d'intenses discussions politiques, le Cabinet se penche trois ou quatre fois sur la question en vue d'accorder de l'aide. Mais lorsque nous affirmons qu'il y a des conditions préalables afin d'éviter de fermer une usine, on ne nous entend pas.
Les gens sont-ils inquiets?
Tous les habitants des villes où il y a une scierie connaissent l'anxiété. Tous les habitants des villes où il y a une scierie surveillent les prix. Tous les habitants des villes où il y a une scierie savent qu'une autre scierie à 500 kilomètres de là vient de fermer ses portes et que certains vont rentrer chez eux en se disant: «Il va falloir déménager.» Bien sûr qu'ils sont inquiets.
Sont-ils surtout inquiets à cause du changement climatique? Ils devraient se compter chanceux. Les répercussions du changement climatique dont nous parlons ne sont pas pour demain. Les répercussions des mauvaises conditions économiques sont beaucoup plus à craindre. On a déjà noté des changements dans les écosystèmes qui sont probablement dus au changement climatique. Je suis prudent parce que l'on ne peut affirmer avec certitude que l'infestation du dendroctone du pin est le résultat du changement climatique, mais il suffirait de trois semaines avec une température de 40 degrés sous zéro pour qu'ils disparaissent. Il y a plusieurs années que nous n'avons pas connu ça ici, et les forêts sont dévastées. Et le peuplement forestier du nord de l'Alberta et des régions du sud de la Colombie- Britannique est affaibli. Voilà un problème très immédiat.
Dans l'ensemble, l'anxiété tient au fait que deux paliers de gouvernement nous imposent une réglementation en matière d'environnement, nous imposent une taxe sur le capital et qu'un Bureau de la concurrence nous traite comme si nous étions une industrie nationale alors que nous exportons 80 p. 100 de notre production. Ce sont ces éléments qui représentent une menace réelle pour ces collectivités.
Les gens se disent: «Encore une entreprise qui veut plus d'argent.» Mais c'est faux. Cela fait toute une différence si l'usine ou la scierie reste ouverte ou ferme ses portes. La plupart de nos membres ont des usines au Canada et aux États-Unis. Beaucoup en ont en Europe et en Asie. Lorsque le marché est bas, ils évaluent chaque usine et se demandent, «Quels sont nos coûts de production? Est-ce que l'usine peut continuer à produire du papier ou du bois d'œuvre à un coût inférieur au prix du marché?» Il n'y a rien d'idéologique, de nationaliste ou de sentimental dans cette décision. Si l'on peut produire en faisant un bénéfice ou du moins sans encourir de pertes énormes, les usines restent en exploitation. Dans le cas contraire — cette année, ou l'an prochain ou même dans trois ans — qui sait, la réponse est inévitable. Personne ne peut se permettre de perdre des millions indéfiniment. L'usine doit fermer ses portes.
Le sénateur Fairbairn: Vous avez répondu à toutes mes questions.
Vous avez mentionné que vos membres ont des usines et des installations à l'étranger. Dans le contexte qui nous occupe, quelle est la situation du Canada par rapport aux autres pays pour ce qui est de la réaction ou de l'absence de réaction aux préoccupations dont vous venez de faire état?
Nous pouvons dire que notre gouvernement n'a pas réagi dans certains domaines comme la recherche, il ne bouge pas tant que les usines ne menacent pas de fermer.
M. Lazar: Nous sommes beaucoup moins sensibles que la plupart des pays scandinaves et que nos compétiteurs européens. Les États-Unis s'occupent de leurs usines en élevant les barrières tarifaires — c'est tout le problème du bois d'œuvre — et bien entendu, c'est une réaction à courte vue. Nous sommes de plus en plus productifs d'année en année, et eux le sont de moins en moins, mais c'est le moyen qu'ils ont choisi pour protéger leurs usines.
Nous avons des faiblesses dans trois secteurs principaux. Nous sommes le seul pays forestier qui insiste pour avoir de petites usines. Les prix des marchandises sont bas. Ils ne cessent de baisser. À moins d'être une grosse compagnie, il est impossible de concurrencer sur le marché mondial. Nos concurrents sont beaucoup plus gros que nous, et tout ça parce que le Bureau de la concurrence est contre les fusions. L'incidence de cette politique sur les fermetures d'usines est directe et nous pouvons la démontrer.
Deuxièmement, notre structure fiscale est telle qu'elle nous désavantage sur le plan concurrentiel à deux égards. L'association américaine a réalisé une étude comparative des régimes fiscaux de toutes les grandes associations forestières, en pensant qu'elle était la plus lourdement imposée. Henson Moore, le dirigeant de l'association américaine est venu me voir et il m'a dit, «Tiens, c'est pour toi.» L'étude américaine a révélé que l'industrie canadienne était la plus lourdement imposée de toutes les industries forestières au monde.
Mon deuxième commentaire en ce qui concerne les taxes et les impôts est que nous sommes le seul pays au monde où les investissements sont imposés. Nous comprenons que le gouvernement doive nous imposer sur les bénéfices — mais pas trop, s'il vous plaît — mais l'impôt sur l'investissement réalisé avec le capital va nous mettre sur la paille parce que si nous n'achetons pas de nouvelles machines, nous ne serons plus concurrentiels. Nous savons que les Finlandais et les Norvégiens achètent de nouvelles machines. Les Russes et les Brésiliens font l'acquisition de machines très perfectionnées. Chaque fois que nous achetons une nouvelle machine, nous augmentons nos impôts sur le capital. Les impôts sur le capital ne font rien pour nous aider.
Troisièmement, les compétences des gouvernements fédéral et provinciaux ne sont pas clairement établies. Ce n'est pas parce que les gouvernements fédéral et de la province se mêlent tous deux d'environnement. C'est ainsi au Canada. Il faut s'attendre à cela, mais personne ne sait exactement qui est responsable de quoi. Il arrive parfois que des représentants des organismes de réglementation du fédéral et du provincial arrivent à l'usine, mais avec des listes différentes. Dans certains domaines, le gouvernement fédéral dira, «Nous allons voir ce que la province va faire. Si cela ne nous satisfait pas, nous interviendrons.» Tout cela contribue à créer un climat d'incertitude sur le plan commercial. Si vous disposez d'un certain montant à investir, et que vous pensez à la Géorgie ou au Nouveau-Brunswick, au New Hampshire ou à l'Ontario, si vous savez quel sera le rendement sur votre investissement en Géorgie et que vous sentez un climat d'incertitude au Canada, bien entendu vous irez investir en Géorgie.
Je ne prétends pas que nous ayons obtenu de mauvais résultats, mais nos investissements dans la nouvelle technologie diminuent d'année en année et pour une raison très simple: le taux de rendement du capital investi est inférieur au coût du capital depuis plusieurs années. Ces collectivités sont menacées.
Le sénateur Gustafson: L'importance de l'industrie forestière pour le Canada est évidente: 350 000 emplois directs, 450 000 emplois indirects, 350 municipalités touchées, un excédent commercial de 34 milliards de dollars pour le Canada, 81 p. 100 de notre production qui est exportée à destination des États-Unis. Pouvons-nous maintenir ce rythme? Est-ce que les forêts sont capables de fournir une production de cette ampleur?
M. Lazar: La réponse est simple, si nous voulons, nous pouvons. Nous avons les arbres. Nous avons l'énergie. Sur le plan de la concurrence, la ressource forestière n'est pas en perte de vitesse. Nous l'avons stabilisée. Nous replantons et nous réaménageons au moins autant que ce que nous récoltons.
Par ailleurs, nous avons les ressources humaines. Nos ressources sont compétentes. Notre industrie repose sur une tradition d'innovation et de créativité. Nous n'avons pas le choix, autrement nous n'existerions plus. Sur le marché des matières premières, les prix ne font que s'ajuster à la baisse. Si on ne peut pas réagir rapidement, on est éliminé. Heureusement pour nous, nous possédons ces qualités.
Nous sommes situés juste à côté du marché américain. C'est le marché le plus imposant et qui affiche la croissance la plus rapide au monde. Les Américains utilisent le bois d'œuvre pour construire leurs maisons, et non le béton comme ailleurs. Ils lisent beaucoup de journaux. Nous avons une position enviable.
Le sénateur Gustafson: Nous avons intérêt à nous montrer gentils avec eux.
M. Lazar: Nous le sommes. Mais ce sont eux qui devraient être plus attentionnés à notre égard.
Parce que l'industrie forestière est un secteur traditionnel au Canada, on le tient pour acquis. On le traite comme on avait pris l'habitude de le faire avec le poisson. On essaie d'imposer à cette industrie des redevances qui vont au-delà de ce que les marchés internationaux peuvent soutenir. Si l'on peut continuer à exploiter trois usines plutôt qu'une seule usine rentable, le gouvernement nous force à les exploiter. C'est très bien pour les collectivités où elles se trouvent durant quelques années, mais tôt ou tard elles finiront par fermer. On ne peut pas concurrencer indéfiniment l'industrie internationale du papier avec des usines inefficaces.
Et lorsque ces usines fermeront, pourrons-nous construire une usine plus grosse et plus efficace? Il sera trop tard. La concurrence aura mis la main sur nos clients. Elle possède le capital. L'industrie doit se renouveler pour conserver sa part de marché. Nous avons les éléments essentiels, mais il nous faut un climat commercial favorable et un partenariat avec le gouvernement pour pouvoir nous renouveler. Je pense que nous pourrions conserver ces emplois.
Le sénateur Gustafson: Pour revenir à la question du réchauffement de la planète, au fur et à mesure que la température se réchauffe dans le monde, et dans les forêts aussi, est-ce que la limite forestière remonte vers le nord?
M. Lazar: Oui. Elle a commencé.
Le sénateur Gustafson: Est-ce quelque chose de positif?
M. Lazar: Tout dépend de vos valeurs. Si vous êtes de la culture Innu, voir l'écosystème sur lequel repose votre culture subir des modifications importantes n'a rien de positif. Mais s'il s'agit de couper des arbres et de fabriquer du papier, je suppose que c'est positif, mais il n'y a pas vraiment de marché là-bas. Je ne pense pas que nous envisagions de construire des usines à proximité de la limite forestière.
M. Martel: Il s'agit d'une transition à long terme. Certains modèles montrent qu'une augmentation de la température d'un degré centigrade en moyenne pourrait entraîner une progression de 100 kilomètres vers le nord de la forêt, mais les arbres ne se déplacent pas. Il faut du temps avant que la limite des arbres ne progresse; il faut surtout de l'eau et des éléments nutritifs, mais aussi il faudrait que le sol soit favorable à leur croissance. C'est une évolution qui pourrait se faire sur des décennies.
Le sénateur Fairbairn: Il faut aussi mettre en place toute l'infrastructure correspondante.
