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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 2 - Témoignages du 26 novembre 2002


OTTAWA, le mardi 26 novembre 2002

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 35, pour étudier les enjeux stratégiques touchant l'industrie du transport interurbain par autocar.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Bonjour à tous. Nous allons poursuivre notre étude de l'industrie du transport interurbain par autocar.

[Français]

Nous accueillons aujourd'hui M. Sylvain Langis. Monsieur Langis a comparu devant ce comité au mois de février au nom de l'Association canadienne de l'autobus. Il est ici aujourd'hui au nom du Groupe Orléans Express dont il est le président et chef de la direction.

M. Langis devait comparaître au mois de septembre. Malheureusement, la prorogation est intervenue et l'en a empêché. Nous vous remercions, monsieur Langis, de votre présence aujourd'hui et nous excusons des retards.

[Traduction]

Nous allons commencer par entendre un exposé de M. Sylvain Langis.

M. Sylvain Langis, président et chef de la direction, Groupe Orléans Express: Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Il est vrai que j'essaie de venir témoigner devant votre comité depuis quelque temps déjà. Je tiens donc à vous remercier de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui dans le cadre de votre étude sur le transport interurbain par autocar. En plus d'être le chef de la direction d'Orléans Express, j'en détiens le quart des actions. Comme vous le savez, le conglomérat de transport en commun Keolis, dont le siège se trouve à Paris, s'est récemment portée acquéreur des autres actions de l'entreprise.

Mon exposé d'aujourd'hui comportera une brève description d'Orléans Express et quelques commentaires précis sur les questions à l'étude en matière de politique du transport par autocar. Par la suite, je répondrai avec plaisir à vos questions.

[Français]

Orléans Express est le plus important transporteur interurbain par autocar au Québec et figure au deuxième rang des sociétés de transport interurbain par autocar au Canada. Nous exploitons une centaine d'autocars et comptons un effectif à temps plein de près de 500 personnes. De plus, nous exploitons un réseau de services de messageries ainsi que des services de transport nolisé et de visite touristique.

En regardant la carte près de moi, vous constaterez que certains des éléments dont je vais vous parler en font partie. Le trajet Montréal/Québec représente la plus importante liaison de notre réseau en termes de volume. Parmi les trajets rentables que nous exploitons figure celui de Montréal/Québec ainsi que les liaisons de Montréal/Trois-Rivières par le nord du fleuve Saint-Laurent, et les liaisons depuis Montréal et Québec jusque vers Rimouski.

Malheureusement, nous ne pouvons en dire autant pour les autres segments du réseau. Par exemple, les liaisons desservant les collectivités au nord de Trois-Rivières, soit entre Trois-Rivières et LaTuque, le trajet Québec/Trois- Rivières et la portion desservant la Gaspésie à l'est de la ville de Rimouski ne sont pas rentables.

Au total, le fardeau d'interfinancement que nous supportons pour exploiter les segments non rentables du réseau représente environ 10 p. 100 des recettes totales découlant des services réguliers rentables. Dit autrement, les tarifs passagers seraient hypothétiquement 10 p. 100 inférieurs pour les liaisons profitables au sein de notre réseau si nous n'avions pas l'obligation d'assurer l'interfinancement des portions non rentables du système.

Pour brosser un tableau de notre entreprise, il faut s'attarder à certains éléments clés. Les coûts totaux de notre infrastructure d'accueil des passagers, que ce soit au niveau de la vente, de la commercialisation, des services téléphoniques, des billetteries, de la manutention des bagages, de l'infrastructure des terminus, représentent plus ou moins 25 p. 100 de nos recettes globales provenant des passagers. Le transport des personnes d'un point A à un point B exige beaucoup plus qu'une simple activité de transport — un transporteur responsable doit offrir toute une gamme de services incorporés dans une infrastructure bien organisée afin d'assurer de façon sécuritaire l'embarquement et le débarquement efficace des voyageurs.

Nous détenons, par ailleurs, le plus jeune parc de véhicules de ce type au Canada. L'âge moyen de notre flotte de véhicules est de deux ans et demi. Nous sommes en affaires pour assurer le transport de passagers et non pour réparer des véhicules. Notre politique de renouvellement de véhicules stipule que tous nos autobus doivent être remplacés après cinq ans d'utilisation. De plus, nos autocars offrent à nos passagers des sièges ergonomiques à dossier inclinable, des tables d'appoint ainsi que des prises électriques. Les voyageurs qui empruntent nos services, avec ces accessoires conviviaux, sont plus aptes à répéter leur expérience de voyager en autocar, et de ce fait, l'achalandage est à la hausse.

Le nombre de passagers empruntant nos services réguliers de transport par autobus n'est pas en déclin, contrairement aux suggestions avancées par Transports Canada. En effet, Orléans a atteint son niveau le plus élevé d'achalandage depuis ses débuts en 1990; plus précisément, le nombre de passagers a augmenté de l'ordre de 30 p. 100 au cours des cinq dernières années. En réalité, toute notre gamme de produits est de plus en plus en demande.

[Traduction]

Transports Canada est au courant depuis au moins 1994, si ce n'est bien avant, qu'on ne peut pas comparer les données sur l'achalandage des services réguliers de transport par autocar de 1970 avec celles d'aujourd'hui en raison des changements apportés depuis lors aux définitions et à la méthodologie. Or, le document d'orientation fourni au comité n'en fait pas état, de sorte que vous disposez de données grossièrement faussées. Par contre, il est à noter que Statistique Canada vient tout juste d'émettre une autre mise en garde quant à la difficulté de faire des comparaisons de données historiques.

Le déclin présumé du nombre de passagers n'est qu'illusoire. L'ensemble de l'industrie du transport interurbain par autocar est définitivement en croissance. Nous avons peut-être connu une faible diminution du nombre de passagers des services réguliers au cours des trente dernières années, mais le phénomène est attribuable en grande partie aux politiques gouvernementales qui favorisent l'utilisation de la voiture privée, comme l'a d'ailleurs fait remarquer la commission royale, et au fait que les données sur l'achalandage du transport interurbain par autocar sur courte distance ont graduellement été intégrées à la statistique sur l'industrie du transport urbain subventionné.

J'ai plusieurs commentaires à faire quant aux enjeux liés à la politique de transport par autocar actuellement à l'étude. Tout d'abord, l'importance du rôle que joue le comité dans l'examen de ces questions est primordial. L'industrie canadienne du transport interurbain par autocar n'a jamais fait l'objet d'une enquête publique de cette envergure. C'est une occasion en or pour notre industrie et pour le public d'en débattre.

Ensuite, puisque le gouvernement fédéral a toujours délégué sa responsabilité aux provinces, il n'a pas d'expérience concrète en la matière. Grosso modo, les connaissances acquises par le gouvernement fédéral sont plutôt minimes dans le secteur du transport interurbain par autocar. Qui plus est, le gouvernement fédéral n'a presque pas fait de recherche sur les enjeux du transport par autocar. Par exemple, l'industrie du transport par autocar a financé elle-même l'étude d'impact réalisée par KPMG en 1998 puisque le gouvernement fédéral a refusé son offre d'en partager les frais.

