Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et
constitutionnelles
Fascicule 2 - Témoignages du 28 novembre 2007
OTTAWA, le mercredi 28 novembre 2007
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 16 heures, pour étudier le projet de loi C-13, Loi modifiant le Code criminel (procédure pénale, langue de l'accusé, détermination de la peine et autres modifications).
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Aujourd'hui, nous entamons notre étude du projet de loi C-13, Loi modifiant le Code criminel (procédure pénale, langue de l'accusé, détermination de la peine et autres modifications). Ce projet de loi a été adopté par la Chambre des communes et il est maintenant devant nous pour étude.
[Traduction]
Notre principal témoin d'aujourd'hui est le ministre qui a déposé ce projet de loi à la Chambre des communes, l'honorable Robert Douglas Nicholson, C.P., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada.
Bienvenue, monsieur le ministre. Nous sommes heureux de vous accueillir. Je sais que vous avez déjà comparu devant notre comité et nous sommes très heureux de vous revoir.
M. Nicholson est accompagné de Mme Anouk Desaulniers, avocate-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, et de Mme Renée Soublière, avocate-conseil et coordonnatrice du contentieux, Groupe du droit des langues officielles.
[Français]
Mesdames, soyez les bienvenues.
[Traduction]
Monsieur Nicholson, je vous donne la parole pour votre déclaration liminaire après quoi nous passerons aux questions.
Honorables sénateurs, le ministre et ses collaborateurs peuvent passer une heure avec nous, ce dont je vous demande de ternir compte en posant vos questions.
L'honorable Robert Douglas Nicholson, C.P., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous au sujet du projet de loi C-13, Loi modifiant le Code criminel (procédure pénale, langue de l'accusé, détermination de la peine et autres modifications).
Comme vous le savez, ce projet de loi avait été déposé sous la forme du projet de loi C-23 en juin 2006 dans le but d'apporter diverses modifications au Code criminel portant notamment sur certaines anomalies de procédure, sur la clarification de certaines dispositions et sur la correction de certains problèmes qui avaient été portés à notre attention.
C'est dans le même but que nous vous présentons maintenant le projet de loi C-13, qui reprend l'ancien projet de loi C-23. Je peux vous dire que ce texte est identique à celui qui avait été adopté par la Chambre des communes en juin dernier. Au moment de la prorogation, le projet était arrivé en deuxième lecture au Sénat. Évidemment, je suis heureux que le nouveau projet de loi soit aujourd'hui devant votre comité.
Il ne s'agit pas ici d'une réforme en profondeur du droit pénal mais d'un texte répondant à un certain nombre de préoccupations. Très franchement, je pense qu'on devrait déposer régulièrement devant la Chambre des communes des textes correctifs de cette nature. Lorsqu'il y a des anomalies ou que l'on peut réaliser des gains d'efficacité, j'aimerais qu'on les présente et qu'on les adopte.
Il y a dans le projet de loi actuel plusieurs dispositions qui permettront à notre appareil de justice pénale de rester moderne, efficace et efficient et qui correspondent à l'objectif global du gouvernement, qui est de lutter contre la criminalité. Comme vous le savez, c'est l'une des grandes priorités du gouvernement.
Bon nombre des modifications proposées dans le projet de loi C-13 ont été formulées avec la collaboration des parties prenantes de l'appareil de justice pénale, de la Conférence sur le droit uniforme du Canada, du commissaire aux langues officielles et, bien sûr, de nos homologues provinciaux et territoriaux. Tous nous ont aidés à cerner des domaines où il convient de modifier le Code criminel.
Je pense que les provinces et territoires se réjouiront de ce projet de loi. À vrai dire, j'en ai discuté récemment avec leurs représentants lors d'une conférence fédérale-provinciale-territoriale des ministres de la Justice à Winnipeg.
[Français]
Des modifications législatives ont été présentées principalement dans trois domaines du Code criminel, soit la procédure pénale, la langue de l'accusé et la détermination de la peine.
Le projet de loi C-13 comprend principalement des modifications législatives d'ordre technique, la plupart sans lien les unes avec les autres. Des modifications de fond sont aussi proposées.
[Traduction]
J'ai l'intention de vous présenter brièvement les principales modifications proposées dans le projet de loi, après quoi je serais heureux de répondre à vos questions. Je vais parler d'abord des modifications qui concernent la procédure pénale, puis des dispositions concernant les droits linguistiques et, enfin, de celles concernant la détermination de la peine.
En ce qui concerne la procédure pénale, la plupart des modifications sont d'ordre technique et visent, entre autres choses, à accélérer l'exécution des mandats de perquisition de l'extérieur d'une province en autorisant le recours à la technologie actuelle, en harmonisant et en consolidant les dispositions touchant la preuve de signification de documents, en améliorant le processus de contestation de jurés pour aider à préserver l'impartialité des jurys, et en corrigeant une anomalie touchant le mécanisme d'appel des ordonnances judiciaires relatives à des biens saisis.
Les modifications les plus importantes touchant la procédure pénale comprennent la reclassification de la possession d'instruments de vol par effraction, qui est actuellement une infraction punissable par voie de mise en accusation, pour en faire une infraction passible d'une double procédure pour permettre à la poursuite de choisir soit la mise en accusation soit la condamnation par procédure sommaire. Il y a aussi la création d'une infraction pour la transgression d'une ordonnance de non-communication imposée à un accusé placé en détention avant son procès, et un nouveau droit consenti à l'accusé de choisir son mode de procès lorsqu'un mode d'accusation a été choisi contre lui par le procureur et que la Cour suprême du Canada ordonne la tenue d'un nouveau procès.
Permettez-moi de parler brièvement des modifications proposées aux articles 530 et 530.1 du Code criminel, concernant les droits linguistiques de l'accusé. Comme vous le savez, ces dispositions découlent d'un long processus ayant débouché sur le droit de l'accusé de se faire entendre et d'être compris par un juge ou par un juge et jury parlant et comprenant sa langue officielle.
Ces dispositions, qui sont en vigueur dans tout le Canada depuis le 1er janvier 1990, énoncent en détail une série de droits et d'obligations correspondantes qui s'appliquent quand une ordonnance est rendue pour que l'accusé soit jugé dans sa langue officielle. Il est arrivé que la mise en œuvre de ces droits linguistiques engendre certaines difficultés d'ordre juridique ou pratique, comme le montre la jurisprudence.
Maintes études réalisées par le commissaire aux langues officielles et une enquête menée par le ministère ont également confirmé qu'il y a encore des obstacles à un accès complet et égal à l'appareil de justice pénale dans sa propre langue officielle. Les modifications proposées contribueront à réduire ces obstacles et règleront les problèmes d'interprétation identifiés, ce qui contribuera à l'évolution des droits linguistiques dans le contexte du droit pénal.
Par exemple, l'une des modifications garantit que l'accusé soit mieux informé de ses droits linguistiques. Elle dispose que tout accusé, qu'il soit ou non représenté par un avocat, doit être informé de ses droits linguistiques. Comme vous le savez, à l'heure actuelle, cette information est communiquée aux accusés qui n'ont pas d'avocat mais il n'y a aucune garantie, si l'accusé a un avocat, que ce dernier connaît ces dispositions, cela dit sans vouloir porter atteinte à la réputation de la profession. Je veux simplement m'assurer que tout le monde connaîtra bien ses droits en la matière.
En vertu d'une autre modification, l'acte d'accusation devra être traduit dans la langue officielle de l'accusé, sur demande. Cela semble être un prolongement logique du droit de l'accusé d'exercer ses droits linguistiques.
Afin de résoudre un problème très réel d'interprétation, une autre modification précisera que les droits et devoirs découlant d'une ordonnance émise pour la tenue d'un procès bilingue sont identiques à ceux découlant d'une ordonnance émise pour la tenue d'un procès dans la langue de l'accusé.
En ce qui concerne la détermination de la peine, certaines des modifications proposées touchent des questions de fond alors que d'autres ont un caractère technique. Il s'agit dans tous les cas d'adapter le droit aux réalités actuelles et de préciser l'intention de certaines conditions reliées à la détermination de la peine. Les changements de fond accorderont au tribunal le pouvoir de reporter la détermination de la peine pour permettre à l'accusé de participer à un programme de traitement approuvé à l'échelle provinciale. Il s'agit là d'un grand pas en avant et l'une des mesures très importantes que nous proposons par le truchement de ce projet de loi.
Le projet de loi ordonne aussi la confiscation d'ordinateurs et d'articles connexes utilisés pour commettre une infraction de corruption d'enfants par Internet. On y prévoit aussi qu'une interdiction de conduire un véhicule soit purgée consécutivement à toute autre ordonnance préexistante et on interdira toute communication de l'accusé avec certaines personnes identifiées, pendant qu'il purge sa peine d'emprisonnement. Cela semble être un progrès important. Une amende pouvant atteindre 5 000 $ sera imposée pour une infraction punissable par déclaration sommaire de culpabilité lorsqu'aucune autre amende maximum n'est prévue dans une loi fédérale.
En ce qui concerne cette dernière modification, le fait de porter l'amende maximum des 2 000 $ actuels à 5 000 $ donnera plus de latitude aux procureurs pour agir par voie de déclaration sommaire de culpabilité et pour demander une peine plus lourde dans les cas appropriés.
Les modifications techniques touchant la détermination de la peine concernent des changements en vertu desquels, lorsqu'aucune peine d'emprisonnement maximum n'est précisée dans la loi fédérale, la peine maximum pouvant être imposée pour défaut de paiement d'une amende dans le cas d'une infraction punissable par voie de mise en accusation sera de cinq ans. Il s'agit aussi d'accorder à une cour d'appel le pouvoir de suspendre une ordonnance de peine conditionnelle jusqu'à ce que l'appel de la peine ou de la condamnation ait été jugé, de préciser que l'amende minimum et les peines d'emprisonnement minimum pour une première, une deuxième ou une autre infraction de conduite en état d'ébriété, comme l'utilisation d'un véhicule à moteur en état d'ébriété et le refus de donner un échantillon d'haleine, s'applique aux cas les plus graves de conduite en état d'ébriété ayant causé des blessures corporelles ou la mort, ce qui paraît raisonnable.
En ce qui concerne cette dernière modification, on indique clairement dans le projet de loi que les conducteurs en état d'ébriété récidivistes dont la nouvelle infraction cause des blessures corporelles et la mort recevront une peine d'emprisonnement obligatoire et ne seront pas admissibles à une peine d'emprisonnement conditionnelle. Nous réclamons cela depuis fort longtemps.
Avant de conclure, j'aimerais dire au comité qu'on a identifié le besoin d'une modification de coordination technique, depuis le rétablissement du projet de loi C-13, et qu'un amendement à ce sujet sera présenté au comité au moment opportun.
Cela met fin à ma déclaration, monsieur le président. J'espère que ces informations sont utiles et je suis tout à fait prêt à répondre à vos questions, avec l'aide de mes collaborateurs.
Le président : Il y a en effet des questions, monsieur le ministre.
Le sénateur Andreychuk : Je sais qu'il y aura d'autres intervenants mais j'ai pensé collaborer avec mon conseiller juridique adjoint, le sénateur Baker. L'amendement technique dont vous venez de parler sera présenté par quelqu'un, je suppose. Quand un projet arrive au Sénat, nous nous penchons toujours sur les questions de coordination, de mise en œuvre et de processus, et j'ai hâte de voir de quoi il s'agit.
Je voudrais me concentrer sur deux choses. La première a été soulevée par certains fournisseurs de services concernant l'article 5, à la page 2 du projet de loi. Cet article 5 dispose que l'alinéa 202(1)i) de la loi est remplacé par ce qui suit : « ... volontairement et sciemment envoie, transmet... »
Voici la question qui m'a été posée : a-t-on l'intention d'invoquer cette disposition d'une manière quelconque au sujet des paris extraterritoriaux?
M. Nicholson : Elle s'appliquera aussi bien aux paris territoriaux qu'aux paris extraterritoriaux, et d'autres dispositions du Code criminel l'indiquent clairement.
En ce qui concerne les amendements techniques, vous en recevrez un petit. Il arrive que ces amendements techniques soient difficiles à mettre complètement au point et que cela prenne un peu de temps. De toute façon, vous le recevrez.
Le sénateur Baker : Concerne-t-il cet article?
M. Nicholson : Non, pas cet article. Veuillez m'excuser, je me suis trompé. Le sénateur parlait de l'article 5. Je croyais que vous souleviez des préoccupations au sujet de l'article 5, sénateur Baker. Je vais répondre à vos préoccupations, et mes collaborateurs pourront compléter ma réponse, au sujet de l'article disant : « ... volontairement et sciemment envoie, transmet, livre... » Aucun fournisseur de service Internet ne sera obligé à surveiller les informations transmises, au titre de cet article. Ceux qui, sans le savoir, transmettent des messages contenant ce type d'information ne seront pas touchés par ce projet de loi. C'est la réponse que je leur donnerais à ce sujet.
