Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 6 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 12 mai 2004.
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, qui a été saisi du projet C-249, Loi modifiant la Loi sur la concurrence, se réunit aujourd'hui à 16 h 03 pour en faire l'étude.
Le sénateur Richard H. Kroft (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Chers collègues, aujourd'hui nous poursuivons notre étude du projet de loi C-249, loi modifiant la Loi sur la concurrence.
Nous accueillons aujourd'hui deux groupes de témoins. Le premier se compose de représentants du Bureau de la concurrence. Nous accueillons Mme Sheridan Scott, commissaire du Bureau de la concurrence. Je crois que c'est la première fois qu'elle comparaît devant nous à ce titre. Je vois aussi certains visages connus: M. David McAllister, directeur des dossiers spéciaux et conseiller stratégique, et Mme Suzanne Legault, sous-commissaire adjointe, division des Affaires législatives.
Nous vous souhaitons la bienvenue. Nous sommes ravis de vous accueillir ici cet après-midi. Je crois comprendre que vous avez des remarques liminaires à faire, après quoi nous passerons aux questions. Vous avez la parole.
[Français]
Mme Sheridan Scott, commissaire, Bureau de la concurrence: Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invitée à participer à vos discussions au sujet du projet de loi C-249, Loi modifiant la Loi sur la concurrence.
Comme vous l'avez dit, monsieur le président, il s'agit de la première fois que je comparais devant vous à titre de commissaire de la concurrence et j'apprécie beaucoup cette occasion. Avant de discuter de cet important projet de loi et de l'appui du Bureau de la concurrence, je voudrais décrire brièvement le mandat du Bureau et mon rôle en tant que commissaire de la concurrence.
En tant qu'organisme indépendant d'application de la loi, le Bureau veille à ce que tous les Canadiens et toutes les Canadiennes jouissent des avantages d'un marché concurrentiel, sous forme de prix concurrentiels, choix de produits et services de qualité. Le Bureau est responsable de l'administration et de l'application de quatre lois: La Loi sur la concurrence, la Loi sur l'emballage et l'étiquetage des produits de consommation, la Loi sur l'étiquetage des textiles et la Loi sur le poinçonnage des métaux précieux. Il met en application des dispositions qui prohibent des comportements anticoncurrentiels tels que les indications fausses ou trompeuses, les pratiques commerciales trompeuses, l'abus de positions dominantes, l'exclusivité, la fixation des prix et le truquage d'offres. Il examine également les transactions de fusionnement afin de déterminer si elles ont pour effet d'empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans le marché.
[Traduction]
En plus de mes fonctions au niveau de la mise en application de la loi, j'ai également un rôle à jouer au niveau de la défense de la concurrence en tant que commissaire de la concurrence. C'est ce qui m'amène à donner mon point de vue devant des comités tel que celui-ci, comme responsable de l'organisme canadien de la concurrence. La loi me permet également de comparaître auprès d'organismes de réglementation provinciaux et fédéraux.
Le projet de loi qui vous est présenté aujourd'hui modifierait les dispositions sur les fusionnements de la Loi sur la concurrence et il changerait la façon dont nous considérons les gains en efficience dans l'examen des fusionnements.
En vertu du régime actuel, qui fut adopté en 1986, le Bureau s'engage dans un exercice délicat et complexe lorsqu'il évalue l'effet d'un fusionnement sur la concurrence. Tel que l'indiquent les Lignes directrices pour l'application de la loi en ce qui concerne les fusionnements, un fusionnement peut réduire ou empêcher sensiblement la concurrence lorsque l'entité fusionnée obtient suffisamment de pouvoir de marché pour maintenir une augmentation appréciable des prix qui n'aurait vraisemblablement pas lieu sans le fusionnement. Afin d'en arriver à une telle conclusion, le Bureau évalue plusieurs éléments lors de son examen. Ces éléments incluent la concentration des marchés, les parts des marchés et les éléments énumérés à l'article 93 de la Loi tels la concurrence étrangère, les innovations, la disponibilité de produits substituts acceptables, la présence et les effets des entraves à l'accès et la mesure dans laquelle il y aurait encore de la concurrence réelle dans les marchés.
En vertu de la loi actuelle, il est possible qu'un fusionnement soit autorisé même si celui-ci entraîne une réduction sensible de la concurrence. La «défense des gains en efficience» permet au Tribunal de la concurrence de comparer les gains en efficience que le fusionnement pourrait entraîner aux effets anticoncurrentiels du fusionnement, tels les augmentations de prix. Ces gains en efficience peuvent inclure les épargnes associées à l'intégration des activités au sein d'une entité fusionnée, au transfert de connaissances entre les parties fusionnées, aux améliorations au niveau de la qualité et à l'introduction de nouveaux produits.
En vertu du système actuel, un fusionnement serait autorisé si les gains en efficience générés par celui-ci avaient vraisemblablement pour effet de surpasser et neutraliser les effets de l'empêchement ou de la diminution de la concurrence.
[Français]
Mes dix dernières années dans le secteur privé m'ont clairement démontré qu'une économie efficace est essentielle pour les Canadiennes et les Canadiens et pour les entreprises canadiennes.
Mes consultations au cours des trois mois auprès de plus de 200 personnes intéressées, m'ont confirmé que les industries à travers le monde continuerons de changer de façon significative en réponse à des changements technologiques accélérés, une mondialisation de l'économie et une déréglementation continue.
Si nous désirons que notre économie prospère et puisse croître, malgré ces défis de taille, je crois sincèrement qu'il faut pouvoir compter sur des entreprises rentables et efficaces qui pourront effectuer les investissements requis au niveau des infrastructures et de la recherche et du développement, afin que le Canada puisse demeurer à l'avant-garde du progrès. De cette façon le Canada demeurera un endroit où l'on retrouve la croissance, la création d'emplois et les innovations.
Pour ces raisons, le rôle des gains en efficience dans l'examen de fusionnement demeure une question importante.
[Traduction]
Quel sera l'impact du projet de loi C-249 sur le rôle des gains en efficience? En vertu du projet de loi C-249, les gains en efficience deviendraient un facteur qui serait considéré dans l'évaluation qui vise à déterminer si un fusionnement devrait être autorisé plutôt que la justification d'un fusionnement anticoncurrentiel.
Tout comme l'Association du Barreau canadien, le Bureau appuie cette approche. En évaluant les gains en efficience lors de l'analyse concurrentielle d'un fusionnement, notre examen porterait principalement sur l'éventualité que les marchés pertinents demeureraient concurrentiels et par conséquent généreraient des résultats positifs généralement associés aux marchés concurrentiels — choix, prix concurrentiels, création de nouveaux produits et services, et investissements.
J'ai regardé les transcriptions des audiences du comité de la semaine dernière. J'aimerais prendre quelques instants pour répondre à la question du président à propos de l'utilisation dans le projet de loi C-249 du terme «peut» au lieu du terme «doit». Est-ce que l'utilisation de «doit» suggère que les gains en efficience n'ont pas à être considérés? La réponse est non. Le terme «doit» a été remplacé par «peut» uniquement pour rendre le projet de loi conforme à l'article 93 de la Loi sur la concurrence. L'article 93 énumère des facteurs à prendre en considération dans la prévention ou la réduction sensible de la concurrence. Le terme «peut» est utilisé puisque tous les facteurs ne sont pas pertinents dans tous les cas. Si la preuve d'efficience était valablement soumise au tribunal, il est certainement difficile de croire qu'il choisirait de ne pas en tenir compte. En réalité, par le passé, le Tribunal a examiné systématiquement la preuve sur tous les facteurs pertinents dans les instances portant sur les fusionnements.
De plus, en tant que facteur, les gains en efficience seraient définis largement afin de permettre que différents types de gains spécifiques à un fusionnement proposé soient considérés. Les termes employés dans le projet de loi C-249 ne limitent pas les types de gains en efficience qui pourraient être pris en considération. Plus précisément, le Bureau continuerait à examiner les gains en efficience provenant de la répartition des ressources, de la protection et qui sont dynamiques, tels que ceux mentionnés plus tôt.
Cependant, le projet de loi C-249 changerait la façon dont le Bureau considère les gains en efficience. Cette modification laisserait tomber la défense et prescrirait que les gains en efficience sont considérés de façon intégrée, dès le début de l'examen du fusionnement. De plus, les gains en efficience seraient considérés dans le contexte des avantages qu'ils apportent aux consommateurs. Ce dernier point soulève deux questions: quels sont les types d'avantages qui seraient transmis aux consommateurs? Qui sont les consommateurs?
Je considère les termes de la loi proposée comme étant très larges en ce qui a trait aux avantages qui auraient des répercussions sur les consommateurs. Ceux-ci pourraient inclure les innovations, les améliorations au produit et en ce qui a trait à la qualité, le choix et les prix compétitifs, que des entreprises concurrentielles gérées de façon efficace peuvent démontrer sur une certaine période de temps. Les avantages incluraient les innovations, les améliorations au niveau de la qualité et du produit, le choix et des prix concurrentiels. Ils ne seraient pas limités aux questions de prix, comme c'est le cas dans quelques juridictions. Les termes du projet de loi sont non équivoques. Ils identifient deux types d'avantages — le prix et le choix — sans pour autant restreindre la possibilité d'autres avantages.
En ce qui a trait à la signification de la notion de «consommateur», j'interprète libéralement les termes du projet de loi. La définition du dictionnaire du mot consommateur est un acheteur de biens et services. La notion n'est pas nécessairement limitée aux consommateurs finaux ou aux ménages. La jurisprudence en cette matière correspond à une interprétation libérale de «consommateurs» ce qui inclut les individus ainsi que les entreprises dans l'évaluation des effets. Cette définition est aussi compatible avec la notion de «consommateur» à l'échelle internationale. Par exemple, à l'Union européenne, ce terme inclut les consommateurs intermédiaires et finaux, potentiels et/ou existants.
Cependant, l'approche par facteurs présente une différence importante. Aux termes de cette approche, il est très improbable que les gains en efficience puissent motiver la création d'un monopole, ce qui est possible avec l'approche actuelle. Cet état de fait, selon moi, est contraire à la finalité et aux objectifs de la Loi sur la concurrence.
[Français]
Le projet de loi aurait également pour effet de nous rapprocher des règles en vigueur chez nos partenaires commerciaux. Dans l'histoire, le Canada a examiné les gains en efficience à partir d'un point de vue différent de la plupart des juridictions à travers le monde.
Au cours des dernières années, les autorités étrangères de la concurrence se sont concentrées sur la façon de promouvoir les efficiences sans porter atteinte aux intérêts des consommateurs.
Par exemple, l'Union européenne a adopté en 2004, des lignes directrices qui expriment une volonté de prendre en considération les gains en efficience à même ses examens dans la mesure où les consommateurs en tirent des avantages et que les gains n'entravent pas la concurrence. Antérieurement, les gains en efficience étaient pour ainsi dire ignorés.
Au même titre, les États-Unis ont également entériné, vers la fin des années 90, l'intégration des gains en efficience dans l'évaluation globale des fusionnements, pourvus qu'ils ne portent pas atteinte au bien-être des consommateurs.
Ce qui donne à penser que nous ne sommes pas en présence d'un mouvement international vers le modèle canadien actuel, comme semble avoir suggéré plusieurs témoins. Nous observons plutôt que les juridictions à travers le monde analysent sous un nouveau jour leur approche relative au fusionnement, tout en étant soucieuses d'atteindre un équilibre entre la promotion des gains en efficience et les intérêts des consommateurs dans la même mesure que le propose le projet de loi C-249.
[Traduction]
Avant de conclure, monsieur le président, j'aimerais brièvement dire quelques mots au sujet de la question que vous avez soulevée la semaine dernière, notamment la raison pour laquelle ce sujet est traité de façon autonome, sans faire partie d'un examen de politique complet. Tout d'abord, je vous donne une explication au niveau de la procédure.
Comme les membres de ce comité le savent très bien, le projet de loi C-49 est un projet de loi d'initiative parlementaire et non pas une loi gouvernementale. À ce titre, le projet de loi a suivi les procédures parlementaires normales sans être soumis à une consultation publique correspondante. Le projet de loi C-249 a eu une longue vie au Parlement et a été adopté par la Chambre des communes en mai 2003, selon les procédures en place.
La nature du projet de loi, c'est-à-dire le fait qu'il émane d'un député, répond à votre question sur la raison pour laquelle il n'a pas fait l'objet d'un examen de politique détaillé. Cependant, je crois que vos inquiétudes sont d'un tout autre ordre. À mon avis, celles-ci portent sur une question qui est plus fondamentale, c'est-à-dire pourquoi le projet de loi ne ferait-il pas partie d'un examen plus général sur les changements à apporter à la Loi sur la concurrence. Ainsi, il serait sujet à des consultations additionnelles.
