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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 19 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 7 octobre 2003

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 18 h 18 pour étudier l'impact du changement climatique sur l'agriculture, les forêts et les collectivités rurales au Canada et les stratégies d'adaptation à l'étude axées sur l'industrie primaire, les méthodes, les outils technologiques, les écosystèmes et d'autres éléments s'y rapportant.

Le sénateur Jack Wiebe (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président: Honorables sénateurs, comme vous le savez bien, au cours des quelques derniers mois, nous avons procédé à une étude d'envergure sur le changement climatique, sur l'opportunité et la manière de nous adapter au changement climatique et sur, de fait, la question qui vise à savoir si le climat change bel et bien.

Ce soir, nous allons pouvoir accueillir à nouveau le ministère des Ressources naturelles. Nous remercions sincèrement les représentants de venir comparaître encore une fois.

Je crois savoir que c'est la première fois que M. Lemmen vient témoigner devant le comité. Par contre, monsieur Miller, vous avec eu l'obligeance de venir témoigner la dernière fois. Nous sommes heureux de vous accueillir à nouveau, ce soir.

À la suite des rencontres dont il est question, le comité a produit un rapport provisoire. Nous espérons que vous avez eu le temps de le passer en revue. En ce moment, nous sommes en train de rédiger la version définitive. Nous vous encourageons à faire part de vos idées sur l'orientation que, selon vous, les gouvernements ou les particuliers partout au Canada devraient prendre en ce qui concerne le changement climatique.

[Français]

M. Gordon Miller, directeur général, Direction des sciences, Service canadien des forêts, Ressources naturelles Canada: C'est un plaisir d'être ici aujourd'hui afin de vous parler des impacts du changement climatique.

[Traduction]

D'abord, la date de notre dernière comparution devant le comité était le 28 novembre 2002. J'aimerais présenter certaines des personnes qui sont venues expliquer ce que fait Ressources naturelles Canada ces temps-ci en rapport avec l'impact du changement climatique. Il s'agit de M. Don Lemmen, de Mme Pamela Kertland, de Mme Nancy Kinsbury et de M. Mike Flannigan. Chacun possède une expertise propre qui est susceptible d'être utile aux membres du comité pendant notre discussion.

Premièrement, je tiens à remercier le comité de l'occasion qui nous est offerte de comparaître à nouveau et d'expliquer certains des événements qui ont eu lieu récemment à Ressources naturelles Canada, ainsi que pour exposer certaines des réactions que nous avons eues face au rapport. Au nom du ministère, je tiens à féliciter le comité. Nous sommes d'avis qu'il s'agit d'un très bon rapport. C'est un rapport qui réunit de nombreux éléments d'information provenant de diverses perspectives, ce qui nous aidera à discuter des impacts du changement climatique et de la question de l'adaptation.

C'est nous qui avons été délégués aujourd'hui pour représenter Ressources naturelles Canada. Toutefois, de nombreuses autres personnes s'intéressent à cette question. Vous avez recueilli le point de vue de certains de nos chercheurs, en particulier, l'hiver dernier. Nous leur avons remis votre rapport, pour obtenir leurs réactions, et je dois dire que l'excellente synthèse de l'état actuel des choses qui s'y trouve les a tout autant impressionnés.

Au fil de notre exposé — et, je soupçonne, pendant la discussion qui s'ensuivra —, nous allons insister sur nombre des points que M. Dhaliwal a fait valoir dans sa lettre au comité, à la suite de la publication du rapport provisoire.

Sans plus tarder, je cède la parole à M. Lemmen, qui commencera l'exposé.

M. Donald Lemmen, directeur exécutif intérimaire, Direction des impacts et de l'adaptation liés au changement climatique, Secteur des sciences de la Terre, Ressources naturelles Canada: Monsieur le président, pour refléter les approches que nous avons adoptées dans nos programmes respectifs à Ressources naturelles Canada, nous avons intitulé notre document «S'adapter en fonction des risques que pose le changement de notre climat.» Ce choix concorde avec les thèmes présentés dans votre rapport provisoire. Il reconnaît le fait que l'incidence du changement climatique équivaut à un risque, que malgré l'incertitude entourant l'ampleur exacte des impacts dont il est question et le moment où ils se manifesteront, il faut tout de même gérer le risque, en partie, grâce à l'adaptation.

Le deuxième transparent illustre les événements de l'été dernier, dont nous sommes tous très conscients. Malheureusement, ces phénomènes se sont manifestés au cours des quelques dernières semaines et ont fait voir que nous sommes bel et bien vulnérables au climat.

Certaines contrées d'Europe ont connu l'été plus chaud qu'il y ait eu depuis au moins 500 ans. La canicule en France a été à l'origine de plus de 10 000 décès directs ou indirects.

Les incendies de forêt ont ravagé une bonne part de l'Ouest canadien. Nous savons que les pertes matérielles ont été énormes dans les régions de Kelowna et de Kamloops. Les incendies ont sévi pendant l'année la plus sèche que l'on ait connue depuis que les dossiers sont tenus, soit 104 ans, à Kelowna. Cela fait à peine plus d'une semaine que l'ouragan Juan a atteint Halifax, puis a poursuivi sa route vers le Nord en traversant l'Île-du-Prince-Édouard, suscitant de graves dommages et des impacts qui se feront sentir pendant des mois et, dans de nombreux cas, pendant des années.

Ce n'est pas la première fois que des phénomènes météorologiques sont un impact grave. Il n'est pas possible d'affirmer que les phénomènes récents sont attribuables au changement climatique. Tout de même, nous pouvons dire que, selon les prévisions pour l'avenir, de tels phénomènes deviendront probablement plus courants et, peut-être, plus intenses.

Passons au troisième transparent — le rapport de votre comité résume les propos qu'il a recueillis auprès de nombreux témoins. Le climat change à un rythme jamais vu en 10 000 ans.

Il est d'importance capitale de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour s'attaquer à la racine du changement climatique anthropique. Comme cela est reconnu dans le plan canadien sur le changement climatique, même si on parvenait à réduire rapidement et de manière durable les émissions de gaz à effet de serre, les impacts du changement climatique continueraient de se faire sentir pendant de nombreuses décennies, et il faudrait prendre des mesures d'adaptation.

Transparent suivant: Ressources naturelles Canada est la figure de proue, sinon un élément constitutif d'un grand nombre d'initiatives portant sur l'adaptation au changement climatique. Le comité s'intéressera particulièrement aux activités du Programme de changement climatique — impacts et adaptation, dont notre bureau assure la direction et dont l'exécution relève de Ressources naturelles Canada au nom du gouvernement du Canada, ainsi qu'à une panoplie d'activités se rapportant au changement climatique au Service canadien des forêts.

Pour ce qui est du programme assuré par notre direction, il importe de reconnaître que le programme d'impacts et d'adaptation englobe tous les secteurs et toutes les régions du Canada. Autrement dit, de par son envergure, il couvre beaucoup plus de terrain que celui des ressources naturelles.

Le programme est associé à trois grandes activités, la première étant le financement de la recherche sur les impacts et l'adaptation aussi bien que le renforcement de la capacité de recherche.

Depuis le début de l'année, le programme a permis de financer 36 nouveaux projets de recherche, pour un total de 3,59 millions de dollars. Onze des projets en question portent sur des questions forestières. Des propositions de projet touchant l'agriculture, et particulièrement l'impact des sécheresses et les conséquences qu'elles ont pour la gestion et les opérations des fermes, sont actuellement à l'étude.

En outre, le comité s'intéressera directement à l'attribution de notre part d'un demi-million de dollars à une étude visant à examiner l'impact du changement climatique sur la demande et l'approvisionnement en eau dans le bassin de la rivière Saskatchewan Sud.

La deuxième grande activité associée au programme touche les réseaux. Au premier stade des audiences, le comité a accueilli de nombreux témoins associés au Réseau canadien de recherche sur les impacts climatiques et l'adaptation, ou C-CIARN. Le C-CIARN, établi par Ressources naturelles Canada et financé grâce à notre programme, réunit divers intervenants et des chercheurs et permet de s'assurer que la recherche entreprise contribue à la gestion des risques que pose le changement climatique. Au total, le C-CIARN compte plus de 2 400 membres disséminés au Canada.

Enfin, le programme d'impacts et d'adaptation évolue, et compte désormais un rôle de coordination de l'analyse et de l'élaboration des politiques aux niveaux fédéral et national.

En prenant cela pour point de départ — passons au transparent suivant —, j'aimerais insister sur le fait que les ministères fédéraux comprennent bien la nécessité de collaborer en rapport avec les impacts du changement climatique et l'adaptation que cela suppose. Une des raisons importantes, c'est que toute adaptation décidée dans un secteur donné aura des conséquences importantes pour de nombreux autres secteurs. Les liens qui unissent l'agriculture, l'énergie, les collectivités et les loisirs en ce qui concerne les ressources en eau constituent un exemple patent. La possibilité que le changement climatique attise les conflits entre les différents consommateurs d'eau dont il est question figure parmi les points saillants de votre rapport provisoire.

Deuxièmement, aux côtés de l'Alberta, Ressources naturelles Canada copréside le groupe de travail fédéral- provincial-territorial ayant pour tâche de mettre en œuvre le cadre d'adaptation national. Le groupe se concentre actuellement sur deux éléments clés du cadre en question — sensibiliser les décideurs clés à la question, au sein du gouvernement comme au sein du secteur privé, et élaborer des outils de travail et des stratégies pour aider les décideurs en question à inscrire l'adaptation au changement climatique dans leur approche de gestion des risques.

Transparent suivant — les responsables du programme reconnaissent qu'il nous faut aborder la question de l'adaptation, tout au moins, en trois étapes. La première étape consiste à sensibiliser les pouvoirs publics, le secteur privé et les particuliers au fait que l'adaptation est le complément nécessaire des méthodes d'atténuation du changement climatique. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que le rapport de votre comité représente une contribution très importante à ce travail de sensibilisation.

La deuxième étape consisterait à mieux jauger le risque que présente pour les Canadiens le changement climatique. Pour évaluer le risque, il faut d'abord comprendre en quoi nous sommes actuellement vulnérables au climat. Facteur clé: comprendre notre faculté d'adaptation et les obstacles qui nous empêchent peut-être de nous adapter.

Pour établir notre vulnérabilité future, il faut tenir compte des conditions à prévoir.

S'il est souhaitable de continuer à améliorer les modèles que nous employons pour prévoir les futures conditions climatiques, sociales et économiques, il faut encore se résigner au fait qu'il y aura toujours un certain degré d'incertitude; par conséquent, nous devons faire de cela une question de gestion des risques.

La troisième étape consiste à élaborer des politiques et des programmes en vue de gérer le risque en question. Accroître la capacité qu'ont les Canadiens de s'adapter à la variabilité du climat ainsi qu'aux changements projetés devrait être un élément clé de tels programmes.

Je cède la parole à M. Miller, qui parlera des activités du Service canadien des forêts.

M. Miller: Le Service canadien des forêts travaille à nombre des points sur lesquels M. Lemmen a insisté. Le transparent 7 illustre le cadre principal que nous employons pour traiter des impacts et de l'adaptation, qui reposent sensiblement sur une approche dite de vulnérabilité nationale, c'est-à-dire que nous cherchons à voir en quoi les collectivités qui dépendent des forêts et l'industrie forestière sont vulnérables au changement climatique. Nous croyons que cette approche nous aidera à traiter du cas des communautés, en particulier, et constituera un bon cadre pour voir l'évolution future du climat, à mesure que nous essayons de mettre au point des stratégies pour nous y adapter. Certes, la capacité de jauger le degré de vulnérabilité est un élément clé de l'examen des forêts, de l'industrie forestière et des communautés qui en dépendent.

