Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 16 - Témoignages du 6 mai 2003
OTTAWA, le mardi 6 mai 2003
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 18 h 15 pour étudier l'impact des changements climatiques sur l'agriculture, les forêts et les collectivités rurales au Canada et les stratégies d'adaptation possibles.
Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président: Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue ainsi qu'à nos témoins et aux gens qui nous écoutent sur Internet.
[Traduction]
Au cours des dernières semaines, nous avons entendu divers témoins nous expliquer la science du changement climatique en mettant l'accent tout particulièrement sur les mesures d'adaptation. Ce soir, nous avons invité trois témoins pour qu'ils nous parlent de leurs projets de recherche sur les effets du changement climatique sur la sylviculture et l'agriculture.
M. Brian Stocks est chercheur principal au Centre de foresterie des Grands Lacs du Service canadien des forêts. M. Stocks est membre du Réseau de recherche sur les feux de forêt. Il étudie le lien existant entre le climat mondial et les feux de forêt, ainsi que les aspects liés aux politiques de la recherche sur le changement climatique.
M. Roger Cox est botaniste au Centre de foresterie de l'Atlantique du Service canadien des forêts. M. Fox fait des recherches sur les réactions des forêts au stress posé par le climat, la santé des forêts et la biodiversité.
Après M. Stocks et M. Cox, nous entendrons M. Christopher Bryant, qui est professeur au département de géographie de l'Université de Montréal. L'un de ses principaux domaines de recherche est l'adaptation de l'agriculture au changement climatique et il travaille avec d'autres de ses collègues de l'Université de Montréal sur cette question particulière.
J'invite maintenant M. Cox à faire sa présentation, qui sera suivie de celle de M. Stocks.
M. Roger Cox, chercheur scientifique, Service canadien des forêts, Ressources naturelles Canada: Je représente les scientifiques du Centre de foresterie de l'Atlantique du Service canadien des forêts. Notre programme de recherche concerne entre autres le changement climatique, les mesures d'adaptation et les conséquences de ce changement. Notre centre compte 45 chercheurs et chefs d'étude, 67 agents de soutien scientifique et 19 responsables de l'administration.
Nous sommes rattachés à la Direction générale des sciences et nous menons nos travaux par l'entremise d'un système de cinq réseaux nationaux axés sur des résultats cibles: la recherche sur le changement climatique et les feux de forêt; l'amélioration de la production et la protection des forêts; les processus des écosystèmes forestiers; la santé des forêts et la biodiversité; et la synthèse des connaissances et de l'information. Ce sont nos principaux domaines de recherche. C'est le centre de recherche sur la santé des forêts et la biodiversité des Maritimes qui pilote l'ensemble du programme.
Mon intention est de vous présenter ce programme qui a été lancé en 1991 et qui est axé actuellement sur les impacts, l'adaptation et la modélisation, la comptabilisation et l'atténuation du carbone et les collectivités forestières. Je conclurai mon propos par quelques remarques.
Les ressources totales de l'établissement partagées entre Terre-Neuve et le Nouveau-Brunswick sont de 17,1 millions de dollars. Le programme du changement climatique correspond à 8 ETP et à un demi-million de dollars de F et E. Quarante pour cent du personnel affecté au changement climatique est inclus dans ce programme ainsi que 60 p. 100 du financement axé sur les impacts et l'adaptation.
Les recherches actuelles sur les impacts et l'adaptation incluent l'évaluation et la surveillance des changements dans les forêts ainsi que l'impact du changement climatique sur la santé et la productivité des forêts. Par exemple, nous étudions la santé des forêts dans des zones forestières de l'est du Canada. Comme vous pouvez le voir sur notre document, il y a une série de zones où nous surveillons les niveaux d'ozone, entre autres choses, pour déterminer le lien avec la santé des arbres de ces zones particulières.
Nous nous intéressons aussi aux variations des infestations d'insectes dans les provinces Maritimes avec pour objectif la création d'une base de données. Le tableau de gauche vous indique l'incidence de la spongieuse dans la région des Maritimes depuis l'État du Maine jusqu'au sud du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse. Nous pensons que c'est le résultat d'une augmentation des températures minimales qui permet à un plus grand nombre d'oeufs de survivre pendant l'hiver.
Nous étudions aussi au moyen de la télédétection la croissance et la structure des forêts et nous travaillons sur un indicateur spectral de la vigueur du sapin baumier dans le cadre de la Stratégie nationale sur la cartographie de la biomasse au Canada ainsi que sur le développement de méthodes d'évaluation et de cartographie de la biomasse des forêts.
Cela nous permet de comparer ces images de télédétection avec l'inventaire forestier afin d'identifier les espèces, les peuplements et la productivité. Nous faisons aussi des manipulations expérimentales.
En partenariat avec les États-Unis au Wisconsin, nous participons à une expérience de fumigation à l'air libre du tremble, du bouleau et de l'érable avec des concentrations différentes de CO2 et d'ozone dans des combinaisons différentes. Ce projet nous permet de répondre à certaines questions comme: la fertilisation par le CO2 est-elle limitée par une augmentation de la teneur en ozone? Quels sont les effets d'une limitation de la teneur en azote ou la sécheresse sur ces espèces?
Plus la recherche avance et plus les réponses deviennent claires. Il semble qu'une augmentation de la teneur en gaz carbonique causée par l'ozone neutralise la croissance prévue de production. En d'autres termes, l'ozone tend à limiter les avantages d'une augmentation des niveaux de gaz carbonique en termes de productivité.
Après quatre années d'expérience, une limitation de l'azote ne semble avoir aucune conséquence. Il y a des signes de changement du bilan hydrique dus à la fois au gaz carbonique et à l'ozone.
Ce projet nous permet de déterminer aussi de quelle façon une augmentation du CO2 modifie les interactions entre les insectes et les maladies. Il est possible qu'à un certain niveau les insectes ne puissent plus reconnaître et envahir les espèces ordinairement hôtes. Il y a un changement au niveau des caractéristiques chimiques qui rend les espèces hôtes plus ou moins attirantes.
Les gains de productivité procurés par le gaz carbonique tendent à neutraliser les effets des concentrations d'ozone dans l'atmosphère. Le résultat net au niveau de la productivité est infime, mais il est possible qu'il y ait un petit changement au niveau de l'interaction des parasites et des insectes avec les plantes. Il est possible que le changement climatique nous apporte des surprises.
Nous nous intéressons aussi à la cartographie du dépérissement historique des arbres relativement à la fonte hivernale. Nous avons conclu à une augmentation de la fréquence des fontes biologiquement pertinentes suivies de nouveaux gels.
Certains indices nous permettent de croire que c'est un tel événement qui a entraîné en 1936 le dépérissement du bouleau dans les Maritimes et en Ontario. Ces fontes sont particulièrement dangereuses au-delà d'un certain seuil où ces espèces sont victimes d'un nouveau gel. Le tableau en couleur tout à fait à droite vous indique une zone de nouveaux gels après le dégel de 1945 qui correspond à certains des épisodes observés au dépérissement constaté après cet événement.
Nous sommes en train de mettre au point des évaluations des risques dans le cadre de scénarios de changement climatique. Nous avons vérifié avec les données météorologiques de l'époque, mais nous mettrons au point une évaluation des risques prévisibles sur la base des changements climatiques futurs afin de pouvoir prédire le risque de dépérissement de certains feuillus adaptés au Nord.
Nous avons fait cette expérience avec le bouleau qui est une espèce résistante au gel. Nous avons mené des expériences qui produisent un dépérissement. Nous savons quelles durées de fonte déclenchent le dépérissement et ce que le niveau de fontes accumulées suivies d'un regel peut faire aux plantes.
Les tableaux de droite correspondent à la fonte de 1935-1936 qui est à l'origine du dépérissement du bouleau. Vous pouvez voir dans la colonne sur les risques de gel des pousses que les effets d'un gel tardif sur les pousses de bouleau montrent qu'il y avait un grand risque de dégât à la fin de l'hiver.
Pour les racines, l'intersection des lignes indique qu'une fonte prématurée a affecté les racines. En 1935 et 1936, il y a eu deux événements, le premier a affecté les pousses et le deuxième, les racines de ces arbres. Les conséquences ont été assez vilaines et ont correspondu à une période de dépérissement de l'espèce pendant au moins une décennie.
Le président: Je ne suis pas sûr de comprendre ce risque de gel des racines. Je suis en train de regarder les trois cartes. La seule différence que je peux voir dans les lignes pointillées c'est que tout de suite après mars et mai, cela monte d'un seul coup. Je ne sais pas comment l'interpréter.
M. Cox: La ligne du haut correspond aux températures et les lignes en pointillé correspondent aux courbes de résistance au gel. Les intersections se voient très bien même en noir et blanc. Il y a un risque de dommage pour les pousses ou les racines à l'endroit où ces lignes se coupent.
Nous menons aussi dans nos centres un projet de génomique de l'épinette et d'adaptation au changement climatique. Nous soumettons des arbres de semis au stress du déplacement dans des abris qui font monter tout autant la température que le stress hydrique. Nous pouvons contrôler les températures et le stress hydrique dans ces chambres. Nous pouvons sélectionner des arbres de semis individuels qui résistent à diverses combinaisons d'eau, de stress et de température. Nous pouvons déterminer les effets sur les relations hydriques, les échanges gazeux, la discrimination des isotopes de carbone, la tolérance au gel, les relations par rapport aux éléments nutritifs et l'utilisation efficace de la lumière.
Nous connaissons les effets physiologiques de sélection de ces arbres de semis individuels dans ces environnements difficiles. Nous les plantons alors dans une série de parcelles de pratiques forestières différentes pour voir quelles combinaisons de pratiques forestières ou de techniques de plantation utilisant des coupes strictes sont plus favorables à l'établissement de ces arbres de semis dans des régimes de température différents. Cela nous permettra de déterminer les meilleures méthodes pour faire face au changement climatique.
Nous étudions en plus la comptabilisation et l'atténuation du carbone. C'est le programme Fluxnet Canada auquel nous participons activement avec l'Université du Nouveau-Brunswick. Nous installons des tours pour mesurer les échanges de dioxyde de carbone, de chaleur et d'eau dans des forêts matures et perturbées situées dans des écorégions importantes partout au Canada. Sont inclus les écorégions ou les écodistricts du Nouveau-Brunswick.
Nous essayons de déterminer les rapports entre les sources et les puits de dioxyde de carbone dans des contextes de pratiques forestières différentes et dans des formations différentes. Nous essayons de mesurer les effets des pratiques forestières sur la capacité des forêts à se transformer en puits pour le dioxyde de carbone dans l'espoir de pouvoir développer des techniques accroissant la capacité de puits de la forêt.
Un autre aspect de la comptabilisation du carbone et de son atténuation est l'étude de faisabilité sur le reboisement comme mode de piégeage du carbone en partenariat avec la Nova Scotia Power Incorporated. Nous vérifierons les mesures incitatives et les mécanismes nécessaires pour permettre le reboisement des terres privées. Plusieurs programmes incitatifs sont en cours pour essayer d'intéresser les propriétaires de terrains boisés à se préparer pour le changement climatique.
Le Réseau de forêts modèles du Service canadien des forêts travaille aussi à l'élaboration et à l'essai d'un modèle générique de comptabilisation du carbone en collaboration avec l'équipe de comptabilisation du carbone du SCF. L'objectif est de favoriser l'application étendue de ce modèle par les aménagistes et les utilisateurs intéressés, à l'échelle nationale et internationale.
Nous nous intéressons aussi aux impacts climatiques sur les collectivités forestières. Il y a peu d'études sur la question pour le moment mais le changement climatique peut entraîner des chablis majeurs.
Les ouragans sont fréquents sur la côte est des Maritimes. À l'occasion, les vents sont très forts. Ces coups de vent peuvent avoir sur la forêt l'effet montré par la photographie. Cette photo a été prise en 1994 aux monts Christmas où le vent a abattu 30 millions d'arbres qui avaient une valeur marchande d'environ 100 millions de dollars.
Plus de deux millions de mètres cubes de bois ont été récupérés pendant cette opération qui a duré trois ans. Trois années de coupe admissible ont été récupérées par tous les principaux détenteurs de permis du Nouveau-Brunswick sur une période de trois ans. L'impact sur la collectivité locale a été important, mais la durabilité de cette forêt pose désormais un problème en termes de maintien de l'emploi dans cette région. Si à court terme la région y a beaucoup gagné, il est plus douteux qu'à long terme cette source de revenus se maintienne.
Il est possible que les effets de ce type d'événements extrêmes sur la collectivité augmentent suite à l'accroissement énergétique du cycle hydrologique. Nous nous attendons à ce que ce genre d'événements se multiplie.
Le Centre de foresterie de l'Atlantique, le CFA, effectue des recherches sur le changement climatique depuis le début des années 90. Les changements dans la variabilité et la saisonnalité du climat devraient être plus importants pour les forêts de l'est du Canada que les augmentations de la température moyenne. Les impacts potentiels incluent une modification de la distribution et de la concentration des populations d'insectes et des maladies; une modification et une réduction de la croissance et du rendement, un changement des espèces susceptibles d'entraîner des extinctions locales ou des extinctions d'espèces rares; une augmentation des espèces envahissantes et exotiques due aux changements des températures minimales; la survie des oeufs qui ne seront plus naturellement tués par le gel. Examiner tous ces problèmes se révélera certainement utile pour l'avenir.
Les impacts sur le secteur forestier, à savoir la réduction de l'approvisionnement en matière ligneuse et la modification des pratiques ainsi que l'incidence sur les produits forestiers non ligneux et les services, rendent la préservation et la gestion des aires protégées et des aires naturelles beaucoup plus difficiles. Il y a un déplacement du paradigme de l'éthique de la conservation dont il faut tenir compte. Les impacts subséquents sur la viabilité des collectivités forestières sont également importants.
