Aller au contenu
AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 1er novembre 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 10 h 36, afin de poursuivre son étude sur l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada ainsi que leur utilisation dans ces domaines, et d’autres questions connexes.

Le sénateur Paul Massicotte (vice-président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le vice-président : Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Je suis le sénateur Paul Massicotte, vice-président de ce comité. Bienvenue à tous.

[Traduction]

Le comité a été autorisé par le Sénat à étudier l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada ainsi que leur utilisation dans ces domaines, et d’autres questions connexes. Le comité poursuit son étude liée à ce mandat.

[Français]

Nous sommes heureux d’accueillir au comité M. Claude Joli-Cœur, commissaire et président de l’Office national du film, et Mme Madeleine Careau, chef de la direction de l’Orchestre symphonique de Montréal.

[Traduction]

Par vidéoconférence à partir de Washington, nous accueillons M. Christopher Walker, qui est vice-président, Études et analyses, à la Fondation nationale pour la démocratie. Bienvenue à tous.

Sans plus tarder, je demanderais à mes collègues de se présenter.

Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Dawson : Dennis Dawson, du Québec.

La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Dean : Tony Dean, de l’Ontario.

Le vice-président : Merci.

Je rappelle aux sénateurs et aux témoins que les observations et questions doivent être précises et concises afin que nous puissions en faire le plus possible pendant le temps que nous avons.

Nous sommes impatients d’entendre vos déclarations et les réponses à nos questions. Nous allons procéder dans l’ordre dans lequel vous avez été présentés.

[Français]

Monsieur Joli-Cœur, vous avez la parole.

Claude Joli-Cœur, commissaire et président, Office national du film : Merci, monsieur le vice-président et membres du comité. Je vous remercie de nous donner l’occasion de vous présenter la façon dont l’Office national du film du Canada (ONF) participe à l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada.

L’ONF est une agence culturelle fédérale créée en 1939 dont le mandat est de produire et de distribuer des œuvres audiovisuelles innovatrices sur les plans créatif et technologique. Nos documentaires, nos animations d’auteurs et nos œuvres interactives mettent de l’avant les perspectives canadiennes sur des sujets et des enjeux de l’heure. Chaque année, l’ONF produit environ 75 œuvres dans ses 11 studios de production répartis partout au pays et collabore avec des milliers de créateurs et d’artisans issus de toutes les provinces et de tous les territoires.

Nos œuvres sont distribuées et montrées dans tout le pays, mais également sur la scène internationale, dans les plus grands festivals, les marchés et les événements d’envergure ainsi que dans les ambassades et les consulats canadiens avec qui l’ONF entretient des liens de longue date.

Avoir de l’impact, pour nous, c’est établir une relation particulière avec les cinéphiles, les distributeurs et les organisations publiques et privées d’ici et du monde entier. Notre institution est dépositaire de plus de 13 000 titres qui constituent l’une des plus importantes collections audiovisuelles au monde.

En fait, ce fonds représente le patrimoine audiovisuel de tous les Canadiens et les Canadiennes. Au fil des décennies, cette collection, qui inclut l’ensemble des nouvelles productions, a généré plus de 7 000 prix, dont, faut-il le rappeler, 12 Oscars. Ces œuvres sont accessibles au corps diplomatique canadien par l’entremise d’Affaires mondiales Canada. La bibliothèque du ministère est régulièrement en contact avec notre service à la clientèle et nos conservateurs pour l’acquisition et la diffusion d’œuvres sélectionnées dans le cadre d’événements culturels.

Nous collaborons aussi régulièrement avec le Centre culturel canadien à Paris pour la projection de films et l’organisation d’expositions. Nous sommes également très actifs sur le circuit des festivals internationaux, ce qui donne une vitrine de prestige au contenu canadien, à des œuvres distinctives réalisées par des artistes chevronnés aussi bien qu’émergents.

Chaque année, les productions de l’ONF sont présentées dans quelque 250 festivals d’envergure qui se tiennent aux quatre coins du monde. L’ONF est un invité régulier de festivals prestigieux comme ceux de Sundance, Berlin, Cannes, Annecy, Venise, Toronto et Amsterdam.

[Traduction]

En mai dernier, l’ONF présentait le film d’animation Le sujet de Patrick Bouchard à la 50e Quinzaine des réalisateurs à Cannes. Toujours en mai, en association avec le Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa, nous inaugurions une nouvelle œuvre à la Biennale de Venise, au Pavillon canadien récemment restauré. En février dernier, le film de Jean-François Caissy, Premières armes, faisait ses débuts à Berlin.

Cette visibilité génère aussi des prix et des distinctions qui rejaillissent sur le Canada et le savoir-faire de sa population. En 2017-2018, les productions de l’ONF ont remporté 148 prix. La moitié de cette récolte, soit 85 prix, provient de mentions internationales de 63 pays différents.

Le rayonnement du talent canadien passe aussi par Internet. L’avènement du Web a effacé les frontières, permettant de rejoindre facilement un très large public sur les cinq continents. Un public qui embrasse la diversité et la culture canadiennes, nos histoires et nos réalités, reflétées dans des œuvres accessibles sur ONF.ca et nos plateformes partenaires. Nous enregistrons des millions de vues de chaque année.

L’ONF entretient aussi de multiples partenariats internationaux. Nous sommes toujours présents et actifs aux commémorations et aux grands événements internationaux. Qu’on pense à notre film Impressions, de Jean-François Pouliot, dévoilé au Pavillon du Canada à l’occasion de l’Exposition universelle de Shanghai en 2010, ou encore à notre participation en 2014 aux commémorations entourant les deux grandes guerres, avec la production d’un film hommage au Royal 22e Régiment. Ce sont là des exemples de nos réalisations.

L’été dernier, nous avons montré des documentaires et des œuvres immersives à l’occasion du MICA, à Mexico, et nous travaillons actuellement à assurer à nos œuvres audiovisuelles une place de premier choix à la prochaine grande Foire du livre de Francfort en 2020.

J’aimerais terminer mon survol des actions de l’ONF qui font rayonner la culture canadienne sur la scène internationale en rappelant que plus d’une centaine de contrats de distribution sont signés chaque année avec des distributeurs et radiodiffuseurs de partout dans le monde pour promouvoir notre contenu à l’extérieur du pays.

Merci. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

[Français]

Madeleine Careau, chef de la direction, Orchestre symphonique de Montréal : Mesdames et messieurs les sénateurs, bonjour. C’est avec grand plaisir que je m’adresse à vous ce matin. Permettez-moi tout d’abord de vous remercier pour cette invitation qui permet à l’Orchestre symphonique de Montréal de contribuer à l’étude menée par le comité actuellement.

L’OSM célébrera l’an prochain ses 85 ans et s’est toujours fait un devoir de participer aux réflexions en matière de culture au pays. La diplomatie culturelle fait partie de l’histoire de notre pays, mais également de notre institution, considérée aujourd’hui comme l’un, sinon le meilleur orchestre de la francophonie. Fondé en 1934, l’OSM a depuis réalisé 40 tournées, 37 sorties internationales, dont 27 au Carnegie Hall de New York, la salle la plus prestigieuse du continent. Cela représente plus de 400 concerts donnés à l’étranger, non seulement aux États-Unis, mais aussi en Europe, en Amérique du Sud et en Asie.

