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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 15 - Témoignages - 3 avril 2003


OTTAWA, le jeudi 3 avril 2003

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8h36 pour étudier l'impact du changement climatique sur l'agriculture, les forêts et les collectivités rurales au Canada, ainsi que les stratégies d'adaptation à l'étude axées sur l'industrie primaire, les méthodes, les outils technologiques, les écosystèmes et d'autres éléments s'y rapportant.

Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Mesdames et messieurs les sénateurs, je déclare ouverte la 21eséance du comité consacrée à l'étude sur l'impact du changement climatique sur l'agriculture, les forêts et les collectivités rurales au Canada et les stratégies d'adaptation possibles.

[Français]

Nous continuons aujourd'hui notre étude sur les effets du changement climatique. Laissez-moi d'abord vous souhaiter la bienvenue chers collègues ainsi qu'à nos observateurs. Je voudrais également souhaiter la bienvenue au Canadiennes et aux Canadiens qui nous regardent et qui nous écoutent sur CPAC et sur Internet.

[Traduction]

Ces dernières semaines, nous avons entendu divers témoins qui nous ont expliqué les aspects scientifiques du changement climatique en accordant une attention spéciale aux questions d'adaptation. Ce matin, nous avons invité des témoins d'Agriculture et Agroalimentaire Canada à comparaître devant nous pour discuter de leurs projets de recherche sur les effets du changement climatique sur l'agriculture.

Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous présente les membres du panel: M.GillesBélanger, qui a étudié les effets potentiels du changement climatique sur les cultures pérennes au Québec et dans l'est du Canada. Nous recevons également M.AndyBootsma et M.SamuelGameda, qui ont examiné les changements potentiels de la production agricole dans la région atlantique du pays par suite des changements climatiques.

Avant d'inviter M.Gameda à faire son exposé, je suis saisi d'une motion du sénateur Day.

Le sénateur Day: Monsieur le président, je crois savoir que vous ne serez peut-être pas ici la semaine prochaine, ni l'actuel président suppléant. Afin de poursuivre les travaux du comité, je propose:

Que notre ancien président et «président en réserve», le sénateur Gustafson, soit autorisé à vous suppléer comme président en votre absence et en celle du président suppléant pendant la semaine du 7 au 11avril.

Le président: La motion est-elle adoptée?

Des sénateurs: Adoptée.

Le sénateur LaPierre: Pourquoi nous réunissons-nous la semaine prochaine?

Le président: Pour entendre les témoins sur le changement climatique.

Le sénateur LaPierre: Le Sénat ne siège pas.

Le président: Le Comité du règlement, de la procédure et d'autres comités se réuniront la semaine prochaine.

Le sénateur LaPierre: Je ne serai peut-être pas ici.

Le président: Monsieur Gameda, vous avez la parole.

M. Samuel Gameda, chercheur scientifique, Sol, eau, air et systèmes de production, Agriculture et Agroalimentaire Canada: Monsieur le président, c'est un honneur pour moi de comparaître devant le comité pour faire un exposé sur nos travaux consacrés au changement climatique et ses effets sur l'agriculture. Mon exposé portera surtout sur les travaux que nous avons effectués sur les conséquences du changement climatique sur les conditions de la saison de croissance dans l'est du Canada.

Les modèles climatiques nous montrent que pour les périodes estivales des années2050, on s'attend à ce que les températures au Canada soient plus élevées. À l'exception de quelques endroits sur la pointe sud de Terre-Neuve-et- Labrador, pour l'ensemble de l'est du pays, la moyenne des précipitations sera également légèrement plus élevée que la moyenne.

La question que nous nous sommes posée est de savoir comment cela influera sur les indicateurs agroclimatiques qui nous disent comment les cultures changeront et comment les cultures réagiront à ces changements probables. Je commencerai par la région de l'Atlantique, puis je parlerai de la situation au Québec et en Ontario.

Si l'on considère ce que l'on appelle les indicateurs agroclimatiques thermiques et si l'on commence par les unités thermiques des cultures, qui sont une indication des conditions pour les cultures thermofiles comme le maïs et le soja, nous observons que pour la plus grande partie de la région atlantique canadienne, nous connaissons des climats plus froids actuellement, les unités thermiques de culture ne dépassant pas 2500. D'ici aux années 2050, nous nous attendons à ce que cela change considérablement. Des régions du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse connaîtront des unités thermiques de culture sensiblement plus élevées.

S'agissant des degrés-jours de croissance effectifs, qui sont un indicateur des conditions pour les céréales à petits grains semées au printemps comme l'orge et le blé, il y aura une augmentation de la valeur de cette unité en raison du changement climatique prévu par les modèles.

L'élévation de température est censée être plus grande que celle des précipitations. Nous nous attendons donc à de plus importants déficits hydriques, en particulier pour certaines régions du Nouveau-Brunswick. On parle d'environ 25 à 50millimètres pour la saison de croissance, l'équivalent de un ou deux pouces. On ne s'attend pas à ce que cela ait des effets sensibles sur les cultures.

Quant à savoir ce que cela signifie vraiment pour la région de l'Atlantique, on peut s'attendre à une augmentation variant entre 500 et 700unités thermiques de culture. En nombre de degrés-jours de croissance effectifs, cette augmentation sera de l'ordre de 400unités, tandis que les déficits hydriques seront de l'ordre de 25 à 50millimètres.

Qu'est-ce que cela signifie?

On peut sans doute s'attendre à une expansion considérable des zones de cultures à valeur élevée, comme le maïs et le soja. Il y aura une réduction correspondante—non pas parce que les conditions ne sont pas adaptées, mais à cause des choix—des zones cultivées en orge, en blé et en autres productions.

Si l'on examine le scénario de production, par exemple, la superficie actuelle cultivée de maïs et de soja—environ 6000hectares—pourrait augmenter pour atteindre jusqu'à 50000hectares sous un scénario de changement climatique. Un recul des superficies en cultures comme l'orge pourrait être d'environ 30000hectares.

Nous avons onze expériences de modèles climatiques différents pour le Québec et l'Ontario. Le résultat médian de ces expériences montre que les précipitations vont en fait augmenter pour une grande partie de ces provinces. On s'attend à des augmentations considérables des précipitations pendant la saison de croissance dans le sud-ouest de l'Ontario et le sud-est du Québec.

Pour ce qui est des unités thermiques du maïs et d'autres cultures, l'indicateur le plus élevé se trouve dans la région de Windsor en Ontario et dépasse les 30 000unités thermiques de cultures. D'ici à la fin du siècle, on s'attend à ce que cela s'étende vers le Nord et l'Est sous un scénario de changement climatique.

Si l'on examine la saison de croissance elle-même et les températures moyennes supérieures à cinq degrés Celsius, les valeurs que nous observons surtout dans la région sud du Québec et de l'Ontario vont s'étendre vers le nord et vers l'est. Les résultats sont les mêmes lorsqu'il s'agit des degrés-jours de croissance effectifs pour les céréales à petits grains. Ici encore, nous observons une expansion des conditions propices à leur croissance.

Lorsque l'on examine la question du déficit hydrique, l'augmentation combinée de la température et des précipitations indique que l'on ne s'attend pas à des changements notables du déficit hydrique. Autrement dit, les conditions qui règnent actuellement vont sans doute se maintenir d'après ces résultats de modèle climatique.

Pour résumer les conséquences de ces constatations pour un ensemble d'indicateurs agroclimatiques, nous nous attendons à ce que les unités thermiques des cultures—les plus fortes étant dans la région de Windsor—dépasseront 5200unités, une augmentation considérable.

Les degrés-jours de culture sont sensés atteindre un sommet de 3500unités. Nous nous attendons à ce que la saison de croissance commence dès le début du mois de mars et se termine aussi tard qu'à la fin novembre. Vu l'éventail des longueurs de la saison de croissance, nous pourrions avoir jusqu'à 270jours pour une période de températures moyennes supérieures à 5 degrés Celsius.

Le président: À quelles années s'applique cette prédiction?

M.Gameda: Pour la dernière partie du siècle, de 2070 à 2099. D'après les modèles climatiques, ce sont les chiffres que nous obtenons.

Comme je l'ai dit, les déficits hydriques connaissent peu de changement. Ce sont des changements considérables auxquels on peut s'attendre dans les 80 à 100prochaines années.

Quelles sont les implications? Des régions actuellement impropres ou convenant à peine à la production de maïs grain et de soja deviendront adaptées à ces cultures selon les conditions du sol. Les conditions climatiques seront plus favorables à ces cultures.

L'autre implication, c'est que des régions actuellement propres à la production de maïs grain et de soja conviendront pour des hybrides à saison plus longue; en outre, on peut s'attendre à des rendements éventuellement plus élevés, semblables à ceux du Midwest américain.

Permettez-moi d'ajouter une mise en garde. Nous avons examiné les normales climatiques, c'est-à-dire les moyennes sur 30ans, pour connaître quelles sont les situations en période de stabilité climatique. Nous les avons comparées à une période future équivalente de 30ans. Dans l'ensemble, les modèles climatiques montrent que l'on peut s'attendre à des changements significatifs de la variabilité du climat— surtout des phénomènes extrêmes causés par le changement climatique.

