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MDRN - Comité spécial

Modernisation du Sénat (spécial)

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL SPÉCIAL SUR LA MODERNISATION DU SÉNAT

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 1er mars 2017

Le Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat se réunit aujourd’hui à 12 heures pour examiner des méthodes visant à rendre le Sénat plus efficace dans le cadre constitutionnel actuel.

Le sénateur Tom McInnis (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, je déclare ouverte la séance du Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat. Aujourd’hui, notre séance est publique.

Avant l’ajournement d’hiver, nous avons entendu les témoignages des dirigeants des différents caucus et groupes au Sénat. Dans l’invitation que j’ai envoyée à chacun d’eux, je leur ai demandé de réfléchir aux questions suivantes: croyez-vous que les caucus des partis politiques ont un rôle à jouer au Sénat et croyez-vous qu’ils ont un avenir? Un Sénat moderne a-t-il besoin d’une représentation gouvernementale? Un sénat moderne a-t-il besoin d’une opposition officielle ou de groupes? Quels changements devrions-nous apporter à nos règles ou à nos usages?

Nous avons ensuite entendu les témoignages des professeurs Lagassé, Heard, Docherty et Hicks sur les mêmes questions. Ce faisant, nous avons recueilli beaucoup de témoignages au sujet du Sénat et des aspects fondamentaux du régime de Westminster. Aujourd’hui, nous poursuivons cette étape de l’étude en jetant un coup d’œil aux éléments essentiels du processus efficace de débat et de délibération du Parlement, nous évaluons comment le Sénat utilise le débat et la délibération pour s’acquitter de son rôle institutionnel au sein du régime de Westminster et nous examinons comment le Sénat pourrait s’organiser et promouvoir un examen efficace. À ce titre, le comité a invité M. Gary Levy et M. Thomas Hall à nous parler de ces sujets.

M. Levy commencera par quelques réflexions dans le contexte de ce que nous avons entendu jusqu’à maintenant. Gary Levy est un chercheur universitaire de l’Institut Confucius à l’Université Carleton. De 2013 à 2015, il a été le titulaire de la Chaire Bell sur la démocratie parlementaire canadienne à l’Université Carleton et, de 1980 à 2013, il a dirigé la Revue parlementaire canadienne et a écrit de nombreux articles sur la démocratie parlementaire, la réforme du Sénat et le régime de Westminster au cours de sa carrière.

Nous entendrons ensuite M. Thomas Hall qui nous fera part de ses réflexions sur la façon dont le débat parlementaire pourrait être structuré différemment compte tenu de ce que notre comité a entendu de façon plus générale au sujet du régime de Westminster. M. Hall a été pendant 24 ans un greffier à la procédure à la Chambre des communes. Depuis sa retraite, M. Hall s’est appuyé sur son expérience en effectuant des recherches et rédigeant des articles sur de nombreuses questions de procédure, notamment une comparution devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes sur la question de la prorogation.

Monsieur Levy, nous entendrons d’abord votre exposé, qui sera suivi par celui de M. Hall. Ensuite, je suis convaincu que les membres du comité vous poseront à tous les deux des questions. Vous avez la parole.

Gary Levy, chercheur universitaire, Université Carleton, à titre personnel: Je suis honoré d’avoir été invité à comparaître devant vous. Je ferai quelques observations sur des sujets qui semblent au cœur de vos discussions.

Il est pratique courante pour les Canadiens de se proclamer des adhérents du modèle de Westminster, mais on ne s’entend pas vraiment sur ce que cela veut dire. Le sénateur Harder a soutenu que le régime de Westminster est souple, et je suis d’accord. Par contre, il n’est pas infiniment souple.

Certains universitaires limitent le modèle aux 16 membres du Commonwealth qui reconnaissent la Reine comme chef d’État. D’autres soutiennent que, à des fins de comparaison pratiques, le modèle se limite au Royaume-Uni et à trois des quatre dominions d’origine: Canada, Australie et Nouvelle-Zélande.

Pour certains, le gouvernement responsable et la convention sur la confiance sont des caractéristiques qui le définissent. Pour d’autres, c’est l’existence d’un président d’assemblée impartial. Le professeur Phillip Norton, qui est probablement la plus grande autorité vivante en la matière et aussi un membre de la Chambre des lords, a écrit que la caractéristique distinctive du modèle de Westminster est le concept de l’opposition loyale de Sa Majesté.

Mon ancien patron à la Bibliothèque du Parlement, Philip Laundy, également un expert sur le régime de Westminster, avait l’habitude de dire que le Parlement est par-dessus tout un mécanisme d’opposition.

On peut soutenir que cette logique s’applique uniquement à l’opposition à la Chambre des communes et que, à la Chambre haute, l’opposition peut prendre de nombreuses formes, notamment le point de vue exprimé par certains de vos témoins selon qui les 105 membres peuvent être indépendants et en opposition. Je comprends cet argument, mais je ne pense pas qu’un Parlement doté d’une Chambre haute totalement non partisane continue de suivre le modèle de Westminster.

D’ailleurs, sur la question de savoir ce qu’est un régime de Westminster, je me rappelle une conversation avec un spécialiste politique australien. Je lui demandais comment l’Australie, avec toutes ses innovations uniques, peut continuer à dire qu’elle suit un modèle de Westminster. Il a répondu « Ce n’est pas le cas. Nous l’appelons le modèle australien. »

Je pense que nous nous dirigeons vers un modèle canadien, et la question que vous vous posez, sans beaucoup d’aide de notre gouvernement, est de savoir si le nouveau modèle canadien sera mieux adapté au contexte politique moderne que ce que nous avons appelé traditionnellement le modèle de Westminster.

Le sénateur Harder a aussi soutenu que nous avons peu à apprendre de la Chambre des lords. Le professeur Smith, que j’admire beaucoup, a utilisé un langage plus universitaire pour dire essentiellement la même chose. Il existe de nombreuses différences entre la Chambre des lords et le Sénat et entre la Grande-Bretagne et le Canada. Par contre, au plan institutionnel, nous sommes toujours très près du Parlement du Royaume-Uni, et nous devrions retirer au moins deux choses de l’expérience de ses parlementaires.

Premièrement, le processus de nomination. Avant la dernière élection, j’ai écrit un article dans lequel je recommandais un processus de nomination indépendant, mais je n’ai jamais envisagé la création d’une commission pour nommer tous les sénateurs ou aboutir avec un sénat totalement non partisan. J’ai proposé une démarche britannique, ou du moins une version d’une telle démarche, en vertu de laquelle certains membres sont nommés par une commission indépendante, mais la plupart continuent d’être nommés par le premier ministre.

Il existe de nombreux pays où le chef du parti d’opposition participe aux nominations à la Chambre haute, soit de façon formelle, comme dans la constitution de Trinité-et-Tobago, soit de façon informelle, comme au Royaume-Uni. À mon avis, le Canada serait bien servi de suivre cette pratique.

Une autre chose que nous pouvons tirer du Royaume-Uni concerne la relation entre les deux chambres. Comme vous le savez, en vertu de la loi, la Chambre des lords est limitée à un veto suspensif d’un an relativement aux projets de loi. Cette mesure n’a été invoquée que quatre ou cinq fois depuis 1911. Les conventions régissant la relation entre les chambres sont plus importantes.

De nombreux sénateurs ont déclaré que nous avons une convention au Canada en vertu de laquelle le Sénat, finalement, s’en remet à la Chambre des communes en cas de différends. Nous avons effectivement cet usage, mais ce n’est pas vraiment une convention constitutionnelle. Il y a eu deux cas où la Chambre haute a obligé la tenue d’une élection; en 1911, au sujet du projet de loi d’aide à la marine; et en 1988, au sujet de l’accord de libre-échange. En 1990, une troisième possibilité a été évitée uniquement en invoquant l’article 26 de la Constitution et en nommant d’autres sénateurs.

En 2008, alors que le gouvernement était minoritaire, un ministre de la Justice découragé a dit aux membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles qu’ils étudiaient une modification au Code criminel depuis assez longtemps. S’ils n’adoptaient pas le projet de loi avant le 28 février, il a dit: « Je ne crois pas avoir d’autre choix que de recommander au premier ministre d’en faire une question de confiance, et je vais lui confier le dossier. »

Donc, la crainte de la défaite ou d’une obstruction est la raison principale pour laquelle des gouvernements successifs se sont inquiétés de la composition partisane de la Chambre haute, et ont préféré combler les postes vacants en nommant des personnes sur l’appui desquelles le gouvernement pouvait compter. Une façon d’atténuer la partisanerie, ce serait un veto suspensif de style britannique, étant donné qu’il élimine l’incitatif de l’opposition partisane. Nous devons aussi examiner un mécanisme britannique moins bien connu, la convention de Salisbury. Elle prévoit que les lords ne feront pas obstruction aux projets de loi qui visent à mettre en œuvre des politiques contenues dans un manifeste électoral. Ce mécanisme a été mis en place en 1945, lorsque le gouvernement travailliste s’est retrouvé virtuellement sans membres à la Chambre des lords. La convention n’entrave nullement la capacité des lords de modifier des projets de loi.

Il existe au moins trois autres conventions qui régissent les rapports entre les Chambres et lorsque des différends surviennent. Quant à leur signification, l’usage veut qu’on les renvoie à certains comités, notamment le comité mixte des conventions de 2006 et l’examen de 2015 par Lord Strathclyde, suite à la défaite d’un texte réglementaire sur des crédits d’impôt.

Si nous devons avoir un sénat totalement ou en grande partie non partisan, il est important de disposer de conventions plus claires quant aux relations entre les Chambres.

Permettez-moi maintenant de passer aux quatre questions que vous étudiez. Virtuellement, chaque sénateur, y compris les sénateurs non affiliés, a déclaré que les caucus des partis politiques ont un rôle à jouer au Sénat. Pourtant, le nombre de sénateurs appartenant à un parti politique continue de diminuer, il est théoriquement possible pour n’importe lequel des sénateurs nouvellement nommés de siéger au sein du caucus d’un parti, mais cela n’a pas été l’usage.

La réponse se trouve peut-être dans un récent discours du sénateur Harder, quand il a allégué que seulement 14 p. 100 des Canadiens préfèrent que les sénateurs soient membres du caucus d’un parti. Cela est peut-être vrai, mais je pense qu’il s’agit d’une réaction excessive à une période donnée et à des incidents. L’idée voulant que les caucus politiques soient en quelque sorte la source de tous les maux ne constitue pas un fondement valable pour réformer nos institutions.