Cet été encore, l’OSM était notamment invité au prestigieux Festival de Salzbourg en Autriche, où nous présentions le concert d’ouverture. Cette invitation, une première pour un orchestre canadien, témoigne de l’estime dont notre orchestre fait l’objet à l’échelle du globe.

Depuis 30 ans, nous avons enregistré 106 disques qui ont remporté 59 prix nationaux et internationaux, dont 15 prix Juno et 2 prix Grammy. Finalement, plusieurs de nos concerts sont aujourd’hui diffusés sur le Web dans plus de 40 pays, ce qui fait en sorte que l’OSM rejoint près de 1,4 million d’auditeurs et de spectateurs dans le monde entier.

Votre comité étudie aujourd’hui l’importance des échanges internationaux. Pour un grand orchestre, ils font carrément partie de notre modèle d’affaires. Lors de plusieurs de nos concerts, nous recevons des solistes venus d’ailleurs. Depuis notre fondation, c’est plus de 5 000 artistes que nous avons accueillis. D’une part, c’est ce qui attire en bonne partie notre public; d’autre part, c’est ce qui permet à l’OSM d’améliorer la profondeur et la richesse de ses interprétations.

Or, le pouvoir d’attraction d’un orchestre tient à sa renommée internationale, qui repose elle-même en grande partie sur le bruit et l’estime que génèrent ses tournées internationales. En d’autres mots, l’OSM est connu ici et dans le monde parce qu’il attire les meilleurs solistes, et nous attirons les meilleurs solistes parce que nous sommes connus dans le monde.

Les Canadiens ne sont pas en reste. Le son de l’OSM est unique. Écouter l’OSM, c’est entendre un son forgé par une vieille tradition de musique classique au pays, tradition qui se perpétue grâce à un vaste réseau d’enseignement composé d’écoles, de conservatoires et d’universités.

C’est également entendre un son où l’on retrouve des nuances de la culture québécoise et canadienne. Aussi, quand l’orchestre est diffusé sur les ondes des radios du monde ou lorsque l’OSM visite d’autres villes, c’est le son d’ici qui voyage, contribuant à faire connaître nos sensibilités et nos aspirations collectives au monde entier.

Il faut prendre conscience que nos tournées internationales attirent un public de mélomanes, mais également la communauté canadienne des expatriés, qui y voit une occasion de renouer les liens avec le pays. Ces derniers amènent souvent leurs amis, leurs clients, ce qui fait en sorte que nos concerts se transforment en véritable vitrine du Canada à l’étranger. Il fallait accompagner l’OSM lors de notre dernier concert à New York, en octobre dernier, pour bien saisir ce point.

M. Marc-André Blanchard, ambassadeur et représentant permanent du Canada auprès des Nations Unies, a profité de la présence de maestro Nagano et de nos musiciens pour convier une cinquantaine d’ambassadeurs de l’ONU à une réception qui mettait en valeur le rôle que joue le Canada pour la paix dans le monde. Y a-t-il un meilleur médium que la musique classique, à part les films, pour transmettre ce message et contribuer à bâtir la réputation de notre pays en cette matière?

À cet égard, et c’est là la première suggestion que nous souhaitons porter à votre attention, nous croyons que le réseau de la diplomatie culturelle canadienne pourrait jouer un rôle beaucoup plus actif dans l’accueil et le rayonnement des artistes canadiens lorsqu’ils se produisent dans le monde. Nos ambassades et consulats devraient organiser davantage de réceptions avec, comme invités d’honneur, les artistes qui sont de passage dans leur ville. Or, les budgets consacrés à l’organisation de ce genre d’événements sont très limités.

Notre deuxième suggestion est de continuer d’appuyer la présence des artistes d’ici dans le monde. Les programmes mis en place par le Conseil des arts du Canada, notamment, sont adéquats et efficaces. Cependant, le plafond de dépenses est trop rapidement atteint, ce qui est très contraignant pour une organisation de la taille de l’OSM. 

À titre d’exemple, notre seule présence à Salzbourg, en Autriche, l’été dernier représentait déjà 85 p. 100 du budget qui était alloué à l’OSM pour toute l’année, alors que nous nous apprêtons au mois de mars à faire une grande tournée européenne des principales capitales et, évidemment, le budget qui nous sera imparti pour ce faire sera beaucoup plus limité, compte tenu de ce que nous avons déjà engagé à Salzbourg. Finalement, notre troisième suggestion est de bien prendre conscience de l’importance de faire rayonner la culture d’ici sur les plateformes numériques. Le contenu canadien doit être plus présent et plus visible sur les différentes plateformes, qu’il s’agisse de Spotify, d’Apple Music, de YouTube, et cetera. Si nous ne pouvons nous contenter de mettre notre contenu en ligne, il faut produire du contenu conçu pour ces nouvelles formes de diffusion. Ces productions exigent des moyens financiers importants sans nécessairement produire des sources de revenus. Un soutien plus important de la part des gouvernements est donc nécessaire.

Je termine en vous rappelant que, en 1962, c’est le Président du Sénat de l’époque, M. Marc Drouin, qui avait appuyé l’OSM dans sa tournée en URSS.

En conséquence, je salue l’attention que vous portez à la diplomatie culturelle, une activité qui fait manifestement partie des traditions du Sénat du Canada et de notre pays. Je vous remercie.

Le vice-président : Merci.

[Traduction]

Christopher Walker, vice-président, Études et analyses, Fondation nationale pour la démocratie : Je remercie le comité de me donner l’occasion et le privilège de comparaître pour discuter de cet important sujet.

J’aimerais d’abord souligner que les efforts de diplomatie publique et culturelle qui visent à informer et à influencer les publics étrangers sont un important aspect de l’exercice, par les États, de ce qu’on appelle le pouvoir de convaincre. Cela englobe diverses sphères d’activité, comme les arts, l’édition, les échanges entre personnes, la radiodiffusion internationale et d’autres choses du genre. Le pouvoir de convaincre est fondé sur l’attraction et la persuasion.

Ces dernières années, des gouvernements autoritaires, dont la Chine et la Russie, ont dépensé des milliards de dollars pour façonner l’opinion et les perceptions du public à l’échelle mondiale en misant sur diverses méthodes, y compris les activités culturelles, les programmes éducatifs, les échanges entre personnes et la création d’initiatives médiatiques de portée mondiale.

Alors que ces initiatives prenaient de l’ampleur, de l’intérieur des démocraties, les observateurs tendaient à les étudier par la lentille maintenant familière du pouvoir de convaincre, un point de vue devenu désuet, à certains égards. Selon la définition initiale des termes, le pouvoir corrosif d’un pays est fondé sur la coercition, donc largement tributaire de la puissance militaire ou économique, tandis que le pouvoir de convaincre est fondé sur l’attraction, soit l’attrait positif de la culture, des idéaux politiques, des politiques et de l’indépendance de la société civile d’un pays.