Nous sommes associés de très près au réseau C-CIARN. Il existe un réseau forestier dont le siège est à Edmonton, et je crois que vous avec eu droit à des exposés de ce groupe par le passé. Un objectif, entre autres, consiste à établir un réseau qui permettra d'étudier les conséquences possibles du changement climatique pour les collectivités, les forêts et l'industrie forestière. Ce réseau se concentrera sur les stratégies d'adaptation potentielles qui permettront au secteur forestier de réduire au minimum les impacts défavorables du changement climatique, tout en tirant parti des occasions nouvelles qu'il peut susciter.

À titre d'exemple d'une stratégie d'adaptation, citons le concept de «sécurité-incendie» présenté au comité, plus tôt, par des chercheurs du SCF. De même, le SCF est sur le point de lancer une analyse des nouvelles méthodes de gestion des incendies de forêt au Canada. Cela s'inscrit dans la foulée des événements qui se sont produits en Colombie- Britannique cet été, entre autres. Une analyse des liens qui existent entre les incendies de forêt et le changement climatique figure également dans cette analyse générale.

Transparent 8 — j'aimerais signaler au comité que nous continuons de faire d'importants progrès dans de nombreux domaines de la recherche sur le changement climatique. Dans votre rapport provisoire, vous avez raison d'insister sur l'importance des modèles climatiques et d'impacts quand il s'agit d'établir des informations à une échelle qui convient pour s'attaquer à des questions concrètes sur le terrain.

Pour ce qui est des résultats des modèles climatiques régionaux, les chercheurs du Service canadien des forêts peuvent maintenant projeter l'évolution des incendies de forêt et des invasions de ravageurs sur une zone circonscrite de cinq kilomètres sur cinq, comme le laisse voir la carte du transparent. Néanmoins, ce degré d'analyse n'est possible en ce moment que pour l'ouest du Canada; par ailleurs, il ne représente qu'une des panoplies de scénarios du changement climatique possibles.

Les événements de l'été font ressortir la nécessité d'approfondir les recherches sur les impacts sociaux et économiques du changement climatique dans le secteur forestier. Il en sera question dans l'analyse des incendies de forêt dont j'ai fait mention plus tôt. J'ajouterais que, dans le contexte, nous étudions la situation de la Colombie- Britannique en ce qui concerne le dendroctone du pin.

Finalement, les impacts du changement climatique et l'adaptation au phénomène constituent une préoccupation clé des milieux internationaux de la recherche et des politiques. Cela a d'ailleurs été un thème important du Congrès forestier mondial tenu à Québec il y a de cela deux semaines.

Neuvième transparent — certes, l'activité du Service canadien des forêts en matière d'impacts et d'adaptation est conçue pour aider les experts forestiers à inclure le changement climatique dans leur cadre de gestion des risques et pour garantir que les décisions en matière d'adaptation se fondent sur une recherche scientifique de première qualité, qui est à la fine pointe. De plus en plus, l'industrie souhaite comprendre les conséquences possibles du phénomène pour la ressource, de manière à en tenir compte dans ses plans d'aménagement à long terme.

Pour conclure, j'insisterais pour dire que le changement climatique représente un risque dans toutes les régions et pratiquement dans tous les secteurs au Canada, y compris l'agriculture et l'exploitation forestière. De fait, nous devrions probablement envisager des façons de stimuler l'interaction entre les secteurs, de manière à mieux comprendre, à l'échelle communautaire, le genre de stratégies d'adaptation qui convient. Il nous faut continuer d'évaluer à la fois les risques et les occasions que présente le changement climatique, en sachant qu'il faudra peut-être composer avec certaines conséquences environnementales, sociales et économiques. Pour comprendre les points où nous sommes le plus vulnérables, nous devons évaluer notre capacité d'adaptation et, ensuite, les mesures d'adaptation possibles.

«Adaptation», en fait, est un synonyme de «gestion des risques.» C'est une activité prudente qui servira non seulement à réduire les impacts du changement climatique à l'avenir, mais à améliorer notre résistance à la variabilité du climat actuel, comme M. Lemmen l'a souligné dans le cas de l'ouragan Juan, et à d'autres phénomènes comme la tempête de verglas qui a eu lieu ici à Ottawa il n'y a pas si longtemps.

Les gouvernements, l'industrie, les particuliers — chacun a un rôle à jouer en s'adaptant, et il est extrêmement important d'entreprendre l'adaptation d'une façon concertée, pour que les mesures mises en place dans un secteur donné ne comportent pas de conséquences défavorables et imprévues pour d'autres activités.

Mes collègues et moi serons heureux de répondre à toute question que les membres du comité voudront bien poser.

Le vice-président: Merci beaucoup. J'ai une longue liste de questionneurs.

Monsieur Lemmen, le transparent à la page 3 m'a frappé. À mon avis, tout y est dit. Vous parlez de sensibilisation et du rôle important que joue l'éducation. Vous dites que, même si on réussit à procéder à des réductions rapides et soutenues des émissions, nous continuerons de ressentir pendant de nombreuses décennies les répercussions des changements climatiques, et des mesures d'adaptation seront nécessaires.

Une des difficultés que nous avons remarquées pendant nos voyages au Canada et dont les témoins nous ont fait part, c'est que le débat entier au Canada semble être centré sur le protocole de Kyoto; nombreux sont les gens qui ont l'impression que si nous atteignons les objectifs du protocole, tous nos problèmes seront réglés. Même si tous les pays du monde atteignent les buts qu'ils se fixent, ce que vous avez dit demeurera vrai.

Nous devons mener une campagne d'éducation d'envergure qui incitera le grand public à participer à un débat sur l'adaptation et le changement climatique. Si vous êtes d'accord avec cette affirmation, quel serait, selon vous, l'organisme gouvernemental qui devrait être chargé d'une telle campagne au Canada? Croyez-vous qu'il faudrait élargir le rôle du réseau C-CIARN et le charger d'organiser une importante stratégie d'éducation et de communication?

M. Lemmen: Très juste. Si les membres de la population générale comprennent de mieux en mieux la question du changement climatique, il y a encore de nombreuses limites à cela. Malgré le fait que le protocole de Kyoto est comme une première mesure bien modeste pour lutter contre le changement climatique, les conséquences réelles, comme on le voit au transparent 3 et dans la citation tirée du Plan du Canada sur les changements climatiques, ne sont pas largement comprises.

Les rôles applicables en fait d'éducation doivent être définis très largement. Le C-CIARN est un bon exemple; voilà l'occasion rêvée, car c'est un partenariat conclu entre toutes sortes d'intervenants, y compris le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires, l'industrie et les universités. Il y a certes un rôle important à jouer pour nombre d'autres niveaux à l'intérieur même de l'administration fédérale. Ce n'est pas une responsabilité qui incomberait à un seul ministère. Il faudra un message concerté qui fait appel à une panoplie de ministères. Certaines questions, comme l'étude des conséquences pour le transport et l'infrastructure, dépassent largement la capacité des ministères chargés des questions scientifiques et des ressources naturelles.

Les provinces et les municipalités ont un rôle clé à jouer sur le plan de l'éducation et de la sensibilisation, dans le contexte du cadre national d'adaptation. Les autorités fédérales, provinciales et territoriales ont déclaré qu'il s'agit là d'une mesure prioritaire.

Le sénateur Gustafson: Ce dont je me soucie, c'est de la misère humaine qu'il y a en raison de plusieurs choses. Cette semaine, des voisins m'ont parlé de quatre jeunes fermiers qui quittent la région. Le père d'un d'entre eux, un voisin également, a 80 ans et essaie de faire fonctionner lui-même la ferme. Il ne devrait pas faire cela, et j'admettrai qu'il n'est pas obligé de le faire. Toutefois, voilà la situation que nous découvrons.

Pour une raison ou une autre, les gens dans les régions rurales du Canada ne croient pas que les autres Canadiens comprennent cela et qu'il s'agit d'une question grave. La situation est grave aussi dans le domaine forestier.

Nous avons un merveilleux pays. Nous vivons dans un climat froid. À voir ce que la France a traversé avec des températures de 40 degrés Celsius, il y a lieu de se demander si nous sommes vraiment prêts à affronter le problème et ce que nous allons faire.

Vous l'admettez vous-même, et nous l'avons entendu au comité, il n'y a pas grand-chose à faire, d'une façon ou d'une autre, qui aurait un effet du jour au lendemain. Nous allons devoir nous rajuster en fonction des problèmes auxquels nous ferons face.

Dans la province de la Saskatchewan, par exemple, nous avons perdu 10 000 agriculteurs depuis 1961. Pour une population de seulement 900 000 âmes, c'est un gros pourcentage. Cette migration mine le développement rural. Selon bon nombre d'entre nous qui vivons en milieu rural, le mouvement en question se produit, mais personne ne s'en soucie. Je simplifie peut-être à l'excès, je ne sais pas. J'aimerais savoir ce que vous pensez des plans échafaudés pour sensibiliser les gens et commencer à régler certains de ces problèmes.

Bien des choses se sont produites — la sécheresse, la maladie de la vache folle, la chute du prix du grain, le réchauffement de la planète et ainsi de suite. C'est probablement un des problèmes les plus importants auxquels le Canada fait face.

M. Lemmen: Le sénateur Gustafson a fait ressortir un point très important. C'est un défi non seulement pour les chercheurs, mais aussi pour ceux qui conçoivent des programmes — les régions vivent des pressions en rapport avec de nombreux facteurs. Certes, je comprends bien les questions que vous avez soulevées en rapport avec l'agriculture dans les Prairies.

Comme je suis né en Alberta et que j'y ai été élevé, j'ai passé sept ans de ma vie à regarder le climat évoluer dans le triangle de Palliser. Par le passé, il n'était pas si rare d'avoir plusieurs sécheresses successives. Le risque relevé dans votre rapport est bien réel. Cela se répercuterait sur de nombreux segments de la société canadienne.

Du point de vue du changement climatique, les questions en jeu sont clairement reconnues. Cette question est prioritaire non seulement du point de vue fédéral, mais aussi de celui des provinces et des territoires. On reconnaît que, quelles que soient les mesures adoptées en rapport avec le changement climatique, il faut envisager d'autres questions liées à l'économie et à la viabilité, comme celles qui ont été décrites.

M. Miller: J'aimerais ajouter à cela un exemple précis qui touche le domaine forestier. Nous sommes conscients des tensions qui existent entre le milieu rural et le milieu urbain en ce qui concerne le développement des forêts, de manière générale. Le président du Sous-comité des collectivités dépendantes des forêts de la Fédération canadienne des municipalités siège à notre conseil consultatif. Il nous rappelle périodiquement la nécessité de tenir des discussions avec les collectivités.

Dans le contexte particulier du réseau national sur la vulnérabilité que nous sommes en train de mettre en place, l'intérêt réel des discussions que nous avons à propos de la forêt et de l'industrie forestière, c'est la collectivité. Nous avons essayé de déterminer comment nous y prendre efficacement. Un des mécanismes que nous allons essayer d'employer, si on nous permet de le faire, c'est le Sous-comité des collectivités forestières.

Nous sommes conscients de la situation et essayons de composer avec elle: il faut impérativement que nous comprenions les besoins, en vue de lancer une importante initiative de recherche.

Le sénateur Gustafson: En agriculture, le prix des intrants est tellement élevé que, dans bon nombre de cas, les banques délaissent les agriculteurs qu'ils assimilent à de mauvais risques. Il y a quelque chose qui m'inquiète vraiment — et on en est aux premiers stades —, c'est que les grandes entreprises comme Monsanto et Cargill conçoivent des programmes où ils offrent les semences et font signer un contrat à l'agriculteur, qui devient l'esclave de sa propre ferme, un serf. La situation commence à faire boule de neige.