Quant à savoir si un sénat moderne a besoin d’une représentation du gouvernement, je vous réponds par l’affirmative. J’ai été déçu lorsque M. Harper a supprimé le poste de leader du gouvernement du Conseil des ministres en 2013, et encore plus lorsque M. Trudeau a décidé de suivre ce précédent en 2016, parce qu’il l’a jumelé à un tour de passe-passe en créant un poste de représentant du gouvernement sans modifier la loi qui crée le cabinet du leader du gouvernement au Sénat.

Les résultats sont bizarres et, à mon avis, ils forment une structure insoutenable en vertu de laquelle trois personnes, le G3, s’occupent de faire avancer le programme du gouvernement, et chaque autre personne est soit en opposition, soit livrée à elle-même. L’un des points forts du régime canadien, par opposition au régime américain, c’est la présomption d’un rôle de premier plan pour le gouvernement. La présence d’un membre du Sénat au caucus serait la meilleure façon de faire les choses.

Quant à savoir si un sénat moderne doit avoir une opposition officielle, ma réponse est évidente d’après mes remarques liminaires.

Permettez-moi de conclure en vous offrant quelques réflexions sur des changements possibles aux règles et usages qui pourraient fonctionner, que vous ayez un groupe de 105 sénateurs non affiliés ou deux, trois ou quatre partis.

La clé pour le Sénat est de se concentrer sur les rôles dont la Chambre des communes ne s’acquitte pas très bien. L’un d’entre eux, quant à moi, est l’examen ou la création d’une politique publique. La Chambre perd sa capacité de réaliser de solides études des politiques publiques. Elle consacre une quantité incroyable de temps à mettre au jour des scandales comme le coût d’un verre de jus d’orange ou l’endroit où les gens passent leurs congés. Le travail de circonscription a eu la priorité, les processus de consultation du public ont été élargis, mais les possibilités de débat et de délibération ont diminué.

Le Sénat a toujours fait une étude utile de la politique publique dans ses comités, et cela peut se poursuivre et être élargi. Cependant, ce travail devrait être coordonné en fonction des priorités du gouvernement, plutôt que d’être une foire d’empoigne pour des dadas individuels. Il est difficile de voir comment cela peut se faire sans un apport et un leadership efficaces du gouvernement.

Le deuxième domaine a trait à la révision de la Constitution. Au Canada, nous nous trouvons dans une drôle de situation où tous les partis rejettent toutes les propositions qui comportent une révision de la Constitution, tout cela à cause d’un projet qui a échoué il y a 25 ans. À mon avis, nous avons tiré les mauvaises leçons de cette expérience et un moratoire de fait sur la révision de la Constitution ne constitue pas une façon intelligente de diriger un pays.

Même la plus petite modification au Sénat exigerait l’approbation des provinces. Il y a une semaine, lorsque le sénateur Hays a comparu, il a laissé entendre que le Sénat devrait être proactif et chercher l’apport des provinces quant à savoir si elles seraient d’accord pour une modification constitutionnelle précise, à commencer par les modifications qui touchent le Sénat. Bien entendu, de telles modifications pourraient être amorcées par les sénateurs, étant donné qu’ils ne sont pas des ministres de la Couronne.

Mon dernier point, ce que le Sénat peut faire, se trouve dans ce que j’appelle la « modernisation procédurale ». Je suis convaincu que Thomas s’y connaît mieux que moi, mais la Chambre des communes a fait très peu pour améliorer ses procédures, malgré un nombre de problèmes survenus au cours des dernières législatures. Je me demande si le Sénat pourrait devenir un modèle pour la Chambre basse à certains égards. Je pense que vous avancez déjà dans cette direction.

La récente approche de la période des questions pour laquelle un ministre est invité au Sénat et se fait poser des questions sans que l’on tienne un chronomètre à la main ou qu’il y ait d’autres obstacles à un questionnement efficace que l’on retrouve à la Chambre en est un bon exemple.

On envisage la télédiffusion des débats au Sénat. Si cette nouvelle approche de la période des questions était télédiffusée, je suis convaincu que la Chambre des communes se trouverait elle-même pressée d’offrir quelque chose de semblable à la place de son format actuel.

Vous cherchez aussi des façons de décourager le dépôt de projets de loi omnibus, un autre domaine où la Chambre connaît de réels problèmes. Vous avez suggéré que le comité du Règlement du Sénat mette au point un processus qui fait en sorte que les projets de loi omnibus sont renvoyés à un comité approprié qui détermine si et comment ils pourraient être divisés en plusieurs projets de loi. C’est un pas en avant, mais la solution plus simplement est que le Président du Sénat tranche cette question. La notion d’un président élu et vraisemblablement plus influent est aussi un aspect que vous examinez.

Je vous remercie de l’invitation.

B. Thomas Hall, à titre personnel: Je vous donnerai un aperçu d’ensemble, puis je passerai aux aspects procéduraux concrets que je vous suggérerais d’examiner.

Le régime de Westminster se trouve à la Chambre des communes, point. La Chambre des communes est le centre de gouvernement responsable et la Chambre de confiance. Le régime de Westminster n’a absolument pas besoin d’une Chambre haute. Comme vous le savez, de nombreux parlements du modèle de Westminster dans les anciens dominions n’ont pas de Chambre haute, et aucune de nos provinces n’a de Chambre haute. Pourtant, vous diriez qu’elles suivent le régime de Westminster.

Le régime de Westminster comporte au moins deux partis. Il faut un côté ministériel et une opposition. Cela signifie que la Chambre basse est non consensuelle et à la majorité absolue. Elle est non consensuelle en ce sens que les deux partis sont en conflit, ou les deux partis s’opposent, le gouvernement propose, l’opposition critique et vous devez faire en sorte que les choses avancent. Vous y parvenez si vous avez une majorité à la Chambre basse. Les chambres basses dans le régime de Westminster sont non consensuelles et à la majorité absolue. Pour ce qui est de la Chambre haute, qu’est-ce que le régime de Westminster exige? Une seule chose: si vous avez une Chambre haute, elle doit être subordonnée politiquement à la Chambre basse. Sinon, un gouvernement responsable ne fonctionnerait pas si elle n’était pas subordonnée. C’est le problème qui est survenu en Australie en 1975. L’Australie ne suit pas le régime de Westminster dans sa Chambre haute. Cette dernière se fonde sur le modèle de Washington, D.C. L’Australie a donc un parlement de type divisé — une Chambre basse de type Westminster, une Chambre haute de type Washington, D.C. —, le congrès, caractérisé par un débat contradictoire, et la Chambre haute où il y a de nouveau la majorité absolue.

Si la Chambre haute est politiquement subordonnée, que fait le premier ministre en nommant autant de sénateurs non affiliés? Je vous dirais qu’au lieu de penser qu’il essaie de détruire l’opposition ou les caucus politiques à la Chambre haute, ce qu’il fait vraiment, c’est de modifier la culture politique de la Chambre haute. Je veux dire qu’elle deviendra consensuelle et non à la majorité absolue. Cela lui permettra de jouer plus facilement son rôle de critique de ce que le gouvernement a fait à la Chambre basse que si vous aviez une reproduction de la Chambre basse à la Chambre haute.

Les partis que l’on retrouve à la Chambre haute en ce moment sont des prolongements des partis que vous retrouvez à la Chambre basse. Cette formule a été bonne à certains égards et mauvaise à d’autres. Nul besoin d’entrer dans les détails.

Si, comme je le pense, le premier ministre est en train de détruire la culture ou le climat non consensuel et à la majorité absolue dans la Chambre haute, avec quoi va-t-il les remplacer? Voilà votre défi, parce que vous n’avez aucun contrôle sur les personnes que le premier ministre nomme, mais vous avez le contrôle sur votre façon de réagir à ces nominations.

Je vais vous dire que les spécialistes politiques ont mis au point un concept qui est très utile pour réagir à ce que fait le premier ministre. Ce concept consiste à créer une Chambre haute délibérante et consensuelle de sorte que tous les sénateurs, en tant qu’égaux, délibèrent et examinent les projets de loi que le gouvernement a acheminés à la Chambre haute par l’entremise de la Chambre des communes. Dans un sens, tout le monde joue un rôle d’opposition vis-à-vis de la Chambre basse et du gouvernement. À la Chambre haute, vous ne reproduisez pas ou il est inutile de reproduire le point de vue non consensuel et à la majorité absolue de la Chambre basse.

Comment mettriez-vous en œuvre cette approche délibérante et consensuelle? Je ne laisse pas du tout entendre que vous devez vous débarrasser de tous les partis politiques. C’est une autre question. Les sénateurs et sénatrices doivent décider individuellement s’ils veulent se regrouper en tant que membres de partis.

Cependant, je pense que l’approche sage en l’espèce serait de réduire le rôle des partis en contrôlant et dirigeant la Chambre haute. Ici, je suis d’accord avec les anciens sénateurs Segal et Kirby lorsqu’ils ont laissé entendre qu’il devrait y avoir une forme d’organisme de coordination pour le travail qui se fait au Sénat. Je vais vous donner une idée de la façon dont fonctionnerait ce que j’appelle le « comité organisateur des travaux ». Il remplacera ce que les partis font en ce moment, en planifiant la façon dont le Sénat fonctionne. Le gouvernement contrôle les projets de loi qu’il puisera au Feuilleton. Remettons tout cela entre les mains du comité organisateur des travaux. Il n’est absolument pas nécessaire d’avoir un représentant du gouvernement à la Chambre haute.

Que feriez-vous — et je vais vous donner un exemple de la façon que cela pourrait fonctionner — si, disons, un projet de loi vous arrive de la Chambre des communes. Il vous parvient par message, comme cela se fait en ce moment. Le Président annonce que l’on vient de recevoir le projet de loi de la Chambre des communes, un projet de loi émanant du gouvernement ou un projet de loi émanant des députés, et, s’il s’agit d’un projet de loi émanant du gouvernement — concentrons-nous sur les projets de loi émanant du gouvernement; c’est ce qu’il y a de plus important pour l’instant — le greffier au Bureau lit le projet de loi, ce qui constitue la première lecture. Le Président annonce ensuite, soit immédiatement soit plus tard, selon la décision du comité organisateur des travaux, à quel comité le projet de loi sera renvoyé. Le projet de loi est envoyé au comité. Personne ne parraine le projet de loi. Il n’y a aucune motion. Votre Règlement prévoit que le projet de loi, lorsque le Président annonce à quel comité il est renvoyé, est envoyé à ce comité. Les comités vont devoir jouer un rôle beaucoup plus important que maintenant dans une assemblée délibérante, et ils jouent déjà un rôle assez important. Le comité entreprend alors son examen minutieux, décortiquant le projet de loi, examinant ses bons et ses mauvais éléments. Le comité peut convoquer tous les témoins qu’il veut, ministres, députés de l’opposition de la Chambre basse, n’importe qui. Mais il affecte ce projet de loi à un de ses propres membres pour en faire rapport à la Chambre.

