Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 14 - Témoignages du 9 octobre 2003
OTTAWA, le jeudi 9 octobre 2003
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 10 h 46 pour examiner l'état actuel des industries de médias canadiennes; les tendances et les développements émergents au sein de ces industries; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne; enfin, les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ces industries.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, c'est pour moi un grand plaisir de vous souhaiter la bienvenue une fois de plus, à vous, les témoins, à l'assistance, ainsi qu'aux téléspectateurs de tout le Canada, à cette séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications.
Le comité étudie l'état actuel des médias d'information au Canada. La question qui nous intéresse plus particulièrement est le rôle que la politique publique doit jouer pour aider les médias d'information à rester en bonne santé, indépendants et diversifiés, à la lumière des profonds changements qui se sont passés ces dernières années, notamment la mondialisation, les exigences de la technologie, la convergence et une concentration plus poussée de la propriété des médias.
[Français]
Aujourd'hui, nous accueillons des représentants de l'organisation de Nos ondes publiques. Selon le mémoire soumis au comité, cette organisation est l'initiative de Canadiens préoccupés qui croient qu'un système de radiodiffusion public solide est essentiel pour offrir une vaste gamme d'émissions novatrices dans l'intérêt du public, indépendamment des considérations commerciales.
[Traduction]
Aujourd'hui, nous sommes heureux d'accueillir M. Arthur Lewis, Mme Sheila Petzold et M. Doug Willard. Bienvenue à vous tous. Nous sommes heureux que vous ayez pu vous joindre à nous.
M. Arthur Lewis, directeur général, Nos ondes publiques: Madame la présidente, avant d'entamer notre exposé, je voudrais vous présenter de façon plus précise mes deux collègues.
M. Doug Willard, qui vient de la Saskatchewan, vient de quitter ses fonctions de président de la Fédération canadienne des enseignantes et enseignants. Les enseignants appuient fermement notre organisation, car ils voient dans les services de radiodiffusion publics un prolongement du système d'éducation et un élément capital de la formation permanente qui est plus essentielle que jamais à la société en constante mutation qui est la nôtre. Aujourd'hui, nous parlerons surtout de la CBC, mais les services provinciaux de télédiffusion éducative sont tout aussi importants à nos yeux.
Mme Sheila Petzold, qui préside notre Comité de coordination, est un ancien chef de production à la CBC. Elle était chargée de la production indépendante en Ontario. Elle dirige maintenant sa propre entreprise de production, qui est installée ici même, à Ottawa. Il s'agit de Telewerx. Elle produit et vend des émissions non seulement à la CBC, mais aussi aux chaînes History Television, APTN et Vision, ainsi qu'au réseau éducatif SCN de la Saskatchewan et au Knowledge Network de la Colombie-Britannique. Elle travaille en ce moment pour la Bibliothèque du Parlement, pour laquelle elle documente les travaux de restauration en cours.
À titre de défenseurs de la radiodiffusion publique, nous comparaissons aujourd'hui pour vous dire pourquoi il s'agit d'un élément de solution important au problème que vous êtes en train d'étudier.
Nous vous remercions de nous permettre de participer à cet examen des plus importants concernant les médias canadiens.
Un certain nombre de témoins vous ont déjà parlé des dangers que représentent pour une société démocratique la concentration accrue de la propriété des médias et la propriété croisée. Nous n'avons rien de neuf à ajouter à ce sujet, mais nous voudrions vous présenter deux exemples récents qui illustrent ces dangers et que nous avons tirés de récents reportages dans les médias.
Le premier est la publication, en juin dernier, du rapport sur la radiodiffusion que nous devons au Comité permanent du patrimoine canadien des Communes. Les membres de votre comité se rendront certainement compte que ce rapport portait sur un aspect essentiel de la politique publique nationale. Cet excellent rapport, qui est le fruit de deux années de travail et est rempli de recommandations importantes, est passé presque inaperçu. La couverture médiatique de la publication du rapport a été généralement brève et sans intérêt. Un grand nombre des recommandations ont été passées sous silence. Dans les jours qui ont suivi, il n'y a eu aucun signe du débat éclairé que le rapport aurait dû susciter dans les pages de nos grands journaux.
Au cours de la même période, de vastes forêts ont été sacrifiées pour permettre l'impression d'articles détaillés sur le drame de Dar Heatherington, une conseillère municipale de Lethbridge jusque-là inconnue. Tous les Canadiens connaissent à présent dans les moindres détails les étranges aventures de Mme Heatherington au Montana et à Las Vegas.
Si le rapport du Comité du patrimoine canadien est passé inaperçu, ce n'est pas parce qu'il manquait de place dans les médias. On peut raisonnablement se demander s'il s'agissait simplement d'une préférence des médias pour les potins insignifiants plutôt que pour des questions de fond concernant la politique publique. C'est bien possible.
La chroniqueuse du Toronto Star qui traite des médias, Antonia Zerbisias, avance l'idée que des forces plus obscures sont peut-être à l'œuvre. En effet, dans sa chronique du 10 juillet 2003, elle fait remarquer que non seulement le rapport a été passé sous silence, mais aussi que le passage à Toronto du président du comité, l'honorable Clifford Lincoln, pour faire la promotion du rapport, a également reçu fort peu de publicité. C'est comme si le rapport était tombé dans un trou noir médiatique, de dire Mme Zerbisias.
La journaliste émet l'hypothèse que l'absence de couverture médiatique tient peut-être au fait que des recommandations proposent un financement accru pour la SRC, le maintien de restrictions sur la propriété étrangère des entreprises médiatiques et un moratoire sur l'attribution de nouvelles licences de radiodiffusion aux entreprises qui sont déjà propriétaires de journaux.
Voilà donc un exemple d'actualité de ce à quoi peut ressembler la couverture médiatique lorsque le sujet va à l'encontre des intérêts des propriétaires de nos conglomérats médiatiques géants.
Notre deuxième exemple est celui de la couverture médiatique de la SRC. Nous sommes de ceux qui croient que CanWest Global ne traite pas la SRC de façon équitable. Pour confirmer nos soupçons, nous avons fait une recherche des mentions de la SRC sur les sites Web exploités par le Globe and Mail et par CanWest pour nous assurer que nos conclusions ne tenaient pas de l'anomalie. Nous avons répété l'expérience plusieurs fois au cours des derniers mois, et les résultats sont aussi constants qu'intéressants.
Le 3 septembre 2003, le Globe and Mail comptait 44 mentions de la SRC dans la base de données de son site Web, qui portait sur les sept jours précédents. De ce nombre, 12 étaient importantes, notamment sept qui concernaient des questions d'actualité citant des reportages de la SRC ou des entrevues au réseau Newsworld de la CBC. Il n'y a pas lieu de s'étonner de ces chiffres, car la SRC est une importante source d'information au Canada.
Comparons ces résultats avec ceux des deux sites Web exploités par CanWest Global. Le site du National Post contient dans ses archives des articles des 14 jours précédents. On n'y a relevé que deux mentions de la SRC, soit une moyenne d'une mention par semaine, contre 44 pour le Globe and Mail. Et les deux mentions relevées dans le National Post présentaient un caractère négatif. L'une d'elles était une lettre attaquant la SRC pour de supposées tendances anti- israéliennes, un sujet de prédilection de CanWest Global. Dans le deuxième cas, il s'agissait d'un article à caractère économique au sujet d'éventuels changements dans le programme québécois de garderies subventionnées. On y relevait deux attaques gratuites contre la SRC.
CanWest exploite le site Web Canada.com, qui se place au deuxième rang par ordre d'importance. Certains éléments de la base de données peuvent remonter jusqu'à 19 mois. Le 3 septembre, on y trouvait 23 mentions de la SRC.
Deux faits ressortaient. Tout d'abord, l'absence totale de mentions de reportages ou d'entrevues de la SRC. Dans l'univers de CanWest Global, il semble que la SRC ne produit aucun reportage original, ou du moins aucun dont CanWest soit disposé à lui reconnaître la paternité. Deuxième observation: la grande quantité de mentions négatives.
Nous avons refait la même recherche sur Internet plusieurs fois, ces derniers mois, la dernière le 1er octobre 2003. Chose fort curieuse, à chacune de ces recherches dans cette base de données, c'est toujours le même article qui apparaît en premier. Il s'agit de la transcription de l'émission Global Sunday du 3 mars 2002, intitulé «Should the CBC be Privatized?», ou «Faut-il privatiser la SRC?». Ce n'est peut-être qu'une bizarrerie du moteur de recherche, mais c'est une étrange coïncidence que le même article, paru il y a 19 mois, soit toujours le premier à apparaître lorsqu'on cherche le terme CBC sur le site Web Canada.com.
Le 3 septembre 2003, le troisième article de la liste s'intitulait «Nova Scotia Party is Critical of CBC» ou «Le Nova Scotia Party critique la SRC». Le cinquième article était un commentaire remontant à plus d'un an et intitulé «CBC's Soft Stance on Terrorists», ou «Indulgence de la SRC pour les terroristes». Le dixième article était un autre commentaire, remontant à neuf mois cette fois, qui s'intitulait «CBC: A Bastion of Propagandists and Twits», ou «La SRC, bastion de propagandistes et de crétins». Le onzième article portait sur un sondage commandé par CanWest Global et il portait le titre «CBC: Not Great, Not an Abomination», ou «La SRC n'est ni une merveille ni une abomination». Un article aujourd'hui disparu, mais présent au moment de la recherche de juillet, au 14e rang, était cinglant: «Why do We Need El Gezira When We Have the CBC» (Pas besoin d'Al-Jazeera quand il y a la SRC».