Cela pourrait avoir des conséquences importantes sur la production de cultures saisonnières. Par exemple, la période de récurrence d'épisodes de pluie intense va, croit-on, baisser dans l'éventualité d'un changement climatique. Un épisode de pluie de 70millimètres, par exemple, survient normalement tous les 80ans aujourd'hui. D'ici aux années2050, on peut s'attendre à ce qu'un épisode de ce genre se produise une fois tous les 40ans; d'ici à 2090, tous les 20ans. Ce genre de phénomène pourrait augmenter de façon importante dans la période considérée. C'est une considération à retenir.

En résumé, nos travaux montrent que pour le Canada atlantique, on peut s'attendre à des augmentations des superficies cultivées en cultures à valeur élevée comme le maïs et le soja. Pour le Québec et l'Ontario, il est probable que les rendements vont augmenter.

Enfin, une mise en garde: les augmentations attendues de la variabilité et des phénomènes extrêmes pourraient avoir un impact significatif sur la variabilité saisonnière, c'est-à-dire la production d'année en année, et sur les risques pour la production.

[Français]

M. Gilles Bélanger, chercheur scientifique, physiologie et agronomie des cultures, Agriculture et Agroalimentaire Canada: Cela me fait plaisir d'être ici aujourd'hui pour vous présenter les travaux réalisés sur les changements climatiques et sur les risques de dommages hivernaux relatifs aux cultures agricoles pérennes dans l'est du Canada.

Monsieur Gameda a parlé de la saison de croissance et moi, je vais plutôt m'attarder sur l'hiver et sur les risques qu'on peut rencontrer au cours de cette saison au sujet des changements climatiques relativement aux cultures pérennes.

Dans l'est du Canada, il y a environ 2,1millions d'hectares de cultures agricoles pérennes. Ces cultures agricoles pérennes sont, pour l'essentiel, les plantes fourragères, soit les plantes données en alimentation au bétail. Il y a aussi les céréales d'hiver comme le blé, les petits fruits tels les fraises et les bleuets, et les arbres fruitiers tels que les pommiers et les vignes, pour n'en nommer que quelques-uns.

L'hiver représente un risque pour ces cultures agricoles pérennes qui doivent survivre et faire face à des conditions relativement difficiles. À titre d'exemple, en 1980-1981, 400 000 pommiers ont été détruits pour des raisons climatiques hivernales dans l'est du Canada. On peut penser aussi à la tempête de verglas de 1998. Le Programme d'assurance- récolte du Québec a versé des indemnités annuelles de 1 200 000 dollars par année, entre 1985 et 1999, pour les cultures fourragères au Québec uniquement. Cela vous donne un exemple des risques que peuvent rencontrer les cultures agricoles pérennes dans l'est du Canada durant l'hiver.

Pour survivre à l'hiver, ces cultures agricoles pérennes ont besoin de conditions climatiques bien particulières. Comme vous le savez, le climat va changer. Je vous présente quelques données sur les changements climatiques prévus au cours de l'hiver. Si on regarde les températures minimales journalières entre les mois de novembre et d'avril, celles-ci devraient augmenter d'ici 2050 de 4degrés Celsius pour l'est du Canada. Les températures maximales journalières au cours de l'hiver devraient augmenter de 2,6degrés Celsius. On prévoit aussi d'ici 2050 des diminutions de chutes de neige de 32 p.100 pour l'est du Canada.

Ces changements climatiques importants rencontrés au cours de l'hiver devraient avoir un impact. Nous avons essayé de prédire l'effet des changements climatiques hivernaux sur la survie des cultures agricoles pérennes durant l'hiver pour l'est du Canada.

Je vais vous parler brièvement de l'approche scientifique qu'on a suivie et des données climatiques. Je vais aussi vous donner quelques résultats sur les plantes fourragères et les arbres fruitiers, et suggérer quelques pistes d'adaptation qu'on peut entrevoir pour faire face aux risques accrus que ces changements climatiques apporteront.

Il s'agit d'une approche basée sur des indices climatiques calculées selon des données de température et de précipitation. Ces indices climatiques nous permettent de quantifier l'intensité des causes de dommages hivernaux. On compare ces indices aux conditions actuelles et futures prédites.

Nous avons utilisé des données climatiques de 69 stations climatiques réparties dans l'est du Canada. Pour les données climatiques futures, on a étudié le modèle canadien de circulation générale. On a travaillé sur trois périodes, soit la période actuelle comprise entre 1961 à 1990 et deux périodes futures comprises entre 2010 à 2039 et 2040 à 2069.

Nous avons sur la diapositive la distribution ou la localisation des stations climatiques utilisées pour notre travail, allant de la pointe de Terre-Neuve jusqu'à la frontière du Manitoba.

Je vous présente maintenant quelques résultats qu'on retrouve sur des diapositives et sur des graphiques. Commençons avec les plantes fourragères pour enchaîner avec les arbres fruitiers.

Les plantes agricoles pérennes ont besoin de s'endurcir au froid pendant l'automne pour pouvoir traverser la période critique de l'hiver. Pour s'endurcir au froid et résister à l'hiver, ces plantes ont besoin de températures relativement fraîches à l'automne, soit inférieures à 5degrés Celsius. La protection par la neige pour les plantes fourragères est importante puisqu'elles sont de petite taille. La neige est un isolant et assure une protection efficace contre les températures très froides. Les plantes doivent également maintenir leur niveau d'endurcissement. Lors des périodes de redoux, il y a une perte de cet endurcissement et un risque accru de mortalité. Pendant l'hiver, la pluie peut aussi causer des problèmes par la formation de couches de glace qui ont un effet négatif sur la survie à l'hiver des plantes agricoles pérennes.

Je vous ai présenté quatre indices climatiques qu'on utilise pour décrire les risques auxquels font face les plantes fourragères au cours de l'hiver.

Je vous présente maintenant ces quatre indices pour cinq régions de l'est du Canada, soit le Sud de l'Ontario, le nord du Québec et de l'Ontario, le sud du Québec, l'est du Québec, qui correspond aux régions du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie, et les Maritimes pour les trois périodes qu'on a étudiées, c'est-à-dire les conditions actuelles et les conditions futures comprises entre 2010 à 2039 et 2040 à 2069.

C'est le premier indice qui décrit le potentiel d'endurcissement à l'hiver, fonction de températures relativement fraîches à l'automne. Le cumul de degrés froids va diminuer dans tout l'est du Canada, ce qui résultera, avec le réchauffement climatique, en un endurcissement inadéquat pour faire face à l'hiver dans la plupart des régions de l'est du Canada. L'endurcissement sera donc inférieur.

Il y aura des risques accrus de perte d'endurcissement au cours de l'hiver, car on prévoit davantage de dégel hivernal avec le réchauffement climatique, ce qui occasionnera une perte d'endurcissement et davantage de risques de mortalité. On constate que l'augmentation est très importante pour toutes les régions agricoles de l'est du Canada.

Le troisièmeindice est la pluie au cours de l'hiver. Plus tôt, nous avons vu que les chutes de neige vont diminuer et seront remplacées par davantage de pluie au cours de l'hiver. Ces pluies hivernales augmenteront dans quatre des cinq régions. Il n'y aura pas d'augmentation dans le Sud de l'Ontario. Toutes les autres régions connaîtront une augmentation des pluies hivernales, donc davantage de risques de glace sur nos champs, ce qui risque d'avoir un effet négatif sur la survie à l'hiver des plantes pérennes.

Le dernier indice qui permet de décrire ce qui va se passer avec les plantes fourragères est ce qu'on appelle les jours à risque. Il s'agit de la différence entre le nombre de jours où on risque d'avoir des températures inférieures à moins 15degrés Celsius, températures mortelles, et le nombre de jours où on a une couverture de neige d'au moins dix centimètres qui permet d'assurer une protection contre le froid. Ce nombre de jours à risque va augmenter dans toutes les régions sauf dans le Sud de l'Ontario. Si on prend le sud du Québec, soit la région autour de Sainte-Hyacinthe, dans les conditions actuelles, on a dix jours à risque, soit dix jours où on risque d'avoir des températures inférieures à moins 15 degrés Celsius sans couverture de neige. On s'attend à avoir 40 jours à risque d'ici 50 ans. La situation est semblable pour quatre des cinq régions de l'est du Canada.

Ceci conclut la liste des indices pour les plantes fourragères ou plantes basses. Comme vous avez pu le constater, les risques de mortalité hivernale devraient augmenter avec le réchauffement climatique.

On retrouve la même situation en ce qui a trait aux arbres fruitiers. Les arbres doivent s'endurcir à l'automne. Cet endurcissement dépend essentiellement de la photopériode. On remarque un premier indice de photopériode qui décrit le potentiel d'endurcissement des arbres fruitiers aux conditions hivernales. Nous avons durant l'hiver deux indices. Le premier indice reflète les températures minimales annuelles, soit les températures les plus froides de l'hiver. Cet indice est très important. Il détermine en bonne partie la distribution de la production fruitière dans l'est du Canada. La température la plus froide de l'hiver a un impact très important.

Indice semblable à celui applicable aux plantes fourragères est le risque de perte d'endurcissement pendant l'hiver dû au dégel. Le quatrièmeindice en ce qui a trait aux arbres fruitiers est l'indice décrivant les risques de gel des bourgeons floraux au printemps dû à une gelée tardive. Nous avons donc quatre indices pour décrire la situation des arbres fruitiers.

