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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 13 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 20 mars 2003

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit ce jour à 8 h 38 pour examiner l'impact du changement climatique sur l'agriculture, les forêts et les collectivités rurales au Canada et les stratégies d'adaptation à l'étude axées sur l'industrie primaire, les méthodes, les outils technologiques, les écosystèmes et d'autres éléments s'y rapportant.

Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Bienvenue à tous les auditeurs qui suivent nos délibérations sur CPAC ou sur Internet.

Je déclare ouverte cette séance.

[Français]

Aujourd'hui, nous continuons notre étude sur les effets des changements climatiques sur l'agriculture, les forêts et les collectivités rurales. Nous examinons en particulier les impacts et les adaptations dans le secteur agricole et forestier.

[Traduction]

Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui deux scientifiques distingués. Nous entendrons le professeur Michael Brklacich, professeur au département de géographie et d'études environnementales de l'Université Carleton. Il a participé à l'Étude pancanadienne, toute première évaluation des effets sociaux, biologiques et économiques du changement climatique dans différentes régions du Canada.

Nous entendrons également le professeur Barry Smit, de l'Université de Guelph. M. Smit est professeur de géographie et il est également gestionnaire du noeud de l'agriculture du Réseau canadien de recherche sur les impacts du changement climatique et l'adaptation. En outre, il a été l'un des rédacteurs principaux de la section sur l'adaptation du troisième rapport d'évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).

Avant d'inviter nos deux témoins à commencer leur témoignage, je crois que le sénateur Tkachuk a tout d'abord une motion à nous présenter.

Le sénateur Tkachuk: Je n'ai pas de motion. Je vous signale toutefois que les producteurs d'engrais et de produits chimiques de la Saskatchewan ont communiqué avec mois au sujet du processus d'approbation de la mise en marché de nouveaux produits par le ministère de l'Agriculture. Ces producteurs soutiennent que le processus est trop lent et impose un trop lourd fardeau bureaucratique. Ils ont déclaré que les méthodes utilisées dans d'autres pays sont beaucoup plus efficaces et qu'ils s'en trouvent désavantagés.

J'espère que notre comité décidera d'inviter certains fonctionnaires du ministère dans le cadre d'une réunion d'un jour. Nous avons besoin je crois d'un ordre de renvoi pour cela. Nous pourrions peut-être également inviter l'exécutif de l'association à venir expliquer son problème et à entendre le témoignage des fonctionnaires. Cela en vaudrait la peine et je ne crois pas qu'il faille pour cela plus d'une réunion.

Le sénateur Wiebe: Je ne m'y oppose pas. Je ne sais pas s'il faut pour cela une motion spéciale. Nous pourrions traiter cette question dans le cadre de notre deuxième ordre de renvoi, celui sur la valeur ajoutée. Il suffit simplement d'informer notre greffière et d'organiser la réunion au moment qui convient.

J'aimerais entendre les représentants de l'industrie autant que les fonctionnaires du gouvernement. Comme vous l'avez dit, une journée suffirait pour cela. La greffière peut nous dire ce qu'il en est, mais je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'avoir un ordre de renvoi spécial puisque nous avons déjà cet autre que nous pouvons utiliser.

Le président: La greffière en est maintenant informée. Elle examinera la question et l'inclura dans notre prochain ordre de renvoi. Passons maintenant à nos deux témoins. Veuillez commencer vos exposés.

M. Michael Brklacich, professeur, Département de géographie et études de l'environnement, Université Carleton: Merci de m'avoir invité à venir vous parler aujourd'hui de cette question importante de l'adaptation de l'agriculture canadienne au changement climatique.

Tout d'abord, en préparation de cette réunion, j'ai lu certains documents que vous avez préparés et publiés afin de mieux comprendre ce qu'est votre comité. J'ai également examiné certains des mémoires que vous avez reçus afin de ne pas répéter des renseignements que vous avez déjà obtenus.

Quand j'ai lu les renseignements que vous avez publiés, j'ai vu que le sénateur Oliver avait déclaré:

Le comité entreprend une étude approfondie de la façon dont nous devons adapter nos pratiques agricoles et forestières à des éventualités telles qu'une diminution des précipitations, entre autres. Il faut que nous sachions comment nous adapter.

Tout d'abord, je tiens à féliciter le comité d'avoir inscrit l'adaptation au changement climatique en tête de son programme.

Je vais commencer par une mise au point sur l'état de la recherche au sujet des changements climatiques et de l'adaptation du secteur de l'agriculture au Canada. Je parlerai ensuite des besoins en ce qui a trait aux progrès que nous pouvons réaliser et je répondrai à des questions sur les façons dont nous devons nous adapter.

Ma présentation sera en quatre volets; dans les deux premiers, je vais dresser la toile de fond. Je veux parler d'une façon générale de la recherche sur les changements climatiques et illustrer où s'inscrivent les mesures d'adaptation. Je veux expliquer pourquoi il faut mettre davantage l'accent sur les perspectives d'adaptation. La majeure partie de mon exposé portera sur les possibilités d'adaptation, sur ce que nous savons aujourd'hui et sur les façons dont nous pouvons accroître notre compréhension du phénomène.

À l'époque de la première évaluation faite par le GIEC et du Plan vert du Canada des années 90, le programme de recherche sur le changement climatique comportait trois éléments. Le premier portait sur la climatologie dans le contexte des systèmes terrestres et sur les façons dont les activités humaines transforment ces systèmes, entraînant des changements climatiques d'ordre anthropique.

Le deuxième élément portait sur les mesures d'atténuation.

Ces mesures d'atténuation visent à empêcher les changements climatiques en modifiant nos activités, c'est-à-dire en rejetant moins de gaz dans l'atmosphère. Si nous persistons dans nos activités, nous devrons piéger ces gaz dans le sol, les plantes, les arbres ou les océans.

Le troisième élément, c'était l'adaptation. Je tiens à souligner qu'à peu près toute la recherche effectuée au Canada portait sur les deux premiers éléments, c'est-à-dire la science des changements climatiques et les mesures d'atténuation. L'adaptation a toujours figuré au programme, mais on en discutait à la fin des années 80. On estimait que discuter ce sujet constituait un aveu de ce que nous n'essaierions pas d'atténuer les changements climatiques et de ce que nous baissions les bras dans le domaine de la prévention. Les discussions ont commencé lentement et le sujet n'a pas été étudié à fond. L'adaptation a commencé à retenir l'attention au milieu des années 90 seulement; par conséquent, c'est l'élément le moins élaboré, comparativement aux deux autres.

Pourquoi est-il nécessaire de mettre l'accent sur l'adaptation dans le contexte du changement climatique? À mon avis, il y a au moins deux bonnes raisons. La première, c'est le climat lui-même.

Les gaz à effet de serre que nous avons rejetés aujourd'hui dans l'atmosphère en venant à cette réunion, que ce soit en conduisant nos voitures ou en prenant l'autobus, demeureront dans l'air pour une période de 20 à 100 ans. Même si les activités humaines ne rejetaient plus aucun gaz à effet de serre dans l'atmosphère, ces gaz persisteraient encore un certain temps. Les émissions de gaz à effet de serre laissent donc un héritage.

La mise en oeuvre de mesures d'atténuation sera un problème d'ordre international. Le Protocole de Kyoto est une mesure importante, mais ce n'est qu'un petit pas dans la bonne direction, et nous avons des problèmes à mettre en oeuvre cette mesure à l'échelle mondiale. Il faut reconnaître que même si les mesures d'atténuation sont importantes, elles ne sont qu'un élément de la solution.

Enfin, du point de vue du climat, nous savons que le développement économique est lié à la consommation de carburants fossiles. L'histoire de l'Amérique du Nord et de l'Europe montre qu'il existe un lien direct entre la consommation de carburant et le développement économique, et on peut s'attendre à ce que la consommation de carburants fossiles augmente à l'avenir. Nous devons donc insister sur l'adaptation pour des raisons climatiques. Il y aura nécessairement un certain degré de changements climatiques.

Nous devons également insister sur l'adaptation dans le secteur de l'agriculture, qui est un secteur économique essentiel au Canada et qui continuera de l'être, même s'il subit déjà des tensions extrêmes. Dans la littérature scientifique, on dit que l'agriculture est un secteur très adaptable, et c'est exact. Il suffit pour s'en convaincre de comparer l'agriculture contemporaine à celle des années 50. La période en cause dans les changements climatiques est de cet ordre. Il faut toutefois reconnaître que cette évolution n'a pas été sans heurt et qu'elle a été particulièrement tragique pour la majeure partie du monde agricole. La politique publique devrait principalement viser à réduire les chocs associés à l'adaptation. Nous devons mieux comprendre les mesures d'adaptation, tant du point de vue climatique que du point de vue agricole.

Dans le domaine des changements climatiques, on oppose souvent les mesures d'atténuation aux mesures d'adaptation. Il est temps de commencer à les voir comme des activités complémentaires. Elles devront toutes deux faire partie de la solution à long terme au changement climatique.

Dans la recherche scientifique sur les changements climatiques et les possibilités d'adaptation de l'agriculture, on a adopté trois approches pour essayer de comprendre quels effets les changements climatiques pourraient avoir sur l'agriculture et comment cette dernière pourrait s'y adapter.

Premièrement, on tire des enseignements du passé. On examine ce qui s'est fait auparavant et on essaie de voir comment l'adaptation s'est produite. On essaie ensuite d'appliquer les mêmes solutions au changement climatique.

L'autre approche porte sur la faisabilité technique. La dernière et la plus récente consiste à situer le changement climatique et l'agriculture dans un contexte plus vaste afin de mieux comprendre les enjeux. Je vais expliquer rapidement chacune de ces trois approches.

Diverses personnes ont examiné un rapport publié récemment par le professeur Smit, dans lequel il décrit quatre domaines différents d'adaptation. Il y a d'autres façons de découper cette réalité, mais celle-ci est assez pratique. L'une des approches consiste à discuter des progrès technologiques. Il peut s'agir de nouveaux systèmes informatiques dans les entreprises agricoles ou encore de la façon dont on établit les rations de fourrage. Tout cela se fait de façon très scientifique, comparativement à il y a 50 ans. C'est une innovation technologique importante qui a permis d'alimenter le bétail de façon plus efficace partout au Canada. La mise au point de rations efficaces a également des conséquences en matière de changement climatique.

La politique publique peut être conçue comme une forme d'adaptation. Au Canada, nous avons toujours appuyé l'agriculture à partir d'un gouvernement central afin de protéger ce secteur de coups durs liés aux prix, entre autres.

La modification des méthodes de production est également une autre approche. Par exemple, la situation actuelle dans les Prairies relève de l'aménagement du territoire. L'enlèvement de la neige est beaucoup mieux géré. Elle tombe dans les champs et elle y demeure. Une fois fondue, l'eau est stockée dans le sol et demeure à la disposition des récoltes durant l'été. Il y a eu de grands progrès dans l'aménagement des terres, et c'en est un exemple.

La gestion financière est une autre mesure qui s'inscrit dans le domaine général de l'adaptation. L'assurance-récolte a été une solution populaire pour résoudre certains problèmes associés aux fluctuations climatiques.

Ce sont quatre genres d'enseignements qu'on peut tirer du passé. L'une des qualités de cette approche, c'est qu'elle est complète. On comprend maintenant tout à fait quelles sont les possibilités d'adaptation qui s'offrent et, comme cette information se fonde sur nos expériences antérieures, elle a une crédibilité immédiate auprès de la population. Cette information ne tient pas compte de chaque facteur d'agression, mais puisqu'on examine les mesures d'adaptation au niveau des entreprises agricoles et de la politique publique, un bon nombre de facteurs d'agression se trouvent couverts par ces mesures et il n'est donc pas nécessaire de les identifier séparément. Le changement et l'adaptation font normalement partie de l'agriculture. Pas l'inertie.

Du point de vue du changement climatique, l'une des limites de cette approche est qu'elle ne tient compte que des fluctuations actuelles et non des changements climatiques à long terme. Pour savoir si ces solutions pourraient s'appliquer à l'avenir, il faudra y réfléchir, émettre des hypothèses et faire des analyses.

En seconde approche, on a essayé de dresser des modèles quant à la faisabilité technique et à l'efficacité. Au Canada, divers modèles de production ont été élaborés et appliqués. Ces modèles visent généralement à estimer comment les plantes se développeront, du semis jusqu'à la récolte. Divers modèles agricoles nous permettront d'évaluer la capacité d'une entreprise agricole de réaliser des profits ou de prévoir les mouvements de trésorerie dans l'entreprise. Ces modèles permettent de prévoir certains aspects de l'avenir, entre autres, pour ce qui est de la façon dont les solutions en matière de changement climatique et d'adaptation pourraient atténuer les effets négatifs potentiels des changements climatiques. Jusqu'à présent, les recherches ont été plutôt hétéroclites. Il y a eu quelques études dans quelques régions du Canada. Ces études ont principalement mis l'accent sur la production de céréales. Cependant, l'agriculture canadienne est loin de se limiter aux céréales et cette approche a été appliquée à une poignée de solutions d'adaptation, par exemple les semis précoces, l'irrigation, une plus grande utilisation des cultures céréalières d'hiver et d'autres cultivars.

