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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 4 - Témoignages du 28 avril 2004


OTTAWA, le mercredi 28 avril 2004

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi C-249, Loi modifiant la Loi sur la concurrence, se réunit aujourd'hui, à 16 h 10, pour en étudier la teneur.

Le sénateur Richard H. Kroft (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Notre premier témoin aujourd'hui est M. Robert Russell, qui est avocat chez Borden Ladner Gervais. Puis-je vous demander, comme je le fais souvent, si vous témoignez au nom de quelqu'un?

M. Robert Russell, avocat, Borden Ladner Gervais, témoignage à titre personnel: Non, les opinions que je vais exprimer aujourd'hui ne sont pas celles de mon client ou de mon cabinet.

Le président: Recevez-vous des honoraires?

M. Russell: Non.

Le président: Avez-vous une déclaration à faire?

M. Russell: Oui. J'ai présenté un mémoire au sujet du projet de loi C-249, mais j'aurais quelques remarques liminaires à faire, si vous le permettez.

J'aimerais d'abord remercier les membres du comité de m'avoir invité à exprimer mon point de vue sur le projet de loi C-249. J'estime que c'est une mesure législative très importante pour la politique sur la concurrence et la politique économique du Canada.

Après mon exposé, je répondrai volontiers aux questions que vous voudrez bien me poser. J'ai annexé à la fin de mon mémoire un bref curriculum vitae, pour vous donner une idée de mes antécédents. J'ai conseillé le commissaire de la concurrence à propos d'importants dossiers sur la concurrence. C'est ainsi que j'ai été son procureur dans des causes de fusionnements contestés, et j'ai aussi représenté des clients du secteur privé pour un certain nombre de fusionnements importants.

Je le souligne parce que je vais essayer aujourd'hui de ne pas prendre parti pour le secteur public ou le secteur privé. Je veux simplement vous donner mon point de vue sur le projet de loi C-249 et indiquer la place qu'il occupe dans la politique sur la concurrence.

J'appuie le projet de loi C-249 parce que je crois qu'il respecte l'intention que le Parlement avait quand il a adopté la Loi sur la concurrence en 1986. Le principal objectif était d'offrir des prix concurrentiels et un choix de produits.

J'approuve aussi le projet de loi C-249 parce que je crois qu'il marque une étape importante dans nos efforts pour harmoniser la politique canadienne de la concurrence avec celle de nos principaux partenaires commerciaux. Je ne crois pas en l'harmonisation pour l'harmonisation, mais l'harmonisation a des répercussions importantes sur l'économie canadienne.

Dépouillé du jargon juridique ou économique, le projet de loi C-249 est essentiellement une question de politique publique, sur laquelle les parlementaires doivent se prononcer. Le débat sur le rôle des gains en efficience et de la politique sur la concurrence durait depuis 18 ans quand on a adopté la loi en 1986. Un autre débat sur le sens du libellé de l'article 96 s'est poursuivi durant les 17 années qui ont suivi l'adoption de la loi, et c'est ce dont il s'agit encore aujourd'hui.

L'affaire Supérieur Propane n'a pas précipité les choses; elle a simplement mis fin au débat qui durait depuis 35 ans. Le tribunal et la Cour fédérale d'appel ont finalement déterminé quel était le sens de l'article 96. Le comité doit maintenant se demander si la façon dont l'article 96 est maintenant interprété est conforme à la politique énoncée dans la Loi sur la concurrence. C'est simplement une question de politique publique. Il ne s'agit pas de savoir si l'affaire Supérieur Propane était bonne ou mauvaise. L'interprétation qu'un organisme quasi judiciaire a faite d'une disposition d'une loi du Canada dépasse, à mon avis, le cadre stratégique qui a été adopté en 1986.

Il est curieux de constater que les décisions dans l'affaire Supérieur Propane ont été rendues sans qu'on n'ait pris la peine de consulter le hansard où sont énoncés les objectifs de la politique publique de la loi. J'ai justement relu le compte rendu des délibérations du Parlement sur le sujet. Vous verrez que je cite dans mon mémoire un extrait de ce que M. Michel Côté, alors ministre de la Consommation et des Affaires commerciales, a déclaré le 7 avril 1986 quand il a présenté le projet de loi au Parlement à l'étape de la deuxième lecture. Il avait alors dit:

Les députés savent pertinemment que le Parlement a tenté à maintes reprises [...] de modifier la Loi [...]

Honorables sénateurs, aucune autre loi dans notre pays n'a fait l'objet d'autant de tentatives de modification que la Loi sur la concurrence et, avant elle, la Loi des enquêtes sur les coalitions. Les discussions, les examens, et les propositions de modification s'étirent sur des années avant qu'on arrive à quoi que ce soit dans ce domaine. Le projet de loi à l'étude aujourd'hui n'est pas le résultat d'une réaction impulsive aux conclusions d'une cause. Les gains en efficience sont l'aspect de la politique sur la concurrence dont on a discuté le plus au Canada, depuis des décennies.

Je continue de vous lire ce que le ministre a dit:

Ainsi que l'affirmait l'Association des consommateurs canadiens lorsque j'ai déposé le projet de loi en décembre, «la nouvelle Loi sur la concurrence est prometteuse pour les consommateurs et améliore grandement la législation actuelle».

Le projet de loi C-91 a pour objet, selon son libellé même, de préserver et de favoriser la concurrence au Canada [...]

La mesure comporte quatre grands objectifs. Le premier est de stimuler l'adaptabilité et l'efficience de l'économie canadienne [...]

Elle vise ensuite, deuxièmement, à aider les entreprises canadiennes à mieux affronter la concurrence étrangère sur les marchés mondiaux [...]

Si l'on veut préserver et favoriser la concurrence, c'est, troisièmement, afin que nos PME aient une chance honnête de participer à l'économie canadienne [...]

La mesure a pour quatrième objectif, et non le moindre, d'assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans les produits. Cet objectif constitue en fait le dénominateur commun de nos initiatives. Voilà l'objectif ultime de ce projet de loi.

C'est l'objectif ultime de la Loi sur la concurrence.

À la page suivante de mon mémoire, je cite un extrait de la décision rendue par le Tribunal de la concurrence dans l'affaire Supérieur Propane. Voici ce que le tribunal a conclu dans cette affaire à propos de l'article 96:

L'existence de l'article 96 révèle l'importance qu'attache le Parlement à l'efficience dans l'économie canadienne. En effet, de l'avis du Tribunal, l'article 96 place l'efficience en tête des objectifs [...]

C'est ce qui est contesté et c'est le sujet du projet de loi C-249. L'objectif primordial de notre politique sur la concurrence est-il de promouvoir l'efficience pour l'efficience ou, comme l'a dit le ministre à l'époque, d'offrir des prix compétitifs et un choix dans les produits? Beaucoup de témoins que vous avez entendus avant moi ont parlé du bien- être global et du bien-être des consommateurs. On parle essentiellement de la même chose pour ce qui est de la priorité et des grands objectifs de la loi.

La question a provoqué la controverse pendant des années non seulement parmi les universitaires et les juristes, comme moi-même et d'autres, mais aussi au sein même du tribunal. En 1992, d'après l'interprétation que la juge Reed, qui faisait partie du tribunal, a faite de l'article 96, les gains en efficience devaient être refilés aux consommateurs. La première interprétation faite par le tribunal correspondait donc à ce que le projet de loi C-249 veut établir, à savoir un critère sur le bien-être des consommateurs. Le débat s'est poursuivi de 1992 jusqu'à ce que Supérieur propane...

Le président: Quelle était la nature de son commentaire? Était-ce une opinion judiciaire incidente ou faisait-il partie de la décision?

M. Russell: C'est un sujet de débat, s'il s'agit d'une opinion incidente ou que cela fasse partie de la décision. Certains juristes sont d'avis que c'est une opinion personnelle. Selon moi, la décision de ne pas appliquer une défense n'est pas une opinion personnelle. C'est aux plaideurs de déterminer si la décision de ne pas appliquer une défense affirmative est une opinion judiciaire incidente. Je ne vais pas m'attarder là-dessus, mais c'est ce que le tribunal a statué. Ce fut pendant longtemps la seule interprétation de l'article 96 faite par le Tribunal sur la concurrence. Attendons de savoir de façon définitive ce que l'article 96 prévoit.

Ceux qui prétendent que le projet de loi C-249 est la réaction impulsive du commissaire de la concurrence à sa défaite dans cette cause se trompent. Le débat s'éternise parce que la question n'a pas été tranchée. Indépendamment de ce qu'on peut penser de la politique publique, l'affaire Supérieur Propane a eu l'avantage de faire éclaircir le sens de l'article 96. Le projet de loi C-249 établit le critère du bien-être des consommateurs, par rapport au bien-être global. Je vais prendre quelques minutes pour vous expliquer ce que cela veut dire pour moi.

Le débat sur le bien-être global et le bien-être des consommateurs a eu lieu partout dans le monde. Tous les grands pays en discutent depuis un certain temps déjà. Il est important de signaler qu'en Europe, après beaucoup d'études, on a publié un livre vert qui a suscité les commentaires de nombreux intéressés pendant presque deux ans. En février dernier, l'Europe a rendu publiques ses lignes directrices qui adoptent clairement un critère sur le bien-être des consommateurs, comme le fait le projet de loi C-249. Cette information figure à la fin de mon mémoire. Si le temps le permet, je pourrai y revenir parce que c'est intéressant.

Il y a deux remarques que je veux faire au sujet des autres pays. D'abord, ce n'est pas parce qu'ils ont bien fait les choses que nous devrions les imiter; ce n'est pas la question pour moi. C'est plutôt parce que les autres pays ont pris le temps d'étudier le problème, comme nous l'avons fait au Canada, et qu'ils ont tous décidé qu'un critère sur le bien-être des consommateurs était pertinent dans une politique sur la concurrence. Ensuite, le Canada retire un avantage net si son critère est différent de celui d'autres pays. Avec le bien-être global, on ne se demande pas si certains des avantages et des gains en efficience sont réalisés à l'extérieur du Canada par des sociétés et des actionnaires étrangers. Le bien-être global fait abstraction des frontières. Avec le bien-être global, on se moque que le Canada en retire un avantage net. Je peux vous citer des partisans du bien-être global qui le disent; donc, ce n'est pas seulement mon point de vue.

Le bien-être des consommateurs représente un avantage net pour le Canada — le mot consommateur étant pris dans son sens large. Il ne s'agit pas de vous et moi quand nous achetons un billet d'avion. Nous formons seulement une partie des consommateurs. Ce sont plutôt tous les consommateurs commerciaux ou les entreprises qui produisent des biens ou des services au Canada. Si vous le voulez bien, je vais vous donner un exemple hypothétique.

Disons, à titre d'exemple, qu'un fabricant de logiciels exerce un monopole, parce qu'il détient 95 p. 100 du marché des systèmes d'exploitation des ordinateurs personnels. Comme sa part de marché est de 95 p. 100, cette entreprise peut vendre ses logiciels 10 $ plus cher que si le marché était plus concurrentiel. Ce montant de 10 $ correspond à un transfert de richesse. C'est donc dire que cette entreprise est en mesure de vous enlever de la richesse, à vous, à moi et à toute entreprise qui utilise des ordinateurs personnels au Canada. Cela devient une taxe de 10 $. Si c'est le critère du bien-être global qui s'applique, cette taxe peut quitter le Canada. Les actionnaires de cette société étrangère soutirent de la richesse au Canada. Si c'est le critère du bien-être des consommateurs qui s'applique, les consommateurs canadiens doivent en retirer un bénéfice net, c'est-à-dire vous, moi et toutes les entreprises qui produisent des biens et des services au Canada. Autrement, ce 10 $ sera toujours facturé si nous avons un ordinateur personnel, ou il sera calculé dans le prix de la tasse de café que nous achetons, si Second Cup utilise ce logiciel. Voilà ce qu'est un transfert de richesse. Si on oublie le jargon économique et le jargon juridique, ce n'est rien de plus qu'une forme d'imposition pour notre économie, un transfert de richesse.

