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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 15 - Témoignages - 1er avril 2003


OTTAWA, le mardi 1er avril 2003

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 17h35 pour poursuivre l'étude sur l'impact du changement climatique sur l'agriculture, les forêts et les collectivités rurales au Canada et les stratégies d'adaptation à l'étude axées sur l'industrie primaire, les méthodes, les outils technologiques, les écosystèmes et d'autres éléments s'y rapportant.

Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, je suis heureux de déclarer ouverte la 24e réunion du comité sur l'impact du changement climatique sur l'agriculture, les forêts et les collectivités rurales au Canada et les stratégies d'adaptation.

[Français]

Honorables sénateurs, nous continuons notre étude sur les effets des changements climatiques. Je voudrais souhaiter la bienvenue aux Canadiens et aux Canadiennes qui nous regardent et qui nous écoutent sur CPAC et sur Internet.

[Traduction]

Au cours des dernières semaines, nous avons entendu divers témoins nous expliquer les aspects scientifiques du changement climatique tout en mettant l'accent sur les questions relatives à l'adaptation.

Nous entendrons aujourd'hui M.JayMalcolm de la Faculté de foresterie de l'Université de Toronto. M.Malcolm se spécialise dans l'écologie faunique, l'écologie communautaire et l'écologie du paysage. Il a examiné la fragmentation des forêts, les effets de bordure et les conséquences du réchauffement planétaire sur les écosystèmes naturels.

Soyez le bienvenu. La parole est à vous.

M. Jay R. Malcolm, professeur agrégé, Université de Toronto: Honorables sénateurs, je vais présenter un bref exposé sur certains des aspects de l'évolution du climat et d'une gestion durable des forêts. Quand je parle d'une gestion «durable», je parle des trois dimensions du développement durable, comme nous les entendons habituellement: les dimensions économique, écologique et sociale. Je vais me concentrer sur les aspects écologiques et, dans une certaine mesure, toucher un mot au sujet des questions économiques.

Avant de commencer, je vais donner certains renseignements de base sur l'évolution climatique. De plus en plus, il existe de bonnes données qui portent à croire à un lien causal entre l'accroissement des concentrations de gaz à effet de serre et le réchauffement récent que nous avons observé. Il importe de signaler que le degré de réchauffement dont nous parlons est extrêmement significatif dans un contexte écologique.

La flèche ici laisse voir le réchauffement relativement faible que nous avons connu depuis 100ans. Il s'agit des projections du GIEC, groupe de scientifiques que les Nations Unies ont chargé de faire enquête sur le problème. Vous remarquerez que dans les limites supérieures des projections en question, pour les 100prochaines années, le chiffre est de 5degrés environ, ce qui correspond à peu près au même degré de changement climatique que nous avons observé entre l'époque des glaciers à son maximum et notre époque. Nous parlons d'un degré de changement qui, dans un contexte écologique, est vraiment énorme.

Le graphique en bas laisse voir une reconstruction des températures connues au cours des 1000dernières années, faites à partir de la dendrochronologie et d'autres sources de données du genre. La ligne rouge à l'extrême droite laisse voir les températures observées. Vous remarquerez que nous vivons actuellement la période la plus chaude depuis 1000ans au moins.

Selon des études récentes publiées dans la revue scientifique Nature, une des revues scientifiques les plus prestigieuses, nous avons maintenant raison de croire que des centaines d'espèces réagissent à ce réchauffement. En prenant pour référence les critères du GIEC, nous avons maintenant de très bonnes raisons de croire que cette évolution anthropogénique du climat a déjà une incidence sur les organismes.

Je vais maintenant traiter de cette approche, de la manière dont nous pouvons faire des projections ou comprendre quelque peu ce qui pourrait se passer à l'avenir d'un point de vue écologique. Un des principaux outils de travail qui nous permettent de faire cela, c'est l'établissement de scénarios et de projections de l'évolution future du climat à l'aide des modèles des super ordinateurs. Il y a une quinzaine de groupes qui, dans le monde entier, créent ces modèles. Selon un scénario type, on regarde un modèle climatique avec des concentrations actuelles ou récentes de CO2, et un modèle où la concentration de CO2 est doublée, ce qui devrait se produire d'ici quelque 100ans. Ensuite, on confie ces données à un géographe botaniste, qui peut raisonnablement vous dire à quel écosystème majeur vous pouvez vous attendre là, qu'il s'agisse de ceci, dans le triangle, d'une forêt tropicale humide, d'un désert ou d'une forêt boréale, et ainsi de suite. À partir des seules données sur les précipitations, les températures et les variations saisonnières, on aura une assez bonne idée du genre d'écosystème majeur qui se trouvera là.

Nous prendrons ces modèles climatologiques globaux ou modèles de circulation générale, ces données climatiques, et, en les conjuguant au modèle de la biogéograhie botanique, nous verrons en quoi nos systèmes écologiques pourraient évoluer durant les 100prochaines années environ. Cela s'appelle l'approche des équilibres; on calcule le changement climatique associé à un doublement du CO2, puis on regarde la végétation qu'il pourrait y avoir avec cela.

Ces données climatiques particulières proviennent du Hadley Centre au Royaume-Uni. Elles sont conjuguées à un de ces modèles de biogéographie botanique, dans le cas qui nous occupe, MAPSS. Le modèle du haut s'applique aux principaux types d'écosystème que nous avons actuellement au Canada, dans notre climat, et vous remarquerez les écosystèmes froids de l'Arctique au nord, et la forêt boréale d'un vert sombre, puis, on descend dans le sud de l'Ontario, où nous nous trouvons en ce moment, où il y a, en vert moins foncé, la forêt de la zone tempérée. On voit le jaune des Prairies et la taïga dans le coin du Yukon et du nord de la Colombie-Britannique.

J'attire votre attention ici, plus bas, là où il y a les grands types d'écosystèmes prévus avec le dédoublement du CO2. Vous remarquerez que la forêt tempérée couvre maintenant la moitié de l'Ontario. Vous remarquerez qu'Ottawa se trouve dans le système carolinien, en jaune. La forêt carolinienne représente notre écosystème qui se trouve le plus au sud, en Ontario. Si vous regardez la partie supérieure de l'Arctique, les zones continentales, vous verrez le bleu le plus pâle. Remarquez qu'il a presque disparu de la zone continentale. Cela touche nettement plus les îles de l'Arctique supérieur.

Nous pouvons essayer de mesurer le degré de changement auquel il faut s'attendre. Il n'est pas question d'un changement écologique de peu d'importance. L'apparition d'une forêt boréale comme dans la région de Timmins avec ce qui se trouve autour des Grands Lacs ou dans ce coin-ci, voilà un changement important, le passage à un type différent de forêt, ce qui comporte de nombreuses conséquences pour les espèces qui s'y trouvent ainsi que pour les activités forestières que nous pouvons y exercer.

Le président: Quelle est la période évoquée entre ces deux cartes?

M. Malcolm: Les gens parlent le plus souvent d'une centaine d'années quand il est question des modèles climatiques où le CO2 double, même si cela pourrait se faire plus rapidement, comme ce semble maintenant être le cas.

