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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 9 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 26 février 2003

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 15 h 55, pour examiner l'état du système de soins de santé au Canada.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Ceci est la première séance d'une nouvelle étude sur les soins de santé que le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie est sur le point d'entreprendre. Elle porte sur les maladies mentales et la santé mentale. Lorsque nous avons terminé notre vaste étude sur le système de soins de santé et publié le rapport final en octobre dernier, nous avons conclu, en raison de nos travaux antérieurs, que plusieurs problèmes liés aux soins de santé méritaient clairement une étude plus approfondie.

Nous en avons cerné plusieurs, dont celui de la santé mentale et des maladies mentales. Lorsque les membres du comité se sont réunis pour décider par quelle étude spéciale commencer, ils en sont rapidement arrivés à la conclusion unanime qu'il fallait se pencher d'abord sur la santé mentale et les maladies mentales.

L'une des choses qui nous a frappés durant la première série d'audiences est que les problèmes de santé mentale sont les parents pauvres du système de soins de santé. Ils ont toujours été considérés comme marginaux et on ne s'y est jamais vraiment intéressé.

Après avoir réfléchi à la façon de réaliser cette étude particulière, nous avons décidé de procéder en deux phases. Vous vous souviendrez qu'au départ, notre grande étude sur le système de soins de santé comportait six phases. D'ici à la publication d'un rapport, en septembre ou octobre prochain, nous espérons pouvoir constituer une base de faits sur le système de soins de santé au Canada en matière de santé mentale et de maladies mentales. Quels sont les coûts associés? Qui en souffre? Nous essaierons de réunir des faits, des statistiques et de donner un visage humain à ce problème.

Nous avons donc conclu que l'une des meilleures façons de commencer ce processus serait d'inviter quatre témoins des différentes régions du pays qui ont personnellement connu des problèmes de santé mentale ou dont des proches parents en sont atteints, afin de cesser de considérer la maladie mentale comme un concept abstrait et d'en parler comme d'une réalité tangible.

Lorsque nous nous sommes réunis pour décider quelles études spéciales entreprendre, j'ai été frappé de voir que la majorité des membres du comité connaissaient quelqu'un — soit dans leur famille immédiate, soit dans leur famille élargie — atteint d'une forme ou d'une autre de maladie mentale. Il y a donc dans cette étude un très haut degré d'engagement personnel et émotif de la part des membres du comité.

Je vais faire quelque chose d'assez inhabituel pour un comité parlementaire. Je m'adresserai aux témoins par leur prénom plutôt que par leur nom de famille car ce sera plus facile pour plusieurs d'entre eux de parler ouvertement de leurs problèmes s'ils savent que leur anonymat est partiellement préservé et que leur nom n'apparaîtra pas au complet dans les médias.

Par conséquent, chers sénateurs, lorsque vous poserez des questions à ces personnes, je vous demanderai de les appeler par leur prénom, même si vous avez tous un papier sur lequel est inscrit leur nom au complet.

Nous commencerons par entendre David, un témoin qui nous vient de l'autre extrémité du pays.

Je vous remercie beaucoup d'être venu.

David: J'apprécie l'occasion qui m'est donnée de parler au nom des Canadiens autistes. J'ai un fils de 31 ans atteint d'autisme, et j'aimerais mettre un visage sur cette maladie en vous parlant un peu de notre expérience familiale. C'est la toute première fois que je fais une chose pareille. Il y a deux semaines, lorsque j'ai reçu votre invitation à comparaître, on m'a dit que vous vouliez entendre un témoignage personnel, eh bien, c'est ce que je vais vous livrer aujourd'hui.

Lorsque mon deuxième fils, qui fait des études de doctorat ici à Ottawa, a reçu les notes de mon intervention, il a été assez surpris de la franchise avec laquelle j'allais raconter notre histoire aux membres de ce comité.

Je vais me défouler; c'est pourquoi j'aimerais mieux que mon identité ne soit pas divulguée. Je vais vous raconter une expérience très intime tirée de graves problèmes personnels, mais qui forge des valeurs profondes. Je ne sais pas si cet exercice aura pour effet de me déstabiliser ou au contraire de me rasséréner.

Mon fils a 31 ans. Nous ne connaissions pas l'étendue de son handicap jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de 15 ans, ce qui est une situation plutôt rare pour la plupart des autistes. Mon fils n'est pas un autiste classique. C'est un autiste de haut niveau; il parle; il lit; il a un diplôme d'études secondaires. La plupart des gens atteints d'autisme sont incapables de parler. Ils sont muets et souvent très peu autonomes.

Mon fils a une capacité de communication limitée, ce qui réduit son aptitude à converser et à travailler. Il n'a jamais travaillé de sa vie et son handicap a profondément marqué son frère Andrew ainsi que ma femme et moi-même. C'était aussi un grand sujet de préoccupation pour mes parents et ceux de mon épouse, qui ne sont maintenant plus de ce monde.

Permettez-moi de commencer par vous décrire ce qu'est l'autisme. Il s'agit d'une maladie neurologique envahissante qui affecte la capacité à communiquer, à se socialiser, à penser et à imaginer. Elle trouble la pensée et l'imagination au point qu'il devient très difficile pour les personnes qui en sont atteintes de communiquer et de travailler. Plusieurs comorbidités sont associées à l'autisme. Les malades souffrent de problèmes gastro-intestinaux, d'humeur instable, d'épilepsie, de mutité, ce qui est très courant, et bien souvent de retard mental.

L'autisme se manifeste de différentes façons. L'une d'entre elles est connue sous le nom de syndrome d'Asperger, qui correspond à un autisme de haut niveau. Il y a aussi le syndrome de Rett, une forme d'autisme qui affecte essentiellement les sujets féminins. Lorsqu'on parle d'autisme, on pense à Dustin Hoffman dans The Rainman. Le personnage principal du film est un autiste de haut niveau capable de parler et ayant d'incroyables facilités pour le calcul. Les personnes qui ont cette aptitude phénoménale sont aussi appelées autistes savants. Certaines peuvent réaliser des choses remarquables, mais ce n'est pas un trait caractéristique de l'autisme. Seulement 1 p. 100 des personnes atteintes de ce trouble sont des autistes savants.

Il existe plusieurs autistes célèbres, comme Donna Williams, une Australienne qui a écrit plusieurs livres, dont Personne nulle part et Quelqu'un quelque part. C'est une personne très éloquente atteinte d'un autisme de haut niveau. Il y a aussi Temple Grandon, un docteur en ingénierie capable d'imaginer des plans de travail très compliqués. Elle est aussi une oratrice bien connue, mais n'est pas non plus représentative du monde des autistes.

Les personnes atteintes d'autisme ont beaucoup de troubles sensoriels. Elles sont sensibles à la lumière, aux sons différents, au toucher et à la chaleur. Lorsque mon fils est dans la voiture en hiver et qu'il fait froid dehors, il a souvent tendance à ouvrir les fenêtres parce qu'il a chaud. Il a chaud et il enlève son manteau pendant que le reste des occupants est en train de geler. Lorsqu'il monte dans la voiture durant la journée, il se couvre les yeux. Mon fils est très sensible à la lumière; elle l'incommode beaucoup. Il s'allonge dans la voiture en se protégeant les yeux.

Les gens atteints d'autisme ont très souvent des comportements répétitifs ou ritualistes, comme ceux qui consistent à se balancer, à frapper des mains ou à changer systématiquement la disposition des objets. Ils sont souvent préoccupés par les choses.

Beaucoup d'autistes sont débiles profonds, même si 25 p. 100 d'entre eux ont une intelligence normale ou supérieure. De un tiers à 50 p. 100 des autistes sont incapables de parler; ils sont muets. Les autistes sévèrement retardés et incapables de s'exprimer se frappent la tête de manière répétée, s'agitent ou poussent des cris de frustration. Ils hurlent en raison de leur impossibilité à communiquer avec les autres. Leurs frustrations se manifestent par des comportements difficiles. Les autistes peuvent être extrêmement colériques; ils peuvent casser des objets, arracher les appareils d'éclairage fixés au mur ou briser les carreaux des fenêtres. Leur capacité limitée à communiquer est l'aspect central le plus handicapant de leur état.

L'autisme est le plus sévère des troubles du développement. Habituellement, il se manifeste vers l'âge de deux ou trois ans, mais chez mon fils, il n'a été diagnostiqué qu'à l'âge de 15 ans.

Les autistes ont une espérance de vie normale. Leur handicap n'affecte nullement leur bien-être physique, même si certains souffrent de comorbidités, comme l'épilepsie, qui peuvent réduire leur espérance de vie.

L'autisme est quatre fois plus fréquent chez les hommes que chez les femmes. La plupart des personnes qui en souffrent ont besoin de soins ou de supervision toute leur vie durant.

Pour obtenir les meilleurs résultats possibles, il faut s'attaquer à cette maladie lorsque les enfants sont âgés entre trois et cinq ans. Le traitement, appelé «analyse comportementale appliquée», a été élaboré par le Dr Ivar Lovaas de l'Université de Californie. Il s'agit d'une thérapie individuelle. Elle coûte entre 40 000 $ et 60 000 $ par année et, il y a 10 ans, elle n'était pas disponible. Elle n'existait pas quand mon fils était jeune. Elle est maintenant offerte dans plusieurs provinces, et ce, seulement grâce aux batailles juridiques livrées les parents pour que leurs enfants reçoivent ce type de traitement.

Les parents d'autistes sont forcés d'exercer des pressions pour obtenir des services. Ces services ne sont pas disponibles automatiquement, c'est pourquoi il faut lutter pour les obtenir. Les parents d'enfants cancéreux ne sont pas confrontés à ce problème. Ils n'ont pas besoin de devenir experts en recherche ou en thérapie sur le cancer, contrairement aux parents d'autistes. Ces derniers doivent se tenir informés des meilleurs traitements existants. Ils doivent faire des recherches dans des revues médicales. Ma femme a fait des recherches dans des journaux médicaux avant que nous découvrions que notre fils était autiste. Il existe plusieurs bons traitements, même si aucun n'est plus efficace que la thérapie comportementale appliquée. Pour certains, le traitement à la mégavitamine B6 donne des résultats.

Chez les personnes atteintes de troubles gastro-intestinaux, la consommation de pain sans gluten et de lait sans caséine a des effets bénéfiques, et pour certains autistes de bas niveau qui se frappent la tête contre les murs ou qui s'infligent des blessures, l'élimination de ces ingrédients est extrêmement salutaire. Les personnes ayant une sensibilité auditive aiguë peuvent aussi suivre un traitement. Le traitement auditif améliore la qualité de vie, mais il ne guérit pas. L'autisme est une maladie incurable.

Les parents d'autistes doivent se battre contre le système pour obtenir des services spéciaux. Ils doivent prouver que leur enfant est lourdement handicapé. Ils doivent même exagérer la gravité de la maladie.

L'incidence de l'autisme s'est accrue. Dans certaines régions, comme en Californie, elle a atteint des proportions épidémiques. Une récente étude a conclu que l'incidence croissante n'était pas un phénomène statistique; elle est bien réelle. Aux États-Unis, le rapport est de un autiste pour 100 personnes. Ce chiffre inclut toutes les formes d'autisme, depuis l'autisme de bas niveau jusqu'à l'autisme de haut niveau en passant par l'autisme classique et le syndrome d'Asperger.

Au pays, ce rapport est actuellement de 1 sur 385, d'après les données relevées dans la population scolaire canadienne. Le Center for Disease Control d'Atlanta considère que le taux d'incidence est de un sur 500. La Société canadienne d'autisme estime que le Canada compte aujourd'hui 100 000 autistes.

Mon fils, Adam, avait de la difficulté à se faire des amis lorsqu'il était jeune garçon. Nous ne savions pas qu'il était autiste. Il n'en présentait pas les symptômes lorsqu'il avait deux ou trois ans, l'âge auquel la plupart des personnes qui en sont atteintes démontrent des tendances autistiques. Nous avions remarqué qu'il était agressif, particulièrement à l'égard des étrangers et des amis que son frère Andrew invitait à la maison. Les autistes n'aiment pas les changements. Ils résistent à tout changement.

Nous avions aussi remarqué que l'école était une source accrue de stress pour Adam à mesure qu'il grandissait. Lorsqu'il a atteint l'âge de 15 ans, il a commencé à refuser d'aller à l'école. Certains enfants lui rendaient la vie difficile. Ils se moquaient de lui et mon fils trouvait les récréations extrêmement éprouvantes. Il devenait très agité et colérique. Il sortait se promener et rentrait à la maison dans une rage violente. Il était si en colère qu'il brisait les vitres des fenêtres de notre maison et arrachait les luminaires.

Nous n'avions pas d'autre solution que de l'envoyer à l'hôpital où on a diagnostiqué chez lui, à tort, un trouble bipolaire. Cela tient au fait qu'à l'époque, notre système médical n'avait pas la capacité de diagnostiquer correctement l'autisme. La situation s'est nettement améliorée depuis. Il est rapidement devenu clair que le diagnostic était erroné. Les médecins de l'hôpital pour enfants où était admis Adam lui administraient des sédatifs, mais ils n'ont absolument rien fait pour résoudre ses problèmes de base.