Selon le critère énoncé dans le projet de loi C-249, pour être reconnus dans notre politique sur la concurrence, les gains en efficience doivent représenter un bénéfice net pour l'économie canadienne et les consommateurs canadiens, le mot consommateur étant pris dans son sens large, c'est-à-dire l'ensemble de l'économie canadienne. C'est la différence entre les deux critères.

Il y a d'autres raisons, mis à part l'intention du Parlement... mais il est clair que le projet de loi C-249 rétablit dans la Loi sur la concurrence l'intention qu'avait le Parlement. Il adopte le critère du bien-être des consommateurs. Les partisans ou les détracteurs du projet de loi C-249 n'ont jamais dit que le projet de loi ne rétablit pas le critère du bien- être des consommateurs dans la Loi sur la concurrence. Personne n'en a discuté. On discute de savoir s'il faudrait ou non l'adopter et si le bien-être global vaut mieux. Je ne crois pas que c'est à un avocat spécialisé dans le domaine de la concurrence qu'il appartient de prendre une décision à ce sujet, mais que c'est plutôt aux législateurs canadiens de le faire. Je crains que, si le problème n'est pas bien défini, on pense qu'il s'agit d'une réaction impulsive à une cause. C'est un sujet qui a fait l'objet de beaucoup d'écrits et de débats dans les milieux où j'évolue, chez les économistes et ailleurs dans le monde. On s'est beaucoup penché là-dessus. Le débat sur le sens du bien-être global et du bien-être des consommateurs est bien circonscrit.

J'ai dit que j'allais vous citer des gens qui s'opposent au projet de loi C-249 pour justifier ce que je dis. Je reprends justement à la page 8 de mon mémoire des propos tenus par M. Brian Facey qui, vous vous en rappelez peut-être, a comparu devant vous l'automne dernier en même temps que Neil Finkelstein avec lequel il a plaidé dans l'affaire Supérieur Propane. Voici ce que M. Facey a dit au sujet de l'interprétation de l'article 96 dans cette affaire:

Tous les autres effets non économiques des fusionnements, comme la perte d'emplois, la fermeture d'usines, la perte de souveraineté, la concentration de la richesse, la protection de la PME et le transfert de richesse, sont considérés comme étant neutres du point de vue économique en droit des fusionnements au Canada et, par conséquent, ne sont pas pris en compte pour l'application de ce critère.

Voilà ce que le bien-être global veut dire. Les parlementaires devront être convaincus qu'aucun de ces effets des fusionnements est important pour notre politique publique. Je ne crois pas qu'il y a beaucoup de parlementaires qui pensent que ces aspects ne sont pas importants pour l'économie canadienne.

J'approuve aussi le projet de loi C-249 parce qu'il concorde avec ce que font nos autres grands partenaires commerciaux et que, sans cohérence à cet égard, c'est comme si le libre-échange fonctionnait à sens unique. Qui serait en faveur de cela? Qui serait d'accord pour que la richesse sorte du Canada, si le critère des gains en efficience dans le cas des fusionnements ne permet jamais le transfert de richesse en faveur du Canada et au détriment des consommateurs américains et de l'économie américaine? Le critère qui s'applique aux États-Unis, en Europe, au Royaume-Uni et en Australie est celui du bien-être des consommateurs. Serions-nous le seul pays à permettre que les bénéfices des fusionnements — les gains en efficience qui en découlent — entraînent un transfert de richesse à l'extérieur du Canada? Ce serait comme si le libre-échange fonctionnait à sens unique.

Il y a d'autres dispositions dans la Loi sur la concurrence et d'autres modifications que le gouvernement du Canada a approuvées. Il y a, entre autres, l'examen et la décriminalisation de nos mesures législatives sur les complots. Le projet de loi sur les cartels prévoit une disposition sur les gains en efficience qui ressemble beaucoup à ce que propose le projet de loi C-249.

Je tiens à faire rapidement l'historique du projet de loi C-249. C'est M. McTeague qui a présenté un projet de loi d'initiative parlementaire comportant diverses dispositions. Peu de gens l'ont appuyé. Je n'approuvais pas le projet de loi C-249 avant qu'il soit amendé parce qu'il ne garantissait pas le critère du bien-être des consommateurs. Au cours de l'étude en comité parlementaire, M. McTeague a posé la question et je lui ai dit franchement que je ne pourrais jamais appuyer le projet de loi parce qu'il n'assurait pas le bien-être des consommateurs dont je suis un ardent défenseur. Ce qui est ressorti des travaux du comité se retrouve dans le projet de loi C-249 d'aujourd'hui. Sa formulation tient compte de l'avis de nombreuses personnes qui ont comparu devant le comité. Le député l'a modifié de cette façon. Voilà pour l'historique.

Je comprends que c'est un projet de loi d'initiative parlementaire, mais il a reçu l'appui d'un comité parlementaire. Comme vous le savez, il a été appuyé par l'ensemble du Parlement, comme il l'avait été par le comité parlementaire. C'est parce que sa version corrigée, avec tout le respect que je dois à M. McTeague, est bien différente de celle proposée à l'origine par le député.

Enfin, j'appuie le projet de loi C-249 en raison de notre situation actuelle sur le plan pratique. Pour vous prouver ce que j'avance, je vais encore citer les propos d'un de ceux qui s'opposent au projet de loi C-249 parce qu'ils reconnaissent ce que je vais vous dire.

L'article 96, tel qu'il est interprété actuellement par le Tribunal de la concurrence, va rendre l'examen des fusionnements au Canada très complexe et très incertain. Le climat commercial sera à l'incertitude parce que nous avons un critère qui laisse la place à la discrétion et au compromis. Cependant, nous ne connaîtrons pas ce compromis tant que le tribunal n'aura pas été saisi du problème. Ainsi, au moment de l'examen des fusionnements, le Tribunal de la concurrence, qui étudiera seulement une fraction des fusionnements, devra se pencher sur les gains en efficience dans le contexte général du bien-être global, comme nous oblige à le faire la décision rendue dans l'affaire Supérieur Propane. Cette cause de plusieurs millions de dollars va encore coûter plus cher si elle est portée devant le tribunal. Ce n'est cependant pas ce à quoi je m'oppose. Dans une cause de fusionnement contesté pour laquelle j'étais l'avocat du commissaire, la partie adverse a annoncé à la fin du procès avoir dépensé 10 millions de dollars en frais juridiques dans cette affaire. Nous venons de constater que ce sera encore plus complexe parce qu'il n'a même pas été question des gains en efficience dans ce cas.

À la page 18 de mon mémoire, je cite les propos de M. Brian Facey, qui a comparu devant vous l'automne dernier, et de M. Dany Assaf, qui va témoigner après moi aujourd'hui. Ils sont tous les deux partisans du critère du surplus total et ont été les procureurs de Supérieur Propane. Ils déploraient, dans un article, et je cite, qu'«il semble que la présentation en défense des gains en efficience au Canada va comporter une analyse à facettes multiples qui pourrait varier d'un cas à l'autre avec les conséquences que cela suppose sur la prévisibilité pour les entreprises.» Ces avocats qui ont eu gain de cause dans l'affaire Supérieur Propane en faisant valoir le critère du bien-être global sont d'avis qu'il y aura des conséquences pour la prévisibilité des entreprises.

Je dirais, pour finir, qu'il y a de la confusion à propos d'un critère général, incertain et complexe qui ne correspond pas à l'intention que le Parlement avait.

Je suis désolé que ma brève déclaration ait été aussi longue, mais les plaideurs ont toujours du mal à s'arrêter.

Le président: Avant de passer à la première question, j'ai deux ou trois remarques à faire. Aujourd'hui, nous allons examiner certaines questions dont nous entendons parler depuis un certain nombre de mois. Je sais que nous voulons faire vite, mais j'aimerais apporter certaines précisions. J'ai peut-être imaginé cela, mais on a parlé tout à l'heure, et vous l'avez fait aussi, d'un vaste appui par le Parlement. Je tiens à dire que l'opposition officielle s'y est opposée totalement au moment du vote. Il a été question de l'appui de l'ensemble du Parlement et j'ai vérifié. Je tiens à dire que l'opposition officielle n'a pas voté en faveur. Je ne sais pas ce qu'auraient été les résultats avec la réorganisation de l'opposition, mais la mesure a été adoptée avec dissidence. Cela n'a pas d'incidence sur les travaux de notre comité, mais je tenais à le préciser.

Comme vous avez suivi la question de près, j'aimerais vous poser une question parce qu'on a remplacé le mot «doit» par «peut» dans le projet de loi. On a transformé l'obligation par la permission tard dans le processus. Ce changement a-t-il été apporté avant que vous et d'autres témoins ayez donné votre avis?

M. Russell: Oui, il a été fait avant. Si vous voulez, je peux vous dire ce que j'en pense.

Le président: Je voulais que ce soit clair parce qu'on m'avait dit que ce changement avait été effectué après avoir entendu tous les témoins. Je ne conteste pas ce que vous me dites, mais vous en êtes sûr? J'essaie de comprendre pourquoi on a fait ce changement et où on en était quand on l'a fait.

M. Russell: En fait, c'est vous qui avez raison. Je peux peut-être m'expliquer. Si je me rappelle bien, le commissaire de la concurrence a proposé le changement de mots. J'étais au courant lorsque j'ai comparu devant le comité parlementaire, mais le changement n'avait peut-être pas été fait officiellement. Je ne sais trop comment les choses se sont passées, mais j'étais au courant du changement de vocabulaire dont vous parlez à ce moment-là.

Le président: Étiez-vous procureur pour le Bureau de la concurrence à cette époque?

M. Russell: Non. Aucune de mes interventions au sujet du projet de loi C-249 n'a été rémunérée par le commissaire.

Le président: Je n'ai pas posé la question pour porter d'accusation, mais seulement pour savoir?

M. Russell: Votre question est légitime. Pour précisément, j'ai été chargé de conseiller le commissaire sur un projet de réforme de l'article 45, qui est la disposition sur le complot et le projet de loi; j'ai donc été rémunéré pour examiner des questions de réforme, mais pas pour le projet de loi C-249.

Le président: Avant que nous passions aux premières questions de fond, sénateur Meighen, avez-vous une question sur ce sujet?

Le sénateur Meighen: C'est une question de procédure. Je n'en suis pas très convaincu. J'espère que M. Russell pourra rester. Incidemment, M. Assaf est un associé du cabinet auprès duquel j'agis en tant que conseil. Je ne sais pas si cela me met dans une situation de conflit d'intérêts ou pas.

Le président: Non, vous avez déclaré votre poste.

Le sénateur Prud'homme: S'il y a un vote, nous le saurons.

Le sénateur Meighen: Je ne pense pas qu'il y aura un vote. Comme M. Russell l'a indiqué dans son document, et comme je l'ai appris dans l'exposé de M. Assaf, il y a deux points de vue diamétralement opposés à ce sujet — l'un pour, l'autre contre. Je me demande s'il n'est pas préférable de poser des questions après avoir entendu l'autre version de l'histoire, ainsi, nous aurons les deux versions devant nous et il y aura des questions et des réponses.

