Aller au contenu
SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 5 - Témoignages du 31 mars 2004


OTTAWA, le mercredi 31 mars 2004

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 16 h 13 pour étudier les questions qu'ont suscitées le dépôt de ce rapport final sur le système de soins de santé au Canada en octobre 2002 et les développements subséquents. Le comité doit être autorisé à examiner, en particulier, la santé mentale et la maladie mentale.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Mesdames et messieurs, je veux d'abord présenter des excuses à nos témoins. Si nous sommes en retard, c'est que nous avons assisté à une sanction royale accordée par la gouverneure générale. Nous pensions devoir en quelque sorte être ceux qui serviraient de garde.

Avant de commencer notre réunion, je vous signale que c'est la dernière séance de comité du sénateur Roche, qui nous suit depuis longtemps et qui a vécu toutes les péripéties menant au dépôt du premier rapport sur les soins de santé. Je sais qu'il va vouloir nous faire part de ses impressions avant les témoignages.

Le sénateur Roche: J'aimerais d'abord remercier le président, le vice-président et tous les membres du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie des marques de courtoisie dont ils ont fait preuve à mon égard. Participer à cet important comité m'a toujours tenu beaucoup à coeur. Je sais que l'étude sur les soins de santé effectuée par notre comité a énormément contribué à conscientiser la population sur ces questions complexes et a, je l'espère, servi de catalyseur pour l'élaboration et l'avancement de politiques destinées à renforcer le régime de soins de santé du Canada.

Avant de me joindre au comité, les soins de santé ne m'avaient jamais particulièrement intéressé. Et je suis aujourd'hui loin d'être un spécialiste de la question. Toutefois, j'ai beaucoup appris en cours de route et j'en remercie sincèrement le comité.

Ce comité-ci est l'un des grands comités du Sénat et est dirigé de main de maître par les sénateurs Kirby et LeBreton. Je suis très fier d'en avoir fait partie et je suis reconnaissant également à Howard Chodos et à Odette Madore, deux attachés de recherche perspicaces, ainsi qu'à Daniel Charbonneau, le greffier, et à d'autres aussi auxquels j'ai été associé dans le cadre du comité.

Monsieur le président, je souhaite bonne chance au comité, alors surtout qu'il poursuit son étude si importante sur les soins de santé mentale.

Le président: Merci beaucoup, sénateur Roche. Je signalerais aux témoins et à tous nos invités ici présents — dont beaucoup connaissent le dossier des soins de santé depuis bien plus longtemps que nous — qu'il est en effet extraordinaire d'avoir pu atteindre une décision unanime sur toutes les recommandations que nous avons faites sur ce sujet extrêmement controversé et sur lequel il est rare de trouver des opinions consensuelles. Celle-ci a été possible grâce à tous les membres du comité et particulièrement au sénateur Roche, qui a siégé comme sénateur indépendant au comité, après avoir été longtemps député à la Chambre des communes. L'unanimité a été possible parce que chacun d'entre nous acceptait d'écouter le point de vue d'autrui, de débattre les enjeux et de s'entendre sur des solutions consensuelles obtenues non pas par compromission mais par notre désir d'avoir toujours à coeur les intérêts supérieurs de la population canadienne.

Vous nous manquerez, sénateur. Je me fais le porte-parole de tous en disant que nous avons grand plaisir à vous avoir parmi nous. Merci de nous avoir mis sur la sellette à maintes reprises, car nous n'aurions peut-être pas abouti là où nous nous sommes rendus si vous n'aviez pas insisté pour faire valoir certains points de vue, que nous avons tous fini par comprendre. Merci infiniment de votre persistance.

Madame le sénateur Cook de Terre-Neuve m'informe qu'il y a une réception à 18 h 30 dans le foyer en l'honneur de la personne qui remplace le sénateur Keon. Nous allons donc terminer notre séance à 19 heures pile puisque, comme l'a signalé le sénateur Cook, le sénateur Keon, qui représente le Haut-Canada, se fait finalement remplacer par un Terre- Neuvien à l'Institut de cardiologie d'Ottawa. Si je le précise, c'est que mes parents étaient Terre-Neuviens et qu'on ne garde pas un Terre-Neuvien longtemps loin du bar. On m'a donc enjoint de mettre un terme à la séance à 19 heures pile, et je vais donc tenter de mener rondement la séance aujourd'hui.

Nous accueillons deux tables rondes regroupant chacune des gens qui dispensent des services en santé mentale. La première table ronde comprend le Dr Sunil Patel et la Dre Gail Beck, de l'Association médicale canadienne; le Dr Paul Garfinkel, qui préside le groupe de travail sur la santé mentale à l'Association des hôpitaux de l'Ontario et qui est aussi PDG du CTSM, le Centre de toxicomanie et de santé mentale de Toronto; et enfin, le Dr Blake Woodside, président du conseil d'administration de l'Association des psychiatres du Canada.

Bienvenue à tous. Docteur Patel, vous avez la parole.

Le Dr Sunil Patel, président, Association médicale canadienne: Merci, honorables sénateurs, de me permettre de prendre la parole aujourd'hui au sujet de la nécessité critique de nous pencher sur les questions de santé mentale et de maladie mentale au Canada. Comme l'a signalé le président, la Dre Gail Beck, qui n'a pas besoin d'être présentée, m'accompagne aujourd'hui. Elle est bien connue de ce milieu-ci de même que ceux de Hamilton et de Montréal, puisque cela fait 20 ans qu'elle y oeuvre en pédopsychiatrie. Elle connaît donc très bien les questions dont on discutera aujourd'hui.

Je parlerai brièvement des dimensions des enjeux et des moyens dont le gouvernement dispose pour s'y attaquer. Je présenterai les réflexions spécifiques de l'AMC et ce qu'elle recommande pour aller de l'avant.

Comme les membres du comité le savent, les troubles de santé mentale, y compris le stress et la détresse, ont coûté plus de 14 milliards de dollars à l'économie en 1998. Le coût humain, toutefois, ne se mesure pas en dollars.

Des estimations indiquent que la maladie mentale touchera un jour ou l'autre environ un Canadien sur cinq — soit près de 6 millions de personnes. Ce chiffre augmente encore lorsqu'on ajoute le problème sérieux de l'asservissement aux drogues illicites, à l'alcool et aux médicaments d'ordonnance de même qu'au tabac. Notre société et notre système de santé demeurent cependant cruellement inadéquats lorsqu'il s'agit de promouvoir la santé mentale et de dispenser des soins et des traitements en temps opportuns là où le besoin se fait sentir. Les obstacles jumelés que constituent le stigmate et la discrimination ont exacerbé les carences du système.

Ces obstacles ont un effet néfaste sur le rétablissement à la suite d'une maladie mentale et d'une toxicomanie, car ils nuisent à l'accès aux services et aux traitements ainsi qu'à l'acceptation de la communauté. Cette situation est particulièrement malheureuse puisqu'il existe des traitements efficaces contre la plupart des maladies mentales et des toxicomanies.

Les problèmes de santé mentale touchent tous les aspects de la vie d'une personne, et c'est dans ce domaine que les soins peuvent le plus bénéficier de la collaboration des prestateurs. Les médecins de familles, les psychiatres, les psychologues, les travailleurs sociaux, les infirmières et les conseilleurs peuvent tous participer aux soins de santé mentale d'un patient. Les médecins de famille sont en mesure de prendre en charge plusieurs maladies mentales, mais pour la plupart, ils ne possèdent pas la formation nécessaire pour assurer le traitement médical complexe des maladies mentales graves. La plupart des cabinets de médecins ne sont pas bien équipés non plus pour faire du counselling familial ou s'occuper des problèmes de logement, d'éducation et de travail souvent associés à la maladie mentale. Moi- même, comme médecin de famille, je dois pouvoir compter sur des ressources adéquates lorsqu'il me faut avoir recours à d'autres experts pour prendre en charge les soins de santé mentale d'un patient.

Les médecins s'efforcent de faire en sorte que les soins appropriés soient dispensés au moment opportun par le prestateur adéquat, comme dans le cas du Groupe de travail sur les soins de santé mentale du Collège des médecins de famille du Canada et de l'Association des psychiatres du Canada, créé dans le but de produire de meilleurs résultats chez les patients. Je sais que le comité en entendra davantage sur cette initiative de la part de l'Association des psychiatres du Canada. J'en parle maintenant simplement pour rappeler que l'on fait des progrès et que l'on pourrait en faire encore davantage en établissant un plan d'action national sur la maladie mentale et la santé mentale.

Le Canada est le seul pays du G-8 à ne pas avoir une stratégie nationale. Cette lacune a contribué considérablement à la fragmentation des services de santé mentale, à des problèmes chroniques comme la longueur des périodes d'attente pour les services de santé mentale pour enfants et à la pénurie criante de ressources humaines de la santé. En voici un exemple évident: aucun psychiatre pour enfant ne dessert les territoires du Nord, qui en auraient pourtant si désespérément besoin.

La fragmentation des services de santé mentale au Canada n'a pas fait son apparition du jour au lendemain, et il serait excessivement simpliste de dire qu'il est possible de résoudre les problèmes sur-le-champ. Il importe toutefois de comprendre que le gouvernement fédéral dispose de moyens pour mieux s'acquitter de ses obligations en ce qui a trait à la surveillance, à la prévention des maladies mentales et à la promotion de la santé mentale.

Des efforts déployés par l'Alliance canadienne de la maladie mentale et de la santé mentale et par le Sommet national sur la maladie mentale et la santé mentale organisé en octobre 2002 par l'AMC, ainsi que ceux déployés par la Société canadienne de psychologie et l'Association des psychiatres du Canada, ont balisé clairement la voie à suivre. Ces interventions ont aidé à définir la forme que devrait avoir une stratégie nationale.

Les participants ont recommandé de concentrer les efforts sur les buts nationaux en matière de santé mentale, un cadre stratégique qui inclut la recherche, la surveillance, l'éducation, la promotion de la santé mentale et un plan de gestion des ressources en santé, un financement suffisant et viable et un mécanisme de reddition des comptes. Outre le plan d'action national, il importe aussi de reconnaître l'effet nocif de l'exclusion de la Loi canadienne sur la santé des hôpitaux ou établissements destinés principalement aux personnes atteintes de troubles mentaux.

Autrement dit, comment arriverons-nous à surmonter le stigmate et la discrimination si nous les validons dans la législation fédérale? L'AMC est convaincue que l'élaboration d'une stratégie nationale et d'un plan d'action sur la santé mentale et la maladie mentale constitue l'étape la plus importante à franchir en la matière.

Le plan a aussi besoin d'appui, de roues pour ainsi dire, pour surmonter l'inertie à laquelle se sont butées les tentatives faites jusqu'à maintenant. Ces roues prennent la forme de cinq interventions précises, énoncées à l'endos du mémoire, dont voici le résumé. Il faudrait modifier la Loi canadienne sur la santé pour inclure les hôpitaux psychiatriques; rajuster le Transfert canadien en matière de santé pour prévoir que le gouvernement fédéral partage à la fois l'investissement ponctuel et le coût continu des services assurés supplémentaires; rétablir, à Santé Canada ou à la nouvelle agence canadienne de la santé publique, un service doté de ressources adéquates qui s'occupera uniquement de la santé mentale et des toxicomanies; réviser les politiques et programmes fédéraux sur la santé pour faire en sorte que la maladie mentale se trouve sur le même pied que d'autres maladies et incapacités chroniques pour ce qui est des prestations; et mettre en place une stratégie nationale efficace de sensibilisation de la population afin d'atténuer le stigmate associé aux maladies mentales et aux toxicomanies dans la société canadienne.

Mes propos ont porté sur la situation générale des initiatives en matière de santé mentale au Canada, mais l'état de santé mentale des prestateurs de soins de santé du Canada préoccupe aussi l'AMC.

Depuis quelques années, les preuves démontrent que le stress et l'insatisfaction sont à la hausse et que le moral est bas chez les médecins. L'édition 2003 du questionnaire sur les effectifs médicaux de l'AMC a révélé que 45,7 p. 100 des médecins sont en état d'épuisement avancé. Les médecins, et en particulier les femmes médecins, semblent plus exposés au suicide que la population en général.

L'AMC a participé à de nombreuses activités à cet égard, y compris au lancement, l'année dernière, du Centre pour la santé et le mieux-être des médecins. Ce centre d'information est une entité de coordination qui appuie la recherche et fournit de l'information digne de confiance aux médecins, aux étudiants en médecine et aux membres de leur famille. Une des premières activités du centre a consisté à fournir, dans le contexte d'un partenariat avec l'Institut des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies, 100 000 $ en financement pour la recherche sur la santé des médecins.

Ce financement subventionne actuellement deux projets de recherche. Le premier vise à créer un guide d'indicateurs communs à l'intention des programmes de santé des médecins du Canada. Le projet créera un profil national des médecins qui ont recours aux programmes, des services offerts et de leurs résultats. Le deuxième projet porte sur la psychodynamique du travail du médecin afin de permettre de mieux comprendre la dynamique des problèmes comme le stress, l'épuisement, la toxicomanie et la violence au travail.

Il faut appuyer ces efforts — d'autres prestations de soins de santé sont aussi touchées par la maladie mentale et ont besoin d'aide. La communauté des soins de santé a besoin d'aide sur les plans de la réduction du stigmate, de l'accès aux ressources et des environnements d'appui.

Je sais qu'une partie des questions que j'ai abordées aujourd'hui sont familières aux membres du comité, étant donné la liste impressionnante des tables rondes qui ont eu lieu, de témoignages que vous avez déjà entendus et des mémoires que vous avez reçus dans le contexte de votre étude sur la santé mentale. J'espère seulement que mes commentaires éclaireront vos efforts importants et déboucheront sur des progrès réels vers la satisfaction des besoins auxquels, pour la plupart, on ne répond pas dans les domaines de la santé mentale et des maladies mentales au Canada.

Je vous recommande à nouveau à vous reporter au document que nous vous avons fait parvenir dans lequel vous trouverez nos cinq interventions recommandées. Merci.

Le Dr Paul Garfinkel, président du Groupe de travail sur la santé mentale, Association des hôpitaux de l'Ontario: Merci, monsieur le président, de permettre à notre association de participer à votre réflexion sur la santé mentale et la maladie mentale.

J'aimerais d'abord répéter qu'il est urgent pour vous d'agir. Comme vous l'avez entendu dire, 20 p. 100 des Canadiens souffriront d'une maladie mentale ou d'une toxicomanie au cours de leur vie; 3 p. 100 d'entre eux souffrent d'une maladie mentale grave persistante. Les maladies mentales comptent pour environ 13 à 14 p. 100 des invalidités à l'échelle mondiale, et cette proportion ne cesse d'augmenter.

Mais voici le chiffre le plus important en matière de maladie mentale: plus de deux tiers de ceux qui nécessitent des soins ne reçoivent jamais d'aide. Or, les chiffres sont encore pires chez les enfants, les personnes âgées et les immigrants. Et malgré ces chiffres, les soins de santé mentale sont largement absents dans les initiatives de réforme des soins de santé.

Il faut de toute urgence que l'État investisse dans les soins de santé mentale. L'an dernier, en Ontario seulement, un peu plus de 4 p. 100 du budget de santé est allé à la santé mentale — le même pourcentage qu'en 1984. Seulement 1 p. 100 du budget de santé de l'Ontario est allé aux services communautaires de santé mentale.

Il est urgent d'inclure la santé mentale dans les soins de santé généraux. Ceux qui souffrent de maladies mentales doivent être traités tout comme les autres qui souffrent d'autres maladies. La Loi canadienne sur la santé a exclu ceux qui se retrouvent dans des hôpitaux pour maladies mentales, ce qui illustre encore le stigmate qui existait à l'époque de sa rédaction. Il faut, à notre avis, bâtir sur ce qui se fait déjà dans le cadre de l'accord des premiers ministres: il faut inclure la santé mentale et les toxicomanies dans un programme national de soins à domicile; il faut assurer l'accès des malades mentaux à l'assurance-médicaments; et il faut inclure la maladie mentale et les toxicomanies dans les initiatives de réforme des soins primaires.

Nous proposons cinq mesures à prendre en priorité. D'abord, investir dans les services communautaires de santé mentale, ce qui s'explique par les raisons qui se trouvent énumérées dans la présentation que je vous ai distribuée et qui inclut des raisons humanitaires et économiques. Ces soins dans la collectivité doivent englober le soutien par les pairs, de même que les initiatives familiales et de protection des consommateurs. Il nous faut écouter ceux qui ont vécu ces maladies et qui en ont donc la connaissance et l'expérience.

L'investissement est crucial pour permettre l'accès aux soins de façon précoce. Comme je le disais, plus de deux tiers des patients qui ont besoin de soins ne reçoivent absolument aucune aide. Certains ne savent même pas qu'ils sont malades et d'autres craignent le stigmate. Parfois, il arrive que le premier médecin rencontré ne reconnaisse pas la maladie, et parfois aussi, ce sont les ressources qui ne sont pas disponibles. Une intervention précoce est donc essentielle pour obtenir des résultats.

Pour soigner avec succès ces maladies, il faut aussi investir dans le logement, le soutien du revenu et l'emploi. Il faut également prévoir l'accès aux soins en région éloignée. Il semble, notamment, que les vidéoconférences donnent d'excellents résultats. D'après nos études de ce système, les résultats peuvent être aussi bons que s'il s'agissait d'une visite directe au cabinet du médecin.

Les gens qui souffrent à la fois de troubles mentaux et de toxicomanie posent un problème spécial. Environ 40 p. 100 de ceux qui sont toxicomanes souffrent également d'autres maladies concomitantes. Or, peu de médecins canadiens sont formés pour traiter ces problèmes simultanés.

En deuxième priorité, nous proposons l'intégration et la continuité des soins. Le système est présentement fragmenté et présente de nombreuses lacunes dans les services. Les listes d'attente sont longues. Là où je travaille, celui qui souffre d'un trouble obsessif compulsif, d'autisme ou d'un retard de développement dû à une maladie mentale peut attendre des mois avant d'être évalué. Dans bien des régions du pays, les services essentiels ne sont tout simplement pas disponibles.

