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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 11 - Témoignages


LETHBRIDGE, le mercredi 26 février 2003

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit ce jour à 13 h 30 pour examiner, afin d'en faire rapport, l'impact du changement climatique sur l'agriculture, les forêts et les collectivités rurales au Canada et les stratégies d'adaptation à l'étude axées sur l'industrie primaire, les méthodes, les outils technologiques, les écosystèmes et d'autres éléments s'y rapportant.

Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Nous venons tout juste d'arriver à Lethbridge, et nous poursuivons ici notre étude sur les effets du changement climatique dans trois domaines: l'agriculture, les forêts et les collectivités rurales.

Notre premier témoin est le professeur James Byrne, de l'Université de Lethbridge. Professeur Byrne, nous vous invitons à nous faire votre exposé.

Nous procéderons de la façon suivante. Après votre présentation d'une dizaine de minutes environ, les sénateurs vous poseront des questions. Nous aimons réserver un maximum de temps aux questions, et celles-ci seront variées et intéressantes.

M. James Byrne, professeur, Université de Lethbridge: Je m'intéresse principalement au climat et à l'eau. La question clé est la suivante: le climat est-il en train de changer? Mon impression est que le comité ici réuni convient que le climat est bel et bien en train de changer.

Le président: Je pense pouvoir affirmer que nous sommes assez convaincus qu'il s'opère des changements climatiques.

M. Byrne: Merci. Voici le bâton de hockey de Michael Mann. Cela vous montre les tendances climatiques à long terme dans l'hémisphère Nord, et le dernier petit bout, qui forme la lame du bâton de hockey, est le XXe siècle.

Je suis surtout préoccupé par la neige et par la glace, comme devraient l'être les Canadiens, car ce sont les principales sources d'eaux de ruissellement de surface.

Partout sur la planète, les glaciers et les champs de glace sont en train de se retirer. Les accumulations de neige du Kilimandjaro vont disparaître d'ici quelques années. Le Kilimandjaro n'a pas été sans glace depuis 11 000 ans, mais il sera libre de glace d'ici 20 ou 30 ans.

Le parc national des Glaciers est l'une des principales sources d'eaux de ruissellement pour le bassin hydrographique de la rivière St. Mary. La plupart des glaciers dans le parc ont disparu au cours des 100 dernières années, et nous nos attendons pleinement à ce que ce parc ne puisse plus du tout porter ce nom d'ici 40 ans. Il s'opère des changements radicaux dans la phase de glacement des Rocheuses du Sud.

Lorsque jeune garçon je parcourais la Sun Road, il y avait là de gigantesques champs de neige, mais ceux-ci ont disparu au cours des 10 à 20 dernières années et l'on n'en voit tout simplement plus du tout.

Un article publié en novembre par un scientifique de renom de l'Université de Toronto explique que les accumulations de neige du mont Logan sont très étroitement liées au climat planétaire.

Nous avons étudié les Rocheuses du Sud car elles sont la principale source d'eaux de ruissellement et d'irrigation pour le gros de notre région. Nous sommes en train de nous pencher sur les changements climatiques des 20 à 40 prochaines années. Nous avons examiné une petite partie du bassin hydrographique de la rivière Oldman ici dans le sud de l'Alberta. Nous nous concentrons sur le proche avenir et ce que nous constatons me remplit d'inquiétude, et pour mes enfants et pour moi-même.

Nos projections pour la rivière Oldman indiquent que le ruissellement pourrait baisser de jusqu'à 50 p. 100 d'ici à 2020-2050.

Il y aura des changements radicaux dans les accumulations de neige dans les Rocheuses du fait d'hivers plus doux. Par suite de ces changements climatiques, nos modes de fonctionnement ici en Alberta seront eux aussi très différents. Dans les plaines, les collectivités, les fermes et les ranchs dépendent très largement des eaux de ruissellement locales.

Mon doctorat a porté sur l'hydrologie des plaines, et je peux vous dire que les plaines dépendent des chutes de neige en hiver pour leur approvisionnement en eau au printemps. Or, nous n'avons pas reçu beaucoup de neige sur les plaines du sud et les sources d'eau locales sont en train de s'assécher.

Il y a peut-être un bon côté à la médaille parce que les précipitations vont pénétrer dans le sol et nous permettront peut-être d'avoir des herbages et des pâturages plus riches, mais nous n'aurons pas les points d'eau ni les ruisseaux auxquels pourront s'abreuver le bétail et les autres animaux. C'est là une source d'inquiétude.

Le changement climatique a une incidence sur la neige et la glace partout dans le monde. Dans l'Amérique du Nord occidentale, la crainte est que nos rivières ne reçoivent pas suffisamment d'écoulement printanier. Si l'on prend la rivière Oldman comme exemple, nos chiffres indiquent une baisse de 40 p. 100 d'ici 20 à 50 ans.

Le secteur agricole a subi de très nombreuses pertes au cours des quelques dernières années, et je trouve frustrant que le pays ait été si lent à réagir au changement climatique. L'an dernier, nous avons perdu des milliards de dollars. Je ne suis pas économiste. Le gouvernement provincial a dépensé 324 millions de dollars, et cela n'a été qu'une goutte d'eau dans la mer comparativement aux pertes enregistrées.

Je pense qu'il nous faut nous porter à la défense de l'agriculture, et j'estime qu'il y a d'autres groupes d'intérêt et d'autres industries qui doivent reconnaître qu'il y a une meilleure façon, et qu'il nous faut la trouver.

Quiconque vient devant vous et dit que l'incertitude est une raison de ne rien faire se trompe. J'aimerais nous voir avancer. Quant à la question de savoir comment avancer au-delà de la recherche, nous ne savons pas trop comment nous y prendre.

Chaque fois que je fais une déclaration du genre, j'ai l'impression que les gens croient que je suis motivé par l'intérêt personnel. Mes collègues vous diront que quel que soit le montant des subventions, leurs salaires restent toujours à peu près les mêmes. Ce qu'il nous faut faire c'est obtenir davantage de ressources afin de pouvoir nous attaquer sur une base scientifique à la question du changement climatique.

J'apprécie les fonds qui ont été versés par le gouvernement du Canada par le biais d'organismes comme le Fonds d'action pour le changement climatique de Ressources naturelles Canada. Mais il faudrait dix fois plus d'argent vu l'ampleur du travail à abattre.

Lorsque les pertes subies se chiffrent à plusieurs milliards de dollars, le fait de disposer de quelques centaines de milliers de dollars pour faire de la recherche ne fera pas l'affaire. Je tiens également à souligner que le changement climatique n'est qu'une partie d'un vaste phénomène qui nous touche et qui est le «changement à l'échelle du globe». Ce changement à l'échelle planétaire inclut tous les changements environnementaux qui surviennent dans le monde. La croissance démographique, ici et dans le monde en développement, a eu une incidence marquée sur le changement climatique.

Les gens sont nombreux à pointer du doigt le monde en développement et à dire que c'est l'augmentation de sa population qui est le problème. Or, c'est moins un problème que la croissance de notre population. En effet, la consommation de ressources en Amérique du Nord et en Europe de l'Ouest est écoeurante comparativement à ce qui est consommé dans le monde en développement.

Notre consommation de ressources pourrait être ramenée à une fraction de ce qu'elle est sans pour autant que cela ne change notre mode de vie, et nous pourrions amener nos concitoyens qui habitent le monde en développement à un meilleur niveau si nous faisions attention et développions certaines de ces nouvelles technologies. Nombre d'entre elles sont déjà en place à l'heure actuelle, et si cela vous intéresse, je me ferai un plaisir de vous en parler plus longuement.

Merci beaucoup, donc, de m'avoir écouté. J'ai apporté avec moi une copie de notre émission de télévision intitulée «Global Change». C'est moi qui en ai assuré la réalisation sur le plan scientifique. Nous avons eu le privilège de remporter l'Alberta Motion Picture Award pour la meilleure émission d'éducation télévisuelle. Nous oeuvrons à l'heure actuelle à une nouvelle production, celle-ci intitulée «Canada's Water» par le biais du Canadian Water Network, dont je suis membre, et nous espérons la terminer dans le courant de l'année. L'émission dont je vous fournis la cassette a été diffusée à l'échelle nationale.

Le président: Professeur Byrne, merci pour votre exposé et pour la cassette vidéo.

Le sénateur Fairbairn: Nous avons commencé il y a quelques semaines avec un rapport intitulé «Les agriculteurs canadiens en danger», et c'est ainsi que nous en sommes arrivés à constater qu'il ne se faisait pas suffisamment de travail sur la question du changement climatique et sur son incidence sur la terre. Voilà pourquoi nous sommes ici pour essayer d'obtenir un maximum de renseignements auprès de gens de tout l'Ouest Canadien et certainement de cette région.

Lors d'audiences antérieures, nous avons entendu des remarques très positives au sujet du Water Institute for Semi- Arid Ecosystems (WISE), qui est rattaché à l'Université de Lethbridge.

Professeur Byrne, pourriez-vous s'il vous plaît nous expliquer ce qu'est le WISE?

M. Byrne: Avec plaisir. Merci.

J'ai pendant 13 ans dirigé à l'Université de Lethbridge un petit institut d'étude des ressources hydriques, qui est depuis devenu le WISE. Chez WISE, l'eau est un sujet d'étude multidisciplinaire qui occupe aujourd'hui une bien plus grande place au sein de l'Université de Lethbridge.

Je suis heureux de constater que l'on y étudie nombre des questions que j'ai toujours jugées importantes: le changement climatique et l'eau, et le changement écologique et l'eau. Étant donné que l'agriculture dépend et des systèmes écologiques et des systèmes hydriques, je pense que cet institut pourra beaucoup contribuer.

J'estime qu'il est essentiel que l'institut soit bien financé. Je crois qu'il devrait être financé par le gouvernement du Canada plutôt que par des organismes indépendants, Agriculture Canada ou des groupes provinciaux. Je pense par ailleurs qu'il devrait être financé de façon indépendante et être libre d'effectuer les meilleures recherches possibles sans pression de la part d'un quelconque groupe d'intérêt particulier. Cet institut devrait pouvoir avancer et effectuer des travaux de recherche qui bénéficient à la société.

Le sénateur Fairbairn: Cela inclut également un lien avec la station de recherche ici à Lethbridge, n'est-ce pas?

M. Byrne: À ma connaissance, oui. Il y a là-bas plusieurs chercheurs de la station de recherche. Il y a un certain nombre de scientifiques formidables qui oeuvrent pour cet institut communautaire.

Le sénateur Fairbairn: Monsieur le président, je vais céder la place à mes collègues, mais je vous demanderai d'inscrire mon nom pour un deuxième tour.

Le sénateur Gustafson: Il importe d'intervenir de façon très positive pour l'agriculture. Le comité a fait une étude sur les agriculteurs en danger, et l'une des recommandations était que l'on apporte des améliorations à différents niveaux.

La réalité est que les gens sont de plus en plus nombreux à s'installer dans des centres urbains. C'est même le cas en Saskatchewan. Il y a plus de gens à Saskatoon que dans tout le reste de la province.

Côté ramifications politiques, et je ne veux pas parler ici des libéraux, des conservateurs ou des néo-démocrates, il nous faut livrer le développement rural dans les régions rurales et instaurer à l'échelle du pays des programmes de protection des revenus agricoles plus stables. Je pense qu'il nous faut des gens comme vous, qui comprenez réellement les problèmes, dans les centres urbains.

Vous dites de façon tout à fait catégorique que le changement va s'opérer rapidement. Parlez-vous du proche avenir? Cela s'appuie-t-il uniquement sur vos études dans les régions enneigées du pays?

M. Byrne: La plupart de nos prédictions d'il y a cinq ou dix ans annonçaient le doublement du CO2 en l'espace de 50 à 100 ans, possiblement d'ici 2050 à 2100.

Le taux d'émission mondial est à l'heure actuelle si énorme que de nombreux chercheurs disent qu'il ne s'agit plus pour le CO2 de doubler mais peut-être de tripler pendant ce même intervalle.

Dans le cadre de nos travaux, nous utilisons les modèles de circulation globale en vue de déterminer à quel moment le modèle correspond à un scénario de doublement du CO2. Au lieu que cela se produise entre 2015 et 2100 dans la plupart des modèles, cela survient entre 2020 et 2040, peut-être 2050.

Il s'agit d'un phénomène reconnu, bien établi. Nous rejetons des émissions sont rejetées dans l'atmosphère à un rythme phénoménal. Là où nos émissions devraient baisser, elles sont en fait en train d'augmenter.

Le sénateur Gustafson: Devrait-on construire davantage de barrages? Est-ce là une solution?

M. Byrne: Non.

Le sénateur Gustafson: Vous dites que non. Le réservoir Rafferty Alameda s'est rempli en l'espace de deux ans. Les gens avaient dit au départ qu'ils allaient pouvoir le traverser à pied, mais il s'y trouve aujourd'hui 51 pieds d'eau.

M. Byrne: Ç'aurait été les gens plus grands qui auraient pu le traverser à pied.

Le sénateur Gustafson: Pourquoi ne pas construire des barrages?

M. Byrne: Bien franchement, d'après les études coûts-avantages que j'ai vues pour nombre de ces réservoirs, ce n'est pas intéressant. Voilà pourquoi je ne pense pas qu'il nous faille emprunter ce chemin.

Même avec un ruissellement en déclin, nous disposons de nombreux lieux d'entreposage. Nous n'aurions peut-être pas suffisamment d'eau pour les remplir de façon régulière, et si l'on ne peut remplir ces réservoirs que tous les deux, trois ou quatre ans ou utiliser l'eau judicieusement, alors c'est un bien pire investissement.

J'aimerais regarder de l'autre côté. Voyons à quel point nous pourrions être efficients. Déterminons quels usages sont appropriés et lesquels ne le sont pas et empruntons cette voie-là. Je pense que cela produirait un rendement économique bien supérieur que la plupart des gros projets d'immobilisation.

Le sénateur Gustafson: Je sais, monsieur le président, que j'ai dépassé le temps qui m'était alloué, mais nous avons hier visité un projet où l'on a revitalisé l'eau au coeur même de la production porcine, et c'est un projet plutôt enthousiasmant.

Le sénateur Wiebe: Vous avez parlé d'une augmentation du financement de la recherche sur le changement climatique, et je suis tout à fait de votre avis, mais je ne pense pas que la réponse soit tout simplement d'y jeter de l'argent: il faut que l'investissement soit ciblé.

L'un des témoins qui a comparu devant le comité a recommandé que l'on finance une chaire de recherche sur les effets du changement climatique dans chacune des six régions du Canada. Pensez-vous que ce soit là une bonne idée?

M. Byrne: C'est un pas, et je pense que ce serait un bon pas à franchir. Je n'ai pas de détails à vous donner quant à la façon de vous y prendre. Je n'ai pas beaucoup réfléchi à cela en prévision de notre rencontre d'aujourd'hui, et j'ai donc peut-être été quelque peu négligent en ne préparant pas d'autres idées.

Néanmoins, les chaires de recherche sont une bonne chose. Il faut de bons leaders pour ce genre de travail, mais il nous faut également une équipe autour, et six groupes à l'échelle du pays seraient certainement un pas dans la bonne direction. La synergie qui vient du fait de réunir en un seul et même lieu un nombre important de personnes est quelque chose de très positif.

Je croise souvent des collègues et nous disons toujours que nous devrions nous rencontrer, vu notre objectif commun en matière de changement climatique, mais nous sommes si occupés que nous n'avons que rarement l'occasion de conférer. Lorsque votre collègue travaille à l'autre bout du couloir, c'est tout à fait autre chose. Ce peut être une expérience très positive.

Le sénateur Wiebe: Nous espérons être en mesure de rédiger un rapport d'ici la fin du mois de juin. Si vous aviez l'occasion de réfléchir à d'autres idées d'ici fin mai, nous vous serions très reconnaissants de bien vouloir les communiquer au président du comité.

Nous parlons du réchauffement de la planète. Si la température sur terre augmente, cela veut dire que l'évaporation augmente. Si l'évaporation augmente, alors la pluviosité augmente. Comment se fait-il que la pluie ne tombera plus dans les montagnes, et où tombera-t-elle donc?

M. Byrne: Nos travaux de modélisation prévoient qu'il y aura en moyenne une augmentation des précipitations, dans les plaines et définitivement en montagne. Cependant, lorsque la température hivernale connaît une augmentation marquée, une part importante de ces précipitations qui se présentaient autrefois comme de la neige tomberont sous forme de pluie. Lorsqu'il pleut, l'eau pénètre dans le sol, ce qui favorise une plus forte croissance forestière au printemps.

Mes collègues du programme de changement climatique mondial du plateau du Colorado ont documenté le fait qu'une part de plus en plus importante de leurs précipitations hivernales se présente sous forme de pluie. Cela augmente l'humidité du sol et ils ont constaté de légères augmentations côté croissance. Une augmentation de la chaleur et de l'eau au printemps amène une réaction de la part des arbres. Les chercheurs ont cependant constaté un ruissellement moindre du fait que les précipitations prennent la forme de pluie plutôt que de neige. La neige fond sur un sol gelé et aboutir dans les cours d'eau.

Nous avons constaté que ce qui a le plus gros effet n'est pas une augmentation ou une baisse des précipitations, mais bien l'augmentation de cinq degrés de la température hivernale. Un tel changement donne lieu à un tout autre régime d'enneigement.

Le sénateur Tkachuk: Vous avez parlé du Kilimandjaro et du retrait de la couverture glacière. Quand cela a-t-il commencé?

M. Byrne: Le retrait?

Le sénateur Tkachuk: Oui.

M. Byrne: Ce retrait dure depuis près d'un siècle, mais il s'est accentué au cours des 50 dernières années.

Le sénateur Tkachuk: Lorsqu'il a commencé au début des années 1900, était-ce à cause d'une hausse de température? On nous a dit que la température a augmenté d'un degré au cours des 100 dernières années. Pourquoi cela a-t-il commencé? A-t-on relevé une forte augmentation en 1920, en 1925 ou en 1930? J'essaie de comprendre pourquoi cela a commencé il y a 100 ans? Cela se poursuit toujours, mais quelle en a été la cause au départ?

M. Byrne: Je pense que ce que nous constatons est la réaction initiale à la révolution industrielle, qui s'opère depuis environ 200 ans. Cela fait quelque temps déjà qu'il y a des augmentations modestes des concentrations de CO2.

Le mont Kilimandjaro est l'un des écosystèmes les plus sensibles au monde. Il est un des champs de glace les plus sensibles. Étant situé dans les tropiques, le Kilimandjaro ne reste recouvert de neige qu'à cause de l'altitude et, partant, il a suffit d'un très léger changement de température pour que l'on commence à constater des changements dans ce très sensible écosystème.

Le sénateur Tkachuk: Vous avez dit qu'au parc national des Glaciers il y avait 150 glaciers en 1850 mais qu'il n'y en a plus aujourd'hui que 70. Cela a-t-il commencé au début des années 1900? Cela a-t-il commencé dans les années 1850?

M. Byrne: Commencé? Pourrait-on choisir un jour du mois ou de l'année où cela a vraiment commencé?

Le sénateur Tkachuk: Je cherche plutôt une décennie.

M. Byrne: Nous ne pourrions sans doute pas cerner le phénomène de façon aussi explicite, sauf pour dire que nous savons qu'en tant que condition limite il y a 150 ans, il y avait d'énormes masses de glace dans le parc national des Glaciers.

Nous savons également qu'au cours des 50 dernières années le déclin des masses de glace a été plus rapide dans le temps et que cela cadre parfaitement avec la théorie du réchauffement de la planète.

Le sénateur Tkachuk: Je comprends cela, mais vous dites qu'il s'y trouvait 150 glaciers en 1850 comparativement à 70 aujourd'hui. Si l'on sait combien il y a en avait en 1850, l'on doit assurément savoir combien il y en avait en 1935 ou vers la fin des années 1900.

M. Byrne: Certainement.

Le sénateur Tkachuk: Le sait-on? Ces glaciers ont-ils simplement disparu au cours des 20 dernières années, ou bien la moitié d'entre eux ont-ils disparu il y a 75 ans? Il serait très utile d'avoir ces renseignements.

M. Byrne: Ma théorie est que le gros du déclin est survenu au cours des dernières décennies.

Le sénateur Tkachuk: Quelque chose a commencé il y a 150 ans.

M. Byrne: Il ne faudrait pas interpréter de façon trop littérale mes 150 ans. Si l'on remonte 150 ans en arrière, l'on remonte au-delà de l'époque pendant laquelle l'homme a pu exercer son influence, au-delà de la révolution industrielle. Je ne veux pas dire par là qu'il y a eu un déclin régulier. Je pense que le déclin a été le plus marqué au cours des dernières décennies.

Le sénateur Tkachuk: Nous aimerions avoir davantage de renseignements au sujet du Kilimandjaro et du parc national des Glaciers. J'éprouve quelque difficulté à mettre tout cela en perspective.

Je sais qu'il fait plus chaud, et ce depuis plus d'une décennie. Je sais que certains endroits qui recevaient beaucoup de neige n'en reçoivent plus. Nous avons entendu parler du Kilimandjaro et du parc national des Glaciers.

Ce qu'il me faut c'est une perspective temporelle pour me donner une idée de la période sur laquelle ce phénomène s'est étalé. La révolution industrielle a commencé dans les années 1800, mais c'était principalement un phénomène européen, qui est venu en Amérique du Nord par la suite. Il n'y a pas eu pendant cette période une grosse augmentation du CO2. Autre chose a déclenché ceci.

M. Byrne: Je conviens avec vous qu'il n'y a sans doute eu que très peu de changements pendant ces premières années. Ce que je dis c'est que le gros du changement est survenu au cours des trois à cinq dernières décennies.

Lorsque j'étais gamin et que j'allais jouer dans le parc national des Glaciers, il y avait de vastes champs de neige partout et les eaux de ruissellement coulaient tout l'été. Dans les années 70, les champs de neige existaient. Nous skiions tout l'été dans le parc. Ce n'est plus possible aujourd'hui. Le gros du retrait s'est donc fait au cours des 20 ou 30 dernières années. Cela cadre parfaitement avec nos théories.

Le sénateur Tkachuk: Dans les années 70, on nous a dit qu'une période glacière s'en venait.

M. Byrne: Elle s'en vient. Je vous garantis que tous les chercheurs conviendront que d'ici quelques milliers d'années, nous revivrons une époque glacière. Cependant, nous allons d'ici quelques décennies créer un réchauffement comme on en a rarement vu, et notre société va avoir du mal à s'y adapter.

Le sénateur Hubley: Je tiens à ce que ces renseignements parviennent à la population dans son ensemble et tout particulièrement aux agriculteurs. Pouvez-vous me dire qui va transmettre ces renseignements au niveau suivant? Qui va examiner les différents secteurs qui vont être touchés pour voir si l'on ne pourrait pas recourir à des voies et moyens pour limiter l'incidence du changement climatique? Pourra-t-on offrir des stratégies aux agriculteurs pour qu'ils changent leurs méthodes ou partent dans une autre direction? Connaissez-vous d'autres secteurs pour lesquels l'eau est un problème? Y a-t-il des modèles qui pourraient réussir chez nous et que l'on pourrait étudier?

M. Byrne: Vous parlez ici du système de recherche canadien. Nous faisons un mauvais travail s'agissant de prendre de la bonne recherche et de la livrer sur le terrain. Mon travail est fait lorsque je publie un article dans l'International Journal of Climatology. C'est à ce moment-là que mon travail est terminé.

Cette connaissance est alors censée sortir de mon modeste laboratoire ou installation de modélisation pour être reprise par quelqu'un qui a un baccalauréat ou une maîtrise en sciences pour qu'il la comprenne pour qu'ensuite elle soit appliquée dans un monde beaucoup plus complexe. L'élimination du chercheur de cette phase d'extension et de diffusion des connaissances sur le terrain est l'une des grosses failles de notre système.

Le sénateur Wiebe: Qui en est responsable?

M. Byrne: C'est le système qui en est responsable. On ne tient aucun compte du temps que je passe sur le terrain. Je suis censé faire de la recherche et publier.

