Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 8 - Témoignages du 20 février 2003


OTTAWA, le jeudi 20 février 2003

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 32 pour faire une étude sur l'impact du changement climatique sur l'agriculture, les forêts et les collectivités rurales au Canada et les stratégies d'adaptation à l'étude axées sur l'industrie primaire, les méthodes, les outils technologiques, les écosystèmes et d'autres éléments s'y rapportant.

Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Bonjour, honorables sénateurs et bienvenue à une autre séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Lors de notre dernière étude, qui s'intitulait: «Les agriculteurs canadiens en danger», nous avons déterminé que les stress environnementaux constituaient une question si urgente pour l'agriculture au Canada que nous avons décidé d'entreprendre une étude approfondie sur les effets du changement climatique. Nous examinons les effets prévus du changement climatique sur l'agriculture, les forêts et les collectivités rurales du Canada et, ce qui est plus important encore, nous allons examiner de quelle manière ces secteurs peuvent s'adapter aux changements. Nous devons déposer notre rapport avant la fin de 2003 et nous espérons pouvoir le faire en juin ou, au plus tard, en juillet 2003. Aujourd'hui nous tenons notre dernière réunion avant de nous rendre en Saskatchewan, en Alberta et en Colombie-Britannique où nous entendrons le témoignage de scientifiques, d'agriculteurs et de nombreux autres groupes qui s'intéressent à la question que nous étudions, soit l'adaptation au changement climatique.

Aujourd'hui, nous accueillons des témoins de l'Institut agricole du Canada qui représentent les professionnels et les scientifiques qui travaillent dans le secteur de l'agriculture au Canada. Nous entendrons aussi des représentants de Canards Illimités Canada, un organisme bien connu qui se consacre à la conservation des terres humides dans notre pays.

Messieurs, je vous demanderais de bien vouloir vous présenter et de faire votre exposé après quoi les honorables sénateurs vous poseront des questions.

M. Ed Tyrchniewicz, président, Institut agricole du Canada: Honorables sénateurs, c'est pour moi un honneur et un plaisir d'avoir été invité à vous parler de cette question au nom de l'Institut agricole du Canada. M. Tom Beach est le directeur exécutif par intérim de l'Institut agricole du Canada, dont le siège se trouve ici à Ottawa. Je m'appelle Ed Tyrchniewicz et je suis président de l'Institut.

En guise d'introduction, comme vous l'avez dit, l'Institut agricole du Canada représente les agronomes professionnels et les scientifiques agricoles et c'est un organisme ombrelle pour les 5 500 professionnels qui se consacrent à l'avancement de l'agriculture sous toutes ses complexités.

Ce matin, je ne vais pas vous donner beaucoup de données scientifiques. Comme vous l'avez dit, vous allez rencontrer d'autres scientifiques. Vous avez entendu les représentants d'Agriculture et Agroalimentaire Canada. J'ai une certaine expérience personnelle du dossier du changement climatique et de l'agriculture et cet exposé reflète mon point de vue personnel.

J'ai une formation d'économiste agricole. En théorie, je suis à la retraite. J'ai été doyen de la Faculté d'agriculture et de foresterie de l'Université de l'Alberta. J'habite maintenant à Winnipeg. J'ai participé aux travaux de l'Institut international du développement durable. J'ai été membre du Groupe de travail sur le rôle de l'agriculture dans le changement climatique et, par la suite, du Groupe d'intégration du processus national sur le changement climatique.

J'ai participé à l'élaboration de diverses politiques agricoles et je connais peut-être mieux les aspects géopolitiques de la science que la science elle-même. Au cas où vous penseriez avoir le monopole de la politique dans ce domaine, permettez-moi de vous dire qu'il y a de la politique dans le monde universitaire et scientifique et les controverses qui entourent cette question s'y trouvent reflétées.

Bien que je sois président de cet institut, mes commentaires aujourd'hui reflètent essentiellement mon propre point de vue, celui d'un mordu de la politique agricole, ainsi que pourrait m'appeler une personne charitable. Je me suis intéressé à la politique du transport des céréales et, récemment, j'ai présidé une enquête publique sur le bétail, plus particulièrement sur l'élevage du porc au Manitoba. Il me plaît de croire que j'ai une idée de l'interaction entre ces différentes pièces.

En outre, j'ai un point de vue positif sur l'agriculture, son évolution passée et future, et vous remarquerez que j'ai choisi d'utiliser l'expression «possibilités d'adaptation». C'est ce que je vais essayer de refléter dans mon exposé, c'est- à-dire que le changement climatique nous pose des défis, mais qu'il nous offre également des possibilités.

En outre, je vous offre une perspective des Prairies, ce dont je ne m'excuse pas, et je remarque qu'il y a ici des sénateurs des Prairies. Mon point de vue n'est pas tout à fait celui de ce couple âgé qui, j'en suis convaincu, doit habiter soit au Manitoba soit en Saskatchewan, et qui, en apprenant aux nouvelles que Victoria et Vancouver ont reçu des chutes de neige sans précédent, s'exclame: «Oui, il y a un bon Dieu.» Je pense que mon approche est un peu moins émotive.

Ce que je vais essayer de faire, c'est en quelque sorte d'apporter de l'eau à la rivière, c'est-à-dire que je vais expliquer à un groupe qui le sait déjà très bien que l'agriculture est unique. Il est important, lorsqu'on examine cette question, de reconnaître que l'agriculture est différente des autres secteurs, même du secteur forestier, que je connais également.

J'aimerais parler un peu des éléments de changement climatique et de leur impact sur l'agriculture. Je serai bref, car on vous en a déjà parlé. Je vous donnerai un aperçu général des avantages et des problèmes du changement climatique et je vous parlerai de quelques possibilités d'adaptation.

J'ai très souvent parlé de cette question devant divers groupes, dont de nombreux groupes non agricoles. Il est parfois important de souligner que le processus agricole est un processus biologique qui dépend beaucoup du climat et de la température. Cette diapositive est une illustration pratique de ce qui peut arriver et des ennuis et de la frustration qu'on peut subir quand le temps et le climat s'en mêlent. Heureusement, cette photo n'est pas accompagnée de son. J'ai grandi sur une ferme dans la vallée de la rivière Rouge, au Manitoba, et nos tracteurs n'étaient pas aussi gros que celui- là, mais je me rappelle le langage imagé qu'utilisait mon père lorsque je faisais quelque chose de semblable avec le tracteur.

La variabilité du climat est un fait. Ce que j'aimerais que vous compreniez, c'est l'importance de la manière de gérer le risque dans le secteur agricole. On l'oublie trop souvent.

Il est important également de savoir que la plupart des éléments du secteur agricole fonctionnent sur les marchés mondiaux, que leurs marges sont étroites et qu'ils peuvent difficilement transférer leurs coûts à leurs clients.

Le processus d'élaboration des politiques, qui est intéressant, est une responsabilité partagée entre le fédéral et les provinces. Ce qui compte, ce n'est pas seulement les décisions que prennent les gouvernements provinciaux ou fédéral, mais également les compromis, et les honorables sénateurs connaissent certainement très bien l'art de l'élaboration des politiques que plusieurs ont décrit comme étant «l'art du possible». J'ai déjà enseigné la politique agricole et j'utilisais peut-être des termes un peu plus colorés pour la décrire: c'est un peu comme faire des saucisses — c'est affreux à voir, mais le résultat, si c'est bien fait et bien épicé, peut être tout à fait satisfaisant et utile.

On a aussi tendance à mettre l'accent sur les problèmes de revenu à court terme. Étant donné la situation du revenu agricole, pas seulement dans les Prairies, mais dans les autres régions du pays, il est parfois difficile d'intéresser les gens aux questions d'intendance de l'environnement ou du changement climatique s'ils ne savent pas comment rembourser leur emprunt à la banque l'automne prochain ou s'ils seront encore en affaires l'année suivante. Dans ce contexte, le changement climatique a de la concurrence.

Un autre nuage à l'horizon, c'est la perception que l'agriculture pollue et, dans certains cas, détruit l'environnement. J'ai participé à un atelier sur l'eau au Manitoba, mardi dernier, auquel ont participé 700 ou 800 personnes. Je peux vous assurer que l'agriculture y faisait mauvaise figure. Que ce soit juste ou non importe peu. C'est un cas où la perception passe pour la réalité et cela nous pose des défis.

J'aimerais maintenant passer à des questions fondamentales. Lorsque nous parlons du changement climatique, nous parlons de la température, des précipitations, de la variabilité qui, à mon avis, est l'aspect le plus important pour l'agriculture. Cette variabilité tend à se manifester par des phénomènes météorologiques plus extrêmes et cela nous ramène à la question de la gestion du risque.

Je ne veux pas m'attarder trop longtemps sur les aspects techniques de cette question. Vous connaissez bien les sources de gaz à effet de serre — dioxyde de carbone, méthane, oxyde nitreux. Cependant, j'aimerais revenir à ce qui distingue l'agriculture. Lorsqu'on examine le potentiel de réchauffement de la planète des trois principaux gaz à effet de serre, on constate qu'une tonne de méthane équivaut à 21 tonnes de dioxyde de carbone et qu'une tonne d'oxyde nitreux équivaut à 310 tonnes de carbone. Le public s'inquiète surtout des émissions de dioxyde de carbone. Selon des études de 1996 sur les émissions produites par l'agriculture — et les statistiques n'ont probablement pas beaucoup changé depuis — ces émissions contiennent seulement 3 p. 100 de dioxyde de carbone, 36 p. 100 de méthane et 61 p. 100 d'oxyde nitreux. Nous ne produisons peut-être pas beaucoup de tonnes, mais celles que nous produisons comptent pour beaucoup. Il est important d'en tenir compte lorsque nous parlons d'adaptation et de politique. Je ne vais pas parler des sources d'émissions.

Je voudrais dire quelques mots au sujet des avantages. J'ai lu la transcription de certaines de vos audiences. Des personnes très bien informées vous ont déjà longuement parlé de cette question. Je ne vais pas répéter ce qu'elles vous ont dit, mais je vais plutôt mettre l'accent sur plusieurs éléments essentiels pour l'adaptation. Il se peut que les degrés- jours augmentent et que nous ayons une plus longue saison sans gel. Ces commentaires sont fondés sur certains travaux de modélisation. Cela nous permet d'envisager différents types de cultures, peut-être une amélioration de la productivité et des déplacements importants. Comme je l'ai déjà dit, je m'intéresse surtout à l'agriculture dans les Prairies où l'on cherche à diversifier les cultures pour remplacer le blé. En outre, le dioxyde de carbone offre un potentiel de croissance. On pourrait entrer dans les détails. Cela présente certainement des avantages pour l'élevage du bétail. Lorsque les hivers sont plus doux, les coûts de l'alimentation du bétail tendent à diminuer. Il y a de nombreuses possibilités. Cependant, il y a aussi quelques préoccupations.

Je voudrais parler surtout de l'augmentation de la variabilité du climat. Cela peut se manifester par des inondations et des sécheresses. J'ai vécu l'inondation de 1997 au Manitoba. Ma mère habite juste à la périphérie de Winnipeg. J'ai appris à construire des digues et à reconstruire des maisons, ce que je n'avais pas appris à l'université et, pour être franc, j'espère n'avoir plus jamais l'occasion d'utiliser ces compétences.

Lorsqu'on envisage l'horizon plus vaste en ce qui concerne les sécheresses et les inondations, il se peut que la moyenne des précipitations n'augmente pas beaucoup mais ce qui est important, c'est la variabilité et l'intensité des inondations, des sécheresses, des orages et des tempêtes hivernales. Étant donné le caractère biologique de l'agriculture, je pense que cela comporte des aspects très importants.

Je tiens à souligner l'importance de l'humidité du sol dans les différentes régions du Canada. On a tendance à dire: «Il y aura plus d'humidité, donc, ce sera mieux», mais il y a des avantages et des inconvénients. Il y aura un plus grand nombre et une plus grande variété de mauvaises herbes et d'insectes — ces termes vous montrent bien que je suis économiste et non pas biophysicien. Cependant, un réchauffement de la température permet l'introduction de différentes sortes de mauvaises herbes. Le froid réussit merveilleusement bien à nous débarrasser d'un grand nombre de problèmes. J'ai participé à des travaux internationaux sur le stockage des céréales. J'ai été frappé par l'utilité d'un hiver froid pour nous débarrasser de certaines créatures qui infestent nos produits agricoles. Nous avons beaucoup entendu parler des sauterelles pendant la sécheresse des années 30 et elles sont en train de devenir un problème de nouveau.

Le président: Il ne suffit pas qu'il fasse froid; il faut aussi que le sol gèle.

M. Tyrchniewicz: Absolument.

Le président: Même à moins 40 degrés, s'il n'y a pas de gel, ça ne suffit pas.

M. Tyrchniewicz: C'est exact. J'ai habité en Alberta, où j'ai vécu un hiver beaucoup plus variable que celui du Manitoba où, selon la rumeur, nous gelons en octobre pour dégeler en juin. Lorsque j'ai étudié la situation dans le sud de l'Alberta — et le sénateur Fairbairn pourra en attester — je ne comprenais pas pourquoi les choses ne poussaient pas bien dans cette région et pourquoi il n'y avait pas d'arbres. Lorsque j'ai constaté les écarts de température, d'humidité et de vent, j'ai compris que ces facteurs ont un impact considérable.

Je crois savoir que nous allons utiliser ce vent pour produire de l'énergie renouvelable.

Le sénateur Fairbairn: On le fait déjà.

M. Tyrchniewicz: J'ai visité un parc d'éoliennes dans le sud de l'Alberta.

L'information au sujet de ces changements est presque dangereuse en quelque sorte. Je ne dis pas qu'elle est dangereuse parce qu'elle est fournie par Environnement Canada. J'ai travaillé de près avec Environnement Canada et Ressources naturelles Canada ainsi qu'avec Agriculture Canada. J'ai examiné de nombreux modèles. Cette illustration montre ce qui arriverait aux limites des écozones si la quantité de gaz carbonique ou son équivalent dans l'atmosphère doublait au cours des 50 prochaines années. À l'heure actuelle, il y a des Prairies dans le sud et la forêt boréale dans le nord. Les Prairies deviendraient semi-arides. On s'attendrait à ce que l'agriculture se déplace vers le nord. C'est tout à fait théorique, car pour faire de l'agriculture, il faut un sol arable. La structure des sols dans le nord du Canada n'est pas propice à ce genre de changement. C'est une mise en garde que je vous fais puisque nous parlons de l'adaptation et de nouvelles frontières pour l'agriculture.

Je ne suis pas convaincu que les frontières reculeront, soit physiquement ou géographiquement. Comme le sénateur Fairbairn le sait bien, la région de la rivière de la Paix en Alberta est très susceptible à la variabilité du climat. Les sols sont peu profonds et, par conséquent, les développements que nous souhaiterions voir ne sont pas très probables.

Cependant, je souligne ce point pour illustrer le fait que nous pouvons faire de fausses déductions à partir des données scientifiques et des modèles.

Je vais maintenant vous parler de l'adaptation. C'est avec une certaine fierté que je dis que l'agriculture a l'habitude de s'adapter au changement. Nous nous sommes adaptés aux nouvelles technologies, comme les tracteurs qui ont remplacé les chevaux. J'ai travaillé dans le domaine agricole toute ma vie. Je suis encore étonné par la faculté d'adaptation de l'agriculture à de nouvelles inventions comme le système mondial de localisation et les SIG, les systèmes d'information géographique. Nous nous sommes adaptés à l'évolution des marchés, comme le marché du blé, et à la croissance des marchés du canola et des produits de l'élevage, et cetera. Nous nous sommes adaptés aux politiques, que ce soit celles des autres pays ou les nôtres. Nous nous sommes adaptés aux changements des taux de fret des céréales dans l'Ouest canadien. J'ai présidé la commission d'enquête sur cette question vers le milieu des années 90.