On constate un manque de normalisation des services fondamentaux de santé mentale, et les gens ont du mal à accéder aux services ou sont renvoyés d'un service à l'autre. Les modèles d'intégration devraient être flexibles et adaptés aux besoins locaux. Il faut donc qu'ils soient axés sur les clients et que l'on mette fin à la dichotomie qui existe entre santé physique et santé mentale. La collaboration doit être plus grande pour répondre aux besoins de ceux qui souffrent d'une variété de problèmes, notamment de ceux qui souffrent à la fois d'une maladie mentale et de toxicomanie. Il faudrait s'attarder au problème de partage d'information et d'utilisation de la technologie de l'information dans ce secteur.

La troisième priorité, c'est une stratégie nationale. On vous l'a déjà dit: le Canada est en retard sur d'autres pays. L'Australie a déjà adopté une stratégie nationale en 1992. En 1999, ce sont les États-Unis qui se sont engagés à améliorer la santé mentale de tous les Américains.

Le plan d'action national doit comprendre un certain nombre d'éléments. Le premier, c'est l'information de la population, la promotion de la santé, et la lutte contre la stigmatisation. On parle ici d'informer la population en utilisant des modèles à qui les gens peuvent s'identifier, et d'autres moyens aussi d'éducation: je parle ici de l'éducation dans les écoles et de l'éducation des professionnels de la santé qui jouent aussi un rôle dans la perpétuation du stigmate. Le deuxième élément, c'est la recherche. Le troisième, ce sont les systèmes d'information et de collecte de données. Le quatrième, c'est la stratégie des ressources humaines en santé, dont on vous a déjà parlé; et le dernier élément, c'est un cadre de politique nationale qui définisse les rôles des divers gouvernements et ministères.

Fixer des normes nationales, c'est notre quatrième priorité. À cet égard, il s'agit de développer les capacités du système par le truchement de l'éducation: celle des infirmières, des psychologues, des travailleurs sociaux, des ergothérapeutes et des médecins de famille qui ont en effet besoin d'être mieux formés pour pouvoir soigner certains des problèmes difficiles que présentent leurs patients.

La R et D est un aspect très important de cette stratégie nationale. Au cours des dix dernières années, nous avons plus appris sur le cerveau qu'au cours du siècle dernier. Nous avons aussi beaucoup appris sur les relations interpersonnelles et sur le fonctionnement à l'intérieur de la société. Nos méthodes de recherche se sont grandement améliorées. Toutefois, des défis se posent en matière de mise en application des nouvelles connaissances et de leurs répercussions sur la pratique quotidienne des médecins d'un bout à l'autre du Canada.

Les fonds du gouvernement fédéral devraient servir à la R et D de traitements novateurs, à l'établissement des points de repère pour améliorer et renforcer le système de reddition de comptes, et à la mise au point de systèmes d'information pour faciliter la collecte de données.

Enfin, notre cinquième priorité vise le financement fédéral des services aux Autochtones. Vous savez bien que les besoins des Autochtones en matière de santé mentale et de toxicomanie ne cessent d'augmenter. Le taux de suicide chez les Autochtones canadiens est cinq fois plus élevé qu'ailleurs au pays. Les programmes et services destinés aux Autochtones sont disjoints, non coordonnés ou inexistants. L'hôpital où je travaille ne compte que cinq personnes desservant 50 000 à 70 000 personnes, ce qui représente une population importante dans le centre-ville de Toronto. Il faut de toute urgence des services de santé mentale et de toxicomanie qui tiennent compte des spécificités culturelles de cette population. Le financement du gouvernement fédéral est essentiel pour assurer des soutiens communautaires tels que le logement, l'éducation et l'emploi qui revêtent une grande importance dans le traitement et le rétablissement. Enfin, il faut assurer des soutiens communautaires en santé mentale afin d'aider les collectivités autochtones à se doter de services qui répondent à leurs propres besoins.

En guise de conclusion, je dirais que l'inaction en santé mentale tient à la stigmatisation: elle ne serait pas tolérée pour d'autres maladies aussi graves ou répandues. C'est pourquoi le gouvernement fédéral peut jouer un rôle essentiel en assurant l'inclusion de la santé mentale et des toxicomanies dans un système de santé réformé. Le gouvernement doit prendre l'initiative d'établir une stratégie nationale de santé mentale. Il doit fixer des normes nationales en matière d'éducation et de recherche, et investir dans les services et les soutiens communautaires pour mettre en place un système de soins mieux intégré et sans hiatus ni rupture.

Le Dr Blake Woodside, président du Conseil d'administration, Association des psychiatres du Canada: Monsieur le président et mesdames et messieurs du comité, en plus de mon poste de président du conseil d'administration de l'Association des psychiatres du Canada, je suis également clinicien et chercheur. Je dirige le programme d'hospitalisation des patients anorexiques à l'Hôpital général de Toronto, à Toronto. Je fais donc face à ces problèmes quotidiennement.

Mon exposé sera très bref, car je ne ferais que répéter ce qui vous a déjà été dit. Je vais donc passer assez vite à nos recommandations sur la façon dont le gouvernement peut miser sur ce qui a déjà été fait jusqu'ici. J'essaierai d'être le plus précis possible.

L'Association des psychiatres du Canada représente 3 000 psychiatres partout au Canada. Nous sommes une association bénévole qui existe depuis quelque 55 ans. Nous voulons faciliter le développement des meilleures formes de soins possibles en santé mentale, pour aider nos citoyens.

Les partenariats nous tiennent beaucoup à coeur, et ils constituent une tradition de longue date en psychiatrie, où on trouve des équipes et des groupes de travail. Cela fait plusieurs décennies que nous avons appris que nous ne pouvons pas tout réussir par nous-mêmes, et c'est pourquoi nos partenariats avec des associations telle que l'Alliance canadienne pour la maladie mentale et la santé mentale nous tiennent beaucoup à coeur.

Les psychiatres doivent jouer plusieurs rôles — plus que vous ne le sauriez. Outre leur pratique clinique, les psychiatres doivent enseigner, faire de la recherche et de l'administration, et leurs tâches administratives sont parfois de plus en plus prenantes. Cette multiplicité des rôles pose un défi accru pour les psychiatres dans leur quotidien.

L'un des défis les plus ardus pour les psychiatres, c'est justement ce que la Dre Pamela Forsythe du Nouveau- Brunswick appelle le jeu des serpents et échelles des soins de santé mentale. Supposons que vous soyez un étudiant albertain inscrit à la maîtrise à Ottawa. Si vous jouez aux dés, obtenez un trois et développez la maladie bipolaire, ce serait considéré comme un serpent. Puis, si vous obtenez un quatre, vous pourriez être admis à l'hôpital Royal d'Ottawa, l'une des institutions les plus en vue pour le traitement des troubles bipolaires au Canada; ce serait une échelle pour vous. Puis, toujours avec le dé, vous obtenez un deux et suivez vos traitements pendant deux mois. Au bout de trois mois, l'Alberta refuse de continuer à payer votre traitement et vous recevez votre congé de l'hôpital. Vous avez donc frappé un six aux dés et descendu le long d'un autre serpent.

Pourrait-on dire la même chose de quelqu'autre domaine de la santé au Canada? Tolérerions-nous cette situation pour toute autre maladie dans notre pays? Pourquoi tolère-t-on chez ceux qui souffrent du trouble bipolaire? Or, on demande aux psychiatres de s'y retrouver dans cet amalgame de règles bizarres et parfois franchement obscures qui régissent des soins de santé qui devraient être offerts à tous.

L'objectif du traitement dispensé par le psychiatre, c'est de réduire les incapacités, les dysfonctions et la mortalité. Il est important de savoir que les cas de mortalité par suicide se chiffrent à 4 000 au Canada par an: c'est énorme! Nos patients ne sont pas uniquement les biens portants qui ont des préoccupations. Nos patients, se sont des gens qui souffrent de maladies mentales graves et persistantes qui les tuent en grand nombre chaque année.

Les Drs Garfinkel et Patel ont revu pour vous l'ensemble des choses dont avaient besoin ceux qui souffrent de maladies mentales. Je ferai une brève récapitulation, car elle vous aidera à mieux formuler la stratégie nécessaire en vue d'attaquer ce problème et de réformer le système de santé mentale.

Chez chacun, les besoins diffèrent selon le cycle de vie: les enfants n'ont pas les mêmes besoins que les personnes âgées ou que les adultes d'âge moyen. Les besoins diffèrent en fonction des milieux. En effet, les collectivités autochtones et les collectivités rurales et éloignées ont des besoins différents. Les besoins des femmes ne sont pas les mêmes que ceux des hommes. Chaque groupe culturel a des besoins spécifiques. Ceux qui sont incarcérés dans les prisons fédérales ont une série de besoins qu'on ne comble certainement pas à l'heure qu'il est.

Il existe également un processus continu dans la gravité des maladies. Il y a si peu de psychiatres au Canada qu'ils ne traitent que les gens très malades, car ils n'ont pas le temps de traiter les préoccupations des biens portants. Ils sont beaucoup trop occupés pour cela. Or, cette réalité échappe à la plupart des gens.

Vous devrez songer sérieusement aux besoins que peuvent avoir toutes les personnes nécessitant des services de psychiatrie légale. Les ressources nécessaires pour traiter les incarcérés seront énormes. Or, on ne veut surtout pas en parler actuellement.

Vous connaissez la gamme des besoins. Vous connaissez aussi la proportion d'incapacité due à des maladies mentales. Vous savez que le traitement fait toute la différence et vous savez que la plupart des Canadiens ne reçoivent aucune aide. Vous savez que l'expression «santé mentale» ne s'applique pas uniquement aux médecins qui dispensent des pilules aux malades, mais qu'elle s'applique aussi au logement, au soutien social, à la réadaptation professionnelle, et à toutes sortes d'autres choses. Vous savez que l'un des plus graves problèmes dans la prestation de soins de santé mentale, c'est la discrimination qui se fait systématiquement à l'égard des individus qui, dans notre société, souffrent de troubles mentaux.

On parle souvent de stigmatisation. À mon avis, c'est de la discrimination. Cette étudiante de l'Alberta a fait l'objet d'une discrimination fondée sur le diagnostic médical. Nous parlons ici de l'un des derniers motifs de discrimination le plus acceptable dans notre société, savoir l'état de santé. Il faut que cela change.

J'emploie le mot «discrimination» au lieu de «stigmate», lequel est associé à la honte. Or, il ne sert à rien d'avoir honte, et il faut se débarrasser de ce sentiment, tandis qu'il est possible d'agir pour lutter contre la discrimination. Nous avons mené beaucoup de combats dans notre société au cours des dernières décennies, et c'est celui-ci que nous allons désormais mener.

Vous serez tous d'accord pour dire qu'il est temps d'agir. Cela fait 40 ans que l'on s'éloigne des asiles pour traiter dans la collectivité. Il est temps d'apporter des changements au système de soins de santé mentale et d'en faire une priorité absolue pour les décideurs politiques canadiens.

En 2020, ce qui n'est pas si loin, la dépression représentera la moitié des cas d'incapacité dans le monde industrialisé. On vous a expliqué que le Canada était le seul grand pays industrialisé à ne pas avoir de plan national sur la santé mentale, ce qui, à notre avis, est très grave pour les Canadiens.

Le premier pas dans la bonne direction a été fait, à notre avis, lorsque l'Alliance canadienne pour la maladie mentale et la santé mentale a exigé un plan national sur la santé mentale. Je pense que vous avez reçu copie de la demande qui découle d'une réflexion entreprise par un groupe national de tous les intervenants de tout le Canada. Nous avons réussi à aboutir à un consensus, ce qui est très exceptionnel, tout comme votre comité à dégager une opinion consensuelle. Vous avez donc appris que les quatre secteurs dans lesquels le plan d'action national doit agir, sont: l'information publique, la recherche, la création d'une banque de données nationales et un cadre politique pour faciliter la rétroaction d'un système en fonction des besoins.

Comment la psychiatrie s'inscrit-elle dans ce plan? Vous souhaitez m'entendre parler du rôle spécifique de la psychiatrie dans la réforme de la santé mentale. La psychiatrie doit oeuvrer dans trois secteurs, et avec votre aide. Ces secteurs sont la conscientisation, l'accès et l'imputabilité. Laissez-moi vous expliquer chacun d'eux.

Le premier élément de la conscientisation, c'est l'attitude qui sert à combattre la discrimination et les stigmates. Or, à l'intérieur même de la profession, on trouve une certaine discrimination institutionnalisée. Nous le reconnaissons et c'est à nous d'agir. Nous avons besoin d'aide de la part des chefs de file fédéraux pour combattre la discrimination et les stigmates dans la société Le second élément, c'est la production de connaissances et la capacité de recherche au Canada. Je vous ai déjà expliqué qu'à 47 ans, j'étais chercheur et clinicien à mi-chemin dans sa carrière. Quatre-vingt- dix pour cent de mes fonds de recherche — et j'ai des subventions à hauteur de plusieurs millions de dollars — proviennent de l'extérieur du Canada. C'est parce que je suis incapable d'obtenir des fonds de recherche du Canada. Et pourtant, mes recherches sont couronnées de succès. Ironiquement, je reçois des fonds des États-Unis ou de fondations privées, mais pas du Canada.

Les instituts de recherche en santé du Canada font de grands progrès et cherchent à corriger la situation. Mais il faut beaucoup plus pour subventionner convenablement la recherche en santé mentale au Canada. Nous devons transmettre l'information recueillie lors des recherches à la population en général et aux professionnels de ce secteur, et il faut donc un mécanisme pour que cela se fasse de façon durable.

Le deuxième secteur étant l'accès, le plus important est d'abattre les barrières. Plus nous cherchons à transformer le réseau de la santé mentale en un réseau plus axé sur la collectivité, plus nous devons faire en sorte que nous ne recréerons pas les asiles. Ceux qui souffrent de troubles mentaux ont besoin de sentir qu'ils peuvent avoir accès au réseau à partir de plusieurs points d'entrée. Ils ne veulent pas y entrer par une seule porte, comme cela se faisait il y a 50 ans. Il faut donc supprimer des obstacles au financement des médicaments pour traiter les troubles mentaux.

Le Canada a besoin d'un minimum de normes nationales acceptables pour dispenser les soins. Je traite moi-même les personnes les plus gravement atteintes d'anorexie nerveuse et qui se trouvent jusqu'à 50 p. 100 ou encore plus en deçà de leur poids moyen selon les tableaux — c'est par exemple le cas d'une personne de 5 pieds 4 pouces qui ne pèse que 60 livres. Or, ces gens peuvent attendre de quatre à six mois pour se faire traiter, car je suis le seul qui offre ce service. Il n'existe aucun autre programme. S'il s'agissait de votre fille, qu'en penseriez-vous? Nous avons besoin de normes établissant ce qui est acceptable.

Il nous faut une stratégie nationale pour les traitements psychiatriques et pour la santé mentale qui permette de former des psychiatres et les autres travailleurs dans les soins de santé mentale d'une façon suffisamment souple pour qu'ils puissent réagir à l'évolution des besoins de la société.

Enfin, il nous faut une stratégie de ressources humaines qui s'applique non seulement au domaine de la psychiatrie mais aussi à l'ensemble de la santé mentale. La psychiatrie est en effet une spécialité en voie de disparition: d'ici 2020, si nous ne changeons rien dans notre façon de faire, on aura perdu un tiers d'entre nous.

À mon avis, il est admissible et amoral de continuer à résoudre le problème d'inadéquation de la main-d'oeuvre en recrutant, par exemple, trois des cinq derniers psychiatres pratiquant en Ouganda pour les envoyer dans une partie sous-desservie de l'Ontario. Comment un pays riche comme le nôtre peut-il voler les médecins d'autres pays? Nous avons besoin d'une solution faite au Canada et durable à long terme, et j'y reviendrai sous peu.

En ce qui concerne l'accès, il faut soutenir les innovations destinées à offrir aux groupes mal desservis dont j'ai parlé tantôt un plus grand accès aux soins spécialisés. Laissez-moi vous parler d'une importante initiative, celle des soins partagés, qui visent à faire travailler en collaboration les psychiatres et les médecins de famille. C'est une excellente initiative qui fait sans doute beaucoup pour améliorer les résultats. De plus, médecins et patients en sont beaucoup plus heureux. Bien sûr, ce n'est pas la panacée puisqu'il existe aussi une pénurie de médecins de famille. Faire passer une partie de la charge de travail des psychiatres aux généralistes, ce n'est sans doute pas faisable comme solution, puisqu'il n'y a pas suffisamment de médecins de famille pour ramasser la balle. Mais il faut continuer à soutenir cette initiative importante.

Elle ne parviendra néanmoins pas à résoudre le problème de nos ressources humaines. Collaborer avec d'autres praticiens du domaine de la santé ne résoudra rien non plus, puisqu'il y a des pénuries dans toutes les disciplines.

J'ai mentionné en troisième lieu l'imputabilité. Vous nous avez entendu mentionner des montants d'argent. Si, comme nous le suggérons, il faut résoudre le problème en y injectant plus d'argent, cela implique qu'il doit y avoir des mécanismes de reddition de comptes, et c'est très important. Le premier aspect de cette reddition de comptes, c'est une bonne surveillance de la santé mentale. Autrement dit, il ne faut pas uniquement tenir compte de la durée d'hospitalisation. Le sondage publié à l'automne par Statistique Canada était un excellent point de départ, puisqu'il s'agissait là du premier sondage basé sur la population jamais fait au Canada sur les maladies mentales. Imaginez un peu la situation si on avait attendu 2003 pour faire le premier sondage sur les maladies cardiovasculaires ou sur le cancer? Ce serait scandaleux. Il nous faut donc un meilleur système de surveillance.

Il nous faut faire un contrôle continu de la pratique et de la formation clinique fournies à la fois aux professions et à la population, pour que l'on sache quels sont les traitements appropriés et efficaces en matière de troubles mentaux et pour que l'on cesse d'agir à l'aveuglette et qu'on sache mieux ce qui est sûr comme traitement et ce qui ne l'est pas.

Enfin, notre profession doit faire en sorte que nous soyons compétents, que nous soyons non seulement bien formés, mais que nous puissions également maintenir au fil des ans notre compétence.

Comment? En premier lieu, nous devons continuer à exhorter le gouvernement à adopter un plan d'action national détaillé qui fasse appel à tous les intervenants ainsi que les provinces et territoires. Ce plan d'action national doit comporter un cadre d'évaluation qui permette de déterminer si notre planification donnera des résultats utiles. Ce n'est pas l'élaboration du plan qui, en soi, changera quoi que ce soit, mais il donnera le ton à ce qui se fait au Canada et cela permettra d'obtenir l'adhésion de la population ainsi que des engagements fermes.