L'exposé devient un peu technique ici, mais je vais essayer de simplifier. Ici, on a la combinaison d'un modèle climatique et d'un modèle botanique. Dans cette analyse, nous avons pris 14combinaisons du genre pour en arriver à un résultat solide.

La prochaine figure laisse voir le changement en ce qui concerne les types d'écosystème majeurs; plus le rouge est foncé, plus les modèles laissent voir qu'il y aura un important changement. Vous verrez que le Canada, l'Asie du Nord et l'Europe sont des trous noirs, avec des degrés énormes de changements écologiques à l'échelle globale. Cela n'est pas étonnant quand on sait que le modèle de climat mondial fait que nous nous attendons à un plus important réchauffement dans la partie nord.

Il y a peu de doute quant au fait que nous allons assister à beaucoup de changement. Il est frappant de constater que, si on classe tous les pays dans le monde, le Canada vient au 14erang, ce qui est assez surprenant, étant donné la taille énorme de notre pays. On voit que la pauvre Finlande est classée très haut, mais c'est un petit pays par rapport au Canada. Si on regarde la superficie du Canada, où on pourrait s'attendre à un changement d'écosystème majeur durant les 100ans en question, on voit que c'est autour de 46p.100 de la surface.

La simulation laisse voir des travaux très semblables à ceux dont je parlais. Les diverses couleurs représentent les différents types d'écosystème. Les responsables de cela ont pris des projections de données climatiques pour essayer de comprendre comment ont évolué les écosystèmes. Cette simulation, préparée par Hall et Fagre, concerne le parc national des Glaciers.

Là où je veux en venir, c'est qu'il n'est pas seulement question de changement; si on parle des écosystèmes adaptés au froid comme ceux de l'Arctique et des cimes des montagnes, il y a aussi la réduction énorme de la surface de ces écosystèmes.

Par exemple, en 1940, le blanc représente les glaciers. Arrivé à l'an 2000, nous voyons que les glaciers, pour la plus grande part, disparaissent. Le gris représente les écosystèmes alpins de haute altitude. Voyez la réduction très importante de la surface dans le cas de ces écosystèmes alpins de haute altitude. On voit beaucoup de blanc et de gris; au fil du temps, le blanc disparaît avec la fonte des glaciers, et le gris disparaît.

Cela pose un problème, parce que les plantes et les animaux de la toundra qui évoluent dans ces écosystèmes à haute altitude disparaîtront. Nous aurons des espèces moins nombreuses avec ces changements.

Selon un des principes de l'écologie moderne, si vous faites un échantillon à partir d'une zone de plus en plus large, vous devez trouver de plus en plus d'espèces. Il existe un lien empirique très fort entre le nombre d'espèces que vous trouvez et la surface que vous couvrez. C'est la relation espèces-espace. Nous pouvons employer cette idée pour essayer d'étudier ce que serait la perte des écosystèmes du point de vue de la biodiversité au Canada.

Du côté gauche, on voit la couleur vert qui représente, disons, la zone de toundra dans le climat actuel. Du côté droit, on constate le déplacement vers un endroit nouveau. En rouge, il y a la zone d'avant, et les secteurs B et C, c'est là où cela pourrait se trouver à l'avenir.

Ce que je veux faire ici, c'est comparer la zone A et la zone B avec la zone future. Dans la séquence sur les montagnes, j'ai montré la zone grise totale, puis ce que la zone grise représentera à l'avenir. Ici, j'ai montré cela comme étant d'à peu près la même taille. Comme je l'ai mentionné, si nous constatons la réduction de la zone A sur le graphique, nous pouvons déduire le nombre d'espèces perdues.

Je n'ai pas fait cette analyse pour le Canada; mais je l'ai faite pour la planète, à partir de ces 14combinaisons de modèles globaux de climatologie et de végétation. Ce n'est pas beau à voir pour les écosystèmes de la toundra et de ce qui s'appelle la taïga-toundra, la frange de la toundra. On peut voir que, selon le réchauffement auquel nous nous attendons ou que nous projetons pour cette période de 100ans, nous allons perdre environ 10p.100 des espèces de la toundra et de la toundra-taïga. Certaines données portent également à croire à des pertes d'espèces dans le désert aride.

À moins que nous ne réduisions les émissions et le taux de réchauffement, cela va se produire. Il n'y a pas grand- chose que l'on puisse faire pour contrer le phénomène, car on ne saurait créer des grandes zones de toundra dans un laboratoire ou je ne sais quoi encore.

Il est difficile, d'un point de vue écologique, de parler de la dissociation de l'adaptation et de l'atténuation. Ce problème a des aspects auxquels on ne saurait s'adapter. Il faut lutter contre le problème; on ne peut simplement pas s'en accommoder et faire de notre mieux. Si la température demeure plus chaude que la norme, il y aura des extinctions importantes.

Parlons des forêts. Nous avons vu comment l'écosystème peut changer. Comme je l'ai mentionné, l'épinette pourrait finir par dominer les forêts boréales en Ontario. Dans un coin où les conifères sont très présents, comme dans le parc Algonquin, il y aurait du pin et de l'érable et ainsi de suite. À mesure que les conditions changent, les grands types de forêts changent. Certains types de forêts disparaîtraient ou se déplaceraient.

Nous n'avons pas encore procédé à une modélisation détaillée de l'un quelconque de ces aspects pour le Canada. Tout de même, les projections faites pour la partie est des États-Unis montrent que, au fil de cette période, il y a la possibilité que disparaissent les forêts d'épinette, d'érable, de hêtre américain et de bouleau.

Cela transformerait l'aire que couvrent les espèces, puisque les espèces vivent dans certaines conditions climatiques; si ces conditions sont déplacées, les espèces le sont aussi. Ce déplacement comprend les espèces commercialement viables. L'étude américaine montre que les espèces d'une importance économique comme l'érable à sucre, le sapin blanc, le peuplier et le pin rouge seraient réduites de plus de 90p.100.

Quand le climat commence à s'apparenter davantage à celui du sud, cela crée des stress pour les arbres qui s'y trouvent, et les arbres stressés sont plus susceptibles à la maladie et aux infestations.

Dans des conditions plus chaudes, les plantes ont besoin de plus d'eau, car l'eau s'évapore plus rapidement quand il fait plus chaud. Si vous ne fournissez pas plus d'eau, une chaleur accrue conduira à plus de sécheresse et à une probabilité accrue d'incendies. C'est là une question qui est importante aussi.

J'ai assisté à des conférences sur l'évolution du climat où les Russes croyaient que le phénomène favoriserait la Russie, car il servirait à élargir la zone fromentière.

Comme les températures seraient plus élevées, les plantes auraient besoin de plus d'eau, et s'il n'y a pas d'eau, les possibilités de conditions difficiles liées à une sécheresse seraient fortes.