Habituellement, dans le contexte européen, ce membre s’appelle un rapporteur. Le rapporteur ramène le projet de loi à la Chambre et annonce ce que le comité a trouvé, les points positifs, les points négatifs du projet de loi, tout ce qu’il a trouvé au sujet du projet de loi, explique le rapport provenant du comité. S’ensuit ensuite un bref débat ou un long débat. D’autres députés peuvent poser des questions au sujet du projet de loi. Ils peuvent donner leurs avis, parce qu’ils ont lu le projet de loi de leur propre initiative ou parce qu’ils ont suivi les travaux du comité et ont peut-être même assisté à quelques-unes de ses réunions.

Au terme de ce débat, le projet de loi obtient ou non la deuxième lecture, suite à un vote de la Chambre. S’il est adopté en deuxième lecture, l’étape suivante est celle des amendements proposés par le comité. À ce moment-là, le Sénat est saisi du projet de loi. Nous sommes à l’étape des modifications au Sénat. N’importe quel membre peut proposer un amendement. Une fois les amendements étudiés, le projet de loi ne retourne pas au comité; le Sénat l’adopte ou non en troisième lecture.

Si le comité conclut que le projet de loi est irrémédiable ou comporte de très graves erreurs, je propose que le rapporteur dise dans son rapport, « Le comité a procédé à son examen et la majorité des membres conclut que le projet de loi est défectueux à certains égards. » Le comité peut proposer d’envoyer un message à la Chambre des communes pour indiquer à cette dernière ce qui ne va vraiment pas avec ce projet de loi. Cela donne à la Chambre un moment d’arrêt; elle peut le modifier de façon à le rendre satisfaisant. Cela donnerait à la Chambre des communes l’occasion de revoir le projet de loi et de déterminer si elle veut toujours aller de l’avant. Si la Chambre répond qu’elle insiste pour aller de l’avant avec le projet de loi, alors le Sénat a un choix. S’il viole la Charte ou la Constitution, s’il s’agit d’un défaut grave dans le projet de loi qui causerait un préjudice à une industrie donnée, disons l’industrie de la potasse en Saskatchewan, les modifications d’ordre fiscal vont décimer cette industrie, alors si le Sénat ne peut pas modifier le projet de loi, il peut être tout à fait justifié de dire, « Nous n’allons pas de l’avant avec ce projet de loi », et en faire rapport à la Chambre basse.

Vos pouvoirs de veto à l’égard d’un projet de loi sont importants, et doivent être gardés en réserve. Ne pensez surtout pas que quiconque devrait vous dire un jour, « Débarrassez-vous de ces pouvoirs. » Ils sont comme les pouvoirs de réserve du gouverneur général; on y a recours dans des situations d’urgence, pour des questions très graves qui ne peuvent pas être réglées à l’aide d’un amendement et à l’égard desquelles le gouvernement refuse de faire marche arrière. Donc, gardez-les en réserve. Ne les utilisez pas sans raison, mais ils sont importants.

Donc, une fois les amendements renvoyés à la Chambre basse et renvoyés de nouveau au Sénat, vous suivez les procédures actuelles. Le plus grand changement ici consiste à envoyer un projet de loi à un comité avant que vous l’adoptiez en deuxième lecture, et il en est ainsi pour que le comité puisse étudier le projet de loi, le décortiquer et dire aux sénateurs ce que le comité en pense, au lieu d’avoir quelqu’un présent au Sénat qui est un ministre ou un leader du gouvernement à la Chambre ou quelqu’un qui est présent, prétendant être le parrain et vous parlant du projet de loi en vue de la deuxième lecture. Vous n’avez pas besoin de cela. Ce n’est pas très productif. Cette démarche se fonde sur le faux modèle non consensuel et à la majorité absolue de la Chambre des communes.

Ce qu’il en ressortira, d’après moi, c’est que le Sénat sera un très grand critique de toutes les mesures du gouvernement. Le gouvernement devra améliorer sa façon de faire. Je ne sais pas si le premier ministre s’est rendu compte de toutes les implications liées à la création d’un Sénat totalement délibérant. Ce sera une bonne chose. Cela peut devenir un mécanisme très puissant.

J’ajouterai une autre chose au sujet du rôle du Président. C’est la seule personne qui doit être nommée par le gouvernement. Je suis d’accord avec M. Hicks. Je pense que vous pouvez utiliser le Président comme canal de communication. Par exemple, si le gouvernement veut présenter un projet de loi au Sénat, au lieu de choisir quelqu’un pour le parrainer, il pourrait envoyer le projet de loi au Président qui pourrait annoncer qu’il a reçu un projet de loi du gouvernement.

Le projet de loi suit la même procédure que s’il avait été envoyé par la Chambre des communes. Il est envoyé au comité. Ce dernier le décortique. Il l’examine à fond. Le Sénat est ensuite saisi du rapport. Les sénateurs décident ce qu’ils doivent faire du projet de loi. Même processus.

Vous n’avez pas besoin d’un représentant du gouvernement au Sénat. L’une des raisons pour lesquelles je n’aime pas avoir un représentant du gouvernement au Sénat, je vous l’avoue, c’est que tous les sénateurs doivent être égaux. Vous êtes tous libres de critiquer le projet de loi ou de l’appuyer ou de vous y opposer à moitié ou de l’appuyer à moitié. Chaque vote est un vote libre et aucun sénateur ne devrait en être privé.

Si vous voulez vous réunir en caucus, continuez de le faire. Créez tous les caucus que vous voulez, mais le fonctionnement du Sénat ne doit plus être entre les mains de caucus politiques.

C’est ici qu’entre en jeu le comité organisateur des travaux. Je dirais que vos procédures sont un peu rétrogrades et lourdes. Au lieu de passer par la procédure du Feuilleton tous les jours, ce qui est inscrit au Feuilleton, le comité organisateur des travaux, en fonction des suggestions formulées par les sénateurs, et en communication avec les comités — où se trouve le projet de loi, le moment auquel vous en ferez rapport — peut inscrire la date à laquelle se fera le débat en deuxième lecture. Le projet de loi est envoyé au comité une fois qu’il est présenté au Sénat. Le comité dit qu’il est prêt à en faire rapport la semaine prochaine et le comité organisateur des travaux peut prévoir le débat.

Quand il n’y a aucun projet de loi émanant du gouvernement, c’est le temps idéal pour prévoir les projets de loi émanant des députés. Il n’est pas nécessaire de faire les deux chaque jour. Vous pouvez réserver une journée pour le débat en deuxième lecture de tel ou tel projet de loi. Cette journée sera — nous avons terminé le débat en deuxième lecture, il a été adopté — nous étudierons les amendements présentés et nous l’adopterons en troisième lecture.

Il incombe au comité organisateur des travaux et non aux partis de prendre cette décision. Le comité organisateur des travaux peut compter des membres de partis. De fait, je l’espérerais dans la mesure où vous avez des partis politiques au Sénat, de même que des indépendants. Il devrait donc y avoir un mélange de façon à ce que vous puissiez discuter et vous assurer que tout le monde est traité équitablement en comité et au Sénat.

On a soulevé la question de savoir si vous auriez ou non des caucus régionaux. N’ayez pas de caucus régionaux au sens de caucus politiques. Par contre, ce que vous voudriez peut-être faire, parce que les divisions territoriales dans la Constitution ont été négligées depuis le tout début, ce qui amène certaines personnes à estimer peut-être que nous, dans une région précise du pays, ne sommes pas réellement représentés au Parlement. Nous n’avons pas suffisamment de sièges ou quoi que ce soit.

Le Sénat est conçu précisément pour équilibrer tout cela, c’est-à-dire que vous avez une représentation de chacune des quatre divisions du pays. Il s’agit d’un beau symbolisme.

Je vais vous lire un extrait de ce que le nouveau juge de la Cour suprême a dit, si vous me le permettez.

Un journal a cité le juge Malcolm Rowe, de Terre-Neuve-et-Labrador, lorsqu’il a été nommé juge de la Cour suprême. Certains d’entre vous se rappellent peut-être que l’on se demandait si le premier ministre allait ou non suivre la convention qui consiste à nommer quelqu’un de la région de l’Atlantique. Je félicite le Parti conservateur d’avoir insisté pour que cette convention soit suivie. Cette insistance a joué un rôle dans la prise d’une bonne décision.

Le juge Malcolm Rowe a dit ce qui suit:

Il est important de ne pas avoir d’angles morts, pour ce qui est du pays tout entier. Tous les membres de la Cour suprême du Canada doivent parler pour le pays. Si vous êtes du Québec, vous devez être attentif à la Colombie-Britannique. Si vous êtes des Prairies, vous devez être attentif au Nord… [Il] s’agit d’une entreprise commune, mais pour la réaliser de façon efficace, il est utile d’avoir des choix provenant de tout le pays afin de donner un sentiment de l’intégralité du pays et de ses éléments constitutifs.

Le professeur Watts, de l’Université Queen’s, dit qu’il y a deux aspects à une fédération. Premièrement, la division constitutionnelle des pouvoirs. Nous avons cela dans notre loi constitutionnelle.

Deuxièmement, toutes les parties du pays doivent se reconnaître dans les institutions partagées. Le Sénat peut jouer un très grand rôle ici, parce qu’il sera en mesure de dire et de démontrer, si vous faites certaines choses, que le Québec est assuré, pratiquement toujours, d’avoir le quart des sièges à la Chambre haute. Les provinces moins populeuses sont assurées d’avoir le quart. Malheureusement, dans le cas de Terre-Neuve, c’est un peu plus que le quart, parce que Terre-Neuve est arrivée sur le tard.