Il faudra également investir dans le système tout en réaffectant certaines des ressources actuelles. En effet, nous ne pouvons compter uniquement sur une réaffectation des ressources actuelles, puisqu'elles sont présentement étirées au maximum.

Le gouvernement fédéral peut et doit agir en faisant certaines choses. La première, c'est de montrer la voie dans l'élaboration de la politique, dans l'intégration et dans l'élaboration de plans d'action assortis de financement. En outre, le gouvernement fédéral a un rôle à jouer en matière d'éducation de la population; il doit permettre la cueillette de données d'une province et d'un territoire à l'autre; il doit surveiller et réglementer les traitements pour s'assurer de leur innocuité; il doit développer la capacité de recherche au Canada et fixer les normes des pratiques exemplaires; et il doit aussi — ce qui est très important — veiller à ce que la santé mentale soit inscrite dans le mandat de la santé publique que s'est donné récemment le gouvernement. Or, actuellement, ce n'est pas le cas, même s'il s'agit d'une pièce essentielle que le gouvernement fédéral doit apporter à l'édifice de la santé publique.

Enfin, le gouvernement fédéral doit, à notre avis, montrer la voie et élaborer un plan de ressources humaines destiné aux praticiens de la santé mentale qui soit renouvelable, à long terme, indépendant, national, mais qui s'applique à toutes les provinces. Toutes ces composantes sont nécessaires. Ce plan ne peut être différent d'une province à l'autre, sans quoi nous nous retrouverons dans le même bourbier qu'aujourd'hui.

Il serait peut-être utile, entre-temps, de créer un organe intégré qui rende des comptes au ministre de la Santé qui, à son tour, aurait un droit de regard sur toute la démarche. Les mécanismes déjà existants depuis 20 ou 30 ans se sont révélés bien inutiles pour réaliser quelque progrès que ce soit. Voilà pourquoi, à notre avis, il faut un organe indépendant qui puisse surmonter les jalousies bien incrustées et la concurrence.

Voici maintenant les premières étapes que nous vous recommandons de suivre. En premier lieu, le gouvernement devrait annoncer comme politique que la santé mentale devient une priorité nationale pour la santé des Canadiens et qu'il a l'intention d'élaborer un plan d'action national. En second lieu, il serait utile de mettre sur pied un organe d'intégration indépendant. En troisième lieu, nous suggérons que l'agence de santé publique englobe dans son mandat des éléments de santé mentale. Enfin, nous recommandons à Santé Canada de se doter de la capacité d'aider à l'élaboration dudit plan d'action national, ce qui impliquerait que le ministère recrutera à contrat des gens qui font présentement de la pratique clinique et de la prestation de services de santé mentale.

Enfin, ne dénigrons pas les progrès réalisés. La situation n'est pas totalement catastrophique. En effet, lorsque l'Alliance canadienne pour la maladie mentale et la santé mentale, l'ACMMSM, a été créée en 1998, on ne parlait pas de santé mentale; aujourd'hui, on en parle couramment.

Nous devons maintenant concrétiser les merveilleuses idées proposées par votre comité et d'autres.

Le président: Merci à tous nos témoins de leurs commentaires et d'avoir mis l'accent, tout particulièrement, sur ce que le gouvernement fédéral peut faire.

Je voudrais vous poser une question à laquelle vous voudrez peut-être réfléchir avant de nous envoyer votre réponse.

Je vous ai tous écoutés parler de la nature du système de prestation de soins: on a suggéré d'en faire plus à domicile, on a discuté des services communautaires à domicile et du modèle de pratique en collaboration du Dr Woodside, et cetera. Ce qui me frappe, c'est que les soins de service mental ne s'intègrent pas dans la structure extrêmement rigide de la Loi canadienne sur la santé, même s'ils y sont déjà inscrits.

Devrions-nous réellement songer à modifier le système actuel pour y inclure tous les systèmes de prestation de soins relatifs à la maladie mentale? Ou ne devrions-nous pas plutôt regrouper la santé mentale et la maladie mentale dans une loi distincte de la Loi canadienne sur la santé et qui soit financée différemment?

Ce qui m'inquiète, c'est qu'on veuille l'inscrire dans le modèle extrêmement rigide de la Loi canadienne sur la santé, que l'on considère de toutes parts comme étant la panacée. Bien sûr, c'est une loi extraordinaire à bien des égards, mais elle a néanmoins des limites très strictes. Je ne vois vraiment pas comment on peut offrir actuellement dans le cadre de la Loi canadienne sur la santé les services et les autres soins qui sont actuellement administrés en santé mentale.

Lorsque j'en ai parlé librement à certains de mes amis psychiatres, ils ont semblé scandalisés à l'idée que le gouvernement pourrait suggérer de retirer la santé mentale du système officiel actuel de soins de santé. Cela a semblé les perturber beaucoup — je suppose qu'il n'y a pas de mal à dire que les psychiatres peuvent être perturbés par certaines idées. J'aimerais vraiment savoir ce que vous en pensez. Je ne vois pas comment on pourrait suffisamment élargir le système actuel de soins de santé pour qu'il administre tous les services que vous dispensez vous-même, sans que cela nuise à tout le reste. On ne peut songer à offrir des soins à domicile universels. Le Canada ne peut se le permettre financièrement, et cela soulèverait toutes sortes de problèmes potentiels, comme nous le laissions entendre dans notre dernier rapport.

Je ne sais si l'un ou l'autre de nos témoins veulent se prononcer là-dessus, mais j'aimerais savoir ce que vous en pensez. Si nous avions devant les yeux une feuille vierge, que ferions-nous? Je n'en ai pas discuté avec mes collègues, mais j'ai l'impression que je n'inscrirais pas sur ma feuille vierge la Loi canadienne sur la santé, en ce qui concerne la santé mentale du moins. Quelqu'un voudrait-il réagir à cette question si simple?

Le Dr Garfinkel: C'est assez préoccupant comme idée. Dans notre domaine, on a déjà vu des gens bien intentionnés suggérer d'exclure la santé mentale du grand domaine de la santé, et c'est comme ça que nous nous sommes retrouvés avec de grands asiles, et des cas de négligence et parfois d'abus.

Le milieu de la santé mentale ne s'est jamais bien porté lorsqu'il menait sa propre barque. De plus, la distinction est artificielle à mon avis. Il ne faut pas séparer les deux domaines, car la dépression, par exemple, est un grave problème dans les cas de maladie cardiaque. Pour le patient, il ne faut pas séparer les deux problèmes, et surtout pas de façon arbitraire.

De plus, je suis convaincu que nous pourrions offrir des soins de façon beaucoup plus efficace dans la collectivité et à domicile si nous avions les bonnes méthodes de reddition de comptes et que nous nous éloignions du modèle des grands hôpitaux pour troubles mentaux.

Le Dr Woodside: Notre association hésiterait à appuyer un modèle qui séparerait la santé mentale de tout le reste.

Lors de mes années de résidence, j'avais un médecin surveillant qui avait été formé dans le nord de l'État de New York, dans une ville de 10 000 habitants qui ne comptaient que des malades psychiatriques — environ 6 000 — et ceux qui s'occupaient d'eux — environ 4 000. C'est en effet ainsi que l'on séparait les malades mentaux des autres dans les années 50. On les expédiait dans le nord de l'État de New York, et on les perdait de vue à tout jamais, de même que les praticiens qui s'occupaient d'eux.

La plupart de ceux qui ont des difficultés d'ordre mental se présentent chez leur médecin de famille. Or, si vous isolez les soins de santé mentale du système, comment pourront-ils avoir des contacts avec les soins primaires, étant donné que dans la plupart des cas, le premier contact se fait avec les médecins de famille? Si intéressante que soit votre proposition à certains égards, ce que je viens d'exposer est en soi un argument suffisant pour conclure qu'un système de soins de santé distinct du reste nuirait probablement à ceux qui souffrent de troubles mentaux.

La Dre Gail Beck, secrétaire générale adjointe intérimaire, Association médicale canadienne: En plus de travailler à l'AMC, mesdames et messieurs, je dirige également l'aile de psychiatrie où les jeunes sont hospitalisés à l'Hôpital Royal d'Ottawa. Bien que l'on favorise en psychiatrie depuis longtemps la multidisciplinarité, ce n'est certainement pas le seul domaine de médecine à le faire. Tout comme mes collègues, j'hésite à ce que l'on introduise à nouveau une certaine discrimination en décrétant que les soins de santé mentale sont distincts des autres soins.

De plus, la plupart des patients qui souffrent de troubles mentaux sont extrêmement rassurés de constater qu'ils souffrent d'une maladie. En effet, il arrive souvent qu'on ne les traite pas comme des malades, mais comme des gens qui agissent mal. Par conséquent, si vous retirez leurs soins de l'ensemble des soins de santé, même si c'est pour les intégrer ailleurs, cela ne fera que renforcer une idée qu'ils ont de toute façon tendance à se faire.

Le Dr Patel: Avant de venir témoigner, j'ai dressé la liste des patients que j'ai vus. La première était une femme qui avait été naguère psychiatre, chez qui on a diagnostiqué une dépression et qui a décidé de cesser de prendre ses médicaments, songeant qu'elle allait tout simplement se précipiter dans le lac et disparaître. Fort heureusement, elle s'est présentée chez moi et je l'ai rencontrée. J'ai ensuite vu une famille qui devait apprendre à composer avec le cancer et avec la mort. En bref, j'ai rencontré six à sept personnes qui souffraient de troubles mentaux et de problèmes de santé, comme si j'étais médecin de famille.

Les médecins de famille sont le premier point de contact. Je n'ai jamais réfléchi à la situation sous cet angle-là, mais je dirais qu'en moyenne un patient sur quatre a un problème d'un autre type qui vient s'ajouter à ses problèmes de santé déjà existants. Par exemple, l'alcoolisme, au sujet duquel j'ai rencontré le même jour un couple. J'ai du mal à croire que j'ai rencontré sept patients présentant des problèmes différents. Or, il me faut les traiter sur une base quotidienne. Et les exemples que je vous ai donnés illustrent ce qui se passe en moyenne dans ma pratique.

Je ne sais pas si conférer un statut spécial à la maladie mentale aiderait en quoi que ce soit les patients.

Le sénateur LeBreton: Les Drs Patel et Garfinkel ont tous les deux signalé que le Canada était le seul pays du G-8 à ne pas avoir de stratégie nationale. Le Dr Garfinkel a parlé des engagements pris en 1992 — c'est-à-dire il y a 12 ans — par l'Australie et par les États-Unis. Mais vous dites que nous avons tout de même fait des premiers pas.

Il ne faudrait pas réinventer la roue: serait-il possible d'apporter certains éléments du programme australien ou américain pour qu'il soit intégré à notre programme national, nous évitant de refaire toutes les études et la recherche? Vos associations respectives ont-elles rencontré les représentants de ces pays, pour devancer en quelque sorte notre étude?

Le Dr Garfinkel: Oui. Toutefois, nous n'avons pas la force de frappe que peut avoir une instance fédérale comme la vôtre. Le Canada a déjà lancé une stratégie nationale de lutte contre la drogue à la fin des années 80, mais celle-ci a disparu. Jusqu'à tout récemment, nous étions un des rares pays à ne pas avoir de stratégie de lutte contre la drogue. Or, grâce à toutes sortes de pressions et à un gros coup de barre du gouvernement central, le Canada est revenu à la charge avec une stratégie spectaculaire de lutte contre la drogue en quatre points. Nous pourrions aisément reproduire le même modèle que ce dernier ou que celui de l'Australie pour la santé mentale. Ce que disait le Dr Woodside au sujet de l'aide qu'il faut apporter à un organe intégré, surtout pour lutter contre les stigmates et pour informer la population, nécessite des ressources.

Le Dr Patel: Il n'y a pas eu d'étude structurelle des différents modèles dans les pays que nous avons mentionnés, sauf pour établir que nous accusons du retard par rapport aux autres pays dans le type de soins fournis. J'ai été formé au Royaume-Uni, là où le modèle de prestation de soins dans la collectivité avec des ressources telles que les travailleurs de santé mentale et d'autres aussi est beaucoup plus évident et à base de collaboration. Ici, nous avons un problème de ressources, car je ne peux, même si je veux assumer mes responsabilités de médecin de famille, renvoyer mes patients à d'autres spécialistes lorsqu'ils ont besoin d'une intervention, d'un diagnostic ou d'aide. Voilà le noeud du problème. Nous avons besoin non seulement de ce modèle, mais aussi de ressources additionnelles.

Le sénateur LeBreton: Lorsque vous envoyez vos patients voir des spécialistes, j'imagine qu'ils se retrouvent au bas d'une longue liste d'attente, puisque le nombre de spécialistes diminue, comme l'expliquait le Dr Woodside.

Docteur Woodside, j'ai été sidérée de vous entendre parler de l'absence de subventions de recherche. Pour avoir ces subventions, vous devez vous adresser aux États-Unis; c'est scandaleux.

Le Dr Woodside: Je reçois quelques subventions du Canada, mais la grande partie de mes subventions de recherche me provient d'autres pays ou de fondations privées de l'extérieur du Canada.

Le sénateur LeBreton: C'est incroyable! La situation ne contribue-t-elle pas à la diminution du nombre de spécialistes que vous avez décrite? Vous avez dit deux tiers du nombre actuel auraient disparu dans dix ans?

Le Dr Woodside: Depuis plusieurs années, et c'est le cas dans beaucoup de spécialités, nous avons tenté de résoudre notre problème de ressources humaines en important des médecins d'ailleurs. Les diplômés de facultés de médecine à l'étranger ont énormément contribué à la médecine au Canada, cela ne fait aucun doute. Ces gens-là ne jouent pas un mauvais rôle: ce sont des gens merveilleux, très compétents et d'excellents médecins. Toutefois, est-il moral pour le Canada de résoudre indéfiniment nos problèmes de main-d'oeuvre en volant à d'autres pays leurs médecins? N'est-il pas temps de relever le défi et de former nos propres médecins en nombre suffisant, afin d'avoir le nombre approprié de médecins et de spécialistes d'un bout à l'autre du pays?

J'aimerais revenir à votre première question. L'information concernant les politiques de ces autres pays est disponible, puisqu'elle est du domaine public. Mais il faut que le gouvernement fédéral en fasse une priorité et établisse un plan. Mais nous tiendrons compte évidemment de ce qui se fait dans les autres pays, puisque l'information est disponible. Tout ce qu'il faut, c'est qu'on montre la voie.

Le sénateur Fairbairn: C'est assez déprimant de lire ces documents. Comment persuader alors les jeunes qui veulent devenir médecins d'étudier dans ce domaine? Si on laisse de côté la question des ressources, ce qui m'a frappée à la lumière de vos propos, c'est qu'il n'y a à peu près aucun médecin dans le Nord du Canada. Est-ce à cause du climat inclément? Est-ce à cause de la difficulté de communiquer avec les populations autochtones?

Je conviens avec vous que le gouvernement doit montrer la voie, mais comment créer le bon climat pour persuader les jeunes qui entrent en médecine que c'est vraiment dans ce domaine qu'ils veulent étudier?

La Dre Beck: De la même façon que les maladies mentales sont stigmatisées, ceux qui veulent chercher de l'aide sont aussi stigmatisés, et ce problème se pose aussi pour les médecins. En effet, dans les facultés de médecine et dans le milieu médical, les psychiatres sont stigmatisés. J'entends régulièrement des blagues sur nous, qui ne serions pas de véritables médecins! Et cela n'a rien à voir avec ce que je fais dans ma pratique; c'est dû au fait que le type de maladie que je soigne est stigmatisé et fait l'objet de discrimination.

Le Dr Patel: De plus, ce ne sont pas uniquement les Territoires du Nord-Ouest qui ont des problèmes. Au Nouveau- Brunswick, on manque là aussi de pédopsychiatres. Comme l'expliquait la Dre Beck, on pourrait dire aussi que d'autres secteurs sont stigmatisés, comme la médecine familiale. Nous n'en avons jamais eu si peu, et pourtant, les médecins de famille sont très bien placés pour traiter la majorité des patients de façon précoce, puisqu'ils ont développé avec eux des liens durables qui sont essentiels dans le traitement continu de la maladie mentale. J'ai eu beaucoup de chance, car j'ai demeuré dans la même collectivité pendant 30 ans. J'en ai bien profité, et c'est ce que nous devons encourager.

Le Dr Garfinkel: Ce que vous dites n'est pas décourageant, loin de là. Cela fait 32 ans que je suis psychiatre en Ontario. Il y a dix ans à peine, jamais nous n'aurions pu avoir une conversation comme celle-ci ou organiser une table ronde comme celle-ci. Les résultats des efforts de l'ACMMSH, dont a parlé le Dr Woodside, sont très récents, tout comme le sont les sorties publiques de personnalités comme Michael Wilson et l'idée que le milieu des affaires du Canada peut s'intéresser aux problèmes de santé mentale au travail.

Mais ce qui est plus important encore, c'est que la psychiatrie est un domaine thérapeutique. Lorsque je suis devenue médecin, il n'y avait pas un grand nombre de traitements spécifiques disponibles. Aujourd'hui, la psychiatrie est très active dans le domaine thérapeutique et est beaucoup plus capable de traiter les patients de façon active, ce qui fait toute la différence au monde dans leur vie. La Dre Beck a raison de parler des stigmates qui y sont rattachés dans le milieu des soins de santé de même que dans la société en général. Tous les efforts d'éducation qui devront être entrepris devront s'adresser aussi aux dispensateurs de soins de santé, tout comme à n'importe quel autre meneur d'opinion dans la société.

En ce qui concerne le regroupement des médecins dans les villes, il existe en effet une inégalité dans la distribution, ce qui se remarque dans beaucoup de spécialités. C'est tout ce qu'il y a de plus vrai en psychiatrie et il est très difficile d'être le seul psychiatre à Whitehorse. C'est difficile en matière de relations sociales et à bien d'autres égards aussi.

L'hôpital où je travaille a un service aérien qui dessert 17 collectivités en Ontario; il offre également des vidéoconférences à 70 localités. La situation n'est peut-être pas parfaite, mais c'est une façon de contrer le problème de l'iniquité dans la répartition des médecins en région.