Les plantes sont de grandes consommatrices de dioxyde de carbone. Elles prennent le dioxyde de carbone qui se trouve dans l'atmosphère, le fixent dans leurs tissus, et le rejettent dans l'air ambiant quand elles respirent comme nous le faisons. Si vous faites augmenter la quantité de biomasse des plantes, vous aspirez tout le dioxyde de carbone qui se trouve dans l'atmosphère. Le processus s'appelle piégeage ou séquestration du carbone. De plus en plus, on privilégie la forêt en tant que puits de carbone et on s'efforce de garder le carbone dans les forêts. Tout de même, si on regarde le tableau dans son ensemble, on voit que c'est là une mesure sans grande portée. Les forêts retiennent une quantité relativement faible de carbone, par comparaison à ce que nous rejetons dans l'atmosphère.

Je vais parler un peu de l'adaptation, plutôt que de la vulnérabilité. Les spécialistes ont effectué plusieurs analyses économiques de l'avenir du secteur forestier dans de telles conditions. Souvent, ils prédisent que l'impact positif net pour le secteur du bois à scier sera faible.

Pour une bonne part, c'est en raison de la possibilité d'une croissance accrue dans des conditions de réchauffement. En même temps, il est évident que tous ces modèles présument qu'il y aura une adaptation appropriée.

Dans une de leurs études les mieux connues, Sohngen et Mendelsohn présument que l'aménagement forestier établirait rapidement les espèces appropriées dans le contexte du changement climatique. Les conditions peuvent changer, mais l'idée, c'est que les experts forestiers réagiraient convenablement et rapidement.

Dans le cas des terres à faible intensité, où nous comptons sur le fait que la nature suivra son cours, l'étude montre qu'il n'y aurait qu'un retard de 10 à 30ans en ce qui concerne les espèces appropriées. L'idée, c'est que les impacts faibles ou même les impacts positifs nets dont il est question dépendent du fait que les gens se conduisent convenablement.

Afin d'avoir des réactions appropriées, nous devons comprendre quelque peu quels arbres sont appropriés et ce qu'il faut faire dans ces conditions. Parmi les stratégies d'adaptation, il y a celles qui consistent à s'assurer que les bonnes espèces d'arbres se regénèrent une fois la récolte effectuée.

Plus vite on fait pour faire pousser la forêt appropriée, plus celle-ci absorbe rapidement le carbone qui se trouve dans l'atmosphère et protège le carbone qui se trouve dans le sol, qui pourrait être brûlé dans l'atmosphère.

Il faut mettre au point des espèces génétiquement modifiées ou les bons écotypes. C'est une procédure qui suppose l'élaboration d'un système sylvicole qui garantit la vigueur des arbres.

Si nous devons déplacer des forêts et des écosystèmes d'un endroit à l'autre, les espèces doivent être en mesure d'y arriver physiquement. On peut les charger dans un camion et les déplacer comme cela, sinon on peut compter sur le fait que la nature s'en occupera. Si on compte sur la nature, il y a des limites quant à la vitesse atteinte. Je vais parler un peu de cette question, et c'est peut-être là que se situe l'une des plus grandes préoccupations. La migration de la forêt est un aspect clé de l'adaptation.

Un des problèmes, c'est que même si les experts forestiers ont tendance à bien estimer leurs capacités de gestion de la forêt, nos efforts ne sont pas toujours si fructueux. Le cas des forêts boréales de l'Ontario en est un bon exemple. Le graphique ici laisse voir divers types de forêts: forêt de feuillus, forêt mixte et forêt d'épinettes. En dernière analyse, nous devons abattre des conifères, et ce sont des feuillus qui repoussent, comme le peuplier et le bouleau.

À titre d'exemple, entre 1970 et 1985, on a planté 415 000 hectares d'épinettes noires; en 1990, l'épinette noire couvrait 15p.100 de la zone en question. Le reste des épinettes était mort ou avait été supplanté par les feuillus plus énergiques.

Il y a une question potentielle ici. Ce genre de vision interventionniste de la nature commence à poser des problèmes quand un système se complexifie. L'agriculture est un système relativement simple: il y a une récolte ou deux, alors que les forêts dont nous parlons représentent une situation beaucoup plus compliquée. Dans le cas qui nous occupe, nous n'y consacrons pas suffisamment de ressources.

Un modèle en particulier laisse voir que si la migration ne suit pas le rythme de réchauffement, certaines espèces vont être perdues. On va perdre du bois et de la biomasse dans les forêts. L'exemple le plus évident est peut-être celui d'un modèle global de végétation, qui permet d'étudier les possibilités en ce qui concerne le piégeage du carbone.

Si vous permettez que les écosystèmes évoluent de pair avec le changement climatique, vous verrez une augmentation de 7 à 11 p.100 de la quantité de carbone dans les forêts. Si vous prenez le scénario inverse et que vous ne permettez pas aux écosystèmes de suivre le pas, il y aurait une diminution de 3 ou 4p.100 de la quantité de carbone sur la planète. Cela montre à quel point ce genre d'idée de migration est importante.

Si on considère les arbres du point de vue d'une récolte agricole, cela prend de l'importance, puisqu'on peut changer les espèces, faire le travail génétique qui s'impose et ainsi de suite. Au Canada, nous ne faisons pas cela. Nous nous fions à une regénération naturelle de la forêt ou nous ne nous en soucions pas. Alors, ce problème de migration revêt une importance plus capitale parce qu'on compte sur le fait que la nature va jouer son rôle.

Quand on essaie de gérer les forêts non seulement pour le bois à scier ou le carbone, mais aussi pour les autres variétés d'espèces qui vivent dans les forêts, nous réalisons que la migration physique est impossible. Nous ne pouvons charger dans un camion et déplacer des centaines d'espèces d'insectes ou des milliers d'espèces de plantes. La migration artificielle de la forêt naturelle n'est pas une option. Ce problème de migration devient alors particulièrement important, quand on songe à la gestion des forêts dans le contexte le plus vaste en ce qui concerne la durabilité.

Comparons maintenant la quantité de gris que nous avons vue sur la carte, avant et après. Nous pourrions employer notre relation espèces-espace pour déterminer combien d'espèces seraient perdues; tout de même, songeons maintenant au déplacement vers le nord de la forêt boréale. Nous pouvons comparer l'aire qu'elle occupe actuellement et l'aire qu'elle occupera à l'avenir, et regarder le potentiel d'espèces perdues, mais disons aussi que les choses ne peuvent migrer.

Nous allons regarder l'aire qu'occupe la forêt boréale là où il y a chevauchement entre aujourd'hui et demain, et nous allons appliquer cette relation espèces-espace. Nous disons maintenant qu'il n'y aura pas migration; regardons donc maintenant le nombre d'espèces qui se trouvent dans la forêt boréale, qui seraient là dans une forêt à l'avenir, mais seulement pour le chevauchement entre les conditions actuelles et celles où le CO2 serait doublé. Si nous regardons cette chose à droite, plutôt que de comparer A+B avec B+C, je vais comparer A+B avec B seulement. C'est juste le chevauchement, sans migration, dans le scénario dont il est question ici. Cela ne change pas grand-chose dans le cas de la toundra, car la toundra ne va nulle part, elle subit seulement un empiètement. Elle est déjà dans la partie supérieure de la planète. Elle ne peut aller nulle part; elle ne fait que connaître une réduction de sa surface. Vous remarquerez que, pour la forêt boréale, il y a un potentiel de perte d'espèces de 8p.100. Dans les forêts décidues tropicales, il y a un potentiel de perte d'espèces de 1p.100, ce qui ne semble pas être grand-chose, mais il pourrait s'agir de centaines de milliers d'espèces.