Je suis convaincu que nous nous adapterons au changement climatique. Nous nous sommes habitués à la variabilité du climat, alors ce n'est pas comme si c'était quelque chose de tout à fait nouveau. Cela fait partie d'un continuum d'adaptation.

Je voudrais vous parler des secteurs où il y a, d'après moi, des possibilités d'adaptation. Je pense que ce sont des possibilités qui nous permettront de gagner sur tous les fronts. Il est difficile d'intéresser les gens au changement climatique lorsqu'ils sont préoccupés par leur revenu. Pour beaucoup de ces possibilités d'adaptation, j'essaie de mettre l'accent sur le fait que l'adaptation aux nouvelles technologies, aux nouvelles méthodes et pratiques aura un effet économique positif en plus d'être bénéfique pour l'environnement.

Le travail de conservation de sol n'est certainement pas quelque chose d'inhabituel. Cela se fait dans les Prairies, où l'on pratique le semis direct ou le travail réduit du sol. On utilise moins de carburant, il y a un potentiel de séquestration du carbone et il y a moins de jachère. Il y a aussi toute la question de la manière et du moment d'utiliser les engrais. Ce sont des techniques ou des pratiques qui procurent un avantage économique aux producteurs tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre et en piégeant le carbone.

Il y a ensuite la gestion du fumier. C'est une question tout à fait d'actualité. C'est une question de politique publique, et pas seulement une question de politique agricole. Elle fait intervenir des questions de politique et de perception plus vastes au sujet de ceux qui travaillent dans le secteur de l'agriculture. Par exemple, on a l'impression que nous jetons le fumier là où bon nous semble. Si c'est dans un ruisseau, cela nous fait moins de travail. C'est un portrait terrible qu'on dresse des agriculteurs, mais le fait est que cela se produit. Il y a deux dimensions à la gestion du fumier. Il y a le stockage. Je parlerai plus particulièrement des porcheries, car elles semblent susciter beaucoup d'opposition à l'heure actuelle.

La façon de régler le problème de l'entreposage ou de l'application du lisier est très simple: il suffit de moins le mettre en contact avec l'atmosphère. On peut recourir à un bassin couvert. On trouve sur le marché des produits comme les couvertures à pression d'air négatifs, que l'on peut recouvrir de paille. Le lisier n'est plus répandu par arrosage. Le plus souvent, il est injecté directement dans le sol. La formule présente des avantages, car le principal problème est celui de l'odeur. On pourrait en parler pendant longtemps. Je considère que l'odeur est avant tout un problème social. Grâce à ces bonnes méthodes de gestion du lisier, on peut se servir plus efficacement des éléments nutritifs. À mon avis, le lisier est un produit précieux de remplacement des engrais chimiques. Compte tenu de sa valeur, il faut l'utiliser efficacement. Voilà un potentiel à exploiter, et en plus, on peut ainsi réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Vous voyez ici un exemple d'injection directe du lisier dans le sol pendant les activités aratoires.

Il faut aussi parler des plantations brise-vent et des couvertures végétales permanentes. Ces solutions ont elles aussi un potentiel considérable. Sur ces photos, on voit le résultat de l'absence de couverture permanente et de plantations brise-vent. On reconnaît les Prairies. Sur l'image du haut, on voit ce qui se passe lorsqu'on utilise à la fois des plantations brise-vent et une couverture végétale permanente. On parvient à réduire l'érosion éolienne et hydrique et on crée un habitat faunique. Des représentants de Canards Illimités vont s'adresser à vous, et je ne ferai donc pas référence à l'habitat faunique, car je suis sûr qu'ils vont vous en parler.

Les plantations brise-vent constituent non seulement une bonne pratique de gestion, mais elles présentent en outre un potentiel de piégeage du carbone. J'ai dit tout à l'heure que pour l'agriculture, le défi était de réussir à réduire les émissions. On peut le faire en piégeant le carbone, et les plantations brise-vent constituent une bonne formule à cet égard.

Je voudrais dire quelques mots du stockage de carbone. La question présente plusieurs dimensions. Il y a d'abord le piégeage du carbone dans le sol, mais on peut aussi le piéger de façon industrielle grâce à des produits comme l'Isoboard. Voici une image de l'usine située à l'ouest de Winnipeg, où la paille est compressée et transformée en matériau de construction. On réalise actuellement une expérience dans la campagne manitobaine en utilisant de la paille pour fabriquer de l'éthanol. Nous avons découvert plusieurs méthodes novatrices qui devraient faciliter le piégeage du carbone. J'ai déjà parlé de l'éthanol, mais on pourrait débattre abondamment des avantages et des inconvénients de ce produit.

Enfin, j'aimerais dire quelques mots de l'échange de droits d'émission de carbone, et je vais vous expliquer pourquoi j'ai choisi un arc-en-ciel pour illustrer ce thème. Étant donné qu'il va falloir piéger du carbone pour montrer au monde entier que nous réduisons nos émissions de gaz à effet de serre, on a naturellement commencé à parler d'un marché d'échange des droits d'émission de carbone. Je suis économiste de formation. J'ai donné des cours sur l'analyse des prix, l'utilisation des marchés à terme, et cetera. Je dois reconnaître que la perspective d'un échange des droits d'émission de carbone est un peu plus lointaine que certains aimeraient le croire. La formule n'est pas inintéressante. J'ai dans mon sol du carbone qui représente une certaine valeur, mais je pose la question suivante: quelqu'un peut-il me dire à quoi ressemble une tonne de carbone? On peut parler d'une tonne de canola, d'un morceau de flanc de porc ou d'un baril de pétrole. Ce sont là des entités quantifiables, mesurables et vérifiables. Lorsqu'on parle d'une tonne de carbone, comme on le fait dans les débats actuels, comment peut-on la mesurer et vérifier si le carbone est bien présent dans le sol? Que se passe-t-il si l'agriculteur change de pratiques culturales? Je ne veux pas dire que c'est impossible. Cependant, nous avons encore du chemin à faire avant que l'échange des droits d'émission apporte la solution à nos problèmes.

Je m'en voudrais de ne pas illustrer certains points de vue sur toutes ces questions; voici deux compères, certainement des Prairies, dont l'un dit: «Il commence à faire froid.» Mets donc un autre volume des études de Kyoto sur le réchauffement de la planète dans le poêle! Voilà sans doute le défi que vous avez à relever, comme tous ceux qui s'occupent professionnellement de l'agriculture: comment dépasser cette attitude de cynisme?

Je suis sûr que vous connaissez bien les aphorismes de la Bible, notamment celui-ci: «Bienheureux sont les faibles, car ils hériteront de la terre.» J'en viens à la conclusion que ce n'est peut-être pas entièrement vrai. Je préfère proposer celui-ci: «Bienheureux sont les souples, car ils ne seront jamais déformés.» Voilà ce que doivent garder à l'esprit les professionnels de l'agriculture que nous sommes et les décideurs politiques que vous êtes. Peut-être accorde-t-on trop d'attention au Protocole de Kyoto et à ses effets négatifs sur l'emploi et sur différents secteurs de l'économie. J'aimerais qu'on fasse preuve d'un point de vue plus positif et qu'on y voie l'occasion de s'améliorer. Je comprends qu'en Alberta, sénateur Fairbairn, où j'ai vécu moi-même, ce protocole n'est pas considéré comme une occasion de progrès pour le secteur énergétique, mais on remarquera que certaines compagnies pétrolières s'intéressent à de nouvelles technologies applicables dans le secteur des combustibles fossiles. Il est important de considérer les changements climatiques comme l'occasion d'adopter de nouvelles technologies et d'améliorer sa façon de faire.

Comme je l'ai déjà dit, vous avez recueilli plusieurs témoignages sur les aspects techniques du problème. Agriculture et Agroalimentaire Canada procède actuellement à des travaux intéressants. La création du Fonds d'action pour le changement climatique, doté de 30 millions de dollars destinés à l'avancement des sciences et de la technologie, est un événement très important. Malgré tout, nous avons encore bien du chemin à faire. Lorsque j'ai été nommé à la table ronde sur l'agriculture et les changements climatiques, nous nous sommes efforcés de mettre en commun toutes nos connaissances. Elles étaient fragmentaires et présentaient bien des lacunes. Actuellement, on est en train d'identifier et de combler ces lacunes.

Avant de donner des ordres et de prononcer des interdictions, il faudrait combler les lacunes de la science. Il faut saisir toutes les occasions. Au lieu de rendre certaines mesures obligatoires, on pourrait peut-être adopter la formule des mesures volontaires pour ceux qui prennent des risques. Et c'est le cas des producteurs agricoles. Ils doivent gérer des risques. On pourrait les inciter à adopter de meilleures pratiques de gestion tout en apaisant leurs inquiétudes concernant les émissions de gaz à effet de serre.

M. Tom Beach, directeur général intérimaire, Institut agricole du Canada: Honorables sénateurs, je vais faire quelques commentaires concernant la perspective de l'Institut agricole sur la profession. Vous avez parlé de l'adaptation des sciences. Les professions doivent-elles aussi s'adapter au point de vue universitaire et au point de vue éthique lorsqu'elles participent au débat. L'adaptation est déjà une réalité dont on peut se réjouir, mais il faudrait la promouvoir davantage. J'ai contribué à un programme d'accréditation géré conjointement par l'Institut agricole du Canada et par l'Ordre des agronomes du Québec. On constate des changements qui résultent du rapprochement, par le milieu universitaire, de l'agriculture, de l'environnement et de la santé.

Il faut que les prochaines générations adoptent ces perspectives nouvelles. L'adaptation doit devenir systémique. On ne peut imposer l'adaptation par des politiques et des lois. Il faut que chacun y adhère.

Je voudrais aussi vous conseiller de ne pas prendre de décisions précipitées. Certains s'empressent de préconiser l'interdiction des OGM. À l'Institut agricole du Canada, nous parlons constamment de la production organique et des progrès scientifiques. Nous essayons de voir les choses objectivement. Les OGM constituent une option. Or, les gens ne savent pas de quoi il s'agit. Il ne faut pas y renoncer avant d'être mieux renseignés.

Le président: Il y a bien des pays, dont le Japon, qui ne seraient pas d'accord avec vous.

M. Beach: Je le sais, sénateur.

Le président: Merci de vos commentaires, monsieur Beach.

Monsieur Tyrchniewicz, vos commentaires sur les possibilités d'adaptation, ainsi que votre stratégie en cinq points, commençant par le travail du sol, nous seront très utiles. Les sénateurs ont quelques questions à poser, mais je compte bien revenir à ces sujets, qui vont au cœur même de notre étude. Nous avons déjà connu une certaine adaptation, mais où faut-il aller à l'avenir, aussi bien en matière d'exploitation forestière qu'en agriculture?

Le sénateur Wiebe: Quitte à m'écarter un peu du sujet, j'aimerais avoir votre point de vue sur l'adaptation sociale. Je vais vous raconter mon histoire. En 1970, j'ai construit une porcherie de naissage-engraissage de 80 truies. À l'époque, c'était considéré dans la province comme l'une des plus grosses exploitations. Nous réussissions à gérer le lisier à notre avantage. Sa valeur en tant qu'engrais nous a été très précieuse.

Aujourd'hui, quelqu'un qui construit une porcherie de la même taille est condamné à la faillite, parce que plus l'exploitation est grosse, plus on va récolter du lisier dont il faudra se débarrasser et plus on pose un problème à la société.

Deuxièmement, on incite les agriculteurs à passer à la culture sans labour. C'est un excellent changement, mais l'équipement nécessaire, notamment les gros tracteurs et les semoirs pour semis direct, coûte très cher. Il semble qu'à vouloir résoudre les problèmes de changement climatique, on se dirige vers un monde agricole où il n'y aura plus que des grosses exploitations. Comment réagissez-vous à cela?

M. Tyrchniewicz: C'est une question fondamentale dans le débat sur le changement climatique. Votre exemple concernant l'industrie porcine est particulièrement révélateur. J'ai présidé un groupe de travail sur la bonne intendance du bétail au Manitoba. On a assisté à une augmentation spectaculaire de la taille des porcheries et à une réduction aussi spectaculaire de leur nombre. Actuellement, il ne reste plus que trois groupes, deux fournisseurs de provende ainsi que Maple Leaf Foods, qui possède l'usine de transformation Maple Leaf de Brandon, ainsi qu'Elite Swine et Landmark Feeds. Ces trois sociétés représentent, avec les Huttérites du Manitoba, environ 90 p. 100 de la production. Il y a donc une concentration très nette de la propriété.

D'où la question: qu'adviendra-t-il des plus petits exploitants? Plusieurs d'entre eux devront tout simplement renoncer à produire du porc. Maple Leaf est le seul gros transformateur de porc au Manitoba. Cette société fixe les normes selon une formule appelée Assurance de qualité du Canada. Du point de vue de la qualité des intrants, c'est très bien, mais pour un petit producteur, il est beaucoup plus difficile d'atteindre les normes en question. On voit donc que diverses pressions s'exercent.

À mon avis, c'est là un défi pour la politique agricole. On a tendance à imposer des politiques «taille unique», alors qu'il faudrait considérer l'agriculture par segment. Au risque de m'éloigner moi aussi du sujet, je considère que l'agriculture se compose de deux éléments. L'élément commercial dépend des marchés d'exportation. Le Canada doit recourir aux moyens technologiques les plus récents et veiller à rester compétitif, non seulement sur son marché intérieur, mais aussi au niveau international. Ainsi, au Manitoba, nous exportons 90 p. 100 du porc que nous produisons, ce qui nous rend très dépendants des marchés américain et japonais. Je préférerais que l'on dépende davantage du marché chinois. L'efficacité est indispensable en agriculture, et c'est la technologie qui nous fait évoluer vers des exploitations de plus en plus grosses.

Mon dernier argument concerne la culture sans travail du sol. De nombreux céréaliers, sinon la majorité d'entre eux, ont maintenant des exploitations beaucoup plus grosses. Pour eux, il est très coûteux d'adopter ce genre de méthode. Vous avez parlé d'adaptation sociale. C'est sans doute une partie du problème. À différentes époques, les gouvernements ont essayé de favoriser l'adaptation sociale, sans toujours y parvenir, car c'est une question délicate. On parle parfois d'ingénierie sociale: où est-ce que les gens vont vivre? À quoi va ressembler leur infrastructure sociale?

Le président: Le sénateur Wiebe a posé une question sur le coût très élevé de la culture sans travail du sol. Quand vous avez abordé ce sujet, vous avez parlé d'économies d'argent et de combustible. Pourriez-vous nous donner des détails à ce sujet?

M. Tyrchniewicz: Il faut faire un compromis. Le coût en capital du matériel très coûteux doit être réparti sur une plus grande superficie. Comme il faut faire moins de passages pour couvrir un champ, on réduit les frais de main- d'oeuvre et de carburant. Je ne peux pas chiffrer exactement ce compromis. Lorsque vous irez en Saskatchewan, vous entendrez certainement des gens de Swift Current qui ont fait ce genre de calcul. C'est une question de compromis.

Le sénateur Wiebe: Au plan technique, j'aimerais qu'on revienne à ce que vous dites des émissions, avec le dioxyde de carbone à 3 p. 100, le méthane à 36 p. 100 et le nitrate à 61 p. 100.