M. Martel: C'est vrai qu'il y a une certaine adaptation, mais elle s'étalerait sur des dizaines d'années.
Sénateur Tkachuk: J'aurais une question supplémentaire, on nous affirme que la température a augmenté d'un degré au cours du siècle qui vient de s'écouler. Est-ce que cette élévation de température s'est produite sur 100 kilomètres?
M. Martel: Je m'entretenais l'autre jour avec des chercheurs de Forêts Canada. On peut voir sur des cartes les endroits où certaines espèces peuvent pousser, et il y a eu un changement spectaculaire. Si vous comparez la situation à celle d'il y a 20 ans, sur les cartes que nous avons, ces zones ont beaucoup changé. Les modifications climatiques doivent y être pour quelque chose. Nous n'avons malheureusement pas fait du très bon travail pour ce qui est de mesurer les changements survenus depuis 15 ou 20 ans. C'est pourquoi il nous faut un bon système d'information et d'inventaire pour nous aider à surveiller les changements qui se produisent dans ces écosystèmes forestiers. Ainsi, nous pourrions réagir à temps.
Le sénateur Gustafson: En ce qui regarde le Protocole de Kyoto, vous avez dit que vous aviez des crédits.
M. Lazar: J'ai dit que nous devrions obtenir des crédits.
Le sénateur Gustafson: Vous ne les avez pas reçus encore. Ces crédits ne sont pas accordés sans raison. Est-ce que vous devriez les obtenir parce que les arbres absorbent le carbone ou parce que vous avez apporté des modifications à vos usines?
M. Lazar: Nous avons modifié nos usines de manière à ce que la production de papier soit plus efficace de 38 p. 100 par rapport aux émissions de carbone de 1990. Ces interventions ont permis de réduire de plusieurs mégatonnes la quantité d'émissions de dioxyde de carbone dans l'atmosphère, par conséquent, si le gouvernement était sérieux en ce qui concerne l'échange des droits d'émission de carbone et s'il devait reconnaître les mesures que nous avons prises très tôt, nous devrions obtenir des crédits pour ces mégatonnes. Ou à tout le moins, ne pas nous faire dire que nous devons repartir de zéro.
Le sénateur Gustafson: L'un des problèmes avec le Protocole de Kyoto pour certaines régions où l'on exerce des activités agricoles, énergétiques ou de fabrication, tient au fait que les États-Unis peuvent décider de rester sur leurs positions. Par exemple, on accorde des exemptions à l'industrie de l'automobile en Ontario. Je ne saurais pas vous dire exactement pourquoi, mais j'ai lu quelque chose sur le sujet. Si les sociétés n'obtiennent pas d'exemptions, elles menacent de déménager leurs usines aux États-Unis par crante de voir leurs coûts de production devenir trop élevés. Le Département de l'Agriculture américain affirme que la mise en oeuvre du Protocole de Kyoto coûterait 20 milliards de dollars. Ces droits d'émission seront accordés ou non, tout dépendant si le gouvernement choisit de ne pas mettre en oeuvre le Protocole de Kyoto. Nous n'irons pas très loin si nous ne réussissons pas à convaincre le monde entier que chacun doit faire sa part.
M. Lazar: Le Protocole de Kyoto a été ratifié. Nous n'allons pas revenir là-dessus. Quant à la mise en oeuvre, qui est beaucoup plus difficile à réaliser que la ratification, nous avons fait notre part. Nous sommes prêts à faire davantage, mais nous attendons du gouvernement qu'il montre des signes de sa bonne foi. L'atténuation du changement climatique est un contrat social. Tous les intervenants de la société affirment que, pour le bien collectif, ils sont prêts à faire des changements. Mais un contrat social repose sur la confiance. Si le gouvernement dit: «Agissez rapidement et nous reconnaîtrons vos actions», et qu'ensuite il ne le fait pas, cela risque de nuire au contrat social essentiel pour accomplir des progrès. Si l'on n'accorde ce qu'ils veulent qu'à ceux qui font beaucoup de bruit, la confiance à la base de tout contrat social s'en trouve minée.
Le sénateur Fairbairn: Ma question fait suite à vos commentaires sur les crédits de carbone. Je ne pense pas que le gouvernement se désintéresse des crédits de carbone. L'autre question que l'on pourrait se poser est la suivante: «Est-ce que les autres pays signataires de l'accord acceptent la réalité et sont prêts à faire l'échange de droits d'émission de carbone? » Je suppose que cette question risque de déclencher une autre bataille, pas seulement industrielle, mais aussi diplomatique lorsque l'on commencera la mise en oeuvre.
M. Lazar: Tout à fait.
M. Martel: En ce qui concerne les crédits de carbone, il s'échange actuellement des droits d'émission sur le marché international. Les règles entourant les crédits de carbone ne sont pas claires dans le secteur forestier, et c'est la raison pour laquelle il y a moins d'activité autour des droits d'émission de carbone dans notre secteur. Il y en a plus dans les secteurs de l'efficacité énergétique et de la substitution interénergétique. Les réductions enregistrées dans notre secteur, qui se chiffrent en moyenne à 26 p. 100, sont dues au renoncement aux hydrocarbures. Nous avons opté pour une utilisation accrue de la biomasse, qui est neutre en carbone, en remplacement des hydrocarbures et de leurs émissions. Nous pouvons vendre ces crédits sur le marché mondial.
Le sénateur Wiebe: J'aimerais faire quelques commentaires personnels au sujet des crédits de carbone. Je suis un peu réticent à l'idée de vendre nos crédits à un autre pays parce que cela pourrait lui permettre de s'en tirer à bon compte. Nous devons payer des crédits de carbone, mais l'échange devrait se faire entre le gouvernement du Canada et l'industrie et les agriculteurs, plutôt qu'avec des pays étrangers.
Voulez-vous me donner des précisions au sujet des taxes en capital sur les machines? S'agit-il seulement des taxes de vente provinciales et de la TPS ou bien y a-t-il d'autres taxes ou impôts sur les machines?
M. Lazar: La taxe sur le capital du gouvernement fédéral est un impôt sur le montant que vous avez investi. Certaines provinces exigent une taxe sur le capital. D'autres, comme l'Alberta et peut-être l'Ontario et la Colombie- Britannique l'ont soit éliminée ou envisagent de le faire.
Le président: Elle vise les secteurs des services financiers, des télécommunications et de l'industrie forestière.
M. Lazar: Elle frappe les secteurs qui ont d'énormes dépenses en machinerie.
Le sénateur Wiebe: Quel est le pourcentage de cette taxe et comment est-elle calculée?
M. Lazar: Je ne peux pas répondre à cette question.
Le sénateur Wiebe: Je vais me renseigner.
M. Lazar: Je vais transmettre au Comité un texte que nous avons sur le sujet.
Le sénateur Wiebe: Pour en revenir à notre étude, que le Protocole de Kyoto soit mis en oeuvre ou pas, le problème du changement climatique se pose toujours. En réalité, le Protocole de Kyoto vise seulement à ralentir les changements climatiques rapides. Des témoins de Environnement Canada sont venus nous présenter des preuves comme quoi si rien ne change, nous connaîtrons des extrêmes dans les conditions météorologiques. Il y aura des périodes de chaleur et d'humidité plus longues, par exemple, de la pluie verglaçante en hiver, comme nous n'en avions pas auparavant. Avons-nous tiré des enseignements de tout cela?
Vous avez dit que la limite forestière rétrécit. Est-ce que l'industrie a tiré un enseignement de toutes ces situations extrêmes qui se produisent, par exemple, la tempête de verglas? Quelles ont été les répercussions de la tempête de verglas sur les arbres?
M. Martel: Les effets de la tempête de verglas se sont surtout fait sentir dans le sud du Québec et de l'Ontario et dans certaines régions du Nouveau-Brunswick. Le prochain témoin, Peter deMarsh, pourrait probablement vous en parler plus en détail parce que cette tempête a eu des répercussions majeures sur les membres de son association et sur leurs forêts. De toute évidence, elle a eu un impact sur la croissance et la santé des forêts parce que des branches se sont brisées et qu'il s'est formé des chancres et des maladies sur les arbres atteints.
Dans notre industrie, la plupart des activités s'exercent dans le nord. En conséquence, il n'y a pas eu d'impact sur la productivité de ces forêts.
Du point de vue du secteur des produits forestiers, cette tempête n'a pas eu de répercussions importantes. Par contre, elle en a eues pour les producteurs de produits de l'érable et d'arbres de Noël.
Le sénateur Wiebe: Qu'arriverait-il dans les forêts du nord si, par exemple, les températures s'élevaient au-dessus de la normale dans les mois d'hiver — autour de 10 degrés au-dessus de zéro — pour être suivies d'un gel? Est-ce que cela endommagerait les arbres? Je pense notamment aux arbres autour de ma maison, dans le sud de la province. Nos hivers sont doux parce que nous habitons dans une région balayée par le chinook de Calgary, mais il arrive qu'ensuite nous subissions une vague de froid intense. Chaque printemps, il faut planter de nouveaux arbres.
M. Martel: Vous souvenez-vous que nous parlions des pluies acides dans les années 70 et 80? Je participais à des recherches à l'époque. Nous avions découvert que la pollution était à l'origine du problème, bien sûr. Cependant, nous sommes en face d'une multiplication des stress. Par exemple, il y a davantage de sécheresses et d'événements climatiques extrêmes comme des fontes rapides suivies de gels tout aussi rapides durant l'hiver. Cette situation crée énormément de stress dans les peuplements forestiers et les forêts en général. Une forêt soumise à des stress est plus susceptible à l'infestation par des insectes, des maladies et autres ravageurs. Dans l'ensemble, c'est une combinaison de facteurs qui aggraveront le stress que doivent affronter les forêts. Cela risque de ralentir la croissance et d'hypothéquer l'avenir. À ma connaissance, il n'y a pas d'études d'impact sur les forêts. Lorsque vous dites le «nord», est-ce que vous voulez parler surtout de la forêt boréale?
Le sénateur Wiebe: Oui, en effet.
M. Martel: Tout cela a un rapport avec les insectes, les maladies et les feux de forêt. Il est du domaine du possible, si les hivers et le climat s'adoucissent, que l'on connaisse une remontée vers le nord. Une hypothèse veut que si la température s'élève d'un degré, les forêts pourraient remonter vers le nord de près de 100 kilomètres. Ce sont des hypothèses que l'on développe actuellement.
M. Lazar: Si l'on voit la forêt comme un organisme vivant exposé à un ensemble d'éléments ayant tous un rôle à jouer — plantes, animaux, insectes et ravageurs — alors ce n'est pas seulement ce qui arrive aux arbres, mais plutôt ce qui arrive à l'ensemble du réseau dans lequel évolue l'arbre qui crée un énorme stress.