Le sénateur Andreychuk : Sur le même sujet, un projet de loi antérieur, le projet de loi C-15A, soulevait une question semblable au sujet des fournisseurs qui devaient répondre à des normes pour leur produit, et des mécanismes de reddition de comptes étaient aussi prévus. Leur crainte à l'époque, qui est la même pour le projet de loi C-13, c'est que cela alourdit le fardeau. Les fournisseurs de services, auxquels des renseignements sont transmis à leur insu, seraient-ils susceptibles d'être accusés? Pour le projet de loi C-15A, le ministre a rassuré le Comité sénatorial des affaires juridiques de leur protection par les termes « volontairement et sciemment «. Le ministre a dit que les fournisseurs de services seraient traités comme des citoyens ordinaires et seraient assujettis à des accusations s'ils perpétraient une infraction. En revanche, le simple fait qu'ils soient des fournisseurs de services ne les exemptent pas de cette accusation. En est-il de même chose en vertu de ce nouveau projet de loi?
[Français]
Anouk Desaulniers, avocate-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Madame la présidente, effectivement, la situation ne changera pas. L'article en question agrandit les formes de communication avec lesquelles on peut transmettre l'information, mais il ne change pas la nature de l'infraction. Cela reste une infraction d'intention stricte. La couronne devra donc démontrer que la personne savait ce qu'elle faisait et qu'elle l'a fait sciemment. Elle peut le faire dans le cours de ses activités commerciales quotidiennes et elle n'a peut-être pas une connaissance précise de l'information qui est transmise, mais elle fait tout simplement transmettre le message. L'amendement qui est introduit ne vise pas à ajouter une responsabilité au service de superviser le contenu de l'information qui se promène sur Internet.
[Traduction]
Le sénateur Baker : Dans certains cas où des accusations ont mené à des procès en vertu de l'article portant sur le jeu, des condamnations ont été obtenues en invoquant l'aveuglement volontaire et l'imprudence. Avez-vous des commentaires à ce sujet? Vous avez dit que si ce n'était pas fait volontairement, l'article ne serait pas applicable.
Nous cherchons à connaître l'intention du gouvernement, et c'est ce que fera aussi un juge à la lecture de cet article. C'est un changement important à la loi. Vous avez modernisé la loi, en retirant tous ces anciens modes de communication et en vous concentrant sur l'Internet. Ce changement a pour but de cibler la communication par Internet, n'est-ce pas?
[Français]
Mme Desaulniers : L'objectif de l'amendement est de moderniser l'article, de le rendre à la page des moyens de communication actuels. L'intention du gouvernement n'est pas d'aller accrocher les services qui fournissent l'accès à l'Internet, mais bien de continuer à représenter, de façon adéquate et à jour, les moyens de communication par lesquels on peut transmettre une information dans le but de commettre une opération de pari. Ici, il faut faire une nuance, on ne parle pas de « gambling », on parle de pari et de « bookmaking ».
[Traduction]
M. Nicholson : J'aimerais ajouter que le libellé est précis et montre l'intention : « volontairement et sciemment ». Vous avez parlé de « comportement imprudent ». Quand vous serez saisis du projet de loi sur le vol d'identité, vous constaterez que nous nous servons du terme « imprudemment » dans un sens plus large qu'ici. Le sens est bien précis. Dans ce projet de loi, une personne recueille des renseignements personnels et est imprudente en les laissant diffuser. Ce n'est pas ce que nous visons ici, et il me semble que dans ce projet de loi, nous sommes plus précis et nous n'allons pas plus loin. Nous ne parlons pas d'imprudence dans les termes « volontairement et sciemment » pour la transmission de renseignements.
Le sénateur Baker : Mais vous n'avez pas ajouté « volontairement et sciemment ». C'est là depuis 1913.
M. Nicholson : Nous l'intégrons au projet de loi, et nous faisons la mise à jour technologique. Voilà où réside la difficulté.
Le sénateur Baker : Le projet de loi vise à s'appliquer à des situations de pari par Internet, n'est-ce pas?
M. Desaulniers : Oui.
Le sénateur Baker : Je viens de répéter les mots que vous avez employés devant le comité de la Chambre des communes. Des condamnations ont été obtenues en vertu de cet article. La jurisprudence existe. Des procès ont eu lieu pour lesquels l'aveuglement volontaire était le fondement de l'infraction. Dites-vous qu'en supprimant cela de cet article s'appliquant à l'Internet, l'aveuglement volontaire et l'imprudence ne s'appliqueront pas à l'Internet?
[Français]
Mme Desaulniers : Il faut faire attention aux cas de jurisprudence qui ont interprété l'article 201. Si vous lisez les différentes infractions énumérées à l'article 202, vous allez remarquer que le paragraphe i), qui est modifié dans le projet de loi est le seul qui contient les mots : « volontairement et sciemment ». Le législateur a vraiment pris soin de créer, ici en particulier, une infraction d'intention spécifique.
[Traduction]
Le sénateur Baker : Le cas le plus récent est celui de la Cour suprême qui s'est prononcée sur ce qui se passe sur Internet. Il y a une affaire remontant à 2004 : Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique contre l'Association canadienne des fournisseurs Internet. Ce qui a sauvé la mise pour les fournisseurs de services Internet, c'est une disposition intégrée à la loi en 1988 soustrayant les fournisseurs de services Internet à la Loi sur le droit d'auteur. C'est en vertu de cette disposition que les fournisseurs de services Internet n'ont pas été tenus responsables par la Cour suprême du Canada des versements à faire aux compositeurs et producteurs de musique. Dans cet article-ci du Code criminel, il n'y a pas d'exception semblable pour les fournisseurs de services Internet.
À quoi cela s'appliquera-t-il? Pourquoi apporter ce changement? Est-ce que cela englobera quelqu'un d'autre? Qui sera touché? Pourriez-vous donner au comité les raisons de ce changement et nous dire qui sera maintenant touché, qui ne l'était pas auparavant?
[Français]
Mme Desaulniers : Le changement ou la modification vise à rejoindre les individus qui utilisent Internet pour transmettre de l'information reliée au « bookmaking ». Ces gens le font de façon volontaire et précise dans le cadre d'une intention spécifique. Mais l'amendement ne vise, par exemple, les gens qui fournissent le service.
[Traduction]
Le sénateur Baker : Est-ce que vous me dites que tous ceux qui jouent sur Internet, sur un site étranger, pourraient être poursuivis en vertu de cette disposition?
[Français]
Mme Desaulniers : L'amendement vise la transmission d'informations.
[Traduction]
Le sénateur Baker : La transmission de renseignements comprend le fournisseur de service Internet.
[Français]
Mme Desaulniers : Elle inclut les gens qui le font de façon volontaire.
[Traduction]
M. Nicholson : C'est possible. Quiconque se sert de la technologie à des fins de bookmaking est inclus.
Le sénateur Baker : Par conséquent, tous nos concitoyens qui prennent des paris sur Internet pourraient être accusés en vertu de cet article du Code criminel. Non seulement eux, mais aussi ceux qui transmettent les renseignements, puisque c'est ce que dit cet article. La transmission de renseignements a été définie par la Cour suprême du Canada comme comprenant les fournisseurs de service Internet. L'affaire la plus récente est Harper c. Canada (procureur général). La Cour suprême du Canada a statué qu'Internet est un moyen très efficace de transmettre des renseignements. Or, vous nous parlez ici de poursuites contre ceux qui transmettent des renseignements. Autrement, votre projet de loi est mal libellé. On dit en effet dans les notes, au début : « Le texte modifie la description de l'infraction relative à la communication de renseignements sur les gageures... »
Au sujet de l'affaire Harper, concernant le premier ministre actuel du Canada, la Cour suprême a affirmé que la communication de renseignements comprend les renseignements transmis par Internet.
Hal Pruden, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Je confirme les réponses qui nous ont déjà été données.
L'intention, c'est de garder les termes « volontairement et sciemment ». C'est le texte actuel de l'alinéa 202(1)i) qu'on veut moderniser au sujet des moyens de communication.
Actuellement, ceux qui font des paris sur Internet peuvent le faire en vertu de l'alinéa 204(1)b), si ce sont de simples particuliers qui ne participent pas à une entreprise de parieurs. Ainsi, nous ne voulons pas par cette modification viser ceux qui font des paris de manière privée, par téléphone, par Internet ou autrement. Ce n'est pas notre intention. Nous ne voulons pas non plus cibler les fournisseurs de service Internet, qui se trouvent protégés par les termes « volontairement et sciemment », tout en veillant, par cette modification, à englober d'autres moyens technologiques que la télégraphie et le téléphone.
Le sénateur Baker : Qui sera touché?
M. Pruden : Les preneurs de paris, au Canada, actuellement.
Le sénateur Baker : Y en a-t-il beaucoup?
M. Pruden : Je l'ignore. Il faudrait le demander aux policiers qui enquêtent sur les infractions de jeu, ou à ceux qui sont compétents en la matière.
[Français]
Le sénateur Chaput : Ma question s'applique à l'interrogatoire ou au contre-interrogatoire dans la langue officielle des témoins. Je pense que personne ne remet en question le droit de l'accusé de subir son procès dans sa langue officielle. La question que je pose est par rapport au projet de loi qui dit que le juge peut permettre au poursuivant d'interroger ou de contre-interroger un témoin dans la langue officielle du poursuivant et non pas dans celle du témoin.
Le poursuivant interroge le témoin dans la langue officielle du poursuivant; dans un cas semblable, est-ce que le tribunal est obligé de fournir à l'accusé le service d'un interprète? Parce que ce n'est pas indiqué dans le projet de loi ici.
Renée Soublière, avocate-conseil et coordonnatrice du contentieux, Groupe du droit des langues officielles, ministère de la Justice Canada : Oui, dans une situation comme celle-là, le Code criminel l'exige, il y aura un service d'interprétation pour l'accusé.
Le sénateur Chaput : Dans un cas semblable, on dit que le juge peut ordonner un service d'interprétation pour l'accusé. D'après vous, n'est-ce pas en contradiction avec le droit de l'accusé d'avoir son procès dans sa langue officielle?
Mme Soublière : En fait, on reconnaît très bien que c'est une dérogation, si vous voulez, à la norme qui veut que le procès se déroule dans la langue officielle de l'accusé, d'où le pouvoir discrétionnaire qui est accordé au juge de permettre cette pratique ou pas, selon les circonstances. Vous le savez peut-être, un amendement a été apporté au moment de l'étude en comité à la Chambre des communes et on a précisé que le juge pourrait l'accorder uniquement si les circonstances le justifiaient.
La présidente : J'ai une question supplémentaire pour Mme Soublière. J'avais toujours compris, au moins au Québec, que toute personne a le droit d'utiliser la langue officielle de son choix devant les tribunaux; comment est-ce qu'on réconcilie cela avec le droit à l'accusé d'avoir le procès dans sa langue? Par exemple, est-ce qu'on peut m'obliger, moi dont la langue maternelle est l'anglais, à témoigner en français ou vice-versa?
Mme Soublière : En fait, je crois que cette question a été résolue par la jurisprudence, notamment des décisions émanant des tribunaux du Québec. Vous avez raison, au Québec par exemple, l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 accorde à toute personne le droit d'utiliser la langue officielle de son choix et la Cour suprême a confirmé que ce droit visait toute personne, y compris le juge et les autres. Cependant, lorsqu'on accorde, aux articles 530 et 530.1, le droit à un accusé de subir un procès dans la langue officielle de son choix, le droit à un juge qui va comprendre directement et le droit à un procureur de la Couronne qui va utiliser sa langue, la jurisprudence a dit qu'il n'y a pas d'incompatibilité entre ces deux dispositions et que, en fait, ce sont des obligations institutionnelles et qu'il revient au procureur général de nommer des procureurs et des juges qui sont aptes et qui consentent à utiliser la langue officielle de l'accusé dans le cadre d'un procès.
La présidente : Merci beaucoup.
[Traduction]
M. Nicholson : Signalons toutefois que lorsqu'on ordonne un procès bilingue, le juge et le procureur doivent parler les deux langues.
Le sénateur Jaffer : Monsieur le ministre, je veux d'abord vous féliciter de veiller sur les droits des accusés, dans les deux langues. Ma question est dans la même veine que celle des deux sénateurs qui m'ont précédé, et qui ont parlé de la capacité. Il est bon d'avoir cette mesure législative, mais je viens de la Colombie-Britannique, et je me pose des questions. J'espère que vous le ferez à votre tour.