Sur ces trois substances, je considère que le carbone, malgré son faible niveau, est celui qui pose le plus grand problème. La vie nécessite du carbone sous une forme quelconque. On nous a dit que le méthane disparaissait en dix ans en se dissipant dans l'atmosphère, grâce aux substances chimiques qui s'y trouvent. Certains nitrates sont utiles car ils retombent sur la terre sous forme d'azote, qui sera absorbée par les plantes. Faut-il s'inquiéter des deux autres substances autant qu'on s'inquiète du carbone?

M. Tyrchniewicz: Je considère qu'il faut s'inquiéter particulièrement des nitrates, car nos inquiétudes en matière de qualité de l'eau sont essentiellement causées par les teneurs en nitrate et en phosphore. Comme je l'ai dit, un grand forum sur l'eau vient de se tenir au Manitoba; on s'y est préoccupé de la quantité d'azote qui se retrouve dans nos cours d'eau. Il est important de dire ici que du point de vue de l'agriculture, ce n'est pas très important, mais ça l'est du point de vue de la société. Nous nous préoccupons du carbone parce que nous utilisons des combustibles fossiles.

La production agricole génère des nitrates. Par exemple, l'application d'engrais à l'automne engendre des quantités importantes d'oxyde nitreux. Si les conditions sont défavorables, cet oxyde nitreux est libéré dans l'environnement. Dans le cas de la production porcine, les nitrates risquent, selon la façon dont le lisier est traité, de s'infiltrer dans le sol et de polluer la nappe phréatique. Je ne pense pas que la société puisse se contenter de se faire dire que rien de tel ne se produira, ou que ce n'est pas un gros problème. On pourrait peut-être résoudre tout cela plus facilement, par exemple en adoptant des stratégies d'alimentation du bétail de façon qu'il produise moins de méthane, ou en réduisant l'oxyde nitreux par une amélioration des pratiques de gestion des applications d'engrais.

Le sénateur Wiebe: On accuse particulièrement les agriculteurs situés à proximité des cours d'eau ou des lacs, mais vous et moi, quand nous consommons de l'essence dans nos voitures, répandons aussi des nitrates dans l'air. C'est du moins ce que j'en comprends. Il en va de même de l'industrie. Comme on ne voit pas les nitrates qui polluent l'air, les particuliers et les industries s'en tirent à bon compte, mais on voit l'agriculteur qui applique de l'azote dans son champ, et on le montre du doigt. Je pense qu'il s'agit d'une responsabilité partagée: il faut voir combien les agriculteurs en mettent dans leur sol et combien la société en répand dans l'atmosphère par l'utilisation de véhicules énergivores. Avez- vous des chiffres qui désigneraient le vrai coupable?

M. Tyrchniewicz: J'aimerais avoir les chiffres par devers moi. De façon générale, je pense pouvoir dire que l'agriculture est la source la plus importante d'oxyde nitreux. Il est vrai que certains procédés industriels émettent aussi de l'oxyde nitreux. Quelqu'un connaît peut-être les chiffres, mais je dirais que l'agriculture représente environ 60 p. 100 de l'ensemble des émissions d'oxyde nitreux au Canada. C'est un chiffre approximatif. Il faut faire son mea culpa. Nous en sommes certainement autant responsables que quiconque.

Nous partageons les émissions de CO2 avec tout le monde. Les sources de méthane incluent les sites de décharge et les opérations minières, et cetera. Pour je ne sais quelle raison, les médias semblent aimer mettre l'accent sur les émissions de méthane provenant du bétail. C'est vrai que le bétail est responsable d'un pourcentage élevé, mais si l'on remonte dans l'histoire, le bison a fait la même chose.

Le sénateur Fairbairn: Merci beaucoup, messieurs, de votre exposé. Vous avez commencé par vous excuser d'être un mordu de la politique. Après vous avoir écouté, je dirais qu'il nous faut un plus grand nombre de mordus de la politique comme vous. Nous avons eu des séances extrêmement intéressantes et fascinantes, mais aussi très troublantes, car on nous a expliqué, à nous, simples profanes, les effets ultimes futurs du changement climatique. Vous avez fait valoir que peut-être, dans certains cas, nous nous sommes laissés distraire un peu par Kyoto et les émissions plutôt que de nous intéresser de plus près à ce qui se passe au sol. C'est une question de communication, pas uniquement pour le public, mais pour les agriculteurs eux-mêmes. Au moins, vous nous avez donné un certain espoir.

Le sénateur Chalifoux sait fort bien qu'en Alberta, de temps à autre, nous entendons parler de personnes très innovatrices qui se sont penchées sur la question de ce qu'il faut faire des déchets et qui ont trouvé des procédés de recyclage pour leur propre production sur leur propre terrain. On récupère et on utilise au lieu de jeter ou de s'attirer les critiques de ses voisins.

Je dois dire qu'à chaque fois que nous entendons parler de ce genre de chose, nous entendons aussi une réaction sceptique: «Ça ne fonctionnera pas» ou «C'est impossible» ou «Il y a quelque chose qui ne va pas ou qui ne va pas avec ceux qui en font la promotion si cela semble une option viable».

Avez-vous des commentaires à ce sujet du point de vue de votre continuum d'adaptation qui a toujours fait partie de l'agriculture? À cause de ce scepticisme presque automatique, nous perdons peut-être des occasions de mettre la main sur certains de ces procédés que des personnes, pas des groupes ou des chercheurs, ont mis au point et d'en tirer parti.

M. Tyrchniewicz: Voilà une observation bien pensée. Traditionnellement, l'agriculture a fait preuve d'innovation pour s'adapter. De nombreux aspects de la technologie viennent de développements agricoles. Toute l'idée du tracteur articulé à quatre roues motrices a vu naissance parce qu'un agriculteur s'amusait. Vous parlez peut-être de ce qui se passe dans le sud de l'Alberta, une colonie huttérite où l'on recueille le méthane pour produire de l'électricité. Il y a de nombreux exemples du genre. Oui, la plupart des entrepreneurs et des innovateurs font face au scepticisme. Je ne connais pas parfaitement cette opération particulière, mais je sais que plusieurs agriculteurs tentent de recueillir le méthane et de le recycler en énergie.

Nous avons également mentionné l'énergie éolienne plus tôt.

Le sénateur Fairbairn: J'allais y revenir.

M. Tyrchniewicz: TransAlta s'intéresse maintenant à la cogénération.

Évidemment, Manitoba Hydro est très sceptique en ce qui concerne l'ajout au réseau de ces activités de production d'électricité. Ce serait irréaliste de s'attendre que ce genre de production répondra à tous les besoins.

Il faut du capital de risque pour lancer certains de ces projets, et c'est peut-être là un de nos défis — où trouver le capital en agriculture? Il y a beaucoup de contraintes bureaucratiques dans le secteur privé comme dans le secteur public.

Pour revenir au point du sénateur Wiebe sur le fait de grossir, plus nous grossissons, plus il nous faut du capital de risque pour tenter certaines de ces choses.

C'est là qu'il y aura des innovations. Reste à savoir comment nous pouvons créer un environnement qui encourage l'innovation?

Le sénateur Fairbairn: Si vous n'avez pas d'expérience de l'énergie éolienne, vous éprouvez du mal à comprendre ce que c'est. Dans le sud-ouest de l'Alberta, on vit avec ça tous les jours. C'est là.

La technologie a permis d'ouvrir la porte qui a enfin rendu ce genre d'énergie viable. TransAlta est devenu un partenaire important et est maintenant propriétaire d'une exploitation agricole alimentée en grande partie en énergie éolienne à Pincher Creek et cela commence à s'implanter dans la région de Fort Macleod. Ce n'est pas un mythe. Il y a des oiseaux blancs géants dans les airs qui aident à faire fonctionner le réseau de transport en commun et qui éclaire l'édifice de TransAlta à Calgary. Ce sont là des arguments visibles pour contrer le scepticisme.

L'anecdote du sénateur Wiebe me rappelle quelque chose. Il y a de nombreuses années, mon père a été dans les premiers à préconiser l'élaboration du premier gros projet d'irrigation, à St. Mary's dans le sud de l'Alberta. Il était avant-gardiste, comme les jeunes hommes et les jeunes femmes qui ont pris part initialement à ce projet et qui passaient pour des rêveurs ou des fous. C'est grâce à ce système d'irrigation que le sud de l'Alberta a pu surmonter de nombreuses années de sécheresse. Beaucoup de gens, y compris les Mormons, ont apporté cette expertise.

Aujourd'hui nous sommes aux prises avec un autre genre de problème et, par l'entremise de gens comme vous, nous devons convaincre les Canadiens de s'intéresser à cette réalité et aider les gens sur le terrain qui mettent à profit leur créativité et leur collaboration, avec l'université, le centre de recherches de Lethbridge, afin de gagner le soutien qui leur permettra de trouver des moyens d'adaptation. Nous devons exposer la situation clairement pour que la population la comprenne et l'accepte. Ce qui est plus difficile, souvent, ce n'est pas d'amener les gens à accepter la réalité, mais à comprendre que le problème n'est pas insurmontable. On peut trouver des solutions. Beaucoup de suggestions que vous avez données aujourd'hui seront utiles.

M. Tyrchniewicz: Chaque difficulté est en réalité une occasion de dépassement. Ayant été doyen d'une faculté d'agriculture et de foresterie, je peux affirmer que beaucoup de ces mesures reposent sur des bases scientifiques considérables. Quelqu'un peut avoir une excellente idée en travaillant dans sa cour; il doit ensuite en examiner le fondement scientifique et être capable de passer d'une méthode rudimentaire à une technologie de masse. C'est à ce moment-là que le Fonds d'action pour le changement climatique peut jouer un rôle important en recueillant des données scientifiques et en permettant aux agriculteurs de travailler avec le centre de recherches de Lethbridge. J'ai siégé au conseil consultatif de la station pendant huit ans et j'ai vu des innovations fascinantes se concrétiser.

J'ai grandi sur une ferme qui n'était pas desservie par un réseau d'hydroélectricité. Nous avions notre propre éolienne dans le sud-est du Manitoba. J'ai grandi avec les éoliennes. Nous avions une série de piles. Nous n'avions pas tous les électroménagers, mais nous avions des lampes qui éclairaient beaucoup mieux que les lampes à l'huile. Beaucoup de ces techniques existent depuis longtemps; il s'agit de savoir en tirer parti.

En ce qui concerne les déchets, je crois que le compostage présente un potentiel extraordinaire. Il y aurait une demande pour de tels produits. Nous pourrions créer des débouchés et retourner ainsi beaucoup de déchets à la terre, comme nous le faisons avec le lisier de porc.

Le sénateur Fairbairn: Nous verrons peut-être des projets de compostage, entre autres, au centre de recherches de Lethbridge.

M. Tyrchniewicz: Mme Kathy Buckley est une personne très compétente qui travaille à Brandon. Vous devriez l'inviter à comparaître devant votre comité. C'est une zoologiste qui a fait beaucoup de travaux sur le compostage.

Le sénateur Ringuette-Maltais: J'aime votre approche d'économiste car étant originaire du Nouveau-Brunswick, province connue pour la culture des pommes de terre, je comprends les difficultés que les fluctuations du marché causent aux agriculteurs. Il y a longtemps, j'ai travaillé avec la petite localité agricole très unie qui faisait l'essai de la rotation des cultures. Les fonctionnaires d'Agriculture Canada qui font des recherches dans les provinces centrales ont fort à faire pour convaincre les collectivités agricoles de différentes régions du pays de diversifier leur production.

La production ne représente cependant qu'un aspect des risques. Les agriculteurs doivent aussi se renseigner au sujet des prix, des méthodes de commercialisation, et cetera.

Au cours des 10 dernières années, cette collectivité qui ne cultivait que la pomme de terre a commencé à produire des pois, du brocoli et maintenant des canneberges. Cependant, tout cela a commencé lorsqu'un agriculteur a pris le risque considérable d'essayer une nouvelle culture.

Le Fonds d'action pour le changement climatique pourrait-il servir à financer l'essai de nouvelles cultures dans les régions pour faciliter l'adaptation des agriculteurs?

M. Tyrchniewicz: Voilà une bonne question, madame le sénateur. J'y répondrai sur la foi de renseignements incomplets. Certains fonds ont été consacrés à la mise au point de pratiques de gestion bénéfiques qui sont axées sur l'industrie laitière, l'élevage du porc, l'élevage du bœuf et la conservation des sols. Si je ne m'abuse, ces trois secteurs ont reçu environ 17 millions de dollars. Ils collaborent avec les scientifiques d'Agriculture Canada et des universités à mettre au point de telles pratiques. Il est important de faire la démonstration de ces méthodes car les agriculteurs sont toujours très curieux et aiment savoir ce que font leurs voisins même s'ils peuvent parfois s'en moquer.

Je suis un ardent partisan de tels lieux de démonstration, que ce soit sur une ferme ou dans une station de recherche. L'Alberta s'est dotée d'un très bon programme de démonstration sur les fermes, qui relève de son institut de recherche agricole; les fermiers font l'essai de nouvelles méthodes, en partenariat avec les chercheurs. Les journées champêtres sont un élément essentiel de cette initiative.

J'aimerais ajouter quelque chose, particulièrement en ce qui concerne le changement climatique et la question des animaux. Beaucoup de gens ne s'inquiètent pas seulement des déchets animaux, mais également du bien-être des animaux. Ainsi, le Prairie Swine Centre a construit une étable comportant un lieu d'observation à l'intention du public. Pour des raisons de biosécurité, il faut éviter que les gens puissent circuler librement dans les étables, mais si on prévoit un lieu où les gens peuvent voir ce qui s'y passe, cela atténue les soupçons au sujet des pratiques agricoles et permet de montrer des nouvelles techniques. À mon avis, le gouvernement fédéral ou provincial devrait multiplier ce genre d'initiative.

J'ai invité les éleveurs de porc du Manitoba à mettre eux aussi sur pied des centres d'observation semblables. Vous avez posé une question très importante. Comment faire pour transmettre les connaissances aux intéressés? Bien sûr, on peut naviguer sur Internet, mais il est encore préférable de pouvoir voir de ses yeux comment les techniques sont appliquées.

Le sénateur Ringuette-Maltais: En ce qui concerne les marchés, les prix et ainsi de suite, vous avez mentionné qu'il y a une concentration d'entreprises de transformation et que par conséquent, les petits producteurs de porc ou de bœuf ont du mal à atteindre le seuil de rentabilité en raison du volume de leurs produits.

Cependant, les consommateurs se tournent de plus en plus vers des denrées qui diffèrent des produits fabriqués à grande échelle et en grande quantité.

Ce créneau prend de l'ampleur en raison de la sensibilisation de la population à certaines maladies. La part de marché des petits producteurs s'accroît. Leurs prix ne seront pas un obstacle tant que les consommateurs sauront que ce marché existe et sauront comment y avoir accès.

M. Tyrchniewicz: Vous avez tout à fait raison en ce qui concerne l'existence de marchés à créneaux. Sans entrer dans les détails, j'aimerais signaler certaines choses. Pour moi, l'expression «marché à créneaux» comprend non seulement la production biologique mais également d'autres types de production. Au Canada et dans d'autres pays industrialisés, les consommateurs sont en général très sensibilisés à la qualité et à la sûreté des aliments. Or, les petites entreprises doivent respecter les mêmes normes que les autres. Selon certains, les normes de production seraient plus rigoureuses dans les petites entreprises, mais ce n'est pas nécessairement vrai. Prenons l'exemple de l'élevage des porcs; les grosses fermes porcines doivent se conformer à des règlements très sévères. Les producteurs doivent avoir les installations techniques et la compétence nécessaires.