Le sénateur Hubley: On nous a dit qu'au Canada il existe des différences régionales relativement aux forêts. De nombreux témoins ont insisté sur l'importance de l'adaptation. Ils ont suggéré des théories ou des méthodes. Par exemple, en présence d'une tendance au réchauffement, nous devrions rechercher des espèces qui se développent bien dans un climat chaud. Nous devrions planter ces espèces dès maintenant de sorte que, lorsqu'elles atteindront la maturité, nous aurons encore des forêts bien vivantes.
Dans votre exposé, vous faites valoir que jusqu'à maintenant les politiques ont visé l'atténuation, et que l'on a quelque peu négligé les impacts et l'adaptation. Pouvez-vous nous dire de quelles politiques vous voulez parler? S'agit- il de celles du gouvernement, des compagnies ou de l'industrie?
M. Lazar: Je voulais parler de la politique gouvernementale. La préoccupation du gouvernement a été la suivante: «Que peut faire le Canada pour ralentir le changement climatique?» Et la préoccupation principale des groupes environnementaux est la même.
Les chercheurs du gouvernement et les groupes environnementalistes — tous — s'entendent pour dire que même si nous accomplissons des actes héroïques, cela n'empêchera pas le changement climatique parce qu'il progresse, et qu'il progresse rapidement et sûrement. Sachant que le train s'en vient à toute allure, un gouvernement responsable devrait non seulement lancer des cris pour que le train s'arrête, mais il devrait aussi entreprendre des études détaillées et établir des programmes complets afin que nous puissions survivre à tout cela. Si nous agissons ainsi, alors nous pourrons gérer et atténuer les répercussions sur les écosystèmes canadiens, qui sont précieux pour chacun d'entre nous, ainsi que pour les collectivités canadiennes et les emplois.
C'est beaucoup plus frappant sur le plan politique de s'attaquer au changement climatique en donnant l'impression qu'on va l'arrêter. Tout le monde veut donner l'impression d'avoir empêché le pire. Il est beaucoup moins spectaculaire d'accepter que des choses négatives vont se produire et d'essayer de trouver des moyens de s'adapter à la situation. Toute l'attention est concentrée sur les moyens d'empêcher l'inéluctable. Nous devons faire notre part pour combattre ces événements. Toutefois, si on regarde le temps, l'énergie et l'argent dépensés pour trouver des moyens de ralentir le changement climatique par comparaison avec le temps et l'argent consacrés à y faire face, on ne peut que constater que c'est disproportionné. Tous et chacun d'entre nous vont devoir assumer ces coûts.
Le sénateur Hubley: Si des fonds de recherche étaient disponibles, est-ce que vous recommanderiez qu'ils soient consacrés à trouver des stratégies d'adaptation?
M. Lazar: Nous recommandons l'équilibre. Bien entendu, nous devrions consacrer les fonds de recherche à essayer de trouver de nouvelles technologies qui permettraient à l'industrie d'être plus efficiente sur le plan des émissions de carbone. Toutefois, cet investissement devrait aussi servir à déterminer ce qui va arriver et à trouver des moyens de survivre à ces événements tout en réduisant au minimum les répercussions négatives sur tout ce qui nous tient à cœur.
M. Martel: Le Canada est responsable de seulement 2 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Ce que nous ferons ici, au pays, n'aura qu'un impact minime. Les concentrations de CO2 dans l'atmosphère vont continuer d'augmenter. Il nous faut un bon système de surveillance pour savoir ce qui se passe dans nos systèmes forestiers. Nous devons en apprendre davantage sur les changements et sur leurs répercussions éventuelles sur nos forêts. Sachant cela, nous serons mieux armés pour réagir à temps. Par ailleurs, si ces changements surviennent réellement, nous pouvons essayer de déterminer quel genre de mesures d'atténuation mettre en place pour nous y préparer.
Le président: Monsieur Lazar, vous avez dit que vous transmettriez au greffier du Comité un document sur la taxe sur le capital. Par la même occasion, pourriez-vous nous faire parvenir des chiffres concernant les répercussions potentielles sur l'industrie que vous avez mentionnées dans votre exposé? Vous affirmez qu'il y aura une diminution de l'approvisionnement en fibres. Pouvez-vous nous dire de quelle ampleur sera cette diminution? Vous avez également mentionné des changements au chapitre du rendement et de la croissance. Quels sont les changements précis anticipés à cet égard? Quel est le rapport entre la diminution de la quantité de fibres et les perturbations naturelles?
Ces renseignements nous fourniront des chiffres pour étayer les arguments que vous nous avez présentés sur le sujet.
M. Lazar: Nous transmettrons au Comité ce que nous avons en main. Malheureusement, il faut dire que la plupart de ces renseignements n'existent pas en détail, et c'est la raison pour laquelle nous affirmons qu'il est temps de faire nos devoirs. Pour déterminer la quantité de fibres qui pourrait ne plus être disponible, il faudrait pouvoir établir quels seront les impacts sur les écosystèmes forestiers. Vous nous demanderez: «Avez-vous des moyens de le déterminer? Nous ne pouvons pas trouver la réponse en étudiant les arbres. Nous devons étudier les écosystèmes sous diverses conditions climatiques.
Si le gouvernement suit nos recommandations, nous pourrons vous fournir ces réponses un jour. Dans l'intervalle, nous vous transmettrons tout ce dont nous disposons actuellement.
Le président: Plusieurs témoins sont venus nous parler du dendroctone du pin. Nous avons vu les dommages que ce que ce petit ravageur a causés aux forêts, en particulier en Colombie-Britannique. Cet insecte a-t-il un prédateur naturel? Existe-t-il un insecticide que l'on pourrait pulvériser sur les arbres infestés afin de les sauver parce que les fibres détruites représentent des pertes de millions de dollars?
M. Lazar: Je ne suis pas entomologiste, mais je peux vous dire ceci: le moyen de lutte naturel contre cet insecte s'appelle l'hiver.
Le président: C'est aussi le cas de bien d'autres insectes.
M. Martel: Pour répondre à l'autre partie de votre question, il n'existe aucun pesticide ou insecticide pour lutter contre ces insectes parce qu'ils percent des trous dans les arbres et s'introduisent entre l'arbre et l'écorce. Ils creusent des terriers dans l'arbre. Ils empêchent l'eau d'arriver jusqu'à la couronne ou au couvert, et les arbres finissent par mourir. C'est ce qui cause ce roussissement du feuillage. On peut intervenir seulement lorsque la population d'insectes est faible et que l'on prévoit qu'elle va grossir. Il faut choisir les arbres dont le feuillage a pris une couleur orangée ou rougeâtre et les couper en premier.
Le président: Vous pouvez tout de même récupérer une partie des fibres si vous coupez les arbres à temps.
M. Lazar: Nous nous servons de la différence de couleur qui ressort des images satellites et des images produites à l'aide de la technologie du GPS pour les localiser. Non seulement nous pouvons utiliser la fibre si nous intervenons rapidement, mais cela nous permet aussi de réduire la propagation aux arbres environnants.
Le sénateur LeBreton: Utilise-t-on la même technique avec les tordeuses des bourgeons?
M. Martel: On a dû faire pas mal de récupération. Les tordeuses des bourgeons tuent des forêts entières, mais elles ne vivent pas plus de quatre ou cinq ans, dépendant des espèces.
Le sénateur LeBreton: Est-ce que la tordeuse des bourgeons de l'épinette a terminé son cycle maintenant?
M. Martel: La dernière épidémie remonte aux années 70 et au début des années 80.
Le sénateur LeBreton: Est-ce que les conditions climatiques finissent par en venir à bout un jour ou l'autre?
M. Martel: Elles s'attaquent aussi à un type plus ancien de sapin baumier. Lorsque les éléments nutritifs, la température, les conditions climatiques sont favorables, alors la population croît. Lorsqu'il n'y a plus rien à manger et que la température chute, la population de tordeuses des bourgeons diminue. Cette infestation existe depuis plus de 100 ans.
M. Lazar: Toutes ces manifestations disparaissent d'elles-mêmes et ne sont pas un problème si vous n'avez pas l'intention de tirer des revenus de la forêt. Toutefois, si vous voulez nourrir votre famille avec...
M. Martel: La récupération vise à avoir accès aux fibres. En l'absence de route ou d'accès, on peut déclencher un petit incendie qui va se répandre très rapidement. C'est la raison pour laquelle il y a des régions en Colombie- Britannique où la majeure partie de la récolte effectuée par les compagnies consiste à récupérer les arbres tués par la tordeuse ou ceux qui se trouvent dans les forêts infestées par le dendroctone du pin.
Le sénateur Gustafson: Est-ce que les discussions avec les Américains concernant le règlement de la question du bois d'oeuvre ont eu une incidence sur le volume des exportations de bois d'oeuvre canadien?
M. Lazar: Ces discussions ont eu un effet pervers. La diminution n'est pas nette, mais modeste. Ils nous imposent des droits antidumping. Les droits antidumping sont calculés en fonction des coûts de production. Le seul moyen de réduire les droits antidumping est de réduire les coûts de production. Il n'est pas question de réduire les salaires, aussi il faut accroître la production afin d'utiliser l'infrastructure de manière plus efficiente. La plupart de nos membres ont fermé leurs usines moins rentables. Ils exploitent les usines rentables 24 heures par jour et produisent une quantité énorme de bois d'œuvre que nous expédions aux Américains. Une des raisons pour lesquelles les Américains sont revenus à la table de discussion est que l'imposition des droits antidumping s'est retournée contre eux. Plutôt que de leur permettre de faire un coup d'argent, cela a eu pour effet de faire chuter les prix à un niveau sans précédent; ils sont donc prêts à revenir discuter.
Le sénateur Gustafson: Qu'en est-il du chômage? Il y a trois jours, un homme est venu me voir à mon bureau pour me dire que chez lui, dans le nord de la Colombie-Britannique, le taux de chômage est de 60 p. 100.
M. Lazar: Nous fermons les usines qui ne sont pas rentables. Nous sommes en mesure de transférer des employés dans les usines qui fonctionnent 24 heures par jour. Mais il y a des limites. Il y a des répercussions sur le secteur des pâtes et papiers parce que nous fabriquons le papier à partir des sous-produits du bois d'œuvre. Après avoir scié les deux par quatre dans les résineux pour en faire du bois d'œuvre, on envoie les copeaux et la sciure à l'usine de pâtes et papiers. Lorsque le prix du bois d'œuvre diminue, le prix du copeau grimpe et cela affecte l'industrie tout entière.
Le président: Vos réponses ont été tellement intéressantes que nous allons pouvoir en utiliser une bonne partie dans notre rapport.
M. Lazar: Nous serons très heureux de vous fournir de plus amples précisions si vous le désirez.
Le président: Sénateurs, notre prochain témoin est M. Peter deMarsh.