De toute évidence, les gouvernements de pays comme la Russie et la Chine cherchent à influencer les perceptions, les sentiments et les opinions du public à l’étranger avec une intensité tout simplement impensable il y a une décennie. Avec la croissance exponentielle d’Internet et des médias sociaux et aussi avec l’intégration des médias d’information d’États autoritaires dans l’espace médiatique des démocraties, par exemple, les possibilités d’exercer une influence n’ont jamais été aussi nombreuses. Toutefois, ceux qui considèrent ces efforts comme une façon pour Moscou et Beijing d’accroître leur attrait par le pouvoir de convaincre pourraient faire fausse route et risquent d’entretenir un faux sentiment de sécurité.

Après tout, si les efforts des régimes autoritaires visent à améliorer leur image internationale, ce que la Russie et la Chine n’ont pas réussi à faire au sein des démocraties, cela signifie manifestement que leurs initiatives élaborées ne fonctionnent pas.

Malheureusement, les régimes autoritaires ne voient pas le recours aux tactiques d’influence à l’étranger du même œil, et leur perception ne peut être dissociée des valeurs politiques sur lesquelles repose leur pouvoir, comme mes collègues du forum international pour les études démocratiques et moi l’avons souligné dans notre rapport intitulé Sharp Power : Rising Authoritarian Influence, publié l’an dernier.

Au lieu de cela, ces régimes donnent souvent l’impression d’être à la poursuite d’objectifs plus malicieux associés à de nouvelles formes de censure et de manipulation ciblées vers l’extérieur, qui sont tout à fait contraires à la perception plus bénigne du pouvoir de convaincre. Un examen du contexte politique et médiatique de ces régimes nous donne un portrait plus clair de leurs intentions. Les dirigeants de Moscou, Beijing, Riyad et d’autres ont méthodiquement réprimé la dissension légitime, calomnié ou réduit au silence les opposants politiques, inondé la population de contenu propagandiste et dirigé habilement les voix et les institutions indépendantes tout en cherchant à maintenir une façade de pluralisme, d’ouverture et de modernité.

Le paysage médiatique actuellement reflète cette difficulté. Comme je l’ai écrit en 2016 dans le Journal of Democracy :

[...] les régimes autoritaires accroissent leurs capacités dans les médias traditionnels et les nouveaux médias pour diffuser du contenu à des auditoires mondiaux. En surface, ces entreprises semblent être des instruments de puissance douce, mais la chaîne chinoise CCTV (maintenant CGTN) et la chaîne russe RT ne sont pas la BBC ou la Deutsche Welle — ou Radio-Canada —, qui évoluent dans un cadre de valeurs fondamentalement différent.

Comme nous l’avons souligné dans le rapport, la Chine et la Russie sont, malgré leurs approches différentes, « toutes deux issues d’un modèle idéologique dans lequel le pouvoir de l’État a préséance sur la liberté individuelle, d’un modèle fondamentalement hostile à la liberté d’expression, aux débats ouverts et à l’indépendance d’esprit. » Je souligne que dans le contexte actuel des pays démocratiques, les milieux culturel, universitaire, médiatique et de l’édition sont ouverts et accessibles, et ils doivent le demeurer. Or, à une époque où les principaux régimes autoritaires s’opposent à la démocratie au niveau des idées, des principes et des normes, cette ouverture expose malheureusement les démocraties au pouvoir corrosif.

Un exemple éloquent de cet enjeu est le réseau international de plus de 500 instituts Confucius créés par la Chine. Fondé en 2004, le réseau s’étend maintenant dans plus de 80 pays. Ces instituts, créés par l’État chinois, ont une vocation à la fois éducative et culturelle. On y offre des cours de langue chinoise et diverses activités culturelles en assurant une présence sur les campus universitaires. Actuellement, le Canada compte 12 instituts Confucius et 36 salles de classe Confucius.

Les autorités chinoises présentent les instituts Confucius comme des organismes s’apparentant à l’Alliance française de France ou à l’Institut Goethe d’Allemagne, qui reçoivent tous les deux du financement public pour la prestation de cours de langue et de culture. Or, contrairement à ces organismes indépendants, les instituts Confucius font partie intégrante des établissements d’enseignement qui, dans la plupart des cas, font la promotion d’une forme de liberté intellectuelle qui ne peut exister au sein des instituts Confucius. La transparence y est minime; à titre d’exemple, il est difficile de connaître le financement que verse le gouvernement chinois aux universités hôtes. On ignore dans quelle mesure les universités participent à l’élaboration des programmes des instituts. En général, les accords entre les parties sont confidentiels.

Ces instituts ne sont qu’un élément de l’engagement exhaustif de la Chine au sein des établissements d’enseignement et des démocraties. Ces activités font partie d’un effort plus vaste d’influence de la sphère publique dans les démocraties, comme l’ont démontré avec éloquence d’importants reportages de journalistes indépendants, y compris de journalistes canadiens.

Pourquoi devrions-nous nous soucier de l’intensification marquée de l’influence des régimes autoritaires? Comment devrions-nous aborder cet enjeu? Après tout, la Chine, la Russie, l’Arabie saoudite et d’autres États de ce type ne veillent-ils pas simplement à leurs propres intérêts? Cela ne fait aucun doute, mais il est essentiel de garder à l’esprit que ces intérêts reflètent des valeurs politiques et des préférences autocratiques fortement axés sur le contrôle et la manipulation.

Les aspects que j’ai abordés aujourd’hui ne touchent qu’une partie des effets corrosifs potentiels du pouvoir de manipuler qu’on observe de plus en plus dans les sphères culturelle, universitaire et médiatique, sphères qui contribuent à façonner, chez les citoyens des démocraties, la compréhension du monde qui les entoure.

En conclusion, j’aimerais souligner que les sociétés démocratiques doivent reconnaître le défi que pose le pouvoir corrosif. Ce défi à multiples facettes appelle une réaction semblable provenant de l’ensemble de la société, mais en même temps, les démocraties doivent prendre garde de ne pas empirer les choses. Les régimes démocratiques ne peuvent renier leurs propres normes et valeurs en tentant de se protéger contre le pouvoir corrosif des régimes autoritaires.

J’aimerais profiter de l’occasion pour reconnaître le rôle de chef de file du Canada à cet égard, en particulier pour son appui au mécanisme d’intervention rapide du G7 dans le cadre de la Déclaration d’engagement de Charlevoix pour défendre la démocratie contre d’importantes menaces. C’est une étape très importante. Tant que la Chine, la Russie et d’autres régimes autoritaires internationalistes demeureront des sociétés non libres dans lesquelles des institutions indépendantes sont incapables d’exiger que les principaux dirigeants rendent des comptes, leurs gouvernements autoritaires continueront d’user du pouvoir de manipuler. Par conséquent, les démocraties doivent, en tant que sociétés libres, puiser dans leurs réserves d’innovation et de détermination pour relever ce défi.

Je vous remercie de votre attention. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

Le vice-président : Merci, monsieur Walker.