De son côté, le petit exploitant doit maîtriser une foule de domaines, comme il arrive souvent en agriculture. L'époque où l'on pouvait avoir cinq vaches, dix porcs, 50 poules et quelques bleuets est bien révolue. Le consommateur exige la qualité et la garantie que les aliments qu'il achète sont sans danger.

Cela nous amène au système de classement ou de vérification. J'utilise de préférence le mot «vérification», parce que c'est ce qui donne au consommateur l'assurance qu'un aliment répond à certaines normes de sûreté, même s'il provient d'une petite entreprise.

Il existe effectivement un marché, mais il sera plus difficile à certains égards de se tailler une place et de la garder.

Le président: Ce pourrait être le sujet de notre prochaine étude. S'il y avait une valeur ajoutée, ce sera utile.

Le sénateur Hubley: Je suis originaire de l'Île-du-Prince-Édouard. Nous avons un programme de recyclage et de récupération appelé Waste Watch, offert tant en milieu rural qu'en milieu urbain. Sa mise en oeuvre ne s'est pas faite sans heurts, mais nous en sommes très fiers maintenant. À deux occasions, nous avons dû procéder au compostage de quantités massives de pommes de terre. C'était notre première expérience du genre, mais elle s'est avérée rentable. Vous pouvez maintenant obtenir du matériel de compostage pour votre jardin et pour votre terreau d'empotage. Il existe des modèles.

Comme nous devons appliquer les meilleures pratiques agricoles dans la gestion des risques, pensez-vous que la population canadienne acceptera bientôt de payer pour cela?

M. Tyrchniewicz: Vous soulevez une question intéressante, madame le sénateur. Lundi dernier, j'étais à Saskatoon et j'ai discuté avec les responsables du volet du plan environnemental en agriculture qui relève de la politique agricole cadre. On m'a demandé de décrire les attentes de la population à l'endroit de l'agriculture, en ce qui concerne l'environnement.

Il importe de signaler que de moins en moins de gens comprennent ou savent ce que font les agriculteurs. Beaucoup d'entre nous connaissent personnellement des fermiers, mais c'est le cas de très peu de gens aujourd'hui. Et comme la population générale ne sait pas et ne comprend pas ce que font les agriculteurs, elle est méfiante.

Par ailleurs, beaucoup des attentes de la population, comme de beaux paysages de campagne et les habitats de différents animaux, sont en réalité des biens publics, si on adopte une perspective économique. Et pourtant on s'attend à ce que le producteur agricole en assume seul le coût. Il faut se demander si la population est prête à payer. Il existe différents moyens de le savoir. La conservation des milieux ruraux est un élément important de la politique agricole européenne.

Le sénateur Ringuette-Maltais: À votre avis, peut-on parler dans ce cas d'une vocation «multifonctionnelle»?

M. Tyrchniewicz: Madame le sénateur, c'est la vocation multifonctionnelle de l'agriculture, même si on m'a dit qu'il ne faut pas utiliser ce mot.

J'hésite presque à le répéter devant votre comité, mais j'ai dit au groupe de gens de la Saskatchewan que si nous n'aimons pas l'idée d'une vocation multifonctionnelle, nous pourrions peut-être demander ce que nous allons faire du papier, des piles et des pneus que nous jetons. On pourrait imposer une redevance pour l'environnement. Personnellement, je ne préconise pas cette mesure, mais j'écarte l'idée de prélever de telles redevances sur les aliments. On ajouterait un pour cent au prix de l'aliment au détail; l'argent ainsi recueilli serait réservé à une fin précise et ne pourrait disparaître quelque part comme le produit de la taxe sur l'essence. Cet argent servirait à fournir certains de ces biens publics que nous attendons de l'agriculture, on n'essaierait pas de le faire en levant un impôt général ou par le biais du marché.

Le sénateur Wiebe: J'ai suggéré à chacun des ministres des Finances du Canada d'imposer cette redevance d'un pour cent. Je me suis fait répondre, en gros, que les poules auraient des dents avant que cela se réalise.

M. Tyrchniewicz: Je ne pense pas non plus que les associations de consommateurs soient très favorables à cette mesure. Si j'ai soulevé cette option, cependant, ce n'est pas parce que je la préconise mais plutôt pour bien faire comprendre que nous attendons de l'agriculture bien d'autres choses que les aliments et que les consommateurs devraient payer pour ces choses.

Le sénateur Wiebe: J'ai fait cette suggestion au ministre de l'Agriculture parce que j'y souscris. Pour remédier à plusieurs des problèmes qui se posent dans le domaine de l'agriculture, il faut prélever une redevance sur les aliments. On obtiendrait ainsi les fonds nécessaires et toute la société devrait être prête à appuyer cette mesure.

Le sénateur Fairbairn: Il y a quelques mois, quand le coût de la sécheresse dans les Prairies est devenu évident aux boulangeries, un magasin d'une province de l'Atlantique a placé près de ses comptoirs de boulangerie des affiches indiquant que la hausse du prix du pain était causée par la sécheresse qui frappait les Prairies. Ces affiches ont peut-être amené les consommateurs à comprendre la situation bien plus que tout ce que nous pourrions dire.

M. Tyrchniewicz: Je tiens à signaler, honorables sénateurs, que les idées que je viens d'énoncer au sujet d'une redevance environnementale sur les aliments sont les miennes et que je ne m'exprime pas au nom de l'Institut agricole du Canada. Je pourrais être destitué si je laissais entendre que c'était la politique de l'IAC.

Le sénateur Wiebe: Notre société doit se rendre compte que nous consacrons une moins grande part de notre revenu à nourrir nos familles qu'on ne le faisait il y a 20, 30 ou 50 ans. La part de notre budget consacrée à l'alimentation est très faible par rapport à celle que devaient y consacrer nos pères et nos grands-pères.

M. Tyrchniewicz: Je ne sais si cela existe à Ottawa, mais à Winnipeg et dans plusieurs autres capitales provinciales on célèbre la Journée d'affranchissement de la note d'épicerie, et c'était le 8 février. Au 8 février, nous avons gagné assez d'argent pour payer notre facture d'épicerie pour l'année; cela équivaut grosso modo à 10 p. 100 de notre revenu. C'est un fait très important. Nos aliments sont parmi les plus sûrs et les plus nutritifs du monde, et ils sont bon marché.

Le président: Nous étudions le changement climatique et l'adaptation qu'il exige. En ouvrant la séance ce matin, j'ai indiqué que notre étude comporte trois volets. Le premier porte sur l'agriculture, le deuxième sur les forêts et le troisième sur les collectivités rurales. Je sais que vous représentez l'Institut agricole du Canada et non pas l'industrie forestière, mais j'aimerais vous demander si votre institut fait des études sur l'évolution du climat et l'adaptation des communautés rurales à ce phénomène.

Deuxièmement, toujours au sujet de l'adaptation, vous avez énuméré cinq stratégies qui sont très importantes à votre avis, par exemple l'abolition du travail du sol. Dans votre réponse à Mme le sénateur Fairbairn, vous avez également mentionné l'énergie éolienne et d'autres sources d'énergie. Vous n'avez pas mentionné des nouveaux types de semences, que ce soit pour la foresterie ou l'agriculture, mais c'est sans doute là une autre technique d'adaptation à laquelle il fait penser.

Quels types de recherches faites-vous à votre institut?

M. Tyrchniewicz: Je ne pourrais vous dire que l'IAC fait des recherches sur la génétique végétale ou les collectivités rurales, mais nos membres s'intéressent à ces domaines. Vous avez évoqué l'effet d'une communauté entière. Il existe des conseils provinciaux d'adaptation rurale. Au Manitoba, le Manitoba Rural Adaptation Council étudie les enjeux qui déterminent l'évolution de nos collectivités rurales et leur adaptation. Il faut des travaux sur les répercussions du changement climatique et d'autres agronomes s'en occupent également, mais pas l'IAC.

Pour revenir à la génétique végétale, j'ai siégé au conseil d'administration du Centre international pour la recherche en agroforesterie. Des scientifiques canadiens travaillant dans d'autres pays font énormément de recherches et nous appliquons leurs conclusions ici au Canada. Il y a par exemple le CIMNYT à Mexico, où se trouve le Centre de recherches sur le maïs et le blé. Une grande partie de la recherche fondamentale en génétique, par exemple la mise au point du matériel génétique, se fait dans d'autres pays pour ensuite être ramenée et adaptée au Canada. Les scientifiques et les agronomes qui font partie de l'IAC participent à ces travaux, mais il serait faux de dire que ces travaux sont menés par l'IAC.

Le président: Messieurs, je vous remercie d'avoir comparu devant notre comité aujourd'hui. Nous aimerions tous vous poser beaucoup d'autres questions, ce qui est bon signe car cela veut dire que vous avez stimulé notre réflexion. Votre témoignage nous a été très utile.

M. Tyrchniewicz: Je serais heureux de vous laisser ma carte professionnelle. En principe, j'ai pris ma retraite, mais si vous voulez plus d'information à propos de ces questions, n'hésitez pas à m'appeler.

Le président: Nous avons le plaisir d'accueillir deux représentants de l'organisation Canards Illimités Canada, Mme Rhonda McDougal et M. Barry Turner.

M. J. Barry Turner, directeur, Relations gouvernementales, Canards Illimités Canada: Je suis heureux de revenir devant vous pour parler du changement climatique. Vous vous rappellerez peut-être, monsieur le président, que le 8 mai 2001, M. Brian Gray et moi-même avons pris la parole devant le comité au sujet du Programme d'incitatifs pour l'implantation de cultures couvre-sol que notre organisation préconisait à l'époque. Il y a près de deux ans de cela. Dans notre témoignage à cette occasion, nous avons mis l'accent sur les terres marginales, les milieux riverains et les terres humides; votre collègue, le sénateur Chalifoux, présidait le comité à l'époque. Nous avons évoqué le potentiel des espaces verts qui seraient créés grâce au programme que nous préconisons pour la séquestration du carbone, dans le contexte du changement climatique.

Au mois de juin 2002, le Comité permanent des finances de la Chambre des communes a adopté, à l'unanimité, une motion à l'appui du Programme d'incitatifs pour l'implantation de cultures couvre-sol de Canards Illimités. La présidente a par la suite écrit à cinq ministères, responsables au premier chef des espaces verts, pour leur signaler que le Comité des finances appuyait fermement cette initiative.

Nous faisons des progrès. Nous allons d'ailleurs vous en faire part ce matin. Je me dois de féliciter le gouvernement pour avoir annoncé en juin de l'an dernier son cadre stratégique pour l'agriculture. L'un des piliers de ce cadre, c'est l'environnement qui inclut, comme l'a annoncé M. Goodale en Saskatchewan en juillet, l'initiative de cultures couvre- sol du Canada qui s'appuie sur ce que nous avons préconisé dans le cadre du Programme d'incitatifs pour l'implantation de cultures couvre-sol.

À Ottawa, le 4 février, il y a eu une conférence nationale sur l'avenir des terres humides au Canada. M. Brian Gray, qui m'accompagnait lors de ma comparution ici il y a presque deux ans, a fait une présentation en plénière pour Canards Illimités. Il a mis l'accent sur quelques-uns des points saillants du Programme d'incitatifs pour l'implantation de cultures couvre-sol et sur le lien entre les terres humides et le changement climatique. Mme McDougal va vous donner plus de détails à ce sujet ce matin. Nous serons très heureux de répondre à vos questions.

C'est la première fois que ma collègue comparaît devant un comité parlementaire quel qu'il soit. Je suis fier qu'elle ait pu venir de Winnipeg, sans grand préavis, pour se joindre à nous ce matin. Elle détient un doctorat en écologie des terres humides. Elle est également la fille d'un agriculteur du Manitoba. Elle vient du meilleur des mondes: un monde pratique parce qu'elle a grandi sur une exploitation agricole au Manitoba, et un monde de réussite universitaire.

Je m'excuse du fait que notre présentation n'est qu'en une langue. Nous n'avions pas les ressources voulues pour traduire notre mémoire suffisamment vite lorsque le greffier du comité nous a demandé de comparaître ce matin.

Sur cette note, Rhonda McDougal va faire notre exposé. Nous serons heureux ensuite de passer à la discussion.

Mme Rhonda McDougal, chargée de recherche associée, Recherche sur le carbone, Canards Illimités du Canada: Bonjour. Ce matin, j'aimerais vous parler d'une tentative énergique pour tenter de combler certaines des lacunes au niveau de la recherche qu'a mentionnées, à très juste titre ce matin, M. Tyrchniewicz pour ce qui est de puits de carbone et de gaz à effet de serre dans le contexte plus vaste du changement climatique.

Bien que le changement climatique au Canada soit une question très importante, j'estime que nous avons maintenant une occasion réelle d'offrir aux agriculteurs, aux jeunes agriculteurs comme mon frère soucieux de conservation, des options de gestion qui offrent des avantages agronomiques et environnementaux. Pour les chercheurs comme moi-même, qui essaient de mieux faire comprendre l'aspect scientifique des terres humides, c'est une occasion qui s'offre à nous tout comme aux sociétés de conservation comme Canards Illimités.

Voici l'une des premières questions que l'on me pose souvent: pourquoi Canards Illimités s'intéresse-t-il au carbone? Dans cette initiative de recherche et plusieurs autres, nous cherchons à mieux comprendre l'aspect scientifique des terres humides pour appuyer des politiques relatives à la planification environnementale dans le nouveau cadre stratégique pour l'agriculture.

Dans toutes nos initiatives de recherche, nous tentons de faire la promotion du rôle et des valeurs des terres humides dans le maintien de la qualité et de la quantité des ressources aquatiques et de la biodiversité au Canada.

Enfin, dans le cadre de cette initiative de recherche précise, nous tentons de promouvoir la conservation des terres humides comme composante future de la politique agricole en matière de puits de carbone.

L'initiative de recherche dont je vais vous parler aujourd'hui se déroule essentiellement dans la région des fondrières des Prairies, c'est-à-dire au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta. C'est là qu'est pratiquée 80 p. 100 de l'agriculture au Canada. C'est également un paysage parsemé de dizaines de milliers de terres humides. Ces terres humides existent dans les champs de chaque agriculteur; elles existent dans les localités rurales; elles existent dans les villes des Prairies.

Lorsque nous examinons des scénarios de changement climatique, il y a de nombreuses prédictions, mais celle que l'on retrouve le plus souvent, c'est que les petites terres humides des Prairies vont probablement s'assécher et disparaître, les terres humides permanentes — les plus grands systèmes — deviendront probablement saisonnières. Avec ce genre de changements en surface dans les eaux de cette région, la sécurité des eaux de source en quantité et en qualité sera de plus en plus menacée.

Dans les Prairies, un pourcentage élevé de familles d'agriculteurs et de localités rurales dépendent de sources d'eau en surface pour leur eau potable, celle de leur bétail et tous les autres besoins en eau. C'est donc une préoccupation réelle partout dans les Prairies où, tous les ans, mais surtout ces dernières années, l'eau se fait rare.

Avec l'assèchement des terres humides et leur disparition dans les Prairies, nous voyons également disparaître des espèces de plantes rares. Nous constatons une perte d'habitat, la perte de brise-vent et de saulets autour de ces systèmes. Par conséquent, nous allons perdre l'habitat d'espèces à risque, d'espèces qui utilisent ces endroits pour s'abreuver et se protéger des prédateurs à divers moments dans leurs cycles de vie.

De plus, à cause du changement climatique, avec la migration vers le Nord de l'activité agricole — c'est l'une des prédictions de ce qui se produira — nous verrons l'agriculture s'implanter dans des régions d'une plus grande densité de terres humides. En effet, la densité des terres humides est encore plus élevée dans les régions limitrophes de la forêt boréale au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta. La concurrence pour ces ressources augmentera les incidences dans ces régions.