La politique fédérale relative au transport des passagers n'a depuis de nombreuses années ni queue, ni tête. Nous espérons que le processus mis en place par le ministre des Transports en vue d'élaborer un plan directeur corrigera certaines inégalités dans le traitement des différents modes de transport. Par exemple, pourquoi le gouvernement fédéral accorde-t-il actuellement une subvention de 80 $ par passager de train alors que les utilisateurs de VIA Rail sont en majorité des gens fortunés qui se déplacent majoritairement dans le corridor Québec-Windsor, le mieux nanti en infrastructure de transport de toutes sortes? Ne vaudrait-il pas mieux affecter ces deniers publics aux besoins des moins bien nantis? Mettons cette question de côté pour l'instant. Nous y reviendrons.

Le ministre, entre autres, envisage d'injecter plus de 3 milliards de dollars additionnels en subventions d'équipement pour augmenter la vitesse et la fréquence des trains de VIA Rail dans le couloir Québec-Windsor. Nous estimons que cet argent serait mieux dépensé s'il était affecté à de véritables priorités sociales.

La préoccupation entourant la question de la réglementation ou de la déréglementation économique de l'industrie de l'autocar interurbain est quelque peu déplacée. Cela revient à «mettre la charrue avant les boeufs». En attendant des décisions stratégiques à long terme quant au rôle du mode de transport interurbain par autocar à l'intérieur d'un cadre national et quant à la valeur des subventions à consacrer, le cas échéant, à la réalisation de ce rôle, il est impossible de s'entendre sur le meilleur régime réglementaire pour l'industrie de l'autocar. En réalité, les liaisons non rentables doivent faire l'objet d'un financement si l'on désire les maintenir. On a le choix soit de maintenir le système actuel d'interfinancement, soit de financer un système complexe d'approvisionnement au moindre coût axé sur des demandes de soumission afin d'assurer les dessertes publiques aux petites localités du Canada.

La réponse ne se trouve pas dans les fourgonnettes de tourisme et elle ne s'y trouvera jamais, en l'absence d'une forte augmentation des tarifs. Nous recommandons vivement au gouvernement de mener une recherche empirique sur cette question. Il découvrira que le coût d'exploitation d'une fourgonnette de 15 sièges (y compris les frais d'immobilisation, de financement et d'essence, ainsi que les frais d'entretien) ne représente que quelque 25 cents de moins par kilomètre qu'un autocar de 51 sièges.

Les fourgonnettes de tourisme sont pratiques du point de vue économique si elles transportent des passagers prêts à payer des tarifs supérieurs à ce que demandent actuellement les autocaristes interurbains. Toutefois, nous soupçonnons fort que bon nombre des exploitants actuels de fourgonnettes n'arrivent à tirer leur épingle du jeu qu'en versant dans l'illégalité, à savoir en ne prélevant pas de TPS, en payant les employés sous la table, en ne versant pas de nombreuses cotisations exigées des employeurs par la loi et en ne respectant pas les normes de sécurité relatives à l'exploitation et à l'entretien d'un véhicule.

[Français]

Afin de comprendre cette différence de prix de 25 cents par kilomètre, c'est l'équivalent des recettes attribuables au transport de deux passagers supplémentaires. Autrement dit, il est préférable pour un autocariste de faire rouler un autocar de taille courante avec 51 sièges, pourvu qu'il puisse obtenir en moyenne deux voyageurs de plus qu'une fourgonnette comprenant 15 sièges. Toute personne connaissant les hauts et les bas des services réguliers de transport interurbain par autocar, soit d'un jour à l'autre, soit d'une semaine à l'autre, bon an mal an, peut facilement conclure que les fourgonnettes de tourisme exploitées légalement ne peuvent faire une concurrence aux autocars offrant des services réguliers. La limite de 15 sièges ne permet pas aux fourgonnettes de transporter un excédent suffisant de passagers lors des périodes de pointe pour compenser les pertes subies et inévitables durant les périodes hors pointe associées aux services de transport réguliers.

En revanche, toute cette question d'autocars versus fourgonnettes est discutable si le transporteur régulier est en mesure de générer un apport net de plus de 25 cents par kilomètre avec les services de messageries. Dans notre cas, tous nos trajets non rentables dépassent ce niveau minimum d'activité. Puisque les fourgonnettes ne disposent pas d'espace de chargement pour les colis, nous avons donc avantage à utiliser des autocars de dimension régulière pour nos liaisons non rentables sans même tenir compte de l'effet de levier de transporter 36 passagers de plus lors des périodes de pointe.

En ce qui concerne la déréglementation, Orléans Express pour sa part n'a pris aucune chance. Elle se prépare depuis l'annonce gouvernementale de 1994 sur la volonté de Transport Canada de déréglementer l'industrie de l'autocar. Nous avons sciemment structuré notre entreprise dans le but de maximiser notre avantage concurrentiel.

Advenant une déréglementation, nous sommes prêts à faire face à la concurrence dans la mesure permise par les dispositions de la Loi sur la concurrence. Nous sommes confiants que notre feuille de route en matière de service à la clientèle, notre prise en charge de l'infrastructure d'accueil des passagers, notre forte présence dans le secteur déréglementé d'expédition des colis et notre connaissance intime des marchés locaux sont tous des éléments qui permettront à Orléans Express de poursuivre sa prospérité sous un régime de déréglementation. Parmi les perdants ne figurera pas notre entreprise mais plutôt la plupart des collectivités qui ne seront plus desservies par nos liaisons non rentables à moins que le gouvernement n'intervienne en établissant un système de subventions directes.

Ceci dit, nous encourageons fortement le gouvernement du Canada à mener une recherche fondamentale qui tarde à se faire. Un simple effort de recherche révèlera très rapidement, entre autres choses, que la déréglementation économique de l'industrie du transport interurbain par autocars constitue, pour les marchés de faible densité, un geste extrêmement douteux en matière d'intérêt public.

La simple vérité est qu'une réelle concurrence doit exister pour que la déréglementation puisse comporter des avantages économiques pour le public. La triste réalité est que la plupart des services réguliers de transport par autocar au Canada desservent des marchés locaux de faible densité qui sont tout simplement trop faibles pour supporter une concurrence.

À la lumière de l'expérience canadienne de déréglementation dans le secteur du transport aérien au sein de marchés beaucoup plus importants, nous ne devrions pas être surpris par une telle déclaration. Étant donné le résultat «un trajet d'autobus — un transporteur» suivant la déréglementation de l'autocar aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, pourquoi en serait-il autrement dans nos plus petits marchés au Canada? Dans l'ensemble, la déréglementation économique de l'industrie de l'autocar au Canada signifierait que le régime actuel de fournisseurs de services — faisant l'objet d'examen par les régies provinciales — serait remplacé par un régime de monopoles non réglementés, qui ne seraient plus assujettis à un contrôle réglementaire, mais parfois perturbés par de nouveaux exploitants tentant de pénétrer le marché et qui se solderaient invariablement par un échec en raison de la dominance du marché des autocaristes titulaires.