[Français]

Merci à tous les conférenciers, parce qu’il s’agit de sujets très importants. Votre contribution est très pertinente pour la discussion.

La sénatrice Saint-Germain : J’ai deux questions à poser. La première s’adresse à Mme Careau. Tout d’abord, je tiens à vous remercier de nous avoir fait parvenir de la documentation écrite, qui est fort pertinente. Dans une lettre qui nous a été adressée par votre collègue de l’Orchestre Métropolitain, nous avons eu le commentaire suivant :

Actuellement, les organismes doivent répondre aux thèmes, orientations, normes et priorités du gouvernement canadien quitte à s’éloigner complètement de leur mission pour atteindre des enveloppes budgétaires fort intéressantes, mais qui visent des projets souvent moins pertinents en dehors de leur mission et à faible possibilité de rayonnement. Les organismes doivent adapter leur programmation artistique pour répondre aux critères et cadres de financement très rigides, alors que ce devrait être le contraire.

Vous nous avez fait trois suggestions. La troisième m’apparaît particulièrement intéressante dans le contexte contemporain.

Dans le cadre de la politique culturelle, vous recommandez qu’on prenne conscience de l’importance de faire rayonner la culture d’ici sur les plateformes numériques de contenu adapté.

Comment améliorer les cadres de financement, les règles actuelles, les programmes actuels pour donner une plus grande liberté d’expression aux organismes et faciliter la mise en œuvre de cette plateforme numérique à l’échelle internationale qui, dans un contexte contemporain, pourrait favoriser davantage le rayonnement de la culture?

Mme Careau : Pour une organisation comme un orchestre symphonique — et c’est sans doute la même chose pour nos collègues de l’Orchestre Métropolitain —, on parle de mettre en ligne une centaine d’artistes en même temps, soit un orchestre, un chef, parfois un soliste, plus d’un soliste ou un chœur. Donc, ce sont des coûts qui sont extrêmement élevés.

Dans le cadre de notre entente collective, nous avons négocié avec nos musiciens un ensemble de mesures qu’on appelle des « opportunités ». On a quelque peu dérogé pour ce qui est de l’appui des syndicats concernant la rémunération des artistes en audiovisuel afin de pouvoir aller nous-mêmes sur les plateformes numériques. Malgré tout cela, les budgets restent très lourds. D’abord, on va sur les plateformes numériques, on fait concurrence avec les plus grands orchestres du monde. Par exemple, on fera bientôt une grande tournée européenne. On ira au Digital Concert Hall de Berlin, qui est une plateforme extraordinaire. Il s’agit d’une salle de concert exceptionnelle avec une qualité de diffusion numérique tout aussi exceptionnelle. Pour que notre concert de Berlin soit diffusé en direct partout dans le monde, cela nous coûtera 50 000 $. Ces coûts ne couvrent pas uniquement le cachet des musiciens, mais aussi les installations techniques. La plupart des plateformes numériques, que ce soit Spotify, YouTube, et cetera, considèrent qu’elles n’ont pas à payer pour le contenu. Elles offrent déjà la plateforme qu’elles ont créée. Elles nous offrent leur auditoire, leur public, la promotion de nos événements et nous devons fournir 100 p. 100 du contenu à nos frais. En ce sens, les sommes allouées pour les programmes, qu’ils soient canadiens ou québécois, ne sont pas adéquates pour être en mesure de faire des tournées européennes avec Marie-Nicole Lemieux ou des artistes québécois de très haut niveau qu’on aimerait diffuser dans le monde entier, car cela entraîne chaque fois des coûts exorbitants. Alors, on doit faire des choix.

La sénatrice Saint-Germain : Vous pouvez être financé pour des projets en diffusion numérique, mais le problème, c’est la hauteur du financement.

Mme Careau : Oui. Parfois aussi, il y a certains critères très spécialisés qui font qu’un orchestre symphonique ne peut pas remplir ces critères. Donc, il faut faciliter l’adaptation pour avoir un meilleur accès. De toute évidence, un des grands problèmes, c’est la hauteur du financement. Vous l’avez bien dit.

La sénatrice Saint-Germain : D’accord. Si vous aviez des précisions à faire sur des critères ou sur certains programmes où il y aurait lieu d’apporter des améliorations, il serait intéressant que vous nous fassiez parvenir ces informations par l’entremise de la greffière de notre comité.

Mme Careau : Mon collègue pourrait vous renseigner.

La sénatrice Saint-Germain : Monsieur Joli-Cœur, j’ai trouvé très intéressant, dans vos propos et dans la documentation qu’on a consultée, que l’Office national du film concrétise une trentaine d’engagements qui répondent aux recommandations de la Commission de vérité et réconciliation.

J’aimerais obtenir davantage d’information sur certains de ces engagements majeurs relativement aux lois, aux règlements, aux accords internationaux et aux programmes en ce qui a trait aux droits d’auteur, à la propriété intellectuelle et à la coproduction audiovisuelle, qui facilitent, qui vous limitent ou qui vous freinent complètement dans la promotion de cette perspective à l’échelle internationale.

M. Joli-Cœur : En juin 2017, on a lancé 33 actions qui visent à la fois la transformation organisationnelle de l’ONF et la façon dont on produit et distribue nos films. Il n’y a pas de contraintes particulières en ce qui a trait à la production autochtone par rapport à l’ensemble de la production en termes de barrières juridiques ou commerciales. C’est plutôt une approche dans les trois champs que j’ai évoqués.

Notre plateforme de diffusion en ligne, ONF.ca, n’est pas géobloquée. Donc, elle est accessible dans le monde entier. Comme on est producteur de nos films, on a la maîtrise des droits d’auteur et de tous les ayants droit avec lesquels on travaille. On les rémunère en conséquence. Globalement, cela reste une contrainte, mais, comme organisme public, on fait cela très méticuleusement.

On a créé une chaîne autochtone sur ONF.ca où une centaine d’œuvres uniquement réalisées par des Autochtones sont accessibles dans le monde entier.

On a eu beaucoup de succès dans nos missions pour ce qui est de la diffusion de certains de nos films réalisés par des Autochtones, entre autres, notre réalisatrice célèbre, Alanis Obomsawin, qui demeure la dernière employée réalisatrice de l’ONF. Elle est à l’ONF depuis 52 ans. Elle a réalisé 52 films et elle est en voie d’en réaliser d’autres. C’est une voix autochtone reconnue partout dans le monde.

Dans le cadre de ce plan qui comporte 33 actions très précises, nous n’avons pas d’enjeux particuliers liés à la production autochtone, mais cela reste dans la globalité des questions auxquelles nous devons faire face.

La sénatrice Saint-Germain : Les programmes et le financement auquel vous avez accès vous permettent d’agir.

M. Joli-Cœur : En tant qu’organisation publique au sein du portefeuille de Patrimoine canadien, on n’a pas accès à tous ces fonds de la part du Conseil des arts ou dans le cadre de la Stratégie d’exportation créative qui a été annoncée par le ministère l’été dernier. On doit soutenir toutes nos activités à même nos fonds. Selon la loi constituante, il faut produire et distribuer des œuvres sur des enjeux canadiens pour le Canada et le reste du monde. Cela fait partie de notre mandat législatif de nous ouvrir au reste du monde. C’est pourquoi notre distribution est autant axée sur le Canada que sur le monde entier, ce que le Web nous permet de faire avec plus de facilité.