En guise de réponse, je vais souligner les avantages et les inconvénients de cette option du point de vue de la politique de la concurrence, ainsi qu'une évaluation des risques que cette option risque d'encourir.
Quels sont les avantages d'une telle option? De mon point de vue, il n'y en a qu'un. Il s'agit de la possibilité de faire une macro-analyse des impacts du changement d'approche, d'une défense de gains en efficience à l'approche par facteurs.
Quels sont les inconvénients d'une telle option? Tout d'abord, l'Association du Barreau canadien a souligné l'incertitude qui existe dans le monde des affaires relativement à l'application de l'approche endossée par la Cour fédérale d'appel et par le Tribunal. Bien que le professeur Townley ait clairement décrit l'élégance conceptuelle du modèle, les spécialistes comme M. Kennish sont au fait des difficultés pratiques à conseiller leurs clients sur leurs chances de succès auprès du Bureau et en bout de ligne au Tribunal. Cette approche exige que les parties au fusionnement spéculent sur toute atteinte défavorable socialement qui pourrait toucher les consommateurs, sur la pondération de cette atteinte et sur les ajustements qui devront être apportés à la valeur des gains en efficience. Toutes ces mesures sont très subjectives.
Ensuite, dans une économie de plus en plus concentrée, un autre fusionnement auquel les parties pourraient faire valoir la défense des gains en efficience est probable et pourrait mener à la création d'un monopole. Bien sûr, il s'agit là d'une hypothèse mais l'accroissement des niveaux de concentration augmente les chances d'un tel résultat.
Et finalement, toute consultation supplémentaire occasionnerait des délais additionnels et inconnus sans garantir que ces délais permettraient aux intéressés de contribuer au débat, où les positions sont connues depuis fort longtemps. Le choix porte sur la défense par laquelle les gains en efficience pourraient motiver un fusionnement anticoncurrentiel, ou sur l'approche par facteurs en fonction de laquelle les gains en efficience devraient être examinés à la lumière des avantages qu'ils apportent aux consommateurs.
Monsieur le président, du point de vue de la politique de la concurrence, je crois que le risque de maintenir l'incertitude auprès des entreprises, la possibilité d'avoir à faire face à un autre fusionnement anticoncurrentiel et les délais supplémentaires militent en faveur de l'adoption du projet de loi C-249.
Je crois que cette explication répond à vos inquiétudes. Nous nous ferons maintenant un plaisir de répondre à vos questions.
Le sénateur Tkachuk: J'ai quelques questions à propos de l'examen de la politique même. Qui s'occupe de cet examen?
Mme Scott: Parlez-vous de la série d'amendements qui est en train d'être examinée? Le Comité de l'industrie avait présenté un rapport qui a donné lieu à une réponse de la part du gouvernement. Par la suite, une série de consultations a été effectuée par le Forum des politiques publiques. Cela s'est fait avant que toute décision soit prise au sujet du projet de loi. Il s'agit simplement de discuter des idées qui ont été soulevées dans le rapport du Comité de l'industrie et dans la réponse du gouvernement.
Le sénateur Tkachuk: Sur quoi porte le rapport initial du Comité de l'industrie?
Mme Scott: Le rapport initial du Comité de l'industrie discute de quatre aspects de la Loi sur la concurrence et de propositions de changement.
Le sénateur Tkachuk: J'essaie de comprendre qui est responsable de ces initiatives.
Mme Scott: Les consultations ont été menées par le Forum des politiques publiques. Le forum s'est servi des questions soulevées par le gouvernement dans sa réponse. Les parties ont été invitées à présenter des commentaires par écrit au Bureau de la concurrence, au Forum des politiques publiques. C'était le premier type de consultation par écrit. Le forum a alors passé à des tables rondes où les parties ont formulé des remarques en réponse aux questions soulevées dans le document du gouvernement.
Le sénateur Tkachuk: Simplement pour m'assurer de bien comprendre, qui a pris l'initiative de ces consultations, s'agit-il du ministre, du sous-ministre, ou du responsable du Bureau de la concurrence?
Mme Scott: Je demanderais à Mme Suzanne Legault de répondre. Comme vous le savez, je viens d'arriver au Bureau. Mme Legault quant à elle était là au cours de ce processus de consultation.
Le sénateur Tkachuk: Qui a décidé un beau jour de revoir cette politique?
Mme Suzanne Legault, sous-commissaire adjointe, Division des affaires législatives, Bureau de la concurrence: Cet examen a été entrepris à la suite du rapport du Comité de l'industrie rendu public en avril 2002. Ce rapport formulait 29 recommandations qui présentaient des propositions visant à modifier la Loi sur la concurrence qu'il serait bon que nous examinions. Cela a donné lieu à une réponse officielle de la part du gouvernement à ce rapport. Le gouvernement a déposé sa réponse en octobre 2002. Puis il a entrepris de vastes consultations sur certaines des recommandations présentées par le Comité de l'industrie. Le gouvernement a ensuite lancé le document de travail qui renfermait une liste de proposition de commentaires par les principaux intéressés. Ce document a été publié en juin 2003.
Le processus a été dirigé par le Forum des politiques publiques. Le bureau a engagé le Forum des politiques publiques pour qu'il dirige le processus, rassemble les commentaires et organise les tables rondes. Nous avons reçu une centaine de mémoires écrits au cours d'une période de trois mois, et avons tenu par la suite des tables rondes partout au Canada. Le document du Forum des politiques publiques a été rendu public en avril de cette année.
Le sénateur Tkachuk: La question des efficiences a-t-elle fait partie de la discussion à cette époque-là? Cela dure depuis un certain nombre d'années.
Mme Legault: Le document de travail proposait entre autres que les ententes entre concurrents soient prévues par les dispositions civiles de la loi. Dans ce contexte, l'un des facteurs à prendre en considération dans le cadre de l'analyse générale était un facteur d'efficience. Le document de travail se demandait en particulier s'il serait approprié de prendre en considération un tel facteur d'efficience dans le cadre de l'examen des fusions. Le facteur abordé dans le document de travail s'inspirait des dispositions du projet de loi C-249. Il ne s'agissait pas d'une consultation particulière sur une modification aux dispositions relatives aux fusions, mais des commentaires ont été formulés à cet égard à l'époque. Avant de venir ici, j'ai relu les mémoires écrits, et certaines personnes ont fait des commentaires sur cet aspect dans les mémoires écrits, et à la table ronde technique, cette question a été soulevée avec des spécialistes des questions de concurrence.
Le sénateur Tkachuk: Pourrait-on dire que ceux qui ont présenté des exposés sur la question des efficiences et les discussions qui ont eu lieu dans le cadre du Forum des politiques publiques sur l'élimination des efficiences comme défense, comme le propose le projet de loi C-249, étaient du même avis ou présentaient des opinions divergentes?
Mme Legault: Deux questions ont été posées dans le document de travail et si vous me le permettez je vais vous les présenter. L'une consistait à déterminer si les efficiences devraient être prises en considération comme facteur dans les dispositions civiles relatives aux alliances. La deuxième question portait sur l'opportunité de prendre en considération les efficiences comme facteur dans le cadre d'un examen de fusion: pourquoi ou pourquoi pas? Ce sont donc des aspects qui ont été abordés. Je dois dire qu'après avoir parcouru les transcriptions, que les questions qui ont été soulevées devant vous et aussi à l'autre endroit étaient du même genre. Certains ont dit préférer le statu quo, avoir une défense dans le cadre de la disposition sur les efficiences; et d'autres ont dit préférer l'approche par facteurs. Certains ont commenté l'utilisation des termes «peut» ou «doit» et certains ont fait des commentaires à propos des répercussions sur les consommateurs.
Les questions soulevées étaient identiques à celles qui vous ont été présentées.
Le sénateur Tkachuk: Il n'y a donc pas eu de consensus?
Mme Legault: Non.
Mme Scott: Ce sont les positions que vous avez entendues. Certains privilégient une défense, le maintien du statu quo; et d'autres préfèrent l'introduction d'un facteur. Les témoignages que vous avez entendus ces dernières semaines sont identiques aux témoignages que vous auriez entendus en novembre et décembre derniers. Vous auriez entendu le même type de commentaires dans le cadre des consultations du Forum de politiques publiques.
Le sénateur Tkachuk: Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas présenté un projet de loi sur cette question? La position du gouvernement n'est-elle pas la même que celle du député et la même que la vôtre? Existe-t-il quelque part un document d'orientation stratégique qui énonce qu'il s'agit de la position du gouvernement du Canada?
Mme Scott: Le projet de loi C-49 a fait l'objet d'un vote à la Chambre des communes. Le ministre de l'Industrie de l'époque, M. Allan Rock, s'est prononcé en faveur du projet de loi d'initiative parlementaire, tout comme l'a fait la ministre actuelle, Mme Lucienne Robillard.
[Français]
Le sénateur Massicotte: Madame Scott, vous soulevez des commentaires et des questions que nous nous posons. J'aimerais retourner au point de vue de l'effet du projet de loi. Ce sont les questions d'efficacité mises en perspective qui augmentent l'offre, où le prix au consommateur est pris en considération.
J'aimerais retourner à la théorie économique. Je fais référence au discours du gouverneur de la Banque du Canada, M. Dodge, qui dit toujours que la seule question pour l'économie canadienne est la productivité du pays ou per capita. Jamais je ne l'ai entendu dire que les mesures de l'économie et les mesures de l'efficacité sont moins importantes que le prix au consommateur ou la concurrence comme telle. La concurrence est pour s'assurer qu'on est très productif et qu'on produit beaucoup comme pays.
J'essaie de comprendre la théorie économique. Pourquoi l'argument de l'efficacité est-il secondaire à la concurrence ou au prix du consommateur ou l'offre au consommateur? Est-ce cohérent avec la théorie économique de tous nos grands économistes canadiens? On dirait que c'est même contraire aux quatre objectifs de la loi existante. On définit le but de la Loi de la concurrence. On dirait qu'on oublie ces quatre objectifs. Pouvez-vous nous aider?
Mme Scott: On ne dit pas que la question d'efficience est secondaire. Cela demeure une question très importante. Nous avons devant nous la Loi sur la concurrence. C'est l'interprétation de ce qu'est la Loi sur la concurrence.
Selon cette loi, ce qui est important est d'avoir la concurrence pour assurer que les Canadiens et les Canadiennes profitent de tous les avantages de la concurrence, c'est-à-dire le choix et les prix concurrentiels. On encourage même l'innovation et les investissements qui découlent, en fait, de la concurrence entre les grandes entreprises.
Ce n'est pas que l'on ne reconnaisse pas l'importance des efficiences. Tout au contraire, je dirais que l'approche qu'on propose est de continuer à mettre l'accent sur l'efficience, mais de reconnaître, en même temps, qu'il faut regarder quel est l'impact dans le marché. Est-ce que l'on continue à avoir un marché concurrentiel? Est-ce que les Canadiens, les entreprises et les individus bénéficient de la compétition et de l'économie?
Le sénateur Massicotte: Avec l'amendement qui est fait, ce sont seulement les efficiences qui bénéficient au consommateur qui sont considérées. Les efficiences de compétitivité et de productivité ne sont pas considérées. Vous dites que dans la définition de concurrence, de la Loi de la concurrence, vous êtes prête à mettre comme intérêt secondaire la productivité et le bien-être de notre pays.
Mme Scott: Quand je lis la modification proposée, je ne limite pas les bénéfices aux questions de prix ou de choix. Le langage de l'article de la loi est très large. On peut y lire que si on peut identifier un bénéfice en faveur des consommateurs, on doit pouvoir le prendre en considération.
Si des fusions d'entreprises ont pour résultats la capacité d'investir, d'innover et de faire de la recherche et du développement, toujours dans le but d'accroître la productivité dans l'économie, cela devrait être pris en considération. Tous reconnaîtront que cela représente des bénéfices pour les individus. La loi est assez claire lorsqu'elle dit:
[...] notamment, les bénéfices aux consommateurs, notamment le prix et le choix [...]
Le terme «notamment» signifie que ce sont des exemples et on peut imaginer d'autres exemples qui constituent des bénéfices pour les consommateurs.
Le sénateur Massicotte: Je veux m'assurer que je comprends bien votre point de vue. On parle toujours du bénéfice des consommateurs, pas celui des actionnaires ou des employés. Je suis d'accord pour dire que la loi, telle que rédigée présentement, manque de définition. Le tribunal a décidé que la notion d'efficience était plus importante que la notion de concurrence.