Ce symbolisme est puissant pour le pays, et c’est tout ce que devrait être la représentation régionale. Je vous suggérerais d’envisager la possibilité de siéger en tant que régions au Sénat, tout simplement pour le montrer visuellement à la population, mais vous prendrez cette décision. En passant, cela élimine également le problème d’attribuer des sièges, parce que si vous aviez des sièges régionaux, vous pourriez mettre les sénateurs de plus longue date à l’avant, les sénateurs plus récents à l’arrière, et il n’y aurait aucune querelle pour savoir où vous vous assoirez au Sénat. Ce serait automatique, mais c’est une tout autre question. Tout dépend du Sénat, s’il pense que ce symbolisme est important.

Si vous formez un comité organisateur des travaux, je vous suggérerais d’avoir une représentation de toutes les divisions territoriales ainsi que du Nord au sein de ce comité organisateur des travaux, tout simplement pour qu’aucun secteur ou groupe de sénateurs ne soit négligé dans l’affectation des tâches en comité.

Vous remarquez sans doute que je viens de parler d’affectation aux comités. Le Comité de sélection devrait être intégré à ce comité organisateur des travaux, parce qu’il sera très important de coordonner les comités en fonction de ce qui se passera à la Chambre; il vous faut donc un grand comité pour faire cela en tant qu’organisme dirigeant.

Vous avez trois documents constitutifs. J’ai probablement parlé trop longtemps. Vous avez trois documents constitutifs. Je vous propose d’avoir trois organismes dirigeants.

Le président: Très utile. Merci beaucoup.

Le sénateur Joyal: Merci, monsieur Levy, et merci, monsieur Hall, de votre créativité. J’essayais de suivre votre cheminement dans tous les changements qui devraient être apportés à la procédure des débats au Sénat, si nous étions pour suivre vos suggestions.

Un fait inéluctable est que vous avez un représentant du gouvernement au Sénat, c’est-à-dire quelqu’un qui est chargé de présenter les projets de loi émanant du gouvernement. Cette personne doit être présente pour pouvoir obtenir un résultat, à savoir que le Sénat, comme le prévoit la Constitution, donne son avis et son consentement aux mesures législatives, et le gouvernement s’attend raisonnablement à ce que son programme législatif soit mis en œuvre. Autrement dit, le Parlement aura le dernier mot.

Le rôle du représentant du gouvernement est essentiellement de s’assurer que les mesures législatives du gouvernement reçoivent l’attention qu’elles méritent au Sénat. Depuis l’arrivée du sénateur Harder, nous avons constaté que le gouvernement demande à un sénateur de son choix d’être informé par le ministère, de rencontrer la personne haut placée du ministère et de se faire expliquer une mesure législative très complexe et de la comprendre. Très peu de mesures législatives qui nous parviennent ne sont pas complexes, de par la nature même de leurs implications. Je n’ai nul besoin de donner des exemples. Qu’il s’agisse de médicaments, qu’il s’agisse de santé, de questions liées aux Autochtones, et j’en passe, les implications sont nombreuses. Individuellement, et je ne prétendrai certainement pas le contraire, les sénateurs ne possèdent pas la science infuse. Nous ne savons pas tout à un niveau d’expert. Heureusement. Notre tête exploserait. En désignant un sénateur, et ce sénateur en recevant une séance d’information du ministère, il ou elle dispose de tout le bagage du ministère pour l’aider à appuyer le projet de loi.

Je ne vois pas comment nous pourrions avoir un débat efficace au Sénat s’il n’existe pas une capacité compensatrice de prendre la proposition du gouvernement et de l’étudier aussi minutieusement que le gouvernement a la capacité de le faire. Autrement, vous donnez à la partie ministérielle l’accès global à toutes les ressources du gouvernement et vous laissez tous les autres sénateurs sans ressources, à part les leurs, pour contester la présentation du projet de loi par le gouvernement.

Je pense qu’il y a ici un déséquilibre qui, à mon avis, n’est pas propice à un débat sur la mesure législative et à une étude en profondeur de celle-ci, d’où l’opposition, c’est-à-dire un autre groupe de sénateurs qui ont accès aussi à des recherches, qui pourraient aussi commander leurs propres recherches et, dans une certaine mesure, être sur un pied d’égalité pour s’assurer qu’il existe un minimum de capacité au sein du groupe de sénateurs qui pensent qu’ils devraient s’opposer au projet de loi pour telle ou telle raison et qui veulent améliorer le projet de loi par des amendements ou qui veulent défaire le projet de loi, voir le projet de loi défait, ou voir le projet de loi maintenu pour d’autres initiatives prises par le gouvernement.

Il me semble donc que le gros bon sens du rapport, la force, entre la capacité de l’administration d’appuyer un sénateur pour comprendre et défendre un projet de loi demande, pour l’autre côté, une capacité similaire, comparable. Comme l’a dit M. Levy, le gouvernement est une question d’opposition. Comme je le dis toujours, le Parlement a la vigueur de son opposition dans la mesure où celle-ci peut contester le gouvernement, parce que cela est le rôle essentiel de la démocratie, les multiples points de vue en rapport à un projet de loi. Donc, je ne vois pas comment nous pourrions parvenir à une capacité aussi efficace pour contester le gouvernement relativement à ses propositions législatives si nous n’avons pas une forme d’opposition qui fait partie intégrante du système. Structurellement, cela existe.

Il pourrait s’agir de l’opposition officielle de la Chambre des communes ou du parti qui a la majorité des sièges. Nous pouvons en discuter. Par contre, je ne pense pas que nous puissions nous débarrasser de l’idée formelle d’équilibrer l’appareil gouvernemental derrière la mesure législative par opposition aux sénateurs individuels, et nous ne savons pas qui pourrait s’intéresser à ce projet de loi et serait prêt à s’investir autant que le gouvernement peut appuyer le projet de loi avec toutes les ressources de l’administration derrière ce sénateur.

Je vous le dis, je ne suis pas certain que nous puissions nous écarter de cette définition très structurelle de la façon de gérer les deux groupes, l’opposition par rapport à ceux qui appuient le projet de loi. Nous pouvons décider d’organiser l’opposition pour chaque projet de loi. Des sénateurs pourraient dire dès le début, « Je m’oppose à ce projet de loi ». Par contre, comme je le dis, nous ne nous déferions pas de l’idée que l’opposition doit être structurée et qu’elle ne doit pas naître pendant que nous étudions un projet de loi et que nous découvrons finalement que nous pourrions avoir des motifs de nous opposer à ce projet de loi. Je ne vois pas vraiment comment, compte tenu de la vitesse de l’étude des mesures législatives, du nombre de jours de séance, du nombre d’enjeux qu’il y a à couvrir, il pourrait y avoir un autre mécanisme aussi efficace que celui-là.

M. Hall: Vous venez de décrire à la perfection la Chambre des communes. Vous avez tout cela à la Chambre des communes. Vous avez la situation non consensuelle avec le gouvernement et l’opposition. Tout cela se fait à la Chambre des communes.

Donc, est-ce que le Sénat est censé être une mini-Chambre des communes, reproduire exactement tout ce que fait la Chambre des communes? Je ne pense pas qu’il s’agisse là de la meilleure façon de parvenir à ce que la Cour suprême a décrit comme étant la Chambre haute. Elle l’a décrite en tant que Chambre de révision, en tant que Chambre de réflexion, une Chambre qui n’est pas la rivale de la Chambre basse, une Chambre qui complète la Chambre basse. En réalité, le processus que j’ai décrit était censé vous donner une façon de répondre aux questions très graves que vous avez soulevées dans des réunions précédentes, à savoir comment se fait le travail si vous n’avez pas des partis pour le diriger?

Je vous répondrai que le travail se fait de deux façons: par le comité organisateur, qui coordonne les travaux sur le parquet du Sénat, et avec les comités mêmes. Le comité qui reçoit un projet de loi à étudier désigne tout de suite un rapporteur, qui a pour rôle de rencontrer le gouvernement, les fonctionnaires, pour leur dire: « Très bien, le comité doit entendre M. Untel et Mme Unetelle. » Le rapporteur est essentiellement responsable du projet de loi. Il n’a pas à le défendre ni à s’y opposer, mais il doit savoir de quoi il retourne et pouvoir l’expliquer et veiller à faire entendre les témoins appropriés, puis, lorsque le comité remet son rapport au Sénat, en parler au Sénat.

Si le projet de loi est très volumineux, le comité pourrait vouloir le diviser et désigner plus d’un rapporteur, car certains projets de loi sont trop compliqués pour un seul rapporteur. C’est le rapporteur qui joue ce rôle.

Un mot seulement au sujet des motions proposées. Il y a deux façons de faire les choses sur le parquet d’une assemblée législative: par l’adoption de motions qui deviennent des décrets ou par application du Règlement; et c’est la raison pour laquelle cela s’appelle le Règlement à la Chambre des communes parce que ce texte fixe ce qui peut être fait. Donc, nul besoin d’une motion: si c’est écrit dans le Règlement, c’est ce qui se passe.

Alors, lorsqu’un projet de loi arrive, le Règlement devrait préciser qu’il est annoncé par le président, qu’il est lu pour la première fois par le greffier, puis qu’il est déféré au comité compétent désigné par le président ou désigné par le comité organisateur.

Le président: Je ne voudrais pas vous interrompre, mais vous voyez l’horloge au mur. J’ai une très longue liste ici, et j’aimerais terminer pour 13 h 30, car je voudrais une réunion à huis clos.

Monsieur Levy, voudriez-vous répondre, brièvement?

M. Levy: Ma foi, Thomas a avancé plusieurs excellents points, tout comme le sénateur Joyal. Je ne suis pas sûr de pouvoir commenter chacun d’entre eux en peu de temps. Je remarque que Meg Russell a été l’un de vos témoins de la Chambre haute. Elle a dit qu’il n’y a pas un seul exemple de Chambre haute qui soit purement non partisane. Voilà de quoi me faire réfléchir.

Thomas a aussi mentionné la possibilité de créer une culture politique consensuelle, mais les assemblées législatives reflètent la culture politique canadienne. Je ne suis pas sûr que nous ayons une culture politique consensuelle. Les deux parlements qui ont une assemblée non partisane, ceux du Nunavut et des Territoires du Nord-Ouest, en ont peut-être une. Je ne suis donc pas convaincu que le modèle du Sénat et d’une chambre représentant notre culture de confrontation — une approche consensuelle — fonctionnerait nécessairement.

M. Hall: Puis-je intervenir? Il a dit qu’il n’est pas sûr qu’il existe une autre institution où l’on voit le genre de situation que j’ai décrite. Pas une autre chambre haute au monde n’est exactement comme notre Sénat actuel.