Les juges et les procureurs ont une formation en français, mais pas les avocats de la défense. C'est un énorme problème. Comme vous le disiez vous-même, l'avocat de la défense doit pouvoir dire à l'accusé quels sont ses droits. Tout cela est bien beau sur papier, il est bon d'avoir une loi, mais il faut aussi avoir la capacité, et ce n'est pas si facile. Dans ma province, peu d'avocats parlent français. Nous avions un juge de la Cour suprême qui y excellait, mais nous avons maintenant du mal à en trouver. Si l'on prend cette mesure au sérieux, il faut développer la capacité. J'aimerais qu'il y ait un projet-pilote pour former les avocats de la défense. En outre, et je ne sais pas très bien comment cela se ferait, il faudrait envisager de faire venir dans notre province des juges bilingues, des autres provinces. C'est un problème, parce qu'ils ne sont pas nommés pour ces régions, me suis-je laissé dire. Autrement, l'intention est bonne, sur papier, mais il n'y aura rien de concret.
M. Nicholson : Vous avez fait quelques suggestions intéressantes, madame le sénateur. Je suis ravi d'entendre ces commentaires.
Je reviens tout juste d'une rencontre des ministres de la Justice du fédéral et des provinces. J'y ai notamment parlé de ce projet de loi. Je leur ai déclaré que nous essayons de répondre à leurs besoins, mais qu'ils doivent aussi donner suite aux lois qu'ils ont à appliquer.
La formation des avocats de la défense ne relève pas vraiment de la compétence fédérale, mais je transmettrai volontiers vos commentaires. C'est une suggestion intéressante, au sujet des juges, qui pourraient siéger dans une autre province.
Nous avons déjà fait beaucoup de chemin. J'ai eu une pensée pour le sénateur Baker, quand on parlait de cette question. Il se souviendra de la loi présentée autour de 1990, qui semblait faire l'objet d'un appui généralisé à l'époque, dans ce domaine. J'ai déjà d'ailleurs dit, dans mes propres déclarations, que cela faisait partie de l'évolution. Ce n'est pas parfait, il y a toujours des obstacles à surmonter, et nous devons y arriver, mais c'est une autre étape dans l'évolution qui a commencé il y a près de 20 ans, visant à assurer la justice et l'équité pour les collectivités des deux langues officielles du pays. Je vous remercie de votre suggestion.
Le sénateur Jaffer : J'ai très peu de temps, mais je profite de votre présence pour vous parler des programmes de traitement.
Quand je pratiquais encore, il existait des programmes de thérapie pour les hommes d'origine sud-asiatique qui vivaient dans une relation de violence. Il est difficile d'obtenir ces programmes. Je vous demande de veiller à ce que les thérapies mises sur pied dans un milieu multiculturel soient adaptées à cette réalité; autrement, on n'obtient pas la réinsertion ou l'objectif thérapeutique visé.
M. Nicholson : Je le comprends. Vous serez notamment saisis d'un autre projet de loi se rapportant aux toxicomanies. Je suis tout à fait en faveur des tribunaux de traitement des toxicomanes qui ont été mis sur pied dans bon nombre de grandes villes canadiennes, parce que j'aime l'idée qu'on puisse offrir aux gens la thérapie dont ils ont besoin, comme vous le dites. Je comprends ce que vous dites et je l'apprécie beaucoup.
Le sénateur Jaffer : Puisque vous parlez des tribunaux de traitement pour toxicomanes, j'apprécierais que vous envisagiez aussi des tribunaux pour causes de violence conjugale, comme il en existe en Alberta. On en aurait bien besoin dans ma province.
M. Nicholson : Merci.
La présidente : Le sénateur Bryden a droit à une question complémentaire de cinq secondes.
Le sénateur Bryden : C'est au sujet de la langue du procès. Je parle du nouvel article 531, qui permettrait que le procès soit tenu ailleurs, s'il est impossible de le tenir dans la langue ayant fait l'objet de l'ordonnance. Je sens une petite discrimination contre le Nouveau-Brunswick, pour laquelle on a fait une exception. Est-ce parce que nous sommes officiellement une province bilingue?
M. Nicholson : En effet, sénateur. Tout est déjà prévu, au Nouveau-Brunswick. C'est la seule raison de cette exclusion.
Cela revient à ce que disait le sénateur Jaffer, au sujet des options possibles pour déplacer les procès. Les ressources ne sont pas toujours là. C'est toutefois bien organisé dans votre province.
Le sénateur Merchant : J'ai deux questions. La première porte sur les articles 23 et 24. En cas de mise en accusation directe, ce que le gouvernement peut choisir, le prévenu n'a plus le droit à une enquête préliminaire. On ne change rien à cela. Dans ce cas-là, on présume que l'accusé a choisi un procès devant juge et jury. Il peut alors choisir un procès devant juge seul. Actuellement, il faut pour cela le consentement écrit du procureur, consentement qui est toujours donné. Le projet de loi élimine cette exigence, puisque le consentement était de toute façon toujours donné. Il n'y a pas de changement. Par contre, s'il y a mise en accusation directe pour une infraction punissable par une peine d'emprisonnement supérieure à cinq ans, même si l'accusé choisi un procès devant juge seul, le gouvernement pourra exiger un procès devant juge et jury. J'invite le comité à amender le projet de loi en éliminant le droit du gouvernement d'exiger un procès devant juge et jury. Je vous donnerai mes raisons, mais j'aimerais savoir comment le gouvernement justifie ce pouvoir d'obliger la tenue d'un procès avec jury.
Je propose cet amendement premièrement parce que le gouvernement ne devrait pas forcer le prévenu à assumer les coûts d'un procès devant juge et jury. En effet, le prévenu serait alors peut-être forcé de renoncer à l'avocat qu'il a choisi pour solliciter l'assistance judiciaire, s'il y est admissible, en raison du coût exorbitant des procès devant jury.
Deuxièmement, et plus important encore, il me semble que la seule raison pour laquelle le gouvernement voudrait forcer la tenue d'un procès devant jury, c'est pour augmenter la probabilité d'obtenir une condamnation. Rappelons que dans le procès Air India, les accusés étaient perçus par l'ensemble du public comme étant coupables. Pourtant, le juge a déterminé qu'ils n'étaient pas coupables. Je soupçonne que dans ce cas, le gouvernement aurait forcé la tenue d'un procès devant jury, pour obtenir une condamnation. Tout crime impliquant des détails sordides, des photographies sanglantes, des décès multiples...
La présidente : Sénateur Merchant, je pense que nous comprenons où vous voulez en venir. Laissons répondre le ministre.
Le sénateur Merchant : Le ministre peut-il dire au comité ce qui justifie qu'on donne au gouvernement le pouvoir de forcer la tenue d'un procès devant jury.
M. Nicholson :Notre objectif n'est pas d'essayer d'imposer des condamnations; ce n'est pas ce que nous tentons de faire. Les modifications proposées dans ce projet de loi relèvent les défis que nous rencontrons dans le déroulement des procès.
Mme Desaulniers a quelque chose à ajouter.
[Français]
Mme Desaulniers : La suggestion de retirer l'obligation d'obtenir le consentement du procureur général avant de pouvoir effectuer une ré-option lorsque le procureur général a déposé un acte d'accusation privilégié, vient d'une résolution de la Conférence canadienne sur l'harmonisation des lois, qui a été adoptée il y a deux ans si ma mémoire est bonne. La raison pour laquelle cette résolution a été adoptée c'est que, justement— et pour votre information cette conférence est formée des représentants des provinces, des barreaux, des associations de la défense et des juges — toutes les parties autour de la table ne voyaient pas comment le procureur général peut tout d'abord déposer un acte d'accusation qui, comme vous le dites très bien, prive l'accusé de son enquête préliminaire, et de surcroît avoir le pouvoir supplémentaire de forcer la tenue d'un procès devant juge et jury. On considérait que l'accusé devrait au moins avoir le droit de ré-opter devant le forum de son choix. C'est ce qui explique la modification faite à l'article 23 du projet de loi.
Pour ce qui est de l'article 24, c'est tout simplement une modification de coordination. On ne change pas l'état actuel du droit, qui permet effectivement au procureur général, dans certaines circonstances — vous l'avez dit avec raison pour les infractions de plus de cinq ans — de forcer la tenue d'un procès devant jury. C'est une disposition très rarement utilisée. En fait, la Conférence sur l'harmonisation des lois, lorsqu'elle a étudié ces dispositions, était même un peu surprise de l'existence de ces dispositions. On les utilise très rarement.
Par contre, c'est un pouvoir résiduaire qui demeure au procureur, par exemple pour empêcher une partie de ré-opter tardivement. Par exemple, si une partie, en vertu de l'article 23, veut ré-opter la veille de la tenue d'un progrès devant jury, le fait de savoir que le procureur pourrait la forcer malgré tout à tenir ce procès devant un jury va peut-être l'inciter à ré-opter avant et à donner au système des délais raisonnables pour s'ajuster à la ré-option.
C'est une clause résiduaire et je ne pense pas que le ministère public a quelque intérêt que ce soit à tenter, pour des raisons stratégiques, de tenir un procès devant jury ou devant un juge seul. Je ne connais aucune raison de penser qu'un verdict devant l'un ou l'autre est plus valable; c'est une clause résiduaire qui s'assure du bon fonctionnement du système judiciaire en général.
[Traduction]
Le sénateur Merchant : Je crois vous avoir déjà dit que je m'y opposerai.
Ma deuxième question porte sur les peines minimales. Le gouvernement a supprimé les peines avec sursis et l'assignation à domicile. Or, la prison ne convient pas à tous. L'emprisonnement ne permet pas de corriger tous les comportements fautifs et la menace de l'emprisonnement n'empêche pas certaines personnes de se comporter d'une certaine façon. Vous avez retiré au juge le pouvoir de faire preuve d'un peu d'indulgence et d'adapter la peine aux délinquants. J'aimerais que vous m'en disiez plus long sur cette disposition.
M. Nicholson : Faites-vous allusion à la disposition sur la conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles?
Le sénateur Merchant : Oui.
M. Nicholson : Nombreux sont ceux qui jugent que c'est une infraction grave que de tuer quelqu'un après avoir pris le volant avec les facultés affaiblies et que, par conséquent, le conducteur ne devrait pas rentrer chez lui mais aller en prison.
Pour ce qui est plus précisément des peines minimales, un des rôles de l'organe législatif est d'établir les paramètres pour le traitement des diverses infractions. À titre de membre du Comité permanent de la justice de la Chambre des communes j'ai, à maintes reprises, fait adopter des modifications visant, par exemple, à modifier les peines maximales. Nous faisons de notre mieux pour établir des lignes directrices, car certaines infractions sont devenues plus graves dans l'esprit de bien des gens, tout comme d'autres nous apparaissent moins sérieuses de nos jours. Il incombe au législateur d'établir ces balises. Il nous incombe de fixer des peines minimales et maximales et de laisser aux tribunaux le soin d'imposer la peine indiquée entre ce minimum et ce maximum.
Le sénateur Merchant : Cela signifie que ces délinquants seront emprisonnés.
La présidente : Monsieur le ministre, pourriez-vous nous accorder quelques minutes de plus et rester au-delà de l'heure prévue?
M. Nicholson : Oui, je crois que oui, car il n'y a pas de vote à la Chambre. J'ai un autre engagement, mais je veux répondre au plus grand nombre de questions possible avant de partir.
Le sénateur Milne : La plupart de mes questions ont déjà été posées, surtout par le sénateur Baker, mais j'attire l'attention du ministre sur l'article 37 du projet de loi, à la page 14, qui dit, au nouveau paragraphe 732.1(6) : « Il est entendu que la non-observation du paragraphe (5) ne porte pas atteinte à la validité de l'ordonnance ». Le paragraphe (5) explique les conditions de l'ordonnance. Comment diable le délinquant pourra-t-il respecter l'ordonnance de probation si on ne la lui explique pas?
[Français]
Mme Desaulniers : L'article 37 prévoit plusieurs obligations pour le tribunal, dont celle, entre autres, de fournir un exemplaire de l'engagement de probation. Si je ne m'abuse, je pense que le contrevenant doit même signer l'ordonnance de probation. En plus, le tribunal doit lui expliquer les conditions et les conséquences d'un bris de probation, et cetera.
[Traduction]
Le sénateur Milne : Cela, c'est très clair, mais le paragraphe 732.1(6) stipule que la non-observation de ces conditions ne porte pas atteinte à la validité de l'ordonnance.
[Français]
Mme Desaulniers : Si jamais le tribunal omet d'expliquer une condition particulière, l'accusé a quand même la version écrite de toute l'ordonnance de probation avec toutes les conditions.
Vous savez comment on procède à la cour. On veut empêcher que, avec le volume de dossiers, si jamais le tribunal n'adresse pas spécifiquement et en détail une des conditions, toutes les choses qui sont dites fassent en sorte d'invalider la probation. C'est vraiment pour s'assurer du respect des ordonnances du tribunal. On ne veut pas que sur une technicité, une telle ordonnance puisse être invalidée.