Tony Atherton, un chroniqueur de longue date et respecté de la télévision au Ottawa Citizen a été l'un des rares journalistes de CanWest qui a parlé de la SRC. Je dis «a été», parce que sa dernière chronique a paru hier. Il a été remplacé par un nouveau chroniqueur télé national de CanWest. On soupçonne qu'il y aura encore moins de mentions favorables de la SRC dans les journaux de CanWest.
Vous nous pardonnerez de nous être tant attardés sur ce point, mais il importe de montrer que la crainte d'abus découlant de la concentration de la propriété et de la propriété croisée n'est pas simplement théorique.
Il y a lieu de se demander, en dehors de ces deux cas, combien d'autres dossiers moins évidents sont présentés de manière à servir les intérêts du propriétaire ou de sa société.
Il existe un antidote à ce problème, antidote que la plupart des grandes démocraties occidentales utilisent avec grand succès depuis plus de 70 ans, la radiodiffusion publique, qui joue un rôle important comme voix indépendante et point de référence pour assurer l'équilibre du système. Seule la radiodiffusion publique peut exister indépendamment des considérations commerciales et offrir à la collectivité une gamme d'émissions plus vaste que ne peuvent le faire les médias commerciaux, qui doivent nécessairement trouver l'auditoire le plus nombreux possible afin de maximiser leurs bénéfices.
Qu'il soit bien clair qu'il ne s'agit pas ici d'une attaque contre les radiodiffuseurs privés. Ils ont un rôle important à jouer, et la plupart des pays ont constaté que le système idéal se caractérise par l'équilibre entre les radiodiffuseurs commerciaux qui font connaître les produits des annonceurs et les radiodiffuseurs qui offrent un service aux citoyens.
Lors de son témoignage lucide, le premier jour de vos audiences, le printemps dernier, Mark Starowicz a traité de la question avec éloquence. Christopher Doman, de l'Université Carleton, a aussi abordé la question dans son exposé du 6 mai 2003. Il a parlé du rôle des médias du secteur public pour faire contrepoids aux considérations du secteur privé. Comme M. Dornan l'a fait remarquer, si on veut que cette solution donne des résultats, il faut que la SRC reçoive les ressources nécessaires.
Nous avons fait remarquer par le passé que la radiodiffusion publique pourrait être affranchie des considérations commerciales. Malheureusement, ce n'est pas le cas au Canada aujourd'hui. La SRC dépend beaucoup trop des revenus de la publicité, et, tant que le gouvernement fédéral ne lui accordera pas un financement accru, le mandat de radiodiffuseur public de la SRC sera gravement compromis.
Vous avez déjà entendu d'autres témoins parler de la difficulté que la SRC éprouve à financer certains types d'émissions de service public. Comme elle n'a pas l'argent pour financer ces émissions, elle n'a d'autre recours que d'utiliser le mécanisme que les réseaux commerciaux emploient pour financer les émissions canadiennes.
Ces mécanismes de financement sont incertains et assujettis à des règles incroyablement complexes, ils favorisent certains types d'émissions et ils exigent des producteurs qu'ils allient un ensemble de mesures comportant des droits de diffusion de plusieurs radiodiffuseurs différents.
En conséquence, certaines émissions de service public ne peuvent être réalisées et la SRC est obligée d'établir une grille-horaire composée des émissions pour lesquelles elle peut obtenir du financement.
Les médias canadiens doivent relever des défis qui ne se posent pas aux médias des autres démocraties occidentales. Ce sont les défis qui découlent du fait que nous sommes les voisins d'un géant ou, comme l'a dit récemment l'honorable Pierre Pettigrew, que nous «dansons avec l'éléphant».
Au moment où les Canadiens luttent pour conserver une identité culturelle et politique distincte dans un environnement où la mondialisation gagne de plus en plus de terrain, nos médias doivent à la fois encourager le débat national définissant nos valeurs et présenter ces valeurs aux Canadiens.
Nos médias commerciaux ont souvent du mal à résister à la tentation des bénéfices alléchants qu'ils peuvent réaliser en diffusant du contenu américain accompagné de publicité canadienne. Par contre, nos radiodiffuseurs publics accordent la priorité au contenu canadien.
On a exprimé beaucoup d'inquiétudes au sujet de la rareté des dramatiques canadiennes. Il y a quelques semaines, vous avez abordé la question avec Charles Dalfen, du CRTC.
L'organisation Nos ondes publiques croit que la préservation de l'identité culturelle indépendante de notre pays dépend dans une large mesure de notre capacité d'offrir aux Canadiens la possibilité de voir notre pays et notre culture au petit écran.
Depuis des années, le gouvernement et le CRTC remanient divers règlements et programmes de subventions en essayant de trouver la bonne façon de stimuler la production de dramatiques. Malgré tout, la situation se détériore d'année en année. Selon nous, c'est parce que la mesure incitative idéale n'existe pas.
Compte tenu de la vive concurrence que livrent les émissions américaines à gros budget, les Canadiens ne regarderont pas une émission dramatique qui est mal produite. De plus, le marché canadien est trop petit pour assurer le recouvrement des coûts liés à ce genre d'émissions.
Ces dernières années, Alliance Atlantis, qui est la maison de production indépendante la plus importante au Canada, a réduit de façon draconienne le nombre d'heures d'émissions dramatiques canadiennes qu'elle produit parce que ces émissions ne sont pas suffisamment rentables. Parallèlement, elle récolte d'énormes recettes de la production, pour le compte de CBS, de la très populaire série dramatique américaine CSI et de la série dérivée CSI Miami. Ces émissions sont diffusées dans les foyers canadiens par CTV, qui y intègre de la publicité canadienne.
Comme personne ne peut réaliser des bénéfices en produisant des émissions dramatiques canadiennes de qualité, les radiodiffuseurs commerciaux ne sont pas intéressés par ce genre d'émissions. Ils présentent le moins d'émissions dramatiques possible, même celles qui sont financées dans une large mesure par des fonds publics. Parce que ses ressources sont restreintes, la SRC a presque abandonné les séries dramatiques, préférant diffuser quelques émissions coûteuses dont la promotion est facile à faire, par exemple la série en deux épisodes consacrée à Trudeau, qui vient d'être présentée de nouveau la semaine dernière.
Nous croyons que la seule façon acceptable d'accroître la quantité et la qualité des émissions canadiennes consiste à financer ces émissions en mettant des ressources suffisantes à la disposition de notre radiodiffuseur public national. Ce n'est pas une solution bon marché, mais, en fin de compte, nous devons nous demander quelle valeur nous attachons à notre pays et ce que nous sommes prêts à dépenser pour préserver notre conception du Canada, cette identité culturelle qui nous définit.
Pour s'acquitter correctement de son mandat de radiodiffuseur public, la SRC n'a pas besoin seulement d'argent. Il lui faut également de nouvelles licences de radiodiffusion qui lui donneront une voix plus forte et lui permettront d'atteindre un plus grand nombre de Canadiens par divers moyens.
La SRC devrait-elle diffuser les informations nationales à 11 heures ou l'émission devrait-elle disparaître à cause des éliminatoires au hockey? Pourquoi le radiodiffuseur national ou les Canadiens devraient-ils être tenus de faire ce choix?
Si la SRC avait plusieurs chaînes, elle pourrait diffuser le hockey sur l'une d'elles, les informations à l'heure ordinaire sur une autre et une émission dramatique sur une troisième.
Ces dernières années, compte tenu de l'ajout de nombreuses chaînes spécialisées et numériques, l'ensemble du système de radiodiffusion est devenu très déséquilibré en faveur du secteur privé. Nous devons retrouver l'équilibre en ajoutant des services publics. Si la SRC produit plus d'émissions de service public, il lui faut les moyens de présenter ces émissions. En Grande-Bretagne, par exemple, la BBC exploite désormais huit chaînes de télévision.
La SRC doit également devenir plus forte et indépendante. Elle doit être financée de manière à lui éviter d'aller quémander au gouvernement chaque année et à lui permettre d'avoir une planification à long terme.
Elle doit également être perçue comme vraiment indépendante grâce à une modification de sa gestion de façon à mettre en place un processus public et ouvert pour choisir son conseil d'administration et son président. Le président de la SRC devrait être choisi par le conseil d'administration et rendre des comptes au conseil plutôt qu'au premier ministre.
Nous voudrions attirer votre attention sur une étude réalisée il y a quelques années pour la BBC par McKinsey & Company. Elle portait sur le rôle de la plupart des grands radiodiffuseurs publics dans 20 pays répartis sur quatre continents. Selon McKinsey, l'analyse fait clairement ressortir un lien solide entre la santé et le financement du radiodiffuseur public et la qualité générale du marché de la radiodiffusion. Un radiodiffuseur public solide comme la BBC, qui produit des émissions ayant un caractère bien distinct, crée ce que McKinsey appelle un cercle vertueux avec ses concurrents du secteur privé. Parce que la BBC produit de meilleures émissions, les radiodiffuseurs privés sont forcés de faire la même chose. Notre organisation, Nos ondes publiques, croit qu'un radiodiffuseur national solide, indépendant et correctement financé est essentiel pour que les Canadiens aient accès à des médias de qualité et intègres.