Ce besoin urgent de mettre au point une stratégie nationale du transport des personnes, fondée sur une recherche solide et valable, est d'autant plus pressant que le gouvernement du Canada s'est engagé à signer le Protocole de Kyoto à court terme.

L'engagement du Canada envers Kyoto, que nous appuyons d'ailleurs, nous interpelle à repenser notre façon de transporter marchandises et passagers à la l'échelle du pays. La question de Kyoto ne revêt aucun intérêt pratique si nous prolongeons l'échéancier à 25 ans, puisque l'économie mondiale n'aura probablement plus accès au pétrole à prix économique. Les modes de transport ayant le plus haut rendement énergétique seront favorisés lors des changements qui seront apportés à la tarification relative et aux options offertes au voyageur. Par conséquent, le mode de transport par autocar deviendra de plus en plus l'incontournable pour le transport des passagers.

[Traduction]

Je pourrais vous parler beaucoup plus abondamment des enjeux de la politique de transport par autocar, qui suscitent chez moi une véritable passion. Malheureusement, les contraintes de temps ne me permettent pas de monopoliser vos délibérations. Avant de conclure, j'aimerais vous résumer notre point de vue.

La question entourant la réglementation économique du transport par autocar ne peut être étudiée en vase clos. Une décision éclairée ne peut être prise que dans le contexte d'un plan stratégique global du transport de passagers à l'échelle du pays — tant du point de vue local qu'interurbain — et ce, pour tous les modes de transport. Qui plus est, un pareil plan stratégique ne peut être mis à exécution de manière efficace s'il n'existe pas de recherche fondamentale pour guider le processus.

Dans le cas de l'industrie du transport par autocar, nous sommes justement d'avis que le gouvernement fédéral n'a pas encore effectué la recherche de base. La suggestion faite à votre comité par Transports Canada voulant que la déréglementation économique de l'industrie de l'autobus soit peut-être la bonne voie à suivre en raison du déclin soutenu de l'achalandage et de la prétendue fragmentation économique n'est pas confirmée par les faits. Nous avons la profonde conviction qu'on n'a pas encore effectué de recherche convenable sur les répercussions d'une politique de déréglementation du transport par autocar.

Bien que votre comité soit en mesure d'offrir des conseils à cet égard, sauf votre respect, nous ne croyons pas que vous ayez le temps ou les ressources voulus pour faire ce genre de travaux de recherche. En fait, nous ne croyons pas qu'il vous appartienne de le faire.

En supposant que cette recherche est effectuée, qu'un cadre stratégique cohérent est mis en place pour tous les modes de transport et que le gouvernement fédéral maintient son intention de déréglementer l'industrie de l'autocar, Orléans Express sera prête à affronter la concurrence dans un contexte déréglementé. Cela étant dit, nous aimerions cependant faire trois mises en garde: avant de décréter une quelconque déréglementation de l'industrie de l'autocar, il faut à priori mettre à jour les normes de sécurité s'y appliquant. Ensuite, avant d'enclencher le processus de déréglementation de l'industrie, soit que le gouvernement annonce publiquement que les petites localités canadiennes n'auront plus accès au transport par autocar, soit qu'il mette en vigueur un programme de subventions — pour assurer la continuité des liaisons non rentables. Enfin, une fois la déréglementation en place, le gouvernement doit être prêt à accepter le fait qu'un seul autocariste assurera la majorité des liaisons au Canada et qu'il y aura très peu de concurrence dans les marchés des services réguliers de transport par autocar.

Je tiens à vous remercier de votre bienveillante attention et je demeure à votre disposition, si vous avez des questions à me poser.

La présidente: Bien sûr que nous avons des questions!

Le sénateur Graham: Je vous remercie de votre exposé. Je l'ai trouvé fort utile, très instructif et bien réfléchi. Je vous en félicite. Vous avez soulevé plusieurs points dignes d'intérêt non seulement pour ceux qui vivent et travaillent dans cette région, mais également pour ceux qui vivent et travaillent partout ailleurs au pays et qui font peut-être face à des conditions analogues.

La question des trajets rentables et non rentables m'intéresse. Vous avez dit qu'ils n'étaient pas économiques. Maintenez-vous le service sur les trajets qui ne sont pas économiques parce que c'est une condition de votre permis ou est-ce dans l'espoir que la situation va s'améliorer, par sens du devoir, pour tenir à l'écart la concurrence, ou encore une combinaison de tous ces facteurs?

M. Langis: Je vous dirais qu'il s'agit d'une combinaison de tous ces facteurs. Cela étant dit, j'exploite un parc d'autocars essentiellement au Québec, sauf pour une petite liaison quotidienne au Nouveau-Brunswick. Par conséquent, la plus importante série de règlements que nous avons à respecter nous vient du Québec.

Essentiellement, le règlement prévoit divers éléments que nous devons respecter. Vous ne trouverez écrit nulle part que pour conserver mes permis, il faut que j'assure le service sur des trajets non rentables. J'ai des permis, par exemple, pour la liaison Montréal-Québec. J'en ai d'autres qui me permettent d'assurer la liaison entre Montréal et Trois- Rivières. En fait, les permis visent différents tronçons. C'est en reliant tous ces permis que nous pouvons créer un réseau.

Toutefois, les commissions de transport imposent une obligation muette, en ce sens que si un transporteur décide d'assumer un certain rôle social en desservant les parties de son réseau qui ne sont pas rentables, nous lui donnerons accès aux itinéraires les plus intéressants. Il faut maintenir un équilibre du service entre les trajets rentables et ceux qui ne le sont pas tout en affichant un profit à la fin de l'exercice. Voilà comment les instances voient la réglementation du réseau.

Dans notre cas, il n'y a rien d'écrit. Il se peut que ce soit une obligation dans d'autres provinces, mais je ne suis pas le mieux placé pour vous parler de ce qui se passe à l'extérieur du Québec. Vous ne trouverez cette obligation écrite nulle part, mais elle existe bel et bien — par exemple, si je veux être le seul à desservir le secteur entre Montréal et Québec, j'ai l'obligation, aux yeux du gouvernement, d'assurer des liaisons qui ne sont pas rentables. Si je ne le fais pas, le gouvernement émettra des permis à des exploitants plus compétitifs pour les itinéraires les plus rentables.

Le sénateur Graham: De quel gouvernement est-il question?

M. Langis: Dans le cas qui nous occupe, je parle du gouvernement du Québec.

Le sénateur Graham: Votre permis vous est-il délivré par le gouvernement du Québec?

M. Langis: Oui.

Le sénateur Graham: Êtes-vous soumis à un règlement du gouvernement du Canada?

M. Langis: Non. Pour ce qui est de la réglementation, il s'agit d'une réglementation provinciale. Le gouvernement fédéral a cédé cette compétence aux provinces durant les années 50, après l'affaire Winner, qui mettait en cause l'industrie du camionnage.

Le sénateur Graham: Voilà qui porte à s'interroger sur le rôle du gouvernement du Canada dans toute cette question.