Le Dr Woodside: Il existe des modèles pour résoudre ce problème. Je sais que je vous rebats les oreilles avec cela, mais nous avons préféré depuis 30 ans recruter nos médecins à l'étranger, en les obligeant par contrat à desservir des régions éloignées et rurales pendant cinq à dix ans avant de pouvoir obtenir un permis de pratiquer, puis s'installer en ville. C'est un cataplasme, une solution à court terme. Il y a d'autres façons d'attirer les médecins dans des régions rurales et éloignées, mais elles coûtent cher. Depuis 20 à 30 ans, je n'ai pas constaté de volonté politique de trouver des solutions.

La Dre Beck: Il y a quelques années, j'ai fait partie d'un groupe d'experts qui se penchaient sur les ressources humaines dans le domaine de la santé en Ontario. À cette époque-là, nous avions constaté que la moitié des étudiants des cinq facultés de médecine en Ontario, peu importe où elles étaient situées, étaient originaires du Toronto métropolitain. Il ne fallait pas s'étonner qu'ils veuillent ensuite y pratiquer!

On sait que les médecins ont tendance à exercer dans le genre de localité dont ils sont issus et à y retourner. Il faut donc se tourner vers les localités qui ont besoin de médecins de toutes sortes et recruter non seulement des médecins mais aussi des travailleurs de la santé. Il y a des gens au Canada qui font ce genre de travail. Le Dr Peter Waker, doyen de la Faculté de médecine de l'Université d'Ottawa parle de la «prospection de médecins dans le nord de l'Ontario». Si l'on songe à établir une faculté de médecine dans le nord de l'Ontario c'est parce qu'elle attirerait plus d'étudiants de la région et augmenterait les chances qu'ils exercent là-bas.

Il faut se tourner vers les collectivités pour obtenir les moyens matériels et humains dont nous avons besoin. Par exemple, l'Université du Manitoba a un programme particulier de recrutement à l'intention des collectivités autochtones et a une cohorte d'étudiants en médecine autochtones. Une initiative est en cours au Yukon — qui ne dispose pas de sa propre faculté de médecine — pour repérer de jeunes Youkonais à former dans l'espoir qu'ils retourneront au Yukon.

Le sénateur Cordy: Docteur Woodside, vous avez parlé de ce dont la psychiatrie a besoin pour jouer son rôle. L'un des éléments mentionnés était les attitudes et les manières de combattre la stigmatisation dans la société. Vous l'avez évoqué d'abord dans la société en général puis dans le secteur de la santé. Vous avez dit que le secteur commence à s'y attaquer.

Que peut faire le gouvernement fédéral? Comment peut-on changer les attitudes de la population?

Le Dr Woodside: Il faut premièrement faire de la santé mentale une priorité publique; une déclaration par le gouvernement fédéral qu'un plan d'action national est en préparation constituerait un pas dans la bonne direction. Il en découlerait une vaste gamme d'activités de sensibilisation qui participeraient à la lutte contre cette discrimination et cette stigmatisation. Ensuite, valider la gravité de la maladie mentale en commençant à recueillir les données adéquates, financer comme il se doit la recherche en santé mentale et investir dans l'enseignement en santé mentale. Voilà autant d'éléments qui aideraient la société en général à se rendre compte qu'il s'agit de sujets d'inquiétude réels de vraies maladies et de vrais problèmes, qui ne peuvent être glissés sous le tapis ou occultés. C'est sans doute le plus grand rôle que le gouvernement fédéral puisse jouer.

Le sénateur Cordy: Ceux qui ont ou pensent avoir une maladie mentale ont du mal à faire le premier pas, à savoir l'admettre. Le médecin de famille est d'ordinaire la première personne à qui il s'adresse. Comme plusieurs d'entre vous le savez, les médecins de famille ne reçoivent pas la formation dont ils ont besoin. Dans le système actuel, médecin/ hôpital — qui ne va pas trop mal à l'exception des longues périodes d'attente — que peut faire le médecin de famille rémunéré à l'acte quand le malade se plaint de maux de tête ou d'un autre symptôme de nature générale? La nature humaine étant ce qu'elle est, et comme il y va de la carrière et du gagne-pain du médecin, va-t-il consacrer une heure à s'entretenir avec le malade pour trouver les causes sous-jacentes?

Il y a deux problèmes. Le premier est le manque de formation; le second est que, dans le système actuel, où le médecin est rémunéré à l'acte, il ne prend pas forcément le temps de chercher l'origine. Comment résoudre ces problèmes?

Le Dr Patel: Vous parlez là d'un problème qui existe au niveau des soins primaires, surtout chez les médecins de famille. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'ils n'ont pas reçu de formation. Si, ils en ont reçu, mais ils doivent actualiser continuellement leur formation médicale pour se tenir au courant et ont besoin du soutien de psychiatres comme le Dr Woodside et le Dr Garfinkel, qu'ils pourront consulter au besoin.

Pour ce qui est du facteur temps, chaque médecin a sa solution. Dès que j'ai commencé à exercer, j'ai réservé une heure à la fin de ma journée pour m'occuper de ce genre de problèmes. Si un malade avait besoin de mon temps, je m'arrangeais pour le trouver et lui consacrer une heure, au besoin. De fait, comme je l'ai dit récemment, j'ai eu sept ou huit malades et à cause de mes rapports permanents avec eux j'ai pu condenser en tranches de 20 minutes ma psychothérapie d'aide et des prescriptions de traitement.

Plus on a le tour, plus on peut être efficace. Si le malade a besoin de counselling, je le dirige vers mon travailleur de santé mentale. Eh bien pour le voir, le délai varie entre trois et six semaines. Je lui dis de revenir à mon cabinet s'il ne peut pas le voir. Ce n'est peut-être pas pratique courante, comme vous l'avez dit, mais c'est le genre d'encouragement que nous devons donner.

Les associations provinciales s'en occupent aussi; elles délaissent la rémunération à l'acte en faveur de la qualité des soins. Mais cela ne fait que commencer.

Le Dr Garfinkel: Je suis d'accord avec ce qui vient d'être dit car le barème des honoraires sous-estime les soins psychiatriques. En Ontario, le médecin de famille qui consacre une heure à son malade comme le Dr Patel l'a décrit touche environ 100 $. Si vous avez une infirmière et une réceptionniste à rémunérer, en plus du loyer à payer, cette heure ne vous rapporte pas beaucoup.

En réponse à votre autre question au sujet du rôle à jouer par le gouvernement fédéral, il existe d'excellents travaux sur la lutte contre la stigmatisation en Grande-Bretagne notamment un programme de cinq ans centralement dirigé, qui rassemble la British Psychiatric Association et le gouvernement fédéral. Cela a eu des effets très sensibles sur les attitudes de la population. Il y a des modèles que nous pourrions employer si la volonté existait.

Le président: N'est-ce pas un usage éminemment efficace du temps d'un médecin que de consacrer une heure à la psychothérapie au lieu de diriger immédiatement le malade vers un psychologue clinique, un travailleur social et Dieu sait quoi? Vous ne pouvez pas le faire parce que vous enverriez la personne voir quelqu'un dont les services ne sont pas couverts par l'assurance-maladie, mais il s'agit-là d'une question de financement.

Dans notre rapport antérieur, nous avons réclamé que les professionnels puissent déléguer à d'autres, s'il y avait quelqu'un de qualifié qui puisse s'en charger et nous nous sommes déclarés en faveur de confier aux infirmières- praticiennes un grand nombre de tâches des omnipraticiens. Le même principe ne vaut-il pas ici? Mon médecin de famille passe la moitié de son temps comme psychologue clinique, ce qui a d'abord pour effet de réduire de moitié la valeur de son temps comme omnipraticien — alors qu'il y a une pénurie — et, ensuite, elle a reçu une formation pour faire toutes sortes d'autres choses qui ne se font pas. Y a-t-il quelque chose qui m'échappe? Est-ce logique?

Le Dr Patel: Sénateur, le problème à mon avis se résume à une pénurie de moyens et de personnel. Dans ma clinique, plus ou moins à la campagne, si je veux envoyer un malade à un travailleur de la santé, le rendez-vous ne sera pas avant trois ou quatre semaines.

Grâce au fonds pour l'adaptation des soins de santé primaires, une infirmière-praticienne nous a été imposée sans consultation. J'ai essayé de lui envoyer un malade le jour même. On m'a dit qu'il fallait attendre trois semaines pour voir l'infirmière-praticienne. Pardon? Moi, je traite avec 35 ou 40 malades.

Nous sommes obligés de traiter ces problèmes. Ils ne peuvent pas attendre.

Le Dr Woodside: Parfois, c'est tout à fait indiqué. Dans d'autres cas, s'il faudra à l'autre personne trois ou quatre heures pour comprendre les difficultés du malade, vous ne faites sans doute pas d'économies. Parfois, le médecin de famille est idéalement placé pour consacrer 20 ou 30 minutes au problème et le résoudre au lieu de dire à la personne de garder ce qu'elle a sur le coeur pendant une semaine ou deux, jusqu'à ce qu'on lui trouve un travailleur social qui consignera tous ses antécédents et, quelques semaines plus tard, résoudra le problème.

Il est évident qu'il est possible de faire plus de travail d'équipe et de mieux partager les soins si les tâches sont réparties de manière plus rationnelle.

Le sénateur Cook: J'essaie d'assimiler le plus d'information possible sur un sujet que je connais mal.

Comment le gouvernement fédéral peut-il s'occuper de planifier les ressources humaines dans le secteur de la santé mentale et de la toxicomanie sans empiéter sur les compétences provinciales?

Le Dr Woodside: Nous estimons que le gouvernement fédéral doit prendre l'initiative et réclamer l'élaboration d'un plan d'action national pour la santé mentale au pays, un plan qui comporterait un volet ressources humaines. Le gouvernement fédéral devrait rassembler les provinces et les convaincre qu'il doit s'agir d'une initiative nationale tout comme on en a une pour lutter contre le cancer, le sida, le diabète et les maladies cardiovasculaires.

Le gouvernement fédéral ne peut pas enlever la compétence aux provinces, mais il peut invoquer des considérations morales et dire que cela doit se faire et voici pourquoi. Il pourrait dire aux provinces qu'il existe des impératifs moraux de se lancer dans cette entreprise salutaire puis créer une entité intergouvernementale guidée par un plan d'action national. Le gouvernement fédéral peut prendre les devants et dire très publiquement que cela doit se faire pour ces raisons et que les provinces manquent à leur devoir si elles s'y dérobent.

Le sénateur Cook: À la dernière page de votre mémoire, vous faites des suggestions sur ce qui peut être fait tout de suite et parlez d'une agence de santé publique qui comprendrait des éléments de santé mentale. Nous savons tous que dans le discours du Trône, il a été question de créer une telle agence. Est-ce là l'occasion que nous cherchons?

C'est le dépôt du budget dans ma province hier qui me fait poser la question. Ce budget prévoit un déficit de quelque 600 millions de dollars. Je vais vous donner la bonne nouvelle dans les mots de ma fille. Elle a dit: «Maman, c'est incroyable. Il a donné 1 million de dollars à la santé communautaire pour les services de santé mentale, mais le paradoxe c'est qu'il a embauché une infirmière-chef». À quand remonte la dernière fois qu'on a entendu cette expression: «infirmière-chef»? J'essaie sans doute de jouer à Dieu ici et d'additionner deux et deux pour faire cinq.

Les premiers ministres fédéral et provinciaux vont se réunir cet été. Cela ouvre-t-il une possibilité de rencontrer des esprits? Serait-ce l'occasion de faire cette proposition?

J'habite dans une petite province. On se connaît tous, pour ainsi dire. Sur le plan social, je ne sens pas la stigmatisation dont il est question ailleurs au pays. Les ONG font de l'excellent travail en matière de programmes sociaux, de logement et d'autres choses pour que les gens puissent tenir le coup après que les soins primaires se soient occupés de la maladie mentale. Avons-nous une occasion devant nous?

On a parlé de la Loi canadienne sur la santé. La plupart des provinces ont une loi sur la santé mentale. C'est un véritable obstacle lorsqu'il s'agit de soigner les gens. Dans ma province, il y a des restrictions qui sont imposées à la police lorsqu'elle arrête quelqu'un. Il y a des obstacles qu'il faut éliminer de manière législative.

La Dre Beck: À l'heure actuelle, deux occasions se présentent à nous pour régler les problèmes de santé mentale au pays. Il y a comme vous l'avez dit la nouvelle agence de santé publique. Il y a aussi le travail du Conseil de santé du Canada, qui n'a pas encore commencé.

Ces deux nouvelles entités nous donnent l'occasion d'adopter une vision et une attitude entièrement différentes de la santé mentale dans le contexte d'autres problèmes. J'ai eu l'impression qu'une partie du mandat du Conseil de la santé du Canada est d'examiner globalement la question des ressources en santé humaine. Pour moi, les ressources en santé humaine pour la santé mentale pourraient bien en faire partie.

Le Dr Garfinkel: L'agence de santé publique arrive à point nommé. Nous en savons beaucoup sur la promotion de la santé et l'utilisation efficace des ressources. La promotion de la santé est une activité très précieuse si l'on compare les sommes et les résultats. Nous avons un bon bagage de connaissances sur la consommation de drogue, de tabac et d'alcool et sur les traitements qui sont efficaces et ceux qu'ils ne le sont pas.

Il existe un grand nombre de possibilités du côté de la santé mentale. Je vais vous donner un exemple d'une chose que nous faisons actuellement. Nous savons que chez les jeunes, l'estime de soi est à peu près la même chez les garçonnets et les fillettes. À l'adolescence, celle des jeunes filles plonge. Le phénomène est peut-être lié aux cas de dépression et aux troubles de l'alimentation qui apparaissent huit ou dix ans plus tard. On fait actuellement beaucoup d'efforts pour empêcher cette baisse de l'estime de soi et l'apparition de maladies plus tard. Ce n'est qu'un seul exemple, mais c'est une occasion en or d'utiliser judicieusement de l'argent pour favoriser la santé au pays.

Le sénateur Cook: Il y a deux filières d'action qui s'offrent dès aujourd'hui, et la planification à long terme doit commencer tout de suite sur un horizon de huit à dix ans. Il s'agit du recrutement de personnel dans tous les systèmes qui existent. Avez-vous des choses à dire sur ce que l'on peut commencer à faire dans l'autre filière?

Le Dr Garfinkel: Je suis d'accord avec le Dr Woodside pour ce qui est des mesures à prendre dans l'immédiat. Il les a très bien décrites dans son document.

À long terme, établir un lien entre le conseil de la santé et l'agence de santé publique est très sensé. C'est plus tard que nous récolterons les bienfaits.

Le sénateur Cook: Il nous appartient d'intervenir dès la création de ces nouvelles agences.

Le Dr Garfinkel: Oui.

Le sénateur Keon: J'aimerais parler de la stratégie de santé mentale dans le plan d'action national. J'imagine que si nous restons muets sur le sujet, on nous accusera d'être irresponsables. Essayons donc d'en apprendre le plus possible de vous.

Je siège depuis quelque temps au comité chargé d'établir un plan pour le système de santé publique de l'Ontario. Ces réunions m'ont amené à conclure que tout dépendra des infrastructures de soins primaires. Je crois comprendre que vous êtes tous convaincus que le succès de la stratégie de santé mentale et du plan d'action national dépendra des infrastructures de soins primaires. Elles restent à créer, mais il le faut.

Docteur Patel, dans votre mémoire vous parlez d'une des cinq roues. La première est de modifier la Loi canadienne sur la santé pour qu'elle s'applique aux hôpitaux psychiatriques. J'aimerais entendre les vues de tout le panel, mais je vous pose d'abord la question à vous. Je ne prétends pas en savoir davantage que quiconque ici sur la santé mentale, même si je suis moi-même médecin.

Il me semble que vous disposez d'outils très utiles dans la gestion de la santé mentale, avec la psychopharmacologie et le reste et que cela favorise des rapports de travail étroits avec l'infrastructure de soins primaires. Pourquoi voudriez- vous faire des hôpitaux le coeur de cible? Il me semble qu'il vous faut quelque chose de beaucoup plus gros et de beaucoup plus vaste. Pourriez-vous me dire ce que vous en pensez, docteur Patel? Les autres témoins pourront peut- être aussi répondre après.

Le Dr Patel: Nous nous sommes concentrés sur la Loi canadienne sur la santé et les hôpitaux pour que, comme dans le cas donné par le Dr Woodside, nous puissions traiter la maladie mentale comme les autres maladies, y compris les maladies cardiaques. La loi est muette sur cet aspect du continuum de soins. Cela nous amène aux soins primaires, qui est un continuum de soins complets qui va du contact initial jusqu'à la spécialité. L'AMC ne voit pas d'opposition entre les soins primaires et les soins spécialisés. Pour nous, c'est un continuum de soins qui va de la naissance à la mort. Le centre d'intérêt doit être le malade. Si nous fournissons ensuite les services nécessaires, nous pouvons régler le problème. Établir cette distinction arbitraire n'a aucun sens.

Il a récemment été question d'ouvrir la Loi canadienne sur la santé. Politiquement, ce n'est sans doute pas acceptable. Le premier ministre dit répugner à ouvrir la loi. Il pourrait par contre y avoir des changements réglementaires pour corriger la manière inégale dont sont traités la santé mentale et les malades mentaux et leur accorder la même crédibilité et la même reconnaissance. Prenez les formulaires de crédit d'impôt pour personnes handicapées; pourquoi sont-ils victimes de discrimination? La Dre Beck siège à un des conseils qui examinent le fait que c'est une situation à corriger pour les malades mentaux. La réalité, c'est que lorsque je donne un billet à un de mes malades, s'il s'agit d'une maladie mentale, l'employeur réagit en exigeant des preuves supplémentaires, une attestation. S'il s'agit d'une fracture du fémur, par contre, c'est tout autre chose. Le malade peut être invalide longtemps. Beaucoup de problèmes me viennent à l'esprit. Chose certaine, la Loi canadienne sur la santé pourrait être modifiée pour que ces malades soient traités comme n'importe quel autre. J'espère que le Dr Garfinkel peut ajouter quelque chose à cela.

Le Dr Garfinkel: Je pense également que la réforme des soins primaires doit être le point de départ de la réflexion sur le système de santé mentale. Et c'est vrai aussi que les nouveaux traitements puissants de la psychopharmacologie ont changé le paysage. Quand vous considérez le continuum de traitement global, il va bien plus loin que l'hôpital. Je représente ici un hôpital, mais il s'agit d'un système de soins à bâtir.