Aux États-Unis, ils ont des membres du corps professoral qui font de l'extension. Mon emploi est composé à 40 p. 100 de recherche, à 40 p. 100 d'enseignement et à 20 p. 100 de services. Les 20 p. 100 correspondants aux services ne me donnent pas assez de temps pour sortir. Une fois que je me suis occupé des comités en campus et des présentations hors campus, ma grille horaire est pleine.

Le président: Quel rôle devrait jouer le gouvernement en vue de résoudre ces problèmes?

M. Byrne: Il nous faut créer des groupes particuliers chargés de jouer ce rôle d'extension et de sauvegarder la participation des chercheurs.

Le président: Pour ce qui est de la politique publique, que peut faire un comité comme le nôtre en matière de recommandations?

M. Byrne: Je dirais que ce qui compte, définitivement, c'est quelque chose qui permette aux chercheurs de continuer de participer.

Le sénateur Hubley: La deuxième question concernait des modélisations hydriques dans le monde. J'aurais tendance à penser que l'eau doit aujourd'hui être en tête de liste avec le réchauffement planétaire, surtout s'agissant d'essayer de trouver une solution canadienne. Il nous faudra peut-être étudier le cas d'autres pays qui ont réussi à élaborer des modèles que l'on pourrait reprendre ici.

M. Byrne: Des groupes comme le New Canadian Water Network, un réseau de centres d'excellence financés par le gouvernement fédéral, peuvent faire un merveilleux travail en allant explorer des solutions de rechange internationales car ils disposent de ressources nécessaires pour faire ces genres de choses.

Le Canadian Water Network a des liens avec nous. Les Australiens, qui font dans certains domaines du très bon travail, sont particulièrement connus pour leur désir de protéger leurs sources d'eau et leurs bassins. Ils protègent leur approvisionnement en eau, jugeant que la chose la plus importante à faire est de maintenir la qualité de l'écosystème afin que leur eau demeure pure et dans son merveilleux état naturel.

Les Australiens sont certainement un lien. Les Européens font de bonnes choses, mais leur continent est bien sûr très peuplé. Le Canada n'est ni en avance ni en retard par rapport à qui que ce soit. De façon générale, le Canada pourrait être à l'avant-scène s'il mettait l'accent sur l'efficience au lieu de s'en tenir à une approche de génie civil traditionnelle en matière de gestion de l'eau.

En tant qu'ingénieur, je ne pense pas que nous ayons fait un bon travail de gestion de l'eau. Nous recourons à des solutions de génie pour résoudre des problèmes d'eau, et cela n'est plus adapté.

Il nous faut des moyens efficients et efficaces de gérer nos systèmes hydriques et tous nos autres écosystèmes. C'est la seule façon pour nous de faire le virage. La ressource est trop limitée.

Le sénateur Gustafson: Où le Canada se classe-t-il côté approvisionnement en eau? Nous devons être en haut de la liste des pays ou des continents. Dans notre région, nous avons le Missouri souterrain. Ils ne peuvent pas en abaisser le niveau. Ils forent des puits et ils pompent de vastes quantités d'eau.

M. Byrne: Les Canadiens souffrent depuis des décennies du fait d'une idée fausse. Cela a commencé lorsque la télédétection est devenue populaire. Certains des tout premiers chercheurs à utiliser la télédétection ont déclaré qu'après avoir balayé tout le pays ils avaient découvert que de vastes superficies étaient recouvertes d'eau. C'est ainsi qu'ils ont proclamé que le Canada avait 20 p. 100 de l'eau douce de la planète.

Dans les faits, une part importante de cette eau correspond à des terres humides. Et dans certains cas, il n'y avait pas beaucoup d'eau du tout. Le gros du reste de notre eau se trouve dans des lacs que l'on ne peut pas pomper à sec. Vous ne pouvez pas retirer des Grands Lacs plus d'eau qu'il n'en entre. L'approvisionnement en eau utilisable au Canada se trouve dans les rivières. Contrairement à la croyance commune, je ne pense pas du tout que nous soyons riches en eau.

Le sénateur Gustafson: En Arizona, là où l'on fait beaucoup d'irrigation, le niveau de l'eau aurait baissé de 40 pieds.

M. Byrne: La rivière Oldman n'est pas très pleine. Si ce n'était cet orage anormal en mai ou en juin dernier, nos réservoirs seraient aujourd'hui tout à fait secs. Nos sols sont très secs. Il ne faut pas du tout croire que nous sommes riches en eau.

Le président: Professeur Byrne, avant de donner la parole au sénateur Fairbairn pour le deuxième tour, j'aimerais moi-même vous poser une question.

Je m'intéresse à l'eau et aux ressources hydriques parce que l'un des grands effets du changement climatique dans l'Ouest du Canada va être la sécheresse, et il nous faut nous tourner vers les précipitations pour trouver des réponses.

Nous pouvons envisager de nouvelles graines xérophiles, nous pouvons envisager la culture sans labour et nous pouvons envisager la séquestration du carbone et toutes ces autres choses qui nous ont été recommandées, mais il nous faut de l'eau pour que les cultures poussent et pour que les arbres poussent.

Je suis intéressé par les ressources hydriques, les stratégies hydriques, les utilisations qui sont faites de l'eau, le stockage d'eau, le transport d'eau par pipeline, les barrages et la création de nouvelles sources d'eau.

Ce que vous nous avez présenté aujourd'hui est une vue d'ensemble commençant au Kilimandjaro et avançant dans le temps jusqu'à maintenant. Ce que nous n'avons pas est une liste des travaux de recherche scientifique menés en Alberta et ailleurs dans l'Ouest et qui fourniront des réponses aux questions auxquelles il nous faut trouver des réponses. Par exemple: si dans 40 ou 50 ans une personne veut être agriculteur dans le sud de l'Alberta, où va-t-elle aller prendre son eau? Elle ne peut pas forer un puits pour la trouver. L'eau ne va plus non plus couler de la montagne. D'où va-t-elle venir?

Si vous avez des travaux de recherche susceptibles de nous aider avec ce concept d'adaptation, nous vous serions très reconnaissants de nous les fournir. Si vous ne le faites pas, il y aura un grand trou dans notre rapport.

Vous êtes l'un des experts du Canada en la matière et j'ose espérer que vous pourrez nous fournir de nouveaux travaux de recherche pour répondre à certaines de ces questions au sujet de l'eau.

M. Byrne: Je comprends vos préoccupations et je pense pouvoir réagir à certaines d'entre elles, mais je vais m'en remettre à mes collègues qui vont me suivre. Il y a des gens ici qui vont témoigner devant vous et qui sont spécialisés dans ce domaine.

J'ai travaillé avec Dave Major et Dan Johnson et Sean McGinn, du Centre de recherches de Lethbridge, et ils ont fait du très bon travail au début des années 90. Ce projet portait sur la distribution spatiale des systèmes de culture. Les ressources dont nous disposions n'étaient pas du tout importantes, mais le travail a été très bon. Ils ont formulé des idées, des recommandations et des stratégies de gestion pour différentes régions.

Ce qu'il nous faut faire c'est franchir l'étape suivante et charger des personnes d'examiner cela beaucoup plus dans le détail, car c'est important. Il serait absurde qu'une infrastructure coûteuse échoue dans 20 ou 40 ans parce que nous n'avons pas fait au départ les bonnes recherches.

Je n'essaie pas du tout de m'esquiver. J'aimerais beaucoup répondre à votre question, mais je respecte mes collègues et je sais qu'ils feront un meilleur travail que moi, et je m'en remets donc à eux. Je peux vous les montrer, si vous voulez, mais je pense qu'ils savent qui ils sont.

Le président: Si vous mettiez la main dans votre institut sur des travaux de recherche susceptibles de nous aider, nous vous serions reconnaissants de bien vouloir les faire parvenir au greffier ou à notre service de recherche.

M. Byrne: Oui, je le ferai.

Le sénateur Fairbairn: Merci. J'aimerais revenir sur la question des communications. Ces questions sont difficiles à comprendre. Le gouvernement n'est pas un grand communicateur.

Comme vous l'avez dit, les chercheurs font la recherche, se font publier et entreprennent d'autres travaux de recherche. J'en déduis que la transmission du message aux agriculteurs n'est pas en haut de la liste pour les chercheurs.

Si nous voulons aider les gens à planifier leur vie, quels genres de mécanismes pourrait-on mettre en place pour les aider à comprendre ce que vous faites?

En un sens, je suppose que ce comité et ce qu'il produira deviendront outils de communication. Comment peut-on construire un pont pour que les gens aient le sentiment qu'ils peuvent endosser ce que vous êtes en train d'apprendre et pour qu'ils aient le coeur à essayer et à se convaincre, eux-mêmes et leurs familles, que cela en vaut encore la peine? L'Alberta aurait un tout autre visage si l'on voyait se fermer tous ces merveilleux villages.

M. Byrne: Sénateur Fairbairn, vous venez de mettre le doigt sur une chose qui est très frustrante pour moi. Vous vous souviendrez peut-être que nous étions assis ensemble à la conférence sur l'atmosphère en évolution à Toronto, en 1988.

Le sénateur Fairbairn: Oui.

M. Byrne: Il est si merveilleux d'être avec un groupe qui peut toujours apprécier cette métaphore qu'a évoquée Stephen Schneider, l'un des plus grands climatologues au monde, disant que cette conférence était le «Woodstock du changement climatique».

Depuis, j'ai fait beaucoup de recherches sur le climat et l'eau et j'ai donné des conférences un peu partout et, bien franchement, je ne pense pas qu'il y ait eu beaucoup de croyants dans le sud de l'Alberta avant l'an 2000 environ.

Le sénateur Fairbairn: De croyants?

M. Byrne: Oui. Je ne parle pas de croire tout ce que j'ai dit, mais la communauté scientifique est dans l'ensemble d'accord là-dessus depuis quelque temps déjà.

Le sénateur Fairbairn: Vous pouvez croire que le lac Chin est en train de s'assécher.

M. Byrne: Ils croient définitivement ces genres de choses, n'est-ce pas? Peut-être que c'est cela qui a changé les choses. Il est terrible de devoir en arriver à une situation de crise avant d'apporter des changements.

Que pouvons-nous faire? Le débat autour de toute cette question a été très chargé. Il y a de nombreux organismes qui font activement du lobbying, disant que le changement climatique n'est pas un gros problème pour la société.

Je pense donc qu'il s'agit toujours en quelque sorte de livrer une bataille mais si nous sommes munis de ressources raisonnables, il me semble que c'est chose possible.

Le sénateur Fairbairn: Ce devait être ma question suivante.

M. Byrne: Il nous faut vraiment des gens qui travaillent sur le terrain. Il nous faut une structure qui permette aux chercheurs d'aller sur le terrain.

Je suis un petit peu décalé car les différentes industries et groupes de l'industrie mènent leurs initiatives de lobbying de façon très différente. Voilà ce à quoi nous avons été confrontés jusqu'ici.

Le sénateur Fairbairn: Si vous aviez tout un magot, sur quoi dépenseriez-vous l'argent?

M. Byrne: Il nous faut définir une gamme de scénarios pour l'avenir, pas juste s'agissant des conditions climatiques qui prévaudront, mais également des répercussions côté agriculture et système écologique.

J'ai ici un collègue spécialisé dans les parasites. Il a fait du merveilleux travail. Il nous faut savoir comment les parasites vont réagir à la culture sans labour et à l'implantation de vastes infrastructures pour irriguer les champs ou autre chose encore. Il nous faut faire de la recherche et des études sur tous les aspects du changement avant de pouvoir réussir quoi que ce soit. Nous ne tirerons pas les mêmes avantages, voire peut-être aucun avantage, de ces sommes d'argent s'il nous faut nous lancer par la suite dans de vastes programmes d'utilisation de pesticides.

Il nous faut définir la science pour notre région, puis examiner les scénarios et charger les scientifiques de définir les réactions du côté des écosystèmes. Il nous faut définir les stratégies. À l'heure actuelle, nous ne travaillons qu'à partir de stratégies de gestion très simples. Je pense qu'il nous faut faire beaucoup plus de travail.

Le sénateur LaPierre: La technologie va-t-elle nous sauver?

M. Byrne: Les efficiences de la technologie vont nous aider. Si nous voulons vraiment nous sauver, il nous faut stopper la croissance démographique mondiale. Il nous faut arrêter d'utiliser les ressources car nous allons les épuiser. La théorie écologique fondamentale dit qu'aucune population, quelle qu'elle soit, ne peut continuer de croître. Il y aura un effondrement et cette population mourra.

Nous ne sommes pas à l'abri de l'écologie. Si nous pensons que nous sommes au-dessus de l'écologie, alors nous allons nous effondrer comme n'importe quelle autre population dont la croissance a dépassé les ressources à sa disposition.

Le président: Professeur Byrne, je tiens à vous remercier très sincèrement. Vous nous avez stimulés et nous tous avons de très nombreuses questions que nous aimerions vous poser, et je suppose que c'est là votre travail, en tant que professeur.

Nous allons maintenant entendre Cheryl Bradley, de la Federation of Alberta Naturalists.

Bienvenue, madame Bradley. Allez-y, je vous prie, et lorsque vous aurez terminé, nous vous poserons quelques questions au sujet de votre exposé. Nous attendons avec impatience de vous entendre.

Mme Cheryl Bradley, Federation of Alberta Naturalists: Monsieur le président, et honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invitée à venir comparaître devant vous aujourd'hui. Je suis ici au nom de la Federation of Alberta Naturalists. La FAN regroupe 12 clubs de l'industrie et 12 clubs associés d'un petit peu partout en Alberta.

Notre objet est de livrer aux Albertains des renseignements qui favorisent une meilleure compréhension et une meilleure appréciation du rôle qu'ils peuvent jouer pour protéger la vie animale et végétale de l'Alberta.

Votre lettre d'invitation et autres renseignements généraux au sujet du comité m'ont appris que votre propos est d'examiner la façon dont l'agriculture, la foresterie et les collectivités rurales doivent s'adapter au changement climatique. Il s'agit là d'un sujet très vaste et visionnaire. Ma contribution à vos délibérations sera petite en comparaison.

Je vais surtout m'attarder sur les Prairies albertaines et sur ce que moi-même et d'autres représentants de la Federation of Alberta Naturalists ont appris au fil de plusieurs décennies de travail en conservation. Je vais très largement puiser dans les leçons apprises par le biais de notre participation à l'Alberta Prairie Conservation Forum et au South Saskatchewan River Basin Planning Process.

Ces deux processus de collaboration à participation multiple visent à cerner les limites que nous impose notre environnement des Prairies et à définir des stratégies pour assurer une vitalité économique, un bien-être social et une santé environnementale durables au fur et à mesure de la croissance de la population humaine et des stress imposés à notre environnement naturel.

Accompagne mon mémoire le troisième plan d'action quinquennal pour la conservation de l'Alberta, élaboré par le Prairie Conservation Forum. Je vous fournis également le cahier hors-série numéro 2 du Prairie Conservation Forum, intitulé «Prairie Ecosystem Management: An Alberta Perspective».

Est au coeur du travail du Prairie Conservation Forum une bonne compréhension de l'écosystème et du rôle qu'y jouent les gens. Il s'agit là d'un concept tout à fait approprié s'agissant du changement climatique et qui a été clairement exposé par David Costello, gestionnaire des terrains de parcours, en 1952, lorsqu'il a dit:

Les gens sont les plus importants facteurs biologiques. Grâce à leurs connaissances croissantes de l'écologie, ils referment en eux le pouvoir d'agir sur leur environnement pour leur propre bien. Il leur faudra appliquer ces connaissances non pas par le biais de décrets, de décisions arbitraires ou de forces économiques ou politiques, mais bien à l'intérieur des limites des lois naturelles, s'ils veulent réussir.

Il y a deux adaptations clés au changement climatique dans l'écosystème des Prairies dont j'aimerais traiter aujourd'hui: premièrement, le maintien et le rétablissement de parcours naturels de prairies et l'utilisation durable des grands pâturages libres et, deuxièmement, la protection de la santé des rivières et la sage gestion de nos ressources hydriques.

Les écosystèmes naturels des Prairies, comme la plupart des écosystèmes, assurent d'importants services écologiques dont voici quelques exemples: habitats pour les poissons et la faune, réservoirs pour la biodiversité, bassins hydrographiques et valeurs esthétiques et patrimoniales.

L'offre de ces services est compromise par les usages et impositions qui viennent modifier les écosystèmes et leurs processus ou par les perturbations naturelles, notamment photosynthèse, décomposition, sécheresse, feu, broutage et prédation, au point où les écosystèmes ne sont plus autosuffisants ni résistants aux perturbations.

Il est un service écologique clé qui est tout à fait pertinent dans le cadre des travaux entrepris par le comité: en effet, les surfaces pastorales jouent un rôle très important en tant que puits biologiques pour stocker le carbone. Le Prairie Conservation Forum est d'ailleurs en train d'élaborer une page Web sur les surfaces en herbe et le stockage du carbone. Elle devrait être disponible sur notre site Web d'ici quelques jours.

Les sols se trouvant sous les surfaces pastorales sauvages peuvent renfermer jusqu'à 200 tonnes de carbone à l'hectare. Cela veut dire qu'il y a deux ou trois milliards de tonnes de carbone entreposées sous les surfaces en herbe non cultivées de l'ouest du Canada.

La conversion de prairies naturelles en terres cultivées résulte en des pertes énormes de carbone, typiquement environ 20 p. 100 à 30 p. 100 de ce qui était au départ présent dans les 30 premiers centimètres de terre sous la surface, en l'espace de quelques décennies. La quantité de carbone stocké est inférieure de 25 p. 100 sous les pâturages qu'on a réensemencés de plantes non indigènes comme par exemple l'agropyre à crête.

Les avantages écologiques sont des avantages économiques directs que livrent à la société les écosystèmes des praires indigènes. Bien géré, le pacage est tout à fait durable et compatible avec la préservation de la biodiversité et avec d'autres fonctions écologiques des terres en herbe.

Les surfaces pastorales des Prairies ont pendant des milliers d'années été broutées par le bison et d'autres espèces sauvages. Aujourdhui, les herbages sont mis en pacage pour le bétail, mais à cause de leur adaptation aux stress des prairies, cette pratique est durable.

Les prairies naturelles et grands pâturages libres soutiennent une industrie d'élevage prospère qui fournit de la viande et des peaux pour les marchés intérieurs et d'exportation. Par exemple, la portion publique, correspondant à 68 p. 100 des 16,5 millions d'acres de parcours naturels indigènes en Alberta, représente une production d'une valeur à la ferme de 230 millions de dollars par année.

L'industrie de l'élevage a un effet multiplicateur direct et indirect de quatre à six fois sur l'économie locale.

D'autre part, le tourisme axé sur les parcours naturels et sur le mode de vie des ranchs est de plus en plus reconnu comme étant une occasion économique à saisir.

Le comité sera particulièrement intéressé de savoir que la productivité des surfaces pastorales indigènes est moins erratique que celle des pâturages modifiés du fait que les espèces indigènes sont adaptées à la sécheresse, perturbation écologique dont on pense qu'elle va augmenter avec le changement climatique. Les collectivités des surfaces pastorales indigènes offrent une valeur de gestion aux producteurs de bétail qui n'ont pas accès à des pâturages modifiés ou dégradés.

Par exemple, les ranchs sont mieux en mesure de soutenir un taux de stockage stable et courent de moindres risques financiers sur des terres herbagères indigènes comparativement aux pâturages en culture sèche sur lesquels on a introduit de l'houlque. Il faut moins de produits chimiques et d'énergie pour les pâturages indigènes comparativement aux pâturages non indigènes.

Bien que nous reconnaissions la valeur des systèmes d'assolement en monoculture et que l'on sache que ces systèmes vont demeurer prédominants dans les Prairies dans l'avenir prévisible, ils sont par inhérence instables. Le maintien de leur productivité exige d'importants intrants chimiques et énergétiques ainsi que de l'eau, tout particulièrement en zone irriguée.

L'importance de ces intrants va vraisemblablement augmenter au fil des changements climatiques auxquels l'on s'attend dans les Prairies. Vient s'ajouter à cela un plus grand risque de pollution de l'eau et de l'air, y compris par les gaz à effet de serre.

La prairie indigène, quant à elle, a évolué sur 10 000 ans, passant par des périodes de grande sécheresse, et elle est autosuffisante dans la fourchette de variations naturelles auxquelles elle a été exposée par le passé.

Néanmoins, si le changement climatique devait déborder très largement de cette fourchette de variations naturelles, même les terres herbagères indigènes, et tout ce qui dépend d'elles, y compris les humains, seraient peut-être incapables de s'adapter.

Le maintien et le rétablissement de vastes parcours naturels dans les prairies est une stratégie appropriée d'adaptation au changement climatique. Un système de vastes espaces protégés assortis de zones tampons et de corridors de déplacement des animaux et faisant le lien entre les zones principales est envisagé par beaucoup comme étant un moyen d'aider les espèces fauniques à s'adapter au changement climatique. Ce système présenterait également des possibilités intéressantes sur le plan écotourisme.

Nous espérons que le comité envisagera des mécanismes pour appuyer les efforts destinés à maintenir et à rétablir de vastes superficies en herbe indigène dans l'ouest du Canada.

Dans mon mémoire, je vous fournis des sources de renseignements: les adresses Internet de plusieurs programmes de coopération auxquels nous oeuvrons à l'heure actuelle dans le contexte de cette vision, y compris la Northern Great Plains Conservation Initiative, qui est un projet mené en coparticipation par la Société canadienne pour la conservation de la nature, la Nature Conservancy dans le Montana et une initiative trinationale appelée North American Grasslands Conservation Initiative, projet porte-étendard de la Commission de coopération environnementale.

Un défi clé auquel le comité, nous l'espérons, réfléchira, est celui de savoir de quelle manière reconfigurer notre économie pour encourager un plus grand flux de richesse des centres urbains très peuplés aux collectivités rurales qui sont les gardiens des écosystèmes indigènes. Par exemple, pour éviter des améliorations coûteuses aux installations de traitement des eaux naturelles, les municipalités urbaines préoccupées par la dégradation de la qualité de l'eau pourraient acheminer des fonds aux municipalités rurales pour des programmes qui protègent et rétablissent la santé écologique des bassins hydrographiques en amont de la ville, améliorant ainsi la qualité de l'eau au captage.

Cows and Fish, un programme destiné à favoriser une meilleure compréhension de la façon dont des améliorations et une bonne gestion du pacage en zone rivulaire pourraient améliorer les paysages, la santé et la productivité, est un modèle remarquable de conservation grâce à des partenariats entre pouvoirs publics, producteurs de bétail et organisations de conservation.

Deux documents produits dans le cadre de ce programme vous sont fournis. L'un s'intitule: Caring for the Green Zone: Riparian Areas and Grazing Management, et l'autre, qui vient tout juste de paraître, a pour titre Caring for the Green Zone: Riparian Areas, A User's Guide to Health. Vous avez également un dépliant sur ce programme.

De la même façon, les subventions agricoles versées aux producteurs pourraient être liées à l'élaboration de plans de gestion de ranchs qui protègent les espèces en péril ou la biodiversité tout en maintenant ou en améliorant la productivité des parcours naturels.

Cela fait 18 ans que l'Antelope Creek Ranch près de Brooks, en Alberta, fait de la recherche et documente la façon dont une gestion appropriée des grands parcours peut permettre la réalisation des objectifs que sont la protection de la biodiversité et le maintien de la productivité des pâturages même en période de sécheresse.

Je ne prétends pas comprendre le marché des crédits de carbone, mais je recommanderais que l'on cherche des mécanismes pour veiller à ce que les avantages découlant de tout échange de crédits de carbone relativement à des prairies naturelles reviennent aux communautés rurales qui sont les intendants de ces terres en herbe.

Le deuxième aspect qui nous préoccupe est la protection de la santé des rivières et la gestion à bon escient des ressources hydriques.

L'eau est sans doute la ressource la plus limitée dans les prairies et les parcs de l'Alberta. Selon les prévisions, elle va devenir encore plus rare avec le changement climatique.

La modélisation de l'écoulement des eaux dans le cadre du South Saskatchewan River Basin Water Management Plan a déterminé que pour que le débit d'entrée soit suffisant pour la qualité de l'eau, les poissons, les habitats riverains et l'entretien du chenal, les limites en matière d'allocation de l'eau doivent être atteintes ou dépassées dans les rivières Bow, Oldman et Saskatchewan-Sud et leurs tributaires. La rivière Red Deer a toujours une certaine capacité d'allocation.