M. Langis: Comme le gouvernement du Canada a cédé — et je tiens à bien peser mes mots — il n'a pas cédé la compétence, il a plutôt laissé les provinces exercer la leur sur le territoire en son nom afin d'éviter des litiges et des affrontements fédéraux-provinciaux. Toutefois, il maintient sa compétence sur tout le transport interprovincial. C'est élémentaire parce que toutes nos entreprises, bien que nous assurions un transport interurbain sur le territoire d'une seule province, font aussi du transport nolisé. Or, nos autocars nolisés franchissent régulièrement les frontières provinciales et territoriales.

Par définition, si vous préférez, nous sommes tous soumis à une réglementation fédérale, mais celle qui s'applique à nos permis est de compétence provinciale.

Le sénateur Graham: Je tenais simplement à ce que vous m'éclaircissiez ce point.

Le sénateur LaPierre: Avez-vous dit que vous assuriez une petite liaison au Nouveau-Brunswick?

M. Langis: En fait, il ne s'agit pas d'une liaison. Nous nous rendons à Gaspé régulièrement, de ce côté-ci de la péninsule, et nous traversons le pont à Campbellton pour desservir cette ville. Nous assurons une interconnexion avec SMT et les autocaristes acadiens qui font le transport dans les Maritimes. Nous y avons un point d'interconnexion, tout comme à Rivière-du-Loup.

Le sénateur LaPierre: N'êtes-vous pas soumis à un règlement du Nouveau-Brunswick si vous traversez le pont?

M. Langis: Pour pouvoir traverser le pont, j'ai besoin de l'autorisation du Nouveau-Brunswick, même si je n'y roule probablement qu'un seul kilomètre.

Le sénateur LaPierre: La province vous accorde un permis?

M. Langis: Oui.

Le sénateur Eyton: J'ai en réalité une observation à faire, plutôt qu'une question à poser. Dans votre excellent exposé, vous avez demandé que l'on attende d'avoir en main des études plus honnêtes, précises et représentatives, de manière à pouvoir comprendre les problèmes de transport en général et les diverses façons de transporter des passagers du point A au point B.

Ensuite, vos trois conclusions étaient toutes axées sur les autobus ou sur les autocars. Vous avez réclamé des normes de sécurité améliorées, probablement parce que vous avez de nouveaux véhicules et que vous répondez aux normes les plus élevées.

Vous dites que la desserte des petites localités exigera une forme de subvention quelconque sur le plan du transport par autocar, sans quoi le service cessera tout simplement. Vous faites aussi remarquer que, dans un monde déréglementé, la concurrence s'évaporait en fait et qu'il ne resterait plus que les grands autocaristes. Ce sont toutes là des solutions axées sur les autocars, bien que vous ayez demandé au comité d'avoir une vue globale.

M. Langis: Nous aimerions savoir ce que le gouvernement conçoit comme étant le rôle de l'industrie du transport par autocar dans le réseau global de transport de passagers au Canada. Le transport de passagers n'a jamais fait l'objet d'une planification stratégique au Canada. Ce sont plutôt des éléments réunis ici et là, au fil de l'évolution de l'industrie du transport par autocar, par chemin de fer et par air. Nous avons pris des mesures en faveur du transport aérien et du transport ferroviaire, mais nous n'avons pas fait grand-chose pour le transport par autocar, bien que ces véhicules transportent plus de passagers au pays que tous les trains et les avions réunis.

Le sénateur Eyton: C'est là où je voulais en venir.

M. Langis: Nous n'avons ici qu'une petite partie de la carte du Canada, mais si vous examinez l'ensemble du Canada et le nombre d'aéroports dont il dispose, vous en dénombrerez à peu près 30 à 35 qui sont desservis par les lignes commerciales. Vous dénombrerez 300 points environ de service de transport de passagers par chemin de fer et 3 000, pour l'industrie de l'autocar. La souplesse offerte par ce moyen de transport lui permet de se rendre partout où il y a une route.

Les localités qui ne sont pas desservies par les chemins de fer ou les lignes aériennes, de même que les passagers qui ne peuvent pas se payer un billet d'avion ou de train, ont habituellement recours à l'autocar, qui est le moyen de transport le plus économique.

Il ne faut pas mettre trop de pression sur le réseau de transport par autocar qui a déjà besoin d'interfinancer les tronçons les moins achalandés du réseau pour offrir les services. Nous continuons d'avoir besoin des couloirs à forts volumes pour financer le maintien du reste du réseau. La minute que vous déréglementerez, tous se rueront vers ces couloirs. Il y aura alors de cinq à six fois environ plus d'autobus circulant entre Québec et Windsor. Par contre, il ne faudrait pas s'attendre à ce qu'il y en ait six fois plus effectuant la liaison entre Rimouski et Gaspé. Il n'y a pas suffisamment de passagers sur ce parcours, de toute façon. Déjà, nos autocars peuvent transporter trois fois plus de passagers qu'ils ne le font chaque jour.

Vous constaterez le même phénomène ailleurs dans le réseau. Ceux qui assurent le transport sur les itinéraires non rentables, si le réseau est déréglementé, délaisseront ces itinéraires et se concentreront sur ceux où se trouvent les grands marchés. Pendant une très courte période, certains tenteront peut-être de servir ces marchés secondaires ou tertiaires, mais ils ne le feront pas très longtemps parce que nous savons qu'il n'y a pas d'argent à faire là. Le petit exploitant acquerra donc un seul véhicule et, plutôt que de l'exploiter pour huit ans en moyenne, il le fera peut-être pour 12 ou 15 ans. Si vous n'assurez pas un service de qualité à ceux qui y sont habitués actuellement, ils chercheront une autre solution. Ils opteront probablement pour l'automobile et, s'ils le font, je ne crois pas que nous allons atteindre les objectifs que tente de fixer le plan de Kyoto.

Le sénateur Eyton: En tant que question supplémentaire, de manière à mieux comprendre, j'aimerais savoir à quel point il est difficile d'offrir des services à de petits centres et sur des itinéraires peu achalandés.

M. Langis: Il n'y a pas de solution magique.

Le sénateur Eyton: C'est effectivement un problème, et il faut le régler d'une manière ou d'une autre. J'aimerais que nous le fassions, et la meilleure façon d'illustrer mon propos est de supposer que je suis à Montréal et que je veux me rendre à Québec. Cet itinéraire est très intégré, de sorte que je dispose de véritables choix. Pouvez-vous m'aider à prendre la décision? Je parle de coûts, de commodité et de temps de déplacement. J'aimerais tenir compte de la possibilité de voyager par avion. Je suppose que les options sont par avion, par chemin de fer ou par autocar.

M. Langis: Ou encore par automobile.

Le sénateur Eyton: Supposons que je n'ai pas d'auto et que je paierai un transporteur pour me transporter là où je veux aller. Comment fait-on? Quels sont les coûts relatifs et la commodité de l'autocar par rapport au train ou à l'avion?