De nombreuses personnes me demandent pourquoi j'examine les terres humides dans le contexte de l'agriculture puisque cela ne fait pas partie de la partie gérée de l'agriculture. Je réponds: que les terres humides soient ou non l'élément central d'une décision prise en agriculture, très souvent celles-ci se trouvent à souffrir des décisions prises.

Nous espérons que grâce à cette initiative de recherche sur cinq ans, nous pourrons examiner certaines des pratiques de gestion bénéfiques qui améliorent et protègent les écosystèmes des terres humides. Nous allons examiner tout particulièrement la protection des eaux de source, la préservation et l'amélioration de la biodiversité, et le stockage de carbone. À long terme, nous voulons favoriser une meilleure intégration de la gestion des terres humides, de la gestion de l'agriculture et de la gestion des forêts en vue d'une approche plus holistique ou plus globale.

Lors de la Conférence nationale sur l'intendance des terres humides du Canada qui s'est déroulée il y a quelques semaines, on a notamment avancé l'idée que l'avenir de la conservation des terres humides dépend des terrains privés. Canards Illimités est d'avis que de nombreuses activités sur les terres privées profitent à l'ensemble de la population. L'idée que la population peut profiter des activités de certaines personnes sur des terres privées doit être évaluée de façon à pouvoir assigner une valeur économique, une valeur sociale, et à faire comprendre à la population canadienne qu'il faut que tous les Canadiens paient pour ces services. Le coût de ce genre de biens publics ne doit pas être assumé uniquement par les agriculteurs à qui appartiennent ces terres.

Ce programme de recherche comprend des projets interreliés dans les trois provinces des Prairies. Il y a des sites de recherche dans la région des Prairies basses et des hautes herbes; dans la région de terres à parc, c'est-à-dire la région des parcs-forêts à trembles; et dans la zone de transition à la forêt boréale en Alberta, où nous examinons les plantations agroforestières, l'assolement annuel et les terres humides, le tout se retrouvant dans la même région.

C'est une approche globale. Nous voulons adopter une approche qui porte sur le paysage entier. Nous n'examinons pas simplement les terres humides de façon isolée, mais les terres avoisinantes, c'est-à-dire les terres agricoles où il y a des cultures, jusqu'à la région riveraine qui est constituée, dans les Prairies, en général d'une bande d'herbes ou de saules et d'arbustes autour d'une terre humide et dans la terre humide elle-même.

Nous manipulons certaines des pratiques de gestion des terres agricoles dans les zones sèches. On dit que «personne ne veut produire de carbone». Les agriculteurs prennent des décisions pour des raisons agroéconomiques, afin de pouvoir subvenir aux besoins de leur famille et de soutenir leur terre pour les générations à venir. Il est encourageant d'apprendre qu'un grand nombre de pratiques de gestion des terres qui ont été identifiées sont de bonnes pratiques non seulement sur le plan économique, mais sur le plan écologique et pour la protection des terres humides. Je veux parler de l'élimination des labours, de l'augmentation de la couverture permanente, surtout sur les terres délicates comme les terres humides; de la plantation d'un plus grand nombre de zones-ceintures d'arbres protecteurs, de la réduction des engrais azotés s'il risque d'y avoir déversement dans des cours d'eau.

Ce sont là autant de pratiques de gestion bénéfiques à plusieurs titres; elles sont aussi salutaires pour les terres humides. À long terme, la mise à l'essai de diverses pratiques de gestion des terres agricoles autour de ces zones humides aboutira à des solutions où tout le monde gagne.

Chacun de ces projets est conçu en fonction de l'endroit pour répondre à la question: quel est l'équilibre du carbone de ces terres humides? Chose intéressante, jusqu'à présent, il n'y a pas eu la moindre recherche sur l'équilibre du carbone des gaz à effet de serre dans ces zones humides des prairies. Les travaux sur lesquels nous nous fions au Canada ont surtout été réalisés dans les tourbières du Nord, de sorte que les chiffres pour la région des prairies viennent des régions septentrionales et des terres agricoles avoisinantes. Nous savons qu'il s'agit de systèmes biologiquement différents et c'est pourquoi il est essentiel d'effectuer ces travaux pour obtenir des chiffres réels. Autre facteur important, nous coordonnons activement nos travaux avec d'autres études relatives aux gaz à effet de serre au Canada.

Nous avons un groupe étendu de collaborateurs. Dans chaque province, les groupes sont dirigés par des chercheurs des universités de l'Alberta, du Manitoba et de la Saskatchewan. d'autres chercheurs appartiennent à Agriculture et Agroalimentaire Canada, au Service canadien de la faune d'Environnement Canada, à Canards Illimités, à l'Institut national de recherche sur les eaux et au ministère de l'Agriculture de l'Alberta.

Il s'agit de pédologues appartenant à des facultés d'agriculture. Nous les avons mis en contact avec des spécialistes des terres humides. Les pédologues apprennent rapidement ce qui se passe dans les terres humides. La première fois que nous les avons rencontrés, ils ont admis d'emblée ne pas dépasser le périmètre du champ lorsqu'ils font leurs travaux; comme les spécialistes des terres humides, nous avons reconnu ne pas examiner autre chose que l'herbe. Il s'agit ici d'un des premiers efforts d'interdisciplinarité destinés à englober le paysage dans son intégralité. C'est pourquoi nous avons tenu à rassembler un plus grand nombre de chercheurs pour améliorer nos chances de succès.

L'essentiel du financement de ces travaux vient de Canards Illimités Canada, mais nous avons aussi reçu des contributions des universités participantes puisque nous avons eu accès à leur infrastructure, nous avons également reçu des subventions du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, le CRSNG. Nous sommes activement à la recherche de partenaires de l'industrie dans ce domaine. Alberta Pacific Forest Industries vient de rejoindre le site de recherche dans la frange de transition boréale, où nous examinons l'agroforesterie et les pratiques culturales annuelles.

Nous sommes également en pourparlers avec de grandes compagnies de services publics. BIOCAP est un organisme financé par le gouvernement fédéral créé pour canaliser des fonds vers la recherche sur le carbone et les gaz à effet de serre dans les universités. La structure de BIOCAP est encore imprécise. Nous essayons toujours de nous y retrouver pour déterminer quelle est la meilleure manière d'aider nos partenaires de recherche des universités à obtenir une partie des fonds de BIOCAP.

Nous recevons actuellement une certaine somme par l'intermédiaire du Programme de recherche et de développement énergétiques (PRDE) grâce à Environnement Canada. Nous espérons élargir nos sources de financement dans le domaine.

Dans la région des prairies et des terres à parc, l'objectif premier, comme je l'ai dit, est d'étudier le paysage dans son entier. Rien de ce qui se produit dans les terres humides ne survient isolément de ce qui arrive dans les terres hautes avoisinantes. J'ai aussi dit que l'équilibre net du carbone dans ces terres humides est inconnu. «Équilibre net» s'entend de la différence entre la quantité de carbone stockée dans les sédiments que la quantité de gaz à effet de serre produit. Ce que nous espérons, c'est que lorsqu'on soustraira les émissions des quantités stockées, le solde sera positif. Même si ce n'est pas le cas, je vais vous montrer des chiffres qui montrent que ces terres humides sont des endroits où le carbone est prisonnier pendant de très longues périodes et n'est donc pas libéré dans l'atmosphère. Nous voulons que cela continue et nous ne voulons donc pas voir ces terres humides disparaître.

Le premier objectif de nos travaux est d'obtenir les quantités de carbone stockées en bordure des zones de terres humides et des zones riveraines dans toute la région des fondrières des Prairies, y compris la zone de transition boréale et celle des terres à parc. Le long de ces transects, nous allons examiner les flux de gaz à effet de serre, le dioxyde de carbone, le méthane ainsi que l'oxyde nitreux. Il y a eu une question tout à l'heure à propos de l'oxyde nitreux et du méthane et de leur importance relative en agriculture. Il est vrai qu'en agriculture, l'oxyde nitreux est le gaz le plus émis. C'est aussi un des plus importants à cause du risque de réchauffement planétaire qu'il fait courir. Il a en effet 300 fois l'effet dans l'atmosphère du dioxyde de carbone. Même si l'oxyde nitreux se décompose sur une période allant de huit à dix ans dans l'atmosphère, il a pendant cette période 300 fois le potentiel de réchauffement planétaire de l'atmosphère. Même lorsqu'il se décompose, ses constituants se lient souvent à d'autres dans l'atmosphère pour produire des phénomènes comme les pluies acides ou des particules de smog. L'oxygène peut se lier à l'ozone pour le décomposer et peut aussi faire partie de l'équilibre qui finit par changer le climat sur une période de 100 à 150 ans. C'est un élément important des gaz à effet de serre et l'un de ceux qu'il faut mesurer et combattre.

C'est la même chose pour le méthane, qui a 25 fois le pouvoir réchauffant du dioxyde de carbone. C'est un autre gaz avec lequel il faut être prudent. Dans les terres humides, le méthane est le grand coupable. C'est celui qui fait peur aux gens parce que l'on sait que les fondrières produisent sans doute la plus grande partie du méthane émis naturellement dans l'atmosphère à l'heure actuelle. Il y a de bonnes raisons biologiques pour lesquelles ces genres de terres humides dans les prairies canadiennes sont peut-être de beaucoup plus petites émettrices de méthane. Toutefois, cela n'a jamais été mesuré. C'est l'une des choses importantes que nous devons faire.

Même si nous sommes inquiets du méthane et de l'oxyde nitreux, il y a aussi deux gaz pour lesquels nous avons le plus de chances de faire des améliorations et de modifier l'équilibre agricole sur le plan des émissions. Un certain nombre de pratiques de gestion bénéfiques ont pour but de réduire les émissions de ces deux gaz en particulier. L'agriculture a ici une bonne chance de pouvoir réduire ces gaz de façon importante.

Il nous faut mesurer les raisons écologiques des phénomènes que l'on observe dans ces terres humides. Nous parlons ici de choses comme le gradient hygrométrique du sol, la quantité de nutriments dans le sol, d'où ils viennent dans le paysage, quel genre de végétation se trouve autour de ces terres humides et quelles sont ses interactions avec le genre de stockage du carbone que l'on observe et avec le mouvement des eaux à la surface.

Une des choses que nous trouvons le plus difficile est de mesurer ce genre variable de système. Les flux de gaz à effet de serre en provenance d'un champ varient même à l'intérieur d'une culture de blé sur un terrain plat. Un type hétérogène de terres humides contient divers genres de végétation, d'eau et de boue. Il y a beaucoup de variabilité dans ces zones et les scientifiques ont du mal à obtenir des chiffres qui ont une signification quelconque sur une grande échelle.

En particulier, nous allons gérer les terres hautes agricoles autour des terres humides. Nous allons évaluer les impacts de l'absence de labour par opposition aux pratiques traditionnelles de labour comme la jachère d'été et la modification de la surface de captation des eaux en faveur d'un couvert végétal permanent. Nous allons étudier la culture à l'intérieur des bassins de terres humides asséchées en période de sécheresse. La Saskatchewan est aux prises avec la sécheresse depuis l'été dernier et la situation va se répéter l'été prochain, si l'on en croit le niveau des nappes phréatiques. Une des premières indications que nous avons, c'est lorsque le cultivateur travaille le sol, une plus grande quantité d'oxygène est introduite et le carbone stocké dans le sol est converti en dioxyde de carbone et s'évapore dans l'atmosphère. C'est ce que l'on appelle l'effet champagne: tout comme les bulles quittent le champagne, le carbone quitte le sol sous forme de dioxyde de carbone au moment du labour. C'est l'une des raisons qui militent en faveur de l'absence de labour. C'est aussi la raison pour laquelle nous ne voulons pas que les agriculteurs travaillent les bassins des terres humides, sans parler du bouleversement complet de l'écosystème des terres humides même pendant les années sèches.

Nous allons examiner l'effet de la restauration des terres humides sur une période de 15 ans et sur le gradient climatique de la région des fondrières des prairies. Nous sommes en train d'élaborer un modèle du carbone spécifique aux terres humides et aux zones riveraines. Ce modèle sera relié à d'autres modèles nationaux du carbone. Un certain nombre de modèles solides sol-carbone sont en préparation dans l'agriculture, mais ces modèles ne peuvent illustrer l'hygrométrie des systèmes. Il nous faut un autre modèle pour illustrer l'intégralité du paysage.

Nous nous raccordons également à des études nationales. Nous avons activement sollicité la participation de chercheurs qui participent à des études nationales comme le Système national de vérification et d'émissions de gaz à effet de serre et de carbone d'Agriculture Canada. Il y a un certain nombre d'autres études sur ce paysage également. Nous ne travaillons pas isolément.

J'aimerais vous donner un aperçu général d'une zone d'étude appelée la Réserve nationale de faune St. Denis, au nord-est de Saskatoon, en Saskatchewan. Cette photo aérienne représente le paysage tacheté de petites terres humides. L'an dernier, toutes ces terres humides étaient sèches et elles le seront sans doute encore cette année. Nous entreprenons des travaux au moment que nous espérons être le plus sec de toute la période pour ces systèmes.

Pour une zone humide, un cycle humide-sec est sain et nécessaire. Cela permet à différentes espèces de plantes et d'animaux de croître et de prospérer à différentes étapes du cycle. Nous espérons que le cycle reviendra à sa période la plus humide du continuum au cours des cinq prochaines années. Tel a été en tout cas le régime des 30 dernières années d'archives tenues pour cette région. Tous les sept ans environ, la zone passe de la sécheresse à l'inondation puis à une période humide. Nous voulons évaluer le gradient hygrométrique et l'évolution du stockage du carbone dans ces eaux humides.

Cette photo montre le paysage au niveau du sol. Je suis sûr que certains d'entre vous sont allés dans des parties de la Saskatchewan, du Manitoba ou de l'Alberta qui ressemblent à ceci. Nous avons recueilli ces données l'été dernier. Dans la case appelée «Field», la case rose représente le nombre de tonnes de carbone organique dans le sol par hectare dans les sols agricoles de la région. L'écart de carbone dans ces sols est typique des champs agricoles de la Saskatchewan.

La case brune du premier panneau est un bassin de labour. Cela signifie que c'est une terre humide qui est actuellement cultivée et mise en culture. Vous constatez que le carbone dans cette terre humide est à l'extrémité supérieure du continuum même lorsqu'elle est mise en culture.

Les deux autres cases représentent le transect de carbone que nous avons mesuré à travers deux des zones humides de la région. La case rose représente le carbone dans le sol agricole. La case verte représente le carbone dans les zones riveraines composées d'herbes mixtes et de petits saules. Les cases brunes représentent le carbone dans la terre humide elle-même.

Dans le bassin 120, on retrouve la même case rose qui donne le carbone agricole; la verte représente la zone riveraine; et la brune le carbone de la terre humide, qui est trois fois plus élevé que le carbone dans le sol agricole voisin.

Le bassin 117 est intéressant parce que cette terre humide a été labourée et mise en culture pendant un an il y a environ cinq ans. Nous avons des questions à propos du labour dans les bassins des terres humides et l'effet que cela a sur la quantité de carbone dans le sol. C'est quelque chose que nous allons suivre dans les cinq prochaines années.