Modifier la Loi canadienne sur la santé aurait un énorme effet symbolique. Ce serait une façon de dire que nous réparons un tort. Il y a des années, nous ne comprenions pas la maladie mentale et aujourd'hui nous nous rendons compte qu'elle est semblable à toute autre forme de douleur ou de souffrance humaine. Ce serait radical.

Le sénateur Keon: Docteur Garfinkel, pourrais-je peut-être vous entraîner un peu plus loin? S'il était recommandé de modifier la Loi canadienne sur la santé, recommanderiez-vous aussi d'inclure une stratégie de santé mentale au lieu d'inclure les hôpitaux psychiatriques?

Le Dr Garfinkel: C'est une bonne question. Il faudra que je réfléchisse. À première vue, ça semble être une excellente idée.

Le Dr Woodside: Sénateur, ce que vous dites à propos d'intégrer la réforme de la santé mentale à celle des soins de santé primaires est essentiel. Pour notre association, les deux peuvent aller de pair. C'est de là que vient notre initiative de soins partagés. Le but est d'enclencher la transformation du système de soins primaires tout en amorçant le même changement dans le système de santé mentale. Les deux vont de pair.

Vous me feriez peur, sénateur, si vous me disiez qu'il faut reporter la réforme, s'il fallait attendre un accord pancanadien sur la réforme du système de santé primaire avant de réformer le système de santé mentale. Il y a longtemps que nous ne serions plus de ce monde s'il fallait attendre jusque-là.

Le sénateur Keon: Mais quand on en tracera l'esquisse, on pourra le prévoir, même si cela doit attendre. Je vous pose la même question, docteur Woodside.

Le Dr Woodside: Le problème précis des hôpitaux psychiatriques pourrait être réglé uniquement par la réglementation. Rouvrir la Loi canadienne sur la santé, c'est couru d'avance. Ça peut se faire dès demain. Ça ne demande pas beaucoup. Le ministre n'a qu'à changer le règlement; c'est très simple. Rouvrir la Loi canadienne sur la santé pour modifier l'énoncé relatif à la santé mentale serait un acte symbolique de premier ordre.

Il y a toutefois d'autres façons pour le gouvernement de faire des actes symboliques radicaux qui ne supposent pas la réouverture de la Loi canadienne sur la santé si cela fait problème. Par exemple, comme je l'ai déjà dit, il pourrait se dire déterminé à élaborer un plan d'action national pour la santé mentale parce qu'il s'agit d'une maladie grave. Ce serait un autre acte symbolique radical. Il ne suffit ici que d'un changement d'ordre réglementaire. Le règlement a été rédigé de la façon dont il a été à cause d'une méprise sur la nature des soins de santé mentale il y a vingt ans. C'est tout.

Le sénateur Keon: Vous estimez que c'est un petit pas dans la bonne direction qu'il vaut la peine de faire isolément?

Le Dr Woodside: Tout à fait.

Le sénateur Keon: Docteure Beck, avez-vous quelque chose à ajouter?

La Dre Beck: Vous en avez parlé comme s'il s'agissait d'une question d'insistance alors que ce n'est pas ainsi que je vois les choses. Cela nous ramène au cas donné par le Dr Woodside. De la même façon que toutes les autres formes de soins de santé répondent aux cinq conditions de la Loi canadienne sur la santé, la santé mentale doit elle aussi répondre à ces cinq conditions.

Le président: Docteur Woodside, je vais apporter une précision. Ce n'est pas par erreur que les établissements psychiatriques ont été exclus de la Loi canadienne sur la santé. L'ancienne loi sur les hôpitaux existait depuis 1957. Ils ont été exclus en 1957 parce que le gouvernement fédéral a soutenu à l'époque que, la maladie mentale étant perçue comme une affection permanente, ils contribuaient aux soins de longue durée par l'intermédiaire du Régime d'assistance publique du Canada. Dans la Loi canadienne sur la santé, on n'a fait que reprendre cette ligne de conduite.

Le sénateur Morin: C'est précisément ce que j'allais dire. Je ne comprends pas ce qu'on veut dire par rouvrir la Loi canadienne sur la santé. Les hôpitaux psychiatriques provinciaux sont exclus de la Loi canadienne sur la santé parce qu'ils sont considérés comme des établissements de soins chroniques de longue durée. Ils sont exclus de la même façon que les hôpitaux de soins de longue durée d'autres secteurs comme les maladies neurologiques ou les soins de longue durée pour les tétraplégiques.

Si nous voulons inclure les établissements psychiatriques provinciaux, les autres hôpitaux de soins de longue durée du pays voudront aussi être inclus. Je ne les blâme pas. Les unités de psychiatrie des hôpitaux généraux sont incluses. C'est là où sont traités la grande majorité des malades psychiatriques.

Je ne sais pas ce qu'on veut dire par ouvrir la Loi canadienne sur la santé. C'est la question que le président a posée. Si la maladie mentale est considérée différemment et si l'on inclut les soins à domicile et d'autres éléments dans la Loi canadienne sur la santé, alors ça ne s'appliquerait pas aux autres maladies. La maladie mentale est considérée exactement de la même façon que les autres. Elle n'est pas traitée différemment. On n'ouvre pas la Loi canadienne sur la santé pour des raisons symboliques — c'est-à-dire uniquement pour montrer que la santé mentale est importante. Ce n'est pas la première fois que j'entends cela. L'AMC demande que l'on ouvre la Loi canadienne sur la santé depuis que je suis arrivé au Sénat. Cela ne présente pas d'avantage particulier, à moins que nous voulions traiter la maladie mentale différemment des autres maladies.

Ma dernière question est la suivante, docteur Woodside: que pensez-vous de demander des fonds aux IRSC?

Le Dr Woodside: Sénateur Morin, je demande effectivement des fonds aux IRSC. Beaucoup de projets auxquels je participe sont très gros — trop gros pour que les IRSC puissent les financer. Ils n'ont pas les fonds pour accepter ma demande. Dans un cas, il s'agit d'un projet de dix millions de dollars sur onze sites. Je ne suis pas le directeur, je ne suis qu'un des onze sites. Le projet est trop gros pour qu'ils puissent le financer. Ils n'ont pas le budget qu'il faut pour financer un projet de cette ampleur en santé mentale.

Les hôpitaux psychiatriques ont changé depuis trente ans. Le Dr Garfinkel brûle sans doute de vous en parler.

En 1957, oui, les hôpitaux psychiatriques offraient surtout des soins de garde. C'est une petite partie du travail des hôpitaux psychiatriques aujourd'hui. Ils offrent aussi beaucoup de soins psychiatriques aigus. La durée du traitement est parfois plus longue que dans un hôpital général, mais dire que tous les traitements psychiatriques offerts dans les hôpitaux psychiatriques sont des soins de garde ne reflète plus la réalité de ces établissements.

Le sénateur Morin: La réponse à cela n'est pas de changer la loi, c'est de changer la classification de l'établissement. Il y a un certain nombre de choses. L'Institut de cardiologie d'Ottawa est dans une catégorie à part. Si vous pensez que les hôpitaux psychiatriques provinciaux devraient envisager la même chose, vous n'avez qu'à changer sa classification, pas à ouvrir la loi.

La Dre Beck: Les intervenants pensent je crois que pour changer la classification des hôpitaux psychiatriques, il ne serait pas nécessaire d'ouvrir la Loi canadienne sur la santé. Une modification réglementaire serait suffisante. Cependant, cela me déconcerte un peu, sénateur, lorsque vous dites qu'il ne vaut pas la peine d'ouvrir la Loi canadienne sur la santé à titre de geste symbolique. Si une modification de la Loi canadienne sur la santé permettait d'éliminer beaucoup de discrimination entourant les maladies psychiatriques au Canada, alors je dirais faites-le.

Le sénateur Morin: La modifier de quelle façon?

La Dre Beck: Afin de s'assurer qu'au Canada, les maladies mentales sont traitées de la même façon que les autres maladies.

Le sénateur Morin: Cela ne relève pas de la Loi canadienne sur la santé; il suffit tout simplement de transférer des fonds fédéraux aux provinces sous certaines conditions. Rien de plus.

Le Dr Patel: L'exemple que nous avons donné était celui d'une citoyenne de l'Alberta qui n'avait pu obtenir les soins dont elle avait besoin. À l'heure actuelle, la Loi canadienne sur la santé ne prévoit pas la transférabilité des soins psychiatriques aux malades hospitalisés. C'est pour cette raison que nous avons mis l'accent sur cette question. Il n'y a pas d'autres raisons — nous voulons tout simplement nous assurer que les Canadiens reçoivent le même service partout au pays.

Le président: Je vous remercie tous d'être venus. Cela a été très intéressant. Je sais que nous consultons également un certain nombre d'entre vous individuellement sur d'autres questions de santé mentale dans le cadre de notre étude. Je vous remercie d'être venus.

Je demanderais au groupe suivant de s'avancer. Je remercie nos prochains témoins d'être venus. Sénateurs, nous avons trois témoins — Mme Nancy Panagabko, M. John Service et M. Stephen Arbuckle. Bienvenue à tous.

Nous allons commencer par Mme Panagabko. Je sais que vous étiez ici, de sorte que vous avez pu constater notre façon de procéder.

Mme Nancy Panagabko, présidente, Fédération canadienne des infirmières et infirmiers en santé mentale: Honorables sénateurs, je suis présidente élue de la Fédération canadienne des infirmières et infirmiers en santé mentale, une filiale de l'Association des infirmiers et infirmières du Canada. Je suis accompagnée de Mme Annette Osted, qui représente Registered Psychiatric Nurses of Canada, et nous répondrons volontiers à vos questions.

Au nom de toutes les infirmières et de tous les infirmiers du Canada, nous sommes ici pour vous faire part de nos préoccupations concernant les soins offerts aux Canadiens atteints de maladie mentale. Dans le dernier budget, le gouvernement fédéral s'est engagé à consacrer des ressources importantes à la santé publique. Au début de février, le premier ministre a reconfirmé l'intention du gouvernement fédéral de travailler avec les gouvernements provinciaux et territoriaux en vue de réformer et de maintenir le système de santé du Canada. Cependant, à titre d'infirmiers et d'infirmières qui travaillent dans le domaine de la psychiatrie et de la santé mentale, nous craignons que le bien-être et la santé mentale continuent d'être l'orphelin, sans famille, sans soutien et sans reconnaissance.

Nous voyons de nombreux différents types de cas de santé mentale. Selon Statistique Canada, il y a 3 863 cas de suicide chaque année. Les hommes nés au Canada risquent quatre fois plus que les femmes de se suicider. Le suicide est surtout un phénomène que l'on retrouve chez les jeunes, mais les personnes âgées suivent de près. En ce qui concerne le stress, un sondage récent d'Ipsos-Reid révèle que les deux principaux facteurs contribuant à l'absentéisme et aux coûts de santé en milieu de travail sont la dépression, l'anxiété et d'autres maladies mentales, soit environ 66 p. 100, et le stress, environ 60 p. 100. Cela impose un fardeau contrôlable non seulement aux entreprises et à l'économie canadienne, mais cela ajoute également des coûts directs au régime de soins de santé. Peut-on y remédier? Oui. Va-t-on y remédier? On le fait en partie grâce aux programmes d'aide aux employés et à d'autres initiatives de mieux-être; cependant, nous ne savons pas si le système sera là pour eux et pendant combien de temps il y sera.

Une autre maladie est la schizophrénie. Une personne qui a été diagnostiquée comme souffrant de schizophrénie paranoïde peut faire face à presque tous les défis quotidiens si elle reçoit les bons médicaments et les soutiens appropriés. Si cette personne est sans abri ou si elle n'a pas un accès constant à des professionnels de la santé, il devient alors très difficile de gérer la maladie.

À quel moment sera-t-il politiquement opportun d'aborder de façon concrète et coordonnée les problèmes de santé mentale? Sénateurs, vous avez eu l'occasion de lire notre mémoire. Nous sommes impatients de répondre à vos questions. Les travailleurs canadiens en santé mentale et les infirmiers et les infirmières en soins psychiatriques comptent sur votre comité pour jouer un rôle de leadership afin de s'assurer que des mesures sont prises dans le domaine de la santé mentale.

[Français]

M. John Service, directeur exécutif, Société canadienne de psychologie: Monsieur le président, je suis très heureux d'avoir l'opportunité de rencontrer le comité pour discuter du système de santé au Canada et la place de la santé mentale dans ce système. La Société canadienne de psychologie a soumis un mémoire au comité en 2003. En même temps, nous avons soumis plusieurs autres documents.

[Traduction]

Je voudrais examiner le leadership politique, la santé mentale dans un continuum de soins, la désorganisation intersectorielle, la stigmatisation sous forme de discrimination systémique — qui semble être un thème, n'est-ce pas? — et, la collaboration interdisciplinaire.

Les gouvernements provinciaux et territoriaux ont la responsabilité de déterminer quels soins de santé figurent ou non à la liste des services de santé. Depuis plusieurs décennies, les gouvernements provinciaux et territoriaux ont l'habitude de rayer de la liste les services de santé mentale, à la fois dans les faits, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas offerts — notamment alors que des hôpitaux à Toronto sont en train d'éliminer entièrement les services de psychologie — et en les empêchant de croître comme ils le devraient, selon les données de santé démographiques. Ce genre de radiation de la liste se fait depuis des décennies.

La Société canadienne de psychologie, la SCP, appuie fermement un plan d'action national. Comment pouvons- nous corriger la situation si nous n'avons pas de plan? Comment pouvons-nous avoir un échange avec les pouvoirs publics aux différents échelons si nous n'avons pas de plan, et comment pouvons-nous évaluer les progrès sans un plan? Nous devons avoir un plan. La SCP est membre de l'ACMSM, l'Alliance canadienne pour la maladie mentale et la santé mentale — et nous appuyons fermement le plan d'action proposé par l'ACMSM.

Ce qui serait utile, c'est que Santé Canada travaille en étroite collaboration avec l'ACMSM, offre du financement et étoffe un plan global qui examine la stigmatisation, la prestation des services, les conditions sociales et les interventions sociales, notamment le logement, la recherche et le recrutement.

En ce qui a trait au recrutement, les groupes précédents vous ont parlé des difficultés à attirer des psychiatres et des omnipraticiens dans le domaine. En psychologie, nous n'avons pas ce problème. Il y a environ 400 candidats aujourd'hui aux programmes d'études de deuxième cycle comme les programmes de doctorat de Dalhousie et de Queens, alors qu'ils n'en acceptent que quatre ou cinq. Il y a bien des gens qui seraient intéressés à travailler dans ce domaine, mais qui ne peuvent entrer dans le système.

En ce qui concerne les praticiens et les services, ici dans la ville d'Ottawa, par exemple, il y a autant de praticiens que n'importe où ailleurs au pays par habitant. Ils sont extrêmement occupés, car les gens qui ont les moyens de se payer des services de soins psychologiques obtiennent ces services en deux ou trois semaines et ils en sont très heureux. Ils paient entre 100 et 150 $ de l'heure. Ils doivent être des consommateurs avisés et ils en retirent des avantages.

Il y a d'importants problèmes au niveau structurel au sein du système qui doivent être corrigés. Nous croyons que ce plan d'action pourrait permettre de les corriger en grande partie, mais il ne pourra y avoir de changement sans investissement. Tout le monde jusqu'à présent l'a dit. Je sais que les gouvernements n'aiment pas l'entendre, mais l'investissement apportera le changement. S'il y a une contribution importante aux transferts fédéraux-provinciaux- territoriaux, il sera alors possible de faire des progrès intéressants. Vos observations et les questions que vous avez posées aux autres panelistes sur la façon dont cela pourrait se faire et s'il serait préférable d'avoir, comme l'honorable sénateur l'a dit, un plan distinct, sont des questions importantes, et j'ai une certaine expérience de ces questions.

La santé mentale fait partie d'un continuum de soins. On l'a déjà dit. La psychologie est la science des facteurs déterminants biologiques, cognitifs, affectifs, sociaux, culturels et environnementaux du comportement. Ce cadre — la façon dont nous pensons, dont nous nous comportons dans nos environnements social et physique — s'applique au continuum de soins. Il est impossible de voir comment nous pouvons faire un bon travail en excluant le comportement du bien-être. Le bien-être est un élément très important. Il s'agit du comportement — des choses que nous choisissons de faire ou de ne pas faire, de ce que nous décidons de manger ou de ne pas manger. Le comportement est une question importante — il s'agit donc de prévenir les blessures et la maladie, il s'agit donc de médecine généraliste et de soins primaires. Les études révèlent que jusqu'à 60 p. 100 des patients qui consultent un omnipraticien ont une maladie psychiatrique ou psychologique, ou que cela est un élément important. Le comportement est également important au niveau de la réadaptation et de la prévention des rechutes, dans la gestion des maladies chroniques et de l'invalidité à long terme et au niveau de la palliation.

Si nous considérons que la santé mentale, la maladie mentale et la toxicomanie font partie et sont au centre des activités de tout le système de santé, nous procédons alors à un changement structurel extrêmement important qui amène la maladie mentale au premier plan au lieu de la confiner dans un ghetto en compagnie des «cinglés» dont personne ne doit vraiment s'occuper ou des «inquiets en bonne santé» dont nous n'avons pas le temps de nous occuper.

Vous avez entendu parler de stigmatisation et de discrimination. Je ne saurai insister trop là-dessus. J'ai entendu un certain Kennedy, jeune membre du Congrès pour le Rhode Island, en parler d'abondance. Il était très intéressant. Il avait conceptualisé la discrimination à l'endroit des personnes souffrant de maladie mentale aux États-Unis en l'associant à la discrimination dont étaient victimes les noirs et les femmes dans les années 50 et 60. Il avait dit que c'était la même systémique et qu'il était possible de corriger cela de la même façon. Pour éliminer cette discrimination systémique, il suffit selon lui de faire ce qui produit déjà des résultats probants en matière de discrimination, par exemple investir abondamment pour adapter le système et faire de l'action positive.

Dans notre cas, l'action positive signifie un investissement disproportionné, à court et à moyen terme, dans les services s'occupant de santé mentale, de maladie mentale et de toxicomanie afin d'établir un juste milieu. Sans cela, ce sera impossible. C'est le même problème pour le Conseil de recherches en sciences humaines, le CRSH. Le CSRH doit prendre de l'expansion. Et cette expansion est impossible s'il n'y a pas un genre d'investissement asymétrique. Il faut également que l'éducation publique, la santé mentale, la maladie mentale et la toxicomanie deviennent des intervenants de premier plan dans tout le domaine de la santé, tout comme le cancer et les autres maladies chroniques.