M. Langis: Pour ce qui est du coût, un billet d'avion pour aller directement de Montréal à Québec vous coûtera entre 250 $ et 260 $ environ. Je n'ai pas tous les prix ici, mais le billet de train vous coûterait probablement 60 $, et le billet d'autocar, 37 $. C'est pour un aller simple. Si vous décidez de faire un aller-retour, le prix ne double pas. Il oscille aux alentours de 54 $.

Le sénateur Graham: Le prix que vous avez donné au sénateur Eyton pour un billet d'avion était-il pour un aller simple?

M. Langis: Oui.

Le sénateur Eyton: Il n'y aurait que deux trains par jour à peu près. Puis-je supposer que l'autocar m'offrirait plus de choix?

M. Langis: Le train vous offrira quatre départs quotidiens dans chaque direction, ce qui donne un total de huit. Nous offrons un minimum de 18 départs chaque jour dans chaque direction, mais si je me fie à la moyenne, nous effectuons le voyage 25 fois environ dans chaque direction tous les jours, pour un total de 50 trajets, comparativement à l'avion, qui ne vous offre que 16 liaisons chaque jour environ. En fait, il n'offre que huit liaisons quotidiennes dans chaque direction, ce qui donne un total de 16.

Le sénateur Eyton: Même au tarif que vous nous avez fourni pour le transport en autocar, vous dites que ces itinéraires sont rentables. Ces itinéraires vous rapportent-ils de l'argent?

M. Langis: Je vous l'assure.

Le sénateur Eyton: Par contre, le trajet par train ne rapporte pas, en fait, d'argent au chemin de fer. N'a-t-il pas besoin d'une subvention du transport en commun?

M. Langis: D'après l'information dont je dispose pour les liaisons Montréal-Québec, la vente de billets de train ne permet même pas de récupérer 45 p. 100 du coût. Le reste vient de subventions qui permettent de maintenir le réseau en place.

Le sénateur Eyton: Qu'en serait-il du transport aérien? En savez-vous suffisamment pour commenter cette situation?

M. Langis: J'ignore si cette liaison est profitable pour Air Canada, par exemple.

Pour une liaison comme Montréal-Québec, je ne crois pas qu'ils utiliseraient des moteurs à réaction. Ils se contenteraient d'avions plus petits. Il s'agit-là fort probablement d'une liaison rentable.

Le sénateur Callbeck: Je vous remercie beaucoup de votre exposé. A la page 2, vous parlez de trajets rentables et non rentables. Savez-vous si certains de ces trajets actuellement non rentables ont déjà été rentables?

M. Langis: Rentables, puis non rentables?

Le sénateur Callbeck: Oui. Y a-t-il des trajets qui étaient rentables il y a cinq ans et qui ne le sont plus?

M. Langis: Non. Si nous comparons la situation actuelle à celle qui régnait il y a cinq ans, il existait entre autres un trajet reliant Montréal au coeur de la circonscription du premier ministre, c'est-à-dire à Shawinigan et à Grand-Mère. C'était un excellent trajet à l'époque, parce que nous avions l'habitude de nous faire un petit détour les vendredis et dimanches. Pour une raison quelconque, l'achalandage s'est mis à baisser, un fait que nous avons attribué à la diminution du nombre de jeunes qui vont à l'université et au collège. Durant les années du baby-boom, c'était un excellent trajet. Aujourd'hui, il est non rentable. Cependant, le phénomène date de plus de cinq ans. Il est probablement survenu il y a 12 ans environ.

Le reste des trajets est à peu près le même. Nous suivons les variations démographiques. Un des principaux facteurs avec lesquels nous devons composer est l'existence de centres de population densément peuplés et d'autres centres moins densément peuplés. Par conséquent, le trajet Montréal-Québec est un des plus profitables au Canada parce que vous avez, à un bout, la capitale et à l'autre, le centre économique. Vous constaterez le même phénomène pour la liaison Montréal-Ottawa et Edmonton-Calgary.

J'aimerais par contre que nous parlions de Rimouski, une collectivité où nous assurons une liaison régulière en offrant au moins deux trajets à destination de l'est et deux à destination de l'ouest. Nous parcourons plus de 1 500 kilomètres chaque jour sur ce trajet. Nous perdons entre 800 000 et 1 million de dollars chaque année pour assurer le transport à Gaspé. Ces passagers font habituellement des voyages sur de longues distances, parce qu'ils veulent se rendre non seulement à Rimouski, mais également à Québec et à Montréal. Ces passagers, dans une certaine mesure, alimentent le reste du réseau.

Si nous décidons de ne plus offrir le trajet à Rimouski, quelqu'un s'intéressera peut-être à exploiter le réseau, mais à des heures différentes des nôtres. L'interconnexion ne se fera pas aussi bien qu'elle se fait actuellement. Il se peut qu'il faille attendre entre quatre et cinq heures avant de prendre l'autocar suivant. Pour l'instant, le même autocar quitte Gaspé et se rend à Québec, voire à Montréal. C'est toujours le même autocar. Nous changeons simplement de chauffeur en chemin pour faire en sorte d'offrir un service stable et transparent.

Le sénateur Callbeck: Le nombre des passagers utilisant des liaisons régulières a augmenté de 30 p. 100 au cours des cinq dernières années. Il a donc dû augmenter énormément aux environs de Québec.

M. Langis: En 1994, nous avons adopté comme principe de ne pas conserver un autocar plus de cinq ans. Nous nous sommes dotés d'un programme de renouvellement constant de notre parc. Par exemple, un nouvel autocar est livré chaque mois et nous nous débarrassons du vieux. En vertu de cette politique, nous remplaçons au moins 12 autocars par année.

En offrant de nouveaux autocars, de même que des sièges plus confortables, des tables et des prises électriques, nous nous sommes rendu compte que les gens utilisaient l'autocar plus souvent. Cela ne signifie pas forcément que plus de personnes utilisent l'autobus, mais qu'elles l'utilisent plus fréquemment. Voilà comment nous avons réussi à accroître le nombre de nos passagers.

Le sénateur Callbeck: Vous avez fait trois mises en garde à la fin de votre exposé. La première était qu'il fallait améliorer les normes de sécurité des autocars avant d'en déréglementer le transport. Les dispositions actuelles du Code national de sécurité ne sont-elles pas suffisantes?

M. Langis: Elles pourraient être meilleures, à différents niveaux. Le Code national de sécurité ne s'applique pas forcément de la même façon dans chaque province. Il n'y a pas de méthode uniformisée d'application du Code national de sécurité d'une province à l'autre. Au niveau fédéral, si l'on souhaite aller de l'avant et déréglementer l'industrie, il faudrait au départ uniformiser le système. Par exemple, au Nouveau-Brunswick ou à l'Île-du-Prince-Édouard, il faudrait que l'on retrouve les mêmes normes qu'en Ontario ou en Alberta.

Le sénateur Callbeck: Vous aimeriez qu'elles soient les mêmes partout au Canada?

M. Langis: C'est essentiel. Si l'industrie est déréglementée, il y aura des gens qui viendront de partout pour essayer de pénétrer ces grands marchés.