Les chiffres élevés de carbone doivent être comparés avec le genre d'émissions de gaz à effet de serre provenant de ces systèmes. Ces mesures sont actuellement en train d'être faites. Toutefois, comme elles varient tant dans le courant de la journée, de la saison ou de l'année, il faut plus de temps pour établir un chiffre moyen que l'on peut soustraire de ce genre de carbone organique du sol. Les chiffres de carbone organique du sol sont stables. Il faut cinq ans pour mesurer tout véritable changement du carbone organique du sol en fonction de l'évolution des terres étudiées.

Nous avons beaucoup de travail à faire ici. C'est une étude très intéressante qui a tout juste commencé l'année dernière. Nous sommes arrivés environ à mi-chemin de la liste de choses à faire. La recherche se poursuivra tout au long de la présente campagne sur le terrain. Nous prévoyons y aller dès que la neige commencera à fondre dans les Prairies. Lors de la fonte des neiges au printemps, il y a beaucoup d'humidité et c'est à ce moment-là que commence l'activité microbienne. Il y a de fortes émissions de gaz à effet de serre à ce moment-là et nous voulons être en mesure de saisir cette information.

Cette recherche est importante tant pour les décideurs au niveau national que pour l'ensemble du secteur agricole. La communication peut être frustrante parce que le secteur agricole se compose de nombreux particuliers qui travaillent dans leur propre exploitation agricole et qui essaient de décider de la chose appropriée à faire le printemps suivant au moment des semailles. Je sais que durant l'hiver, mon frère passe beaucoup de temps sur Internet et en réunion pour tâcher de déterminer ce que l'on considère comme la meilleure chose à faire.

Canards Illimités a élaboré un programme de sensibilisation qui permet d'offrir des programmes aux agriculteurs afin de les aider entre autres dans le cas du blé d'hiver et de l'établissement d'une couverture végétale permanente. La gestion des terres humides qui renferme du carbone peut être une autre question à propos de laquelle Canards Illimités peut contribuer à distribuer de l'information aux agriculteurs chez eux. C'est un aspect très important de cette étude.

Le président: Je vous remercie pour vos excellents exposés. Vous nous avez très bien expliqué le changement climatique et ses répercussions futures sur les terres humides, mais vous ne nous avez pas indiqué quelles seraient les conséquences négatives ou positives pour les canards et les oies qui fréquentent ces terres humides.

Mme McDougal: On a fait une étude préliminaire sur les répercussions du changement climatique sur les aires de repos et de reproduction de la sauvagine. Cette étude a présenté un scénario négatif d'assèchement des étangs dans l'ensemble des Prairies, ce qui obligerait la sauvagine à se déplacer plus au nord pour trouver un habitat similaire dans la zone de transition boréale. Les terres humides sont semblables là-bas mais il y a des arbres sur ces sites.

Il y a quatre ans, Canards Illimités a entamé de vastes recherches dans la région de la forêt boréale pour déterminer comment ces régions assurent la subsistance de la sauvagine. La végétation migrera aussi vers le nord, mais plus lentement que la migration de la sauvagine vers le nord.

Le président: Cette migration vers le nord a-t-elle eu lieu à l'heure actuelle?

Mme McDougal: Apparemment, il y a migration vers le nord. Il y a un plus grand nombre d'espèces de canards qu'auparavant qui font leur nid dans la forêt boréale. Il est probable que les conséquences sur les habitudes migratoires de la sauvagine en Amérique du Nord seront importantes, ainsi que sur un grand nombre de petits et gros mammifères qui ont établi leur habitat dans les Prairies et qui utilisent ces systèmes comme points d'eau. Si ces points d'eau disparaissent, ces animaux migreront eux aussi vers le nord.

Le président: J'ignore si vous avez eu l'occasion de lire les transcriptions pour prendre connaissance de ce que d'autres témoins ont dit au comité, surtout à propos des problèmes qui existent dans les Prairies, où vous êtes en train de faire votre étude. Cependant, a appris que malgré une participation accrue, l'agriculture dans les Prairies devra faire face à d'importants déficits en eau et la gestion de l'eau sera plus importante que jamais, surtout si on établit des systèmes d'irrigation. Nous avons également appris qu'aujourd'hui, les terres humides jouent un rôle dans la régulation de l'eau.

Les terres humides pourraient-elles permettre de régler la question du déficit en eau des Prairies? Dans l'affirmative, de quelle façon? Combien d'acres de terres humides nous faut-il pour protéger et garantir l'approvisionnement en eau si le climat des Prairies s'assèche? Est-ce possible?

Mme McDougal: En ce qui concerne la deuxième partie de votre question portant sur le nombre d'acres dont nous avons besoin, je ne peux pas y répondre aujourd'hui. C'est un aspect sur lequel on s'interroge. Je pourrais essayer de trouver s'il existe des renseignements plus à jour.

Le président: Pourriez-vous nous donner une réponse approximative?

Mme McDougal: Les terres humides jouent effectivement un rôle important pour ce qui est de conserver l'eau des sites. Si le changement climatique réduit la taille de ces terres humides et que nous constatons d'autres conséquences, alors nous constaterons des conséquences sur la qualité de l'eau. Je n'ai pas vraiment de chiffres concrets pour appuyer cette hypothèse, mais il y a d'autres personnes qui étudient cette question. Nous pourrions vous fournir cette information. M. Turner a peut-être quelque chose à ajouter.

M. Turner: Monsieur le président, il est difficile de fournir une réponse chiffrée à votre question. Cependant, lorsque nous avons comparu devant le comité en mai 2001, le sénateur Fairbairn a indiqué que dans sa jeunesse à Lethbridge, il y avait des terres humides partout et de la sauvagine en abondance et des chasseurs de toutes les régions des Prairies, de l'est du Canada, des États-Unis et du monde entier allaient dans sa région. Si je cite l'honorable sénateur correctement, elle a dit: «Ce n'est plus le cas. Il n'en reste pratiquement plus.»

Nous, qui cherchons à influer sur les politiques et les honorables sénateurs, qui décident des politiques, devons vraiment examiner l'ensemble de la situation et voir comment nous avons tenu nos terres humides et nos ressources aquatiques pour acquis. Indépendamment des répercussions du changement climatique, les études scientifiques peuvent établir que les terres humides non seulement retiennent le carbone, mais qu'elles absorbent aussi le carbone, et c'est ce que nous sommes en train d'étudier.

Il existe une petite ville en Saskatchewan qui s'appelle Kuroki et qui compte environ 200 habitants. Le printemps dernier, les puits de Kuroki se sont asséchés. À quelques kilomètres de la ville, Canards Illimités avait des terres humides de 43 hectares. Lorsque nous nous sommes rendu compte que l'approvisionnement en eau de la ville devrait se faire par camion, nous lui avons proposé de s'approvisionner à même nos terres humides. Nous n'avons pas l'habitude d'agir ainsi mais comme nous avions protégé ces 43 hectares de terres humides, la ville de Kuroki a pu s'approvisionner en eau l'été dernier grâce à nos terres humides. Si on transpose cette situation dans la région des îlots de milieu humide des Prairies, si on examine la situation d'ensemble du changement climatique et d'ailleurs comme Mme McDougal nous l'a indiqué, ces îlots des Prairies s'assèchent à un rythme jamais vu. Nous devons alors nous demander ce que nous sommes en train de faire à notre environnement.

Les répercussions du changement climatique et le carbone sont des éléments du problème et l'eau en est un autre. Comme le juge O'Connor l'a dit à la fin de l'enquête sur la tragédie de l'eau contaminée à Walkerton, nous devons maintenant examiner et gérer les bassins hydrographiques et non simplement les petits étangs qui se trouvent près d'une ville ou d'un village.

Nous demandons aux honorables sénateurs de réfléchir à l'énorme importance de l'eau et des terres humides pour notre vie et nos collectivités. Nous devons aborder cette question non simplement sous l'angle des émissions de carbone et du changement climatique, mais aussi sous l'angle de la qualité de vie. Le village de Kuroki en est un exemple classique.

Le président: Canards Illimités a beaucoup contribué à sensibiliser les Canadiens à propos de ces terres humides.

Le sénateur Wiebe: J'aimerais poursuivre dans le même sens, surtout en ce qui concerne la diapositive 3. Je tiens tout d'abord à dire que j'admire depuis longtemps le travail de Canards Illimités. Je vous en félicite et je vous remercie du travail que vous faites et que vous continuez de faire.

J'aimerais revenir à une déclaration faite par l'un des scientifiques qui ont comparu devant nous. Nous discutions du fait que si nous voulons de l'eau, il faut avoir de la chaleur, parce que la chaleur cause de l'évaporation, ce qui humidifie l'atmosphère. Il a indiqué que nous ratifions Kyoto ou non, le mal est déjà fait. Nous aurons de longues et extrêmes périodes de chaleur et de longues périodes d'humidité. Cependant, alors qu'auparavant la pluie serait tombée sur une période de trois jours, nous recevrons la même quantité de pluie en une heure et demie environ. C'est le genre d'adaptation que l'on envisage et comment nous adaptons-nous à ce genre de choses?

Le cas que vous avez cité à propos de la petite collectivité située en Saskatchewan est un exemple d'une situation où cette petite zone de terres humides a été conçue pour conserver la pluie qui était tombée au cours des années précédentes. Nous devons commencer à envisager de recourir davantage à cette méthode pour nous adapter et pour permettre aussi à notre faune de s'adapter.

Ma ferme est située le long des rives du lac Diefenbaker, dans la partie sud-ouest de la Saskatchewan. Lorsque j'ai commencé à exploiter mon entreprise agricole là-bas, c'était simplement une rivière. Il n'y avait pas d'oies qui survolaient nos terres. Elles passaient ailleurs. On a alors construit un barrage et depuis il y a près de ma ferme un plant d'eau d'un mille de large. La trajectoire des oies a changé et elles ont commencé à survoler nos terres. En tant qu'agriculteur, nous avons dû procéder à certains ajustements à cause de la présence des oies. Le problème n'était pas tant les oies, mais davantage les chasseurs qui venaient y chasser. C'était une question de sensibilisation et il fallait que les chasseurs se rendent compte de la valeur de ces terres.

Au cours des quatre dernières années, même si le barrage et l'eau sont toujours présents, j'ai constaté que les trajectoires de vol semblent de nouveau se modifier. Nous n'avons plus autant de bernaches. Est-ce que la faune, à l'instar de l'environnement, commence à être influencée par le réchauffement de la planète? Je voudrais savoir ce que vous en pensez.

Mme McDougal: Il y a probablement des effets visibles. La modification du parcours des bernaches est probablement plus étroitement liée à la période de sécheresse que nous traversons actuellement dans les Prairies. Cela se poursuivra-t-il plus longtemps que ce ne se serait produit avant que n'intervienne le réchauffement de la planète? Voilà une question à laquelle nous ne connaissons pas la réponse.

Nous savons que les sauvagines réagissent rapidement aux indices du paysage. Si elles ne volent plus au-dessus du lac Diefenbaker, c'est parce que, plus au nord, il n'y aucune terre sur laquelle elles pourraient se poser. Elles choisissent donc d'aller plus à l'est, en traversant le Manitoba où, l'an dernier, il y avait beaucoup d'eau. Les schèmes de vol se modifient rapidement sur une durée d'un an ou deux. Cela est-il ou non lié entièrement au réchauffement de la planète à long terme? Il faudra une personne mieux informée que moi pour vous donner cette réponse définitive.

Pour ce qui est de la capacité de rétention en eau du paysage, précisons que beaucoup de zones humides se trouvent manifestement au niveau le plus bas du paysage, où elles sont idéalement situées lorsqu'il y a des pluies torrentielles et des inondations. Cela dit, au cours des 15 ou 20 dernières années, pendant les périodes de sécheresse, beaucoup de ces zones basses ont disparu à cause du creusement de fossés, du drainage et du nivellement au bulldozer. Dans la mesure où nous nivelons tout le paysage, nous perdons les réservoirs naturels qui conservent les eaux pluviales.

Dans la région de la vallée du Mississippi, aux États-Unis, on a prouvé qu'en se débarrassant de pratiquement toutes les zones humides de la région, on a fini par causer l'inondation de deux ou trois grandes villes. Au lieu de corriger cela par des travaux d'ingénierie, tels que le creusement de fossés, les autorités ont dépensé des milliards de dollars pour rétablir les zones humides dans cette région de la vallée fluviale. Elles ont ainsi réussi à disposer de bassins récepteurs qui contiennent les pluies torrentielles plutôt que de leur permettre de se déverser immédiatement dans le Mississippi.

Les provinces telles que le Manitoba doivent étudier ces questions de plus près. Nous avons des problèmes d'inondation le long de la rivière Rouge, mais nous devons examiner sérieusement nos bassins récepteurs naturels le long de ce paysage et nous assurer de les maintenir. Du fait du drainage et du labour des zones humides, elles sont en train de disparaître des prairies bien plus vite que cela se produirait s'il n'y avait que le réchauffement de la planète. Nous devons nous occuper de cela.

M. Turner: Il y a, bien sûr, des fluctuations naturelles des populations d'animaux sauvages. Cela existe de tout temps et continuera sans doute d'exister. J'ai grandi dans la région d'Ottawa et, lorsque j'étais jeune, il y avait très peu de bernaches; maintenant, il y en a des centaines de milliers. En partie, il se peut que cela soit causé par l'amélioration des terres agricoles, ce qui donne à ces oiseaux plus de céréales à manger lorsqu'ils traversent la région.

Vous avez raison de dire qu'il y a actuellement des changements météorologiques extrêmes. Dans quelle mesure nos décideurs peuvent-ils envisager des plans de gestion du paysage à long terme en tenant compte des variations extrêmes qui se manifestent actuellement? Je crois que personne n'a de réponse simple à cela, mais je rappelle que Canards Illimités Canada s'occupe actuellement de beaucoup plus que de canards, et qu'une partie de la recherche avancée que nous faisons vise à améliorer notre influence politique en ce qui concerne l'exploitation agricole.

Canards Illimités est née en 1938, à l'époque où certains chasseurs de sauvagines avaient remarqué qu'il n'y avait pas beaucoup de canards cette année-là. Ils ont décidé, parce qu'il y avait une sécheresse au Canada et une crise économique qui sévissaient en Amérique du Nord, qu'ils rétabliraient une zone humide, prêchant ainsi par l'exemple. Par conséquent, il y a 64 ans, cette société est née grâce à des chasseurs qui tenaient à restaurer des zones humides. Nous disons depuis plus de 60 ans que, faute de protéger les zones humides, nous avons une influence négative non seulement sur la santé humaine, les pratiques agricoles et la qualité des sols, mais également sur les populations d'animaux sauvages.

Le sénateur Wiebe: Si notre comité a choisi d'étudier cette question, c'est, entre autres raisons, parce que nous voulons essayer de trouver quelques réponses qui permettent de composer avec les phénomènes extrêmes qui se produisent.

Dans votre mémoire, vous dites qu'un autre effet du changement climatique, c'est que les aires de nidification vont se déplacer vers le nord. On nous a présenté des tableaux qui montrent que le triangle de Palliser, dont on disait à une certaine époque que c'était un désert, s'assèche de plus en plus. Si la zone de sécheresse devient beaucoup trop vaste au cours d'une année donnée, quelle distance ces oiseaux peuvent-ils parcourir sans être capables de trouver à se nourrir? Les aires de nidification s'éloignent vers le nord, mais comment réglera-t-on le problème de l'expansion des zones sèches s'il se matérialise?

Mme McDougal: Je ne suis pas certaine qu'il y ait une façon de répondre à cela. Il y a ce triangle en plein milieu du continent et les sauvagines commenceront probablement à suivre un autre tracé.