Le premier indice qui traite du potentiel d'endurcissement à l'automne est basé sur la photopériode. Il est désirable d'avoir la photopériode la plus courte possible lors du premier gel à l'automne. Comme on le constate pour toutes les régions de l'est du Canada, cette photopériode au premier gel de l'automne va diminuer. Cela signifie que l'on aura des périodes d'endurcissement plus longues et plus favorables à un meilleur endurcissement.

Le deuxième indice pour les arbres fruitiers est similaire a celui que l'on retrouve pour les plantes fourragères. Il s'agit du risque de perte d'endurcissement due à des dégels hivernaux. La situation est appelée à se dégrader avec le réchauffement climatique. On constate davantage de degrés-jour, soit de températures supérieures à 0degré Celsius au cours de l'hiver, donc des risques de perte d'endurcissement accrus avec le réchauffement climatique.

Le troisièmeindice, d'importance pour la distribution des arbres fruitiers dans l'est du Canada, est la température la plus froide de l'année. Celle-ci va augmenter de 3degrés Celsius dans les maritimes, jusqu'à 6degrés Celsius dans le Sud de l'Ontario. Cet indice aura un impact important sur la production des arbres fruitiers. Il occasionnera une migration vers le nord de cette production dans l'est du Canada.

Le dernier indice pour les arbres fruitiers est un indice qui décrit le risque de gel des bourgeons floraux au printemps. Il s'agit d'un indice important pour les arbres fruitiers et pour la production de bleuets, par exemple. On se rend compte que dans trois des quatre régions il y aura une augmentation des risques due à une augmentation de l'accumulation de degrés-jour ou chaleur avant le dernier gel au printemps. Les seules régions où l'on remarque une amélioration sont le nord du Québec et de l'Ontario, où l'on aura une diminution de risques de gel aux bourgeons floraux au printemps.

Je vous ai présenté la situation prévue pour deux grands groupes de culture agricole pérenne, soit les plantes fourragères et les arbres fruitiers. En résumé, pour les plantes fourragères, les risques de dommages hivernaux vont augmenter à cause d'une diminution de la protection par la neige, un endurcissement moins efficace, plus de dégels hivernaux et plus de risques associés à la présence de glace sur nos prairies.

Pour les arbres fruitiers, la situation est un peu plus contrastée. On s'attend à un endurcissement plus efficace, à un stress dû au froid moins important, ce qui devrait favoriser la production fruitière dans l'est du Canada et modifier sa distribution géographique. Par contre, on risque également d'avoir des gels hivernaux plus fréquents, et, par conséquent, davantage de risques causés par une perte d'endurcissement. Pour le gel printanier de bourgeons floraux, la situation va empirer avec le réchauffement climatique pour trois des régions, mais va s'améliorer pour les régions plus nordiques.

Cette dernière diapositive nous suggère quelques pistes d'adaptation possibles par rapport à ces risques accrus de mortalité hivernale. Il faudra évidemment repenser, modifier et améliorer nos pratiques de gestion. On peut penser, par exemple, à l'utilisation de haies brise-vent pour favoriser l'accumulation de neige sur nos luzernières, entre autres, pour favoriser leur survie à l'hiver. Il faudra évidemment aussi repenser, revoir et continuer de développer des cultivars et évaluer de nouvelles espèces pour faire face à ces nouvelles conditions climatiques hivernales. On pense à des cultivars mieux adaptés aux hivers plus rigoureux pour les espèces pérennes. Il faudra développer une meilleure capacité de prédiction des risques. Ceci est possible à une échelle spatiale à l'aide de cartes de risques hivernaux pour les plantes agricoles pérennes.

Il faudra également pouvoir prédire en temps réel. En effet, au cours de l'hiver, nous devrons être en mesure de prédire la survie des plantes pérennes afin de permettre aux agriculteurs de réagir au printemps.

La quatrièmepiste d'adaptation touche toute la gestion du risque à la ferme. On prévoit des risques accrus au cours de l'hiver pour les plantes agricoles pérennes, et les agriculteurs devront gérer ce risque. Ceux-ci gèrent déjà ce risque en partie. Toutefois, le risque sera accru avec le réchauffement climatique. La gestion du risque à la ferme va certes demeurer un élément important.

[Traduction]

Le président: Nous allons maintenant passer aux questions et je vais commencer en m'adressant à M.Gameda.

Vous nous avez donné beaucoup de renseignements sur ce qui va se passer au cours des prochaines années et discuté des divers modèles climatiques que vous avez employés. Vous avez dit que ces modèles montrent qu'il y aura augmentation de la variabilité du climat et que cela pourra avoir des conséquences considérables pour la production de cultures saisonnières dans le Canada atlantique.

J'aimerais savoir quel modèle vous avez employé pour parvenir à ces conclusions et si vous l'avez comparé à d'autres modèles aux États-Unis, en Angleterre ou même ailleurs au pays? Y a-t-il un seul modèle? Dans l'affirmative, de quoi se compose-t-il?

M. Gameda: De fait, nous avons employé trois modèles différents pour la modélisation du climat. Nous avons utilisé le modèle canadien, le modèle Hadley du Centre Hadley au Royaume-Uni et le modèle ECHAM d'Allemagne.

Nous avons aussi employé divers scénarios et effectué divers passages. En tout, nous avons fait 11expériences différentes en combinant les trois modèles.

Pour l'étude sur le Canada atlantique, vu nos contraintes, nous avons surtout employé le modèle canadien. Toutefois, dans l'étude de la variabilité et des résultats en général pour l'est du pays— et nous l'employons actuellement aussi pour l'ensemble du Canada—, nous considérons un éventail beaucoup plus vaste de modèles.

Le président: Je serais curieux de savoir si vous avez employé des scénarios en ne vous servant que du modèle canadien et, si c'est le cas, si vos résultats étaient très différents de ceux obtenus à partir du modèle Hadley et de l'autre.

M. Andy Bootsma, associé de recherche honoraire, Agriculture et Agroalimentaire Canada: En réponse à votre question précédente, nos expériences étaient basées sur les conditions moyennes pour les futures périodes de 30ans. L'expérience effective sur la variabilité du climat n'a pas été incluse dans ces résultats. Il faut que vous le sachiez.

Pour ce qui est du modèle canadien, il y a une tendance chez les modèles climatiques mondiaux canadiens, dans les résultats que nous examinons, de montrer un réchauffement beaucoup plus important que celui, par exemple, du Royaume-Uni. Il y a en fait beaucoup de variabilité entre les modèles.

Le président: C'est la raison pour laquelle vous les avez combinés pour obtenir une moyenne générale de meilleure qualité.

M. Bootsma: C'est juste. Nous en avons examiné 11différents à une valeur médiane, mais nous avons aussi examiné la variabilité entre les modèles eux-mêmes pour indiquer dans quelle mesure ils diffèrent les uns des autres et pour avoir une idée de la variabilité que les modèles introduisent dans les résultats.

Le président: C'est excellent. Merci. C'est beaucoup plus clair maintenant.

Le sénateur LaPierre: Ce n'est pas une science exacte. Vous avez toutes ces variables. Vous obtenez des conditions complètement différentes selon que vous utilisiez un modèle canadien, anglais, allemand ou japonais. Comment les Canadiens peuvent-ils être sûrs que ce que vous nous dites est le moindrement fiable?

M. Bootsma: Il ne faut pas oublier qu'il s'agit de scénarios d'événements futurs plausibles. Il ne s'agit pas de prévisions. Il s'agit de scénarios d'événements qui pourraient se produire. Nous étudions plusieurs modèles et résultats possibles ainsi que la variabilité de leurs prédictions.

Il est vrai que les climats que prédisent ces modèles varient grandement mais il est vrai également que tous les modèles prédisent un réchauffement; sur ce point ils sont unanimes. Le réchauffement peut varier de 1,5 ou 2degrés jusqu'à 6 ou 7degrés, selon la période future que l'on examine. Les précipitations présentent également une grande variabilité. Des modèles mis au point pour certaines régions du Canada indiquent une baisse des précipitations alors que d'autres indiquent une augmentation de 10 à 20p.100. Il y a un peu plus d'incertitude en ce qui concerne les précipitations. Pour ce qui est de la température, les modèles indiquent unanimement un réchauffement.

Le sénateur LaPierre: Qu'est-ce qui pourrait expliquer les différences: La région, la géographie, la topographie, l'histoire de la région?

M. Bootsma: Vous posez des questions qui dépassent notre champ de compétence. Nous utilisons tout simplement le résultat de ces modèles pour essayer de prévoir l'impact que ces conditions pourraient avoir si elles se réalisaient. Les modélisateurs du climat pourraient peut-être répondre à votre question. Je suppose que les personnes qui élaborent ces modèles du climat planétaire ont témoigné devant votre comité et c'est à eux que vous devriez adresser cette question. Cela concerne les modèles eux-mêmes ainsi que leur interaction.

Le sénateur Fairbairn: J'aimerais poser plusieurs questions, dont l'une dépasse peut-être les limites de recherche, mais vous avez peut-être des opinions. Étant donné les changements que vous nous avez décrits dans vos deux exposés, avez-vous de l'information sur ce que les changements dans les cultures fourragères, par exemple, pourraient avoir sur l'industrie laitière?