Avec le projet de loi ce n'est plus possible. Même les notions d'efficience ou de productivité canadienne sont plus importantes, c'est maintenant le bénéfice du consommateur qui compte le plus. Êtes vous d'accord avec mon interprétation?
Mme Scott: Vous semblez dire que l'efficience et la productivité c'est la même chose. Je ne suis pas entièrement d'accord avec cela. Lorsqu'on parle des consommateurs, on parle des entreprises, des individus, de tous ceux qui profitent des avantages d'un marché concurrentiel. Tout cela produit un impact assez large dans la société.
Si on regarde le résultat de l'interprétation de la loi telle qu'elle existe maintenant, on voit qu'il y a une possibilité de création de monopoles. La question de monopole naturel n'est pas réglementée et cela va à l'encontre de toute la théorie économique.
En général, le Canada a connu des monopoles, comme le CRTC et les compagnies de télécommunications, et ces monopoles étaient réglementés. Maintenant, on essaie d'encourager la déréglementation. Je suis entièrement d'accord avec l'approche qui va de la réglementation des monopoles vers le marché concurrentiel.
Si le résultat est la création d'un monopole dans lequel les entreprises peuvent innover et investir, et qu'elles peuvent augmenter leurs prix, cela va à l'encontre des objectifs de la Loi sur la concurrence.
[Traduction]
Le sénateur Harb: Je vous remercie de votre exposé. Si le projet de loi C-249 avait été approuvé au moment où la demande de fusion a été présentée, auriez-vous été en mesure de rejeter la demande de fusion, puis auriez-vous obtenu gain de cause devant les tribunaux?
Mme Scott: En règle générale, si cela avait été un facteur plutôt qu'une défense, il aurait été beaucoup plus difficile pour cette fusion d'être menée à bien si l'amendement prévu par le projet de loi C-249 avait eu force de loi.
M. Dave McAllister, directeur des dossiers spéciaux et conseiller stratégique, Bureau de la concurrence: Je vais tâcher de vous donner un exemple de la différence qui existe entre le facteur et la défense. Au lieu de prendre l'exemple du gaz propane, nous pourrions peut-être songer à une fusion proposée dans une industrie ayant trois entreprises de taille égale et à la suite de laquelle une entreprise se retrouve avec 66 p. 100 du marché, et 33 p. 100 entre les mains d'un concurrent. L'examen de cette fusion nous amène à conclure qu'il existe un sérieux problème de concurrence. On est en train d'éliminer la concurrence entre les entreprises qui fusionnent et il ne restera que deux concurrents. Selon un tel scénario, s'il existait de véritables efficiences qui pouvaient être prises en considération en tant que facteurs dans le cadre de l'analyse, il serait possible de conclure qu'étant donné qu'un concurrent détient 33 p. 100 du marché, il y aura une discipline concurrentielle imposée aux parties fusionnées. Il est probable qu'elles auront la discipline voulue pour réaliser les efficiences et en faire profiter les consommateurs.
Selon ce scénario, l'analyse de la fusion sous l'angle des facteurs peut faire pencher la balance en faveur de la fusion. C'est simplement un exemple hypothétique. Si on passe d'une fusion d'une industrie ayant deux entreprises à une industrie n'en ayant qu'une, bien entendu la concurrence est complètement éliminée. Il n'existe aucune discipline concurrentielle imposée à la partie fusionnée de réaliser les efficiences et certainement pas de faire en sorte qu'ils soient répercutés sur les consommateurs.
Plus on se rapproche d'un monopole ou d'un quasi-monopole, plus il sera difficile en fonction de l'approche par facteurs pour les parties de convaincre le tribunal que la fusion devrait être autorisée dans l'intérêt public.
Le sénateur Harb: Quand le Bureau de la concurrence arriverait-il à la conclusion qu'il y a abus de position dominante et par conséquent une absence de concurrence, et déciderait-il de rejeter la demande? À quel stade décidez- vous s'il y a abus de position dominante ou non sur le marché?
M. McAllister: La réponse varie selon les faits propres à chaque cas. Nous savons effectivement que la loi précise que nous ne pouvons pas empêcher une fusion uniquement en fonction de la part des marchés ou de la concentration. La loi reconnaît déjà la notion selon laquelle la taille en soi n'est pas nécessairement une mauvaise chose. Il appartient au commissaire de prouver que non seulement l'industrie est plus concentrée et que les parties fusionnées ont une part importante du marché, mais nous devons aussi tenir compte des autres facteurs que le tribunal doit prendre en considération. Y a-t-il des obstacles qui entravent l'accès à l'industrie? La concurrence étrangère joue-t-elle? Existe-t-il des produits de substitution que peuvent choisir les consommateurs pour atténuer les effets anticoncurrentiels de la fusion?
Normalement, une part importante du marché et des obstacles à l'accès sont les facteurs clés que nous examinerions et nous nous poserions la question suivante: après la fusion, l'entreprise fusionnée aura-t-elle la capacité d'augmenter les prix, capacité qui ne sera pas limitée par les importations ou une autre forme quelconque de concurrence efficace? Il n'existe pas de chiffre magique en ce qui concerne les parts de marché. Nous sommes portés à croire que toute part inférieure à 35 p. 100 est très peu susceptible de représenter un abus de position dominante, donc dans les cas d'abus de position dominante, nous examinons les parts de marchés de 35 p. 100 et plus, et la plupart des cas contestés devant le tribunal en ce qui concerne les parts de marché se sont situées dans la fourchette de 80 à 90 p. 100.
Mme Scott: Il est possible qu'une entreprise finisse par posséder 95 p. 100 du marché, et la possibilité pour d'autres entreprises d'accéder au marché permettrait d'assurer une discipline suffisante au niveau des prix, de sorte qu'il serait impossible de conclure à l'existence d'une position dominante sur le marché et dans ce cas la fusion serait autorisée. Comme l'a indiqué M. McAllister, la part du marché n'est pas forcement un élément déterminant. Il existe une distinction importante entre les lois canadiennes sur la concurrence et les lois américaines, par exemple. Récemment, la Federal Trade Commission a publié un important rapport indiquant les parts de marché dont elle a tenu compte pour déterminer s'il y aurait une diminution importante de la concurrence, parce que c'est ce qui l'intéresse. Nous fonctionnons différemment. Comme je l'ai dit, il n'est même pas nécessaire d'avoir un réel concurrent. Si les parties peuvent présenter des preuves susceptibles de nous persuader qu'il existe une possibilité d'accès au marché qui servira à imposer une discipline au niveau des prix, nous pouvons alors conclure qu'il n'y aura pas de diminution sensible de la concurrence, même dans les circonstances où une entreprise occupe une part très importante du marché.
Le sénateur Harb: Lorsque le comité a étudié le projet de loi, et il l'a appuyé, il a demandé un examen de la Loi sur la concurrence. Comme vous l'avez indiqué à mon collègue, vous avez alors procédé à des consultations et avez reçu des mémoires. Je dirais, même sans que cela soit planifié, qu'une bonne part de ces mémoires devaient porter sur l'amendement du projet de loi C-249 parce que c'est une des questions qui a été soulevée devant le comité à l'époque et un des facteurs qui a déclenché toute cette initiative. Je m'intéresse tout d'abord au cadre de référence de l'étude. Qu'avez-vous présenté au public pour obtenir leurs commentaires?
Deuxièmement, dans quelle mesure avez-vous pris en considération non seulement le marché canadien intérieur mais aussi le marché international parce que, comme vous le savez, nous vivons dans une économie mondiale, donc dans certains cas nous ne pouvons pas faire la distinction entre un marché local et un marché international? Dans certains cas, en vertu du droit international, on ne peut pas empêcher l'arrivée d'un nouveau venu sur le marché. Le Bureau de la concurrence pourrait étudier un cas concernant deux entreprises nationales et décider de ne pas autoriser la fusion parce que, dans le contexte canadien, il y aura position dominante et par conséquent absence de concurrence. Cela indépendamment du fait qu'une entité étrangère, en vertu du droit international, pourrait offrir le même type de service au consommateur ici, et pénétrer le marché canadien et offrir des choix aux consommateurs canadiens.
En ce qui concerne le cadre de référence, dans quelle mesure avez-vous examiné la réalité de la situation au lieu d'examiner simplement la situation au niveau national? Des consultations internationales ont-elles eu lieu?
Mme Scott: Vous avez soulevé une bonne question à propos de la façon dont nous examinons les activités qui se déroulent ou pourraient se dérouler dans des pays étrangers et qui pourraient avoir une certaine incidence sur la façon dont fonctionnent les entreprises canadiennes. Je considère qu'un c'est un aspect très concret compte tenu de mes antécédents dans l'industrie des télécommunications, qui est de toute évidence un marché de plus en plus mondial, donc j'ai suivi cette situation de près.
Les examens de fusion ne comportent aucune frontière géographique qui se limite au Canada. Lorsqu'on tâche d'évaluer si la fusion entraînera une diminution de la concurrence, il faut définir le marché où la compagnie offre ses services. Le Bureau définit d'abord le marché des produits. Quel est le produit? Quel serait un produit de substitution? Parfois, il n'est pas évident de déterminer quels seraient les produits de substitution. Cependant, on évalue ce que nous considérons être des produits de substitution comparables qui pourraient imposer une discipline au niveau des prix. Le consommateur pourrait dire: «Le prix du produit A a augmenté donc j'achèterai à la place le produit B parce qu'il correspond assez bien à mes besoins.»
On analyse également le marché géographique qui n'est d'ailleurs pas restreint au Canada. Lorsque nous évaluons la concurrence et déterminons si une entreprise peut exercer une position de dominance, nous étudions les entreprises qui sont proches par exemple aux États-Unis, qui n'ont pas de frais de transport importants ou, à l'époque de l'information, qui n'ont pour ainsi dire pas de coûts parce qu'elles peuvent transmettre leurs produits électroniquement. C'est un aspect dont l'analyse tiendrait compte et qui serait considéré comme un facteur susceptible d'imposer une discipline en matière de prix.
Par exemple, si je traitais avec une entreprise canadienne, et que cette entreprise faisait face à une concurrence électronique de la part d'une entreprise étrangère, on prendrait en compte et on évaluerait cette concurrence pour déterminer si elle contrôlerait la capacité de l'entreprise canadienne d'augmenter ses prix. C'est l'une des choses que nous faisons maintenant.
Je m'intéresse beaucoup aux conséquences de la mondialisation croissante de l'économie, du changement technologique, de la déréglementation, et de ce qui se passe dans le monde. Qu'est-ce que cela signifie pour les entreprises canadiennes? Lorsque j'ai parlé aux membres du barreau il y a quelques semaines, je leur ai dit que lorsqu'ils présentent une demande de fusion, de bien vouloir présenter toute les preuves. J'avais l'habitude par le passé, d'assister à des débats se déroulant dans une entreprise et j'ai pris en considération cette question même. On a passé beaucoup de temps à s'interroger sur la provenance de la concurrence de l'avenir. Nous disons aux entreprises qui fusionnent de produire toutes les preuves qu'elles veulent pour nous prouver qu'effectivement le concurrent de l'avenir n'est pas l'entreprise au coin de la rue aujourd'hui, étant donné que le marché est mondial. C'est un aspect extrêmement important de notre travail et qui le deviendra de plus en plus.
Il est également important de ne pas oublier que nous vivons aujourd'hui dans un monde de multinationales. Je vais prendre l'exemple célèbre de deux entreprises qui ont fusionné, c'est-à-dire GE et Honeywell. Lorsqu'elles ont fusionné aux États-Unis, elles ont aussi fusionné au Canada, en Europe et partout où elles ont des clients. Elles ont dû comparaître devant des instances multiples de concurrence pour obtenir l'autorisation de fusionner. Elles ont comparu devant les instances américaines et leur demande a été approuvée. Elles ont comparu devant les instances européennes et leur demande a été rejetée. Qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie que leur fusion a échoué.
Par conséquent, dans une certaine mesure, on peut accroître l'harmonisation des règles qui nous guident dans notre analyse des fusions, mais il n'est pas nécessaire qu'elles soient identiques. Le Canada peut avoir des préoccupations qui sont tout à fait différentes de celles des États-Unis ou de l'Europe mais, dans la mesure où on peut adopter des règles plus ou moins similaires — ce que nous appelons la convergence douce — c'est alors une bonne chose pour les entreprises parce qu'elles seront plus susceptibles d'aborder des problèmes analogues lorsqu'elles s'adressent à différentes instances internationales en matière de concurrence pour obtenir leur approbation.
Cela répond-il à votre question?
Le sénateur Harb: Tout à fait.