Cependant, si le comité estime qu'il est préférable de procéder une à la fois, cela ne me dérange pas du tout.

Le président: Essayons d'avoir le meilleur des deux. Posons des questions à M. Russell. Si vous avez le temps, je vous prie de rester.

M. Russell: Je suis prêt à accorder au comité le temps qu'il faut pour le projet de loi C-249. Je juge qu'il est important.

Le président: Posons toutes les questions immédiates que nous avons à M. Russell en partant du principe qu'il restera et écoutera la discussion. Nous pourrons ensuite le rappeler.

Le sénateur Massicotte: Je comprends votre point de vue, mais l'amendement proposé élimine pratiquement l'argument de la défense des gains en efficience et renforce l'argument en défense des consommateurs. Je comprends qu'au cours des derniers 15 ou 20 ans le consommateur est roi et nous voulons tous le satisfaire. Cependant, il y a d'autres facteurs dans l'économie — les employés, les actionnaires et d'autres composantes d'une économie florissante. Qu'en pensez-vous? Dans certaines circonstances, ils ne seraient pas acceptables — c'est-à-dire, que le consommateur ne profiterait pas d'un fusionnement, mais peut-être que l'économie continuerait d'en bénéficier. Cela élimine le commentaire.

M. Russell: C'est une question importante. J'ai lu la transcription d'audiences précédentes au cours de laquelle l'honorable sénateur a posé une question similaire. Je ne crois pas qu'il y ait de gains en efficience dont le projet de loi C-249 ne tient pas compte. Il ne faut pas seulement regarder les prix et le choix. Vous verrez que ces choses sont incluses dans le libellé. Le champ d'application est très large et il est évident que l'innovation et d'autres gains en efficience sont pris en compte dans d'autres pays. Examinez tous les gains en efficience et concluez s'il y a un avantage net pour l'économie canadienne.

Je dis «économie canadienne», car je pense que c'est plus précis que «consommateur». Le mot «consommateur» rebute les gens qui imaginent que c'est quelqu'un qui achète du propane à Halifax. C'est vrai, mais c'est aussi le fermier qui, pour exploiter son entreprise, utilise du propane à Red Deer ou ailleurs. C'est n'importe quel consommateur de biens et services. Il ne s'agit pas du petit consommateur, pas de la dame que nous essayons de protéger parce qu'elle a payé trop cher le pain. C'est important, évidemment, mais ça ne se limite pas à cela.

Examinez tous les gains en efficience. Par exemple, dans un fusionnement, grâce aux gains en efficience de la R et D, quelqu'un peut découvrir un vaccin contre le sida, car deux compagnies ont fusionné, même si cela peut signifier que leurs prix ne sont pas aussi concurrentiels que si elles avaient trouvé chacune de leur côté le vaccin. Il faut examiner tous les gains en efficience de ce processus pour déterminer s'il y a un avantage net offert aux Canadiens. Les prix peuvent êtres assujettis dans cette analyse. Le prix n'est pas toujours la chose la plus importante quand on considère les gains en efficience. Nous recherchons le bien-être net du consommateur, le terme «consommateur» est interprété, encore une fois, au sens d'avantage net pour le Canada.

Je ne pense pas que ce critère limite l'analyse. Il établit la limite à laquelle l'avantage doit cesser. C'est cela la différence. Le bien-être global signifie qu'il ne peut ne pas être un avantage net pour les consommateurs canadiens, pour l'économie canadienne, mais avoir encore suffisamment de gains en efficience pour neutraliser les inconvénients à l'égard de ces consommateurs. Nous parlons du critère qui met fin à l'avantage net dont nous parlons et non pas à l'ampleur des gains en efficience.

Le sénateur Massicotte: Je serais plus d'accord si j'étais convaincu qu'il énonçait ce que vous venez de dire qu'il énonçait. Vous interprétez le terme «consommateur» au sens de l'économie canadienne qui a une définition très élargie. J'aurais imaginé que le consommateur est celui qui consomme un produit, pas quelqu'un qui en est très éloigné. N'oubliez pas que l'amendement proposé énonce les gains en efficience, mais toujours au profit du consommateur: pas à la création d'emplois, pas à l'exportation, pas pour secourir une industrie qui ne peut probablement pas être concurrentielle sur le marché mondial. C'est pour les consommateurs de ce produit. Comment pouvez-vous me convaincre que le terme «consommateur» signifie l'économie canadienne, comme vous dites?

M. Russell: Je suppose que c'est à cause de mon expérience. J'essaie de trouver un exemple. Nous avons étudié beaucoup de cas de cartel et de fusionnement qui ne ciblaient pas le consommateur moyen. Permettez-moi de vous donner un exemple. Le glysophate est un produit chimique que vous n'achèterez jamais pour votre maison. Il est incorporé à divers produits. Je crois qu'il est un dérivé de l'amidon des pommes de terre, si je me souviens bien — mais, je vous prie de ne pas me citer. Voici un exemple dans lequel nous chercheront encore des consommateurs de ce produit, mais ce seront des entrepreneurs et d'autres consommateurs canadiens. Je dois dire que dans un fusionnement, nous ne considérons pas seulement les producteurs mais aussi les fournisseurs. Quiconque consomme le produit ou le service en question est un consommateur.

Le sénateur Massicotte: Mais, c'est le consommateur du produit, qu'il soit un détaillant, un grossiste ou un fournisseur, ce n'est pas l'économie canadienne de votre très large interprétation.

M. Russell: Quand vous interprétez le terme «consommateur» pour englober chaque entrepreneur canadien et tout un chacun, vous parlez, en fait, de l'économie canadienne. Je veux dire que le terme «consommateur», c'est l'économie canadienne.

Le sénateur Massicotte: Y a-t-il un précédent juridique qui donne au terme «consommateur» une aussi large définition?

M. Russell: Absolument. Le Tribunal de la concurrence utilise le terme «consommateur» dans ce large contexte.

Le sénateur Massicotte: Cette disposition particulière à des fins d'argumentation a été utilisée dans deux affaires. Dans une récente affaire Supérieur Propane, le tribunal a infirmé la décision du Bureau. Comment se fait-il que nous avons ce problème? Qu'est-ce qui ne va pas? Qu'est-ce qui est si mauvais? Quel est le problème? Pourquoi dix personnes veulent-elles nous parler de cette question? Pourquoi cette urgence?

M. Russell: L'urgence, ce sont les graves répercussions sur la loi. Vous devez comprendre que ce critère a changé tellement suite à une décision qui fait une interprétation simple d'un article de la loi. J'ai dit, et c'est inscrit au procès- verbal, même quand je représentais le commissaire, que j'estimais que l'article 96 était l'un des articles les plus mal rédigés de la loi. Il était alambiqué. On en a débattu pendant des années pour comprendre ce qu'il signifiait. Était-ce une interprétation économique ou juridique? Que signifie-t-il? Aucun autre pays n'a un article aussi long.

Je me trouvais à Naples, en Italie, il y a deux ans à l'occasion de la réunion du Réseau international de la concurrence — tous les organismes de réglementation du monde. Le président sud-africain du Tribunal de la concurrence a déclaré, au podium, «Nous venons juste de commencer l'élaboration de notre nouvelle loi et le tribunal commence juste de siéger. Nous avons utilisé, comme feuille de route, la législation du Canada, mais nous n'avons pas porté suffisamment d'attention à ses dispositions de gains en efficience et cela nous cause énormément de tort». Ils sont en train d'étudier le libellé de cet article.

Je ne suis aucunement surpris que nous ayons eu un débat juridique sur l'article 96 depuis son entrée en vigueur en 1996. Tout le monde craignait cet article, craignait de présenter des arguments, de prendre une décision concernant le rôle du bureau, à mon avis, et cela n'engage que moi, c'est parce qu'il était très mal rédigé. Nous avons entendu le tribunal déclarer «La Cour d'appel fédérale a confirmé que c'est ce qu'il signifie». Ce qui me préoccupe c'est l'expression «C'est ce qu'il signifie», mais ce que cela signifie c'est le bien-être global. Il permet ces transferts de richesse.

Je pense que la politique sur la concurrence est similaire à une politique fiscale écrite différemment. Elle empêche les gens de prendre les richesses des autres, de monopoliser et de fixer des prix trop élevés. Elle empêche une entreprise et ses actionnaires d'exercer cet effet sur notre économie à votre détriment, au mien et à celui de tout autre producteur.

Supposons un monopoleur de systèmes d'exploitation puisse soutirer 10 $ des producteurs canadiens, cela signifie que les coûts de production au Canada sont plus élevés à cause de cette monopolisation. Nous avons tout simplement affaire à des transferts de richesse. Les études économiques le reconnaissent.

M. Stephen Ross, pour qui j'ai le plus grand respect, est un éminent économe dans ce domaine et il a un point de vue différent. Il a dit, je le cite dans le document que je vous ai remis, que les transferts de richesse deviennent neutres ou négligeables. Il a aussi reconnu que le bien-être global est régressif. C'est comme une politique fiscale régressive. De par sa nature, c'est ce qu'il impose à notre économie. À mon avis, il nuit également à notre économie, car il permet les transferts de richesse à l'extérieur du Canada vers des entreprises étrangères et des actionnaires étrangers au détriment de notre économie, non seulement à mon détriment en tant que consommateur individuel, mais aussi au détriment de chaque entreprise canadienne qui utilise ce produit comment entrant.

Le président: Avant de passer au prochain questionneur, pourriez-vous fournir une référence à notre greffier. Je suis de plus en plus confus. Nous nous intéressons beaucoup aux mots ici, et le terme «consommateur» nous cause beaucoup de problème, à moi et, j'en suis sûr, à d'autres.

Cela vous arrange d'utiliser le mot «consommateur», car vous voulez lier votre argument au langage parlementaire du ministre et c'est le terme qu'il a utilisé. Je comprends votre raisonnement.

On vous a demandé si le mot «consommateur» a été juridiquement défini dans ce large contexte? Vous avez répondu oui. Pourriez-vous, s'il vous plaît, nous fournir les références afin que nous puissions les consulter et que nous comprenions la signification de ces termes. Si les mots ne signifient pas ce qu'ils semblent signifier, nous risquons de souvent rencontrer des problèmes.

Le sénateur Kelleher: Est-ce que cet amendement proposé permettra au Bureau de la concurrence de réexaminer l'affaire Supérieur Propane?

M. Russell: Non.

Le sénateur Kelleher: En êtes-vous absolument certain?

M. Russell: Absolument. À moins de faits nouveaux qui lui permettent de réexaminer cette industrie, le Bureau ne peut pas réexaminer cette affaire — à moins que quelqu'un propose que cet amendement soit rétroactif et personne ne l'a fait.

Ce qui me préoccupe aussi à propos du retard, c'est que de nombreux fusionnements sont considérés. Si on devait l'incorporer dans un autre processus, cela prendrait des années, et je peux vous assurer que tous les processus d'amendement de la Loi sur la concurrence durent des années, pour que les fusionnements soient réexaminés selon le critère que je viens de décrire. C'est là où se situe l'urgence. Avons-nous une politique gouvernementale qui est alignée sur les objectifs réels de notre loi?

Le sénateur Kelleher: J'en parlerai dans une minute. Est-ce que ce projet de loi particulier éliminera la défense fondée sur les gains en efficience?

M. Russell: Permettez-moi de vous répondre d'une façon précise. Il élimine les gains en efficience en tant que défense, mais il n'empêche pas les gains en efficience d'être entièrement considérés comme un facteur.

Le sénateur Kelleher: Ceci étant dit, de la façon que vous l'avez modifié pour moi, a-t-il des répercussions sur les autres articles de la Loi sur la concurrence?