Cela nous amène à nous poser la question suivante: la quantité de migration à laquelle nous nous attendons de la part des espèces pose-t-elle un problème? Quelle peut-être la vitesse des espèces de toute façon? Il se trouve que nous ne le savons pas, ce qui m'a surpris.

J'aurais cru que nous savions à quelle vitesse les arbres peuvent migrer. En réalité, nous ne le savons pas du tout. De fait, nous avons eu de la difficulté à déterminer comment les arbres peuvent bien avoir bougé si rapidement à la suite de la retraite des glaciers.

Heureusement, nous disposons de bonnes données sur cette question, car à mesure que les écosystèmes se sont déplacés, ils ont laissé des traces au fond des lacs. Nous pouvons creuser et regarder le pollen, et rétablir ce qui s'est passé sur les berges d'un lac au fil du temps. Nous avons de très bonnes informations sur la vitesse à laquelle les plantes se sont déplacées en suivant les glaciers.

Il se trouve que les spécialistes des populations végétales ont beaucoup de difficulté à déterminer comment les plantes peuvent bien s'être déplacées si rapidement. Tout de même, je demanderais maintenant quelle est la vitesse à laquelle nous nous attendons par rapport à ces déplacements déjà rapides? La façon de le faire est très simple. Si nous y songeons, nous voyons que le petit arbre qui se trouve dans l'aire là-haut, au bout de la flèche, a dû se rendre là d'une manière ou d'une autre. L'hypothèse la plus simple, c'est de dire qu'il vient de l'endroit le plus proche possible, par rapport à maintenant, quelque part en A. C'est la source la plus proche. Il y a une distance entre le point où il se trouvait en A et le point où il se trouve en ce moment. Nous divisons cette distance par la période, 100ans dans le cas qui nous occupe, et nous obtenons le taux de migration. Nous pouvons calculer les taux de migration requis du réchauffement de la planète avec ce bilan des taux de migration qui s'appliquent à la retraite des glaciers.

Le résultat n'est pas très beau, car, habituellement, les taux observés à la suite des glaciers étaient de l'ordre de 200mètres par année. C'est la vitesse à laquelle les arbres se sont déplacés en moyenne pour suivre les glaciers. Il y a une excellente documentation sur le Web où on peut voir des données sur le pollen, et les gens ont même établi une répartition spatiale pour qu'on puisse le voir de ses yeux. Il montre les glaciers, et on peut voir l'épinette noire suivre le glacier comme en fait foi le bilan des données sur le pollen.

Les taux moyens se situent entre 100 et 200mètres par année. Une vitesse supérieure à 1000mètres par année est très rare dans le bilan des glaciers. Il y a environ 15p.100 du globe qui évoluent à des taux d'environ 1000mètres par année.

Le président: Disons qu'il y a un arbre haut de 70pieds et que les graines se trouvent à son sommet. Présumons que les vents dominants viennent de l'ouest et qu'ils vont faire tomber les graines à des kilomètres de là. Voilà comment se déroule, pour une grande part, notre ensemencement naturel en ce moment. Comment calculez-vous cela dans votre modèle? Les graines qui proviennent de ces épinettes peuvent être transportées sur des kilomètres par les vents dominants de l'ouest.

M. Malcolm: C'est le dilemme. Cela s'appelle le paradoxe de Reid. On peut installer des pièges à fruits et mesurer la quantité de graines qui tombent au sol, et les fixer à telle ou telle distance et établir combien de temps il faut pour qu'une graine donne un arbre qui donne ses propres graines. Ce genre de migration n'est pas suffisamment rapide pour suivre les glaciers. Reid a souligné cela dans les années 1800. Il a pensé: comment diable ont-ils pu se déplacer si rapidement? Si on songe à une vitesse de 100 ou 200mètres par année, on s'aperçoit que c'est assez rapide, en fait, puisque ce sont des choses qui prennent tant de temps à croître et à produire leurs propres graines.

Vous avez soulevé la question capitale. Si on songe à la fonction de dispersion, on s'aperçoit qu'on peut faire en sorte que les populations d'arbres se déplacent aussi rapidement que nous l'avons vu à la suite des glaciers, si on tient pour acquis que la distance est très grande, mais que les cas de dispersion sont très rares. De fait, les gens assignent une valeur infinie à cette fonction de dispersion. Ils emploient une fonction exponentielle. Ils tiennent pour acquis des distances qui sont longues et des choses qui sont très rares, puis ils font en sorte que les arbres peuvent se déplacer assez rapidement. Le problème, c'est que, du point de vue empirique, vous demandez d'avoir des données sur un événement extrêmement rare; on n'obtient tout simplement pas ces données, parce que c'est si rare. Voilà le problème, en bref. Voilà la grande explication qui nous dit pourquoi nous ne savons pas à quelle vitesse les arbres peuvent se déplacer. Nous souhaitons avoir des données sur un phénomène qui est extrêmement rare.

Il est question ici de taux dépassant les 1000mètres l'an, et je me sers de 1000mètres l'an comme phénomène rare. C'est une mesure d'un «problème»potentiel. Voici le pourcentage des 14modèles qui montrent, ci-haut, 1000mètres l'an. Encore une fois, la pauvre Finlande subit de grands coups, tout comme une bonne partie de la Russie. Le Canada vient au huitième rang avec 33p.100 de la superficie qui laisse voir des taux de migration élevés.

Ce transparent montre que seulement la zone boréale est un phénomène canadien et russe. La couleur noire laisse voir les taux observés à la suite de l'ère glaciaire dans le cas de l'épinette. Ce sont les taux que nous avons observés dans la foulée du glacier. Remarquez que j'ai dit que la moyenne se situait autour de 100 à 200mètres l'an. Cette première classe concerne des taux de 0à 325mètres par année. La part noire de l'histogramme est très petite. Les gris laissent voir ce que le réchauffement de la planète exigerait dans le cas de la zone boréale. On voit que, dans une grande part de la zone boréale, compte tenu du réchauffement de la planète, les arbres auraient à atteindre un taux de plus de 1000mètres par année.

Je me suis dit que ces deux séries d'information ne sont pas du tout près l'une de l'autre. Tout de même, il faut songer au dénominateur de 100ans. Il était intéressant pour nous de voir l'échelle de temps qu'il faudrait pour que le réchauffement de la planète se fasse au même rythme que le déplacement des glaciers. J'ai choisi des périodes de 100ans, de 200ans, de 300ans, de 400ans et de 500ans, jusqu'à ce que les deux séries de données s'accordent. Si vous laissez les données grossir suffisamment, vous pouvez obtenir une très bonne concordance. On voit ici le manque de concordance en fonction de la période employée. Remarquez qu'il n'y a une bonne concordance que dans les cas où la courbe est au minimum à 1000ans.

Le président: Comment fait-on pour accélérer cela?