M. Peter deMarsh, président, Fédération canadienne des propriétaires de boisés: Merci de votre invitation à venir vous présenter mes commentaires. Il y a quelques années, ce Comité, avec le sénateur Taylor à la présidence, avait produit un très intéressant rapport. Ce rapport avait contribué énormément à promouvoir les avantages qu'il y a à planter des arbres, et du point de vue des propriétaires de boisés, en particulier, il avait contribué à obtenir des modifications à la Loi de l'impôt sur le revenu. Ce rapport avait aussi entraîné des modifications au budget de 2001. Avec l'appui du sénateur Cohen du Nouveau-Brunswick qui avait pris cette question à cœur, l'intervention du sénateur Taylor et du Comité avaient contribué grandement à provoquer des changements que les propriétaires de boisés avaient accueillis avec joie. J'aimerais passer en revue les principaux points du document d'information sur les propriétaires de boisés que je vous ai déjà transmis. Comme vous le voyez, nous sommes très nombreux aux quatre coins du pays, environ 425 000 familles. À titre individuel, la plupart d'entre nous n'ont qu'une incidence limitée sur le paysage et sur l'économie rurale. Mais tous ensemble, nous avons un impact, et plus particulièrement dans toute la région du sud du Canada. Les forêts que voient les Canadiens la plupart du temps sont, de fait, des boisés qui appartiennent à des entreprises familiales. Aussi, nous possédons à la fois toutes les qualités et tous les défauts des entreprises et des sociétés à caractère familial.
D'un côté, nous avons la possibilité de prendre soin de la terre. De l'autre, nous disposons de ressources financières limitées. Nous sommes fiers d'assumer la propriété et la gérance des terres. Toutefois, nous sommes enclins à faire preuve d'entêtement lorsque nos droits de propriété ne sont pas respectés.
Dans certaines provinces, nous bénéficions de programmes de sylviculture rationnels. Au Québec et au Nouveau- Brunswick, ces programmes comprennent notamment de grands volets de reboisement — le reboisement consiste à planter des arbres à des endroits où il n'y en a jamais eu auparavant ou encore là où il n'y en avait pas 20 ans plus tôt. Nous accomplissons déjà beaucoup en reboisant des terres agricoles peu rentables ou abandonnées dans plusieurs provinces.
Neuf associations provinciales se sont regroupées pour former la Fédération canadienne des propriétaires de boisés.
Nous ne vous apprendrons rien de neuf par rapport à tout ce que vous avez déjà entendu de la part de personnes qui possèdent une bien plus grande expertise que nous en ce qui a trait au changement climatique. On vous a parlé des problèmes avec les insectes et les maladies qui deviendront, semble-t-il, de plus en plus graves; du risque accru d'incendies et de sécheresses; et d'épisodes plus fréquents de conditions climatiques extrêmes, et en particulier de tempêtes de verglas et de vent, qui sont des sujets de préoccupation pour les propriétaires de boisés. Les espèces d'arbres existantes pourraient s'adapter difficilement à des conditions climatiques plus chaudes et moins stables. Vous avez entendu toutes ces considérations de la part de personnes beaucoup plus compétentes que moi.
Nous nous inquiétons de savoir quoi faire à ce sujet. Que faire pour améliorer les choses? Comment s'adapter? Il faut intervenir dans beaucoup de domaines. J'en mentionne six dans mon résumé. Je vais vous parler brièvement des trois premiers, parce que vous avez déjà entendu ou que vous entendrez des témoins possédant plus d'expertise que moi dans ces domaines.
Un de ces domaines est la lutte contre les incendies et les ravageurs. Ces domaines nécessitent que l'on y investisse davantage. Nous partageons cette inquiétude avec le grand public en général et les industries forestières.
L'énergie renouvelable nous intéresse. Le bois de qualité inférieure est une source d'énergie. Les bois d'éclaircies par exemple qui sont les sous-produits de la sylviculture, contribuent à améliorer la santé et la productivité des forêts, ils représentent une source d'énergie neutre en carbone. Nous espérons voir davantage de marchés s'ouvrir pour le bois de qualité inférieure. Un troisième programme concerne les stratégies d'aménagement forestier. Peter Duinker vous a fait une déclaration que bon nombre d'entre nous ne renieraient pas: «Il est important de maintenir la diversité des espèces et des âges dans nos forêts et nos boisés.» Ne simplifiez pas à outrance les forêts. Ne mettez pas tous vos oeufs dans le même panier. Nous ignorons comment les espèces réagiront individuellement aux changements. Il est important de garder les coudées franches.
Il pourrait être logique de favoriser les espèces qui poussent à la limite septentrionale de leur portée actuelle, étant donné que la limite forestière se déplace vers le nord. Une espèce peu rentable aujourd'hui pourrait devenir intéressante d'ici quelques années.
J'aimerais aborder les trois prochains programmes de façon plus détaillée. Les programmes d'aide aux personnes sinistrées nous préoccupent vraiment, d'autant plus que les tempêtes de verglas et de vent deviennent plus fréquentes et peut-être de plus en plus graves. La tempête de 1998 a causé des dommages sérieux à des milliers de boisés, de même qu'aux producteurs de produits de l'érable et aux agriculteurs dans tout l'est ontarien et le sud-ouest québécois. Après bien des mois passés à faire des pressions, les associations de propriétaires de boisés et d'autres groupes ont obtenu des deux provinces qu'elles mettent sur pied une série de programmes d'aide en collaboration avec le gouvernement fédéral. Depuis quatre ans, les propriétaires de boisés ont obtenu une aide qui s'est chiffrée à près de 8,5 millions de dollars qui ont été versés à environ 2 600 propriétaires ontariens, et à près de 19 millions de dollars qui ont été distribués à plus de 6 000 propriétaires québécois.
On a effectué un suivi sur le rendement de ces programmes qui sont en vigueur depuis quatre ans, il est donc possible d'en évaluer les qualités et les faiblesses. Il faudrait notamment davantage d'aide dans le domaine des conseils techniques. Comment évaluer l'ampleur des dommages? De quel type de dommages s'agit-il? Quelles sont les interventions appropriées?
Il faudrait aussi de l'aide pour dégager les routes qui sont encombrées par des arbres morts. C'est important à la fois pour des raisons de sécurité et aussi pour ouvrir l'accès aux forêts afin de permettre d'effectuer d'autres travaux. Il semble raisonnable et important de fournir de l'aide pour contribuer à absorber les coûts du reboisement.
Nous parlons de la tempête de verglas de 1998. Il y a eu une tempête de verglas au Nouveau-Brunswick, il y a environ une semaine et demie, le 2 février. Je n'ai pas de chiffres sur l'ampleur des dommages pour le moment, mais nous savons qu'un bon nombre des plantations ont été dévastées par la tempête. Étant donné que je suis originaire du Nouveau-Brunswick, je m'intéresse de près à ce programme en particulier.
Une autre composant d'un programme d'aide rationnel et bien planifié est la récupération du bois de bonne qualité. Mes collègues du Québec m'ont confié que l'on a perdu l'équivalent de feuilles de placage en bois franc et de billes de sciage de grande valeur parce que l'on n'avait pu transporter le bois à temps sur le marché. Il a fini en bois de chauffage et en bois de pâte. Le matériel et les équipes spécialement formées pour travailler dans les conditions difficiles, comme lorsque les arbres sont tombés ou entremêlés, faisaient défaut.
Le dernier domaine d'aide directe se présente sous la forme d'une compensation pour les dommages et les pertes subies en fonction de la valeur des biens. En Ontario, 12 propriétaires qui se sont montrés particulièrement dynamiques dans la défense de leur cause ont obtenu ce type d'aide. Je peux vous dire que nous ne nous entendons pas sur les mérites de cette intervention.
Les autres domaines que j'ai mentionnés parlent pour eux-mêmes et c'est là qu'il faut concentrer nos énergies.
Une dernière mesure relative à l'aide aux sinistrés vise la politique fiscale. En tant que propriétaire ayant été touché par une tempête de verglas, je risque de perdre pour des milliers de dollars en bois d'œuvre. Je m'efforcerai de faire de la récupération durant un an ou deux jusqu'à ce que le bois n'ait plus aucune valeur sur le marché. Cela contribue à créer une augmentation soudaine de revenu, avec les répercussions auxquelles on peut s'attendre sur le plan fiscal.
Les deux associations du Québec et de l'Ontario ont fait des pressions sur les deux paliers de gouvernement en vue d'obtenir l'étalement du revenu sur un certain nombre d'années. Le gouvernement fédéral a refusé, mais le gouvernement du Québec a accepté et a permis d'échelonner les revenus sur cinq ans. À notre point de vue, cet étalement du revenu s'est révélé extrêmement utile. Nous aimerions que cette mesure puisse s'appliquer dans d'autres cas.
C'est essentiellement la raison pour laquelle j'insiste tellement sur ce sujet. Les mesures prises à la suite de la tempête de verglas de 1998 ont été ponctuelles. Nous anticipons que ces tempêtes violentes pourraient se produire à une plus grande fréquence. Il nous faut un programme permanent afin que les associations de propriétaires de boisés ne se voient pas forcés de passer des mois à faire des pressions pour obtenir des mesures improvisées.
Le prochain secteur de programme est celui de l'éducation et des services d'information à l'intention des propriétaires de boisés. Nous appelons cela la vulgarisation en exploitation forestière. Il s'agit surtout d'un outil destiné à encourager les propriétaires de boisés à améliorer leurs méthodes de travail et la qualité de l'aménagement forestier.
Avec l'élimination, vers le milieu des années 90 des ententes fédérale-provinciales dans le domaine forestier, la plupart des provinces ont effectué des compressions dans leur personnel chargé de la vulgarisation ou ont carrément mis fin à leur emploi. Certaines ont rétabli leurs programmes dans leur totalité, d'autres seulement en partie et d'autres encore, pas du tout. Alors que nous sommes à évaluer les répercussions inconnues et graves du changement climatique, il faut accorder une priorité élevée à la fourniture d'information de bonne qualité et de conseils avisés aux propriétaires de boisés. Il faut sensibiliser davantage les membres et faire tout en notre possible pour réduire l'incertitude. D'après ce que nous avons entendu de la part des autres témoins, ces interventions devraient se dérouler à l'échelle régionale, et probablement provinciale. Chaque région connaîtra un schéma différent de changements et de précipitations. Diverses espèces seront menacées. Les conseils devront être ciblés pour répondre aux besoins particuliers de chaque région.