J'ai été surpris quand un voisin m'a dit qu'il a signé un contrat pour obtenir les semences. Il ne peut pas les utiliser, l'an prochain. Il doit verser 15 p. 100 de ses profits à l'entreprise, et il est assujetti à certaines restrictions.

Ces entreprises vont prendre en charge les fermes, sans même devoir en être les propriétaires. Il faudrait faire les recherches sur ce sujet, car les questions commencent à faire boule de neige. Du fait de la sécheresse et de tout le reste, les agriculteurs se trouvent en détresse financière. Par conséquent, pour essayer de poursuivre leurs activités, ils adoptent cette voie. Par ailleurs, et mon analyse est peut-être fautive, du côté des États-Unis, les agriculteurs n'ont pas à faire cela, étant donné les subventions qu'ils reçoivent. Ils obtiennent l'argent nécessaire pour fonctionner, sous forme de subventions. Dans la plupart des cas, il s'agit de grandes entreprises américaines, qui, essentiellement, s'emparent de notre industrie.

Bon, certains diront que c'est la seule voie possible. Quelqu'un va travailler la terre et quelqu'un va produire les aliments. Il faudra de la recherche, des études pour déterminer comment cela se fera et quel en sera l'impact sur notre pays.

Le vice-président: Est-ce que quelqu'un veut s'attaquer à cette question?

M. Miller: Il nous faut du temps pour comprendre les conséquences sociales et économiques du changement climatique. C'est là une des caractéristiques principales du réseau que nous sommes en train de mettre sur pied. Je conviens de la nécessité pour nous de comprendre les conséquences du phénomène pour les collectivités et les individus. Au SCF, nous cultivons un certain dialogue avec les provinces et le milieu universitaire. L'effort en question est ancré pour une bonne part en Saskatchewan, là où le domaine agroforestier et les occasions présentées dans le contexte feront l'objet d'un intérêt et d'une connaissance non négligeables. Cela, en fait, aiderait.

M. Lemmen: Je suis d'accord pour dire que le genre de recherche décrit dans les exemples n'est peut-être pas lié au changement climatique. Pour décrire le genre de recherche que nous appuierions directement, citons les études visant à déterminer comment les agriculteurs et exploitants individuels prennent des décisions et à mettre au jour les facteurs qui ont une influence sur eux. Le résultat d'une telle recherche s'appliquerait aux questions plus générales que vous avez décrites.

Le sénateur Fairbairn: Je peux dire que le climat a eu raison de moi cet été dans le sud-ouest de l'Alberta, qui est un endroit assez intéressant. En mai, l'herbe était haute, la pluie était au rendez-vous, et tout allait bien — c'était un retour en force. Puis, il y a eu la maladie de la vache folle, pas dans notre région, mais plus au nord. Tout de même, l'industrie du bétail en général en a souffert. Cela a eu un effet sur le pays, sur notre industrie du bétail et sur toutes les industries qui la soutiennent, par exemple le conditionnement, l'engraissement et le transport par camion.

Par rapport à ce dont nous discutons en ce moment, il y a une chose qui est arrivée. J'ai souvent dit aux agriculteurs que la démocratie est une excellente idée et qu'il n'y a jamais d'autre voie à prendre, mais parfois, il peut y avoir quelque difficulté. J'étais seule parmi les représentants du gouvernement fédéral dans notre région. Il est intéressant de constater que les agriculteurs, une fois le premier choc passé, ne comprenaient pas vraiment la question de la maladie. Par conséquent, la seule façon de faire passer le message, c'était de se rendre dans les rassemblements, les salles d'encan et tous les autres lieux que fréquentent les agriculteurs. J'ai obtenu d'Agriculture et Agroalimentaire Canada de me faire accompagner d'un représentant de l'Agence canadienne d'inspection des aliments, qui a mené la charge de façon magnifique au début de cette histoire. Il était tout à fait étonnant de voir comment cet homme pouvait changer les choses, du fait de sa présence et des réponses qu'il donnait aux questions des agriculteurs, par exemple: «Qu'est-ce que l'ESB?» Cela a beaucoup rassuré les agriculteurs, qui ne savaient pas ce qui allait leur arriver. Il était bon que les agriculteurs puissent se renseigner auprès d'une personne qui savait clairement ce dont elle parlait et qui était prête à mettre x nombre d'heures à répondre à leurs questions.

C'était comme un microcosme de la tâche que nous essayons d'accomplir ici. Ils ont fait cela sur le terrain, pendant la crise, et, de même, ils ont utilisé les lignes téléphoniques pour renseigner quotidiennement les députés, les médias et tous les groupes au sein de l'industrie, pour que tout le monde, au fur et à mesure que les choses se faisaient, soit au courant. Cela a tellement facilité les choses pour chacun, d'être renseigné. Les agriculteurs se sentaient mieux de savoir que quelqu'un faisait quelque chose et les en avisait. Cette impression de comprendre et d'être branché sur quelque chose est une des raisons importantes pour lesquelles toute cette histoire, si pénible qu'elle ait pu être, n'a pas donné lieu à une hystérie collective dès le départ.

Si vous cherchez un exemple, songez donc à cette histoire récente. Les choses ont été faites comme il faut, même si ce n'était pas parfait. Normalement, l'information est nettement plus fragmentée, et bien des gens ne reçoivent aucun éclaircissement, de sorte qu'ils sont en colère et qu'ils ont peur.

Tout au long de nos audiences, nous avons entendu dire que les glaciers sont en train de disparaître. Tout juste après l'apparition de la maladie de la vache folle, des incendies se sont déclarés dans le coin du Pas du Nid-de-Corbeau. S'ils avaient pris une autre direction, il y aurait eu perte de vie et endommagement de l'infrastructure. Les incendies ont aussi fait rage dans le Glacier National Park, au Montana. Les gens là-bas auraient pu nous servir de témoins à notre comité. Cela nous a fait prendre conscience du fait qu'ils pouvaient dépendre nettement moins que nous des ressources naturelles en eau pour lutter contre les incendies. Un lien de communication a permis d'expliquer pourquoi certaines choses étaient faites, mais pas d'autres.

La lutte contre les incendies s'est faite de façon assez différente dans les diverses régions qui ont reçu tant d'attention de la part des médias. J'étais assez fière de ce qui se faisait au Pas du Nid-de-Corbeau et dans les toutes petites villes qui s'y trouvent, dont chacune a son service de lutte aux incendies. Vous avez parlé d'adaptation et de sécurité-incendie. Les gens là-bas accomplissaient déjà une partie de ce travail, en ne sachant pas qu'il y aurait sûrement un incendie, mais ils vivent à un endroit où les incendies sont probables. Ils ont décidé de former les gens à ce qui est qualifié de«protection de l'infrastructure urbaine», idée qui concorde en fait avec celle de la sécurité-incendie. Dans le matériel recommandé, il y a des boyaux pour les toits et les murs des maisons. Canadian Tire a envoyé un camion diesel chargé de boyaux au Pas du Nid-de-Corbeau, sans frais. Je me suis rendue à l'extrémité du secteur touché par l'incendie, dans le coin de Lost Creek, et j'ai été témoin des ravages subis par ce qui était anciennement une forêt et qui n'est maintenant que branchailles noircies. Les maisons dans le secteur ont été sauvées par les nombreux boyaux mis à profit pour les asperger d'eau.

Rien n'a été perdu — ni être humain, ni maison, ni bâtiment commercial ou animal. Deux toilettes extérieures, qui ne servaient plus, ont été perdues. Cela s'est fait très rapidement. Ce serait une chose à étudier s'il faut que cela soit le truc à faire.

Après tout cela, la sécheresse est revenue avec une invasion de sauterelles de proportions bibliques, après quoi nous en étions revenus à la case de départ.

La chose qui est quand même arrivée, tout juste avant que je revienne, il y a une semaine environ — et je ne suis pas sûre de la présence fédérale, mais je sais que les ministres n'étaient pas là —, c'est qu'il y a eu la toute première conférence internationale sur l'énergie éolienne, à Fort MacLeod. Voilà qui évoque le genre d'action à laquelle nous nous adonnons avec cette histoire du changement climatique. Avec tous les trucs qui vont mal — ou qui ne vont pas comme nous le voudrions —, cela nous a rappelé le rythme auquel l'industrie a crû depuis quatre ans. Nous prenons un aspect du climat et nous nous en servons à bon escient. Fait assez intéressant, nombre des entreprises dont la vocation est en rapport avec certains des autres aspects du climat, mais dont l'activité n'est pas considérée comme bénéfique, investissent maintenant de façon importante dans l'énergie éolienne. C'était quelque chose de caractère international et de nature très provinciale à la fois; et j'ai été déçue, parce que je n'étais pas certaine que la présence fédérale était suffisante pour que les gens sachent que nous étions intéressés par la question et que nous voulions aider.

Voilà des observations qui se rapportent à une petite partie du Canada, et la même chose vaut certainement pour de nombreuses autres parties. Il y a eu des moments d'illumination — à savoir la possibilité d'agir en ce sens et analyser un peu plus pour voir comment les choses ont été prises en main, car les actions adoptées peuvent servir de point de départ à autre chose.

M. Lemmen: Je peux peut-être commencer. Vous avez formulé plusieurs points extrêmement importants qui vont nous aider, en tant que Canadiens, à tous les niveaux, à commencer à relever certains défis que présente le changement climatique.

Vous avez bien fait valoir que l'adaptation n'équivaut pas, ou n'a certainement pas à équivaloir à de l'astrophysique. Il s'agit de déterminer les risques et de s'assurer d'adopter les mesures appropriées pour les réduire au minimum. Le climat ne va pas changer radicalement du jour au lendemain. Si les collectivités sont bien adaptées à la variabilité qu'elles connaissent aujourd'hui, elles sont probablement bien placées pour relever les défis qui se présenteront à l'avenir. Oui, il faudra s'adapter davantage.

L'autre point clé que j'ai saisi dans votre remarque touche la question d'expertise. Trop souvent, nous recherchons cette expertise auprès de titulaires de doctorat. Ils ont une expertise à mettre à profit, mais il y a aussi une certaine expertise chez l'intéressé lui-même — dans le cas qui nous occupe, l'agriculteur.

Un des éléments clés que nous avons essayé de mettre en valeur dans notre programme de financement, c'est que, quand les gens nous remettent une proposition, ils doivent indiquer, pour le tout premier stade des recherches, que les destinataires de l'information ont un rôle à jouer. S'il est question d'agriculture, est-ce que les associations agricoles locales ont un rôle à jouer, et est-ce que ce sera un rôle digne de ce nom durant tout l'exercice?

Voilà une des leçons que nous avons tirées de notre expérience, et le milieu de la recherche a admis que cela est important — que son expertise n'est vraiment précieuse qu'au moment où elle fonctionne de concert avec l'expertise que vous êtes en train de décrire.

M. Miller: Si vous me permettez d'ajouter quelques idées, je dirais que, à Ressources naturelles Canada, nous sommes conscients de la nécessité d'améliorer nos communications avec le public, en particulier, et avec les clients aussi — de façon générale et aussi en rapport précisément avec la question du changement climatique — pour aider les gens à comprendre ce dont il s'agit et ce que cela peut vouloir dire. Le ministère cherche actuellement à adopter des façons plus efficaces de communiquer le sens possible de toutes les recherches scientifiques, de dire aux collectivités, aux industries et ainsi de suite ce que peut signifier le changement climatique.

Nous sommes conscients de la nécessité d'améliorer les communications, et il y a au sein du ministère une discussion assez bien nourrie sur la manière de procéder pour y arriver.