M. Malcolm: J'essaie de les convaincre de ralentir. Supposons que je suis le dictateur de la planète et que je peux dire que je doublerai les concentrations de CO2 en 200 ans plutôt que 100. La question qui s'impose est la suivante: à quel point faudrait-il les ralentir afin d'obtenir des taux de type post-glaciaire? La réponse: 1000 ans.

Il faudrait réduire le taux de réchauffement de 10fois pour obtenir un taux approchant les taux glaciaires. C'est une façon très compliquée d'exprimer une idée très simple. Nous demandons à des espèces de bouger plus rapidement qu'elles ne le faisaient après les glaciers.

Le sénateur Day: Faites-vous référence au Protocole de Kyoto lorsque vous parlez de ralentissement?

M. Malcolm: Exactement. Il y a un avantage à cela. Remarquez la forme de la courbe, à laquelle on peut s'attendre dans le cas d'une fonction inverse. Cela signifie qu'une légère baisse du taux d'émissions influera énormément sur la baisse des taux de migration.

Le président: Pendant combien de temps?

M. Malcolm: On obtient des résultats importants si on fait passer la période de 100ans à 200ans. On obtient de gros résultats en raison de la forme de la courbe. Regardez comment la baisse s'effectue. Au cours des 100années suivantes, on obtient ceci, et ensuite cela. On obtient un rendement supplémentaire vraiment avantageux avec cette première option. C'est un message positif, car cela veut dire que chaque petite mesure nous apportera beaucoup.

Si vous songez à chercher la réponse à la fin de tout cela, je regrette de devoir vous dire que ça va s'aggraver.

Le problème, c'est que nous ne parlons pas d'une situation analogue au retrait des glaciers. Aujourd'hui, il y a la route 401; il y a le sud-ouest ontarien; il y a des zones agricoles qui détruisent la connectivité des écosystèmes naturels.

J'ai calculé les taux de migration au moyen de distances «à vol d'oiseau». J'ai commencé par déterminer où la croissance devrait être à l'avenir et par observer où elle avait eu lieu dans le passé. J'ai tracé une ligne droite entre ces deux points pour tirer ma conclusion.

On peut effectuer des calculs similaires tout en reconnaissance les zones agricoles qui font obstacle. Au lieu d'utiliser des distances à vol d'oiseau, on peut contourner les obstacles au sol. C'est ce qu'on appelle des «calculs de la trajectoire terrestre». Ce type de calcul est très fastidieux pour les ingénieurs, mais il y a des solutions à ces problèmes.

Il y a quelques années, les chercheurs du service géologique américain s'affairaient à classifier toute la planète au moyen de données obtenues par satellite météorologique. Je l'utilise comme des données du satellite Landsat. Le service a établi une classification qui est grandement fondée sur l'agriculture. La zone de couleur gris moyen est largement agricole.

Nous avons analysé la migration ici, en fonction de certains modèles et de certaines données théoriques, mais pas selon des idées empiriques. Si on a un paysage homogène et qu'on en retire de gros morceaux afin que cette espèce ne puisse se déplacer facilement, le retrait devient problématique lorsqu'une tranche de 50p.100 de la zone est bloquée.

On remarquera une chute importante du mouvement des espèces à ce stade. Si on envisage les données en pixels de un kilomètre, alors il n'y aura aucun mouvement des espèces dans la zone lorsque 55p.100 des pixels seront bloqués.

Les zones rouges sont celles où un ajout de 1000 mètres par année s'impose. Tout d'abord, j'avais dit que 1000 mètres par année ne suffisaient pas, mais ici il est nécessaire d'ajouter encore 1000mètres.

Je m'attache maintenant à deux zones, soit le nord des Prairies et la pauvre Finlande. La Finlande éprouve toujours des difficultés. Selon la classification des données par satellite, les lignes diagonales brouillées désignent des zones agricoles. J'ai classé les zones. Les zones noires exigent 1000mètres supplémentaires par année, alors les espèces doivent se déplacer de plus de 2000mètres par année, en raison de la perte d'habitats naturels.

Si notre demande de bourse est acceptée, nous essaierons de faire plus de travail pour l'Ontario. Ce travail provient d'un groupe américain qui brosse un portrait du changement climatique qui donne à réfléchir. Les épaisses lignes noires indiquent la répartition actuelle du chêne rouge d'Amérique dans l'est des États-Unis. Les zones rouges et jaunes indiquent la répartition future possible de cet arbre dans un climat où le CO2 est doublé. On s'attend à ce que le chêne soit réparti sur une zone plus importante et se déplace de façon considérable vers le nord.

La zone jaune indique une probabilité de colonisation d'au moins 20p.100, en fonction d'un modèle qui tient compte de la fragmentation ou de la perte d'habitats naturels. L'arbre peut y parvenir, mais il ne se déplace qu'à une cadence propre à une période post-glaciaire. Comparez la minuscule zone actuellement colonisée par l'espèce à la zone où elle devrait s'étendre. Cela pourrait causer des problèmes si ces arbres n'accomplissent qu'une fraction de ce que l'on attend d'eux. Cette conclusion s'est révélée applicable aux quatre espèces que j'ai examinées.

Nous constatons des taux de migration sans précédent, et cela pose problème. J'ai mentionné la possibilité de forêts moins vigoureuses, affichant une biomasse faible et des espèces envahissantes. Nous parlons de conditions qui favorisent les plantes qui se déplacent rapidement, c'est-à-dire, essentiellement, les mauvaises herbes. Les espèces dont le cycle écologique est plus lent sont perdues.

J'ai parlé de la réduction des émissions. On ne peut affirmer avec certitude que l'adaptation est viable à long terme; cette option n'est certainement pas viable dans l'Arctique. Il y a des répercussions économiques plus importantes qui supposent une régénération naturelle et à l'égard desquelles les mesures d'adaptation sont plus limitées. Ce problème concerne davantage le Canada que les États-Unis. Les répercussions économiques sont plus modestes aux États-Unis, car seulement 11p.100 du bois proviennent de systèmes naturels. Une part croissante du bois provient de plantations soumises à une gestion intense.

Nous devons laisser la nature accomplir tout ce qu'elle peut en maintenant la connectivité de nos paysages et en la rétablissant lorsque cela est possible. Par exemple, on a établi pour le centre du Labrador un plan d'exploitation forestière intéressant qui misera sur la coupe à blanc dans la forêt boréale. Les zones vert pâle montrent les unités de gestion; les zones vert foncé sont protégées. Les trois premières zones constituent un réseau de zones protégées hautement interreliées; dans la quatrième zone se trouvent des blocs d'exploitation. On peut voir comment il est possible de maintenir énormément de connectivité dans le système, tout en récoltant le bois. Le sacrifice, c'est la quantité totale de bois extraite de la zone de gestion forestière.

Nous commençons à envisager des méthodes qui optimisent le potentiel de migration et qui permettent de repérer les zones critiques. La prochaine diapositive montre où l'érable pousse maintenant, où il pourrait pousser à l'avenir et les zones dont l'importance au chapitre de la migration est disproportionnée. C'est un aspect intéressant au chapitre de la conservation.