M. Bélanger: Comme vous l'avez vu dans notre exposé, nous prévoyons un risque accru pour les cultures vivaces. Bien entendu, les cultures fourragères vivaces sont la première source d'alimentation du bétail, que ce soit les bovins laitiers et de boucherie, de sorte que le risque sera plus élevé. Les producteurs devront réensemencer plus souvent, ce qui fera probablement augmenter leurs coûts. L'approvisionnement annuel d'aliments pour les bovins laitiers présente une plus grande incertitude. Il est évident que les conditions hivernales constituent un grand défi pour les producteurs laitiers en raison du risque accru et de la probabilité d'une augmentation des coûts.

Cela étant dit, les changements seront graduels. Le climat ne change pas du jour au lendemain. C'est très graduel. Nous espérons que nos recherches et celles des autres nous permettront de sélectionner des cultivateurs et peut-être des espèces mieux adaptées à ces nouvelles conditions afin de réduire le risque ou de le maintenir à un niveau raisonnable. Pour ce qui est des pratiques de gestion des cultures, nous espérons, par un effort de recherche soutenu, mettre au point de nouvelles méthodes de production qui permettront de réduire le plus possible les risques auxquels les producteurs devront faire face en raison du réchauffement du climat.

J'ai surtout parlé de ce qui arriverait aux conditions hivernales, mais pour ce qui est des récoltes annuelles comme les céréales, le maïs et le soya, nous pouvons probablement nous attendre à des rendements plus élevés puisque la saison de croissance sera plus longue. D'après les travaux limités que nous avons effectués, surtout au Québec, nous nous attendons à ce que les producteurs puissent faire une récolte additionnelle de fourrage. Dans les régions où on fait à l'heure actuelle trois récoltes, on pourra peut-être en faire quatre. Cela représente deux ou trois tonnes de matière sèche— du foin— additionnelles par année, de sorte que le changement climatique sera avantageux pour la production de cultures fourragères pendant la saison de croissance.

Je devrais mentionner également que la concentration accrue de gaz carbonique aura une incidence sur les rendements. Le gaz carbonique est le principal combustible, si j'ose dire, des plantes pour la photosynthèse. Si les concentrations de gaz carbonique augmentent, les rendements devraient augmenter. Cela aura un effet d'engrais qui pourrait également être bénéfique pour les cultures fourragères.

Je pense que la saison de croissance plus longue sera positive pour les producteurs laitiers qui pourront s'attendre à une augmentation des rendements, mais les risques accrus pendant l'hiver seront pour eux un nouveau défi.

Le sénateur Fairbairn: Merci. Quelle sera l'incidence pour l'industrie de la pomme de terre? Je pose cette question car, quoique plusieurs ici l'ignorent sans doute, il y a dans le sud-ouest de l'Alberta McCains et Lamb Weston, quoiqu'on n'associe pas en général cette région avec une industrie de la pomme de terre très dynamique. La situation était idéale, du point de vue des producteurs, pour assurer l'essor d'une industrie prospère et le développement de marchés d'exportation. Les événements climatiques extraordinaires des dernières années ont eu un effet dévastateur sur les cultures. Vous avez mentionné certaines cultures comme le maïs, mais la culture de la pomme de terre et de la betterave à sucre ont souffert également.

Quel effet les changements dans la précipitation, les chutes de neige et la température auront-ils sur la production de pommes de terre? J'aime beaucoup l'Île-du-Prince-Édouard et je m'inquiète de leurs pommes de terre.

M. Bélanger: Je vais donner un premier élément de réponse et les autres voudront peut-être ajouter quelque chose. Je n'ai pas examiné de façon particulière l'effet du changement climatique sur les pommes de terre et je dois donc être prudent. Toutefois, je pense que nous pouvons probablement nous attendre, comme pour le maïs et le soya, à ce que le rendement des cultures de pommes de terre augmente en raison d'une saison de croissance plus longue. La concentration accrue de gaz carbonique pourra également avoir un effet positif sur le rendement des pommes de terre. L'augmentation des températures pourrait également agir, en raison de la saison plus longue.

L'un des problèmes, pour la culture des pommes de terre, ce sont les ravageurs. Les pommes de terre sont très sensibles à un grand nombre de ravageurs. Je songe notamment au doryphore de la pomme de terre, l'un des principaux parasites dans l'est du Canada. La plupart des experts s'entendent pour dire que la pression exercée par les ravageurs augmentera en raison du changement climatique. Pour une culture comme celle des pommes de terre, qui sont déjà très sensibles aux ravageurs, le problème sera probablement plus grave. Et il se présentera de deux façons: de nouveaux ravageurs qui se déplaceront vers le nord et l'augmentation du nombre de cycles de ces ravageurs en raison du réchauffement.

Les ravageurs constituent un problème grave pour les pommes de terre. Je ne suis pas un expert, cependant, d'après ce que j'ai entendu dire, cela pourrait être une des répercussions importantes du changement climatique.

En outre, la survie de certains de ces ravageurs dépend de la température du sol pendant l'hiver. Si la couverture de neige est moins épaisse, la température du sol changera, ce qui pourrait également avoir un effet sur les ravageurs. Ils réussiront peut-être à survivre l'hiver et à avoir un impact pendant la saison de croissance suivante.

Je ne suis pas un expert en matière de pommes de terre, mais nous pouvons nous attendre à des effets positifs comme des rendements accrus, mais également à des défis à cause des ravageurs qui s'attaquent aux pommes de terre.

M. Gameda: Nous essayons également de déterminer quel effet les indicateurs agroclimatiques pourraient avoir sur les cultures. Nous n'avons pas encore examiné cette question mais, pour compléter ce que disait M.Bélanger, étant donné le prolongement de la saison de croissance et une humidité peut-être plus élevée, il pourrait y avoir une augmentation. La variabilité, particulièrement des précipitations, entraînera probablement une augmentation du risque et exigera probablement une meilleure gestion de l'eau. Il faudra peut-être irriguer, selon la variabilité de la disponibilité de l'eau suite aux changements du climat.

Le président: Avant de passer la parole au sénateur Hubley, j'aimerais revenir sur deux questions soulevées par le sénateur Fairbairn. Vous dites que le réchauffement des températures pourrait avoir pour conséquence non seulement une augmentation du nombre de doryphores de la pomme de terre, mais également l'arrivée de nouveaux ravageurs qui se déplaceraient du sud vers le nord.

Vous voulez dire que dans les régions des États-Unis où on cultive des pommes de terre, les ennemis des cultures ne sont pas les mêmes qu'au Canada? Dans ce cas, est-ce que votre ministère étudie ces divers parasites pour que nous puissions y réagir s'ils arrivent ici? C'est ma première question.

Deuxièmement, en réponse à la question du sénateur Fairbairn, vous nous avez proposé divers scénarios de répercussions du changement climatique sur les pratiques agricoles. Pourriez-vous aller un peu plus loin et nous dire ce qu'il faudrait faire dès maintenant pour nous adapter à ces changements inévitables? Est-ce que le ministère travaille sur ces résultats actuellement? Pouvez-vous nous dire comment il faudrait réorienter les programmes d'amélioration des plantes, par exemple, à la lumière des changements que ces modèles vous permettent de détecter?

M. Bélanger: Pour répondre à la première question, comme je vous l'ai dit, je ne suis pas expert en pommes de terre ou en ravageurs des pommes de terre et je ne peux donc pas répondre à votre question. Je vous ai répondu de façon générale, mais je pense qu'il faudrait poser la question à des gens qui connaissent mieux la culture des pommes de terre et leurs ravageurs. Je sais qu'on fait de la recherche aux centres de recherche de Fredericton et de Charlottetown. Ce sont d'excellentes recherches sur la culture des pommes de terre et la lutte contre les ravageurs des pommes de terre, et ces gens-là seraient donc mieux placés que moi pour y répondre.

On fait un travail d'amélioration des plantes au Canada pour améliorer la survie des récoltes vivaces. Cela prend beaucoup de temps; pour avoir une nouvelle variété, il faut de 10 à 12 ans. Nous travaillons constamment dans ce domaine et nous espérons poursuivre ces efforts au cours des années à venir. Il faut beaucoup de temps pour élaborer un matériel adapté à certaines conditions, et c'est donc un travail à long terme.

J'ajoute que les récoltes vivaces sont des récoltes à cycles longs, tout particulièrement dans le cas des arbres fruitiers. Ils mettent longtemps à produire une fois qu'on les plante. Il faut donc être sûr d'avoir fait le bon choix quand on plante ces arbres. Il est essentiel d'avoir des recherches continues pour disposer des bons outils face aux changements climatiques, car il s'agit de production sur des cycles longs. Ce n'est pas la même chose que les récoltes annuelles, pour lesquelles on peut changer d'hybride ou de variété d'une année sur l'autre. Quand on parle de pommiers, il faut faire le bon choix aujourd'hui pour les 10 à 15 années à venir. Il est donc essentiel de poursuivre la recherche de façon permanente dans ce domaine. Nous ne voulons pas attendre trop longtemps, mais il y a actuellement de bonnes recherches dans ce domaine au ministère.