Le président: L'intérêt de ce genre de sessions est en outre que nous apprenons tous quelque chose au fur et à mesure.
Le sénateur Moore: Je voudrais poursuivre dans la même veine que le sénateur Tkachuk dont les questions portaient sur l'examen qui avait été entrepris. Vous avez dit, je crois, madame Legault, que le gouvernement avait déposé en octobre 2002 une réponse au rapport d'Industrie Canada puis, au printemps 2003, qu'il avait ouvert une consultation publique et qu'il avait engagé à cette fin le Forum des politiques publiques. C'est à peu près à la même époque, comme on peut le lire dans le mémoire de Mme Scott, que les Communes étudiaient le projet de loi C-249. Comme c'était donc un sujet d'actualité, pourriez-vous nous dire pourquoi Industrie Canada ne l'avait pas fait intégrer à son examen par son courtier, le Forum des politiques publiques? Il s'agit après tout d'un volet important de la loi qui aura des ramifications considérables, et j'estime que quelque chose d'aussi important et d'aussi essentiel aurait dû à tout le moins faire partie du champ d'étude de cette politique.
Mme Legault: Au moment du dépôt du document de discussion, c'est-à-dire en juin 2003, le projet de loi C-249 avait déjà été renvoyé en comité qui en avait commencé l'étude. D'ailleurs, si je me souviens bien de la chronologie, le projet de loi avait reçu la troisième lecture à la Chambre les 9 et 13 mai 2003, alors que le document de discussion fut pour sa part publié à la fin juin de sorte qu'à ce moment-là, le projet de loi avait déjà franchi l'étape du vote à la Chambre des communes.
Le sénateur Moore: Oui, mais il n'est pas allé plus loin et le Sénat ne s'en est pas saisi.
Mme Legault: Il a pourtant été renvoyé au Sénat.
Le sénateur Moore: Toutes sortes de choses se sont produites au Parlement.
Mme Legault: En effet, le projet de loi en question fut renvoyé au Sénat et, comme je l'ai déjà dit, il fut évoqué en partie dans un document de discussion en même temps que d'autres dispositions concernant l'alliance stratégique civile, et on avait d'ailleurs précisément demandé à nos intervenants s'ils pensaient qu'il fallait tenir compte des efficiences dans l'examen des fusions.
Le projet de loi C-249 n'a pas fait l'objet d'une consultation séparée, d'une consultation distincte, en raison du cheminement législatif qu'il suivait à l'époque. Il avait déjà été adopté par la Chambre, et il avait été renvoyé à votre comité pour étude. En tout état de cause, ce projet de loi avait été soumis au Sénat pour étude.
Le sénateur Moore: Je trouve un peu étrange que quelque chose d'aussi important ait été omis du rapport déposé par Industrie Canada au printemps 2002 alors qu'il continuait à faire l'objet d'un examen de politique. Ce n'est pas parce que ce projet de loi était au Parlement que personne d'autre ne pouvait l'étudier. Ce n'est pas comme un renvoi devant les tribunaux qui interdit tout commentaire sur l'affaire.
Monsieur le président, puis-je passer maintenant aux deux termes «doit» et «peut»?
Le président: Allez-y, la question a déjà été évoquée.
Le sénateur Moore: Voici ce que vous dites dans votre exposé:
Est-ce que l'utilisation de «doit» suggère que les gains en efficience n'ont pas à être considérés? La réponse est «non». Le terme «doit» a été remplacé par «peut» uniquement pour rendre le projet de loi conforme à l'article 93 de la Loi sur la concurrence [...] Le mot «peut» est utilisé puisque tous les facteurs ne sont pas pertinents dans tous les cas.
Il me semble qu'à moins d'utiliser le mot «doit» les facteurs ne doivent pas être pris en compte. La seule façon d'obliger les gens de tenir compte de tous les facteurs, c'est d'utiliser le mot «doit». Pensez-vous toutefois que le mot «peut» ait le même objet, la même signification que le mot «doit»? Je ne comprends pas.
Mme Scott: J'ai regardé la chose sous des angles différents. Le premier angle constitue à postuler ceci: que se passe-t- il si l'article 93 prescrit que le tribunal «doit» en tenir compte? Ayant étudié le droit pendant de nombreuses années, j'ai le sentiment que cela créerait une situation inusitée en ce sens qu'on dirait ainsi au tribunal qu'il doit tenir compte de certaines choses qui ne sont pas pertinentes à la transaction qu'il considère.
À défaut du mot «doit», qui selon moi est tout à fait mal avisé lorsqu'on songe qu'il s'adresse ainsi à un tribunal, la seule autre possibilité est de dire «peut». Cela veut alors dire qu'on «peut» prendre ce facteur en compte s'il est pertinent.
Comme vous le dites, sénateur, un juge pourrait fort bien dire: «Je n'ai aucune obligation, en effet la loi dit «peut». Je dirais deux choses à ce sujet. Tout d'abord, il serait tout à fait inusité qu'un tribunal qui reçoit une preuve en règle n'en tienne pas compte. D'ailleurs, j'imagine qu'il y aurait motif d'appel si un tribunal qui avait eu connaissance d'éléments pertinents et qui avait reçu des preuves pertinentes elles aussi, avait refusé d'en tenir compte. C'est là un principe fondemental du droit administratif. Un tribunal doit s'employer à examiner ce dont il est saisi et ne pas négliger les éléments pertinents.
En second lieu, la jurisprudence nous apprend que c'est exactement ce qui se passe. Si vous examinez cette jurisprudence, vous constaterez que le tribunal examine toutes les preuves issues de tous les facteurs pertinents. Cette jurisprudence porterait à penser que c'est cela qu'il ferait.
Je ne pense pas que l'utilisation du mot «peut» permettrait au tribunal de ne pas tenir compte des preuves d'efficiences. Si je le pensais, cela me mettrait mal à l'aise. Mon opinion est que la notion et l'analyse des efficiences, lorsqu'elles sont présentées par une société, sont d'autant plus pertinentes que nous tenons compte du contexte global. Et le tribunal devrait y prêter attention également.
Je ne suis pas certaine qu'il faudrait biaiser les choses lorsque l'issue serait un monopole alors qu'à mon avis cela est contraire à l'intention du législateur.
Le sénateur Kelleher: Je voudrais revenir à la page 2 de votre exposé. Vous n'avez pas suivi toutes nos audiences, mais moi si. J'ai écouté avec beaucoup d'attention tous les témoins. Un seul était d'accord avec les changements proposés par le projet de loi C-249, et tous les autres ont exprimé une vive opposition. En particulier, je m'inscris en faux contre ce que vous affirmez au quatrième paragraphe de la page 2, lorsque vous dites, je crois, que l'Association du Barreau canadien et vous êtes du même avis. Je ne pense pas que ce soit exact. J'ai écouté les témoignages et je peux vous dire que l'Association du Barreau n'est pas d'accord avec vous.
Mme Scott: Comprenons-nous bien à ce sujet parce que nous ne sommes pas 100 p. 100 d'accord avec l'Association du Barreau canadien. Il y a trois ou quatre éléments différents.
Le sénateur Kelleher: Je comprends bien
Mme Scott: Je veux que nous nous comprenions bien à ce sujet parce que je ne tiens pas à ce qu'il y ait quelque malentendu que ce soit au sujet de ce que je dis moi sur ce qu'a dit l'Association du Barreau. L'Association a déclaré qu'elle était favorable à une approche par facteurs. Je dis moi que le Bureau de la concurrence préconise lui aussi une approche par facteurs.
Toutefois, l'Association canadienne du Barreau a exprimé d'autres types de préoccupations. En premier lieu, il y a la consultation. L'Association estime qu'il devrait y avoir d'autres consultations. Elle a également exprimé certaines préoccupations au sujet de l'utilisation d'expressions comme «revenir aux consommateurs», et «propres à un fusionnement».
Effectivement, ce sont-là des préoccupations d'un autre ordre. En ce qui concerne l'expression «revenir aux consommateurs» qui semble poser problème, j'imagine que l'Association interprète peut-être cette disposition de façon plus restrictive que moi, ce qui explique probablement leur préoccupation.
Tout cela revient à un débat sur une approche par facteurs ou une défense. Et j'ai la conviction que l'Association du Barreau canadien a déjà dit publiquement qu'elle était favorable à l'approche par facteurs.
Le sénateur Kelleher: Comment expliquez-vous le fait que tous les autres témoins, sauf le tout premier, ont exprimé leur opposition au projet de loi C-249 et ont dit craindre la disparition de la défense des efficiences? Est-ce qu'ils ont tous tort alors que vous avez raison?
Mme Scott: Je dirais qu'il y a ici deux positions. Vous les avez déjà entendues je crois. Vous avez entendu plusieurs conseillers juridiques de Superior Propane qui sont venus témoigner, forts de leur connaissance intime de l'affaire. Vous avez également entendu les représentants de l'Association du Barreau canadien. Il faut que je vous dise qu'à mon avis, les deux ne sont pas aussi opposés qu'ils le semblent. Je pense qu'ils sont favorables à une approche par facteurs.
Vous n'avez pas encore entendu le témoignage de ceux qui, normalement, se prononceraient en faveur de cet amendement. Vous allez entendre après nous un autre groupe qui, je crois, préconise l'approche par facteurs et appuie le projet de loi C-249.
Vous n'avez pas encore entendu les groupes de consommateurs. Ils ont déclaré, je crois, qu'ils seraient prêts à venir témoigner si vous étiez disposés à les entendre. Ainsi, vous pourriez également voir qu'eux aussi, sont favorables.
Je sais qu'il y a d'autres juristes qui vous ont dit être prêts à venir témoigner. Vous avez entendu une catégorie d'entre eux. Mais pour être franche avec vous, je vous dirais qu'il y a deux arguments. J'ai essayé de vous expliquer du mieux que je le pouvais pourquoi nous sommes favorables à une approche factorielle. Mais je ne pense pas qu'il faille compter les têtes pour décider qui a tort et qui a raison. Pour moi, il s'agit de deux approches différentes dont chacune a ses points forts et ses points faibles.
Le sénateur Kelleher: L'une des difficultés tient à la façon dont ce projet de loi a été abordé. Vous n'aimerez peut-être pas ce que je vais vous dire, mais à mon avis, c'est un projet de loi qui a été fabriqué, présenté et élaboré par votre prédécesseur qui n'est plus là. Et qui va passer le reste de sa vie dans la magistrature. Il avait mobilisé l'aide d'un député pour faire adopter le projet de loi.
Le sénateur Prud'homme: En passant, il est ici.
Le sénateur Kelleher: Peut-être, et tant mieux pour lui. Qu'il soit le bienvenu au comité.
Nous avons donc ici la preuve que l'approche privilégiée par plusieurs d'entre nous est nécessaire. Cela revient donc à dire qu'il faudrait intégrer la chose à un examen approfondi du projet de loi, sans en faire une mesure législative distincte. Je ne pense pas que cette façon de procéder soit bonne.
Je conteste également votre position lorsque vous dites que le projet de loi nous alignerait davantage sur les règles de nos partenaires commerciaux. Nous avons entendu un avocat américain, expert en la matière et dont le cabinet s'occupe uniquement de fusions, et qui nous a dit que ce sont eux qui viennent au Canada et non pas le contraire. D'après ce qu'il nous a dit, une défense reposant sur l'efficience est une bonne chose à avoir. Je suis sûr que vous avez lu son témoignage.
Mme Scott: En effet. Et vous avez ainsi assurément entendu le point de vue d'un des membres du Barreau américain.
Il pourrait être utile de savoir ce qu'en pense l'organisme qui réglemente la concurrence. Je pense que mon homologue est la mieux placée pour vous expliquer ce que les Américains essaient de faire. Je vous recommande d'étudier ce qu'ils font, ce qu'ils ont choisi de faire, au lieu de regarder le cadre de référence préféré d'un seul avocat qui s'occupe uniquement de fusions. Si vous regardez l'approche qui a été adoptée par la Federal Trade Commission, vous constaterez qu'elle est très semblable à ce que propose le projet de loi C-249. C'est donc là la position que les Américains ont choisi d'adopter. Et elle ne penche nullement vers une défense basée sur l'efficience. La Federal Trade Commission a plutôt opté pour une approche basée sur le consommateur. Elle n'a pas vraiment voulu aller beaucoup plus loin avec la thèse de l'efficience que nous ne l'avons fait, nous, au Canada. Les Américains tendent vers cela, et c'est pour cette raison que je vous ai dit que si le Canada était à une extrémité du spectre avec une défense donnant la préférence absolue aux efficiences, et si les Américains et les Européens ont adopté une attitude plus axée sur le consommateur, ces derniers reconnaissent désormais de plus en plus l'importance des efficiences.