Les systèmes caroliniens du sud de l'Ontario sont en danger. Certains ne se préoccupent pas de ces systèmes, car ils sont communs plus au sud. Ils croient que nous n'avons pas à préserver ces extensions nordiques. Toutefois, ces modèles de population végétale montrent que ces extensions accélèrent le taux de migration. Au chapitre de la facilitation de la migration, ces extensions prennent une importance disproportionnée. C'est un aspect que les gens commencent à envisager.

On a fait peu de choses au Canada. Malheureusement, nous ne disposons pas des ensembles de données. Nous devons bâtir les ensembles de données de toutes pièces. Nous ne disposons pas de données solides sur le climat régional. Nous avons besoin de projections à haute résolution et de données actuelles à haute résolution. Nous avons besoin d'information complète sur la répartition des espèces. Nous devons adopter une diversité d'approches.

Un autre problème tient à la difficulté d'attirer l'attention des milieux forestiers. Dans notre pays, on ne se soucie pas tant de la gestion intensive du secteur forestier. Nous nous attachons encore davantage aux forêts vierges, de première coupe.

Le sénateur Day: Monsieur Malcolm, je conviens que les États-Unis pratiquent une politique de gestion forestière beaucoup plus intense. Je crois qu'au Canada la tendance est à la gestion forestière.

J'aimerais parler de la dichotomie que je vois entre la question de la migration et les tentatives d'adaptation des forêts exploitées dans diverses régions. La régénération naturelle n'a pas toujours lieu. Même si on pouvait dire à l'exploitant forestier quel arbre planter dans une zone donnée, cet arbre ne poussera pas toujours.

Des organismes non gouvernementaux bien intentionnés exercent des pressions afin que nous protégions l'écosystème existant. Ils ne veulent pas qu'on apporte des changements ou qu'on plante des arbres différents de ceux qui ont été coupés. Les programmes gouvernementaux sont fondés sur ce principe. Nombre des nouvelles tendances en matière de gestion forestière et d'homologation des bonnes pratiques forestières sont aussi fondées sur cette notion de protection des écosystèmes existants.

Vous dites que, pour nous adapter, nous devons anticiper. Ne faudra-t-il pas que l'industrie forestière canadienne tienne davantage compte du changement climatique occasionné par le réchauffement de la planète qu'à l'heure actuelle?

M. Malcolm: Oui, je suis d'accord, ce sont excellents deux points, et je suis tout à fait d'accord avec vous.

Votre commentaire sur le mouvement vers une gestion forestière intensive est sensé. La réalité, c'est que nous n'avons pas les moyens de ne pas faire cela. Lorsqu'on coupe du bois, on s'en remet à la forêt secondaire qui suit. La quantité de bois baisse. En Ontario, les gens s'attendent à ce que le moment critique où il n'y aura plus de bois survienne vers 2030. Certaines unités sont déjà confrontées avec ce problème.

Nous n'avons pas vraiment de solutions de rechange. Il faut recourir à la gestion forestière intensive, car il y a des limites à repousser la coupe vers le nord. Il n'y a aucun doute là-dessus. Et pourtant, on parle beaucoup, sans prendre de mesure significative. Mais au moins les gens en parlent, et c'est une bonne chose.

Le problème entre le mandat fondamental de protéger et de préserver des systèmes tels quels et la gestion active du changement est un enjeu énorme. Par exemple, le mandat de Parcs Canada consiste à maintenir les choses comme elles sont. On parle maintenant de gestion du changement. Les gens ne savent que faire et ne font que commencer à vraiment réfléchir.

Cette idée ne fait que commencer à s'imposer chez les environnementalistes et dans le milieu de la consommation. Vous avez raison de dire que cela constitue un changement fondamental de la façon de penser.

La solution est liée à la connectivité, et les ONG en conviendront. Les gens reconnaissent qu'un parc est comme une île. Toutefois, si le parc est trop petit, on commence à perdre des choses. Il s'agit du rapport nombre d'espèces/ superficie, qui est bien établi. Un parc plus petit compte moins d'espèces.

La solution, c'est de relier les îles afin qu'on puisse les sauver. Il y a un consensus sur cette question. Le milieu des ONG a très rapidement saisi l'importance de l'enjeu de la connectivité.

Le sénateur Day: Faites-vous référence aux corridors?

M. Malcolm: Exactement. Cela revient à un problème similaire. C'est un défi incroyable, surtout si on commence à réfléchir à la possibilité qu'on attend trop de choses de nos systèmes. On est réellement confronté à une situation où on risque d'essuyer des pertes énormes. C'est un enjeu très important.

Le président: Monsieur Malcolm, nous avons accueilli des représentants du Sierra Club, et l'une de leurs suggestions concernait la création d'importants corridors nord-sud favorisant la migration de certains de ces arbres et écosystèmes. Êtes-vous d'accord avec la notion de corridor nord-sud?

M. Malcolm: Absolument. Le plan que je vous ai montré concernant le centre du Labrador est similaire, bien qu'à une échelle réduite. Il s'agit d'un plan de gestion forestière. Les appendices sont pleins de blocs d'exploitation. On l'exécute réellement sur le terrain.

Pour ce qui est de maximiser les zones essentiellement limitées des espèces, il est difficile de voir ce qu'on peut faire d'autre.

Le président: Devons-nous ouvrir une frontière?

M. Malcolm: Pour relier les systèmes naturels, oui.

Le sénateur Gustafson: Nous avons accueilli deux scientifiques des États-Unis qui se sont dits très optimistes en ce qui concerne l'avantage canadien au chapitre du réchauffement de la planète. Êtes-vous optimiste?

M. Malcolm: Non.

Le sénateur Gustafson: C'est ce que j'ai cru comprendre lorsque vous avez mentionné l'expérience russe.

M. Malcolm: Le problème fondamental, c'est qu'il y a énormément d'incertitude. Je ne suis pas très optimiste, car cette migration sans précédent nous ramène à la question: à quelle vitesse les espèces peuvent-elles se déplacer? La grande réponse des gens les mieux placés pour le savoir est: «Nous ne savons pas.»

Nous avons de bonnes raisons de croire que les arbres n'allaient pas à leur vitesse maximale lorsqu'ils ont suivi les glaciers. Nous pouvons difficilement imaginer comment ils pourraient aller si vite, mais des données indiquent qu'ils le peuvent. Cependant, nous ne savons plus jusqu'à quelle vitesse ils peuvent aller. C'est un problème fondamental. Peut- être iront-ils assez vite. Les gens qui effectuent ce genre de travail ne peuvent imaginer comment cela pourrait se produire, mais c'est l'essentiel de la situation.

Un autre problème tient à notre manque de compréhension à l'égard d'une forêt donnée. Nous ne savons ni comment elle réagira au réchauffement, ni pendant combien de temps. Au cours des cinq dernières années, la documentation relative aux modèles a soulevé un problème important en posant l'hypothèse selon laquelle la fonction de croissance d'un arbre est parabolique lorsque la température monte: une espèce donnée affiche un rendement médiocre à une certaine température, un rendement fantastique à une température moyenne et médiocre à une température élevée. Naturellement, si on commence à accroître la température et qu'on arrive de l'autre côté de la courbe, l'espèce affichera une croissance beaucoup plus faible. Les fonctions de mortalité sont généralement liées à la croissance. Un arbre qui pousse mal est plus susceptible de mourir. Certains de ces modèles prédiront la mort de certaines forêts. Certaines preuves laissent croire que l'épinette blanche d'Alaska disparaîtra.