La sénatrice McCoy: Je serai aussi brève que possible. Je sais qu’il y a pas mal de personnes qui ont des questions à poser. D’abord, comment ce comité organisateur serait-il établi?

M. Hall: Je pense qu’il devrait être élu sur le parquet du Sénat.

La sénatrice McCoy: Tous les sénateurs seraient inscrits sur un bulletin secret ou quelque chose du genre? Avec une disposition?

M. Hall: Vous devrez décider si vous voulez un scrutin secret ou ouvert. Il appartiendrait à l’ensemble des sénateurs de décider qui coordonnera leurs travaux.

La sénatrice McCoy: Et avec une disposition exigeant au moins une personne par division. Nous pourrions aller un peu plus loin parce que le Nord n’est pas vraiment une division sénatoriale. Nous pourrions vouloir une voix du Nord là également.

Monsieur le sénateur Joyal, comme toujours, vous avez l’esprit pratique, en plus de certaines convictions profondes. Mais l’esprit pratique a autant de ressources à proposer qu’il pourrait y en avoir pour examiner la proposition. Je dirai « examiner » la proposition plutôt que « s’opposer » à la proposition.

J’aimerais voir certains d’entre nous prendre le parti d’examiner chaque proposition dont nous sommes saisis. Je ferai valoir que, au point où en sont les choses, nous avons les membres du groupe des sénateurs indépendants qui ont parrainé des projets de loi et qui nous ont dit dans leur breffage: « Je dois vous dire que, lorsque le gouvernement est venu me voir, les fonctionnaires ne m’ont pas donné toute l’information. Ils n’ont pas répondu à toutes mes questions. J’ai dû chercher et trouver moi-même les réponses à mes questions. »

J’ai demandé récemment une note d’information du G3 sur un de ses projets de loi. En réponse, j’ai reçu un aide-mémoire qui aurait été digne d’un porte-parole du Bureau du premier ministre d’il y a cinq ans. Ce n’est pas ce que je trouve utile. Ce n’est pas le comité organisateur. À ce stade-ci, ce serait, me semble-t-il, donner assez d’argent à chaque comité pour qu’il puisse compter sur les ressources dont il a besoin, et exploiter toute cette recherche et examiner les ressources pour faire un bon examen d’une proposition. Vous êtes d’accord?

M. Hall: Oui, je serais d’accord là-dessus. De fait, l’argent aujourd’hui consacré aux caucus, selon moi, devrait être réacheminé aux comités, pour que le travail, l’information que vos secrétariats réunissent soient partagés par tous les sénateurs; alors, vous auriez vraiment un secrétariat central qui partagerait son information, rassemblerait de l’information, à la fois pour les comités et pour les sénateurs individuels. Vous sauriez que tout le monde a toute l’information possible, et non pas une certaine information d’un parti politique et une autre information d’un autre parti politique, et que cette information est recueillie par le groupe des sénateurs indépendants. Mettons nos ressources en commun, et peut-être arriverions-nous du même coup à économiser un peu d’argent.

La sénatrice McCoy: Très bien. Merci. Je n’irai pas plus loin parce qu’il y a tellement d’autres intervenants.

Le sénateur McIntyre: Merci de vos exposés, que j’ai trouvés assez éclairants.

J’ai pris note de vos recommandations particulières, que vous voulez soumettre au Sénat, et je vous en remercie.

En octobre dernier, le comité a déposé un rapport sur la modernisation du Sénat. Ce rapport contenait 21 recommandations. Partant de là, et dans l’optique du mandat de notre comité de façon plus générale, avez-vous des commentaires sur les recommandations que notre comité a déjà faites?

M. Hall: Non, je crois que vous avez proposé une période de questions peut-être deux fois par semaine. J’aurais cru qu’une fois — exceptionnellement deux — par semaine serait suffisant. Selon moi, votre idée d’appeler les ministres et les agents du Parlement est excellente. Vous pourriez même l’appliquer à d’autres.

À Québec, j’ai remarqué un processus — j’ignore s’il existe toujours — où, certains vendredis pendant la session, un comité donné siégeait à la chambre et mettait sur la sellette son ministre responsable. Essentiellement, c’est ce que vous faites aujourd’hui sur le parquet du Sénat. L’exercice m’a paru très productif à Québec. Je suis heureux de voir que le Sénat a adopté la pratique. C’est une excellente innovation.

Le président trouve que je parle trop. Mais si je peux me permettre, il y a deux autres choses que le Sénat pourrait faire, à mon sens, pour accroître son rôle. Vous siégez très longtemps, au contraire des députés. Vous acquérez une expertise et un savoir. Le sénateur Joyal a dit que vous ne savez pas tout, mais que vous apprenez une quantité incalculable de choses pendant votre séjour au Sénat.

Les députés ont rarement la même occasion. Ils s’intéressent — je le sais pour avoir travaillé très longtemps à la Chambre des communes — aux électeurs de leur circonscription, à leur parti, et à ceci, cela et d’autres choses encore. Ils ne sont pas toujours dans le même comité. Le whip les remplace constamment.

Vous devriez peut-être songer à faire ce qu’ils ne font pas, c’est-à-dire à scruter plus minutieusement l’administration gouvernementale, plutôt que de vous contenter d’appeler les ministres. Je pense que les sénateurs pourraient faire un excellent travail de coordination avec le vérificateur général et suivre l’administration de plus près que ne le font les députés, qui ne sont pas particulièrement bons pour cela.

L’autre point — qui va dans le même sens — est que vous avez un comité mixte qui se penche sur la législation déléguée, c’est-à-dire les textes réglementaires. Transformez ce comité mixte en simple comité du Sénat. Je pense que les sénateurs feraient un meilleur boulot, pour parler franchement. C’est beaucoup de travail, et c’est du travail productif, parce que la Chambre des communes oublie la réglementation gouvernementale, sauf pour les quelques députés qui siègent à ce comité mixte. Les députés s’y intéressent rarement pour la peine, selon moi. Derek Lee a probablement été le dernier à s’y intéresser. Ce sont là deux suggestions.

M. Levy: Essentiellement, j’ai aimé toutes les recommandations de votre rapport. J’ai mentionné la question des projets de loi omnibus. J’ai eu un léger désaccord sur ce point, estimant qu’il revenait peut-être au président de trancher.

De toute façon, si cela m’apparaît si important, c’est que j’ai, essentiellement, perdu confiance en la capacité de la Chambre des communes de traiter des projets de loi omnibus. Dans la dernière législature, nous avons eu un projet de loi budgétaire omnibus qui a changé le processus des nominations à la Cour suprême, jusqu’à ce que la cour finisse par l’invalider. Si la Chambre des communes ne peut bloquer un projet de loi omnibus comme celui-là, quelqu’un d’autre, comme le Sénat, devrait le faire à sa place. Si vous scindiez un projet de loi ou deux, je pense que le message serait vite compris.

Sauf erreur, il n’y a pas eu de recommandation sur l’emploi du temps. Il vaudrait peut-être la peine de se pencher là-dessus. L’enjeu intéresse davantage la Chambre des communes, mais je pense qu’un comité des travaux assujetti à une règle précise sur le temps à consacrer à différents projets de loi aurait sa place. Le Royaume-Uni a pris cette orientation à la Chambre des communes. Je voudrais que notre Chambre des communes emboîte le pas, mais il doit y avoir une meilleure façon de répartir votre temps. Vous pourriez peut-être voir cela plus tard.

Le président: Cette partie-là s’en vient.

Le sénateur Eggleton: Merci beaucoup à vous deux de votre présence et de vos idées. Vous nous avez donné de bonnes idées, l’un comme l’autre. Je voudrais particulièrement relever votre propos, monsieur Hall, sur l’essence du système de Westminster; il s’agit de la Chambre basse. C’est le système de confrontation, la structure de confiance, l’exécutif dans le cadre de la Chambre basse. Les chambres hautes dans le système de Westminster sont toutes différentes. Nous sommes différents. Le Royaume-Uni est différent. Ils sont tous différents, et se prêtent effectivement à ce que chaque pays veut comme Chambre haute; je pense donc que nous avons un système de Westminster, mais avec une Chambre haute de conception différente.

Je voudrais parler de la partisanerie: elle joue un grand rôle. Les nominations engagent les personnes à être moins partisanes et plus indépendantes. La partisanerie est généralement — et la majeure partie du public de même — associée aux partis politiques traditionnels. De fait, il est indiqué dans le Règlement ou dans une loi quelconque, je ne me souviens plus très bien, que pour être caucus de parti, il faut être membre d’un parti politique enregistré auprès d’Élections Canada. Eh bien, il n’y a que les conservateurs, les néo-démocrates, les libéraux et peut-être quelques autres; ce sont les partis politiques traditionnels.

Pourquoi n’aurions-nous pas des groupements partisans distincts chez nous? Des gens qui se regrouperaient en fonction de leurs convictions communes, de leurs valeurs; certaines personnes partagent à bien des égards la même optique, et elles pourraient former un groupe. Vous pourriez considérer cela comme de la partisanerie, mais cela ne fait pas partie de la structure de partis politiques.

De fait, faire partie de la structure traditionnelle de partis politiques va à l’encontre de l’intention des Pères de la Confédération. Ils voulaient une chambre indépendante. Eh bien, je peux vous dire, pour avoir fait partie d’un caucus pendant de nombreuses années, que ce soit comme sénateur ou comme député, qu’on n’est pas très indépendant comme membre de ce caucus national. Ce n’est que du battage en faveur d’une approche d’équipe, constamment. Pour moi, cela est inconciliable avec l’indépendance.

Si, pour vous, il n’y a rien à redire à la partisanerie et si nous voulons être inspirés par les Pères de la Confédération en matière d’indépendance — et, bien sûr, c’est ce que la Cour suprême a dit également —, alors pourquoi ne pas avoir des groupements partisans distincts en fonction de valeurs et de convictions communes? Qu’en pensez-vous?

Puis-je mentionner une autre chose? À cet égard, toute l’idée de veiller à soumettre des projets de loi aux commentaires et à l’examen critiques peut vivre sans structure de partis politiques. Elle n’a pas vraiment besoin d’une structure de groupements partisans; en effet — et j’en déjà parlé à mes collègues —, le sixième gouvernement en importance au Canada n’a pas de structure de partis politiques. Il est plus grand que celui de la moitié des provinces. Je veux parler du conseil municipal de Toronto. Je peux vous dire que, bien qu’il n’ait pas de structure de partis politiques, lorsque j’étais maire de Toronto, je ne manquais pas de critiques, je ne manquais pas de gens qui disaient: « Il y a un maire et tous les autres pensent pouvoir faire mieux que lui. »

Le sénateur Tkachuk: C’est une ville très bien dirigée. Une grande ville.