Je vous suggérerais donc de regarder un peu ce que les organes de réglementation de la concurrence ont fait ailleurs plutôt que les préférences du Barreau privé.
Le sénateur Kelleher: Une dernière question: à la dernière page de votre texte, madame Scott, vous dites ceci en guise de défense, si vous me permettez l'expression, ou de raisonnement:
Ensuite, dans une économie de plus en plus concentrée, un autre fusionnement auquel les parties pourraient faire valoir la défense des gains en efficience est probable et pourrait mener à la création d'un monopole.
Vous dites là, il faut le reconnaître, que c'est une conjecture. Bien entendu c'en est une. En 18 ans, il n'y a eu qu'une seule cause, Superior Propane. Ce n'est pas comme si ce genre de dispositions avait provoqué une ruée, une foule de demandes. Alors je me demande s'il est vraiment important d'avancer aussi rapidement que cela sur ce front, ce qui revient à ce que nous disions au départ, du moins certains d'entre nous, c'est-à-dire que cette question exige d'être étudiée de façon plus approfondie.
Mme Scott: Je comprends fort bien, et c'est pour cela que j'ai dit que c'était une conjecture. C'est simplement une observation. Depuis environ 1986, nos industries sont de plus en plus concentrées. Par conséquent, ce genre de chose est de plus en plus probable. À mon sens, c'est un juste milieu entre les avantages et les inconvénients, les risques qu'on pourrait courir. Manifestement, vous avez fait votre choix. J'essayais simplement de mettre dans l'équation tous les facteurs dont je tiendrai compte pour décider s'il faut ou non retarder les choses.
M. McAllister: Il me vient à l'esprit qu'il y a un revers à la médaille. J'étais là pour le témoignage de M. Kennish. Il m'a semblé présenter fort justement son témoignage en disant que certaines fusions, qui sont envisagées, ne seront pas concrétisées en raison de l'incertitude actuelle en ce qui concerne en particulier la défense des efficiences, cette approche de juste milieu, et de la nécessité d'identifier les conséquences néfastes sur un plan social. Voilà qui appelle l'attention sur le fait qu'il devrait être préférable d'essayer de rendre la loi plus claire, et le plus tôt sera le mieux.
Le sénateur Kelleher: C'est exact, mais je ne pense pas qu'il faille le faire du jour au lendemain.
Le président: Pendant toutes les discussions qui ont eu cours ici, une chose qui m'a tracassé ainsi que d'autres collègues est le fait qu'il y a une confusion véritable des rôles. Nous nous en sommes parlé un peu plus tôt, commissaire. Notre rôle ici au comité est d'entendre toutes sortes d'organismes publics dont les responsabilités sont très variées. En règle générale, nous en faisons comparaître les représentants ainsi que le ministre et nous intégrons tout cela à un cadre de politique parce que, comme nous sommes des législateurs, c'est de questions de politique que nous traitons.
Je parle ici en mon nom personnel mais également en reprenant ce que d'autres ont dit aussi, mais une partie du dilemme est qu'il faut comprendre comment notre système fonctionne. Nous devons nous éduquer. Il y a le Bureau de la concurrence qui, aux termes de la loi, est là pour administrer et exécuter une loi. Ensuite, lorsque vous lisez par exemple les débats de 1986 lorsque la disposition était entrée en vigueur, vous constatez que la politique est l'image d'une grande stratégie industrielle pour le Canada.
La création, le développement et le maintien d'une stratégie industrielle pour le Canada sont du ressort des gouvernements, des ministres et de leurs ministères respectifs. Cette politique est créée par voie législative, après quoi les différents organismes sont à leur tour créés pour interpréter la loi et la mettre en application.
Mais c'est précisément là que réside la confusion. Je le reconnais, je sais que vous avez essayé de nous éclairer, mais la confusion demeure. Si j'en parle maintenant, c'est qu'en défendant votre vision de la position américaine, vous cherchez une confirmation de votre homologue. Ce que nous constatons nous, c'est que les organismes officiels s'épaulent et s'aident l'un l'autre alors que nous, malgré tous nos plaidoyers, n'entendons jamais ceux qui ont été à l'origine de la stratégie industrielle du Canada.
Cette loi est là pour concrétiser une stratégie qui a été élaborée. J'essaie d'être aussi honnête et aussi franc que possible. Cela pose un problème. Il y a une semaine, j'ai lancé ici un cri dans le désert pour essayer de demander de l'aide. Nous avons entendu de nombreux experts, économistes et juristes, et tous commencent par des interrogations très générales comme celles-ci: qu'est-ce que l'économie essaie de faire? Qu'est-ce que nous tentons d'accomplir en tant que pays? Notre pays étant petit, notre rôle est-il différent de celui d'un grand pays? Toutes ces questions font partie de notre stratégie industrielle. Et nous n'arrêtons pas de buter sur une question étroite de simple application. Dans nos discussions, nous cherchons plus que cela.
S'il y avait un véritable débat, nous pourrions entendre les témoins que vous avez mentionnés. Nous avons essayé de les inciter à venir. Nous avons reçu une ébauche de rapport, qui n'a pas encore été déposée, de la part d'un groupe de consommateurs, et je peux vous garantir que vous ne l'aimeriez pas. Peut-être vont-ils nous le soumettre, peut-être non.
Il y a donc ce grand débat quant à la meilleure stratégie industrielle et économique possible pour le Canada. On a également fait valoir qu'il ne s'agissait pas ici d'une mesure législative destinée à protéger le consommateur. Il s'agit plutôt d'une loi cadre économique destinée à rendre l'économie canadienne plus efficace.
Je dis tout cela pour mémoire et pour vous aider à comprendre notre position dans ce débat. Ce ne sont pas des choses dites à la légère. Nous voulons que vous voyiez les choses comme nous les voyons nous, en tant que législateurs, pour que vous compreniez notre responsabilité.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette: J'ai travaillé assez longtemps dans le domaine des télécommunications pour me souvenir que très souvent, on a des secteurs où la concurrence n'est pas au Canada, mais vient plutôt de l'étranger. Je me rappelle, entre autres, d'une défunte compagnie qui s'appelait Téléglobe.
Je pense à deux secteurs en particulier: le meuble et le vêtement. S'il n'y avait qu'une compagnie de meubles capable de concurrencer l'Asie et les marchés mondiaux, la question d'efficience reviendrait non pas comme un facteur, mais comme dans le cas du gaz propane. Quel est le concurrent du gaz propane? Une autre compagnie de gaz propane ou une compagnie de gaz naturel? J'ai eu à choisir entre une génératrice au gaz propane, au gaz naturel ou au diesel. Le produit que j'ai acheté était celui au gaz naturel parce que j'étais branchée au réseau du gaz naturel, mais j'en aurais choisi un autre s'il avait été plus avantageux. On ne peut pas isoler les produits ou les entreprises comme s'ils étaient seuls sans penser à d'autres secteurs qui y sont reliés. J'ai placé le gaz propane dans le secteur énergétique.
Comment rétrécissez-vous les facteurs? Qui va être le concurrent du gaz propane? Le gaz naturel ou le diesel?
Mme Scott: C'est précisément l'analyse que font les économistes du Bureau de la concurrence. C'est une analyse assez technique qui permet de voir quand il y a substitution d'un produit par un autre produit. Je ne connais pas le marché du propane, mais c'est exactement cela qu'ils ont essayé de calculer, c'est-à-dire, où peut-on avoir le substitut? Si on a des substituts, un consommateur peut dire: «Je n'achète pas le produit A, j'achète le produit B.»
Vous avez dit qu'il suffit peut-être d'une seule compagnie au Canada pour faire concurrence. C'est précisément l'analyse qu'on fait. On regarde la possibilité pour une compagnie étrangère, de l'Asie, des États-Unis ou de l'Europe de venir ici faire concurrence à une compagnie canadienne. On pourrait approuver le fait que deux compagnies canadiennes fusionnent pour concurrencer une compagnie étrangère. Ce concurrent peut discipliner le prix du marché. On essaie de voir comment la compétition va se dérouler.
Le sénateur Hervieux-Payette: Où se retrouve le consommateur lorsqu'on sait qu'en Asie les travailleurs du secteur du vêtement sont payés 2 $ par jour alors qu'au Canada — je connais plus particulièrement le marché québécois — les conventions collectives des employés déterminent le prix de la main-d'œuvre? Comment arrivez-vous à prendre une décision? Il est évident qu'il en coûte moins cher de produire en Asie — même en ajoutant le facteur du transport — qu'au Canada.
Mme Scott: La Loi sur la concurrence a un impact, mais le libre-échange aussi. On signe des ententes de libre- échange pour essayer d'égaliser ces facteurs. On a des lois qui portent sur l'antidumping, C'est une façon d'éviter que quelqu'un vienne dans notre marché avec un produit vendu beaucoup moins cher pour des raisons non reliées au coût. C'est ce qu'on essaie de faire dans l'économie canadienne. On continue à mettre de la pression sur toutes les entreprises. La concurrence permet d'avoir des compagnies plus productives.
La présence d'une compagnie étrangère peut forcer les compagnies canadiennes à revoir leur façon d'offrir leurs produits et les possibilités de réduire les coûts afin d'être concurrentes. La différence des coûts de production entre l'Asie et le Canada est une question beaucoup plus large que la Loi sur la concurrence.
Le sénateur Hervieux-Payette: On doit souvent consolider un secteur si l'on veut vraiment être compétitif sur la scène mondiale. On n'est plus dans une économie, même continentale, avec les États-Unis. On est dans une économie mondiale. Si on regarde ce qui est arrivé à Téléglobe, les Canadiens ont perdu quelques milliards de dollars. Le jour où une certaine entreprise canadienne a été confrontée au marché international, elle s'est tout simplement écroulée.
Mme Scott: Il y avait toutes sortes d'explications à cela. Je ne crois pas que ce soit uniquement notre Loi sur la concurrence qui explique la faillite de Téléglobe.
Le sénateur Biron: Les coûts des interurbains ont baissé énormément lors de la déréglementation dans le secteur des télécommunications. Par ailleurs, les coûts du service local — si on prend en considération les autres frais ajoutés comme les coûts d'ouverture de dossiers qui n'existaient pas avant — ont presque triplé. Alors que l'interurbain était utilisé par les industries, les coûts du service local — dans le cas des équipements pour les entreprises — ont diminué énormément. Les coûts pour la majorité des citoyens ont augmenté et vont continuer à augmenter aussi.
Lorsqu'on parle de la concurrence dans le service local, il est bien évident qu'une entreprise qui va installer un câble à l'intérieur de la cage d'ascenseur de la place Ville-Marie rejoindra 5 000 clients, mais à la frontière, sur 500 pieds, il ne touchera pas deux cultivateurs et cela fait augmenter les coûts du service local. Il est possible que dans certains cas, un fusionnement anticoncurrentiel serait valable et que cela n'augmenterait pas nécessairement les coûts. Le Tribunal de la concurrence aurait à prendre une décision. La proposition de la défense est peut-être un bon moyen à considérer plutôt que d'opter pour le changement proposé. Le statu quo est peut-être meilleur.
Mme Scott: Le secteur des télécommunications avait un monopole qui devenait un produit compétitif. Lorsqu'on va d'une industrie réglementée vers une industrie assujettie aux forces du marché, toutes sortes de choses arrivent. La raison pour laquelle les interurbains ont baissé et les prix pour le service local ont augmenté, c'est que le local avait des prix qui étaient inférieurs à leurs coûts et que le service interurbain avait un prix supérieur à leurs coûts. Un rajustement sur plusieurs années se fait et on continue les arguments au sujet des coûts reliés au service local. Je ne sais pas si un fusionnement aurait fait une différence. C'était la transition d'un marché réglementé vers un marché concurrentiel. Que dirait-on si trois entreprises concurrentes ne faisaient pas de profit et que deux d'entre elles décidaient de fusionner? Dans cette situation, même si on n'avait pas les efficiences, on accepterait probablement cette fusion. Il y a une exception à la règle ou une provision de la loi, qui prévoit que lorsqu'on a des compagnies en déconfiture — les compagnies qui peuvent faire faillite — même si on a une fusion, qu'on pourrait appeler anticoncurrentielle, elle pourrait être approuvée parce que ce serait mieux d'avoir deux compagnies qu'une seule compagnie. Si on laisse le marché se développer avec les trois compagnies en difficulté, on pourrait finir qu'avec une seule compagnie. Dans cette situation, il serait acceptable d'acquiescer à leur demande de fusionnement.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk: Je vais revenir à la citation qu'a faite le sénateur Kelleher. Il vous a posé plusieurs questions concernant votre déclaration. Vous avez dit ceci:
Ensuite, dans une économie de plus en plus concentrée, un autre fusionnement auquel les parties pourraient faire valoir la défense des gains en efficience est probable et pourrait mener à la création d'un monopole.