Dans les Prairies et la région de Peace River, on a constaté que l'utilisation de cultivars nécessitant une saison plus longue pourrait être une solution aux effets négatifs possibles des changements climatiques sur les récoltes de blé. Les possibilités qu'offre le blé d'hiver ont été accrues dans le sud des Prairies, mais pas nécessairement dans le nord. L'irrigation est bien sûr une façon de contrer les tensions hydriques.

Les aspects économiques et pratiques d'un plus grand piégeage de l'eau destinée à l'agriculture n'ont pas été vérifiés dans ces approches. Seule la faisabilité technique a été évaluée. Dans le centre du Canada, des études semblables ont été réalisées sur la possibilité de cultiver de nouvelles denrées dans les régions du Nord, ainsi que de meilleures possibilités de culture des fruits et des légumes dans le sud de l'Ontario et du Québec.

L'avantage de cette approche est qu'elle examine divers scénarios de changements climatiques, et c'est important car nous ne savons pas exactement quelle sera l'orientation de ces changements. Pour contrer cette incertitude, il faut examiner différents scénarios. De même, cette approche permet d'examiner diverses solutions d'adaptation. Elle peut s'appliquer à de vastes domaines et les résultats des études peuvent être reproduits. J'insiste sur le fait qu'il y a eu des vérifications ponctuelles un peu partout au Canada et qu'il n'y a pas eu d'évaluation systématique. L'approche a été appliquée à quelques régions et à quelques denrées.

Enfin, et c'est l'élément le plus important, on n'a pas vraiment vérifié le caractère pratique et acceptable de cette approche dans le cadre du travail réalisé dans la communauté scientifique.

Je vais maintenant situer les changements climatiques dans un contexte plus général. Dans les deux approches dont j'ai parlé, on commence à élaborer un scénario de changements climatiques et on parle du postulat que ces changements auront des effets importants pour l'agriculture. Il y a de bonnes raisons à cela. Nous savons que le climat et l'agriculture sont étroitement liés. Toutefois, on a essayé au cours des cinq dernières années d'élargir ce contexte et de situer les changements climatiques dans le contexte plus général des nombreux facteurs d'agression auxquels est confrontée l'agriculture d'aujourd'hui, le genre de facteurs que votre comité reconnaît.

Dans cette approche, on examine les changements climatiques sans supposer qu'ils auront des effets importants. On essaie plutôt de les situer dans le contexte de la mondialisation de l'agriculture, des changements dans le milieu de la réglementation au Canada et des effets de ces changements pour l'agriculture, ainsi que dans le contexte de toutes les choses auxquelles les agriculteurs et le secteur de l'agriculture doivent s'adapter régulièrement. Cette méthode est relativement nouvelle. Jusqu'à présent, quelques études ont été réalisées dans des entreprises agricoles et il y a eu des vérifications ponctuelles dans les Prairies, en Ontario et au Québec.

Quant aux résultats préliminaires de ces travaux, ils nous ont permis de découvrir que l'adaptation est un processus très complexe. Souvent, ce n'est pas une activité distincte; l'adaptation se fait à la ferme au fil de plusieurs saisons. Elle se situe souvent dans le contexte de la compréhension de plusieurs facteurs d'agression à la fois. On cherche des stratégies qui pourraient réduire les risques associés à plusieurs facteurs, le changement climatique n'en étant peut-être qu'un. Dans la région d'Ottawa, certains de nos travaux nous ont permis de remarquer que les changements climatiques n'auront pas des effets uniformes pour tous les types d'agriculture.

Par exemple, les grandes entreprises d'élevage de la région d'Ottawa n'estimaient pas que les changements climatiques étaient une menace importante. Par contre, dans certaines entreprises agricoles plus petites qui sont déjà plus vulnérables à toutes sortes de menaces et dont la viabilité pourrait être compromise à long terme, on ne voyait pas du tout les changements climatiques du même oeil. On estimait qu'il s'agissait peut-être d'un autre facteur d'agression qui, s'ajoutant à ce qui existe déjà dans la région, ferait déborder le vase.

Cette idée de différents niveaux de vulnérabilité, c'est-à-dire la différence entre les secteurs de l'agriculture qui sont vulnérables et ceux qui sont plus résilients, est essentielle dans les résultats de ces études.

Nous avons également examiné la capacité d'adaptation en tant que propriété d'un système. Tout comme nous pouvons mesurer les précipitations durant la saison de croissance, nous devrions être en mesure de mesurer comment divers types d'agriculture peuvent s'adapter et élaborer ces mesures en tant que propriété du système.

Nous pensons que l'adaptation ne doit pas être simplement une réponse au changement climatique mais plutôt une stratégie de la part des agriculteurs pour tenir compte de multiples facteurs d'agression.

Nos travaux auprès des agriculteurs nous ont montré que souvent ils essaient de faire face à des conditions climatiques extrêmes plutôt que de chercher à s'adapter aux moyennes ou normes climatiques à long terme. Nous devons formuler soigneusement nos questions pour tenir compte des extrêmes ainsi que de l'évolution à long terme des conditions moyennes.

Cette approche soulève un certain nombre de points. Il est clair qu'il est important de situer le changement climatique comme un facteur d'agression parmi bien d'autres. Ne croyez pas que ce soit le seul facteur qui ait une incidence sur l'agriculture. À long terme, si nous voulons comprendre ce phénomène, les vulnérabilités différentielles seront la clé de notre succès. Sur le plan de la politique publique, l'identification des secteurs les plus vulnérables serait un bon point de départ pour déterminer la meilleure affectation de ressources rares. Nous comprenons maintenant un peu mieux les stratégies globales qui sous-tendent l'adaptation mais j'insiste sur le fait que tout ceci est préliminaire. Il y a très peu d'études sur l'adaptation au niveau de l'exploitation agricole. Je tiens à souligner que tous ces travaux ont été effectués au niveau de l'exploitation mais il est clair que l'agriculture est beaucoup plus vaste que cela. À ce jour, il n'y a pas encore eu d'évaluation systématique dans l'ensemble du Canada. Il n'y a eu que des recherches ponctuelles réalisées par quelques chercheurs dans différentes régions du Canada.

Cela vous donne une idée de la contribution des sciences sociales à la recherche sur l'adaptation au cours des cinq à dix dernières années. Je vais maintenant prendre quelques minutes pour vous expliquer quelles pourraient être les prochaines étapes.

Il est important de reconnaître que les études sur l'adaptation sont tout aussi importantes que celles qui portent sur le changement climatique. Si nous continuons à voir l'adaptation comme quelque chose de secondaire qu'on examinera plus tard, il sera difficile de réaliser des progrès.

Les recherches que je vous décris aujourd'hui sont en grande partie financées par le Conseil de recherches en sciences humaines et, dans une moindre mesure, par le Fonds d'action pour le changement climatique. Cependant, le financement de la recherche sur l'adaptation du secteur agricole canadien ne s'est pas fait de manière stratégique mais plutôt sporadiquement et dans des régions restreintes. Nous devons stabiliser ce financement afin de pouvoir réfléchir à l'adaptation à long terme et d'approfondir les études comme il se doit.

À ce jour, la plupart des travaux ont porté sur différents éléments du secteur agricole. Il nous faut plus d'études «de la charrue à l'assiette», si j'ose dire, qui nous permettraient d'examiner les liens entre les activités agricoles et les aliments que nous consommons. Il y a de nombreuses étapes entre les deux et nous n'avons pas encore étudié les liens à l'intérieur du monde agricole ni les liens entre l'agriculture et les autres secteurs ni le rôle de l'adaptation et du changement climatique.

Jusqu'à présent, l'essentiel des recherches ont été menées de manière opportuniste, et il est évident que nous comprendrions beaucoup mieux le phénomène si nous avions un ensemble de programmes d'évaluations comparatives à l'échelle du pays.

Les trois points suivants traitent de l'amélioration de nos connaissances au sujet des vulnérabilités différentielles. Il y a eu quelques études préliminaires, mais on ne comprend pas bien cette question. Il faut faire plus de recherches pour essayer de mesurer la vulnérabilité et pour essayer de la prédire. Cela comporte tout un ensemble d'activités. Dans les sciences sociales, nous appelons «contextualisation» la promotion d'études d'adaptation localisées.

Nous n'avons pas beaucoup parlé de la place du changement climatique parmi les nombreux facteurs qui ont un impact sur l'agriculture, mais nous avons certainement constaté que différents types d'agriculture fonctionnent bien dans certaines conditions. Mais, lorsqu'un certain seuil est soudainement franchi, les répercussions sur l'économie agricole sont catastrophiques. Il faut également essayer de comprendre quels sont ces seuils et quels genres d'événements ils provoquent.

Je n'en ai pas parlé aujourd'hui, mais nous n'avons pas fait beaucoup d'études pour déterminer si nos institutions sont vraiment utiles. Est-ce que nous avons les institutions qu'il nous faut pour vraiment traiter les questions du changement climatique et de l'agriculture au Canada?

La plupart de nos institutions ont été créées il y a longtemps lorsqu'on ne songeait pas au changement climatique comme un facteur de pression, et je pense qu'il serait certainement utile de chercher à déterminer si nos institutions ont les compétences nécessaires ou s'il faudrait leur apporter des modifications.

Je dirais que l'un des grands objectifs que nous devrions nous fixer est de promouvoir l'adaptation comme moyen de réduire la vulnérabilité du secteur agricole face au changement climatique et comme moyen de rendre le secteur agricole plus résistant afin qu'il puisse s'adapter non seulement au changement climatique mais aux autres facteurs de stress qui s'exerceront au cours des prochaines années.

Le président: Merci. Vous avez fait un excellent exposé. Nous allons avoir une période de questions d'une demi- heure avant de passer la parole à M. Smit.

Dans votre exposé, vous avez mentionné l'assurance-récolte. Comme vous le savez, notre comité s'est rendu récemment en Saskatchewan, en Colombie-Britannique et en Alberta. Pendant ce voyage, nous avons appris que les agriculteurs de certaines régions choisissent leurs cultures en fonction du revenu qu'ils pourraient en tirer de l'assurance-récolte. Croyez-vous que l'assurance-récolte, dans sa forme actuelle, soit un obstacle à l'adaptation?

Pouvez-vous nous donner des exemples de programmes officiels qui pourraient nuire à l'adaptation au changement climatique?

Comment pourrait-on incorporer des considérations liées au changement climatique aux programmes de protection du revenu agricole?

À votre avis, quels changements faudrait-il apporter à l'assurance-récolte et au compte de stabilisation du revenu net?

M. Brklacich: Je ne suis pas spécialiste de l'assurance-récolte. Je vois que mon collègue meurt d'envie de répondre à cette question. Il a fait des recherches sur l'assurance-récolte.

Je pense que l'assurance encourage certains comportements de par sa nature.

Certains ont prétendu que l'assurance-automobile nous incite à conduire de façon plus téméraire puisque le risque est largement partagé. Les agriculteurs tiennent compte de nombreux facteurs pour déterminer leurs activités agricoles. S'ils sont protégés par l'assurance-récolte, c'est un facteur qu'ils prennent en considération.

Est-ce que ça empêche l'adaptation ou est-ce que ça décourage l'adaptation? Je ne suis pas sûr comment répondre à cette question. Si on croit vraiment au libre marché, je pense que la réponse est affirmative. Cependant, je ne suis pas sûr que l'élimination des programmes de protection de revenu agricole soit une solution.

Le président: Avez-vous fait des études sur les effets de l'assurance-récolte ou sur l'influence qu'elle pourrait avoir sur l'adaptation des agriculteurs?

M. Brklacich: Je n'ai pas examiné cette question directement.

Le président: Nous pourrons peut-être poser la question à M. Smit lorsque ce sera son tour. Entre-temps, nous allons passer aux questions des sénateurs. La liste est longue et nous allons commencer par le sénateur Wiebe.

Le sénateur Wiebe: Lorsque nous étions à Lethbridge, l'un des témoins nous a dit que le captage de l'eau n'est pas une solution parce que cela coûte trop cher. Cependant, je pense que c'est une solution que nous devrions envisager.

Les membres du comité m'ont déjà entendu dire que le réchauffement planétaire ne ferait pas diminuer la quantité d'eau mais que cette eau tomberait plutôt ailleurs. En outre, la quantité de pluie qui tombait auparavant sur une période de trois jours tombera maintenant en l'espace d'une heure et demie.

Que faut-il faire dans les villes? Que faut-il faire dans les petites collectivités rurales? Que ferons-nous de nos fermes si elles n'ont plus accès à l'eau dont elles ont besoin?

Devrions-nous recommander d'autres études sur le captage de l'eau?

M. Brklacich: Je ne suis pas sûr que ce serait une bonne idée d'étudier également les moyens de capter davantage d'eau. D'après le peu que je sache au sujet du changement climatique, il faut s'attendre à ce que les précipitations deviennent plus variables. Le fait que la précipitation soit concentrée en quelques événements plutôt que d'être répartie de façon plus égale tout au long d'une saison constitue un changement majeur pour le secteur agricole.