La sénatrice Saint-Germain : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Je remercie tous les invités de leurs exposés. J’ai une question pour le commissaire de l’Office national du film.

Comme nous le savons, les valeurs canadiennes se reflètent dans notre culture et dans nos œuvres. Prenons l’Office national du film comme exemple. Beaucoup de films de l’ONF visent à donner une voix aux groupes vulnérables de notre société, comme les peuples autochtones, les communautés LGBTQ, les immigrants, les réfugiés et beaucoup d’autres.

Monsieur Joli-Cœur, j’ai eu l’occasion de travailler avec vous à plusieurs occasions déjà, notamment lorsque vous avez gentiment offert votre aide dans le cadre de la discussion d’experts que j’ai organisée en 2017 pour souligner le 70e anniversaire de l’abrogation de la Loi sur l’exclusion des Chinois. Votre équipe a travaillé sans relâche à la traduction et à l’ajout de sous-titres chinois au documentaire In the Shadow of Gold Mountain, de Karen Cho. Je souligne que grâce à ces efforts, plus de 500 personnes ont assisté à la présentation du film que j’ai organisée à Toronto en mai dernier.

En agissant ainsi, nous avons démontré notre respect et notre reconnaissance à l’égard des familles canadiennes qui ont été touchées par la taxe d’entrée imposée aux Chinois et par la Loi sur l’exclusion des Chinois. Cela permet aussi de créer un nouvel auditoire pour le film, la population sinophone mondiale, un marché de plus de 1,2 milliard de personnes.

Je crois savoir que l’ONF compte plus de 20 films sur la communauté chinoise au Canada. Quelles mesures ont été prises pour promouvoir la diffusion d’œuvres cinématographiques canadiennes dans le monde? C’est un excellent moyen de faire connaître notre culture et nos perspectives à la communauté internationale, en particulier chez les jeunes des universités et des collèges.

Je crois aussi comprendre que l’ONF a d’importants intérêts dans le plan de la Société d’amitié Canada-Chine pour la création d’un festival de films pour plusieurs années. Où en est-on dans ce dossier?

M. Joli-Cœur : Merci, sénateur Oh. C’était en effet un plaisir de travailler avec vous sur ces dossiers et d’avoir l’occasion de nous retrouver en Chine pour deux événements distincts.

La Chine est évidemment un marché important, mais les échanges culturels remontent aux relations diplomatiques qui ont été établies dans les années 1970. L’ONF produit des films avec les créateurs sino-canadiens depuis toutes ces années. Refléter cette partie de la société canadienne fait vraiment partie de notre mandat. L’idée est de mieux faire connaître ces histoires, pas seulement pour le monde entier, mais aussi pour les Canadiens.

J’étais très fier de pouvoir présenter le film In the Shadow of Gold Mountain, qui raconte une histoire que la plupart des Canadiens connaissent très bien. On y montre l’immense contribution des descendants chinois à l’édification de notre pays. Je suis très fier que nous ayons réussi à produire la version chinoise.

L’an dernier, lorsque j’étais en Chine avec la ministre Joly, j’ai eu l’occasion de rencontrer les gens des études canadiennes de l’Université de Beijing et de tisser des liens avec eux. Ils ont accès à tous nos films, ce qui permet à leurs étudiants de mieux connaître le Canada.

Grâce aux œuvres que nous produisons dans le cadre de nos programmes — et nous travaillons chaque année avec près du tiers des créateurs canadiens d’origines et de pays diversifiés —, nous parvenons à refléter une vaste diversité de points de vue sur les questions et les valeurs canadiennes.

Les activités de la ministre Joly sur les plans de la culture et de la promotion de la culture canadienne en Chine sont un très bon exemple. Cela ouvre beaucoup de portes pour la promotion des valeurs que nous pouvons transmettre au monde. J’accorde une grande importance à ces occasions, en particulier celles qui sont dirigées par le ministère, car de nombreuses institutions publiques ayant chacune un mandat distinct en matière de culture ont alors l’occasion de travailler ensemble, comme la ministre Joly a réussi à le faire pour la mission en Chine. C’était un très bon exemple de ce que nous pouvons faire.

Concernant le point soulevé par Madeleine, nous pouvons le faire dans plusieurs pays du monde. Nous voyons une différence lorsque nous racontons ces histoires, car nous présentons un point de vue que beaucoup de gens chérissent.

Le sénateur Oh : Ma question s’adresse à M. Walker. Pouvez-vous nous en dire plus sur les instituts Confucius que vous avez mentionnés plus tôt? Vous avez indiqué que les Allemands et les Français font la même chose. En quoi consistent les programmes d’enseignement? Que représentent-ils? Quelle est la nature de l’enseignement culturel?

M. Walker : Je vous remercie de votre question, sénateur. La différence fondamentale est, pour commencer, la transparence. C’est un problème persistant pour tous les établissements d’enseignement des démocraties qui ont conclu des partenariats avec les Instituts Confucius gérés par Hanban, une agence de propagande du gouvernement chinois. C’est un problème.

Autre problème: les Instituts Confucius sont intégrés dans les structures des universités avec lesquelles ils entretiennent des liens, contrairement à l’Institut Goethe, dans le cas de l’Allemagne, et à l’Alliance Française, dans le cas de la France, qui sont des établissements autonomes au fonctionnement indépendant. Cela cause une foule de problèmes au sein des établissements, par exemple quand les professeurs ou d’autres membres du personnel veulent s’enquérir des accords entre les Instituts Confucius et leurs établissements, ces accords étant souvent confidentiels — essentiellement secrets.

Dans certains cas, des professeurs très persévérants et courageux ont réussi à mettre la main sur ces documents. Ce sont de très rares cas, et il est entendu dans ces cas que les établissements locaux sont fortement incités par les partenaires chinois à se soumettre aux lois et règlements chinois.

Toutes ces choses exigent un examen plus approfondi — à tout le moins, plus de transparence —, car puisque les autorités chinoises répriment constamment la discussion d’enjeux comme le Tibet, Taïwan et la place Tiananmen, ainsi que les discussions relatives à politique élitiste en Chine, dans d’autres contextes, cela affecte dans une certaine mesure la discussion, alors qu’elle devrait être ouverte dans les milieux d’enseignement des pays démocratiques.

La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie de votre exposé. Monsieur Walker, vous dites que pour faire obstacle au pouvoir corrosif, il faut des réponses à l’échelle de la société. Pourriez-vous nous en dire un peu plus là-dessus?

M. Walker : Bien sûr. Merci, sénatrice. Nous avons découvert dans divers contextes... et l’expérience de l’Australie est un bon exemple, car on a rencontré de très graves problèmes concernant l’intégrité politique des institutions démocratiques en Australie, qui est une démocratie développée. Quand ce pays a entrepris de s’attaquer à diverses questions liées au financement politique, à la culture, aux médias indépendants et à d’autres aspects du pays, il est devenu évident que les interventions gouvernementales ne suffiraient pas.