À votre avis, l'arrêt rendu dans la cause Superior Propane a-t-il créé un monopole?
Mme Scott: Oui, dans une sous-catégorie des marchés en cause, mais pas dans tous les marchés.
Le sénateur Tkachuk: Y a-t-il eu abus de position commerciale, et donc enquête de la part du Bureau de la concurrence?
Mme Scott: Voilà une excellente question. C'est un dossier que j'ai suivi de près. Certains des autres organes de réglementation de la concurrence affectionnent de faire un suivi des conséquences de leurs décisions. Par exemple, lorsqu'une fusion a été autorisée, les prix ont-ils augmenté ultérieurement ou vice versa? Il aurait été intéressant de le faire dans le cas de Superior Propane.
Mais ce ne serait pas facile à faire. Il ne suffit pas de regarder l'évolution des prix, il faut également tenir compte de toutes sortes d'autres intrants pour pouvoir déterminer au juste comment le marché a évolué. Il se peut que les prix augmentent à cause de la température, ce qui est quelque chose dont nous tiendrions compte si nous procédions à une analyse adéquate de la situation.
Mais il n'existe dans le domaine public aucune information qui nous permette de faire ce genre d'analyse pourtant nécessaire pour déterminer s'il y a eu une augmentation notable des prix, par exemple, suite à la fusion, comme on aurait pu s'y attendre.
En vertu de la loi actuelle, rien ne nous permet d'aller chercher ce genre d'information, et nous n'avons pas non plus le pouvoir d'imposer aux entreprises qu'elles nous transmettent le genre de renseignements confidentiels dont nous aurions besoin. Ce serait intéressant à faire si nous en avions les moyens.
Le sénateur Tkachuk: Je ne pense pas que vous m'ayez bien compris. Lorsque je vous ai demandé si Superior Propane avait créé un monopole, vous avez dit, je crois, que c'est ce que vous pensiez, à moins que je ne me trompe.
Mme Scott: Non.
Le sénateur Moore: Dans certaines sous-catégories du marché.
Mme Scott: Je pensais que vous me demandiez s'il y avait eu augmentation des prix.
Le sénateur Tkachuk: Superior Propane a-t-elle abusé de sa position de monopole à tel point que le Bureau de la concurrence aurait été obligé d'ouvrir une enquête?
Mme Scott: Les dispositions de la loi concernant les abus de situation dominante appellent la question suivante: la compagnie a-t-elle abusé de sa position dominante par une série d'actions qui ont eu pour effet de réduire notablement la concurrence? Mais honnêtement, il n'y a pas de concurrence. Il n'y aurait pas pu y avoir diminution notable de la concurrence parce qu'il n'y en avait pas au départ. Par conséquent, nous n'aurions pas pu nous prévaloir d'une de ces dispositions pour ouvrir une enquête en vertu de la loi actuelle.
La loi ne dit pas qu'on ne peut pas abuser d'une position dominante, elle dit simplement qu'on ne peut pas abuser d'une position dominante à tel point que la concurrence en soit notablement affaiblie. La Loi sur la concurrence vise à favoriser la concurrence sur le marché afin que le consommateur puisse profiter de cette concurrence et des avantages qu'elle produit. Par contre, l'article 79 ne peut pas être invoqué dans un marché de monopole.
Le sénateur Tkachuk: Le propane est une source d'énergie, de sorte qu'il y a quand même une certaine concurrence de la part des autres sources d'énergie.
Mme Scott: Non, en réalité ce n'est pas le cas. Comme je l'expliquais au sénateur Hervieux-Payette, c'est précisément l'analyse que le Bureau effectue. Le Bureau examine tous les produits de substitution possibles. Il examine tous ces produits énergétiques et détermine s'ils peuvent effectivement remplacer le produit visé. Nous pouvons tous imaginer de quoi il s'agit, mais nous procédons à une analyse économique pour déterminer s'il y a des produits de substitution possibles. Ce n'est pas homogène. Il y a toute une variété de produits, mais nous effectuons une modélisation afin de déterminer quels sont ceux qui sont de véritables substituts. Dans cette sous-catégorie de marchés, dans le cas de Superior Propane, il n'y a pas de produits de remplacement possibles étant donné que cette compagnie est arrivée à une situation de monopole dans la sous-catégorie des marchés qu'elle dessert.
Honnêtement, je ne pense pas que quiconque puisse nier que cela ait produit certains monopoles, mais pas dans tous les cas. S'il n'y a pas de concurrence, il ne peut pas y avoir non plus de diminution de concurrence. Pour moi, votre question voulait dire ceci: si la compagnie a une emprise sur le marché, si c'est un monopole, en a-t-elle profité pour augmenter ses tarifs? C'est ce qu'on attendrait normalement d'un monopole et c'est la raison pour laquelle, en règle générale, nous ne voulons pas qu'il y ait de monopole.
Et comme je l'ai dit, pour pouvoir déterminer si les tarifs ont augmenté à cause de l'existence d'un monopole, il faudrait que j'aille plus loin qu'une simple analyse des prix. Il faudrait que je regarde les autres éléments qui peuvent produire une augmentation des prix. Pourquoi les prix augmentent-ils? À cause d'une emprise sur le marché ou parce qu'il fait très froid et que les gens achètent davantage de propane? Il faut pour cela que j'aie accès à des renseignements confidentiels qui appartiennent à la compagnie pour pouvoir faire une analyse valable. Dans l'état actuel des choses, la loi ne me donne pas le pouvoir de contraindre une compagnie à répondre à ce genre de questions.
Le sénateur Tkachuk: Je voudrais vraiment aller au fond des choses et je vais donc vous reposer la question. Y a-t-il des consommateurs qui se plaignent auprès de vous en disant que le monopole qui a ainsi été créé leur cause un préjudice?
Mme Scott: Nous avons reçu certaines plaintes au sujet de Superior Propane. Pas énormément mais oui, nous en avons reçu quelques-unes.
Le sénateur Tkachuk: Que se passe-t-il normalement lorsque vous recevez des plaintes, si une compagnie abuse de sa situation de monopole?
Mme Scott: Nous analysons le dossier et nous décidons ensuite s'il y a eu infraction à la Loi sur la concurrence.
Mais je dois vous dire, sénateur, que c'est parfois quelque chose que j'ai bien du mal à expliquer aux gens. Nous observons le comportement de grosses compagnies qui ont une emprise sur le marché et, par exemple, qui augmentent leurs prix. Nous ne réglementons pas les prix. Il est tout à fait concevable qu'une compagnie puisse augmenter ses prix dans le cadre de notre législation actuelle sur la concurrence. Il faut que nous nous demandions s'il y a effectivement eu abus d'une position dominante qui a eu pour effet de réduire notablement la concurrence. C'est cela que le Parlement nous a demandé d'examiner. Lorsque je reçois une plainte, je l'analyse et parfois, je me trouve malheureusement contrainte de répondre en disant: «Je sais que c'est difficile, je sais que vous souffrez, mais je n'ai pas le pouvoir de me saisir de ce genre de dossier.»
Le sénateur Tkachuk: Au début du paragraphe que j'ai cité, vous avez dit: «dans une économie de plus en plus concentrée». Qu'entendez-vous par là?
Mme Scott: Ce que nous avons constaté c'est qu'il y a quelques années, le Bureau faisait enquête lorsque, suite à quelque fusion, il n'y avait plus que trois compagnies plutôt que quatre. Mais de plus en plus, les fusions ramènent le nombre de compagnies de trois à deux. C'est une tendance générale que nous constatons ailleurs également. Dans plusieurs secteurs industriels, il y a de plus en plus de concentration.
Le sénateur Tkachuk: Donnez-moi quelques exemples, s'il vous plaît.
Mme Scott: Il y a celui des fournisseurs d'interurbain. Ce secteur de l'industrie s'est énormément concentré. Je me souviens il y a quelques années, lorsque je travaillais dans ce domaine, avoir entendu une présentation où on disait qu'il y avait 273 compagnies qui se faisaient concurrence dans le domaine de l'interurbain. Cela, c'était pendant la période de pleine expansion de ce secteur.
Le sénateur Tkachuk: Je ne suis pas si vieux que cela, mais je me souviens de l'époque où il n'y avait qu'un fournisseur.
Mme Scott: Oui, mais nous avons à ce moment-là ouvert le marché à la concurrence, ce qui avait provoqué une multiplication d'entreprises concurrentes, et ensuite ces entreprises se sont regroupées. Ce n'est pas un phénomène inusité. Il y a de nouveaux venus sur un marché, puis ces nouveaux venus se regroupent et se regroupent encore. Les compagnies fusionnent par souci d'efficacité. Souvent, lorsqu'elles fusionnent, elles parviennent à créer des gains d'efficience dont le consommateur profite.
Le sénateur Tkachuk: Par conséquent, dans une économie de plus en plus concentrée, il y a moins de concurrence, est-ce cela que vous nous dites, ou encore des situations de monopole?
Mme Scott: Dans plusieurs secteurs industriels, il y a en effet de moins en moins de concurrents.
Le sénateur Tkachuk: Je ne trouve pas que les tarifs d'interurbain sont tellement attrayants étant donné la concurrence acharnée qui existe dans ce domaine.
Mme Scott: Il y a moins de compagnies, certes, mais le secteur demeure extrêmement compétitif. Ce que nous faisons, c'est de voir jusqu'où ces compagnies peuvent fusionner avant d'arriver à une diminution notable de la concurrence.
Le sénateur Tkachuk: Je ne sais pas si cela vous a bien été expliqué. Je ne suis pas sûr de ce que cela signifie. Toutefois, il me semble que nous avons une situation où la décision touchant Superior Propane créé un monopole dans certains domaines, mais pas dans tous. Cela s'est produit une seule fois en 18 ans. Pour autant que nous le sachions, ils n'ont pas abusé de leur position.
Maintenant, nous avons ce projet de loi. Quelle grande urgence y a-t-il à le faire adopter? Que je sache, rien ne prouve qu'il faille l'adopter.
Mme Scott: Là encore, je le répète, il y a la question d'une incertitude commerciale qu'a évoquée M. McAllister. La façon d'évaluer cela maintenant, la façon dont on s'y prendrait pour voir si les efficiences réalisées l'emportent sur une diminution notable de la concurrence, voilà autant d'études qui exigent des ressources plutôt considérables, une analyse approfondie et un certain nombre de jugements subjectifs. M. Kennish en a parlé. Il a dit qu'il serait difficile pour les gens du métier de fournir des conseils à leurs clients à ce sujet.
Comme je le disais un peu plus tôt au sénateur Kelleher, il s'agit évidemment là d'une conjecture. Vous avez raison; il est difficile de savoir combien de fusions ne se sont pas matérialisées dans le passé du fait de la difficulté à présenter une défense axée sur l'efficience. Je ne peux pas fournir de réponse, parce qu'il est difficile de spéculer.
[Français]
Le sénateur Massicotte: Le Barreau recommande que les gains d'efficience deviennent un facteur et non une défense. Il recommande aussi que l'efficience ne soit pas limitée aux gains d'efficience aux consommateurs. Pourquoi cette limitation à la consommation d'efficience au lieu de considérer tous les gains d'efficience?
Mme Scott: Tout d'abord, la définition des bénéfices aux consommateurs et des consommateurs est assez large dans la loi. Je ne sais pas si cela peut aider le Barreau à accepter cette restriction dans la loi. Je ne connais pas leur position là-dessus. Cela revient à la raison pour laquelle nous avons la Loi sur la concurrence. C'est pour le bénéfice de tous les Canadiens et les Canadiennes qui sont les consommateurs. Si on avait une définition très restreinte du consommateur, je serais d'accord avec vous. Mais si c'est une définition assez large où on accepte toutes sortes de bénéfices qui reflètent le désir d'avoir l'innovation et les investissements, je suis prête à vivre avec ces mots dans la loi.
Le sénateur Massicotte: Si la définition de consommateur était aussi large que vous le prévoyez, nous serions d'accord. Dans le dictionnaire, on dit que le consommateur est celui qui consomme le produit. Votre définition est plutôt large et c'est un peu la source du problème.