Nous sommes passés au travers d'expériences traumatisantes. Par exemple, je me souviens qu'une nuit, on nous a appelés à 2 heures du matin pour nous dire qu'Adam s'était échappé de l'hôpital. Il avait sauté par la fenêtre puis, une fois sur le toit, il était descendu par une échelle et avait quitté l'hôpital. Avant que nous soyons arrivés sur les lieux, Adam avait été retrouvé par la police et était traité pour hypothermie. Il ne nous a jamais expliqué pourquoi il avait décidé de sauter par la fenêtre et de s'échapper en pyjama en pleine nuit, mais il nous exprimait fréquemment sa colère de l'avoir envoyé à l'hôpital. Plus tard, dans sa rage, il arrachait les luminaires. Il était devenu si agressif et si incontrôlable que nous avons dû l'interner dans un hôpital psychiatrique pour adultes, ce qui était un endroit très inapproprié pour lui, mais restait l'unique solution envisageable car c'était le seul hôpital psychiatrique pour adultes capable de contrôler ses accès de furie et de le garder tranquille.

Quand il était à l'hôpital psychiatrique, il prenait plusieurs médicaments. Certains l'aidaient à fonctionner. Nous avons très mal vécu son séjour à l'hôpital. À un moment donné, l'erreur de diagnostic était tellement énorme que le travailleur social pensait que le problème d'Adam tenait au fait qu'il avait une famille dysfonctionnelle. On nous a mis dans une pièce où se trouvaient des miroirs d'observation et on nous a soumis à une thérapie familiale, ce qui était totalement inapproprié. Lorsque je repense à tout cela, je suis furieux. Cela traduit l'inadaptation du système auquel nous faisions face.

Les praticiens qualifiés considéraient Adam comme un casse-tête. Les psychiatres n'imaginaient pas que l'autisme pouvait être un diagnostic possible. Lorsque notre fils est retourné à l'école après son séjour à l'hôpital, il prenait des médicaments, mais subissait beaucoup de stress. Il ne pouvait pas dormir et nous gardait parfois éveillés toute la nuit. Nous essayions de lui administrer des sédatifs pour l'aider à se détendre. Parfois, les médicaments n'avaient aucun effet. Il devenait suicidaire et nous criait «Pourquoi ne me tuez-vous pas? Je veux mourir.» Il l'a répété tellement souvent que cela restera gravé à tout jamais dans ma mémoire.

Une fois, il a même tenté de s'échapper par la fenêtre de sa chambre, à la maison, mais il y avait trois épaisseurs de verre et il n'a pu passer au travers de toutes. À une autre occasion, alors que je m'apprêtais à partir à l'étranger en voyage d'affaires, c'était un dimanche matin, mon fils criait à ma femme: «Pourquoi tu ne me tues pas? Pourquoi tu ne me tues pas?» J'ai dû annuler mon voyage.

Mon fils est retourné à l'école. Après avoir passé six mois à l'hôpital, on l'a renvoyé à l'école. La situation était plutôt bonne. Les enfants allaient partir en voyage scolaire à Athènes, en Grèce, pour 10 jours. Suivant les conseils de notre médecin, de notre psychiatre, qui est vraiment quelqu'un de très bien, nous avons décidé de prendre le risque de le laisser partir. Nous sommes allés à l'aéroport, avec beaucoup de craintes et une vive inquiétude, et nous l'avons laissé prendre l'avion. Il n'a pas dit un mot; il était effrayé. Deux jours plus tard, nous avons reçu un appel du professeur nous disant: «Votre fils menace de se suicider. Pendant le vol transatlantique, il n'a cessé de crier et de hurler et maintenant il dit qu'il veut se suicider. Il va le faire. Vous devez venir le chercher.» Au cours des deux jours qui ont suivi, le psychiatre a appelé les professeurs pour essayer de gérer la crise à distance, mais cela n'a pas fonctionné. Nous avons fini par aller à une agence de voyages et avons dû trouver 10 000 $ pour payer les billets d'avion afin de nous rendre à Athènes.

Nous avons sorti notre fils de l'hôpital, qui se trouvait juste à l'extérieur d'Athènes. Cette expérience a eu ceci de bénéfique: le psychiatre grec lui a prescrit un médicament, le Stelazine, qu'il a pris pendant deux ans et qui l'a beaucoup aidé.

Jusqu'à ce moment-là, nous n'avions pas reçu de diagnostic précis. À la suite de l'hospitalisation d'Adam, un spécialiste des troubles de l'adolescence nous a laissé entendre qu'il souffrait peut-être d'une forme légère d'autisme. Nous avons fait des recherches et consulté des ouvrages médicaux, et nous sommes arrivés à la conclusion qu'il souffrait d'autisme. Le psychiatre à l'époque n'a pas voulu confirmer ce verdict. D'autres spécialistes, comme l'orthophoniste, l'ont fait. Toutefois, Adam était devenu tellement réfractaire à l'idée de rencontrer des médecins que nous n'avons jamais pu obtenir de diagnostic formel.

Adam a terminé ses études secondaires après avoir quitté l'hôpital. Il a obtenu, en même temps qu'un autre étudiant, la plus haute note à l'examen menant à l'obtention d'une bourse. Il s'est vu décerner une bourse d'études universitaires, mais il a trouvé le monde universitaire trop stressant. Ma femme l'attendait à la sortie des cours. Il était extrêmement stressé et agité: il se ramassait en boule et ensuite, quand il se redressait, il fracassait le pare-brise avec ses pieds. Nous en dû en remplacer trois. Il est retourné à l'hôpital, mais il a passé son examen de mathématiques et a obtenu la note A. Il a ensuite quitté l'université parce qu'il ne pouvait composer avec le stress.

Il s'est inscrit, l'année d'après, à deux cours seulement. Les langues classiques l'intéressant beaucoup, il s'est inscrit à un cours de latin et de grec. Il se débrouillait fort bien, et nous étions contents. Adam aimait bien discuter du cours avec les autres étudiants. Il parlait vraiment beaucoup aux autres étudiants, au professeur. Or, une étudiante a mal interprété ce geste et l'a accusé de harcèlement. Elle a cherché à le faire exclure du cours. Comme elle semblait elle- même avoir des problèmes, les conseillers de l'université ont dit à Adam de ne pas lui prêter attention. Il n'a pas été en mesure de le faire, et a quitté l'université.

C'était il y a dix ans. Depuis, Adam est à la maison. Il refuse de voir des médecins, de prendre des médicaments, de s'inscrire à des cours. Il a décidé de fuir le monde extérieur. Voilà dix qu'il passe sa vie seul, dans sa chambre, sans emploi, sans but précis dans la vie.

Quand il était au secondaire, il s'intéressait beaucoup aux ordinateurs. Il était en fait plus fort que les autres étudiants, ce qui n'est plus le cas maintenant. En septembre dernier, il s'est inscrit à un cours d'informatique à l'université. Ma femme doit l'accompagner à ses cours en voiture, mais il a suivi le cours pendant tout le semestre.

Il a obtenu une note de 92 p. 100 à l'examen final. Ce semestre-ci, il s'est inscrit à deux cours. Nous sommes d'un optimisme prudent.

Ma femme a quitté son emploi au gouvernement fédéral quand nous nous sommes mariés, en 1970. J'enseignais, à l'époque, l'économie à l'université. Nous avons eu des enfants et ma femme est restée au foyer jusqu'à ce que le plus jeune ait dix ans. Elle a ensuite fait un stage en vue de devenir comptable agréée. Elle a travaillé pendant quelque temps, mais a dû quitter le marché du travail à cause des nombreux problèmes que nous posait Adam.

Depuis, nous sommes redevenus une famille à revenu unique. Janet fait énormément de bénévolat. Nous consacrons tous les deux beaucoup de temps à notre fils et d'autres personnes atteintes d'autisme.

Nous avions l'habitude, avant que nos problèmes n'atteignent des proportions alarmantes, de recevoir des amis et des associés à la maison. Nous les invitions à dîner, et vice-versa. Or, le fait d'inviter des étrangers à la maison était difficile et pour Adam et pour nous. Il ne voulait pas de ces visiteurs. Il lui est déjà arrivé d'aller à la cuisine pendant que ma femme préparait un repas et de tout jeter par terre. Il est très difficile, dans ces circonstances, de préparer un dîner.

Aujourd'hui, nous recevons très peu. Nous n'invitons pas d'amis à la maison, et ils ne nous invitent pas non plus. La maison n'est pas nécessairement un havre de paix quand on vit avec une personne atteinte d'autisme, quand on a un enfant autiste. On se sent seul, traumatisé. On ne sait à qui s'adresser quand les médecins, psychiatres et psychologues affirment ne rien connaître à l'autisme. Voilà la situation dans laquelle nous nous sommes trouvés, il y a dix-sept ans. Les choses se sont, depuis, quelque peu améliorées.

À bien des égards, l'autisme est pire que le cancer, parce que l'autiste connaît une longévité normale. Il doit vivre avec la maladie pendant toute sa vie, c'est-à-dire sept jours sur sept, 24 heures sur 24. Nous allons, ma femme et moi, être responsables d'Adam jusqu'à notre mort. Nous passons des nuits blanches à nous demander ce qui va advenir de lui quand nous ne serons plus là. Nous n'avons pas beaucoup de ressources financières, ce qui veut dire que nous ne sommes pas en mesure de subvenir à tous ces besoins.

Adam n'a pas d'amis. Son frère s'efforce de nouer des liens étroits avec lui, d'être son ami, mais Adam se méfie beaucoup des succès de son frère, qui est un étudiant au niveau du doctorat. Adam avait un ami à l'école, mais il n'a pas entretenu cette amitié.

Quand une personne est atteinte d'autisme, c'est la famille qui assume toutes les responsabilités, que ce soit sur le plan financier, émotionnel ou autre. Ma famille assume tout le fardeau de cette invalidité. Nous ne recevons aucune aide financière ou médicale. Parce que notre fils est un autiste de haut niveau, le gouvernement exige qu'il présente une demande d'aide, qu'il signe les formulaires et qu'il renouvelle sa demande, si besoin est.

Adam ne le fait pas. Il touchait un revenu modeste, sauf qu'il devait présenter une nouvelle demande pour continuer de le recevoir. Il ne l'a pas fait, de sorte qu'il ne reçoit plus rien. Il est incapable de remplir lui-même les formulaires. Toutefois, comme il est un autiste de haut niveau, il ne peut faire de nous ses tuteurs et nous demander d'agir en son nom. Par ailleurs, le seul temps que nous pouvons prendre des vacances, c'est quand le frère d'Adam est à la maison. Or, comme je l'ai déjà mentionné, il étudie à l'université, de sorte qu'il peu probable qu'il passe beaucoup de temps à l'avenir à la maison.

Qu'avons-nous appris cette expérience? D'abord, qu'on manque de personnel pour diagnostiquer et soigner les personnes atteintes d'autisme. On n'a pas su diagnostiquer la maladie chez Adam, et ma famille, à cause de cela, a connu l'enfer. On nageait dans l'inconnu, et personne n'était en mesure de nous aider. Cela se vérifie en particulier pour les personnes plus âgées qui sont atteintes d'autisme.

Il faut absolument former des professionnels de la santé dans ce domaine. Nous collaborons de près avec les associations professionnelles, et nous sommes heureux d'apprendre que le directeur exécutif de la Société canadienne de psychologie assiste à la réunion aujourd'hui. La SCP est en train d'organiser un séminaire sur l'autisme qui sera donné lors de son assemblée générale annuelle, en juin. Susan Bryson, une des plus grandes expertes en la matière, y sera. Elle animera la discussion. Nous sommes très heureux de l'initiative qu'a prise la SCP. Je vous en aurais parlé, même si le directeur exécutif de la SCP n'avait pas été présent. Je ne savais pas qu'il allait être ici.

Les adultes atteints d'autisme n'ont accès à aucun service. Seuls des soins de relève sont offerts aux autistes de bas niveau. On entend par cela des services de garde, et les personnes qui les assurent touchent un salaire minimum. Aucune activité n'est prévue pour les autistes après l'école; il n'y a qu'un vide. À moins de bénéficier d'une aide importante, les perspectives d'emploi sont plutôt rares pour les autistes. La famille doit assumer tout le fardeau. Nous sommes en train d'essayer de mettre sur pied un centre pour les autistes dans la province. Nous avons reçu beaucoup de dons de particuliers et du club Rotary, dont je fais partie. Nous avons également réussi à trouver un bureau dans une université locale, située près de l'école de médecine et de l'hôpital.

Nous avons également demandé au service local de recherche en santé d'examiner les services qui sont offerts aux adultes atteints d'autisme. Nous espérons que cette étude servira à mettre sur pied, à l'échelle provinciale, un programme de prestation de services pour les adultes autistes.

On comprend très mal la nature des handicaps mentaux, et de nombreuses personnes ont du mal à accepter ceux qui ont un comportement inhabituel. Ce rejet social pose problème. Nous devons faire plus pour sensibiliser le public à l'autisme et aux autres troubles, parce que ce rejet social existe toujours.

Nous devons effectuer encore plus de recherches sur les causes de l'autisme, et mettre au point des traitements efficaces. La Société canadienne d'autisme a organisé récemment, à Toronto, un séminaire auquel participaient des organismes de financement, comme les Instituts de recherche en santé du Canada, des parents d'enfants autistes et des chercheurs. Nous avons, au cours de cette rencontre, défini les nouveaux objectifs de la recherche sur l'autisme.

L'autisme est un problème médical qui mérite plus d'attention à l'échelle nationale. Il est injuste que les parents et les fournisseurs de soins assument tout le fardeau. L'autisme doit être reconnu comme un problème médical majeur pour lequel il faut prévoir des traitements conventionnels et non conventionnels qui peuvent être obtenus sans difficulté. Ces traitements constituent un droit. Les enfants autistes et leurs parents ne devraient pas être obligés de quémander des services ou de proférer des menaces en vue d'obtenir des services, comme cela est déjà arrivé dans le passé.