Le président: Évidemment, il y a des pommiers maintenant qui commencent à produire en trois ou quatre ans. On n'est pas obligé d'attendre 12 ans comme autrefois. Merci pour cela.

Le sénateur Hubley: Merci de vos exposés. Je ne vais pas vous obliger à en rester aux pommes de terre, bien que je vienne de l'Île-du-Prince-Édouard et que je sois un peu plus attaché à cette culture qu'aux cultures fourragères.

Pourquoi avez-vous choisi vos intervalles de 30ans? Vous n'êtes pas obligés de me répondre. Je vais simplement continuer.

Le gel est une sorte «d'ami» des agriculteurs. En tout cas, dans la culture de la pomme de terre, on veut toujours avoir une bonne gelée au sol. Cela élimine une bonne partie des ennemis de la culture et cela décourage les «resemis»— c'est-à-dire les repousses qu'on ne veut pas voir à la fin de l'hiver. Avez-vous des informations sur la santé de la terre dans cette perspective du gel?

M. Bélanger: Nous n'avons pas examiné le rapport entre le gel et la température du sol durant l'hiver ou ce que vous appelez la santé du sol, et je ne peux donc pas vous donner d'informations à ce sujet.

Le sénateur Hubley: Pourquoi ces intervalles de 30ans?

M. Gameda: Quand nous examinons la production agricole, nous considérons les conditions générales. Nous avons étudié le climat sur une durée suffisamment longue pour pouvoir dire: «en effet, telle région convient pour tel type de culture». Cela permet d'éliminer la variabilité qu'on aurait d'une année sur une autre.

Par exemple, si vous choisissez une variété de maïs donnée et que vous êtes dans une région où il y a de 2700 à 3000unités thermiques de croissance, vous allez choisir cette variété en fonction des températures moyennes. En gros, c'est ce qu'on essaie d'obtenir, plutôt que les hauts et les bas enregistrés d'une année sur l'autre.

Le sénateur Hubley: Je pensais aussi à l'utilisation des pesticides et à son augmentation ou son recul— j'espère qu'elle va reculer. Nous sommes très sensibilisés de nos jours aux pesticides qui menacent notre eau et la sécurité de nos sources alimentaires, ou ce genre de choses.

Va-t-il falloir envisager des pratiques culturales différentes et éventuellement modifier les dates de semis et de récolte?

M. Bélanger: Je pense que vous avez raison, sénateur Hubley. J'en ai parlé à la fin de mon exposé. Les pratiques culturales vont devoir évoluer en fonction des nouvelles conditions. En général, les producteurs savent s'adapter à des conditions nouvelles, mais il faut leur donner les bons outils.

Notre évaluation se fonde sur les pratiques actuelles et l'utilisation des cultivars actuellement disponibles. Nous espérons que ces cultivars vont s'améliorer à l'avenir ou qu'on utilisera de nouvelles méthodes culturales. La pression des ennemis des cultures risque de s'intensifier à l'avenir, mais nous espérons que nous aurons les bons outils pour y faire face. C'est un défi, mais il y a aussi des perspectives d'amélioration.

[Français]

Le sénateur Ringuette: Je connais la vallée du Madawaska, où on cultive la pomme de terre au Nouveau-Brunswick. J'ai beaucoup de difficulté à comprendre pourquoi vous faites de la recherche sur la pomme de terre à Fredericton où le climat est tout à fait distinct et où les plantes ne sont pas locales non plus. Je peux comprendre par contre si vous faites de la recherche au niveau des vergers. Les vergers du Nouveau-Brunswick sont dans la région de Fredericton.

On a reçu d'excellentes représentations de plusieurs institutions qui font de la recherche. Existe-il un plan qui permette l'échange de données entre vous, les producteurs et les scientifiques, pour fournir des conclusions et discuter de ce phénomène et des répercussions possibles sur les producteurs?

M. Bélanger: Le centre de recherche est situé à Fredericton, mais une bonne partie de cette recherche et des expériences sont réalisées dans la région productive de la pomme de terre, soit entre Grand-Sault et Woodstock. J'ai participé aussi à des recherches où on avait des sites expérimentaux à Drummond et à Saint-André.

Je ne pourrais pas toutefois vous dire s'il y a un plan bien précis de communication, mais c'est sûr qu'on communique de façon continuelle avec les agriculteurs. On est invité régulièrement à donner des conférences aux agriculteurs. Les résultats de nos recherches sont publiés et sont disponibles. J'ai participé dernièrement à La semaine verte, une émission du réseau français de Radio-Canada transmise à travers le pays, où l'on a parlé de changements climatiques. J'ai participé aussi à l'émission D'un soleil à l'autre à la radio de Radio-Canada transmise à travers le pays et écouté par beaucoup d'agriculteurs. Les informations présentées aujourd'hui sont disponibles et sont communiquées d'une façon efficace aux agriculteurs.

Le sénateur Ringuette: Il y aurait lieu de renforcer auprès du ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire Canada la ruralité de la production agricole au pays. Les ministères, surtout le ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire Canada, devraient certainement faire en sorte que les recherches faites soient localisées dans les régions rurales et non dans les capitales et les grands centres.

Je vous félicite pour les émissions de télévision auxquelles vous avez participées.

Étant donné que le ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire Canada finance la recherche, n'est-il pas de votre responsabilité de créer un centre pour recevoir toute l'information des recherches effectuées pour obtenir un aperçu global et transmettre toutes ces données, toute cette information à l'extérieur? Je n'ai pas compris que vous aviez une telle philosophie.

Il y a peut-être des recherches subventionnées un peu partout dans certains secteurs très spécifiques, mais où les résultats ne sont pas disponibles et non retransmis à la population. Si l'information n'est pas retransmise, il sera très difficile d'avoir un plan d'ensemble. On risque une fois de plus d'être pris avec des solutions compartimentées. J'espère que vous comprenez l'importance de cette communication, c'est-à-dire de centrer toutes les recherches, tant au niveau du ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire Canada que du ministère de l'Environnement.

M. Bélanger: En tant que scientifique du ministère de l'Agriculture, je suis très sensible à ce que vous dites. Nous avons intérêt à ce que nos travaux, nos recherches et les résultats de nos recherches soient connus par les utilisateurs et ceux qui en ont besoin. Je ne travaille pas personnellement dans le domaine des communications. Le ministère compte des gens qui font un excellent travail en communication. Le ministère est aussi en réorganisation pour essayer, je crois, de mieux cibler la question que vous décrivez en termes d'une unité qui permettrait de regrouper davantage nos efforts et d'avoir des réponses plus globales.

Je ne peux pas en dire davantage. Je suis d'accord avec vous, à savoir que c'est nécessaire pour nous. Nous faisons des efforts scientifiques importants pour s'assurer que les utilisateurs de nos recherches et de nos résultats les connaissent et que l'on puisse en discuter avec eux en retour, parce que souvent on a des informations très utiles sur les priorités à établir. Je crois que le ministère fait des efforts importants dans ce sens. Ce n'est sûrement pas parfait, mais je suis certain que les gens vont prendre note de ce que vous avez dit, afin d'essayer d'améliorer la situation si la perception est à l'effet que nous ne faisons pas un travail suffisant.

Le sénateur Ringuette: C'est le cas de le dire; il ne faut pas travailler en silo.

[Traduction]

Le sénateur LaPierre: Pour poursuivre sur la question du sénateur Ringuette, est-ce que vous ne pourriez pas envisager avec le comité de direction de demander à des cadres de la Division des communications du ministère de venir nous expliquer leur plan de communication?

Le président: Nous allons demander à notre greffière de s'en occuper.

Le sénateur LaPierre: Cela nous serait utile.

Toutefois, j'ai été un spécialiste de la communication pendant des années. J'ai écouté tous les exposés brillants et pertinents des experts qui ont défilé devant nous. Les informations qu'ils nous ont données variaient considérablement— par exemple, nous avons entendu des Américains la semaine dernière— et je me demande si nous ne sommes pas en train d'effrayer les gens et de les démotiver. On dirait qu'ils n'ont rien à quoi s'accrocher.

Nous avons vu cela en Alberta. On voit se développer un préjugé anti-scientifique. Je crois que les gens ne comprennent pas ce qui se passe. Parfois, j'ai l'impression que nous leur faisons peur sans raison.

Monsieur Bootsma, peut-être pourriez-vous m'aider. Nous ne vous avons pas beaucoup entendu.

M. Bootsma: Honorables sénateurs, la question est de savoir si nous pouvons nous appuyer sur des modèles climatiques pour faire des projections. Cela déborde de notre domaine.

Est-ce que nous faisons peur au public, ou est-ce que nous proposons simplement des scénarios réalistes susceptibles de se produire? Je sais bien qu'il y a beaucoup de sceptiques qui ne croient pas au changement climatique et qui pensent qu'on fait peur aux gens pour rien.

On peut cependant dire sans risque de se tromper que les concentrations de dioxyde de carbone dans l'atmosphère ont augmenté d'au moins 25 à 30p.100 depuis l'ère préindustrielle et vont probablement continuer d'augmenter même si le programme de Kyoto est pleinement adopté. Les modèles montrent eux aussi que ce phénomène aura des répercussions, notamment sur les températures.