[Traduction]
Le sénateur Kroft a demandé: qu'est-ce qui est dans l'intérêt du Canada? Quelle est la situation qui sert au mieux les intérêts économiques supérieurs de notre pays? Je vous ai entendu dire que les prix à la consommation traduisent les efficiences. Or, je ne suis pas sûr qu'efficience soit synonyme de productivité. Je ne suis pas sûr non plus que les prix à la consommation sont équivalents à la productivité. Autrement dit, vous dites que tout ce dossier est compliqué. Nous ne sommes ni des économistes, ni des spécialistes. Nous devons nous occuper de ces problèmes et nous n'arrivons pas à obtenir l'assurance que les prix à la consommation sont au niveau de ce qui sert le mieux les intérêts du Canada.
La deuxième question est la suivante: quelle urgence y a-t-il? Tout le monde, y compris M. McAllister, nous dit que la décision Superior Propane crée une certaine confusion. Nous avons également entendu beaucoup de gens nous dire que la formulation de la loi cause également une certaine confusion.
On nous dit aussi que la décision Superior Propane, dans les faits, décourage les fusionnements parce qu'elle laisse régner beaucoup d'incertitude et parce que la période de droit d'appel est très longue. Il y a donc très peu d'entreprises qui vont essayer de se servir de cette décision à leur avantage, parce que cela est long et coûteux. Il faut que les fusions se fassent en quelques mois, pas en quelques années.
À l'appui de cette approche, on a recours à des théories économiques compliquées. D'après ce que nous avons entendu, on ne prévoit pas beaucoup de fusionnements, ce qui m'amène à demander: Pourquoi n'avons-nous pas recours à une méthode adéquate et planifiée pour voir ce qui, dans les mécanismes de soutien économique et dans la théorie économique, sert au mieux les intérêts du Canada? Voilà ce que je me dis. Est-ce que je me trompe?
Mme Scott: Je crois que ce que certains témoins vous ont dit, c'est que certaines fusions ne se réaliseront peut-être pas parce que les entreprises concernées n'arrivent simplement pas à obtenir des garanties sur ce qui pourrait se produire si elles devaient se présenter devant le tribunal.
Le sénateur Massicotte: Vous voulez dire, au cas où elles se serviraient de l'argument axé sur l'efficience?
Mme Scott: C'est exact, si elles se servaient de cet argument.
Bien sûr, je ne peux rien savoir des fusions non réalisées. Il se peut que les entreprises décident de ne pas procéder à un fusionnement parce qu'elles ne savent pas si elles vont respecter les critères de la défense axés sur l'efficience. C'est hypothétique. Je ne sais pas ce qu'il en est, mais je suppose que c'est une possibilité.
Pour ce qui est de la conformité entre le prix et le bien-être du pays, je ne crois pas que ce soit cela que nous disons. Au bout du compte, lorsqu'on se demande pourquoi nous avons certaines choses au Canada, pourquoi nous voulons que des entreprises soient regroupées, pourquoi nous voulons avoir des entreprises puissantes, pourquoi nous voulons avoir des investissements et pourquoi nous croyons en une société productive et en des opérations efficientes, eh bien, c'est tout simplement parce que cela est dans l'intérêt des Canadiens. Nous voulons que le Canada soit agréable à vivre pour les Canadiens.
Lorsqu'on dit qu'il faut que cela profite aux consommateurs, il me semble que c'est justement cela que nous visons. Il doit y avoir un avantage pour les gens et les entreprises qui vivent dans ce pays. C'est aussi simple que cela.
Il est évident que cette mesure législative sera interprétée. Cela ne se fera pas sur une base aussi générale. Lorsqu'on parle du consommateur, on parle d'un nombre de personnes relativement plus élevé que ce que l'on imagine.
Le sénateur Massicotte: Je ne reconnais pas que votre définition soit si vaste.
Mme Scott: Je ne veux pas exagérer non plus. Je ne prétends pas que cela représente absolument tout. Je dis qu'il s'agit d'entreprises et de particuliers. Il s'agit des utilisateurs ultimes, des consommateurs ultimes et de ceux qui consomment en chemin.
Le sénateur Massicotte: Vous voulez dire les consommateurs de cette entreprise en particulier?
Mme Scott: De cette entreprise en particulier.
Le sénateur Massicotte: Nous sommes bien loin de parler de l'ensemble du Canada, dans ce cas-ci.
Mme Scott: Exactement.
Si les entreprises qui fusionnent peuvent prouver que la fusion mènera à plus d'innovation, d'investissement, de R et D, cela peut avoir d'autres impacts, qui dépassent les impacts sur les consommateurs immédiats.
Le sénateur Massicotte: Dites-vous que nous pourrions souhaiter adopter cette mesure maintenant parce qu'il pourrait y avoir des fusions qui devraient se réaliser dans l'intérêt du Canada, mais qui ne se réaliseront pas du fait de la confusion créée par l'affaire Superior Propane?
Mme Scott: C'est une possibilité.
Le sénateur Massicotte: Ne reconnaissez-vous pas également que les seules fusions qui ne se produiraient pas, vu cette confusion, sont celles qui auraient été axées sur l'argument de défense? Si l'on ne se sert pas de cet argument, la décision Superior Propane ne sème aucune confusion. Dans le projet de loi, l'argument axé sur la défense serait minime, relativement à ce qui existe. On sert peut-être mieux les intérêts du Canada en laissant les choses dans l'état où elles sont.
Mme Scott: Je suis sûre de ne pas pouvoir aller aussi loin. Ce serait en quelque sorte décréter que nous n'aimons pas ce type de fusion.
Le sénateur Massicotte: Je croyais que c'était tout à fait logique.
[Français]
Mme Legault: Pour reprendre votre dernier point, si vous retournez à la présentation du Barreau canadien, il a soumis le fait que ce soit une défense qui ne permet pas aux entités d'avoir des représentations sur les efficiences faites dès le départ lorsque le Bureau révise leurs transactions. Un des avantages d'avoir une approche où on regarde les efficiences en tant que facteurs, c'est aussi que les efficiences sont considérées dès le début de l'analyse de la transaction.
Pour revenir un peu en arrière, la raison pour laquelle les dispositions sur les fusionnements existent, c'est que s'il y a des entités, qui veulent se fusionner, cela crée une concentration plus élevée dans un marché. Comme disait mon collègue, ce n'est ni bon ni mauvais, cela dépend des circonstances dans le marché. Quand on regard les efficiences en tant que facteurs, s'il y a une certaine pression concurrentielle dans le marché, cela crée une incitatif à l'entité pour passer les efficiences à leurs clients, aux consommateurs. C'est dans une situation comme on a vécu dans le dossier du ga propane où le tribunal a déterminé qu'il y avait un monopole, dans certains marchés, où même si on réclame des efficiences, on se retrouve dans une situation où il y a juste une entité qui opère dans le marché et il n'y a pas de pression concurrentielle qui vient de l'extérieur. Même si l'entité, après son fusionnement, a généré beaucoup d'efficience, il n'y a aucun incitatif pour cette entité de remettre ces efficiences à ces clients. C'est là où l'on voit qu'il peut y avoir une réduction dans la qualité du service, du produit ou une augmentation dans les prix. Il n'y a aucune concurrence dans le marché qui demeure. C'est la situation qui peut arriver avec la défense telle qu'elle existe maintenant.
En tant qu'entité qui met en application la Loi sur la concurrence, on vous suggère aujourd'hui que d'avoir cette défense avec la façon dont elle a été interprétée par les tribunaux et avec les conséquences que cela peut avoir, c'est un peu contraire à l'objectif de la Loi sur la concurrence et de ces dispositions.
[Traduction]
Le président: Je ne vais pas poser de question, mais je vais faire une observation. Pendant que nous discutons de cette question, je voudrais que vous m'expliquiez pourquoi vous semblez dire que l'efficience, c'est tout l'un ou tout l'autre. Pourquoi n'aurait-on pas pu s'en servir comme considération dans l'évaluation d'origine, ou comme moyen de défense? Au tribunal, on pourrait ensuite soutenir que ce n'était pas dans l'évaluation et que cela n'a pas été adéquatement pesé. Ne nous forçons pas à choisir entre la situation où l'on peut se servir de la défense d'efficience et celle où on ne peut pas s'en servir. Si c'est une considération valable, on devrait pouvoir s'en servir en tout temps.
Je dois mettre fin à cette séance. Je vous remercie tous d'avoir permis que cette séance soit si instructive.
Honorables sénateurs, nous sommes tous aux prises avec des horaires extrêmement chargés. Nous recevons M. André Piché et M. Rob Taylor, de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante. Notre comité accueille cet organisme souvent et avec plaisir, et nous sommes toujours heureux de recevoir les représentants de la Fédération.
Comme je l'ai dit, nous avons tous des horaires très chargés. Il y a des comités où des ministres attendent que des membres de ce comité-ci soient présents. Par conséquent, si vous le permettez, je voudrais que l'on considère l'introduction du mémoire de la Fédération comme ayant été lue. Au cours de plusieurs visites successives, vous nous avez présenté votre point de vue. Nous pourrons donc utiliser le peu de temps dont nous disposons, pas plus d'une quinzaine de minutes, pour nous concentrer sur le projet de loi C-249.
M. André Piché, directeur des affaires nationales, Fédération canadienne de l'entreprise indépendante: Je vous renvoie à la page 7 de notre mémoire et je vous présente nos arguments en faveur de ce projet de loi.
Selon nous, le projet de loi C-249 est un compromis. Je crois qu'il établit un juste équilibre entre la protection des intérêts des consommateurs et l'importance des efficiences réalisées lorsqu'on examine les fusions proposées. Le projet de loi protège les petites entreprises et les consommateurs contre les augmentations de prix non concurrentielles et contre la réduction des options et de la qualité qui se produit dans les situations monopolistiques.
Quant aux arguments que j'ai entendus pendant que je lisais les transcriptions ici, je mettrais tout d'abord l'accent sur l'observation faite à propos du marché canadien. Le Canada est beaucoup plus vulnérable aux effets anticoncurrentiels. On a fait valoir que le Canada est un pays vaste où la population est dispersée et les marchés sont segmentés d'un bout à l'autre du Canada.
Dans le cas du marché du propane, on a fait valoir qu'un fournisseur possède 70 p. 100 du marché canadien, comparativement à 6 p. 100 du marché américain. L'affaiblissement de la concurrence se traduit par des choix et des services limités et des prix plus élevés. Nous nous préoccupons du consommateur. Dans ce cas-ci, qui est le consommateur: un grand nombre de petites et moyennes entreprises.
Le deuxième point concerne l'approche adoptée par d'autres pays. On a fait valoir plus tôt que les mesures proposées vont dans le même sens que les mesures prises aux États-Unis et en Europe et que cela ne peut être une bonne chose. Je ne crois pas que ce soit nécessairement le cas. Cela ne correspond peut être pas à ce que nous avons. Cela dépend de notre politique de développement industriel, comme vous l'avez dit, monsieur le président, mais je crois que cela se rattache à un souci d'uniformité avec nos partenaires commerciaux.
Le troisième point, c'est que ce projet de loi a reçu l'appui du Comité de l'industrie, du commissaire au Bureau de la concurrence et du gouvernement, et cette question est débattue depuis des années. Il ne s'agit pas d'une nouvelle question dont nous sommes saisis.
Le quatrième point concerne la promotion de l'efficience dans l'économie canadienne. L'argument que j'ai fait valoir plus tôt dans le mémoire c'est que lorsque nous parlons de l'économie canadienne, nous parlons de petites et moyennes entreprises. Les grandes entreprises au Canada sont très rares. La promotion de l'efficience de l'économie canadienne est un objectif important de la Loi sur la concurrence, mais pour nous, c'est un moyen pour arriver à une fin, et la fin c'est d'offrir aux propriétaires de PME et aux consommateurs des prix concurrentiels et des choix de produits. La concurrence favorise le choix, l'innovation et la création d'emplois.
Pour conclure, nous sommes fermement convaincus que l'adoption du projet de loi C-249 est dans l'intérêt du public, car il rectifiera une faille très importante de la Loi sur la concurrence permettant ainsi au Canada de se joindre aux autres pays industrialisés pour protéger les propriétaires de PME et les consommateurs contre les augmentations de prix non concurrentielles et l'absence de choix dans les produits et les services découlant de monopoles. Nous pensons que vous avez l'occasion, par le biais de ce projet de loi, d'apporter des améliorations considérables au fonctionnement de la Loi sur la concurrence et nous vous pressons de lui accorder votre plein appui.
Le sénateur Tkachuk: Avez-vous, ou des entreprises ont-elles par exemple au Yukon déposé des plaintes à propos de l'abus de position dominante de la part de Superior Propane? Ces plaintes sont-elles justifiées?