Nous ne devons pas y voir uniquement un problème agricole. Il est facile de penser qu'il y a beaucoup d'eau surtout lorsqu'on se compare à de nombreuses autres régions du monde. Cependant, je pense que nous devons prévoir une plus forte concurrence pour cette ressource de plus en plus rare et le secteur agricole sera l'un des demandeurs.

L'un des multiples facteurs de stress sera l'utilisation des ressources aquatiques du Canada. L'urbanisation du Canada exerce une plus forte demande à l'égard de nos ressources aquatiques. Est-ce que l'agriculture réussira à obtenir sa part de cette ressource?

Il faudrait faire des recherches sur l'adaptation et sur la disponibilité de l'eau suite au changement climatique.

Le sénateur Weibe: Vous avez dit que nous n'avons pas l'institution qu'il faut. D'après vous, laquelle serait la mieux placée pour étudier l'adaptation?

M. Brklacich: Je ne suis pas allé jusqu'à dire que nous n'avions pas les institutions qu'il faut. Je posais simplement la question: avons-nous les institutions qu'il nous faut? Je ne connais pas la réponse à cette question.

Je n'ai vu aucune étude qui portait directement sur le changement climatique, l'agriculture au Canada et le fonctionnement de ces institutions. Je n'aurais pas osé dire que nous n'avons pas les institutions qu'il nous faut.

Cependant, voyons s'il serait possible d'exécuter les stratégies d'adaptation plus efficacement par de nouveaux mécanismes institutionnels. C'est une question qui reste à étudier. Je ne peux pas répondre à votre question.

Le sénateur LaPierre: Je pense que vous avez raison; nous n'avons pas les institutions qu'il nous faut.

M. Brklacich: Le sénateur Weibe a raison.

Le sénateur LaPierre: Il me semble que vous devriez faire cette étude pour nous. Nous pourrions réunir trois ou quatre scientifiques de différentes régions qui prépareraient un rapport à l'intention de notre comité sur les institutions d'adaptation qu'il nous faudrait. Est-ce possible? Est-ce que vous vous parlez entre chercheurs?

M. Brklacich: Oui, nous nous parlons. Il serait possible d'évaluer les institutions qui existent déjà. Je tiens à souligner que je ne parlais pas seulement des institutions gouvernementales.

Les agriculteurs parlent de leurs mécanismes locaux, qui sont souvent des institutions informelles mais essentielles pour leur bien-être. Oui, il serait possible d'organiser quelque chose.

Le sénateur LaPierre: C'est fait.

Le sénateur Tkachuk: Le Canada est un pays extraordinaire. Vous venez ici comme témoin et vous repartez avec un contrat.

M. Brklacich: D'habitude, il faut que quelqu'un de l'étranger vous dise que ce serait une bonne idée avant que vous n'accordiez un contrat. C'est donc tout à fait inusité.

Le sénateur Gustafson: Je suis heureux d'entendre dire que les scientifiques préconisent l'adaptation des agriculteurs. À Tokyo, l'OMC a dit que l'appui que nos gouvernements fédéral et provinciaux accordent aux agriculteurs représente à peu près la moitié de l'aide moyenne offerte par les autres nations industrialisées.

En matière d'adaptation et de stress dans le secteur agricole, nous sommes si loin derrière les Européens et les Américains que cela fait peur. De nombreux autres pays ont pris des mesures pour faire face aux défis environnementaux. Les changements qui s'imposent coûteront très cher. Depuis 50 ans que je pratique l'agriculture, je n'ai jamais vu de conditions aussi mauvaises qu'aujourd'hui.

Il est très important que les personnes ayant vos compétences informent les gouvernements, les agriculteurs et le public en général. Je suis entièrement d'accord avec le sénateur LaPierre; il faut faire quelque chose. J'ai apprécié vos commentaires.

M. Brklacich: Je suis d'accord. Le programme de recherche que nous avons créé et qui examine le changement climatique et la vulnérabilité du secteur agricole dans l'Ouest québécois et l'Est ontarien révèle la même chose.

Les facteurs de stress qui pèsent sur le secteur agricole sont extrêmes. Lors de consultations auprès d'un groupe d'agriculteurs de l'Ouest québécois, nous avons entendu parler d'agriculteurs, jeunes et âgés, qui abandonnent leurs fermes parce qu'elles ne sont plus rentables. Le secteur agricole change de l'intérieur et de l'extérieur et doit s'adapter à ces deux sources de stress.

Nous devons faire du lobbying auprès de différentes instances. Ceux d'entre nous qui travaillent dans des universités se doivent d'enseigner de nouvelles méthodes d'adaptation parce que cela fait partie de notre responsabilité sociale.

Lorsque nous avons l'occasion de rencontrer un comité comme celui-ci, cela nous permet d'influencer la politique publique.

Dans le domaine de la recherche, nous devons faire des démarches auprès des organismes subventionnaires pour qu'ils accordent une haute priorité à cette question. Toute la question de l'adaptation au changement climatique doit figurer plus clairement au programme du CRSH.

Le sénateur Gustafson: Les agriculteurs s'inquiètent du rôle que joueront les crédits dans l'application du Protocole de Kyoto. Avez-vous étudié la question des crédits d'émission et du Protocole de Kyoto?

M. Brklacich: Je n'ai pas examiné de façon particulière la question des crédits d'émission et de l'échange des droits d'émission. Au niveau international, il y a plusieurs questions qui doivent être posées.

Les crédits d'émission et l'échange des droits d'émission auront un effet de distorsion sur le commerce et le développement car il deviendra très intéressant pour des pays comme le Canada d'échanger avec des pays qui ont des crédits. Ces pays ne seront pas les moins développés sur le plan économique, mais plutôt ceux qui se situent dans la moyenne.

En ce qui concerne l'agriculture mondiale, je m'inquiète de l'effet que ce mécanisme aura sur le développement agricole de certaines des nations les plus pauvres de la planète. Il pourrait y avoir une distorsion de l'aide publique au développement qui pourrait engendrer des difficultés supplémentaires pour le secteur agricole des pays en voie de développement qui ont le plus besoin d'aide. Cette question dépasse largement les frontières de notre pays, mais nous devons examiner ce mécanisme et la façon dont il sera utilisé.

Le sénateur Gustafson: Est-ce qu'il y a un noyau de personnes éclairées qui étudie cette question à l'heure actuelle?

M. Brklacich: La question des crédits d'émission et de l'échange des droits d'émission est vaste. Je ne sais pas si quelqu'un a étudié cette question et l'incidence qu'elle pourrait avoir sur l'agriculture canadienne.

Le sénateur Ringuette: Dans votre exposé, vous nous avez parlé des études effectuées dans les Prairies, en Ontario et au Québec. Est-ce qu'il existe des études semblables pour la région de l'Atlantique?

Quelles études fera-t-on sur les secteurs complémentaires de la foresterie et de l'agriculture?

Pour des raisons de revenu et d'efficacité, la plupart des agriculteurs de l'Atlantique sont également propriétaires de boisés privés. Cette pratique semble être avantageuse pour eux sur le plan financier.

Est-ce que vous partagez les résultats de vos études avec vos collègues et avec le secteur agricole? Il semble qu'il y ait de nombreux projets de recherche en cours au pays. Comment informez-vous ceux qui doivent élaborer les politiques des résultats de vos recherches? Est-ce qu'il y a un sommet annuel de la recherche? Qu'est-ce qui se fait et qu'est-ce qui doit se faire?

M. Brklacich: Je n'ai pas parlé des Maritimes dans mon exposé parce qu'il portait sur l'adaptation et, à ma connaissance, on n'a pas étudié cette question dans cette région. Dans les Maritimes, on a étudié le changement climatique et l'agriculture.

Un collègue d'Agriculture et Agroalimentaire Canada, Andy Bootsma a fait beaucoup de recherches sur l'évolution possible des conditions agroclimatiques, comme les dates de gèle et la précipitation. Ce travail de reconnaissance a été fait, mais je ne crois pas qu'on ait fait beaucoup d'études sur les effets éventuels sur les rendements et sur les possibilités d'adaptation des agriculteurs.

Je pense que cette région a pris du retard dans l'étude de l'adaptation, mais cette question a été davantage étudiée dans d'autres régions du Canada. Il n'y a pas de programme d'adaptation dans les Maritimes.

Pour ce qui est des liens entre l'agriculture et la foresterie, je suis d'accord. Il y a longtemps que je n'ai pas travaillé dans les Maritimes, mais ces deux secteurs sont inséparables. Vous avez mentionné, je pense, que cette «recherche localisée» doit recevoir davantage d'attention en général. Il n'est pas possible de séparer l'agriculture et la foresterie, car ces deux secteurs sont inextricablement liés dans différentes régions du Canada.

Il y a un certain nombre d'années, nous avons fait du travail analogue dans le comté de Renfrew. Beaucoup de fermiers dans cette région avaient des sortes d'arrangements analogues combinant à la fois la culture et l'élevage. Ils faisaient aussi du sirop d'érable et du bois.

À propos de votre dernière question concernant la communication avec la communauté agricole par opposition à la communauté administrative, que je sache, il n'y a pas de sommet agricole annuel consacré à ces questions.

Je suppose que M. Smit vous parlera d'agriculture, d'impact du changement climatique et des réseaux d'adaptation pour l'agriculture à l'Université de Guelph. Je lui en laisse le soin.

Permettez-moi de vous expliquer comment fonctionne notre programme de recherche à Carleton. Au Canada et sur la scène internationale, les scientifiques ont fait une grande partie de leur travail sur le changement climatique et l'agriculture sans impliquer la communauté agricole. Ils ont inventé toute une série de modèles de simulation.

Il y a déjà plusieurs années, nous avons mis fin à ce genre d'exercice quand nous nous sommes rendu compte que c'était les agriculteurs qui avaient besoin de reconnaître et de prendre en compte ce changement climatique et les autres facteurs d'agression pour l'agriculture. Un certain nombre d'entre nous ont modifié en conséquence leur programme de recherche. Aujourd'hui, le point de départ c'est la collaboration avec la communauté agricole.

Si vous voulez, vous pouvez participer avec moi la semaine prochaine à Alexandria à une réunion avec les agriculteurs de l'Est de l'Ontario. Nous parlerons de ce qui a changé dans leurs exploitations depuis les 20 dernières années et ce qu'ils ont fait pour s'y adapter. Nous essayons de comprendre les pressions associées à cette région particulière.

Au cours de la deuxième heure, nous parlerons de changement climatique et des rapports possibles avec les changements dans leur propre environnement. C'est désormais le point de départ de nos travaux de recherche. La phase suivante sera plus traditionnelle sous forme de questionnaires sociologiques et de sondages plus approfondis.

Nous avons pris du retard, cela devrait donc se faire vers la fin de l'année. Nous éviterons de le faire durant l'été. Demander aux agriculteurs de répondre à des questionnaires l'été n'est pas une bonne idée.

Une fois que nous aurons reçu les réponses, nous reprendrons les réunions pour informer les participants des résultats et leur donner notre interprétation de ces résultats. Les participants à ces réunions serviront à faire le lien entre nos recherches et la communauté agricole. Cela fait des années que nous le faisons.

Ce genre de recherche nécessite la participation de la communauté agricole. Il faut créer un climat de confiance. Pour qu'ils participent, il faut leur faire comprendre que c'est leur intérêt. Pourquoi participeraient-ils s'ils n'y voient pas leur intérêt? Nous insistons sur ce point.

Un des avantages pour eux ce sont les renseignements que nous leur donnons sur le changement climatique et l'agriculture. Cela leur permet d'exercer une influence directe sur les politiques concernant le secteur agricole.

Le président: Est-ce que vous avez des exemplaires ou des résumés de ces rapports? Les renseignements qu'ils contiennent sont peut-être exactement ce que nous cherchons.

M. Brklacich: Je demanderai aux représentants des agriculteurs s'ils sont d'accord pour que nous vous communiquions ces renseignements.

Le sénateur Fairbairn: Lors de notre déplacement en Alberta, j'ai eu le sentiment que beaucoup de choses se faisaient dans nos centres de recherche sur les conséquences du changement climatique pour l'agriculture.

Peut-on dire que les centres de recherche font le maximum pour mettre sur pied des programmes coordonnés afin d'obtenir le financement nécessaire? Faudrait-il créer un réseau national de recherche pour étudier des questions importantes comme l'eau? Ce pourrait ne pas être évident pour la population du sud de l'Alberta tellement fière de ses merveilleux systèmes d'irrigation, mais ces systèmes ne marchent que lorsque les montagnes produisent des eaux de ruissellement.

Un jeune père de famille, agriculteur de carrière, nous a dit qu'il comptait abandonner sa ferme d'ici un an ou deux. L'effritement des collectivités pèse très lourd sur les populations de la Saskatchewan et de l'Alberta. Ce n'est pas simplement une perte pour l'agriculture, mais ces collectivités qui disparaissent sont aussi une perte pour notre histoire.