M. Turner: Il se peut également que leur nombre chute complètement. Dans l'Arctique, les oies des neiges sont en train de dévaster leur propre habitat. Elles sont beaucoup trop nombreuses. Elles ont atteint un niveau de population qu'elles ne peuvent pas maintenir compte tenu de l'alimentation disponible six mois par année. Pendant ce temps, les jeunes grandissent sur les rives de la baie d'Hudson.

Le président: La nature ne règle-t-elle pas normalement les problèmes de ce type? Elle le fait pour les autres espèces.

M. Turner: Oui. Elle l'a toujours fait et elle le fera toujours. Ce sont là les cycles naturels dont j'ai parlé plus tôt. Toutefois, les humains ont considérablement modifié leur environnement. Dans le sud de l'Ontario, par exemple, 80 p. 100 de toutes les zones humides sont disparues du fait de l'expansion industrielle, de la construction de routes, du développement agricole et de l'urbanisation. Et pourtant, les gens n'arrêtent pas de se demander pourquoi les pluies s'assèchent et pourquoi il y a des inondations soudaines et des érosions du sol. C'est parce que les «reins de la terre» — les zones humides — ont disparu. On ne peut plus conserver l'eau où que ce soit.

Outre les bienfaits qu'elles dispensent à la sauvagine et leur utilité économique pour la chasse et donc comme ressource renouvelable, les zones humides ont eu une incidence immense sur notre pays au cours des 100 dernières années. Désormais, nous nous demandons «qu'avons-nous fait? Qu'avons-nous fait pour mieux nous nourrir, pour nous rendre plus heureux, plus sains?» Nous voici maintenant, ici, demandant ce qu'il faut faire pour atténuer les incidences négatives sur l'environnement. Il n'existe pas de réponse simple.

Le sénateur Fairbairn: Vous parliez un peu plus tôt des tensions et des contraintes imposées aux zones humides du fait du changement climatique et de la sécheresse. Nous savons que la fonte des neiges au printemps n'est plus un phénomène garanti comme il l'était à une certaine époque, du moins pas ces dernières années.

Un ami de la région du Canada atlantique, qui prenait l'avion pour Edmonton en passant par le sud, en traversant les Prairies, m'a posé une question très révélatrice, il y a deux ans. Il m'a demandé d'expliquer ce qu'étaient les étangs blancs qu'il voyait un peu partout dans le sud des Prairies. Je lui ai dit que ce n'était plus des étangs, que c'était des mares-réservoirs, ou des zones humides, et que la couleur blanche était due au sel, parce qu'il ne restait plus d'eau.

Les cycles de remplissage des réservoirs ne se produisent plus. Comme vous l'avez dit, monsieur Turner, il est extrêmement important de comprendre que, quelles que soient les fluctuations du climat, l'étalement urbain et industriel aux dépens des terres agricoles a supprimé pour toujours d'innombrables zones humides qui servent non seulement à la sauvagine, mais aussi, en cas de besoin, aux collectivités dévastées par la sécheresse.

Avez-vous des moyens de mesurer le degré de disparition des zones humides des Prairies causée par l'étalement urbain?

M. Turner: Je ne suis pas sûr que Canards Illimités puisse mesurer cela. L'Agence spatiale canadienne dispose de techniques remarquables qui permettent de mesurer, au moyen de photographies aériennes, les zones humides, même si elles ne mesurent que deux mètres de large. Nous sommes en train d'établir des relations de travail plus étroites avec l'Agence pour faire une évaluation des zones humides dans tout le pays et pour élaborer des politiques soit pour rétablir la situation antérieure — entreprise très difficile et extrêmement onéreuse en temps et en argent — soit en proposant des politiques pour atténuer les dommages infligés au cours des 40 ou 50 dernières années.

Nous pouvons remonter en arrière et demander à quoi cela ressemblait dans les années 50. Comme l'a vu votre ami dans la région des Avens dans le sud des Prairies, ces taches blanches qu'on voit au sol lorsqu'on est à 10 000 mètres d'altitude, une fois qu'on s'en rapproche, sont fort décourageantes. Il y a une trentaine d'années, elles n'étaient pas blanches, elles étaient remplies d'eau. Mais cela, c'est dû à l'effet de l'homme.

Pour répondre à votre question, il nous est très difficile, ainsi qu'à n'importe quel autre organisme comme Agriculture Canada ou les universités, de quantifier la progression des dommages. Nous essayons de travailler avec les intéressés, à tout le moins en leur disant que nous savons ce que nous faisions; cela a été très néfaste pour notre qualité de vie et pour nos communautés. Alors peu importe la raison, prenons du recul, rechargeons, réexaminons les choses et travaillons de façon scientifiquement rigoureuse comme nous l'a montré Mme McDougal. Trouvons de meilleurs moyens d'encourager les propriétaires fonciers à travailler différemment, ou alors établissons des règles et des règlements qu'ils vont devoir respecter dans l'intérêt de la société.

Le sénateur Fairbairn: C'était précisément dans ce sens que j'allais me diriger. Nous n'allons jamais pouvoir récupérer toutes ces pertes en Ontario et dans les marécages. Le moment n'est-il pas venu pour les pouvoirs publics d'arrêter une politique interdisant certaines activités dans ces zones à risque, pour des raisons comme notre mode d'alimentation, le rôle de la faune et de la flore dans l'évolution de notre société et la dynamique des terres?

Je suis furieuse et je m'interroge beaucoup sur cette question parce qu'elle est essentielle. À mesure que ces terres humides disparaissent, la faune se réinstalle là où il y a de l'eau. Si les oiseaux voient un grand lac au milieu de la ville de Lethbridge, c'est là qu'ils vont s'installer et il arrive même qu'on ne puisse plus voir le lac lorsqu'ils battent tous des ailes en même temps.

Nous avons chassé ces animaux de leur territoire et maintenant ils nous rendent la pareille parce que tant et aussi longtemps qu'ils n'auront pas trouvé un autre plan de vol — si tant est qu'ils parviennent à en trouver un — ils n'ont pas d'autres choix n'est-ce pas? Est-ce là quelque chose que Canards Illimités, qui a les moyens d'observer ce genre de chose, a pu constater ailleurs au Canada, et pas simplement dans l'Ouest?

M. Turner: Nous nous écartons un petit peu des changements climatiques et de leurs incidences sur l'agriculture dans cet entretien, mais le sénateur a raison. Comme nous avons chassé les créatures de Dieu de leur habitat naturel, c'est dans notre jardin qu'elles viennent maintenant s'installer parce qu'elles n'ont pas d'autres choix. Chaque automne, dans la région de la capitale nationale, de 600 à 700 automobilistes percutent un cerf de Virginie. Cela a des répercussions énormes sur nos primes d'assurance-automobile. Peut-être est-ce dû au fait que la réglementation de la chasse n'est pas suffisamment rigoureuse ou généreuse. Nous chassons les cerfs, nous leur donnons du maïs à manger dans nos jardins et dans nos fermes, et ils adorent le maïs. Toute espèce sauvage s'adapte. Je ne veux pas être un prophète de mauvais augure pour notre faune aquatique et nos terres humides. La faune va s'adapter. Les animaux iront là où il y a de l'eau, et nous ne pouvons les en blâmer.

Le sénateur Fairbairn: Nous ne nous écartons pas du problème de l'agriculture parce que c'est précisément pour cela qu'ils vont là où ils allaient jadis. Nous avons fermé les yeux sur l'épuisement de nos terres agricoles et, en plus de cela, sur l'évolution du climat.

M. Turner: Vous avez raison.

Le sénateur Fairbairn: C'est là précisément où le bât blesse. Nous fermons les yeux sur l'épuisement du sol et la façon d'inverser cette tendance finalement importe peu.

M. Turner: Je vais vous faire parvenir à tous les travaux que nous avons conduits pour la mise au point du programme d'implantation de cultures couvre-sol. Nous avons étudié les impacts économiques, environnementaux et sociaux sur les communautés rurales un peu partout, depuis le lac Diefenbaker jusqu'au centre-ville de Toronto. Je vous ferai parvenir cela avec plaisir pour vous rafraîchir la mémoire parce que vous y trouverez tous les éléments dont nous avons parlé ici ce matin, le sol, l'air, l'eau, la biodiversité, les méthodes agricoles, les incitatifs donnés aux propriétaires fonciers pour qu'ils ne labourent pas en sol peu fertile mais plutôt pour qu'ils les reconvertissent en herbage naturel afin de protéger les zones riveraines et d'atténuer l'écoulement des eaux chargées en nitrate et en potassium.

En tant que société, nous avons visé juste en effectuant cette étude. Il faut maintenant que nous obtenions le soutien du gouvernement pour financer les recherches de Mme McDougal et pour mettre sur pied certains des sites d'évaluation. À l'Île-du-Prince-Édouard, nous envisageons d'installer une site d'évaluation dans le bassin hydraulique de la rivière Mill pour mesurer son impact sur la pureté de l'eau, qui a une incidence sur l'ostréiculture pratiquée dans les estuaires. De plus, une mise en oeuvre renforcée du programme de conservation CCIP se traduirait par des avantages certains pour les propriétaires terriens. Mais il faut qu'il existe des mesures incitatives.

Le président: Vous avez proposé de nous faire parvenir le document et nous serions heureux de le recevoir. En Europe, et plus particulièrement en Irlande, on traite des mêmes questions et nous sommes au courant des mesures qui ont été prises dans d'autres pays.

Le sénateur Hubley: J'aurais une question relative aux tourbières. Font-elles partie des milieux humides?

Mme McDougal: Il s'agit d'un autre type de milieu humide. D'après le Protocole de Kyoto, il ne s'agit ni de zones gérées ni de zones sur lesquelles l'activité humaine peut avoir une incidence pour ce qui est du changement du mode d'exploitation de certains territoires dans le but de créer des puits de carbone. Ce sont des zones qui renferment une grande quantité de carbone; on en retrouve une quantité impressionnante dans les tourbières canadiennes et russes. Le risque s'aggrave avec le réchauffement de la planète.

Le sénateur Hubley: Ces tourbières sont exploitées. Quelle incidence aura cette exploitation?

Mme McDougal: Il y aura effectivement des répercussions. L'exploitation des tourbières se fait différemment au Canada qu'en Europe, où ces milieux humides ont été complètement détruits. Comme il s'agit d'un nouveau secteur au Canada, nous avons pu tirer des leçons de l'expérience européenne. L'exploitation a des répercussions sur moins de 1 p. 100 des tourbières canadiennes. L'industrie canadienne a adopté une autre approche: au lieu de détruire la tourbière, elle l'exploite de façon limitative puis dépense des sommes considérables pour s'assurer qu'elle retrouve son intégrité.

Il s'agit d'une industrie dite verte. C'est ainsi qu'elle se présente sur le marché mondial. Elle se préoccupe des impacts environnementaux et elle est consciente de sa responsabilité environnementale.

Le sénateur Hubley: Pour revenir aux milieux humides, est-ce que vous pensez que les agriculteurs, qui doivent s'adapter aux changements climatiques, vont s'intéresser à ces zones pour la culture des canneberges, par exemple? Est- ce que vous pensez qu'il y aurait alors une incidence sur la sauvagine dans ces milieux et que cela mènerait à de nouveaux conflits quant à la répartition du territoire en zones sauvages et en zones exploitables?

Mme McDougal: Il est peu probable que les canneberges soient cultivées dans l'écosystème des prairies dont il est question. Ce n'est pas un milieu humide propice à ce genre d'exploitation.

Le sénateur Hubley: Je suis originaire de l'Est.

Mme McDougal: La culture des canneberges est répandue dans l'Est et en Colombie-Britannique.

Le risque, c'est la surexploitation des milieux humides, qui ne pourraient plus, alors, assurer leurs fonctions. C'est dans les Prairies que ces milieux humides sont les plus menacés. Déjà, certains agriculteurs veulent transformer ces zones humides en champs de blé ou de canola. C'est un véritable danger qui explique en partie l'intérêt que nous portons aux milieux humides comme sources de carbone.

Pour répondre à la question qui a été posée par le sénateur Fairbairn, c'est le financement qui nous permettra d'endiguer cet accaparement des milieux humides. C'est une question d'ordre économique. Au Canada, on n'est pas vraiment conscient de la valeur de ces milieux. On a plutôt tendance à parler des valeurs environnementales vagues et de la beauté de ces zones, ce qui nous fait chaud au cœur. Par contre, on ne s'intéresse à la question qu'à partir du moment où on constate une accélération de la dégradation de ces écosystèmes naturels causée par des phénomènes comme le changement climatique.

Il faut qu'on associe une valeur monétaire aux avantages qui découlent des milieux humides. Par exemple, la protection de la pureté de l'eau pour les communautés, l'évapo-transpiration qui fournit de l'humidité aux champs environnants, même s'il n'a pas plu pendant trois mois, les points d'eau à l'extérieur des milieux humides dont l'approvisionnement est garanti par ces zones et les avantages économiques qui découlent de ces réserves de carbone. Ce serait une affaire en or pour les agriculteurs s'ils pouvaient, dans l'avenir, échanger des crédits de carbone sur un marché. Comme l'a dit M. Tyrchniewicz précédemment, la situation n'est pas encore claire mais on sait que les choses bougent, particulièrement dans les zones herbeuses comme les habitats rivulaires. Ces zones renferment du carbone et intéressent les industriels qui veulent acheter des crédits de carbone pour contrebalancer les émissions de gaz à effet de serre qu'ils produisent. Il existe de véritables avantages financiers.

Lors d'un récent forum national sur les milieux humides, on a mis l'accent sur le fait que notre communauté devait se mobiliser pour évaluer ces zones afin de produire des statistiques qui devraient alors être communiquées au public canadien pour que soient soutenus, financièrement notamment, les intervenants situés dans les milieux humides.

Le sénateur Ringuette-Maltais: J'ai trouvé votre exposé très intéressant et je suis convaincu que vous allez à nouveau comparaître devant un comité parlementaire.

Vous avez mentionné que l'Alberta Pacific Forestry vous soutient financièrement. Dans les trois provinces qui vous intéressent, quel est le pourcentage de milieux humides situés en milieu forestier?

Mme McDougal: Pour ce qui est de cette étude-ci, un des cinq sites des Prairies se trouve dans une zone boréale. Je m'intéresse aussi aux milieux humides réhabilités. On en trouve beaucoup dans la zone boréale de transition au Saskatchewan, dans la région de Melfort, au nord de Saskatoon. Aucune manipulation n'est effectuée dans ces zones parce que la transition zone cultivée en milieu humide a été effectuée il y a quelques années. J'effectue une étude sur l'évolution des réserves de carbone dans ces zones.

Le site en Alberta, au nord d'Edmonton, a été établi pour que nous puissions étudier les pratiques d'agrosylviculture et les systèmes culturaux annuels propres à ces zones de transition. C'est un des aspects très importants de notre étude car l'agriculture se déplace de plus en plus vers le nord.

Le sénateur Ringuette-Maltais: Monsieur Turner, je voudrais vous féliciter ainsi que Canards Illimités de l'immense travail de sensibilisation que vous effectuez auprès de la population canadienne depuis vos débuts. Dans ma région du Nord du Nouveau-Brunswick, les agriculteurs exploitent également les boisés de ferme afin d'arrondir leurs fins de mois. Par conséquent, la recherche que vous effectuez sur les milieux humides dans les secteurs agricoles et forestiers est très importante.