Il y avait, dans notre collectivité, un étudiant de très bas niveau qui bénéficiait d'une indemnité de déplacement pour se rendre à l'école. Le père de cet enfant a décidé qu'il n'y avait qu'un seul moyen de rétablir ce service: soit en occupant le bureau du ministre de l'Éducation. Le ministre de l'époque était Roger Grimes. Le parent a occupé le bureau de M. Grimes jusqu'à ce que le service soit rétabli. Voilà le genre de mesures que les parents doivent prendre. Il faut insister. Si vous ne le faites pas, votre enfant va souffrir.

Je tiens à remercier le comité de m'avoir donné l'occasion de lui présenter mes vues sur la question. Je suis heureux de voir que le comité a choisi la santé mentale comme sujet d'étude.

Je tiens également à souligner l'excellent travail de la Canadian Alliance for Mental Illness and Mental Health, que j'appuie. Nous devons nous doter d'un plan d'action national et adopter une politique nationale qui met l'accent sur la recherche, la formation continue des médecins, et un financement stable et adéquat.

L'autisme n'atteint pas uniquement les enfants. À la page 4 du document qu'on a fait circuler plus tôt, on dit que l'autisme est une maladie infantile. Habituellement, elle est diagnostiquée lorsque la personne est très jeune. La schizophrénie est diagnostiquée lorsque la personne est plus âgée. Toutefois, l'autisme ne disparaît pas avec l'âge. Ce n'est pas une maladie infantile. C'est une maladie qui frappe les enfants, les adolescents et les adultes.

Encore une fois, merci de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant vous.

Le président: Merci beaucoup, David. Je tiens à dire au comité que s'il persistait un doute quant à l'utilité de l'étude sur la santé mentale et la maladie mentale, vous l'avez clairement dissipé. Vous nous avez présenté un exposé fort intéressant. Merci beaucoup.

Notre deuxième témoin aujourd'hui est Murray.

Murray: Avant de commencer, je tiens à remercier le comité de m'avoir invité à comparaître devant lui. Il est rare qu'on ait l'occasion de discuter des soins en établissement.

Il y a trois ans, on a diagnostiqué une schizophrénie paranoïde chez mon garçon. Le 28 mai 2002, alors qu'il était soigné à l'Hôpital Royal d'Ottawa, il a quitté les lieux et s'est retrouvé sur l'autoroute, où il a été frappé et tué par un autobus qui roulait à 100 kilomètres heure.

Ce n'était pas la première fois qu'il quittait l'hôpital. Il n'est pas le seul à l'avoir fait et à connaître une fin tragique. Son jugement et son habilité motrice étaient sérieusement entamés par la maladie à l'époque. L'autopsie n'a révélé aucune trace d'alcool, de drogues et, plus important encore, de médicaments dans son sang. Son décès a été jugé accidentel par le bureau du coroner de l'Ontario. Aucune enquête n'a été jugée nécessaire.

Avant l'apparition de la maladie, il y a environ six ans de cela, notre fils était inscrit au programme d'études spécialisées. Il faisait partie de l'orchestre de l'école et effectuait des tournées au Canada et aux États-Unis. Il était un joueur de soccer et faisait partie de l'équipe de première division. Il avait de nombreux amis et une charmante copine qu'il fréquentait depuis longtemps. Il était l'âme soeur de sa soeur cadette. Bref, il avait un avenir prometteur.

Les choses ont commencé à se détériorer petit à petit quand la schizophrénie paranoïde a fait sa lente apparition et que mon fils a dû recourir au régime de soins de santé mentale et aux services sociaux. Son frère aîné et sa soeur cadette lui survivent. Notre fille était au secondaire et vivait à la maison quand la maladie a fait son apparition et que les épisodes de psychose se sont manifestés à répétition. Notre fils aîné était sur le point de terminer ses études techniques quand la maladie s'est installée. Il a obtenu son diplôme, s'est déniché un emploi et s'est trouvé un appartement. Ma femme et moi devons travailler tous les deux pour subvenir aux besoins de notre famille.

Il y a de nombreux types de schizophrénie. On en connaît pour l'instant sept ou huit, et on continue à en trouver d'autres au fur et à mesure que les recherches avancent. Notre fils était atteint d'une forme particulièrement aiguë de schizophrénie. Il y a de nombreux schizophrènes paranoïdes au Canada.

La maladie provoque un comportement cognitif désorganisé et sévère, et entraîne un dysfonctionnement social. Le réel et l'imaginaire finissent tout naturellement par former un tout. La chimie du cerveau cesse de fonctionner normalement. La plupart des personnes atteintes de schizophrénie sont incapables d'admettre l'existence de la maladie; elles pensent qu'elles ne sont pas malades et qu'elles n'ont pas besoin d'aide. Leur régime alimentaire et leur hygiène personnelle tendent à se détériorer, leur comportement devient désagréable et changeant, et l'interaction avec le monde réel et la société produit des croyances paranoïdes et un repli sur soi. La lutte est constante, les persécuteurs étant la société elle-même. Leur perception sensorielle est grandement exagérée et déformée. Les hallucinations sont fréquentes. Les crises sont souvent violentes et parfois extrêmement graves. Émanant de l'imaginaire, elles sont souvent imprévisibles. Le stress et les milieux inconnus déclenchent des épisodes de psychose. Le raisonnement est modifié au point où la personne ne peut plus fonctionner normalement.

Le schizophrène constitue un danger pour lui-même et pour d'autres, avant même qu'un épisode n'atteigne ce stade. Il semble incapable de prendre des décisions, et doit faire l'objet d'une surveillance 24 heures sur 24. Il a constamment besoin d'aide. Les victimes de la maladie souffrent beaucoup et ont très peu de chances de guérir, le régime de soins de santé mentale laissant à désirer.

Je tiens à ce que les choses soient très claires. Peu importe la gravité de la situation, peu importe son état de santé, mon fils a tout fait ce qu'il pouvait pour composer avec l'horreur de cette maladie. Peu importe les difficultés, il n'a jamais abandonné.

Invariablement, quand les choses allaient très mal, c'était parce que nous ne pouvions avoir accès à des soins de santé en temps opportun pour diverses raisons: il n'y avait pas suffisamment de lits, il fallait s'adresser au centre de soins communautaires, il ne s'était pas fait interner volontairement, il n'y avait pas assez de personnel, et les installations étaient peu sécuritaires. On arrivait difficilement à surmonter une crise. Le système ne faisait que réagir à la crise, et ce, seulement après des semaines de traitements de choc, une détérioration de la maladie, de nombreux appels lancés par la famille et des avertissements donnés aux fournisseurs de soins. Pas une seule fois on ne l'a renvoyé de l'hôpital dans un état stable, dans un milieu encadré où l'on s'assurerait qu'il prendrait ses médicaments.

Il avait donc un comportement imprévisible, des crises de folie et un comportement violent, à n'importe quelle heure de la journée ou de la nuit. Cela a eu pour effet de traumatiser considérablement les membres de sa famille. Nous avions peur que notre fils se blesse physiquement et qu'il blesse d'autres membres de la famille, même pendant leur sommeil. Nous dormions à tour de rôle. Les dégâts causés à la maison étaient considérables et coûteux.

Combien de fois il a brisé quelque chose à cause de ses problèmes et, tout penaud, il a essayé de le réparer pour simplement aggraver la situation. Par exemple, il a voulu recoller deux morceaux de verre en les faisant fondre dans le four dans du plastique. Évidemment, le plastique s'est enflammé et la maison a pratiquement passé au feu. Par chance, j'étais à la maison et nous avions un extincteur d'incendie et un boyau d'arrosage. Il voulait tellement bien faire que je ne veux pas ternir sa mémoire.

Même quand il était à l'hôpital, il y avait des problèmes qui se présentaient concernant l'absence de services, la préparation des audiences d'accréditation, les visites des médecins, les visites aux hôpitaux, les demandes pour le programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, l'obtention de médicaments et de traitements, la participation à des groupes de soutien et les appels téléphoniques troublants que nous recevions de notre fils hospitalisé. Nous avions peur qu'il s'échappe de l'hôpital et que la consommation de mauvais médicaments entraîne des séquelles cérébrales permanentes. Cette situation nous a causé beaucoup de stress au cours des années, sans compter la fatigue mentale et physique, et pire.

Nous ne pouvions pas avoir de vie sociale. Nous ne pouvions pas l'amener avec nous parce qu'il ne pouvait pas tolérer des niveaux élevés de stimuli sensoriels pendant longtemps. Nous ne pouvions pas le laisser seul à la maison, et il était hors de question de le faire garder.

Mes autres enfants ont aussi souffert, parce qu'ils ont perdu toute une année d'université et qu'ils ont été traumatisés par les incursions de la police chez nous et la crainte que leur frère soit blessé ou tué par les policiers au moment de ses nombreuses hospitalisations forcées. Notre fille a perdu une âme soeur et notre autre fils va passer le reste de sa vie sans son frère bien-aimé.

Cette maladie a aussi des répercussions sur notre revenu. Elle a limité nos possibilités de gagner notre vie. J'ai perdu des revenus de travail et j'ai été congédié par mon employeur en raison de ma faible production. J'ai réussi seulement à conserver la clientèle que j'avais. Je n'ai pas pu trouver de nouveaux clients pendant trois ans. Je n'ai souvent pas pu tenir mes engagements étant donné que je ne pouvais pas quitter la maison quand mon fils était là. J'avais peur de prendre des rendez-vous le soir parce que je devais alors laisser ma femme et ma fille seules à la maison avec mon fils. Nos économies ont sérieusement fondu.

À cause des réductions budgétaires, le traitement dans la communauté a diminué, on ne pouvait ni connaître ni stabiliser les médicaments, il n'y avait pas d'installations de soins prolongés convenables ni de soins hospitaliers suffisants.

Ma femme a rédigé une liste de questions qui traitent des sujets qu'il faudrait examiner.

Est-il raisonnable qu'une personne souffrant de maladie mentale voit huit psychiatres différents en deux ans et demi? C'est une cause de grande anxiété pour le malade et sa famille de ne pas savoir quand il y aura un plan de traitement et si le malade peut créer des liens avec le médecin. C'est néfaste pour le malade et pour la famille.

Est-il logique que la salle d'urgence se trouve dans un endroit complètement différent de celui où le malade se fait soigner, surtout quand ce n'est pas sa première visite à l'hôpital et qu'un nouveau dossier doit être constitué? Cela cause beaucoup d'anxiété et la consommation de médicaments inutiles, au point de provoquer la méfiance et de retarder la guérison. C'est néfaste pour le malade.

Est-il raisonnable qu'il y ait tellement peu de personnel dans l'hôpital qu'il nous arrive de ne pas pouvoir trouver notre fils? Est-ce logique quand beaucoup d'études montrent que l'aspect psychosocial est important pour mieux fonctionner? Les visites chez le psychologue ne sont pas couvertes par le RAMO dans ce cas, sauf si un psychiatre vous envoie en consulter un. On ne semble pas vouloir le faire, préférant s'en remettre uniquement aux médecins.

Est-il raisonnable que le personnel, parce qu'il est trop peu nombreux, soit occupé au point de ne pouvoir assurer la sécurité du malade? Est-il raisonnable que deux personnes ayant des problèmes de santé mentale soient hospitalisées dans la même chambre, surtout ceux qui souffrent de schizophrénie, qui entendent déjà des voix ou dont les stimuli sensoriels sont extrêmement intenses?

Ce n'est pas un milieu propice à la guérison. À l'hôpital Royal d'Ottawa, ils sont parfois deux ou trois dans la même chambre et, dans les services de médecine légale, ils sont même plus nombreux. Je me rappelle avoir lu que l'hôpital Royal d'Ottawa était un endroit lugubre, et c'était un membre du conseil d'administration qui le décrivait ainsi.

Je pense que l'argent que les gouvernements fédéral et provinciaux destinent à la santé doit servir à la santé de tous les Canadiens. Comment se fait-il que les groupes de pression les plus critiques et les plus puissants obtiennent la plus large part des budgets? Nous avons des chiffres que nous pouvons fournir à ce sujet. Pendant ce temps, des personnes vulnérables qui ne peuvent pas se défendre sont laissées pour compte. Dépenser pour elles ne rapporte rien sur le plan politique.

Les Canadiens qui sont touchés directement par la maladie souffrent infiniment du fait que le système de santé ne les traite pas à tout le moins sur le même pied d'égalité que les autres malades.

Est-il raisonnable qu'il y ait beaucoup de lignes directrices pour déterminer si un membre de votre famille souffre de maladie cardiaque, de dépression, de diabète et le reste, mais qu'il n'y en ait aucune pour vérifier si quelqu'un souffre de schizophrénie? Les écoles présument simplement qu'il y a un problème de drogue, ce qui retarde beaucoup le traitement. Or, un traitement précoce est crucial.

Est-il raisonnable pour commencer que Mark soit mort alors qu'il avait été confié à la garde de l'hôpital? Ensuite, le coroner n'avait absolument aucune recommandation à formuler. Ce n'est pas logique d'après moi. J'aimerais que quelqu'un m'explique à quoi sert le système de santé si on ne peut pas répondre à ces questions de façon satisfaisante.