Il faut que les mesures d'adaptation deviennent une des priorités d'étude de notre comité. Ceux qui ont vécu les grandes sécheresses savent ce que s'adapter veut dire.

Les formes de sécheresse sont différentes d'un bout à l'autre du pays. Les agriculteurs du Labrador parlent de sécheresse tout comme les agriculteurs de la vallée de l'Annapolis. Il reste que ce sont des formes de sécheresse différentes qui nécessitent des formes différentes d'adaptation.

Comment mettre au point un système de communications compréhensible, non pas pour des sénateurs, mais pour des agriculteurs?

M. Brklacich: Chaque fois que je rencontre les membres du Comité de l'agriculture, je suis toujours ravi de voir à quel point ils sont bien informés sur les questions relatives au changement climatique.

Mon beau-frère est agriculteur près de Brighton en Ontario et il m'a envoyé un article de son journal local. Un ancien géographe, je ne citerai pas son nom, disait qu'il n'y avait pas de changement climatique. J'ai passé une demi- heure au téléphone avec mon beau-frère pour lui expliquer qu'il ne devrait pas se laisser influencer par l'interprétation des géographes du changement climatique.

Je cite cet exemple pour vous montrer la nécessité de présenter nos preuves d'une manière cohérente. Qu'un spécialiste proclame la réalité du changement climatique et qu'un autre la nie ne peut que créer une certaine confusion. Il faut éviter les contradictions dans le message communiqué aux agriculteurs et au public en général.

Permettez-moi de revenir à votre commentaire sur les collectivités touchées et l'importance de l'adaptation. Vous avez mis le doigt sur le problème. Il ne s'agit pas simplement de la culture du blé mais de la santé et du bien-être de nos communautés agricoles. Le tissu social de ces communautés est également un élément crucial de cette adaptation.

Si vous habitez dans l'ouest du Québec, le plus proche concessionnaire de machineries agricoles est à Carp, en Ontario. Les pièces qu'ils commandent sont livrées dans des délais raisonnables à Carp, en Ontario. Les agriculteurs de l'ouest du Québec voient leurs communautés fondre au soleil.

Il ne faudrait pas simplement s'intéresser aux problèmes de culture et d'élevage, il faudrait aussi beaucoup s'intéresser au tissu social des communautés rurales. Il faudrait considérer les mesures d'adaptation en milieu agricole d'une manière globale.

Le sénateur Fairbairn: Je vous remercie de votre réponse et je vous remercie de ce que vous faites.

Le sénateur Tkachuk: Ce que je veux que vous me disiez, c'est ce que nous pouvons faire.

Malgré ce que vous dites, il reste qu'il y a ce débat avec les autres climatologues ou géologues qui ne sont pas forcément d'accord avec vous sur le changement climatique. Le débat porte sur la sévérité et la complexité de ce changement. Il porte aussi, chez les scientifiques, sur les causes de ce changement.

L'agriculture doit faire face à un certain nombre de problèmes. J'ai dressé une liste de ce qu'on me dit depuis un certain temps. Il y a une nouvelle concurrence internationale et une productivité mondiale accrue; il y a les subventions américaines et européennes; il y a les nouveaux problèmes environnementaux et réglementaires; et les bureaucrates qui se mêlent de plus en plus des questions agricoles. Il y a une chose sur laquelle ils sont tous d'accord: le changement climatique et les mesures d'adaptation vont nous coûter plus d'argent. La modification génétique des aliments coûte extrêmement cher.

La recherche est indispensable. Combien faudrait-il consacrer de plus à la recherche, d'après vous? Faudrait-il que cette recherche soit centralisée ou devrait-on laisser le soin de cette décision aux universités qui font de la recherche? Cet argent devrait-il alimenter les conseils de recherche nationaux ou les conseils de recherche provinciaux? Nous ne manquons pas d'établissements qui pourraient bénéficier de ces fonds. Nous pourrions accorder des incitatifs supplémentaires à l'industrie privée pour qu'elle consacre plus d'argent à la recherche. Il y a toutes sortes de possibilités. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Qui est le mieux placé pour fixer les priorités?

M. Brklacich: Je ne suis pas certain de pouvoir répondre à cette question sans me mettre en conflit d'intérêts puisque je suis universitaire.

Le sénateur Tkachuk: Pour moi, ce sont les universités qui devraient décider. C'est mon point de vue.

M. Brklacich: Je suis de tout coeur avec vous. Le Canada est un énorme pays et il n'est pas besoin d'aller très loin pour voir que l'agriculture d'une région du pays est différente de l'agriculture d'une autre. Je ne peux imaginer une solution unique pour tout le monde.

En même temps, nous sommes un pays et il faut constituer un front commun. Il nous faut une série de normes qui encouragent la recherche comparative pour que lorsqu'on me pose une question sur la situation dans les Maritimes je puisse y répondre de manière plus complète que je ne le peux actuellement.

Pouvons-nous suggérer des outils normalisés pour que la couverture soit le plus large possible et que les décisions ne soient pas entièrement laissées à des scientifiques comme moi? Il faudrait que cette recherche soit ciblée et qu'il y ait un mécanisme de distribution des fonds pour assurer que les Maritimes, le Canada central et l'Ouest soient également couverts.

N'ayant pas beaucoup réfléchi à la question, je dirais qu'il faudrait peut-être viser une sorte de séries de normes nationales qui permettraient de faire des évaluations nationales comparatives. C'est le genre d'initiatives qui intéressent certains d'entre nous. La recherche au niveau local est indispensable.

J'ai travaillé pour Agriculture Canada il y a de nombreuses années et j'ai constaté qu'une des pires choses qu'on puisse faire c'est de se rendre au fin fond du pays et de se présenter comme venant d'Ottawa. C'était le meilleur moyen de se faire chasser plutôt que d'être accueilli à bras ouverts. Une intervention concertée serait beaucoup plus efficace.

Qui serait le mieux placé pour le faire? Je ne pense pas qu'une seule agence pourrait s'en charger toute seule. Les problèmes que posent le changement climatique et les mesures d'adaptation pour l'agriculture et d'autres secteurs ne s'inscrivent pas facilement dans nos structures de financement. Nous faudrait-il une nouvelle structure de financement ou une sorte de consortium de financement? Je ne suis pas vraiment certain de la réponse.

Le Conseil de recherches en sciences humaines peut se charger de beaucoup de questions mais il y en a beaucoup d'autres qui concernent les sciences naturelles. Nous avons déjà vécu cette expérience avec le financement inter- conseils. Il faudrait peut-être repenser à quelque chose du même genre.

Je n'ai pas suffisamment réfléchi à la question pour bien vous répondre.

Le sénateur Tkachuk: Permettez-moi de poursuivre un instant car c'est important.

Si cet argent sort des coffres du fédéral ou des provinces pour être donné aux universités, des conditions devraient- elles y être attachées? Vous ne serez peut-être pas d'accord mais d'après moi ce sont les universités elles-mêmes qui devraient fixer leurs priorités. J'ai peur que s'il y a des conditions, certains secteurs seront oubliés. Les gouvernements ont tendance à financer un secteur aux dépens d'un autre. Comment cela marcherait-il? Êtes-vous pour des subventions de recherche pure ou des subventions de recherche ciblée?

M. Brklacich: Je suis pour les subventions de recherche ciblée. Si vous voulez que l'agriculture canadienne s'adapte au changement climatique, il faut un programme ciblé énonçant les critères de recherche. Pour répondre à cette question, il y a de la recherche fondamentale à faire. Dans l'adaptation au changement climatique, il y a un aspect social qui pourrait être étudié par les sciences sociales. Comment étudier la vulnérabilité sociale? Ce n'est pas facile.

Le sénateur Tkachuk: Pensez-vous que les universités dans les Prairies prendront d'elles-mêmes ce genre de décisions sans financement ciblé? Elles savent que le changement climatique pose un problème, mais elles savent également que dans les Prairies, il y a aussi le problème des aliments génétiquement modifiés, etc.

M. Brklacich: Dans le domaine du changement climatique, les mesures d'adaptation continueront à être la cinquième roue du carrosse. Si l'objectif est de mieux comprendre l'adaptation, il sera alors très important de faire comprendre que les travaux doivent être liés à l'adaptation. C'est le moyen d'attirer l'attention des chercheurs. Si la proposition n'expose pas l'objectif global, le résultat sera décevant.

Le sénateur Gustafson: Le sujet abordé par le sénateur Tkachuk est très important. Lorsque le premier ministre M. Trudeau est venu à Regina, les agriculteurs lui ont lancé du blé à la figure. Il avait dit aux agriculteurs que comme ils n'arrivaient pas à se décider eux-mêmes, il allait décider pour eux.

C'est un sujet délicat. Nous avons du mal au pays à faire survivre le régime de santé. Comment arriverons-nous à faire survivre l'agriculture? Don Wise a essayé de se faire mettre d'accord entre eux les agriculteurs canadiens et il n'y est pas arrivé. Comment convaincre les agriculteurs canadiens qu'il faut absolument faire quelque chose?

Le sénateur Hubley: Je suis sidérée d'apprendre que l'adaptation n'est pas étudiée dans les Maritimes.

Nous revenons à toute cette question de communication entre les scientifiques et les agriculteurs.

En haut, il y a les scientifiques et les enseignants, et en bas, les organisations agricoles. Dans les Maritimes, nous avons des fermes constituées en sociétés qui ont du personnel scientifique qui conseille les agriculteurs et les sylviculteurs. Entre les deux, il y a les centres de recherche.

Nous n'avons pas examiné le rôle joué par les centres de recherche sur le terrain. Leur simple présence est peut-être synonyme d'adaptation car ils sélectionnent les meilleures variétés de cultures et d'arbres, les plus robustes.

Qu'est-ce qui manque? Faudrait-il penser à autre chose pour combler ces fossés? Il semblerait qu'il y a un manque de communication entre les scientifiques et les agriculteurs.

M. Brklacich: Une grande partie de nos recherches consiste à déterminer, individuellement, les meilleures méthodes de culture. Il arrive que les chercheurs ne pensent à l'agriculture qu'en termes de culture. Si nous arrivions à y penser en termes de vie quotidienne dans les communautés rurales, nous aurions peut-être une meilleure chance d'établir ces liens entre la recherche et le monde agricole.

Il y a beaucoup d'exemples de travaux de recherche dont ont bénéficié les agriculteurs. Je ne dis pas qu'en l'occurrence ce n'est pas le cas. Cependant, je crois que nous pouvons mieux faire pour que nos recherches soient en prise avec les réalités agricoles. À mon avis, c'est un bon point de départ pour établir un lien entre le monde de la recherche et les communautés rurales. C'est un début de réponse.

Le sénateur Jack Wiebe (vice-président) occupe le fauteuil.

Le vice-président: J'aimerais demander à Barry Smit de faire son exposé.

M. Barry Smit, professeur, Département de géographie, Université de Guelph: Je fais de la recherche sur les mesures d'adaptation depuis 23 ans au Canada et ailleurs. Je suis aussi un produit d'adaptation de l'agriculture canadienne.

Vous avez peut-être remarqué que j'ai un drôle d'accent. C'est le résultat de mon adaptation au risque climatique de l'agriculture canadienne. Mes grands-parents étaient des agriculteurs de première génération dans les Prairies. Mon père est né à Trochu, près de Three Hills, dans le sud de l'Alberta. Ma famille survivait sur une ferme dans le sud de l'Alberta dans les années 30. La vie était déjà très dure pour les agriculteurs et en plus il y a eu une succession d'années de sécheresse qui n'ont pas arrangé les choses. Ma famille est une de celles qui ont dû abandonner leur ferme. Mon père a pris le train jusqu'à Vancouver, a embarqué sur un bateau et s'est retrouvé en Nouvelle-Zélande. C'est ce qui explique mon drôle d'accent.

On peut avoir ce genre d'adaptation: on peut attendre jusqu'à ce que les effets se fassent sentir puis faire de son mieux, ce qui implique de déménager quelque part; ou encore on peut prendre conscience de ces risques et penser à des moyens proactifs de les réduire. C'est là, à mon avis, l'essence même de l'adaptation. Il s'agit de gérer les risques qui sont réels et apparents, pas juste pour l'environnement, mais aussi pour la subsistance de l'industrie agroalimentaire canadienne et des collectivités qui en dépendent.

Si vous allez à la page 3 de mon mémoire, vous verrez la première rubrique «L'adaptation fait partie de la réponse au changement climatique». Le diagramme qui apparaît sous cette rubrique illustre justement ce point. Étant donné que le changement climatique suscite des préoccupations, l'alternative est de prendre des mesures d'atténuation des effets, c'est-à-dire de tenter de réduire les émissions et de séquestrer le carbone de sorte que le changement climatique ne soit pas très important, ou de prendre des mesures d'adaptation au changement climatique pour que les conséquences ne soient pas graves, tout en cherchant à tirer avantage des possibilités qui pourraient découler de ces changements.