À la mi-novembre 2002, le gouvernement provincial a envoyé un avis disant qu'il n'accepterait plus de nouvelles demandes de licence pour détourner de l'eau des rivières Belly, St. Mary ou Waterton. Ces rivières sont toutes tributaires de la rivière Oldman et l'on considère qu'elles ont été allouées à 120 p. 100 à 130 p. 100. Elles coulent au débit minimum 83 p. 100 du temps. Ces débits faibles résultent en des débits critiques pour la vie aquatique et mettent en péril les forêts riveraines, situation qui va vraisemblablement s'aggraver avec le changement climatique.

Cette réalité écologique, rendue douloureusement claire au cours de ces dernières années de sécheresse, a secoué ceux d'entre nous qui participons aux comités consultatifs multipartites engagés dans le South Saskatchewan River Basin Planning Process.

Personne ne veut voir nos rivières mourir. Nombre d'intervenants, y compris municipalités rurales et urbaines, districts d'irrigation, et groupes industriels, agricoles, récréatifs et de conservation, dont la FAN, s'efforcent de trouver une solution pour renvoyer de l'eau dans les rivières déjà stressées et pour satisfaire la demande future d'eau qu'exigera la croissance économique et démographique de la région.

Les scénarios élaborés pour guider le processus décisionnel en matière de gestion de l'eau ne tiennent pas compte de la partie sauvage du changement climatique, en partie parce que les défis auxquels nous nous trouvons confrontés sont déjà énormes et en partie parce que le changement climatique effectif côté débit fluvial est difficile à prévoir avec assurance.

Les groupes de conservation qui participent au processus de planification du bassin estiment qu'il vaudrait mieux adopter une approche préventive qui pèche par excès de prudence en faveur de la santé des rivières.

À l'heure actuelle, 80 p. 100 à 90 p. 100 de l'eau pouvant, par voie de licence, être retirée du bassin hydrographique de la rivière Saskatchewan-sud, est destinée à l'irrigation, le gros de cette eau étant prise dans les rivières pour être versée dans des canaux appartenant aux districts d'irrigation.

L'agriculture en zone d'irrigation a livré d'énormes avantages économiques aux Albertains du sud. Cependant, l'on reconnaît de plus en plus qu'on en est arrivé à un point où les nouveaux investissements publics dans l'industrie ne rapporteront que des rendements décroissants.

Selon un rapport préparé pour le ministère de l'Environnement de l'Alberta, la population dans le bassin devrait passer de 1,3 million en 1996 à entre 2,4 millions et 3,2 millions au cours des 50 prochaines années. Pendant cette même période, la demande de retraits d'eau non destinée à l'irrigation va vraisemblablement augmenter d'entre 52 et 136 p. 100, ce pour satisfaire la demande croissante des municipalités, de l'industrie et des élevages.

Il est clair que pour maintenir la santé de nos rivières et composer avec la croissance de la population humaine et la diversification économique, il importera de prendre des mesures qui encouragent la conservation de l'eau et permettre de réaffecter l'eau à des usages jugés de valeur supérieure.

En juin 2002, le gouvernement de l'Alberta a autorisé l'utilisation de transferts d'allocations d'eau et de retenues de conservation d'eau.

Cela nous trouble de voir des collectivités rurales, qui ont souffert de la sécheresse, mettre tous leurs espoirs en vue de la croissance future de leurs collectivités dans la construction d'encore plus de barrages en vue de l'irrigation de terres agricoles.

C'est cela qui a alimenté les pressions politiques locales en vue de la construction d'un barrage au site Meridian sur la rivière Saskatchewan-sud en 2001 et qui nourrit des pressions semblables en vue de la construction d'un barrage sur la rivière Milk, à la jonction des rivières Milk sud et Milk nord.

Une étude de faisabilité pour le barrage Meridian a évalué le coût à entre 3,6 et 5,5 milliards de dollars, avec un rendement de seulement 33 à 35 cents par dollar dépensé et annoncé de sérieux impacts négatifs sur l'environnement. L'on s'attend à des résultats semblables à l'issue d'une étude de faisabilité provinciale présentement en cours, celle-ci portant sur le barrage de la rivière Milk.

Ces deux sites proposés se trouvent au beau milieu de paysages naturels des prairies absolument spectaculaires. D'après des travaux de recherche menés par Tom Power, président de la faculté de sciences économiques à l'University of Montana, à Missoula, la vitalité économique de la région des grandes plaines est de plus en plus liée aux magnifiques paysages et à la diversification économique plutôt qu'à l'agriculture, une industrie mûre qui compte pour une part de moins en moins importante de l'économie régionale.

J'espère que cet exposé que je vous ai fait au nom de la Federation of Alberta Naturalists sera une contribution utile à vos délibérations sur la façon dont l'agriculture, les forêts et les collectivités rurales devront s'adapter au changement climatique.

J'espère également qu'il vous aura bien communiqué notre opinion selon laquelle il est important d'adopter une approche axée sur la gestion des écosystèmes pour traiter des problèmes présentés par le changement climatique.

Une telle approche reconnaît l'importance du maintien et du rétablissement d'écosystèmes sains et en état de fonctionner et qui résistent aux perturbations, de l'utilisation d'approches multidisciplinaires et interjuridictionnelles dans l'élaboration de stratégies pour faire face aux problèmes et de la surveillance des résultats de notre gestion et de notre adaptation, selon les besoins.

Le président: Merci pour cette excellente présentation. Vous avez couvert un très grand nombre des points clés qu'est en train d'examiner le comité. Vous avez manifestement consacré beaucoup de temps à la préparation de cet exposé.

Collègues, nous allons cette fois-ci nous limiter à trois sénateurs, vu le grand retard que nous avons pris, et ces trois sénateurs qui vont poser des questions sont les sénateurs Tkachuk, Wiebe et Fairbairn.

Le sénateur Tkachuk: Lorsqu'il fait froid comme c'est le cas à l'heure actuelle dans le gros de la région des Prairies, bien qu'il ait fait meilleur ici à Lethbridge comparativement à ce qui nous a accueillis au réveil à Regina lundi matin, et bien qu'il y ait de vastes réserves de gaz naturel dans le monde, la quantité disponible à tout moment est limitée. Lorsque la demande augmente, donc, les prix augmentent aussi. Est-ce que l'eau est trop bon marché?

Mme Bradley: Nous ne mettons pas de prix sur l'eau. En fait, c'est la prudence qui fait que nous ne mettons pas un prix sur l'eau, étant donné les ramifications possibles dans le cadre de l'ALENA. Il est aujourd'hui question d'un marché de droit de distribution de l'eau, mais il ne faut pas assimiler cela à l'établissement d'un prix pour l'eau.

Le sénateur Tkachuk: Si vous vivez une année sèche, la ville de Saskatoon peut dire aux résidents de faire attention avec l'eau les lundis, mercredis et vendredis. Voyez-vous ce que je veux dire? Une ressource rare est distribuée.

Pourquoi est-ce qu'ils ne demandent pas d'être payés plus cher lorsqu'il y a moins d'eau et moins cher lorsqu'il y en a beaucoup? Cela ne sensibiliserait-il pas davantage les gens à l'eau qu'ils utilisent, que ce soit pour faire de l'irrigation, pour laver leur linge ou pour arroser leur pelouse? On paye 35 $ à Saskatoon et on a toute l'eau qu'on veut.

Mme Bradley: Je comprends ce à quoi vous voulez en venir, mais je pense que c'est une chose très complexe que d'essayer de mettre un prix sur l'eau, surtout lorsqu'il s'agit d'une nécessité de la vie pour les gens. Nous avons développé des systèmes pour le secteur agricole, et l'agriculture, qui dépend très largement de l'eau, ne pourrait jamais concurrencer la population urbaine pour payer tant par unité d'eau.

Il ne s'agit donc pas tout simplement de créer un marché pour l'eau. Mais je pense que nous tendons vers cela ici vu la récente décision prise par le gouvernement de l'Alberta d'autoriser l'échange de droits de distribution d'eau.

Et il s'agit là d'un marché. Les gens paieront pour cela, mais il faudra l'accord du directeur des ressources en eau pour être certain que personne en aval ne va souffrir du fait de ce commerce et qu'il n'y aura pas non plus de conséquences néfastes pour l'écosystème aquatique.

Je ne pense pas que l'eau en tant que ressource publique soit une chose dont on puisse traiter uniquement dans le contexte du système de marché économique.

Le sénateur Tkachuk: C'est le cas pour l'eau qu'on boit. Cela m'étonne toujours de voir ce que les gens payent pour acheter de l'eau en bouteille qui n'est pas supérieure à celle qui sort du robinet dans la plupart des villes.

Mme Bradley: Ce que vous dites est intéressant.

Le sénateur Tkachuk: Ils le font parce qu'ils pensent que cette eau est bonne pour eux.

Mme Bradley: Je pense que l'industrie vend une image voulant que cette eau soit plus propre, alors qu'il en fait été prouvé que ce n'est pas le cas.

Le sénateur Tkachuk: Moi, je verse tout simplement de l'eau du robinet dans une bouteille et les gens pensent que je l'ai achetée.

Le sénateur Wiebe: Madame Bradley, j'ai été très impressionné et très intéressé par vos commentaires au sujet des prairies et des prairies naturelles.

En octobre dernier, j'ai eu l'occasion de passer toute une journée avec certains des chercheurs qui travaillent au parc national des Prairies dans le sud de la Saskatchewan. Votre organisation a-t-elle eu l'occasion de voir certains des travaux qu'ils y mènent ainsi que la recherche qui s'y fait?

Mme Bradley: Je ne connais pas ces travaux de recherche en particulier, mais le Prairie Conservation Forum reste en contact avec notre organisation soeur en Saskatchewan, soit le Saskatchewan Prairie Conservation Action Plan, et nous échangeons des renseignements et oeuvrons à l'heure actuelle à la création d'une page d'information Web contenant la liste des travaux de recherche non publiés, se trouvent sur nos étagères ou dans des organismes gouvernementaux.

Le sénateur Jack Wiebe (président suppléant) occupe le fauteuil.

Le président suppléant: Je vous recommanderais d'y jeter un coup d'oeil car j'ai été absolument époustouflé par les travaux de recherche et les données fort impressionnants qui sont sortis du parc national des Prairies.

Le sénateur Fairbairn: Merci de ce splendide exposé, car vous abordez certains des aspects très frustrants qui, je suppose, nous angoissent tous.

Tout d'abord, j'ai parlé plus tôt des communications, et il me faut tirer mon chapeau à votre fédération. À parcourir la documentation que vous nous avez fournie ce matin, il est clair que vous vous démenez pour livrer vos messages, et j'espère qu'on les écoute, partout.

Je ne suis pas agricultrice, mais il me semble que l'un des aspects les plus vexants dans toute cette affaire est le manque d'attention, de compréhension et de compassion de la part du Canada urbain quant à l'importance et à la valeur des gens qui vivent de la terre, qui produisent des denrées, qui nourrissent notre pays et qui contribuent à nourrir le monde. Les agriculteurs sont en difficulté et les Canadiens des villes ne manifestent que très peu de compréhension ou de réaction face à la nécessité de protéger les possibilités pour nos collectivités agricoles et forestières de continuer de prospérer et de nous fournir ces avantages essentiels qu'elles nous livrent.

Quelle est la réaction à votre programme? Il me semble que vous consentez des efforts considérables pour bâtir un pont entre les populations urbaines et rurales. Dans quelle mesure ces efforts ont-ils porté fruit? Si vos efforts ont donné de bons résultats, comment peut-on bâtir quelque chose à partir de là? Comment peut-on insuffler aux collectivités rurales un esprit d'éco-activisme?

Mme Bradley: Je soulignerai que je vous ai fourni les renseignements au sujet du programme Cows and Fish pour illustrer un processus dont je pense qu'il pourrait régler nombre des problèmes de communication auxquels vous songez.

Je ne participe pas directement au projet Cows and Fish, et si vous aimeriez en savoir plus, je vous fournis des coordonnées dans mon mémoire. Participent au programme des producteurs, Trout Unlimited, par exemple, et d'autres personnes qui s'intéressent également aux pêcheries.

D'après ce que je sais du processus, il souligne qu'il faut qu'il y ait un respect mutuel entre les personnes qui détiennent les connaissances scientifiques et les utilisateurs traditionnels des terres. Ceux-ci doivent avoir l'occasion de s'écouter les uns les autres et de s'entraider en vue d'élaborer des outils qu'ils comprennent tous et qu'ils approuvent tous. Leur objectif commun mesurera la santé des écosystèmes et favorisera l'amélioration de la productivité de leurs opérations. Cela suppose établir des objectifs communs et prendre le temps de les réaliser.

Au cours des dix dernières années, des centaines de producteurs ont été touchés par le programme et y ont travaillé. Les responsables ne déploient pas le programme dans une collectivité à moins d'y être invités, et les gens qui distribuent la documentation ne prétendent pas détenir un monopole sur la connaissance. Tout cela est fait conjointement.

Je pense que c'est là un exemple d'une approche qui pourrait être utilisée pour favoriser la communication urbaine- rurale dans d'autres domaines.

Ce programme-ci vise les zones riveraines, mais il y a d'autres aspects de l'environnement rural qui pourraient être l'objet d'un autre programme.

Le sénateur Fairbairn: J'espère que nous pourrons pousser plus loin nos travaux sur la base de cette documentation.

Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.

Le président: Madame Bradley, j'aimerais, au nom du comité, vous remercier très sincèrement pour votre excellent exposé. J'ai tout particulièrement apprécié le fait que vous nous y ayez donné certaines recommandations bien précises pour examen par le comité dans le cadre de ses délibérations, et nous vous en remercions.

Accueillons maintenant la Canadian Sugar Beet Producers' Association. M. Gary Tokariuk en est le vice-président.

Nous savons que nous sommes dans une grosse région productrice de betterave à sucre et nous envisageons avec plaisir de vous entendre.

M. Gary Tokariuk, vice-président, Canadian Sugar Beet Producers' Association: Monsieur le président, sénateurs, la Canadian Sugar Beet Producers' Association représente 400 producteurs de betterave à sucre du sud de l'Alberta au niveau national.

Fondée en 1942, l'association est la voie nationale des producteurs de betterave à sucre depuis 61 ans. Nous sommes également membres de la Fédération canadienne de l'agriculture, l'organisation nationale qui chapeaute les différents groupements de producteurs spécialisés.

Nous autres agriculteurs du sud de l'Alberta savons que le changement climatique fait partie de la vie. Même si nous parlons tous de ce qu'est une année climatique normale ou moyenne, aucun d'entre nous n'est convaincu que quiconque ait jamais vécu une telle année.

Nos pratiques agricoles ont évalué pour tenir compte du fait que l'on est presque chaque année confronté à des conditions extrêmes d'un genre ou d'un autre.

En 2002, nous avons connu des précipitations excessives pendant la saison de croissance accompagnées par des températures inférieures à la moyenne. Les unités thermiques de croissance que nous avons connues n'ont cependant en fait pas été de beaucoup inférieures à la moyenne à long terme.

Au sud de la rivière Oldman, il y a eu une pénurie d'eau d'irrigation pour les campagnes agricoles de 2000 et de 2001. Au nord de la rivière, des volumes normaux d'eau d'irrigation ont été livrés.

La sécheresse a vraisemblablement commencé en 1999. Si nous avons résisté cette année-là c'est grâce à l'une des adaptations apportées dans le domaine agricole par les agriculteurs et par le public dans notre région, et je veux parler de l'irrigation.

Il est courant d'entendre les gens dire que le changement climatique est dû au réchauffement de la planète. Plus tôt ce mois-ci, nous avons tenu notre assemblée générale annuelle ici à Lethbridge, et Tim Ball y a été un conférencier invité. Il nous a dit que le réchauffement planétaire n'était pas la cause de notre sécheresse et des précipitations abondantes. Il a dit que les conditions atmosphériques ne sont pas un «système en état stable». Il a expliqué que les régimes de temps peuvent beaucoup changer et ce sur de courts laps de temps.

Cependant, en tant que gestionnaires de nos exploitations agricoles, l'adaptation au changement climatique n'exige pas de nous que nous choisissions un camp s'agissant de la question du Protocole de Kyoto. Dans les faits, nos pratiques agricoles doivent tenir compte des changements climatiques contraires d'une année à l'autre, quelle qu'en soit la cause. Nos commentaires cadrent avec ce constat général.

La Canadian Sugar Beet Producers' Association appuie les recommandations de la FCA concernant la nécessité de faire des recherches en vue d'aider les agriculteurs à adapter leurs pratiques en fonction des différentes conditions climatiques.

En tant qu'industrie sucrière, nous faisons nos propres travaux de recherche en matière d'adaptation. Un exemple nous est donné par le Canada/Alberta Sugar Beet Industry Development Fund. Même avant le rationnement des eaux d'arrosage dans certains districts, nous nous sommes intéressés à mener des expériences sur l'incidence de différents traitements irriguants et de différents types de matériel d'irrigation, y compris lances d'arrosage, sur le rendement et la qualité des cultures.

Ironie du sort, l'essai a été annulé en 2002 du fait de temps frais à la période de l'ensemencement printanier, de précipitations excessives, de fortes grêles et de gels précoces, mais nos intentions s'inscrivaient sur la bonne voie. Cette année, l'essai sera répété dans le cadre d'un autre programme, et le FDI espère lancer un essai en grand des techniques d'irrigation.

Les producteurs siègent également à un comité de recherche mixte aux côtés de la Rogers Sugar Limited. Cette initiative a été financée 50/50 par les producteurs et le transformateur et porte sur nombre des questions liées aux conditions climatiques dont a fait état la FCA dans sa présentation au comité le 13 septembre.

Nos chercheurs qualifiés se sont penchés sur l'incidence d'événements climatiques à court terme sur les choses que voici: pesticides, herbicides, application de fongicides, application d'engrais et gestion de l'azote, récolte et entreposage à long terme de betteraves à sucre, gestion de l'irrigation et travail accru de conservation du sol.

Ce programme de recherche à financement privé englobe également des essais de variétés dans le but de trouver les graines de betterave à sucre les mieux adaptées au sud de l'Alberta. De telles recherches sont nécessaires pour que notre industrie demeure concurrentielle à l'échelle internationale, reste un choix de production concurrentiel pour nos agriculteurs et s'adapte aux fortes variations climatiques propres à notre région.

Nous sommes en train d'examiner les pratiques d'irrigation, non seulement parce que nous sommes préoccupés par le changement climatique, qui pourrait ou non limiter la disponibilité d'eau pour nous, mais également à cause du coût de pompage de l'eau et de l'incertitude quant au matériel d'irrigation qui donne les meilleurs résultats pour les cultures que nous produisons en rotation avec la betterave à sucre.

Nous ne croyons pas qu'il serait sage pour le gouvernement ou pour nous-mêmes de réorienter notre recherche en fonction, strictement, des défis posés par le changement climatique.

Une injection précoce de dollars fédéraux dans l'infrastructure d'irrigation du sud de l'Alberta a aidé cette région à devenir un moteur agricole productif pour l'économie nationale. Les agriculteurs ont consenti un investissement plus qu'équivalent; les districts d'irrigation livrent de l'eau dans les fermes de leurs zones géographiques; et le gouvernement de l'Alberta est en train de développer d'autres éléments de l'infrastructure.

Il n'y a plus autant de votes dans les régions rurales qu'à l'époque du lancement de l'irrigation, mais les dollars consacrés à l'infrastructure d'irrigation ont une bien plus forte incidence sur les économiques locales que les budgets équivalents engloutis dans la construction de ne serait-ce qu'un seul échangeur routier dans la ville. En ville, la construction d'une route n'amène l'automobiliste qu'à l'embouteillage suivant.

Lorsque le gouvernement de l'Alberta a élaboré un plan d'infrastructure à coûts partagés avec les municipalités et les transformateurs en vue de l'implantation d'importantes usines de transformation alimentaire dans la région ces dernières années, l'incidence s'est étendue beaucoup plus loin que l'intersection suivante.

De nouvelles capacités de transformation alimentaire bénéficient et aux agriculteurs et aux villes. Elles contribuent à la balance des paiements nationale au fur et à mesure de l'augmentation des exportations du sud de l'Alberta. La gestion de la ressource qu'est l'eau est un défi clé dans l'expansion du secteur de la transformation alimentaire.

En tant que membre de la FCA, nous avons entendu des fermiers du sud de l'Ontario parler de l'incidence potentielle du réchauffement planétaire sur l'agriculture dans leur région. La nécessité d'une infrastructure d'irrigation dans le sud de l'Ontario a été exposée à leurs représentants élus.

La Canadian Sugar Beet Producers' Association sait, forte de plusieurs décennies d'expérience, que l'investissement dans l'irrigation paye, qu'il y ait ou non réchauffement de la planète. En conséquence, si des fonds fédéraux vont être investis dans le sud de l'Ontario, nous demanderions que le Sénat rappelle à l'autre chambre qu'il y a également l'irrigation. Nous savons que le sénateur Fairbairn et nos députés élus ont visité l'infrastructure d'irrigation.

Nous voulons tout simplement sensibiliser les autres membres du comité au fait que l'irrigation offre des possibilités non exploitées qui bénéficieraient également aux villes mais qui n'attirent pas beaucoup de votes. Étant donné que vous n'avez pas à vous préoccuper de la question de vous faire réélire, vous pourriez peut-être rapporter à Ottawa le message qu'il importerait d'examiner les besoins en matière d'infrastructure du Canada rural.

Le Comité sénatorial de l'agriculture et des forêts est un fervent défenseur du Canada rural. Nous espérons que cette série d'audiences résultera en encore un autre rapport promoteur de réflexion au gouvernement.

La recherche financée par les producteurs, les transformateurs et le gouvernement doivent aller au-delà d'une simple préoccupation à l'égard du changement climatique. Le programme administré et financé par les producteurs de betteraves à sucre et par la Rogers Sugar Ltd. a réalisé nombre des objectifs escomptés en matière de pratiques de cultures et de priorités dans la gestion des ressources, ce sous la bannière gouvernementale de l'adaptation au changement climatique.

L'investissement public dans la recherche doit être maintenu, mais il ne faudrait pas que l'on se mette des oeillères et que l'on n'y voie qu'une seule priorité.

La totalité de l'investissement public à l'égard du changement climatique ne devrait pas non plus être concentrée sur les villes. Il se pourrait fort bien qu'un investissement équivalent dans l'infrastructure rurale, y compris l'irrigation, puisse livrer autant sinon plus de bénéfices pour les villes sur les plans amélioration de l'environnement national et garantie d'un approvisionnement concurrentiel en produits alimentaires pour les Canadiens, et pour la consommation nationale et pour l'exportation.

Le président: Merci beaucoup de votre exposé. Vous dites qu'il y a certaines cultures que vous produisez en rotation avec la betterave à sucre. Quelles sont-elles et exigent-elles le non-labour?

M. Tokariuk: Il y a différentes rotations qui se font dans le sud de l'Alberta. Dans la région de Lethbridge, l'on cultive les céréales en rotation avec la betterave à sucre. Lorsque vous vous dirigez vers Taber, dans l'est, là où il y a des unités thermiques supérieures, la pomme de terre, les haricots secs et le foin sont eux aussi intégrés dans ces rotations.

Le président: Ces cultures s'inscrivent-elles dans des cycles d'un an?

M. Tokariuk: Oui, toutes sont censées être dans des systèmes de rotation sur quatre ans. Un exemple de rotation, donc, serait la betterave à sucre, suivie par des céréales, puis par des haricots secs puis par une autre céréale ou de la pomme de terre.

Dans l'est de la province, l'on pratiquera sans doute le labour limité, nul ou minimal car l'on pratique la culture intensive.

Le sénateur Gustafson: Votre organisation regroupe 440 producteurs?

M. Tokariuk: Oui.

Le sénateur Gustafson: Y a-t-il des producteurs qui n'appartiennent pas à votre organisation, ou bien celle-ci réunit- elle plus ou moins tous les agriculteurs?

M. Tokariuk: Nous sommes assujettis à un office de commercialisation alors nous appartenons à l'organisation.

Le sénateur Gustafson: Quel est le prix du sucre à l'heure actuelle? Est-il relativement stable? Il y a eu un problème avec les subventions américaines pour le sucre.