Nos thèmes de recherche portent sur la réduction de l'incertitude concernant les impacts futurs, l'élaboration et la mise à l'essai de stratégies d'adaptation et d'atténuation et l'intégration des sciences biologiques, écologiques et des sciences sociales. L'avenir dépend de ces initiatives.
Le président: Nous allons maintenant passer à M. Stocks. Nous vous poserons ensuite des questions à tous les deux.
M. Brian Stocks, chercheur scientifique principal, Incendies de forêt et changement modial, Ressources naturelles Canada: Le Centre de foresterie des Grands Lacs, où je travaille depuis 35 ans, a des programmes analogues à ceux que vient de décrire M. Cox englobant le changement climatique et les disciplines forestières. Ils sont analogues à ceux dont on vous a parlé à Victoria et à Edmonton.
Ce soir, j'ai choisi de vous parler de la question des feux et du changement climatique car nous sommes persuadés que le changement climatique aura une incidence toute particulière sur les feux de forêt et la perte de carbone. Je me permettrai de vous décrire certains de nos projets.
Notre travail a commencé pendant les années 80 et a beaucoup progressé avec le Plan vert au début des années 90. Au cours des dernières années, depuis la mise en place du Fonds d'action pour le changement climatique, c'est ce fonds et le Plan d'action 2000 qui financent une grande partie de nos projets de recherche.
Nous avons réuni une équipe incluant des responsables provinciaux et une participation interministérielle. Nous travaillons sur ce problème depuis déjà un certain temps. Nous avons également conclu un certain nombre d'accords de recherche avec plusieurs provinces qui participent ainsi au financement de nos efforts.
Comme vous pouvez le voir, ce document porte le nom de plusieurs auteurs. Nous travaillons tous ensemble.
Je vais commencer par vous donner un aperçu de nos activités relatives aux feux de forêt en zone circumboréale. On vous en a peut-être déjà parlé à Edmonton. Nous estimons que la superficie qui brûle chaque année dans la zone boréale du Canada, de la Russie et de l'Alaska se situe aux alentours de 5 à 15 millions d'hectares. Cela varie énormément d'une année à l'autre.
Si vous voulez bien regarder le graphique en bas en gauche, vous remarquerez qu'au Canada et en Alaska, les superficies brûlées suivent un cycle très épisodique et varient grandement d'une année à l'autre. En Russie, le cycle semble plus constant. Les statistiques russes ne sont pas du tout fiables. Elles ont été délibérément modifiées dans le passé. Elles sont probablement 5 ou 10 fois supérieures à ce que vous voyez sur ce graphique. Nous essayons d'avoir des renseignements plus fiables en recourant à la télédétection.
Les principaux catalyseurs du feu en forêt boréale sont le climat continental, les conditions météorologiques extrêmes qui intensifient le danger de feu, les foyers d'incendie multiples provoqués par les orages électriques, et les forêts à couvert fermé qui ont besoin du feu pour se régénérer.
Pourquoi les incendies en forêt boréale sont-ils importants? Ce sont un des principaux régimes de perturbation naturelle avec les infestations d'insectes dans les forêts boréales canadiennes et dans les forêts boréales du monde. Ils sont essentiels au maintien de l'écosystème. En d'autres termes, il faut un certain nombre de feux de forêt pour conserver les forêts, pour maintenir le cycle du carbone et la biodiversité.
Le feu est sensible au changement climatique. L'impact sur le bilan du carbone est majeur dans la mesure où 40 p. 100 du carbone terrestre est emmagasiné en zone boréale.
Permettez-moi de signaler certaines des caractéristiques des feux en forêt boréale: consommation élevée du combustible par comparaison aux feux de savane en Afrique ou en Amérique du Sud; vitesses de propagation rapides et intensités importantes et soutenues — les feux se consument longtemps; conséquence: colonnes de convexion s'élevant très haut jusqu'à la haute troposphère, voire dans la première couche de la stratosphère; potentiel de transport à grande distance de la fumée — la fumée des feux canadiens venant renforcer la fumée des feux sibériens étant tout à fait possible.
Les statistiques canadiennes sur les feux de forêt sont incomplètes avant 1970. De grandes parties du nord du pays échappaient à toute surveillance. Depuis 1970, avec la télédétection, nous sommes pratiquement certains d'avoir des chiffres complets.
Plus on retourne en arrière, plus il y a d'incertitude. Aujourd'hui, la moyenne est de 7 000 à 8 000 incendies par année détruisant 2,8 millions d'hectares.
Le coût de la gestion du feu au Canada est d'environ 500 000 $ par année. Cela varie également d'une année à l'autre.
La superficie brûlée est de nature très épisodique et peut varier entre 700 000 hectares une année et plusieurs millions d'hectares une autre année.
Sur cette diapositive je mentionne la question du niveau de protection. Le point c'est que les gestionnaires du feu canadiens doivent protéger les ressources; pas seulement les ressources de l'industrie forestière mais également les ressources communautaires et récréatives. Ils essaient aussi d'inclure l'action naturelle du feu partout où c'est possible pour promouvoir la biodiversité et le maintien des écosystèmes.
La foudre n'est responsable que de 35 p. 100 des incendies, mais elle est responsable de 80 p. 100 des superficies brûlées parce qu'elle touche plus souvent des régions éloignées.
Seuls 3 p. 100 des feux au Canada dépassent les 200 hectares. C'est le chiffre que nous utilisons dans notre banque de données dont je parlerai tout à l'heure. Le reste est rapidement circoncis; cependant, ces 3 p. 100 de feu qui dépassent les 200 hectares comptent pour 97 p. 100 des superficies brûlées.
La diapositive suivante est notre base de données sur les grands feux. Notre objectif est de regrouper le plus grand nombre de polygones d'information sur les feux dépassant les 200 hectares depuis 1950. Au milieu vous avez un exemple concernant le centre du Canada dans les années 80. Nous indiquons chaque fois la superficie brûlée, la cause, la date d'allumage et d'extinction du feu, tous renseignements qui nous sont donnés par les organismes de gestion des feux de forêt des différentes provinces et des différents territoires. Il y a une mise à jour annuelle et nous essayons de remonter dans le temps avec l'imagerie satellitaire. L'image satellitaire que vous voyez à droite représente le début des années 70 et indique un certain nombre de feux de forêt qui ne sont pas inclus dans les chiffres de cette époque pour le grand Nord canadien. Nous essayons de remonter dans le temps et d'améliorer notre base de données.
La diapositive suivante porte sur les feux provoqués par la foudre et les feux d'origine humaine. Comme on peut s'y attendre, la majorité des feux provoqués par la foudre ont lieu dans le Nord. Si vous regardez la carte, les feux d'origine humaine ont lieu généralement le long des corridors de déplacement: Les routes, les chemins de fer, et cetera. Parce que quelqu'un est là pour les déclencher, généralement ces feux sont détectés plus rapidement et par conséquent sont contrôlés, généralement, plus rapidement avant qu'ils ne s'étendent. Les feux provoqués par la foudre, généralement, s'étendent beaucoup plus car ils sont déclenchés au hasard, la détection prend un peu plus de temps et parfois l'accès est aussi problématique.
Le graphique à droite montre que pour les 12 000 feux enregistrés dans cette base de données sur les grands feux, le nombre de feux provoqués par la foudre s'est accru au cours des dernières décennies.
La diapositive suivante porte sur les feux combattus et non combattus. On laisse brûler naturellement beaucoup de feux au Canada, surtout dans le Nord où ils ne menacent ni biens ni ressources. On les laisse donc remplir leur fonction naturelle. C'est aussi dans des zones où le bois n'est pas commercialisable; donc dépenser beaucoup d'argent pour éteindre ces feux n'a pas beaucoup de sens. D'après notre base de données sur les grands feux, environ 50 p. 100 de la superficie brûlée au Canada au cours des 30 dernières années est le résultat de cette non-intervention délibérée.
Dans la diapositive suivante, la répartition des classes de superficie de la Base de données sur les grands feux par écozone montre que la superficie brûlée la plus importante se situe dans les zones de la forêt boréale et de la taïga du centre-ouest du Canada où les feux sont souvent non combattus et où les conditions climatiques sont les plus propices au feu. Le graphique en bas à droite vous montre que malgré leur fréquence moindre, les feux des classes de superficies plus importantes représentent la majeure partie de la superficie brûlée. Généralement, c'est une petite partie des grands feux qui chaque année alimentent les statistiques de «superficie brûlée» du pays.
Une des autres questions à laquelle nous nous sommes intéressés est la libération de carbone par le feu. D'après notre base de données sur les grands feux qui remonte à 1959, nous avons calculé une libération directe dans l'atmosphère d'environ 27 Gt de carbone par an, c'est-à-dire environ 20 p. 100 de nos émissions de combustible fossile. Le graphique en bas à gauche vous montre que pendant les années où il y a eu le plus d'incendies, quand près de 7 millions d'hectares ont brûlé, c'est pratiquement équivalent au point limite d'émissions de combustible fossile.
Un point important, les forêts plus jeunes, après avoir brûlé, sont des puits de carbone plus faibles que les forêts mûres et leur rétablissement complet après un feu prend de 20 à 30 ans. Nous l'avons confirmé à partir des mesures prises par les tours de flux, par avion et par satellite. S'il y a plus de feux à l'avenir, il y aura plus de jeunes peuplements et ils ne piégeront pas le carbone autant que les peuplements mûrs qu'ils remplacent pour piéger le carbone.
À la page suivante, vous avez les perturbations et le bilan du carbone. Le graphique en haut à gauche donne les courbes pour les coupes à blanc, les feux et les insectes. Il montre une augmentation des perturbations naturelles après 1970, surtout au niveau des feux et des insectes. Le niveau d'exploitation est resté à peu près le même et vous pouvez voir dans le graphique en bas à droite ce qui arrive quand on le convertit en bilan de carbone. Il y a une diminution correspondante de l'importance des puits de carbone des forêts canadiennes après 1970. Nous sommes entrés dans une phase où, année après année, en fonction du nombre de perturbations naturelles, il y a constitution soit d'un puits modéré soit d'une source modeste de carbone relâché dans l'atmosphère. Ce n'est pas un puits dont on peut véritablement dépendre.
Dans la diapositive suivante, nous avons mesuré les dangers de feu saisonnier et la durée de la saison des feux pour essayer d'avoir une petite idée des niveaux de danger accrus répartis géographiquement. Vous pouvez voir qu'il y aura augmentation du danger de feu saisonnier de 50 à 100 p. 100 d'ici environ 2090. La saison des feux s'allongera aussi de 10 à 50 jours toujours en fonction de la géographie. Pour faire ces calculs, nous utilisons les modèles de circulation générale et les modèles de prévision climatique actuellement disponibles.
Bien évidemment, pour les impacts prévus du feu, nous utilisons tous les scénarios de changement climatique existants. On s'attend à une augmentation des conditions météorologiques propices aux feux. Comme M. Cox l'a mentionné, nous prévoyons pour l'avenir une atmosphère beaucoup plus chargée, conséquence du réchauffement et d'une activité convective accrue. Nous prévoyons une augmentation de la fréquence et de la gravité des feux de forêt, tout particulièrement une multiplication des feux provoqués par la foudre. Les impacts prévus devraient logiquement correspondre à une augmentation de la superficie brûlée, à une périodicité réduite des incendies et à un rajeunissement de la structure des classes d'âge. Il devrait y avoir déplacement des limites des écosystèmes et de la végétation. Tout le monde a entendu parler des espèces qui migrent vers le Nord chassées par le changement climatique. Il devrait en fin de compte y avoir diminution du stockage terrestre du carbone avec des impacts sur l'industrie forestière, les collectivités, la santé et la pollution.
Nous prévoyons une réponse positive au changement climatique dans la mesure où cette recrudescence d'incendies libérera plus de gaz à effet de serre dans l'atmosphère. L'atmosphère s'en trouvera réchauffée, ce qui provoquera encore plus d'incendies.
Il est nécessaire de quantifier les impacts pour évaluer nos options. Certaines de nos dernières propositions correspondent à des mesures d'adaptation à nos problèmes.
Nos efforts de recherche actuels portent sur les impacts et les mesures d'adaptation nécessaires en collaboration avec les provinces et les territoires. Dans le passé, nous avons été financés en grande partie par le Plan vert; aujourd'hui nous sommes financés par le Plan d'action 2000, le Fonds d'action sur le changement climatique et différents accords de recouvrement des frais avec les gouvernements provinciaux.
Enfin, que faisons-nous pour répondre à l'accroissement du nombre et de l'intensité des feux de forêt? C'est là quelque chose dont nous essayons de discuter régulièrement avec les pouvoirs publics provinciaux et territoriaux.
Sur le plan local, nous parlons de programmes de protection des collectivités comme FireSmart et de ce qu'on peut faire pour mieux protéger la communauté et les habitations contre les feux de forêt. Je pense que lorsque vous étiez à Edmonton, on vous a montré le manuel FireSmart.
Sur le plan régional, nous avons commencé à mettre en place des projets pilotes de coupe-feu pour essayer de rompre la continuité du combustible afin de limiter les effets du feu sur la production de matière ligneuse et d'empêcher la propagation des incendies. Nous procédons à un certain nombre d'études sur l'efficacité du niveau de protection pour essayer de déterminer ce que coûte le maintien du statu quo.
S'agissant de l'augmentation prévisible du risque d'incendie, lorsqu'on songe à ce que coûte la lutte contre les incendies dans l'état actuel des choses, la conclusion logique est que la réponse n'est pas de continuer à dépenser de plus en plus d'argent pour combattre les feux de forêt. La loi des rendements décroissants s'applique en effet ici aussi. Souvent, ces incendies majeurs surviennent dans des conditions extrêmes avec tellement de foyers de combustion que n'importe quel organisme d'intervention se trouverait rapidement dépassé, peu importent ses moyens.