[Traduction]
Le sénateur Milne : Le détail qui compte, c'est que, bien que l'alinéa 731.1(5)a) exige du tribunal qui rend l'ordonnance de probation qu'il en fasse remettre une copie au délinquant, le paragraphe 731.1(6) stipule que si on ne respecte pas cette condition, l'ordonnance reste valide.
M. Nicholson : J'imagine que cela dépend du point de vue. Moi, je peux imaginer comment ça se passera. Vous pourriez contester l'ordonnance de probation sur-le-champ en faisant valoir que l'un des éléments ne vous a pas été bien expliqué et que, par conséquent, l'ordonnance de probation ne peut s'appliquer à vous. Cela aurait de graves conséquences. Si tel était vraiment le cas, la plupart des délinquants se défendraient en affirmant qu'un des alinéas n'a pas été respecté, que l'ordonnance n'a pas été bien expliquée et que, par conséquent, elle ne peut s'appliquer à lui. Moi, je ne voulais pas que cela se produise. Les tribunaux continueront d'être tenus de faire une analyse exhaustive. Ils devront suivre plusieurs étapes : remettre une copie de l'ordonnance au délinquant, expliquer les modalités de l'ordonnance, et cetera. Toutefois, si l'on oublie l'une de ces étapes ou que l'explication n'est pas à la hauteur des attentes du délinquant, il ne faudrait quand même pas que celui-ci puisse être tout simplement remis en liberté. C'est justement ce qui pourrait se produire. Il n'aurait qu'à retourner devant le tribunal.
Le sénateur Milne : Mais on pourrait avoir omis d'observer toutes ces conditions. Rien ici ne précise que l'ordonnance restera valide si seulement une de ces exigences n'a pas été remplie.
M. Nicholson : Ceux qui sont en probation doivent respecter les conditions de cette probation.
Le sénateur Milne : Je le répète, ils ne connaissent pas ces conditions.
M. Nicholson : Il leur incombe de s'en informer par l'entremise de leur avocat. Je suis certain que vous avez, comme moi, recommandé à vos clients de s'assurer de bien comprendre l'ordonnance de probation, car tout bris de condition entraîne de graves conséquences. Peut-être que les tribunaux n'ont pas toujours fait un travail exemplaire à cet égard, mais, en général, cela se passe très bien.
Le sénateur Milne : Cela m'inquiète beaucoup. Cela m'inquiéterait encore plus si je devais conseiller un client, car je ne suis pas avocate.
Le sénateur Di Nino : Je ne suis pas d'accord avec vous.
M. Nicholson : C'était un compliment, sénateur.
Le sénateur Milne : Je lis cet article et il dit clairement que le tribunal n'est pas vraiment tenu de remplir l'une ou l'autre de ces exigences. Comment peut-on s'attendre qu'un délinquant respecte une ordonnance de probation s'il n'en connaît pas le contenu.
M. Nicholson : Au contraire, selon mon interprétation, cet article impose des obligations au tribunal, qui doit remettre une copie de l'ordonnance au délinquant, lui expliquer les conditions de l'ordonnance, veiller à ce que les modalités de présentation de la demande de modification des conditions lui soient expliquées, prendre les mesures voulues pour s'assurer que le délinquant comprend l'ordonnance, et cetera. Voulons-nous vraiment créer une situation où tous ceux qui ne respecteront pas l'ordonnance de probation feront valoir que l'ordonnance ne s'appliquait pas à eux parce qu'elle ne leur avait pas été bien expliquée?
Le sénateur Milne : Cela me ramène au paragraphe 732.1(6), qui dit que « la non-observation du paragraphe (5) ne porte pas atteinte à la validité de l'ordonnance ». Cela m'inquiète beaucoup.
La présidente : Je crois que les deux points de vue sont maintenant bien clairs.
[Français]
Le sénateur Joyal : J'ai un problème conceptuel avec la façon dont les dispositions du projet de loi traitent du droit à l'accusé d'avoir un procès dans la langue de son choix. J'ai de la difficulté à réconcilier l'article 133, qui concerne le Québec, avec la disposition qui protège le Nouveau-Brunswick. En d'autres mots, est-ce qu'au Québec, on aurait moins le droit à un procès dans la langue de son choix dans un territoire où l'offense a été commise, que les citoyens du Nouveau-Brunswick? C'est ma première question.
Ma deuxième question : est-ce que l'article 16 de la charte donne moins de droits que ce que l'article 133 prévoit au niveau de la langue à utiliser devant les tribunaux criminels? D'après la façon dont le projet de loi est conçu, la Cour d'appel du Québec a interprété l'article 133 de manière impérative sur le plan du droit à l'accusé d'avoir un procès dans la langue de son choix à toutes les étapes, alors que ce que vous proposez dans le projet de loi, c'est une limite aux droits de l'accusé d'avoir un procès dans la langue de son choix pour certains documents, dans certaines circonstances et à une certaine étape de la procédure. J'essaie de réconcilier les dispositions du projet de loi avec ces trois statuts de la langue dans la procédure criminelle, que ce soit prévu à l'article 133 pour le Québec, à la disposition d'exception à l'article 531 pour le Nouveau-Brunswick ou à la manière dont la charte a été interprétée par les tribunaux. L'article 16 est une disposition de la charte qui donne au gouvernement canadien une responsabilité positive quant à la promotion de l'extension des droits linguistiques et non pas l'inverse. Quand je lis les dispositions du projet de loi, en particulier les articles 18, 19, 20 et 21, je ne peux pas conclure autrement qu'à une restriction de la capacité de l'accusé d'utiliser la langue de son choix.
Je dois vous avouer que je n'arrive pas à mettre ensemble l'interprétation qu'on devrait donner à ces droits fondamentaux qui, d'après moi, sont essentiellement que l'accusé a le droit d'être jugé dans sa langue, d'être poursuivi dans sa langue et d'avoir la capacité à toutes les étapes d'être informé de la procédure dans la langue de son choix. J'ai l'impression que le projet de loi, tel qu'il est rédigé, est susceptible de poursuites devant les tribunaux, de contestation au niveau de l'interprétation donnée des droits linguistiques de l'article 16.
J'aimerais avoir un éclaircissement à ce sujet. J'imagine que vous avez eu des représentations du Québec ou d'autres provinces pour conclure que vous deviez amender le Code criminel sur ces dispositions linguistiques, ou encore, que vous avez eu des jugements de la Cour fédérale ou de d'autres cours de niveau supérieur au Canada qui vous démontraient que les dispositions du Code criminel étaient anticonstitutionnelles, qu'elles ne respectaient pas l'esprit de la charte. Sinon, je ne vois pas pourquoi les dispositions qu'on nous propose aujourd'hui ont comme effet général de limiter le droit de l'accusé d'être jugé dans la langue de son choix.
[Traduction]
M. Nicholson : Vous avez posé là beaucoup de questions, monsieur. Je le répète, j'estime que c'est un progrès dans l'évolution du droit de chacun à subir son procès dans sa langue officielle. C'est une évolution qui s'est amorcée il y a déjà bien longtemps au Canada. Vous avez dit ne pouvoir avoir une vue d'ensemble, mais c'est justement ce que je vous encourage à faire, pour reconnaître que nous avons apporté des précisions qui étaient nécessaires. Nous donnons une plus grande portée à ces droits et nous garantissons un traitement équitable. Ce n'est peut-être pas l'idéal, mais cela représente un pas dans la bonne direction. Ce sont là mes observations générales; Mme Soublière répondra plus en détail à vos questions.
[Français]
Mme Soublière : En fait, je vais réitérer ce que le ministre vient de dire. Je vois mal comment vous pouvez dire qu'on vient limiter ici les droits linguistiques des accusés. Au contraire, à notre avis, dans ce projet de loi, il y a des dispositions qui viennent bonifier les droits linguistiques existants sous les articles 530 et 530.1. Le ministre en a fait référence dans son allocution. On vient étendre le droit d'être avisé de ses droits linguistiques à tous les accusés, qu'ils soient représentés ou non par un avocat. À l'heure actuelle, le code prévoit que seulement les accusés qui ne sont pas représentés par un avocat ont le droit d'être avisés par le juge de leurs droits linguistiques. Ici, on vient étendre ce droit- là à tous les accusés. C'est un exemple.
On vient également prévoir qu'un accusé aura le droit de demander la traduction des portions spécifiques des actes d'accusation et des dénonciations. C'est un droit qui n'existe pas sous le Code criminel à l'heure actuelle. La jurisprudence, en Ontario notamment, est venue dire qu'un accusé a le droit d'obtenir la traduction de ces documents- là et donc on vient le préciser dans le code avec le projet de loi C-13.
On vient aussi clarifier une question qui a eu pour effet de réduire les droits linguistiques des accusés au paragraphe 20(1), en venant raccourcir la disposition liminaire de l'article 530.1.
Ce qu'on vient faire ici, c'est clarifier, une fois pour toutes, que les droits et obligations qui sont détaillés à l'article 530(1) s'appliquent tout autant dans la cadre d'un procès unilingue que dans le cas d'un procès bilingue.
À l'heure actuelle, cette disposition liminaire de l'article 530.1, qui vient énumérer les droits et obligations qui s'appliquent, omettait de mentionner l'ordonnance de procès bilingue. Elle mentionnait l'ordonnance pour un procès dans la langue officielle de l'accusé qui permettra à l'accusé de témoigner le plus facilement, mais ne parlait pas de l'ordonnance de procès bilingue. Au Canada, il y a des tribunaux qui ont bien noté cette omission et qui sont venus dire que tous les droits et obligations énumérés à l'article 530.1 ne s'appliquaient pas dans le contexte d'une ordonnance d'un procès bilingue, ce qui est complètement, à notre avis, insensé et on vient ici clarifier cette question.
Bref, tout cela pour dire que — je pourrais continuer, mais je vois difficilement comment vous pouvez dire qu'on vient limiter les droits linguistiques des accusés. Comme l'a mentionné le ministre, on voit ce projet de loi comme étant un pas en avant.
Le sénateur Joyal : Est-ce que cet élargissement, selon vos mots, vous a été demandé par le procureur général du Québec?
Mme Soublière : Ces propositions ont été discutées avec les provinces, à de nombreuses reprises, et ont fait consensus. Les provinces sont bien au courant du contenu de ce projet de loi, y compris le contenu des modifications que l'on propose aux articles 530 et 530.1
Le sénateur Joyal : Est-ce que le commissaire aux langues officielles a été consulté dans la rédaction des différentes dispositions des articles 18 à 21?
Mme Soublière : Le commissaire aux langues officielles a été consulté au même titre que les provinces. Nous avons consulté les associations de juristes d'expression française de common law et leur fédération nationale. C'est un très bel exemple d'un dialogue. Ils ont été consultés. Vous le savez peut-être, à l'étape de l'étude en comité, ils ont exprimé certaines réserves par rapport à certaines des modifications. Bien qu'ils ont exprimé leur satisfaction générale à l'égard de ce qui était là. Mais ils ont quand même exprimé certaines réserves. Il y a eu des motions déposées par les membres de l'opposition, qui venaient reprendre certaines des inquiétudes soulevées par le commissaire aux langues officielles, notamment, et la Fédération nationale des associations de juristes. Nous avons, dans l'ensemble, accepté ces motions. Il y a eu des modifications qui ont été apportées au projet de loi.
La présidente : Sénateur Joyal, comme vous le savez, on va entendre le commissaire aux langues officielles et des représentants du Barreau du Québec. Ce sont peut-être des questions qu'on pourrait leur poser.
[Traduction]
M. Nicholson : Monsieur Joyal, j'ai précisément soulevé la question à la conférence des ministres de la Justice, à Winnipeg. Nous avons discuté précisément de ce point. J'ai expliqué ce que notre gouvernement tente de faire, bien que je ne sois pas entré dans les détails. On a dégagé un consensus voulant que je fasse adopter ces mesures le plus rapidement possible. Il est fort probable que la plupart vous diront que c'est une amélioration, un pas dans la bonne direction et que c'est ce qu'ils demandaient.
Le sénateur Watt : Dans la même veine, je dois vous dire que je suis très préoccupé, surtout du sort des Inuits unilingues, mais ce n'est pas l'objet de ma question.
Plutôt, j'ai une question sur l'article 31, à la page 13, sur le Nunavut, qui dit :
Si la Cour suprême du Canada ordonne qu'un nouveau procès soit tenu devant juge et jury au Nunavut, l'accusé peut néanmoins, avec le consentement du poursuivant, choisir d'être jugé par un juge sans jury.
Pourquoi cela s'applique-t-il seulement au Nunavut et pas aussi au Nunavik? Cela pourrait-il être corrigé de façon à inclure aussi le Nunavik? Ce serait assez simple, il me semble.