La présidente: Merci. Avant que nous ne passions aux questions, je me demande si vous n'auriez pas un exemplaire de cette étude de McKinsey & Company que vous pourriez nous donner?
M. Lewis: J'en ai un en réserve, et je vais vous le donner avec plaisir.
La présidente: Merci également de ce que vous avez dit des banques de données sur Internet. Dans le cas de CanWest, en particulier, je trouverai intéressant de connaître sa version des faits, lorsque ses représentants comparaîtront. Nous savons tous que les banques de données d'Internet peuvent présenter des bizarreries, comme vous l'avez dit.
Le sénateur Graham: Nous avons déjà rencontré certains d'entre vous ici, soit comme témoins, soit dans l'auditoire, aux audiences de notre comité.
Madame Petzold, M. Lewis a dit que vous faisiez un compte rendu documentaire des travaux à la Bibliothèque du Parlement. Pourriez-vous préciser?
Mme Sheila Petzold, présidente du Comité de coordination, Nos ondes publiques: Je documente les travaux de restauration, de conservation et de modernisation.
Le sénateur Graham: Monsieur Lewis, quelle est la principale différence entre votre organisation et Friends of Canadian Broadcasting? Pourquoi a-t-on besoin de deux organisations semblables?
M. Lewis: La différence principale est que nous sommes des défenseurs de la radiodiffusion publique alors que les Friends of Canadian Broadcasting ne le sont pas. Je ne le dis pas pour les dénigrer. Le mandat qu'ils se sont donné est de promouvoir le contenu canadien dans le système audiovisuel. Le radiodiffuseur public est un fournisseur, mais on peut avoir un contenu canadien sans avoir de radiodiffuseur public.
Selon nous, il est essentiel d'avoir un radiodiffuseur public dans le système, et nous estimons que, pour ce qui est du contenu canadien, les radiodiffuseurs privés ne seront jamais une solution, parce que le profit est leur objectif. Je crois que l'organisation Friends of Canadian Broadcasting fait un travail admirable en surveillant les radiodiffuseurs privés. Elle intervient beaucoup auprès du CRTC, etc., elle exige l'honnêteté dans le secteur de la radiodiffusion privée, et heureusement qu'elle le fait.
Quant à nous, nous nous intéressons à la promotion de la radiodiffusion publique. Nous estimons qu'une des raisons pour lesquelles la SRC a tellement souffert ces dernières années, c'est que personne n'était là pour bâtir une clientèle acquise à l'idée de la radiodiffusion publique. C'est notre mandat.
Le sénateur Graham: Quels sont vos moyens de subsistance? Y a-t-il des cotisations annuelles de membres? Où allez- vous chercher la majeure partie de vos fonds pour vous acquitter de vos responsabilités?
M. Lewis: Notre organisation est très jeune. Elle a vu le jour à l'issue d'une conférence sur les services publics de radiodiffusion qui a eu lieu il y a plusieurs années au Château Laurier. La Guilde canadienne des médias, qui est l'un des syndicats de la SRC, et l'Université Carleton ont commandité la conférence. Tous les protagonistes de l'industrie étaient présents, et nous estimons qu'elle fut un succès.
À cette conférence, on a eu l'impression qu'il fallait un organisme chargé de défendre les services publics de radiodiffusion. C'est ainsi que notre organisation a vu le jour. Depuis, nous avons consacré beaucoup de temps à essayer de monter cette organisation.
Nous ne sommes une organisation publique que depuis cette année. Nous survivons toujours grâce aux capitaux de démarrage que nous a fournis la Guilde canadienne des médias. La Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants et un certain nombre d'autres syndicats d'enseignants et de la fonction publique nous ont également procuré des ressources. Nous ne voulons pas être à la solde des syndicats. Nous nous efforçons donc d'établir l'organisation, et nous entendons recueillir à l'avenir de l'argent auprès de la population. Nous n'en sommes pas encore là, mais presque.
Le sénateur Graham: Pensez-vous que, pour que la SRC puisse se passer de publicité, elle doit être intégralement financée par le contribuable canadien? Le gouvernement accorde à la CBC 1 milliard de dollars par année. Est-il juste que c'était auparavant 1,2 milliard?
Pour réaliser vos rêves et répondre à vos attentes, combien en coûterait-il aux contribuables canadiens?
M. Lewis: Permettez-moi de répondre à votre première question d'abord.
On peut faire de la radiodiffusion avec 1 million de dollars, 1 milliard ou 100 milliards. En fin de compte, on fait avec ce qu'on a. La BBC a un budget annuel de l'ordre de 8 milliards de dollars canadiens. Dans nos rêves, nous souhaiterions certainement que la SRC reçoive autant, mais je ne crois pas que cela arrivera de mon vivant.
La BBC diffuse dans une seule langue plutôt que deux, et sur territoire qui tiendrait dans un petit coin du nord de l'Ontario, et non sur un territoire national qui est le deuxième au monde par ordre de grandeur. Le coût de la diffusion est un facteur important, si on pense par exemple au nombre de transmetteurs que la SRC doit entretenir.
Vous pouvez prendre n'importe quel chiffre. Après avoir témoigné ici même, Mark Starowicz a avancé le chiffre de 2 milliards de dollars. Il est vrai qu'un autre milliard serait un bon début. Aussi bien en chiffres absolus que comme contribution par habitant, nous sommes l'un des pays les plus pingres du monde lorsqu'il s'agit de financer le radiodiffuseur public. Les Pays-Bas donnent plus d'argent à leur radiodiffuseur public. La BBC a un budget environ huit fois plus élevé que celui de la CBC. Le radiodiffuseur public d'Allemagne a droit à un budget encore plus généreux que celui de la BBC. La plupart des radiodiffuseurs européens roulent sur l'or, si on les compare à la SRC.
Le sénateur Graham: Voudriez-vous que la SRC puisse se passer de toute publicité?
M. Lewis: Comme nous le disons dans notre programme, nous voudrions que la CBC ne dépendent pas des revenus de publicité. Il y a certains types d'émissions, comme le hockey, où la publicité est une question bénigne. Il y a peut-être des gens, bien que je n'en connaisse pas, qui seraient indignés de voir des publicités pendant les arrêts de jeu ou lorsqu'un joueur blessé est étendu sur le terrain pendant une partie de football. Qu'y a-t-il de mal à avoir de la publicité dans ces circonstances?
Le sénateur Graham: C'est ce qui rapporte le plus d'argent, à SRC, n'est-ce pas?
M. Lewis: Je ne suis pas sûr que les sports rapportent beaucoup. Ces émissions se financent, et c'est là un facteur important pour la SRC.
Le sénateur Graham: Ne rapportent-ils pas assez pour soutenir d'autres activités de la SRC?
M. Lewis: Il vaudrait mieux poser la question au président de la SRC. Je ne peux pas consulter sa comptabilité.
Chose certaine, on peut penser que les choses se passent ainsi. J'ai entendu des gens de la SRC dire que les bénéfices réalisés au moyen du hockey et d'autres sports professionnels aidaient à financer la couverture des sports amateurs à la SRC.
Nous voudrions que la SRC ne soit pas dépendante des revenus de la publicité, de façon qu'elle puisse produire les émissions qui sont le plus susceptibles, selon elle, de l'aider à s'acquitter de son mandat de service public, au lieu d'être obligée de diffuser, comme elle le fait maintenant, des superproductions américaines aux heures de grande écoute parce qu'elle a besoin des recettes. Cette façon de faire et d'autres tactiques de la SRC la détournent de son mandat de service public.
Le sénateur Graham: Vous avez parlé du Comité permanent du patrimoine canadien et de la publication de son dernier rapport. Vous avez dit: «La couverture médiatique de la publication du rapport a été généralement brève et sans intérêt.»
Est-ce la faute des journaux ou est-ce en partie la faute de ceux qui ont orchestré la publication du rapport?
Vous avez dit que Clifford Lincoln, président de ce comité, s'était rendu à Toronto pour attirer l'attention sur le rapport, mais qu'il n'a pas réussi à le faire.
Quel genre de couverture la SRC elle-même a-t-elle faite de la publication de ce rapport?
M. Lewis: Où est la faute? Le comité a fait tout ce qu'on peut raisonnablement faire pour attirer l'attention sur le rapport. Le président a tenu une conférence de presse; des exemplaires du rapport ont été distribués, de même que des résumés. Il y a eu des séances d'information avant la publication pour ceux qui en avaient besoin.
J'ai assisté avec plusieurs collègues à une séance à huis clos avant la publication pour pouvoir en prendre connaissance. Je crois que le comité a fait tout ce qui était raisonnable dans les circonstances.
Il ne serait pas faux de dire que j'ai été estomaqué par ce que j'ai vu dans les journaux le lendemain. J'invite vos agents de recherche à étudier sérieusement la situation. Consultez les coupures de journaux. Elles se réduisent à fort peu de chose.
Le rapport présentait 90 recommandations. Des chapitres entiers n'ont même pas été mentionnés, ce à quoi on peut s'attendre, mais la couverture a été minime.