À l'échelle nationale, nous savons qu'il nous est impossible d'atténuer les impacts du feu dans l'ensemble de la forêt boréale, et nous savons également que ce n'est pas cela que nous voulons faire. Ce serait en effet à la fois économiquement impossible et écologiquement indésirable. Nous allons nous adapter et nous allons probablement, au fur et à mesure, intervenir en fonction des valeurs menacées. Nous allons faire de notre mieux pour élaborer ces stratégies et évaluer l'impact de l'augmentation du nombre et de l'intensité des feux de forêt afin que les décideurs provinciaux et fédéraux puissent en tirer parti. Je vous remercie.
Le président: Monsieur Stocks, vous avez dit trois fois dans votre présentation que les incendies de forêt étaient un phénomène naturel. C'est quelque chose à quoi on doit s'attendre dans la nature et, selon vous, il faut laisser ces feux remplir leur fonction naturelle. Vous avez dit que ces feux de forêt étaient nécessaires pour favoriser la biodiversité et la protection de l'écosystème. En fait, vous nous dites que certains feux de forêt sont une bonne chose et que nous en avons besoin.
Pourriez-vous nous en dire un peu plus long à ce sujet afin que les choses soient claires? Pour quelles raisons surtout ne devrions-nous pas éteindre ces feux de forêt et pourquoi avons-nous besoin de ceux-ci?
M. Stocks: Précisément pour ces raisons-là. Avant l'arrivée de l'homme qui a commencé à réclamer sa part des forêts pour les loisirs, le tourisme ou l'exploitation forestière, c'était le feu qui recyclait la forêt. La forêt s'est adaptée aux feux à tel point que, sans incendies de forêt, la forêt ne se régénérerait pas bien. Lorsque nous arrivons et que nous décidons d'exploiter le sol et de le cultiver, nous remplaçons en fait le feu par le défrichage. C'est un effet de l'activité humaine dont il faut tenir compte parce que, tout d'un coup, l'homme plante toutes sortes de choses qui représentent parfois une biodiversité très différente de celle de la forêt naturelle. Cela, nous pouvons l'accepter. Nous voulons également que les incendies de forêt naturels surviennent autant que possible dans les régions vierges, pas simplement dans le Grand Nord où les préjudices sont faibles, mais également dans les parcs naturels. Parcs Canada d'ailleurs provoque un certain nombre d'incendies contrôlés de grande envergure précisément pour améliorer la biodiversité et préserver le cycle naturel du carbone.
S'agissant toujours des feux de forêt, les deux côtés de la médaille ont d'excellentes raisons d'être: il faut combattre les feux de forêt là où ils menacent des localités ou des industries, mais il faut également reconnaître et faire reconnaître par la population qu'il est essentiel d'avoir un certain nombre de feux de forêt naturels pour que ces écosystèmes conservent toute leur intégrité.
Le sénateur Ringuette: Quel est le meilleur piège à carbone, les feuillus ou les conifères?
M. Cox: Tout dépend de la variété et de l'âge de la forêt. Il faudrait faire la distinction entre les essences, l'âge des arbres et l'état du site. Je ne saurais vous dire lesquels représentent le meilleur piège à carbone. Tout dépend de la composition de la forêt, de l'écosystème, du genre de sol et ainsi de suite.
Le sénateur Ringuette: D'accord, c'était une réponse rapide.
Vous avez parlé d'un réseau de forêts modèles. Chez moi, il y a une forêt modèle de conifères et il y aura bientôt aussi, si ce n'est déjà fait, une forêt modèle de feuillus. Je viens du nord-ouest du Nouveau-Brunswick. Ces deux forêts modèles font-elles partie du réseau dont vous nous parliez?
M. Cox: Je ne saurais vous le dire. Au Nouveau-Brunswick, la forêt modèle se trouve dans le sud, mais je pense également qu'on a commencé à en créer une dans le nord. Je ne connais pas très bien les détails.
Le sénateur Day: Cela fait partie de l'Université de Moncton à Edmundston qui a toute une série de boisés.
Le sénateur Ringuette: Mais font-ils partie de votre réseau?
M. Cox: J'imagine, oui.
Le sénateur Day: Mais pas pour l'instant.
M. Cox: Ont-ils demandé à ce que cette forêt soit considérée comme forêt modèle? Le savez-vous?
Le sénateur Ringuette: Il faut que je vérifie.
Pour en revenir aux essences qui constituent un meilleur piège à carbone, d'après ce que vous nous avez dit, je dois conclure qu'une forêt naturelle est un meilleur piège à carbone qu'une forêt artificielle homogène.
M. Cox: Tout dépend de l'âge des arbres. Comme le laissait entendre M. Stocks, lorsqu'on commence à faire un boisement, le piège à carbone est plus faible qu'il ne le sera 20 ou 30 ans plus tard lorsque les arbres ont poussé et forment un couvert végétal qui retient le dioxyde de carbone. Tout dépend de l'âge des arbres qui composent la forêt, beaucoup plus que de sa composition, feuillus ou conifères.
Le sénateur Ringuette: Au Nouveau-Brunswick, quelles sont les régions qui sont à l'étude ou envisagées pour votre modèle?
M. Cox: Dans mon étude sur le dépérissement, j'étudie tout le territoire d'implantation du bouleau jaune et du bouleau blanc, ce qui inclut le Nouveau-Brunswick et va jusqu'en Ontario. Nous sommes d'ailleurs en train de cartographier le dépérissement du bouleau en fonction de l'évolution climatique. Nous avons recours aux statistiques historiques relatives au dépérissement pour corroborer le modèle, et nous utiliserons ensuite ce modèle pour faire une évaluation des risques pour les climats futurs.
Le sénateur Ringuette: J'aurais une petite question à vous poser au sujet de l'élément communication des travaux de recherche en cours. Nous avons entendu de nombreux scientifiques qui étudient chacun un domaine spécialisé. Voici donc ma question: la communication, la centralisation de ce savoir à un seul endroit pour permettre ensuite sa diffusion aux utilisateurs, aux communautés et aux entreprises, votre service a-t-il un plan de communication dans ce sens?
M. Cox: Effectivement. Nous apprenons rapidement à améliorer nos moyens de communication, aussi bien par ordinateur que par des conférences données par les scientifiques dans les collectivités. Nous avons également eu très récemment une réunion sur le problème du changement climatique avec les représentants de l'industrie des pâtes et papiers de la Nouvelle-Écosse — c'était la semaine passée en fait. Nous commençons à rendre visite aux aménagistes forestiers et aux propriétaires de boisés pour essayer de les sensibiliser aux problèmes causés par le changement climatique.
Mais le genre de questions que vous posez ne se prête pas toujours à une réponse. En fait, nous ignorons tout tant que nous n'avons pas calculé les flux nets qui nous permettent de déterminer la capacité d'absorption d'un piège à carbone et donc de dire si telle ou telle forêt est un bon piège ou non. Dans certains cas, on peut le deviner en fonction du taux de croissance moyen de ces peuplements, mais cela ne nous dit rien au sujet du carbone. Est-ce que le carbone est associé à la croissance? Quelle est la quantité de carbone qui est absorbée? Quelle est la quantité qui est dégagée? Tant que nous n'aurons pas ces tours de flux net, ces bilans énergétiques, pour une large palette de pratiques forestières, pour des peuplements d'âge différent et des types de sol différents, nous ne pourrons pas déterminer avec précision le véritable lien de cause à effet entre la source et le piège.
Le sénateur Fairbairn: Voilà des mémoires fort intéressants. Moi je suis originaire de l'Ouest, du fin fond du sud de l'Alberta. Je sais que vous travaillez surtout au niveau de la région de l'Atlantique, mais je voudrais néanmoins vous poser à tous deux quelques questions qui, dans un certain sens, ne sont pas sans rapport avec la situation nationale.
Comme vous le savez sans doute, certaines parties de l'Ouest sont depuis plusieurs années victimes de graves périodes de sécheresse.
Maintenant, nous leur réservons une attitude presque stoïque. Au cours des dernières années, cette tendance s'est répandue partout au Canada. Au Labrador, en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick, on me parle des grandes sécheresses, des trois dernières années.
Cela a un effet marqué sur les collectivités agricoles. L'effet est aussi important sur les régions forestières de l'Atlantique. Après ce genre de changement climatique, il y a un risque d'incendie.
Pourriez-vous nous parler de cette interaction, au sujet des forêts du Canada atlantique? Si vous associez le stress découlant de la sécheresse pour l'agriculture et le stress pour les régions forestières découlant d'un changement climatique ou d'un incendie de forêt, que pouvez-vous dire de la situation dans l'Atlantique? Est-ce que cette menace existe surtout pour l'ouest du pays?
M. Stocks: L'incendie est un risque plus grave pour le centre-ouest du Canada, parce que les régions boucliers, particulièrement les régions boréales, ont davantage un climat continental. C'est dans cette région qu'on voit une plus grande augmentation des superficies brûlées.
Périodiquement, les provinces maritimes ont une année où les incendies sont importants. Mais la plupart du temps, quand on observe les incendies pour l'ensemble du pays, ce sont surtout le nord-ouest de l'Ontario et le nord du Québec, jusqu'aux Territoires du Nord-Ouest, qui sont touchés. Cela résulte en partie de la sécheresse.
On fait peut-être trop porter le blâme à la sécheresse, pour les incendies. Pour avoir des incendies majeurs, il suffit d'une ou deux semaines sans pluie. Une ou deux semaines sans précipitations rendent un endroit propice aux incendies de forêt.
Cela nous préoccupe quand on songe aux modèles présentés pour l'avenir. Il n'y a pas que l'augmentation de température, mais aussi la déstabilisation atmosphérique qui favorisera des phénomènes météorologiques extrêmes. Nous connaîtrons de graves sécheresses. Ailleurs, il y aura de graves inondations. On peut observer le record de précipitations, sans tenir compte d'une augmentation réelle des précipitations annuelles, dans un secteur donné.
Pour les incendies de forêt, le facteur critique, c'est la régularité des précipitations. S'il n'y a pas de précipitations régulières, on peut s'attendre à des problèmes. Dans les modélisations, on constate que des phénomènes extrêmes seront plus fréquents.
Du point de vue agricole, je comprends que la sécheresse soit un élément critique. Pour la plus grande partie de la forêt boréale et de la forêt tempérée au Canada, c'est un facteur que nous prenons en compte dans l'évaluation des dangers d'incendie, mais ce n'est pas le plus important, ni un facteur très réactif qui est surveillé quotidiennement.
C'est l'un des problèmes. Quand on pense au changement climatique, on pense au climat que l'avenir nous réserve. Or le climat, c'est la moyenne des conditions météorologiques pour une certaine période. Ce sont les conditions météorologiques qui déterminent les risques d'incendie, non le climat.
Ces modèles nous donnent une idée d'ensemble du climat, et non des conditions météorologiques quotidiennes que nous vivrons. Cela ne risque pas de se produire de sitôt. Nous sommes forcés de recourir à l'interpolation, à partir de modèles couvrant de grandes périodes, sans la résolution temporelle précise que nous souhaiterions. On s'efforce d'extrapoler, pour les incendies, au quotidien. C'est difficile.
Nous essayons de donner aux décideurs une idée des principaux facteurs d'incendie. Il y a certes la sécheresse, mais il y en a de nombreux autres. Nous essayons de voir où en seront ces facteurs dans un siècle, pour savoir s'il y aura une augmentation de 40 p. 100, par exemple, pour qu'ils disposent de prédictions approximatives.
La variabilité sera le facteur critique. Actuellement, il y a une grande variabilité, d'une année à l'autre. Cette variabilité risque d'augmenter avec le changement climatique, parce que tout ce dont on parle laisse prévoir une augmentation des phénomènes extrêmes.
M. Cox: Je crois aussi que la variabilité est la question clé. D'année en année, la variabilité cause des problèmes. Si une espèce a évolué dans une région donnée, en composant avec certaines limites dans ses conditions de vie, toute variation lui causera des torts. Un dégel hivernal élimine la couverture neigeuse et laisse geler les racines exposées. Il n'y a plus de neige. Au printemps, il peut y avoir une sécheresse.
Ce genre d'événements bouleverse les conditions normales dans lesquelles les espèces évoluent. Ce genre d'écart par rapport à la norme a une incidence plus grave sur ces espèces qu'un simple changement moyen des conditions. Les plantes s'adaptent à certaines conditions de leur environnement. Si pendant quelques années, cet environnement est bouleversé, cela cause de graves problèmes.
Le dépérissement des arbres augmente aussi la quantité de combustible disponible en cas d'incendie. En conditions de stress, les arbres sont vulnérables aux insectes. Beaucoup d'arbres dans l'Ouest sont affaiblis par les phénomènes climatiques. Les coléoptères envahissent les peuplements.
Le sénateur Fairbairn: À la page 14 de votre mémoire, vous parlez des impacts des stress et des changements sur la viabilité des collectivités forestières. Dans vos modèles, grâce aux données sur lesquelles vous travaillez, pouvez-vous évaluer des changements dans la population, même au sein d'une région?
M. Cox: Non, pas encore. La seule incidence majeure qu'on puisse prédire avec exactitude, pour la population, c'est l'effet de l'augmentation du niveau de la mer. Cela causera des problèmes dans les secteurs côtiers, qui devront composer avec l'avancée de la mer.
Il est possible que certaines forêts soient touchées. Il est difficile toutefois de dire quel effet leur dépérissement aurait sur la collectivité. Nous avons perdu beaucoup de bois dans les années 30, à cause du dépérissement du bouleau. Une grande quantité de bouleaux jaunes était destinée à la fabrication de contreplaqué, dans le cadre de l'effort de guerre.
À l'époque, nous avons perdu beaucoup de précieux bouleaux. De temps en temps, c'est le genre de chose qui menace la ressource. Le déclin des érables à sucre a fait craindre la fermeture des acéricultures québécoises.
Et un autre événement extrême, la crise du verglas, a fait fermer bon nombre d'acéricultures. Ces phénomènes ont une incidence à l'échelle locale. Mais comme ils se produisent à différents moments, en différents endroits, il est difficile de prédire ce qui se passera ou de s'adapter à ce genre de scénario; on ne peut que conseiller à ceux qui vivent de la forêt de faire preuve de plus de souplesse dans leur planification. Ils doivent être prêts à collaborer, pour surmonter certains problèmes.