Le sénateur Eggleton: Elle est aussi bien dirigée que n’importe quel gouvernement au Canada.

M. Levy: Ce que vous dites, et ce que Thomas disait, est tout à fait possible en théorie, mais il y a une certaine réalité à ne pas oublier. Nous devons dire également que le Sénat fonctionne très bien, mais c’est aussi à un moment très particulier. C’est le début d’une nouvelle législature, et la situation est que ni l’un ni l’autre des principaux partis d’opposition à la Chambre des communes n’a de chef permanent. Nous vivons une période pour dire le moins inusitée.

Lorsque ces partis auront un chef, on verra une plus grande partisanerie à la Chambre des communes, surtout à l’approche des élections. Cela débordera au Sénat. J’ai vécu assez longtemps et vu assez de choses pour savoir que c’est ce qui arrivera.

Le Sénat a une opposition établie qui va s’opposer, et nous n’avons pas de conventions, comme à la Chambre des lords, obligeant à traiter les affaires du gouvernement en une soixantaine de jours. On pourrait donc avoir de l’obstruction et beaucoup de retard. Puis les sénateurs non partisans, les sénateurs sans affiliation, devront prendre une décision. Vont-ils ou non appuyer le gouvernement vote après vote et adopter les projets de loi? Et s’ils les adoptent, alors quelqu’un demandera pourquoi ils ne font pas réellement partie du caucus du gouvernement puisqu’ils aident à faire adopter ses projets de loi. Ce grand spectacle tend à effriter la crédibilité de l’institution comme on ne le verrait pas s’ils étaient dans un parti. Voilà la voie dans laquelle nous sommes engagés.

Je conviens avec vous et avec Thomas que cela pourrait fonctionner autrement en théorie, mais je ne pense pas que cela fonctionnerait dans la réalité.

Le sénateur Tkachuk: J’ai quelques questions pour M. Hall. Merci à vous deux. Ce fut un plaisir de vous revoir, monsieur Levy.

Notre comité a discuté de cette question de non-partisanerie et de partisanerie en long et en large. Les partis politiques font-ils de vous un partisan ou sont-ils le véhicule qui attire les personnes animées de certaines convictions? Question de partisanerie, de quoi parlez-vous au juste — du système de croyances des gens? Si j’adhère à un parti politique, je deviens partisan; avant d’y adhérer, je ne suis pas partisan, même si je suis conservateur?

M. Hall: Je n’ai utilisé l’expression « non partisan » que dans le contexte des nominations faites par le premier ministre. Sauf erreur, cela signifie que ces gens-là ne sont membres d’aucun parti politique et qu’ils ne sont pas envoyés siéger au Sénat comme membres d’un parti.

Le sénateur Tkachuk: Sont-ils pour autant non partisans? Mon point de vue, qui est naturellement partisan, est qu’ils sont tous à gauche du centre. Quelle est donc la différence? Pourquoi ne se joindraient-ils pas aux libéraux et ne diraient-ils pas ce qu’ils sont, ou aux néo-démocrates ou aux communistes, ou quoi d’autre encore?

M. Hall: Il pourrait nommer des personnes qui sont à gauche du centre, car il y a déjà plusieurs conservateurs ici.

Le sénateur Tkachuk: Exactement. Donc, nous aurons un Sénat partisan, parce que c’est ce que nous sommes. Nous sommes partisans. Le premier ministre actuel nomme tous ces gens-là, qui ne sont pas conservateurs. Je sais qu’ils ne sont pas conservateurs.

M. Hall: La majorité des Canadiens n’appartiennent pas à un parti politique, et je pense que le fait qu’il nomme des personnes qui n’appartiennent pas à un parti politique est l’occasion de reconnaître que la majorité des Canadiens n’entretiennent pas cet esprit de confrontation. Ce n’est pas comme aux États-Unis, où la population est divisée en républicains et démocrates, jusqu’au niveau des conseils scolaires et des conseils municipaux. C’est incroyable là-bas. Mais, ici, cela n’existe pas.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce une bonne ou une mauvaise chose? Au conseil municipal de Saskatoon, par exemple, il n’y a pas de partis politiques, mais je sais pertinemment qui est de gauche et qui est de droite, tout le monde en ville le sait. La seule différence, c’est que les gens ne dépensent pas l’argent pour acheter une carte de membre et participer au processus.

Lorsque vous parlez d’esprit non partisan ou lorsque les médias en parlent, vous évoquez une situation qui n’existe pas. Tout le monde a un cerveau pour penser et tout le monde est partisan. Si vous voulez un Sénat vraiment non partisan ou impartial, voici ce que vous devez faire. Nommez un sénateur de gauche et un sénateur de droite et veillez à ce qu’ils soient égaux. Lancez ensuite un débat sur un projet de loi. Vous aurez ainsi un Sénat non partisan, c’est la seule façon d’y arriver. Un Sénat non partisan, ça n’existe pas.

M. Hall: C’est une façon de voir les choses.

Le sénateur Tkachuk: C’est la seule. Si 80 p. 100 des sénateurs sont de gauche, vous avez alors un Sénat de gauche. Il n’y a pas de débat d’opinion possible. Il n’y a qu’un seul point de vue. Dans quelques années, vous verrez comment se passera le vote au Sénat. Tout le monde votera de la même manière.

M. Hall: Je suis heureux d’entendre cela, parce que c’est justement sur ce point que je suis en désaccord avec le professeur Levy. Ne vous fiez pas à l’issue du vote ici pour dire si une personne vote du côté du gouvernement. Il est normal que le Sénat approuve la plupart des projets de loi du gouvernement, et non le contraire. Vous n’êtes pas censés rivaliser avec la Chambre des communes.

Si vous étiez en rivalité avec la Chambre des communes, vous rejetteriez les projets de loi qui en émanent. Il est rare que le Sénat rejette un projet de loi; en revanche, il est beaucoup plus fréquent qu’il propose des amendements. Vous devez surtout consacrer votre temps à l’étude du projet de loi pour voir s’il est acceptable. Si rien ne cloche et que vous n’avez aucun amendement à proposer, adoptez-le. Cela ne veut pas dire que vous êtes du côté du gouvernement; cela veut simplement dire vous faites votre travail de sénateurs.

Le travail du Sénat consiste à étudier un projet de loi en détail. Au terme de votre examen, vous devez l’approuver ou proposer des amendements. Cela ne veut pas dire que vous votez pour le gouvernement. Vous n’avez aucune raison de rejeter les projets de loi.

Le sénateur Tkachuk: Monsieur, c’est dans notre culture. Au Sénat, du moins dans celui dont je fais partie, nous sommes très prudents avant de rejeter un projet de loi émanant du gouvernement. Depuis que je suis dans l’opposition, c’est arrivé une seule fois. C’est tout.

Savez-vous qu’en juin dernier, le budget a été adopté en comité alors que les conservateurs étaient majoritaires? Oui, les conservateurs étaient majoritaires. Tous les autres sénateurs étaient partis. Nous étions les seuls encore en ville et nous avons approuvé le budget parce qu’il n’y avait personne pour faire notre travail.

C’est une question de culture, monsieur. C’est ainsi que le Sénat fonctionne maintenant et depuis toujours. Si vous faites votre travail et regardez comment le Sénat fonctionne, vous verrez que c’est vrai. Nous prenons notre rôle très au sérieux parce que nous n’oublions pas que des gens se sont battus pour avoir une Chambre des communes élue et indépendante du roi. Cela est important pour nous et nous comprenons cela.

M. Hall: Dans l’histoire du Sénat, on raconte également que lorsqu’il était au pouvoir, Brian Mulroney a vu ses projets de loi bloqués au Sénat. Cela fait également partie de l’histoire…

Le sénateur Tkachuk: Je parle de la culture des conservateurs et non de celle des libéraux.

Le président: Je vous en prie, notre temps est limité.

M. Hall: Ce que je veux dire, c’est qu’il y a eu de déplorables abus dans le passé.

Le sénateur Tkachuk: Je suis d’accord.

M. Hall: Et en mettant fin à cette culture, nous éviterons peut-être les abus à l’avenir.

Le sénateur Dean: Je remercie nos témoins experts pour leurs exposés percutants. Comme nous en sommes à la dernière question, je devrais probablement vous révéler que j’ai un diplôme en sociologie.

Monsieur Hall, j’aime l’idée que le Sénat soit un lieu de délibération. Vous avez soulevé deux points très importants. Le premier est l’importance de réduire l’emprise exercée par les partis sur la Chambre haute. Vous avez également dit que chaque vote doit être un vote libre. Voilà qui est conforme à ce que suggérait la Cour suprême dans son renvoi de 2014 en évoquant un Sénat plus indépendant et moins partisan. Cette idée est également compatible avec l’orientation que nous a donnée le premier ministre et sa nouvelle politique en matière de nomination.

Quels que soient le modèle et les mécanismes que nous choisirons, qu’il y ait un comité organisateur ou un caucus, ou une opposition officielle ou non officielle, ne devrions-nous pas appliquer un principe qui permettrait aux sénateurs, dans le cadre de cette assemblée plus délibérative, de défendre des points de vue et de voter à l’abri de toute influence, coercition, sanction ou autre action susceptible de les faire dévier de leurs inclinaisons intellectuelles et naturelles, une fois qu’ils auront entendu les différents témoignages sur un enjeu particulier? Quel que soit le modèle que nous adopterons, n’est-ce pas là un principe qui devrait être au cœur d’une assemblée plus délibérative, plus indépendante et moins partisane?

M. Hall: Oui, je suis d’accord. Je dois toutefois préciser que l’idée de rendre cette assemblée plus délibérative n’est pas de mon cru. Je l’ai empruntée à un professeur britannique, M. John Parkinson, qui a publié un article intéressant sur la démocratie délibérative et la façon de l’adapter à la Chambre des lords afin qu’elle devienne un complément de celle-ci. La démocratie délibérative est une autre manière d’exercer la démocratie, sans qu’il soit nécessaire de voter. C’est l’expression utilisée par les scientifiques politiques. Gary en sait probablement davantage que moi à ce sujet.