Quant à la SRC, il s'agit d'une question délicate. Notre organisation n'a pas pris de position officielle. Selon moi, la SRC répugne à paraître promouvoir son intérêt propre. Par conséquent, si tout le monde fait grand cas d'une information et diffuse des reportages, la SRC en fera autant, mais lorsque les autres ne font pas une couverture importante, elle tend à se fondre dans la foule et à réduire la couverture. Chose certaine, la SRC n'a pas beaucoup mis en évidence ce rapport. Selon moi, elle aurait dû le faire, mais elle ne veut pas avoir l'air de servir ses propres intérêts.
Le sénateur Graham: Certains soutiennent que la SRC devrait se concentrer sur les actualités, les sports et les émissions d'information comme celles que notre collègue, le sénateur LaPierre, faisait il y a une centaine d'années, comme il aime à le dire.
Que penseriez-vous de modifier le mandat de la SRC pour qu'elle diffuse sans annonces publicitaires les nouvelles et d'autres émissions d'information?
M. Lewis: Je serais renversé. Comme je l'ai déjà dit, je ne veux pas insister outre mesure, mais nous n'aurons pas d'émissions dramatiques canadiennes si le radiodiffuseur public ne nous en donne pas.
Le sénateur Graham: Nous passerons aussi à côté des talents canadiens.
M. Lewis: Effectivement. Il s'agit de traduire la vision canadienne des choses. Nous voulons que nos enfants grandissent avec une certaine identité nationale. Nous voulons que les Canadiens connaissent leur pays.
C'est un problème qui existe dans d'autres pays aussi, mais il est pire chez nous parce que nous importons toute la production du système américain de radiodiffusion.
À la conférence du Château Laurier, nous avions un invité de la radiodiffusion allemande qui a signalé que les Allemands devaient produire une série d'émissions sur le système de justice allemand. Ils ont dû le faire parce que les Allemands qui regardent les émissions américaines pensaient que le système de justice américain était semblable au leur.
Permettez-moi de donner un exemple simple. Nous entendons souvent des Canadiens dire que quelqu'un va porter des accusations contre quelqu'un d'autre. Ce n'est pas ainsi que les choses se passent chez nous. Au Canada, c'est la police qui porte les accusations.
Dans le système américain, que je ne connais pas à fond du reste, il semble que l'individu ait quelque chose à dire lorsqu'il s'agit de porter ou non des accusations. Les Canadiens ont repris cette façon de s'exprimer et de penser. Si vous interrogiez un Canadien moyen, vous constateriez qu'il pense que notre système marche de cette manière, puisque c'est ce qu'il voit à la télévision tous les soirs.
Mme Petzold: Il serait impardonnable de ne pas faire remarquer que certaines des meilleures émissions pour enfants au Canada ont été conçues et produites par la SRC. Je me demande si des entreprises commerciales auraient pu atteindre la même qualité de production.
Le sénateur Graham: Excellente observation.
Mme Petzold: La série «Le Canada, une histoire populaire» de la SRC est une entreprise énorme et j'ose dire qu'aucun diffuseur commercial ne serait lancé là-dedans.
Le sénateur Gustafson: Il semble que votre exposé repose sur l'opposition entre la radiodiffusion privée et la radiodiffusion publique. Quel est le nombre de téléspectateurs qui regardent les nouvelles de CTV par opposition à celles de la CBC?
M. Lewis: Tout d'abord, sénateur, je ne suis pas d'accord sur votre entrée en matière. Selon moi, la question ne se résume pas à une opposition entre le public et le privé. Nous voudrions que le système se compose des deux. Selon nous, la partie publique du système s'est contractée au cours des dernières années. Il ne s'agit pas d'opposer un secteur à l'autre. Nous avons besoin des deux pour offrir un service acceptable aux Canadiens. Le problème, c'est que nous ne finançons pas suffisamment le radiodiffuseur public. Bien entendu, les radiodiffuseurs privés se financent grâce aux revenus de la publicité.
Pour ce qui est des chiffres, il faudrait adresser la question à la SRC. Le président de la Société comparaîtra dans une dizaine de jours. Je n'ai pas les chiffres les plus récents, mais je ne suis pas sûr qu'ils soient si importants.
Je voudrais revenir à la notion de «cercle vertueux» de McKinsey & Company. Si le radiodiffuseur public ne fait pas un travail de qualité, le radiodiffuseur privé est moins porté à le faire. La SRC a une influence importante sur le marché et, selon moi, force CTV, Global et d'autres radiodiffuseurs à faire un travail convenable.
Le sénateur Gustafson: Le problème se résume donc à une question de gros sous. Le contexte international est également un défi. Quel pourcentage des gens regardent CNN? Vous avez des chiffres à ce sujet?
M. Lewis: Les chiffres montent et descendent, comme ce fut le cas pendant la guerre du Golfe, par exemple. On a largement fait état du fait que CNN a attiré un auditoire énorme pendant cette guerre. Cela ne m'étonne pas et ne me dérange pas. On peut s'attendre à ce que CNN ait un auditoire plus important pour ce type de couverture. Il s'agissait d'une guerre américaine, essentiellement, et CNN est la chaîne qui avait sans doute les ressources les plus importantes sur le terrain. Par ailleurs, nous sommes d'avis que la SRC a fait un travail magnifique dans la couverture de cette guerre.
Le sénateur Graham: Je suis d'accord avec vous.
M. Lewis: En fait, c'était bien meilleur que ce qu'ont fait les réseaux privés, comme CTV et Global, pour ce qui est des ressources que la SRC a affectées sur le terrain en Afghanistan il y a plusieurs années et, plus récemment, en Irak. La couverture a été vraiment impressionnante. En quantité et en qualité, elle a été inégalée au Canada.
À l'heure actuelle, la couverture assurée par la SRC en Irak est loin d'être satisfaisante, et cela tient au fait que ses ressources sont limitées. La SRC a beaucoup dépensé pour couvrir la première partie de l'intervention en Irak, et elle doit maintenant compenser. Comme vous le savez probablement, le gouvernement vient de lui reprendre encore 10 millions de dollars. Les budgets sont donc très serrés. Nous avons maintenant un correspondant en Irak, Don Murray. Une seule personne ne saurait couvrir l'ensemble de ce pays, mais voilà à quoi en est réduit un radiodiffuseur public qu'on affame.
Le sénateur Gustafson: Il me semble que, dès que le gouvernement se mêle du financement, certains perdent toute incitation à bien faire les choses. Voici un exemple. SaskPower a installé une lampe tout près de ma porte pour une cérémonie d'accueil dans la petite localité de Macoun. SaskPower a envoyé quatre camions et deux autres avec des grues pour faire le travail. Si une entreprise privée avait été chargée de ce travail, un type serait venu avec une échelle, un camion et une pelle, et il aurait installé cette lampe en moins de temps qu'il ne faut pour le dire.
Ils ont été là deux heures. Ma femme m'a dit: «Regarde ça. Voilà pourquoi nous payons l'électricité si cher.»
Si je veux écouter la CBC à la chaîne 200, j'ai le choix entrer quatre stations de transmission, et c'est toujours la CBC. Pourquoi y en a-t-il autant?
La présidente: C'est une question qu'il faudrait poser à la SRC. C'est à elle qu'il revient d'expliquer comment fonctionnent les réseaux de transmetteurs.
Le sénateur Gustafson: Le témoin défend avec fermeté la SRC et la radiodiffusion publique. Je pose donc la question. Il appartient aux témoins de dire s'il s'agit d'une question acceptable ou non.
La présidente: Si les témoins veulent essayer de répondre, ils peuvent le faire.
M. Lewis: Tout d'abord, je ne suis pas ici pour me faire le défenseur de SaskPower. Je ne vais donc pas répondre à cette partie de la question.
Le sénateur LaPierre: C'est une bonne société.
M. Lewis: En ce qui concerne la politique sur les transmetteurs, la présidence a parfaitement raison de dire que c'est une bonne question à poser à la SRC, mais vous ne pouvez certainement pas reprocher à la SRC, comme radiodiffuseur public, d'essayer de rejoindre tous les habitants de la Saskatchewan. Par les temps qui courent, la SRC est à court d'argent. Si elle a une série de transmetteurs, c'est pour rejoindre différents segments de la collectivité. Vous devriez vous compter chanceux de pouvoir en capter autant.
Le sénateur Gustafson: La radio de la CBC en Saskatchewan est excellente. Je ne déplore qu'une chose. Si je veux des données sur le marché le matin...
La présidente: Les marchés boursiers ou les marchés de l'agriculture?
Le sénateur Gustafson: Les marchés du bœuf, du grain, etc. Si je veux de l'information là-dessus, je dois écouter, Williston, dans le Dakota du Nord.
Nous sommes une région agricole. La SRC devrait avoir les données sur les marchés tous les matins à 6 heures.
M. Lewis: Je ne peux répondre, sénateur. Il faudra demander au président de la SRC.
Le sénateur Gustafson: On m'accuse de toujours en revenir à l'agriculture, peu importe de quoi nous parlons. Je ne m'en excuse pas.
La présidente: Sénateur Gustafson, nous aurons un groupe impressionnant de témoins de la SRC dans plusieurs semaines, et j'espère que vous poserez alors vos questions.