Le sénateur Wiebe: J'ai de nombreuses questions, mais je ne crois pas qu'elles trouveront des réponses. Ce que nous cherchons à savoir, je crois, c'est comment pourrons-nous donc nous adapter? S'il ne s'agissait que de réchauffement de la planète, ce serait graduel. On peut s'adapter à cela. On peut trouver de nouvelles plantes à faire pousser, de nouvelles régions où les faire pousser, par exemple. On n'aurait pas à craindre la perte d'humidité, qui n'aurait nulle part où aller. Les précipitations tomberaient ailleurs. On pourrait s'adapter à cela, aussi.
Ce qui me préoccupe, par contre, c'est notre capacité à nous adapter à une augmentation de la fréquence des phénomènes extrêmes. C'est un plus grand problème, que vous avez soulevé. Vous avez parlé de gel et de destruction hivernale. Cela pourrait toucher de grandes régions. Dans ma collectivité, par exemple, le secteur forestier pourrait ne pas pouvoir s'en remettre. Dans le sud de l'Ontario et de la Saskatchewan, quand on s'inquiète, une année, pour une récolte, on sait qu'on pourra réensemencer l'année suivante. En sylviculture, on ne peut pas réagir aussi vite. Le comité est aux prises avec ce genre de problème.
M. Cox: Il faut que le secteur forestier soit prêt à collaborer beaucoup plus pour s'adapter à ces phénomènes, à faire preuve de plus de souplesse dans la gestion des forêts. On ne peut pas faire grand-chose au sujet de phénomènes qui pourraient se produire subitement, mais ceux qui se servent des forêts à des fins récréatives ou commerciales doivent être plus souples quant à leurs attentes et être prêts à collaborer pour surmonter certains problèmes. Les tempêtes de verglas, et autres causes de chablis, par exemple, se multiplieront en raison de l'augmentation d'énergie dans le cycle hydro-électrique. C'est même une préoccupation pour les marins. Je navigue sur la côte Est et je suis bien préoccupé quand je vois des ouragans et des tornades à ce temps-ci de l'année. Il est un peu tôt pour ce genre de phénomènes extrêmes. C'est aussi une préoccupation pour les exploitants du secteur forestier.
M. Stocks: Votre remarque est très pertinente.
Pour ce qui est de l'adaptation, nous nous rendons compte qu'il se pourrait bien que nous ne puissions qu'être conscients de la possibilité que cela se produise. Dans le domaine des incendies, par exemple, nous essayons de donner aux organismes provinciaux des scénarios sur ce à quoi ils peuvent s'attendre pour l'avenir. Nous avons essayé d'analyser tout le processus. S'il y a davantage d'incendies et que dépenser davantage d'argent pour les combattre est inefficace, à quoi cela mène-t-il? Il en résultera une perte de carbone et des conséquences du genre. En définitive, cela mène à une réévaluation des valeurs à risque que l'on choisit de protéger.
S'il est possible de faire pousser des arbres dans une région 75 p. 100 du temps et qu'on découvre soudainement qu'il n'y a que 40 p. 100 de chances qu'ils survivent 80 ans sans incendie, insectes ou autre menace, les compagnies forestières s'adapteront à cette nouvelle réalité et concluront qu'elles n'ont plus les moyens d'y faire pousser des arbres. Elles choisiront plutôt d'exploiter leurs activités au Guatemala ou un endroit semblable. Nous essayons de réfléchir à toutes ces choses. Nos conclusions en matière d'incendie sont peu rassurantes parce que si nos scénarios de changement climatique s'avèrent, notre capacité d'adaptation sera assez limitée à moins qu'on ne soit prêts à abandonner le statu quo sur les terres exploitées par l'industrie forestière. Il faudra constamment réévaluer ce genre de choses suivant l'évolution du climat. C'est un enjeu important.
Le sénateur Wiebe: Tout à fait. Vous avez observé que l'industrie forestière pourrait déménager ses activités ailleurs. L'ennui, c'est que la collectivité n'est pas aussi mobile. Qu'adviendra-t-il de cette collectivité lorsque la société forestière pliera bagages?
La même chose s'applique dans ma province. Si Palliser est effectivement un désert, que fera-t-on de toute l'infrastructure céréalière qui s'y trouve? Où la déplacera-t-on?
Prenons l'exemple de la morue. Regardez ce qui est arrivé.
Le président: Songez aux villes minières lorsqu'elles épuisent toutes leurs ressources.
Le sénateur Wiebe: Puisque nous sommes responsables des politiques, peut-être devrions-nous songer à inclure des mesures d'aide aux collectivités qui se trouvent dans ce genre de situation. Nous sommes à la recherche d'idées. Si vous en avez une bonne, dites-le-nous puisque nous en avons bien besoin.
M. Stocks: Je crois que vous avez tout à fait raison. Ce sont les collectivités qui seront le plus touchées. Les multinationales trouveront un autre endroit où faire pousser leurs arbres. Notre économie repose sur les ressources naturelles depuis si longtemps qu'il faut voir cette réalité comme un signal d'alarme: nous devons prévoir une économie de rechange pour ces collectivités.
Dans le cas du nord-ouest de l'Ontario, en raison du cycle des incendies, sans doute qu'aucune compagnie forestière n'y construirait d'usine. Malgré tout, puisque certaines usines y sont depuis 40 ans, des mesures incitatives en faveur de leur maintien sont en place en raison des collectivités qui les font vire. Toutefois, on ne déciderait probablement pas d'y construire une nouvelle usine.
La dépendance de la collectivité crée des tensions. La communauté ne peut pas se déplacer. C'est un dilemme.
Nous ne voulons pas être alarmistes, mais lorsqu'on étudie les modèles qu'on nous propose et leurs répercussions probables, la situation est effrayante. C'est difficile de prévoir comment les gens s'adapteront, mais il est impératif de sensibiliser à la fois la population et les décideurs.
Le président: Nous dites-vous que les compagnies forestières ne construiraient pas de nouvelles usines dans le nord de l'Ontario en raison de l'augmentation du risque d'incendie dû à la foudre?
M. Stocks: Avant même que l'on ne commence à s'inquiéter du changement climatique, en consultant les dossiers d'incendie des 30 dernières années du nord-ouest de l'Ontario, on constate qu'il serait difficile de protéger la forêt et de garantir l'approvisionnement en bois. Le changement climatique ne fera qu'exacerber le problème. Les compagnies forestières rassureraient leur assureur en lui disant qu'elles ne construiront rien de nouveau, mais continueront d'exploiter leurs activités dans leurs installations existantes.
Le sénateur Day: J'ai une question dans le même ordre d'idées. Il y a des usines dans le nord-ouest de l'Ontario. Il y a une question d'approvisionnement en bois. Ne travaille-t-on pas à développer des pratiques forestières qui limiteraient les dommages causés par des incendies plus fréquents? Ne fait-on pas de recherche en ce sens plutôt que de se dire: «Eh bien, il y aura plus d'incendies; c'est pas de veine».
M. Stocks: Des recherches se font. Elles se font dans le cadre des initiatives FireSmart et de la gestion de la forêt dont les honorables sénateurs ont entendu parler à Edmonton. On peut voir la question sous l'angle du paysagement. Sachant qu'avec les changements climatiques des 50 prochaines années, nous récolterons une bonne partie de la forêt secondaire, il faut imaginer des moyens de récolte efficaces. Toutefois, l'industrie forestière devrait être disposée à modifier ses pratiques et à planter des arbres différents qui pourraient servir de pare-feu.
L'aménagement paysager pourrait être une solution, mais il se pourrait que dans l'avenir les menaces d'incendie soient si importantes que nos plans actuels ne suffiront plus à la tâche. C'est difficile à dire. Toutefois, il faut encourager les chercheurs à ne pas abandonner. Du point de vue de la recherche, c'est possible. Des essais pratiques de ces scénarios de paysagement à une échelle convenable nécessiteront un effort considérable.
Le sénateur Gustafson: Quelle est l'importance de l'industrie canadienne dans ce domaine? Comment nos forêts se comparent-elles à celles du reste du monde?
M. Cox: Je crois que nous possédons un dixième des terres boisées du monde entier.
Le sénateur Gustafson: Le Canada est-il au premier, au deuxième ou au troisième rang? Comment se classe-t-il?
M. Cox: Nous ne sommes pas loin du premier rang. Pour cette raison, nous sommes responsables d'une grande partie des mesures d'atténuation, mais nous faisons face à des phénomènes naturels sur lesquels nous n'avons aucune prise. Au minimum, nous pouvons essayer de planter nos arbres plus convenablement. Nous pouvons modifier nos techniques de récolte pour éviter les chablis également. La gestion des récoltes est souvent complexe puisqu'il faut tenter de couper les arbres de façon à éviter que le vent n'en renverse d'autres ou que la chaleur n'endommage les autres végétaux en raison des trouées. La taille des coupes et de la végétation fait toujours partie de la planification du gestionnaire forestier.
À présent, il faut aussi penser au changement climatique et à ses répercussions sur les pratiques de récolte. Nous avons des programmes de sélection d'arbres de semis plus résistants aux conditions extrêmes. Nous avons procédé à des essais de taille de plants, de coupes de lisière et de régénération qui répondent à l'environnement que nous avons créé, mais qui tiennent compte des adaptations nécessaires dans l'avenir. Nous avons des programmes de recherche axés sur ces questions.
Le sénateur Gustafson: Il me semble que le procédé employé — et je me fie aux études faites sur la forêt boréale dont j'ai pris connaissance lorsque nous avons voyagé dans le Nord —, est bien différent dans les Maritimes par rapport aux méthodes employées dans le nord de l'Alberta ou en Saskatchewan. D'ailleurs, certaines personnes croient que le remplacement des arbres manquants peut être négatif s'il est fait par l'homme puisqu'il peut en résulter une prolifération de la variété plantée au détriment d'autres types de végétaux en place depuis des siècles. Qu'en pensez- vous?
M. Cox: Il s'agit d'établir un équilibre entre le maintien de la forêt pour des raisons commerciales et le maintien des puits de carbone. Espérons que nous pouvons conserver les deux. Nous pouvons adopter des pratiques de gestion, du moins dans nos forêts soumises à une gestion intense, qui assureront la pérennité de la forêt tout en étant d'excellents puits de carbone.
Bien des forêts ne sont pas encore gérées et il faudra déterminer si elles doivent avoir une vocation de puits de carbone ou de source de carbone. Du point de vue de notre responsabilité envers la communauté mondiale, il est capital que nous sachions à quoi une forêt servira et, éventuellement, que nous préparions un plan de gestion de celle- ci. Il est évident que nous devons connaître quels sont les liens puits-source.
M. Stocks: La Russie dispose évidemment d'une zone arborée plus vaste que la nôtre au Canada, surtout en Sibérie. Le changement climatique occasionne d'énormes problèmes, même par comparaison avec nous. Le climat continental recouvre une masse terrestre bien plus vaste que la nôtre et leur système est complètement disloqué. Même le Protocole de Kyoto n'exige pas que la Russie respecte ses engagements puisqu'elle n'y arrivera pas.
En ce qui a trait à la capacité d'émission et d'absorption de carbone, je comprends que ce comité ne traite pas de Kyoto et c'est bien ainsi, mais nous avons un grand bassin de carbone dans la forêt canadienne. Lors des négociations sur le Protocole de Kyoto, les gens étaient perplexes parce qu'ils croyaient que devant une si grande ressource de carbone, il devait y avoir puits. La source vient plutôt du changement progressif année après année. En d'autres termes, piège-t-on plus de carbone dans nos forêts chaque année qu'on n'en libère dans l'atmosphère par le biais de feux, d'insectes, de récolte, de dépérissement ou autre? C'est de ce changement dont il est question.
Pendant la période de référence de cinq ans, si l'on capture plus de carbone que l'on en émet, on est un puits, et autrement, on est une source. Bien des gens croient que puisque nous avons d'importantes ressources forestières, nous devrions être un puits, mais en réalité, bien avant l'apparition de l'homme, notre forêt devait composer avec des incendies, des insectes et tout le reste, et elle était en équilibre avec l'atmosphère et les océans du point de vue du cycle du carbone. Le Protocole de Kyoto ne détermine pas si un pays est un puits ou une source en vertu de son histoire, mais plutôt en fonction des résultats atteints depuis 1990. C'est la réalité.
Nos recherches nous ont appris que la forêt nous aidera très peu à capturer davantage de carbone à l'échelle du pays. Nous avons créé des comités puisque l'industrie de l'énergie voudrait que l'on gère nos forêts de manière à les convertir en immenses puits de carbone afin de continuer à brûler plus de combustible fossile. Nous avons eu cette discussion avec elle dans le passé. Nous n'avons pas trouvé le moyen d'améliorer la capacité de la forêt. Les principaux facteurs sont les perturbations, les incendies et les insectes. On ne peut plus pulvériser d'insecticides parce que cela est dommageable pour l'environnement et on ne combattra pas les incendies de forêt de façon plus efficace en dépensant plus d'argent. Bien peu de pratiques pourraient améliorer la capacité des puits.
Le sénateur Gustafson: Au moins vous ne vous en prenez pas aux agriculteurs.
Une voix: Tiens, en voilà une idée.
Le sénateur Day: Monsieur Cox, j'aimerais avoir deux ou trois précisions.
À la sixième page de votre exposé, intitulé Recherches actuelles sur les impacts et l'adaptation, Manipulations expérimentales, vous manipulez l'ozone et le CO2. Pourriez-vous m'expliquer ce que signifie cette page? Je n'arrive pas à comprendre quelles conclusions l'on devait en tirer.