J'ai été pendant 15 ans clinicien en Nouvelle-Écosse. Je travaillais auprès d'enfants, d'adolescents et de familles. J'étais le dernier poste avant Halifax, l'hôpital régional ou l'hôpital des enfants, ou encore le centre d'éducation surveillée. Quiconque ne réussissait pas à me voir s'exposait à de grosses difficultés, quitte à réintégrer la collectivité. Après cinq années de pratique, il m'arrivait de voir des gens qui étaient depuis deux ans sur une liste d'attente. Cela veut dire qu'un enfant de sept ans ayant des problèmes avait neuf ans au moment où il venait me voir. Une grosse initiative avait été lancée pour accélérer le traitement des problèmes cardiovasculaires et les chirurgies de la hanche, mais un enfant en difficulté ne pouvait pas être vu avant deux ans.

En repensant à cela, il y a un autre problème, celui du cloisonnement. Au sein de l'Union européenne, un seul passeport suffit pour aller dans tous les pays et pour traverser toutes les frontières sans guère de problème. Un enfant vient me voir après avoir attendu pendant deux ans. Il est déjà passé devant les tribunaux pénaux, il est passé par le système scolaire, il a peut-être vu un pasteur, il est peut-être aussi passé entre les mains des services sociaux avant que je puisse le voir. Cet enfant est donc passé par tous ces systèmes, il a toutes sortes de dossiers un peu partout, mais l'information ne suit pas. Le gamin finit par en avoir marre de raconter toujours la même histoire. Au sein de l'Union européenne, l'information est là malgré toutes sortes de complications, mais ici nous ne permettons pas aux gens de passer d'un système à l'autre, des systèmes pourtant sous notre contrôle, sans tous ces maux de tête, sans toutes ces redondances, tous ces coûts et toute cette inefficacité. C'est une réflexion de ma part, mais je pense que nous pourrions là aussi intervenir.

Enfin, la collaboration interdisciplinaire est absolument essentielle comme l'est l'éducation interdisciplinaire dans les écoles professionnelles et les programmes de doctorat, tout comme dans la réforme des soins de santé primaires. Avec plusieurs millions de dollars, il y a plusieurs programmes formidables qui offrent ces jolies constellations de professions, parfois jusqu'à 10 professions différentes. Ce genre d'innovation va devenir extrêmement important. Nous savons comment travailler ensemble. Les psychologues travaillent déjà avec les cardiologues, avec les spécialistes des troubles respiratoires, avec les infirmiers et infirmières, avec les physiothérapeutes, et c'est le cas depuis des années et des années. Cela fait partie du système. Si nous pouvons jouer avec le système pour que cela puisse se faire lorsque c'est nécessaire, en fonction des besoins de la population dans le domaine de la santé et aussi des besoins du patient, nous pourrions faire du bon boulot, mais pour cela il faut du travail et aussi de l'argent.

Il faut que Santé Canada ait un service ou une division de la santé mentale. Comment pourrait-il en être autrement? Cela n'a pas de sens. Ce service pourrait être un moteur important pour ce genre de chose. Une division de la santé mentale pourrait informer toutes les autres activités de santé au Canada, par exemple la surveillance, le cancer et le laboratoire d'épidémiologie.

Enfin, la santé mentale doit être un élément constitutif du nouveau service de santé publique en plein essor. Chose très peu connue, les sociologues et les spécialistes du comportement représentent environ 9 p. 100 de l'effectif du Center for Disease Control aux États-Unis. C'est un pourcentage important, et ces gens interviennent de très près dans toutes les activités du CDC. Nous avons une lettre du CDC qui décrit cela et que nous vous ferons parvenir. C'est essentiel.

Le sénateur LeBreton: Quel pourcentage avez-vous dit?

M. Service: Les sociologues et les spécialistes du comportement représentent 9 p. 100 du personnel. Il nous faut une présence dans le nouveau système de santé publique.

M. Stephen Arbuckle, membre, Groupe d'intérêt lié à la santé, Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux: Honorables sénateurs, l'Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux est heureuse de pouvoir faire part au comité de ses réflexions sur ce sujet fondamental.

Le point de vue de notre profession au sujet de la prestation des soins de santé mentale, des besoins et des services en la matière, est le fruit d'expériences professionnelles variées qui comprennent non seulement une intervention en matière sociale de la part des professionnels de la santé, mais également l'expérience des travailleurs sociaux dans les établissements de détention pour jeunes et adultes, au niveau des services aux victimes, du bien-être des enfants, des services conseils dispensés en pratique privée, des programmes d'aide aux employés, des programmes de logement, du développement communautaire et de l'élaboration des politiques. À partir de toutes ces expériences, notre milieu professionnel a réfléchi à l'impact des problèmes de santé mentale et de la maladie mentale sur les familles et les collectivités, et il a formulé des priorités et des recommandations en conséquence.

L'observation, l'évaluation et les consultations nous apprennent qu'il y a déjà des solutions aux problèmes dans le cadre du système actuel de prestations des services de santé mentale, mais qu'il faut commencer par reconnaître la nécessité d'une formule holistique au sein et à l'extérieur du système actuel. Des changements nécessaires doivent survenir au niveau de l'élaboration des politiques, de la création de capacités dans les collectivités et de la prestation des services. Tous les changements doivent traduire les principes de la justice sociale afin de corriger le déséquilibre entre les différentes priorités qui a eu pour effet que les services de santé mentale reçoivent une attention marginale comparativement aux services de santé physique. Ce manque d'attention a été ressenti avec plus d'acuité dans la mesure où les services dispensés aux patients hospitalisés ont été réduits sans qu'il y ait une augmentation comparable des services d'appui aux patients dans leurs familles ou dans le cadre de programmes conduits dans la collectivité.

L'Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux aimerait soumettre quelques recommandations à l'attention du comité.

Tout d'abord, un plan d'action national complet doit reconnaître la nécessité de solutions inédites à tous les paliers de gouvernement et refléter également les nombreuses différences régionales qu'on observe chez la population, les différences entre les régions urbaines et les régions rurales et les différences culturelles.

En deuxième lieu, il importe d'ériger en principe l'accès universel aux services de santé mentale préventifs, primaires et tertiaires à hauteur des besoins.

En troisième lieu, la pauvreté, qui est un des problèmes fondamentaux qui sous-tendent beaucoup de problèmes de santé mentale, exige d'être sérieusement prise en considération en mettant l'accent sur l'obtention d'un niveau de vie qui privilégie véritablement la santé mentale.

En quatrième lieu, l'élaboration d'une politique sociale concernant les services de santé mentale doit être pilotée par les principes de dignité et de respect, d'égalité, d'équité, d'intégralité, de qualité de services et d'intégrité constitutionnelle que défend l'Association canadienne des travailleuses et des travailleurs sociaux.

Selon notre cinquième recommandation, les déterminants psychologiques, sociaux et biologiques de la santé étant complexes et interdépendants, toute politique régissant des services interconnectés comme l'aide financière, le service de transport à l'intention des populations défavorisées et le logement doit être modulée de manière à aider les clients qui nécessitent des services de santé mentale à avoir accès aux services disponibles, à chercher un travail adéquat et à vivre dans un logement offrant un environnement mentalement sain.

Sixièmement, toute personne souffrant d'une maladie mentale doit être considérée comme membre d'un système familial. Par conséquent, l'importance des familles, des conjoints et des autres relations personnelles doit être prise en compte au niveau des traitements. Il faut exiger des agences qui oeuvrent dans le domaine de la santé qu'elles offrent leurs services aux familles de gens souffrant d'une maladie mentale, et il convient de financer ces agences afin qu'elles puissent le faire.

Septièmement, il faut donner un soutien financier à tous ceux qui fournissent des soins et une aide à domicile aux parents victimes de maladie persistante.

Huitièmement, il faut continuer à augmenter le soutien financier offert aux organismes sans but lucratif qui offrent des services de prévention et d'appui relatifs aux maladies mentales.

Neuvièmement, les gouvernements fédéral et provinciaux doivent offrir les financements nécessaires au développement des technologies qui facilitent les services de consultation, d'évaluation et de traitement dans les régions rurales et éloignées qui manquent tout particulièrement de services spécialisés.

Dixièmement, il faut multiplier les possibilités de formation interdisciplinaire afin de préparer les professionnels de la santé à travailler dans le domaine de la santé mentale. Les collèges et universités qui forment les professionnels de la santé devraient faire en sorte que tous leurs programmes aient un volet complet consacré à la santé mentale et aux maladies mentales.

Enfin, les initiatives relatives à la santé en milieu de travail devraient être davantage axées sur les problèmes de santé mentale puisque de plus en plus, les employés doivent faire face à une augmentation de leur charge de travail, aux insécurités dues aux compressions d'effectifs et autres agents de stress en milieu de travail.

En conclusion, l'Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux espère que le comité composera un plan qui offrira une stratégie nationale complète pour la santé mentale qui soit fonction des besoins des individus, des familles et des collectivités.

Le président: Monsieur Service, je voudrais vous demander de réfléchir un peu au problème suivant. J'ai été frappé par ce que vous avez dit au sujet du nombre de gens qui paient entre 100 et 150 $ de l'heure pour des services conseils. Et je fais ici le lien avec ce qu'avait dit M. Arbuckle à propos de toutes ces choses qu'il aimerait voir financer par l'État.

Le dilemme est intéressant. Il est certain que les ressources que le gouvernement peut accorder aux services de santé et à d'autres services sont limitées. En second lieu, une bonne partie des fonds privés émanant de particuliers ou d'entreprises dans le cadre de programmes comme le PAE sont affectés aux services conseils en santé mentale dispensés par les psychiatres, les travailleurs sociaux et qui sais-je. Offrir les services, là n'est pas le problème. Ce qui se passe, c'est qu'il y a beaucoup d'argent qui afflue.

Pour passer immédiatement à une forme quelconque de programme universel public, il faut augmenter considérablement le financement public tout en faisant économiser de l'argent aux gens qui disposent de revenus moyens et élevés et qui, actuellement, paient ce genre de service de leurs poches. J'ai horreur de priver le système de fonds sachant que l'argent qu'on en retire fini de toute façon par s'y retrouver.

Comment faire en sorte que les sommes non négligeables que les particuliers paient déjà eux-mêmes pour des services conseils se retrouvent dans le système tout en respectant le principe d'égalité qui sous-tend le régime de santé publique?

J'ignore la réponse, mais j'aurais horreur de voir le système privé de ressources financières considérables parce que les particuliers n'auraient plus à payer. À ce moment-là, tout cet argent, plus celui qui doit être dépensé pour offrir le service nécessaire aux gens qui n'en ont pas les moyens, tout cela doit venir du Trésor public. Il doit bien y avoir moyen de faire en sorte que ceux qui paient déjà continuent à payer.

Je vous demanderais d'y réfléchir. Pour moi, c'est un problème qui doit être pris en compte, à défaut de quoi nous risquons de grever d'autant le secteur public pour qu'il fasse tout ce dont nous a parlé le Dr Arbuckle. Par ailleurs, il faudrait également remplacer tout l'argent qui est déjà injecté dans le système.

Je voudrais que vous réfléchissiez à la façon dont nous pourrions nous y prendre d'un point de vue pratique.

Le sénateur LeBreton: Madame Panagabko, en ce qui concerne les services psychiatriques et le personnel infirmier spécialisé, j'imagine qu'il faut effectivement une formation spécialisée pour pouvoir être infirmier ou infirmière dans cette discipline. De quel genre de formation supplémentaire parle-t-on ici? Et où la dispense-t-on?

Comme c'est le cas dans tous les autres domaines, je suis sûre qu'il y a là aussi une énorme pénurie. J'aimerais pouvoir me faire une idée de la situation de ce groupe très important de gens qui oeuvrent dans ce domaine. Quelle est la réalité qui nous interpelle dans la profession d'infirmière et d'infirmier au Canada?

Mme Panagabko: Mme Osted vous en parlera également parce que la formation est différente selon que l'on est infirmier et infirmière ou infirmier et infirmière psychiatriques autorisés. Pour ma part, je parlerai des infirmières et infirmiers. La plupart d'entre nous ont suivi des filières différentes.

Personnellement, j'ai suivi un programme de trois ans en milieu hospitalier sanctionné par un diplôme et comportant six mois de formation en psychiatrie. Au fur et à mesure que l'on progresse, on peut faire des choix en fonction du domaine où l'on veut acquérir de l'expérience pratique.

La plupart des infirmiers infirmières acquièrent ainsi des connaissances générales. À la fin de leurs études, ils peuvent immédiatement travailler dans l'une ou l'autre des spécialités et l'on s'attend d'eux qu'avec le temps, ils accroîtront leur savoir dans leur domaine. J'ai choisi les soins infirmiers parce que je voulais de la variété et espérait ainsi voir du pays. Mais j'ai adoré le secteur de la santé mentale et j'y suis restée; j'y suis depuis 30 ans.

Je vais laisser ma collègue vous parler du personnel infirmier psychiatrique, mais on observe en soins infirmiers la même pénurie que celle dont le Dr Service parlait chez les psychologues. Beaucoup de gens veulent aller en soins infirmiers et beaucoup d'infirmiers et infirmières veulent aller dans le secteur de la santé psychiatrique/mentale, mais les listes d'attente sont longues. En Colombie-Britannique, pour être admis dans un programme post-secondaire, il faut au moins deux ans, si bien que les gens vont ailleurs. Il n'y a pas assez de place dans le système d'enseignement pour accueillir les candidats en soins infirmiers.

Mme Annette Osted, membre du conseil, Registered Psychiatric Nurses of Canada: Certains d'entre vous ont peut-être entendu notre présidente, Marg Synyshyn, en mai dernier, vous parler des infirmiers et infirmières psychiatriques et de la santé mentale. Sa spécialisation est la santé mentale des enfants et des adolescents et c'est peut-être l'angle qu'elle a choisi. La profession d'infirmière/infirmier psychiatrique est réglementée dans l'ouest du pays. Nancy Panagabko est de Victoria en Colombie-Britannique et moi je suis de Winnipeg au Manitoba. Nous formons ainsi le contingent de l'Ouest.

Dans l'Ouest du pays, la profession est réglementée de façon distincte en vertu d'une loi et d'une filière d'études distincte. La formation est soit un programme de trois ans sanctionné par un diplôme soit de quatre ans sanctionné par un baccalauréat, comme chez nous. Le quart environ de nos membres sont des hommes et les deux tiers travaillent à plein temps, ce qui est un peu différent du personnel infirmier auxiliaire. Nous sommes le plus important groupe de professionnels à offrir des services de santé mentale dans l'Ouest du Canada.

En raison du fait que 25 p. 100 sont des hommes, dont la vie au travail connaît moins d'interruption en général, et que deux tiers d'entre nous travaillent à temps plein — c'est donc dire encore une fois avec moins d'interruption —, on s'attend à prendre sa retraite plus tôt. On connaît actuellement une grave pénurie et l'on s'attend à ce qu'elle s'aggrave dans les dix prochaines années. C'est ce qu'a confirmé le rapport récent des IRSC sur les infirmières et infirmiers psychiatriques.

Mme Panagabko: La même pénurie sévit chez les infirmières et infirmiers. C'est en partie attribuable à l'âge, qui est en moyenne de 47 ans actuellement. Nous nous acheminons tous vers la retraite.

Si l'on pouvait débloquer des places dans les écoles et les universités, la situation serait différente. C'est une tendance qui dure depuis plus de dix ans. Par le passé, 10 000 infirmières et infirmiers étaient diplômés chaque année au Canada; le chiffre est maintenant de 3 000. Il en va ainsi depuis plusieurs années.

Le président: Pouvez-vous me répéter cela? Je savais que le chiffre avait baissé.

Mme Panagabko: Il était de 10 000 quand j'ai été diplômée, en 1980. Il est aujourd'hui de 3 000. Il n'est donc pas étonnant qu'il y ait une pénurie.

Le président: Ce chiffre me renverse.

Mme Osted: Comme Mme Panagabko l'a dit, dans le cas des infirmières et infirmiers, la santé mentale est l'une de leurs nombreuses spécialités; pour les infirmières et infirmiers psychiatriques, c'est notre vocation première. Notre situation est la même que celle des infirmières et infirmiers. Au Manitoba, la région que je connais le mieux, il y a 60 places à Brandon et à Winnipeg pour 250 candidats. Comme nous ne pouvons pas les admettre, nous ne pouvons pas les former.

Le sénateur LeBreton: Si la santé mentale prend plus d'importance et s'il y a plus de traitements, il faudra encore plus d'infirmières et d'infirmiers plus tard.

Mme Osted: Il y a un facteur qu'il ne faut pas oublier. La moitié des infirmières et infirmiers psychiatriques travaillent en milieu communautaire et non en milieu hospitalier. C'est important. Dans les régions rurales et éloignées, nous sommes les seuls à qui l'on peut s'adresser dans le domaine de la santé mentale. Très souvent, la consultation avec le psychiatre se fait au téléphone ou lorsqu'il vient en tournée toutes les six semaines ou tous les trois mois. J'insiste sur le fait qu'on ne parle pas uniquement du travail en milieu hospitalier.

Le sénateur LeBreton: L'idéal serait sans doute d'augmenter l'effectif dans les deux secteurs, dans les hôpitaux et dans la collectivité.

Mme Osted: Il y a pénurie aux deux endroits.

Le sénateur LeBreton: Monsieur Service, vous avez fait un excellent exposé. Évidemment, tout se ramène au leadership politique. J'ai été frappée quand vous avez dit que des services sont radiés par des gouvernements provinciaux en raison de contraintes budgétaires. Qui décide et en fonction de quels critères? Est-ce uniquement financier? Quand un service est radié, arrive-t-il qu'il soit à nouveau inscrit sur la liste?

M. Service: Non, il est rare qu'ils y reviennent. Le plus souvent, ils sont radiés.

Le cas le plus frappant est celui des hôpitaux d'enseignement de Toronto, St. Mike's et le Toronto General, qui ont fermé leurs services de psychologie; Sunnybrook et Scarborough, eux, en ont réembauché quelques-uns. Il s'agissait tous d'hôpitaux d'enseignement; dans tous les cas, c'était pour des raisons financières. Votre rapport a très bien décrit les diverses formes de financement des hôpitaux. C'était la formule de la budgétisation globale. La décision a été laissée aux premiers dirigeants de chaque établissement, et ça a été supprimé.