Le sénateur Corbin: Je compatis avec le sénateur Gustafson qui doit écouter un poste américain pour avoir des informations sur les marchés agricoles. Au Nouveau-Brunswick, nous devons aller chercher nos informations concernant la brunissure de la pomme de terre sur un poste de radio de Caribou, au Maine. Radio-Canada ne s'occupe pas de ces questions, pas plus que les stations locales privées.
En radiodiffusion, comme dans tous les autres médias qui souhaitent réaliser des bénéfices, l'information représente de l'argent. Tout est donc fonction du gain et du profit. Par conséquent, nous n'avons que peu d'informations objectives.
J'ai travaillé pour Radio-Canada ainsi que pour un certain nombre de journaux. Je peux sentir l'argent que représentent les nouvelles qui sont diffusées et celles qui ne le sont pas. Voilà d'ailleurs où sont commis les plus graves péchés sur le plan de la disponibilité d'informations de qualité au Canada.
La Société Radio-Canada est importante parce que le facteur argent n'influe pas sur la couverture médiatique. À mon avis, Radio-Canada est sans contredit le joyau du journalisme canadien. Certains autres médias sont également excellents, mais pas dans la même mesure.
Je voudrais revenir à vos observations concernant le National Post. J'ai l'impression que ce journal détient un monopole des informations concernant le conflit israélo-palestinien. Il traite les Canadiens comme des enfants incapables de comprendre des situations régionales, locales ou internationales. De plus, il mélange deux questions distinctes. Il y a des Canadiens de toutes les origines et de toutes les religions qui ont un certain point de vue sur la politique de l'État d'Israël et d'autres qui s'opposent à cette politique. Cela ne veut pas dire cependant que ces derniers sont antisémites.
Les propriétaires du National Post ont fait une erreur grossière en adoptant une position aussi antidémocratique.
La présidente: Sénateur Corbin, je ne crois pas que ces témoins soient habilités à discuter de la politique éditoriale du National Post. Nous aurons des témoins représentant CanWest Global.
Si vous voulez poser aux témoins des questions concernant les radiodiffuseurs publics, ce qui — je suppose — s'inscrit dans leur mandat, veuillez le faire. Ne croyez-vous pas qu'il est un peu injuste de leurs poser des questions au sujet du National Post?
Le sénateur Corbin: Je ne fais que formuler des observations sur des commentaires qui figurent dans leur mémoire.
Le sénateur Graham: Ils ont mérité cette observation.
Le sénateur Corbin: Les trois premières pages de leur mémoire traitent du National Post.
M. Lewis: Je n'y vois absolument aucun inconvénient. Le sénateur ne nous a pas encore posé une question.
Le sénateur Corbin: Dans ce débat sur le Moyen-Orient, je ne suis ni pour ni contre. J'essaie sincèrement d'avoir un point de vue objectif sur les choses. Je suis insulté quand un groupe de presse nous empêche d'avoir un débat démocratique animé et ouvert sur l'actualité.
Je ne sais pas comment le gouvernement du Canada élabore sa politique, mais j'essaie de comprendre. J'ai clairement dit au Sénat que le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères devrait étudier la question. Je veux que le sujet fasse l'objet d'un débat objectif.
J'ai trouvé vraiment choquant que des journalistes de carrière soient écartés par ce groupe de presse à cause d'un point de vue étroit sur la façon dont la démocratie fonctionne au Canada. Je trouve cela extrêmement choquant. Les attaques contre Radio-Canada sont de vrais enfantillages.
Je trouve très déplaisant que la grande majorité des Canadiens soit obligée d'accepter une telle situation. Nous ne sommes plus au Moyen Âge. Nous vivons dans une société libre et ouverte. Nous avons le droit d'entendre tous les points de vue. À mon avis, nous ne sommes pas bien servis par ce groupe de presse.
Nous y reviendrons. Je suis partisan de la vérité.
Vous avez parlé d'une meilleure gestion. Vous dites — ce que je trouve surprenant — que le premier ministre est l'arbitre ultime et suprême de la SRC. À mon avis, ce n'est pas du tout vrai. Le Parlement a souvent convoqué les responsables de la SRC à des audiences et des examens.
Le Parlement joue certainement un rôle très important à la SRC. C'est lui qui approuve le budget et supervise la politique de la Société. Il est faux de dire que le premier ministre contrôle tout. Je ne crois pas que ce soit une bonne façon de décrire le fonctionnement réel du système.
Je ne suis pas d'accord avec vous quand vous dites que le conseil d'administration devrait élire ou choisir son président. Si des fonds publics sont en cause, le gouvernement et le Parlement devraient avoir leur mot à dire. C'est plus sain ainsi. Les cliques se forment très facilement, même à l'intérieur de la SRC. Nous le savons bien. J'ai déjà travaillé à la Société.
Je préfère le système que nous avons aujourd'hui avec la responsabilité au sommet, responsabilité envers le premier ministre, envers le Cabinet, envers les parlementaires, plutôt qu'une structure dans laquelle un petit groupe prendrait ses propres décisions.
Le Canada a été bien servi grâce aux choix que les présidents de la SRC ont faits au fil des ans. Quelques-uns ont été très forts, d'autres pas assez. Certains ont défendu Radio-Canada avec passion, d'autres se sont montrés moins belliqueux. Dans l'ensemble, cependant, je crois que nous nous en sommes bien tirés.
La présidente: Les témoins ont peut-être des commentaires à formuler.
M. Lewis: J'en ai certainement.
M. Lewis: Je n'ai pas en main la traduction française. Je ne veux d'ailleurs pas blâmer les traducteurs, mais je crois qu'il y a un malentendu au sujet de ce que nous préconisons. Permettez-moi donc de vous donner quelques éclaircissements.
Tout d'abord, nous recherchons une plus grande responsabilité. Je voudrais séparer la question du conseil d'administration de celle du président. Les membres et le président du conseil d'administration ainsi que le président de la Société sont tous nommés par décret.
Dans l'esprit préconisé par Paul Martin — dont on parle beaucoup ces jours-ci —, nous croyons que les parlementaires devraient, peut-être dans le cadre de la structure des comités, jouer un plus grand rôle dans l'examen et l'approbation de la nomination du président et des membres du conseil d'administration. À l'heure actuelle, il s'agit essentiellement de nominations discrétionnaires faites par décret, c'est-à-dire en pratique par le premier ministre.
Nous sommes partisans d'un processus plus ouvert inspiré du modèle britannique. Le gouvernement procède à la nomination par décret, mais il y a aussi un processus public de nomination. Un comité formé d'éminents citoyens examine les nominations et formule des recommandations. Bien sûr, le gouvernement nomme quand même les personnes qu'il souhaite nommer, mais il le fait d'une manière publique, de sorte que les gens savent qui est nommé et qui a été recommandé par le Comité de citoyens. Par comparaison, nous n'avons que trop souvent aujourd'hui ce que j'ose appeler des nominations partisanes au conseil d'administration d'organisations comme la SRC. Je n'ai pas l'impression que nos recommandations aillent à l'encontre de ce que vous dites, sénateur.
En ce qui concerne le président, je trouve la situation actuelle malsaine. Le président de la SRC est nommé par le premier ministre, par décret. Il n'a donc pas de comptes à rendre à son conseil d'administration. Nous souhaitons que le conseil et son président soient nommés dans le cadre d'un processus plus transparent. Dans toute entreprise du secteur privé, le conseil d'administration choisit son président et le démet de ses fonctions s'il en est insatisfait. À la SRC, le conseil d'administration n'exerce aucun contrôle sur son président. Il peut être insatisfait de sa gestion, mais il n'est pas habilité à le licencier. Nous croyons que le système serait plus fonctionnel si le président était responsable envers son conseil d'administration. Dans une entreprise, le rôle du conseil consiste à diriger les membres de la direction, à élaborer la politique et à en superviser la mise en œuvre par le président et les cadres. Toutefois, il ne peut pas en être ainsi quand le conseil d'administration ne peut ni choisir ni licencier son président.
Le sénateur Corbin: Je ne peux quand même pas accepter votre suggestion. On ne peut pas faire de comparaison directe entre l'entreprise privée et une société d'État telle que la SRC. Nous discutons ici en espérant parvenir à une vision différente de la situation.
Vous semblez établir un lien direct entre l'indépendance et le financement de la SRC. Oui, vous avez raison à un certain point, mais l'indépendance ne peut pas être exclusivement définie en fonction de l'argent. L'indépendance se reflète dans les actualités produites, dans la qualité des émissions, dans une couverture s'étendant à tout le pays et dans un travail qu'on peut juger décent. La SRC a eu maille à partir avec le cabinet du premier ministre ainsi qu'avec le Parlement. Cela ne l'a pas empêchée de faire connaître son point de vue du monde et du Canada, parce qu'elle est indépendante.
Je crois vraiment que la SRC est indépendante. Je ne connais aucun autre média canadien qui soit plus indépendant qu'elle.
M. Lewis: Il y a des réalités et des perceptions. Je suis un ancien journaliste de Radio-Canada.
Le sénateur Corbin: Pensez au nombre de fois où la SRC s'en est prise aux parlementaires. Si elle n'avait pas été indépendante, cela lui aurait été impossible.