Une contribution positive des propriétaires de boisés en ce qui concerne l'adaptation à long terme est qu'ils sont nos yeux et nos oreilles sur le terrain. Si nous apprenons à mieux identifier les insectes et les maladies, nous seront en mesure d'apporter notre contribution en constituant un vaste réseau d'observateurs capables d'aider les fonctionnaires du gouvernement et les chercheurs scientifiques à détecter les nouveaux problèmes et à exercer une surveillance s'y rapportant.
Le dernier secteur de programme qui nous intéresse est celui des plantations d'arbres. On étudie sérieusement à l'heure actuelle la possibilité de mettre sur pied des programmes de plantations d'arbres sur une grande échelle. Forêts Canada mène cinq projets pilotes dans tout le pays, dont plusieurs en collaboration avec les associations de propriétaires de boisés. Nous sommes intéressés à participer à l'élaboration de ces programmes pour deux raisons. La première est que les terres ciblées appartiennent à des intérêts privés; l'autre parce que ces programmes suscitent l'intérêt de beaucoup d'entre nous. Les propriétaires fonciers montrent un intérêt et une détermination marqués en vue de participer à la fois à l'atténuation du changement climatique et à l'adaptation à ses résultats. Lorsque ces programmes auront été mis au point, s'ils sont bien conçus, ils devraient susciter un engouement sans précédent de la part de personnes qui y voient une occasion d'apporter leur contribution et de s'impliquer.
La question, toutefois, n'est pas simplement de savoir si nous pouvons planter des arbres et élaborer des programmes pour venir en aide aux propriétaires qui décident d'en planter. La question en effet consiste plutôt à déterminer l'envergure de cet exercice. Il y a environ deux ans et demi, nous avons informé Ressources naturelles Canada que nous estimions le potentiel de reboisement sur les terres privées à environ 35 000 hectares par année sur une période de 10 ans. C'est un programme de grande envergure. Pour le réaliser, il faut pouvoir compter sur un programme bien conçu et très bien planifié. J'ai communiqué au Comité un rapport qui m'a été transmis par M. Tony Rotherham. Dans ce rapport, l'auteur présente une description utile des éléments qui permettraient à un programme de grande envergure d'être efficace. La première question qu'il aborde est le choix des espèces. Le peuplier hybride suscite énormément d'intérêt, parce qu'il s'agit d'un arbre à croissance rapide et qui permet un piégeage important du carbone sur une période de 20 à 25 ans. Cet arbre pousse bien dans certaines régions du pays, et plus particulièrement dans les Prairies, mais il ne donne pas d'aussi bons résultats dans l'est. Il n'est pas aussi facile à cultiver que l'épinette blanche que l'on utilise fréquemment pour reboiser les anciens champs dans l'est du Canada. Peut-être que de nouvelles variétés du peuplier hybride pourraient surmonter ces difficultés, de toute façon nous voulons absolument avoir notre mot à dire lorsque viendra le moment de choisir les espèces qui feront partie du programme.
Le choix des terres à utiliser est également une question de première importance pour nous. Il s'agira surtout de terres appartenant à des intérêts privés. La question est: «Quelles terres?» Dans l'est nous parlons des terres agricoles peu rentables et abandonnées, autrement dit des terres qui n'auraient peut-être jamais dû être défrichées pour l'agriculture. Dans les Prairies, il est davantage question d'utiliser des terres de qualité supérieure. Toutefois, lorsque l'on décide d'utiliser des terres agricoles de qualité supérieure pour faire du reboisement, il est évident que cela entraînera des coûts de renonciation, si on se place du côté du propriétaire foncier. Il faudra en tenir compte lorsque viendra le moment de mettre au point l'offre finale.
Nous nous intéressons aussi aux droits de propriété et au fait que l'on devra avoir l'impression que ces droits sont respectés dans le cadre du programme. Je vous le répète, j'insiste sur le fait que ce programme devra avoir été conçu avec soin.
Le financement représente le principal défi. Jusqu'à maintenant, le gouvernement fédéral a fait savoir qu'il ne voulait pas revenir à un accord dans le style des ententes fédérale-provinciales dans le domaine forestier, où les deux paliers de gouvernement partageaient à 80 p. 100 les frais de reboisement des programmes sylvicoles. Nous avons trouvé que 20 p. 100 est le maximum que la vaste majorité des propriétaires fonciers sont prêts à contribuer pour une activité qui se révèle coûteuse. Au-delà d'une participation de 20 p. 100, le nombre de participants chute rapidement. Certains propriétaires de boisés disposent de ressources privées suffisantes pour assumer un pourcentage beaucoup plus élevé, mais il s'agit d'une minorité. Nous sommes à la recherche d'autres moyens de réunir des fonds, pas seulement des fonds publics, mais aussi des fonds privés, de l'argent qui proviendrait des entreprises du secteur de l'énergie. Les sociétés de fonds de placement et les compagnies d'assurance ont été envisagées comme bailleurs de fonds éventuels. Le défi consiste à trouver un moyen pour que les investisseurs privés obtiennent un rendement qui les satisfasse et pour pouvoir mettre les fonds à la disposition d'un grand nombre de propriétaires de boisés d'une manière efficiente et efficace.
M. Rotherham soulève aussi la question de la prestation des programmes qu'il juge importante. Les propriétaires de boisés doivent faire confiance à l'organisation qui s'occupe de la promotion et de la supervision du programme. Dans la plupart des cas, notre association devrait jouer un rôle central dans ces programmes. Dans certaines provinces, nous comptons plus de 25 années d'expérience dans l'administration efficace de programmes. Ailleurs, il sera peut-être plus approprié d'essayer d'établir des partenariats entre les groupes de propriétaires de boisés et d'autres organisations. Toutefois, les associations doivent jouer un rôle central dans toutes les provinces et il faudra les consulter dans le but de déterminer comment un programme de grande envergure devrait être structuré afin d'être efficace. Nous sommes prêts à offrir nos conseils et à participer à l'élaboration d'un programme de grande envergure sérieux à l'échelle du pays.
Enfin, les trois secteurs de programme que sont le secours aux sinistrés, l'éducation et le reboisement ont un rôle important à jouer dans l'adaptation au changement climatique. Ils sont importants aussi à d'autres égards. Même si le changement climatique n'était pas un sujet de préoccupation majeur, il faudrait s'en occuper de toute façon. Nous avons besoin d'un programme d'aide aux sinistrés. Nous en avons particulièrement besoin parce que le changement climatique augmente la fréquence des catastrophes, mais ce programme devrait être mis en place de toute façon. Nous avons besoin de meilleurs services d'éducation. Il nous faut nous adapter à d'autres changements sur le plan technologique, économique et social, en plus du changement climatique. Enfin, le reboisement comporte de nombreux avantages en plus du piégeage du carbone. C'est un facteur important qui contribue à réduire le ruissellement et l'érosion des sols. Il contribue aussi à améliorer l'habitat faunique. Il fournit des emplois à court terme et contribue à assurer une sécurité d'emploi à long terme dans l'industrie forestière en garantissant l'approvisionnement en bois. Le reboisement contribue à stabiliser les collectivités rurales en diversifiant les sources de revenus. Pour toutes ces raisons, le reboisement est une initiative importante et nous sommes heureux que le gouvernement fédéral étudie cette possibilité avec soin.
Le président: Monsieur deMarsh, merci pour cet excellent exposé.
Le sénateur Day: Le Comité a rendu visite à quelques-uns de vos membres de Sussex, au Nouveau-Brunswick, à peu près à cette période-ci, l'année dernière. Nous avons visité la Southern New Brunswick Wood Co-op. Le Comité connaît bien les petits propriétaires de boisés. Certains agriculteurs de l'ouest ont été surpris de constater que les petits propriétaires de boisés possédaient en réalité de très petites superficies et que les revenus qu'ils en retiraient étaient très importants pour leur subsistance.
Pourriez-vous expliquer au Comité quels sont les divers types de propriété foncière en ce qui regarde les forêts? Prenons l'exemple du Nouveau-Brunswick. La province ne compte pas que de petits propriétaires de boisés d'intérêt privé. Pourriez-vous décrire les divers types de propriété pour que le Comité puisse bien se représenter qui doit s'occuper des problèmes dans cette province?
M. deMarsh: Le Nouveau-Brunswick est la province ayant les peuplements forestiers les plus importants du pays. Plus de 90 p. 100 de la superficie est constituée de forêts. Ces forêts appartiennent à trois types de propriétaires. Nous représentons près de 30 p. 100 de ces forêts, c'est-à-dire un peu moins de 40 000 familles. Plusieurs grandes sociétés de l'industrie forestière possèdent un peu plus de 20 p. 100 des forêts. Et le 50 p. 100 qui reste environ appartient au gouvernement provincial et constitue ce qu'il est convenu d'appeler des terres de la Couronne. Il y a aussi des parcs nationaux qui appartiennent au gouvernement fédéral et d'autres terres qui sont la propriété des Premières nations. Je pense que cela répond à votre question.
Le sénateur Day: Oui, tout à fait.
Est-ce que la province participe à l'aménagement de ses forêts ou est-ce qu'elle fournit une certaine orientation en ce qui concerne cet aménagement? Les grandes sociétés forestières qui gèrent les usines s'occupent aussi de l'aménagement de leurs propres forêts. Votre groupe est formé de petits propriétaires de boisés qui constituent un groupe très diversifié. Est-ce que le problème de ce groupe est qu'en fait vous ne disposez pas des ressources nécessaires pour aménager vos forêts comme les grandes industries et la province pourraient le faire?
M. deMarsh: Nos boisés sont nos centres de profit. Lorsque nous voulons dépenser ou investir de l'argent, d'une manière ou d'une autre, cet argent doit provenir de la vente de nos produits. Nous n'avons pas d'usines où effectuer le transformation. Si je possédais une usine, elle serait mon centre de profit. Ma forêt représente un centre de coûts. Elle est une source de dépenses, mais aussi elle me permet d'obtenir des déductions fiscales.
Dans plusieurs provinces, comme je l'ai mentionné, il y a déjà eu des programmes à frais partagés avec les fonds publics. Voici la justification pour laquelle les contribuables canadiens devraient investir dans les boisés. Il est certain que nous tirons profit de ces investissements, c'est-à-dire que nous améliorons la valeur de nos boisés et que par conséquent ces boisés produiront tôt ou tard davantage de bois d'oeuvre. Mais le grand public en bénéficie lui aussi par l'entremise des divers gouvernements qui imposent des taxes et des impôts, des usines qui transforment le bois et aussi de toutes les entreprises qui fournissent des services aux employés de ces usines. Le grand public bénéficie aussi de l'amélioration de l'approvisionnement en bois.
En deux mots, voici les raisons qui justifient ce qui pourrait sembler à première vue discutable: «Comment justifier que le gouvernement investisse l'argent des contribuables dans les terres privées?» En règle générale, cet argument est très bien accepté. Au Québec, au Nouveau-Brunswick et dans une certaine mesure en Nouvelle-Écosse, beaucoup de propriétaires de boisés peuvent améliorer leurs forêts par le reboisement et en pratiquant divers types d'éclaircie, ce qui permet de conserver l'investissement.