Pourquoi les médecins ne sont pas autorisés à informer les membres de la famille quand on sait que le soutien de la famille est bénéfique pour le malade? Le malade prend des médicaments parce que son mode de pensée est perturbé et, pourtant, les médecins estiment que c'est à lui de décider d'informer la famille alors qu'il ne peut pas prendre de décision raisonnable ou réfléchie.

Les schizophrènes sont encore traités de la façon dont on traitait les cancéreux il y a longtemps, comme si c'était une question morale et non physique. Quand le gouvernement va-t-il encourager les gens à penser autrement au lieu de compter autant sur les sociétés pharmaceutiques pour la recherche? Elles n'ont aucun intérêt à découvrir ce qui cause la maladie étant donné que cela nuirait à leurs profits.

Il y a un lien direct avec la question de l'itinérance et du crime, ce qui devrait être évident maintenant. C'est aussi lié au manque de logement. Bien franchement, nous avons visité certains foyers où un chien ne vivrait pas. Quand nous avons demandé où les jeunes se trouvaient, nous n'avons pas été surpris d'apprendre qu'ils étaient partis ou s'étaient enfuis.

Tous ces problèmes se répercutent directement sur les familles, étant donné qu'elles ne peuvent s'attendre à ce qu'on réponde aux besoins du malade. J'ai aussi une liste de questions sommaires. Je pourrais les passer en revue ou vous les remettre plus tard.

J'aimerais remercier les membres du comité de m'écouter. Mon exposé a peut-être parfois été empreint d'un peu d'émotion. Le souvenir est encore vif.

Le président: Merci beaucoup d'être venu témoigner. Nous sommes conscients que la situation a été difficile pour vous. Cependant, pour ce qui est de nous donner une idée de la raison pour laquelle nous faisons cette étude et des gens que nous voudrions aider, je pense que votre témoignage a été très éloquent. Nous aimerions que vous nous remettiez votre série de questions à la fin de la séance.

[Français]

Loïse: J'ai 58 ans, je vis avec des problèmes de santé mentale. Je suis atteinte de trouble bipolaire ou de maniaco- dépression. Je voudrais vous remercier de m'avoir invitée car je pense qu'il est temps que l'on demande l'avis des usagers des services et des gens qui sont les experts en santé mentale. Qui d'autres que nous somme des experts dans nos troubles, nos besoins et nos problèmes!

Il est certain que l'on ne peut pas nous guérir nous-mêmes. Nous sommes des gens qui ont une certaine capacité de penser. Nous avons besoin d'être entendu et je vous remercie de le faire.

Il y a dix ans, suite à la mort subite de mon compagnon de vie, j'ai eu une épisode de psychose manique. Durant cette phase, tu mens, tu dépenses de l'argent et tu es certaine que tu as de l'argent, tu crois ce que tu fais ce qui est hors contexte. On pourrait sauver le monde durant cette période. J'ai eu une épisode qui a duré six mois et qui s'est terminée par une tentative de suicide. Cela a été suivi de quatre ans de dépression.

À l'urgence de l'hôpital où l'on m'a amenée, on m'a recommandée d'aller dans un centre de crises. Ce fut le début de neuf années de support sans faille d'organismes communautaires et de quatre années de bataille continuent pour avoir l'aide requise autant psychologique que pharmaceutique des institutions et des psychiatres.

Pendant des années, j'ai dû raconter et répéter l'histoire de ma vie aux personnes suivantes: une infirmière de l'urgence; la psychiatre de l'urgence; une évaluatrice du centre de crises; un intervenant psychosocial de ce centre — on parle de l'histoire de ma vie et on revient constamment aux traumas, aux choses douloureuses et chaque fois je dois recommencer à zéro — un psychiatre du centre de crises de l'hôpital; une travailleuse sociale de l'hôpital; un préposé à l'accueil du CLSC; un intervenant du CLSC; un travailleuse psychosociale du CLSC et un médecin de famille du CLSC. C'était extrêmement douloureux et j'étais encore en dépression. Je ne sais pas comment j'ai pu continuer. Un psychiatre évaluateur de services à l'hôpital, six différentes infirmières psychiatriques et quatre différents psychiatres de la clinique externe — parce que cela change souvent —, un psychiatre spécialiste des troubles de l'humeur ayant un groupe de thérapie, une psychiatre et trois résidants — qu'elle formait dans la clinique des troubles de l'humeur — et finalement il y a trois ans, une psychiatre qui me suis encore et avec qui je considère avoir une relation privilégiée. Pendant tout ce temps j'étais allergique au lithium.

Il y a une fausse idée qui dit que lorsque l'on est maniaco-dépressif on n'a qu'à prendre du lithium et que cela nous stabilise. Que l'on peut continuer à travailler et à vivre. Ce n'est pas vrai pour tout le monde.

Je connais des gens qui sont fonctionnels une certaine partie de l'année mais pas durant leur période de dépression. Cela stabilise mais cela n'arrête pas et c'est souvent paralysant.

En plus, depuis cinq ans, j'ai été diagnostiquée fibromyalgique alors cela n'aide pas beaucoup la situation. J'ai trouvé mon nouvel emploi. Ces différents médecins m'ont fait essayer neuf différentes combinaisons de stabilisateurs et d'antidépresseurs. Ils étaient tous inefficaces et causaient des effets secondaires inconfortables et même douloureux à l'occasion. Depuis trois ans, on a trouvé une combinaison qui, si elle ne me guérit pas, me permet de gérer mes épisodes dépressifs. J'en ai encore quelques-uns et la douleur n'aidant pas, c'est quelques fois plus difficile. Ce qui était très important pour moi, c'était de garder une certaine acuité intellectuelle.

Avec l'énergie qui me reste, j'ai décidé de m'impliquer tant au niveau communautaire que consultatif dans la Régie régionale de la santé de la ville. Si je n'avais pas eu le communautaire, je ne serais pas ici aujourd'hui pour vous parler.

Oui, éventuellement, les institutions m'ont aidée, les psychiatres aussi. Mais, ils auraient pu aussi me tuer en me faisant revivre les traumas épouvantables auxquels j'ai dû faire face. Le dédoublement, les paramètres rigides, les difficultés d'approche qui existent au niveau institutionnel doivent s'élargir et ils doivent travailler avec les organismes communautaires pour aider les consommateurs de ces services à trouver l'aide requise. Si ce n'était du support de ces organismes qui travaillent en santé mentale malgré des contraintes budgétaires sévères et de mon implacable instinct de survie, je ne serais pas ici aujourd'hui.

Les préjugés profonds et tenaces qui existent encore dans notre société doivent être adressés avec urgence soit par des campagnes médiatiques ou d'autres moyens.

J'ai perdu, depuis le diagnostic de ma maladie, l'estime de certains membres de ma famille. J'ai eu à me battre contre cela et beaucoup de gens ont eu à le faire aussi. J'ai retrouvé dans cette communauté des gens extraordinaires, courageux intelligents, créatifs, imaginatifs, pleins de compassion et d'empathie ainsi qu'avec un certain humour. J'espère que le travail que je fais me permettra de leur ressembler.

[Traduction]

Le président: Merci, Loïse, d'être venue nous rencontrer aujourd'hui. Je vous remercie de votre témoignage. Notre dernier témoin s'appelle Ronald.

[Français]

Ronald: Mon épouse est atteinte de schizophrénie. Au tout début, cela n'a pas été facile. Je ne sais même pas quand cela a commencé, c'est certainement au début du mariage. On dit que cette maladie est présente chez chaque individu mais que cela prend un stress quelconque pour la déclencher.

Le premier stress de ma femme a probablement été le mariage. Comment l'expliquer? Cela fait rire, c'est vrai mais il n'y a pas eu à ce moment de période schizophrénique mais il y a eu une grande angoisse dès le début. Je me souviens, au début du mariage, on allait voir des thérapeutes et on se faisait suivre. À tel point, que je me disais que je souffrais du symptôme du jeune marié qui ne savait pas s'y prendre. Cela a continué d'évoluer et sont arrivés les premières crises, les hallucinations et les délires religieux.

Je me suis marié en 1959, les premier troubles ont commencé vers les années 1970. Il y avait déjà trois enfants présents. Les deux premiers n'ont pas eu à en souffrir car ils avaient déjà, jusqu'à un certain point accepté la maladie, et dû au fait que je n'avais pas quitté ma femme.

Je n'avais aucun idée de ce qui se passait. La maladie mentale, je ne connaissais pas cela. J'ai rencontré des gens, je suis allé voir une personne et je lui ai dit: «tu es la dernière personne que je consulte et si tu me dis que je dois la quitter parce que c'est la meilleure façon pour elle de se reprendre en main, je le ferai.» La personne m'a répondu que c'était la meilleure façon pour qu'elle se suicide. Ma décision de rester avec elle je l'ai assumée pour le meilleur et pour le pire.

À ce moment, ma femme ne voulait pas se faire hospitaliser parce que la maladie n'existait pas pour elle. Elle n'était pas malade. La maladie n'existant pas il fallait que je trouve le moyen de la faire hospitaliser.

À ce moment-là, j'ai été hospitalisé pour de l'arthrose. J'en ai parlé au médecin traitant qui m'a dit: «Il y a sûrement quelque chose qui ne va pas avec ta femme tu dois la faire examiner». Mais cela prenait le papier de deux psychiatres. Le médecin traitant s'était engagé à trouver deux psychiatres qui signeraient un papier et qui la feraient hospitaliser.

Une fois les deux papiers signés par les psychiatres, elle ne voulait pas venir à hôpital. Je lui ai dit: «tu viens à l'hôpital de ton propre chef ou c'est la police qui viendra te chercher». J'ai dû allé chercher un papier du juge et elle a accepté de se faire hospitaliser.

Elle a été hospitalisée trois mois. Il y a eu des tentatives de suicide. Quelqu'un est resté dans sa chambre 24 heures sur 24 pendant trois mois afin qu'elle ne se suicide pas. Finalement, elle est sortie de l'hôpital sous médication. Elle prenait à ce moment des neuroleptiques et des antipsychotiques. Les crises ont disparu à peu près complètement. Le côté positif de la maladie, c'est à dire les hallucinations, les délires religieux ainsi de suite ont disparu. Mais ce qui est apparu à ce moment, ce sur quoi le médicaments ne fonctionnent pas, c'est le côte négatif de la maladie, c'est-à-dire, le côté social, la non-confiance en soi, l'hygiène personnelle, elle a le sentiment qu'elle n'est bonne à rien, elle ne peut absolument rien réussir ainsi de suite. C'est tellement subtil, du fait qu'elle se croit bonne à rien et qu'elle ne peut rien réussir, elle ne peut pas non plus accepter qu'on l'aime, qu'on lui dise qu'elle est bonne et qu'elle est capable de réussir, cela serait trahir ce qu'elle croit être véritablement.

Elle se laisse définitivement aller. À travers tout cela, on perd nos amis, on n'a plus de vie sociale, plus de vie amoureuse ou sexuelle. Il n'y a plus rien finalement.

Pour remédier à cela, je me suis lancé dans le bénévolat. Je suis entré à l'Association canadienne pour la santé mentale et j'ai dit à la personne que j'avais besoin que l'on m'écoute. Cela a duré une demie journée et je lui ai parlé de mon cas. Il n'y avait pas autre chose à faire. J'ai décidé de me lancer dans le bénévolat. À l'association canadienne, on m'a dit qu'ils étaient quatre ou cinq personnes qui essayaient de mettre sur pied un organisme qui aiderait les personnes qui vivent avec les personnes atteintes de maladie mentale. Cela a été la Boussole. Nous étions quatre personnes et on se rassemblait une fois par semaine ou une fois par mois à ce moment-là. On faisait venir un conférencier qui nous renseignait sur la maladie mentale et qui tentait de nous l'expliquer ce qui en était.

De la Boussole, à un moment donné, une personne a dit la meilleure façon d'aider les parents est de mettre sur pied un organisme qui s'occuperait des personnes atteintes de maladie mentale.

C'est de là qu'est né l'organisme Le Pavois pour lequel je travaille. C'est d'abord un organisme de réinsertion sociale via le travail, la revalorisation par le travail. Au Pavois, ils se resocialisent par des ateliers de bureau et des ateliers de cuisine. Une fois que cela est réussi, des agents d'intégration vont voir des employeurs et essaient de leur trouver des stages et des emplois.

C'est relativement facile de leur trouver des stages. Les employeurs acceptent ces stages parce qu'ils se disent que s'ils trouvent quelqu'un qui fait leur affaire après ils pourront l'engager. Mais à la fin du stage ils ne veulent pas payer et ne les engagent pas. Ces gens ne sont pas intéressés de travailler pour rien. Et elles reviennent au Pavois.

Pour remédier à cette carence, on a mis sur pied nos propres entreprises sociales. On a commencé avec une friperie. On savait que cela ne serait pas rentable mais cela fait travailler des gens. La friperie fait un chiffre d'affaires de 40 à 50 000 $ par année et fait travailler 18 à 20 personnes. Ces personnes continuent de recevoir leur bien-être social et auquel on a le droit d'après la loi, d'ajouter 100 $ par mois. L'absentéisme au début était énorme mais cela a beaucoup diminué parce que les gens se plaisent à travailler à cet endroit.