Au Canada, nous consacrons beaucoup de temps à étudier, à analyser et à considérer des programmes d'atténuation, mais nous avons très peu fait en matière d'adaptation. Je salue la décision de votre comité de se pencher sur cette question et de la situer au cœur de vos délibérations.

Ce manque d'attention est surprenant, car le Canada est attaché à la promotion de l'adaptation. Ainsi, la convention-cadre des Nations Unies, dont émane le Protocole de Kyoto, cherche à réduire les émissions et à séquestrer le carbone, mais elle préconise aussi explicitement l'adaptation.

Le Plan du Canada sur les changements climatiques porte principalement sur les réductions des émissions, mais il comprend aussi un engagement à promouvoir une plus grande sensibilisation aux impacts des changements climatiques et aux besoins de s'y adapter. Les ministres fédéraux et provinciaux de l'Environnement et de l'Énergie se sont réunis en mai dernier et ont convenu de soutenir l'élaboration et la mise en œuvre d'un cadre national d'adaptation.

Vous avez évoqué les arrangements institutionnels pris pour traiter cette question. On a déjà réalisé un certain progrès à cet égard. Les éléments de ce cadre consistent: à conscientiser les gens davantage à l'adaptation, à faciliter la capacité à adopter des mesures d'adaptation, à coordonner les mesures d'adaptation s'inscrivant dans les programmes du gouvernement, à promouvoir la recherche sur l'adaptation, à soutenir les réseaux et c'est un sujet que nombre d'entre vous ont soulevé au chapitre de la communication — ainsi qu'à fournir des méthodes de planification de l'adaptation. C'est une déclaration d'intention impressionnante.

Le Canada s'est doté d'un Fonds d'action pour le changement climatique qui appuie, entre autres, la recherche sur l'adaptation au changement climatique. Mentionnons aussi le Réseau canadien de recherche sur les impacts climatiques et l'adaptation dans le secteur agricole (C-CIARN), qui encourage la recherche et favorise la communication. J'y reviendrai dans un instant.

Ceci étant dit, on a très peu fait dans le secteur agricole et dans le secteur public concernant l'adaptation.

On a toutes sortes de programmes où l'accent est mis sur les émissions de gaz: le gaz sortant de la partie avant et de la partie arrière des vaches, du sol, des plantes et ainsi de suite, et on mesure tout cela avec toutes sortes de programmes de recherche, ciblés et autres. À ma connaissance, il n'existe pas de programmes à Agriculture Canada et dans d'autres organismes agricoles qui portent spécifiquement sur l'adaptation. Or les risques qui pèsent sur le secteur agricole maintenant et dans l'avenir se rapportent au climat et au changement climatique.

Troisièmement, le secteur agroalimentaire se ressentira du changement climatique. Je sais que vous en êtes tout à fait conscients. J'ai constaté que nombre d'entre vous ont utilisé le terme «réchauffement de la planète». C'est une expression communément utilisée pour parler du changement climatique qui nous fait penser à un accroissement graduel de la température. Pour de nombreuses formes d'agriculture au Canada, une augmentation graduelle de la température est en fait quelque chose de positif. En effet, nous serons en mesure d'avoir des saisons de croissance prolongées, ainsi qu'une plus grande variété de récoltes. Le réchauffement graduel de la température pourrait très bien avoir des avantages.

D'aucuns parlent de la migration de l'agriculture vers le nord du Canada. Il faut tout de même faire attention, car l'essentiel de cette région n'est pas propice à l'agriculture. Il importe de savoir que le changement climatique ne se limite pas au seul réchauffement de la planète. La plupart de nos modèles climatiques sont bons pour analyser les températures moyennes. Or il est très rare que nous ayons un climat moyen. La moyenne, c'est quelque chose qu'on examinera plus tard. Nous dégageons les variations d'une année à l'autre.

À la page 5, vous trouverez la figure 2 qui illustre la gravité de la sécheresse. La gravité de la sécheresse ou degré d'aridité varie d'une année à l'autre.

En effet, certaines années sont très arides, et c'est là que nous parlons de sécheresse. En revanche, d'autres sont très mouillées, et nous parlons d'inondation. Une année moyenne serait tout à fait acceptable. La plupart des systèmes peuvent tenir compte de déviations mineures de la moyenne. Dans la partie du graphique que j'ai intitulée «limite de l'adaptation», on pourrait très bien parler de «capacité d'adaptation».

Avec le changement climatique, toutes ces conditions varieront. L'année moyenne pourrait encore se situer dans les limites de l'adaptation. On peut encore composer avec une année moyenne, en dépit du changement climatique, et ce serait bien. Vous constaterez que même sans changement dans la variabilité, la magnitude des extrêmes, avec un changement de la médiane, vous obtiendrez un changement de la fréquence et de la magnitude de certains extrêmes. Ici, les sécheresses seraient plus fréquentes et plus graves. Si on veut examiner la question en termes scientifiques, on peut dire que la probabilité d'une année extrême pourrait se situer entre 1 et 3 au lieu de 1 sur 10.

Quand on pense au changement climatique, il ne faut pas penser uniquement au réchauffement de la planète. Il faut effectivement garder à l'esprit tous ces changements touchant d'autres conditions, ce qui est souvent beaucoup plus pertinent pour le secteur agricole. Le GIEC a déjà reconnu que le changement climatique ne consiste pas uniquement en un changement de température. Il a aussi indiqué que nous pouvons nous attendre à des changements dans la fréquence de ces années anormales. Certaines conditions deviendront moins fréquentes, tandis que d'autres le deviendront plus. Au Canada, nous devons nous attendre à des sécheresses plus fréquentes et plus répandues. C'est peut-être pour bientôt.

Les dangers qui pèsent déjà sur l'agriculture, et qui n'ont probablement rien à voir avec le changement climatique, seront vraisemblablement exacerbés par celui-ci. Cela ne veut pas dire qu'il faille prédire ces dangers précisément, parce que cela n'est pas possible. Toutefois, nous savons qu'il y aura changement dans les risques avec lesquels l'agriculture doit composer, sans oublier tous les autres stress.

Le secteur agroalimentaire n'est pas vulnérable uniquement aux menaces qui pèsent sur l'environnement. Ce n'est pas que le sol ou l'eau soit menacé. Les menaces ont plutôt trait à la viabilité financière des agriculteurs. Elles concernent aussi la viabilité des systèmes agricoles régionaux, des collectivités rurales et de l'agroalimentaire. Le changement environnemental n'est pas tellement un problème environnemental comme tel, mais un problème économique qui touche la subsistance des gens. Il concerne l'avenir des secteurs de notre économie et de notre société. Il ne faut pas parler du changement climatique uniquement en termes environnementaux.

Nombre de ces risques sont déjà apparents. Je crois savoir que vous êtes bien documentés à ce sujet. Selon les économistes de la Commission canadienne du blé, la sécheresse de 2001 aurait coûté quelque 5 milliards de dollars.

La sécheresse de 2002, qui a touché de nombreuses parties du Canada, a été plus grave quand on considère la dimension économique. On ne peut pas affirmer qu'une sécheresse en particulier est causée par le changement climatique, mais on ne peut certainement pas dire le contraire non plus. Les données scientifiques sur le changement climatique nous permettent d'escompter des changements dans la fréquence de ces types de phénomènes, et nous devrions nous y attendre. Le fait que nous soyons frappés de sécheresses graves est manifestement un problème pour nous tous.

Les producteurs ont déjà cerné le problème, et nous avons en fait effectué des travaux en tenant compte de leurs points de vue. Au milieu des années 90, nous avons demandé aux producteurs de nous renseigner sur les conditions avec lesquelles ils étaient aux prises. Ils nous ont appris que la température moyenne n'était pas le seul problème, puisque la sécheresse et les pluies excessives en sont aussi. Ces extrêmes leur posent problème maintenant, et ce problème deviendra plus fréquent ou plus grave dans l'avenir.

L'année dernière, un sondage réalisé auprès de producteurs à l'occasion de la foire agricole Outdoor Farm Show a révélé que la sécheresse, des températures extrêmes et les inondations constituaient toutes des problèmes. Il n'y a plus que la communauté scientifique qui considère que ce sont des problèmes, puisque les producteurs aussi sont conscients de ces risques et cherchent à trouver des solutions.

Bien entendu, il existe d'autres problèmes comme les parasites et les maladies. En effet, la vulnérabilité du secteur agricole se manifeste de diverses façons. On peut compter sur les doigts de la main le nombre de personnes qui examinent la manière dont les collectivités agricoles composent avec ces vulnérabilités. Les risques sont réels et ils sont évidents. Ils deviendront probablement plus problématiques à l'avenir si on ne prend pas de mesures d'adaptation. On ne peut pas simplement régler les problèmes à mesure qu'ils surviennent. Si on adopte cette attitude, de plus en plus de familles quitteront leurs terres et leurs fermes et feront faillite.

Cela étant, il y a moyen de prendre des mesures proactives d'adaptation. L'adaptation agricole est nécessaire, à moins qu'on veut s'exposer aux catastrophes. Il existe des choses que les producteurs peuvent faire, tout comme il existe des actions que le secteur agroalimentaire peut prendre, notamment le développement technologique, et les organismes sectoriels peuvent notamment travailler à la diffusion d'informations, et les gouvernements aussi d'ailleurs. Les gouvernements ont effectivement un rôle actif à jouer à ce chapitre.

Le tableau 3 offre une description très sommaire des façons de penser à l'adaptation. À titre d'exemple, il y a la question de l'opportunité. On peut prendre des mesures d'adaptation par anticipation ou après coup. Je dis qu'il faut agir avant que les risques ne deviennent manifestes. Il ne faut pas non plus attendre d'avoir perdu trois récoltes de suite pour trouver une solution. L'action doit être opportune. Si vous êtes frappé par une sécheresse durant l'année, pensez à ce que vous pouvez faire durant cette même année, par opposition à ce que vous pouvez faire l'année prochaine pour ne pas être aussi vulnérable. Il y a la question de la forme, laquelle peut se rapporter à la gestion, la structure, les finances et les considérations juridiques. Nous venons tout juste de publier un article scientifique qui catégorise les options en matière d'adaptation. Ces options sont pour la plupart hypothétiques. Parfois, les agriculteurs font déjà quelque chose dans ce sens, mais la plupart du temps, il y a des choses qu'ils pourraient éventuellement faire.

Nous avons recensé quatre catégories. La première, ce sont des choses que l'on peut faire dans la production agricole. Ce sont des choses que les producteurs peuvent faire, comme diversifier les cultures ou choisir différentes variétés de cultures, faire de l'élevage diversifié, mélanger différentes formes d'agriculture et d'exploitations forestières ou encore modifier les pratiques d'utilisation du sol. On pourrait peut-être changer l'intensité. À ce propos, certains agriculteurs des Prairies optent désormais pour des systèmes de production moins intensifs afin de réduire leur vulnérabilité au risque.

Il existe aussi des options d'utilisation du sol, notamment en changeant la culture et en faisant de l'élevage varié, ou encore en faisant du semis direct pour profiter davantage de l'hydratation du sol et, par conséquent, rendre ces systèmes de production moins susceptibles à la sécheresse. Il existe même des moyens de modifier le relief du terrain pour accroître la rétention d'eau dans le sol. Il y a l'irrigation, bien entendu, quoi que cela comporte de sérieuses limites. Il y a trop d'études qui ont examiné les modèles de changement climatique et qui ont préconisé l'irrigation comme solution à tous les maux. Or, la réalité est telle que si cela était possible, on le ferait déjà. Il y a des limites à l'approvisionnement et à l'accès, et les coûts entrent en ligne de compte. Cela dit, reste que c'est une option technique. On peut aussi changer le moment où l'on travaille la terre. On plante un peu plus tôt ou on évite de le faire selon que l'on prévoit une période de sécheresse ou non.

Voilà donc des exemples de pratiques en matière de production agricole qui sont des mesures d'adaptation. Elles ne sont pas nécessairement spécifiques à l'adaptation au changement climatique. Dans l'ensemble, ce sont des choses que les agriculteurs font déjà ou devraient envisager de faire. Cela dit, on devrait peut-être les encourager à le faire plus vite.

Je suis allé à l'Atlantic Soil and Water Conservation Society. Comme le climat est plus chaud dans cette région du pays, certains agriculteurs produisent maintenant du maïs-grain d'une manière qu'ils ne pouvaient pas le faire auparavant. Toutefois, ils se heurtent à des problèmes d'humidité.

On est en train d'expérimenter toutes sortes de choses, mais on fait peu de recherche pour tirer des enseignements pour le secteur. Les gens ne disent pas ce qui marche et ce qui ne marche pas. Chacun fait ses petites tentatives de son côté sans qu'il y ait partage d'information. Or, c'est une occasion inouïe pour le secteur de tirer des leçons des expériences des gens dans les différentes régions.