En gros, l’idée consiste à remplacer le système majoritaire. Vous avez tous assisté à des débats à la Chambre des communes; vous savez d’avance ce que dira le gouvernement et ce que diront les partis de l’opposition. Qui gagne? C’est le parti qui détient le plus de sièges. C’est ce qu’on entend par système majoritaire. C’est un régime à la fois contradictoire et majoritaire.

Au Sénat, votre rôle est d’analyser les témoignages. Que vous disent-ils? Vous avez entendu différents témoins et vous apportez également votre propre point de vue.

Le sénateur Tkachuk a raison de dire que vous souhaitez avoir une diversité de points de vue au Sénat. Vous ne voulez pas que tous les sénateurs pensent de la même façon. Ils ne feraient alors qu’approuver automatiquement. Vous voulez que les faits soient analysés d’abord en comité, ensuite dans la salle du Sénat. En tant que sénateurs, vous êtes cependant libres d’analyser ces faits et d’y réagir, sans ligne ni règles de parti. Vous n’essayez pas de tirer un quelconque avantage de nature partisane, vous voulez simplement analyser les faits comme vous pensez que cela doit être fait.

Le sénateur Mercer: Sénateur Tkachuk, vous m’avez presque gagné à vos arguments, sauf pour ce qui est du dernier. La remarque que nous venons d’entendre est intéressante.

J’aurais beaucoup de choses à dire, mais je me contenterai de reprendre l’argument que j’ai déjà avancé en comité. Monsieur Levy, dans votre allocution d’ouverture, vous avez glissé un mot sur l’élection du Président du Sénat, sans toutefois exprimer votre opinion à ce sujet. J’aimerais savoir ce que vous en pensez. Monsieur Hall, vous pouvez également donner votre avis.

M. Levy: J’ai changé d’avis au sujet du rôle du Président. Auparavant, je croyais que ce n’était pas une bonne idée qu’il soit élu, mais comme vous voulez repenser le rôle du Sénat, c’est le moment de réfléchir à la fonction de Président. Je pense qu’il serait préférable que le Président soit élu en raison de tous les changements qui s’en viennent. La légitimité du Président doit être solide.

Dans le cadre de vos délibérations, j’ai entendu au moins trois personnes exprimer des points de vue divergents quant aux changements qui devraient être apportés. J’ai ma propre opinion à ce sujet, mais comme je ne suis pas avocat, je préfère me ranger à leur avis. Il existe également une manière non juridique de procéder et nous en avons déjà parlé. C’est une bonne idée et le moment est bien choisi pour la mettre en œuvre.

Comme je viens de le dire, je croyais que le Président, en tant que personne nommée par le gouvernement, pourrait… En fait, comme Thomas l’a plus ou moins laissé entendre dans son exposé, cette personne pourrait être le représentant du gouvernement. Ce serait là une approche tout à fait différente.

Aux États-Unis, le Président du Sénat est le chef du parti majoritaire, mais je ne pense pas que nous souhaitions aller dans cette direction. Nous voulons plutôt avoir un Président puissant et impartial. C’est pourquoi je pense qu’il devrait être élu.

[Français]

La sénatrice Dupuis: Je remercie nos deux témoins de nous aider à réfléchir sur ce que le comité du Sénat a appelé la modernisation du Sénat, soit des attentes par rapport à des changements majeurs dans le mode de nomination au Sénat et dans le fondement et le fonctionnement du Sénat.

De la même manière qu’être membre d’un parti politique ne disqualifie personne au Sénat, ne pas être membre d’un parti ne disqualifie personne non plus. Depuis plusieurs mois, nous entendons des commentaires désobligeants à propos des nouveaux sénateurs indépendants, et ce qui semble les disqualifier, c’est le fait qu’ils ne soient pas membres d’un parti politique.

Voici la question que j'ai à vous poser, monsieur Hall. Vous avez parlé d’opposition et je suis sensible aux arguments du sénateur Joyal sur la nécessité pour le Sénat de jouer un rôle critique face aux projets de loi qui lui sont présentés par la Chambre des communes. La première de mes deux questions est la suivante: est-ce que, quelque part, il est fait mention que l’opposition ou la critique de projets de loi doit forcément passer par l’opposition officielle, c’est-à-dire par le parti qui a le statut d’opposition officielle à la Chambre des communes? Peut-on imaginer que l’opposition, dans son rôle de critique des projets de loi présentés par le gouvernement, peut s’exercer d'une autre façon que ce qui a été jusqu’ici réservé au parti qui joue le rôle d’opposition officielle à la Chambre des communes? Qu’est-ce qui empêcherait que, dans la situation actuelle, ce soit le NPD qui joue ce rôle d’opposition officielle au Sénat?

M. Hall: Je suis tout à fait d’accord avec ce que vous dites. il n’est pas nécessaire qu’un seul parti joue le rôle d’opposition officielle. Ce n’est pas une pièce de théâtre, où tel personnage doit s’opposer à tel projet de loi et tel personnage doit défendre tel projet de loi. Il appartient à chaque sénateur de décider s’il s’oppose à un projet de loi ou s’il l'appuie. Vous avez tous ce rôle critique à jouer qui consiste à examiner les projets de loi émanant de la Chambre des communes. Ce rôle n’est pas strictement réservé à un groupe de sénateurs désignés comme faisant partie de l’opposition officielle.

C’est ce qui se passe actuellement à la Chambre des communes, mais il n’est pas nécessaire de reproduire ce même modèle au Sénat. Vous avez la liberté de critiquer les projets de loi présentés par le gouvernement.

La sénatrice Dupuis: Monsieur Hall, dans le processus que vous avez imaginé et que vous nous soumettez aujourd’hui, avez-vous examiné la possibilité que le rôle qu’a le ministre de justifier le projet de loi au Sénat puisse se faire devant l’ensemble des sénateurs de sorte que chacun ait l’occasion de comprendre les tenants et les aboutissants d’un projet de loi, au lieu qu'il soit renvoyé à un comité? Si j’ai bien compris votre processus, cette rencontre se déroulerait dans le cadre d'une réunion de comité. Avez-vous imaginé un autre scénario où cette discussion avec le ministre aurait plutôt lieu à la Chambre du Sénat?

M. Hall: Oui. Si on intègre cette idée dans ce que j’ai déjà proposé, on pourrait le faire au Sénat. À la suite du dépôt du rapport du comité, les sénateurs pourraient demander d’entendre le ministre.

Le sénateur Forest: Selon moi, il est clair qu’avant la fameuse période de nomination de la grande cohorte de sénateurs indépendants, vous avez décidé de créer le Comité sur la modernisation. Un constat a été exprimé à ce moment-là, car il devenait nécessaire de réfléchir à l’actualisation du Sénat afin de l’arrimer aux valeurs et à la réalité du Canada d’aujourd’hui. Cela devait se faire dans un contexte où le lien de confiance des Canadiens et des Canadiennes envers l’institution avait peut-être été fragilisé.

Pour compléter la réflexion fort pertinente du sénateur Tkachuk, je dirais qu’être partisan, c’est avoir des valeurs et des croyances qui guident les décisions à prendre. J’espère qu’au Sénat nous sommes tous partisans, parce que sans valeurs ni convictions, je me demande sur quoi on s’appuierait pour prendre des décisions. Ce qui vient un peu contaminer la dynamique de notre vénérable institution, c’est l’esprit partisan, mais ce n’est pas être partisan que de croire à des valeurs.

J’ai deux brèves questions à vous poser, monsieur Hall. Lorsqu’on veut remettre en question une institution, il faut se reporter à sa mission première. On a plusieurs textes et plusieurs réflexions, particulièrement le renvoi de la Cour suprême en 2014 selon lequel le Sénat existe pour effectuer un deuxième examen non partisan, pour représenter l’intérêt des régions, des minorités et des groupes sous-représentés et pour bonifier les lois dans l’optique de refléter ces réalités. Lorsque j'examine la génétique même de l’institution, à mon avis, l’esprit non partisan devient un élément fort important.

Concernant la période des questions et la façon dont elle se déroule actuellement, quel en est l’objectif? Est-ce d’éclairer le Sénat sur les projets de loi qui sont à l’étude ou est-ce de mettre en lumière ou d’exacerber le fait que des promesses qui n’ont pas été tenues?

Quel est notre objectif en tant qu’institution? Quelle plus-value la période des questions apporte-t-elle à notre mission d'améliorer les projets de loi à l’étude? En termes de « questionnement », c’est la manifestation d’un esprit partisan qui n’est pas sain au sein de l'institution. C’est ma perception personnelle, et peut-être me convaincrez-vous d’autre chose.

Dans nos discussions au sujet de la période des questions, la sénatrice McCoy a dit qu’il n’était pas évident d’aller chercher de l’information. Je salue la pertinence des travaux que nous effectuons au sein des comités, mais on ne peut pas siéger à tous les comités.

Je passe tout mon temps en comité. Je ne sais pas pourquoi j’ai un bureau, puisque je siège toujours à des comités. Au-delà de cela, en ce qui concerne les autres questions qui sont traitées par les autres comités, est-ce que la période des questions ne pourrait pas servir justement à donner à tout le moins un éclairage à tous les sénateurs?

Aujourd’hui, même si je fais partie d’un groupe indépendant, on ne m'obligera jamais à voter d’une façon quelconque. Je ne suis pas ici pour cela. Je veux me faire une tête en fonction de mes connaissances, de mes valeurs et de mes convictions. Je veux prendre une décision dans le meilleur intérêt de ceux et celles que j’espère pouvoir représenter en n’étant pas élu, mais avec mon expérience et mon vécu.

Quant à la période des questions, je pense qu’il y aurait lieu d'y réfléchir pour qu’elle soit plus pertinente et plus efficace pour l’ensemble des membres du Sénat.

Je passe maintenant à ma deuxième question. On a énormément modifié la dynamique de l’organisation des débats. Auparavant, c’était le leader du gouvernement au Sénat qui était en Chambre. Maintenant, il y a une équipe de représentants du gouvernement. Je suis d’accord avec le sénateur Joyal: il faut une coordination entre le programme législatif du gouvernement et les priorités de l’ensemble des membres du Sénat, soit par l'intermédiaire des projets de loi d'intérêt privé ou de nos travaux en comité. Ne pourrait-il pas y avoir un modèle, tel celui des représentants du gouvernement, où des représentants du Sénat, avec une équipe assez réduite, pourraient assurer une coordination entre l’ensemble des sénateurs, que ce soit par groupe, affinités, caucus ou autre, avec comme fonction de coordonner nos travaux pour que nous puissions être plus efficaces? Nous avons une responsabilité envers les Canadiens et Canadiennes. Nous ne sommes pas là pour faire reporter les dossiers, mais bien pour les faire avancer. Il faut une coordination quelque part. Comment coordonner nos travaux plus efficacement? Les séances du Sénat seront bientôt télévisées. Il faut réfléchir à la façon dont nous pourrions être plus efficaces.