M. Lewis: Je suis bien d'accord avec vous. Au niveau professionnel, je crois que les gens de la SRC font un travail remarquable pour maintenir leur indépendance. Du côté journalistique, il y a eu quelques incidents malheureux dans lesquels le gouvernement a peut-être exercé un peu trop d'influence, mais ces incidents remontent pour la plupart à un passé lointain. Du côté journalistique et opérationnel, les membres du personnel font de leur mieux pour maintenir l'indépendance de la Société. Je crois vraiment qu'ils font un excellent travail.
Il y a cependant la question de la perception. Ayant été longtemps journaliste à la CBC, je peux vous dire que, dans la salle des nouvelles, on reçoit souvent des appels de gens pour qui la SRC n'est qu'un organe du gouvernement. Même si la Société fonctionne en toute indépendance, je crois qu'il est dangereux que les gens pensent ainsi. À mon avis, cette impression est renforcée par le fait que le président est nommé par décret. Pour le public, l'indépendance serait plus évidente si le président n'était pas nommé par décret. Nous nous inquiétons donc des perceptions que les gens peuvent avoir.
Le sénateur Corbin: Est-ce que vos critiques et vos observations s'appliquent autant au réseau français qu'au réseau anglais de Radio-Canada, ou bien vous occupez-vous surtout du réseau anglais?
M. Lewis: Il n'y a qu'un seul conseil d'administration et un seul président. Mais cela dépend du domaine dont on parle.
Le sénateur Corbin: Vos observations s'appliquent-elles aux secteurs français et anglais?
M. Lewis: Les deux secteurs se distinguent sur le plan des dramatiques, etc. En ce qui concerne la gouvernance, il s'agit d'une seule société qui a un réseau anglais et un autre français. Je suis sûr que les perceptions sont les mêmes.
Le sénateur Day: Monsieur Lewis, vous avez dit que la SRC devrait avoir plus de canaux. Dans le monde numérique, elle pourrait en avoir un nombre beaucoup plus élevé.
Monsieur Lewis, pouvez-vous me dire pourquoi la SRC n'a pas plus de canaux? Est-ce une question d'argent ou bien est-ce attribuable au CRTC?
M. Lewis: J'attire votre attention sur le rapport du Comité du patrimoine, qui traite de cette question. Traditionnellement, il s'agissait de difficultés avec le CRTC. Le rapport mentionne les nombreuses demandes de canaux supplémentaires présentées par la Société et rejetées par le CRTC. La SRC s'est présentée à maintes reprises devant le CRTC.
Des fonds supplémentaires seraient nécessaires selon la façon dont les canaux supplémentaires seraient conçus. Pour avoir une programmation adéquate, on peut adopter le modèle de Newsworld, qui est financièrement neutre à cause des frais perçus auprès des abonnés du câble. Ce canal a été établi dès le départ pour être financièrement autonome et pour éviter de puiser dans les fonds du réseau. Il y a de nombreux autres domaines dans lesquels la programmation est plus coûteuse et un financement total plus difficile.
Nous aimerions voir augmenter à la fois le nombre de canaux et le financement pour qu'il soit possible à la SRC de produire suffisamment d'émissions de bonne qualité.
La question des actualités est irritante quand elle se pose tous les printemps au public canadien car la SRC semble en tout état de cause abandonner les actualités nationales. Je dois avouer que j'écoute souvent les actualités de CTV parce que je n'arrive pas à trouver les informations sur CBC à moins d'avoir écouté la partie de hockey ce soir-là. À moins d'avoir suivi la partie, on ne sait pas quand commenceront les informations. Si j'écoute la CBC à 23 heures, je peux soit tomber au milieu du bulletin soit le manquer complètement.
Il n'y a aucune raison que Radio-Canada se trouve dans cette situation. Il n'y a aucune raison que la Société ne dispose pas d'un canal pour le sport, d'un autre pour les informations nationales et d'un troisième pour les dramatiques à l'intention de ceux qui ne s'intéressent ni au hockey ni aux informations.
Nous pourrions avoir six autres choix si le nombre de canaux et le financement le permettaient. Encore une fois, je vous signale le modèle de la BBC qui offre une multiplicité de canaux et de choix. Cela a un effet salutaire sur tout le marché, pour ce qui est de la qualité et de la variété des émissions produites par la BBC ainsi que de l'influence qu'elle a sur la production des canaux privés.
Le sénateur Graham: Au sujet de cette question des sports, Newsworld diffuse à 21 heures les mêmes informations que le canal principal de la CBC à 22 heures. S'il y a du hockey, il suffit de passer à Newsworld et d'écouter Peter Mansbridge à 21 heures plutôt qu'à 22 heures. Ce sont les mêmes informations.
Le sénateur Day: Prenons l'exemple des récentes élections. J'essayais de suivre les élections du Nouveau-Brunswick. La CBC a décidé de diffuser les résultats pendant une certaine période, puis de passer à autre chose ensuite. Il y a des difficultés quand il faut diffuser différentes émissions sur le même canal.
La CBC a peut-être pensé que le reste du Canada se fatiguerait des élections du Nouveau-Brunswick après 22 heures, alors que les résultats n'étaient pas encore clairs. J'ai dû utiliser le téléphone pour savoir ce qui se passait. S'il y avait eu un canal spécialisé pour ce genre de choses ou un autre canal d'informations, le problème ne se serait pas posé.
Cela réglerait votre problème ainsi que les problèmes de tout le monde parce que la nouvelle technologie nous donne accès à un très grand nombre de canaux.
M. Lewis: Je suis bien d'accord avec vous. Il est malheureux qu'un radiodiffuseur public soit obligé de faire ce genre de choix. Dans quelle mesure sert-il les gens du Nouveau-Brunswick lorsqu'il coupe le reste du pays en supposant que les autres ne s'intéressent pas aux résultats de ces élections particulières?
Le sénateur Day: Je trouve difficile de croire que les autres ne s'intéressent pas aux résultats des élections.
M. Lewis: Il y a des gens qui ne sont pas abonnés au câble. Ils ont une antenne intérieure ou une grande antenne sur le toit. Le radiodiffuseur public a l'obligation de servir aussi bien ces gens que les abonnés du câble. C'est un facteur dont il faut tenir compte quand on dit que certaines choses passent sur Newsworld. Newsworld n'est accessible que sur le câble et ne touche donc pas la totalité des Canadiens. Ce canal n'est accessible qu'aux Canadiens qui ont les moyens, et pas aux nombreux autres qui ne peuvent pas se payer la câblodistribution.
Le sénateur Day: Certains croient qu'un radiodiffuseur public devrait se limiter aux informations et laisser le reste aux radiodiffuseurs privés. La CBC semble avoir une orientation commerciale pour ce qui est des sports.
Un radiodiffuseur public a-t-il un rôle à jouer dans les sports, quelque part entre la radiodiffusion communautaire, qui permet de diffuser des parties de soccer ou de basket-ball des écoles secondaires, et la diffusion des parties professionnelles?
Y a-t-il un rôle intermédiaire pour un radiodiffuseur public qui sert l'intérêt public, sans égard au nombre de téléspectateurs? Qui devrait définir le mandat de service public? Comment le déterminer? Est-ce que les politiciens devraient en être chargés, ou bien faudrait-il laisser cela au conseil d'administration? Si le radiodiffuseur public n'a pas d'objectif commercial, comment savoir si les buts poursuivis sont atteints? Si nous n'examinons pas sa situation d'un point de vue commercial, il est un peu injuste de mesurer les résultats et le succès au nombre des téléspectateurs.
M. Lewis: Tout d'abord, sénateur, nous n'essayons pas de contrôler la programmation de la SRC, qui relève en définitive du conseil d'administration.
Pour revenir au point soulevé tout à l'heure par le sénateur Corbin, le conseil d'administration de la SRC devrait rendre des comptes au Parlement. De leur côté, les parlementaires devraient exercer énergiquement leur droit de faire comparaître le président de la SRC chaque année. En fait, vous devriez le faire venir tous les six mois, si vous le souhaitez, pour vérifier si la SRC s'acquitte bien de son mandat de service public. Vous pourrez alors lui poser des questions sur les sports, etc.
Avec un nombre limité de canaux, la SRC est constamment forcée de faire des choix. Elle fait donc de son mieux en sport amateur et dans d'autres domaines. Toutefois, pour en revenir aux élections du Nouveau-Brunswick, la Société doit constamment faire des choix qu'elle ne serait pas obligée de faire si elle disposait de plus de canaux.
Dans les dernières semaines, plusieurs parties de soccer féminin n'ont pas été diffusées à cause d'un changement d'horaire. Les responsables devaient décider de ce qu'il convenait de remplacer aux heures en cause. Ils devaient déterminer ce qui était le plus important.
La SRC ne devrait pas avoir à prendre ce genre de décision. Il faudrait lui donner les ressources et les canaux nécessaires pour qu'elle puisse offrir un meilleur service public à un plus grand auditoire, que le client soit à la recherche de sport amateur, de résultats d'élections au Nouveau-Brunswick ou d'émissions locales de la Saskatchewan. La SRC ne peut faire que son possible avec les ressources dont elle dispose.
Le sénateur Day: Supposons que la SRC ait les ressources nécessaires. Comment pouvons-nous veiller à ce que les résultats correspondent au mandat? Est-ce que le fait de convoquer le président de la Société au Parlement tous les six mois suffirait pour régler le problème? Est-ce que cela permettrait aux parlementaires de s'assurer de la conformité des résultats?