Le gouvernement nous a demandé de s'occuper d'une cafétéria au Centre de santé des services sociaux de la province. On a accepté. Évidemment, il faut toujours engager un professionnel qui encadrera nos personnes atteintes. On a un cuisinier qui encadre les personnes et cela fonctionne déjà depuis trois ans et cela va très bien. On a fondé une compagnie de photocopies qui fait de la reprographie, de l'infographie, de l'impression et qui transige directement avec le public. On a pignon sur rue et le chiffre d'affaires actuellement est de 200 000$. Ce ne sont pas des profits mais cela fait travailler une vingtaine de personnes.

Ces entreprises sociales sont un palier intermédiaire pour que nos membres passent du Pavois au véritable marché du travail. On s'est rendu compte que passer au véritable marché du travail, pour eux, le stress était trop grand. Pour la plupart, ils ne sont pas capables de retourner sur le marché du travail.

Chez nous la personne vient nous voir et nous dit: «je ne vais pas bien, je dois aller me coucher», on l'a laisse faire. Présentement, peut-être 3, 4 ou 5 p. 100 sont sur le marché du travail et certains réussissent très bien.

Du point de vue intelligence, ils sont aussi intelligents sinon plus que beaucoup d'entre nous. C'est sur le plan émotionnel qu'ils ne l'ont pas.

Chez nous, pour ma femme la maladie et les symptômes ont disparu. Le psychiatre voit ma femme une fois au six mois mais ce n'est pas mieux. Tout le côté négatif de la maladie a augmenté. Maintenant c'est à peine si elle s'habille, elle n'a aucune initiative, rien ne l'intéresse. Elle s'inscrit à des cours de lettres, de peinture mais elle laisse toujours tomber en cours de route. Elle revient à la maison découragée.

Les enfants ne viennent pas à la maison parce qu'ils ne peuvent pas faire face à cette situation. C'est trop difficile pour eux. De plus, au début le psychiatre me signait une lettre qui me permettait une exemption d'impôt et le deuxième ne le fait plus et je n'ai plus droit à mon compensation d'impôt. C'est difficile à prendre. Tout le monde pense qu'elle va bien parce que dans la vie de tous les jours rien ne se remarque si ce n'est son apparence physique.

J'ai apporté avec moi quelques dépliants du Pavois en espérant que cela continuera de faire des petits. Le financement cause toujours problème. On a commencé avec 12 membres, dans un taudis, avec un fond tiroir du ministère de la santé de 12 000$. Aujourd'hui, on a 600 membres et un budget de 600 000$. Ce qui représente environ 1 000$ par membre, c'est-à-dire trois jours d'hospitalisation. Tout notre budget passe en frais fixent et en masse salariale.

Je considère cela comme un succès phénoménal. Une des personnes atteintes qui travaille au Pavois fera un travail sur une reprographie, elle prendra 45 minutes simplement pour planifier la machine et une fois que cela est fait le travail se fait seul. Elle est même capable de gérer d'autres membres qui travaillent avec elle.

Dernièrement, on a ouvert deux points de service, un à Sainte-Foy et un à Loretteville. Mais 30 000 $ paie à peine la personne responsable.

[Traduction]

Le président: J'aimerais remercier les témoins dont les récits sont vraiment très représentatifs. Vous nous donnez certes toutes les raisons du monde d'entreprendre cette étude.

Le sénateur LeBreton: Il n'y a pas grand-chose à ajouter à ce que vous nous avez raconté. Vous avez tous dû subir les préjugés dont vous avez parlé.

David, vous nous avez dit que la maladie de votre fils n'a pas été décelée avant qu'il ait 15 ans. Vous avez également dit que le traitement est plus efficace entre l'âge de trois et cinq ans. Avez-vous jamais pensé que, si la maladie avait été diagnostiquée à cet âge-là, sa vie aurait été complètement différente? Qu'aurait-il fallu avoir pour vous aider à connaître son problème plus tôt? Vous avez dit qu'il y avait eu certains indices, mais que ce n'est que plus tard que vous les aviez compris. Que peut-on faire pour permettre de déceler la maladie plus tôt? Est-ce aussi simple?

David: À l'époque, on en savait très peu sur l'autisme dans notre milieu, et il n'y avait aucune ressource à notre disposition. Notre fils ne souffrait pas de la forme la plus courante de l'autisme. Même s'il était né aujourd'hui, on n'aurait pas pu découvrir immédiatement qu'il était autiste, parce qu'il ne présentait pas tous les symptômes les plus courants de cette maladie. Il pouvait parler. Il ne semblait pas avoir d'anomalie physique au niveau du langage.

Si nous avions su ce qu'il avait, nous n'aurions pas perdu autant de temps. Nous avons gâché une bonne partie de sa vie. Ma réponse est ambivalente à ce sujet. J'ai demandé à ma femme si on se porterait mieux si on avait su de quoi il s'agissait. Nous avons tous les deux convenu, à un moment donné, que nous n'aurions pas fait autant. Si nous avions su que notre fils était handicapé, nous ne l'aurions peut-être pas poussé autant, parce que c'est ce que nous avons fait. Nous l'avons poussé au point de nuire à notre santé. Une bonne partie du stress qui s'est manifesté par sa violence physique était, dans une large mesure, causé par la pression que nous mettions sur lui. C'est ce qui a fait que nous vivions dans un climat très dangereux à la maison. Nous avions peur des incendies et d'autres incidents du genre. Nous l'avons poussé pas mal fort. C'est un côté de la médaille.

De l'autre côté, si nous avions su ce qu'il avait, nous n'aurions pas consacré autant de temps à la thérapie familiale et dépensé autant pour des médicaments qui convenaient mieux aux personnes souffrant de trouble bipolaire. Nous aurions essayé de façon beaucoup plus intelligente de faire face au problème de notre fils. Nous aurions demandé des conseils sur la façon d'intervenir. Le problème fondamental en a été un de communication.

Pour être franc avec vous, nous pensions que notre enfant était récalcitrant. Nous n'arrivions pas à le maîtriser, et nous nous en sommes pris à lui physiquement. J'ai réprimandé mon fils, ce que je n'ai jamais eu à faire avec l'autre. Nous avons eu beaucoup de contacts physiques qui étaient très désagréables et ne servaient à rien. Ma femme et moi étions en colère. Je pense que les choses auraient été bien différentes si nous avons eu une idée de la situation. Savoir, c'est pouvoir. Comme nous ne savions pas de quoi il s'agissait, nous étions impuissants.

Le sénateur LeBreton: La situation s'est-elle améliorée aujourd'hui? S'il était né aujourd'hui, même si vous dites que vous n'auriez peut-être pas reconnu sa maladie, sommes-nous mieux équipés pour diagnostiquer certains de ces problèmes?

David: Nous sommes à des années-lumière de la situation d'il y a 15 ans, mais nous avons encore beaucoup à faire. Les fournisseurs de soins ont beaucoup à apprendre, et j'insisterais en premier lieu sur l'éducation et en deuxième lieu sur la recherche.

Le sénateur LeBreton: Murray, je me rappelle du drame de votre fils. Vous avez dit qu'il n'a pas eu accès à un traitement convenable, qu'à sa sortie de l'hôpital, il n'y avait pas de suivi adéquat. Je vous ai écouté décrire une situation qui m'a semblé très difficile.

Était-ce vous et votre famille qui assumiez tout le fardeau? L'hôpital a-t-il fait un suivi? Une fois qu'il était sorti de l'hôpital, étiez-vous oubliés et livrés à vous-mêmes? On appelle régulièrement les gens qui souffrent de problèmes cardiaques ou de cancer pour un examen. Deviez-vous vous débrouiller à peu près tout seuls?

Murray: Pour vous répondre, je vais vous raconter ce qui nous est arrivé quand nous avons décidé d'encourager notre fils à consulter la première fois. Nous savions déjà qu'il y avait quelque chose qui n'allait vraiment pas. Il avait un comportement étrange, imprévisible. Il faisait des choses bizarres. Il avait déjà perdu pratiquement tous ses amis. Nous en étions arrivés au point de l'encourager à aller à l'hôpital. Nous lui avons fait comprendre qu'il avait peut-être un problème physique grave. À cette époque, il portait la barbe longue, se rasait la tête et se promenait avec une bible, un tam-tam sous le bras et un sac à dos. Il a accepté de lui-même d'aller à l'urgence.

Voici ce que nous avons vécu à l'hôpital: nous nous sommes assis avec lui dans la salle d'attente, sous le regard ahuri des gens et le coup d'oeil entendu de l'infirmière affectée au triage. Après une longue attente, on nous a amenés dans une petite salle d'examen de cinq pieds par huit pieds à peu près, pour nous trois. Nous avons attendu là une autre heure l'arrivée du psychiatre de service qui venait de l'extérieur de la ville.

Il a posé huit ou neuf questions en tout à notre fils. Il lui a ensuite dit qu'il souffrait de schizophrénie et qu'il devrait être hospitalisé. Malheureusement, il n'y avait pas de lit de disponible, mais il pouvait demander s'il y en avait ailleurs dans la région, ce qui pouvait être très long. À ce moment-là, mon fils qui commençait, avec toute l'information reçue, à perdre son calme et à avoir du mal à contenir sa colère, a refusé. Il s'est avéré par la suite qu'il n'y avait aucun lit de disponible dans toute la région. Le médecin lui a ensuite prescrit un neuroleptique de 400 $ en nous disant d'aller faire remplir l'ordonnance et de ramener notre fils à la maison. Évidemment, nous sommes retournés à l'urgence la semaine suivante. Il n'avait pas pris ses médicaments.

Vous avez tout à fait raison de dire que nous sommes livrés à nous-mêmes. On fait nos propres recherches. J'ai recueilli des tonnes d'information sur le sujet par ordinateur. Nous avons eu recours au Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées. C'est très difficile. Vous craignez toujours d'être renvoyés. Si vous voulez en apprendre beaucoup sur la question, allez visiter leurs bureaux ici à Ottawa. Quand vous sortez de l'ascenseur, vous vous heurtez à des panneaux de plexiglass, parce que je pense qu'ils craignent pour leur sécurité.

Vous devez trouver le travailleur social, réussir à obtenir une aide financière. Vous devez amener à la banque une personne qui délire. Vous pouvez passer une heure dans le stationnement à attendre que votre fils ait fini d'entendre des voix avant de réussir à le faire entrer dans la banque pour qu'il signe les documents vous permettant d'ouvrir un compte de banque et de gérer les fonds qui y seront versés.

Ce fut très dur pour lui. Il a été très courageux.

Le sénateur LeBreton: C'est sans parler de ce que cela vous a fait.

Un des aspects qui nous a motivés à entreprendre notre étude sur les soins de santé est la question des préjugés. Vous avez décrit la situation à l'hôpital. Quand vous êtes arrivés, on aurait dit qu'on vous jugeait déjà.

Murray: Les préjugés et les tabous ne nous ont jamais vraiment trop dérangés. Du moins, je ne le pense pas.

Le sénateur LeBreton: Les préjugés sont de deux ordres. Ils touchent aussi ceux qui donnent les soins. Ils ont une barrière psychologique. Même si les préjugés ne vous atteignent pas, ils peuvent influencer leur jugement, ne pensez- vous pas?

Murray: Oui. Il est certain que cela arrive. Quand nous avons su ce qui se passait, nous avons travaillé très fort.

Nous n'avons pas encore fait de bénévolat ou de travail de sensibilisation, mais je crois que nous allons en faire plus tard.

Le sénateur LeBreton: J'ai une question à poser à Loïse. Je suis frappée par le nombre de fois où elle a eu à raconter sa vie. Ne conservait-on pas de dossiers? Ne pouviez-vous pas simplement leur demander de consulter le dossier?

Loïse: Il y a des dossiers, mais pas à un seul endroit. Il y a beaucoup de cliniques différentes et, parfois, le dossier est très épais. Ils ne consultent pas vraiment les dossiers. Il y a une question de confidentialité, de sorte que l'hôpital ne transmet pas les informations au CLSC, et vice versa. Dans les groupes communautaires où on effectue du travail psychosocial, vous signez des papiers pour autoriser les gens à consulter votre dossier, mais c'est bien avant que je puisse le consulter.

J'ai une amie qui a reçu 120 traitements d'électrochocs dans sa vie. Je pense qu'on n'est pas censé en recevoir plus de 30. Elle est toujours en vie. C'est une femme courageuse, une militante. Elle a été soignée dans trois hôpitaux. Il lui a fallu en tout neuf ans pour avoir accès à son dossier et découvrir pourquoi elle avait perdu 20 ans de sa vie et combien de traitements d'électrochocs elle avait reçus.

Il faut raconter son histoire à tout le monde parce qu'ils ne semblent pas communiquer entre eux.

Dans l'état de crise où je me trouvais à l'époque, si je n'avais pas eu l'aide des groupes communautaires et des intervenants psychosociaux, je n'aurais pas pu y arriver.

J'avais le sentiment qu'il fallait faire quelque chose. Je ne sais pas si je peux dire avoir eu du courage. Je ne voulais pas me suicider. J'avais l'impression d'avoir encore quelque chose à faire, même si mon corps ne fonctionnait pas bien. Ce que je fais aujourd'hui, c'est ce que j'avais à faire.

Pour ce qui est de la question de confidentialité, il semble que c'est ce qui empêche les gens d'obtenir de l'aide.

Le sénateur LeBreton: Cela nuit aux gens que vous essayez d'aider.

Le sénateur Morin: J'aimerais vous remercier d'être venus nous rencontrer. Ce que vous nous avez raconté est émouvant et sera très utile.