Le sénateur Callbeck: Si l'industrie était déréglementée et qu'il existait un programme de subvention du service en région rurale, seriez-vous heureux? Votre principale préoccupation est que cet aspect n'a pas fait l'objet de suffisamment de recherche.

M. Langis: La question n'est pas de savoir si je serais heureux ou malheureux. Je suis déjà très heureux et je le serai encore demain. Cela n'a rien à voir.

Bien que notre industrie se compose d'exploitants privés, elle demeure un service public. Nous pouvons le faire mieux que tout organisme public, parce que nous contrôlons mieux les salaires et la productivité. Il vaut mieux laisser aux exploitants privés la gestion de ce genre de service pour maintenir à un niveau bas les prix, ce qui est avantageux pour le public.

Si nous voulons un système qui fonctionne de façon ordonnée dans l'ensemble du Canada, et si nous voulons modifier le système économique dans lequel nous vivons à l'heure actuelle, il nous faut analyser l'incidence qu'aurait la déréglementation, en particulier sur les régions qui ne peuvent compter sur aucun autre mode de transport public que l'autobus. À défaut de le faire, nous aurons failli à notre devoir en tant que société. C'est ce que nous réclamons à corps et à cri depuis des années. Nous ne sommes pas réfractaires à l'idée de modifier le système. Ce qui nous dérange, c'est qu'on veuille en changer sans prendre le temps d'analyser l'incidence que ces changements auront sur les Canadiens qui ne résident pas dans le couloir entre Windsor et la ville de Québec. Plus de la moitié de la population canadienne réside dans ce couloir, et le reste est disséminé un peu partout. C'est la réalité canadienne.

On peut examiner tous les modèles qu'on voudra au Royaume-Uni, aux États-Unis ou dans n'importe quel autre pays d'Europe, il n'en reste pas moins que sur le plan démographique, le Canada n'a pas la densité de population qu'ont ces pays. Notre réalité est différente. Au lieu de s'inspirer de ce que nos voisins ont fait, il nous faut mettre au point un système qui s'applique chez nous. C'est là mon opinion personnelle. Nous n'avons pas fait cet effort. Nous n'avons pas pris le temps d'effectuer une analyse convenable.

Ni le ministre ni le ministère ne sont à blâmer. C'est tout simplement que les gouvernements changent régulièrement et avec eux, les orientations, et c'est normal. Toutefois, nous n'avons jamais pris le temps de faire ce travail correctement.

Le sénateur Callbeck: Vous avez parlé du volet de la livraison des colis.

M. Langis: Oui.

Le sénateur Callbeck: Ce volet prend-il de l'expansion dans la région de Gaspé?

M. Langis: Il est intéressant que vous posiez cette question. Ce volet est stable. À l'heure actuelle, nous nous efforçons de l'accroître car nous avons de nombreux compétiteurs qui souhaitent nous court-circuiter et mettre la main sur le marché de la livraison des colis.

Le secteur du transport des colis accuse une hausse de 5 p. 100 par année environ dans l'ensemble du Canada. Si l'on exclut Postes Canada, c'est un secteur dont les revenus se chiffrent approximativement à 4 milliards de dollars au Canada et qui connaît une augmentation annuelle de 5 p. 100.

Le sénateur LaPierre: La livraison de colis?

M. Langis: Oui.

Le sénateur LaPierre: Je suis dans le mauvais secteur!

M. Langis: Vous passeriez trop de temps à la porte à discuter avec les gens.

Le sénateur LaPierre: Je perdrais de l'argent. Il est préférable que je reste ici.

M. Langis: Ce n'est pas parce que vous parlez trop, mais parce que vous êtes trop connu.

Les entreprises implantées dans des régions éloignées ne conservent pas des inventaires volumineux. Le meilleur exemple que je peux vous donner est le cas du propriétaire d'une BMW ou d'une Mercedes dans la région de Gaspé. Aucun garage ne garde en inventaire des pièces pour ces modèles. Lorsqu'ils ont besoin d'une pièce, ils appellent à Québec ou à Montréal, et la pièce sera expédiée par autobus et livrée le lendemain matin. Un volume impressionnant de colis quitte Montréal et Québec à destination des régions; au retour, il y en a toujours moins, mais cela représente une bonne partie de nos revenus et si nous n'avions pas cela, nous perdrions encore plus d'argent en desservant la péninsule de la Gaspésie.

Le sénateur Phalen: Je voudrais revenir sur un sujet abordé par le sénateur Callbeck. Dans votre rapport, vous affirmez que Transports Canada présente des statistiques erronées au sujet de l'achalandage des autobus. Partout au pays, des témoins nous ont dit avoir constaté une baisse de l'achalandage. Le graphique que j'ai sous les yeux montre qu'en 1980, 32 millions de passagers ont eu recours au service d'autobus. Le plancher a été atteint en 1993 avec 10 millions de voyageurs. Depuis lors, l'achalandage est remonté à près de 15 millions de passagers, et c'est de cette période dont vous parlez. Toutefois, il y a eu un déclin évident de l'achalandage pendant ces années-là.

M. Langis: Compte tenu des chiffres qui vous ont été fournis et des données recueillis au fil des ans par le gouvernement fédéral par l'entremise de Statistique Canada, nous sommes d'avis qu'après avoir cédé sa compétence dans le domaine du transport par autobus, le gouvernement fédéral n'a guère fait d'efforts pour suivre de près l'évolution de l'information. En fait, à l'heure actuelle, nous transportons cinq fois plus de passagers que dans les années 70, mais les choses ont changé. Les gens ont quitté les régions; ils ont quitté les Maritimes, la Gaspésie, et cetera. pour s'installer à Toronto, Montréal, Québec, Ottawa et dans d'autres grands centres. Je vais vous donner un exemple de la situation qui règne au Québec.

À Montréal, il y a une quinzaine d'années, il était possible de prendre l'autobus et de se rendre à Sainte-Hyacinthe, une localité située entre Drummondville et Montréal. On pouvait prendre un bus interurbain de Sainte-Hyacinthe à Montréal. On pouvait prendre un bus interurbain de Joliette à Montréal. On pouvait prendre un bus interurbain de Saint-Jérôme à Montréal. On pouvait prendre un bus interurbain de Rigaud à Montréal. Maintenant, à partir de Saint- Jérôme, de Rigaud, de Sainte-Hyacinthe, de Joliette et de toutes les localités sur ce trajet, il est possible de prendre un autobus urbain car bien des gens ont déménagé dans les banlieues, créant de nouvelles banlieues, et partant, une nouvelle réalité en matière de transport.

Les personnes qui avaient l'habitude de prendre un billet interurbain pour se rendre à leur travail à Montréal, à partir de Saint-Jérôme, s'achètent maintenant un laissez-passer mensuel auprès d'un exploitant d'autobus privé qui dessert trois ou quatre municipalités qui ont été réunies, créant ainsi un nouveau système de transport pour faire la navette quotidienne entre Saint-Jérôme et Sainte-Thérèse et Montréal.