[Français]
Mme Desaulniers : Le Nunavut fait toujours l'objet en matière de réoption dans le Code criminel d'un régime particulier parce que le Nunavut a une cour unifiée. La Cour provinciale et la Cour supérieure ont été réunies dans le cadre du même forum. C'est pourquoi, chaque fois que l'on traite de réoption, il y a toujours des dispositions précises pour le régime du Nunavut. C'est strictement pour cette raison. On ne fait pas de distinction entre le Nunavut et le Nunavik. C'est tout simplement pour continuer la cohérence des dispositions actuelles.
[Traduction]
Le sénateur Watt : Je soulève la question, parce que le Nunavik ne relève pas de la compétence du Nunavut. Le Nunavik relève de la compétence provinciale du Québec. Le Nunavik jouit d'une reconnaissance spéciale grâce à une entente qui est intervenue, après des négociations, avec les gouvernements provinciaux et qui vise la réconciliation entre le Sud et le Nord et la reconnaissance des besoins et différences.
Si cela vaut pour le Nunavut, cela devrait valoir aussi pour le Nunavik.
[Français]
Mme Desaulniers : Je ne peux pas comparer les deux régions. Sauf que le Nunavik est régi par les règles de procédure applicables au Québec et au Québec, il y a des juges de la Cour fédérale et ceux de la Cour supérieure. Il n'y a pas de cour unifiée comme c'est le cas au Nunavut. Il n'y a pas de règle de procédure spéciale applicable à tout le Québec, donc au Nunavik.
[Traduction]
M. Nicholson : Ce serait un cas particulier si l'on tenter d'amender le projet de loi de sorte que le Nunavik soit inclus, mais il faudrait aussi réorganiser la procédure au Québec. Je ne crois pas que cela soit souhaité, et je ne le recommande pas.
[Français]
Le sénateur Joyal : À l'article 19, madame Soublière, pour donner un exemple, l'article introduit un nouvel alinéa, 530.1, nous revenons à la page 7 du projet de loi. Vous l'avez devant vous. L'article établit l'obligation de fournir à l'accusé la traduction de l'acte de dénonciation et d'accusation. Mais l'article n'oblige pas à donner à l'accusé les éléments de la preuve qui peuvent être rédigés dans une autre langue que celle des accusés. Ne voyez-vous pas là un élément important du droit d'avoir un procès et accès à la documentation dans la langue que l'on comprend?
Mme Soublière : Vous avez raison de dire que l'article 19 ne vise pas la preuve. Il vise les actes d'accusation, les dénonciations. Il faut noter par rapport à cette disposition qu'à l'heure actuelle, il y a une autre disposition linguistique du Code criminel, l'article 841.3, qui exige que la partie préimprimée soit dans les deux langues.
À l'heure actuelle, la portion manuscrite peut être rédigée dans la langue du choix du signataire du document, d'où la modification qui est proposée, de fournir à l'accusé, sur demande, une traduction de ces portions manuscrites.
Par rapport à la preuve, ce n'est pas couvert par cette modification. La jurisprudence confirme que sur la base des droits linguistiques, il n'existe pas de droits de demander au service de la traduction des éléments de preuve qui existent dans une langue officielle autre que celle de l'accusé.
Le sénateur Joyal : Et cela, même dans le jugement Beaulac au Québec? Vous croyez que l'interprétation que vous donnez aux droits à l'accusé d'avoir un procès dans la langue de son choix serait limitative sur le plan de l'accessibilité de l'accusé d'avoir accès aux éléments de preuve qui pourraient être traduits?
Mme Soublière : L'arrêt Beaulac, à notre avis, ne change pas cette conclusion. Il est vrai qu'il peut y avoir des circonstances qui justifieraient que l'on traduise des éléments de preuve, mais ce serait sur la base des principes de justice fondamentale et non sur la base des droits linguistiques. En cas d'incompréhension de certains éléments de preuve par l'accusé, nous avons vu des tribunaux ordonner que l'on traduise certains éléments de preuve sur la base non pas des droits linguistiques, mais sur la base des principes de justice fondamentale qui s'appliquent de façon universelle à tous, peu importe la langue officielle que l'on parle, que ce soit le français, l'anglais, le chinois ou l'italien.
Le sénateur Joyal : Je sais qu'on n'a pas le temps de débattre de cette question, mais permettez-moi humblement ou respectueusement — comme on dit devant les tribunaux — de différer d'opinion avec vous sur l'interprétation de l'arrêt Beaulac.
Je vous donne un autre exemple, à mon avis, d'interprétation restrictive que ce projet de loi donne. L'article 530 actuel, paragraphe 3, du code dit ceci, et je le cite en anglais :
[Traduction]
Le juge de paix ou le juge de la cour provinciale devant qui l'accusé comparaît pour la première fois avise l'accusé, s'il n'est pas représenté par procureur, de son droit de demander une ordonnance en vertu des paragraphes (1) ou (2) et des délais à l'intérieur desquels il doit faire une telle demande.
[Français]
C'est le juge qui avise. Dans l'article que vous nous proposez, pour se substituer à cette disposition-là, vous dites tout simplement que l'on s'assure que l'accusé reçoive l'avis. Cela peut être tout simplement un avis bilingue qu'on lui donne alors que lorsque l'accusé est informé par le juge, il peut poser des questions au juge, il peut avoir des informations additionnelles, il peut poser des questions sur la portée de son droit à avoir un procès dans la langue de son choix, par exemple, ce dont je viens de parler, les éléments de preuve, et cetera.
Mais lorsqu'on dit tout simplement qu'on s'assure qu'il soit avisé, ce n'est pas du tout la même chose et là, on parle du droit d'un individu à être informé des implications à être jugé dans la langue officielle de son choix. Il me semble qu'il y a là une différence de portée réelle sur le droit d'un individu de bien comprendre les implications d'être jugé dans la langue de son choix.
Mme Soublière : En fait, les seuls mots qui ont été retirés de cette disposition, ce sont les mots « non représenté », je crois. Il est vrai qu'il peut exister différentes façons d'aviser un accusé de ses droits linguistique. Dans certaines juridictions, c'est le juge qui avise l'accusé. Dans certaines juridictions, on a opté pour une mention sur un formulaire que l'on remet à tous les accusés. Une mention a été ajoutée au formulaire selon laquelle un accusé possède des droits linguistiques qui sont énoncés aux articles 530 et 530.1. Dans d'autres juridictions, on a opté pour des annonces dans la salle d'audience.
Il est donc vrai qu'il existe différentes façons d'aviser les accusés. Cependant, il faut noter — et c'est là la bonification dont je vous parlais tout à l'heure — qu'à l'heure actuelle, cette disposition ne vise que les accusés non représentés. Le projet de loi C-13 aurait pour effet de faire en sorte que le juge ait à veiller à ce que tous les accusés soient avisés de leurs droits linguistiques.
La présidente : Je suis vraiment désolée. C'est un sujet qui me tient également à cœur. On va poursuivre la discussion, j'en suis certaine.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk : Vous avez dit que les paris extraterritoriaux étaient assujettis à ce projet de loi. Je veux toutefois m'assurer qu'on ne crée pas une nouvelle infraction à cet égard. Le projet de loi stipule que si le pari est fait à l'étranger mais qu'il constitue un élément de l'infraction, par exemple, si la transmission a été faite au Canada, si l'auteur du pari entre au Canada, il pourrait faire l'objet d'accusations. Si nous avions des pouvoirs à l'étranger dans les affaires criminelles, nous pourrions recueillir des preuves, mais ce projet de loi ne crée pas une infraction extraterritoriale, n'est-ce pas?
Mme Desaulniers : Mon collègue en connaît beaucoup plus que moi sur ce sujet.
Le sénateur Andreychuk : J'espère que ce n'est pas l'expérience qui fait de lui un expert.
M. Pruden : Vous avez raison de dire que ce n'est pas une nouvelle infraction. Cette infraction est déjà prévue à l'alinéa 202(1)i); le seul changement que nous avons apporté, c'est de supprimer les renvois à des moyens de transmission archaïques. L'infraction comme telle ne change pas.
Vous avez aussi raison de dire que, si quelqu'un se servait aujourd'hui de ces méthodes archaïques pour commettre ce qui est une infraction au Canada pendant qu'il est à l'étranger, la police pourrait l'arrêter à son entrée au Canada et des poursuites pourraient être portées contre lui aux termes des dispositions existantes.
La présidente : Monsieur le ministre, merci d'être venu. Nous vous savons gré de nous avoir consacré un peu de votre temps. Je remercie aussi mesdames Desaulniers et Soublière d'être venues.
Nous entendrons maintenant les représentants du Commissariat aux langues officielles. Je ne présiderai pas cette partie de la séance, parce que, comme certains d'entre vous le savent, M. Graham Fraser et moi sommes parents. Par conséquent, puisque la vice-présidente, Mme Andreychuk, a dû partir, je prie le sénateur Milne, l'ancienne présidente du comité, de bien vouloir me remplacer.
Le sénateur Lorna Milne (présidente suppléante) occupe le fauteuil.
La présidente suppléante : Nous accueillons maintenant un personnage bien connu au Canada, M. Graham Fraser. Un des membres de notre comité le connaît très bien. Monsieur Fraser, vous avez la parole.
Graham Fraser, commissaire, Bureau du Commissaire aux langues officielles : Merci, madame la présidente, et merci de vous montrer à la hauteur des circonstances entourant ma comparution devant votre comité.
[Français]
Madame la présidente, je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître aujourd'hui pour vous faire part de mes commentaires au sujet du projet de loi C-13 et, plus particulièrement, en ce qui concerne les modifications proposées aux articles 530 et 530.1 du Code criminel.
Comme l'a précisé la Cour suprême du Canada dans l'affaire Beaulac, ces dispositions ont pour objet de :
[...] donner un accès égal aux tribunaux aux accusés qui parlent l'une des deux langues officielles du Canada afin d'aider les minorités de langue officielle à préserver leur identité culturelle.
Le Commissariat aux langues officielles a depuis longtemps relevé la nécessité de modifier ces dispositions. Ainsi, le commissariat a réalisé en 1995 une étude sur l'utilisation équitable du français et de l'anglais devant les tribunaux au Canada. Il avait recommandé certains changements aux articles 530 et 530.1 du Code criminel, notamment en ce qui concerne l'obligation d'informer les accusés de leurs droits linguistiques.
[Traduction]
Lors du dépôt du projet de loi C-23, qui a précédé le projet de loi C-13, j'ai accueilli favorablement les modifications proposées aux articles 530 et 530.1 car elles tenaient compte de certaines des recommandations formulées par le Commissariat ainsi que de la jurisprudence. C'est le cas de l'article 18 du projet de loi qui modifie le paragraphe 530(3) du Code criminel de façon à imposer aux juges de paix ou aux juges de la cour provinciale l'obligation d'aviser l'accusé de son droit de subir son procès dans la langue officielle de son choix. À l'heure actuelle, l'accusé n'est avisé de ce droit que s'il n'est pas représenté par procureur. Il ne fait aucun doute que cette modification constitue un progrès encourageant.
Lorsque j'ai comparu devant le Comité de la Chambre des communes sur la justice et les droits de la personne le 3 mai dernier, j'ai proposé deux changements au projet de loi C-23 concernant la langue de la dénonciation et l'ordonnance d'un procès bilingue.
[Français]
En ce qui concerne la langue de la dénonciation, j'ai constaté avec satisfaction que l'article 19 du projet de loi reconnaît le droit de l'accusé de recevoir une traduction de la dénonciation ou de l'acte d'accusation établi contre lui. Il s'agit d'un pas positif dans la direction établie par les tribunaux. J'aurais toutefois souhaité que l'accusé puisse obtenir une traduction de la dénonciation sans avoir à en faire la demande. Je crois comprendre que la modification que nous proposions n'a pas été retenue, car elle aurait nécessité l'agrément des provinces en raison des coûts supplémentaires qu'elle aurait pu engendrer. Par conséquent, j'invite le ministre de la Justice à poursuivre les discussions avec ses homologues provinciaux et territoriaux afin de les convaincre de l'importance qu'une telle modification soit apportée dans le futur.
J'ai également fait savoir au comité de la Chambre des communes que la question des procès bilingues me préoccupait. À l'heure actuelle, le Code criminel autorise les tribunaux à ordonner la tenue de procès bilingues. Toutefois, selon la jurisprudence dans ce domaine, un tribunal ne peut rendre une telle ordonnance que s'il est d'abord convaincu que les droits des coaccusés et les intérêts de la justice sont pris en compte de façon appropriée.
La modification que j'ai proposée visait à maintenir le pouvoir discrétionnaire du juge à cet égard. J'ai constaté avec satisfaction que cette disposition a été modifiée en tenant compte de mes préoccupations et de celles exprimées par la Fédération des associations de juristes d'expression française de common law. La fédération a, par ailleurs, proposé d'autres changements au projet de loi, visant à le bonifier. Je suis heureux de constater que les propositions ont été retenues.