Je dirais que je suis d'accord avec M. Lemmen: pour une bonne part, l'adaptation ne tient pas de l'astrophysique. Certes, les collectivités qui vivent de la forêt sont tout à fait conscientes du risque réel que présentent les incendies. Le plus souvent, ils sont préparés à cet égard, mais nous croyons pouvoir les aider à en faire plus. Voilà la raison d'être de l'idée de sécurité-incendie. Nous allons également procéder à une importante analyse de la façon dont nous abordons la gestion des incendies de forêt au Canada. Il s'agira de savoir comment se préparent les collectivités, depuis le fait de s'assurer que l'infrastructure est en place pour que nous puissions lutter contre les incendies qui se déclarent jusqu'à l'utilisation de bombardiers à eau. C'est de ce genre de capacité dont il s'agit. Pour une grande part, cela relève des instances provinciales, mais nous les aidons tout de même à coordonner l'affaire sur le plan national, grâce au Centre interservices des feux de forêt, à Winnipeg.

Dans le cadre de cette analyse, nous allons entamer des pourparlers avec les municipalités au sujet du zonage et des diverses approches qu'on pourra employer pour se préparer aux incendies à l'avenir, pour ne pas seulement réagir une fois le feu déclaré.

Le sénateur Fairbairn: Dernière observation à ce sujet: je voulais mentionner une chose qui m'est arrivée quand j'étais dans le coin du Pas du Nid-de-Corbeau. Je suis restée loin du feu quand celui-ci faisait rage —les autorités n'avaient pas besoin de s'occuper d'un touriste à ce moment-là. Tout de même, j'y suis retournée à la fin et j'ai passé les choses en revue avec les responsables. J'ai parlé au maire du secteur et à l'équipe de bénévoles — organisée de façon extraordinaire — et je leur ai dit: plutôt que de dire que tout est fini et de passer à autre chose, pourriez-vous noter comme il faut ce que vous avez fait? Je leur ai demandé s'il pouvait établir le récit des événements, point par point. Aucun élément n'est négligeable, car ce qu'ils ont fait a fonctionné pour eux; et si certaines des façons de faire avaient été adoptées ailleurs, il y aurait peut-être eu une façon de prévenir certains des problèmes au tout début.

Il m'a dit qu'ils le feraient, de sorte qu'il serait la personne à qui s'adresser.

Le sénateur LaPierre: Je ne savais rien de tout ça. Je crois que je suis aussi fatigué d'entente parler de changement climatique que je le suis d'entendre parler de mariage entre conjoints de même sexe. Les deux sujets m'ennuient à mort. Tout de même, il y a parmi mes collègues des profs et des prophètes. Quand que je suis arrivé au comité pour remplacer le sénateur Wiebe, j'avais demandé à être muté d'ailleurs, pour apprendre quelque chose sur un sujet que je ne connaissais pas bien. Grâce à mes amis de l'autre côté, qui ne cessent de me révéler l'évangile en la matière, j'ai commencé à comprendre la grande tragédie que vivent ces gens.

Je veux vous faire comprendre ce que je comprends moi-même. Le terme «adaptation» me fait peur. Il m'irrite. Il m'enrage, car il ressemble à une sorte d'abdication. Écoutez bien: c'est fait; il n'y a absolument rien que vous puissiez faire. Cela va sûrement s'aggraver et, alors vous êtes mieux de vous adapter. Continuez votre vie, continuez de faire un usage abusif des ressources et tout le reste, et adaptez-vous simplement. Adaptez-vous grâce à diverses formes de mécanismes qui ne vont pas changer la situation, mais qui vont faire que vous allez être de plus en plus malade que vous allez mourir à un plus jeune âge.

Est-ce que c'est une idée folle? Vous n'avez pas à prendre un air effrayé. Aucun psychiatre ne viendra ici.

M. Lemmen: Je crois saisir ce que vous voulez dire. Le problème réside en partie dans le fait que nous avons tendance à discuter de fragments de problèmes et de fragments de solutions. Si c'est la question du changement climatique qui est en jeu, l'adaptation n'est pas la voie de prédilection. Si nous pouvions empêcher que le climat change, tout au moins le côté humain, nous ferions tout notre possible pour y arriver. Il est à espérer que nous allons y parvenir grâce aux mesures d'atténuation. Certes, comme votre rapport le fait voir, la grande majorité de nos investissements à ce jour porte sur cette cause première.

Malheureusement — et M. Hengeveld sera l'expert en la matière, c'est le prochain exposé —, le système climatique ne change pas rapidement. L'adaptation est un mal nécessaire, si vous voulez. Il s'agit simplement d'accepter le fait que, quelles que soient les mesures que nous adoptons et quel que soit leur degré d'efficacité, nous ne pouvons faire cesser entièrement le changement climatique. Par conséquent, au fur et à mesure que le climat change, nous allons devoir adapter nos activités.

Je peux comprendre la frustration que les gens ressentent, mais, certes, l'adaptation est considérée comme le complément nécessaire du travail de celui qui cherche à contrer le changement climatique.

M. Miller: Dans certains milieux, la question du changement climatique fait prédire des catastrophes. Je ne suis pas d'accord. Pour ce qui est du protocole de Kyoto et d'essayer de trouver des façons d'atténuer les effets, ce qui fait aussi partie de l'équation, nous essayons de trouver des façons de prévenir l'influence des humains sur le climat. Je ne crois pas que ce soit aussi dramatique que le laissent parfois penser certaines des discussions.

En guise d'exemple, disons que l'adaptation peut être assez modeste. Si la composition des forêts change, vous obtenez un mélange de différentes espèces, parce que le climat change, alors cela a une incidence sur le fonctionnement des usines de pâtes et papier. Si vous savez qu'une telle chose va probablement se produire, vous prévoyez le coup, et cela aide à préserver ce qui est en place, plutôt que de laisser place à un changement plus radical.

Le sénateur LaPierre: Le but de l'exercice, devant cette calamité, devant ce danger, ne consiste-t-il pas à agir sur la conscience des êtres humains? Je sais que cela n'est pas la responsabilité du ministère ou du gouvernement fédéral. C'est peut-être la responsabilité de l'évangile du sénateur Gustafson. Voilà toutefois une autre question avec laquelle il faudra compter. Je ne vois pas quiconque essayer de modifier cela. Cela me mène à ma deuxième question.

Il y a le schisme entre le monde urbain et le monde rural. Nous l'avons constaté, nous l'avons senti dans les localités rurales que nous avons visitées. Nous avons ressenti la tristesse et le désespoir. Je me souviens d'un homme à Kelowna dont les enfants disaient: «Papa, allons-nous-en: rien ici ne fonctionne, rien ne fonctionnera.» L'homme était pratiquement en larmes, il nous disait que son père et son grand-père y avaient une ferme, et qu'ils seraient peut-être contraints de l'abandonner.

À Ottawa, Toronto, Kanata, Montréal et ailleurs, on dit: «De quoi parlez-vous? Il fait un peu plus chaud. Il fait un peu plus froid. L'hiver vient. L'hiver finit. Il n'y a pas d'automne, et le printemps ne dure qu'un jour. C'est comme cela depuis longtemps. Nous aurons toujours des patates, et on les cultivera dans des serres. Au bout du compte, s'il n'y en a plus, on peut distribuer des pilules comme celles qu'on donnait aux astronautes, et je mangerai toujours.»

Quatre-vingt-cinq pour cent d'entre nous vivons dans une région rurale. Comment pouvons-nous nous organiser pour que ce schisme, avec le désespoir et la grande créativité de la Saskatchewan, de l'Alberta, du Manitoba, du nord de l'Ontario, du Québec rural et de tout le reste, soit vraiment présent en ville, pour que les gens puissent se prendre par la main et avoir une autre forme d'existence? Est-ce possible?

M. Miller: Nous l'espérons, car nous entendrons certainement parler de ce schisme, non seulement dans le contexte du changement climatique, mais, de manière générale, en rapport avec l'aménagement des forêts et l'utilisation des ressources forestières au Canada. Nous avons droit périodiquement aux deux arguments, et nous essayons de trouver une façon de faire converger les deux pour que les gens comprennent.

Le sénateur LaPierre: Avez-vous des programmes pour faire cela? Avez-vous des instruments de communication pour faire cela?

M. Miller: Pas en ce moment.

Le sénateur LaPierre: Pourquoi pas? Ce n'est rien de nouveau. Vous y êtes depuis dix ans, sinon plus. Est-ce par manque de ressources? Est-ce par manque de volonté politique de la part de vos maîtres? Je ne vous jette pas la pierre. Je la jetterai à Dhaliwal quand je le verrai demain. Il est probablement en Inde. Pourquoi n'y a-t-il pas ce merveilleux programme de communication dont nous avons entendu dire qu'il s'impose depuis le début de nos audiences?

Le cas des adultes ne m'importe pas. Ce sont eux qui ont créé ce fouillis, et ils peuvent bien vivre avec. Par contre, le cas de mes enfants, de mes petits-enfants et de leurs petits-enfants m'importe. Par conséquent, je crois qu'il faut éveiller la conscience des jeunes. C'est votre responsabilité. C'est la responsabilité du gouvernement. Les jeunes doivent être mis au courant de cela. Nous devons trouver des mécanismes pour communiquer avec eux par l'entremise du Web et de jeux de divers genres. Je peux vous citer une pléthore de moyens et d'instruments qui permettent de joindre les jeunes. Le résultat, c'est que l'adaptation ne sera pas négative comme je le vois, mais que les jeunes vont comprendre.

Je peux vous donner l'exemple de la diversité culturelle pour expliquer. Les adultes parlent constamment de la valeur de la diversité culturelle, mais ils continuent de parler de l'Indien soûl. Par contre, je vais dans des écoles pratiquement toutes les semaines, et je vois que les jeunes sont tout à fait conscients du sens de la diversité culturelle, et ils la chérissent et ils la veulent.

J'espère donc que nous allons formuler une recommandation selon laquelle nous devrons centrer notre système de communication et d'éducation sur les jeunes du Canada. Est-ce la chose sensée à faire?

M. Miller: Certainement. De fait, nous avons certaines activités qui sont très centrées là-dessus. Nous donnons des renseignements sur les activités du ministère, y compris en matière de changement climatique, à Rescol, ce qui représente une façon d'envoyer de l'information aux écoles publiques.

Autre exemple: l'Association forestière canadienne — encore une fois, il s'agit, pour une grande part, d'une organisation à vocation éducative — a mis au point une trousse d'enseignement sur le changement climatique, sur la biodiversité et quelques autres encore. Nous comprenons les avantages que comporte la communication avec les jeunes. De fait, il faut que ce soit prioritaire.

Le sénateur LaPierre: Je suis le président de Culture canadienne en ligne, qui remet tous les ans des millions de dollars à divers organismes, pour le multimédia. Un nombre considérable d'entreprises multimédia prennent en charge l'essentiel du travail de création pour les jeunes. Si vous voulez des renseignements à ce sujet, je peux facilement vous en faire parvenir, à moins que vous ne les ayez déjà.

Le vice-président: Pour revenir à la question que je vous avais posée, monsieur Lemmen, vous avez affirmé que tous les ministères vont faire un travail d'extension du point de vue de l'éducation et ainsi de suite. Avec les différents ministères, il faut qu'il y ait non seulement des mesures, mais aussi des politiques et des programmes de recherche. Je propose aussi qu'il y ait un examen des politiques en place au sens où celles-ci nuisent peut-être à l'agriculteur saskatchewanais, comme le sénateur Gustafson l'a mentionné, plutôt que d'être utiles. S'il y a tous ces ministères qui entrent en jeu, comment, selon vous, devrions-nous coordonner l'affaire?

M. Lemmen: Je dirais d'abord que les deux points sont liés. Je n'affirme pas que le travail d'extension doit être fait par des ministères en particulier, mais plutôt que les ministères particuliers doivent y contribuer de manière concertée, ce qui, à mon avis, nous mène à votre deuxième question, et c'est le point où nous en sommes aujourd'hui.