Tant pis pour les gens à revenu faible et moyen qui ont besoin de ces services et de ces installations. C'est la localité qui est censée les offrir, sauf qu'elle ne le fait pas.

Quand je dis «radiation», je mets le mot entre guillemets. Personne ne décide qu'il n'y aura plus de service psychologique ou de santé mentale; c'est plutôt la conséquence du fait que le service n'est pas offert parce que les fonds vont à la santé biomédicale ou parce que l'hôpital ferme ses portes pour des raisons financières ou que les budgets qui sont censés être accordés aux services de proximité ne le sont pas.

Quand on a fermé les hôpitaux psychiatriques, les collectivités devaient bénéficier de toute une manne, sauf que ce n'est pas arrivé. C'est une autre façon de réduire l'accès au service. C'est ce que je voulais dire.

Le sénateur Pépin: Les soins infirmiers mènent à tout. J'étais très fière à vous entendre et à vous regarder. Je pensais que la profession reprenait du poil de la bête. Je dois vous féliciter de votre leadership parce que nous aurions de gros problèmes si les infirmières et infirmiers n'étaient pas là. Vous faites du travail fantastique dans le secteur de la santé mentale. Vous avez parlé de la fermeture des écoles de sciences infirmières et ma province à moi, le Québec, a fait la même chose. Il est terrible de se rendre compte qu'il y a maintenant pénurie d'infirmières et d'infirmiers.

Le sénateur LeBreton a posé beaucoup de mes questions. Vous avez parlé de l'importance de reconnaître la santé mentale et de l'incorporer aux autres maladies, comme l'a fait le groupe précédent. Il y a quelques années, on a donné leur congé aux malades mentaux. Aujourd'hui, beaucoup d'entre eux arpentent les rues. On nous dit que beaucoup de sans-abri sont des malades mentaux.

Votre proposition est très importante. Nous voulons tous agir comme il faut dans ce sens, mais comment pensez- vous que l'on peut récupérer ces malades et les trouver? Si on apportait des changements en profondeur, il y aurait moins de ces malades dans nos rues. Comment peut-on maintenant corriger la situation?

M. Arbuckle: Je travaille aussi à l'Hôpital Royal Ottawa. Il s'y fait d'excellentes choses auprès des anciens internés. Le problème, c'est que trop peu de crédits et de services sont consacrés à cette population difficile à desservir.

Il se fait de bonnes choses à Ottawa, comme les équipes d'approche psychiatrique, les nouveaux services d'intervention en cas de crise et les équipes de traitement de proximité, qui sont sur le terrain, habituellement rattachés à un hôpital ou à un service local de santé. Un certain nombre de ces services sont très efficaces.

Il y a encore des gens qui passent à travers les mailles du filet. Il y a des gens qui sont très difficiles à joindre. Il nous faut plus de services d'approche et de proximité et un continuum qui va de l'hôpital jusqu'aux diverses formes de service, y compris les traitements.

Il nous faut du logement et des moyens financiers. Il est très difficile de loger quelqu'un dans un milieu encadré quand la personne n'a que 112 $ pour acheter des cigarettes. La personne ne veut pas rester; c'est tout ce qu'elle a. Il y a tout un faisceau de considérations qui doivent être prises en compte pour trouver une solution.

Mme Panagabko: Dans une certaine mesure, cela montre la nécessité d'une équipe de santé intégrée. M. Service en a parlé un peu tout à l'heure. Nous faisons beaucoup de travail mais nos moyens sont limités. Nous disposons de peu de gens et il faut adopter une perspective plus vaste.

Même si l'on disposait des moyens, le problème restera entier tant que l'on ne concevra pas la maladie autrement. Elle peut s'étendre sur toute une vie. Elle ne s'étend pas uniquement de l'hôpital jusqu'à la collectivité; elle va du bas âge jusqu'à l'âge adulte et suppose que l'on puisse entrer dans la filière de soins chaque fois que c'est nécessaire. Je pense aux lignes d'écoute, aux policiers, aux travailleurs sociaux, aux psychologues et à d'autres encore.

Je suis contre le modèle médical. Le médecin n'est qu'un point d'entrée parmi d'autres. Il ne doit pas être le seul. Il faut que les gens puissent entrer dans le système où qu'ils soient et qu'ils puissent obtenir le service dont ils ont besoin.

Dans l'île de Vancouver, on est en train de créer un système qui suit ce modèle. De nos jours, la plupart des gens n'ont pas de médecin de famille. Il y en a si peu. Créer un système dont le médecin est le cerbère ne me paraît pas très sensé. Nous, nous essayons de bâtir un système ainsi conçu que peu importe comment vous y entrez, vous recevrez le service dont vous avez besoin. Ce n'est pas tout le monde à qui il faut un psychologue qui coûte 150 $ de l'heure. Les psychiatres sont précieux. Assurons-nous que ceux qui doivent les consulter le puissent. S'il vous faut parler à quelqu'un pour vous réconforter, il est sensé qu'une ligne d'écoute soit pour vous le point d'entrée.

Mme Osted: Il y a de très bons exemples. Je trouve très frustrant que ce soit les conseils du Trésor qui planifient les services de santé mentale. Qui a le moins de poids politique? Qui sont les plus stigmatisés? Qui élèvera la voix en dernier? Les victimes de maladie mentale. Elles ne hausseront pas le ton. Elles ont peur. Elles ne veulent pas que les gens sachent qu'elles souffrent de maladie mentale. Leurs familles s'inquiètent; elles aussi ont peur de hausser le ton.

Qui écope en premier? Qui est la première victime?

Au Manitoba, un hôpital de santé mentale — hôpital psychiatrique ou centre de santé mentale, comme on l'appelait à la fin — a fermé ses portes mais la collectivité a continué de recevoir les crédits. Cette ville de 60 000 habitants jouit du meilleur continuum de services de santé mentale et de la meilleure intégration de ces services que j'ai jamais vus. La ville est réputée pour cela. Cela peut donc se faire.

Pour ce qui est du sort des sans-abri et de ce que l'on fait auprès des malades mentaux dans l'appareil judiciaire, nous les avons désinternés pour les interner à nouveau en prison. Ce qu'il nous faut, c'est une solution d'ensemble. J'insiste sur la nécessité d'un plan d'action.

La clé du succès dans cette petite ville du Manitoba a été l'octroi de fonds de transition pour faciliter le passage d'un système à l'autre. Oui, cela va coûter plus cher, mais si nous y tenons, nous réussirons. Il faut un engagement politique vigoureux.

[Français]

Le sénateur Pépin: La chose la plus difficile est sans doute la discrimination.

Mme Osted: Absolument.

Le sénateur Pépin: Bien souvent, les gens portent un jugement sans s'en apercevoir. C'est un changement d'habitude et un processus d'éducation qu'il va falloir faire. Lorsque les gens rencontrent une personne qui souffre ou qui a déjà souffert d'une maladie mentale, ils ne doivent pas croire qu'elle est différente des autres.

Mme Osted: Tout à fait.

Le sénateur Pépin: Ma question porte sur la discrimination. Si quelqu'un se porte candidat pour un parti politique et qu'on lui demande s'il a déjà souffert de maladie mentale, est-ce de la discrimination?

Mme Osted: Oui.

[Traduction]

Mme Osted: C'est pourquoi notre association et plusieurs autres se sont opposées à ces questions dans le questionnaire.

Le sénateur Fairbairn: La question s'adresse à M. Arbuckle. Vous avez parlé de l'Hôpital Royal Ottawa. Pendant plusieurs années dans les années 90, mon mari y a occupé le poste de directeur des affaires publiques. Je me suis donc familiarisée avec ce qui s'y fait de bon et les frustrations que l'on y rencontre — pas seulement là, mais dans d'autres établissements de ce genre.

J'aimerais connaître le point de vue de la travailleuse sociale sur deux choses. Dans quelle mesure la famille elle- même est-elle l'une des difficultés que rencontre la personne qui a des problèmes et qui est à la recherche de l'aide? Est- il difficile pour les familles de reconnaître ou de finir par admettre qu'un membre de la famille a une maladie mentale et n'a pas seulement mauvais caractère ou n'est pas seulement de mauvaise humeur?

Deuxièmement, y en a-t-il parmi vous qui sont capables de reconnaître chez une personne qui a des difficultés quelqu'un qui est aussi analphabète?

M. Arbuckle: Beaucoup de familles sont dans un état de dénégation. C'est parfois la stigmatisation associée au fait d'aller dans un service de santé mentale ou d'être envoyé voir un psychiatre pour obtenir de l'aide qui empêche les gens de faire le premier pas. Parfois, les gens supportent ce qu'ils appellent «un mauvais comportement» à la maison lorsque quelqu'un a une crise de schizophrénie. Ils ne vont pas chercher l'aide dont ils ont besoin.

Ce phénomène a diminué ces dernières années. Il y a un peu moins de stigmatisation. Un de nos programmes s'appelle le programme de traitement de la schizophrénie. Il y a quatorze ans, il y a eu tout un tollé lorsque nous avons décidé de lui donner ce nom parce que les gens ne voulaient pas qu'on leur accole ce diagnostic grave. La question ne se pose plus aujourd'hui mais il est toujours utile d'essayer de faire disparaître la stigmatisation.

Nos hôpitaux apportent une aide considérable aux familles. Le sentiment est répandu au pays toutefois que les familles ne sont pas incluses dans le traitement. Elles sont exclues. Seul le malade est vu. La famille est assurément une source d'aide et constitue souvent le système d'appui. C'est peut-être là que le malade ira après avoir obtenu son congé; il voudra peut-être aussi continuer d'avoir des contacts avec sa famille. Il est important de la faire participer au traitement.

Vous avez parlé d'analphabétisme. Au moment de l'évaluation du malade, c'est le genre de chose qui est habituellement relevé. Je ne peux parler que pour l'Hôpital Royal Ottawa. De fait, il y a dans nos locaux un programme d'alphabétisation des adultes à l'intention des malades hospitalisés et des malades externes dont les fonds proviennent de diverses sources. Il ne fait pas de doute que c'est quelque chose que nous examinons. Je ne sais pas si cette évaluation se fait à l'échelle nationale. Quelqu'un le sait-il peut-être mieux que moi, je ne sais pas.

M. Service: Pour nous, l'analphabétisme est un gros obstacle à la réinsertion sur le marché du travail ou à l'accès au système social pour se remettre sur les rails. Le problème est très grave chez les malades mentaux, surtout ceux qui sont inactifs depuis quelque temps déjà et qui avaient sans doute abandonné tôt les études. Savoir mieux lire et écrire favorise la réinsertion et le bien-être, et c'est donc très important.

Le rôle des familles est déterminant. La thérapie familiale est une façon de faire, mais l'entraide, comme mon collègue l'a dit, est une des meilleures façons de rester en santé. Les travaux nous montrent qu'une famille en santé empêchera ses membres de sombrer dans la dépression ou l'anxiété. Il existe beaucoup d'études sur les effets sur la santé et la situation des familles fonctionnelles et l'on sait qu'elles occupent une place déterminante.

Troisièmement, en ce qui concerne la stigmatisation, nous constatons dans la profession qu'elle est en train de diminuer. Elle se résorbe considérablement dans certains milieux, c'est-à-dire chez les gens qui ont accès aux services et s'en prévalent et qui n'ont pas de problème parce que leur voisin, leur ami, leur frère ou leur cousin se sont prévalus des services et en ont bénéficié. C'est ainsi que l'on élimine la stigmatisation. Dans notre secteur d'activité, c'est aussi l'un des meilleurs témoignages que l'on puisse avoir. Ça ne vient pas d'un autre professionnel mais de quelqu'un qui dit: «Je suis allé voir M. Service. Il m'a aidé et tu devrais aller le voir». C'est ainsi que vous obtenez la plupart de vos clients et c'est ce qui fait disparaître la stigmatisation.

Les gens dont vous parlez n'ont pas accès aux services. Beaucoup de Canadiens à revenu faible ou moyen ne reçoivent pas ces services et ils ont beaucoup de mal à se reconnaître dans cette façon de faire. Il n'y a personne dans leur entourage qui soit passé par là; si cela se trouve, l'expérience a été négative. Autrement dit, la stigmatisation disparaît pour un groupe de citoyens mais pas pour un autre.

Une autre façon de l'éliminer serait de renforcer les services à l'intention des jeunes dans les écoles primaires et secondaires. Je me souviens quand j'étais à New Glasgow, ma fille ou mon garçon était à l'école et un jeune allait les voir et leur disait: «J'ai vu ton père l'autre jour». Jessie ou Aaron leur répondait: «Tu n'es pas sensé dire ça. Je ne le savais pas». Eux étaient gênés mais pas leur ami. Ils trouvaient ça normal et puis passaient leur chemin. Ce genre d'expérience, à ce niveau-là, élimine le problème parce que rentré chez lui l'enfant en parle à ses parents et tout est normal.

Le sénateur Fairbairn: Cela voudrait dire aussi être mieux à même d'évaluer les troubles de l'apprentissage à l'école.

M. Service: Tout à fait oui. Il y a deux endroits où les gens passent de longues périodes. Le travail et l'école. Si nous pouvions offrir de meilleurs services au travail et à l'école, nous pourrions faire un immense travail de prévention, de récupération, de maintien et de guérison, ce que nous ne pouvons pas faire maintenant.

Mme Panagabko: Il faut être capable de distinguer entre ceux qui souffrent de maladies mentales chroniques, sérieuses et persistantes et les autres. Je pense tout à fait comme vous en ce qui concerne la dépression, l'anxiété, et ainsi de suite.

L'analphabétisme n'est généralement pas un problème dans la population psychotique; souvent, les gens sont à l'université lorsqu'ils tombent malade. Les familles qui vivent ces situations disent souvent combien elles ont du mal à obtenir des services pour leur être cher parce que personne n'écoute papa ou maman. Si la personne a 18 ans et qu'il s'agit de son premier épisode psychotique, on dira qu'il est un adulte et qu'il peut prendre ses propres décisions. Il est paralysé parce qu'il a peur de devenir fou. Il évite les traitements et la stigmatisation et ce sont ses parents qui le traînent. Le professionnel de la santé dira que c'est un adulte et qu'il peut décider lui-même. On finit par attendre deux ans encore jusqu'à ce qu'il soit malade au point d'être déclaré officiellement dément en vertu de la Loi sur la santé mentale et interné de force. Il y a donc une différence entre être psychotique et ne pas l'être.

Mme Osted: D'habitude, plus l'intervention est précoce et vigoureuse, plus les chances de succès sont grandes.

Mme Panagabko: Au sujet de la stigmatisation, encore une fois, la population des psychotiques — ce n'est pas le groupe le plus grand — est celle qui fait le plus de bruit lorsqu'il arrive un malheur. Ce sont eux qui se font abattre par la police ou qui assassinent des gens chez eux, ce genre de choses. Quand vous parlez à des policiers, vous vous apercevez que ce sont les psychotiques qui sont le plus victimes de discrimination parce qu'ils sont dans leur pire état, le plus incontrôlable, lorsque les policiers les emmènent à l'hôpital ou ailleurs. Moi, je viens du secteur de la santé mentale d'urgence. Des policiers m'ont raconté avoir attendu dans la salle d'urgence en compagnie d'un malade et observé les médecins et les infirmières remettre sans cesse le dossier du malade au bas de la pile parce qu'ils ne savent pas quoi faire et attendent la fin de leur quart pour que quelqu'un d'autre s'en charge.

Mme Osted: Au Manitoba, il y a des infirmières et infirmiers psychiatriques de service 24 heures par jour dans les urgences de chaque hôpital général. Cela marche très bien.

Le sénateur Keon: J'ai été très intéressé d'entendre que la moitié des infirmières et infirmiers en santé mentale du Canada travaillent dans des services de proximité, à l'extérieur des établissements.

Mme Osted: C'est la situation dans l'Ouest du pays. Voulez-vous en savoir davantage?

Le sénateur Keon: Oui.

Mme Osted: Ce chiffre comprend les unités d'intervention d'urgence, qui sont hors milieu hospitalier et ne suivent pas le modèle médical. Le psychiatre n'est pas sur les lieux. Il peut être en disponibilité et l'est souvent. Des unités d'intervention mobiles comprennent une infirmière ou infirmier psychiatrique dépêché sur les lieux sur appel de personnes en détresse. Pour le travailleur en santé mentale ou l'infirmière ou infirmier psychiatrique de proximité — l'appellation varie selon les endroits — l'emplacement géographique déterminera habituellement le rôle que l'intervenant jouera. En région rurale, par exemple, il sera la personne-ressource systématique en santé mentale. Il collaborera avec le médecin de famille, le psychiatre, habituellement à distance, et avec le service infirmier de santé publique, l'école, l'église, l'association philanthropique, et qui sais-je encore.

À Winnipeg, la plus grande ville du Manitoba, leur rôle est différent en raison du grand nombre de services disponibles, qui ne sont pas toujours aussi bien intégrés qu'en région rurale. D'ordinaire, l'intervenant se concentre sur le malade mental de longue durée. Il essaie de faciliter sa réinsertion sociale.

Voilà certains des rôles joués dans le milieu. Oui, c'est là que travaillent 50 p. 100 de nos membres.

Mme Panagabko: C'est typique de la situation au pays, pas seulement au Manitoba.

Mme Osted: Je connais moins bien l'Est du pays.

Le sénateur Keon: Avec le groupe précédent, je me colletais à cette histoire de stratégie de santé mentale pour essayer de voir quelle tournure prendront les choses un jour.

En Colombie-Britannique et au Québec, le système d'hygiène publique, je crois, évoluera au point où il dépendra fortement des CLSC au Québec et des cliniques de proximité équivalentes en Colombie-Britannique, où on n'utilise qu'une partie des services des personnels dans ces secteurs particuliers. Autrement dit, ils pourront n'utiliser que le dixième du travail d'une infirmière de la santé publique, de telle sorte qu'ils achèteront ce service de quelqu'un qui travaille dans une clinique de proximité.

Avez-vous déjà tenté ce genre d'expérience? C'est une question biaisée parce que j'essaie d'explorer la possibilité d'organiser les soins primaires de manière à ce qu'une partie de ces problèmes puissent y être réglés.