La deuxième catégorie d'adaptation est la gestion financière des fermes. Il ne s'agit pas tellement de changer les pratiques, mais plutôt la manière dont on gère ses finances. Ainsi, on peut utiliser différemment l'assurance-récolte. On retire peut-être plus ou moins, ou on investit dans les contrats à terme de sorte que le risque de fluctuation des prix des denrées soit assumé par quelqu'un d'autre. On peut participer à différents programmes de stabilisation du revenu. Tous les agriculteurs ne cotisent pas au CSRA ou au RARB. On peut diversifier son revenu de ménage. Là encore, très peu de recherches ont été faites sur la manière dont les agriculteurs utilisent ces programmes ou dont ils pourraient les utiliser, ni sur la façon de mieux faire les choses pour s'adapter au changement climatique.

La troisième catégorie concerne les développements technologiques. Dans le secteur agroalimentaire, on semble penser que le changement climatique n'est pas un problème, et qu'il suffit de trouver de nouvelles cultures. Certes, d'excellentes avancées ont été réalisées au chapitre de l'amélioration génétique des cultures pour s'adapter à toutes sortes de conditions. C'est l'une des raisons pour lesquelles de nombreuses cultures peuvent désormais croître dans des conditions plus variées que par le passé.

Ceci étant dit, il ne faudrait surtout pas penser que c'est une panacée qui nous permettra de composer avec les risques du changement climatique. Si l'amélioration génétique des cultures était si formidable, comment se fait-il que nous ayons connu des sécheresses catastrophiques à l'échelle du pays en 2001 et en 2002? L'amélioration génétique des cultures ne permet pas de régler les problèmes de variabilité des conditions climatiques ou des extrêmes. Très peu de programmes d'amélioration génétique des cultures s'intéressent aux cultivars ou aux cultures hybrides qui ont plus tendance à résister à des conditions variables. Si on fait des tests et on se rend compte qu'il y a eu une année particulièrement aride, on rejette simplement les données parce qu'il s'agit d'une année anormale. On fait de l'amélioration génétique pour d'autres raisons: pour le rendement uniquement, pour le contenu oléagineux ou pour d'autres qualités. On fait très peu de recherches ciblées sur la résistance à la sécheresse, par exemple, ou sur la résistance à des conditions climatiques variables.

En ce qui concerne les systèmes d'information météorologique et climatique, on nous a dit d'attendre. Si vous voulez le faire, allez-y. Je pense que les agriculteurs riraient de cela. Si telle est votre stratégie de gestion des risques, bonne chance!

Je pense qu'on devrait dire: «Écoutez, il risque fort bien d'y avoir une sécheresse». Regardons nos archives climatologiques pour savoir ce que nous savons du changement climatique, puis disons aux gens quelle est la probabilité d'une nouvelle sécheresse. Ce n'est pas une certitude. Les agriculteurs n'ont pas besoin de certitude. Ils sont capables de gérer les risques. Par contre, ils ont besoin de savoir quelle est la probabilité que les sécheresses deviennent plus fréquentes. Si la fréquence est élevée, les agriculteurs feront les choses différemment.

Il y a 10 ans, j'ai reçu mon premier appel d'un producteur inquiet du changement climatique. C'était un producteur de volaille qui avait perdu des milliers de volailles à la suite d'un été très chaud; la chaleur avait dépassé la capacité de refroidissement de la grange où se trouvaient les volailles. Cet agriculteur avait perdu énormément d'argent. Il voulait savoir si la chaleur allait être aussi extrême de nouveau. Il devait avoir ma réponse avant de décider de modifier sa grange. Il ne pouvait pas se permettre de perdre autant d'argent à nouveau et il estimait que cela valait la peine d'investir 100 000 $ pour mettre à niveau le système de ventilation de sa grange. Environnement Canada m'a alors fourni une réponse qui a convaincu l'agriculteur de faire la mise à niveau. Voilà un exemple de l'utilisation de la technologie pour gérer un risque.

La quatrième catégorie concerne les programmes publics. L'assurance-récolte, par exemple, est un type de mesure d'adaptation. Les programmes de stabilisation du revenu représentent un type de mesure d'adaptation au sein du système. L'Éthiopie n'a pas de programmes d'assurance-récolte ou de stabilisation du revenu. Quand il y a une sécheresse, les gens ne peuvent pas faire de réclamations; ils doivent tout simplement déménager et espérer qu'un organisme d'aide leur fournira de la nourriture, sinon ils meurent. Voilà le genre d'adaptation que l'on trouve en Éthiopie.

En revanche, nous, nous avons une forme différente d'adaptation à l'échelle sectorielle qui s'appuie sur des programmes comme la stabilisation du revenu et les subventions. Nous avons même de l'aide spéciale en cas de sécheresse.

Ces programmes représentent le type de mesures d'adaptation applicables à l'ensemble du secteur. Ils influent par ailleurs sur le comportement individuel des agriculteurs au sujet desquels vous m'avez posé une question plus tôt.

Parallèlement à cela, il y a l'assurance privée, mais pas tellement, puisqu'il existe des programmes établis.

Ce ne sont là que certaines des différentes options d'adaptation, car il ne faut pas oublier qu'on n'a pas tellement fait de recherche sur l'adaptation comme telle. Des kyrielles de travaux de recherches ont été faits sur le climat. De même, une multitude de travaux ont été faits sur les échanges de gaz entre les plantes et l'atmosphère. Il existe aussi toutes sortes de programmes, ciblés et autres, mais on a pratiquement pas fait de recherche sur la manière dont les agriculteurs composent avec ces risques, ni quelles sont les options d'adaptation, lesquelles d'entre elles sont bonnes, lesquelles ne marchent pas, et dans quelles circonstances.

Le point 4.2 porte sur certaines des leçons que nous avons tirées de cette recherche limitée. Nous avons appris que si l'on ne s'adapte que par réaction, cela risque d'être coûteux. Si l'on attend jusqu'à ce qu'on soit affecté et qu'ensuite on essaye de s'adapter à la situation, cela coûte cher. Il y a de nombreuses options qui permettent de s'adapter en prenant les devants.

En agriculture, l'adaptation est motivée davantage par les sensibilités aux variations météorologiques extrêmes que par le réchauffement de la planète. Ne parlons plus de réchauffement de la planète. Parlons plutôt de changement climatique, parce que cette expression exprime à la fois les températures moyennes et extrêmes.

En outre, les agriculteurs n'ont pas besoin de certitude. Ils se rendent compte qu'il n'y aura jamais de certitude quant à la saison agricole de l'année à venir ou des trois années à venir, mais ils doivent faire leurs investissements en fonction de cette incertitude et c'est ce qu'ils font. D'ailleurs, ils ne savent pas plus ce que seront les prix, les politiques en matière d'échanges ou la demande. Ils prennent leurs décisions en sachant que ces incertitudes existent, et l'incertitude climatique fait partie de la gestion des risques.

Les mesures d'adaptation sont spécifiques à chaque situation et emplacement particuliers. Il serait absurde de dire «dressons une liste des quinze meilleures mesures d'adaptation pour l'agriculture canadienne». Cela varie d'un endroit à l'autre, d'un type d'exploitation agricole à un autre, et selon les conditions à ces divers emplacements.

Essentiellement, l'adaptation au changement climatique fait partie des stratégies de gestion des risques des producteurs. Pour eux, le climat n'est pas une chose distincte, il doit être pris en compte avec d'autres éléments. Si nous pouvons, d'une certaine façon, améliorer la capacité de réagir à ces risques, cela améliorera l'aptitude du secteur agricole et du secteur forestier à tenir compte de ces risques pour l'avenir.

Il faut faire de la recherche sur l'adaptation dans le secteur agroalimentaire. Il y a de bonnes raisons de faire l'apologie de l'adaptation, et je vous ai déjà entendu parler de ces raisons vous-mêmes, mesdames et messieurs. Toutefois, on ne sait pas ce que devrait être la finalité de cette promotion. Nous ne disposons pas d'une base de connaissances sur l'adaptation, tout simplement parce qu'il y a eu peu de recherche à ce sujet. Nous ne savons pas quelles initiatives seraient efficaces, efficientes ou logiques à tel endroit ou tel autre, parce qu'il y a très peu de recherche sur l'adaptation au changement climatique ou sur l'adaptation aux risques climatiques.

J'ai dressé une liste des éléments qui doivent être étudiés. Nous devons mieux comprendre les sensibilités actuelles du secteur agroalimentaire. Il nous faut faire de la recherche sur l'efficacité des stratégies de gestion des risques existantes. Certaines fonctionnent très bien, d'autres non. Apprenons lesquelles fonctionnent et lesquelles ne fonctionnent pas, et sachons pourquoi elles fonctionnent ou pas. Pour cela, il faut des gens qui examinent les stratégies employées et les résultats obtenus, qui établissent les circonstances dans lesquelles ces stratégies fonctionnent bien et qui expliquent pourquoi elles fonctionnent. Nous n'avons presque pas de recherche là-dessus. Quels sont les risques potentiels? Quelles sont éventuellement les options d'adaptation? Quel est le rôle des programmes des organisations ou du gouvernement? Vous posez des questions à ce sujet. J'aimerais tant pouvoir vous donner la réponse. Je peux probablement vous parler de trois études, car c'est à peu près tout ce qui existe sur ces questions.

Il est nécessaire d'améliorer la communication d'informations sur les risques et les opportunités reliées au changement climatique. Il nous faut faire de la recherche et, ensuite, en communiquer les résultats. Nous ne partons tout de même pas de la case départ. Le réseau C-CIARN est justement prévu pour cela. Dans le cadre de C-CIARN agriculture, nous rencontrons beaucoup d'organismes représentant des producteurs. Ils sont membres de notre comité consultatif. Nous avons un site Web que les producteurs consultent. Nous avons des communications. Nous apprenons des choses auprès des producteurs. Par exemple, les producteurs de tomates, choisissent certaines variétés qui les aident à mieux travailler dans ces conditions de sécheresse.

Nous prononçons très souvent des conférences devant des groupes. Il y a deux semaines, j'étais à Winnipeg à l'occasion de la Conférence mondiale sur les céréales, qui est un vaste congrès d'organisateurs et de représentants du secteur céréalier. Nous avons des feuillets de renseignements qui incluent l'information que nous avons recueillie au sujet de l'adaptation dans le secteur agroalimentaire. Nous fréquentons des événements tels que les foires agricoles et nous avons un stand ainsi que des moyens de communications bidirectionnelles.

Nous n'avons qu'une personne qui s'occupe de l'agriculture pour l'ensemble du pays. Elle serait ici aujourd'hui mais elle est actuellement dans l'ouest du Canada, où elle essaye de communiquer avec des agriculteurs. Nous manquons énormément de ressources, mais il y a au moins une base sur laquelle bâtir. Nous avons besoin d'établir des liens avec des organismes de recherche. Nos partenaires, dans ce cas-ci, seraient des gens de l'ARAP, l'administration du rétablissement agricole des Prairies. Toutefois, leurs ressources sont également très limitées.

Le Fonds d'action pour le changement climatique a également commandité certains travaux de recherche dont les résultats ont été communiqués à d'autres chercheurs. Par exemple, en mai, à Victoria, l'Association canadienne des géographes consacrera une journée entière à l'adaptation au changement climatique. Il y a de nombreux autres exemples de ce type de partage de l'information, non seulement au sein du monde de la recherche, mais également parmi les intervenants du secteur.

Cela, les organismes dont on pourrait croire qu'ils seraient les chefs de file, tels qu'Agriculture et agroalimentaire Canada, brillent par leur absence. Ils ont des programmes concernant la séquestration du carbone et les émissions gazeuses, ainsi que des programmes de recherche du ministère. À ma connaissance, il n'existe rien pour l'adaptation. Cela est en partie dû au fait que le changement climatique relève du bureau de l'environnement et du bureau de la recherche scientifique où l'on semble croire que ce genre de renseignements peut être obtenu sur le terrain. C'est du moins leur perspective. Ils ne s'intéressent pas à ce que cela signifie pour les ménages, les collectivités, et pour la viabilité des exploitations agricoles.

Mes recommandations portent sur trois domaines. Le premier, est celui de la recherche. Nous avons désespérément besoin de recherche de fond sur ces questions. Les organismes gouvernementaux du secteur agricole devraient eux- mêmes jouer un rôle. Pour que la recherche soit efficace, il faut en fait que les organismes gouvernementaux, tant fédéral que provinciaux, les organismes du secteur agroalimentaire et les regroupements de producteurs participent à cette recherche. Vous avez déjà entendu dire, honorables sénateurs, que pour mieux comprendre l'adaptation, il faut effectuer de la recherche dans les exploitations agricoles. Il faut que les chercheurs puissent tirer des leçons de l'expérience des producteurs et non se contenter des laboratoires de recherche.

On nous souligne que nous avons des stations de recherche. C'est vrai, et elles ont fait de l'excellent travail pour apprendre comment le maïs est sensible aux divers changements du climat. Cela représente une partie, mais une toute petite partie seulement, des moyens mis à la disposition des producteurs pour répondre aux risques de changement climatique. Nous savons qu'il faut également des recherches de types différents. Il y a d'autres exemples. Il faut donner de l'expansion à cette activité.