À l'heure actuelle, et depuis une douzaine d'années, ces passagers sont considérés comme des passagers urbains. C'était auparavant des passagers interurbains. Ils continuent d'être transportés par des sociétés privées sous contrat avec diverses municipalités. Rien que dans la région de Montréal il y a douze ou treize entreprises de ce genre qui assurent le transport pour deux ou trois municipalités qui se sont réunies et ont créé leur propre système de transport entre la ville et les banlieues.

Cette situation existe à Montréal, mais aussi à Toronto. D'ailleurs, l'exemple de Toronto est peut-être encore plus pertinent. Les autobus GO, financés par le gouvernement de l'Ontario, sont maintenant présents sur des trajets qui, dans le passé, ont toujours été desservis par des entreprises privées. Maintenant, je pense qu'il est possible de se rendre de Toronto à Hamilton par autobus GO. On ne prend pas un autobus Greyhound. De nombreux passagers sont transportés par ces autobus quotidiennement, mais on les classe dans la catégorie des passagers urbains, des utilisateurs du système urbain, et non plus comme des passagers interurbains.

Si l'on considère l'ensemble des chiffres et que l'on prend en compte tous ces changements, l'achalandage est passé de 30 millions de passagers au début des années 80 à quelques 100 millions à l'heure actuelle. Encore là, il faudrait faire des recherches appropriées.

Le sénateur Phalen: Vous avez parlé des fourgonnettes pouvant accueillir 15 passagers. D'après vous, ce n'est pas une option. En Nouvelle-Écosse, on se sert de fourgonnettes de sept passagers. Elles permettent un service convivial. Les passagers sont pris à leur domicile et conduits à Halifax, à une distance d'environ 200 milles, pour la somme de 30 $ chacun.

Pensez-vous que cette solution pourrait être valable dans les régions rurales, par opposition à l'option de la fourgonnette de 15 passagers?

M. Langis: Je ne connais pas bien la situation en Nouvelle-Écosse. Si nous voulons augmenter le nombre de passagers utilisant le transport en commun pour respecter nos obligations aux termes de Kyoto, si nous commençons à mettre en service des fourgonnettes de sept passagers pour attirer des clients vers un système de transport en commun, fort bien. On réussira à aller chercher des passagers qui aiment bien voyager avec des personnes qu'ils connaissent pour se rendre, par exemple, de Halifax à une autre localité pas trop éloignée en Nouvelle-Écosse. Une fourgonnette de sept passagers, ce n'est pas mal, mais personnellement, dans mon volet touristique, j'ai recours à des fourgonnettes de 15 passagers. Ces dernières ne sont pas aussi confortables qu'un gros autobus, mais tout dépend de l'endroit où l'on va. Pour une courte distance, ce n'est pas mal, mais une fourgonnette, qu'elle accueille sept ou quinze passagers, peut uniquement parcourir 200 000 ou 250 000 kilomètres, après quoi, elle est sujette à des problèmes majeurs.

En cinq ans, nos autobus font plus de 1.2 kilomètres. Ils avalent tous ces kilomètres et après cinq ans, nous obtenons quand même un peu plus de la moitié du prix d'achat lorsque nous les revendons. Cela ne pourrait jamais se faire dans notre cas car je sais d'expérience qu'avec les fourgonnettes de 15 passagers, dès qu'on passe le cap des trois ans d'exploitation, même si elles n'ont roulé qu'en ville -ce sont esentiellement des autobus de tourisme-, après trois ans, les opérateurs réclament à cor et à cri qu'on les change parce qu'ils commencent à avoir des problèmes et ce, même si nous avions planifié les remplacer après cinq ans seulement. On ne sait jamais quand un petit véhicule nous laissera en plan un jour ou l'autre en raison de problèmes de transmission. Après avoir roulé pendant un certain nombre de kilomètres, des tas de problèmes surgissent.

Des problèmes du même genre se produiront nécessairement avec de petits véhicules. Je ne dis pas qu'ils ne sont pas conviviaux;, ils le sont sans doute beaucoup plus qu'un gros autobus, sauf que je ne pense qu'il existe d'accord de liaison entre les divers transporteurs. Cela signifie que chaque fois qu'il y a un changement d'exploitants, le passager doit acheter un nouveau billet. Ce n'est pas un système très convivial.

Le sénateur Phalen: Pour poursuivre dans la même veine, en Alberta, on nous a dit être en mesure d'utiliser de gros autobus dans les régions rurales parce qu'ils sont financés par le service de livraison de colis. Êtes-vous au courant?

M. Langis: Oui, on fait cela en Alberta. Dans cette province, les transporteurs ont des accords avec les communautés et, dans certains endroits, ils ont recours à de petits véhicules. D'après notre expérience, avec un gros autobus, on peut générer davantage de revenus sur des trajets moins rentables grâce au transport de colis; cela ne fait aucun doute.

Le sénateur LaPierre: Desservez-vous uniquement la province de Québec, sauf pour ce kilomètre sur le pont menant au Nouveau-Brunswick? Si j'ai bien compris, votre permis d'exploitation et les conditions d'exercice de celui-ci sont établis par la province de Québec?

M. Langis: Oui.

Le sénateur LaPierre: Vous n'avez aucun contact avec le gouvernement fédéral, quel qu'il soit?

M. Langis: Pour ce qui est des permis, non. Nous avons certains permis émanant de la province de l'Ontario pour nos opérations nolisées.

Le sénateur LaPierre: Je vois. C'est toutefois la province de l'Ontario qui vous autorise à offrir un service nolisé de Montréal à Toronto.

M. Langis: C'est exact.

Le sénateur LaPierre: Si vous vouliez aller à Calgary — Dieu vous en garde —, vous auriez un permis de l'Alberta, ainsi qu'un permis du Manitoba et de la Saskatchewan?

M. Langis: Et de toutes les provinces que je devrais traverser pour y arriver, oui.

Le sénateur LaPierre: Dans ce cas, monsieur, que faisons-nous ici? Si le gouvernement fédéral est absent du dossier, votre bataille en faveur de la déréglementation et des subventions aux collectivités locales devrait être menée auprès des autorités provinciales, et non auprès des autorités fédérales, bien qu'elles disposent d'un pouvoir constitutionnel que, dans leur stupidité, elles ont cédé aux provinces. Par conséquent, nous avons consacré des mois à étudier ce dossier sans avoir quelque compétence que ce soit, à moins de se réapproprier ce pouvoir. Nous ne sommes pas habilités à vous déréglementer.

M. Langis: Le gouvernement fédéral a le pouvoir de déréglementer tous les mouvements extraprovinciaux.

Le sénateur LaPierre: Mais il ne s'agit que d'un kilomètre, pour l'amour du ciel.