Le milieu de la recherche, les organisations journalistiques et médiatiques indépendantes ainsi que la société civile dans son ensemble jouent un rôle déterminant dans la réponse à cet enjeu. Je souligne qu’une grande partie de ce que nous constatons concernant les efforts de ces régimes autoritaires puissants, ambitieux et internationalistes représente essentiellement un défaut de la mondialisation. Leur participation profonde dans les sociétés démocratiques montre qu’il est difficile de trancher précisément entre ce qui est illégal et ce qui n’est simplement pas du tout souhaitable ou ce qui est corrosif pour l’intégrité des institutions démocratiques.

L’Australie a établi la norme, à ce jour, en réponse à son engagement avec la Chine — un engagement difficile et houleux —, mais je crois que l’Australie a réagi d’une façon conforme au débat et aux valeurs démocratiques. Je crois franchement que toute démocratie doit tenir compte de cela.

La sénatrice Ataullahjan : Qu’est-ce que l’Australie a fait, précisément, qui l’a aidée d’après vous à mener la conversation comme elle le veut? Pouvez-vous nous en dire plus?

M. Walker : Certainement. Ce que je dirais, c’est que fondamentalement, l’Australie s’est attaquée au problème, notamment en le précisant, par la sensibilisation dans l’espace médiatique. Il y a eu des exemples semblables dans des pays de l’Union européenne, aux États-Unis et au Canada, très récemment, ce qui donne à croire que ce processus est utilisé également dans ces démocraties.

Cela a déclenché une discussion stratégique publique très importante, dans le cas de l’Australie. Je ne vais pas entrer dans les détails des quelque 200 projets de loi proposés et qui ont fait l’objet d’écrits de divers analystes et chercheurs, dont des personnes très réfléchies en Australie, comme MM. John Fitzgerald et John Garnaut, qui sont à l’avant-garde de cette question. On a, entre autres, traité de la transparence et de l’engagement au sein des industries cruciales, analysé et peaufiné les modes de financement des campagnes politiques, réfléchi en profondeur à l’intégrité de l’espace médiatique, et ainsi de suite. C’est un ensemble complet et approfondi de réponses qui a fait l’objet d’une discussion publique très houleuse, après quoi la société australienne s’est entendue sur les éléments les plus importants des démarches législatives proposées.

La sénatrice Ataullahjan : En ce qui concerne les cinq recommandations visant le pouvoir corrosif, comment des pays comme le Canada peuvent-ils intégrer cela dans une stratégie de politique culturelle efficace?

M. Walker : Je pense que chaque pays doit, bien sûr, déterminer la façon de s’attaquer à cela.

J’ai rapidement fait allusion, dans mon exposé, au mécanisme d’intervention rapide du G7, qui est très prometteur d’après moi, pour diverses raisons, et surtout pour la perspective de travailler en collaboration avec les pays du G7 ainsi qu’à l’échelle nationale — en gros, pour mobiliser les secteurs qui sont considérés comme étant critiques, afin qu’ils répondent aux enjeux de l’intégrité des institutions démocratiques, mais en même temps, pour transmettre de l’information et travailler davantage en collaboration avec d’autres démocraties. Cela ne se fait pas suffisamment, d’après moi, alors je pense que très fondamentalement, il faut ce type d’approche.

Plus précisément, je crois que nous avons énormément de travail à faire — et je dis « nous », pour les pays démocratiques — pour faire face aux changements profonds qui ont marqué l’espace de l’information publique et la sphère publique. Il n’y a pas si longtemps, une génération passée, nous aurions regardé cela d’une façon très différente. Je crois que nous devons vraiment repenser notre façon de nous attaquer à ces enjeux dans un nouvel environnement, de sorte que nos journalistes, éditorialistes et institutions publiques aient une façon plus efficace d’analyser le discours public, de comprendre ce qui est juste et vrai. Il nous faut aussi une façon plus efficace de comprendre qui sont nos partenaires dans l’espace de la société civile, et c’est l’une des constatations clés du rapport sur le pouvoir corrosif, ainsi que d’autres ouvrages qui ont suivi notre rapport et qui ont examiné cela de façon plus approfondie. C’est le principe voulant que des partenaires qui forment manifestement des groupes de la société civile et qui sont indépendants des régimes autoritaires hautement répressifs fonctionnent dans le même contexte de liberté, d’autonomie et d’indépendance que les institutions des pays démocratiques. C’est une chose qui est très mal comprise et qui doit être beaucoup mieux comprise dans toutes les démocraties.

Le sénateur Dawson : Je suis ravi de vous revoir, monsieur Joli-Cœur.

[Français]

Ce n’est pas votre première présence à ce comité. Vous avez aussi comparu au Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Vous avez parlé de votre voyage en Chine avec la ministre Joly. Cela montre un peu la dichotomie entre ce que nous devons faire, c’est-à-dire assurer la coordination de ce qui se fait à Patrimoine canadien, et ce que peut vous offrir le ministère des Affaires mondiales. Il y en a, des organismes. Ce ne sont pas les organismes qui manquent; le problème, c’est plutôt l’absence de coordination. Prenons l’exemple de ce qu’a fait le Canada avec Équipe Canada. Ils sont partis avec une équipe pour aller faire la promotion de l’économie canadienne.

Est-ce qu’un tel concept pourrait être utilisé pour rassembler dans une tournée des gens des divers milieux culturels du Canada, pour montrer que la culture est une priorité pour nous? Malheureusement, des groupes comme Équipe Canada, nous n’en voyons plus et cela nous manque. Serait-il possible d’avoir une telle approche en ce qui concerne la culture pour mieux coordonner ce qui se fait?

Madame Careau, vous avez parlé de Marc-André Blanchard et de l’effort qui a été fait à New York. J’espère que vous allez faire la même chose avec le ministre Dion à Berlin. Qui va coordonner cela si Patrimoine canadien et le ministère des Affaires mondiales ne le font pas? Qui va assumer cette responsabilité?

M. Joli-Cœur : J’ai fait l’expérience de deux voyages avec la ministre Joly en Chine. Lors d’un premier voyage en 2017, on était essentiellement six, c’est-à-dire deux ou trois organisations du portefeuille de la ministre et son entourage qui était en repérage. Lors de notre retour l’année suivante, on était une Équipe Canada de la création. On était une quarantaine d’organisations dans tous les domaines : les musées, le spectacle, les nouvelles productions.

J’ai pu observer — et je ne suis pas au fait de tous les détails de coordination — une véritable synergie entre les équipes de Patrimoine canadien et de l’ambassade et des consulats en Chine, qui ont marché main dans la main. Cela a été extrêmement fructueux.

J’étais assez sceptique, lorsque j’ai vu la délégation formée de toutes ces compagnies, de ce qui en ressortirait vraiment. En une semaine, j’ai pu observer comment cet élan s’est créé autour de la visite de la ministre et de la présence de l’ambassadeur McCallum.