Nous avons quand même un comité des impacts et de l'adaptation qui se compose de hauts fonctionnaires d'au moins 12 ou 13 ministères.

L'une des tâches du comité en question consiste à examiner les politiques existantes pour déterminer si elles nuisent peut-être à l'adaptation ou si nous pouvons entrevoir à l'avenir une facette du changement climatique qui fera que la politique en question ne sera plus pertinente ou appropriée.

Le moyen approprié à nos yeux, et il existe en ce moment, c'est tout à fait un processus de collaboration interministérielle. Au point où nous en sommes, nous ne voyons pas là une question qui serait l'apanage de quelqu'un.

Le sénateur Gustafson: Ma question complète l'affirmation du sénateur à propos des jeunes. Nos jeunes agriculteurs ont abandonné. L'âge moyen des agriculteurs en Saskatchewan est de 60 à 65 ans. Plusieurs agriculteurs m'ont dit qu'ils ont consacré toute l'épargne d'une vie à essayer de faire en sorte que leurs fils ou leurs filles restent à la ferme. Je ne connais rien qui pourrait encourager les jeunes à rester. Tant et aussi longtemps qu'ils ne pourront gagner leur vie décemment, rien ne les encouragera. Le problème va demeurer.

Le sénateur a tout à fait raison. Nous n'arriverons pas à rejoindre nos jeunes agriculteurs ou nos jeunes, de manière générale, que ce soit en rapport avec les effets sur l'environnement ou les effets économiques. C'est une situation qui est très grave.

M. Lemmen: Je suis certainement d'accord pour dire que c'est un défi qu'il faut relever. Je crois que le sénateur LaPierre — qui s'y connaît infiniment plus en la matière — est en train de dire qu'il est question d'une évolution fondamentale de la façon dont nous voyons le monde.

À un moment donné, le dicton est: on ne peut apprendre à un vieux singe à faire des grimaces. Vous avez tout à fait raison; la solution se trouve chez les jeunes. Je ne suis pas suffisamment spécialisé pour parler des programmes qui existent. Je dirai que si vous passez par Sudbury, je vous encourage fortement à vous arrêter à Science Nord. Il y a là une exposition spectaculaire, et notamment un spectacle interactif sur le changement climatique qui met en vedette des moutons animés. Rick Mercer prête sa voix. Il est tout à fait possible que ce soit là le meilleur document que j'aie vu sur le changement climatique.

C'est peut-être un modeste pas en avant, mais il aura un impact sur tous les Canadiens, certainement sur les jeunes.

Le sénateur Tkachuk: Ma perception du changement climatique n'est pas apocalyptique. Je sais qu'il y a des problèmes dans le secteur agricole, mais la plupart n'ont rien à voir avec le changement climatique. Si nous devions nous attacher aux secteurs à problème, nous examinerions l'agriculture des Prairies. Si les agriculteurs obtenaient un prix décent pour leurs produits, et s'il n'y avait pas de programmes de subventions en Europe et aux États-Unis, on n'entendrait pas d'histoires pessimistes. Je vous le garantis. Ces histoires ne viennent pas de la vallée de l'Okanagan ou des fermes laitières du Québec ou de l'Ontario.

Il y a des problèmes de prix. Je ne veux pas que nous nous attardions aux mauvaises choses. Nous avons de très graves problèmes avec les subventions. Nous devons résoudre ce problème, sans quoi nous perdrons nos agriculteurs des Prairies. Les agriculteurs composent avec le changement climatique depuis ma tendre enfance. J'en entends parler depuis l'âge de 7 ans. J'ai passé toute ma vie sur une ferme, ou dans un petit village où je côtoie des agriculteurs. On entend parler de cela si souvent qu'on finit par se dire: «Holà, un instant!»

Je voulais seulement mentionner cela, non pas pour en débattre, mais bien pour montrer qu'il y a un autre point de vue et pour veiller à ce que nous restions sur la bonne voie.

M. Lemmen: Je suis tout à fait d'accord. L'un des points soulevés par le sénateur Gustafson tenait au fait que le changement climatique n'est qu'un seul des nombreux facteurs qui agissent sur ces domaines. Dans un grand nombre de cas, ce n'est probablement pas le facteur dominant. Les exemples que vous fournissez sont certainement pertinents.

Par contre, il y a de vrais problèmes liés au climat. Les années 2000 et 2001 ont été difficiles pour une grande part des Prairies. S'il y a des mesures que nous pouvons prendre pour aider les producteurs de cette région, ces mesures auraient clairement des retombées avantageuses partout.

Le vice-président: Messieurs Lemmen et Miller, merci d'avoir témoigné devant notre comité ce soir. Comme vous avez pu le constater lorsque j'ai dû interrompre l'intervention du sénateur LaPierre, vous avez suscité un vif intérêt chez nous. Nous tenons à vous remercier d'être revenus.

Honorables sénateurs, accueillons maintenant notre prochain témoin, M. Hengeveld, d'Environnement Canada. Nous commencerons la rédaction de notre rapport jeudi, et M. Hengeveld sera notre dernier témoin.

Comme vous le savez, nous avons produit un rapport préliminaire, et nous avons transmis un exemplaire de ce rapport à votre ministère et à vous-même. La rencontre de ce soir a pour but de prendre connaissance de votre réaction à ce rapport. De plus, si votre ministère a des recommandations à soumettre à notre comité, nous serions disposés à les regarder.

Bienvenue.

M. Henry Hengeveld, conseiller scientifique principal, Changement climatique, Environnement Canada: Merci de m'avoir invité de nouveau. Je craignais de n'avoir pas exprimé ce point assez clairement à l'occasion de mon premier témoignage devant votre comité, mais si je puis vous être utile, je serai heureux de vous aider.

On m'a invité à parler un peu des événements météorologiques récents et à les placer dans le contexte de la variabilité naturelle et, peut-être, du changement climatique.

Les événements météorologiques se produisent tous les jours, dans diverses parties du monde. Je pourrais vous parler de ce sujet pendant des heures, mais je vous présenterai quelques exemples de questions qui ont été traitées en long et en large par les médias au cours de l'été, et que nombre d'entre nous connaissons, de façon à brosser le portrait des événements des derniers mois. Je placerai ces événements dans le contexte de la dernière ou des deux dernières années, et ensuite, je répondrai à vos questions.

J'ai trouvé que le rapport préliminaire était très bon. Je serai heureux de contribuer, de quelque façon que ce soit, à vos travaux ce soir.

Histoire de mettre mon exposé sur les récents événements en contexte, vous trouverez, dans la documentation que je vous ai remise, une carte faisant état des tendances en matière d'anomalies de précipitation au Canada cet été. Dans l'ensemble, on peut dire que le sud-ouest était très sec, que les Territoires du Nord-Ouest étaient très mouillés, et que le reste était assez normal. Toutefois, les moyennes peuvent occulter de nombreux faits car des événements extrêmes peuvent s'annuler, de façon à ce que la moyenne semble plutôt bonne.

Cette carte montre que les régions du sud de la Colombie-Britannique et de l'extrême sud des provinces des Prairies étaient, en réalité, plutôt sèches, même si le sud des Prairies avait connu un bon printemps. Il est important de ne pas perdre cet aspect de vue lorsqu'on envisage certains des éléments survenus cet été. Parallèlement, dans les Territoires du Nord-Ouest, le temps très pluvieux a permis de prévenir les feux de forêts qui sévissent habituellement dans cette région pendant la période estivale. Ainsi, malgré tous les feux qui ont fait rage cet été, le total de la superficie incendiée au Canada cette année est bien inférieur à la moyenne des dix dernières années.

Lorsqu'on regarde la carte suivante, la configuration de la température montre que la température estivale n'était pas inhabituelle, car elle était proche de la normale. Elle était de 0,9 degré supérieure à la moyenne. Encore une fois, les périodes de chaleur ont eu lieu presque aux mêmes endroits que les conditions sèches. Dans le sud de la Colombie- Britannique, le temps était sec et chaud, ce qui, bien sûr, accroît la perte d'humidité du sol.

Pour le reste du Canada, la saison estivale s'est révélée plutôt normale. On peut certainement affirmer que l'est du Canada a connu un été normal.

Sur la prochaine photo, nous voyons les événements extrêmes pour chaque région du Canada, ce qui permet d'en cerner quelques-uns à divers endroits. La région du sud de la Colombie-Britannique a été marquée par une sécheresse persistante, doublée de températures chaudes. Vous trouverez une carte qui illustre les conditions de sécheresse, soit le surplus ou le déficit d'humidité, pour les trois dernières années. Ce n'est pas seulement la grave sécheresse de cet été qui a eu de telles répercussions; c'est aussi l'accumulation de la sécheresse sur plusieurs saisons. Vous constaterez que, dans la région côtière de la Colombie-Britannique et le sud des Rocheuses, seulement deux ou trois des 15 dernières saisons affichent des précipitations supérieures à la normale, alors qu'environ 12 sont inférieures à la normale. C'est l'accumulation de saison sèche menant à la sécheresse de cet été qui a occasionné un déficit immense dans le sol, de sorte que le sol était très sec dans les forêts et ailleurs.

La majeure partie de la couverture médiatique mettait l'accent sur les feux, mais je crois que, dans le sud de la Colombie-Britannique en particulier, les répercussions économiques et sociales de cette sécheresse se sont fait sentir de diverses façons dans les secteurs socio-économiques. Il est aussi important de signaler que la montée de l'infestation de dendroctone du pin a aussi contribué à la situation, car elle occasionne un dépérissement de la forêt qui augmente la quantité de matières mortes dans la forêt, phénomène qui, à son tour, est lié à la succession d'hivers doux que nous avons eus, et qui n'ont pu venir à bout du dendroctone du pin. Encore une fois, il y a un lien climatique dans l'infestation passée qui a contribué aux feux de forêt.

Ainsi, un certain nombre de facteurs sont réunis au même endroit et au même moment et mènent à cette situation plutôt inhabituelle.

Le bas niveau des réservoirs était aussi un problème important en Colombie-Britannique, au point où il a fallu importer de l'électricité de l'extérieur de la province, alors qu'on a l'habitude de l'exporter. Ainsi, l'ensemble de la Colombie-Britannique a subi les contrecoups des conditions météorologiques inhabituelles, notamment les pêches, en raison du faible débit des cours d'eau et d'autres facteurs, ainsi que le tourisme.

Si on passe aux Prairies, on constate encore la présence de températures chaudes et de conditions sèches. Un sursis au printemps a causé de nombreux soupirs de soulagement, après de nombreuses saisons de sécheresse, mais la sécheresse est revenue en force, à un point tel que, dans le sud des Prairies, on a constaté que les moyennes estivales étaient bien inférieures à la normale. L'humidité du printemps a aidé de nombreuses régions à jouir de conditions estivales un peu moins graves que d'autres, mais ce n'était pas la fin de la sécheresse. Ajoutez à cela des températures supérieures à la normale, et, encore, que les pressions exercées sur les ressources en eau constituent un enjeu important.

Les Prairies ont dû composer avec une baisse du niveau des mares et réservoirs, de sorte que les ressources en eau disponibles pour l'irrigation et d'autres fonctions disparaissent. En général, en période de sécheresse, les vaches peuvent se rendre à la mare pour boire de l'eau, mais si les mares sont asséchées, où vont-elles? Il ne faut pas perdre de vue que la sécheresse, les sauterelles et les feux sont des phénomènes qui se produisent de temps à autre. Plus tard, j'espère dire quelques mots sur la différence entre la variabilité naturelle et ce que nous pourrions attribuer au changement climatique, mais, dans le cas de cette région, c'est un été médiocre qui arrive après un certain nombre d'étés médiocres.