M. Lewis: Je ne sais pas quel genre de réactions les sénateurs reçoivent. Il n'y a pas de doute que les parlementaires reçoivent beaucoup de renseignements de la population qu'ils représentent. Je suppose que les sénateurs ont des contacts suivis avec leurs collectivités et se tiennent au courant de ce que les gens veulent. C'est sur cette base que vous pouvez juger les résultats de la SRC et en discuter avec la direction de la Société.
Le sénateur Day: Beaucoup de gens seraient très inquiets si les parlementaires jouaient auprès de la direction de la SRC le rôle que vous préconisez. Cela tendrait à compromettre l'indépendance de la Société.
M. Lewis: Je ne crois pas que vous ayez à influencer la SRC sur sa façon de présenter les informations. J'estime cependant que, s'ils fournissent des ressources adéquates, les parlementaires ont le droit de demander au président de la Société de comparaître devant eux pour parler de son mandat, de sa couverture et de son service au public. C'est un rôle parfaitement légitime qui ne nuit en rien à l'indépendance de la SRC. La Société doit être responsable de ce qu'elle fait. Par contre, il serait dangereux de discuter du détail des informations et de la question de savoir si la SRC doit consacrer six heures à un sport et neuf heures à un autre. D'une façon générale, le président de la SRC devrait rendre compte de ce qu'il fait au public canadien, à votre comité et à la Chambre des communes.
Le sénateur Day: Que pensez-vous de la question des journalistes intégrés à des endroits comme l'Afghanistan ou l'Irak, par rapport aux journalistes non intégrés?
M. Lewis: Comme vous le savez probablement, la SRC n'avait pas de journalistes intégrés pour des raisons de politique. Je ne crois pas qu'on puisse vous reprocher de demander au président pourquoi la Société a pris cette décision.
Le sénateur Day: Croyez-vous que les parlementaires peuvent dire à la direction de la SRC de faire ou de ne pas faire telle ou telle chose?
M. Lewis: Non, parce que vous seriez alors sur un terrain glissant. La SRC est un radiodiffuseur public, non un radiodiffuseur d'État. Le président et la direction de la SRC doivent concevoir la programmation d'après leur propre perception des besoins de services du public canadien. Il y a une ligne à ne pas franchir, même si elle peut être difficile à définir. D'une façon générale, il n'y a rien de mal, de votre part, à demander des renseignements ou à dire qu'à votre avis, Radio-Canada devrait diffuser plus d'informations ou de sport amateur, à condition de ne pas essayer de dicter le ton que la Société doit adopter ou d'intervenir dans les détails de sa gestion.
Le sénateur LaPierre: La Société Radio-Canada est une société d'État qui appartient aux Canadiens et a été créée par une loi du Parlement, avec tous les droits, obligations et responsabilités qui sont définis. C'est un organisme indépendant, qui doit garder son indépendance en vertu de la loi. Il est donc important de rester très clair à ce sujet.
Il est également important de se souvenir que la nomination du président du conseil d'administration reste essentiellement un acte de favoritisme. Il serait aberrant de vouloir rabaisser le système canadien au niveau du système américain. Ce serait de la sottise et de la stupidité. Un vaste processus de consultation est entrepris auprès de nombreux Canadiens avant que le président de la SRC ne soit nommé. La dernière fois, il a fallu du temps pour nommer M. Rabinovitch. Le premier ministre n'a pas simplement décidé un beau matin que ce serait M. Rabinovitch. Non. Tout un processus s'est déroulé avant la nomination. Je ne voudrais pas qu'on dénigre ce processus.
J'ai été président du conseil d'administration d'une autre société d'État, Téléfilm Canada. Je sais quel pouvoir a le conseil d'administration, même si nous ne nommions pas le directeur général. Ce pouvoir est permanent parce qu'il est prévu dans la loi. À titre de président du conseil, je pouvais prendre le téléphone pour appeler à n'importe quel moment la ministre du Patrimoine canadien et lui dire que le conseil d'administration croyait que le directeur général était incapable de s'acquitter de ses fonctions.
De plus, le président de la SRC fait chaque année l'objet d'une évaluation du conseil d'administration, évaluation qui détermine le montant de son boni. Je tiens à ce que ces renseignements soient bien compris de tous parce que je ne veux pas qu'on dénigre le système. Je n'ai aucune objection au sujet de ce que vous avez dit, monsieur Lewis, sauf sur ce point.
Quand j'avais votre âge, je pensais qu'il serait bon de fractionner la SRC.
Plus tard, j'en suis arrivé à la conclusion que je préférais un seul organisme qui me représente entièrement, comme personne. Je voulais...
[Français]
Je veux réunir tous les éléments possibles de ma personnalité, de l'ensemble des réalités canadiennes dans une seule institution.
[Traduction]
J'ai donc cessé de penser sérieusement au fractionnement de Radio-Canada. Je crois que votre suggestion ne représente qu'une solution facile.
Laissez la SRC faire son travail d'institution nationale. Elle n'en sera que plus forte. Est-ce possible?
M. Lewis: Je ne voudrais pas donner l'impression que je vous manque de respect, mais vous savez, j'en suis sûr, que la SRC parle à votre âme francophone avec deux réseaux.
Du côté anglais, nous avons actuellement quelque chose comme trois canaux et demi: le canal principal de la CBC, Newsworld et le canal relativement récent de Country Canada. Malheureusement, il faut être abonné au câble, et il faut aller chercher le canal très, très haut sur le sélecteur. La plupart des gens ne savent même pas qu'il existe. Il y a ensuite le service Internet, qui prend de plus en plus d'importance.
Aujourd'hui, la SRC n'est pas un seul service. D'abord, il y a la radio et la télévision. Je ne cherche pas à banaliser votre point de vue, mais nous sommes bien loin du stade que vous décrivez, où la SRC était un service central.
Le sénateur LaPierre: J'ai l'impression que la télévision est un instrument du passé. Elle est maintenant désuète. Nous devons aujourd'hui nous tourner vers l'instrument de l'avenir, qui est Internet.
Que pensez-vous de cela dans le contexte des devoirs et responsabilités d'un radiodiffuseur public?
Dans moins d'une génération, les gens utiliseront tous Internet. Il n'en restera que très peu qui vont recourir au câble et à tous ces instruments démodés qui remontent au Moyen Âge.
M. Lewis: Vous avez peut-être raison, mais il y a des gens qui s'adaptent plus tôt que d'autres. Je passe beaucoup de temps sur Internet, mais il y a de nombreux Canadiens qui ne le font jamais et une foule d'autres qui n'y font que de brèves visites.
Je peux vous énumérer une dizaine de technologies dont on disait, au moment de leur introduction, qu'elles étaient les meilleures. Vous souvenez-vous des bandes huit pistes et de tous les différents formats de vidéo, de CD et de DVD? Vous souvenez-vous de Télidon, alors considéré comme la technologie de l'avenir? Le gouvernement a investi de l'argent dans Télidon.
Je ne veux pas dénigrer votre point de vue, mais nous ne savons pas jusqu'où ira Internet. Par ailleurs, vous pourriez bien avoir raison.
Mme Petzold: À l'arrivée de la télévision dans les années 50, toutle monde dit que la radio était finie, mais cela ne s'est pas produit. Je pense vraiment que nous pouvons aller chercher nos informations à beaucoup d'endroits et que cela continuera ainsi, les différents modes se complétant les uns les autres. À mesure que notre société et notre démocratie deviennent plus complexes, nous devons intégrer cette complexité dans notre vie publique.
Le sénateur LaPierre: Je ne contesterai pas cela. Mon rôle consiste à poser des questions en espérant que les témoins donneront des éclaircissements. Vous l'avez fait, et je vous en remercie.
Nous dépensons des sommes énormes prélevées sur l'argent des contribuables pour créer du contenu canadien, faire fonctionner la Société Radio-Canada, etc. Cela nous coûte 2,5 milliards de dollars sinon plus.
On nous dit que pas plus de 10 p. 100 des Canadiens écoutent ces émissions. Qu'est-ce qui vous fait dire cela alors que nous consacrons d'énormes montants à la création de dramatiques à l'intention du public canadien?
Lorsque nous n'avions que deux canaux, nous avons créé This Hour Has Seven Days et nous avons réussi à nous en sortir ainsi. J'ai l'impression que les Canadiens ne s'intéressent pas vraiment au contenu canadien. On nous dit que 10 p. 100 seulement d'entre eux regardent les productions canadiennes. Les Canadiens préfèrent les canaux américains. Ils écoutent les émissions américaines diffusées en simultané sur les canaux canadiens et voilà 250 millions de dollars qui vont à l'entreprise privée.
M. Lewis: Je crois qu'il y a un malentendu au sujet de ce chiffre de 10 p. 100. Cela ne veut pas dire que 10 p. 100 seulement des Canadiens écoutent des productions canadiennes. En fait, les Canadiens passent 10 p. 100 des heures qu'ils consacrent à la télé à écouter des dramatiques canadiennes et 90 p. 100 à écouter des dramatiques américaines. Cela ne signifie pas que 10 p.100 seulement des Canadiens regardent des dramatiques canadiennes. Lorsque le marché est inondé de productions américaines et manque d'émissions canadiennes, ces chiffres de 10 et de 90 p. 100 sont pratiquement inévitables.