D'autres personnes reconnaissent, à la lumière des essais de prévoyance où l'on plante une espèce hors contexte, que la fonction de croissance s'apparente peut-être davantage à un arc. Si la température augmente, les arbres se porteront bien. Il serait peut-être exagéré d'imaginer des épinettes noires en Floride, mais vous comprenez l'idée. Si on se fie à ce modèle, les effets sont beaucoup moins graves pour un peuplement donné.

Nous sommes donc confrontés à des incertitudes fondamentales.

Le sénateur Gustafson: On m'accuse de tout ramener à ma ferme, mais nous avons des peupliers qui poussent autour des marais. Les vieux de la vieille m'ont dit que les peupliers ne poussaient jamais là, en raison des feux de prairies. Maintenant il y a des peupliers. Si on ne continue pas de cultiver la terre sous les peupliers, ils continueront de se déplacer, et ils le feront rapidement. Ce serait très facile pour eux de se déplacer de dix ou 20pieds par année.

M. Malcolm: Le peuplier est une espèce vraiment envahissante. Je ne m'inquiète pas vraiment de leur avenir. Ils prennent déjà le contrôle de la planète. Dans votre cas, il est question de supprimer les feux. L'une des façons d'exclure les arbres des écosystèmes d'herbe est le feu, car cela empêche les peupliers de faire concurrence à l'herbe.

Le sénateur Gustafson: Certains naturalistes avancent que c'est la meilleure façon de faire. Et ils contestent aussi la replantation.

M. Malcolm: Le problème inverse réciproque dans la forêt boréale est la possibilité d'accroissement de la fréquence des feux, chose qu'on voudrait peut-être maîtriser. Les experts du feu me disent que c'est une lutte qu'on ne peut gagner, car plus on dépense d'argent, moins le rendement est élevé, et cela soulève un enjeu important: l'incertitude supplémentaire liée au fait que de nombreux changements touchant les forêts découlent de perturbations, comme le feu.

La lenteur à laquelle certaines espèces se déplacent pourrait varier grandement en fonction des perturbations des écosystèmes et de ce qui s'y passe.

Le sénateur Fairbairn: Vous nous avez montré une diapositive du parc national des Glaciers, situé dans ma région de l'Alberta. Quand notre comité s'est rendu dans cette région, nous avons accueilli un homme de l'Université de Lethbridge qui nous a présenté un témoignage troublant sur la vitesse à laquelle les glaciers fondent. On ne peut nier l'existence de ce phénomène, car il se produit actuellement. Maintenant, vous dites que les arbres suivent les glaciers.

M. Malcolm: Oui.

Le sénateur Fairbairn: Cela signifie que les arbres se déplacent vers le nord ou vers le sud, ce qui pourrait changer les espèces d'arbres qui se trouvent dans une région donnée. Ce ne serait pas les mêmes espèces que l'espèce dominante.

M. Malcolm: Où votre maison est située, le paysage actuel n'est pas le paysage de demain.

Le sénateur Fairbairn: Exactement. Vous avez fait référence à la faune, et j'aimerais obtenir plus de détails à cet égard. La faune est un élément essentiel de l'écosystème dans ces vallées fluviales et montagneuses. Qu'adviendra-t-il des chevreuils, des élans, des mouflons de montagne, des orignaux, des ours et des oiseaux?

M. Malcolm: Dans une large mesure, vous pouvez considérer la végétation comme un indicateur de l'habitat dont les animaux ont besoin. En général, les animaux seront plus mobiles, ils réagissent aux changements touchant la végétation. Si la végétation change de façon considérable, la faune connaîtra aussi un changement important.

Le GIEC a tenté de compiler les données mondiales relatives aux glaciers. Cette information est dramatique. Partout dans le monde, les glaciers fondent.

Nous ne voulons pas vraiment intervenir à cet égard, car l'atmosphère nous est essentielle. Nous dépendons de l'atmosphère de notre planète. Pourquoi mettrions-nous l'atmosphère en péril en menant une expérience non contrôlée? Ce n'est pas une bonne idée.

La faune dépend de la végétation, et certains animaux, comme l'ours polaire, disparaîtraient. Il n'y aurait plus d'ours polaires parce qu'ils dépendent de la glace marine de l'Arctique. S'il n'y avait pas de glace marine, il n'y aurait pas d'ours polaire. Je crois que la plupart des Canadiens seraient horrifiés par la disparition de l'ours polaire.

Le sénateur Fairbairn: Il y a tellement de preuves en ce sens à Churchill, au Manitoba.

M. Malcolm: Des études très élégantes sur les oiseaux illustrent le déséquilibre auquel est confrontée la faune. D'une part, le climat est en évolution, peut-être assez rapide, mais, d'autre part, la végétation et la faune piétineront. La faune devra déterminer si elle doit suivre un climat ou non. En Arizona, on a recueilli de l'information au moyen de gradients altitudinaux comme indicateurs. La répartition des oiseaux le long de ce gradient suit leur répartition latitudinale.

Pendant une année de sécheresse, les oiseaux qui préfèrent des conditions sèches plus au nord seront confrontés à une alternative: aller plus au sud pour maintenir le bon climat, mais devoir composer avec une végétation différente; ou rester à un endroit où la végétation convient, mais pas le climat. On constate que les oiseaux suivent le climat, mais que la végétation ne convient pas à leur besoin, de sorte qu'il y a une croissance de la mortalité à l'étape de la nidification, et les oiseaux ont de la difficulté à se nourrir. Ils se retrouvent entre l'arbre et l'écorce. Ils décident de privilégier un aspect, mais cela ne donne pas les résultats escomptés. C'est l'une des préoccupations pour l'avenir mondial: un végétation mal adaptée au climat.

Le président: Dites-vous qu'ils ne sont pas capables de s'adapter?

M. Malcolm: Oui. Ils ne savent pas quoi faire. Ils n'ont jamais été confrontés à une telle situation dans le passé.

Le sénateur Fairbairn: Si les forêts et les animaux étaient confrontés à ce mouvement et à ces difficultés, cela ne devrait pas tarder à nous toucher. N'est-ce pas?

M. Malcolm: Nous dépendons bien plus du monde naturel que nous le croyons. Ici, à Ottawa, nous nous sentons détachés du monde naturel. Il est ridicule de voir des gens tenter d'attribuer une valeur économique au monde naturel, en raison de tous les facteurs impondérables, comme la propreté de l'eau et de l'air, les services de dépollution, etc.

Tout le monde s'est plaint lorsqu'on a déposé la Loi sur l'assainissement de l'eau. Tout le monde s'est plaint du fait que cela coûterait trop cher et que c'était irréalisable. On a effectué une étude rétroactive pour déterminer combien cela coûterait après coup. Finalement, l'initiative a occasionné pour environ 3billions de dollars d'augmentation de la valeur foncière et de dépenses réduites à l'égard de la purification de l'eau et d'autres aspects.