Mme Osted: Pour nous, les soins primaires regroupent uniquement les médecins, les psychiatres et les médecins de famille tandis que les services de santé primaires sont plus vastes et englobent les travailleurs sociaux et les psychologues.

Le sénateur Keon: Je vous arrête ici parce que je ne vois pas les choses de cette façon. J'entrevois plutôt que les soins de première ligne soient offerts dans des cliniques communautaires dotées de professionnels de la santé et qui offrent un volet de santé publique. Il faut se demander si l'on peut y incorporer un volet de santé mentale.

Mme Osted: Assurément.

Mme Panagabko: D'où je viens, en Colombie-Britannique, il existe des cliniques qui ont tenté de le faire mais se sont heurtées à des difficultés étant donné la stigmatisation. Les patients sont bouleversés lorsqu'ils doivent côtoyer une personne qui souffre de schizophrénie de type paranoïde dans la salle d'attente et sont donc contre cette idée.

Par contre, nous envisageons de mettre sur pied des cliniques parallèles pour amorcer l'intégration des personnes atteintes de maladie mentale, mais cela ne sera possible que lorsque le public, entre autres, sera sensibilisé.

M. Service: À l'heure actuelle, on en compte plusieurs en psychologie clinique. Ainsi, des médecins et des psychologues de même que d'autres praticiens travaillent tous ensemble au même endroit, mais dirigent le patient vers le spécialiste pertinent.

Il existe un autre modèle où les services sont regroupés et où le physiologiste, le psychologue et le médecin collaborent avec d'autres spécialistes et se confient les patients. Cela fonctionne bien, quoi que les sources de revenus soient extrêmement différentes. On trouve également de nouveaux modèles selon lesquels une clinique conclut un contrat avec des psychologues praticiens, par exemple, dans le but d'obtenir une partie de leur temps ou encore avec un hôpital et une clinique communautaire qui achètent chacun la moitié du temps du spécialiste. Cette situation se produit surtout dans les régions rurales.

Ce sont des modèles qui commencent à se développer. C'est très stimulant. À notre avis, les systèmes de financement doivent être souples et différents selon qu'il s'agit d'une région urbaine, rurale ou éloignée. Ils doivent pouvoir diriger le bon patient vers le bon spécialiste au bon moment. Il existe de nombreuses possibilités.

Un peu plus tôt, j'ai parlé de psychologues qui facturaient de 100 à 150 $ de l'heure et qu'il fallait en tenir compte dans le contexte d'un système de soins de santé de première ligne; ces spécialistes sont des gens d'affaire dans le secteur privé. Ils doivent payer leurs locaux, leur personnel; ils dirigent une entreprise. Lorsque vous tenez compte de ce coût en amalgamant le secteur public et le secteur privé, vous parlez d'un système où les frais généraux sont pris en charge par rapport à un autre système qui doit générer les revenus nécessaires pour pouvoir être rentable.

Mais pour en revenir à votre première question, on doit se pencher sur l'amalgamation des deux systèmes.

M. Arbuckle: J'ai en tête quelques exemples à Ottawa où l'on travaille en partenariat, comme au Centre de santé communautaire de la Côte de sable. On reçoit par exemple un psychiatre en détachement une demi-journée par semaine ou une demi-journée par mois de façon à obtenir des consultations au sujet des cas les plus difficiles.

Nous bénéficions également des services d'autres professionnels de la santé, dont une infirmière praticienne en détachement au Centre de la Côte de sable parce qu'on compte parmi les habitants de ce quartier un grand nombre de sans-abri et un grand nombre de personnes atteintes de maladie mentale grave. Les services de santé mentale sont intégrés aux services offerts au centre de santé.

Il existe d'autres exemples positifs tirés du projet dans les quartiers défavorisés, où beaucoup d'agences et d'hôpitaux offrent des services de détachement de personnel. Les spécialistes peuvent également être de garde, que ce soit des travailleurs sociaux ou des infirmières psychiatriques mais également des spécialistes de la santé physique pour combler les besoins en soins tertiaires et, dans certains cas, palliatifs de la population.

Dans d'autres cas, il est possible d'acheter une petite quantité de services. Vous n'avez pas besoin de quelqu'un à temps plein, mais vous avez besoin de quelqu'un de temps à autre; il est possible d'obtenir ces services par le biais d'agences. Il est possible dans le cadre de ce modèle de conclure des partenariats.

Le sénateur Cordy: J'ai déjà été enseignante au primaire. Je ressentais les mêmes frustrations que la plupart des autres enseignants qui s'occupent d'enfants qui avaient des besoins particuliers. Tout d'abord, la période d'attente. Dans certains cas, il fallait s'adresser à l'administration de l'école et dans plusieurs cas, il fallait ensuite discuter avec les parents, surtout lorsque les enfants étaient au début du primaire, pour leur faire part du problème. Il fallait ensuite les faire voir par le psychologue de l'école, ce qui prenait plusieurs mois. À mon âge, on ne souhaite pas attendre de trois à six mois bien que ce ne soit pas la fin du monde. Mais lorsqu'on a cinq ou six ans, beaucoup de choses peuvent se produire en trois ou six mois.

L'enfant obtient finalement un rendez-vous avec le psychologue de l'école, qui en dessert une dizaine et n'y passe qu'une journée par semaine ou aux deux semaines. Le psychologue rencontre l'enfant, lui fait subir des tests et le confie au centre d'orientation ou au Centre de ressources en santé pour la famille, ce qui entraînera une autre période d'attente. C'était une source immense de frustration — et c'était lorsqu'on pouvait compter sur la collaboration des parents qui acceptaient la démarche.

La deuxième source de frustration, c'était les familles. On constatait, en particulier chez les familles comptant de jeunes enfants, que les parents, les frères et les soeurs souffraient terriblement. Les frères et soeurs d'un enfant au comportement bizarre étaient souvent victimes de discrimination de la part des autres élèves de l'école.

Comment faire face à ces situations? Comment accélérer la démarche à l'intérieur du réseau scolaire? Est-ce possible?

M. Service: Je crois qu'il est possible de le faire. Il existe de nombreuses façons d'y parvenir. Il y a tout d'abord la sempiternelle question des ressources. Pourquoi ne compte-t-on qu'un seul psychologue pour dix écoles? Qu'est-il advenu des infirmières en santé publique dans nos écoles? Je porte les cicatrices qui le prouvent. Je me rappelle fort bien d'elles. Peut-être vous en rappelez-vous également?

Pourquoi avons-nous décentralisé les services et retiré les réseaux d'appui du milieu où ces enfants passent plus de temps que n'importe où ailleurs, sauf peut-être à la maison? Ce n'est pas logique.

À New Glasgow, nous avons tenté de déménager les services de santé mentale de l'hôpital dans les écoles. Je faisais partie de l'équipe de soins pour les enfants de l'hôpital Aberdeen. Nous voulions l'éliminer et offrir les services de santé mentale directement dans les écoles et offrir un appui psychologique et infirmier sur place. L'idée était excellente, mais n'a pu se concrétiser en raison d'un changement de gouvernement.

Nous avons besoin d'un plan d'action national pour offrir les services de santé mentale non seulement à l'intérieur du système de santé mais également dans d'autres réseaux, de manière efficace. J'ai moi-même passé beaucoup de temps dans les écoles. J'ai également consacré beaucoup de temps à la Société d'aide à l'enfance du comté de Pictou où j'effectuais le suivi d'enfants. J'ai également été affecté aux tribunaux. Pourquoi devais-je faire tout cela, en plus de suivre les dossiers dans les diverses régions et de devoir me déplacer alors que nous aurions pu tout centraliser? Les services offerts aux enfants pourraient être centralisés en fonction des régions plutôt qu'en fonction des domaines de services. Cela améliorerait grandement la situation.

Je vieillis et je m'intéresse donc grandement aux services de gériatrie. Si vous me demandez comment optimiser les ressources, ce n'est pas là qu'il faut investir, c'est auprès des enfants. Si ce système était généreusement financé, ça me conviendrait tout à fait. C'est là qu'on devrait investir. On pourrait ensuite fournir des ressources aux écoles, au système juridique, aux tribunaux de la jeunesse, à la Société d'aide à l'enfance, aux hôpitaux et aux services de santé publique. Voilà ce qu'il faut faire.

Le sénateur Cordy: Nous avons entendu des témoins qui étaient des patients du système de soins de santé mentale. Ils nous ont dit qu'ils trouvaient frustrant de devoir répéter sans cesse leur histoire.

M. Service: Furieux.

Le sénateur Cordy: Y a-t-il partage des renseignements? Combien de fois doit-on évaluer une personne et lui demander de raconter son histoire? Serait-il utile de disposer de dossiers électroniques de santé?

M. Service: Tout à fait. Je l'ai constaté parce que j'ai été le dernier à partir avant la mise sur pied du Centre de soins de santé IWK, à l'hôpital de la Nouvelle-Écosse à Shelburne. Les gens étaient en colère lorsqu'ils aboutissaient finalement dans mon bureau à l'issue d'une série de rencontres avec des tas de personnes. Ils en avaient marre d'avoir dû répéter sans cesse leur histoire. C'est une histoire douloureuse et compliquée. En outre, si j'avais vu l'enfant à l'école, je devais établir à nouveau son dossier pour le système scolaire ou pour la Société d'aide à l'enfance. Je devais personnellement refaire toutes ces entrevues pour répondre aux exigences de ces systèmes.

C'est pourquoi l'idée du Marché commun européen est à mon avis une idée magnifique. Pourquoi ne pas disposer d'un marché communautaire commun pour les services de santé mentale, de sorte que vous pourriez vous déplacer pour obtenir les services dont vous avez besoin et que votre dossier électronique vous suivrait?

Il existe toutefois un autre problème. L'hôpital, l'école et la Société d'aide à l'enfance croient tous qu'ils doivent assumer des responsabilités juridiques. Nous devons les dégager de ces responsabilités prises seulement pour les services qu'ils offrent sur place. Les fournisseurs doivent être en mesure de fournir des services sans subir les complications qu'entraîne une faute professionnelle. C'est là l'autre problème que les gouvernements peuvent régler très rapidement à mon avis. C'est affreux lorsqu'une personne doit répéter son histoire. Vous le savez.

Le sénateur Cordy: Nous ne sommes pas aux prises qu'avec le cloisonnement des secteurs, nous faisons face à des systèmes en matière de santé, d'éducation et de services communautaires qui semblent inconciliables.

Mme Panagabko: Même dans un seul secteur, un hôpital universitaire, j'ai parlé à des clients qui ont dû répéter leur histoire jusqu'à 20 fois parce qu'ils doivent en faire part à tous les étudiants, y compris leurs supérieurs, et cetera. Cela devient même dangereux.

Je vais vous donner un exemple dont m'a fait part un agent de la GRC dans l'île de Vancouver, il y a quelque temps. Il m'a téléphoné mais il était tellement bouleversé et hors de lui qu'il pouvait à peine parler. Le service d'écoute téléphonique l'avait appelé pour lui dire qu'une femme allait se suicider, qu'elle refusait de parler et qu'elle avait raccroché. Ils ont pu retracer l'appel. Elle habitait dans une collectivité éloignée. L'agent de police s'est précipité à sa rescousse. Il faisait sombre. Il ne voyait personne dans la maison. Il s'est dit, ou bien elle s'est rendue à l'hôpital ou bien elle a avalé les pilules et gît quelque part dans le boisé. Il a décidé d'abord d'appeler à l'hôpital pour demander si elle s'y était rendue ou non. Le personnel de la salle d'urgence lui a répondu qu'il ne pouvait lui transmettre ces renseignements, ce qui l'a empêché de faire son travail. J'ai vécu des expériences semblables.

En plus de devoir éliminer toute forme de cloisonnement à l'intérieur des structures actuelles, nous devons pouvoir les surmonter d'un secteur à l'autre. On pourrait, par exemple, avoir un dossier unique pour chaque patient. Comment pourrait-on le transférer des services sociaux au système d'éducation puis au système de santé? Je ne sais pas comment y parvenir. On doit pouvoir définir ce que l'on peut transmettre ou non. Toutefois, si nous n'arrivons pas à surmonter cette difficulté, nous serons pris plus tard avec de graves problèmes.

Le sénateur Morin: J'aimerais aborder sous un autre angle le fait que les patients doivent souvent répéter leur histoire. On en a entendu parler au comité à maintes reprises.

Monsieur Service, à titre de psychologue, lorsqu'un patient se présente à vous, c'est que quelqu'un l'a envoyé vous consulter. Il a reçu une demande de consultation. N'allez-vous pas alors lui poser des questions sur son cas? Vous allez lui poser des questions différentes auxquelles il répondra en apportant des nuances différentes. J'ai déjà été médecin praticien. Je ne me fiais jamais à l'observation médicale qu'on me remettait. Je ne veux pas mettre votre parole en doute, mais j'ai été cardiologue.

Je m'étonne, qu'à titre de psychologue, vous ne souhaitiez pas entendre à nouveau l'histoire du patient. Je ne sais pas ce que feraient des infirmières, mais je suis convaincu que des psychologues voudraient leur poser à nouveau des questions. Le patient devra répéter son histoire pour la vingt-troisième fois. S'il consulte un autre professionnel de la santé qui veut poser un diagnostic, il devra la raconter à nouveau. Ça fait partie de la démarche.

M. Service: Non. Je ne suis pas d'accord. Il existe une quantité importante de renseignements de base que vous me donnerez à titre de patient ou que vos patients vous donneront qui sont exactement les mêmes. Cela ne changera pas.

Je souhaiterai plutôt m'entretenir avec vous de votre problème. Pourquoi me consultez-vous? Cela, je le fais souvent.

Le sénateur Morin: C'est la vingt-troisième fois qu'il raconte son histoire.

M. Service: Non. Cela, c'est différent. C'est tout à fait pertinent dans le cadre de la discussion que souhaite avoir le patient avec moi parce que ça se rapporte au problème auquel nous travaillerons. Je ne veux pas devoir discuter de votre cheminement scolaire, de votre médecin généraliste, ou devoir vérifier ce qu'a inscrit le médecin généraliste dans le dossier, et cetera.

Le sénateur Morin: Le patient ne fait que vous raconter son histoire, ce n'est pas le moment de parler de l'école.

M. Service: Selon mon organisme de régie, je suis tenu d'obtenir ces renseignements et de les vérifier, comme vous l'avez dit. Je ne veux pas avoir à le faire. Dans notre hôpital, à Aberdeen, nous comptons sur des bénévoles. Nous disposons d'un programme de bénévoles. Ces derniers sont diplômés en sciences du comportement. Ils sont formés et obtiennent les renseignements pour eux. Ils ont obtenu des renseignements sur l'école, et cetera. Oui, nous nous fions à ces renseignements. Je crois que c'est une façon très responsable d'agir.

Le sénateur Cook: Cet après-midi, nous avons entendu les deux groupes de témoins nous parler de la nécessité de mettre sur pied un plan d'action national. Comment croyez-vous que l'on devrait l'intégrer à ce qui se fait dans chaque province afin de le mettre en oeuvre?

Mme Osted: Tant en Alberta qu'au Manitoba, on a constitué des alliances provinciales pour la maladie mentale et la santé mentale qui exercent des pressions pour qu'on établisse des plans d'action provinciaux qui concorderont avec le plan d'action fédéral. Nous savons que l'Alliance canadienne pour la maladie mentale et la santé mentale portera fruit. Nous le constatons déjà. Nous avons besoin d'un leadership aux deux paliers, mais d'abord au fédéral. Les sans-abri et les gens qui souffrent de maladie mentale se déplacent d'une province à l'autre. Le plan doit donc être d'envergure nationale de sorte que la démarche conçue soit cohérente. Nous n'attendrons pas que le fédéral fasse preuve de leadership avant d'intervenir au provincial. Cependant, il serait fort utile de disposer d'un plan national.

Le sénateur Cook: Voilà mon dilemme. Dans ma province, je constate le continuum des soins à l'échelon provincial. Si nous disposions d'un plan national, comment y serait-il intégré? Serait-ce un autre moyen d'obtenir des fonds et des professionnels, et cetera, pour notre système?

Mme Panagabko: Il y a toutes sortes d'excellents programmes, mais ce sont de tout petits programmes. Dans votre province, on trouve peut-être un ensemble de programmes de qualité. Cependant, il en existe aussi de mauvaise qualité. On a besoin de leadership.

D'abord, il faut assister à un changement de paradigme au sujet de l'utilisation des ressources. Un leadership pourra faire la différence au sujet de la stigmatisation entre autres, si c'est vu comme quelque chose d'important.

J'aimerais également que la loi nationale sur la santé mentale ne soit pas différente d'une province à l'autre. À l'heure actuelle, on l'interprète différemment dans chaque province. Si nous disposions d'une loi nationale ainsi que de lignes directrices sur son interprétation, nous pourrions obtenir des résultats. Cela aurait une incidence énorme sur la vie de beaucoup de personnes qui souffrent de maladie mentale.

Le sénateur Cook: Lorsque la ministre Bennett était à Terre-Neuve, elle a participé à une table ronde avec tous les intéressés et les intervenants responsables. Une trentaine de personnes ont fait part de leur situation. Avant d'en avoir entendu à peine la moitié, on pouvait constater les dédoublements de services, de programmes dans les petites régions. J'ai tout de suite vu où on pouvait réaliser des économies sur le plan des ressources humaines, financières et des bénévoles.

C'est vrai qu'il existe des petites grappes de services qui fonctionnent très bien; on constate aussi les dédoublements de services mais également l'absence de services. Je cherchais simplement à savoir ce que vous pensiez de l'intégration.

Mme Panagabko: Il existe de nombreux programmes parallèles. Grâce à un leadership national, nous pourrions peut-être surmonter ce genre de problèmes et utiliser l'ensemble de l'équipe de soins de santé plus efficacement.

Mme Osted: De même que les ressources financières.

Mme Panagabko: C'est exact.

Le sénateur Cook: Merci beaucoup. Les habitants de Terre-Neuve aiment raconter des histoires. J'aimerais vous raconter une histoire positive. À 17 ans, ma fille est devenue gravement anorexique à la suite du décès de son père. Elle s'est fait épauler par une diététiste et une psychologue pendant son épreuve qui a duré trois ans. Elle a pu compter sur une démarche intégrée. Résultat: elle est aujourd'hui psychologue et mère de deux petits garçons.

Le président: Nous vous remercions de vos témoignages. Nous vous savons gré du temps que vous nous avez consacré.

La séance est levée.


Haut de page