Deuxièmement, je crois que les organismes gouvernementaux du secteur agricole, tant provinciaux que fédéraux, que les associations de producteurs et les organismes subventionnaires ont tous un rôle à jouer. Je crois qu'il faudrait s'adresser directement à eux. Si vous voulez disposer de recherche sur l'adaptation au changement climatique, vous allez devoir leur demander cela de façon ciblée. Si vous laissez aux chercheurs le soin de décider, ils continueront de faire le travail auquel ils s'intéressent, travail pour lequel il existe déjà une capacité institutionnelle. Vous aurez d'innombrables travaux de recherche sur les échanges gazeux, le cycle du carbone, et tout le reste, parce qu'il existe une capacité de recherche bien établie dans ces domaines. Ces gens-là continueront de faire ce travail important, mais vous n'aurez pratiquement rien dans le domaine de l'adaptation au changement climatique.

Ma deuxième recommandation porte sur les communications et la diffusion des renseignements. J'y ai longuement réfléchi. Il ne suffit pas d'offrir de l'information par des moyens semblables à ceux que j'utilise aujourd'hui. Il faut, en fait, faire oeuvre de vulgarisation. Il faut trouver un moyen de communiquer cette information, mais pas dans un seul sens. Il n'appartient pas uniquement aux scientifiques d'informer les producteurs, comme cela se fait actuellement, il faut également que les scientifiques apprennent des choses auprès des producteurs et s'en servent dans leurs travaux de recherche. C-CIARN est un point de départ pour ce type de communication, mais il faut en faire beaucoup plus.

Ma troisième recommandation porte sur les programmes et les politiques du gouvernement. On m'a demandé un peu plus tôt s'il faut de nouvelles dispositions institutionnelles. Peut-être qu'il en faut, pour qu'il y ait un certain retentissement à la chose. Toutefois, en pratique, l'adaptation au changement climatique se fait déjà, grâce aux producteurs et aux programmes gouvernementaux qui existent déjà tels que, par exemple, l'assurance-récolte.

Il faudrait considérer comme hautement prioritaire les risques liés au changement climatique dans les programmes existants. Si l'on songe au programme d'assurance-récolte, parmi toutes les différences que vous examinez, quelle différence aura-t-il relativement aux risques liés aux changements climatiques? Agriculture et Agro-Alimentaire Canada a ce cadre stratégique qui sera mis en place d'un moment à l'autre. Je ne sais pas dans quelle mesure on a vraiment tenu compte de l'adaptation au changement climatique. Il se peut bien qu'on l'ait totalement oublié, à ce que je sache. Je ne sais pas quelles étapes ont été suivies en ce qui concerne la prise en compte des risques liés au changement climatique dans ce cadre stratégique en matière d'agriculture.

Il me semblerait bizarre qu'il y ait un cadre stratégique canadien en matière d'agriculture qui accomplisse toutes les choses qu'il était censé faire sans explicitement prendre en compte la façon de gérer les risques liés au changement climatique. C'est justement cela que vous devez viser.

En outre, les ministres fédéraux et provinciaux ont travaillé à ce cadre d'adaptation national. À ma connaissance, c'est une structure très sommaire pour l'instant, et elle fournirait aussi certains moyens institutionnels pour ce qui est de sa promotion. Voilà un autre bon point de départ pour vous.

Je pense que ce sont là trois secteurs où des mesures doivent être prises. Je parle donc de la recherche, des communications et des programmes et politiques du gouvernement.

Le président: Merci pour cet exposé très enthousiaste. Je rappelle aux honorables sénateurs que le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a réservé la salle. Il nous reste 25 minutes pour les questions. Songez-y quand vous posez vos questions.

Le sénateur LaPierre: Je suppose que vous, comme la grande majorité d'entre nous, sommes très peu renseignés sur ce que les agriculteurs pensent du changement climatique. Je crois savoir que l'agriculteur tient compte du changement climatique dans ses décisions. Nous devons l'aider.

Vous nous avez dit qu'il n'y a ni système de recherche ni système de communication systématique.

M. Smit: Il se fait un tout petit peu de recherche dans ces secteurs. Si je répondais non, ce serait dire que tous les travaux que j'ai entrepris depuis plusieurs années ne signifient rien.

Le sénateur LaPierre: Je le comprends. Je voulais dire à part vous. Vous êtes environ cinq ou six.

M. Smit: Non, il y en a d'autres.

Le sénateur LaPierre: Il me semble que 85 p. 100 de la population vit dans des villes. La grande majorité des gens vivent dans les villes et ne se préoccupent pas le moins du monde des ruraux. Ces derniers, les agriculteurs et d'autres, produisent de grandes quantités de richesses pour nous, pourtant nous ne nous en préoccupons pas.

Quand nous pensons au changement climatique, nous ne pensons qu'à la réalité urbaine. Par conséquent, nous avons une lutte à mener pour changer la mentalité des citadins par la communication, la vulgarisation et d'autres moyens pour qu'en fin de compte, ils puissent contraindre les gouvernements à agir parce que le monde agricole ne représente que 15 p. 100 de la population.

Je ne veux pas parler à tort au nom du gouvernement. À moins que nous rallions l'appui des gens qui vivent dans les villes, à la cause des agriculteurs et du secteur forestier, les insectes vont se répandre partout et les communautés rurales vont disparaître. Pourriez-vous nous en parler de façon un peu plus précise?

M. Smit: Je crois que le changement climatique comporte déjà des risques qui, combinés aux autres difficultés qui se posent au monde rural dans de nombreuses régions du Canada, peuvent accélérer certains des changements qui touchent le Canada rural.

Il y a beaucoup d'autres choses qui se passent aussi, mais les variations dans la fréquence des sécheresses, par exemple, sont nuisibles, surtout quand ces sécheresses sont très étendues et se produisent plus fréquemment.

Pour ce qui est de sensibiliser d'autres couches de la population canadienne, les gens qui ne vivent pas dans les campagnes et les inciter à faire leur part de quelque façon, c'est une grosse question.

Je dirais qu'une des façons de changer l'attitude des citadins, c'est de leur rappeler que si le système agricole continue d'être vulnérable à ces sécheresses de plus en plus fréquentes, cela aura une incidence non seulement sur la communauté agricole mais sur tout le monde et pour des raisons bien simples.

Si l'on demandait au trésor fédéral d'aider la communauté agricole, cela s'est déjà fait. On demandera aux contribuables de les soutenir.

C'est une façon de voir le lien qui existe. Il y en a d'autres. Par exemple, la demande en ressources hydriques augmentera et la question de la légitimité de cette demande se posera.

On peut voir ainsi la nécessité d'aider ce secteur à s'adapter à ces risques, dont il n'est pas responsable, de la même façon dont le gouvernement canadien, au nom de sa population, aide d'autres secteurs.

Le gouvernement au nom des citoyens, parce qu'on estime que c'est dans l'intérêt de l'économie de la société canadienne, use de son influence pour mettre en place des politiques et des programmes afin d'aider ces secteurs à s'adapter. On peut dire, au nom de la simple équité, qu'il peut faire la même chose pour le secteur agricole.

Le sénateur Tkachuk: Nous avons parlé de la fréquence des sécheresses et du fait qu'elles augmentent. Il y a eu très peu de sécheresses dans les années 90, dans les Prairies. Dans l'ensemble, les récoltes ont été bonnes. Nous avons connu une assez bonne décennie. Il y a eu une sécheresse l'année dernière et un peu aussi l'année d'avant, et nous avons eu la sécheresse du milieu des années 80.

Pour ce qui est de la fréquence, dans quelle mesure les choses ont-elles changé au cours des 50 dernières années par rapport aux 50 années précédentes au Canada?

M. Smit: Il y a eu certaines études là-dessus mais elles ne sont pas nombreuses. J'ai en ce moment un étudiant diplômé qui tente d'évaluer statistiquement les changements survenus dans la fréquence des conditions climatiques extrêmes. Le fait est que nous ne serons pas en mesure d'avoir des statistiques suffisantes avant une centaine d'années encore quand se seront écoulées suffisamment d'années pour voir si la fréquence a nettement changé.

Le sénateur Tkachuk: Nous ne savons pas si ce sera possible.

M. Smit: Nous ne pourrons pas dire qu'il y a une augmentation significative sur le plan statistique en ce qui a trait à la fréquence parce que nos archives couvrent une centaine d'années. Supposons qu'il y a eu 15 mauvaises années au cours des 30 dernières et qu'auparavant il y en avait eu 10. Est-ce une différence statistiquement significative? Il se trouve que je suis également statisticien. Il faut vraiment disposer de beaucoup plus de données d'observation avant de pouvoir se prononcer.

En Ontario, par exemple, dans les stations qui ne sont pas à proximité des lacs parce que cela a une influence modératrice, nous avons noté des signes d'augmentation graduelle de la température, aucun signe du moindre changement en ce qui a trait à la variabilité, mais des signes de changement dans la fréquence des années particulièrement sèches à la fin du siècle dernier, comparativement au début de celui-ci.

Toutefois, ce ne sont pas des données confirmées. Je dirais néanmoins que nous devons agir en en tenant compte, étant donné l'absence de données concluantes. Si nous attendons d'avoir des preuves concluantes montrant qu'il y a une différence significative sur le plan statistique quant à la fréquence des sécheresses avant de prendre des mesures, c'est ce que nous avons fait dans le cas des stocks de morue: on a attendu d'être certains qu'ils étaient menacés avant d'agir. Que je sache, les stocks de morue sont maintenant choses du passé. Nous avons trop attendu. Nous avions peur de nuire aux collectivités et aux industries qui les exploitaient. Cependant, elles en ont souffert de toute façon.

Si l'on attend d'avoir des données sur toutes les conditions qui importent en agriculture et de les mettre en rapport avec le changement climatique, ce sera bien long. Nous ne disposerons tout simplement pas d'assez d'années pour dire si oui ou non il y a une différence statistiquement significative en ce qui a trait à ces conditions climatiques extrêmes.

Tous les scientifiques sont d'avis que les risques déjà problématiques pour nous vont s'aggraver. Nous aurons peut- être à vrai dire moins de problèmes avec les inondations.

Le sénateur Tkachuk: Notre discussion sur les changements climatiques répond à l'argument du sénateur LaPierre. Il faut de toutes façons entreprendre des travaux de recherche puisque nous aurons des sécheresses. Leur fréquence importe peu. Venant de l'Ouest, je suis bien content que les citadins aient une peur bleue des changements climatiques, et peut-être allons-nous en parler davantage.

Un peu plus tôt, j'ai posé une question à M. Brklacich au sujet des subventions de recherche. L'University of Saskatchewan a depuis toujours un excellent programme de formation continue. Ma mère y a d'ailleurs suivi ces cours à l'université à titre de membre parrainé par les coopératives locales.

La plupart des universités ont-elles ce genre de programme, est-ce peu répandu ou encore est-ce propre à la Saskatchewan? La plupart des universités possèdent-elles un programme de formation continue adéquatement financé qui leur permet d'étendre leurs services à la communauté?

M. Smit: Si je ne m'abuse, la fonction traditionnelle de formation continue, non seulement des universités, mais aussi des organisations agricoles, surtout à l'échelle provinciale, s'est énormément ralentie depuis plusieurs décennies. Ce n'est plus la même chose. C'en est seulement un aspect.

D'autre part, lorsque ces services de formation continue renseignent l'industrie agricole sur les changements climatiques, cette information se limite aux crédits pour les puits de carbone et aux émissions gazeuses. Très peu de renseignements ont été offerts par ces services de formation continue ou par toute autre organisation de l'industrie agroalimentaire sur ce dont nous parlons aujourd'hui, soit comment composer avec les risques associés au climat.

C'est de cette façon que le milieu agricole a été mis au courant du phénomène des changements climatiques. C'est toujours ainsi qu'il est caractérisé. C'est ainsi qu'on renseigne la population sur les changements climatiques lorsqu'on le fait, et il est vrai qu'on le fait efficacement à bien des endroits. Pour la collectivité agricole, les changements climatiques se bornent au réchauffement de la planète à une réduction éventuelle des émissions gazeuses et la possibilité de réaliser quelques gains financiers grâce aux crédits pour puits de carbone. Les agriculteurs font rarement le lien entre leur quasi-faillite de l'année dernière et les changements climatiques qui en sont peut-être responsables.

Le sénateur Fairbairn: Notre discussion illustre bien les difficultés relatives au changement climatique dans le milieu agricole. Notre perspective change tout à fait selon l'endroit où on vit. Ainsi, mon collègue nous a relaté que chez lui au cours des années 90 les changements climatiques avaient été presque inexistants et que la situation était assez bonne.

Toutefois, dans mon coin de pays, la fin des années 90 a été catastrophique. Les problèmes n'ont pas duré qu'une seule année; ils se sont accrus quand des lacs se sont asséchés et que les bassins d'irrigation ont atteint leur plus faible niveau de toute l'histoire de notre région. Le seul événement qui a contribué un peu à remédier à la situation sont les crues soudaines de l'année dernière qui ont, par ailleurs, anéanti des récoltes entières dans certains cas et, dans d'autres, empêché certaines cultures d'arriver à maturité, mais elles sont parvenues à remplir les réservoirs au point qu'ils se retrouvent aujourd'hui dans un meilleur état.