Passons maintenant à l'est du pays. J'ai regroupé les régions dans une seule diapositive, non pas parce qu'elles seraient moins importantes, mais parce que les événements ont peut-être eu des répercussions économiques moins graves sur les provinces.

En Ontario, la tendance est à l'alternance entre les étés pluvieux et les étés secs, au point où les agriculteurs se disent parfois: «nous ne savons plus quoi planter au printemps, car un été est trop pluvieux et l'autre est trop sec.» Ce sentiment de variabilité s'est accru, et c'est aussi un problème. Il ne s'agit pas toujours d'un changement marqué au chapitre des précipitations. Si les conditions deviennent plus variables, c'est un problème.

Isabel n'a pas laissé beaucoup de dommages au moment de son passage. Nous avons eu un orage, deux jours plus tard, je crois, qui a produit plus de pluie qu'Isabel. Ce n'était donc pas très grave, mais c'est tout de même inhabituel, car très peu d'ouragans se rendent si loin à l'intérieur du continent. Cela a suscité un certain intérêt médiatique, mais, encore une fois, ce n'était pas nécessairement inhabituel par rapport à ce qui s'est produit dans le passé. Je crois que nous nous souvenons tous de l'ouragan Hazel, qui a fait la même chose, et dont les répercussions étaient beaucoup plus graves.

En Estrie, au Québec, d'importantes inondations ont eu des répercussions considérables. En février, le Nouveau- Brunswick a été victime d'une tempête de verglas plutôt grave qui a occasionné plus de dommages que celle de 1998 en ce qui concerne la perte d'hydroélectricité. Ce phénomène n'était peut-être pas nécessairement sans précédent, mais nous sommes peut-être devenus un peu plus vulnérables à l'égard de ces tempêtes. Enfin, il y a eu une grave inondation en Nouvelle-Écosse au printemps. On a aussi vu beaucoup de preuves des dommages causés par l'ouragan Juan, qui s'est révélé exceptionnellement puissant. En général, la Nouvelle-Écosse doit composer chaque année avec un ou deux ouragans, ou avec l'après-coup d'ouragans.

Encore une fois, cela est attribuable aux conditions météorologiques, qui sont toujours là. Toutefois, un temps inhabituel suscite notre intérêt, car il met notre infrastructure à l'épreuve et fait l'objet d'une couverture médiatique. En général, lorsque l'un de ces événements survient, les médias en parlent pendant un jour ou deux. Une fois l'événement passé, ils nous téléphonent et demandent où nous en sommes en matière de changement climatique. Il va sans dire que nous devons nous pencher sur les liens éventuels.

Avant de faire cela, j'aimerais mentionner ce qui se produit dans l'Extrême-Arctique. Au cours de l'été, les médias ont parlé de la plate-forme de glace Ward Hunt, sur l'Île d'Ellesmere, qui s'est brisée. J'ai trouvé la couverture un peu mélodramatique, car 90 p. 100 de la plate-forme s'est détachée il y a 50 ans, et personne n'en a parlé à l'époque. Pendant les années 70, je travaillais dans le domaine de la reconnaissance des glaces et j'ai passé beaucoup de temps à survoler ces régions. À l'époque, un fragment de la plate-forme de glace Ward Hunt qu'on appelait T3 flottait dans l'océan Arctique, et les Américains et les Russes l'utilisaient comme camp de recherche. Il est clair que la fonte progressive de la base et du sommet de la plate-forme occasionne son désagrègement. Cela laisse croire à un changement systématique à long terme correspondant à celui qui se produit dans la péninsule antarctique. Les médias se sont attachés à la découverte, dans les lacs situés derrière la plate-forme, d'une activité microbienne unique dont nous ignorions l'existence. Quand une plate-forme de glace se brise, il arrive quelque chose d'irréversible à certaines formes microbiennes uniques. Cette activité nous amène aussi à la question de la biodiversité. Ce qui est important à retenir, c'est que nous perdons certaines espèces, et que personne ne sait vraiment quelles seront les répercussions de cette disparition sur l'ensemble de l'écosystème.

Je parlerai maintenant de la vague de chaleur qui a sévi en France cet été, ainsi que dans l'ensemble de l'Europe. Il s'agissait d'une vague de chaleur et de sécheresse occasionnée par un flux persistant de vents du Sahara qui a laissé tout le monde sous le choc. Certaines données portent à croire qu'un tel événement ne s'était jamais produit au cours des, peut-être, 500 dernières années. Les Européens étaient très surpris que cela arrive, vu les inondations records de l'été précédent. On ne sait plus à quoi s'attendre. On se fait inonder, et ensuite c'est l'assèchement complet. La plus récente estimation des décès liés à cet événement s'élève à 15 000.

Cela met en relief un problème social d'envergure en ce qui concerne la façon dont ce pays compose avec sa population âgée. Cela nous rappelle aussi que les événements climatiques ont parfois des répercussions humaines d'envergure sur les pays industrialisés.

Histoire de mettre tout cela dans un contexte mondial, je vous ai fourni deux graphiques portant sur les périodes différentes. Le graphique du dessus porte sur la période qui s'étend de 1880 à 2003. On constate qu'il y a eu un réchauffement lent et progressif, mais avec des écarts ponctuels, au point où les derniers résultats laissent croire que la terre est de 0,7 degré plus chaude qu'il y a 100 ans. Les sept premiers mois de 2003 montrent que cette année sera la troisième en importance au chapitre de la chaleur pendant cette période, après 1998 et 2002.

Il y a presque deux mois, quelques chercheurs ont publié une étude dans l'une des grandes revues scientifiques américaines. Ils ont tenté de reconstruire le climat pour l'hémisphère nord en utilisant des carottes de glace — qu'on examine de la même façon que les anneaux de croissance des arbres — et d'autres sources de données substitutives pour 23 lieux différents, partout dans l'hémisphère. Ils croient que cette reconstruction représente de façon exacte l'ensemble de l'hémisphère. Leur recherche montre que le XXe siècle est le plus chaud des 2 000 dernières années, et que les années 90 constituent la décennie la plus chaude des 2 000 dernières années. Cela nous dit qu'il se passe quelque chose d'inhabituel. En soi, cela ne prouve pas que le réchauffement est causé par les humains, mais cela montre qu'il est très difficile, à la lumière de ce que nous avons vu au cours des 2 000 dernières années, d'attribuer le temps actuel à la variabilité naturelle.

Maintenant, je comparerai brièvement la variabilité naturelle et le changement climatique dans le contexte des événements météorologiques extrêmes. Premièrement, le système climatique est très variable. Le climat correspond tout simplement au temps moyen qu'il fait, de sorte que si on prend le temps qu'il fait aujourd'hui, le temps qu'il a fait hier et celui qu'il fera demain, et ainsi de suite, et qu'on établit une moyenne, on pourra décrire le climat de la région. Toutefois, d'un jour à l'autre, on voit des variations sans conséquence. Par exemple, s'il fait 21 degrés demain et qu'il faisait 13 degrés à la même date l'an dernier, cela ne signifie pas que l'hiver n'arrivera pas. C'est tout simplement une variation du système climatique qui n'a aucune incidence sur les conditions à long terme. Lorsqu'un événement extrême survient, comme la sécheresse dans l'Ouest canadien, phénomène auquel nous avons déjà été confrontés, il faut réagir en fonction des probabilités ou de la période de retour. Il est difficile d'affirmer que cela ne s'est jamais produit auparavant, ou que cela ne devrait pas se reproduire.

Les données qui remontent à plus de 50 ans sont rares, de sorte que nous ne savons pas grand-chose sur ce qui s'est passé avant 1948 dans certaines régions. Pour certaines régions du pays, nous avons 100 ans de données, alors que pour d'autres, nous n'en avons que pour 50 ans.

Le troisième point que j'aimerais soulever, c'est que les événements les plus extrêmes, comme je l'ai déjà mentionné, découlent d'une combinaison d'un certain nombre de facteurs réunis au même endroit et au même moment. Or, nos données climatiques ne sont jamais consignées de cette façon: nous les consignons en tenant compte d'un facteur à la fois. Lorsque nous analysons les données climatiques, nous procédons à une analyse de la température, des précipitations et du vent, mais nous ne les envisageons jamais en même temps. C'est un domaine où il faudra effectuer beaucoup de recherches. Nous tentons de beaucoup mieux comprendre des événements extrêmes et complexes afin de cerner des indicateurs d'événements extrêmes que nous pourrions suivre dans le temps. C'est un travail difficile qui exigerait beaucoup d'efforts, mais c'est un aspect qui mérite qu'on s'y attarde davantage.

Mon dernier point, c'est que les modèles que nous utilisons pour examiner les effets du changement climatique sont encore plutôt approximatifs. Très peu de ces modèles peuvent simuler un ouragan ou un orage, en raison de leur résolution, de l'ordre de 200 à 300 kilomètres. Nous devons recourir à d'autres techniques pour tenter de mettre en rapport les résultats des modèles climatiques et ces événements. Il y a beaucoup de travail à faire. La semaine prochaine, à Victoria, on tiendra un atelier en vue de mieux comprendre comment produire des scénarios d'événements graves liés au changement climatique, afin qu'on puisse aider les collectivités touchées à comprendre le phénomène.

Certes, il est difficile de distinguer les données probantes des données imputables à la variabilité naturelle. Il y a certains aspects qui piquent notre curiosité et nous incitent à en prendre note. Premièrement, certains des aspects liés aux événements extrêmes sont pratiquement sans précédent. Cela porte à croire qu'il se produit quelque chose que nous ne pouvons imputer à la variabilité naturelle, même lorsqu'on envisage une période de 2 000 ans. Deuxièmement, la plupart des extrêmes auxquels nous assistons sont conformes aux prédictions des modèles climatiques en ce qui concerne la direction que prendra le système. Les modèles climatiques attribuent une très grande probabilité à certains événements, et une faible probabilité à d'autres. C'est ce que nous voyons. On a l'impression que cela correspond aux prévisions des modèles.

Fait plus important encore, certains des événements que nous voyons actuellement laissent supposer qu'ils se produiront plus fréquemment à l'avenir. Ce n'est qu'un seul facteur des répercussions économiques et sociales. Je crois que vous avez déjà mentionné d'autres facteurs dominants, dans d'autres domaines, qui ont un effet plus marqué que ce que le climat pourrait nous faire subir.

Je viens aussi d'une collectivité agricole, et la plupart des agriculteurs me disent: «Ne me parle pas du changement climatique, ce sont les échanges commerciaux qu'il faut revoir.» Je ne peux rien faire à cet égard; mais je crois que nous devons savoir que, pour les générations futures, le climat ira dans une direction déterminée, et que le meilleur moyen de se préparer pour l'avenir consiste à mieux s'adapter à la variabilité actuelle.

Je m'arrête là, et je tenterai de répondre à vos questions.

Le vice-président: J'ai regardé votre dernière diapositive, et elle indique clairement que la répartition des variations de température est très inégale. Selon votre carte, les changements semblent avoir lieu dans le nord de tous les pays. Le Canada a une région qui a certainement déjà été plus sèche, et c'est aussi le cas dans le nord de la Russie. Y a-t-il une explication pour cela?

M. Hengeveld: Parlez-vous de la carte des températures — la toute dernière?

Le vice-président: Oui.

M. Hengeveld: Le changement climatique est un composé de la variabilité naturelle et d'une tendance systématique sous-jacente. Premièrement, en ce qui concerne la variabilité naturelle, il y a des fluctuations d'une année à l'autre. Nous connaissons El Niño et La Niña, lesquels peuvent, en une décennie, occasionner dans le système climatique un revirement qui favorisera une condition plutôt qu'une autre. Par exemple, La Niña a tendance à amener plus d'ouragans dans l'Atlantique-Nord qu'El Niño.