Cette mission de Patrimoine canadien et de l’ambassade pourrait être un cas d’étude sur la façon de reproduire cela dans d’autres missions fortes comme Paris, Londres, Los Angeles ou Berlin, des endroits clés où l’on peut avoir un impact en joignant nos forces. C’est essentiel.

J’ai pu observer, en concertation avec la présence de ministres et de sous-ministres importants, comment les choses peuvent se mettre en place. Lorsque j’étais à Mexico cet été, il n’y avait pas de présence ministérielle, mais la forte délégation de hauts fonctionnaires du ministère qui ont établi des liens avec des organisations mexicaines a permis de faire émerger des choses.

Cette coordination est essentielle. On ne l’avait pas vue depuis des années, mais elle est de retour depuis deux ou trois ans. Elle peut faire toute la différence. Cela dit, on en est aux premiers pas. Ce n’est pas encore complètement rodé. Le fonds de 125 millions de dollars du Conseil des arts du Canada va aider. Beaucoup d’efforts ont été faits auprès de dirigeants d’organismes du portefeuille de Patrimoine canadien afin de travailler ensemble, mais ce n’est pas encore assez. Il y a une véritable volonté de la part de plusieurs dirigeants — je pense, entre autres, à Guy Berthiaume. Il y a des directeurs généraux ou des présidents de musées nationaux qui ont la volonté de mener des projets ensemble pour avoir une force de frappe. Sans cette coordination avec les gens d’Affaires mondiales qui sont sur place, on n’y arrivera pas. Il est essentiel que cela fasse partie d’un plan d’action cohérent.

Le sénateur Dawson : Avez-vous d’autres recommandations concrètes? Le but de notre rapport, que nous espérons terminer bientôt, est de trouver des exemples et de dire que l’on peut les répéter. Vous parlez de Paris et de Londres, mais qu’en est-il du marché américain? Si l’on utilisait ce modèle avec notre plus gros partenaire économique — vous l’avez fait, madame Careau, à New York —, cela pourrait être répété dans plusieurs marchés américains de manière coordonnée. Cela se fait individuellement, mais nous voulons avoir une politique de diplomatie culturelle qui facilite votre travail. Pour ce faire, nous avons besoin de commentaires. Nous en avons, mais le problème sera de choisir nos recommandations. Nous sommes prêts à en entendre d’autres, si vous en avez à nous faire.

M. Joli-Cœur : J’ai eu la chance d’être aux Oscars il y a deux ans, car nous y avions un film en nomination. J’ai vu la force du consulat canadien à Los Angeles, qui était une machine de guerre, mais cela reste des poches isolées et sans coordination.

Le sénateur Dawson : Vous avez parlé de Los Angeles. Y a-t-il une coordination entre le gouvernement du Québec et le ministère des Affaires intergouvernementales ou le ministère de la Culture à l’étranger?

M. Joli-Cœur : Oui.

Mme Careau : Oui.

M. Joli-Cœur : Je l’ai vu à Shanghaï avec Jean-François Lépine. Le consulat canadien et la délégation québécoise à Shanghaï travaillaient main dans la main. À Los Angeles...

Mme Careau : On va le vivre à Bruxelles lors de notre prochaine tournée européenne. On y sera lors de la Journée internationale de la Francophonie. Grâce au délégué général du Québec à Bruxelles, Michel Audet, qui a réuni autour d’une même table l’ambassadeur du Canada en Belgique, Olivier Nicoloff, et l’ambassadeur de Belgique au Canada — pardonnez-moi, son nom m’échappe pour l’instant.

Les trois travailleront ensemble pour organiser une grande journée avec des élus, de hauts dirigeants de l’Union européenne et des entreprises québécoises. On est accompagné de Tourisme Montréal, des chambres de commerce, de Montréal International et de toutes sortes d’organisations qui peuvent bénéficier des réseaux internationaux.

L’OSM sert en quelque sorte de « cheval de Troie ». Il y aura, autour d’un concert de l’OSM, une grande rencontre entre l’Union européenne, le Canada, le Québec et des organisations québécoises et canadiennes qui peuvent bénéficier des relations internationales. Il y a une très bonne relation. On le vivra aussi à Paris lors de cette même tournée où l’ambassadrice du Canada à Paris, Mme Hudon, et la déléguée générale du Québec à Paris, Mme Beauchamp, grâce au concert de l’OSM à la Philarmonie de Paris, en profiteront pour inviter plusieurs partenaires français. On sera accompagné de plusieurs entreprises québécoises et canadiennes qui veulent établir des relations avec la France.

Donc, on le fait spontanément. Le fait d’avoir l’occasion de présenter un concert — l’occasion fait le larron — fait en sorte qu’on peut réunir au cours d’une soirée des diplomates, des intervenants économiques, des gens de tous les horizons, et qu’on peut échanger entre le Québec, le Canada et nos invités du pays ou de la ville que nous visitons.

On s’occupe de la coordination, notamment en organisant des rencontres avec des gens à Bruxelles et à Paris. On rencontrera sous peu l’ambassadeur du Canada à Berlin, M. Dion, dans le cadre d’une tournée. On a organisé une soirée avec l’ambassadrice en Autriche à Salzbourg et avec l’ambassade du Canada en Pologne à Cracovie. On le fait de notre propre initiative. Lorsqu’on communique avec les ambassades et les délégations, ils répondent toujours par l’affirmative et c’est ainsi qu’on organise des rencontres.

[Traduction]

Le sénateur Dean : Je vous remercie de votre présence et de vos excellents exposés.

J’aimerais poursuivre dans la même veine que la sénatrice Ataullahjan, concernant le lien entre la culture populaire et l’idéologie. Historiquement, je souligne que l’organisme qui a précédé l’Office national du film — la Commission nationale sur le cinématographe — a été créé en 1939, entre autres, dans l’intention expresse de soutenir l’effort de guerre des Alliés, et qu’il a eu beaucoup de succès sur ce plan, comme cela a été le cas pour d’autres pays du Commonwealth. Je dis cela en passant.

J’aimerais revenir à M. Walker, et d’autres voudront peut-être également répondre. Nous avons entendu l’exemple de l’Australie — un très bon exemple —, mais j’aimerais, si vous me le permettez, revenir sur cette question et vous demander de nous donner d’autres exemples de formes que prendrait un pouvoir de convaincre plus corrosif, dans un contexte culturel. Vous avez donné des exemples réactifs et défensifs. Il y a eu chez nous des choses qui ont peut-être été inspirées par d’autres, de l’extérieur.

Est-ce qu’il y a des exemples de cas tournés vers l’extérieur ou de cas que je dirais offensifs d’utilisation corrosive de ce que nous verrions autrement comme étant le pouvoir de convaincre? Je vous pose cette question, car il y a manifestement tout un monde entre la définition du pouvoir de convaincre et celle du pouvoir corrosif, ou du pouvoir de manipuler. Il doit bien y avoir quelque chose entre les deux.