M. Tokariuk: Nous avons participé aux audiences du TCCE à Ottawa et des droits sont imposés au sucre américain et au sucre européen. Le prix mondial du sucre tourne aux environs de cinq à six cents, mais je pense qu'au cours des deux derniers mois l'on s'est approché des huit cents, et le prix est toujours à la hausse.

Le sénateur Gustafson: Le marché est un peu plus fort?

M. Tokariuk: Nous sommes à l'heure actuelle liés par un contrat de trois ans. Le marché se raffermit.

Le sénateur Gustafson: Tirez-vous de l'eau de sources souterraines?

M. Tokariuk: Non.

Le sénateur Gustafson: Il n'y a pas de puits dans lesquels vous pourriez puiser de l'eau à des fins d'irrigation?

M. Tokariuk: Non, je ne le pense pas. Je pense que la teneur en sel de beaucoup de cette eau, de cette eau souterraine, est trop élevée.

Le sénateur Gustafson: Votre système serait donc entièrement axé sur des tranchées et des chenaux.

M. Tokariuk: Il n'y a que des chenaux et de l'infrastructure.

Le sénateur Gustafson: L'intervenant qui vous a précédé a indiqué qu'il n'était pas en faveur de barrages. Quelle est votre position en la matière?

M. Tokariuk: Je pense qu'il nous faut nous rendre à l'évidence que nous avons utilisé davantage d'eau au cours des cinq dernières années du fait que la pomme de terre, la luzerne et la phléole des prés soient devenus des marchés très forts. La production de ces cultures a définitivement grevé l'infrastructure.

Une récolte moyenne de céréales utilisera peut-être neuf à dix pouces d'eau, mais si vous commencez à cultiver de la pomme de terre sur les mêmes terres, il vous faut alors 20 pouces à l'acre. Nous sommes attirés par des cultures à valeur supérieure qui exigent davantage d'eau. C'est là l'une des raisons, ajoutée à la sécheresse, de la fatigue de notre système.

L'an dernier, nous avons reçu 26 pouces de précipitations dont une bonne partie a été perdue. Nous aimerions avoir des installations de stockage en rivière de façon à pouvoir contenir les chutes d'eau excédentaires et maintenir un débit constant dans les rivières.

Le sénateur Gustafson: Vous avez donc reçu ici dans cette région les fortes pluies qui sont passées par Medicine Hat, et cetera?

M. Tokariuk: Oui. Notre pluviosité moyenne dans cette région est d'environ 12 pouces. L'an dernier, nous avons reçu 26 pouces.

Le sénateur Fairbairn: J'ai beaucoup d'attaches avec les producteurs de betteraves à sucre de cette région. Je n'ai jamais rencontré d'agriculteurs plus redoutables et plus déterminés, même dans les pires conditions possibles. Ce sont des survivants. J'espère qu'ils continueront d'être des survivants. Ils ont connu une année très difficile et j'espère qu'un beau printemps et qu'un long été chaud seront au rendez-vous.

Le sénateur Wiebe: Il me faut poser cette question, et je n'ai pas hâte à la réponse. L'une des raisons pour lesquelles le comité a été créé a été pour examiner sérieusement la façon dont nous allons nous adapter en cas de pénurie d'eau.

En tant qu'office de commercialisation et que groupe, votre organisation a-t-elle eu l'occasion de regarder ce qui se passera si un autre barrage ne peut pas être construit et ce qui se passera si un barrage est construit mais qu'il n'y a pas d'eau pour remplir le réservoir? Il pourrait être très difficile pour votre industrie de s'adapter à de telles conditions.

M. Tokariuk: Eh bien, nombre d'entre nous ont vécu cela en 2001 lorsque nous n'avions pas l'eau. On nous avait accordé huit pouces, puis nous avons reçu une allocation de dix pouces à l'acre. J'ai mis le maximum d'eau sur les betteraves à sucre, qui sont ma culture à fort rapport économique, et j'en ai utilisé moins avec mes céréales.

C'est cette attitude qu'il faut prendre si l'on va nous donner une quantité limitée d'eau; il nous faut décider où elle rapportera le plus.

Il y a dix ans, tout le monde retournait sa terre à l'automne, passait les disques deux fois, nivelait la terre deux fois puis la regardait tourbillonner au vent tout l'hiver pour ensuite essayer de semer au printemps. Nous en sommes arrivés au point où près de 1 000 acres ont sans doute été ensemencées directement culture sur culture.

Nous cherchons à trouver des moyens d'améliorer les choses. Nous sommes réalistes s'agissant de l'eau et de ce pour quoi l'utiliser. Le rationnement va devenir chose courante à long terme.

Le sénateur Wiebe: J'ai parlé du scénario de la pire éventualité, et c'est peut-être bien ce qui se passera, mais il nous reste encore du temps. L'une des solutions serait-elle d'encourager les scientifiques à chercher à mettre au point une nouvelle variété de betterave à sucre qui résisterait mieux à la sécheresse que les variétés que l'on cultive à l'heure actuelle?

M. Tokariuk: Je pense que McCain's a une pomme de terre qui peut résister avec moins d'eau.

Le sénateur Hubley: Je suis une fille de la côte est alors je ne connais pas très bien la betterave à sucre, mais j'ai été séduite par votre exposé. Vous avez au moins 14 fois utilisé le mot irrigation: irrigation tout court, matériel d'irrigation, traitements d'irrigation, eaux d'irrigation et infrastructure d'irrigation.

Pensez-vous planter une nouvelle variété de betterave à sucre résistante à la sécheresse? Pourrez-vous changer vos cultures alternées de façon à avoir quelque chose qui résiste mieux à la sécheresse? La pomme de terre ne figurera pas parmi ces cultures, car je viens de l'Île-du-Prince-Édouard, et la pomme de terre, je connais cela.

Auriez-vous quelque commentaire à faire, monsieur Tokariuk?

M. Tokariuk: Les pois chiches n'ont besoin que de très peu d'eau pour pousser et nous en avons déjà cultivé en période de sécheresse. Ce pourrait être une solution de rechange ultérieurement.

La station de recherche à l'extérieur de Lethbridge a une exploitation sur laquelle ils mènent différentes expériences avec différents types de matériel d'irrigation. Nous avions autrefois des têtes d'arroseur anti-choc sur les rampes, et lorsque le vent d'ouest soufflait, vous voyiez l'eau partir vers l'est, alors qu'aujourd'hui nous avons des tubes descendants et nous avons opté pour des systèmes de compte-gouttes tels que les gouttes tombent tout droit et plus près des plantes. Nous sommes toujours à la recherche de moyens d'économiser l'eau.

Une chose qui a été adoptée par les districts d'irrigation est l'installation de pipelines, là où il y avait des fossés ouverts où les problèmes d'infiltration et d'évaporation étaient sources d'inquiétude.

Le sénateur Hubley: Nous n'allons pas avoir moins d'eau, mais elle viendra peut-être par à-coups ou alors pas du tout.

L'industrie de la betterave à sucre est-elle totalement dépendante de l'irrigation? Cela fait-il partie intégrante de vos communautés agricoles?

M. Tokariuk: Oui.

Le président: Surtout avec une pluviosité annuelle moyenne de 12 pouces. Je serais curieux de savoir pourquoi l'une de vos quatre cultures en rotation serait la pomme de terre, qui exige tant d'eau? Je comprends que vous cultiviez des céréales, mais pourquoi choisir quelque chose qui demande autant d'eau?

M. Tokariuk: Il s'agit d'une culture à fort rapport économique et le rendement est intéressant pour l'agriculteur. Nous avons de bonnes terres pour la pomme de terre.

Le président: Même avec 12 pouces de pluie?

M. Tokariuk: Non, non. Mais, là encore, par année sèche, les producteurs de pomme de terre achetaient des droits d'eau auprès d'autres agriculteurs, alors il était manifestement intéressant pour eux de produire de la pomme de terre.

Il y avait une disponibilité. Avec mon allocation de dix pouces, je peux en vendre à un autre producteur, qui va ajouter cela à sa propre allocation de dix pouces pour maximiser sa production de pommes de terre.

Le sénateur Tkachuk: Juste un peu de concurrence pour les Maritimes. Vous savez d'où il vient.

M. Tokariuk: Je ne suis pas producteur de pommes de terre.

Le président: Vous remarquerez qu'et le sénateur Hubley et moi-même sommes préoccupés par la culture de la pomme de terre en Alberta.

Le sénateur LaPierre: Avez-vous dit que vous étiez contre les barrages? Vous n'êtes pas en faveur de la construction de barrages? J'ai mis cela dans mon rapport.

M. Tokariuk: Non. Je n'aime pas utiliser ce mot autour d'ici, mais, non, je suis en faveur du stockage en rivière.

Le sénateur LaPierre: Le stockage en rivière exige un barrage?

M. Tokariuk: Oui.

Le sénateur LaPierre: Le stockage en rivière est un euphémisme pour le mot «barrage».

Vous ne vous opposez donc pas à la construction de barrages? La souhaitez-vous? Permettez que je pose ma question autrement. Pensez-vous que ce serait une bonne chose, un bon instrument, pour les problèmes que vous avez et pour appuyer l'instrument essentiel dont vous avez besoin, soit une méthode d'irrigation?

M. Tokariuk: En tant que producteur de betteraves à sucre intéressé, oui, j'aimerais que l'on dispose de stocks en rivière afin d'avoir un approvisionnement en eau constant. Je ne serais pas en faveur de la construction d'un barrage qui ne va pas produire de rendement sur l'investissement consenti.

Le sénateur LaPierre: Mais pourriez-vous avoir un autre moyen de conserver l'eau? Est-ce là ce que vous avez dit? Quel est votre euphémisme pour le mot «barrage»? Avez-vous parlé de «conservation en rivière»?

Existe-t-il un autre moyen d'atteindre cet objectif autrement qu'en construisant un barrage?

M. Tokariuk: Nous plantons des variétés qui utilisent moins d'eau, nous travaillons de façon plus efficiente avec notre système d'approvisionnement en eau et d'arrosage et nous travaillons côté choix du moment pour faire de l'irrigation. On nous a toujours dit qu'il nous faut arroser jusqu'au moment de la récolte, et ce que nous avons essayé de faire l'an dernier c'est d'avoir des dates limites en août, septembre et octobre. Nous avons tenté de voir s'il y avait quelque avantage à faire de l'irrigation tard dans la saison étant donné qu'à l'heure actuelle le coût du pompage est très élevé et que nous cherchons par tous les moyens de réduire nos coûts de pompage et notre consommation d'eau.

Le sénateur LaPierre: Je peux assurer Mme Bradley que les producteurs de betteraves à sucre du sud de l'Alberta ne sont pas en faveur d'un barrage, se désintéressent totalement du barrage, mais sont très intéressés à stocker de l'eau dans le cadre de programmes de conservation.

Le sénateur Gustafson: J'ai toujours cru, à tort ou à raison, que l'irrigation des terres agricoles est un travail difficile. Cela s'est-il amélioré de quelque façon?

M. Tokariuk: L'avènement des rampes-pivots a beaucoup facilité les choses.

Le sénateur Gustafson: Quelle est la taille moyenne d'une exploitation?

M. Tokariuk: Je dirais une section, soit 640 acres.

Le sénateur Gustafson: Tant que cela?

M. Tokariuk: Oui.

Le sénateur Gustafson: Et maintenant pour la dernière question. Quel est le prix de vos terres?

M. Tokariuk: Je dirais que dans ce coin-ci ce serait plus ou moins entre 2 500 $ et 3 000 $ l'acre, selon si vous êtes tout à côté d'un parc d'engraissement ou autre.

Le président: Et sur les 640 acres, il y en aurait environ 150 qui seraient consacrés à la betterave à sucre, et qu'est-ce qu'il y aurait comme proportion pour le reste? En d'autres termes, est-ce que le reste des terres seraient occupées par la pomme de terre?

M. Tokariuk: Certains des producteurs de pomme de terre qui ne cultivent pas de betteraves à sucre suivent des rotations de trois ans. Tous les producteurs qui font de la betterave à sucre en rotation ont un cycle de quatre ans. Ce serait donc 150 acres pour chaque produit: céréales, haricots, pommes de terre, et betteraves à sucre.

Le président: La principale question que nous étudions est le concept d'adaptation au changement climatique. Les producteurs de betterave à sucre ont-ils des revenus qui leur proviennent d'autre chose que la betterave à sucre? En d'autres termes, participent-ils à l'aspect valeur ajoutée de la betterave, côté transformation ou commercialisation?

M. Tokariuk: Non.

Le président: Il n'y a donc absolument aucune valeur ajoutée?

M. Tokariuk: Non. Une fois que nous avons livré les betteraves aux cours de stockage, elles sont la propriété de l'usine. À une époque, on avait un part de la mélasse et de la pulpe de betterave, mais nous n'avons plus avec eux qu'un contrat de vente proprement dite.

Le président: Disposez-vous d'installations d'entreposage communautaires?

M. Tokariuk: Non, les betteraves sont tout simplement empilées en tas. C'est ce qui nous a posé problème cette année. Nous avons empilé des betteraves congelées et à la fin du mois de novembre la température est passée de moins 20 à plus 10 et le tout a dégelé en l'espace d'environ trois jours.

Le président: Si vous ne sortez pas vos betteraves à sucre du sol, alors c'est fini. Vous ne pouvez pas vous rabattre sur autre chose?

M. Tokariuk: Non.

Le sénateur Wiebe: C'est là un concept intéressant, le fait que vous ayez un contrat et que vous vendiez à un transformateur. La vraie valeur de la betterave à sucre résulte de sa transformation.

Le sénateur Wiebe: Pourquoi n'avez-vous pas regardé du côté de la valeur ajoutée et envisagé de faire la transformation vous-mêmes? Est-ce à cause des marchés une fois la betterave transformée?

M. Tokariuk: Oui. Il faut compter un investissement d'environ 200 millions de dollars pour monter une usine de transformation de la betterave à sucre. Et je ne pense pas que la Rogers nous vende la leur à un prix très intéressant.

Lorsque vous approvisionnez un marché avec un produit périssable comme la betterave à sucre, votre production varie d'une année à l'autre. Nous avons eu des pointes de 120 000 tonnes de sucre produit, et des creux avec une production de seulement 47 000 tonnes de sucre.

Si vous avez des contrats fermés, alors en cas de pénurie il vous faut aller acheter le sucre qui vous manque, tandis que Rogers a le luxe d'avoir son usine de transformation de canne à Vancouver en cas d'écart à combler.

Le sénateur Wiebe: Ce qui est frustrant pour l'agriculteur est qu'il est preneur de prix et non pas faiseur de prix. Il nous faut trouver le moyen de renverser cela.

Ce ne devrait pas être trop difficile pour 440 producteurs de trouver 200 millions de dollars. Il faudra à un moment donné se pencher sérieusement sur cette situation.

M. Tokariuk: Aux États-Unis, environ 90 p. 100 des usines de betterave à sucre appartiennent à des coopératives.

Le président: C'est très intéressant. Nous reviendrons peut-être un jour pour discuter un peu plus de cette question.

Le sénateur Tkachuk: Il est beaucoup moins coûteux d'avoir une boulangerie qu'une usine de transformation du sucre, et on n'a même pas fait cela.

Le président: Gary, j'aimerais au nom du comité vous remercier très sincèrement pour une excellente présentation.

L'intervenant suivant sera le chef Chris Shade, de la tribu des Indiens du Sang, et il sera appuyé par Eugene Creighton, Andy Blackwater et Elliott Fox.

Je vous souhaite au nom du comité une très très chaleureuse bienvenue. Nous attendons avec impatience d'entendre votre exposé. Comme vous le savez, nous étudions les effets du changement climatique et les techniques et stratégies d'adaptation à l'étude axées sur l'agriculture, les forêts et les collectivités rurales.

M. Chris Shade, chef, Tribu des Indiens du Sang: Bienvenue au territoire des Pieds-Noirs. J'aimerais vous remercier de l'occasion qui nous est ici donnée de nous entretenir avec vous au sujet de l'agriculture pour la tribu des Indiens du Sang. La tribu des Indiens du Sang, aussi appelée Kainah, vit ici dans le sud de l'Alberta dans la réserve des Indiens du Sang et compte 9 400 membres.

La réserve a une superficie d'environ 1 447 kilomètres carrés et c'est l'agriculture qui est sa principale activité. Comptent parmi ses autres activités l'exploitation forestière, l'exploitation minière, la construction, l'exploitation gazière et pétrolière, et il y a également la petite entreprise et le tourisme. La tribu des Indiens du Sang a marqué des progrès considérables dans tous les secteurs de développement et est considérée comme un leader parmi les Premières nations.

J'aimerais commencer par vous donner le profil agricole de notre communauté, après quoi je traiterai des effets de la sécheresse sur nos terres et opérations, pour conclure en vous soumettant quelques réflexions au sujet du libre-échange.

Description des terres de la réserve des Indiens du Sang: le territoire présentement occupé par les Kainahs, ou tribu des Indiens du Sang, comporte deux parcelles de terre représentant la plus vaste réserve indienne au Canada — la Réserve des Gens-du-Sang numéro 148, d'environ 351 960 acres, soit environ 549,9 milles carrés, et la Réserve des Gens-du-Sang numéro 148A, Concession forestière de la tribu des Indiens du Sang, d'une superficie d'environ 4 795 acres, ou 7,5 milles carrés.

Ces deux parcelles de terre donnent un total d'environ 356 755 acres. La principale Réserve des Gens-du-Sang, numéro 148, est bornée à l'ouest, au nord et à l'est par les rivières Belly, Oldman et St. Mary, respectivement — 100 milles de bord d'eau.

Les parcelles de la Réserve des Gens-du-Sang, numéros 148 et 148A, recouvrent des écorégions subalpines, de forêts subalpines sèches, de prairies-parcs de contreforts, de champs de fétuque de contreforts et de prairies humides mixtes et abritent une riche diversité d'espèces végétales et animales.

La réserve principale, la numéro 148, englobe des terres situées sur la prairie, c'est-à-dire dans des écorégions de contreforts, des champs de fétuque et de prairies mixtes humides, et elle a surtout été développée à des fins agricoles et de production — 330 586 acres.

La Réserve des Gens-du-Sang numéro 148, concession forestière de la tribu des Indiens du Sang, est située au pied des montagnes Rocheuses sur des terres arborées, dont forêts subalpines, forêts subalpines sèches et prairies-parcs des contreforts, et est utilisée à des fins récréatives, culturelles, spirituelles, de récolte du bois, de chasse et de pêche.

La disposition des terres de la Réserve des Gens-du-Sang est classée comme l'indique le tableau qui suit et le graphique qui l'accompagne.

L'agriculture occupe 330 586 acres. De ce total, 201 081 acres sont cultivées; 26 267 acres sont irriguées; 174 814 acres sont des terres sèches et 129 505 acres sont des herbages.

Différents usages non agricoles — chemins publics, bâtiments, collectivités, terres improductives, et cetera — occupent 21 373 acres, pour un total de 351 960. L'exploitation forestière compte pour 4 795 acres.

Profil agricole et gestion des terres de la tribu des Indiens du Sang: La majorité des terres de la tribu des Indiens du Sang relèvent du Blood Tribe Land Management Department, dont l'objet est de gérer et d'administrer les terres en utilisant les connaissances écologiques traditionnelles, complétées par des données scientifiques à jour, ce de façon à protéger, à préserver et à promouvoir l'intégrité culturelle et écologique de ces terres conformément au vrai esprit de la Kainayssini, la déclaration des anciens de la tribu des Indiens du Sang. Cette déclaration prône le développement durable, les bénéfices économiques et l'entretien culturel et spirituel de l'environnement pour l'utilisation et le bénéfice des générations présentes et futures d'Indiens du Sang.

Le Blood Tribe Land Management Department considère le développement durable comme étant un développement qui maintient la santé et la productivité de notre assise territoriale actuelle et satisfait les besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de satisfaire leurs propres besoins.

Le Land Management Department mène présentement diverses activités, notamment le développement, le dépôt et la négociation d'un accord de cogestion amélioré avec le Canada, accord destiné à faciliter un plus grand contrôle des terres par la tribu des Indiens du Sang et leur durabilité.

Il y a également d'autres projets en cours. Par exemple, l'inventaire des ressources biophysiques/environnementales/ culturelles; l'élaboration et l'établissement d'un système SIG de production automatisée de cartes; la réforme des permis agricoles; l'élaboration et l'application de règlements; la mise en oeuvre d'un plan de gestion forestière; l'élaboration d'un processus de règlement de différends pour les questions d'utilisation interne du territoire; le projet d'éradication de l'euphorbe ésule, une plante vireuse; l'initiative Canada-Alberta de conservation des sols; l'administration des permis de chasse, et la poursuite de stratégies en matière d'acquisition de compétences et de formation.

En vertu du BTAP, ou Blood Tribe Agriculture Project, 20 000 acres de terre ont été développées à des fins d'irrigation. Le projet est administré par des employés de la tribu des Indiens du Sang qui ont reçu une formation spécialisée dans les systèmes d'information avancés sur l'irrigation et a pour objet d'assurer la production de toute une variété de cultures, y compris des cultures spécialisées.

Le projet est né des efforts conjoints déployés par la tribu des Indiens du Sang, le Canada et l'Alberta dans le cadre d'un accord tripartite appelé Blood Tribe Irrigation Project Agreement.

Conformément aux exigences de l'accord, la tribu a adopté des règlements en matière d'irrigation qui régissent le contrôle et l'utilisation des eaux de la réserve. Une retombée du projet BTAP a été la création de l'usine de transformation des fourrages de la tribu, et dont les produits sont principalement destinés à l'exportation aux pays côtiers du Pacifique.

La Kainai Agri-Business Corporation, ou KABC, a été créée dans le but de promouvoir, d'encourager et de favoriser l'investissement économique dans le développement de l'industrie agricole de la tribu des Indiens du Sang.

Cette société joue le rôle d'agent et d'organe de coordination pour faciliter le développement agricole de la tribu des Indiens du Sang ainsi que pour lancer, administrer et diriger des initiatives commerciales de nature agricole. La société gère le troupeau de bovins de la bande, la ferme Mataki et la West End Big Lease.

L'industrie agricole de la Réserve des Gens-du-Sang a, au cours des dernières années, ressenti les effets de la sécheresse et des changements climatiques extrêmes tant du côté des récoltes que de celui de l'élevage. Quantité de questions au sujet des dommages et de l'incidence de la sécheresse ont été portées à l'attention des leaders dans le secteur agricole en Alberta.

Un certain nombre de stratégies de subvention ont été mises en oeuvre pour contrer les efforts de cette sécheresse. Bien que l'actuel programme gouvernemental de protection du revenu, le Programme d'aide au revenu agricole, administré conjointement par les gouvernements fédéral et provincial, aide les producteurs touchés par la sécheresse, l'administration de la tribu des Indiens du Sang n'est pas dédommagée comme il se doit pour les services administratifs qu'elle est tenue de fournir pour veiller à ce que les producteurs de la Réserve des Gens-du-Sang bénéficient d'aide en cas de sécheresse.

Par ailleurs, l'aide en cas de sécheresse est axée sur les producteurs agricoles et ne tient pas forcément compte des propriétaires dont les terres et le gagne-pain sont eux aussi sensiblement touchés par la sécheresse.

Diverses évaluations des parcours naturels de la Réserve des Gens-du-Sang ont été menées à différentes périodes de l'année. Ces évaluations se font sur la base du pourcentage de couverture végétale, de sols dénudés et de sources d'eau sur des superficies données.

Les signes visuels de la sécheresse et du surpâturage sur les prairies naturelles sont les suivants: peu ou pas du tout de végétation, plus de 40 p. 100 de couverture par du sol dénudé, nouvelle poussée de mauvaises herbes ou couverture majoritaire par des mauvaises herbes comme l'armoise de l'Ouest.

La réserve moyenne de carburant pour les prairies naturelles de la Réserve des Gens-du-Sang est presque à sec, si l'on peut dire, ce principalement à cause de la récente sécheresse.