M. Russell: Non, l'article 96 s'applique à l'examen des fusionnements. Comme je l'ai dit plus tôt, il existe d'autres propositions qui ont des dispositions relatives aux gains en efficience. Ces propositions sont identiques au projet de loi C-249, donc, si les amendements qui sont proposés continuent, il y aura d'autres dispositions relatives aux gains en efficience similaires au projet de loi C-249. Le projet de loi C-249 ne modifie que l'article 96 qui se trouve dans la partie des fusionnements de la loi.

Le sénateur Kelleher: Il ne s'appliquera pas aux autres articles de loi ou n'aura pas de répercussions sur les articles, tels que l'article 79, l'article 77 ou l'article 75?

M. Russell: Non, vos gains en efficience vont être pris en compte. Votre question est très vaste. L'application des gains en efficience avec le projet de loi C-249 avec un critère de bien-être du consommateur — quand les gains en efficience sont considérés en vertu de tout article de la loi, on s'attend à ce qu'ils soient considérés tels qu'énoncés dans le projet de loi C-249.

Le sénateur Kelleher: Une dernière question — et je crois connaître la réponse, étant donné votre position sur cette question. Cet article n'est-il pas un peu prématuré? Ne pensez-vous pas qu'il aurait fallu consacrer plus de temps pour l'examiner ou pour en débattre?

M. Russell: Non. Vous pouvez prévoir ma réponse, mais je dis que — je l'ai aussi dit à d'autres occasions — j'ai passé plus de temps, ainsi que de nombreux experts dans ce domaine, à parler des gains en efficience plus que n'importe quel autre sujet. Ce dont il est question ici, c'est une politique. Le projet C-249 n'est qu'un libellé qui permet d'instaurer cette politique. Nous avons pu obtenir les directives, pour ainsi dire, d'autres pays qui ont examiné le libellé et l'ont présenté à leurs tribunaux.

Par exemple, j'ai étudié la jurisprudence américaine relative à l'application des gains en efficience. C'était une des choses que j'ai faites dans le cadre de mon étude de la Loi sur le cartel pour le commissaire. J'ai également étudié des décisions européennes concernant le peu de considération qu'ils ont ou avaient pour les gains en efficience. Rien dans le projet de loi C-249 ne rendra le Canada plus restrictif en matière de gains en efficience en comparaison à ces autres pays.

Quand vous demandez si c'est prématuré, je crois que nous avons eu beaucoup de débats et beaucoup de personnes pour régler le problème et, le projet de loi C-249, comme je l'ai dit, a été exprimé du comité parlementaire qui a amené tant de gens ici.

Aujourd'hui, ceux qui croient au bien-être global n'aiment pas le projet de loi C-249 et ne diront jamais qu'ils aiment le projet de loi C-249, car c'est un critère de bien-être du consommateur. Personne n'a contesté le libellé — j'ai lu le point de vue de M. Kennish. Il s'est présenté devant vous par rapport à l'Association du Barreau canadien. Il a admis que le Barreau était divisé. Le Barreau est divisé sur cette question, il n'y a aucun doute. En ce qui concerne le libellé, il n'aime pas le fait que les gains en efficiences soient propres au fusionnement. C'est ce qu'il vous a dit. Encore une fois, dans d'autres pays, les avantages doivent être propres au fusionnement. Cela signifie simplement que: les gains en efficience ne peuvent être réalisés que de cette façon et c'est le critère.

Voici comment cela fonctionne. Nous n'autoriserons pas de fusionnement quand c'est anticoncurrentiel, car vous ne prenez en compte que les gains en efficience alors que vous avez déjà dit que c'est anticoncurrentiel d'autoriser ce fusionnement. Nous ne vous permettrons pas de présenter un argument en défense des gains en efficience, pour dire que vous pouvez entreprendre votre fusionnement anticoncurrentiel si vous avez pu obtenir les gains en efficience d'une autre façon que par le fusionnement, qui est anticoncurrentiel. Voilà ce que cela signifie.

Le sénateur Kelleher: Je n'ai plus de question à vous poser, mais le problème est que, vu l'intérêt que je porte à cette question, je ne peux, malheureusement, pas me souvenir de ce qui s'est passé avec nos témoins précédents. Étaient-ils pour ou contre? Je ne m'en souviens pas et je ne trouve rien dans notre documentation qui pourrait m'aider à me souvenir.

Le président: Nous rapporterons toutes les preuves préliminaires. Je peux qualifier ces preuves, mais je ne pense pas qu'il soit convenable que je le fasse.

Le sénateur Kelleher: Je ne sais pas combien de témoins se sont présentés et comment ils ont été répartis.

Le président: Vous trouverez cela dans nos comptes rendus. Ces renseignements sont dans votre dossier.

Le sénateur Kelleher: Je sais, mais je ne l'ai pas consulté et...

Le président: Eh bien! Vous aurez le temps de le faire.

Le sénateur Kelleher: J'aurai tout l'été — c'est ce que vous voulez dire?

Le président: Non, vous avez jusqu'à demain. C'est une longue nuit.

Le sénateur Kelleher: J'ai pensé que je demanderais.

Le sénateur Angus: Ils étaient tous contre.

M. Russell: Si je peux me permettre, j'ai lu les transcriptions. Vous aviez trois témoins en une journée — M. Kennish, au nom de l'Association du Barreau canadien, M. Finkelstein, qui s'est présenté à titre individuel — il était l'un des avocats de Supérieur Propane — et M. Facey, qui était avocat de Superior Propane et qui accompagnait M. Finkelstein. Le comité a aussi entendu M. Peter Townley, un économiste, qui a été retenu par le Commissaire de la concurrence dans l'affaire Supérieur Propane. Une bonne partie de Supérieur Propane a comparu devant vous. Puis, un autre jour, vous avez reçu des représentants du Bureau de la concurrence, notamment le directeur par intérim, M. Gaston Jorré, qui ont fait des commentaires sur le projet de loi C-249.

Le président: Une partie du problème provient du fait que nous n'avons pas beaucoup de références des délibérations de la Chambre des communes, car la liste des personnes qui s'y sont présentées n'était ni très longue ni très représentative. C'est la raison pour laquelle nous fouillons dans des documents.

Le sénateur Kelleher: J'ai le même problème.

Le président: J'aimerais revenir et, si je le peux, poser une question très spécifique, car je la juge importante. Je vous avais demandé si, lorsque vous avez témoigné, le libellé de l'amendement était le même qu'aujourd'hui. Nous en avions discuté.

Permettez-moi d'aller plus loin. Il me semble que, s'il fallait obligatoirement tenir compte du facteur des gains en efficience, l'argument en défense des gains en efficience aurait encore eu plus de poids que s'il devenait permissif. Puis- je vous demander soit de formuler des hypothèses soit de parler en connaissance de cause pour dire pourquoi ce libellé a été édulcoré à cette époque?

M. Russell: Je pense que vous êtes probablement dans le vrai en ce qui concerne les raisons pour lesquelles il a été suggéré de faire des changements. Personnellement, j'ai pensé que c'était une différence sans trop de différence. J'ai plaidé suffisamment d'affaires dans lesquelles «doit» signifie «peut» et «peut» signifie «doit» — et je ne plaisante pas, dans le cadre d'examens judiciaires des statuts — que je ne suis pas du tout convaincu que cela a changé l'application nécessaire des gains en efficience à prendre en compte. Les facteurs devant être examinés dans un fusionnement doivent être pris en compte; les gens veulent que ces facteurs soient pris en compte. Le processus, qui doit être équitable devant le tribunal, permet aux gens de présenter leur argumentation concernant ces questions. L'équilibrage des divers facteurs dont le tribunal doit tenir compte dans un fusionnement entre dans le cadre du pouvoir discrétionnaire du tribunal.

Je crois donc que l'utilisation de «peut» ou «doit» sera considérée s'ils jugent que leur utilisation est appropriée. Je ne pense pas que ce soit un grand changement.

Le président: Ils ne sont pas obligés en vertu du libellé. De toute façon, il est inutile d'en débattre.

M. Russell: Je sais que des avocats sont présents. À mon avis, un processus approprié qui ne tiendrait pas compte de la question constituerait un motif de contestations.

Le sénateur Meighen: Le sénateur Kelleher a posé les questions que je voulais poser, mais je reviens à la question de l'urgence. Tout d'abord, est-ce que je rêve ou n'y a-t-il pas un examen compréhensif en cours au Bureau de la concurrence — ou un examen de la politique?

M. Russell: Il n'y a pas d'examen compréhensif en cours. Il s'agit d'une étude des diverses dispositions de la loi et de différentes questions.

Le sénateur Meighen: Cette question en fait-elle partie?

M. Russell: Non, elle n'en fait pas partie. Elle ne faisait pas partie du processus initial auquel j'ai participé. Il y a eu des tables rondes, un rapport d'un comité parlementaire à ce sujet et une réponse du gouvernement. Si vous me le permettez, je peux vous en citer quelques-uns, mais pas toute la liste, car je ne m'en souviens pas.

L'article 45 va faire l'objet d'un examen à des fins de modification. Des sanctions pécuniaires administratives: vous pouvez, aujourd'hui, abuser de votre position dominante au Canada sans être passibles de sanction et c'est une autre chose qui est différent dans les autres pays. Les sanctions pécuniaires administratives sont étudiées. L'octroi aux individus d'une plus grande marge de manoeuvre pour poursuivre en justice est étudié. Il y a plusieurs choses de ce genre, mais cela n'en faisait pas partie.

Cependant, le projet de loi existait depuis un bon moment avant qu'il ne soit modifié. Un événement annuel a lieu à London Hall pour étudier les diverses questions suscitées par la loi. Les gains en efficience seront discutés demain; on en a débattu l'année dernière et aussi il y a deux ans. Depuis leur mise en vigueur, les gains en efficience font partie de la conférence annuelle de l'Association du Barreau canadien.

La question est débattue depuis longtemps et c'est ce que j'essaie de souligner. Le débat tournant autour de la bonne approche a eu lieu. Nous avons une interprétation de l'article 96 par le tribunal, puis le Parlement déclare que ce n'est pas conforme à la politique, du moins jusqu'à présent, visant les objectifs de la loi.

À mon avis, le problème se situe au niveau du libellé. Je suis pour le bien-être du consommateur, donc, j'ai évidemment un préjugé favorable envers le critère du bien-être du consommateur dans notre loi. Cependant, je peux déclarer à juste titre que cette question est de votre ressort. Vous pouvez décider de ce que la politique devrait être.

Je peux dire, sans équivoque, que le projet de loi C-249 est conforme à la politique, si vous voulez le bien-être du consommateur, si vous voulez que les gains en efficience soient entièrement pris en compte et avoir cet avantage net pour l'économie canadienne — le projet de loi C-249 le permet.

Le sénateur Meighen: Pouvez-vous nous dire avec la même assurance que sans le projet de loi C-249, cela n'aura pas lieu?

M. Russell: Sans le projet de loi C-249, vous avez un critère de bien-être global. C'est ce que nous a appris la décision concernant Supérieur Propane. Franchement, je crois que cela a un effet significatif sur la politique sur la concurrence au Canada.

Le sénateur Meighen: Ne devrions-nous pas attendre de voir l'effet de la décision concernant Supérieur Propane dans les affaires ultérieures? Par ailleurs, pensez-vous que tous les juges liront Supérieur Propane, applaudiront et diront que c'est la solution, qu'il n'y a pas de place à l'interprétation et que les conséquences pour le bien-être du consommateur seront aussi fâcheuses que vous le prévoyez?