Je suis donc généralement satisfait du projet de loi C-13 dans sa facture actuelle. Les changements apportés au projet de loi contribueront à clarifier la mise en œuvre des droits linguistiques dont bénéficient actuellement les accusés.
Bien que le projet de loi C-13 ne confère pas aux accusés de droits linguistiques dans le cadre des instances liées au procès, notamment le processus d'appel, il n'en demeure pas moins un projet de loi important qui facilitera l'accès à la justice pénale dans les deux langues officielles.
[Traduction]
Pour conclure, j'aimerais attirer votre attention sur un problème que j'ai également soulevé devant le Comité de la Chambre des communes sur la justice et les droits de la personne et qui est lié à la mise en œuvre des droits linguistiques et des accusés. Il s'agit de la pénurie de juges bilingues au sein des cours supérieures des provinces. Ce problème persiste même s'il a été relevé par mes prédécesseurs dès le début des années 1990 et par le ministère de la Justice dans un rapport d'étude intitulé État des lieux sur la situation de l'accès à la justice. La Fédération des associations de juristes d'expression française de common law, l'Association du Barreau canadien et la commissaire Dyane Adam ont soulevé la question devant le Sous-comité de la Chambre des communes sur le processus de nomination des juges. Dans son rapport préliminaire publié en novembre 2005, le sous-comité a reconnu l'importance de modifier le processus afin de corriger le problème. Il est essentiel que le niveau de bilinguisme institutionnel des cours supérieures soit suffisant pour que l'accusé bénéficie des garanties linguistiques prévues aux articles 530 et 530.1 du Code criminel. Sans cette capacité de bilinguisme institutionnel, les dispositions linguistiques du Code criminel ne pourront atteindre leur objectif, à savoir celui de donner à l'accusé le droit de subir son procès dans la langue officielle de son choix.
Je vous remercie d'avoir écouté mes observations sur le projet de loi C-13 et je me ferais un plaisir de répondre à vos questions.
La présidente suppléante : Nous vous remercions de vos observations, monsieur Fraser.
Le sénateur Baker : J'aimerais souhaiter la bienvenue à M. Fraser. C'est un personnage bien connu ici sur la Colline parlementaire et nous avons toujours eu infiniment de respect pour M. Fraser et de ses connaissances sur le Sénat.
Je m'intéresse à la réponse qu'a donné le gouvernement à votre suggestion, monsieur le commissaire, proposant que la dénonciation soit traduite dans la langue que choisira l'accusé — c'est-à-dire l'une ou l'autre des deux langues officielles. Le gouvernement a répondu qu'il pourrait fournir une partie de la dénonciation ou de l'acte d'accusation visant l'accusé dans la langue officielle choisie par l'accusé. Je m'intéresse particulièrement à la façon dont vous expliquez la décision prise par le gouvernement, qui n'a pas respecté votre recommandation visant la traduction de la dénonciation complète, et qui fait référence à une partie de la dénonciation, parce que les provinces auraient à assumer des dépenses supplémentaires pour la traduction.
Cela donne lieu à un problème, monsieur Fraser. Le professeur Olivier — qui est professeur de droit — n'a pas utilisé les termes « une dénonciation ou un acte d'accusation prévu par la loi ». Il a dit « le document d'inculpation ». Ces trois termes sont utilisés indifféremment pour décrire un document à l'article 2 du Code criminel, soit la dénonciation. J'ai ici une dénonciation. Dans le cas d'une personne visée par un seul chef d'accusation, la dénonciation représente un paragraphe qui est relativement court. La dénonciation indique que le policier a des raisons de croire que telle ou telle personne, le énième jour du mois, dans une telle collectivité, a violé un article du Code criminel. La dénonciation vise qu'une violation du paragraphe 12(1) du Code criminel. Le chef d'accusation est indiqué de façon succincte : il est raisonnable de conclure que des instruments ou des pièces sont destinés à être utilisés pour pouvoir utiliser des installations ou obtenir un service en matière de télécommunication.
Quels sont les renseignements que peut en dégager l'inculpé? Pourquoi le gouvernement du Canada ne veut-il pas traduire tout le paragraphe, compte tenu de l'autorisation prévue par la nouvelle loi visant la traduction d'une partie de la dénonciation? J'ai du mal à comprendre pourquoi la traduction de trois ou quatre lignes supplémentaires, soit la longueur d'une dénonciation typique, est si problématique.
J'ai lu de nombreuses dénonciations. Il s'agit là d'un exemple typique. De plus amples renseignements sur le chef d'accusation se retrouvent dans la preuve communiquée. En d'autres mots, avant l'étape de la défense, il y a l'étape de la dénonciation et de la communication de la preuve. Il y a les notes prises par le policier, le rapport de continuation, ainsi que le dossier de l'avocat de la Couronne. Normalement, il s'agit de courts documents d'une longueur d'environ deux pages. Et pourtant, en réponse à votre proposition, le gouvernement du Canada a dit : « Nous traduirons une partie de la dénonciation, sur demande, par le biais d'une procédure spéciale devant le tribunal ».
Monsieur Fraser, souhaitez-vous intervenir?
M. Fraser : Je crois que la réticence du gouvernement s'explique par le partage des responsabilités en matière d'administration de la justice entre les instances fédérale et provinciales. Honorables sénateurs, bon nombre d'entre vous connaissent beaucoup mieux les menus détails des dénonciations que moi. Je demanderais à ma conseillère juridique, Mme Tremblay, si elle une réponse précise à donner à l'observation du sénateur.
Johane Tremblay, directrice de la Direction des affaires juridiques, Bureau du Commissaire aux langues officielles : Essentiellement, om voulait que l'accusé demande la traduction. En ce qui concerne le fait que seule une partie de la dénonciation serait traduite, là encore, c'est que l'accusé doit en faire la demande, que ce soit pour une partie ou l'ensemble de la dénonciation contenue dans l'acte d'accusation. Toutefois, comme vous l'avez dit, dans la plupart des cas la dénonciation est très courte. Sauf erreur, il fallait obtenir le consentement des provinces avant d'imposer cette obligation supplémentaire, et nous ignorons quels en seront les coûts.
Sauf erreur, dans certaines provinces, comme le Manitoba, il existe une pratique selon laquelle la dénonciation serait traduite d'office sans qu'il y ait de demande particulière. Toutefois, cette pratique n'est pas courante dans la plupart des provinces. C'est la réponse que nous avons reçue.
M. Fraser : Je ne veux pas prêter des intentions au gouvernement ou donner des explications que je ne possède pas. Toutefois, j'ai supposé que la réponse du gouvernement était en partie liée au problème que j'ai soulevé dans la dernière partie de ma déclaration, et c'est une question qui me concerne. Il y a un problème en matière de capacité, visant non seulement la disponibilité des juges qui puissent entendre des causes mais également le personnel des tribunaux et l'identification des jurés qui peuvent participer à un procès.
Lorsque j'étais en Colombie-Britannique, j'ai rencontré des membres de l'Association des juristes d'expression française pour discuter de leur volonté de modifier la façon dont les jurés francophones potentiels sont identifiés. À l'heure actuelle, il existe un très petit bassin et des problèmes d'ordre pratique surviennent. Ces membres se penchent sur la possibilité de modifier la Loi électorale du Canada afin de pouvoir accéder à un bassin plus large de jurés potentiels qui seraient alors identifiés. D'autres assurément sont à l'étude également. En Colombie-Britannique, il est difficile de trouver un nombre suffisant de jurés pour avoir un procès qui soit réellement bilingue.
Le sénateur Baker : Monsieur Fraser, je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que ce projet de loi représente une amélioration. C'est sûr. Je crois que tous les membres du comité sont d'accord là-dessus.
Il me semble terriblement curieux qu'à l'heure actuelle, la partie la plus volumineuse d'un procès, à savoir l'enquête préliminaire, qui englobe la majeure partie de la preuve, ainsi que le procès, qui peut prendre plusieurs années — se déroule, en droit, dans la langue officielle choisie par l'accusé. À l'heure actuelle l'accusé possède ce droit, mais n'a pas droit à 10 feuilles de papier dans la langue qu'il ou elle aura choisie lors de la mise en accusation, mais seulement à une partie de la dénonciation, laquelle fournit peu de détails.
En ce qui concerne l'autre partie du procès, comme le confirmera le sénateur Joyal, l'alinéa 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés indique que tout inculpé a le droit d'être jugé dans un délai raisonnable. La définition du mot « jugé » fournie par la Cour suprême du Canada comprend toute la période depuis l'accusation jusqu'au prononcé de la peine. Et pourtant, le droit de l'accusé de choisir l'une ou l'autre des langues officielles ne vise que l'enquête préliminaire et le procès. Sont exclues toutes les requêtes déposées en vertu de la Charte avant le procès ainsi que les procès qui en découlent, est exclu également tout voir-dire possible concernant la recevabilité des éléments de la preuve avant le procès. Son exclus les appels interjetés devant la Cour d'appel, dans la plupart des cas la cour d'appel provinciale, ainsi que les appels interjetés devant la Cour suprême du Canada.
Le problème, c'est qu'on exclut la partie la moins lourde d'un procès, et pourtant la partie la plus importante, lorsqu'on doit monter une défense.
Comme l'a dit Mme Tremblay il y a un instant, le fait de ne détenir qu'une partie de la dénonciation ne révèle absolument rien. S'il était obligatoire de traduire seulement les notes du policier ainsi que le rapport de continuation, l'accusé serait mieux en mesure de comprendre l'accusation portée contre lui.
L'argument voulant qu'il incombe à la province de financer cette lourde étape ne tient tout simplement pas, car il s'agit de la partie la moins lourde qui causerait à la province le moindre préjudice si la démarche était changée.
M. Fraser : Je trouve vos observations fascinantes, sénateur. Je dois vous avouer qu'à titre d'ancien journaliste, j'avais toujours cru que les dénonciations étaient sciemment rédigées de façon à transmettre un minimum de renseignements.
Le sénateur Baker : C'est tout à fait exact.
M. Fraser : Vous soulevez un point très utile dont nous prendrons note lors de l'examen ultérieur de ce dossier.
Le sénateur Jaffer : Monsieur le commissaire, j'aimerais vous remercier de votre disponibilité.
J'ai du mal à comprendre ce régime de partage de la responsabilité des procès. Chaque partie indique que c'est l'autre, c'est toujours la même rengaine entre le gouvernement fédéral et les provinces.
J'aimerais vous parler de ma province, la Colombie-Britannique, et la question de l'application. Tout est beau sur papier. Mon collègue, le sénateur Baker, a dit qu'il s'agissait d'une amélioration. Quant à moi, il y aura amélioration si les ressources sont fournies afin d'assurer l'application.
Monsieur le commissaire, dans votre document vous parlez des juges des cours provinciales. Mon plus grand défi, lorsque je travaille avec des avocats de ma province, c'est qu'au moins les juges et les procureurs obtiennent de la formation, mais pas les avocats de la défense. Non plus les avocats de service ni les avocats de l'aide juridique. J'ai pu voir que presque invariablement, la personne renonce et se fait traiter comme n'importe quelle autre personne qui ne parle pas la langue — en obtenant les services d'un interprète. Ce n'est pas comme ça que ça devrait se passer dans notre pays.
Je crois qu'il y a une faiblesse. Si la personne avec laquelle l'accusé communique ne parle pas aussi bien la langue utilisée que le procureur ou le juge, c'est qu'il y a une énorme faiblesse dans notre système.
J'ai demandé que l'on mette sur pied un projet pilote entre le Québec et la Colombie-Britannique. Il y aurait un échange de jeunes avocats afin que l'on puisse accroître les capacités. Sinon, il ne s'agira que de vœux pieux qui ne seront pas réalisés. J'aimerais obtenir votre avis là-dessus?
M. Fraser : Votre suggestion est intéressante. Je suis très impressionné par le débat sur les questions d'accès à la justice en Colombie-Britannique. Je suis sensible au rôle qu'a joué Dugald Christie dans la lutte pour l'accès à la justice en Colombie-Britannique. Je crois qu'il a énormément contribué à sensibiliser le système juridique, les avocats ainsi que les avocats de la défense du barreau aux injustices et aux obstacles qui existent et qui empêchent certaines personnes d'avoir accès à la justice de façon équitable. C'est un combat qui m'a inspiré, et je prends note de vos observations.
Dans une certaine mesure, l'un des défis que nous devons relever pour réaliser la politique langagière de notre pays, c'est de s'assurer que les personnes puissent avoir un accès aux échanges et à la formation dans l'autre langue officielle dans les établissements postsecondaires. Au fil des dernières décennies, il y a eu le phénomène des deux voies selon lequel les diplômés des écoles secondaires d'immersion constituent la génération la plus bilingue de l'histoire canadienne, et les autres sont le moins bilingues. Il y a eu une période où il y avait des exigences en matière de langue seconde pour l'entrée à l'université, et les étudiants avaient une connaissance relativement médiocre de la langue seconde, mais c'était une connaissance universelle si vous voulez. Maintenant il existe un écart entre ceux qui maîtrisent considérablement la langue en finissant leurs études secondaires et qui vont à l'université d'une part, et ceux qui n'ont pas ces connaissances langagières, d'autre part.