Les résultats des récentes évaluations de parcours naturels menées par les Indiens du Sang indiquent généralement que la capacité d'utilisation de tous les pâturages indigènes a été sensiblement réduite comparativement aux années précédentes. À titre d'exemple, le nombre d'animaux autorisés à brouter sur les terres de la réserve a baissé de 15 p. 100.

La sécheresse a eu une très forte incidence sur toutes les terres de la tribu des Indiens du Sang et sur les terres sèches du Blood Tribe Agriculture Project. Les réserves d'eau ont beaucoup diminué à la fin du mois d'août 2001, ce qui a résulté en une interruption de l'irrigation pour toutes les cultures céréalières du Blood Tribe Agriculture Project.

La Kainai Agri-Business Corporation gère le troupeau de bestiaux de la bande. En 1999, le ranch gérait 600 bovins et 19 000 acres d'herbages naturels.

Le début de la sécheresse en 2000 a asséné un très dur coup au ranch. La productivité fourragère a été sérieusement réduite et les 22 mares-réservoirs qui avaient toujours une certaine quantité d'eau se sont asséchées. Il a ainsi fallu pomper de l'eau aux mares situées le plus près de la rivière, ce en utilisant des tuyaux d'irrigation loués.

Faute de fourrage et d'eau en quantités suffisantes, le poids des veaux au sevrage était inférieur et le taux de conception des vaches était plus bas qu'à la normale.

Le troupeau a été de beaucoup réduit au cours des années suivantes à cause d'un manque de fourrage. D'un troupeau de 600 vaches en 1999, nous en sommes arrivés à un troupeau de 203 vaches pleines. En 2002, nous avons eu un croît du troupeau de 40 p. 100 avec les veaux de l'année, alors que la norme est un croît de 90 p. 100.

Une évaluation des parcours naturels effectuée en 2002 recommandait que l'on ramène nos taux de stockage de 35 acres par unité-animale à 55 acres par unité-animale.

Les récoltes de la ferme Mataki sont inférieures à celles des années antérieures. Les entrepôts regorgent en général de pommes de terre, mais étant donné le rationnement des eaux d'irrigation, les réserves n'en sont qu'à 60 p. 100 de leur capacité.

L'on a accusé des pertes de revenu énormes, le bâtiment étant loué à un tarif à la tonne. Chaque année, les cultures céréalières livrent en règle générale suffisamment de paille pour qu'on puisse la mettre en balles et s'en servir comme aliment supplémentaire et comme litière pour les vaches.

Les résidus de paille ont été très minimes cette année alors il n'y a rien à mettre en botte et très peu de couverture au sol pour empêcher l'érosion éolienne. En conséquence, d'énormes nuages de terre tourbillonnent au-dessus des champs et le sol est en bien triste état.

Les récoltes du West End Big Lease ont elles aussi été très maigres et n'ont laissé derrière elles que très peu de résidus de paille pour retenir le sol lorsque le vent se lève. La terre est donc en très mauvais état et de gros amoncellements se sont accumulés le long des clôtures. En 2001, nous n'avons même pas enlevé une coupe de notre champ de luzerne, mais en 2002 nous avons tout de même eu une coupe de foin.

La production normale de ces champs est de deux coupes par an, pour un total de deux tonnes l'acre. En 2002, le champ a livré trois quarts de tonnes de fourrage. Une perte d'une tonne et quart, à 120 $ la tonne, équivaut à 150 $ l'acre sur 240 acres, soit 36 000 $.

Les fermes de la bande des Indiens du Sang sont semblables au West End Big Lease. Le principal problème pour les terres a été l'érosion des sols due au vent, faute d'une couverture de paille suffisante. Il faudra plusieurs générations pour que ces terres retrouvent leur santé d'antan.

Comme vous pouvez le voir, la sécheresse a eu une très grave incidence sur les opérations agricoles de la tribu des Indiens du Sang et des effets à long terme sur la terre elle-même. Il nous faut assurément poursuivre les discussions en vue d'obtenir une aide pour contrer les effets de la sécheresse et préserver l'intégrité des terres de la tribu des Indiens du Sang, ce de façon à pouvoir continuer d'en tirer notre subsistance et de contribuer à l'économie d'ensemble de l'Alberta.

Possibilités de développement — Libre-échange: La tribu des Indiens du Sang est très bien placée pour bénéficier des arrangements de libre-échange. Non seulement elle est idéalement située le long d'un corridor d'importance entre le Canada et les États-Unis, mais elle a également d'intéressants liens historiques avec les États-Unis.

Comme vous le savez peut-être, les nations Pieds-Noirs au Canada ont lancé une action par le biais du Conseil tribal du Traité 7, et la tribu des Indiens du Sang a lancé une action indépendante. Ces deux actions ont été intentées contre le Canada pour des déclarations relativement au droit de passer et de repasser par ce que l'on considère comme étant la frontière internationale.

L'action du Conseil tribal du Traité 7 a été suspendue en attendant l'aboutissement de celle de la tribu des Indiens du Sang.

Tant que ces affaires sont devant les tribunaux, nous ne pouvons pas parler des questions juridiques entourant les droits que nous revendiquons. Nous aimerions néanmoins vous donner des renseignements historiques et actuels au sujet de la tribu des Indiens du Sang et vous saisir de nos inquiétudes, sur un plan pratique, à l'égard de l'agriculture et du commerce.

La tribu des Indiens du Sang appartient à la Confédération des Pieds-Noirs et partage les mêmes territoires, cultures et liens de parenté avec d'autres tribus de la Confédération qui parlent la même langue — les Piégans du Nord, les Siksikas du sud de l'Alberta et les Piégans du Sud, dans l'État du Montana.

La Confédération a fonctionné et continue de fonctionner en tant qu'alliance politique, économique et sociale. Les relations sociales et religieuses remontent les générations dans les quatre tribus et existent toujours aujourd'hui.

Le territoire traditionnel des Pieds-Noirs englobait d'importantes parties du Montana, de l'Alberta et de la Saskatchewan d'aujourd'hui et était borné par la rivière Yellowstone dans l'État du Montana au sud, la rivière Saskatchewan-Nord au nord, les Rocheuses à l'ouest et les Sand Hills de la Saskatchewan à l'est.

Outre la chasse et d'autres formes d'utilisation des ressources et des terres qui existaient dans le territoire traditionnel des Pieds-Noirs, le commerce était courant entre les quatre tribus et d'autres Premières nations plus au sud, dans ce que l'on appelle aujourd'hui les États-Unis.

La négociation de traités était elle aussi chose courante et servait de mécanisme pour forger de nouvelles relations, dont des relations de commerce, de paix et d'amitié. La tribu des Indiens du Sang a, à différentes époques, fait du commerce avec diverses Premières nations comme les Gros Ventres, les Assiniboines, les Cris, les Kootenays et les Crows.

La frontière canado-américaine a été arpentée en 1874 sans tenir compte du territoire traditionnel de la Confédération des Pieds-Noirs ni de ses relations sociales, politiques et économiques.

L'on n'a tenu aucun compte des droits ancestraux de la Confédération des Pieds-Noirs en matière de territoire traditionnel, ni des relations légales et politiques de la tribu des Indiens du Sang avec les États-Unis, ni des droits issus du traité Lamebull de 1855, ni de ceux découlant du traité Jay de 1794.

En 1855, les chefs de la tribu des Indiens du Sang et d'autres chefs de la Confédération des Pieds-Noirs ont adhéré à ce que l'on appelle communément le Lamebull Treaty avec les États-Unis. En vertu de ce traité, une relation juridique et politique avec le gouvernement américain a vu le jour et certains droits ont été créés.

Suite au traité de 1855, les Indiens du Sang ont continué de vivre à l'intérieur de leur territoire traditionnel au sud et au nord de l'actuelle frontière. Lorsque la frontière internationale a été arpentée en 1874 et lorsque le Traité 7 a été conclu en 1877, des efforts ont été déployés par les gouvernements du Canada et des États-Unis pour garder les membres de la tribu des Indiens du Sang du côté nord de la frontière.

Par suite de pratiques et de politiques gouvernementales, les membres de la tribu des Indiens du Sang n'ont pas pu exercer leurs droits découlant des dispositions du traité de Lamebull, et ce non seulement pour ce qui est des rentes mais également de la scolarisation, de l'aide agricole, des droits fonciers et de l'accès général au territoire autochtone ancestral à des fins économiques, sociales et culturelles.

La tribu des Indiens du Sang, comme toutes les autres Premières nations du pays se trouvant dans une situation semblable, estime qu'elle a un statut spécial en ce qui concerne les arrangements en matière de douanes et d'immigration entre le Canada et les États-Unis, ce en partie à cause du traité Jay de 1794 et des droits ancestraux protégés par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1882.

La position du Canada à l'égard du traité Jay est que celui-ci n'a pas été reconnu par des lois canadiennes et ne jouit donc pas de la protection conférée par l'article 35.

La tribu des Indiens du Sang maintient que la position du Canada est une erreur et qu'elle n'est pas conforme à la relation fiduciaire qu'a le Canada à l'égard des Premières nations.

La situation tout à fait unique de la tribu des Indiens du Sang sur les plans historique, politique ainsi que géographique, offre de nombreuses possibilités intéressantes en matière de développement économique et d'épanouissement communautaire. La tribu des Indiens du Sang a une longue tradition en affaires fondée sur l'innovation, la créativité et la volonté de travailler avec les deux paliers de gouvernement ainsi qu'avec ses voisins.

J'ose espérer que cet exposé vous aura donné un bon aperçu de la tribu des Indiens du Sang en matière d'agriculture, d'incidence de la sécheresse et de potentiel de développement futur.

Merci de l'occasion qui m'a été donnée de venir vous rencontrer ici aujourd'hui.

Le président: Chef Shade, je tiens à vous remercier très sincèrement pour un excellent exposé. La sécheresse que vous avez décrite au début de votre présentation est tout à fait choquante, et je sais que les sénateurs voudront vous poser beaucoup de questions à ce sujet.

Pour ce qui est des questions commerciales, je viens tout juste de discuter avec le greffier du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts et lui ai demandé de vous envoyer une copie du tout dernier rapport du comité intitulé «Les agriculteurs canadiens en danger», car il traite de certaines des questions en matière de commerce que vous avez soulevées aujourd'hui et je pense que vous le trouverez intéressant.

Le sénateur LaPierre: Tout commence avec une histoire, n'est-ce pas? La dernière partie de votre topo aurait dû être la première, car nous aurions alors compris le contexte historique à l'intérieur duquel situer tout cela. Je vous remercie d'avoir porté cela à notre attention.

J'ai été quelque peu déprimé par votre exposé — non pas par votre instinct de survie, votre créativité et votre dur travail, mais par ce qui vous est arrivé et par les effets de cette horrible sécheresse.

Puis-je vous demander combien de personnes vivent dans votre réserve, sur vos 356 000 acres?

M. Shade: Sur une population de 9 400, je pense que nous sommes environ 7 200 qui vivons dans la réserve même.

Le sénateur LaPierre: Savez-vous combien parmi ces personnes sont de jeunes gens, âgés, mettons, de moins de 20 ans?

M. Shade: La majorité des gens sont très jeunes.

Le sénateur LaPierre: Très jeunes, comme partout ailleurs.

M. Shade: Oui. La majorité des gens ont entre 18 et 25 ans.

Le sénateur LaPierre: Que vous disent-ils à vous, monsieur, l'ancien, au sujet de leur avenir lorsqu'ils voient ce que vous nous avez décrit ici? Disent-ils: «Allons nous installer en ville»?

M. Shade: Non, ils ne sont pas nombreux à dire cela, bien que certains d'entre eux aillent à la ville. Certains des jeunes veulent gagner leur vie dans l'agriculture, et c'est pourquoi nous sommes ici aujourd'hui, pour voir comment nous pourrions faire pour reprendre certaines de ces terres, corriger les choses, afin qu'ils puissent s'en servir à l'avenir.

Le sénateur LaPierre: Vous dites à la page 3 que vous êtes en train d'élaborer, de soumettre et de négocier une entente de cogestion améliorée avec le Canada, entente qui devrait faciliter un plus grand contrôle et une meilleure durabilité des terres de la tribu des Indiens du Sang.

Quelles sont certaines des questions qu'il vous faudra résoudre pour en arriver à une entente qui vous satisfasse?

M. Shade: C'est Elliot Fox, ici à mes côtés, qui s'occupe directement de cela. Il pourrait peut-être répondre à votre question.

M. Elliot Fox, directeur, Blood Tribe Land Management Department: Merci de nous avoir permis de venir comparaître devant le comité.

Pour répondre aussi brièvement que possible à votre question, une proposition exhaustive a été soumise au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien en 1999, et son objet premier était de retourner nos propres membres sur la terre, dans l'intérêt de la durabilité et pour bénéficier au maximum de ces terres.

Pour que la tribu puisse réaliser certains de ses objectifs, la proposition prévoyait un soutien accru du gouvernement, sous forme de ressources techniques et monétaires, ce afin d'être en mesure de réaliser un inventaire des ressources culturelles et biophysiques de la réserve.

Je suis relativement nouveau au Land Management Department. J'y suis depuis environ trois ans. L'une des premières choses que j'ai remarquées lorsque je suis entré en fonctions — j'ai des antécédents en sciences et en gestion des ressources renouvelables — a été l'absence d'un inventaire de renseignements à la disposition de la tribu. J'ai dit à certains de nos leaders, tant dans la réserve qu'à l'extérieur, que si l'on s'attend de moi, en ma qualité de directeur des terres, que j'assure une bonne gestion et une bonne administration des terres de la réserve des Indiens du Sang, alors il me faut savoir ce qu'il y a à gérer. Il y a de graves pénuries de renseignements en matière d'inventaire de ressources pour la réserve.

Le sénateur LaPierre: Avez-vous besoin d'aide pour faire ce travail?

M. Fox: Oui.

Le sénateur LaPierre: Aide technique et financière?

M. Fox: C'est exact.

Le sénateur LaPierre: Merci. Il y a quelque chose à la page 4 que je ne comprends pas. Au paragraphe qui suit «Incidence de la sécheresse de 2000-2001», vous dites dans la dernière phrase que l'aide en cas de sécheresse vise les producteurs agricoles et ne tient pas compte des propriétaires dont les terres et le gagne-pain sont eux aussi sensiblement touchés.

N'êtes-vous pas producteur agricole, et pourquoi n'êtes-vous donc pas admissible à de l'aide pour combattre les effets de la sécheresse? Quelle différence y a-t-il entre vous et les autres?

M. Shade: La plupart de ces terres sont louées à des particuliers ou à des sociétés qui les exploitent pour nous.

Le sénateur LaPierre: Je vois.

M. Shade: Ce sont eux les producteurs. Cependant, lorsqu'ils s'en vont, nous autres les propriétaires nous retrouvons avec ces sols en mauvais état.

Le sénateur LaPierre: Ces gens louent ces terres auprès de vous pour produire les récoltes?

M. Shade: Oui.

Le sénateur LaPierre: Ce qui veut dire que vous n'êtes pas agriculteurs vous-mêmes?

M. Shade: Certains d'entre nous le sont.

Le sénateur LaPierre: Lorsque ces gens s'en vont, que laissent-ils derrière eux?

M. Shade: Rien.

Le sénateur LaPierre: Rien? Et la terre est stérile?

M. Shade: Oui.

Le sénateur LaPierre: En conséquence, la sécheresse va avoir une incidence sur la récupération de la terre et vous ne touchez pas d'argent pour cela parce que ce n'est pas vous le producteur?

M. Shade: Oui.

Le sénateur LaPierre: Vous êtes en conséquence les intendants de la terre?

M. Shade: C'est exact.

Le sénateur LaPierre: N'avons-nous pas discuté de cela hier, monsieur le président?

Vous êtes les intendants de la terre. J'entends en tout cas poursuivre cette question. Merci beaucoup.

M. Eugene Creighton, conseiller juridique, Tribu des Indiens du Sang: Puis-je tirer quelque chose au clair? Je suis membre de la tribu des Indiens du Sang et je suis également son conseiller juridique.

En ce qui concerne les terres, comme vous le savez, les titres des terres, dans le cas d'une réserve appartiennent à la Couronne, et les terres sont réservées aux Premières nations respectives.

Des règles différentes s'appliquent dans le cas de lois fédérales, et les lois provinciales ne s'appliquent pas aux réserves; les avantages pouvant découler de programmes provinciaux ne s'y appliquent donc pas non plus.

Lorsque nous parlons du producteur et du propriétaire, le propriétaire étant le Canada, nous sommes peut-être, comme vous le dites, les intendants. Mais les producteurs louent la terre et bénéficient des programmes, qu'il s'agisse de programmes fédéraux d'aide aux agriculteurs ou de programmes provinciaux.

Nos membres ou nos sociétés qui sont dans l'agriculture bénéficient peut-être des programmes fédéraux, mais non pas des programmes provinciaux, étant donné qu'il s'agit de terres domaniales.

Le président: Merci de cet éclaircissement.

Le sénateur Wiebe: Juste une question supplémentaire. Je suis céréaliculteur, mais cela fait quelques années que je n'ai pas pu moi-même travailler la terre, alors je la loue. Je tire un profit du rendement de la terre, mais j'ai également avec l'exploitant locataire une entente en vertu de laquelle je reçois une part à peu près équivalente des versements et provinciaux et fédéraux qu'il touche.

Il est vrai que le propriétaire foncier ne touche pas ces paiements. C'est uniquement le cas du producteur car, comme vous le dites, le titre des terres appartient au gouvernement fédéral. Ne pourriez-vous pas négocier un bail semblable prévoyant que si des versements étaient faits au producteur en vertu de programmes provinciaux et fédéraux comme le CSRN ou le PCPRA vous en obtiendriez automatiquement une part?

M. Shade: C'est le gouvernement du Canada qui contrôle le programme de location. Nous avons tenté d'y apporter des modifications, et c'est ce qui a débouché sur la négociation de l'entente de cogestion améliorée.

À l'heure actuelle, nos mains sont liées car c'est le gouvernement qui rédige ces documents et nous ne pouvons d'aucune façon les modifier.

Le président: Merci de cette explication.

Le sénateur Tkachuk: Chef Shade, c'est un honneur de vous avoir ici parmi nous. Merci beaucoup d'être venu. Il est bon de voir un politicien élu dans la salle. J'aimerais moi aussi poursuivre cette question des baux.

Pour que les choses soient bien claires, par le passé, c'étaient les agents du gouvernement ou le ministère des Affaires indiennes qui rédigeaient le bail avec l'agriculteur qui louait la terre et pas vous, n'est-ce pas? Et c'est pourquoi vous n'êtes pas admissibles aux prestations?

M. Shade: Le MAINC et le ministère de la Justice rédigent les ententes.

Le sénateur Tkachuk: Nous voyons certains des projets de loi qu'ils rédigent. Je comprends cela. Les agriculteurs qui louent les terres habitent en dehors de la réserve?

M. Shade: Oui.

Le sénateur Tkachuk: Ils ne peuvent en conséquence pas faire de demandes au titre d'un programme provincial étant donné que les terres font partie de la réserve et qu'il s'agit de terres domaniales. Est-ce bien cela?

M. Shade: Non, ils peuvent faire de telles demandes.

Le sénateur Tkachuk: Ils peuvent faire de telles demandes?

M. Shade: Mais nous, nous ne le pourrions pas si c'était nous qui cultivions la terre.

Le sénateur Tkachuk: Oh, je vois.

M. Shade: Ce sont des Albertains. Ils ne vivent pas dans la réserve.

Le sénateur Tkachuk: D'accord. Comment allez-vous pouvoir faire le tri de tout cela à l'avenir? Un si grand nombre de ces programmes sont partagés, et le gouvernement fédéral offrira de l'aide aux fermiers, mais la province doit payer la moitié, ou 40 p. 100 ou autre.

Pourriez-vous organiser cela de telle sorte que la réserve puisse faire une demande et en bénéficier de quelque façon?

M. Shade: Je demanderais peut-être à notre avocat de répondre.

M. Creighton: C'est vraiment très ironique, en ce sens que le ministère des Affaires indiennes pousse pour que les tribus soient davantage responsables de leurs terres. Lors de l'entrée en vigueur de la loi fédérale pour la gestion des terres, on a introduit une nouvelle couche en ce qui concerne les terres de réserves, les terres désignées et la cession de terres.

Si vous ne cédez pas la terre, vous êtes versé dans cet autre processus de gestion, qui transfère les responsabilités aux Premières nations.

Le problème que nous avons est d'essayer de faire inclure nos recommandations dans ces arrangements. L'on n'en tient à peine compte car le Canada traite de toutes les terres de réserve de tout le pays dans ce seul texte de loi.

Dans l'Ouest canadien, nous avons des terres agricoles; dans le nord du Manitoba ou en Ontario, il s'agira peut-être de boisés ou autres.

Le sénateur Tkachuk: De forêts.

M. Creighton: De forêts. Cela ne tire donc rien au clair ni n'offre un quelconque avantage.

Tout ce que nous proposons doit toujours passer par le ministère de la Justice. Comme nous le savons, le ministère de la Justice cherche à protéger les intérêts du Canada s'agissant de ses responsabilités fiduciaires.

Cela devient alors une lutte à un autre niveau. Au lieu de parler de terres, l'on parle de questions fiduciaires qui sont peut-être étrangères à un grand nombre de nos membres. C'est ainsi que l'on perd un peu le contexte du problème.

Je viens de poser la question à M. Fox ici présent, et la dernière fois que les permis, comme on les appelle — ils sont délivrés en vertu de la Loi sur les Indiens et autorisés par le ministre des Affaires indiennes — ont été modifiés remonte à il y a cinq ans, et la fois d'avant remonte à il y a environ dix ans. Ils ne sont pas très portés à modifier ce processus, pour plusieurs raisons.

D'autre part, n'oubliez pas que cette question de fiducie et de responsabilités fiduciaires est telle qu'il est très difficile pour les Autochtones de tout simplement s'adresser au gouvernement canadien en disant: «Donnez-nous le droit de faire toutes ces choses avec nos terres». Nous perdrions alors cela.

Le Canada ne verse pas suffisamment de fonds. Si nous vivions un désastre environnemental, nous ne savons pas ce que ferait le Canada. Par exemple, il répercute les questions de dommages causés par les inondations sur l'Alberta, et il faudrait donc que l'Alberta s'en occupe. Cela devient un réel problème du simple fait qu'il n'y ait jamais eu sur ce plan de lien juridique.

Le sénateur Tkachuk: Qui détient le livre de permis lorsqu'un de vos membres fait de l'agriculture dans la réserve?

M. Creighton: L'agriculteur.

Le sénateur Tkachuk: Pas la Couronne. En vertu du traité Jay, si vous cultivez du blé, pourriez-vous le charger dans un camion, partir pour le Montana et le vendre à l'élévateur?

M. Creighton: Cela a déjà été tenté, monsieur.

Le sénateur Tkachuk: C'est pourquoi j'ai posé la question. Je pensais que ce serait peut-être un bon moyen de livrer du blé des prairies chez notre voisin du sud.

M. Creighton: Pour être plus sérieux, il y a des litiges en cours, comme l'a expliqué le chef, portant précisément sur cette question à cause du lien que nous avons avec le gouvernement américain du fait de notre appartenance à la Confédération des Pieds-Noirs.

Le sénateur Tkachuk: C'était en vérité là ma question. Si le gouvernement fédéral reconnaissait le traité Jay, ce traité autoriserait-il ce genre de chose?

M. Creighton: Il reconnaît le droit de passer et de repasser la frontière internationale, c'est-à-dire de traverser et de revenir, et il y a également l'autre question du repassage de la frontière avec des marchandises sans payer de droits.

Le sénateur Tkachuk: Il vous faudrait y ériger le plus gros terminal intérieur au pays.

M. Creighton: Sans doute au Montana.

Le sénateur Tkachuk: Merci. Cette discussion a été intéressante.

Le sénateur Wiebe: Il me faut être renseigné ici. J'avais l'impression que les terres des traités avaient été mises à la disposition de nos Premières nations afin que celles-ci puissent en jouir et s'en servir.

Si maintenant un groupe de vos membres décidait d'exploiter activement ces terres à des fins agricoles, 100 p. 100 du profit reviendrait aux gens de la réserve. Rien n'irait au gouvernement fédéral.