M. Russell: Dans cette affaire, la décision lie le Tribunal de la concurrence. Dorénavant, ils devront appliquer ce critère lorsque des affaires leur sont présentées. C'est le résultat de la décision. Je le dis de façon concluante, c'est ce qui a établi la mise en vigueur de ce critère par le Bureau de la concurrence.

Il l'a assurément renvoyée. Si ce n'est pas la politique gouvernementale que veut le Canada, il incombe alors aux parlementaires de décider de ce qu'ils en feront.

Le sénateur Meighen: Il n'est pas mis en vigueur dans un vide, n'est-ce pas? N'y a-t-il pas d'autres facteurs qui interviennent dans la décision? Si cela est la loi ou ce qu'elle énonce, il faut alors l'appliquer. Cependant, n'y a-t-il pas d'autres facteurs dont il faut tenir compte, en plus de l'efficience?

M. Russell: Absolument, il y a d'autres facteurs à prendre en compte pour déterminer si un fusionnement est anticoncurrentiel. Nous examinons les obstacles à l'entrée.

N'oubliez pas que tel qu'il est appliqué aujourd'hui, si le fusionnement est anticoncurrentiel — vous avez examiné tous les autres facteurs, vous les avez évalués, le tribunal les a évalués et a conclu que le fusionnement réduirait considérablement la concurrence, qu'il est anticoncurrentiel, donc, ainsi que l'ont déclaré de nombreux commentateurs, l'article 96 est réellement la carte maîtresse. Alors, oui, vous prenez en compte ces facteurs et vous considérez l'article 96 seulement en termes de carte maîtresse; autrement dit, il constitue une défense.

Quelque chose n'a pas été dit à ce sujet. Je crois sérieusement qu'en considérant les gains en efficience comme un facteur, vous permettez de considérer plus équitablement l'innovation et d'autres avantages aux consommateurs dans la décision visant à déterminer si un fusionnement est anticoncurrentiel. Je pense que c'est positif. Si deux établissements pharmaceutiques peuvent découvrir un vaccin qui guérit le sida, acceptons, donc, cela comme l'un des facteurs à prendre en compte pour le fusionnement des deux établissements. Évitons une défense affirmative des parties.

Le Canada est le seul pays qui a fait cela. Aux États-Unis, même si l'on qualifiait ainsi, les tribunaux l'ont manifestement pris en compte — et aussi la Federal Trade Commission; je ne veux pas faire de fausse déclaration. Ils prennent en compte les gains en efficience en cas de fusionnement, l'Europe, l'Australie et les autres pays font de même.

Donc, pour les gains en efficience cela représente une mesure positive puisque nous les considérerons comme l'un des facteurs. Cependant, nous exigerons que ces gains en efficience aient un avantage net pour les consommateurs — autrement dit, pour l'économie canadienne.

À propos, en ce qui concerne ma définition, je fournirai tout ce que je peux au comité. Je vous assure que je ne l'utilise pas à la légère.

Le président: Vous avez mentionné qu'elle avait été définit juridiquement.

M. Russell: Je reviendrai sur ce point.

Le sénateur Meighen: Au sujet du contexte plus large, quelqu'un vient de me passer une note qui dit: «Un processus de consultation public concernant les Lignes directrices de l'application de la Loi sur le fusionnement a commencé en avril 2004.» Le saviez-vous?

M. Russell: Oui. Les Lignes directrices de l'application de la Loi sur le fusionnement représentent la position officielle du Bureau de la concurrence sur la façon d'appliquer la loi. Elle ne change en aucune façon la loi.

Le sénateur Meighen: J'ai deux dernières questions à vous poser, si je peux. Vous avez mentionné le transfert de richesse dans le cas d'un monopoleur à 95 p. 100, si j'ai bien compris. Est-ce que ces transferts ne seraient possibles que si la société était une société non canadienne? Je vous ai entendu dire «transfert à l'extérieur du pays».

M. Russell: Les transferts de richesse sont possibles dans tous les fusionnements. Si nous avions un monopoleur qui ne travaillait qu'au Canada, il y aurait encore des transferts de richesse; il y en a tout le temps. Je veux dire que le bien- être global permet les transferts à l'extérieur du Canada pour contourner un fusionnement qui serait autrement anticoncurrentiel. C'est le problème avec le bien-être global.

Si vous appliquez le critère au bien-être du consommateur, vous continuez à examiner l'avantage net pour l'économie canadienne. En d'autres mots, je peux payer plus pour acheter le vaccin, mais il n'aurait pas été découvert aussi vite sans fusionnement, car des gains en efficience dérivent du fusionnement. Le tribunal devra évaluer l'avantage net pour l'économie canadienne et pour le consommateur. L'innovation, dans ce cas — les gains en efficience qui favoriseront l'innovation pour la mise en marché du produit — surpassent l'augmentation du coût que vous devez payer pour le produit. Ils devront équilibrer cela; ils devront l'équilibrer également dans le bien-être du consommateur.

Le tribunal devra toujours chercher ce qui profitera le plus à l'économie canadienne, cela doit être également fait en vertu de ce que vous voyez dans le projet C-249.

Le sénateur Meighen: Que répondriez-vous à ceux qui disent que les petits marchés du Canada, de la Nouvelle- Zélande, de l'Irlande, et cetera, qui utilisent la défense fondée sur les gains en efficience, en ont besoin et en tireront un plus grand avantage que les pays comme les États-Unis, la CEE, et cetera qui ont de plus grands marchés?

M. Russell: C'est tout à fait le contraire. Dans une économie plus petite comme la nôtre, une société américaine peut acquérir une industrie et avoir des consommateurs canadiens dans un marché plus petit et plus concentré.

Il y a 20 ans, on entendait souvent dire que l'économie canadienne était déjà quatre fois plus concentrée que l'économie américaine. Le Canada est plus vulnérable aux effets anticoncurrentiels, car son économie est déjà plus concentrée. Du fait de sa diversification, l'économie canadienne a un plus grand besoin d'être protégée par un critère qu'une économie plus grande.

L'affaire Supérieur Propane le montre bien. Nous parlions de deux sociétés qui détenaient jusqu'à 90 p. 100 d'un marché. Il a été constaté dans la décision qu'il y avait six intervenants aux États-Unis. Voilà le point essentiel. Ils ont six intervenants et nous en avons deux qui détiennent 90 p. 100 d'un marché. Notre économie est plus concentrée, donc, nous devons être sûrs que notre politique protège notre économie, surtout du type de transferts qui seraient possibles avec des critères de bien-être global.

Le président: Merci, monsieur Russell. Ne vous éloignez pas trop, au cas où nous aurions besoin de vous pour répondre à une ou deux questions supplémentaires.

M. Russell: Merci, monsieur le président.

Le président: Nous allons, maintenant, entendre M. Dany Assaf, un avocat chez Ogilvy Renault et coresponsable de l'équipe Droit de la concurrence et échanges commerciaux du cabinet. Il est ici pour représenter son cabinet, mais il n'a pas d'autres intérêts de client; est-ce exact?

M. Dany H. Assaf, avocat, Ogilvy Renault, coresponsable de l'équipe Droit de la concurrence et échanges commerciaux du cabinet, témoignage à titre personnel: Je suis ici pour exposer mes points de vue qui ne reflètent pas ceux du cabinet. Je suis président du comité du droit économique de l'Association du Barreau canadien et mes commentaires ne reflètent également pas leurs opinions.

Le président: C'est un témoignage à titre individuel. Je ne crois pas que nous avons quelque chose sur papier, n'est-ce pas?

M. Assaf: J'ai apporté un mémoire. Les choses se sont passées si rapidement.

Merci, honorables sénateurs, de me permettre de participer à vos audiences. Je suis très heureux d'être ici. Je suis venu pour faire écho à bon nombre de points de vue exprimés par M. Russell, non seulement parce que j'ai représenté Supérieur Propane ou d'autres clients, mais aussi en tant que spécialiste dans ce domaine, qui a acquis de l'expérience dans des affaires, et en tant que participant à de nombreux autres forums indépendants, et pour accélérer l'élaboration de ce projet de loi et essayer d'exposer mon point de vue concernant le statut de la politique et l'orientation qu'elle devrait prendre. À cet égard, j'espère pouvoir vous faire part de mon grand intérêt pour les délibérations aujourd'hui. Je voudrais clarifier quelques points et je continuerai mes remarques. En ce qui concerne les discussions d'aujourd'hui, il est important de ne pas oublier certaines choses. Nous en parlerons de manière plus approfondie plus tard.

Je voudrais commencer par dire que le critère de bien-être global n'est pas le critère en vigueur aujourd'hui au Canada. Ce n'est pas le cas et cela n'sont pas dû aux décisions finales de la Cour d'appel fédérale et du tribunal dans l'affaire Supérieur Propane. C'est un critère beaucoup plus détaillé qui, en fait, prend en compte certains transferts de richesse.

Ma deuxième observation se rapporte à la discussion de tout à l'heure concernant le débat des gains en efficience. Il est vrai que la question des gains en efficience est importante et a été débattue pendant des décennies dans les milieux de la concurrence et des antitrust. Est-ce que ce projet de loi particulier avait fait l'objet d'un débat? Non. Voilà toute la différence.

Où ce débat va-t-il nous conduire? Je pense que l'adoption du projet de loi C-249 signifiera la fin, de façon efficace, en pratique, de l'exception d'efficience. Je n'ai aucun doute que ce sera l'incidence ultime, car le critère est tout simplement impossible du point de vue pratique.

C'est sous cet angle que je veux aborder trois points essentiels auxquels on a fait allusion plus tôt aujourd'hui, mais qui demandent à être élaborés. En me fondant sur mes observations et sur les preuves présentées ici et là, il n'y a aucun besoin pratique d'avoir cet amendement aujourd'hui. Il n'y a pas eu de ruée vers les fusionnements depuis Supérieur Propane et il ne semble pas qu'une avalanche de fusionnements se prépare.

Deuxièmement, il s'agit ici d'une exception à la loi qui est très circonscrite et limitée.

Troisièmement, cette approche particulière que nous adoptons aujourd'hui dans le dossier des fusions et que je décrirai tout à l'heure de façon plus détaillée est en fait conforme à nos intérêts économiques et nationaux au sens le plus large du terme. Cela ne favorise nullement l'une ou l'autre des parties. Il y a des raisons légitimes et fondamentales d'adopter cette position.

Enfin, au sujet de l'approche actuelle face aux fusions, le processus a évolué pour devenir transparent et juste. Les rôles des parties intéressées sont distincts et les questions demeurent distinctes. En effet, le commissaire indique quelles sont les conséquences négatives d'une fusion et les parties à la fusion tentent d'en démontrer les avantages. L'affaire est portée devant un tribunal indépendant qui rend une décision en dernière analyse.

Quelle est la norme applicable aujourd'hui? Comme je l'ai dit, ce n'est pas le surplus total. On pourrait décrire la norme de la manière suivante. Nous calculons tous les gains obtenus par la société. Je ne parle pas de gains généraux, mais bien d'économies précises sur le plan des ressources. Dans le cas de Supérieur Propane, il y avait deux ou trois camions de propane qui roulaient côte à côte et dont les conducteurs se saluaient tous les matins; Jean allait livrer du propane au numéro 344 et Jacques s'en allait livrer du propane au numéro 341. Aujourd'hui, il n'y a plus qu'un seul camion et un seul conducteur sur cette route. Des ressources sont donc libérées dans d'autres secteurs de l'économie. C'est important. Par conséquent, une compagnie qui utilisait auparavant 22 camions pour livrer du propane n'en utilise plus que 10 aujourd'hui. Cela permet à l'économie de récupérer 12 camions, ainsi que l'acier et le caoutchouc et toutes les autres composantes qui entrent dans la fabrication de ces camions, ce qui devrait théoriquement avoir pour conséquence d'abaisser les prix dans ce marché en particulier parce que des ressources ont été libérées et peuvent être consacrées à des utilisations plus valables. Je parle donc d'économie réelle de ressources. On inscrit ce gain d'un côté du grand livre.