M. Cox: Il s'agit d'une étude menée au Wisconsin à laquelle le Service canadien des forêts participe. Il s'agit d'une étude sur un système de fumigation en plein air dans le cadre duquel diverses variétés végétales — il s'agit de trembles, de bouleaux et d'érables si je ne m'abuse — sont exposées à des degrés divers de concentrations de dioxyde de carbone et d'ozone, seules ou en combinaison. Nous avons découvert que l'ozone pourrait annuler les avantages de la fertilisation par le CO2. L'augmentation des niveaux de CO2 accroît le bilan hydrique et la production.
Le sénateur Day: Vous augmentez le niveau de CO2 dans l'environnement.
M. Cox: Dans la zone étudiée, effectivement.
Le sénateur Day: Vous dites que cela se produira peut-être naturellement. Le réchauffement planétaire découle de l'augmentation des niveaux de CO2.
M. Cox: Nous multiplions les niveaux de CO2 par deux et par trois dans différents scénarios visant à simuler le changement climatique et les émissions de gaz à effet de serre.
Le sénateur Day: Le CO2 est un engrais, donc il favorise la croissance des plantes. Cela augmente l'efficacité de la circulation de l'eau parce qu'il y a davantage de racines dans le sol. Ai-je bien compris le lien avec l'eau?
M. Cox: Non, c'est que les stomates n'ont pas besoin de s'ouvrir, et, ainsi, les plantes retiennent l'eau. L'utilisation de l'eau est plus efficace parce que les stomates ne restent pas ouverts aussi longtemps. Le CO2 tend à améliorer l'efficacité de l'utilisation de l'eau. L'ozone, quant à elle, interrompt le fonctionnement des stomates, et conséquemment, les avantages obtenus grâce au CO2 sont réduits. Toutefois, l'ozone améliore les mécanismes de défense et les antioxydants, en plus d'assimiler les hydrates de carbone qui se trouvent dans les feuilles et de s'approprier ceux qui se trouvent dans les racines.
Elle modifie la répartition des ressources au sein de l'arbre qui produit moins de racines et est donc plus exposé à des carences en nutriment et en eau.
L'altération des processus chimiques modifie à son tour les interactions entre les parasites et les défoliants. Cela peut être négatif ou positif selon l'espèce touchée. L'effet de l'ozone sur ces arbres modifie la capacité d'attraction et la digestibilité du feuillage, en augmentant ou en diminuant les quantités de produits chimiques toxiques dans les feuilles, comme les tanins.
On peut s'attendre à des phénomènes imprévus. Un insecte auparavant sans danger peut tout à coup devenir problématique. Certains problèmes peuvent disparaître cependant. L'étude a aussi porté sur la possibilité que les peuplements d'insectes soient modifiés au sein des cercles.
Nous neutralisons l'augmentation d'une partie du dioxyde de carbone résultant des gaz à effet de serre de l'ozone, qui affecte la chimie des semis et les émissions d'ozone au sein de ces arbres. Une partie de ma recherche porte sur les changements dans la répartition des gaz. J'étudie aussi la réduction des racines comme prédisposition au dépérissement.
En réduisant la masse racinaire et les hydrates de carbone des racines, on diminue la capacité pour l'arbre de s'étendre dans le sol à la recherche d'eau au printemps et de produire des racines printanières à forte pression, qui servent à remettre en état les xylèmes embolisés. En effet, pendant l'hiver canadien, les feuillus se remplissent d'air. Au printemps, les espèces telles que le bouleau, l'érable et le frêne remplissent à nouveau les vaisseaux de leurs xylèmes, le système assurant la circulation au moyen de la pression des racines. Si les xylèmes ne se remplissent pas, les arbres dépérissent.
Le sénateur Day: Nous comprenons l'augmentation du dioxyde de carbone. Nous avons étudié son incidence sur le changement climatique. Est-ce que l'ozone reproduit ce qui pourrait se passer dans la nature, ou dites-vous qu'on pourrait utiliser des réservoirs d'ozone pour essayer de limiter les effets du CO2?
Je pense ici aux conséquences pratiques de votre expérience et à la façon dont elle pourrait venir en aide aux travailleurs forestiers. Pendant que vous parliez, je me demandais ce que vous avez appris qui pourrait leur être utile?
Le président: Surtout par rapport à l'exploitation de l'épinette.
Le sénateur Day: Justement. Je pensais aux chambres de stress et à tout le reste.
M. Cox: Grâce à l'ozone, on peut prédisposer des arbres à subir d'autres stress, y compris ceux causés par l'eau et les nutriments.
La plupart des formes de pollution, qu'il s'agisse des pluies acides ou des rejets d'ozone et d'azote, diminuent la masse racinaire. Dans l'hypothèse du changement climatique, où l'on risquerait d'assister à une évapotranspiration plus poussée et de connaître un climat plus sec, la réduction de la masse racinaire serait assez grave.
De tels effets de la pollution aggravent les problèmes des arbres et nos travaux peuvent les mesurer après seulement un an ou deux. Or un arbre vit 100 ans, et les effets dont j'ai parlé sont cumulatifs.
Dans les régions très polluées, ces effets demeurent cachés jusqu'au moment où un phénomène extrême entraîne la disparition de l'arbre. On assistera peut-être alors à une forte réduction du nombre de bouleaux ou d'érables à sucre, mais dans certains cas, un événement climatique peut aussi détruire leur capacité d'adaptation et entraîner leur dépérissement.
Ce genre de chose affectera les arbres encore debout pendant une transition vers un changement climatique. Au fur et à mesure que le climat se modifie, les stress cumulés entraîneront des changements et finiront par causer des trouées dans la forêt, qui accueilleront des espèces provenant du Sud et plus adaptées au nouveau climat. Le processus pourra avoir pour effet une plus faible productivité forestière et une moindre capacité de piégeage du carbone.
Le sénateur Day: N'avez-vous pas affirmé que le changement climatique se manifestera par de fortes variations au cours d'une année plutôt que par une augmentation marquée de la température?
M. Cox: La température dans les Maritimes va effectivement diminuer pendant l'été et augmenter en hiver.
Le sénateur Day: Je suis désolé d'entendre cela.
M. Cox: La région froide sur les côtes de Terre-Neuve doit son climat à la descente des glaces en provenance de l'Atlantique nord.
Le sénateur Day: Monsieur Stocks, pouvez-vous nous expliquer la page 10? Je me reporte ici à une question qui vous a déjà été posée. Pour ma part, je n'ai pas réussi à comprendre tout le texte qui se trouve ici.
M. Stocks: Je m'excuse, mais la version papier ne montre pas aussi bien les choses en noir et blanc qu'en couleur.
Si vous vous reportez au tableau en haut à gauche, vous y voyez une courbe correspondant à la coupe à blanc. Vous voyez la ligne du bas. La ligne rouge représente les incendies.
Le sénateur Day: Il n'y a pas de rouge sur la copie papier.
M. Stocks: C'est vrai, vous ne pouvez pas la voir; c'est dommage.
Le sénateur Day: Est-ce que je devrais vous parler après la réunion afin que vous m'expliquiez cela?
M. Stocks: Cela signifie que nous comptabilisons à la fois les régions qui nous paraissent affectées par les incendies et celles ravagées par les insectes depuis 1920, ainsi que les régions d'abattage, qui sont demeurées relativement constantes. Bien que nous ne sachions pas où se trouve ce triangle entre 1920 et 1965, nous savons qu'il nous manque des données. Nous avons l'impression que la courbe devrait monter plus haut.
Vous pouvez voir qu'après 1970, les lignes montent beaucoup plus haut. Elles représentent les grandes perturbations. On a donc observé davantage de régions ravagées par les incendies et les insectes.
Si vous utilisez les chiffres portant sur la période allant de 1920 à 1965, vous constatez que nous semblons être alors un puits de carbone. À partir de 1970, cependant, lorsque ces bouleversements ont été beaucoup plus nombreux, les puits de carbone ont rétréci au point où vous êtes soit une source, soit un puits de carbone.
Le sénateur Day: Le tableau à droite ne semble pas pareil au vôtre, et c'est problématique. Peut-être pourrions-nous tirer tout cela au clair afin de parler des mêmes choses. À droite, on ne voit qu'une ligne horizontale et qu'une flèche pointée vers l'année 1965.
M. Stocks: Il n'y a pas que cela; il semble aussi manquer des chiffres du côté gauche.
Le sénateur Day: Je n'ai rien au-dessus de cela.
M. Stocks: Je vais vous laisser un exemplaire de cela en couleur.
Le sénateur Ringuette: Plus tôt, vous avez parlé de la situation des forêts et des collectivités du nord de l'Ontario. D'autres spécialistes du changement climatique nous ont dit qu'on assisterait à des hausses de température dans le Nord. À mes yeux, cela correspond à un allongement de la période de croissance des arbres. Par conséquent, on peut penser que le bois arrivera à maturité plus tôt et que l'industrie y aura donc accès elle aussi plus tôt, ce qui diminuera ses coûts.
On a évoqué les aspects négatifs du changement climatique pour l'industrie de l'exploitation forestière, mais j'y vois aussi des côtés positifs du fait de cette plus longue croissance.
L'été durera probablement plus longtemps, et ses températures seront probablement plus extrêmes. À mon avis, cela se traduira par une saison de croissance plus longue, et donc une disponibilité précoce du bois d'oeuvre car on pourra l'abattre plus tôt que dans le passé.
M. Stocks: Nous nous sommes penchés là-dessus lorsque nous avons commencé nos premières études sur le changement climatique. Nous nous sommes dits que si la température allait changer au cours des 100 prochaines années, il fallait essayer de savoir quelles espèces pousseraient. On s'est demandé s'il y aurait aussi une migration vers le nord d'espèces poussant au sud, et le reste. Au début, effectivement, les perspectives d'avenir n'étaient pas si négatives parce qu'on pouvait penser qu'on assisterait à une production plus élevée des fibres de bois. Quelle importance si nous faisons pousser du chêne châtaignier dans le nord de l'Ontario à la place d'épinettes noires? Tout cela donne de la fibre de bois. C'est ce que nous avons d'abord pensé; toutefois, au fur et à mesure que nous en apprenions davantage sur le changement climatique, ses extrêmes et tout le reste, nous avons compris qu'un tel phénomène ne se manifestait pas seulement par des changements de température. Cette année pourrait être la plus chaude que nous ayons connue sur la terre, mais si on habite à Ottawa ou dans ma ville, on ne s'en douterait certainement pas. On ne remarquera probablement pas beaucoup de fluctuation dans la température d'une année à l'autre. Peut-être que la température planétaire évoluera sur 20 ans. Toutefois, cela s'accompagnera aussi de phénomènes extrêmes et de changements dans le cycle hydrologique qui annuleront pour une bonne part cette hausse de température. La plus grande incertitude qui accompagnera tout cela ne vous permettra pas de tirer un parti positif de la tendance au réchauffement.
Nous aussi avons d'abord pensé comme vous, mais la grande incertitude entourant les événements extrêmes nous a fait réfléchir.
Le sénateur Ringuette: Ma première question s'adressait à M. Cox, et il n'y a pas répondu. Puisque M. Cox est extrêmement intelligent, j'ai dû mal formuler ma question. Je vais m'y essayer une seconde fois.
Toutes choses étant égales, est-ce que les feuillus ou les résineux font de meilleurs puits de carbone? Ils poussent ensemble dans les mêmes forêts et ont une même durée de croissance. Des feuillus ou des résineux, lesquels sont les meilleurs puits de carbone?
Le président: Cela dépend de l'espèce de bois dur ou de conifère, et aussi du genre de sol.
M. Cox: J'aimerais bien répondre directement à votre question.
Il se peut que dans l'avenir, dans le sud du district où poussent les conifères, les feuillus poussent mieux qu'eux et finissent par prendre leur place. Les feuillus pourraient donc l'emporter sur les conifères les plus au sud. Je ne dirais cependant pas cela des feuillus poussant dans la partie nord de l'aire de croissance des résineux. On évoque l'hypothèse que les conifères deviennent plus abondants dans la partie médiane de la forêt boréale en raison du réchauffement climatique. Au cours de notre vie et pour bien des générations encore, c'est la transition de notre situation à un nouveau climat plus stable qui constituera le problème essentiel. C'est justement cette transition vers un climat plus chaud qui est à l'origine des migrations d'espèces et de certains effets sur les récoltes debout et qu'on observe déjà, j'entends par là les effets sur les récoltes debout de feuillus semés il y a une centaine d'années. La longue vie de ces peuplements est compromise par l'évolution du climat, car ils ont été semés dans ces régions dans d'autres conditions climatiques. Plus leur vie est longue, moins ils peuvent s'adapter et encore moins leur descendance. C'est donc la période de transition qui sera à la source des problèmes. À la fin du processus, dans une situation d'équilibre, si tant est qu'il est possible d'en arriver à la stabilité par rapport aux gaz à effet de serre, il se peut que nous retournions à une situation de productivité plus élevée. Entre-temps cependant, et pendant bon nombre d'autres générations humaines, l'instabilité aura une incidence négative sur la production.
Je ne réponds pas de façon très nette à votre question, parce que je n'ai justement pas de réponse claire à donner. Tout cela dépend de l'habitat, de l'espèce, de l'âge et du reste.
Le sénateur Ringuette: C'est pour cela que j'ai préfacé mes propos par l'expression «toutes choses étant égales».
Le président: Je crois savoir que quelqu'un a un avion à prendre et il reste encore un autre témoin à entendre. Je vous remercie donc de votre excellent exposé et je regrette que vous ne puissiez rester plus longtemps, car j'aurais d'autres questions à vous poser, mais nous manquons de temps. Quoi qu'il en soit, votre témoignage sera très utile à notre étude.
J'aimerais demander au professeur Bryant, de l'Université de Montréal, de bien vouloir nous faire son exposé. Après cela, les sénateurs vous poseront des questions.
M. Christopher Bryant, professeur et président, Commission de l'UGI sur le développement durable et les systèmes ruraux, Université de Montréal: Je représente un groupe de chercheurs de l'Université de Montréal, mais je parlerai aussi brièvement des résultats d'autres projets de recherche auxquels j'ai participé.