[Français]

J'aimerais poser quelques questions à Ronald. Je voudrais d'abord vous féliciter pour votre implication dans le Pavois qui semble être un succès. On va sûrement consulter les documents qui seront distribués aux membres du comité. Il n'est pas impossible qu'on vous revienne à ce sujet.

De façon générale, êtes-vous satisfait des soins que votre épouse a reçus au cours des années? Sans nous donner de noms d'établissement, que pensez-vous des soins reçus?

Ronald: Le traitement qu'elle a reçu du psychiatre a bien été. Il lui a donné des médicaments qui ont fait disparaître les symptômes. À partir de ce moment, les visites ont été de moins en moins fréquentes. Par contre, il existe un système psychosocial qui se développe beaucoup dans la province de Québec et qui rend un énorme service. Cela n'existait pas au moment où mon épouse est tombée malade. Elle n'a pas pu profiter du système psychosocial et elle n'en aurait probablement pas profité parce qu'elle-même, encore aujourd'hui, se dit en santé. Elle ne veut pas accepter le diagnostic de la schizophrénie. Quoique je le dis en étant prudent parce qu'elle va dans certains organismes de loisir où elle fait de la peinture et de la poésie et lorsque cela devient trop stressant, elle se retire.

Le sénateur Morin: Quand vous dites «psychosocial», vous voulez dire des services communautaires?

Ronald: C'est surtout cela. Pour compléter ce que Loïse disait, il y a eu une mauvaise communication entre les différents organismes, les CLSC, les hôpitaux et les organismes communautaires. Par exemple, on avait un membre au Pavois qui allait très bien. Tout le monde disait qu'il allait bien. Il était suivi par un CLSC, un médecin, un travailleur social. Il allait tellement bien qu'il appelait tout le monde dans la journée pour leur raconter comment il allait. Les gens se sont tannés et on demandé à ce qu'il appelle moins souvent. Il a pris cela comme un rejet, il a pris son vélo, il est allé aux chutes Montmorency et il s'est jeté dedans. Il devait bien aller.

Le sénateur Morin: Loïse, je vous félicite également pour votre implication au niveau du bénévolat. Vous avez dit avoir fait face à de la discrimination. Trouvez-vous que la discrimination à l'égard de la maladie mentale est moins importante qu'avant? Y a-t-il eu un changement vis-à-vis la discrimination?

Loïse: Dernièrement, j'ai eu à parler à des policiers. On a demandé l'avis d'un usager à un colloque de chefs de police pan-canadien, c'est-à-dire l'avis des usagers sur l'intervention policière idéale auprès de personnes ayant un problème de santé mentale. Suite aux deux jours de colloque, je pourrais dire que oui, il y a un petit peu de diffusion d'information. Si vous vous rappelez quand on était jeune, la pire bêtise qu'on pouvait dire dans la cour d'école c'était que tu étais malade mental. Je pense que cela existe encore. Depuis la désinstitutionnalisation, on voit plus de schizophréniques dans la rue qui parlent très fort et dans le fond, ce sont les plus visibles, ce sont eux qui font le plus peur et qui se font moins soigner.

Il n'y a pas eu beaucoup de changement. Je le vois dans ma famille et pourtant, je viens d'une famille assez éduquée. Je vais vous parler de Montréal par exemple. On organise des conférences de presse, que ce soit pour le communautaire, pour les usagers, pour expliquer aux gens les différentes maladies, mais il n'y a jamais un journaliste qui vient. Cependant, si quelqu'un qui a une maladie mentale commet un acte criminel, les grands titres sont «Un schizophrénique tue sa femme», «Un maniaco-dépressif abuse de ses enfants». Pourtant, je n'ai jamais vu «Un cancéreux tue sa femme» ou quoi que ce soit. À ce niveau, les médias n'arrangent pas les choses. Il y a du chemin à faire. Dans une population plus éduquée, spécialisée, où il y a moins de préjugés, cela passe mieux, mais c'est un problème encore très grave.

Le sénateur Morin: Je vous remercie de votre témoignage.

[Traduction]

Le président: Loïse, j'ai grandi à Montréal et je me rappelle très bien qu'on parlait de l'asile des fous de Verdun.

Loïse: C'est Saint-Jean-de-Dieu.

Le président: Exactement.

Le sénateur Cordy: Merci beaucoup de votre témoignage. Il a été très intéressant. Nous sommes tous émus et nous avons peut-être du mal à poser des questions, même s'il y a tellement de questions à poser.

Murray et Ronald, vous avez tous les deux parlé de schizophrénie. Murray, vous avez dit que votre fils n'avait consommé ni alcool ni drogue illégale au moment de son décès, ni aucun médicament d'ordonnance. Vous avez dit tous les deux que les schizophrènes avaient tendance à croire qu'ils n'étaient pas malades et ne voulaient pas prendre de médicaments.

Comment arrive-t-on à concilier le droit du patient de refuser de prendre des médicaments et l'obligation d'agir dans son meilleur intérêt? Vous avez parlé du schizophrène qui est incapable de prendre des décisions raisonnables. Comment concilier les deux?

[Français]

Ronald: En réalité, la personne ne veut pas prendre le médicament, pas parce qu'elle sent qu'elle a une liberté de le faire ou non, c'est qu'elle ne veut pas accepter qu'elle est malade. Si elle n'est pas malade, pourquoi prendrait-elle des médicaments? Mais après un certain temps, quand les délires religieux et les hallucinations reviennent continuellement, elle se décide à prendre les médicaments et les symptômes disparaissent. A ce moment, elle pense être guérie, elle jette les médicaments et elle cesse d'en prendre et au bout de trois mois, tout recommence. C'est ainsi que les choses ses sont produites dans mon cas.

Une fois qu'elle a réalisé qu'il lui fallait prendre les médicaments, elle a continué à prendre les médicaments et les symptômes ont disparu. Si on n'était pas pris avec tout le côté négatif de la maladie, le retrait social, l'hygiène personnelle et tout cela, ce serait presque parfait. Les nouveaux médicaments travaillent sur les effets négatifs de la maladie.

[Traduction]

Murray: L'expression utilisée pour décrire le fait de ne pas admettre être malade est l'anosognosie. Ces personnes cessent parfois de prendre leurs médicaments parce qu'ils les empêchent, selon elles, d'exercer des pouvoirs intellectuels ou surnaturels. Elles peuvent faire des choses exceptionnelles parce que la plupart du temps, elles n'ont pas une pensée rationnelle.

Quand vient le temps de mettre en équilibre les droits et la prise obligatoire de médicaments, en tant que parents, vous êtes très préoccupés par la vie et le bien-être de votre enfant, et ce n'est donc pas une question de droits. L'enfant a le droit d'être traité, mais il ne se rend pas compte qu'il en a besoin. Il a le droit à la vie, même s'il est incapable de voir lui-même à ses besoins. Il n'y a pas d'hésitation quand c'est sa vie qui est en danger.

Le sénateur Cordy: Je comprends tout ce que vous dites. Je pose la question parce qu'il y a une schizophrène dans la famille de mon époux. Quand elle a refusé ses médicaments, une infirmière est allée au-delà du cadre de ses attributions et a appelé mon époux. Elle lui a expliqué qu'elle ne pouvait pas obliger la patiente à prendre ses médicaments et lui a demandé s'il pouvait essayer de la convaincre. Mon époux a toujours réussi à le faire. Toutefois, sa parente a porté la question devant le conseil d'administration de l'hôpital, se plaignant qu'il y avait atteinte à ses droits, et on a interdit à l'infirmière d'appeler mon époux quand la patiente ne prenait pas ses médicaments.

Murray: La question des droits figure sur notre liste de points à régler. Elle échappe au cadre juridique normal. Quand on est aux prises avec un incapable, on se trouve dans une situation délicate.

Il existe divers degrés de schizophrénie, et ceux qui se plaignent du non-respect de leurs droits sont peut-être atteints d'une forme légère de la maladie et estiment qu'ils sont persécutés et traités injustement. La question est difficile.

Le sénateur Cordy: Vous avez parlé de la fois où vous avez emmené votre fils aux consultations externes, que vous avez été incapable de le faire admettre à l'hôpital, mais qu'on lui a prescrit des médicaments. Je ne sais pas à quel point vous vous y connaissez en médecine, mais comment avez-vous réagi à cette situation?

Murray: Heureusement que nous savons tous nous servir de l'ordinateur. Nous avons trouvé sur l'Internet une véritable mine de renseignements et nous avons pu nous en sortir. Si nous n'avions pas eu ce moyen, nous aurions été dans le pétrin.

Le sénateur Cordy: Il n'y avait pas, à ce moment-là, de lit disponible. Est-il arrivé que vous emmeniez votre fils à l'hôpital et qu'on refuse de l'institutionnaliser?

Murray: Non. Quand nous l'emmenions à un établissement, c'était habituellement à l'urgence, et les médecins ne pouvaient pas conclure qu'il avait un comportement raisonnable. Ce n'était pas une option. La deuxième fois que nous l'avons emmené à l'hôpital, on l'a attaché et placé dans une chambre, et c'est à ce moment-là que nous avons commencé à beaucoup en apprendre sur le système de santé.

Le sénateur Cordy: Vous avez aussi dit que votre fils ne serait hospitalisé que pour quelques semaines.

Murray: C'est le traitement intégré qu'offre le système de santé. Quand quelqu'un se présente pour une amygladectomie, il ressort le jour même. On semble avoir recours au même modèle de traitement en santé mentale. Quand vous vous présentez en tant que schizophrène, on vous bourre de médicaments et on vous laisse sortir une semaine ou deux après. C'est le principe des portes tournantes.

Après trois ou quatre expériences du genre, nous avons conclu que le traitement était inefficace. Après plusieurs audiences d'attestation, nous avons conclu que nous refuserions dès qu'on laisserait entendre qu'on ne pouvait rien faire pour lui à l'hôpital. Quand nous entendions «Nous ne pouvons rien faire de plus pour lui ici», tous les signaux d'alarme s'allumaient, parce que nous savions que notre fils revenait à la maison et qu'il faudrait assurer une supervision de 24 heures par jour et tout le reste.

Il a fait des séjours à l'hôpital qui ont duré jusqu'à six mois. Quand il est mort, il était hospitalisé depuis deux mois.

Le sénateur Cordy: Y a-t-il du soutien pour les familles? Trois d'entre vous, dont deux ont un enfant malade et un autre, une épouse malade, ont soutenu les membres de leur famille et ont partagé beaucoup des frustrations qu'ils ont vécues. Je n'ai pas l'impression qu'il y a beaucoup de soutien au sein de la communauté pour ceux qui prodiguent des soins aux membres de famille qui ont une maladie mentale. Est-ce vrai?

[Français]

Ronald: Oui, c'est vrai pour nous, il y a eu très peu de soutien pour la famille comme tel. J'ai déjà rencontré un psychiatre pour lui dire que j'avais une fille de dix ans et si rien ne se fait pour elle, probablement que dans 10 ans, elle sera assise dans ton bureau. Il m'a dit qu'il n'y avait aucune prévention qu'il pouvait faire. Il faut dire qu'il faut retourner 10, 15 ou 20 ans en arrière, au moment où le discours psycho-social existait beaucoup moins.

Aujourd'hui c'est peut-être un peu mieux. Maintenant à la Boussole, on a des regroupements, des sessions pour les enfants dont les parents, les frères ou les soeurs sont atteints. Dans ce temps-là, ces services n'existaient pas. Je n'ai eu aucune aide. Ma plus jeune a eu beaucoup de difficultés. Encore aujourd'hui, on lui dit que la maladie est héréditaire et elle a encore peur de la maladie et elle est rendue à 30 ans. Il n'y a eu aucun suivi.

À ce moment j'étais seul, cette situation a été difficile, je n'avais pas d'aide. Je devais «dealer» avec tout cela. Comment j'ai fait pour passer au travers, je ne le sais pas. Contrairement à Murray, il n'y a pas eu de violence. Cela a été plus du côté émotionnel. Ma femme s'est retirée du monde. Il y a eu très peu de violence, c'est arrivé à quelques occasions. Il y a eu des tentatives de suicide parce qu'elle avait si peu confiance en elle. Mais pour ce qui est des enfants, cela a été très difficile.

[Traduction]

David: Nous avons eu très peu d'aide. Il n'y avait personne pour offrir de l'aide à notre famille, et c'était là une grande source de préoccupation. Je crois que les choses ont changé depuis lors, mais l'aide qui existe actuellement n'est pas offerte par le secteur public, mais bien par le secteur bénévole. J'en fais partie maintenant. J'ai intégré le réseau d'entraide pour les personnes atteintes d'autisme, et mon épouse comme moi-même participons activement aux sociétés provinciale et nationale d'autisme. Nous avons mis sur pied un réseau de parents qui offrent du soutien. La plupart sont des gens dont les enfants sont plus vieux et qui ont accepté leur situation.

Dans le cas de l'autisme, les familles plus jeunes dont l'enfant vient d'être diagnostiqué sont traumatisées et elles n'adhèrent pas aux sociétés. Elles ne demandent pas d'aide et elles ne participent assurément pas.

Il existe un secteur bénévole dynamique, un secteur beaucoup plus important qu'il y a quinze ans quand mon fils posait plus de problèmes. La situation a évolué. J'ignore si c'est vrai pour d'autres incapacités, mais pour l'autisme, les choses se sont un peu améliorées.