Ensuite, on essaie de calculer si ce gain l'emporte sur les préjudices. C'est ici que l'on s'éloigne de ce que l'on appelle traditionnellement l'approche du bien-être total. Aujourd'hui, dans la foulée de l'affaire Supérieur Propane, le préjudice se décompose en deux parties.

La première partie consiste à essayer de calculer à combien s'élève la perte de ressources pour l'économie. Cela veut dire que si une fusion cause une hausse des prix, les gens achèteront moins, la production diminuera et les gens pourraient alors commencer à utiliser des matériaux et des ressources d'autres secteurs pour fabriquer des produits de remplacement moins efficaces. On est dans une situation où les gens essaient de résoudre la quadrature du cercle. C'est ce qu'on appelle des pertes économiques. On ne calcule pas cela simplement au moyen de chiffres bruts. Les prix montent, les consommateurs achètent moins, et il en résulte une perte économique. Le tribunal a dit que nous devons examiner la perte économique qualitativement. Cela veut dire faire une estimation de la dégradation du service. Quand une compagnie fusionne, elle peut se débarrasser de, disons, son programme pour grands voyageurs ou d'autres programmes destinés à la clientèle que l'une des parties à la fusion offrait, de sorte qu'il y a réduction du service. Il y a une baisse de la qualité. Nous essayons de prendre en compte tous ces facteurs pour calculer le tort qui est causé.

Mais ce n'est pas le seul élément de l'équation, pour l'établissement du préjudice. Il y a un facteur positif. Le commissaire et le bureau préconisaient initialement le critère du poids compensateur, c'est-à-dire qu'il fallait prendre en compte ce que l'on appelle les conséquences socialement négatives. En quoi consistent-elles? La Cour d'appel fédérale a décidé qu'il ne faut pas se fonder uniquement sur le surplus total, car la disposition de déclaration d'objet ne porte pas seulement sur l'efficience. La cour s'est donc penchée sur les répercussions pour les clients. Les juges ont tenté de déterminer qui étaient les clients et, s'ils étaient désavantagés, d'ajouter à l'équation l'argent qui leur est enlevé.

Il y a de véritables économies en termes de ressources. De plus, on ferait payer des prix plus élevés, par exemple aux personnes à faible revenu qui utiliseraient du propane non pas pour chauffer leur piscine et autres utilisations de luxe, mais pour faire la cuisine ou chauffer leur maison. La cour a décidé de prendre le supplément que ces gens-là paieraient et de l'ajouter au total des préjudices pour calculer, au bout du compte, si le pays serait globalement avantagé. Avons- nous gagné plus que nous n'avons perdu?

Déjà, telle qu'énoncée par les tribunaux, la norme actuelle n'est pas le bien-être total. Elle englobe un transfert de richesses, mais elle ne tient pas compte de l'argent enlevé aux riches ou de l'argent que les gens dépensent pour des articles de luxe. L'opération consiste à tenter de cibler exactement les personnes qui subiraient un préjudice. Il s'agit davantage d'une norme axée sur le surplus pour le consommateur, car elle s'attarde à l'identification des clients les plus vulnérables et les plus faibles. Voilà quelle est la norme actuelle; ce n'est pas l'équivalent du bien-être total.

Quant à la nécessité de ce projet de loi sur le plan pratique, nous pouvons nous pencher sur l'historique de la Loi sur la concurrence, en examiner la genèse et les diverses versions. On nous a dit qu'il s'agit là d'un progrès et que nous progressons dans l'étude des gains d'efficience. En réalité, nous régressons, parce que bon nombre de ces exigences et contraintes empêchant d'appliquer les exceptions à l'efficience lorsqu'il y a contrôle d'un marché ou bien s'il faut répercuter le gain sur les consommateurs avaient déjà été envisagées dans divers projets de loi qui avaient été proposés, par exemple le projet de loi C-256 au début des années 70 et les diverses versions successives des projets de loi C-42 et C-19. En fin de compte, nous avons abouti à la situation actuelle, c'est-à-dire l'article 96. Tout dépend du point de départ que vous choisissez dans l'histoire, quand vous voulez justifier votre position sur ce qui a été ou n'a pas été dit et consigné au hansard. La réalité, c'est que nous en sommes là. La loi a quatre objectifs. On leur accorde le même poids à tous et la disposition est formulée de telle manière que ce n'est pas par accident, car d'autres versions qui comportaient des limitations avaient été envisagées et rejetées.

Maintenant, nous devons réfléchir à ce qui constitue la norme pour la défense. Quel fardeau de preuve les parties doivent-elles assumer? Une partie à une fusion ne peut pas simplement se présenter devant le tribunal ou le bureau du commissaire et dire: «J'ai tel ou tel gain d'efficience et par conséquent la fusion doit être approuvée».

Premièrement, comme on l'a dit tout à l'heure, un seul cas dans toute l'histoire de l'application de la loi a bénéficié de cette exception. Ce n'est pas comme s'il y avait le feu. Deuxièmement, ce ne fut pas chose facile. Ce fut un exercice rigoureux. Il incombe aux parties de prouver qu'elles vont réaliser des gains d'efficience. Le gain d'efficience doit être réel et tangible, non pas théorique et hypothétique. Il faut en faire la preuve.

Dans l'affaire Supérieur Propane, le tribunal, dont on dit qu'il s'est montré favorable à Supérieur Propane, a scruté à la loupe et dans les moindres détails tous les gains d'efficience prétendus et a convenu avec le commissaire, dans bien des cas, d'éliminer du total certaines considérations d'efficience. Les juges ont donc fait diligence et le tribunal a rejeté certaines prétentions.

À cet égard, même si vous pouvez démontrer un gain d'efficience, ce ne peut pas être un simple gain pécuniaire. Ce doit être une véritable économie de ressources. Par exemple, si j'affirme qu'après la fusion, j'aurai un plus grand pouvoir d'achat et qu'en conséquence je serai en mesure d'acheter tel ou tel intrant pour 50 cents au lieu de 1 $, ce n'est pas une économie de ressources, c'est seulement que la nouvelle compagnie fusionnée fera une meilleure affaire parce qu'elle est plus grosse. Cela ne compte pas.

Ce qui compterait, c'est si, au lieu d'avoir trois personnes au téléphone pour acheter ces intrants, il n'y en aurait plus qu'une, ou encore si, au lieu d'utiliser quatre ordinateurs ou systèmes de gestion de l'inventaire pour établir l'inventaire, on n'en utilisait plus qu'un seul. Voilà une économie de ressources parce que les trois autres ordinateurs sont réintégrés dans le marché. Voilà ce que nous prenons en compte. Ce n'est donc pas une tâche facile quand on se présente devant le bureau ou devant le tribunal. Il faut respecter des critères rigoureux.

En bout de ligne, nous en sommes au point où nous n'avons pas autorisé de fusion pour la simple raison qu'elle comportait des gains d'efficience importants. Que je sache, et j'ai vérifié, il n'est toujours pas permis d'opérer une fusion lorsque le seul avantage pour l'économie est d'augmenter les prix en obtenant une plus grande part du marché. Ce n'est toujours pas permis aux termes de la Loi sur la concurrence. Ce qui est permis, c'est une exception limitée, dans des circonstances contrôlées, après qu'on ait soigneusement pris en compte tous les facteurs et abouti à la conclusion que nous gagnons plus que nous ne perdons, en tant que société. Pourquoi voudrait-on interdire à tout jamais cette possibilité en disant dès aujourd'hui que la réponse à cette question sera toujours non? On a maintenant décidé que la réponse sera toujours non. Oubliez tout cela. Ce n'est tout simplement pas prudent. Il n'y a pas eu d'avalanche de cas et il n'y a donc aucun besoin d'ordre pratique auquel cet amendement répondrait.

Nous avons une économie dynamique, mais de taille restreinte, axée sur l'exportation, de sorte que le fait d'avoir ce type d'exception relativement à l'efficience n'est pas attrayant seulement pour les avocats ou les économistes qui veulent aider à faire accepter des fusions. C'est quelque chose qui doit être attrayant pour nous tous à un certain niveau. C'est une exception limitée qui stipule, dans un cas particulier, dans un nombre de situations très limité, que nous devons examiner l'affaire pour voir s'il est dans notre intérêt de permettre à des compagnies de se fusionner. C'est dans le cas où nous constatons qu'il y a un secteur économique mondial et vital dans lequel nous voulons compter un intervenant important. Par conséquent, nous disons que dans ce contexte, dans notre intérêt national, nous voulons permettre à deux compagnies canadiennes de fusionner afin de permettre au Canada d'avoir voix au chapitre dans ce secteur clé à l'avenir. Pourquoi voudrions-nous dire non à toute possibilité de ce genre pour l'avenir?

La réalité est que la loi comporte quatre objectifs: promouvoir l'efficience et la souplesse de l'économie; multiplier les possibilités de participation canadienne dans les marchés mondiaux; assurer aux petites et moyennes entreprises des chances équitables; et offrir aux consommateurs des prix compétitifs. L'article 249 nous dit essentiellement aujourd'hui que nous allons fausser les considérations relatives à l'efficience pour faciliter un seul de ces objectifs.

Bien que l'on ne saurait sous-estimer l'importance de l'objectif d'offrir des prix plus bas aux consommateurs, pourquoi devrait-on dire aujourd'hui qu'il sera toujours le plus important, et surtout plus important que les autres objectifs? À cet égard, je renvoie à une décision de la Cour d'appel fédérale. En passant, c'est l'affaire dans laquelle le commissaire a eu gain de cause. Voici ce que dit notre Cour fédérale au sujet de l'interprétation générale de la manière de prendre en compte les gains d'efficience dans le contexte et aux fins de la loi. La Cour nous dit clairement:

[...] une disposition de déclaration d'objet sert de guide au tribunal dans son interprétation des autres dispositions de la loi [...] et peut établir des paramètres à l'intérieur desquels la Cour doit interpréter les dispositions de la loi [...]

À mon avis, l'article 1.1 indique qu'une interprétation des «conséquences» ne doit pas s'attarder exclusivement à l'un des objectifs en matière de promotion de la concurrence, nommément stimuler l'adaptabilité et l'efficience de l'économie.

Dans cette affaire, la Cour a dit que nous ne pouvons pas permettre qu'un seul objectif guide le processus tout entier de l'examen des gains d'efficience, que nous devons prendre en compte tous les objectifs. En l'occurrence, c'est peut- être le contraire étant donné le contexte, mais le même principe doit s'appliquer. Nous devrions avoir une exception qui va faciliter, effectivement ou potentiellement, l'atteinte des quatre objectifs.

Où en sommes-nous aujourd'hui? Nous avons encore une Loi sur la concurrence efficace qui empêche les fusions qui déboucheraient sur une position dominante sur le marché entraînant un préjudice pour les consommateurs en l'absence de tout autre avantage pour la société. Cela n'est toujours pas permis. Alors, qu'avons-nous d'autre? Nous avons une exception limitée qui nous permet de dire que dans certains cas, nous voulons permettre une fusion en particulier afin de pouvoir participer et d'avoir voix au chapitre sur le marché mondial dans un secteur en particulier. Nous avons une exception qui permet la fusion de deux grandes entreprises qui veulent fusionner afin de promouvoir certains travaux de recherche, ou certaines technologies clés. Il se peut que ce soit dans notre intérêt national. Il est possible que dans certains secteurs technologiques de pointe, nous voulions posséder un intervenant solide en première ligne pour que nous puissions adopter et adapter la technologie en question.