Je vous donnerai d'abord une perspective fondée sur la recherche mais d'ordre pratique sur l'adaptation au changement climatique, surtout en ce qui a trait à l'agriculture. J'aimerais aussi développer quelque peu les idées qui fondent mes remarques. Je ne vous fournirai pas beaucoup de statistiques cependant ni de tableaux et ce genre de choses. Mes autres collègues spécialisés en adaptation au changement climatique en agriculture vous ont déjà parlé de cela. Je préférerais y aller de remarques générales puis, si vous avez des questions précises, je m'efforcerai d'y répondre.
J'aimerais aussi faire certaines remarques au sujet du changement climatique et de la prise de décision par les agriculteurs ainsi que des dimensions socioéconomiques importantes ou caractéristiques liées à l'adaptation. Ensuite, j'aimerais vous parler un peu de la perception que les agriculteurs ont de ce changement climatique, parce que c'est tout à fait essentiel. Ce que les modèles nous présentent ou préconisent n'a guère d'importance à côté de ce que les agriculteurs pensent et de la façon dont ils se comportent.
Mes remarques se fondent sur des recherches que j'ai entreprises avec une équipe de trois chercheurs de l'Université de Montréal. Cela fait dix ans que nous étudions ensemble l'adaptation de l'agriculture au changement climatique. Ces cinq dernières années, j'ai aussi participé, pendant trois ans à titre officiel et pendant cinq ans à titre officieux, aux études effectuées par d'autres chercheurs et intervenants oeuvrant au sein d'un réseau pancanadien qui se penche également sur l'adaptation de l'agriculture au changement climatique. En outre, j'ai passé les dernières 35 années de ma vie à étudier la façon dont l'agriculture s'adapte à d'autres formes de stress. Je tiens à préciser ici que les agriculteurs ne réagissent pas seulement au changement climatique mais à toute une gamme de facteurs, et que la plupart du temps ils estiment ces derniers plus importants que le changement climatique, tout au moins pour le moment.
Le président: On peut penser aux droits tarifaires imposés par les États-Unis, par exemple.
M. Bryant: Tout à fait. Vous avez visé juste.
J'ai consacré les 20 dernières années à la recherche mais j'ai aussi travaillé comme consultant auprès de diverses collectivités canadiennes, particulièrement en milieu rural, les aidant à planifier leur développement. De toutes ces activités, mes collègues et moi avons tiré une meilleure connaissance de l'adaptation au changement climatique.
Les renseignements sur lesquels je fonde mon exposé sont tirés d'entrevues avec des agriculteurs de la région de Montréal, de Québec, du nord-est des États-Unis et de l'est de l'Ontario. Je les ai aussi obtenus grâce à des ateliers de travail auxquels ont participé des groupes d'agriculteurs. Nous leur avons présenté les résultats des scénarios de changement climatique que nous avaient soumis des scientifiques. Nous leur avons demandé ce qu'ils en pensaient, ce que ces éventualités représentaient pour eux, si elles avaient une importance quelconque et s'ils s'en souciaient. Nous avons obtenu des réponses souvent intéressantes. Nous avons aussi invité d'autres groupes professionnels qui s'intéressent au même sujet et à ses effets sur l'agriculture et la productivité, comme des fonctionnaires, des représentants de l'assurance-récolte et d'autres encore. Je me suis aussi servi des diverses consultations que j'ai effectuées auprès des collectivités au cours des dernières années.
J'aimerais d'abord aborder le changement climatique et ses rapports avec la prise de décisions. Malheureusement, les études d'impact et des mécanismes d'adaptation omettent trop souvent de parler vraiment d'adaptation, se contentant plutôt de développer la question des impacts. Cela tient à de bonnes et de mauvaises raisons. Quoi qu'il en soit, toute étude d'impact et de l'adaptation doit nécessairement tenir compte du facteur humain et de la personne comme source de décision. C'est tout à fait essentiel en agriculture. Notre système agricole n'a pas été mis sur pied que par nos gouvernements et les industries agricoles, mais aussi par les agriculteurs et leurs familles. Ce sont d'ailleurs eux qui le maintiennent et qui survivent et parfois même prospèrent malgré toutes les difficultés.
Il y a aussi un autre élément dont il faut tenir compte dans une étude de ce genre, et que j'ai déjà évoqué, à savoir que l'adaptation au changement climatique et les décisions qui en découlent s'inscrivent dans une situation de stress et de changements multiples pour l'agriculteur.
Il faut se garder de la fausse distinction qu'on fait parfois entre l'atténuation et l'adaptation, surtout en ce qui a trait à l'agriculture. Ces deux réalités sont peut-être distinctes aux yeux de certains, mais en réalité, la frontière entre elles est très floue.
J'ai eu l'occasion de travailler avec un collègue qui est également spécialiste des sciences physiques. Il est très ouvert, d'ailleurs diplômé en sciences de la gestion, ce qui en fait un scientifique très humain. Quelques autres chercheurs et nous sommes arrivés à la conclusion que si l'on veut comprendre l'adaptation, on ne peut absolument pas se contenter d'étudier le milieu biophysique et sa dynamique: ça ne suffit pas. Curieusement, c'est pourtant à cela que nous consacrons la plupart des ressources canadiennes en recherche. Nous affectons peu d'argent ou d'efforts à l'étude de l'adaptation des agriculteurs et de leur famille, et nous ne faisons pas non plus beaucoup d'efforts pour profiter de leurs connaissances, alors qu'ils en savent vraiment beaucoup. On peut dire la même chose des collectivités rurales. C'est un léger reproche que nous nous permettons de faire.
J'ai quelques commentaires sur les dimensions socioéconomiques significatives. Il est essentiel de comprendre que les agriculteurs et leur famille sont des décideurs, et que peu importe ce qu'ils pensent de la réalité du changement climatique. L'essentiel, c'est qu'ils estiment que c'est important. Tout le monde peut s'entendre pour dire que quelque chose est en train de se produire et que c'est une réalité, mais bon sang, il y a aussi les taux d'intérêt, les fluctuations du marché, l'évolution des avantages comparatifs, le changement technologique et toutes sortes d'autres choses dont il faut aussi s'occuper. Parfois, on constate que les agriculteurs sont bien conscients d'un problème ou d'un stress, mais qu'ils n'y réagissent pas nécessairement parce qu'ils ont bien d'autres priorités plus urgentes.
Quand on examine l'adaptabilité des agriculteurs et des systèmes agricoles, l'une de nos conclusions est que, pour comprendre cela, il faut comprendre les conditions personnelles des agriculteurs et de leur famille. Il faut comprendre les conditions particulières de l'exploitation agricole, sa structure et son milieu biophysique. Il faut aussi cerner les forces de stress génériques, les stress communs qui affectent la plupart des systèmes agricoles et essayer de comprendre les divers stress spécifiques à chaque système de production et à chaque grande région du pays. La situation au Québec n'est pas nécessairement la même que dans le sud des Prairies qui ont subi récemment des stress, des sécheresses répétées, ce genre de choses. Cela change beaucoup la perspective des gens sur l'importance des choses.
Les agriculteurs considèrent-ils que le changement climatique est important? Je me réfère essentiellement à nos groupes cibles et à nos séances de travail avec des agriculteurs et des professionnels du Québec, et aussi dans une certaine mesure de l'est de l'Ontario. Une chose recoupe ce que nous avons entendu dans les deux premiers exposés, bien que ce soit sur un sujet différent, c'est que les agriculteurs ne s'intéressent pas particulièrement à l'évolution des conditions moyennes. L'un des sénateurs a dit tout à l'heure la même chose à propos du réchauffement de la planète. Ce n'est pas une grosse préoccupation.
Quand on soumet à des agriculteurs des scénarios prévoyant un changement d'un ou deux degrés sur tant d'années, ils répondent: «C'est intéressant, mais je dois faire face à des variations beaucoup plus importantes d'une année sur l'autre de toute façon, donc je suis sûr de pouvoir m'adapter à ce genre de changement». Si l'on commence à leur parler de variabilité dans la fréquence des événements extrêmes, de périodes de précipitations et de sécheresse intenses, selon le moment où ces phénomènes interviennent durant la saison de culture, alors ils sont beaucoup plus intéressés et ils tendent l'oreille pour en savoir plus. Nous ne pouvons malheureusement pas leur dire grand-chose car à ma connaissance, les exercices de modélisation des sciences physiques et naturelles ne permettent guère de déterminer des paramètres importants dont les agriculteurs pourraient se servir dans leurs décisions. Ils ont du mal à en tirer quelque chose.
Il leur arrive donc souvent de mettre en veilleuse la question du changement climatique parce qu'ils estiment devoir s'occuper de choses plus urgentes. Nous pensons parfois qu'ils réagissent plus en fonction du court terme que du long terme. C'est peut-être vrai en partie, mais on ne peut pas nier la réalité de la concurrence, des cours, de l'évolution des coûts, qui influent tout autant sur le bilan de fin d'année que les sécheresses ou les pluies intenses.
Tout ce que je viens de dire pourrait s'appliquer aux communautés rurales. Depuis trois ans, tout le monde entend parler de changement climatique. Tout le monde dit: «Bon, c'est intéressant, et cela risque de tourner à la catastrophe, mais il faut aussi qu'on s'occupe de la cuisine. On ne peut pas oublier le quotidien.»
Face à ce tableau assez complexe de la situation quand on parle à des agriculteurs du contexte dans lequel ils prennent leurs décisions, diverses personnes sont parvenues à la conclusion qu'il vaudrait peut-être mieux axer plus nos recherches sur la vulnérabilité.
Nous savons que les agriculteurs sont exposés à de multiples stress et qu'ils doivent régulièrement prendre des décisions tactiques et stratégiques. Quand ils prennent des décisions, ils prennent vraiment des décisions en fonction d'un facteur ou d'une source de stress, quand ce n'est pas pour se protéger du gérant de leur banque. Il peut s'agir de la famille, des enfants qui ne veulent plus rester à la ferme, des taux d'intérêt, de toutes sortes de choses.
En fait, ce qui est plus important, c'est de voir comment les exploitations agricoles ont évolué et de s'interroger sur leur vulnérabilité. Deviennent-elles plus vulnérables, moins vulnérables? Les agriculteurs résistent-ils mieux à l'adversité pour préserver leur revenu et conserver un niveau de vie satisfaisant? Et en même temps, apprennent-ils à résister mieux au changement climatique?
Quand on se penche sur la question de la vulnérabilité — l'aptitude à faire face au changement quelle que soit sa provenance — des agriculteurs et des communautés rurales, on constate que l'adaptation au changement climatique est pour eux une conséquence secondaire de la gestion du risque car les agriculteurs passent leur temps à gérer des risques au niveau de leur structure de production, de leurs pratiques agricoles et même de la gestion de leurs familles. Ils passent leur temps à gérer le risque, le changement et l'incertitude.
J'en viens maintenant à quelques remarques de synthèse.
Il est important d'aborder l'adaptation dans une perspective holistique. Si l'on part du principe que ce changement climatique ne va pas disparaître avant longtemps, il faut bien admettre que la façon dont les gens vont ou non réagir et s'adapter sera probablement déterminante pour le résultat final, positif ou négatif.
Pour l'instant, nous nous concentrons de plus en plus sur la vulnérabilité. Le groupe de chercheurs avec lesquels je travaille discute avec Ouranos, un groupe de personnes de Montréal, composé essentiellement de chercheurs en sciences physiques, et d'autres personnes qui s'occupent de financement et d'assurance-récolte. Nous envisageons de faire une étude sur l'adaptation au changement climatique. C'est quelque chose qui intéresse beaucoup de personnes. Toutefois, il ne s'agit pas de parler uniquement d'adaptation, mais plutôt de se pencher sur la vulnérabilité des systèmes agricoles au changement, y compris le changement climatique.
Nous devons donc comprendre et renforcer l'aptitude des agriculteurs et des divers intervenants en milieu rural à s'adapter et à devenir plus résiliants. C'est seulement dans ces conditions qu'on pourra affirmer que, grâce à leur adaptation, ils seront peut-être en mesure de maintenir leur contribution aux communautés et à l'économie rurales.
Le président: Merci beaucoup. Je regrette profondément que le sénateur LaPierre ne soit pas là aujourd'hui car il s'intéresse tout particulièrement aux communautés rurales. Il nous a appelés juste avant la réunion pour nous dire qu'il n'était pas bien. Quand il lira ce témoignage, je suis sûr qu'il regrettera de ne pas vous avoir entendu parler notamment des communautés rurales.
Le sénateur Wiebe: Monsieur Bryant, vous nous posez plus de questions que vous ne nous apportez de réponses.
M. Bryant: C'est la nature de la recherche.
Le sénateur Wiebe: Mais nous cherchons avidement des réponses. Je crois que vous avez mis dans le mille en disant qu'il fallait prendre soin de ne pas faire de fausses distinctions entre atténuation et adaptation. Vous avez aussi dit qu'il était important que les décideurs politiques réagissent à la façon de penser des agriculteurs.
D'après les discussions que j'ai eues avec des agriculteurs, j'ai l'impression qu'ils ne font toujours pas la distinction entre atténuation et adaptation. Certains pensent que, s'ils utilisent un carburant moins polluant pour leur tracteur, ils vont contribuer à atténuer le problème et qu'on peut s'occuper de la question en adoptant l'accord de Kyoto. Or, même si tous les pays acceptaient les conditions de Kyoto, on n'effacerait pas les dégâts qui sont déjà là. Il s'agit donc d'un problème à long terme.
Comment leur faire comprendre qu'il faut commencer à entreprendre des mesures d'adaptation? Nous ignorons en quoi elles consistent, et je pense que les agriculteurs n'en ont pas la moindre idée non plus. Ils pourront s'adapter aux conditions du climat.