Toutefois, nous possédons maintenant des preuves selon lesquelles il y a des oscillations décennales — que pendant des périodes de 30 à 50 ans, le système climatique «ballote» dans un mouvement de va-et-vient. On a, par exemple, l'oscillation nord-atlantique et l'oscillation arctique. J'ai ajouté la configuration que vous voyez pour vous montrer que la variabilité naturelle et la tendance systématique sont superposées, de sorte que certaines régions de l'hémisphère seront beaucoup plus chaudes que la moyenne, et d'autres se refroidiront. Quand nous utilisons nos modèles pour simuler le climat futur, on obtient diverses choses. On cerne des variations d'une décennie à l'autre, mais on parvient graduellement à dégager une tendance systématique.

C'est comme regarder les vagues de la mer sur la plage, quand la marée monte. Chaque vague va un peu plus loin. Une équipe de chercheurs de l'Oregon a mené une étude qui laisse croire qu'un changement considérable de l'oscillation arctique a causé un réchauffement du nord-ouest canadien et de la Sibérie et un refroidissement de l'Atlantique-Nord et du Pacifique-Nord. Il est tout à fait concevable d'imaginer un renversement de cette tendance au cours des 20 prochaines années. Par contre, lorsqu'on ne tient pas compte de cette oscillation, on constate néanmoins l'existence d'un réchauffement systématique sous-jacent. C'est ce qu'ils ont fait dans le cadre de leur étude: ils ont fait abstraction des oscillations et constaté qu'il y a un réchauffement résiduel dans le temps.

Sur 30 ou 40 ans, le réchauffement que nous prévoyons en raison de l'activité humaine sera suffisamment marqué pour dominer la variabilité naturelle, même si cette variabilité se poursuit. Il est possible que ce réchauffement s'impose à titre de principale configuration du changement climatique, et c'est ce que certains modèles laissent croire. Nous assistons peut-être à une domination d'un certain mode de cette oscillation. Ça commence à devenir un peu plus complexe, mais cela nous rappelle que nous avons encore beaucoup de choses à apprendre pour comprendre les variations du climat d'une décennie à l'autre. Nous pouvons nous attendre à un réchauffement graduel, mais nous ignorons quand la prochaine vague de l'océan nous frappera.

Le vice-président: Vous avez mentionné dans vos commentaires que le milieu scientifique découvre que le changement climatique est beaucoup plus rapide que par le passé, mais qu'il n'a pas effectué suffisamment de recherches pour en déterminer la cause fondamentale. Nous avons tendance à croire qu'il est causé par les activités sur la terre, humaines ou autres. A-t-on effectué des travaux sur des changements éventuels qui auraient lieu, par exemple, sur le soleil, et qui pourraient être une cause partielle de réchauffement? Est-ce un aspect que nous avons envisagé?

M. Hengeveld: On effectue beaucoup de recherche dans l'ensemble du domaine. C'est ce qu'on appelle l'«analyse de détection et d'attribution.» Il s'agit d'un important groupe de personnes qui examinent comment le climat change, déterminent en quoi il est inhabituel, et tentent, au moyen d'analyses statistiques et de modèles, d'attribuer ces changements à des causes spécifiques.

Lorsqu'on envisage des changements à l'échelle mondiale, hémisphérique et même continentale, les résultats sont plutôt différents de ce qu'on obtient lorsqu'on envisage les changements à l'échelle locale et les événements extrêmes. Dans le cas des événements extrêmes, nous devons encore composer avec les distorsions du système — et la preuve de la contribution humaine n'est pas claire. Cela s'applique aussi aux changements à l'échelle régionale, en raison de l'oscillation naturelle que j'ai mentionnée plus tôt.

À l'échelle hémisphérique, les oscillations finissent par s'égaliser. Tout d'un coup, il y a moins de distorsion dans la configuration, et la comparaison est plus facile. Dans la courbe des 100 dernières années que je vous ai montrée, il y a une période de réchauffement entre 1920 et 1940; cette période est suivie d'une interruption, et ensuite, il y a un réchauffement assez rapide au cours des 30 dernières années. Lorsqu'on envisage les principaux facteurs de causalité, c'est-à-dire la variabilité solaire et les variations de l'intensité solaire, l'activité volcanique et l'activité humaine, cette première période de réchauffement semble découler d'une combinaison des trois éléments. La seule façon de le simuler convenablement consiste à intégrer les trois facteurs aux modèles. Le forçage solaire a augmenté entre 1900 et 1950; le nombre d'éruptions volcaniques a baissé, ce qui a réduit la quantité de poussières qui refroidissent la planète lorsqu'elles se retrouvent dans l'atmosphère, et ensuite nous avions les gaz à effet de serre. Aucun de ces facteurs ne semblait pouvoir expliquer la tendance, mais, lorsqu'on les envisage ensemble, c'est possible.

Les changements solaires ont été constants au cours des 50 dernières années. Il y a eu un cycle de taches solaires de 11 ans, mais le niveau moyen des taches solaires est demeuré plutôt stable au cours des 50 dernières années. Les éruptions volcaniques ont augmenté de nouveau, en particulier dans le cas d'El Chichon et de Pinatubo; et on a ensuite constaté une hausse de la présence de gaz à effet de serre. Lorsqu'on envisage les facteurs naturels, c'est-à-dire les volcans et l'effet solaire, il devrait y avoir refroidissement. Pourtant, on a vu un réchauffement plutôt rapide. Ainsi, cette combinaison, ainsi que le fait que ces changements n'avaient jamais été vus au cours des 1 000 dernières années, ont amené le milieu scientifique international à conclure que la majeure partie du réchauffement des 50 dernières années est probablement attribuable à l'activité humaine.

Le sénateur LaPierre: Puisque nous parlions du soleil précédemment, croyez-vous que la planète mars, ayant passé si près de la Terre récemment, ait pu influer cet été sur notre climat et sur tous ces feux de forêt?

M. Hengeveld: Je ne crois pas. La lune aurait bien plus de chance d'influer sur notre climat que mars. Certains posent l'hypothèse selon laquelle certaines composantes du cycle lunaire auraient pu aussi exercer une influence sur la terre dans le passé. Il y a une corrélation, par exemple, entre la configuration des précipitations et le cycle lunaire, mais le lien est très ténu. Je suis toujours un peu méfiant de ces corrélations, car elles existent pendant un certain temps, et ensuite elles s'effondrent; on a parfois l'impression qu'elles tiennent juste à la coïncidence. Toutefois, mars n'aurait pas joué un rôle important.

Le sénateur Gustafson: J'ai beaucoup aimé votre exposé. J'ai l'impression qu'il se passe quelque chose lorsque nous connaissons plusieurs années de sécheresse, comme pendant les années 30; ensuite, pendant les années 40, les récoltes étaient fantastiques. Je me souviens de cela, lorsque j'étais petit. En 1961, nous n'avions rien. Notre ferme n'avait récolté que 1 300 boisseaux. En 1962, nous avons obtenu la meilleure récolte jamais réalisée. En 1985, je crois, nous étions pris avec un problème de sauterelles. En 1986, la récolte était merveilleuse. J'aimerais entendre vos commentaires là-dessus. On dirait que le sol a la capacité de se renouveler.

J'ai aussi remarqué que certaines mauvais herbes arrivent à s'imposer. À l'heure actuelle, nous éprouvons des difficultés avec le kochia à balais. Cette mauvaise herbe se taillait une place partout. Avant cela, nous devions composer avec les chardons. Maintenant, les chardons sont partis. Il semble que la terre ait la capacité de se renouveler. Avez-vous mené des études sur cette question?

M. Hengeveld: On a mené, dans le sud des Prairies, un certain nombre d'études sur les diatomées et les sédiments lacustres visant à simuler le niveau d'humidité de la région des Prairies au cours des 2 000 dernières années. Ces études révèlent que cette échelle de temps a été ponctuée de périodes de grande sécheresse et de périodes de grande humidité. Les années 30 étaient loin d'être les pires.

Même sans contribution humaine au changement climatique, nous devrions être prêts à composer, de temps à autre, avec une grande période de sécheresse.

En ajoutant à ce changement systématique du climat, nous courons le risque d'accroître ce qui se produirait naturellement de toute façon, mais le changement serait plus fréquent.

Quand j'étais jeune, mon père disait toujours qu'on pouvait se débrouiller avec une ou deux mauvaises années sur dix, mais que deux ou trois années consécutives seraient désastreuses. C'est ce que nous disent actuellement les agriculteurs des Prairies. Le problème tient autant à la fréquence qu'à la gravité.

Les gens ont acquis une certaine résistance à l'égard des problèmes auxquels il peuvent normalement s'attendre. C'est lorsqu'ils sont confrontés à quelque chose qui va au-delà de leurs attentes qu'il y a un problème.

Ce que nous disons, c'est qu'il faut déplacer ces attentes dans une certaine direction. Une façon de le faire consiste à apprendre dès maintenant comment mieux composer avec ces mauvaises périodes.

On a l'impression que, lorsque le climat est en changement, il devient aussi plus variable et erratique. Nous voyons cela dans la plupart des systèmes. Même lorsque la société connaît une période de transition, on constate parfois l'existence de certains problèmes d'adaptation jusqu'à ce qu'on atteigne l'équilibre. On a probablement une impression plus intuitive selon laquelle nous traverserons pendant un certain temps une période de variabilité avant de passer à un nouveau régime climatique. C'est un rappel inquiétant que nous avons avantage à devenir plus résistants et moins vulnérables à certains de ces extrêmes.

Je prends note aussi du point du sénateur LaPierre selon lequel nous ne devrions pas trop mettre l'accent sur l'adaptation comme une fin en soi. Toutefois, l'atténuation aidera nos enfants et nos petits-enfants à mieux s'adapter. Cela ne nous aidera pas à composer avec ce qui s'en vient déjà au cours des prochaines années, avec ce que nous avons déjà versé dans le système. Nous devons appliquer parallèlement les deux démarches. Nous devons atténuer les répercussions et réduire les émissions afin de protéger nos petits-enfants, et nous devons apprendre à nous adapter à ce qui s'en vient déjà.

Le sénateur Gustafson: Vous jouissez évidemment de liens privilégiés avec les experts; à quoi peut-on s'attendre au cours de la prochaine année?

M. Hengeveld: Nous sommes entre La Niña et El Niño. Pendant une période El Niño, on se montre assez confiant à l'égard d'une certaine configuration du temps au Canada. Lorsque La Niña prend les commandes, on s'attend aux conditions inverses; mais entre les deux, nous l'ignorons. On a affaire non pas au climat, mais bien aux conditions météorologiques.

Le vice-président: J'aimerais donner suite aux observations du sénateur LaPierre à l'intention du témoin précédent et aux observations que vous avez entendues en ce qui concerne l'adaptation.

On ne se trompe pas en disant que, selon les propos des autres témoins, avec les carottes de glace et tous les tests qui ont été effectués, il est établi que notre planète a un climat qui a toujours changé? À un moment donné, il faisait chaud; à un autre, c'était l'époque glaciaire. Ce que les carottes nous ont montré, c'est que le changement a été progressif, de sorte que les humains et les animaux ont pu s'adapter. Le changement climatique a été plus rapide au cours des 20 dernières années, et nous allons peut-être avoir plus de difficultés à nous adapter. Est-ce une bonne évaluation de la situation?

M. Hengeveld: Nous ne sommes pas très sûrs du fait que toutes les espèces aient pu s'adapter. Certaines des théories concernant la disparition des dinosaures laissent entendre que c'est un changement abrupt du climat qui est en cause. Il y a peut-être eu par le passé des cas où un incident subit a causé la disparition de nombreuses espèces. Il existe différentes théories à cet égard, mais il se peut qu'un astéroïde ait suscité un changement cataclysmique du climat, qui a eu un impact énorme.