Le sénateur Day: Dans votre texte, vous nous faites quelques bonnes suggestions en ce qui concerne l'aide aux sinistrés. Le problème tient en partie à ce qu'il faut convaincre le grand public et le gouvernement que le réchauffement de la planète revient à mourir à petit feu par comparaison avec une catastrophe naturelle de l'ampleur d'une tempête de verglas, d'un coup de vent qui arrache de nombreux arbres ou d'une inondation, par exemple. Cependant, cela rend les choses beaucoup plus difficiles pour obtenir l'aide de certains programmes du gouvernement fédéral, et aussi de certains programmes du gouvernement provincial dont vous avez parlé.
Du point de vue du réchauffement de la planète, et des changements qui sont inévitables mais lents à se faire sentir, quel rôle entrevoyez-vous pour les divers intervenants et participants du secteur forestier? Je fais référence aux universités, aux administrations fédérale et provinciales, aux propriétaires de boisés privés, à l'industrie et à tous ceux que l'on peut imaginer. Quel rôle voyez-vous pour ces parties intéressées?
M. deMarsh: Toute l'attention est concentrée sur l'aide aux sinistrés et sur les moyens de l'amener au centre des préoccupations de la politique publique. Les gens comme moi doivent trouver le moyen de mieux expliquer les besoins. Naturellement, c'est facile de le faire lorsque l'on vient de subir une catastrophe, mais ce n'est pas parce que c'est le moment où c'est le plus facile d'expliquer les besoins que ça devient le meilleur moment pour le faire.
Il y a eu un incident grave au Nouveau-Brunswick il y a moins de deux semaines. En tant que propriétaires d'une partie importante du paysage, et plus particulièrement dans tout le sud du pays, on nous demande de faire de plus en plus, et avec raison, pour garantir l'approvisionnement futur en bois, assurer la survie de l'habitat faunique, des espèces menacées, protéger la qualité de l'eau, faire en sorte d'offrir un paysage harmonieux pour l'industrie touristique, et ainsi de suite. Nous devons expliquer aux Canadiens que nous ne pouvons par réussir à faire tout cela gratuitement; toutes ces activités ont un coût financier. Dans un sens plus large, nous devons prouver qu'au-delà de l'aide aux sinistrés, il faut mettre en place des mécanismes au moyen desquels la société canadienne pourra contribuer à ces coûts. En jargon d'économiste, on appelle cela des produits non-marchands. Ce sont des biens dont profite le public mais pour lesquels il n'existe aucun marché par lequel le producteur, c'est-à-dire nous, peut se rembourser d'une partie des frais qui se rapportent à leur production.
En Europe, on est beaucoup plus avancés sur le plan des allégements fiscaux, des subventions directes et d'autres moyens permettant de combler ce que le marché est incapable de faire pour ces produits. L'aide aux sinistrés doit être considérée comme un élément de cette sensibilisation accrue au fait que ce que nous accomplissons profite à la société, et que la société doit assumer une partie des coûts que cela entraîne.
Le sénateur Day: Ce Comité a eu la possibilité d'explorer en Irlande le concept de la multifonctionnalité qui correspond assez bien à ce que vous venez d'expliquer. Il ne s'appliquait pas à l'industrie forestière. Mais il s'est révélé extrêmement utile pour comprendre ce que nous pourrions qualifier de subventions. Là-bas, on ne les appelle pas du tout des subventions. On parle plutôt d'une valeur sociale pour laquelle la société en général doit payer. Est-ce que cela s'apparente au type de mécanismes que nous devrions mettre en place pour l'industrie forestière?
M. deMarsh: Je ne me rappelle pas quel sénateur avait fait le commentaire, lors d'une audience, mais j'avais noté en prenant connaissance de la transcription des témoignages que l'on faisait allusion au fait que les agriculteurs avaient besoin d'aide pour s'occuper de l'entretien du paysage. J'ajouterais que les propriétaires de boisés sont dans la même situation. Nous sommes déterminés à faire notre part et à faire davantage à cet égard. Toutefois, nous aimerions bien avoir les moyens de le faire par amour seulement. Malheureusement, c'est impossible.
Nous ferons tout en notre pouvoir pour accepter un rôle important et la part qui nous revient, mais nous ne pouvons pas tout assumer.
Le sénateur Wiebe: En tant que propriétaires de boisés, vous cultivez le sol, mais vous n'êtes admissibles à aucun programme destiné aux agriculteurs, par exemple l'ACRA, le PPCGP et autres programmes du même genre. Est-ce exact?
M. deMarsh: Au sens large, c'est exact. Nous constatons que dans certains cas il faudrait élargir la définition d'un agriculteur. Les modifications apportées au budget de 2001 sont un bon exemple où les dispositions relatives au report des gains en capital sur les transferts intergénérationnels ont été élargis pour pouvoir s'appliquer aussi aux propriétaires de boisés, moyennant certaines conditions. Nous avons trouvé que les conditions imposées étaient justes. Ces modifications ont été extrêmement stimulantes pour nous et ont contribué à encourager plus de propriétaires à intensifier leurs efforts en ce qui concerne l'aménagement des boisés, en sachant que la génération suivante pourrait poursuivre leur oeuvre sans avoir à assumer un lourd fardeau fiscal. Dans ce genre de choses, nous croyons que les politiques qui s'appliquent aux agriculteurs jouent un rôle positif et nous permettent de mieux faire notre travail.
Le sénateur Wiebe: Une fois qu'un boisé est établi, est-ce qu'un programme comme le CSRN, par exemple, vient en aide aux propriétaires de boisés?
M. deMarsh: S'agit-il d'un programme de stabilisation du revenu?
Le sénateur Wiebe: Tout à fait.
M. deMarsh: Nous y avons jeté un coup d'œil. Il faut que nous poursuivions nos démarches auprès du ministère fédéral. Je ne sais pas comme on réagirait si beaucoup de propriétaires montraient de l'intérêt pour ce programme, mais sur le plan du concept, cela nous intéresse.
Le sénateur Wiebe: Si le changement climatique se poursuit au même rythme rapide, c'est un secteur que l'on devrait peut-être examiner de près afin d'offrir certaines garanties aux propriétaires de boisés.
Le sénateur LeBreton: Je n'étais pas présente lors des réunions comme celle de Sussex, au Nouveau-Brunswick, ou même celle où il a été question de l'expérience irlandaise. J'ai quelques questions à poser, en me souvenant que j'ai été élevée sur une ferme laitière dans l'est ontarien.
Vous dites que vous représentez 425 000 familles ou propriétaires de boisés. Quelle est en moyenne la superficie d'un boisé familial?
M. deMarsh: Nos chiffres parlent de 45 hectares par propriétaire. Dans l'est et dans les Maritimes, le boisé type a une superficie de 100 acres. La superficie la plus courante est ensuite de 50 acres, et habituellement elle est le résultat de la division d'un lot de 100 acres.
Le sénateur LeBreton: Cela correspond à la superficie moyenne d'une exploitation agricole en Ontario.
M. deMarsh: Dans les Prairies, le boisé type correspond à un quart de section. Les superficies varient d'une région à l'autre du pays, mais ce sont à peu près les dimensions que l'on retrouve.
Le sénateur LeBreton: À part le boisement et la restauration, quels sont les principaux coûts que doivent assumer les propriétaires de boisés? Est-il question d' assurances contre les incendies et les infestations d'insectes?
M. deMarsh: La majorité des coûts, mis à part les frais des programmes sylvicoles, sont liés à la récolte. Ces frais comprennent notamment la construction de routes, de ponts, de ponceaux et ainsi de suite. Par ailleurs, il revient de plus en plus cher de se conformer aux lignes directives environnementales.
Le sénateur LeBreton: Y a-t-il des coûts rattachés à l'accès aux usines ou aux scieries? Est-ce que certains propriétaires de boisés ne sont pas propriétaires de leurs propres scieries?
M. deMarsh: L'exception confirme la règle. Certains d'entre nous possèdent des scies à ruban portatives, comme on les appelle. Mais c'est rare. La plupart du temps, le bois est vendu aux scieries et aux usines de pâte.
Le sénateur LeBreton: Si les propriétaires de boisés voulaient utiliser les terres agricoles non rentables ou abandonnées, seraient-ils forcés d'acheter les terres? Pourraient-ils prendre ces terres en location ou conclure des ententes qui leur permettraient de récolter les arbres qui s'y trouvent pour en faire des produits forestiers? Est-ce qu'en général ils achètent les terres?
M. deMarsh: De plus en plus, la récolte est effectuée par des entrepreneurs qui font de l'exploitation forestière à plein temps et qui achètent le peuplement forestier sur pied. Nous appelons cela la valeur du bois sur pied. Ils n'achètent pas la terre forestière, mais seulement le bois debout. Il est fréquent que cela se traduise par une coupe à blanc. La concurrence est de plus en plus forte pour l'approvisionnement en bois dans toutes les régions du pays. Le bois devient de plus en plus cher. En tant que propriétaires fonciers, nous en savons quelque chose. Même si le marché des pâtes et papiers et du bois d'oeuvre se trouve dans ce qui semble être une période creuse, nous sommes très réticents à voir les droits de coupe chuter. Par conséquent, lorsque des entrepreneurs font des soumissions pour obtenir des droits de coupe, les prix ont tendance à grimper de façon constante.
Pour justifier leur investissement, les entrepreneurs doivent déplacer le bois le plus rapidement possible. C'est pourquoi ils procèdent à des coupes à blanc qui ne sont pas acceptables sur le plan économique, social et de l'environnement. C'est un problème de taille que nous devons affronter. Bien des propriétaires de boisés coupent eux- mêmes leur bois. Ils font du bon travail en respectant la tradition de leurs ancêtres. Les méthodes sont très diverses et sont un mélange du pire et du meilleur. Ma réponse à votre question n'est pas simple, mais il est difficile de brosser un tableau de cette situation.
Le sénateur LeBreton: Lorsque vous parlez des marchés pour le bois de qualité inférieure, de quel bois s'agit-il? À quoi sert-il et quels sont les marchés pour ce type de bois?
M. deMarsh: M. Lazar a mentionné que la fermeture d'une scierie a souvent des répercussions sur les usines de pâte parce que leur matière première provient des sous-produits des scieries, c'est-à-dire des copeaux de bois. Nous avons toujours beaucoup d'occasions de vendre du bois de pâte aux usines de pâte. Il s'agit de bois de qualité inférieure, provenant d'arbres trop petits ou trop tordus pour être utilisés pour produire du bois d'oeuvre. Dans la hiérarchie de la qualité, on trouve le bois de pâte, le bois d'oeuvre et le bois de bonne qualité qui peut être transformé en bois de placage, plus particulièrement le bois franc.