Si ces personnes — et voici quelle est la zone grise pour moi — faisaient une demande au titre du PCPRA du fait d'être de véritables producteurs, ne toucheraient-elles pas la totalité des prestations?

Pour pousser plus loin la chose, comment cela s'appliquerait-il à l'assurance-récolte? La bande pourrait-elle acheter de l'assurance-récolte étant donné qu'il s'agit d'une question à responsabilité partagée entre les pouvoirs fédéraux et provinciaux?

M. Creighton: Permettez que je dise quelque chose au sujet de l'assurance. Un membre qui exploite ses propres terres qui lui sont allouées par la tribu peut faire une demande d'aide au titre de ces programmes fédéraux.

Pour ce qui est d'assurer les récoltes, si les terres sont visées par des permis ou en location, si l'on peut utiliser le mot «location» de façon plutôt libérale, si j'étais l'un des occupants, je ne pourrais obtenir qu'une assurance contre les ravages causés par la grêle.

Le fermier, le producteur, est celui qui achète l'assurance-sécheresse et l'assurance tout risque. Seul l'Indien peut acheter l'assurance-grêle.

Le sénateur Wiebe: Mais il serait néanmoins admissible au PCPRA, n'est-ce pas?

M. Creighton: Pas l'occupant. S'il était agriculteur actif, oui, il le serait.

Le sénateur Wiebe: Si l'agriculteur actif était membre de la réserve, serait-il admissible?

M. Creighton: Oui.

Le sénateur Wiebe: Celle-ci sera ma dernière question supplémentaire. Louez-vous la terre à un membre de votre réserve? Le membre individuel de la bande qui travaille en vérité cette terre doit-il verser un loyer à la réserve, ou bien jouit-il de la totalité du revenu que lui procure cette terre qu'il exploite?

M. Creighton: Non, pas le membre individuel. Il faut bien comprendre que les terres sont partagées. Les terres d'une réserve sont sous contrôle commun en vue de l'usage et du bénéfice des membres de la tribu. La tribu peut exercer des droits d'occupation ou d'autres formes de droits en vertu de la Loi sur les Indiens, plus particulièrement des articles 20 à environ 30 — je ne les ai pas appris par coeur — qui traitent des coupons que le ministre peut émettre pour accorder davantage de droits.

La Réserve des Gens-du-Sang est gérée en vertu de ce que l'on appelle les «coutumes de la tribu», en d'autres termes, le conseil détermine qui occupera quelles terres et combien de terres seront occupées. Nous n'avons bien sûr pas suffisamment de terres pour tout le monde. Ce ne sont pas tous les 9 400 membres qui ont des terres; c'est peut-être le cas de 30 p. 100 ou moins.

Les personnes qui ont des «droits d'occupation», comme on les appelle, parce qu'elles n'ont pas de droits juridiques, et qui sont agriculteurs, sont autorisées à faire des demandes.

Ces personnes ne versent pas de droits à la tribu, il y a cependant des droits d'administration lorsque les terres sont consenties en vertu de permis. L'occupant qui exploite ces terres a droit à des carnets de permis, peut faire tout ce que peut faire n'importe quel autre agriculteur et peut bénéficier de tous les programmes sauf des programmes provinciaux.

Le sénateur LaPierre: Ma première question supplémentaire concerne le traité Jay. Si le Canada acceptait ce traité, vous auriez ces droits, mais est-ce que les États-Unis l'acceptent?

M. Creighton: Eh bien, les États-Unis le reconnaissent parce qu'il s'agit d'un traité.

Le sénateur LaPierre: Cependant, ils n'autorisent pas ces gens à traverser la frontière?

M. Creighton: Non.

Le sénateur LaPierre: Pas plus que nous, n'est-ce pas?

M. Creighton: Le traité Jay est intervenu entre les États-Unis et les colonies britanniques. Le traité Lamebull est entre le gouvernement des États-Unis et la Confédération des Pieds-Noirs.

Le sénateur LaPierre: Je vois. Il y a donc là une grosse différence.

M. Creighton: Tout à fait.

Le sénateur LaPierre: J'aimerais comprendre la responsabilité fiduciaire du gouvernement fédéral.

Supposons que vous avez dans votre sol du pétrole dont vous devez tirer des royalties. La question qui me préoccupe n'est pas celle de savoir combien d'argent vous gagneriez ainsi, mais plutôt la suivante: le gouvernement fédéral négocie-t-il des arrangements avec les explorateurs en votre nom et détermine-t-il également le pourcentage de droits monétaires devant vous revenir?

Le gouvernement fait-il tout cela pour vous, ou bien avez-vous votre mot à dire? En d'autres termes, êtes-vous propriétaire des réserves souterraines?

M. Shade: Le Canada s'occupait autrefois de toutes les négociations pour notre compte, mais aujourd'hui, nous avons une cogestion améliorée pour notre pétrole et notre gaz naturel et nous nous occupons de cela nous-mêmes.

Nous menons toutes les négociations avec les différentes sociétés pétrolières, et les ressources qui en sont retirées sont directement versées au Trésor public, qui les détient pour nous aux fins de notre usage.

Le président: J'aimerais revenir sur l'objet de notre étude, soit le changement climatique et l'adaptation, et les effets de tout cela sur vos terres des réserves et ainsi de suite.

J'aimerais demander à M. Andy Blackwater de nous dire s'il a déjà de son vivant vécu de tels changements climatiques et, dans l'affirmative, de quel ordre étaient ces changements. Nous aimerions vraiment entendre ce que vous avez à dire là-dessus.

M. Andy Blackwater, ancien, Tribu des Indiens du Sang: Je travaillais autrefois de vastes superficies, environ 2 500 acres, mais j'ai pris ma retraite juste avant que la sécheresse ne nous frappe vraiment. J'ai eu une récolte exceptionnelle et j'ai eu la bonne inspiration de me retirer ensuite.

J'ai vécu nombre des problèmes dont il a été question, s'agissant de trouver sa voie dans le système pour obtenir les permis et vendre son grain.

J'ai entendu nombre de nos anciens parler des changements dans notre climat, des régimes de temps, et ils rattachent tout cela à la perturbation du débit naturel des rivières avec les barrages, et je suppose que cela a également une incidence sur la quantité de pluie que nous recevons.

Deux récentes sécheresses que nous avons subies ont été imputées aux ouvrages de régulation du débit naturel des rivières.

Nous pourrions remonter loin en arrière dans notre histoire. Nous n'avions pas de cartes, mais nous pouvions deviner quel genre de temps nous allions connaître dans les jours suivants en regardant les nuages et les couleurs des couchers de soleil. Nous étudiions également le comportement des animaux et la direction du vent.

La direction des vents était très facile à repérer. Si le vent venait de l'Est, il allait sûrement y avoir un changement marqué dans les conditions météorologiques. L'on pouvait regarder la montagne et voir venir le chinook. Il y a différentes choses qui nous aident à prédire quel sera le temps dans les prochains jours.

Aujourd'hui, tout est mélangé. En temps normal, c'est à cette époque-ci de l'année que nous voyons revenir les canards et les outardes. Nous avons même un mois que nous appelons la «lune des outardes», mais maintenant les canards et les outardes se promènent tout partout au beau milieu de l'hiver. Même eux sont touchés.

La consommation de viande sauvage, de poisson et de sauvagine, comme le canard est elle aussi touchée. Certains des nôtres craignent de manger le gibier à cause de la pollution.

J'ai entendu des gens parler de la rivière Oldman. Sa source est dans les montagnes, dans les glaciers. Lorsqu'elle parvient jusqu'à nous, c'est la rivière «vieil homme sale». Elle est polluée. Nous ne pouvons pas y pêcher, ni y nager ni en boire l'eau.

Voilà les genres de choses qui inquiètent nos vieux, et nous ne savons pas ce qui s'en vient côté régime de temps par rapport à ce à quoi nous sommes habitués.

Beaucoup de gens se préparent pour les grosses tempêtes qui sont faciles à prévoir, comme par exemple la grosse chute de neige en mars. Elle n'est pas arrivée au moment prévu. Les connaissances traditionnelles des régimes de temps et de l'environnement révèlent que beaucoup de choses ont été touchées.

Une chose qui nous soucie beaucoup depuis peu est notre médecine traditionnelle, compte tenu des racines et des plantes que nous utilisons. Il va y avoir une grave pénurie et il nous faudra parcourir de très grandes distances pour obtenir ces ingrédients essentiels à notre santé.

Notre relation avec la Terre mère, qui est la terre, est très étroite et les enseignements de nos anciens disent que nous ne formons qu'un avec elle. Nous ne sommes pas distincts de la terre.

Voilà pourquoi nous sommes très conscients des changements et très inquiets lorsque nous voyons ces choses sur lesquelles nous avons historiquement compté pour nous guider ainsi bouleversées. C'est vraiment cela qui nous rend fou parfois.

J'espère que cela vous donne une meilleure idée de ces choses dont nous n'avons souvent pas l'occasion de parler. Merci.

Le président: J'apprécie votre réponse. J'ai entendu les statistiques données par le chef au sujet du troupeau bovin, qui est passé de 600 têtes à 203 vaches pleines et du fait que le taux de conception avait chuté. Quels conseils auriez- vous à donner aux gens qui vivent en ce moment de la terre à l'égard de cette situation, qui est principalement le fait de la sécheresse?

M. Blackwater: Eh bien, vous pouvez avoir toutes sortes de bon matériel d'irrigation, mais si vous n'avez pas l'eau, qu'allez-vous faire? À quoi de tels appareils vous servent-ils? À quoi allez-vous les utiliser?

Souvent, le seuil limite est d'obtenir les ressources nécessaires pour continuer de fonctionner. Comme je l'ai dit tout à l'heure, je me suis occupé du projet de la pomme de terre de la ferme Mataki, et on a dû y fermer les systèmes d'irrigation. Je pense que c'était en août, lorsque la rivière Belly s'est asséchée.

Le système a dû être fermé pendant deux mois. Ils ont laissé l'eau couler en Saskatchewan pour alimenter les systèmes d'irrigation en aval. Une fois nos systèmes en place, il n'y avait plus d'eau dans la rivière. Cela est arrivé à un moment critique où l'on aurait eu besoin de ces eaux d'arrosage.

Dès que l'on commence à jouer avec le cours naturel des rivières et des lacs, cela a une incidence sur les régimes de temps, et cela touche bien sûr certaines personnes plus que d'autres.

Le sénateur Fairbairn: Ce que j'aimerais dire est davantage un commentaire qu'une question. C'est un honneur d'accueillir ici aujourd'hui le chef Shade et mes amis de la nation Kainah.

Je pense qu'il est ironique de constater ce qui est arrivé au cours des dernières années à cause de la sécheresse. Le chef Shade n'a pas dit ceci lui-même, mais moi je vais le dire.

Il y a longtemps, au milieu du siècle dernier ou un petit peu avant, lorsqu'on a pensé que l'irrigation était la voie de l'avenir pour cette région et que l'on a commencé à développer le système d'irrigation de St. Mary's, on a pensé que pour avoir le meilleur système possible il allait falloir traverser les terres des Gens-du-Sang.

Il y a eu des discussions et des négociations, et la tribu des Indiens du Sang a gracieusement accepté avec l'assurance qu'elle aussi bénéficierait du système d'irrigation. On est ainsi allé de l'avant avec le plan.

Or, cette obligation n'a pas été respectée pendant plus de 40 ans, et lorsqu'elle a fini par l'être, des choses remarquables étaient arrivées dans la réserve, et pas seulement sur le plan agriculture, mais également sur le plan formation de jeunes gens dans la réserve et d'autres pour qu'ils sachent comment utiliser le système et travailler la terre.

La triste ironie que vous nous avez exposée aujourd'hui est qu'une fois que tout a commencé à bien aller, il y a tout d'un coup eu la sécheresse et le changement climatique qui ont causé toute cette dévastation. Et s'il y a dévastation dans le reste de cette région à cause de la sécheresse, la dévastation sur les terres de nos Premières nations est bien plus grave.

Alors que nous réfléchissons à cela dans le contexte de notre étude et de notre rapport, il nous faut comprendre que ce n'est pas simplement encore un autre cas. C'est un cas très différent et très difficile.

Je suis heureuse que vous soyez venus ici comparaître devant nous aujourd'hui car je pense que nous avons tous beaucoup appris.

Le président: J'aimerais ajouter mes remerciements à ceux du sénateur Fairbairn. Nous vous sommes très reconnaissants d'être venus nous faire cet exposé.

Nous allons maintenant entendre Agriculture et Agroalimentaire Canada.

M. Peter Burnett, directeur par intérim, Centre de recherches de Lethbridge, Agriculture et Agroalimentaire Canada: C'est un plaisir pour moi d'être ici, honorables sénateurs. Lorsqu'on m'a convoqué comme témoin, j'ai jugé bon de prévoir des renforts, et je suis donc venu accompagné de deux chercheurs du centre. Permettez-moi de vous les présenter.

Le premier intervenant sera Henry Janzen, au bout à droite. Henry est pédologue pour Agriculture et Agroalimentaire Canada et il étudie les cycles des carbones et des nutriants dans les agri-écosystèmes, se concentrant particulièrement sur les puits de carbone et les émissions de gaz à effet de serre.

Tout récemment, Henry a contribué au Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat et il a également participé à la production de publications telles le rapport spécial «Land Use, Land Use Change and Forestry», et le sujet dont il va traiter aujourd'hui est le Protocole de Kyoto et son incidence sur les terres agricoles canadiennes.

M. Henry Janzen, pédologue, Centre de recherches de Lethbridge, Agriculture et Agroalimentaire Canada: Je suis très reconnaissant aux honorables sénateurs de l'occasion qui m'est ici donnée de parler un petit peu des liens possibles entre le Protocole de Kyoto et les terres agricoles. Je vais tenter de traiter très rapidement de quatre questions.

Premièrement, quel est le problème? Deuxièmement, quelles sont les estimations actuelles en matière d'émissions? Comment nous y prendre pour réduire ces émissions? Et enfin, existe-t-il des avantages accessoires?

Y a-t-il d'autres avantages qui pourraient découler de la réduction des émissions de gaz à effet de serre?

En guise de toile de fond, permettez-moi de vous renvoyer au cycle global du carbone. Ce que vous voyez ici est un aperçu d'un tel cycle montrant les trois principaux bassins dans les écosystèmes terrestres: l'air, les plantes et le sol.

Soit dit en passant, ces unités sont exprimées en pétagrammes, également appelés gigatonnes ou milliards de tonnes. Ces unités ne signifient pas forcément grand-chose pour moi. Si l'on regarde ces trois bassins, il est de façon générale claire que l'atmosphère contient à peu près la même quantité de carbone que les plantes, et que chacun de ces bassins renferme moins de carbone que ce qui se trouve dans le sol.

Bien sûr, tous ces bassins sont entrecroisés et en interaction constante. Par exemple, chaque année les plantes saisissent à peu près 60 milliards de tonnes de carbone par le biais de la photosynthèse. Le gros de ce carbone finit par aboutir dans le sol, et il y a un flux à peu près équivalent dans le sens inverse, par le biais de la décomposition et d'autres processus, comme par exemple le feu.

Bien sûr, il se produit la même chose avec l'océan, sauf qu'ici les flux dans les deux sens représentent environ 90 pétagrammes.

Ces processus et leurs renvois ont maintenu les concentrations atmosphériques de CO2 à des niveaux relativement stables pendant plusieurs milliers d'années, jusqu'à tout récemment, bien sûr, les humains étant devenus sur cette planète une force géologique de plus en plus importante.

Nous avons perturbé ce cycle du carbone d'au moins deux façons. Premièrement, en réorganisant ce cyclage du carbone du fait de changements dans l'utilisation faite de la terre. L'un des plus importants mécanismes de cette réorganisation, de ce réarrangement du cycle du carbone, a été l'expansion de l'agriculture.

Presqu'invariablement, lorsqu'on change de pratiques agricoles, on perd du carbone. Par exemple, à partir du moment où l'on a commencé à utiliser la charrue sur les pâturages naturels ici dans l'Ouest canadien il y a environ 100 ans, l'on a typiquement perdu en quelques décennies 20 p. 100 à 30 p. 100 du carbone qui s'y trouvait renfermé.

Très souvent, l'on diminue la taille de ces bassins terrestres, alors où va donc le carbone? Initialement, en tout cas, il remonte dans l'atmosphère sous forme de CO2. Voilà l'une des façons dont nous avons modifié le cycle du carbone.

Plus récemment, bien sûr, un autre mécanisme a supplanté les changements dans l'utilisation faite des terres par son importance, et je veux parler ici de l'utilisation de fossiles combustibles.

Nous savons qu'il y a un très vaste bassin de ce que l'on appelle «du carbone fossile» renfermant des milliers de pétagrammes. Il est pour la plupart isolé et hors circuit dans ce cycle actif du carbone, et ce que nous avons fait, en définitive, c'est creuser plus loin dans ce vaste bassin, réintroduisant ainsi ce carbone dans le cycle actif.

C'est ainsi que du carbone est en train de s'exsuder pour rejoindre ce carbone actif, et nous contribuons à ce phénomène à un rythme toujours croissant, de telle sorte que ces dernières années nous avons dépassé des taux d'émissions de six pétagrammes, soit six milliards de tonnes, de carbone CO2 dans ce bassin atmosphérique.

Qu'advient-il alors de ce CO2? Voici un petit calcul qui a été effectué récemment par le GEIEC. Dans les années 90, le taux d'émission moyen était d'environ 6,3 pétagrammes par an. Une partie de cela est absorbée dans les océans; une autre partie, apparemment, est absorbée par la masse terrestre en passant par la végétation, mais pas tout.

Environ la moitié de ces émissions s'accumulent chaque année dans l'atmosphère. Chaque année, encore trois milliards de tonnes environ de carbone sont ajoutées à ce qui est déjà là, ce qui résulte bien sûr en ce graphique qui nous est très familier et qu'on a tous maintes fois vu.

Lorsque j'étais étudiant, je me souviens d'avoir appris quelque part que les concentrations de CO2 dans l'atmosphère étaient d'environ 330 ppm. L'on dépasse aujourd'hui les 370.

La concentration des autres gaz à effet de serre est elle aussi en train d'augmenter. L'on ne sait toujours pas très bien ce que cela veut dire pour les climats, et d'autres changements, d'ici 50 ou 100 ans, mais nous savons très clairement aujourd'hui que la composition de l'atmosphère est en train de changer. Elle est en train de changer de façon soudaine, et nombre de ces changements abrupts portent notre empreinte.

Bien sûr, cela nous a poussés à examiner de nombreuses façons de contenir ces augmentations, tous ces efforts se soldant par le Protocole de Kyoto, que tout le monde connaît, je pense, très bien.

Nous avons promis, en tout cas c'est notre objectif au Canada, de ramener les émissions à 6 p. 100 de moins que les niveaux enregistrés en 1990, et cela doit être fait dans le courant de la première période d'engagement, soit entre 2008 et 2012.

Il s'agit là d'une réduction plutôt modeste, sauf que nous sommes à l'heure actuelle bien au-dessus des niveaux de 1990, et selon l'endroit où vous tracez cette ligne du statu quo, il faudrait effectuer une réduction réelle de sensiblement plus que les 6 p. 100.

Voilà donc une très rapide récapitulation de la situation. Où s'inscrit l'agriculture dans tout cela? Si l'on regarde les émissions canadiennes pour l'année 2000, excluant les fossiles combustibles, l'agriculture représente un peu moins de 10 p. 100 des émissions totales du pays.

L'agriculture est unique car alors que la plupart de ces émissions sont du CO2 résultant principalement de la consommation d'énergie, les émissions de l'agriculture se présentent principalement sous forme de méthane et de N2O, c'est-à-dire de gaz hilarant.

Ce méthane provient principalement des systèmes de production animale, et tant des animaux eux-mêmes que du fumier qu'ils produisent. L'oxyde nitreux provient de nombreuses sources, mais la principale est la terre agricole, surtout les sols qui ont été engraissés par du fumier, des engrais ou d'autres matières azotées.

Voilà un rapide topo sur les origines des émissions. Comment alors envisager la réduction de ces émissions? Il y a de nombreuses pratiques que l'on pourrait énumérer ici pour chacun des gaz produits par les différentes facettes des agri- écosystèmes, mais permettez-moi simplement de planter l'idée que voici. Ces émissions de gaz à effet de serre sont peut- être des signaux. Elles sont peut-être des indicateurs d'inefficiences dans le système.

Pour illustrer mon propos, permettez-moi de parcourir avec vous un exemple utilisant le cycle de l'azote. Nous savons que les cultures absorbent de l'azote parce qu'elles en ont besoin pour pousser. Cet azote provient du bassin d'azote du sol, et le gros de l'azote puisé dans le sol est supprimé.

L'objet de l'agriculture est de prendre à la terre des matières riches en protéines. Il nous faut rajouter de l'azote dans le système pour que celui-ci continue de fonctionner.

Nous ajoutons cet azote sous forme d'engrais, de légumineuses, et autres. Presqu'invariablement, au fur et à mesure que ces matières sont graduellement converties et transformées dans le sol par activité biologique, une petite fraction s'échappe sous forme de N2O. Les émissions de N2O sont de beaucoup supérieures à ce que nous avons dans le cas de situations d'azote excédentaire.

Les émissions de N2O ont tendance à être beaucoup plus importantes lorsque le rythme des applications des engrais, des nutriants, ou les quantités dépassent le rythme auquel les plantes peuvent les absorber.

Souvent, cela indique que nous avons la possibilité de faire en sorte que ces ajouts d'azote soient plus efficients et correspondent mieux aux besoins des cultures.

J'ai expliqué que les émissions primaires de gaz à effet de serre de l'agriculture correspondent au méthane et à l'oxyde nitreux, mais l'agriculture intervient également beaucoup dans le cycle de l'azote.

En fait, c'est ce que font les agriculteurs. En effet, ils plantent des cultures qui absorberont alors le CO2 pour le convertir en matières inorganiques, dont une partie est exportée et dont le reste retourne dans le sol pour compléter le cycle.

Les systèmes agricoles et l'écosystème de l'agriculture jouent un rôle très important dans les écosystèmes du monde et dans le cycle global du carbone, et si nous cherchons des moyens de réduire ou de contrecarrer ces augmentations de CO2, alors il y a lieu de se pencher sur les pratiques agricoles.

Il existe au moins trois grands moyens de réduire les émissions. Le premier, qui est le plus évident, est tout simplement de réduire les émissions de CO2 produites par l'utilisation de combustibles.

Le deuxième moyen est de trouver dans la végétation elle-même des matières combustibles, de cultiver des plantes qui puissent par exemple produire de l'éthanol. Cela serait alors brûlé à la place de carbone fossile.

Vous produisez toujours du CO2, mais ce CO2 provient de cette photosynthèse récente. Vous ne faites donc que recycler ce CO2 atmosphérique au lieu d'ajouter de nouveaux gaz dégagés par le carbone fossile.

Bien sûr, il nous faut au départ faire très attention pour ne pas brûler beaucoup de carbone fossile pour produire cet éthanol ou autre combustible dérivé.

Puis il y a la troisième méthode, qui est sans doute celle dont on a le plus entendu parler, et l'on en discute souvent lorsqu'on parle de nos terres agricoles, et c'est toute la question des puits de carbone.

La question est de savoir si l'on peut augmenter la taille de ces bassins? Nous savons que nous avons perdu beaucoup de carbone déposé dans le sol, surtout du fait du bassin constitué par la végétation. Pourrait-on réorganiser la façon dont nous cultivons nos terres pour remplacer une partie de ce carbone perdu? Nous savons que si nous remettions une tonne de carbone dans le sol, ce carbone proviendrait forcément de l'atmosphère. C'est là la source. En reconstituant ces bassins, nous prendrions du CO2 dans l'atmosphère.

Comment y parvenir? Il y a plusieurs façons dont nous pourrions remettre davantage de carbone dans le sol, mais elles peuvent toutes être ramenées à deux processus en gros. Le carbone est stocké dans le sol sous forme de matières organiques, de ce que l'on appelle l'humus, et les accumulations sont vraiment fonction des quantités de matières végétales qui entrent dans le sol et du rythme auquel celles-ci se décomposent.

Si nous voulons augmenter le carbone, il nous faut ou mettre plus de matière dans le sol ou bien ralentir le rythme auquel le carbone est dégagé par la décomposition.