Je vais vous donner un exemple. Lors de nos audiences à Edmonton, nous avons entendu un éleveur de bétail qui est dans ce métier depuis environ 17 ans. Il n'a jamais eu de sécheresse et n'a pas jamais eu à s'inquiéter de ne pas avoir assez de foin à sa disposition. Dans ma région, nous avons sans arrêt des sécheresses. Mon grand-père me disait que si je voulais faire de l'élevage, j'avais intérêt à avoir un puits très profond et trois années de foin de réserve. Si j'avais dit cela à cet éleveur il y a deux ans, il m'aurait que j'étais cinglé. Mais s'il avait fait ce que je lui aurais dit, il aurait pu survivre au changement climatique. Comment faire passer le message pour qu'ils nous comprennent et nous croient? C'est ce que nous essayons de trouver.
M. Bryant: J'aimerais souligner que de nombreux agriculteurs sont déjà en train d'intégrer diverses stratégies à leurs pratiques agricoles, pas seulement face au changement climatique, mais plus souvent en réaction aux deux ou trois dernières années de sécheresses ou de précipitations catastrophiques, ce genre de chose. Il y a une capacité d'innovation incroyable dans le monde agricole. Souvent, il s'agit de mesures modestes qui ne coûtent pas bien cher. Les agriculteurs sont très capables de mettre en place des dispositifs qui leur permettent de mieux résister, mais les gouvernements n'ont pas l'air de le savoir. De nombreux chercheurs n'ont pas l'air d'en être conscients non plus. Ce qu'il faut faire, c'est aller écouter directement les agriculteurs eux-mêmes, les écouter parler de leur expérience. C'est une des premières choses à faire.
J'ai assisté il y a quelques mois à une conférence à Winnipeg, avec Barry Smith et d'autres spécialistes de ce domaine. Les organisateurs avaient prévu un après-midi au cours duquel les agriculteurs sont venus nous expliquer comment ils faisaient face à des situations difficiles.
Bien souvent, ils trouvaient des solutions rudimentaires mais novatrices et qui donnaient d'excellents résultats. Cela leur permettait de faire la différence entre disparaître et survivre, et même parfois bien s'en sortir. Il est donc essentiel de faire connaître plus efficacement ce qui se passe dans le monde agricole.
Les agriculteurs ne restent pas les bras ballants. Certains peut-être, mais beaucoup d'entre eux réagissent. Ils prennent des initiatives. C'est une forme d'adaptation. Ils anticipent sur le changement et ils adoptent des stratégies proactives.
Il faut aller voir qui sont ces gens-là et ce qu'ils font, et communiquer beaucoup plus efficacement leurs expériences au reste du monde agricole et aux responsables qui gèrent notre économie sur un plan plus général.
Le sénateur Wiebe: Qui doit faire ce travail de communication? Il y a des tas d'agriculteurs qui disent que si le gouvernement leur dit de faire quelque chose, ils font le contraire parce que c'est ce qui va donner le meilleur résultat. Ils ont parfois tendance à ne pas écouter ce genre de conseil.
Quels dispositifs pourrait-on utiliser pour organiser ce genre de discussion?
M. Bryant: Dans les diverses régions du pays, il y a des regroupements professionnels d'agriculteurs. Par exemple, il y a des clubs environnementaux au Québec. C'est un outil assez efficace de communication avec les groupes d'agriculteurs, et je pense que ce sont là des organisations qui donnent de bons résultats.
On peut très bien communiquer avec ces agriculteurs. Ils sont certainement curieux de comprendre en quoi consiste le changement climatique, ce que cela signifie et ce que d'autres personnes font face à ce problème.
Dans d'autres parties du pays, ce pourrait être des groupes qui s'occupent de conservation du sol. Même si leurs activités ne sont pas directement liées au changement climatique, ces groupes représentent une façon de rejoindre les milieux agricoles. Je ne pense pas qu'on puisse se donner une seule stratégie de communication qui soit efficace dans tous les cas, mais il serait possible de créer un cadre qui permettrait aux groupes d'agriculteurs de communiquer plus efficacement entre eux. Je sais que certains critiquent ce genre de discussion en groupes de 10 à 15 personnes et disent qu'il faut essayer de tenir de grandes conférences qui réuniraient beaucoup de gens ou peut-être utiliser des bulletins de nouvelles. Ce n'est cependant pas la façon dont les gens communiquent entre eux. Ils communiquent le mieux en petits groupes. Vous pouvez mettre en place une stratégie qui serait mise en oeuvre de façon systématique dans tout le pays et qui viserait différents groupes d'intéressés. Dans deux ou trois ans, vous auriez sans doute rejoint une bonne partie des milieux agricoles.
Le sénateur Wiebe: Outre le fait que le gouvernement ou que les décisionnaires pourraient accroître les fonds réservés à la recherche dans le domaine de l'adaptation, faudrait-il apporter certaines modifications au nouveau cadre stratégique pour l'agriculture en ce qui touche l'assurance-récolte? En ce qui touche la gestion des risques dans le cadre du compte de stabilisation du revenu net, le CSRN, est-ce l'orientation que les décisionnaires devraient prendre pour protéger les agriculteurs pendant cette période d'adaptation?
M. Bryant: L'argent est toujours utile, mais ce n'est pas une panacée. Je vais essayer de répondre à votre question d'une perspective différente.
Nous avons présenté les profils changeants des agriculteurs à un groupe de spécialistes de l'assurance-récolte et à des organismes de financement agricole et nous leur avons demandé de nous dire quelles étaient, à leur avis, les activités agricoles les plus susceptibles de s'adapter à tout type de changement. Cela revenait essentiellement à leur demander ce qui distinguait les agriculteurs en mesure de s'adapter au changement et ceux qui ne pouvaient pas le faire. Ils nous ont d'abord dit que c'était une question d'argent et que cela dépendait de leur capacité financière à faire face à des chocs. Après avoir réfléchi plus longuement à la question, ces spécialistes ont dit que ce qui comptait sans doute davantage, c'était la capacité des agriculteurs à se remettre en question. C'est une question de formation au sens large. On pourrait même dire que certaines cultures sont plus réceptives au changement que d'autres. C'est une aptitude à s'interroger sur soi-même et à se remettre en question.
Une partie de la solution consiste à intervenir auprès de diverses organisations professionnelles. Il peut s'agir de les sensibiliser à l'importance du changement climatique, mais aussi à l'importance d'amener les agriculteurs à établir une planification stratégique qui tienne compte de l'incertitude et des changements, ce que ne font peut-être pas actuellement de nombreux agriculteurs.
Le sénateur Gustafson: Je vous remercie de votre candeur. Soit dit en passant, j'ai parlé avec une dame venant de la Saskatchewan qui se rendait dernièrement à Montréal. Elle représentait les producteurs de lait de la province. Je lui ai demandé comment son industrie se portait. Elle m'a répondu: «Très bien.» Elle se porte très bien grâce aux offices de commercialisation. Les céréaliculteurs, même ceux de l'Ontario ou de l'Alberta, par ailleurs, disent ne pas rentrer dans leurs frais. Ce que vous nous avez dit est tout à fait juste.
Cela m'amène à vous poser une autre question. Le contexte international auquel font face les agriculteurs revêt de l'importance. Je fais allusion à la question des subventions. Notre comité s'est rendu en Europe. Les Européens font quelque chose de très bien. Pour eux, l'agriculture, le développement rural et la protection de l'environnement ne font qu'un. En Europe, les agriculteurs ne sont pas laissés à eux-mêmes. La société tout entière les soutient. Cela m'amène donc à vous demander quelle est la position des milieux urbains sur cette question. Quelle est aussi la position du gouvernement? Les Américains se rapprochent du système européen. Ils font cependant face à d'autres types de problèmes comme l'expansion tentaculaire des villes. Les Américains tâchent de régler les problèmes environnementaux que ce phénomène cause.
Vous avez à juste titre fait remarquer que toutes ces questions sont liées. Dans les Prairies, les céréaliculteurs pensent maintenant qu'il faut abandonner la jachère d'été et que la culture continue constitue la solution. D'autres agriculteurs qui ne peuvent pas pratiquer la culture continue pensent qu'ils devront revenir à la jachère d'été.
M. Bryant: Permettez-moi d'essayer de répondre à une partie de cette question très vaste. Dans certaines parties du pays, les agriculteurs doivent établir des plans en matière environnementale. Je songe notamment aux producteurs de porc du Québec. Il s'agit d'une situation particulièrement difficile.
Le sénateur Gustafson: C'est un autre monde.
M. Bryant: C'est en effet un autre monde. Les Européens se sont rendu compte sur le tard que des changements s'imposaient. Pendant longtemps, ils ont vécu dans un monde irréel fondé sur les subventions agricoles. Ils ont mis beaucoup de temps à le faire, mais ils se sont finalement rendu compte que la situation n'était pas soutenable. Ils ont fini par admettre que le modèle de production agricole qu'ils avaient adopté entraînait de nombreuses conséquences négatives pour l'environnement ainsi que pour le développement rural, sans mentionner le fait que la production était excédentaire. C'est un modèle qui ressemblait à celui que nous avions bien que le nôtre n'était peut-être pas aussi intensif. On a donc mis en oeuvre en Europe un programme de retrait obligatoire des terres en culture. Les agriculteurs européens ont ensuite établi des plans agri-environnementaux. C'est une bonne idée. C'est une idée qui a été reprise au Québec, mais pas intégralement.
Le modèle adopté en France est particulièrement bon. La participation est volontaire, mais les agriculteurs touchent une petite somme pour les encourager à participer au programme. Les agriculteurs concluent une sorte de contrat avec l'État ou l'organisme qui le représente dans la région visée et s'engagent à modifier leurs pratiques de façon à tenir compte de certains problèmes environnementaux. Cette approche peut être élargie pour s'appliquer à presque tous les types de changement.
Il s'agit d'une approche innovatrice, quoique de nombreux chercheurs agricoles en France admettent qu'elle donne de bons résultats dans certaines régions et de moins bons dans d'autres. Ce programme n'est pas nécessaire dans certaines régions où l'environnement n'est pas menacé, mais les agriculteurs y participent tout de même puisque c'est une façon pour eux de gagner un peu plus d'argent. Dans les régions où ce programme est nécessaire, l'intégration de cette approche peut poser certaines difficultés.
C'est une approche prometteuse. Elle exige beaucoup de travail sur le terrain, non seulement de la part des chercheurs, mais aussi des conseillers et des associations agricoles.
Le sénateur Gustafson: À mon avis, l'approche que les Canadiens adopteront — le gouvernement, les citadins et les ruraux — sera déterminante pour l'avenir. Notre population est maintenant concentrée dans les villes et l'urbanisation du pays se poursuit toujours.
Il s'ensuit que tous les agriculteurs sont les gardiens de la terre et qu'ils devront assumer de grandes responsabilités tout comme les sociétés pétrolières pour ne nommer qu'elles.
M. Bryant: Du point de vue de l'élaboration des politiques, il est parfois bon de se pencher sur les secteurs considérés jusqu'ici comme des secteurs marginaux. L'agriculture biologique n'est plus un secteur marginal même si on l'a considéré de cette façon pendant longtemps. Certains agriculteurs optent maintenant pour l'agriculture biologique même s'ils ne veulent pas nécessairement obtenir une accréditation. Tout cela a quelque chose à voir avec le marché urbain et les goûts des consommateurs urbains.
Une autre tendance intéressante est l'établissement d'ententes entre les groupes de consommateurs urbains et les agriculteurs, les uns garantissant aux autres d'acheter un panier de légumes par semaine, par exemple. Les agriculteurs fixent leurs prix à l'avance. Ce genre de contrats ne sont pas seulement expérimentaux et cette tendance prend de plus en plus d'ampleur. Il existe notamment à Montréal tout un réseau d'agriculteurs et de consommateurs urbains qui est fondé sur ce genre d'ententes.
Le président: S'agit-il de culture biologique?
M. Bryant: Non seulement c'est de la culture biologique, mais dans certains cas, les consommateurs urbains s'intéressent aussi à l'exploitation agricole. Dans la commercialisation par paniers, l'une des conditions d'achat pendant toute la saison de production est de s'intéresser à la façon dont l'agriculteur cultive, et non pas uniquement à ce qu'il produit. Le changement climatique ne joue pas encore un très grand rôle à ce niveau, mais tous les autres facteurs environnementaux sont importants.
Le sénateur Gustafson: Voilà un bon argument. Dans ma région, nous avons les Hutterites, qui apportent leur production au marché tous les samedis. Tout est vendu dès 9 heures, quel que soit le volume de la production. Les gens veulent de ces produits frais.
Les Hutterites ne sont pas censés vendre de viande, mais ils en vendent. Ils le font avant 8 heures, avant l'ouverture des magasins.
Le sénateur Fairbairn: Absolument!
Le sénateur Gustafson: Les gens veulent ce genre de produit alimentaire.
M. Bryant: On peut être à la fois écologiste et capitaliste.
Le sénateur Fairbairn: Ce sont des producteurs à qui on fait confiance.
Le président: Est-ce que les produits sont inspectés par le gouvernement du Canada?
Le sénateur Gustafson: Les gens ont confiance en la qualité de ces produits. Ils savent que les producteurs cultivent de façon traditionnelle.
Le sénateur Fairbairn: Merci beaucoup de votre exposé. Nous avions besoin d'entendre cela. Vous êtes bien patient. Vous nous avez apporté un message essentiel sur les questions importantes que nous allons devoir aborder avant d'envisager d'autres sujets comme l'adaptation. Le messager doit toujours être convaincu de l'authenticité de son message. Les gens se sont toujours adaptés au fil des générations. La question n'est pas nouvelle. L'adaptation est le prolongement de la culture et de l'expérience.
Dieu sait que nous savons parfois écouter avec attention. La façon dont on aborde une question ou même le contexte dans lequel on l'aborde amène certaines personnes à réagir avec impatience et hostilité. On a tendance à condamner avant même de savoir de quoi il s'agit.
C'est le problème du gouvernement. C'est lui qui détermine de quoi il s'agit.
C'est là que le bât blesse en matière de communications. Nous avons un immense pays. Les agriculteurs sont très nombreux. Leur façon de faire varie d'un endroit à l'autre. Nous proposons des technologies et des façons de procéder. Comme vous l'avez plus ou moins dit, nous avons tendance à en faire trop, et nous perdons notre auditoire.