[Traduction]

M. Levy: Vous avez soulevé beaucoup de questions concernant l’esprit partisan. Pour revenir à mon exposé, je vous répète clairement que les sénateurs ne devraient pas faire partie d’un caucus national. Je n’irais pas jusque-là. Je ne crois pas qu’ils doivent voter selon une ligne de parti. Je pense d’ailleurs qu’aucun parti ne l’impose aujourd’hui.

Je suis un peu en désaccord avec le sénateur Tkachuk en ce sens que je ne crois pas que tous les sénateurs soient rattachés à l’un ou l’autre des deux ou trois principaux partis. Il y a place pour un certain degré d’indépendance. Certains sénateurs ne se sentent pas à l’aise ni à leur place au sein d’un parti. Il devrait y avoir une place au Sénat pour eux, comme c’est le cas au Royaume-Uni pour un petit groupe d’indépendants. Je vais m’en tenir à cette réponse.

La sénatrice Lankin: J’ai quelques commentaires à faire et une question à poser. J’espère vraiment que nous aurons l’occasion de débattre ces idées ensemble et de les approfondir. La question du lien partisan ou de l’esprit partisan est vraiment intéressante; il faut décortiquer ces termes, comprendre leur signification et connaître les arguments pour et contre. Nous pourrions revenir à cette discussion à un autre moment.

Le président: À huis clos.

La sénatrice Lankin: Oui.

Aux fins du compte rendu, j’aimerais vous faire remarquer, sénateur Tkachuk, que lorsque vous avez parlé du vote de juin dernier sur le budget, vous avez fait une erreur en disant qu’il ne restait plus que des conservateurs dans la salle et que tous les autres sénateurs étaient déjà partis. Je peux vous assurer que j’étais présente de même que certains de nos collègues. Nous n’avons cependant pas été autorisés à voter parce que le caucus conservateur n’avait pas approuvé la motion visant à nous autoriser à être membres des comités, mais nous étions là. Je voulais simplement apporter cette correction au compte rendu.

Le sénateur Tkachuk: Vous faites erreur, mais…

La sénatrice Lankin: Je prends bonne note du scénario que vous avez décrit, monsieur Levy, selon lequel un parti d’opposition pourrait voter contre un projet de loi du gouvernement et tous les indépendants pourraient se sentir contraints de voter pour, à cause du rôle du Sénat en matière de vote d’opposition, de conformité constitutionnelle et d’autres facteurs.

C’est vrai; en fait, c’est déjà arrivé. Le sénateur Tkachuk a parlé de la culture de ce lieu qui a permis, par exemple, à des conservateurs de l’opposition de voter pour une mesure législative ou un budget émanant du gouvernement, tout en exprimant des critiques, par respect de cette convention quant à notre rôle. C’est ce qui se passait jusqu’à l’arrivée des sénateurs indépendants qui ne se sentent pas obligés de perpétuer cette convention et qui votent maintenant souvent contre; ce sont désormais les indépendants qui déterminent quel est notre rôle au Sénat et si nous devons voter pour et contre un projet de loi. Ils prétendent ensuite que ces votes sont le signe manifeste d’un manque d’indépendance. À mes yeux, il s’agit plutôt d’une manifestation de partisanerie et non des valeurs partisanes que nous devons faire valoir et explorer au cours d’un débat.

Il est primordial de parler des services d’information et de recherche qui nous sont offerts ainsi que de la manière dont nous étudions les projets de loi en nous appuyant sur une base critique de faits probants. Tout changement qui nous permettra de faire notre travail de manière plus approfondie et d’analyser un enjeu sous toutes ces facettes, sans devoir confier ce travail à l’équipe de recherche d’un caucus, est primordial pour nous.

Veuillez me pardonner si je me répète, mais il y a quelques années, j’ai eu l’occasion d’inviter un sous-ministre adjoint du Royaume-Uni pour collaborer à un projet spécial avec nous. À l’époque, il travaillait au bureau de recherche de Whitehall pour le compte de l’opposition. Je ne sais pas comment s’appelait ce bureau, mais il était financé par le Parlement et offrait des services de recherche approfondie à tous les partis d’opposition. Je crois que chaque caucus disposait, en plus, de sa propre équipe.

Je me demandais si vous étiez au courant de cela. J’ignore si ce bureau existe encore. Où devons-nous nous adresser pour avoir plus de détails sur ce bureau et pour savoir si l’expérience a été concluante? Si le bureau n’existe plus, c’est peut-être parce qu’on a jugé que ce n’était pas un succès. J’aimerais simplement que nous tirions des enseignements de cette expérience.

N’est-ce pas là une solution potentielle qui permettrait de fournir aux sénateurs, en plus de la recherche effectuée par la Bibliothèque du Parlement, les renseignements dont ils ont tous besoin pour faire un examen critique des projets de loi?

M. Hall: Je ne suis pas au courant, mais à mon avis, un bureau de ce genre ne devrait pas relever du gouvernement. Par ailleurs, je crois que vous allez avoir besoin d’une capacité de recherche renforcée. Il ne s’agit pas seulement de la recherche, mais aussi de la diffusion des résultats à tout le monde afin de favoriser le flux d’information et la communication pour que tous les sénateurs soient au courant de ce qui se passe.

Comme l’a proposé la sénatrice, pourquoi ne pas profiter de la période des questions pour inviter les comités à informer l’ensemble des sénateurs des progrès de leurs travaux? C’est une excellente idée.

Par ailleurs, oui, vous devriez avoir un système de recherche plus robuste que celui que vous offre actuellement la bibliothèque.

M. Levy: J’ajouterais brièvement que cette proposition ne s’applique pas seulement aux projets de loi, mais aussi à vos études sur des politiques publiques. Si vous voulez faire un examen approfondi d’une politique publique, il serait peut-être indiqué d’embaucher un spécialiste du domaine pour une courte période de temps, disons un an ou 18 mois. Cela permettrait d’améliorer grandement le travail des comités. Je vous encourage donc à le faire.

Le sénateur Tkachuk: Je précise que les sénateurs disposent d’un généreux budget pour l’embauche de personnes de l’extérieur, ils ont donc largement les moyens de retenir les services de quiconque souhaite mener sa propre recherche.

La sénatrice Frum: Monsieur Hall, si j’ai bien compris votre réponse au sénateur Tkachuk, vous pensez, comme moi, que dans trois ans, c’est-à-dire à la fin du mandat de l’actuelle législature dans trois ans, si nous faisons un examen de l’historique des votes des sénateurs indépendants nommés par le premier ministre Trudeau, nous constaterons que, dans presque tous les cas, ceux-ci ont voté pour les projets de loi présentés par le gouvernement. Vous avez dit que c’est ce qui doit se passer. C’est correct et c’est bien ainsi.

Par contre, si vous regardez l’historique de mes propres votes lorsque j’étais du côté du gouvernement, vous constaterez qu’il est similaire. L’une des raisons pour lesquelles nous sommes réunis autour de cette table et avons créé ce comité, c’est parce que chaque fois que les conservateurs ont voté pour des mesures législatives proposées par le gouvernement, on nous a répété que c’était une attitude partisane toxique et dangereuse, que nous ne faisions qu’« approuver automatiquement », pour reprendre les termes que vous avez utilisés précédemment. Vous dites également que si nous examinons un jour l’historique des futurs votes des sénateurs indépendants, il sera similaire, mais que dans ce cas, cela ne veut rien dire parce que c’est normal.

Je ne comprends pas quelle différence il y a entre les conservateurs qui approuvent automatiquement un projet de loi du gouvernement et les sénateurs indépendants qui votent pour ce même projet de loi, comme ils doivent le faire. Pouvez-vous expliquer la différence?

M. Hall: Je n’ai jamais dit que les conservateurs ne faisaient qu’approuver automatiquement. Je n’ai jamais dit ça.

Le véritable critère, ce n’est pas si vous votez pour ou contre un projet de loi. Le véritable critère, ce sont les amendements. Avez-vous proposé les amendements nécessaires ou avez-vous simplement laissé passer les choses? Ce ne sont pas tous les projets de loi qui ont besoin d’être amendés, mais avez-vous fait un examen sérieux pour voir s’il y avait lieu de l’amender ou non? Voilà quel est le véritable critère. Avez-vous fait un examen sérieux des projets de loi?

Je sais que les sénateurs conservateurs ont fait du bon travail. Habituellement — et il est important de le signaler parce que c’est aussi ce qui se passe aussi à la Chambre des communes —, vous étudiez les projets de loi en caucus. Si nous procédons de cette manière, l’examen des projets de loi sera plus transparent, plus ouvert et chacun pourra exprimer son point de vue. Lorsque les projets de loi sont étudiés en caucus, les membres arrivent généralement à une conclusion et font un travail d’équipe.

La sénatrice Frum: Je vous remercie pour cette réponse. Elle est pertinente et claire. Pour relever d’un cran le critère d’indépendance, il faudrait que les sénateurs indépendants appuient des amendements proposés par des caucus autres que les leurs. Ne serait-ce pas là le critère absolu d’indépendance?

M. Hall: Oui, tout à fait.

La sénatrice Dupuis: Et vice versa.

La sénatrice Frum: Nous ne prétendons pas être indépendants.

La sénatrice Lankin: C’est donc une possibilité.

La sénatrice Frum: J’ai l’esprit partisan. Je ne le nie pas et j’en suis fière.

M. Hall: C’est l’une des différences qui…

Le sénateur Forest: Prenons l’exemple du projet de loi C-29.

M. Hall: C’est l’une des différences par rapport à la Chambre des communes. Le gouvernement accepte rarement les amendements proposés par l’opposition, tandis que cette contrainte n’existe pas ici. Vous pouvez adopter ou rejeter un amendement proposé par n’importe qui, et c’est ainsi que les choses doivent se passer au Sénat.

Le président: Messieurs, je vous remercie beaucoup. Comme vous le constatez, la discussion est animée et nous espérons qu’elle conduira à des solutions. Je suis optimiste. Je vous remercie sincèrement d’être venus témoigner.

Est-ce que nous pouvons poursuivre à huis clos quelques minutes encore?

(La séance se poursuit à huis clos.)

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