Le sénateur LaPierre: Dois-je m'en inquiéter?
M. Lewis: Oui, suffisamment pour trouver des ressources supplémentaires pouvant faire monter ces pourcentages. Si je pouvais m'asseoir dans mon salon le soir pour écouter L'Édifice de l'Est ou L'Édifice du Centre plutôt que West Wing, les producteurs américains ne feront sûrement pas faillite, mais les producteurs canadiens s'en porteront peut- être un peu mieux.
Le sénateur LaPierre: Nous n'avons rien à raconter ici.
M. Lewis: Si j'avais le choix d'écouter Scandale au Sénat au lieu de West Wing, qui est une excellence émission, j'opterais peut-être pour l'émission canadienne.
La présidente: Ma question fait en quelque sorte suite à cela, compte tenu du fait que notre étude est axée sur les actualités, l'information et la politique publique. J'aimerais savoir dans quelle mesure la politique publique est influencée par la course aux cotes d'écoute. De toute évidence, nous ne voulons pas consacrer un milliard de dollars à un système de radiodiffusion que les Canadiens n'écoutent et ne regardent pas. Cela ne serait pas très productif.
On entend souvent les critiques de la SRC dire qu'il ne vaut pas la peine de subventionner la Société parce qu'elle n'a pas un auditoire suffisant. On entend dire aussi que le niveau intellectuel des émissions d'actualités de Radio-Canada a été rabaissé quelque peu pour améliorer les cotes d'écoute.
Dans quelle mesure les législateurs et les décideurs devraient-ils exiger des cotes d'écoute élevées? Avons-nous atteint un certain équilibre ou bien devons-nous faire d'autres efforts de ce côté?
M. Lewis: Personne, je crois, ne peut se permettre de dire que les cotes d'écoute n'ont pas d'importance. Bien sûr, il est politiquement inacceptable de consacrer un ou plusieurs milliards de dollars à des émissions que personne n'écoute.
Il est intéressant d'observer l'expérience des Britanniques, des Allemands, des Danois et des Suédois. On constate qu'ils consacrent beaucoup plus d'argent que nous à la programmation intérieure et que cet argent a d'importantes retombées. Vous ne pouvez pas inciter les gens à regarder des émissions qui n'existent pas.
Je passe probablement trop d'heures à écouter la télévision. Quand je m'assois dans mon salon le soir, peu de choix canadiens vraiment intéressants s'imposent à moi. Compte tenu de son budget, la SRC fait un travail exceptionnel sur le plan des actualités et de l'information. La Société aurait de meilleures histoires canadiennes à raconter si elle avait plus d'argent. Elle pourrait produire des comédies de situation que les Canadiens moyens voudraient écouter.
Les émissions de divertissement, dans le sens large, sont un facteur très important de transmission de la culture. Les gens absorbent la culture que leur transmet la télévision. Les Canadiens absorbent ainsi la culture américaine. Je m'inquiète de l'avenir de mon pays quand les Canadiens n'écoutent rien d'autre que des émissions américaines.
J'aimerais que nous ayons une SRC pouvant offrir un choix d'émissions beaucoup plus important. La Société doit produire quelques séries dramatiques ainsi que des émissions spéciales à épisode unique. Les cotes d'écoute s'amélioreront si la programmation et le budget sont là. Plus on consacre de fonds à une émission, plus la qualité est grande et plus il est probable qu'elle aura du succès. La SRC et les radiodiffuseurs privés doivent concurrencer une programmation américaine dotée d'énormes budgets.
Vous devez considérer l'argument du cercle vertueux de McKinsey. Si la SRC fait du meilleur travail dans le domaine des émissions historiques canadiennes ou dans un autre domaine, elle donnera l'exemple aux radiodiffuseurs privés. La marée montante soulève tous les bateaux. C'est ce que les Britanniques on pu constater.
McKinsey parle d'une série d'histoire naturelle réalisée par la BBC à très grands frais. Un radiodiffuseur privé n'aurait jamais pu se permettre de telles dépenses. La BBC a produit quelques dramatiques d'époque. Cette expérience a montré que dès que la BBC a pu prouver qu'il y avait un auditoire pour ce genre d'émissions, les radiodiffuseurs privés ont emboîté le pas dans les domaines de l'histoire naturelle et des dramatiques d'époque.
PBS est un autre modèle à cet égard. La plus grande partie de ce qui passe sur PBS vient de la BBC ou des canaux britanniques privés qui ont produit ces merveilleuses séries. Beaucoup des émissions privées faites au Royaume-Uni n'auraient pas été réalisées en l'absence de ce cercle vertueux.
Mme Petzold: Il y a une différence entre les cotes d'écoute et la couverture. C'est une chose qu'il faut prendre en considération.
Il arrive souvent qu'on doive prendre des décisions sur une base qualitative plutôt que quantitative. Nous croyons que c'est un cas où il faut le faire.
Ce ne sont peut-être pas tous les Canadiens qui écoutent des émissions telles que This Hour Has 22 Minutes ou la série sur l'histoire du Canada, mais la plupart d'entre nous en ont entendu parler ou ont écouté quelques épisodes. Ces émissions nous influencent d'autres façons. Elles finissent par faire partie de la sphère culturelle qui définit ce que nous sommes et nous permet de nous retrouver un peu dans ce que font les autres. Voilà ce que nous voulons protéger.
Le sénateur Corbin: Est-ce que la SRC est mentionnée dans l'étude de McKinsey?
M. Lewis: La SRC est l'un des 20 radiodiffuseurs examinés dans l'étude.
Le sénateur Corbin: L'étude dit-elle quelque chose de particulier au sujet de la SRC?
M. Lewis: McKinsey examine différents modèles de financement. Il note que les radiodiffuseurs publics qui dépendent trop des recettes publicitaires sont obligés de diluer leur mandat de service public et d'avoir des émissions moins caractéristiques.
La télévision de Radio-Canada ressemble de plus en plus à celle des réseaux commerciaux concurrents. La Société perd donc sa capacité d'influencer le marché parce que les radiodiffuseurs publics ne cherchent plus à l'imiter. Elle se soucie trop des cotes d'écoute et de la production de recettes publicitaires. Par conséquent, elle passe des films américains, etc. McKinsey aborde cette question, oui.
Le sénateur Graham: Nous ne devrions pas laisser l'ancien président de la Fédération canadienne des enseignants venir comparaître devant le comité à titre de témoin sans l'écouter.
Êtes-vous ici à titre individuel ou bien représentez-vous la Fédération canadienne des enseignants? Est-ce que la fédération accorde un appui financier à Nos ondes publiques?
M. Doug Willard, ancien président, Fédération canadienne des enseignants, Nos ondes publiques: Suis-je ici à titre individuel ou comme représentant de la Fédération canadienne des enseignants? Je suis en relation avec Nos ondes publiques en qualité de représentant de la Fédération canadienne des enseignants. NOP a présenté un exposé à notre conseil d'administration et lui a demandé un soutien financier, ce qui lui a été accordé à l'échelle nationale. Certaines de nos organisations membres ont également accordé un appui financier ou ont aidé NOP en participant aux travaux de son conseil et de ses groupes consultatifs. La Fédération canadienne des enseignants appuie ce genre d'organisation.
J'enseigne depuis 31 ans. Pendant 27 ans de ma carrière, j'ai enseigné à plein temps la physique, la chimie et les mathématiques. Des milliers d'enfants ont assisté à mes cours de physique et m'ont demandé pourquoi ils devraient apprendre cette matière. Je leur disais: «Le fait d'apprendre comment les scientifiques considèrent le monde enrichira votre vie» ou bien «Vous regarderez le monde avec des yeux un peu différents après que vous aurez suivi mon cours.»
J'ai suivi la couverture télévisée de la dernière guerre du Golfe. J'ai regardé CNN et tous les autres canaux, y compris les chaînes américaines.
À un moment donné, je me suis arrêté sur Newsworld. Peter Mansbridge animait une tribune téléphonique. Il a fait preuve d'un tel équilibre. Il a répondu à toutes les questions avec dignité, il a mené une discussion indépendante et m'a suffisamment intéressé pour que je continue à écouter pendant le reste de la soirée. J'ai trouvé l'émission excellente. Elle compte parmi ce que j'ai vu de mieux à la télévision. J'ai pensé que si les Canadiens perdaient des émissions aussi précieuses que celle-là, ils perdraient en même temps une grande part de ce qui fait notre identité propre. J'ai été frappé par la différence de qualité qu'il y avait entre cette émission de la CBC et les images simplistes présentées par CNN, Fox et d'autres. La perte d'émissions de ce niveau intellectuel serait grave pour la structure culturelle de notre pays. Nous ne devrions jamais laisser se perdre un tel talent.
Je suis bien d'accord avec M. Lewis que plus nous mettrons d'argent, plus nous aurons de qualité, plus notre auditoire sera nombreux et mieux nous comprendrons qui nous sommes, comme Canadiens. Voilà pourquoi je tiens à assister à des réunions de ce genre.
La présidente: C'était une déclaration d'une grande éloquence. Nous vous en remercions.
La séance se poursuit à huis clos.