Il y a 10 ans au Nouveau-Brunswick, les bassins hydrauliques disparaissaient de façon alarmante. Ce phénomène était causé par les changements climatiques, la pollution et les pratiques agricoles et forestières. Nous avons tenté de sensibiliser la population. Parce que 99 p. 100 des personnes concernées étaient des propriétaires terriens privés, dont la propriété renfermait des milieux humides, il a fallu que le gouvernement provincial intervienne en mettant en place des zones tampons. Il est vrai que pendant la première année, les propriétaires terriens ont été très critiques. Ils ne voulaient pas qu'on se mêle de leurs affaires. Tout doucement, le reste de la population s'est mise à appuyer la loi provinciale protégeant les milieux humides et les bassins hydrauliques, entre autres, ainsi que les pratiques agricoles et forestières améliorées. De nos jours, ces mesures de protection sont considérées comme essentielles.

Monsieur Turner, donnez-moi votre avis. Il est vrai que la sensibilisation peut jouer un rôle important dans la protection des biens publics. Mais, au bout du compte, est-il probable que le gouvernement provincial soit obligé de légiférer pour assurer la protection de l'intérêt public?

M. Turner: Canards Illimités s'occupe activement de programmes d'éducation, surtout dans les écoles primaires. Vous avez dit qu'au Nouveau-Brunswick 99 p. 100 des terres étaient privées. Nous avons maintenant des ententes avec plus de 20 000 propriétaires d'un bout à l'autre du pays. Nous travaillons dans un esprit de grande collaboration avec les propriétaires et les décideurs depuis 64 ans. Nous croyons nous y connaître assez bien dans ce que nous faisons. Au sens large, nous faisons de grands progrès. Les Canadiens — que ce soit au Nouveau-Brunswick, en Alberta, à l'Île-du- Prince-Édouard, au Québec ou en Ontario — commencent à comprendre que nous ne pouvons pas tenir pour acquis l'environnement, les espaces verts et l'eau pure. Nous pensons avoir joué un rôle à cet égard. Nous sommes là pour aider.

Tous les ordres de gouvernement respectent notre travail parce que nous fonctionnons de façon non conflictuelle. Nous ne nous y prenons pas en disant faites ceci ou cela et ceci c'est mauvais ou c'est bon. Nous travaillons sans faire de bruit et c'est ainsi que nous marquons des progrès avec le gouvernement du Nouveau-Brunswick et, récemment, le gouvernement de l'Île-du-Prince-Édouard, qui ont adopté une nouvelle stratégie réglementaire pour l'utilisation de l'eau et des terres humides. Le Québec vient de le faire. La Nouvelle-Écosse est en train de rédiger la sienne. L'Alberta vient d'inviter Canards Illimités Canada à rencontrer ses élus. La Ville de Calgary nous a invités à rencontrer ses représentants pour voir comment nous pouvons atténuer les atteintes à nos ressources hydriques et enseigner en même temps aux gens qu'on ne peut plus les tenir pour acquises. Pour le meilleur ou pour le pire, les événements de Walkerton ont vraiment sensibilisé tout le Canada. Si l'on compare toutes les ressources en eau douce du monde à un contenant de cinq litres, une seule cuiller à thé de cette eau nous est disponible pour utilisation. C'est effrayant. Nous nous devons maintenant de faire tout ce que nous pouvons pour protéger cette cuiller à thé d'eau sinon nous la perdrons aussi.

Progressons-nous? Je le pense. Les gouvernements pourraient-ils jouer un plus grand rôle en collaborant avec nous pour sensibiliser davantage de gens à tous les niveaux? Oui, je pense qu'ils le pourraient. Nous comptons là-dessus.

Le président: J'ai une question à poser au sujet de la définition de «zones humides», en quoi elles consistent et à quoi elles servent, parce qu'une grande partie de votre témoignage a porté justement sur cette notion de «terres humides». Je regardais votre brochure pendant les échanges et on y dit: «Les terres humides sont indispensables au cycle de la vie. Des coléoptères, des libellules et divers insectes vivent dans l'eau.» Comme vous représentez Canards Illimités et que vous favorisez la multiplication des canards et d'autres espèces de sauvagines, j'aimerais que vous me disiez une chose. S'il y a 10 000 oies et 10 000 canards qui fréquentent une zone humide, est-ce qu'ils ne vont pas polluer et dévaster ce plan d'eau? Vous dites ici que la végétation des zones humides peut assainir l'eau polluée en en retirant les nitrates et les phosphates nuisibles. Supposons qu'on a 10 000 oies et 10 000 canards dans une de ces zones humides. Est-ce que ces oiseaux ne vont pas ruiner et gâcher ce plan d'eau? Où est-ce que les terres humides, de par leur nature même, ont le pouvoir d'assainir cette eau?

Mme McDougal: Tout dépend de la taille des terres humides et de la durée de la présence de ces oiseaux. Habituellement une bande d'oiseaux de cette importance ne resterait que quelques semaines pendant les périodes de rassemblement à l'automne. Oui, les terres humides neutralisent les types de nutriments qui sont présents dans les déjections de canards et d'oies qui aboutissent dans l'eau. Pendant mes études de deuxième cycle, une de mes camarades étudiait l'effet des déjections de canards et d'oies sur l'écosystème des terres humides. Elle a été en fait très déçue parce qu'elle n'a pu mesurer qu'un très faible effet pendant les trois ans qu'a duré l'expérience.

Ce sont-là des systèmes résistants. Un grand nombre d'espèces de bactéries élimine la matière organique en raison du milieu aquatique. On sait que les plantes aquatiques consomment beaucoup d'azote et de phosphore. Bien qu'elles n'en aient pas besoin pour leur croissance, elles en emmagasinent en l'espace de quelques minutes dès qu'ils sont présents dans la colonne d'eau et les conservent dans leur cellule pour le jour où elles n'auront pas facilement accès à de l'azote et à du phosphore. Les algues, qui sont des plantes microscopiques de ces systèmes, jouent un grand rôle dans le recyclage des nutriments dans le système. C'est ce sur quoi portaient particulièrement mes travaux de recherche. Quand un écosystème se porte bien et abonde en algues et en bactéries, il peut s'accommoder de ces effets temporaires.

Si cette bande d'oiseaux séjournait là depuis le dégel au printemps et y passait tout l'été, oui, à un certain moment cela aurait un effet sur l'écosystème. Cependant, ce n'est pas ce que fait habituellement la sauvagine. Ces oiseaux ont plutôt tendance à se déplacer. Le plus grand impact se fait sentir en raison de la proximité de la communauté urbaine, en raison des effluents d'une entreprise qui, peut-être, ne retient pas comme il le faudrait une partie de ses déchets, ou quand on applique des engrais par jour de grand vent et qu'ils aboutissent dans l'écosystème. Ce sont là des menaces plus constantes, qui sont présentes à longueur d'année. Ce sont celles-là dont nous devons nous inquiéter davantage.

Le sénateur Wiebe: Ma première question a trait à ce que vous avez dit au sujet de la cuillerée d'eau dont nous disposons. Au Canada, maintenant, l'eau est considérée comme une ressource. Certains ordres de gouvernement souhaiteraient examiner la possibilité de vendre et d'acheter de l'eau. Actuellement, le Sénat est saisi d'un projet de loi qui a été présenté par un sénateur. Il nous exhorte à examiner sérieusement la possibilité de désigner l'eau comme un aliment et non une ressource.

Qu'en pensez-vous? Est-ce une bonne question à vous poser?

M. Turner: Toute question posée sur la colline du Parlement est une bonne question. Le problème, c'est d'y donner une bonne réponse.

Je crois, sénateur Wiebe, que vous parlez du projet de loi du sénateur Grafstein.

Le sénateur Wiebe: Oui.

M. Turner: Je pense que vous parlez de la question de l'exportation d'eau en vrac. Canards Illimités n'a jusqu'à maintenant pas pris position sur la question de l'exportation d'eau en vrac.

Le premier ministre Grimes a examiné la possibilité de l'autoriser à Terre-Neuve l'année dernière. Comme il y a eu une véritable levée de boucliers, on ne l'a pas fait. L'eau devrait-elle être considérée comme un aliment? N'est-il pas essentiel de disposer d'eau pour maintenir toute vie? Cela répond peut-être à votre question, sénateur.

Le projet de loi du sénateur Grafstein est, qui sait, peut-être la façon d'y parvenir compte tenu des difficultés que pose au Canada la reconnaissance des compétences en matière de gestion, de contrôle et de propriété de l'eau. M. Herb Gray est le président de la Commission mixte internationale. Nous avons discuté à quelques reprises de la gestion des eaux transfrontalières, qu'il s'agisse des Grands Lacs, du fleuve Saint-Laurent, du fleuve Fraser ou de la rivière Rouge au Manitoba.

Nous n'avons pas de réponse simple à cette question. Toutefois, je pense que les responsables de la politique publique doivent l'examiner. Je vous souhaite bonne chance.

Le sénateur Wiebe: Merci de votre franchise. Votre exposé de ce matin m'a encouragé. Nous examinons le problème. Nous examinons les possibilités d'atténuation. Vous êtes l'un des quelques témoins qui ont vraiment pris le temps de voir comment nous pourrons nous adapter.

Comme suite au débat qui a eu cours l'année dernière au sujet du Protocole de Kyoto, un grand nombre d'organisations, de particuliers et d'agriculteurs semblent estimer que si nous résolvions ce problème, nous résoudrions du même coup le problème à long terme du changement climatique. Malheureusement, tel n'est pas le cas. Le problème est là. Nous devrons amener les gens à réfléchir à l'adaptation — c'est-à-dire, comment nous adapter aux épisodes climatiques extrêmes qui résultent de ce que nous avons fait depuis les dernières années.

De quel type d'outils Canards Illimités a-t-il besoin pour examiner davantage les modes d'adaptation au changement climatique? Que devrions-nous faire en tant que gouvernements ou responsables de la politique publique pour encourager un débat plus soutenu et une recherche plus active en ce qui concerne les outils d'adaptation?

Mme McDougal: C'est toute une question. La question des outils est habituellement évacuée en raison du financement. Je vais maintenant enfourcher mon cheval de bataille au sujet des terres humides. Dans presque tout le Canada, les terres humides sont considérées comme des terres incultes. Dans les universités, on ne consacre que très peu de financement à la recherche sur ces systèmes. Canards Illimités est à ce propos l'une des rares organisations à vraiment passer de la parole aux gestes pour ce qui est du financement. Nous pêchons aussi par omission pour ce qui est d'une concertation avec le secteur agricole et forestier parce que depuis toujours il y a eu là une certaine confrontation.

Il nous faut vraiment obtenir un engagement en matière de financement pour effectuer la recherche nécessaire qui nous permettra de disposer de l'information voulue et de nous rapprocher d'un cadre d'adaptation. Actuellement, il subsiste tant de questions que nous n'avons pas de bonnes recommandations à présenter qui s'appuieraient sur des données scientifiques fiables et qui nous permettraient de viser l'adaptation.

Je sais que tout le monde ici dit que nous devons encore faire de la recherche. Sérieusement, un véritable soutien doit être accordé en ce qui concerne la fonction des terres humides, et l'adaptation pour le secteur agricole et forestier.

Il faut un outil de communication permettant de rejoindre tous les intéressés. Il peut s'agir des échelons supérieurs au Canada, et les autorités municipales cherchent désespérément des solutions dans leurs municipalités pour contrer les effets du changement climatique et de la séquestration du carbone. Comment peut-on saisir ces occasions et fournir des mesures d'encouragement? Les agriculteurs et les gouvernements provinciaux cherchent aussi de l'information. Ces discussions se poursuivent à tous les niveaux. Souvent, il n'y a pas de très bonnes communications contre les différents paliers. C'est un outil important pour une question mondiale de cette importance, qui nous touche très différemment selon les différentes régions du Canada et qui a une incidence nationale. C'est peut-être le type d'entité qui peut ramener à la table tous les intéressés des différents niveaux pour qu'ils écoutent et formulent un plan d'adaptation.

Essentiellement, nous parlons de propriétaires privés qui se débattent dans un climat économique qui n'est pas particulièrement favorable. Ils doivent nourrir leur famille. Ils espèrent laisser leurs fermes à leurs enfants. Nous devons protéger les écosystèmes qui, soumis à de nombreuses forces différentes, se sont détériorés — et non pas en raison seulement des agissements d'un propriétaire seul. Nous devons accorder des avantages financiers à ces propriétaires privés pour leur permettre de préserver ce bien public.

La réglementation ne peut pas tout régler. Ces gens doivent pouvoir survivre si nous voulons que le Canada continue de produire des denrées alimentaires. Il nous faut des outils pour indemniser ces agriculteurs pour les coûts de renonciation liés à l'adoption de meilleures pratiques de gestion des terres, au retrait de certaines terres du cycle de production. Nous devons examiner sérieusement certains des effets pervers de politiques qu'on a mises en place. Une politique en particulier accordait un contingent de culture en fonction de la superficie cultivée. Les agriculteurs cultivaient donc autant de terres que possible. Pour les terres humides, cette politique était néfaste. Certaines de ces politiques subsistent. Un examen national de ces politiques pourrait s'avérer un outil des plus utiles.

Le sénateur Wiebe: Vous nous donnez beaucoup à réfléchir.

M. Turner: Si les gens n'y sont pas encouragés, ils ne s'adapteront pas. Il a fallu huit ans pour que le Parlement du Canada adopte la législation sur les espèces en péril. On en a débattu de façon interminable en raison de l'effet sur les propriétaires, de la façon dont les fermes étaient gérées. Le gouvernement a opté pour la carotte plutôt que la bâton. À moins que nous ayons davantage de carottes, les propriétaires hésiteront à s'adapter. Une de ces carottes, c'est le programme d'encouragement.

J'ai été agent de conservation de gibier en Afrique orientale. Quand j'y suis allé pour la première fois en 1969, je pensais que j'allais sauver la réserve de gibier dont on m'avait confié la gestion. Je ne me rendais pas pleinement compte à l'époque que de ce que signifiait l'expression: «Un homme ne peut pas partager une acre de terre avec un éléphant.» Pour reprendre cette analogie au Canada, je dirais qu'il est très difficile pour un propriétaire de partager une acre de terre avec une espèce en voie de disparition ou des oies ou des canards s'il veut joindre les deux bouts et faire tout ce qu'il veut pour nourrir sa famille.

Les gouvernements ont énormément de pouvoirs et de grands outils politiques. Nous sommes maintenant en train d'examiner ce que ces derniers pourraient être et devraient être. En tant qu'organisation, nous aimerions continuer à travailler avec vous pour voir comment nous pouvons le mieux nous y prendre pour créer ces outils.

Le sénateur Fairbairn: En vous écoutant, je pensais à la petite ville de la Saskatchewan où les réserves en eau se sont asséchées. Vous avez pu leur porter secours grâce à des terres humides situées à proximité. À l'été 2001, dans le sud- ouest de l'Alberta, les niveaux de l'imposant réservoir d'irrigation diminuaient et le lac Big Chin et d'autres lacs se sont presque asséchés. Des villes comme Tabor sont alimentées en eau grâce à ces lacs.

Quand ces choses arrivent, si nous faisons sans cesse appel aux terres humides, est-ce que ces dernières ne vont pas finir par s'assécher aussi? Elles subissent elles aussi le changement climatique. Est-ce qu'une stratégie de ce genre ne menacerait pas la survie des terres humides si nous les considérons comme une source d'approvisionnement secondaire.

M. Turner: C'est juste. Cette ville de Saskatchewan s'est trouvée dans une situation unique et provisoire. Si nous continuons de soutirer de l'eau des terres humides, elles vont s'assécher et le problème persistera. C'était une solution à court terme. Nous en cherchons une à long terme.

Le président: Monsieur Turner et Madame McDougal, merci de votre excellent exposé. Vous avez soulevé beaucoup de questions qui nous intéressent. Vos observations nous seront très utiles dans la rédaction de notre rapport.

La séance est levée.


Haut de page