Pour parler d'un passé plus récent, disons les 20 000 dernières années, la transition de la dernière période glaciaire à la période interglaciaire actuelle est marquée par un changement de température de l'ordre de cinq degrés. Nous ne sommes pas exactement sûrs du chiffre, mais cela se situait entre quatre et six degrés Celsius, ce qui est comparable aux fluctuations maximales prévues pour le siècle à venir. Tout de même, ce changement-là a eu lieu sur 5 000 ans. Cinq degrés sur 5 000 ans, cela correspond à 0,1 degré par siècle. Ce n'est pas un changement qui fait entre 1,5 et 5 degrés en un seul siècle. C'est un taux qui est supérieur de deux ordres de grandeur. Les écosystèmes et la société sont fonction du climat existant. Si le climat change trop rapidement, nous allons tous être pris au dépourvu. Ce n'est pas équilibré de part et d'autre. Voilà où réside le danger. S'il s'agit d'un changement rapide et important, certains des avantages que nous voudrions avoir, en tant que Canadiens, ne sont rien à côté des multiples problèmes qui se présentent.

Le sénateur Fairbairn: J'aimerais revenir à une question dont on a discuté plus tôt. L'information que vous nous avez donnée est utile au sens où elle nous fait réfléchir. Vous n'avez pas dit si nous nous dirigeons vers une période extrême, du fait de ce qui est arrivé, ou vers une période où les choses sont un peu moins stables. Le moment ne serait-il pas bien choisi pour réunir des gens intelligents qui parlent une langue que les citoyens comprennent, pour expliquer ce qui se passe?

On parle sans cesse de communications. Voilà un grand mot, un mot derrière lequel nous nous cachons parfois. Une des choses que j'essaie de faire voir, c'est que, du fait de toutes les catastrophes dont nous avons été les témoins tout au long de l'été dans la région d'où je viens, le lien établi était supérieur à ce qu'il était avant. On a mis les gens au courant de la situation, on a utilisé des systèmes pour dire aux gens ce qui se passe afin qu'ils aient eux-mêmes une meilleure idée de la situation, de sorte qu'ils puissent en faire plus pour eux-mêmes.

Trop souvent, nous entendons dire que tel phénomène s'en vient et nous nous faisons dire que ce sera une catastrophe; le désastre. Tout le monde s'énerve, mais il n'y a pas de pensée linéaire qui dise: d'accord, voilà, ça arrive. Nous y sommes. Quelle sera la meilleure façon de composer avec la situation? Tous les ans, nous vivons ces événements extrêmes, où que cela se passe au pays, mais est-ce que les pouvoirs publics essaient de déployer un effort concerté pour essayer de transmettre l'information voulue, de dire «pourquoi», même si le «pourquoi» n'est pas précis, aux gens qui doivent semer et récolter?

Je crois que l'autre affirmation du sénateur LaPierre est vraie, elle aussi. Je ne dis pas: oubliez les adultes. Nous ne pouvons les oublier, car, que l'on aime ça ou non, ce sont eux qui sont aux commandes, du point de vue de la production. Tout de même, nous pouvons peut-être établir des trousses d'information pour décrire ce qui se passe et mettre cela en contexte, non seulement pour comprendre, mais aussi pour essayer de déterminer ce qu'on peut faire. Les jeunes connaissent l'informatique beaucoup plus que nous. Les gens qui sont moins liés par la tradition ne sont peut-être pas les décideurs, mais ce sont eux qui vont en profiter ou en souffrir. Ils ont un intérêt là-dedans. Ils ne craignent pas autant cette histoire que nous. Il devrait y avoir — cela me peine d'utiliser le terme — une approche holistique de communication.

Il est bien avisé de ne pas s'en tenir à une situation où un certain nombre de personnes seulement peut essayer de comprendre, et, plutôt, d'élargir le champ d'action. Les jeunes agriculteurs dont nous parlons vivent avec ce que les plus vieux ont fait. Ils auront peut-être une meilleure façon de s'adapter, de comprendre la chose, et de trouver eux- mêmes, aussi, des idées intelligentes quant à la façon de composer avec la situation. Il s'agit d'en arriver à une situation où chacun a l'occasion de participer à la recherche d'une solution.

M. Hengeveld: Pour ce qui est de la météo, nous avons conçu un système qui fonctionne assez bien. Nous avons un très bon système de communication qui fait appel au canal météo, à la radio et ainsi de suite, pour que le public sache le temps qu'il fait.

D'une certaine façon, nous avons maintenant affaire à des choses qui sont en quelque sorte le prolongement de la météo. C'est la météo à long terme, déclinée sur une échelle décennale.

Le sénateur Fairbairn: La météo à long terme, l'échelle de temps décennale fait-elle voir, en dernière analyse, qu'il y a bel et bien un changement climatique?

M. Hengeveld: Nous devons être en mesure de dire aux gens la tournure que, selon nous, prennent les choses. Quand nous parlons de changement climatique et de la façon dont il influe sur les gens, nous parlons habituellement d'un changement du temps qu'il fait. Le citoyen moyen ne sait que faire de la notion de conditions climatiques moyennes. Nous devons en apprendre davantage là-dessus. Nous pouvons affirmer un certain nombre de choses avec quelque certitude. Par exemple, nous savons que la fréquence des cas de chaleur extrême va certainement s'accroître. C'est une conclusion très solide.

Nous sommes à peu près sûrs que la fréquence des périodes sèches dans les régions intérieures de l'hémisphère Nord va augmenter. Tous les modèles semblent le donner à voir. Nous ne savons pas ce qu'il adviendra des ouragans, car les modèles se contredisent. Il y a certains sujets à propos desquels nous pouvons parler avec confiance; dans d'autres cas, nous ne pouvons le faire. Un effort important est effectué pour essayer de communiquer cela et de rejoindre le public, mais je crois qu'il profiterait énormément de l'existence d'un plan stratégique intergouvernemental qui fait appel aux provinces aussi bien qu'à l'administration fédérale.

Les gouvernements provinciaux ont la responsabilité première de l'éducation aux niveaux élémentaire et secondaire. Par exemple, nous travaillons de concert avec les responsables du programme SEEDS en Alberta, qui préparent du matériel d'étude pour les écoles secondaires. Nous avons lancé récemment un site Web sur la science du changement climatique, qui tente, dans la langue des profanes, de donner beaucoup de renseignements sur ce dont nous avons parlé aujourd'hui. Tout de même, c'est encore quelque peu fragmentaire. Je crois que l'effort profiterait énormément d'une approche d'éducation plus stratégique.

Les médias n'aident pas beaucoup les choses, quoiqu'il ne faille pas écarter tous les organes de la presse. Je débats sans cesse avec les journalistes de leur tendance à insister sur la controverse, plutôt que d'informer. Ils arrivent dans une pièce où il y a 100 scientifiques, où 98 sont d'accord, et deux autres, sont dissidents. Le reportage porte sur les deux scientifiques dissidents. Le point de vue des 98 qui sont d'accord est passé sous silence. Ne vous fiez pas aux médias; il faut dire tout de même qu'ils gardent cette question à l'avant plan.

Le sénateur Fairbairn: Cela s'est certainement produit pendant que les incendies ont fait rage cet été. Souvent, on n'est pas informé de tout ce qui se passe. On a entendu parler de l'aspect catastrophe. Dans notre secteur, par le passé, c'est un truc qui est devenu ennuyeux dans le temps de le dire, là où il n'y avait pas de perte de vie ni de maisons brûlées. Cela ne voulait pas dire que l'incendie ne rageait plus ou qu'il était moins dangereux. Comme d'autres incendies étaient meilleurs pour les ventes et que leurs côtés visuels étaient meilleurs que celui des situations graves, on a moins insisté là-dessus.

M. Hengeveld: Il a fallu 100 ans pour que cela se dessine. Nous n'allons pas régler la question du jour au lendemain, car il faut changer la culture. Le groupe auquel j'aime le mieux m'adresser, c'est celui des étudiants à l'université, qui vont devenir des enseignants et des membres de l'industrie, et qui sont tous disposés à apprendre et à écouter. Toutefois, je constate aussi que les ingénieurs et les sénateurs écoutent bien.

Il y a chez les Canadiens une véritable soif d'apprendre en rapport avec cette question, exception faite de quelques sceptiques basés à Calgary, la plupart sont prêts à écouter. Je ne devrais pas parler uniquement de Calgary. Cela se trouve ailleurs au pays, aussi.

J'ai parlé il y a un mois à un groupe de Calgary. À la fin de la conversation, quelqu'un s'est levé et a dit: «Monsieur, je ne sais pas pourquoi vous êtes là ni pourquoi vous avez été invité: vous ne nous avez rien dit de nouveau, et, de toute façon, je ne vous crois pas.»

L'éducation est la clé de l'histoire à long terme, car ce sont nos enfants et nos petits-enfants qui prendront des décisions beaucoup plus difficiles que celles qui touchent au protocole de Kyoto. Le protocole de Kyoto n'est que le début.

Malheureusement, nous n'y sommes pas pour beaucoup dans l'établissement du programme d'études. J'ai un fils qui enseigne la physique à l'école secondaire. Il dit que, en tant qu'enseignants, ils n'ont pas le temps de rechercher cette information. Ils doivent utiliser le programme provincial, parce que cela pourrait leur prendre tout leur temps. C'est comme l'agriculteur qui doit composer avec les prix aussi bien qu'avec le changement climatique. Le système d'éducation en question a également des lacunes importantes.

Le sénateur Fairbairn: La frustration que les gens éprouvent dans le système d'éducation concerne le fait que, quelle que soit la chose que vous voulez enseigner, vous êtes obligé d'enseigner ce que le conseil scolaire vous dit d'enseigner. Il y a beaucoup d'éducation à faire là-dessus.

Le sénateur LaPierre: Il s'agit d'une observation plutôt qu'une question, et c'est une observation historique. À un moment donné dans l'évolution des êtres humains, il semble que nous en soyons arrivés à la conclusion que le changement ne nécessite pas de temps, qu'il y a une réaction presque immédiate à toute chose.

Vous parlez de la période glaciaire. Les humains et les animaux ont eu des milliers d'années pour s'adapter à ce qui s'annonçait. Tous les jours, ils l'ont senti.

Dans notre société, où nous avons conçu toutes ces machines et tout le reste, les sources de plaisir et d'irritation sont instantanées. Nous semblons vouloir une gratification ou un changement instantanés. Je soupçonne qu'il n'y a rien que l'on puisse faire. Le climat n'y sera pour rien. Si nous en savions plus sur le temps qu'il faut pour qu'un changement réel se produise, nous serions en mesure de nous adapter ou de nous ajuster. C'est une observation. Tout le monde me dit: «Si vous le savez, pourquoi est-ce que les sénateurs ne font pas quelque chose pour que cela cesse demain matin?» Seul le sénateur Wiebe peut faire cela.

M. Hengeveld: Je crois que vous avez raison. L'inertie sociale est un facteur qui entre vraiment en jeu ici. Parfois, il faut des générations pour qu'une société adopte des changements culturels importants. C'est une des raisons pour lesquelles il est risqué de reporter l'action envisagée.

Le vice-président: Merci encore une fois de comparaître. Comme le ton des questions vous le laisse peut-être voir, nous sommes heureux du fait que vous soyez là. Tout de même, votre distinction est d'avoir été le premier témoin aux fins de notre étude en même temps que le dernier.

Je vous encourage tous à être là de bonne heure, jeudi, à 8 h 30, et à être prêts à vous concentrer comme il faut.

La séance est levée.


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