Nos liens avec le monde naturel ne sont pas toujours évidents.

Le sénateur Carney: Vous avez dit plus tôt que la connectivité est importante pour les espèces de plantes et les forêts. Je vis sur une île. En Colombie-Britannique et dans certaines régions de l'Alberta, de nombreuses zones sont protégées. L'un des arguments en faveur de ces îles ou zones protégées tient à l'importance de la migration des espèces. Ce facteur est-il plus important maintenant?

Cette politique a été introduite plus tôt, non pas en raison du changement climatique, mais bien en raison de l'habitat. D'ailleurs, si on maintient suffisamment d'habitats, les loups et les grizzlis y seront. Le parc national des Lacs-Waterton utilise le slogan «In the path of the grizzly bears».

Ce facteur prendra-t-il plus d'importance à l'avenir, lorsque les populations humaines empiéteront sur certaines de ces zones?

M. Malcolm: Oui, c'est exact. Si la migration est un problème — et les modèles actuels laissent croire que c'est le cas —, alors les choses ne peuvent que s'aggraver si on commence à briser les liens naturels.

C'est l'un des grands messages qu'il faut tirer des réactions de la nature au réchauffement de la planète. Nous devons laisser la nature faire ce qu'elle doit pour réaliser son potentiel.

Si on pense au déplacement des espèces naturelles qui suivent les glaciers, l'idée de placer des obstacles empêche le mouvement dans le paysage. On aggraverait le problème. Plus on accroîtra la connectivité, mieux ce sera pour tout le monde.

Le président: Monsieur Malcolm, l'un des aspects qui nous intéresse est la formulation de recommandations au gouvernement. Nous sommes intéressés à élaborer une politique gouvernementale.

Le principal objet de notre étude est la notion d'adaptation. Pourriez-vous nous fournir certaines caractéristiques clés de mesures d'adaptation gouvernementales bien conçues que nous pourrions proposer au gouvernement en vue de protéger le système écologique tel que vous l'avez défini aujourd'hui?

M. Malcolm: C'est un domaine de recherche actif. Nous parlons de zones protégées représentatives. Nous parlons de connectivité représentative axée non seulement sur la représentation, mais aussi sur la connectivité.

Nous devons adopter une nouvelle attitude qui commencera à s'imposer dans le milieu de la conservation. C'est un aspect clé.

Je comprends les arguments en faveur de la séparation de l'adaptation et de l'atténuation, mais cette logique ne tient pas longtemps. Je le répète: si on envisage la situation de l'ours polaire, une telle démarche n'a pas de sens. Il faut se pencher sur le problème. La meilleure façon d'attaquer, c'est de ne pas devoir s'adapter.

Dans le contexte forestier, ainsi que dans le contexte environnemental, il est important de veiller à ce qu'on maximise le potentiel de la nature. Nous devrions protéger ces populations isolées et périphériques. C'est un message très important.

Dans le secteur forestier en particulier, nous n'avons effectué aucune analyse fondamentale de certains des aspects qui, comme je l'ai mentionné, font l'objet d'études aux États-Unis.

Le président: Le chêne commence à se déplacer vers le nord, le long de la côte est des États-Unis.

M. Malcolm: Oui, nous devons mener des études similaires pour les espèces canadiennes.

Le président: Pourquoi ne l'avez-vous pas fait au Canada?

M. Malcolm: Il y a de nombreux problèmes. Le gouvernement du Canada n'a pas tendance à divulguer les données aussi librement qu'aux États-Unis.

J'ai passé dix ans en Floride, et les biologistes du gouvernement ont pour mandat de veiller à ce que les gens obtiennent les données.

Dans certains cas, il est plus difficile d'obtenir des données des provinces que du gouvernement fédéral. C'est un problème.

Il y a dans l'est des États-Unis 100000 lots permanents où l'on se rend périodiquement pour mesurer la croissance et le rendement des arbres. Nous avons des réseaux minuscules en Ontario, mais il est impossible d'obtenir les données si on ne connaît pas les gens et si on ne fait pas partie de la clique.

Environnement Canada est un joueur mondial assez important au chapitre de la modélisation. Il fait des efforts pour appliquer ces modèles à une échelle réduite et pour rendre ses données disponibles, ce qui est fantastique. Environnement Canada fait un bon travail. Il a récemment lancé un appel de propositions sur les répercussions climatiques et l'adaptation dans le secteur forestier, et a versé 500000$. Le ministre a reçu des lettres d'intention pour 54propositions. C'est un budget assez modeste. On ne va pas très loin avec 54propositions et 500000$.

Il est frustrant de constater qu'on fait porter un accent énorme sur le carbone. BIOCAP a beaucoup d'argent pour la recherche, mais ces fonds ne sont disponibles que pour les recherches liées au carbone.

Nous avons mis longtemps à passer d'une perspective purement axée sur le bois à une perspective plus large, axée sur les écosystèmes et les facteurs sociaux. Maintenant, nous revenons à une perspective axée sur un produit dominant. Nous étions passés du bois à diverses ressources, et maintenant nous prenons un pas en arrière en nous attachant au carbone. Selon moi, il s'agit d'un recul.

Le président: Certains professeurs nous ont dit que nous devrions nous concentrer davantage sur l'hydrogène.

M. Malcolm: Je parle du fait qu'on met l'accent sur les forêts à titre d'entité d'organe de stockage du carbone et qu'on les gère uniquement en fonction du stockage de carbone.

Le président: Mais de nombreux arbres ne captent pas efficacement le carbone, par exemple certains pins.

M. Malcolm: Si nous remettons sur la surface terrestre tous les arbres qui étaient là à l'origine, cela couvrerait dix ans d'émissions. Nous parlons d'une solution superficielle. Ce n'est pas la solution au problème.

Le président: MonsieurMalcolm, votre témoignage était absolument fascinant. Nous l'avons beaucoup apprécié et nous aimerions poursuivre pendant encore une heure, mais ce n'est pas possible.

Votre exposé était excellent, et je puis vous assurer que nous en tiendrons compte au moment de préparer notre rapport final et de formuler nos recommandations. Au nom du comité, merci beaucoup.

M. Malcolm: Je suis désolé du fait que ma présentation n'était pas prête ni, peut-être, aussi opportune qu'elle aurait pu l'être, mais je transmettrai une copie à la greffière.

Le sénateur Fairbairn: Je suis très troublée par les commentaires concernant le manque d'accès aux données. Si vous avez des exemples de telles situations, pourriez-vous en faire part au greffier afin que nous puissions mieux comprendre la situation? Il s'agit certainement d'un point que nous tenterions de soulever à titre de sénateurs.

M. Malcolm: J'ai effectué la plupart de mes travaux d'études supérieures dans l'Amazone. Avec le temps, je noue des liens et je connais des gens. Ainsi, je peux accéder plus facilement aux données. Toutefois, je vous fournirai certainement des exemples.

Le président: Merci beaucoup.


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