Nous comprenons aujourd'hui assez bien certaines des pratiques grâce auxquelles nous pourrions faire cela, grâce, en partie, aux études de rotation de cultures à long terme comme celle qui est en cours à Lethbridge.

Permettez-moi d'illustrer le phénomène avec quelques exemples. Vous les connaissez sans doute déjà. L'une des façons est de réduire le labour; une autre est de réduire la jachère. La jachère est une pratique par laquelle on ne cultive pas la terre pendant un an, ce pour y rétablir l'humidité et les nutriants.

Malheureusement, pendant cette année de jachère, il ne se fait aucune photosynthèse, il n'y a pas de carbone qui entre dans le sol, alors on y diminue le bassin de carbone. Si l'on met fin à la jachère, alors on gagnera du carbone.

Je pourrais citer d'autres pratiques encore, par exemple le recours accru à des cultures fourragères. Des rendements supérieurs auraient par ailleurs tendance à augmenter la matière organique dans le sol. Peut-être que la pratique la plus extrême serait de réintroduire dans le système des herbes ou d'autres plantes indigènes.

Nous avons aujourd'hui une assez bonne connaissance de ces systèmes et de certains des taux d'accumulation. De façon générale, l'on peut s'attendre à des gains en carbone à un rythme d'environ 0,2 à 0,4 tonne de carbone par hectare par an, bien que cela soit très variable. Ce peut être supérieur ou inférieur.

Que cela signifie-t-il à l'échelle mondiale? Le GEIEC a récemment fait des évaluations mondiales faisant ressortir que si ces pratiques étaient adoptées sur une grande échelle, nous pourrions gagner, à l'échelle de la planète, entre 0,3 et 0,4 pétagramme de carbone.

Vous verrez que cela ne règle pas le problème. Cela est loin de suffire pour combler l'écart, mais l'on peut déjà considérer que ce serait là une importante contribution à une panoplie d'autres pratiques, un complément à un certain nombre d'autres mécanismes.

Nous avons beaucoup entendu parler de la séquestration du carbone, mais il demeure toujours un certain nombre de questions. La première est de savoir si l'on peut mesurer cela.

La séquestration du carbone dans le sol s'opère lentement et dans de très petites quantités comparativement à ce qui est déjà là. Il nous faut mettre au point des moyens de mesurer ou, ce qui est plus probable, de prévoir cela.

Une deuxième question, très importante, est celle de savoir quelle sera l'incidence de cela sur tous les autres gaz à effet de serre. N'importe quelle pratique agricole pourrait avoir une incidence sur tous les gaz à effet de serre, et il nous faut être très prudents afin de ne pas préconiser une pratique qui puisse stocker du carbone mais qui augmente en même temps, par exemple, le N2O.

Le N2O est un gaz à effet de serre beaucoup plus puissant que le CO2. Nous pourrions nous retrouver dans une situation dans laquelle nous recommandons une pratique qui viendrait augmenter le carbone solaire.

C'est l'effet d'ensemble qui nous intéresse. Beaucoup d'efforts sont en train d'être déployés à l'échelle nationale dans le cadre de ce que l'on appelle le «programme de ferme modèle», grâce auquel l'on tente de cerner la totalité des émissions de gaz à effet de serre d'une ferme en fonction des pratiques agricoles.

Nous savons qu'il faudra finir par stopper le gain en carbone. La question est de savoir combien de temps il faudra pour en arriver là?

Si un agriculteur a adopté des pratiques sans labour en 1995, est-il en ce moment toujours en train de gagner du carbone? Va-t-il continuer d'en gagner pendant la première période de l'engagement de Kyoto? C'est là une question importante.

Enfin, il y a la question de l'avenir: que se passera-t-il si le climat change? Qu'adviendra-t-il du carbone que nous avons gagné? Que se passera-t-il, que le ciel nous en préserve, si quelqu'un pratique de l'agriculture sans labour depuis des décennies et que tout d'un coup, un jour futur, il y a quelqu'un qui décide de travailler ces mêmes terres à la charrue? Ce sont là des questions auxquelles il nous faut réfléchir.

En guise de conclusion, permettez que je fasse quelques remarques au sujet de cette dernière question. Quels sont les autres avantages? Ici, je pense qu'il est important de me rappeler, moi qui suis très intéressé par les puits de carbone, par les émissions de gaz à effet de serre, que ces terres sur lesquelles nous travaillons et que nous étudions fournissent de nombreux services différents sur le plan écosystèmes.

Oui, ces terres présentent sans doute des possibilités de réduction des gaz à effet de serre; oui, elles sont des puits de carbone potentiels, mais elles font également quantité d'autres choses. Elles sont une source de revenu, une source de nourriture, une source de bois et une source de combustible. Elles filtrent notre air et notre eau.

Il nous faut être très prudents et tenir compte de ces autres aspects pendant que nous élaborons des stratégies pour des puits de carbone et la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour être tout à fait franc, peut-être que nous n'accordons pas la plus haute priorité à cela lorsque nous examinons toutes ces choses. Il nous faut tenir compte du système tout entier.

Heureusement qu'il y a de bonnes nouvelles, et c'est que, souvent, lorsque nous accumulons du carbone, lorsque nous réduisons les gaz à effet de serre, il y a des avantages également du côté de certaines de ces autres fonctions. Par exemple, si nous accumulons du carbone dans le sol, de façon générale nous rendons ce sol plus productif, plus résistant, nous en faisons un meilleur habitat naturel et il est également amélioré sur le plan de nombre de ces autres caractéristiques.

L'une des questions de départ était celle de savoir s'il était possible de réduire les émissions de gaz à effet de serre des exploitations agricoles canadiennes. Peut-être qu'il faudrait reformuler la question et demander ce que nous pouvons faire pour assurer que nos fermes demeurent aujourd'hui productives et rentables. Que pouvons-nous faire pour s'assurer qu'elles soient productives d'ici dix ans, d'ici une génération, d'ici cinq générations?

Si nous trouvons les bonnes réponses à ces questions, alors nous serons peut-être sur la bonne voie pour bâtir des écosystèmes robustes et en bonne santé, et si nous bâtissons des écosystèmes robustes et en bonne santé, alors nous réduirons peut-être en même temps les émissions de gaz à effet de serre.

J'ai ici une dernière transparence, celle-ci portant sur encore un autre des avantages en provenance, je pense, de ces études des émissions des gaz à effet de serre. Nous nous rendons de plus en plus compte que nous ne pouvons pas limiter nos études et notre réflexion au petit écosystème qui nous intéresse au premier plan.

Le cycle du carbone nous apprend qu'il y a interaction entre tous les éléments. Nous sommes tous interreliés. Si vous suiviez un atome de carbone qui était dans le réservoir à essence d'une automobile ce matin, vous verriez qu'elle est tout en haut dans l'air en ce moment. Qui sait, au printemps, cet atome entrera peut-être dans une tige de blé, et plus tard elle se retrouvera dans le gruau de quelqu'un, pour ensuite être exhalée dans l'atmosphère.

L'étude de ces questions nous rappelle que nous sommes tous interconnectés. De plus en plus, je pense qu'il nous faudra regarder au-delà de ces écosystèmes agricoles et souligner que ce qui se passe sur cette terre compte. Cela compte non seulement ici, mais cela compte dans l'espace et dans le temps, et ce bien au-delà de la petite boîte que nous avons l'habitude d'étudier.

Le président: Merci beaucoup, professeur Janzen.

M. Burnett: J'aimerais maintenant vous présenter Sean McGinn, météorologue au Centre de recherches. L'un de ses domaines d'études est l'évaluation du changement climatique et de son incidence sur l'humidité du sol et la sécheresse dans les Prairies. Son exposé a pour titre «Adaptation de l'agriculture aux changements climatiques prévus».

M. Sean McGinn, chercheur, Centre de recherches de Lethbridge, Agriculture et Agroalimentaire Canada: Je suis heureux d'être ici cet après-midi pour pouvoir vous parler de certains des travaux que nous avons menés au Centre de recherches de Lethbridge sur l'adaptation de l'agriculture aux changements climatiques prévus.

Comme l'a expliqué le professeur Janzen dans son topo, l'effet accru des gaz à effet de serre joue un rôle important dans l'évolution du climat. Cependant, il faut se rappeler qu'il y a d'autres facteurs dont il faut tenir compte dans la détermination de ce que sera notre climat à l'avenir. L'un de ces facteurs a été examiné récemment et je veux parler de l'effet de l'augmentation du rayonnement solaire qui a, selon un rapport, contribué pour un tiers au réchauffement de la planète constaté depuis 1970. D'autres facteurs continueront de jouer un rôle important, d'une année sur l'autre.

Nous allons continuer de voir de grandes variations dans les conditions météorologiques au-dessus des Prairies canadiennes. Il faut tenir compte de la position du courant-jet, qui amène de l'humidité du Pacifique aux Prairies, où elle aboutit dans le sol. Il s'agit là d'un facteur important qu'il faut garder à l'esprit. L'humidité en provenance du Pacifique compte pour près des deux tiers de l'humidité reçue sous forme de pluie pendant la saison de croissance. Lorsque le courant-jet reste très au nord, cette humidité ne vient pas arroser les Prairies du sud, et le résultat est donc une sécheresse prolongée.

Les éruptions volcaniques dans l'hémisphère nord amènent également des différences climatiques que l'on constate d'une année à l'autre. Les éruptions du mont Pinatubo en 1991 ont produit un refroidissement d'un degré dans les Prairies.

Il ressort de plus en plus clairement que les grands parcours de circulation dans l'océan, comme ceux que l'on a vécus cette année à cause d'El Niño, ont une incidence ailleurs. Sur les Prairies canadiennes, cela provoque en règle générale des hivers plus doux et plus secs.

J'en arrive maintenant au principal thème de ma présentation, soit les gaz à effet de serre, le climat et l'agriculture. Il nous faut comprendre le rythme du changement climatique pour comprendre son incidence potentielle sur les systèmes agricoles sensibles, pour ensuite envisager des adaptations qui permettraient de réduire l'incidence du changement climatique.

Un autre facteur dont il faut se rappeler est qu'il y aura des différences régionales dans les changements climatiques.

Une caractéristique clé du climat et des conditions météorologiques dans les Prairies est la sécheresse récurrente. Vous pouvez voir sur cette transparence, dans la première colonne, l'intensité de la sécheresse allant d'une légère sécheresse à moins cinq à une sécheresse plus modérée à moins deux et à une sécheresse extrême à moins quatre. L'on utilise cet indice en agriculture pour exprimer l'intensité de la sécheresse.

À Lethbridge, vous pouvez voir que sur une période de 88 ans, nous avons défini la sécheresse comme étant une sécheresse météorologique ou une absence de pluie. Le nombre d'événements de sécheresse extrême est d'environ 51 pour cette période, ces événements ayant en moyenne duré 1,7 mois. Comparez cela à une sécheresse agricole, qui est le déficit en humidité du sol pour qu'une culture pousse. Le nombre d'événements de sécheresse baisse sensiblement comparativement aux sécheresses météorologiques, de telle sorte que pour ce qui est d'une sécheresse extrême de moins quatre, l'on ne voit plus qu'environ six événements durant en moyenne 2,8 mois. Il est donc important de savoir de quel type de sécheresse on parle.

L'on sait tous qu'une sécheresse a une incidence sur les rendements, notamment en régions de terres sèches, celles-ci étant et sensibles et vulnérables à la sécheresse.

Cette transparence illustre une série chronologique, de 1965 à 1990, et l'intensité de la sécheresse d'une année à l'autre. Tout ce qui est inférieur à zéro correspond à une sécheresse et tout ce qui est au-dessus de zéro correspond à une situation de non-sécheresse avec humidité excessive du sol.

Si l'on y superpose les rendements à Lethbridge pendant la même période, l'on voit une corrélation entre le rendement de blé du printemps et l'intensité de la sécheresse. En d'autres termes, en année pluvieuse, on a connu un rendement moyen supérieur d'environ une tonne par hectare, tandis qu'en année sèche, l'on a enregistré un rendement du blé de printemps inférieur à la moyenne d'environ une tonne à l'hectare. Un bon exemple de ce phénomène nous a été fourni en 1988, une année de sécheresse. Le rendement du blé du printemps à l'échelle des Prairies n'a été que 47 p. 100 de celui enregistré en 1986, une année très arrosée.

La transparence suivante illustre les tendances sur le plan température de l'air au Centre de recherches de Lethbridge. La température a augmenté d'un degré au cours des 100 dernières années. Cela correspond très bien à l'augmentation de 1,1 degré rapportée ailleurs dans d'autres documents sur les Prairies. Ce que nous réservera cette tendance à l'avenir dépendra de notre capacité d'atténuer l'impact du réchauffement en réduisant les émissions de gaz à effet de serre.

Il nous faut cependant envisager également une autre stratégie, celle d'ajuster la fourchette d'adaptation de notre secteur agricole. Nous ne sommes pas tant préoccupés par le niveau d'adaptation inférieur. Nous sommes davantage préoccupés par la limite d'adaptation supérieure car c'est vers cela que va tendre le climat. Il est en train de se réchauffer. Un réchauffement plus marqué que la limite supérieure amènera une plus forte évaporation de la surface du sol ce qui, bien sûr, viendra dessécher le sol et débouchera sur des rendements moindres.

Un autre facteur envisagé quant au réchauffement dans le système agricole est son incidence sur les rendements. Si l'on ne prend pas des mesures, les cultures qui arriveront plus vite à maturité produiront des rendements inférieurs. Il nous faut avoir des stratégies adaptées en vue d'augmenter notre capacité de faire face à cette limite de température supérieure de telle sorte que les systèmes de culture puissent s'adapter aux températures à la hausse. Par exemple, des stratégies de réduction de la consommation d'eau ou de maintien du taux d'humidité sont un moyen de s'adapter; un autre est l'introduction de cultivars capables de tolérer des températures plus chaudes.

Avant de pouvoir traiter de toute la question de l'impact et de l'adaptation, il nous faut comprendre ce à quoi va ressembler le climat à l'avenir. C'est pourquoi nous avons, au Centre de recherches de Lethbridge, consacré beaucoup de temps à l'élaboration de scénarios régionaux de changement climatique pour les Prairies canadiennes en utilisant des modèles de circulation générale, dit MCG.

Nous avons ramené ces modèles à une échelle propre à un examen de l'incidence de ces variations sur les Prairies. Nous avons fait la même chose avec les données historiques des stations météorologiques. Nous avons maintenant en place des ensembles de données qui nous permettent de comprendre l'ampleur du changement dans une perspective historique.

La transparence suivante montre certaines des données qui sont ressorties de cette étude. On y voit les températures quotidiennes maximales pour l'Alberta, la Saskatchewan et le Manitoba. Historiquement, ces températures maximales étaient de 8,4, 8,3 et 7,6. Avec le modèle de circulation générale plus ancien, le modèle de deuxième génération, nous nous attendons, s'il y doublement des concentrations de monoxyde de carbone d'ici 2040 à 2060, à voir des augmentations de la température quotidienne maximale de l'air d'entre 5,2 et 5,7 degrés Celsius.

Nous avons également examiné le nouveau modèle de circulation générale de troisième génération, qui établit davantage de corrélation avec les processus océaniques et les aérosols dans la haute atmosphère qui, comme je l'ai mentionné plus tôt, ont tendance à réduire le réchauffement à la surface. Vous pouvez constater ici que le réchauffement est quelque peu réduit, avec ces températures de 2,5, 2,9 et 3,3.

Il en est de même pour la température minimale. De façon générale, le modèle de deuxième génération plus ancien produit un réchauffement plus marqué que le modèle de troisième génération plus récent.

Le tableau indique les précipitations annuelles en millimètres. En Alberta, nous avons traditionnellement reçu environ 482 millimètres, comparativement à 395 en Saskatchewan et à 486 au Manitoba. Avec le modèle de deuxième génération, plus ancien, l'on prévoit une augmentation d'entre 29 p. 100 et 36 p. 100 pour l'ensemble des provinces des Prairies. Cependant, avec le plus récent modèle de troisième génération, l'on aboutit à de bien plus petites augmentations des volumes de précipitations, soit entre 3 p. 100 et 7 p. 100.

Une fois qu'on aura bien cerné quel sera le changement climatique dans ces trois scénarios, on pourra utiliser ces données pour faire des modélisations des taux d'humidité du sol futurs, ce qui nous aidera à déterminer quelle sera l'incidence sur les rendements agricoles.

Le tableau suivant montre la teneur moyenne en eau du sol durant la saison de croissance dans différents scénarios: le scénario historique, le MCG de deuxième génération, plus ancien, et le nouvel MCG. L'on voit une légère augmentation de l'eau du sol dans les trois provinces dans le nouveau modèle de troisième génération, tandis qu'avec les précipitations plus élevées que l'on prédit avec le plus vieux modèle de circulation générale, l'humidité dans le sol est bien sûr de beaucoup supérieure.

Le tableau suivant donne le déficit hydrique en saison de croissance pour les différents scénarios. Ce déficit correspond à la quantité d'eau supplémentaire nécessaire pour que les cultures poussent dans des conditions de stress non dû à l'aridité. Vous pouvez voir qu'il y a une légère amélioration avec le modèle de nouvelle génération comparativement au modèle historique, mais qu'il y a peu de changements pour ce qui est de la quantité d'eau nécessaire pour faire pousser une culture sans stress hydrique.

Nous avons examiné encore une autre stratégie d'adaptation: celle de l'ensemencement plus précoce et de son effet sur l'humidité du sol. Vous pouvez voir que pour l'Alberta, avec des conditions printanières plus chaudes, il est possible que les agriculteurs puissent aller dans leurs champs 21 ou 22 jours plus tôt, alors qu'en Saskatchewan ils le pourraient 19 à 25 jours plus tôt et au Manitoba de 17 à 19 jours plus tôt. En semant plus tôt, on a tendance à augmenter la quantité d'eau dans le profil pédologique de 2 à 15 millimètres avec le nouveau modèle de troisième génération. Cette stratégie d'adaptation s'inscrira tout naturellement dans les régimes agricoles. L'on s'adaptera aux conditions printanières précoces.

Le président: Il vous faut avoir de la chaleur ainsi que de l'eau. Il faut de la chaleur pour la germination.

M. McGinn: En effet. En fait, notre modèle a tenu compte et du régime thermique et du régime hydrique.

Le président: Il vous faut également tenir compte du nombre d'unités thermiques.

M. McGinn: C'est exact. Chose intéressante, les stratégies d'adaptation semblent être plus porteuses plus on se dirige vers l'est dans les Prairies. Vous pouvez voir que pour la Saskatchewan, il y a en moyenne une augmentation de neuf millimètres de l'humidité quotidienne du sol comparativement à 15 millimètres au Manitoba.

Nous sommes ensuite allés voir quelle était la distribution saisonnière d'humidité et de précipitations dans les Prairies. Vous pouvez voir que les changements en précipitations totales de juin à août entre la situation historique et le nouveau modèle MCG indiquent qu'il y a un gradient d'est en ouest. Dans la deuxième moitié de la saison, vous voyez qu'il y a en fait une baisse de la quantité d'humidité, une baisse du volume de précipitations, dans le sud du Manitoba et dans le sud-est de la Saskatchewan. Pour ces régions, un semis hâtif permettrait d'éviter certaines des conditions plus arides qui existent plus tard dans la saison de croissance.

L'autre stratégie qu'il est important d'envisager lorsque vous examinez l'adaptation des cultures est l'incidence directe de l'augmentation de la concentration de gaz carbonique sur la croissance. De façon générale, il faut environ 10 unités d'eau pour produire une unité de biomasse. Ce rapport est souvent appelé «efficacité de l'utilisation de l'eau». Le doublement des concentrations de gaz carbonique augmentera en fait l'efficacité de l'utilisation de l'eau de telle sorte qu'avec la même quantité d'eau l'on pourra obtenir de meilleurs rendements.

Les deux dernières transparences font état d'autres résultats de recherche pour les Prairies découlant de travaux menés à Ottawa. La première étude vient confirmer certains des résultats que nous avons obtenus à Lethbridge: avancement de trois semaines de la date de semis dans les Prairies; très peu de changements pour ce qui est du rendement de l'orge, du blé et du canola semés au printemps. On attribue ces constats à deux choses. Premièrement, la réaction d'adaptation du CO2 là où l'efficacité de l'utilisation de l'eau augmente d'environ 25 p. 100, et les dates de semis précoces, qui compenseraient l'augmentation des stress hydrique et azote plus tard dans la saison de croissance.

La deuxième étude, qui a été très utile pour comprendre le phénomène d'adaptation des cultures, nous vient de Finlande. Elle porte sur les rendements du blé de printemps. Ici, vous voyez que le CO2 plus élevé a à lui seul amené une augmentation marquée du rendement du blé de printemps. Quant au réchauffement, qui a amené des semis plus précoces et des cultures qui arrivaient plus rapidement à maturité, il a quant à lui ramené le rendement à environ 77 p. 100 ou 80 p. 100 de ce qu'il aurait été sans ce réchauffement. La combinaison du réchauffement et du niveau accru de CO2 a augmenté les rendements, les portant à entre 106 et 122 p. 100. Ensuite, la combinaison réchauffement, augmentation du CO2 et semis hâtif a porté les rendements à 178 p. 100.

Nous oeuvrons à l'heure actuelle avec AAC à Ottawa à un projet d'élaboration de meilleurs scénarios de changement climatique pour l'agriculture. Nous savons que l'incidence sur l'agriculture dépend très largement des scénarios de changements climatiques retenus. En conséquence, nous sommes à l'heure actuelle en train d'examiner une plus vaste gamme de scénarios climatiques en vue d'établir l'incidence que pourraient avoir sur l'agriculture ces scénarios de la meilleure et de la pire éventualité.

Enfin, je conclurai en disant qu'un grand nombre de types de recherche pourraient être envisagés. Le plus important serait peut-être d'examiner l'incidence qu'aura le changement climatique sur les pâturages naturels, les blés et les maladies dans l'écosystème agricole.

Le président: Merci beaucoup pour ces deux excellentes présentations.

Le sénateur Wiebe: Il vous sera difficile de répondre à ma première question. Je ne pense d'ailleurs pas que vous vous attendiez à ce qu'elle vous soit posée aujourd'hui.

La transparence montrant le diagramme à secteurs indiquant que l'agriculture compte pour 25 p. 100 de notre problème de CO2, les 75 p. 100 restants provenant de notre consommation d'énergie, c'est-à-dire des automobiles que nous conduisons, de la potasse que nous produisons, du pétrole que nous produisons, et ainsi de suite, me terrifie, pour être franc avec vous. Comment pouvons-nous transférer les connaissances que vous nous avez exposées au grand public afin que celui-ci puisse exercer des pressions sur les décideurs, les politiciens de toutes allégeances, pour qu'ils commencent à faire quelque chose au sujet de ce problème?

Je vous avais avertis que la question allait être difficile. Qui est prêt à s'y attaquer?

M. Janzen: Il s'agit d'une question tout à fait pertinente et à laquelle nombre d'entre nous avons réfléchi. Je n'ai certes pas la réponse, mais de mon point de vue, en ma qualité de pédologue et de personne qui s'intéresse à l'agriculture, je pense qu'une partie de la réponse viendra peut-être si l'on raconte l'histoire de façon plus claire, montrant que l'écologie n'est pas juste un joli concept qui parle au coeur des gens mais est une chose qui nous touche tous très directement. Nous partageons tous l'atmosphère.

Le cycle global du carbone, comme j'ai essayé de l'expliquer, touche chacun d'entre nous. Peut-être que la première étape serait que chacun d'entre nous, dans nos domaines respectifs, rappelle, non seulement à nos collègues scientifiques, mais également à nos concitoyens l'importance de certains de ces processus et essaye tout simplement de raconter l'histoire.

Le sénateur Wiebe: Ce sera une tâche ardue. Il suffit de voir le débat qu'il y a eu l'an dernier à l'échelle du pays sur la question de savoir s'il nous fallait adopter l'accord de Kyoto. Différents groupes d'intérêt épousent différents points de vue.