On peut certes débattre sur l'importance de ces répercussions. Comme les honorables sénateurs le savent et comme nous l'avons dit, il y a de grands écarts dans les modèles de réchauffement planétaire envisagés à la suite de cette accumulation de gaz à effet de serre. Toutefois, ne rien faire à ce stade, ce serait la même chose que de poursuivre une gigantesque expérience mondiale sans avoir la moindre idée du résultat qu'elle aura. Pour les générations futures, cela risque d'être très important.

On ne veut pas faire peur au public. Le réchauffement planétaire a certaines retombées positives sur l'agriculture au Canada. Comme nous le savons, il présente aussi des dangers pour le pergélisol au nord, ou encore le risque de montée du niveau des mers. Il y a du pour et du contre dans ces répercussions. Nous devons donc les soupeser pour déterminer les mesures que nous prendrons finalement. C'est évidemment en grande partie une décision politique que prendront les gouvernements.

Je pense qu'on ne veut pas effrayer le public en exagérant le danger, mais il y a clairement un risque de changement très radical, beaucoup plus profond que ce que nous avons connu au cours des 100dernières années. C'est une préoccupation tout à fait valable.

[Français]

Le sénateur LaPierre: Mais d'un autre côté, si ces choses doivent arriver, il faudra créer à un moment donné une philosophie d'adaptation. Dans le processus de développement de cette philosophie d'adaptation, il faudra peser le pour et le contre. Cela fait-il partie des éléments de votre recherche, de peser le pour et le contre? Lorsque vous développez des modèles et des suggestions d'adaptation, pensez-vous à cela?

M. Bélanger: Oui. Lorsqu'on évalue des stratégies d'adaptation, des façons de faire qui pourrait être plus adaptées, il est certain que l'on regarde les impacts positifs et négatifs. Pour revenir à ce que vous disiez plus tôt, à savoir qu'il faudra développer une philosophie d'adaptation; je dirais que les agriculteurs en général possèdent déjà cette philosophie parce qu'ils doivent s'adapter à des conditions climatiques fluctuantes d'une année à l'autre et même d'un jour à l'autre. Ils font déjà face à beaucoup de variabilité climatique dans leur travail de tous les jours.

Ils ont donc une capacité d'adaptation relativement bonne parce que l'on ne peut pas faire de l'agriculture sans être capable de s'adapter. Je crois que cette philosophie est déjà présente. C'est sûr que lorsqu'on parle des changements climatiques prévus et d'augmentations de 4degrés Celsius, c'est énorme. Il faudra peut-être s'adapter davantage et cela demeure important. Toutefois, dans les travaux que nous effectuons, lorsqu'on regarde les alternatives de méthodes de production, il est certain que nous nous penchons toujours sur les avantages et les désavantages de ces techniques.

[Traduction]

Le sénateur LaPierre: Environ 85p.100 de la population vit en ville. Ce que j'essaie de dire, c'est que les citadins ne semblent pas être aussi affectés par le changement climatique que les agriculteurs. Nous avons entendu des récits effroyables sur les forêts dans l'Ouest et dans les communautés rurales, qui m'intéressent beaucoup et auxquels j'attache beaucoup d'importance. Par contre, les gens des villes se contentent de hausser les épaules.

J'espère que nous allons trouver un moyen de faire comprendre aux 85p.100 de citadins que ce qui se passe dans les campagnes a d'énormes répercussions sur eux et qu'il serait temps qu'ils fassent quelque chose. Comme ils sont plus nombreux, et la politique étant ce qu'elle est, ce sont eux qui détiennent la majorité. Les gens des villes disent que c'est un problème qui concerne les agriculteurs, pas eux. Mais le résultat final sera extrêmement dangereux pour nous.

Je ne sais pas si vous avez une réponse à cela, mais j'aimerais que vous m'aidiez face à ce dilemme.

M. Gameda: Je ne sais pas comment répondre à cette question. Il faut trouver un moyen de réagir à ce défi. À propos des questions dont nous parlions tout à l'heure, la recherche implique une telle spécialisation que les chercheurs sont uniquement concentrés sur ce qu'ils font. La question de la synthèse et de la communication des synthèses des recherches est importante et doit être réglée. Cela dépasse nos capacités, mais c'est un problème que nous soulignons.

Le sénateur Hubley: J'ai une question au sujet des fonds disponibles pour la recherche. Dans le contexte de la recherche sur le changement climatique et l'adaptation qui s'effectue actuellement au Canada— dans les universités, les centres de recherche et à divers paliers de gouvernement—, où y a-t-il des lacunes à votre avis? Pensez-vous qu'il y en a?

M. Bootsma: Peut-être pourrais-je vous répondre à titre d'ancien employé du ministère de l'Agriculture qui a pris sa retraite récemment.

Le sénateur LaPierre: Vous ne risquez rien.

M. Bootsma: Au départ, une bonne partie de la recherche sur le changement climatique portait sur les modèles de climat mondial et la compréhension des systèmes climatiques. L'essentiel du financement de la recherche était et continue d'être axé sur ce domaine. En revanche, ce qui manque, et on le sait depuis plusieurs années, ce sont des recherches sur l'adaptation et les retombées. Récemment, le gouvernement a débloqué des fonds dans le cadre du Fonds d'action pour le changement climatique afin d'intensifier les études sur les retombées et l'adaptation, mais c'est encore insuffisant.

Les modèles de retombées que nous utilisons sont très élémentaires. On pourrait faire un travail beaucoup plus approfondi sur ces modèles pour déterminer les retombées possibles. Quelles seront les retombées du changement climatique sur les diverses récoltes? Nous ne le savons pas pour toutes ces récoltes. Nous n'en avons abordé que quelques-unes ce matin. Il y en a bien d'autres. Il n'y a pas encore de modèle décrivant les retombées éventuelles sur toutes ces récoltes. Il faudrait faire beaucoup plus de recherches dans ce domaine.

Le sénateur Gustafson: Je suis entièrement d'accord avec le sénateur LaPierre. Je suis heureux de lui avoir laissé la parole. C'est un citadin raffiné et je suis un campagnard rustique.

Je crois que le monde scientifique a le devoir de communiquer avec la population. Nous devrions peut-être essayer de trouver de nouvelles façons d'y parvenir pour bien faire comprendre l'importance de cette question.

J'ai été dans l'agriculture pendant 53ans. On me donne peut-être 40ans, mais j'ai plus que cela. Quand je suis né durant les sombres années30, nous avons eu une sécheresse. Dans les Prairies, nous avons eu une période très sèche dans les années50. Au milieu des années 80, j'ai présidé le Groupe de travail sur la sécheresse dans l'Ouest canadien, et nous en avons maintenant une autre.

Cela semble être un phénomène cyclique. Les ravageurs qui accompagnent ces sécheresses — les sauterelles, et cetera — semblent frapper ensemble. Nous ne parlons que d'une période de 100ans et j'ai travaillé dans l'agriculture pendant la moitié de cette durée. C'est à peu près tout ce que nous avons pour tirer des conclusions.

Il faut un certain nombre d'unités de chaleur pour faire pousser une récolte, mais le moment et les conditions dans lesquelles cette chaleur intervient sont très importants. Par exemple, nous faisons pousser du canola. La plus grosse menace, c'est la chaleur de juillet, au moment où le canola est en bourgeon. S'il y a une vague de chaleur à ce moment- là, vous pouvez dire adieu à votre récolte. Toutefois, s'il y a une bonne couverture nuageuse durant cette période de chaleur, ce n'est pas si mal. Le soleil ne semble pas pénétrer. De même, s'il y a beaucoup d'humidité, cette humidité permet de surmonter la période de chaleur.

Les choses se passent différemment chaque année. Que faire? C'est un gros problème. Si vous vous en sortez durant ces deux semaines de grosse chaleur en juillet, vous aurez une récolte, sinon, vous allez avoir des problèmes.

Que disent vos études sur ces cycles et sur ces phénomènes qui varient selon les régions du pays.

M. Gameda: L'un des problèmes est qu'il est impossible de faire la différence entre les variations naturelles et les variations entraînées par le changement climatique. Le climat est cyclique et il peut y avoir des fluctuations considérables dans ces cycles. Par conséquent, il est très difficile de discerner précisément les répercussions du changement climatique. Nous savons bien que ces cycles reviennent de façon sporadique et qu'il est donc difficile de planifier. C'est une des conditions de la production agricole.

M. Bootsma: En tant que climatologue, je n'ai pas fait beaucoup d'études sur la nature cyclique des phénomènes météorologiques depuis 100ans. Les honorables sénateurs doivent bien comprendre que la période pour laquelle nous disposons de relevés précis est relativement courte, un peu plus de 100ans au Canada.

Au-delà de cette période, nous nous en remettons aux données paléoclimatologiques. Il y a des cycles et diverses théories sur leurs causes. Certains pensent qu'il y a un cycle lunaire de 18 à 21ans. Il y a des cycles d'activité des taches solaires qui influent sur le climat; il y a les phases ElNiño/LaNiña qui influent sur le climat, il y a les émissions volcaniques. Tous ces phénomènes agissent d'une façon ou d'une autre sur le climat.

Quant à savoir si les sécheresses dans les Prairies et ailleurs vont continuer à se produire à des intervalles d'environ 25ans, cela reste à voir.