Avant le bois de pâte, on retrouve le bois de chauffage, qui est un exemple évident. Même avant cela, lorsque l'on décide d'éclaircir un jeune peuplement dans le cadre d'un programme sylvicole, on peut couper des arbres de la hauteur de cette pièce; cela revient un peu au même principe que lorsque l'on éclaircit des carottes dans un potager. Les petits arbres sont éliminés afin de favoriser la croissance des meilleurs, de les espacer convenablement afin qu'ils poussent le plus rapidement possible. De nos jours, ces petits arbres sont laissés sur le sol. Ils représentent pourtant une source de revenus et d'énergie susceptible de contribuer au financement des programmes sylvicoles et de fournir des recettes additionnelles.
Si le bois de qualité inférieure est le résultat d'un programme sylvicole, qui est destiné à favoriser la croissance de la forêt, alors il ne vient pas grossir les émissions de carbone dans l'atmosphère. Dans certains cas, il peut même constituer un moyen de réduire les émissions de carbone. Et à tout le moins, ce bois représente une source neutre en carbone, contrairement aux hydrocarbures qui représentent une addition totale à la pollution par les émissions de carbone.
En ce sens, j'essaie de vous décrire la meilleure utilisation possible du bois en tant que source d'énergie, pourvu que l'on se dote des bonnes politiques et des bonnes conditions. Voilà un secteur important qu'il ne faudrait pas oublier alors que l'on s'efforce de plus en plus de trouver des sources d'énergie nouvelles.
Le sénateur LeBreton: Pour ce qui est du changement climatique, nous qui habitons dans l'est de l'Ontario savons très bien ce que vous voulez dire lorsque vous parlez des tempêtes de vent et de verglas. J'ai vu des images du paysage glacé du Nouveau-Brunswick qui m'ont rappelé des souvenirs. Vous avez mentionné la compensation pour les dommages subis lors d'une tempête de verglas et les pointes dans les revenus. Il est évident que vous devez vous occuper des arbres endommagés, que cela vous force à en couper plus que vous ne le feriez normalement au cours d'une même année et que cette récolte supplémentaire entraîne une augmentation soudaine de vos revenus.
Avez-vous dit que le gouvernement provincial vous permettait d'étaler ce revenu sur un certain nombre d'années, contrairement au gouvernement fédéral? Est-ce que des démarches sont en cours en vue de trouver une solution à ce problème?
M. deMarsh: Dans le cas de la tempête de 1998, le gouvernement du Québec a accepté un étalement du revenu sur les années suivantes. Mais il s'agit d'un événement isolé, destiné à répondre à des besoins ponctuels. Quant au gouvernement fédéral, il a refusé d'en faire autant. C'est malheureux. Toutefois, cette réponse négative ne visait que ce même événement. À notre avis, il nous faut établir des politiques afin de ne pas avoir à réinventer la roue chaque fois qu'il y a une catastrophe.
Le sénateur LeBreton: Pour mentionner les assurances, nous-mêmes avons subi des dommages considérables sur un petit terrain de 150 par 100, dans la région d'Ottawa. Les assurances ont-elles couvert les coûts? Dans un cas comme dans l'autre, est-ce que vos primes ont beaucoup augmenté?
M. deMarsh: Je vais vous répondre en deux parties. Il est impossible d'assurer une forêt pour un prix abordable.
Il faudrait que l'on collabore davantage avec des compagnies qui seraient prêtes à concevoir des polices d'assurance qui offrent une bonne protection à un prix raisonnable
Nos collègues américains dont l'organisation s'appelle l'American Tree Farm System, ont mis au point une police spéciale qui semble relativement abordable, puisqu'elle se situe dans une fourchette de 50 à 100 $ par 100 acres. Cette police spéciale s'applique tout particulièrement aux incendies, mais je suppose qu'elle pourrait être modifiée de manière à inclure aussi les dommages causés par le vent et la glace. C'est plus que ce que beaucoup d'entre nous voudraient dépenser, mais c'est un prix qu'un propriétaire pourrait envisager d'investir, plus particulièrement s'il s'agit d'une plantation de grande valeur. Il nous faudrait des produits semblables au Canada.
Le sénateur LeBreton: Est-ce que les propriétaires d'érablières font partie de votre association?
M. deMarsh: Ils le pourraient, mais à titre de producteurs de produits de l'érable, ils ont leurs propres organisations.
Le sénateur LeBreton: Mais leurs arbres ne vivent pas indéfiniment eux non plus. Je me demande durant combien d'années un érable à sucre peut produire. Est-ce qu'ils vendent les arbres lorsqu'ils ne sont plus productifs? Est-ce qu'alors ces arbres viennent rejoindre le marché de la production de bois de l'industrie?
M. deMarsh: Un érable peut produire durant trois ou quatre générations. Pour le propriétaire, ce n'est pas vraiment un problème. On obtient une quantité importante d'arbres lorsque l'on décide de créer un peuplement d'érables — une érablière — et que l'on veut éliminer les arbres de qualité inférieure ou qui ne conviennent pas. Lors de la tempête de verglas, les producteurs de produits de l'érable ont essuyé des pertes énormes et on a dû éliminer beaucoup d'arbres qui ont été perdus eux aussi.
Le sénateur LeBreton: Est-ce que le bois a pu être utilisé?
M. deMarsh: Le bois que produisent ces arbres est en général moins intéressant que celui qui provient d'une forêt aménagée pour la production de bois d'oeuvre.
Le président: Les arbres ont des trous pour recevoir les petits robinets.
M. deMarsh: En outre, un arbre que l'on destine à la production des produits de l'érable n'a pas les mêmes caractéristiques idéales qu'un arbre que l'on veut transformer en bois de placage ou en bille de sciage.
Le sénateur Fairbairn: Je suis originaire de la région la plus au sud du sud du Canada. Lorsqu'il est question des arbres de cette région, ce sont ceux du sud-ouest albertain. Peut-être que les gens ne font pas le rapprochement, mais il y a des arbres dans les contreforts, les vallées et, bien entendu, les montagnes.
Pour anticiper un peu sur ce qui s'en vient, la sécheresse que nous avons connue cette année n'a pas suscité beaucoup d'attention de la part des médias. Pourtant, l'Alberta a connu une dure sécheresse. Les scientifiques ont affirmé que si rien d'extraordinaire ne se produit ce printemps, 90 p. 100 des terres productives de l'Alberta ne produiront rien. C'est une situation extrêmement inquiétante.
Toutefois, dans notre région, la sécheresse sévit de façon irrégulière depuis une vingtaine d'années. L'épisode le plus récent dure depuis quatre ans. Dans les années 80, la sécheresse a été importante et sévère. Elle a frappé toute la province, et même des régions qui ne sont pas touchées habituellement.
D'après votre perspective, pouvez-vous nous dire dans quelle mesure les boisés qui se trouvent dans ces régions de l'Alberta ou de la Saskatchewan sont déjà soumis à des conditions sévères de stress en ce qui a trait à la production?
M. deMarsh: Je n'ai malheureusement pas de chiffres et ne peux donc pas vous répondre avec précision. Toutefois, je peux dire que lorsque les forêts privées sont situées dans des régions soumises à ce genre de stress — sécheresse, ravageurs, tempête de verglas dans l'est — si l'on est en droit de réunir tous ces problèmes et d'y voir la preuve du changement climatique, alors là oui, nous en subissons d'ores et déjà les effets.
Ces problèmes existaient déjà dans le passé, mais ils se produisaient sur une plus petite échelle et moins fréquemment. Il est difficile d'établir à quel moment ces conditions sont devenues une manifestation du changement climatique plutôt que des fluctuations normales, mais si plus tard on regarde en arrière, on pourra peut-être situer vers le milieu des années 90 le début du changement climatique. Je ne sais pas. Je suis incapable de vous répondre. Vous l'avez dit vous-même: «Il est évident que nous en subissons déjà les impacts.»
Le sénateur Fairbairn: Vous avez entendu les premiers témoins. Je ne vais pas me lancer dans une longue tirade, mais seulement vous demander votre avis. Même s'il ne s'agit pas vraiment d'une forêt, il reste que vous produisez quelque chose autour de quoi l'on construit des villes. Les gens comptent sur ce que vous faites et cela représente une partie importante de l'économie et une garantie sociale de la viabilité de leurs collectivités.
J'aimerais répéter ma question et vous demander jusqu'à quel point les changements que nous subissons représentent un risque réel de perdre certaines collectivités?
M. deMarsh: J'ai suggéré trois secteurs dans lesquels il faudrait renforcer les programmes publics. On pourrait m'accuser de vouloir refaire l'ordre du jour afin qu'il s'adapte au changement climatique qui est au premier plan des préoccupations aujourd'hui. Le même problème se pose pour ce qui est de la précarité de nombreuses collectivités rurales. Jusqu'à quel point l'incertitude actuelle et le manque de confiance sont-ils dus à la préoccupation au sujet des conditions climatiques et des problèmes qui y sont associés? Jusqu'à quel point est-ce dû aux conditions économiques et à d'autres tendances sociales à long terme? Il est difficile de faire la part des choses. Il est évident néanmoins que les conditions climatiques sont une source de stress pour nous, en tant que producteurs et aussi en tant que citoyens. Il faut dépasser l'étape des discussions et commencer à agir.
Le sénateur Fairbairn: Lorsque vous dites que cette situation ajoute un nouveau stress, on peut dire qu'il s'agit aussi d'une situation dont on ignore presque tout. Les gens qui vivent dans les campagnes ne sont pas très bien informés à ce sujet, même en ce qui touche les répercussions pour l'agriculture.
M. deMarsh: C'est l'incertitude, sans doute, ainsi que les preuves concrètes que des changements sont en train de se produire qui sont troublants et inquiétants.
Je peux donner l'impression de prêcher pour ma paroisse en affirmant que ces trois secteurs de programmes contribueront à atténuer les impacts du changement climatique. Je le dis en toute sincérité, et je ne nie pas qu'ils auraient aussi le mérite d'avoir d'autres avantages. Nous devons prendre des mesures qui auront un éventail d'effets positifs, y compris de nous rassurer sur le fait que nous accomplissons tout ce qui est en notre pouvoir.
Le sénateur Hubley: Nous comprenons d'après votre exposé que les gens de votre industrie sont sensibilisés au changement climatique et persuadés qu'il faut modifier notre façon de faire les choses afin d'éviter que les changements climatiques n'aient des répercussions encore plus graves. Dans quelle mesure les propriétaires de boisés sont-ils sensibilisés, de façon générale?