Le sénateur Cordy: David, il y a quelques années, j'ai assisté à une conférence donnée pour les parents de jeunes enfants autistes. Vous avez raison. Parfois, on parle d'autisme comme d'un trouble de l'enfance, mais ces enfants vieillissent. Vous avez parlé d'analyse behaviorale appliquée, c'est-à-dire d'ABA. Je me demande sur quelle prémisse elle s'appuie et comment cela fonctionne. Est-ce que le régime d'assurance-santé de la province paie la thérapie de behaviorisme appliqué que reçoit votre enfant?

David: L'ABA consiste essentiellement à refaire les apprentissages. Dans le cas de l'autisme, le plus grand obstacle est d'obtenir que les gens accomplissent des tâches concrètes. Je ne m'y connais pas suffisamment en analyse behaviorale appliquée pour pouvoir vous expliquer ce qu'il en est. Le principe est plutôt simple. Un thérapeute essaie de montrer à l'autiste comment accomplir certains gestes de manière systématique. Les autistes éprouvent des difficultés à le faire. Ils ont besoin qu'on leur explique que, pour verser l'eau du pichet dans un verre, il faut d'abord soulever le pichet, puis soulever le verre. Il faut leur expliquer chaque étape en détail. Voilà ce qu'est l'ABA.

On n'avait pas droit d'office à des fonds. On y a droit maintenant, par contre, parce qu'il y a eu plusieurs procès au Canada. Dans ma province, des fonds sont débloqués dès l'âge de deux ans jusqu'à cinq, mais il y a une liste d'attente. Récemment, le tribunal des droits de la personne a été saisi d'une affaire par une grand-mère qui se plaignait du temps d'attente pour que son petit-enfant ait accès au service. Il existe un créneau.

Il faudrait souligner que, plus l'autiste est jeune, plus le traitement est efficace. S'il suit la thérapie jusqu'à l'âge de cinq ou six ans, il en tire plus de bienfaits. Cela ne signifie pas qu'elle est inefficace pour les plus âgés. Toutefois, si vous n'obtenez pas le traitement durant la période prévue par le créneau, vous êtes perdu, parce que le secteur public n'en assumera pas le coût. Il n'y a pas au Canada de province qui assume le coût du traitement pour ceux qui ont plus de six ans. Si votre enfant n'est pas diagnostiqué assez tôt, vous perdez ce créneau, et vous êtes perdu à jamais, à moins que la politique gouvernementale ne change.

Le sénateur Morin: Combien de temps dure le traitement?

David: Il peut s'étendre sur une année ou deux. Tout dépend de l'enfant.

Le sénateur Morin: Ai-je raison de dire qu'il coûte 50 000 $? Si chaque patient autiste au Canada était traité, cela nous coûterait 50 milliards de dollars par année environ, ce qui représente la moitié du budget affecté à la santé.

David: Tout le monde n'en tire pas des bienfaits. Il faut analyser chaque cas pour voir si la personne profiterait de l'analyse behaviorale appliquée. Un coût de 50 000 $ par année n'est pas inhabituel aux États-Unis. Nous parlons de traitements coûtant entre 40 000 et 50 000 $ par année. C'est cher. Le traitement est habituellement offert aux enfants de trois à cinq ans et il dure habituellement 18 mois pour être efficace. Pour certains, il peut être plus long. Les enfants n'ont pas droit à ce traitement au-delà du seuil magique de six ans. Ce n'est pas un traitement qui a besoin d'être répété à l'infini. Si une jeune personne obtient le traitement, vous avez 47 p. 100 de chances qu'elle puisse faire des études de niveau secondaire — sans atteindre toutefois la norme habituelle —, mais elle pourrait faire des études. Rien ne peut rétablir ou permettre d'atteindre la normalité. Nous n'avons rien découvert du genre. C'est le traitement le plus efficace, et il ne l'est qu'à 47 p. 100.

Le président: Il faudrait aussi faire observer qu'en développant plus de compétences, l'autiste nous coûtera probablement moins cher à long terme puisqu'il faudra moins dépenser plus tard. Il existe certainement des avantages.

David: Le traitement est rentable.

Le sénateur Cook: Je vous remercie de votre candeur et de l'intensité avec laquelle vous nous avez fait votre récit. Avant de venir ici, et il m'arrive encore de faire du bénévolat, j'étais bénévole dans le même domaine que vous. J'ai donc de l'empathie pour vous.

David, pourriez-vous dire au comité de quoi vous rêvez comme établissement provincial? Quelle serait la fonction de cet établissement pour lequel vous levez des fonds aussi méticuleusement?

David: Je parle d'un centre provincial d'autisme. Il offrirait des services récréatifs et éducatifs. Il s'agirait d'un centre d'apprentissage, point, c'est tout. Il permettrait aux autistes d'acquérir de nouvelles compétences, de sorte que certains d'entre eux pourront peut-être se trouver du travail.

Le centre fournirait aussi de la formation aux professionnels de la santé pour qu'ils comprennent mieux l'autisme. C'est un centre de formation.

Le centre offrirait aux autistes la possibilité de faire des choses. Par exemple, nous voulons qu'ils puissent travailler avec leurs mains. Beaucoup d'autistes aiment travailler avec les animaux. Il pourrait être possible de faire de l'équitation ou de faire pousser des cultures, de devenir productif. Depuis trois à quatre ans, nous nous efforçons de lever des fonds pour créer le centre, et nous avons eu l'appui du club Rotary, comme je l'ai dit tout à l'heure, et beaucoup d'appui de certaines personnes qui nous aidés à lever des fonds. Nous avons obtenu du gouvernement provincial des fonds en vertu d'une formule de partage des coûts et nous chercherons aussi à en obtenir du gouvernement fédéral.

Le sénateur Cook: Où trouverez-vous le personnel dont aura besoin le centre? S'agira-t-il d'un établissement du gouvernement ou sera-t-il dirigé par un conseil ou des volontaires? Comment l'envisagez-vous?

David: Il sera dirigé par une combinaison de bénévoles et d'employés. Les ergothérapeutes et phoniatres seraient d'importantes composantes de l'effectif du centre, mais il faudra pour cela avoir des fonds de fonctionnement du gouvernement.

Le sénateur Cook: Où en êtes-vous avec votre levée de fonds?

David: Le coût des investissements est de 500 000 $, et nous en avons déjà la moitié.

Le sénateur Cook: Voilà une bonne nouvelle, et je vous en félicite.

Le sénateur Roche: Je tiens à remercier tous les témoins d'être venus. Je les félicite du courage qu'ils ont manifesté pour faire leur exposé. Ils ont mis au jour des questions profondes au sujet de notre société. J'ai de nombreuses questions à poser aux autorités des domaines médical et politique plutôt qu'aux témoins eux-mêmes, dont les exposés étaient éloquents.

L'ineptie du système et la discrimination avec laquelle sont aux prises les victimes et les familles revenaient constamment dans les quatre récits qui nous ont été faits ce soir. Je m'y connais un peu à ce sujet pour en avoir moi- même fait l'expérience. Vous m'avez profondément touché par vos récits.

Si vous le permettez, j'aimerais poser des questions à David au sujet de l'éducation. Vous avez fait ressortir l'éducation et la recherche comme recommandation centrale. Voici donc ma question: pour éduquer qui? Le public — oui —, mais peut-être faudrait-il aussi éduquer les autorités, bien que je ne sois même pas sûr de qui elles sont.

Pouvez-vous blâmer le psychiatre qui n'a pas prescrit le bon médicament ou pris la bonne mesure? Pouvez-vous blâmer une certaine partie du système politique qui n'y a pas injecté suffisamment d'argent? Il est difficile pour moi de même formuler la question, à savoir qui devrait être visé par une recommandation prônant plus d'éducation de manière à mieux sensibiliser notre société au phénomène. Comment réagiriez-vous à mon dilemme à ce sujet?

David: Je crois que c'est là une question centrale. J'ai parlé d'éducation dans le contexte d'éduquer les professionnels de la santé — les psychiatres, psychologues, omnipraticiens, ergothérapeutes, infirmières psychiatriques et tous les autres qui travaillent dans le domaine médical. C'est extrêmement important parce qu'il existe tout un réservoir de connaissances qui n'est pas bien connu.

C'est un groupe plutôt hermétique parce que le milieu de l'autisme est si petit. Il existe dans certaines enclaves, le plus souvent aux États-Unis. Il s'effectue très peu de recherche à ce sujet au Canada. Il y a quelques exceptions, et la situation évolue. On accomplit de grandes choses. Comme je l'ai déjà dit, deux universités mènent des travaux importants de recherche sur l'épidémiologie et les causes de l'autisme.

Toutefois, vous me demandez, je crois, essentiellement comment convaincre les décideurs. C'est une véritable bataille que nous avons tous eu à livrer. Comment expliquer la gravité du problème? J'ai constaté que la seule façon de la faire comprendre est de faire ce que nous sommes justement en train de faire aujourd'hui. Cependant, ce genre d'exposé est extrêmement difficile à faire, et très peu de gens sont disposés à expliquer ce qu'ils vivent.

Quand nous étions à la recherche de fonds, j'ai soulevé la question du centre provincial d'autisme à mon club Rotary. J'ai découvert qu'on craignait beaucoup de contribuer à la levée de fonds parce que nul ne savait ce qu'était l'autisme. Nous avons fini par produire une petite brochure qui expliquait l'autisme, mais ce fut peine perdue.

On gaspille son temps si l'on s'efforce de donner une définition clinique de l'autisme et une explication clinique de l'impact qu'il a sur les gens avec l'aide d'experts des relations publiques. La seule façon d'avoir un impact sur les gens est de parler d'expériences personnelles. Ce que j'ai fait au club Rotary, c'est d'emmener les gens qui ont parlé de leur propre situation. Le père d'un jeune autiste de 20 ans a parlé des robes à manches longues que portait son épouse, une infirmière psychiatrique, l'été pour dissimuler les éraflures et les ecchymoses sur ses bras. Cela a eu un impact. Vous auriez pu entendre voler une mouche, ce jour-là.

Il faut, comme l'a dit le président, donner une dimension humaine à la question. Je ne connais pas de meilleur moyen de le faire que de demander à des gens comme les quatre personnes qui sont venues ici de parler haut et fort, de dire des choses qui sont très difficiles à dire. C'est pourquoi j'estime que leur témoignage d'aujourd'hui est très courageux.

Pour être honnête avec vous, je ne connais pas d'autre moyen de le faire. Les gens ne comprennent pas. Les politiciens ne comprennent pas. Ils n'ont aucune idée des difficultés que nous connaissons. Comment les leur faire comprendre? Ils arrivent à comprendre uniquement lorsqu'un proche ou de la parenté le vit. Il est très difficile de comprendre à moins d'être soi-même touché.

J'en ai parlé avec ma soeur et son époux, qui sont tous deux d'un grand soutien. Chaque fois que je leur parle de ce que vit ma famille, ma soeur me regarde tout étonnée. Je me dis que j'avais pourtant cru lui en avoir déjà parlé.

J'ignore comment le communiquer. C'est un véritable défi auquel nous avons fait face au sein de notre club Rotary et de notre société d'autisme. Comment expliquer?

La Société canadienne d'autisme a récemment fait paraître à la télévision un message d'intérêt public de trente secondes pour expliquer ce qu'était l'autisme. C'est impossible. Il n'y a pas un seul expert des relations publiques au pays qui peut le faire en trente secondes. Je vous réponds donc que j'ignore la réponse.

Le président: Je crois qu'il faudrait creuser cette question.

Le sénateur Kinsella: Je me demande si les témoins peuvent aider les membres du comité à décider, à mesure qu'avance l'étude sur la santé mentale, si le modèle utilisé au Canada pour traiter de questions de santé mentale est bon. Pourriez-vous puiser un peu plus dans votre expérience et nous dire si vous avez connu un système assurant la prestation de soins de santé mentale selon un modèle médical ou s'il était en conflit avec le modèle psychosocial? Nous manque-t-il un modèle de soins de santé mentale et une approche articulée qui seraient plus holistiques? Par exemple, dans vos provinces respectives, bien que l'assurance-santé couvre le coût des soins psychiatriques, assume-t-elle le coût des soins psychologiques? Est-ce un problème?

Loïse: Rarement dans ma province.

Murray: L'aide psychosociale ou l'aide d'un psychologue doit être recommandée par un psychiatre. Ceux-ci le font rarement parce qu'ils ont tendance à prescrire beaucoup de médicaments.

Le sénateur Kinsella: Une question de politique gouvernementale qu'un comité comme le nôtre pourrait examiner serait de savoir pourquoi cette dichotomie existe.

Loïse: Je participe à un projet pilote dans une clinique s'occupant de cas difficiles. Une fois par mois, des membres de la table de consultation se rencontrent et des gens de toute la sous-région où nous nous trouvons exposent des cas qui leur causent des difficultés. Bon nombre de ces cas incluent des troubles de la personnalité.

On y trouve du personnel d'hôpital, du CLSC, des travailleurs sociaux, des psychiatres, des infirmières et moi- même. Pour la première fois, nous avons aussi l'aide d'un utilisateur des services. À la dernière réunion, alors que nous décidions s'il fallait poursuivre cette clinique, ce qui a effectivement été décidé, nous avons constaté que des gens des institutions demandaient à ceux qui travaillent dans le psychosocial ce qu'il fallait faire.

Les gens du milieu disaient qu'ils ne pouvaient leur dire quoi faire, parce que les approches étaient différentes. Quand les gens du milieu vivent une crise, ils la règlent immédiatement. Quand les institutions sont aux prises avec une crise, elles doivent passer par trois, quatre, cinq ou six voies différentes. Le malade doit attendre.