Le témoignage du Réseau canadien de recherche sur les impacts et l'adaptation au changement climatique, C- CIARN, groupe qui a été fondé par les gouvernements fédéral et provinciaux, indique que même si chaque pays dans le monde adoptait l'actuel Protocole de Kyoto et respectait à 100 p. 100 ses engagements, le mal a déjà été fait et le mieux que nous puissions faire est de ralentir le réchauffement planétaire. Si tel est le cas, nous aurons énormément de difficulté à essayer de nous adapter à cela dans le pays, en veillant à avoir non seulement un secteur agricole sûr mais également un approvisionnement alimentaire sûr.

Nous avons parlé de l'argent requis pour la recherche. Dans quelle direction ou dans quel volet cet argent devrait-il être dépensé? Nous savons que nous avons un problème, mais nous avons encore beaucoup de travail à faire pour déterminer comment le résoudre et quelles régions du Canada pourraient être touchées par le réchauffement de la planète. Cependant, nos travaux de recherche ne nous permettent jusqu'ici pas de dire de quelle façon nous allons nous adapter. Nous avons lancé un certain nombre de choses, mais il nous reste encore beaucoup de chemin à faire. Pourriez-vous partager avec nous vos idées là-dessus? Le comité aimerait connaître des façons pour nous de nous adapter.

M. McGinn: Merci de cette question importante. Nous commençons tout juste à faire notre travail sur l'adaptation. Des initiatives de financement fédéral ciblées, comme par exemple le Fonds d'action pour le changement climatique, dégagent des fonds pour la réalisation d'études sur l'adaptation. D'après ce que j'ai compris, le C-CIARN comporte un volet adaptation du secteur agricole. C'est là le début de ce qui est nécessaire. Nous commençons tout juste à entrevoir le genre de recherches qu'il importe d'effectuer en matière d'adaptation car nous commençons tout juste à comprendre les scénarios du changement climatique. Il nous faut comprendre quels seront les changements climatiques à l'avenir pour savoir quelle incidence ils auront sur les systèmes agricoles sensibles.

Il importe de faire des recherches fondamentales en matière d'élaboration de scénarios. En même temps, nous pouvons faire de la recherche sur l'adaptation. L'un des domaines clés, à mon sens, est l'effet sur les parasites.

Le sénateur Wiebe: L'une des réponses est de consacrer davantage d'argent à la recherche, mais jeter des dollars de ci de là ne réglera pas le problème. Je reviens à une question que j'ai posée plus tôt aujourd'hui à un autre témoin: a-t-on fait suffisamment de travail du côté de l'adaptation pour avoir une idée des recommandations qu'il conviendrait de faire quant à la meilleure façon d'utiliser les fonds de recherche qui seront disponibles si l'on parvient à en dégager?

Le président: Je pense que M. Burnet aimerait répondre à cette question.

M. Burnet: Il vous faut nous demander d'établir nos priorités. Une fois les priorités établies, ce sera à vous de les appuyer.

J'aimerais revenir au premier point que vous avez fait au sujet des communications. Je crois que les gens en ont assez de m'entendre répéter ceci, mais je dis «Je suis comme un vendeur Chrysler. Après 2002, je vends les modèles 2003». C'est ainsi qu'il nous faut vendre la science. Nous avons fait un très bon travail de vente de notre science à nos collègues du domaine scientifique, et nous avons fait un très bon travail de vente de la science aux groupes cibles avec lesquels nous travaillons.

Cependant, 2,8 p. 100 des gens sont agriculteurs et 97,2 p. 100 des gens vivent en milieu urbain et profitent de la politique de nourriture bon marché que nous avons au Canada, et nous faisons un très mauvais travail de communication avec eux, bien que ce soit eux qui payent nos salaires. Nous sommes des fonctionnaires, et les impôts appartiennent au public.

Vous devriez nous demander d'établir les priorités et il nous faudra peut-être enlever certains éléments du bouquet car nous ne pourrons pas tout faire, même si nombre de mes collègues et nombre de chercheurs n'aiment pas entendre dire cela.

Le sénateur Wiebe: Faudrait-il que cette demande émane du ministère ou bien serait-il juste pour le comité de vous demander d'établir une liste de priorités?

M. Burnet: Ce serait juste que vous nous en fassiez la demande.

Le sénateur Wiebe: Vous ne pourrez peut-être pas nous donner vos priorités aujourd'hui, mais nous vous serions reconnaissants de bien vouloir en aviser le greffier du comité lorsque vous aurez terminé ce travail.

M. Burnet: Certainement.

Le sénateur Wiebe: Notre rapport devrait être rédigé d'ici fin juin, alors plus vite vous nous communiquez ces renseignements, plus heureux nous serons, car je trouve votre suggestion excellente.

M. Burnet: Je pense que vous venez juste de renvoyer la balle chez moi.

Le sénateur Wiebe: Oui, en effet.

Le sénateur LaPierre: Je pense que la priorité devrait être d'ouvrir les consultations avec les gens. Même en tant que membre du comité ici réuni, je ne sais que très peu de choses au sujet de cette question. En tant que chercheur, vous bombardez le public avec quantité de renseignements, mais il n'y a jamais de consultation du public. Bien sûr, les chercheurs font un travail magnifique, mais les gens restent sur la touche.

Vous avez expliqué que tous les éléments du système sont interreliés. Souvent, les gens ne voient pas pourquoi l'on mène des travaux de recherche à long terme. Or, nous sommes là où nous nous trouvons à cause de certaines de ces recherches à long terme, mais c'est souvent la première priorité qui s'ouvre car les gens ne comprennent pas pourquoi vous étudiez quelque chose depuis 90 ou 100 ans. Il est important d'avoir une solide base scientifique de façon à pouvoir faire des prévisions raisonnables.

Le sénateur Wiebe: Le secteur agricole de ce pays a pu survivre au cours des 15 dernières années à cause de la recherche effectuée par nos stations de recherche il y a de cela 30 ans. Vos prédécesseurs avaient une vision et ils sont allés de l'avant et ont fait le travail de recherche. Grâce à cette recherche, les agriculteurs ont pu s'adapter et résister aux faibles prix. Grâce à votre travail de recherche, nous produisons plus à l'acre.

Si vous demandez à un agriculteur aujourd'hui si le réchauffement de la planète va être un problème, il vous dira que non, parce qu'il a plu pendant trois jours et que cela va se reproduire. Le message selon lequel il se pourrait qu'il y ait des périodes de sécheresse prolongées ne leur est pas encore parvenu. Nous n'aurons peut-être plus trois journées consécutives de pluie, mais ils recevront peut-être la même quantité de pluie en une heure et demie à cause des extrêmes climatiques.

Je pense que c'est vous qui devriez établir les priorités car nous, nous ne sommes pas suffisamment renseignés sur la chose pour le faire. Une fois que vous aurez établi les priorités, nous pourrons alors décider auxquelles donner suite.

Le sénateur Gustafson: Je suis fermier depuis 50 ans. Depuis l'âge de 16 ans. Vous avez recommandé que l'on ensemence trois semaines plus tôt. J'ai toujours aimé le semis précoce, mais nos régimes de culture sont tels que nous brûlons nos champs au Roundup, de telle sorte que si un voisin ensemence trois semaines plutôt que moi, rien ne poussera. La seule façon pour moi de semer trois semaines plus tôt serait d'acheter deux autres exploitations. Mais si vous travaillez 10 000 acres, cela paie-t-il?

Au cours des 50 dernières années, j'ai appris à la dure, par expérience. Pendant des années on nous a dit qu'on ne pourrait pas produire de canola dans le sud. Or, c'est le canola qui nous a sauvés ces dix dernières années. Ils cultivent du canola dans le Dakota du Nord et dans le Dakota du Sud, bien au sud de nous, ce grâce à la recherche, aux meilleures variétés, et cetera.

Le comité est ici confronté à des questions difficiles. Il sera difficile d'écrire un rapport et de faire des recommandations qui ne donneront peut-être pas les résultats escomptés d'une année à l'autre.

Vous nous avez dit que trois choses ont une incidence sur la pluie et nos régimes de temps: le courant-jet, El Niño et les éruptions volcaniques. Il a été dit: «Ne me dites pas où je suis allé. Je sais d'où je viens. Dites-moi ce qui va arriver». Avez-vous une idée de ce qu'El Niño ou le courant-jet vont nous amener d'ici un an ou deux?

M. McGinn: Ce n'est pas notre mandat à Agriculture et Agroalimentaire Canada de faire des prévisions météorologiques. Pour la plupart, ce volet revient à Environnement Canada.

Le président: Vous pouvez nous donner des pronostics scientifiques. C'est ce que le sénateur vous demandait.

M. McGinn: Pour ce qui est du phénomène El Niño et de son incidence sur les conditions printanières, Environnement Canada prévoit que le sud de l'Alberta recevra des précipitations moyennes, mais que pour le reste des Prairies les précipitations seront supérieures à la normale. Chose intéressante, il s'est déjà fait du travail pour essayer d'établir des prévisions à long terme sur la base d'El Niño. Les prévisions se sont de beaucoup améliorées à cause d'événements comme El Niño et de notre meilleure compréhension de son incidence sur le temps dans les Prairies.

Le sénateur Gustafson: Combien de temps durera le cycle El Niño?

M. McGinn: Environ 18 mois.

Le sénateur Gustafson: La région de l'Assiniboine le long de la frontière américaine a reçu 26 pouces de pluie entre fin juillet et la récolte. Les moissonneuses-batteuses s'embourbaient.

Le sénateur Fairbairn: À Ottawa, nous avons entendu de nombreux témoins intéressants du domaine des sciences et de la recherche et d'autres, y compris des représentants de Canards Illimité. On a discuté des terres humides et de la possibilité que celles-ci puissent apporter quelque soulagement, mais la réalité est que ces zones sont en train de rétrécir.

Je vous invite à en discuter avec nous, si vous le voulez bien.

M. Janzen: Historiquement, nous nous sommes tenus à l'écart de la question des terres humides. Nous avons cependant reconnu depuis le début qu'elles sont un élément important des écosystèmes des Prairies. Tout le monde connaît nos bourbiers des prairies, qui sont nos terres humides. Les chercheurs reconnaissent de plus en plus que nos études ne peuvent plus s'arrêter là où commencent les terres humides.

Sont en cours un certain nombre d'études — pas forcément au sein d'Agriculture Canada — dans le cadre desquelles l'on examine des coupes recouvrant toute la longueur d'un champ, depuis la couche arable jusqu'à la mi-pente et s'étendant ensuite jusqu'aux terres humides.

De plus en plus, ceux d'entre nous qui étudient ces questions reconnaissent qu'il nous faut franchir nos frontières habituelles et établir des liens plus solides entre nous, avec nos amis du côté forestier et ceux qui étudient les terres humides et les tourbières, car les processus sont les mêmes. Nous pouvons apprendre auprès des autres et, ce qui est plus important, nous pouvons éviter cette segmentation artificielle qui a parfois par le passé limité nos progrès dans nos domaines respectifs.

J'espère que cette réponse offre quelque optimisme et que l'on verra nos travaux de recherche futurs justement tirer profit de ce que vous recommandez.

Le sénateur Fairbairn: Merci. Les présentations où il a été question des terres humides m'ont frappée car lorsque j'étais petite, il y en avait beaucoup autour de moi. Pendant la saison de la chasse aux canards, ces endroits attiraient des gens de partout dans le monde. Ils ne sont plus là.

Peut-être que cela n'est pas en soi décourageant. Cependant, c'est un élément dont on n'a peut-être pas traité autant qu'il l'aurait fallu s'agissant de protéger ce que nous avons. Dans certains témoignages on a entendu des suggestions voulant que non seulement on protège les terres humides mais également qu'on les utilise pour aider les zones stressées ainsi que dans le contexte de toute la question du carbone.

M. Janzen: Je suis certainement d'accord avec vous là-dessus. J'ajouterais que c'est une étude très intéressante du point de vue du carbone. Nous ne savons vraiment pas combien de carbone est stocké dans certaines de ces terres humides. Il y en a peut-être beaucoup. Il s'agit là d'une question qui mérite que la science s'y penche.

Le sénateur Fairbairn: Étant donné tous les renseignements que vous nous fournissez, nous devrions peut-être retrouver ces exposés qu'on nous a soumis il y a une semaine et vous les faire parvenir. Vous les trouverez peut-être très intéressants.

Le sénateur Tkachuk: Je suis en quelque sorte un optimiste et je sais une chose: lorsque je conduis mon véhicule loisir travail — mon Ford Escape 2000 — je relâche dans l'atmosphère beaucoup moins de substances néfastes que lorsque je faisais tourner mon véhicule au ralenti en 1975 avec le même moteur. Nous avons fait d'énormes progrès technologiques en vue d'éliminer les émissions nuisibles, et il reste encore du travail à faire du côté des combustibles fossiles.

Il s'exerce beaucoup de pressions sur l'agriculture. Nous siégeons à un comité de l'agriculture. Je ne suis pas un grand amateur du «chauvinisme à recette». Je suis un environnementaliste. Je n'aime pas le chauvinisme dans le mouvement environnementaliste. Les gens finissent par devenir blasés et ils ne vous croient plus.

La bonne science se fait rare. Nous avons beaucoup entendu parler des puits de carbone. J'ai mes opinions là-dessus, et j'aimerais connaître les vôtres. Devrions-nous garder l'argent? Quelqu'un a dit: Eh bien, le gouvernement va garder cela jusqu'en 2008. Comme certains de mes collègues, je n'avais pas la moindre idée de ce qu'est un puits de carbone ni comment on pourrait en créer. C'est censé pouvoir être échangé je ne sais trop comment. Devrions-nous garder l'argent? Cet argent devrait-il revenir au propriétaire du puits de carbone?

M. Janzen: Je ne suis qu'un modeste chercheur, et je pense que ces décisions sont prises par les décideurs de politiques et autres. Ce n'est pas une question scientifique.

Le sénateur Tkachuk: Non, c'est une bonne question économique. C'est une question économico-scientifique. Quelle incitation y a-t-il pour l'agriculteur à avoir un puits de carbone s'il ne touche pas d'argent?

M. Janzen: Il me paraît logique que la personne qui rétablit le carbone devrait toucher une certaine rémunération pour cela.

Le sénateur Tkachuk: Qui d'autre en a besoin? Quelqu'un d'autre l'achète; quelqu'un donne des sous. À moins qu'il y ait quelqu'un qui touche une commission, c'est peut-être à cette personne-là que l'argent devrait revenir.

M. Janzen: C'est sans doute également comme cela que les choses fonctionneraient avec un système d'échange de carbone: ce carbone serait en définitive acheté et vendu.

Le sénateur Tkachuk: Oui.

M. Janzen: Je ne comprends pas tout le fonctionnement de ces règles, règlements et processus, mais j'imagine que ce serait là, au moins dans une certaine mesure, la base d'un système d'échange de droits d'émission de carbone.

Le sénateur Tkachuk: Votre organisme de recherche est rattaché au gouvernement et vous traitez avec d'autres pays. Dans le cadre de la plupart de nos audiences, on nous présente une perspective très canadienne et à certains égards une perspective nord-américaine. Je pense qu'ici en Amérique du Nord nous sommes plutôt propres, non pas que nous ne pourrions pas être plus propres encore, mais nous sommes relativement propres par dollar gagné dans notre économie.

Cela me préoccupe que certaines parties du monde en développement utilisent l'excuse de dire «Oh, nous ne faisons que commencer, alors nous pouvons être sales». Quelle communication avez-vous avec des chercheurs d'autres pays, comme par exemple la Chine, qui sont exclus de Kyoto? Que vous disent-ils? Quels échanges se fait-il dans la communauté scientifique mondiale au sujet de la façon de réagir à tout cela?

Nous sommes une très petite partie de la communauté mondiale. Les gens conduisent de vieilles voitures en Chine, à Cuba et dans les pays d'Europe de l'Est qui sont pauvres comme Job. Les vieilles Cadillac consomment des quantités folles de carburant et dégagent plein de carbone dans l'atmosphère. Que disent-ils?

M. Janzen: J'ai passé un peu de temps à des réunions internationales portant principalement sur cette question de puits de carbone.

Une perspective est précisément celle que vous avez exposée: nous autres des pays soi-disant développés avons eu notre chance pour ce qui est du développement. Nous avons brûlé nos combustibles fossiles; nous avons dégagé nos émissions dans l'atmosphère. Leur perspective est toutefois que lorsqu'ils seront aussi développés que nous, alors ils assumeront eux aussi leurs responsabilités en réduisant leurs émissions.

Je ne dis pas que c'est la bonne ou la mauvaise approche. Je pense néanmoins qu'il est juste de dire que c'est là une perspective.

Le sénateur Tkachuk: Il existe beaucoup de preuves économiques à l'appui de cela. Dans les pays plus riches, les gens commencent à se préoccuper de l'environnement parce que lorsque vous avez une belle maison, vous voulez respirer de l'air pur. En même temps, ils ont d'énormes avantages. Ils ont tout ce capital que nous avons amassé dans nos économies capitalistes pour acheter leurs produits, qui sortent de leurs usines sales.

Nous leur avons également fourni ordinateurs, téléphones et quantité de technologies que nos industriels n'ont jamais eus. Nous avons toutes sortes de technologies que nous pouvons leur vendre et dont nos industriels n'ont jamais bénéficié parce que la science n'était pas là à l'époque.

Est-ce que nous défendons ce point de vue lors de ces réunions internationales en leur disant: «Vous savez, c'est une bien mauvaise excuse pour votre attitude»? Ils sont plus avantagés que ne l'étaient nos industriels dans les années 1880 et au début des années 1900. Nous avions à peine un téléphone; nous envoyions des télégrammes.

M. Janzen: Ce que vous dites là est très juste. Je ne participe pas aux négociations et je ne l'ai pas fait par le passé, mais il s'agit là d'une question légitime. Nous nous demandons si d'autres pays ne pourraient pas franchir d'un bond cette phase d'émissions excessives? Peuvent-ils sauter directement à ce que nous visons maintenant?

Je ne suis pas certain de connaître la réponse, mais c'est certainement une question qui vaut la peine d'être examinée.

Le sénateur Tkachuk: C'est pourquoi les Américains ne s'y sont pas lancés, n'est-ce pas? Pourquoi le feraient-ils?

Merci. Ce fut un très bon échange. J'apprécie beaucoup.

Le sénateur Wiebe: J'ai une question supplémentaire. Le sol et l'eau absorbent le CO2 par l'intermédiaire des plantes et de diverses autres choses. Pourrait-on atteindre un point auquel le sol et l'eau seraient saturés? Peut-on continuer de compter sur le sol pour absorber tout notre CO2?

M. Janzen: Il arrive un point à partir duquel le sol ne peut plus absorber de carbone. Il faut s'imaginer une dynamique en écoulement continu. À un moment donné, la rentrée équivaut à la sortie, après quoi il n'y a plus de suppression nette.

Certains de nos sols en sont peut-être déjà arrivés à ce point. C'est là l'une des questions brûlantes auxquelles il nous faut vraiment répondre. Jusqu'où encore peut-on aller? Combien de carbone peut-on continuer de mettre dans ces sols avant que ceux-ci n'arrivent à satiété?

La question devient alors: «Qu'arrive-t-il dans un monde qui change?» Pourrait-on pousser les choses plus loin encore, par exemple si le CO2 devait doubler ou la température augmenter? Doit-on craindre de retourner en arrière? Ce sont là des questions importantes.

Pour ce qui est de la capacité de puits ou de la capacité d'absorption de CO2 dans l'océan, je ne comprends pas trop bien cela mais je sais que cette capacité est très très élevée mais que le processus est très lent — en d'autres termes, il n'est pas assez rapide pour suivre le rythme des émissions.

Le sénateur Wiebe: N'en sommes-nous pas arrivés du côté de la science ou de la technologie à un point où une jauge pourrait nous dire si le sol est saturé?

M. Janzen: Non, pas de façon précise.

Le sénateur Wiebe: Merci beaucoup, monsieur le président.

Le sénateur LaPierre: Excusez-moi, mais pouvons-nous miner ce dioxyde de carbone ou bien ne pouvons-nous que l'enfouir? Une fois que nous l'avons enfoui, ne pourrions-nous pas l'extraire?

Le sénateur Wiebe: Nous le faisons, sous la forme de combustibles fossiles.

Le sénateur LaPierre: Mais vous dites qu'il faudra que cela s'arrête à un moment donné.

M. Janzen: Il existe différents procédés qui permettent de fixer le CO2. Diverses suggestions en ce sens ont été faites. Par exemple, pourquoi ne monte-t-on pas tout simplement des épurateurs sur les cheminées des usines pour y saisir le CO2 et ensuite l'enfouir dans de vieilles mines ou au fond de l'océan?

L'on parle de nombreuses solutions de génie du genre. J'ignore cependant dans quelle mesure on les examine sérieusement et quels en seraient les coûts ou les ramifications.

Si nous allons décharger d'importantes quantités de carbone excédentaire dans l'océan, il nous faut être très prudents et veiller à ne pas y bouleverser quelque autre écosystème fragile, créant ainsi d'autres problèmes auxquels il nous faudra alors réagir.

Le président: Dans le cadre de votre exposé, vous avez parlé de la façon dont vous mesurez le carbone dans le sol. Lorsque votre transparence était à l'écran, vous ne nous avez pas dit quelle était cette méthode. Avant de mettre un terme à cette discussion, pourriez-vous nous dire précisément quelles sont ces méthodes de mesure, si elles sont précises et quel degré de certitude elles offrent?

M. Janzen: Cela fait très longtemps que les chercheurs mesurent le carbone dans le sol, alors nous en avons une vaste expérience. Il s'agit en gros ou de creuser un trou ou de prélever une carotte de terre afin d'en analyser la teneur en carbone. Si vous répétez l'expérience dans le temps, cela vous permet de savoir si le carbone dans le sol augmente ou diminue.

Il se pose cependant là deux problèmes. Premièrement, les sols sont très variables. Vous pourrez avoir 60 tonnes de carbone par hectare ici, et 100 par là, et il vous faut donc creuser beaucoup de trous dans un champ pour avoir une mesure juste.

À mon sens, dans de nombreux cas cela ne va pas être très rentable — il nous faudra tout simplement estimer le gain en carbone en fonction des pratiques imposées à la terre en nous appuyant sur notre connaissance du carbone dans le système, en utilisant des modèles ou de simples équations. Si Paul le cultivateur adopte des pratiques sans labour sur tel ou tel type de sol et pour X années, alors on fera une estimation moyenne du carbone lui revenant et on lui reconnaîtra le bénéfice y correspondant.

Le pays est déjà tenu de faire une estimation des changements sur le plan carbone dans le sol. C'est ce qui se passe dans une large mesure. Nous utilisons des équations aux fins de modélisations.

Le président: Jusqu'à quelle profondeur le carbone descend-il dans le sol? Jusqu'à quelle profondeur faites-vous des mesures?

M. Janzen: Le carbone peut descendre très loin — aussi loin que les racines, voire plus encore, c'est-à-dire un mètre ou davantage. De façon générale, l'on suppose que le gros des changements s'opèrent dans les 15 à 30 premiers centimètres — dans les premiers six pouces à un pied.

C'est sur cette couche que porte une grosse partie du travail d'analyse, mais il y a un certain malaise.

Le président: Ce n'est pas du tout une science précise.

M. Janzen: Ce n'est pas une science précise. Elle peut être précise, mais pour qu'elle le soit, cela exige beaucoup d'argent et d'effort.

Le président: On nous a soumis des chiffres quant à la valeur de ces puits. Pour vous donner une petite idée, cela varie entre 50 000 $ et 500 000 $. C'est aussi inexact que la science dont vous venez de nous parler.

M. Janzen: J'ajouterai qu'il y a également de l'incertitude là-dedans. Il y a deux sources d'incertitude: premièrement, l'incertitude de la mesure et, deuxièmement, l'incertitude quant aux taux d'adoption des différentes pratiques.

Dès que nous regardons vers l'avenir, il nous faut composer avec ces deux incertitudes. Il est très difficile de prédire quelles pratiques en matière d'utilisation des sols seront imposées d'ici dix ans.

Le président: Je vous remercie, vous-mêmes et les autres chercheurs, pour ces deux présentations fort intéressantes. Vous aurez deviné, par la qualité et le nombre des questions, que vos témoignages ont été très utiles à tous les membres du comité.

La séance est levée.


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