M. Piché: Au Yukon, nous avons 200 propriétaires d'entreprises qui font face maintenant à une situation de monopole. Ils n'ont aucun autre choix. Ils ne disposent d'aucun autre fournisseur de gaz naturel et d'huile de chauffage. Pour ce qui est des plaintes, personnellement, je n'en ai pas vu. Il existe peut-être des preuves empiriques, mais je n'en ai aucune. Il est possible que de nombreux petits entrepreneurs croient ne pouvoir rien faire à propos de cette situation parce qu'elle a été sanctionnée par le gouvernement.
Le sénateur Tkachuk: Cela serait-il le cas dans tous les autres sous-marchés où il existe une situation de monopole? Il doit exister d'autres marchés à part le Yukon, selon les témoignages précédents que nous avons entendus. Y en a-t-il parmi eux qui se sont plaints auprès de la Fédération?
M. Piché: Je vous renverrais au graphique 8 à la page 6 de notre sondage. Il s'agit d'un sondage que nous avons effectué en mars de cette année. Il est donc récent. Nous avons demandé aux propriétaires d'entreprises de nous indiquer les principaux facteurs ayant eu une incidence sur la performance de leur entreprise au cours des 12 derniers mois. Le premier facteur, ce sont les primes d'assurance, et nous savons tous pourquoi il arrive en tête. Les prochains sont le prix de l'énergie, 64 p. 100, et les prix d'autres intrants, 45 p. 100. Nous avons constaté qu'au cours des deux dernières années, les prix des intrants sont devenus de plus en plus préoccupants pour les petites et moyennes entreprises partout au Canada.
Le sénateur Tkachuk: Le prix de l'énergie n'est pas précisément attribuable au propane mais au prix de l'énergie en général. En Saskatchewan, le prix du gaz naturel a nettement augmenté, tout comme dans l'ensemble du Canada. C'est un problème pour nous et bien entendu nous sommes au courant de la situation du prix de l'essence à l'heure actuelle. Ce n'est pas un problème attribuable à Superior Propane mais à la situation générale du prix de l'énergie.
M. Piché: Nous n'étions pas en mesure de déterminer si Superior Propane a un rôle à jouer là-dedans parce que je n'ai aucune preuve en ce sens.
Le président: Au bas de l'avant-dernière page de votre rapport, vous déclarez que les efficiences obtenues à l'issue des fusions l'emportent sur le tort causé aux consommateurs, même si, dans ce cas, on estime que le tort causé aux consommateurs se chiffre à 8,6 millions de dollars. Comment réagissez-vous au fait que les mêmes calculs évaluaient que les avantages sur le plan économique s'élevaient à environ 29 millions de dollars?
M. Piché: Étant donné que le projet de loi C-249 permet d'établir un équilibre entre les efficiences d'une part et les répercussions sur les consommateurs d'autre part, il me semble que cela donne plus de latitude au tribunal et au Bureau de la concurrence pour qu'ils s'assurent que les propositions présentées concilient l'intérêt du consommateur et l'efficience.
À cet égard, je suis tout à fait conscient que les efficiences présentent des avantages supérieurs, mais les coûts pour les consommateurs sont élevés également. Comme pays, le Canada n'a pas une population homogène d'un bout à l'autre du pays. Il s'agit de marchés distincts. Cela peut avoir une incidence sur certaines régions du pays. Dans une perspective d'orientation stratégique, est-ce que nous voulons fermer les yeux sur une telle chose?
Le président: Je comprends, mais lorsque nous parlons d'équilibre, ici nous avons un cas où les avantages pour l'économie étaient trois fois et demie supérieurs aux avantages pour les consommateurs. Quel est le chiffre qui permettrait d'établir un équilibre? Est-ce qu'il faudrait que ce soit dix fois supérieur ou vingt fois supérieur? De toute évidence, selon votre raisonnement, le terme «équilibre» n'a pas le même sens que celui que nous lui donnons, c'est-à- dire que les deux côtés de la balance sont égaux — 8 millions de dollars d'un côté et 8 millions de dollars de l'autre. De toute évidence, selon votre raisonnement — et je ne fais aucun jugement à cet égard — c'est qu'un impact de 1 million de dollars sur le consommateur a plus de poids qu'un impact de 1 million de dollars sur l'économie en général.
Selon vous, un rapport de trois à un n'est pas suffisant pour justifier une telle chose. Devrait-il s'agir d'un avantage général écrasant, qui ne favorise qu'une poignée de consommateurs? Que signifie ce terme «équilibre»?
M. Piché: Je ne suis pas avocat ni spécialiste de la Loi sur la concurrence, mais je croirais que si le projet de loi C-249 était en vigueur, il permettrait au Bureau de la concurrence chargé d'étudier une proposition de fusion, d'être mieux en mesure de concilier les coûts pour les consommateurs et les gains en efficience qui pourraient en découler. Dans certains cas, il pourrait décider de demander aux partisans de la fusion de se départir de certains de leurs intérêts dans une région particulière du pays en raison du tort que cela pourrait causer.
Le président: Comme je l'ai indiqué à un témoin précédent, il n'existe à mon avis aucune raison pour laquelle les efficiences ne peuvent pas être prises en considération lors de l'évaluation initiale, dans tous les cas. Elles peuvent continuer à être utilisées comme un moyen de défense. Je conviens avec vous que l'on peut prendre en considération les efficiences à n'importe lequel stade du processus.
M. Piché: Ce qui nous préoccupe le plus, c'est que la plupart des petites et moyennes entreprises, comme vous le savez, comptent moins de cinq employés. Nous sommes en train de parler d'un groupe consommateur. Cependant, ces petites et moyennes entreprises créent la richesse et les emplois au pays, particulièrement dans les petites collectivités et les collectivités éloignées du Canada. Quelles sont les conséquences pour ces petites et moyennes entreprises de l'augmentation du coût de leurs intrants, attribuable à l'affaiblissement de la concurrence? Quel est le message que nous transmettons aux PME du pays si nous disons qu'à des fins d'efficience, c'est cet élément qui déterminera l'autorisation des fusions?
Le président: C'est un argument intéressant, et j'adorerais en discuter, mais nous manquons de temps, et je vais céder la parole au sénateur Massicotte.
[Français]
Le sénateur Massicotte: Je me pose la même question. J'accepte votre argument que la concurrence est très importante pour l'économie canadienne et qu'il est généralement dans l'intérêt du Canada d'augmenter la libre concurrence. Mais vous ne prévoyez aucune circonstance où les gains en efficience sont tellement importants que, malgré le fait qu'il y a moins de concurrence, cela peut être dans l'intérêt du Canada? Pour vous, il n'y a pas d'exception à cette règle?
M. Piché: Je ne dirais pas cela. En fait, dans certains cas, il semble possible que le fait d'avoir une fusion soit un gain net pour l'économie canadienne. Si cela entraîne une réduction de concurrence, si le Bureau de la concurrence a une marge de manœuvre pour négocier la fusion, ils peuvent essayer de minimiser non seulement l'impact sur les consommateurs, mais également l'impact sur l'économie dans le sens le plus large, et je pense aux petites et moyennes entreprises.
Le sénateur Massicotte: Je suis d'accord avec vous, c'est leur responsabilité de minimiser l'impact. Vous acceptez qu'il y a peut-être des circonstances, où le gain en efficience pour l'économie est plus important malgré la diminution de la concurrence?
M. Piché: Oui, en fait, c'est une question de quantité aussi.
Le sénateur Massicotte: C'est effectivement ce que dit la loi existante. En d'autres mots, elle dit que la question de la concurrence est importante, mais il se peut qu'il y ait des gains en efficience tellement importants que, malgré la diminution de combustion, on va l'approuver. Le projet de loi rejette cet argument et est d'accord avec le gain en efficience seulement s'il se fait au bénéfice du consommateur, ce qui diminue énormément les arguments et la constatation de gains en efficience.
Je ne comprends pas: vous êtes contre, et en même temps, vous acceptez le concept que c'est un argument tellement important à l'intérieur du Canada qu'on devrait accepter néanmoins la diminution de la concurrence.
[Traduction]
M. Rob Taylor, analyste principal de la politique, Fédération canadienne de l'entreprise indépendante: S'il s'agit d'un cas où ces circonstances sont irréfutables, est-ce que ça ne relèverait pas plutôt de la description du facteur plutôt que de la description du motif de défense?
Le sénateur Massicotte: Vous pourriez dire cela mais en vertu de ce projet de loi, il ne s'agirait que des gains en efficience qui profitent au consommateur. C'est un des problèmes qui se posent. Chose certaine, cela diminue l'importance des gains en efficience. Si j'en crois le projet de loi — et je ne suis pas expert en droit de la concurrence — le tribunal statuera qu'il pourrait y avoir eu une diminution de la concurrence dans un cas donné, mais nous sommes tous d'accord pour dire que c'est là l'objectif. Cependant, à l'heure actuelle, il se peut qu'il y ait des circonstances où il y a un peu moins de concurrence mais où les gains en efficience sont tellement importants qu'on admet la situation, peu importent les circonstances.
Je crois que c'est ce que recherche ce projet de loi aujourd'hui. L'amendement qu'on propose affaiblit considérablement cet argument.
[Français]
M. Piché: Selon mon point de vue, le projet de loi met davantage en équilibre les deux arguments dans le cas présent. Avec la fusion de la compagnie Superior Propane et de la compagnie ICG, qui exerce un monopole couvrant 70 p. 100 du marché canadien, je me dis qu'il y a quelque chose. Comment expliquer aux membres de mon organisation que le gouvernement a approuvé une telle chose? Il y a là quelque chose qu'on doit examiner. Ne devrait-on pas avoir une loi beaucoup plus souple qui permettrait de tenir compte du facteur d'efficience et de son impact sur la concurrence?
Vous savez, nous avons étudié le phénomène de la concurrence dans d'autres domaines au sein de notre organisation. Nous faisons beaucoup de sondages chez nos membres et lorsque nous nous penchons du côté des banques, où il y a beaucoup plus de concurrence, nous constatons qu'il y a des clients beaucoup plus satisfaits et des prix beaucoup plus bas.
Le sénateur Massicotte: Je suis d'accord, et on ne connaît pas la réponse à savoir pourquoi, dans ce cas, des experts ont dit que les gains d'efficience sont tellement importants, malgré la diminution de la compétition qui est énorme. C'est une bonne question. Néanmoins, des experts disent que le gain pour l'économie du facteur de l'efficience est tellement important que nous allons l'accepter. Mais je ne sais pas pourquoi.
[Traduction]
Le sénateur Harb: Étant donné que nous manquons de temps, je vais regrouper mes deux questions en une seule.
Dans votre deuxième argument à la page 8, vous parlez de l'approche du Canada et du fait que d'autres pays épousent notre approche. Si j'ai bien compris, le témoin qui vous a précédés a dit que ce n'était pas le cas.
Avez-vous pris part à la consultation du Forum des politiques publiques? Si oui, y avez-vous fait un exposé?
Ce sont les gains en efficience et la domination du marché qui nous préoccupent le plus. Où se situe ici la question des prix? Le choix est parfois grand, mais il n'y a pour ainsi dire aucune différence dans les prix. Tout le monde vend au même prix. Par exemple, il peut y avoir 15 ou 16 fournisseurs de lait, mais peu importe où va le consommateur parce qu'il peut acheter son litre de lait au même prix.
M. Piché: Je crois comprendre que ce projet de loi va dans le même sens que l'approche américaine. Je crois que la commissaire a dit cela. Les choses évoluent aussi en Europe, et l'on se dirige vers cette approche aussi.
La deuxième question que vous avez posée est importante. Nous avons pris part à la consultation du Forum des politiques publiques. Même si son système est bon, cette consultation présente diverses lacunes. On procède à des tas de consultations d'un bout à l'autre du pays. Nous savons par expérience, lorsque nous tenons notre congrès annuel, à quel point il est difficile de réunir une poignée de nos membres parce que tous ces gens ont une entreprise à mener. En conséquence, ces consultations sont le plus souvent dominées par les avocats d'affaires des grands cabinets. Je vous dirai franchement qu'on ne mesure pas bien dans un tel cadre les préoccupations des gens.
En réponse à votre troisième question concernant les prix, même lorsque la concurrence est féroce, les prix sont parfois semblables. Pour moi, cela prouve peut-être que la concurrence est saine et qu'on ne peut pas en faire plus pour offrir ce produit au consommateur.
Le président: Messieurs, je vous remercie. C'était la dernière question. Je vous remercie d'avoir été des nôtres et de nous avoir fait part de vos lumières. Je le répète, votre coopération nous a été des plus utiles.
La séance est levée.