M. Langis: Oui, mais je suis tout de même considéré comme un transporteur extraprovincial à cause de cela.

Le sénateur LaPierre: Ne serait-il pas préférable d'écrire une missive d'une page au gouvernement fédéral avec le message suivant: «Cher gouvernement fédéral, vous avez abandonné la réglementation du transport d'autobus; abandonnez donc celle du transport interprovincial». Tout cela ne vous mène nulle part parce que vous devez tout de même obtenir un permis pour entrer dans chaque province. Laissez les gouvernements provinciaux se dépêtrer avec cela. Il ne vous reste que les régions rurales. La seule chose importante dans tout cela, ce sont les régions rurales. Rien d'autre n'a d'importance. L'essentiel, ce sont les régions rurales. Les Canadiens des zones rurales ont le droit inaliénable de bénéficier du même service de transport d'un endroit à un autre que les Canadiens qui vivent dans les villes. C'est le droit fondamental à la mobilité qui est en cause.

Par conséquent, vous avez raison. Si vous n'avez pas l'argent voulu pour transporter les gens de Montréal à Shawinigan, cela changera car Shawinigan deviendra éventuellement un grand centre sur la planète. Dans l'intervalle, vous devriez pouvoir obtenir de l'aide dans ce dossier. J'ignore si cela relève de la responsabilité du gouvernement fédéral ou provincial. J de plus en plus tendance à penser que le gouvernement fédéral, après avoir cédé une partie de ce domaine de compétence, devrait l'abandonner complètement et se laver les mains de tout ce gâchis. Qu'en pensez-vous?

M. Langis: Vous m'enlevez les mots de la bouche, sénateur LaPierre. Non, je blague. Je ne pense pas que la solution au problème soit aussi simple. La responsabilité des mouvements extra-provinciaux demeurera du ressort du gouvernement fédéral puisque cela relève du principe de la mobilité d'un bout à l'autre du Canada. Je ne pense pas que le gouvernement fédéral doive évacuer ce champ d'activité. Dans les années 50, il a cédé ce pouvoir aux provinces car elles étaient beaucoup plus près des problèmes. Au lieu de s'en tenir au statu quo, je pense qu'il serait très utile, au moins, de discuter avec les autorités provinciales pour voir de quelle façon on pourrait — et je choisis mes mots avec soin — s'entendre sur une façon de standardiser certains éléments d'une province à l'autre.

Je ne dis pas que le système actuel est parfait. Cependant, si on le jetait aux orties, on risquerait de se retrouver avec des problèmes encore pires que ceux que nous connaissons maintenant. Nous devons prendre le temps de consulter les provinces, d'analyser la situation et essayer de trouver les solutions débouchant sur une standardisation. J'emploie le terme «standardisation», de préférence à «harmonisation», un terme en usage dans le passé, car l'«harmonisation» débouche souvent sur un nivellement par le bas. En l'occurrence, pour ne heurter personne, la solution consisterait à déréglementer l'ensemble de ce champ d'activité et à faire le point dans cinq ans.

Socialement, cependant, ce n'est pas ce qu'il convient de faire. En tant que société, nous avons le devoir de desservir les citoyens qui vivent dans les différentes régions du pays car nous ne sommes pas tous tenus de vivre à Montréal, Toronto ou Ottawa. Certaines personnes souhaitent vivre dans ces régions. Toutefois, les gens qui ont quitté ces régions où ils sont nés pour aller travailler dans les grands centres pourraient graduellement s'y retirer. En outre, comme ils seront plus âgés, ils auront besoin de services de transport pour assurer leur mobilité. Nous représentons probablement une bonne solution pour ces personnes. Nous devons prendre le temps d'analyser l'incidence que cela aura pour toutes les régions du Canada.

Le sénateur LaPierre: Au bout du compte, il reste que le gouvernement fédéral doit agir. Je ne crois pas à l'harmonisation avec les provinces. Depuis 1887, nous avons des démêlés avec les autorités provinciales, et c'est encore la même chose aujourd'hui avec Kyoto. Oublions les provinces. Le gouvernement fédéral devra agir.

Le sénateur Adams: Dans votre mémoire, on peut lire que le gouvernement fédéral subventionne VIA Rail et qu'il lui en a coûté 3 milliards de dollars depuis ses débuts pour faire la promotion du service voyageur. Votre concurrent, c'est VIA Rail. Voilà pourquoi je pose cette question. Ce transporteur touche 3 milliards de dollars en subventions et vous ne touchez rien. Si le gouvernement fédéral ne subventionnait pas VIA Rail, je pense que vous pourriez attirer davantage de passagers. Vous pourriez puiser dans la clientèle de VIA Rail.

M. Langis: Ce n'est pas tellement que nous craignions les subventions. Si j'ai évoqué les 3 milliards de dollars qui ont été réclamés, c'est parce qu'on en a parlé dans différents articles de journaux, par exemple dans la revue Maclean's et dans le cahier des affaires du quotidien The Globe and Mail. Divers article ont paru concernant l'intention de VIA Rail de présenter au ministre des Transports un projet en vue d'obtenir 3 milliards de dollars pour accroître la fréquence des déplacements et augmenter la vitesse des trains dans le couloir, sans s'acquitter d'un rôle social auprès des autres régions du pays. Et c'est là ce qui nous inquiète. En effet, nous avons aussi besoin des revenus que nous pouvons générer sur les trajets du couloir pour desservir les régions du Canada là où il n'y a ni service ferroviaire ni service aérien. Si ces subventions sont utilisées pour offrir des rabais sur les tarifs ferroviaires en vue d'attirer davantage de passagers vers ce mode de transport, alors nous avons un problème.

Nous avons déjà vécu cette expérience dans le passé. À la suite d'une réduction des tarifs ferroviaires, VIA Rail a été en mesure d'attirer un grand nombre de nos passagers, et c'est normal. Les gens qui prennent l'autobus utilisent un mode de transport en commun. Chaque fois qu'on réduit les tarifs ferroviaires, on n'amène pas les gens à abandonner l'automobile ou l'avion, mais bien l'autobus. Plus le service ferroviaire nous malmènera dans le corridor, plus nous devrons comprimer les services dans les différentes régions du Canada.

Votre question est très intéressante.

Le sénateur Adams: Vous êtes propriétaire de toutes vos stations. Elles ne sont pas subventionnées par les gouvernements, n'est-ce pas?

M. Langis: Tout est propriété privée.

Le sénateur Adams: Chaque fois que je me rends dans le Nord, je paie des taxes cachées. Nous sommes assujettis à des taxes sur la sécurité et sur un tas d'autres choses. Depuis le 11 septembre, cependant, les tarifs d'autobus n'ont pas augmenté.

M. Langis: Il s'agit d'entreprises entièrement privées.

Le sénateur Adams: Ce sont là des recettes supplémentaires pour le gouvernement. Je suis client d'Air Canada, de First Air et de Canadian North. Et je dois payer 12 $ supplémentaires pour la sécurité.

M. Langis: C'est vrai.

[Français]

La présidente: Monsieur Langis, nous vous remercions pour votre présentation. Vous êtes un porte-parole très éloquent.

M. Langis: Madame la présidente, je suis convaincu que dans votre grande sagesse et le rôle que vous avez à jouer vous ferez les bonnes recommandations auprès du ministre des Transports.

[Traduction]

Nous allons faire une pause de cinq minutes et reprendre ensuite nos travaux à huis clos.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.


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