J'ai abordé cette question avec des recteurs d'université, et j'en ai parlé lors de ma rencontre avec l'Association du barreau de l'Alberta cet été. Il est important que les écoles de droit reconnaissent le besoin d'avocats qui comprennent que le droit canadien n'existe pas par le biais de la traduction : le droit canadien est rédigé dans deux langues. Dans bien des cas, nous éprouvons des problèmes à l'égard des facultés de droit dont les étudiants étudient le droit dans une langue ou l'autre mais ne comprennent pas réellement la nature bijuridique de notre système juridique.
Le sénateur Jaffer : Quand vous parlez d'une deuxième langue pour l'entrée à l'université, cela ne veut pas dire nécessairement la deuxième langue officielle. Voilà un autre défi qui se pose à nous.
Dans notre province, le Barreau a constitué un comité de la diversité. Ce groupe s'est notamment penché sur la façon d'offrir aux accusés de meilleurs services pour leur défense. Je vous invite à vous entretenir avec eux. À part cela, ce projet de loi est excellent mais si on ne peut pas en appliquer les dispositions, il n'est pas très efficace.
M. Fraser : Je comprends l'argument que vous présentez. J'en prends assurément note et je vais assurer le suivi.
[Français]
Le sénateur Joyal : Bienvenue, monsieur Fraser. Comme vous le savez, les tribunaux, en particulier au Québec, ont eu à interpréter l'article 133 à l'occasion de plusieurs affaires depuis les 30 dernières années. Ils sont arrivés à préciser — à mon avis de façon assez claire — les implications du droit d'un citoyen à être jugé dans la langue de son choix, que ce soit en anglais ou en français, l'anglais étant la langue en cause au Québec et dont on parle sous l'article 133.
Les tribunaux ont défini également qu'un citoyen doit non seulement avoir accès aux tribunaux dans la langue de son choix, mais que le procès doit aussi se dérouler dans la langue de son choix et que la traduction n'est pas une façon de satisfaire son droit. Je pense à l'arrêt Garcia en particulier, où madame le juge Barrette-Joncas a très bien défini que la traduction n'est pas une façon de satisfaire le droit de l'accusé.
Lorsqu'on regarde la totalité du paysage linguistique dans les tribunaux criminels au Canada, il y a la province du Québec et du Nouveau-Brunswick qui ont reconnu qu'elles avaient des obligations globales à l'égard de l'accès aux tribunaux dans l'une ou l'autre des deux langues officielles. Pour les autres provinces, l'article 16 pouvait être accommodé au gré de l'évolution des besoins, des budgets, et cetera. Vous en êtes encore, après 38 ans d'existence de la Loi sur langue officielle — parce qu'elle a été adoptée en 1969 —, à déplorer qu'il n'y ait pas encore assez de juges bilingues dans les autres provinces.
J'ai un peu l'impression qu'on est complaisant. Qu'en pratique, le petit train est sur les rails et s'il y a des provinces qui sont plus ouvertes à l'aménagement du droit de la minorité d'avoir un procès dans la langue de son choix, on élargit un peu l'accès aux documents — comme le disait tantôt mon collègue le sénateur Baker. On peut tout simplement donner l'avis « vous avez le droit d'avoir un procès en anglais ou en français ». Pour une personne qui n'est jamais allée devant les tribunaux, elle ne sait pas ce que cela veut dire. La personne qui est emmenée devant les tribunaux en cour pénale, déjà de se retrouver là est une expérience un peu particulière. Même nous qui sommes avocats, quand on se retrouve là, il y a déjà une pression énorme. Lorsque vous arrivez devant le tribunal et que tout ce qu'on vous dit, c'est :
[Traduction]
« Vous avez le droit de décider si vous voulez que votre procès se tienne en français ou en anglais ». Cela n'avance guère l'accusé. La personne doit très bien comprendre les conséquences du choix qui sera fait. La personne peut peut- être avoir l'impression qu'elle sera jugée dans sa propre langue officielle alors qu'en fait seulement une partie des instances sera traduite.
[Français]
De la même façon, si la personne se retrouve coaccusée avec des personnes de l'autre langue officielle, vous savez très bien que si vous êtes francophone à l'extérieur du Québec ou du Nouveau-Brunswick, et que vous êtes coaccusé, il y a de très grandes chances que vous soyez jugé en anglais selon les dispositions de ce projet de loi.
Ne devrait-on pas prendre des mesures claires pour s'assurer qu'après 40 ans de Loi sur les langues officielles — ou à peu près — et après 25 ans de Charte des droits et libertés, on mette en place le système requis pour assurer les droits des minorités dans les deux langues, à l'extérieur de la minorité anglophone au Québec et de la minorité francophone au Nouveau-Brunswick? Je parle des tribunaux uniquement.
M. Fraser : Il y a des avocats qui m'ont parlé de la difficulté de faire comprendre aux jurés la validité des propos d'un témoin parce qu'il était forcé de témoigner dans sa deuxième langue. La crédibilité même du témoin est donc mise en jeu quand il est forcé d'utiliser sa langue seconde. On peut être à la merci des traducteurs et ce n'est pas tout le monde qui a accès à un service de traduction de la qualité de celui de la Chambre des communes. Je ne sais pas si vous avez déjà eu l'expérience, mais moi je l'ai eue à l'étranger, c'est-à-dire d'entendre des traductions de l'anglais au français et où j'étais vraiment mal à l'aise parce que les propos n'étaient pas tout à fait traduits dans le sens que j'aurais voulu.
Effectivement, cela prend une volonté pour faire en sorte que les articles de la charte aient une signification réelle pour les accusés. Ces derniers sont dans un état de vulnérabilité extrême. La décision Beaulac a été rendue en tenant compte de la vulnérabilité extrême des accusés et pour que justice soit faite, il faut que cette vulnérabilité soit reconnue.
Mme Tremblay : Je dirais que les témoins ont toujours le droit de témoigner dans leur langue et le problème se situe encore au niveau de la qualité de l'interprétation. C'est un enjeu qui avait été soulevé dans les études faites par le Commissariat aux langues officielles dans le passé. Le juge a cette obligation de gérer le procès de façon à respecter le plus possible le droit linguistique de chacun des accusés impliqués dans un procès bilingue. Il y avait une ambiguïté dans la disposition. On voulait s'assurer que le juge ait la discrétion de balancer les intérêts d'un procès. D'une part, de juger des coaccusés ensemble pour certains types de crime et d'autre part, de respecter le droit linguistique de chacun des coaccusés d'être jugé dans sa langue. Il est déjà arrivé dans la jurisprudence du Québec que le juge ait décidé que c'était le droit linguistique des coaccusés qui avait fait pencher la balance et qu'il n'y avait pas de procès conjoint. La modification qui a été apportée maintiendra cette discrétion pour le bénéfice des coaccusés qui choisiraient deux langues différentes.
Je voudrais revenir sur l'acte d'accusation, c'est-à-dire le droit de l'accusé d'en obtenir la traduction. L'accusé ne devrait pas avoir l'obligation de faire la demande. L'acte de dénonciation devrait être traduit automatiquement dès qu'il y a une ordonnance d'être jugé dans une langue. Souvent, ce sont les documents annexés qui posent problème. C'était une des questions devant la Cour suprême dans l'affaire Charlebois, qu'effectivement, selon l'article 19 de la Charte de la langue française, on reconnaît ce droit aux personnes d'être jugées devant les tribunaux dans la langue officielle de leur choix. Dans ce cas-ci, cela se passait au Nouveau-Brunswick et c'était la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick qui était en cause, mais la cour a eu à se pencher sur la portée de ce droit prévu dans la charte et elle a dit qu'elle n'avait pas pour effet d'imposer à la Couronne l'obligation de présenter la preuve dans la langue de l'accusé.
Les obligations ne sont pas définies dans la Charte, la jurisprudence les a définies au fil des ans. Le jugement Beaulac a clarifié certaines choses, la Cour suprême interprétait les dispositions qui ont conféré des droits précis et qui ont imposé des obligations tant aux juges qu'aux procureurs de la Couronne.
En résumé, les obligations sont prévues dans le Code criminel, précisent davantage ce que cela veut dire d'avoir accès au tribunal dans la langue de son choix, et ces obligations complémentent ou voient à la mise en œuvre des droits constitutionnels prévus dans la Charte.
Cela s'inscrit dans l'engagement du gouvernement fédéral de voir à la progression vers l'égalité du français et de l'anglais et les clarifications apportées visent justement à corriger des situations ou à clarifier davantage des ambiguïtés qui ont été soulevées au cours des années par la jurisprudence.
[Traduction]
La présidente suppléante : Sénateur Joyal, je pourrais peut-être vous inscrire pour une éventuelle deuxième série de questions.
Le sénateur Joyal : Volontiers.
[Français]
Le sénateur Chaput : Bonjour, monsieur le Commissaire. C'est toujours un plaisir de vous revoir.
J'ai des sentiments partagés au sujet de ce projet de loi. Je crois que le projet de loi va dans la bonne direction : on fait des petits pas positifs et on avance. Je n'ai aucun doute à ce sujet.
Mais, en parlant ainsi, je me demande si je pense comme une minorité : ce projet de loi va dans la bonne direction, et je me contente de miettes de pain plutôt que de viser le pain en entier. C'est toujours présent à mon esprit.
Mon expérience comme francophone du Manitoba me dit que c'est en avançant à petits pas qu'on arrive à des résultats.
Ma question est au sujet des procès bilingues. Vous aviez des préoccupations, comme vous nous l'avez dit dans votre présentation, mais vous nous dites aussi que vous êtes satisfait parce que le projet de loi, maintenant, donne le pouvoir discrétionnaire du juge à cet effet; le juge peut décider.
Si je comprends bien, puisque le juge a le pouvoir discrétionnaire, est-ce que cela voudrait dire que le tribunal ne peut pas contourner le droit de l'accusé de subir un procès dans la langue officielle de son choix? Ou que l'accusé ne peut pas se faire imposer un procès bilingue?
M. Fraser : Je pense que l'accusé a le droit de demander et faire en sorte que cela se produise. Est-ce que ce n'est pas la situation en cause?
Mme Tremblay : Le juge, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, doit tenir compte de ce droit. C'est dans son évaluation, l'intérêt de la justice de tenir un procès conjoint. Dans le cas de complot par exemple, il peut en aller de l'intérêt de la justice à ce que cela fonctionne de cette façon. Alors d'un côté, il y a l'intérêt à tenir compte de ce droit, et de l'autre, il y a le droit linguistique de chacun des coaccusés d'être jugé dans la langue officielle de son choix.
Les juges pèsent cela et décident soit de scinder le procès, pour respecter le droit linguistique de chacun des coaccusés, ou au contraire, en raison d'autres considérations, d'imposer un procès bilingue aux deux accusés.
Mais il est certain que l'aménagement d'un procès bilingue fait que ce n'est jamais comme un procès uniquement dans une langue. Le juge essaie de gérer le déroulement du procès pour assurer une équité et assurer le plus possible le respect du droit de chacun des coaccusés d'être jugé dans la langue de son choix.
Le sénateur Chaput : Alors si j'étais l'accusée et que je demandais un procès dans ma langue, le français, le juge devrait me l'accorder? Il ne pourrait pas m'imposer un procès bilingue?
Mme Tremblay : Il pourrait vous l'imposer.
M. Fraser : Je m'excuse si je vous ai induite en erreur.
Le sénateur Chaput : Je n'étais pas certaine, c'est pour cela que j'ai posé la question.
Mme Tremblay : C'est toujours dans le contexte de coaccusés. Beaucoup de considérations militent pour un procès conjoint, dans les cas de complot, par exemple.
[Traduction]
La présidente suppléante : Monsieur Graham, votre rôle de commissaire vous permet-il d'assurer un suivi, de déterminer si une loi adoptée par le Parlement améliore l'accès du défendeur à la langue de son choix devant les tribunaux canadiens?
M. Fraser : Absolument.
La présidente suppléante : Très bien.
[Français]
Le sénateur Joyal : Monsieur Fraser, vous connaissez bien le système de justice criminelle au Québec. Ma perception —
M. Fraser : Comme observateur, bien sûr, pas comme accusé.
Le sénateur Joyal : Et non comme procureur de la Couronne ou de la défense.
D'après ce que je comprends, dans le système de justice criminelle au Québec, les droits des Québécois anglophones ont été reconnus de telle façon que cela leur donne une meilleure garantie de procès dans leur langue, alors que les dispositions actuelles même modifiées ne reconnaissent pas cette garantie dans les autres provinces, mis à part le Nouveau-Brunswick. Ai-je raison ou tort?