Quant à l'autre objectif, qui est de donner à une moyenne entreprise l'occasion de participer, la loi actuelle permet cela, et elle aide également l'entreprise en question dans sa défense fondée sur les gains d'efficience. Il pourrait y avoir, par exemple, deux entreprises nationales de petite taille, disons deux sociétés de crédit, qui ont ensemble, dans un marché rural, une part importante du marché. Pourquoi voudrions-nous les empêcher de fusionner pour réaliser des économies d'échelle et pouvoir devenir un concurrent viable dans le secteur financier, alors que nous savons que nous avons des entreprises colossales beaucoup plus importantes? Cela pourrait avantager non pas seulement les grandes entreprises, mais aussi des entreprises de plus petite taille qui peuvent obtenir une part importante d'un marché local.

Au sujet de l'approche actuelle quant à l'exception relativement aux gains d'efficience permis par une fusion, c'est un processus clair, comme je le disais, qui a été essentiellement proposé par l'ancien commissaire. Ce dernier a dit que nous devrions appliquer l'exception de manière transparente et juste et il a indiqué comment les choses devraient se passer. Il y a eu également l'influence de la jurisprudence. Le commissaire est le mieux placé pour faire enquête sur les éventuels préjudices causés par une fusion, y compris une éventuelle réduction sensible de la concurrence, et déterminer l'incidence négative du transfert de richesse. Les commissaires sont les mieux placés pour faire enquête et prouver cela. Les parties ont accès à l'information sur leurs gains d'efficience. Elles sont les mieux placées pour décrire et établir ces gains, et ensuite elles s'adressent au tribunal et présentent leur position à une tribune décisionnelle dépolitisée, qui n'est pas sujet à des pressions exercées par tous les intervenants, et c'est au tribunal de rendre sa décision. Il y a des cas controversés.

Par ailleurs, le projet de loi C-249 mêle deux questions séparées, les gains d'efficience et le préjudice, car ou bien une fusion causera une réduction sensible de la concurrence, ou bien elle n'aura pas cet effet. Quant aux gains d'efficience, c'est une question distincte que l'on met dans la balance pour déterminer si l'on doit permettre la fusion à titre exceptionnel. La mesure mêle tout cela pêle-mêle et, en réalité, sur le plan de la procédure, cela reviendrait à renvoyer toute l'affaire au commissaire qui serait chargé de prendre une décision de manière isolée parce que c'est dans la phase initiale. Pourquoi, sur le plan pratique, le commissaire voudrait-il être soumis à de telles pressions et travailler de manière aussi isolée, ce n'est pas clair, alors même que nous avons déjà un processus existant qui est transparent et juste.

Je veux aborder deux ou trois autres questions qui ont été soulevées aujourd'hui. Je suis d'accord avec M. Russell pour dire que c'est une question de politique. La politique que nous avons actuellement est bonne. Elle consiste à empêcher les fusions anticoncurrentielles, sauf dans le cas d'exceptions limitées lorsqu'il est dans notre intérêt supérieur à tous de le permettre. Nous avons une loi qui permet cela, par opposition à une loi qui dirait que nous ne permettrons jamais cela.

À mon avis, la décision Hillsdown est clairement incidente. Essentiellement, la Cour s'est interrogée sur la norme pertinente et a ouvert la porte à des conjectures. C'est une décision incidente parce que, premièrement, même dans le contexte, elle n'a pas établi d'orientation claire. Deuxièmement, les juges répondaient à une question qui ne se posait pas directement dans l'affaire en instance.

Pour ce qui est du commerce à sens unique, nous devons poser la question, au sujet du projet de loi C-249: qu'est-ce qu'il empêche? Il empêche les fusions qui pourraient même déboucher sur des augmentations de prix minimes pour les consommateurs lorsqu'il y a des avantages qui l'emportent par ailleurs. En réalité, de la façon dont c'est formulé, nous ne demandons même pas qui sont les consommateurs. Sont-ils riches ou pauvres? Voulons-nous aider les consommateurs riches? Sont-ils des producteurs ou des consommateurs? Il faut bien que l'identité des consommateurs soit pertinente. Qui subira les augmentations de prix? Les consommateurs canadiens? Les consommateurs étrangers? Est-ce qu'on s'en fiche, que les consommateurs étrangers paient plus cher?

La norme actuelle permet d'évaluer tout cela et de dire quel consommateur en particulier subira un préjudice et de mettre cet élément dans la balance. Au bout du compte, si nous avons un problème, la Loi sur la concurrence ne doit pas être considérée comme la seule et unique loi susceptible de régler le problème. D'autres outils de politique peuvent être utilisés pour tenter de rectifier la balance, au lieu d'utiliser un outil contondant comme la Loi sur la concurrence pour atteindre tous les autres objectifs en disant: Voilà, la fusion en question sera sacrifiée parce qu'on utilisera cet outil contondant de la Loi sur la concurrence pour faciliter la politique fiscale, la politique de l'emploi et tout le reste.

Nous avons beaucoup plus d'expérience et nous sommes maintenant capables d'adopter une approche beaucoup plus sophistiquée. C'est pourquoi je dis, en définitive: à bien des égards, le remède proposé ici est pire que la maladie que l'on cherche à guérir.

Au sujet des propos de moi que M. Russell a cités, relativement à une norme du bien-être total qui permet tout cela, ces commentaires ont été formulés dans le contexte de la défense d'un surplus total, une norme du bien-être total. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Nous avons maintenant de l'expérience avec cette nouvelle norme. Les problèmes peuvent être déterminés, circonscrits et faire l'objet d'une décision. Il n'y a absolument aucun besoin, sur le plan pratique, de changer cela et de déranger les très bonnes politiques en vigueur, dans l'intérêt supérieur de notre économie et de notre nation.

Le président: Merci beaucoup.

Le sénateur Massicotte: Pour m'assurer que je comprends bien la loi existante, au paragraphe 96(1), vous interprétez l'argument des gains d'efficience. Vous dites que l'on tient compte de tout ce qui concerne de près ou de loin l'économie, pas seulement les gains d'efficience de la compagnie et de l'industrie. C'est tout ce qui est important pour notre économie nationale. C'est bien cela?

M. Assaf: Dans la loi existante, c'est exact. Il y a une analyse du préjudice.

Le sénateur Massicotte: Je pose la question sous l'angle macroéconomique.

M. Assaf: Absolument, la loi nous permet de nous pencher sur chacun de ces objectifs. Au bout du compte, il faut rendre un jugement.

Le sénateur Massicotte: Avez-vous assisté à l'exposé de M. Russell?

M. Assaf: Oui.

Le sénateur Massicotte: Êtes-vous d'accord avec sa définition de «consommateur», qu'il étend à la grandeur de l'économie canadienne? Cela peut-il se défendre?

M. Assaf: Les consommateurs comme groupe particulier dans un contexte particulier sont différents des consommateurs au sens large. C'est facile de parler de l'ensemble des consommateurs, mais il faut être un peu plus précis: ce sont tous les consommateurs qui se trouvent dans le contexte du marché en question. Je n'achète peut-être pas de propane, alors quels gains pourrais-je tirer de ce qui se passe dans ce marché-là? Je pourrais peut-être acheter les camions que les compagnies de propane n'utiliseront plus, et je réaliserais donc un gain. En limitant cela aux «consommateurs», vous fermez la porte à l'examen d'autres avantages réels pour l'économie. Cela n'aide pas de dire seulement «les consommateurs».

Le sénateur Massicotte: Y a-t-il une jurisprudence permettant de déterminer comment les tribunaux vont interpréter le mot «consommateur» dans cet amendement?

M. Assaf: Relativement à cet amendement, il y a l'affaire Supérieur Propane, laquelle démontre comment on peut faire cette analyse.

Le sénateur Massicotte: Dans la décision Supérieur Propane, le terme «consommateur» est-il défini?

M. Assaf: On peut définir «consommateur» de deux manières différentes. Nous connaissons bien les définitions: quelqu'un qui achète et consomme quelque chose. Nous le savons.

Le sénateur Massicotte: Cela doit avoir quelque chose à voir avec l'achat d'un produit. Nous sommes tous des consommateurs.

M. Assaf: Précisément. Quel est le produit que l'on consomme? Qui paie plus cher pour ce produit? C'est ce que notre norme actuelle nous permet de faire. C'est très bien.

Le sénateur Tkachuk: Quelle différence le projet de loi C-249 fera-t-il dans le cas d'une fusion de banques?

M. Assaf: Une fusion bancaire est un peu particulière parce qu'il y a tellement de niveaux différents de législation.

Le sénateur Tkachuk: Parlons alors d'une fusion entre deux des cinq grandes banques.

M. Assaf: Certains éléments de la fusion pourraient être autorisés, par exemple les services bancaires d'investissement ou autres secteurs d'activité où la nouvelle banque pourrait être compétitive internationalement. Peut-être pourrait-elle bénéficier d'une fusion dans le contexte des gains d'efficience. En somme, on constate que nous avions la capacité de déterminer les gagnants et les perdants. Nous nous rendons compte qu'en pareil cas, les consommateurs ne sont pas désavantagés ni vulnérables. Peut-être que certains d'entre eux sont étrangers. Dans ce contexte, nous disons que cet aspect de la fusion devrait être autorisé, même s'il peut y avoir réduction de la concurrence, parce qu'il y a un intérêt économique plus large à permettre les économies d'échelle dans ce créneau particulier de la banque d'affaires ou dans d'autres domaines des services bancaires internationaux. Les banques seraient avantagées à cet égard.

Ensuite, on peut examiner d'autres secteurs d'activité et conclure que les gains d'efficience ne l'emportent pas sur les avantages. Si l'on prend par exemple la fusion des banques de détail, on constate qu'il y a une perte pour l'économie, notamment un important transfert de richesse qui est pris non pas à même les grandes entreprises étrangères, riches et sophistiquées, mais des clients ordinaires des banques. Dans ce cas, on conclut que les gains d'efficience n'aident pas. C'est la souplesse que la norme actuelle permet.

Le sénateur Tkachuk: Êtes-vous en train de dire que si le projet de loi C-249 était adopté, certaines considérations, notamment en ce qui a trait à la banque d'affaires, ne seraient pas autorisées?

M. Assaf: Ce serait très difficile parce que l'on dit qu'il faut démontrer que les consommateurs en tirent un avantage. C'est dit en toutes lettres. Le texte dit «peut». Voulez-vous exercer votre pouvoir discrétionnaire en vue d'aider peut- être les banques? Ou peut-être que non. Ce n'est pas «doit»; c'est «peut». De plus, il faut montrer que le consommateur est avantagé. Voilà ce que cette disposition stipule.

Il n'y a aucun avantage pour les consommateurs en ce sens. Nous avons examiné la question. Nous avons fait des recherches. Nous y avons réfléchi. Ces consommateurs ne sont pas vraiment des gens que nous voulons aider parce que l'économie canadienne est avantagée, et les consommateurs ne sont pas des gens que nous voulons protéger dans ce cas particulier.

Le président: Il reste seulement quelques minutes. Est-ce que chacun de vous voudrait débattre un point avec l'autre témoin? C'est une procédure inhabituelle, mais on en a fait la demande.