Les institutions tentent de s'inspirer des nouveaux programmes du milieu, adoptant une approche communautaire psychosociale, sauf qu'elle ne donne pas les résultats espérés parce que les établissements ont des paramètres à respecter.

La meilleure solution serait de prendre en charge les cas. Il y aurait ainsi plus de communication entre les institutions et les groupes communautaires qui travaillent en service psychosocial. Il faudrait faire de la gestion de cas, c'est-à-dire partager et soigner. Ce serait une solution.

Le sénateur Kinsella: L'approche que nous suivons actuellement au Canada en matière de santé mentale, qui privilégie un modèle universel, pose-t-elle aussi problème? Avez-vous constaté des points communs ou l'absence de ceux-ci chez les enfants ou adultes autistes?

David: Dans la réalité, ils sont tous différents. C'est l'un des problèmes.

J'aimerais réagir aux observations de Loïse quant à ces personnes qui posent toutes les mêmes questions. À chaque fois que mon fils consulte quelqu'un, on lui pose les mêmes questions encore et encore. Il en a tellement marre que je n'arrive pas à le convaincre d'aller voir un autre psychologue ou un autre psychiatre, parce que c'est très douloureux.

Je pense qu'il est très important de suivre un modèle médical différent.

Dans le cas de l'autisme, on a découvert qu'un régime alimentaire sans gluten dans le pain ni caséine dans lait faisait une énorme différence. Pour certaines personnes, l'éducation auditive produit de bons résultats. Pour certaines personnes souffrant d'autisme, les médicaments font effet. Le Prozac ou le Ritalin peut être miraculeux pour certains autistes.

Un modèle universel ne sera pas efficace. Il faut favoriser un traitement interdisciplinaire et multidisciplinaire. Bon nombre de thérapies ne relèvent pratiquement pas de la médecine. Comme je l'ai dit l'analyse appliquée du comportement est réalisée par des diplômés en psychologie, plutôt que par des diplômés en médecine. Ce type de traitement psychosocial est celui qui fonctionne le mieux pour beaucoup de personnes atteintes d'autisme.

Le sénateur Kinsella: L'un des témoins a attiré notre attention sur les recherches menées dans le domaine de la psychopharmacologie. Si j'ai bien compris, il y a plus de recherches réalisées pour soulager les maladies et en limiter l'évolution que pour les éradiquer. Je trouve que c'est un enjeu extrêmement important.

Le président: Nous allons nous pencher sur la question.

Murray, j'ai remarqué que vous vouliez ajouter quelque chose pendant que le sénateur Kinsella parlait. Pouvez-vous y répondre? Allumez votre microphone, s'il vous plaît.

Murray: Je voulais simplement souligner que le traitement à la chaîne ne fonctionne pas pour la schizophrénie. Pour ce qui est des médicaments, il y a beaucoup plus d'argent investi pour traiter les maladies que pour les guérir. C'est une question purement économique.

Nous avons essayé de trouver un psychologue. La première chose à laquelle je me suis frappé, c'est l'hésitation du psychiatre à me recommander un psychologue. Ensuite, lorsque j'ai essayé d'en trouver un spécialisé en schizophrénie, il n'y en avait aucun dans notre ville, mais il y en avait un ou deux à Toronto.

Cela s'explique par le fait qu'ils ont été exclus du domaine par une profession. Les ressources ne se développent pas dans l'autre profession.

[Français]

Ronald: Au Québec, on rencontre la même chose. Lorsqu'on commence avec un psychiatre, tu dois demeurer avec lui, tu ne peux pas changer. L'amélioration vient des groupes psychosociaux qui commencent à se former davantage. Au début, je me souviens d'une expérience qui avait été faite où on parlait de plan de services individualisés. La personne atteinte de maladie mentale devait être la personne centrale et autour d'elle, il y avait une équipe, le psychiatre, l'infirmière, et cetera. Cela n'a pas fonctionné parce qu'on n'était pas capable de réunir toute l'équipe.

Actuellement cela fonctionne dans des petits organismes comme le nôtre où l'infirmière accepte de coopérer et le médecin aussi. Et à ce moment, comme Murray le disait, chaque cas de schizophrénie est le même. Quel pourcentage est-ce qu'on rejoint? Il y a tous les itinérants que l'on ne rejoint pas du tout.

[Traduction]

Le sénateur Callbeck: Je vous remercie tous d'être venus. Vous nous touchez et nous motivez par vos histoires. Je vous remercie de faire preuve d'une telle ouverture.

Lorsque le diagnostic a été posé, je suppose d'après ce que vous avez dit, que le médecin n'a fait aucune proposition quant au traitement contre la maladie?

Murray: C'est juste.

Le sénateur Callbeck: L'un d'entre vous a dit que la seule aide en ce moment venait du secteur privé, du secteur bénévole, et que les ressources augmentaient un peu. Quel rôle le système de santé publique devrait-il jouer?

David: Le secteur bénévole comble le vide. Parce qu'il y a un vide. Selon le secteur bénévole, le secteur public devrait jouer un rôle prépondérant en offrant des analyses appliquées de comportement aux jeunes gens, de même qu'aux personnes plus âgées.

C'est un autre grand problème, qui porte à nous demander ce qui arrive au-delà de l'âge de cinq ou six ans? Cela nous reporte aux propos que quelqu'un a tenus plus tôt en disant que l'autisme n'était pas seulement une maladie infantile.

Les thérapies efficaces chez les enfants peuvent également s'appliquer aux adultes. Il doit y avoir un traitement efficace pour les gens de tous les âges. Les personnes ne devraient pas se voir refuser un traitement parce qu'elles sont trop vieilles.

Le secteur public a une responsabilité. Il n'y a pas de différence entre quelqu'un souffrant d'une maladie mentale et quelqu'un souffrant d'une maladie physique. Reste à savoir si nous traitons les gens aux prises avec des problèmes de santé mentale avec le même empressement que nous traitons les personnes souffrant d'une maladie physique. Je doute que ce soit le cas. C'est le problème fondamental. Le gouvernement a le rôle d'appliquer une politique publique équitable pour lutter contre les problèmes de santé mentale. Comment pouvons-nous le faire? Comment pouvons-nous changer le milieu?

Le fait est que les troubles de santé mentale ne déclenchent pas le même sentiment d'urgence, parce qu'il est clair que la personne qui en est atteinte sera là demain, alors que la personne souffrant de troubles cardiaques ou de cancer doit être traitée aujourd'hui, parce qu'elle pourrait ne plus être là demain. Cela jette une ombre au tableau. Nous devons faire quelque chose.

Entre autres, et c'est là où votre comité peut jouer un rôle important, le gouvernement pourrait réserver les transferts de fonds pour le traitement des troubles mentaux en les mettant dans une enveloppe fiscale à part ne pouvant servir qu'au traitement des troubles mentaux. Cet argent ne pourrait être utilisé pour rien d'autre.

J'ai siégé au conseil d'administration de l'hôpital psychiatrique de ma province. Dans sa sagesse, le gouvernement a décidé qu'il serait une excellente idée d'unifier tous les hôpitaux. Je ne comprends pas quel en était l'intérêt. Un économiste célèbre, du nom de Schumacher, croyait qu'il était merveilleux de rester petit, mais un idiot, dont le nom n'a jamais été associé à sa théorie, croyait qu'il était merveilleux d'être grand. Cette théorie semble trouver de nombreux adeptes au gouvernement. Ils étaient d'accord lorsqu'il a été décidé d'unifier tous des hôpitaux. Certains d'entre nous s'y sommes opposés avec vigueur, parce que nous craignions que cela n'entraîne une diminution des soins et un transfert des fonds attribués à la santé mentale vers la santé physique. Je n'ai pas fait de recherches pour vérifier si cela s'était concrétisé, mais il serait utile que votre comité le fasse.

Lorsque notre hôpital ne s'occupait que des troubles psychiatriques, nous avions un comité distinct chargé de s'occuper des patients en psychiatrie confiés à la collectivité. Ceux-ci étaient hébergés dans de grandes maisons à but lucratif pouvant accueillir de 20 à 30 personnes. Ces personnes ont exagéré en accueillant dans ces maisons plus de gens qu'elles auraient probablement dû y accueillir.

J'ai fait partie d'un comité sur les soins communautaires chargé de surveiller ces maisons. Nous étions bénévoles. Nous les inspections deux fois par année. Nous appuyions les gens de l'hôpital qui assuraient la qualité des soins. Sans nous, le système politique était tel que les responsables de ces maisons pouvaient exploiter la situation en accueillant plus de personnes qu'elles n'auraient dû.

Nous avons fourni un service communautaire bénévole, gratis. Lorsque l'intégration est entrée en scène, le comité sur les soins communautaires s'est effondré.

Tout ceci pour dire que l'une des façons de protéger les personnes atteintes de troubles mentaux serait de mettre les fonds qui leur sont réservés dans une enveloppe séparée. Nous devons veiller à ce que les institutions qui fournissent des soins le fassent de façon appropriée et qu'elles ne soient pas détournées de leurs priorités par les priorités du moment. L'important devient toujours victime de l'urgent.

Murray: Dave a décrit un modèle de reddition de comptes, grâce auquel lui et d'autres personnes surveillaient la qualité des soins dans une institution. Je crois qu'il est fondamental, lorsque vous nous octroyez des budgets, de prévoir un modèle de reddition de comptes, et il faut que ce soit les usagers — soit les personnes atteintes de troubles mentaux et leurs familles — qui s'occupent de l'appliquer, de sorte qu'ils puissent contrôler les dépenses. Ces personnes comprennent le problème mieux que quiconque.

Loïse: J'ai beaucoup entendu parler du travail psychosocial réalisé par des bénévoles. Je ne connais pas la situation des autres régions du Canada, mais dans la mienne, il y a sept groupes psychosociaux. Ces groupes d'aide sont financés par des donateurs, mais ils sont composés soit de psychologues ou de travailleurs sociaux spécialisés en psychologie, qui travaillent dans la rue et avec les gens. Je fais partie du conseil d'administration de l'un d'eux. Nous avons de la difficulté, parce que ces personnes ne reçoivent pas la même rémunération que si elles travaillaient dans l'un des hôpitaux. Nous perdons de bons travailleurs en raison des salaires peu élevés que nous avons à offrir. Il y a une différence de 15 p. 100 entre le salaire d'un travailleur social spécialisé en psychologie qui travaille dans un CLSC et un autre qui travaille au sein d'un groupe communautaire.

Je recommanderais l'octroi d'argent aux groupes communautaires et l'harmonisation des salaires des travailleurs sociaux à l'emploi des groupes communautaires et de ceux des travailleurs sociaux à l'emploi du système de santé publique. Je pense que c'est très important. Ces personnes travaillent autant, sinon plus, que les travailleurs du système. Il nous faudrait utiliser nos propres ressources pour le faire. La région ne nous donnera pas plus d'argent pour nos travailleurs. Une différence de rémunération de 15 p. 100 est énorme pour des gens qui ont la même éducation, le même baccalauréat, tout. C'est l'une des solutions que vous pourriez envisager.

[Français]

Le sénateur Léger: Vous avez commencé en disant «nous sommes les experts». Oui, c'est ce que nous avons reçu aujourd'hui et merci beaucoup. Dans notre feuille de préparation du comité, on nous dit qu'aujourd'hui nous allons rencontrer des experts. Mais dans ma feuille, on nous dit que l'on va commencer à rencontrer les experts la semaine prochaine. Je suis très contente.

Le psychosocial semble répondre à l'aide qu'il vous faut maintenant. Vous avez dit Loïse de donner une chance à la communauté et aux organismes communautaires. Ce que vous venez de dire maintenant, c'était ma réponse. Qu'est-ce que c'est?

Loïse: Il y a des organismes communautaires bénévoles mais il y en a en santé mentale, plusieurs, à Montréal, environ une quarantaine à Montréal qui travaillent dans le milieu, soit avec des recommandations du psychiatre ou soit qu'ils soient approchés directement. C'est à eux que je pensais. Mais il y en a aussi d'autres avec des volontaires comme Ronald.

Ronald: Le Pavois est un organisme communautaire mais on ne peut pas travailler sans des éducateurs spécialisés pour encadrer les personnes atteintes. Les fonds proviennent de la régie régionale pour ces personnes qui encadrent. Ces salaires sont 15 p. 100 plus bas que dans le système. Il n'y a aucune assurance sociale, pas d'assurance bénéfice ou de vacances.

Le sénateur Léger: C'est là où nous mettons l'accent dans nos études, nous allons sur le produit et non pas sur ce que vous dites.

[Traduction]

Le président: À la fin d'une séance comme celle-ci, il est de mise que le président remercie les témoins de s'être présentés ici. Toutefois il semble bien insuffisant aujourd'hui de vous dire simplement merci. Il est juste de dire que vous avez eu un effet extrêmement émotif sur tous les membres du comité. Je reconnais combien il était difficile pour vous de venir ici et de nous parler de cette façon.

Grâce à la motivation que vous nous avez donnée, j'espère que nous pourrons, d'ici un an environ, formuler de fortes recommandations quant à ce que les gouvernements, en général, et le gouvernement fédéral, en particulier, peuvent commencer à faire pour parer à ce problème.

Je tiens à vous dire, au nom de tout le comité, combien nous apprécions l'effort que vous avez déployé pour nous aider à lancer cette étude avec le succès que nous obtenons aujourd'hui, de toute évidence.

La séance est levée.


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