Les prélèvements effectués dans l'Ouest ont permis à des paléoclimatologistes de constater qu'il y avait eu des sécheresses beaucoup plus intenses que celles que nous avons connues au cours des 100dernières années. Il y a des cycles naturels qui vont vraisemblablement se poursuivre, mais nous prévoyons aussi qu'il y aura des changements climatiques entraînés par l'activité humaine et les émissions de gaz à effet de serre.

Le sénateur Gustafson: J'ai une remarque au sujet de l'importance de la recherche sur les diverses variétés de cultures. Il est clair que c'est grâce aux recherches et aux nouvelles variétés que les agriculteurs ont pu demeurer concurrentiels. Cela soulève beaucoup de questions au sujet des aliments génétiquement modifiés, etc. Je voudrais insister sur la recherche dans ces domaines.

Je vais prendre l'exemple de mon grand-père. En 1905, quand il est arrivé à Yorkton, en Saskatchewan, il ne pouvait pas y faire pousser de blé. Il est parti au sud de la Saskatchewan pour cultiver du blé. Maintenant, grâce aux nouvelles variétés, on cultive du blé à Yorkton aussi. Je veux donc souligner que les apports de la recherche sont très importants.

M. Bélanger: Je suis d'accord avec ce qui a été dit. Toutefois, il y avait une question qui portait sur les besoins de la recherche, etc. M.Bootsma a très bien répondu en disant que pour ce qui est des retombées, nous n'avons que des modèles climatiques très élémentaires qui ne tiennent pas compte des interactions des divers facteurs.

Or, nous sommes confrontés à des concentrations accrues de CO2, à une hausse des températures, et nous ne sommes pas trop sûrs de l'importance des déficits en eau. Ce sont là trois facteurs qui ont d'importantes répercussions sur les cultures et qui interagissent. Tout cela a une interaction avec la fertilisation des récoltes et les ennemis des cultures. Ce sont des systèmes très complexes. Les réponses que nous avons entendues ce matin à propos des pommes de terre montrent que nous savons bien que tous ces facteurs influent sur la production de pommes de terre, mais que nous ne savons pas comment ils interagissent.

Nous vous présentons les informations les plus objectives et les plus fondées sur des données scientifiques dont nous disposons aujourd'hui pour comprendre la mécanique des récoltes. Toutefois, ce sont des systèmes très complexes et nous n'avons pas encore essayé de comprendre suffisamment les interactions essentielles pour prédire ce qui va arriver. Nous nous sommes servis des meilleurs outils dont nous disposons actuellement, mais ils sont très insuffisants.

Le président: Pourriez-vous nous parler un peu de la portée de votre mandat et nous dire jusqu'où vous allez en matière de planification et d'adaptation. Récemment, nous avons entendu deux éminents professeurs et chercheurs scientifiques de l'Université Yale aux États-Unis. Ils ont participé à des études générales sur les retombées du changement climatique dans toutes les régions des États-Unis.

D'après ce que nous savons, vous participez à des études régionales au Canada. Est-ce qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada coordonne une évaluation nationale des retombées dans toutes les régions sur les grands secteurs agricoles du Canada, les cultures aussi bien que l'élevage? Menez-vous une étude nationale complète comme ils le font aux États-Unis?

M. Bélanger: Nous n'avons pas de vision nationale pour l'instant. D'après la réorganisation de notre ministère, nous aurons un programme national sur le changement climatique qui intégrera toutes les recherches du ministère et abordera les questions d'impact et d'adaptation liées au changement climatique dans une perspective nationale.

Le président: Vous dites que le soya et le maïs sont des récoltes importantes dans l'est du Canada. Vous dites aussi que dans certaines régions, les agriculteurs pourraient cultiver de nouvelles récoltes grâce au changement climatique. Par exemple, on a dit que la culture du maïs et du soya pourrait devenir plus commune dans la région atlantique, même si l'on ne prévoit pas que les rendements augmentent à court terme, avant une vingtaine ou une trentaine d'années, comme vous le dites.

À votre avis, quand devriez-vous, vous le ministère ou le gouvernement du Canada, donner aux agriculteurs le signal de l'adaptation? Quand devraient-ils commencer à s'adapter? Quand faudrait-il lancer les nouvelles politiques gouvernementales pour qu'ils se préparent à ces changements qui vont être entraînés par le changement climatique?

M. Bélanger: C'est une bonne question, mais je ne suis pas sûr d'avoir la bonne réponse. Il faut être prudent. Le changement climatique ouvre d'excellentes perspectives de nouvelles cultures pour les producteurs de l'est du Canada, mais il ne faut pas qu'ils se lancent rapidement dans ces cultures car ils risqueraient de se trouver dans une situation délicate.

Encore une fois, ces changements se feront de façon progressive. Les producteurs savent très bien évaluer le bon moment pour commencer une nouvelle culture. Nous devons faire les bonnes évaluations, les bonnes recherches et le bon travail de développement pour être en mesure de leur fournir les bonnes informations au moment où les conditions seront réunies pour une nouvelle culture. Dans les 15 ou 20 prochaines années, nous allons assister à des changements de température et des changements climatiques importants. Je pense que d'ici 10 ou 15ans, les cultures vont commencer à évoluer.

Le président: Quand faudra-t-il lancer les nouvelles politiques publiques pour aider les agriculteurs et les exploitants forestiers à s'adapter aux changements climatiques? À quel moment faudrait-il dire aux agriculteurs et aux exploitants forestiers qu'il est temps de s'adapter?

M. Gameda: Les études nécessaires pour cela sont déjà en cours. Nous mettons sur pied des initiatives mixtes de recherche et de politique pour déterminer d'éventuelles stratégies d'adaptation et au besoin les instruments politiques nécessaires. Nous nous préparons pour cela.

Si vous me permettez une remarque, les agriculteurs s'adaptent généralement vite en fonction de leurs propres observations, et souvent ils n'attendent pas les signaux des politiques. Il y a probablement déjà des agriculteurs innovateurs qui font des essais de ces nouvelles cultures. Dans certaines conditions, ils prendront le risque de changer.

Je pense que notre rôle consiste à déterminer un enchaînement de stratégies d'adaptation. Ensuite, il appartient à nos collègues responsables des stratégies de déterminer dans quel domaine les agriculteurs vont avoir besoin d'aide.

Le sénateur Fairbairn: Merci à tous. Ce débat ce matin a été très important.

MonsieurBootsma, vous nous avez parlé de la réalité fluctuante de toute cette notion de «changements climatiques». Nous avons voyagé à travers le Canada, et le sénateur LaPierre a dit qu'il avait eu l'impression de détecter une hostilité à la science dans ma province, l'Alberta. Je voudrais le contester.

Je crois au contraire que dans toutes nos provinces, quelle que soit notre production ou la façon dont nous nous adaptons, il n'y a pas un groupe plus réceptif à la science de la production et du climat. Pourquoi avons-nous du boeuf d'aussi bonne qualité en Alberta? C'est en grande partie grâce au climat, mais aussi grâce à la science de l'élevage et de la production, à la qualité de l'alimentation et aux soins donnés à ces animaux. Quand nous étions en Alberta, nous avons visité une porcherie à Viking. C'était des agriculteurs de base, mais ils avaient un programme technologique époustouflant de récupération du fumier qui était traité au moyen d'un dispositif que ces deux personnes de Viking avaient mis au point. Ils récupéraient de l'eau propre qui pouvait être recyclée dans l'exploitation. C'est le genre de choses auxquelles les chercheurs aussi bien que les agriculteurs s'intéressent de près.

Quant à l'idée que tout le monde n'embarque pas dans l'idée du changement climatique, M.Bootsma devrait peut- être relire ce qu'il a dit. C'est très important. Nous avons toute une histoire de cycles de sécheresses et d'inondations avec des schémas qui se répètent. Comme l'a dit le sénateur Gustafson, certains de ces phénomènes cycliques semblent devenir plus fréquents et frapper avec une intensité croissante.

Il y aussi un autre élément dont nous devons tous nous occuper. Notre société industrielle influe depuis longtemps sur les cycles naturels de sorte que tous les bienfaits de cette industrie et tous ces résultats extraordinaires ont aussi eu un effet nuisible sur notre atmosphère et provoqué un changement du climat et de notre façon de vivre.

L'écart entre le cycle et ce changement est un des aspects du problème de communications auquel nous sommes confrontés en tant que chercheurs scientifiques et politiciens. Ce sont des choses dont il est difficile de parler et qui sont difficiles à expliquer, mais qui n'en sont pas moins réelles. Je suis convaincue que les agriculteurs de notre pays sont probablement plus sensibilisés que n'importe qui d'autre à cette question. C'est pour cela qu'ils réagissent parfois très vite, avant qu'on puisse élaborer une politique à Ottawa ou dans une capitale provinciale. Ils anticipent, parfois même sans en avoir pleinement conscience.

Je pense qu'il y a dans ce pays tout un instinct et tout un ensemble de compétences qui permettent aux gens de s'adapter, de changer et de comprendre. La seule façon de communiquer—et c'est un cheminement long et difficile que les politiciens ont parfois du mal à accomplir—est d'aller sur le terrain et à la source. Il faut s'adresser directement aux gens qui vont devoir s'adapter à toutes ces choses dont vous parlez dans vos excellents documents.