M. Russell: Je suis un avocat plaidant, alors j'aime bien la réfutation.

Le président: J'hésite énormément à permettre cela. Je vous invite à écouter ce que votre interlocuteur a à dire, après quoi j'inviterai chacun de vous à demander des précisions sur un point. Il nous reste peu de temps.

M. Russell: Je vais répondre à la dernière question en premier, si vous permettez.

Quand on tente de prévoir comment ce projet de loi influerait sur les fusions bancaires, je dis que quiconque autour de la table serait bien audacieux de dire comment les choses se passeraient parce qu'il faut pouvoir analyser la preuve. Cependant, d'après ma compréhension du marché bancaire, je ne crois pas que le projet de loi C-249 jouerait un rôle le moindrement important dans cette équation.

Nous avons de nombreux détaillants, par exemple dans l'alimentation. J'ai travaillé pour Loblaws lors de son acquisition de Provigo. Dans le secteur du détail, il y a eu beaucoup d'acquisitions semblables dont on a étudié l'effet sur l'économie. Je ne crois pas que le projet de loi C-249 aura une influence. Si le projet de loi C-249 avait été en vigueur, j'aurais invoqué exactement les mêmes arguments au sujet des gains d'efficience dans le secteur du détail, après l'affaire Supérieur Propane, en invoquant l'article 96 actuel. Nous pourrions vous emberlificoter avec notre débat. Il faut mettre dans la balance le bien-être total, examiner les avantages et les inconvénients, voir qui est lésé et qui ne l'est pas et laisser le tribunal décider. Le tribunal doit déterminer l'avantage économique net d'une fusion. Il y a délégation de pouvoirs pour ce qui est de décider ce qui est le plus important dans la société canadienne: le bien-être de certains consommateurs ou de certaines entreprises.

Vous avez parlé des banques et cela illustre ce qu'on disait au sujet des consommateurs. Qui sont les consommateurs des banques? Vous et moi et toutes les entreprises du Canada, sans exception, sont des consommateurs.

Le sénateur Tkachuk: Vous dites que le projet de loi C-249 n'aurait absolument aucun effet. Qui donc serait touché?

M. Russell: Je ne suis pas expert dans l'affaire Supérieur Propane, mais mon collègue et d'autres ont plaidé à divers titres dans cette affaire. Au sujet des gains au chapitre de la distribution, dont M. Assaf a parlé, la compagnie était prête et exportait aux États-Unis. Elle essayait déjà de se renforcer afin d'en tirer des avantages au chapitre de la distribution, c'est-à-dire en évitant d'envoyer deux camions au même endroit. On pourrait trouver bon nombre d'exemples semblables de gains au chapitre de la distribution. La compagnie était capable de donner tous les chiffres relativement aux gains d'efficience. M. Finkelstein a expliqué au comité les calculs pertinents et a dit que les avantages l'emportaient sur le coût que les consommateurs auraient à payer, à Halifax et ailleurs, en prix plus élevés pour le propane. Le tribunal, ayant pesé le pour et le contre, a autorisé la fusion. C'est de cela que mon collègue parle quand il dit que c'est une question d'équilibre.

Selon la norme du bien-être du consommateur, la balance doit pencher en faveur du consommateur, pris au sens large du terme, s'il y a des gains au chapitre de l'innovation ou de la distribution que l'on peut répercuter. On peut réaliser des gains au chapitre de la distribution en envoyant un seul camion, mais cela doit vouloir dire que vous et moi en tirerons un avantage quelconque. M. Finkelstein a fait allusion au caractère essentiel du propane utilisé dans l'Ouest pour sécher le blé. Ce type de consommateur commercial doit tirer des avantages nets des gains réalisés par la fusion.

Vous établissez une norme. Mon collègue a raison de dire que vous définissez les marchés et décidez qui sont les consommateurs. Cependant, je ne pense pas qu'il irait jusqu'à vous dire aujourd'hui que le «consommateur» décrit exclusivement les citoyens ordinaires.

M. Assaf: Consommateur n'est pas synonyme de citoyen.

M. Russell: C'est bien ce que je dis.

M. Assaf: Mais ça ne l'est pas. Dans le contexte d'une fusion en particulier, vous ne pouvez pas dire que consommateur égale citoyen.

M. Russell: Dans un marché pertinent, c'est tous ceux qui consomment le produit.

M. Assaf: C'est vrai et nous en tenons compte. Je conviens que les consommateurs avantagent l'économie. Cependant, soyons plus précis. Quels consommateurs sont avantagés et qui, au sein de l'économie, est avantagé? Dans une fusion en particulier, ces deux entités ne sont pas la même personne; en fait, le consommateur n'est pas synonyme de citoyen au sens large. En fin de compte, il s'agit de savoir qui est gagnant et qui est perdant dans la société. Demandez aux économistes, car eux le savent. Ils seront ici demain. Est-ce que l'approche proposée aujourd'hui, inspirée de la décision rendue par la Cour d'appel fédérale, est l'équivalent du bien-être total ou du surplus total? Demandez demain aux économistes et je soupçonne que la réponse sera non.

Le président: J'ai une question supplémentaire. Vous avez demandé qui pourrait être touché. Est-il évident que, si ce projet de loi avait été en vigueur, la fusion n'aurait pas été autorisée dans l'affaire Supérieur Propane? Est-ce établi?

M. Assaf: À mon avis, oui, parce qu'on dit «avantageux pour les consommateurs». Les gains doivent se traduire par des avantages pour les consommateurs. Des gens comme Robert Pitofsky, l'ancien président de la Commission fédérale du commerce aux États-Unis, ont qualifié ce critère de «critère létal». Cela veut dire qu'on ne pourrait pas le respecter et qu'il n'y a donc pas à s'en soucier. C'est essentiellement ce que ferait le projet de loi C-249.

Pour remettre les choses en contexte, nous ne disons pas que toute fusion de grande envergure devrait être autorisée, absolument pas. Nous disons simplement qu'il doit y avoir un régime juridique qui permet une exception dans des circonstances limitées, dans les cas où nous jugeons raisonnablement que l'ensemble de la société et du Canada gagne plus qu'elle ne perd. Il y a une défense en cas de meurtre, mais il n'y aurait pas de défense en cas de fusion.

M. Russell: Au sujet de Supérieur Propane, je dois dire que la fusion n'aurait probablement pas été autorisée aux termes de la nouvelle norme, bien que je n'en sois pas certain. La véritable différence aurait été celle-ci: il leur aurait fallu prouver que les gains se traduiraient par un avantage net pour les consommateurs. Je sais que le mot «consommateur» fait l'objet d'une controverse aujourd'hui, que ce soit en Europe, aux États-Unis ou n'importe où ailleurs. Je vais envoyer au comité des références montrant que ce mot a été interprété comme signifiant «quiconque prend l'intrant». Mon collègue dit simplement que si le produit en question est un gadget, ce ne sont pas tous les Canadiens qui consomment des gadgets. Par conséquent, cela s'appliquerait seulement aux consommateurs de gadgets. J'accepte cela. C'est le consommateur du produit, mais ce ne sont pas les particuliers et les entreprises. Dans les deux cas, ce sont des consommateurs. Si je pouvais circonscrire suffisamment la notion, il lui faudrait au moins reconnaître cela.

M. Assaf: Je suis d'accord avec cela. Nous avons déterminé que ce sont les consommateurs du produit. La norme actuelle nous permet d'aller plus loin et de demander qui sont ces consommateurs. S'agit-il de gens riches qui réchauffent leur piscine avec du propane? Voulons-nous interdire une fusion qui peut être avantageuse pour l'économie parce que nous voulons que les gens riches puissent acheter du propane bon marché pour réchauffer leur piscine? Cette norme nous permet au moins de poser la question. Je ne comprends pas pourquoi nous voudrions empêcher que cette question soit posée.

M. Russell: Je crois personnellement qu'il est inique qu'un tribunal de trois personnes décide qui est riche, qui est méritant, qui devrait être avantagé et qui ne devrait pas l'être. C'est une décision d'affaires publiques que le Parlement prend dans toutes les sphères de notre économie. C'est peut-être là le noeud du problème. Vous avez réussi à extraire cette question du débat actuel. Devrait-il s'agir d'une norme établie dans le cadre d'une politique publique, ou bien faut-il s'en remettre à la discrétion du tribunal pour mettre dans la balance les éléments qu'il juge important? Qui est riche? Vous et moi sommes riches, alors peu importe que nous payions trop cher notre essence. Il y en a qui seraient d'accord avec cela. Quant à savoir si nous sommes riches, c'est à un tiers de se prononcer. Tous ces éléments doivent être pris en compte dans le cadre d'un processus de litige devant un tribunal. Nous déciderons qui est méritant et qui ne l'est pas, qui devrait être avantagé et qui ne le devrait pas, parce que nous avons refusé de fixer une norme. Dans tous les autres pays du monde, on dit que les partisans d'une fusion anticoncurrentielle doivent démontrer qu'elle est avantageuse pour la population du Canada qui regroupe les consommateurs du produit.

Le sénateur Massicotte: J'ai une brève question à laquelle on pourra répondre par oui ou par non. Si vous avez trois intervenants dans un secteur non rentable et que deux d'entre eux sont sur le point de faire faillite parce qu'il y a trop de concurrence, les dispositions proposées dans ce projet de loi permettraient-elles la fusion de deux entreprises si cela représentait une augmentation de 5 p. 100 ou 10 p. 100 des prix, tout en sauvant par ailleurs 1 000 emplois? Quel serait le résultat? Monsieur Russell, une telle fusion serait-elle permise?

M. Russell: Je dois appuyer ma réponse sur des faits. Les deux compagnies pourraient être en mesure de dire qu'elles ont toutes les deux réalisé des gains au chapitre de la production. Par exemple, chaque compagnie a une chaîne de montage. Après la fusion, elles pourront exploiter une seule usine avec deux quarts de travail sur la même chaîne. Cela crée des gains d'efficience.

Le sénateur Massicotte: Hypothétiquement, le consommateur serait confronté à une augmentation de 10 p. 100 des prix.

M. Russell: Si l'on appliquait votre norme relative au prix, la fusion ne serait pas jugée anticoncurrentielle au départ. Si vous me donnez une augmentation de 20 p. 100 des prix, alors je peux répondre à votre question. Il faudrait alors se demander si les gains réalisés au chapitre de la production seraient transmis aux consommateurs.

Le sénateur Massicotte: Supposons qu'ils ne seraient pas transmis. Cela permet de sauver 1 000 emplois, mais le «consommateur», d'après votre définition, subit une augmentation de prix.

M. Russell: Si les consommateurs, peu importe qui ils sont, seront les seuls bénéficiaires de ce gain d'efficience, alors la fusion ne serait pas acceptée par le tribunal.

Le sénateur Massicotte: Et les 1 000 emplois que l'on sauverait?

M. Russell: Ni l'un ni l'autre d'entre nous ne dit que la Loi sur la concurrence permettrait de sauver des emplois. Les emplois et les pertes d'emplois, dans la politique de la concurrence au Canada — je ne sais pas ce qu'il en est dans les autres pays, sauf les États-Unis et l'Europe — ne sont pas pertinents. En Afrique du Sud et en Nouvelle-Zélande, c'est un critère de la loi; il faut examiner d'autres questions de ce genre, mais cela ne figure pas dans la loi canadienne.

M. Assaf: La réponse est non. Sur l'autre aspect, si le tribunal ne jugeait pas importante l'augmentation de 10 p. 100 des prix, c'est là que se situerait le principal problème.

Le président: Merci, messieurs. Votre témoignage a été utile et stimulant.

La séance est levée.


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