On entend beaucoup parler de communication autour de cette table, et il en a encore été question ce soir. Le succès dépend autant de la personnalité de celui qui communique avec les agriculteurs que du message. Cela m'amène à dire que c'est bien dommage qu'on ne puisse pas vous cloner et envoyer toute une série de Christopher R. Bryant dans toutes les régions du pays.
On peut bien parler de changement climatique dans le contexte du Protocole de Kyoto lorsqu'on s'est occupé d'industrie lourde, qu'on a manié des organigrammes et de la haute technologie toute sa vie. En agriculture, il faut rester les pieds sur terre. C'est ce que nous nous efforçons de comprendre. Nous voulons amener nos interlocuteurs à partager notre enthousiasme et à s'intéresser à certains sujets. C'est là tout un défi.
Et vous savez le relever. Il nous est arrivé de rencontrer des scientifiques qui se donnent la peine de former des petits groupes et de s'entretenir avec les agriculteurs, plutôt que de s'adresser à eux.
Quel conseil pouvez-vous donner non seulement à nous, mais aussi au gouvernement, sur la façon d'aborder une question comme celle-ci et de recruter des spécialistes grâce auxquels les consommateurs seront satisfaits à l'avenir? Ce sont eux qu'il faut satisfaire.
M. Bryant: Vous parlez de la façon de convaincre le monde agricole. Voilà ce que je peux vous dire de prime à bord.
Il faut passer par les différents organismes professionnels agricoles. C'est important, car ils ont des réseaux. Lorsqu'on arrive à convaincre les personnes qui contrôlent l'accès à ces réseaux dans les associations — et il faut parfois y passer un certain temps — il est ensuite assez facile de convaincre une bonne partie du monde agricole. Il faut passer par les différentes associations agricoles, et non pas uniquement par les associations de producteurs; il y a aussi, par exemple, des clubs d'écologistes au Québec. Ils ont une conception particulièrement intéressante et novatrice du changement.
Et pendant qu'on sensibilise les organismes professionnels aux différents niveaux, il faut aussi les inviter à communiquer avec leurs membres. Il faut les convaincre que leur action doit aller au-delà du cercle restreint des membres les plus actifs.
Même s'ils font partie d'une association professionnelle, bien des agriculteurs n'ont pas vraiment l'impression d'y appartenir. Ils en sont officiellement membres, mais ils n'y souscrivent pas forcément, parce qu'ils estiment que l'association n'a rien à leur offrir ou qu'elle ne partage pas leurs préoccupations.
Certains organismes professionnels s'intéressent davantage à certains secteurs de l'économie agricole. De nombreux agriculteurs se sentent alors tenus à l'écart de l'association même s'ils sont obligés de lui verser une cotisation annuelle.
On peut faire son chemin en passant par les associations, mais on peut aussi frapper à d'autres portes pour pénétrer les réseaux agricoles, rassembler les énergies et organiser le changement. La situation peut varier considérablement d'une province à l'autre.
Au Québec, les municipalités de comté ont souvent un agent de développement rural. Certains d'entre eux ont une bonne expérience de l'activité agricole. Ils ont reçu une formation portant notamment sur l'environnement. Certains sont agronomes de formation. Il existe sur le terrain des ressources considérables qu'on pourrait utiliser pour communiquer plus efficacement avec le monde agricole.
Pour cela, il faut peut-être, soit au niveau provincial, soit plutôt à un niveau inférieur, trouver une sorte de structure qui permettrait d'amorcer un processus grâce auquel on pourrait travailler au niveau des collectivités, en interaction avec les agriculteurs constitués en petits groupes. Nous avons une bonne expérience en la matière, dans certaines régions du pays et dans d'autres domaines. Nous ne passons pas toujours par une association professionnelle officielle, mais c'est aussi important de le faire pour rejoindre les producteurs.
Je ne sais pas si mes propos vous seront utiles. Cependant, en procédant par province et par région pour bien comprendre les différents réseaux du monde agricole, il ne devrait pas être difficile d'amorcer un processus à petite échelle qui prendrait rapidement de l'ampleur au sein du monde agricole et qui susciterait une réflexion et un débat.
Le sénateur Fairbairn: Je suis heureuse que tout cela figure au compte rendu, car ce que vous dites est vrai. Nos collègues se souviennent que même au sein de ce comité, il est arrivé qu'on doive aborder rapidement des questions cruciales portant sur des structures et des montants considérables. Ce fut notamment le cas, ces dernières années, de nos travaux sur le filet de sécurité d'urgence.
À quelques reprises, nous avons écouté des représentants d'associations professionnelles et des représentants des provinces. Mais les résultats n'ont pas été très bons car nous étions à un niveau trop élevé. Par ailleurs, on ne tenait pas toujours compte des différences non seulement entre les provinces, mais entre les régions à l'intérieur d'une même province. Il y a trois ou quatre ans, nous avons fait un exercice pénible concernant l'ouest du Canada et malgré toute la meilleure volonté du monde et des milliards de dollars, nous n'avons obtenu que des résultats négatifs. Il faut pouvoir descendre en dessous de ces niveaux-là, qui n'ont rien de mauvais à proprement parler, mais qui ne permettent pas de rejoindre la réalité quotidienne des régions du Canada; et quand on ne le fait pas, l'impatience, le mécontentement et l'hostilité ne font qu'aggraver les choses. Je suis sûre que le sénateur Wiebe a quelque chose à dire à ce sujet.
M. Bryant: Je suis bien d'accord.
Le sénateur Wiebe: Le sénateur Fairbairn a raison. Jusqu'à maintenant, la classe politique avait tendance à vouloir résoudre les problèmes par l'argent. C'est un peu ce que vous avez dit en réponse à ma dernière question sur l'assurance-récolte et le CSRN. Vous avez dit que l'argent, c'est très bien, mais que ce n'est pas vraiment la solution.
Je reviens à ce qu'on appelle l'expérience néo-zélandaise. Dans ce pays, on a décidé il y a dix ans de ne plus verser de subventions aux agriculteurs. On leur a offert un montant forfaitaire en les invitant à décider s'ils continuaient l'agriculture ou s'ils se servaient de l'argent pour trouver autre chose.
En mars dernier, j'ai eu la chance de faire un séjour en Nouvelle-Zélande. J'étais très heureux de rencontrer des agriculteurs et de voir comment fonctionnait l'agriculture néo-zélandaise. Je l'ai trouvée dynamique, efficace et prospère, alors même qu'elle ne reçoit aucune subvention. Mais pour nous, il serait suicidaire d'appliquer la même formule au Canada.
Que pensez-vous de l'expérience néo-zélandaise à la lumière des commentaires du sénateur Fairbairn?
M. Bryant: J'ai dit que l'argent n'est pas la solution, mais il est toujours bon d'en avoir. Pourtant, il faut savoir à quoi l'employer, quel que soit le secteur économique considéré. L'argent qu'on distribue peut servir de palliatif, mais c'est aussi parfois une façon coûteuse d'aborder un problème. Nous avions le tour pour distribuer de l'argent à droite et à gauche et rendre les gens heureux, du moins à court terme. Mais il est beaucoup plus difficile de renforcer les capacités pour trouver de vraies solutions. On a parfois besoin d'un peu d'argent, mais surtout, c'est une question d'attitude de la part de ceux qui s'adressent au monde agricole, c'est-à-dire les fonctionnaires, les scientifiques et la classe politique.
Pour en revenir à la question des subventions, c'est un subtil numéro d'équilibriste. Les gens ont besoin d'aide pour faire face à certaines difficultés, que ce soit des catastrophes, une crise économique ou une situation dont ils ne sont pas responsables. Il faut leur venir en aide. On peut décider de ne pas les subventionner mais de les payer pour qu'ils fassent certaines choses de façon à obtenir une autre sorte de bien. En Europe occidentale, on a beaucoup parlé de la dissociation entre les subventions agricoles et la production agricole, c'est-à-dire qu'on donne de l'argent aux agriculteurs pour qu'ils fassent certaines choses d'une certaine façon.
Le président: Ou qu'ils ne le fassent pas.
M. Bryant: Ou qu'ils ne le fassent pas, par exemple en adoptant certaines méthodes de conservation dans des régions qui présentent un attrait particulier du point de vue esthétique, scientifique, patrimonial, et cetera. Au lieu de les subventionner, on demande aux agriculteurs d'entreprendre certaines cultures contre rémunération.
Par ailleurs, le fait de distribuer de l'argent à titre de palliatif temporaire — et le temporaire risque toujours de devenir permanent — on crée une dépendance. La dépendance est à l'opposé de l'objectif visé quand on veut favoriser la capacité d'adaptation et l'aptitude au changement.
Lorsque l'ALENA est entré en vigueur il y a quelques années, nous avons organisé des ateliers pour les agriculteurs de la région de Montréal, pour les maraîchers et les producteurs de lait; nous leur avons présenté l'ALENA et nous leur avons demandé d'y réagir.
Les plus mécontents étaient les producteurs de lait. En effet, ils ont vu que la formule du marché protégé et des quotas devrait sans doute être abandonnée. Pour les maraîchers, l'ALENA n'a pas grande importance. Ils sont présents sur le marché américain, donc ils subissent la concurrence, et ils ne sont ni réglementés, ni protégés. La seule chose qui les inquiétait, c'était la possibilité que leurs collègues producteurs de lait abandonnent le secteur laitier pour se lancer dans la production maraîchère.
Le président: Moi aussi, j'ai beaucoup apprécié ce que vous nous avez présenté ce soir.
Comme vous l'avez dit, les agriculteurs font souvent preuve d'esprit d'innovation et de résilience. Ils sont capables de réagir au changement, en utilisant de nouvelles graines, en se lançant dans des cultures différentes, en passant à la culture sans labour, en trouvant de nouvelles formes de commercialisation, et cetera. Comme vous l'avez dit, bien des agriculteurs passent maintenant à l'agriculture biologique. Vous avez parlé au sénateur Gustafson de ces liens directs entre les consommateurs et les agriculteurs. J'aimerais savoir jusqu'où on va actuellement dans ce domaine. Vous avez parlé de ces consommateurs qui s'assurent que le producteur n'a pas utilisé de pesticides ni d'insecticides et qui veulent savoir ce qu'ils mettent chaque jour dans leur panier à provisions. Vous avez dit aussi qu'ils vont parfois travailler à la ferme. En cas de changement climatique majeur ou de grêle, est-ce qu'ils seraient prêts à aller aider les agriculteurs? Quelle est l'étendue de leurs relations?
M. Bryant: La question du changement climatique ne les préoccupe guère actuellement, mais ceux qui s'y intéressent, entrent en contact avec les agriculteurs parce qu'ils tiennent à acheter un produit sain. Ils s'intéressent au procédé à l'issue duquel le produit arrive sur leur table. D'autres s'y intéressent parce qu'ils se préoccupent des effets sur l'environnement de l'agriculture moderne axée sur la productivité. Ils se placent aussi d'un point de vue plus large. Nous avons interrogé des exploitants du Québec qui cultivent des produits biologiques pour essayer de savoir pour quelle raison ils étaient passés à ce type de culture. C'est parfois pour des raisons de santé, des raisons personnelles, par souci de l'intérêt général et aussi parce que l'agriculteur se préoccupe de l'environnement. Même s'il n'est pas directement lié au changement climatique, le souci d'un environnement sain amène les consommateurs de ce genre à parler de changement climatique aux agriculteurs, qui leur parlent à leur tour de la place qu'occupe le changement climatique dans la planification de leurs activités et dans les décisions qu'ils ont à prendre.
Le président: Le sénateur Gustafson a parlé de la différence entre les collectivités rurales et urbaines. Les relations entre le consommateur et l'agriculteur dont vous nous avez parlé sont-elles des relations entre urbains et ruraux? Autrement dit, est-ce que les consommateurs quittent les villes pour établir ces relations? Si j'ai bien compris votre témoignage, vous dites aussi que certains consommateurs mettent la main à la pâte pour aider les agriculteurs.
M. Bryant: Parfois, lorsqu'ils travaillent à la ferme, c'est essentiellement pour acquérir de l'expérience. Ils ne sont pas forcément rémunérés.
Le président: Je vois.
M. Bryant: À part ce dont j'ai parlé, il existe d'autres relations en agriculture, même dans le contexte urbain. Nous en avons quelques exemples au Canada, mais on en trouve dans d'autres parties du monde, où les activités agricoles sont un moyen d'intégration pour ceux qui sont passés de la campagne à la ville. Ils ne peuvent pas toujours s'intégrer au marché du travail. On se sert des activités agricoles pour assurer l'intégration des chômeurs de longue durée, de ceux qui ont du mal à trouver leur place sur le marché du travail. On s'est servi de certains projets agricoles pour leur proposer du travail. Il ne s'agit pas simplement de leur donner une formation d'ouvriers agricoles; on les forme de façon beaucoup plus large, afin qu'ils trouvent l'estime de soi, par exemple. Mais ici, nous sommes dans un domaine différent.
On trouve aussi des exemples de fiducie foncière où la terre appartient à un groupe de consommateurs.
Le président: Est-ce qu'ils l'exploitent?
M. Bryant: Ils peuvent, par exemple, engager l'ancien agriculteur pour qu'il l'exploite pour eux et en contrepartie, ils constituent un conseil de gestion. De ce point de vue, la seule limite est celle de l'imagination et de la créativité.
Le président: Mais ces programmes existent?
M. Bryant: Ce sont des projets plutôt que des programmes.
Le président: C'est fascinant.
Vous êtes allé au coeur même des sujets qui nous intéressent, comme le sort des collectivités rurales, le changement climatique, l'adaptation, et cetera. Votre témoignage nous a été d'une aide précieuse. Merci beaucoup. Je vous demande de nous pardonner l'heure tardive, mais nous avons tenu à vous garder parce que nous avions bien des questions à vous poser pour bien saisir vos propos.
La séance est levée.