Je ne sais pas ce qu'il en est de mes collègues, mais notre discussion d'aujourd'hui m'a permis d'y voir plus clair qu'au cours des dernières semaines, et je vous en remercie. Je pense que ce qui est essentiel si nous voulons faire les choses correctement, c'est de bien comprendre qu'il ne s'agit pas soit de changement climatique, soit de cycles, mais bien de cycles et de changement climatique.

M.Bootsma: Je suis tout à fait d'accord avec ces remarques, et j'aimerais ajouter une ou deux choses.

Les agriculteurs sont confrontés à des variations climatiques d'une année sur l'autre qui sont très importantes pour eux. Il y a des situations anormales où il y a, par exemple, deux années successives de sécheresse. Ils sont régulièrement confrontés à ce genre de situation.

Je pense que toutes les recherches qui pourront les aider à mieux faire face à ces situations extrêmes les aideront aussi à s'adapter aux changements climatiques futurs.

En même temps, il faut bien comprendre que le changement climatique a été un phénomène très progressif jusqu'à présent. D'après les modèles, l'accroissement de la présence de CO2 et d'autres gaz à effet de serre dans l'atmosphère devrait contribuer à aggraver le phénomène, et c'est quelque chose dont nous devons nous préoccuper. Toutefois, pour l'instant, les agriculteurs peuvent s'adapter aux changements qui se produisent.

Il est très important que les producteurs et les responsables des politiques comprennent les risques et leur évolution. Il y a, par exemple, des producteurs qui veulent cultiver des hybrides de maïs sur une saison plus longue dans certaines régions de l'Ontario et du Québec parce que les températures ont été plus élevées que la normale ces dernières années. Est-ce que c'est une décision judicieuse?

Pour le savoir, il faudrait savoir si le risque d'avoir des saisons plus froides a diminué et si le changement climatique observé depuis dix ans va probablement se poursuivre. Nous avons besoin de faire des recherches pour comprendre s'il y a eu des changements importants pour que les agriculteurs puissent soit s'adapter à des hybrides cultivés sur une saison plus longue, soit attendre et continuer à cultiver leurs hybrides actuels pour ne pas risquer d'être en difficulté si nous nous retrouvons avec une saison froide.

Nous avons besoin de savoir si les risques vont évoluer au cours des cinq ou dix prochaines années. Ce sera un défi pour les chercheurs de publier cette information.

Le sénateur Gustafson: Quand nous étions dans l'Ouest, les agriculteurs nous interrogeaient régulièrement sur Kyoto et sur la façon dont fonctionneraient les crédits pour le carbone. Les autorités vont certainement se tourner vers les chercheurs, le monde agricole et d'autres secteurs de la société pour connaître leur avis.

Avez-vous des commentaires à ce sujet? Les agriculteurs estiment qu'il est très important que les éventuels crédits soient versés au compte des propriétaires fonciers car c'est là que les grands changements vont se produire. Par exemple, la culture continue est très en vogue, mais si l'on pratique systématiquement cette monoculture, les sauterelles semblent vous rattraper.

J'ai parlé à un membre du Congrès américain d'une région où ils avaient une certaine maladie du blé. Il m'a dit que la seule façon de régler le problème était de creuser la terre sur environ 25centimètres. Dans notre région, ce serait impossible parce qu'on détruirait complètement le sol en creusant aussi profond. Du moins, c'est ce que je pense.

Il faut bien réfléchir à ce qui va arriver et à la façon dont cela va arriver, si nous voulons faire correctement les choses dans le contexte de Kyoto et des crédits. J'aimerais votre avis à ce sujet.

M. Bélanger: Je ne suis pas un expert en puits de carbone. Vous avez rencontré certains de nos collègues à Lethbridge qui s'y connaissent mieux que moi sur cette question.

En général, tout ce qu'on peut faire pour réduire les gaz à effet de serre semble logique du point de vue économique pour les producteurs. C'est une nouvelle assez rassurante en général. Mais je ne suis pas en mesure de vous répondre sur les puits de carbone car je ne suis pas un expert.

Le sénateur Gustafson: Je crois que notre ministre de l'Agriculture a répondu de façon très positive, du moins à Saskatoon. Sans entrer dans les détails, il a dit qu'on pensait généralement que l'idéal était probablement que les crédits aillent aux producteurs ou aux propriétaires fonciers. Ce sera une des importantes décisions à prendre à l'avenir.

[Français]

Le sénateur Ringuette: Premièrement, votre ministère échange-t-il avec le ministère du Développement des ressources humaines?

Deuxièmement, suite à ces échanges, développerez-vous un modèle où les recommandations renchériront ou mitigeront l'impact de l'un par rapport à l'autre selon le cas? Vous semblez bien connaître notre région, Grand-Sault, Saint-André, Drummond, Florenceville. La plupart des cultivateurs de pommes de terre sont aussi propriétaires de lots boisés. La relation intime qui existe entre les deux secteurs est constante. Dans vos analyses, vos recherches et vos consultations, ces deux secteurs d'activité sont-ils jumelés?

M. Bélanger: Les travaux que nous avons faits concernaient le secteur agricole. Nous avons donc essayé de faire une évaluation des impacts potentiels du changement climatique sur la production agricole, puisque c'est notre domaine d'expertise. Vous posez une question très intéressante, mais c'est une question que je n'ai pas étudiée personnellement.

Il s'agit de voir l'impact des changements climatiques sur le monde agricole et la société en général. C'est le jeu de toutes ces interactions entre les différents types d'activités, qu'elles soient forestières ou agricoles. Nous n'avons pas étudié cela. C'est sûrement un aspect intéressant, qui vaut la peine d'être étudié. Des travaux sont peut-être actuellement en cours au Canada sur cela.

Le sénateur Ringuette: Ma question visait surtout les efforts que vous faites auprès du ministère et les efforts que fait sûrement le ministère du Développement des ressources humaines sur le plan de la foresterie et de l'agriculture. Il y a peut-être des moyens de mitiger l'impact du changement climatique, moyens qui pourraient être utilisés dans le secteur forestier et qui seraient utiles pour l'agriculture et vice-versa.

M. Bélanger: C'est difficile de répondre. La nouvelle structure du ministère, en train d'être mise en place, permettra de répondre à ce genre de questions de façon beaucoup plus efficace, créant une plus grande interaction des ministères entre eux sur le plan national et des liens plus étroits. Cette interactivité est très positive, en ce sens, pour répondre à ce type de questions qui affectent les communautés rurales. Notre expertise est beaucoup plus scientifique et touche un domaine particulier, mais le type d'interaction que vous décrivez est important et devra être étudié.

[Traduction]

M. Gameda: En ce qui concerne l'utilisation des terres, certains de nos collègues travaillent avec des groupes d'exploitants forestiers en particulier pour voir ce que le changement climatique pourrait donner dans certaines zones voisines ou pour voir si l'on pourrait planter des forêts dans des terres qui sont considérées comme marginales. Nous travaillons aussi sur des techniques comptables pour examiner l'utilisation des terres et voir comment on peut faire davantage appel à diverses technologies — il y aurait par exemple des choses comme la télédétection, et nous collaborons avec nos collègues du secteur forestier à cet égard.

[Français]

Le sénateur Ringuette: Suite à ces commentaires, j'aimerais faire une suggestion. Il serait intéressant de recevoir le témoignage de ce groupe qui étudie les liens entre les deux secteurs.

[Traduction]

Le président: Pour conclure, monsieur Gameda, je voudrais vous poser une question. En réponse à ma question tout à l'heure au sujet de cultures comme le maïs et le soya qui progressent maintenant vers le Canada atlantique en raison du changement climatique, vous avez dit que vous travailliez actuellement sur des modèles et que vous faisiez des études sur les effets du changement climatique dans ce domaine.

Quand aurons-nous les premiers résultats de ces études et ces nouveaux modèles? Quand pensez-vous avoir les résultats de ces études pour pouvoir dire aux agriculteurs quand ils devront être prêts à faire les changements nécessaires pour faire pousser, par exemple, du soya à haut rendement dans le Canada atlantique?

M. Gameda: Nous travaillons sur une série d'étapes dans ces domaines. Actuellement, nous élaborons des scénarios de changement climatique sur une base annuelle. Nous pouvons ainsi simuler la variabilité que nous devrions pouvoir obtenir avec les scénarios de changement climatique que nous proposent quelques-uns de nos modèles climatiques.

À partir de cela, nous allons devoir élaborer des informations climatiques quotidiennes. Nous les comparerons à nos modèles de production et de récoltes. Nous pensons avoir nos modèles de scénarios dans une perspective climatique au cours de notre prochain cycle d'étude — deux ou trois ans, après cela. Le travail préliminaire pourrait même commencer dès que nous aurons une partie des résultats préliminaires.

Nous pensons qu'il nous faudra un cycle de deux études sur deux périodes de deux à trois ans pour réussir. C'est comme cela que nous avons fonctionné jusqu'ici et que nous allons continuer.

Le président: C'est peut-être le sénateur Fairbairn qui a le mieux dit ce que ce débat d'aujourd'hui nous a apporté pour notre étude. Vous avez répondu à de nombreuses questions délicates et vous nous avez apporté de nombreuses informations nouvelles qui vont compléter ce que nous avons entendu non seulement ici, mais aussi dans l'Ouest.

La séance est levée.


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