M. Fraser : Je pense que vous avez probablement raison. Il ne fait aucun doute que le droit linguistique hors Québec est souvent compromis par des questions de capacité.
Le sénateur Joyal : Finalement, après 38 ans de langues officielles et 25 ans de Charte, je le répète, est-ce qu'on n'a pas trouvé, dans cette question de capacité, l'échappatoire à la reconnaissance égale d'une même mesure de droit pour les minorités au Canada? Je parle uniquement dans le système de la justice pénale.
M. Fraser : Je peux vous dire que c'est souvent une excuse qu'on entend, pas uniquement dans le système de justice. On entend souvent des plaidoyers vis-à-vis des ressources, des problèmes financiers et des problèmes de ressources humaines. Je pense que les problèmes de capacité dans le système de justice ne sont pas du tout uniques. J'entends les mêmes plaintes vis-à-vis les obligations du gouvernement fédéral de respecter la loi.
Le sénateur Joyal : Mais est-ce que les tribunaux n'ont pas la capacité d'intervenir? Laissez-moi vous donner un exemple que vous connaissez certainement, la fameuse décision de la Commission scolaire de Penetanguishene. Le gouvernement ontarien a refusé de construire l'école parce qu'il y avait des restrictions budgétaires qui s'appliquaient à tous les Ontariens, et la cour ontarienne a très bien reconnu que malgré la réalité des compressions budgétaires, certains droits ne pouvaient pas être mesurés uniquement en termes de disponibilités budgétaires, que c'était des droits constitutionnels.
Ce dont on parle ici, ce n'est pas une amélioration des autoroutes ou des services de traversiers. On parle de droit constitutionnel fondamental qui définit la nature du Canada.
M. Fraser : Pour renforcer votre point, je citerais la décision de l'Hôpital Montfort qui va exactement dans le même sens.
Le sénateur Joyal : Est-ce que, encore une fois, après 25 et 38 ans, on ne devrait pas considérer l'opportunité d'aller devant un tribunal afin d'obtenir une ordonnance pour que les déficiences systémiques... Parce qu'après 25 ans, on peut conclure qu'il y a là une déficience systémique, le système fonctionne comme cela. On doit pouvoir atteindre cette reconnaissance que la loi établit et obtenir des décisions des tribunaux qui ordonneront au gouvernement de prendre les mesures nécessaires au niveau linguistique pour pouvoir satisfaire un droit aussi fondamental devant les tribunaux — on parle de la liberté d'un individu d'être en prison ou non, d'avoir un casier judiciaire ou non, de payer une amende ou non.
C'est extrêmement grave, ce dont on parle ici. Le statut de l'individu, en tant que citoyen libre dans un pays libre et démocratique comme le Canada, est affecté et peut avoir pour conséquence des implications énormes pour le reste de la vie de cette personne.
Il me semble qu'il y a des situations urgentes dans certains domaines qui le sont plus que dans d'autres domaines.
Je lis votre recommandation d'aujourd'hui, mais j'ai peur qu'elle ne se range au niveau du rayon des vœux pieux et que rien, en pratique, ne soit changé une fois ce projet de loi adopté.
À mon avis s'il était appliqué tel quel au Québec, par un gouvernement au Québec qui serait malfaisant à l'égard de sa minorité officielle, il y aurait un recul des droits au Québec. Ce n'est pas ce qu'on veut dans ce pays.
Au contraire, nous voulons que soit élargie la portée des droits et, pour ce faire, il y a des mesures positives — nous parlions autrefois de « mesures affirmatives », mais cette expression n'est plus aujourd'hui « politically correct « — que le gouvernement doit prendre.
Avec ce projet de loi, je n'ai pas la conviction que l'on réconcilie l'objectif d'égalité linguistique de manière substantielle, puisqu'il n'y a pas suffisamment de personnel, ou d'éléments budgétaire ou de volonté politique pour progresser.
Ne devrions-nous pas, en tant que législateur et face à cette situation, considérer d'autres mesures que celles contenues dans ce projet de loi?
M. Fraser : Je dirai deux choses avant de demander à ma conseillère juridique de commenter.
D'abord, j'ai été heureux d'entendre le ministre dire, lors de sa comparution devant vous, que ce projet de loi n'est pas le dernier mot.
Je pense que si la bataille pour les droits linguistiques a un sens, c'est
que c'est une bataille sans fin; il y a eu un chapitre en 1969; un autre
chapitre il y a 25 ans, en 1982; ainsi qu'un autre en 1988 avec la nouvelle
version amendée de la Loi sur les langues officielles. Et en 2005, il y a eu
l'amendement sur la
partie VII de la Loi sur les langues officielles. Je
pense donc que nous pouvons mesurer les progrès accomplis. Ce n'est pas un
déclin continuel que l'on observe depuis 38 ans; il y a des points mesurables de
progrès et des instruments qui ont été fournis par les parlementaires et par les
actions du gouvernement.
Il y a également le Plan d'action. J'étais d'ailleurs heureux d'entendre l'engagement du gouvernement, dans le discours du Trône, afin renouveler le Plan d'action qui vient à échéance à la fin de mars 2008, et qui inclut un volet concernant un fonds pour la justice.
J'apprécie votre contribution au débat. Lorsque j'ai, pour la première fois, comparu devant le Sénat et que vous m'avez informé de l'existence du rapport Göran à propos de l'abolition du Programme de contestation judiciaire, c'est à l'inspiration de votre suggestion que, en faisant notre enquête sur les restreintes budgétaires du mois de septembre 2006, nous avons procédé à une deuxième analyse juridique de l'impact de cette décision qui a fait partie de notre enquête.
J'aimerais donc vous remercier personnellement pour cette contribution qui a été très utile à mon examen de cette problématique et je prends donc bonne note de votre suggestion à laquelle je vais réfléchir.
Mme Tremblay : Je voudrais donner très brièvement de l'information sur le Plan d'action et le Fonds d'appui à l'accès à la justice. Nous parlions tantôt de la nécessité de la formation des procureurs de la défense. Un projet, initié en Ontario, a obtenu du financement pour former les procureurs de la Couronne et, si je ne me trompe pas, ce programme était accessible aux procureurs de la Couronne d'autres provinces.
Dans le contexte de la mise en œuvre de ce fonds, il y a également une table de concertation fédérale-provinciale- territoriale pour parler de mise en œuvre, à savoir ce que cela implique, et quel financement est nécessaire pour augmenter la capacité du personnel judiciaire qui relève de la juridiction des provinces. C'est aussi cette division de compétence fédérale-provinciale sur tout le dossier d'accès à la justice qui rend les défis plus complexes.
Le sénateur Joyal : Sauf le dossier de la nomination des juges qui est évidemment de juridiction fédérale.
M. Fraser : Effectivement, c'est un point que j'ai soulevé avec le ministre, à savoir l'importance du dossier de la nomination des juges.
[Traduction]
Le sénateur Bryden : J'ai écouté les délibérations et je sais que je m'aventure ici. Ce que je vais dire pourra sembler hérétique. Toutefois, quelque part au Canada, à un moment donné, quelqu'un qui ne ferait pas partie de l'un ou l'autre des groupes de langues officielles va probablement regarder nos délibérations. Je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il y a bien des groupes au Canada qui seront très envieux en écoutant le débat que nous avons ici cet après-midi. Ils se sentiraient choyés s'ils avaient un minimum d'accès à la justice telle qu'elle est accessible à nos deux groupes de langues officielles. Il y a là un problème.
Nous sommes un pays très riche mais nous ne disposons que de ressources limitées. Nous envisageons d'offrir la formation nécessaire afin que les éléments qui figurent dans ce projet de loi et les rouages de l'appareil judiciaire puissent être concrétisés, car si on se contente d'écrire, les intéressés n'en profitent pas. Les gouvernements ont fortement tendance à présumer que la réponse à tout problème passe par des dispositions législatives. Si quelque chose cloche dans le traitement que nous réservons à un groupe ou dans la solution réservée à une question donnée, on se tourne alors vers les dispositions législatives. Ces dernières sont votées et elles sont annoncées. Tout le monde est content et se félicite d'avoir modifié la loi d'une façon aussi merveilleuse. Cependant, le gouvernement ne lève pas le petit doigt pour injecter les ressources nécessaires afin que la modification ou l'amélioration atteigne les intéressés, les peuples autochtones, qui sont les parents pauvres de notre souveraineté canadienne. Comme vous le savez, les peuples autochtones sont souvent comparés aux afro-américains et aux latinophones aux États-Unis, avec moins de droits et de débouchés étant donné la taille de notre pays.
Je sais que je ne suis pas censé aborder ce sujet. En ce moment, nous ne sommes pas dans l'enceinte parlementaire mais nous n'en sommes pas très loin. Nous éprouvons ici un sentiment étrange qui nous empêche de poser la question : Que faisons-nous concrètement pour changer les choses utilement?
Nous parlons ici en quelque sorte des élites de notre société, celles qui ont du muscle. J'en fais partie. Nous appartenons aux deux groupes de langues officielles mais des représentants d'autres groupes sont venus témoigner et ils sont encore là. Il y a en outre des dizaines et des centaines de milliers de nouveaux arrivants chaque année que ces enjeux intéressent à titre très personnel. Certains d'entre nous membres de cette élite doivent se rappeler la course aux ressources pour donner de bonnes conditions de vie à tous nos citoyens. J'ai terminé mon sermon.
La présidente suppléante : Vous pouvez vous abstenir de répondre car c'est sans doute une question hors des compétences du commissaire aux langues officielles. Autour de cette table, nous avons beaucoup de sympathie pour les propos que le sénateur Bryden vient de tenir.
M. Fraser :Avec votre permission, je ferai quelques remarques.
Tout d'abord, il faut faire une distinction s'agissant de fournir des services linguistiques aux gens qui ne parlent pas l'une des langues officielles, qui sont ici et qui ont des besoins médicaux et juridiques. Nous sommes tous au courant de l'incident tragique survenu à l'aéroport international de Vancouver. Sans vouloir porter un jugement sur le comportement de qui que ce soit, je dirais que certains de ces besoins, dans ce cas-là, n'ont pas été satisfaits. Il y a une différence que l'on doit faire d'une part entre une solution juste et humaine de répondre à ces besoins et, d'autre part, l'imposition d'un fardeau à l'État pour que les institutions puissent offrir des services dans une de nos deux langues officielles.
Les nouveaux arrivants au Canada ont tendance à continuer temporairement de parler leur langue. La langue se maintient dans la communauté pendant une génération. Au moment de l'étude de la Commission royale sur le bilinguisme et le biculturalisme, un rapport minoritaire a recommandé que l'Ukrainien soit reconnu comme une langue officielle dans l'ouest du pays. En 1951, quelque 450 000 Canadiens parlaient ukrainien à la maison. La difficulté est que dès 1981, ce nombre était passé à 45 000. Cela ne signifie pas que si une dame, en grande douleur, parlant tamoul, se présente à l'hôpital général de Scarborough, il n'y a pas obligation sur le plan humain de la part de la société d'essayer de traiter cette dame en déterminant où elle a mal et comment elle peut être soignée. Toutefois, l'État a une obligation très différente à cet égard de celle qu'il a à l'égard des deux langues officielles, quand on sait que le français est parlé depuis 14 générations au Canada, qu'il y a ici 9 millions de francophones dont 4 millions sont unilingues francophones.
Le sénateur Di Nino : Je ne pense pas que nous puissions demeurer silencieux là-dessus. Essentiellement, on reconnaît le problème dans les grands centres urbains. Je suis de Toronto, donc je parle en connaissance de cause. Les Torontois parlent plus de 100 langues quotidiennement. Cela suffirait-il? Je n'en sais rien, sénateur Bryden. Je pense qu'il faut aussi reconnaître que quand un patient se présente à l'hôpital, il pourra être accueilli quotidiennement en 14 langues. Nous ne pouvons pas laisser notre débat se terminer sans au moins reconnaître qu'on fait un véritable effort, du moins que je sache, à l'échelle du pays pour répondre à ces besoins.
La présidente suppléante : Au nouvel hôpital de Brampton, on exige que le personnel infirmier puisse parler quatre langues.
Nous avons prolongé la séance de presque 30 minutes. Je voudrais vous exhorter, une fois que ce projet de loi sera adopté, et c'est fort probable qu'il le sera, à faire une étude de suivi pour déterminer si la situation s'est vraiment améliorée devant les tribunaux pour ceux qui subissent leur procès dans une langue qui n'est pas la leur. Malheureusement, vous n'aurez pas de points de comparaison de sorte que l'étude ne sera pas valable d'un point de vue statistique. Toutefois, il serait intéressant de savoir si ces dispositions améliorent la situation ou si nous sommes en train de perdre notre temps ici aujourd'hui.
Je vous remercie tous d'avoir fait preuve de patience à l'égard de votre nouvelle présidente.
La séance est levée.