M. deMarsh: Mis à part l'important avantage que nous avons par rapport aux citoyens des villes d'avoir un lien plus direct avec les processus naturels, à la fois dans les moyens que nous avons de gagner notre vie et dans les endroits où nous avons choisi de vivre, nos opinions et notre niveau de compréhension sont à peu près les mêmes que ceux de n'importe quel autre citoyen. Nous représentons toute la gamme des opinions en faveur ou en défaveur du Protocole de Kyoto par exemple, et sur ce qui devrait être fait. Nous avons des divergences à savoir si par exemple les tempêtes de verglas sont des preuves de l'existence du changement climatique ou seulement des manifestations climatiques normales. Nous sommes représentatifs de tout l'éventail des opinions sur ces questions.
Le sénateur Hubley: Le changement climatique est une notion avec laquelle tout le monde est familier dans l'industrie.
M. deMarsh: Parfois, je me pose la question. Tout le monde se plaint que l'hiver est froid au Nouveau-Brunswick. Je raconte que j'ai grandi dans la région du centre du Nouveau-Brunswick dans les années 50, et que chaque hiver nous connaissions trois ou quatre nuits où le mercure chutait en bas de 40 degrés Fahrenheit. Je vivais à Toronto dans les années 60, et je suis retourné au Nouveau-Brunswick dans les années 70 et 80. Comme on pouvait s'y attendre, trois ou quatre fois le mercure descendait sous les 30 degrés Fahrenheit la nuit. Dans les années 90, il est rare qu'il descende en bas de 20 degrés. Cet hiver, nous n'avons même pas connu de température aussi basse que 20 degrés Fahrenheit. Il fait froid, et il fait de plus en plus froid au fur et à mesure que les années passent, mais il est évident qu'il y a un changement en cours.
Le sénateur Hubley: Les collectivités agricoles, les forestiers et les pêcheurs sont bien placés pour être les premiers à en ressentir les effets. Et il y a de l'information sur la question, comme nous l'ont appris les excellents exposés que nous avons eus sur le changement climatique. Il y a des gens en mesure de prévoir ce qui va se passer, et il semble que ces prévisions se vérifient. Nous savons qu'il y aura des changements à l'échelle de chaque région et que l'industrie forestière sera touchée à divers niveaux selon les régions du pays. Jusqu'à quel point les effets du changement climatique vont-ils se faire sentir sur les gens qui travaillent véritablement sur le terrain, c'est-à-dire ceux qui seront les plus directement touchés?
M. deMarsh: Nous ne faisons pas vraiment référence au climat. Nous faisons plutôt référence au temps qu'il fait, et il fait très froid dehors; c'est un hiver terriblement rigoureux. Nous avons désespérément besoin d'information de bonne qualité, région par région, afin que les chercheurs puissent nous dire, au meilleur de leurs connaissances, à quoi nous pouvons nous attendre pour ce qui est de la température et des précipitations, des espèces invasives et aussi pour nous expliquer ce qui va se passer avec celles que nous connaissons déjà. Nous savons que l'information est incomplète; mais nous en avons besoin.
Le sénateur Gustafson: Je suis intrigué par le parallèle que vous faites entre les propriétaires de boisés et les agriculteurs des Prairies, la région d'où je viens. Vous dites que vous devez affronter les mêmes problèmes. Est-ce que beaucoup de propriétaires de boisés ont un autre emploi afin d'essayer de joindre les deux bouts?
M. deMarsh: Les propriétaires de boisés possèdent en moyenne 100 acres ou 45 hectares, ce qui représente un revenu annuel de 4 000 $. Cette somme ne représente pas, dans la plupart des cas, un revenu annuel. C'est une source de revenu sporadique. Avec 100 ou 150 acres, il est clair que le revenu qu'en tirent les propriétaires correspond à un travail à temps partiel.
Le sénateur Gustafson: Il semble que l'on doive procéder à un certain réaménagement sur le plan de l'environnement et sur notre façon de faire les choses à cet égard. Les Européens, et on y a fait allusion en Irlande et aux États-Unis, semblent discuter d'environnement, de développement rural, d'agriculture ou de boisés. Ce matin, Archer Daniels Midland a annoncé sur CNN que nous devons accepter la responsabilité de nourrir le tiers monde avec notre agriculture. Pour y arriver, il faudrait réduire nos coûts de production. Nous ne pouvons pas les réduire encore davantage. Il faudra adopter une toute nouvelle approche à l'égard de ces quatre ou cinq secteurs de l'environnement au pays. C'est ce que les Européens ont tenté de faire. L'agriculteur ou le propriétaire de boisé ne peuvent assumer à titre individuel la responsabilité de ces importants facteurs. Je pense qu'il est impossible de répondre à cette question. Comment arriver à communiquer cela aux citoyens des villes, à nos gouvernements et à la population du Canada, parce que au bout du compte, tous et chacun d'entre nous vont gagner ou perdre, dépendant de l'approche que nous aurons choisie pour corriger la situation?
M. deMarsh: Deux obstacles s'opposent à l'amorce d'un dialogue sur ce sujet avec les Canadiens qui vivent dans les villes. Premièrement, pourquoi voudrait-on payer pour quelque chose que nous obtenons déjà gratuitement? À titre de propriétaires fonciers, on n'est pas pour autant propriétaires de l'eau. Il s'agit d'une ressource publique. Il en va de même pour la faune et pour l'air.
Deuxièmement, pourquoi devrions-nous vous payer, vous les propriétaires fonciers, pour que vous fassiez ce que vous avez à faire, c'est-à-dire prendre soin de votre propriété convenablement?
Le président: Il faut de l'argent pour cela.
M. deMarsh: Nous le savons très bien. Ce sont là les deux attitudes que nous devons faire comprendre aux citoyens des villes, avec tout le soin, la gentillesse et même la fermeté nécessaires, c'est-à-dire que toutes ces choses ne sont pas gratuites. Quelqu'un quelque part doit suer sang et eau pour que vous puissiez en profiter. Dans le cas des fermes familiales, l'écart qu'il y a entre réduire la production pour des motifs d'intendance des ressources, autrement dit la mise en réserve de terres agricoles, peut correspondre à l'écart qu'il y a entre survivre ou non. La précarité de la situation financière — et je suis persuadé que certains sénateurs le savent mieux que moi — est monnaie courante dans les collectivités agricoles de ce pays.
Ce qui me surprend le plus c'est à quel point l'intendance des terres s'effectue sans aucune forme de compensation, ou alors des compensations limitées et imparfaites, simplement parce que les propriétaires des terres, qui les ont eux- mêmes héritées de leurs parents depuis des générations ne connaissent pas d'autres moyens de s'en occuper. Je pense que l'on peut qualifier cette situation de miraculeuse. Il faudrait montrer plus de reconnaissance et de respect pour ces efforts.
Le sénateur Wiebe: Parmi les 425 000 propriétaires de boisés, combien assurent l'aménagement et la récolte de leurs terres forestières?
M. deMarsh: Je dispose de chiffres assez précis pour l'est du Canada, c'est-à-dire le Québec et les Maritimes. Nous considérons qu'environ 25 p. 100 des propriétaires récoltent chaque année. Si vous examinez la situation sur une période de cinq ans, ce chiffre oscille entre 25 p. 100 et 50 p. 100. Il n'y a pas de boisés dans les Maritimes ou au Québec qui s'apparentent à des forêts vierges. Elles ont toutes été récoltées, à un moment ou l'autre, au cours des deux derniers siècles.
Plus loin, dans l'ouest, la situation est différente. Il y a encore des régions du Canada où l'on accorde d'importantes subventions pour transformer les forêts en terres agricoles. Il arrive même souvent que les arbres sont brûlés parce qu'ils ont une valeur limitée sur le marché.
De toute évidence, la tradition de l'aménagement forestier est plus récente dans les Prairies, plus particulièrement. Toutefois, dans toutes les Prairies, certains propriétaires de boisés consciencieux font un magnifique travail sur le plan de l'aménagement forestier. Nous espérons que leurs associations, malgré qu'elles comptent relativement peu de membres en raison de leur jeune âge, se développeront et se perfectionneront au fur et à mesure que les forêts gagneront en appréciation, à la fois sur le plan de l'environnement et comme source diversifiée de revenu agricole.
Le président: Vous avez mentionné un peu plus tôt la culture des peupliers hybrides. Dans les régions où on les cultive, prend-on en considération les effets du changement climatique? Dans l'affirmative, quels sont les effets du changement climatique dont ont tient compte lorsque l'on plante cette espèce en particulier?
M. deMarsh: Je ne devrais pas essayer de répondre à cette question en détail, parce que des témoins l'ont déjà fait beaucoup mieux que moi sur le plan technique.
Toutefois, le gros avantage du peuplier hybride est qu'il pousse tellement rapidement qu'on peut le récolter au bout de 25 ans. C'est un avantage, si on considère le changement climatique qui, semble-t-il, devrait être moins marquant dans 25 ans que dans 50 ou 60 ans, qui est l'âge auquel habituellement on récolte l'épinette blanche ou les autres arbres marchands qui ont été plantés dans le passé. L'autre avantage qu'il y a à pouvoir récolter ces arbres dans 25 ans est que, si vous êtes déterminés à chercher des investisseurs privés, vous pourrez leur expliquer qu'ils peuvent s'attendre à obtenir un rendement intéressant sur leur investissement plus rapidement. Et pourtant, même avec une période d'investissement de 25 ans, il est impossible d'espérer un rendement suffisant pour intéresser un investisseur privé. Il faudra trouver des fonds publics, du moins pour les 10 ou 15 premières années, histoire de créer une possibilité de rendement pour des intérêts privés, si jamais vous pouvez en trouver.
Toute la question de l'échange des droits d'émissions de carbone est un autre élément qui change l'équation. C'est une source très prometteuse pour ce qui est de trouver des moyens de financement efficaces.
En ce qui touche les aspects techniques entourant la culture du peuplier hybride, on a mené des expériences significatives dans l'est ontarien qui remontent à quelques années. C'est un arbre dont la culture est difficile. Il nécessite énormément de soins. Il faut surveiller attentivement les problèmes liés aux maladies et aux insectes pendant tout le cycle de vie de l'arbre. C'est la raison pour laquelle bon nombre de propriétaires de boisés sont toujours sceptiques quant à ses qualités.
On a avancé que de nouvelles variétés pourraient présenter des améliorations, aussi nous pourrions nous montrer plus réceptifs si ces nouvelles variétés améliorées faisaient leur apparition.
C'est un arbre qui présente des difficultés. Étant donné que les conditions climatiques deviennent plus incertaines que jamais, nous voulons planter des arbres qui sont plus faciles à cultiver, et non le contraire.
Le président: Au nom du Comité, merci d'être venus à Ottawa et de nous avoir communiqué vos opinions et votre savoir.
La séance est levée.