J'essaie donc de dire que cela s'est produit au cours des années 90 en Alberta et également au cours du milieu des années 80. Il y a eu une sécheresse terrible accompagnée du problème concomitant des sauterelles et de ce genre de choses.

Cela ne me rend pas hystériques. Toutefois, ces questions sont désormais connues du public. Il n'est pas seulement question d'émissions. Ce comité a entrepris cette étude et a parcouru le pays afin d'attirer l'attention de la population sur le fait que les changements climatiques ne sont pas qu'une question d'émissions. Il faut comprendre que cela a une incidence sur nos terres et nos forêts également.

Vous avez absolument raison de dire que les questions d'adaptation ne sont pas transmises aux agriculteurs.

Je suis stupéfaite qu'en dépit de tous les travaux entrepris par les gouvernements fédéral et provinciaux ainsi que les ministères de l'Agriculture ces dernières années on n'ait pas réussi à mettre sur pied un programme de recherche consacré aux changements climatiques dans l'agriculture canadienne.

M. Smit: À ma connaissance, un tel programme n'existe pas.

Le sénateur Fairbairn: Le Water Institute de l'Université de Lethbridge, qui travaille de concert avec le centre de recherches de Lethbridge, est devenu l'un des plus grands centres de recherches au Canada. Toutefois, il se trouve en plan faute de l'appui nécessaire pour continuer de croître et fonctionner. Cette aide doit lui parvenir.

En exposant les grandes lignes du Cadre national d'adaptation conclu entre les ministres de l'Environnement et de l'Énergie, vous avez noté qu'il vise notamment à promouvoir la recherche sur l'adaptation et à la coordonner. Pourriez-vous étoffer un peu plus ce concept de coordination.

Des difficultés diverses frappent bien des régions de notre vaste pays. Qu'il soit question d'environnement ou d'agriculture, un système doit être coordonné pour surmonter ces difficultés. Une chaire de recherche isolée n'est pas suffisante si elle n'est pas accompagnée des mécanismes de coordination nécessaires pour que l'information parvienne à toutes les régions du pays. Autrement, la région où se trouve la chaire de recherche en tirera profit tandis que les autres régions continueront de subsister de peine et de misère sans aide.

M. Smit: Lorsque j'ai dit que les programmes de recherche sur l'adaptation étaient déficients dans les institutions agricoles, je ne voulais pas laisser entendre qu'aucune activité d'adaptation pertinente n'avait lieu. Par exemple, les travaux de recherche sur l'irrigation et l'amélioration des cultures, ainsi que d'autres travaux dans nombre de ces catégories sont des méthodes de gestion des risques. C'est donc dire que la recherche sur ces sujets s'effectue.

Ce que j'essaie de dire, c'est qu'à ma connaissance, il n'existe aucun programme purement consacré à l'adaptation tel que nous l'envisageons aujourd'hui, soit les moyens par lesquels les producteurs et l'industrie peuvent faire face aux risques associés au climat à la lumière des autres risques avec lesquels ils doivent composer. Notre approche est plutôt fragmentée: nous faisons des recherches sur l'amélioration génétique des cultures; cela est évidement pertinent pour l'adaptation. Nous entreprenons des recherches sur la gestion de l'eau; c'est aussi pertinent pour l'adaptation. Tout cela est vrai, mais les données ne sont pas rassemblées pour que le secteur agricole se penche sur l'adaptation.

En ce qui a trait à votre question sur la coordination, une multitude d'applications et de questions doivent être réglées dans tout le pays, et elles sont propres à chaque région. Toutefois, bien des données peuvent être communiquées. Il existe certains principes communs: qu'est-ce qui a fonctionné, en principe, jusqu'à maintenant? Avez-vous songé à une stratégie de financement ou avez-vous pensé au procédé d'intensification que les producteurs manitobains ont mis à l'essai? Cela fonctionnerait-il chez vous? Et qu'en est-il de la diversification des cultures entreprises par les agriculteurs du Nouveau-Brunswick? Cela donnerait-il des résultats chez vous?

Il est possible de se pencher sur ces principes et, plus particulièrement, d'étudier la mise en application des initiatives d'adaptation dans une stratégie de gestion des risques à l'échelle individuelle et gouvernementale et d'envisager en outre l'intégration de l'adaptation dans les politiques gouvernementales.

Certaines organisations gouvernementales comme l'ACDI ont déjà bien de l'avance. Je dois reconnaître que j'ai passé un mois dans le Pacifique Sud pour étudier la façon dont ces pays ont amélioré leur capacité d'adaptation aux risques engendrés par les changements climatiques. L'ACDI appuie ce genre de mesures. Je me suis également rendu au Bangladesh et au Vietnam. Là-bas, on n'a pas tenté de mettre sur pied un tout nouveau programme d'adaptation. On a plutôt essayé de comprendre comment les gens affrontent les problèmes d'inondations ou autres pour tenter de mieux gérer les risques étant donné que ceux-ci changeront avec le changement climatique. D'ailleurs, c'est déjà le cas. Le changement climatique fait déjà une partie intégrante de leur stratégie de gestion des risques. Il semble que ce soit relativement facile à faire dans le domaine de l'agriculture.

Le sénateur Fairbairn: Encore une fois, il ne faut pas réinventer la roue. J'ai l'impression d'après ce que nous avons entendu lors de nos audiences, qu'il existe déjà beaucoup de programmes et d'initiatives mais qu'aucun mécanisme ne nous permet de regrouper tous ces efforts pour assurer l'adaptation dans les régions du Canada. Tant que nous ne l'aurons pas fait, nous n'aurons vraiment aucune protection contre les problèmes dont nous avons déjà fait état aujourd'hui.

Je tiens à vous remercier d'être venu partager avec nous votre connaissance du secteur et votre intérêt envers cette collectivité.

Le sénateur Day: J'aimerais que vous me disiez ce que vous pensez de cet article qui a paru dans l'Ottawa Citizen d'aujourd'hui:

Pour essayer de respecter les modalités du protocole de Kyoto, des scientifiques du ministère fédéral de l'Agriculture qui travaillent en Alberta évalueront cet été les niveaux de méthane produits par les renvois de bovins. Le méthane est un des trois gaz à effet de serre qui, croit-on, sont à l'origine du changement climatique. Les scientifiques évaluent la production de méthane grâce à des appareils laser de haute technologie; ils analyseront également les aliments des bovins afin d'identifier les aliments qui fermentent moins dans l'estomac des bovins, réduisant ainsi les niveaux de renvois.

S'agit-il d'atténuation ou d'adaptation?

M. Smit: Il s'agit ici d'atténuation, puisqu'on étudie la production de gaz ayant un impact sur le climat par le secteur agricole. On veut diminuer la production de ces gaz. C'est un travail important. Nous devons savoir d'où viennent ces gaz, que ce soit d'une extrémité ou de l'autre de l'animal. Le sujet sera certainement documenté. C'est le monde entier qui bénéficie de ce type de recherches parce que nous comprendrons alors d'où viennent ces gaz et les effets qu'ils ont.

Il faut que les agriculteurs et les producteurs canadiens bénéficient le plus rapidement possible de ces travaux de recherche parce qu'ils sont déjà exposés aux risques associés au changement climatique et ils le seront toujours à l'avenir. Évidemment, l'évaluation des gaz produits par les bovins, par un orifice ou un autre, n'aura pas vraiment d'impact sur la viabilité des opérations agricoles au cours des cinq prochaines années, mais peut-être ces travaux auront-ils un impact plus tard. Il faut annoncer avec beaucoup d'enthousiasme et financer avec d'importants budgets des programmes qui nous permettront d'évaluer la façon dont les producteurs du secteur agricole composent avec les risques associés au climat, les risques actuels et leur évolution avec le changement climatique.

Le sénateur LaPierre: Pourquoi cette histoire de renvoi mérite-t-elle d'être publiée par l' Ottawa Citizen? Si vous proposez un autre programme comme celui que vous avez mentionné, on n'en parlera pas dans l'Ottawa Citizen.

Le sénateur Day: J'aimerais parler de vos trois recommandations: la recherche, les communications, les programmes et les politiques. J'ai été surpris de constater qu'on ne parlait pas du rôle du secteur privé à cet égard. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi?

Pour ce qui est du secteur de la recherche, s'il y a des avantages économiques, le secteur privé développera la technologie qui sera communiquée aux agriculteurs parce que le secteur privé voudra vraiment que cette technologie soit utilisée.

Quant aux programmes et politiques, existe-t-il un programme qui permette aux chercheurs des universités et des laboratoires de pensée, de prendre les technologies qu'ils ont créées et de les transférer au secteur privé après s'être procuré les droits nécessaires au niveau de la propriété intellectuelle, des brevets, des certificats d'obtention et j'en passe?

Est-ce qu'un des exemples que nous avons donnés répond à vos exigences?

M. Smit: J'aimerais attirer votre attention sur ma recommandation sur la recherche et la communication; j'ai inclus le secteur de l'agroalimentaire délibérément parce que ce secteur joue un rôle fondamental dans la recherche. Le secteur de l'agroalimentaire fait son effort dans certains secteurs dont il tire des avantages. Il n'y a pas de participation importante du secteur privé dans un grand nombre d'aspects de la gestion des risques. Il y participe dans certains cas mais pas souvent.

Prenons par exemple, le développement des productions végétales. Sur quoi ont porté les travaux effectués ces dernières années sur l'amélioration génétique des cultures? Une étude a porté sur les raisons pour lesquelles on cherchait à améliorer génétiquement les cultures. On a découvert qu'on accordait très peu d'importance à l'amélioration génétique des cultures pour qu'elles puissent mieux résister aux fluctuations climatiques dramatiques. Peut-être que ce genre de choses ne paie pas assez.

Je crois que ce secteur devrait participer à la recherche et aux communications. En fait, dans le C-CIARN de l'Agriculture, il existe une petite initiative visant à assurer la dissémination des renseignements dont nous disposons. Nos associés du secteur agroalimentaire sont impliqués et nous désirons qu'ils participent à ces activités dans la mesure du possible pour les raisons que vous avez déjà énoncées.

Le sénateur Day: Puisque l'adaptation, du point de vue de l'agriculteur, ne représente souvent pas un changement fondamental, le secteur privé est-il mieux en mesure d'aider lorsqu'on veut apporter de petits changements?

Ne devrions-nous pas laisser les scientifiques chargés de la recherche gouvernementale, universitaire ou de la recherche à long terme, s'occuper de la recherche dirigée à long terme?

M. Smit: Ce n'est peut-être pas une mauvaise idée. Le secteur privé dans l'ensemble doit obtenir un rendement plus rapidement. Nombre d'initiatives très ouvertes sur l'avenir sont entreprises par le secteur privé. Lorsque l'industrie profite automatiquement des avantages découlant de ces initiatives, elle s'y intéresse plus; elle s'y intéresse moins lorsque les avantages vont surtout à la société et à l'ensemble de la collectivité.

Quant à votre commentaire sur l'adaptation qui se fait dans des petites choses plutôt que dans des grosses choses, je crois que les deux sont possibles. Lors de la Conférence mondiale sur les céréales qui a eu lieu à Winnipeg il y a deux semaines, nous avons organisé une table ronde de producteurs de toutes les régions du pays pour qu'ils expliquent comment ils composent avec ces risques. Les risques allaient de petites choses, comme le changement de la rotation d'une exploitation d'élevage afin de la rendre moins vulnérable aux périodes de sécheresse, à la transformation complète d'une opération, passant d'une entreprise céréalière spécialisée à une opération de fabrication d'aliments pour les animaux fabriqués à partir de cultures fourragères. Il y a donc eu un changement complet de la structure de l'entreprise. À mon avis, les coûts d'intrants étaient désormais moins élevés plus diversifiés. Ces décisions n'étaient pas motivées exclusivement par les risques associés au changement climatique mais ce facteur entrait quand même en ligne de compte. L'adaptation peut être faite petit à petit; cela peut également représenter un changement fondamental d'une entreprise.

Le sénateur Day: Lorsqu'il faut apporter des modifications plus importantes, il faut habituellement que le gouvernement prévoit un programme pour aider l'agriculteur à apporter ce changement ou pour aider l'industrie forestière à passer à quelque chose de complètement différent. Il faut de l'argent.

M. Smit: Ces programmes, même s'ils ne visent pas vraiment à encourager ou dissuader l'adaptation, auront souvent ce résultat. Par exemple, lorsqu'on offre une subvention pour une culture particulière, qui n'est pas accordée pour les autres cultures, on encourage l'agriculteur à produire cette culture plutôt que d'opter pour la diversification. Certains programmes peuvent peut-être par inadvertance favoriser ou décourager l'adaptation.

Le vice-président: Je tiens à remercier nos témoins au nom de tous les sénateurs. Comme en dénotent les questions posées par les sénateurs, votre intervention aujourd'hui nous a été fort utile.

La séance est levée.


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