Est-ce qu’il y a d’autres exemples constatés à l’intérieur de pays autoritaires? On peut penser au groupe punk féministe en Russie, par exemple, qui est très perturbateur pour le gouvernement.

Dans cet ordre d’idée, est-ce que vous pouvez ajouter quelque chose à cette notion d’exercice du pouvoir de convaincre d’une façon plus corrosive?

M. Walker : C’est une question formidable, sénateur. Je pense que vous visez juste. Ce que nous avons décelé, dans nos recherches sur cela, qui ont été réalisées par des personnes sur place, dans diverses démocraties — et c’est ce qui a mené au rapport sur le pouvoir corrosif; c’était en Amérique latine et en Europe centrale, de jeunes démocraties —, c’est que bon nombre des institutions ou instruments que nous verrions normalement dans la sphère du pouvoir de convaincre n’avaient pas les caractéristiques typiquement associées à la définition de Joseph Nye pour cette expression: attraction et persuasion. Ce que nous avons trouvé, c’est qu’il y avait souvent de la manipulation et de la censure.

Par exemple, dans les publications universitaires, qui représentent une excellente façon de transmettre des idées, nous avons constaté que les éditeurs dans les démocraties cherchent parfois à circonscrire ou à freiner le contenu de leurs publications.

Il y a eu le cas très médiatisé de la Cambridge University Press qui élaguait son contenu à la demande des autorités chinoises. Devant le tollé suscité chez les universitaires, les experts et les groupes de la société civile, ils sont fort heureusement revenus sur cette décision.

Springer Nature, une maison d’édition allemande, l’une des plus importantes, a reconnu et admet ouvertement censurer son contenu sur un vaste éventail de questions liées à la Chine. Ce sont des ouvrages pour lesquels on le fait. C’est un exemple de cela.

Plus généralement, dans les milieux universitaires, nous commençons à comprendre toute la profondeur de cet enjeu. Comme je l’ai dit précédemment, je crois que nous devons, entre autres, faire de la sensibilisation de sorte que chaque pays puisse en arriver à ses propres conclusions au sujet de la nature des relations qu’il veut entretenir avec les pays ou les représentants de ces pays, notamment la Chine, la Russie et l’Arabie saoudite. Le Canada a lui-même vu un pays du Golfe se servir de ses ressortissants étudiant au Canada pour réagir aux commentaires de dirigeants canadiens sur les droits de la personne.

Nous voyons cela se reproduire dans tout un éventail de pays. Je crois que d’une certaine façon, l’enjeu pour les démocraties — et c’est vraiment au cœur de cela — est d’avoir le réflexe d’ouvrir nos portes à la communication comme il se doit. Cela fait partie de l’ouverture, du pluralisme, des mesures volontaires et de la priorité accordée à la société civile indépendante sur lesquels notre engagement avec le monde est axé. Il s’agit essentiellement de notre pouvoir de convaincre, que nous devons raviver d’après moi, et revoir d’une façon mieux adaptée au XXIe siècle.

On peut dire que les régimes autoritaires ont envisagé cela très sérieusement et qu’ils utilisent leurs compétences numériques et leur capacité d’utiliser d’énormes ressources dans cet espace afin de façonner l’environnement d’une façon qui correspond à leurs préférences, leurs valeurs et leurs intérêts politiques.

J’espère que cela répond à votre question. Je peux vous donner des exemples plus précis de cas dans d’autres contextes où nous voyons ce que j’appellerais de la censure et de la manipulation tournée vers l’extérieur, ce qui correspond à la définition typique du pouvoir de convaincre, et je serai ravi de le faire.

Le sénateur Dean : Je vais poser ma prochaine question à nos collègues autour de la table. Nous savons que dans l’univers de la littérature, du cinéma, de la poésie et de la musique, il y a des messages et des capacités contre-culturels et oppositionnels. Il y a des artistes canadiens qui réussissent à le faire. Il y a des films qui mettent en question le pouvoir et, dans certains cas, l’autoritarisme.

Madame Careau et monsieur Joli-Cœur, avez-vous quelque chose à ajouter à ce que M. Walker a dit au sujet de la façon de pousser le pouvoir de convaincre plus loin, dans la direction du pouvoir de manipuler?

M. Joli-Cœur : Je ne suis pas sûr de bien comprendre votre question.

Le sénateur Dean : Je m’explique. Nous savons que dans nos diverses formes de culture, dont le cinéma, certains cinéastes vont faire exprès de s’attaquer à des questions comme l’autoritarisme, le sexisme, le racisme, par exemple, et nous voyons cela comme faisant partie de l’évolution des arts. C’est presque naturel, et nous applaudissons cela. Il est intéressant de constater que les institutions autoritaires vont se tourner en premier vers les arts, en raison de la liberté d’expression et d’idées.

Avez-vous des réflexions sur la relation entre les arts et le côté plus manipulateur du pouvoir de convaincre, et sur la façon de réaliser cela, ou est-ce qu’il s’agit d’une activité axée sur le volontarisme et purement vue comme faisant partie de la liberté d’expression?

M. Joli-Cœur : Quand l’ONF a été créé en 1939, c’était juste avant la guerre. La guerre a donné lieu à une période de films de propagande pour l’effort de guerre, mais au fil des années, la réalisation du mandat par mes divers prédécesseurs a évolué.

Je dirais que depuis une vingtaine d’années, en tant qu’organisation pour les arts, nous pouvons fonctionner sans l’influence du gouvernement, mais ce pouvoir correspond à une énorme responsabilité concernant ce qu’un cinéaste peut transmettre comme message, ses points de vue et ses objectifs.

Être un producteur public s’accompagne de la responsabilité de ne pas dépasser les limites de l’activisme et de présenter les valeurs canadiennes. Quelles sont les valeurs canadiennes? Quelles sont les choses qui suscitent des débats parmi les Canadiens? C’est ce qui fait que l’expertise de nos producteurs de partout au pays est essentielle, compte tenu de ce mandat.

En fait, nous faisons exception, dans le monde libre, parce que nous sommes un producteur public sans être un producteur d’État. Il n’en existe plus. Il y a des diffuseurs publics, parfois, mais ils n’ont pas le même mandat que nous : diffuser ces valeurs, susciter des dialogues sur les enjeux auxquels les Canadiens font face, et illustrer l’évolution du Canada.

Cela s’accompagne de grandes responsabilités, et c’est ainsi que nous assumons ce mandat. Mais nous n’hésitons pas à prendre aussi des œuvres qui reflètent des événements moins brillants de notre passé au Canada. Le film In the Shadow of Gold Mountain est un bon exemple. Nous faisons en ce moment du travail interactif sur les camps d’internement japonais pendant la guerre. Cela aurait beaucoup d’effet.

Ces œuvres créent un environnement propice à la réflexion, aux débats et à la conversation sur les valeurs comme la liberté. C’est exactement la même chose pour les productions autochtones. Nous pouvons hisser la discussion à un autre niveau.

La ligne à ne pas dépasser est très fine, quand il s’agit d’une institution publique, et nous sommes très fiers de ce que nous faisons depuis quelques années, car l’équilibre est délicat, pour ce type de contenu.

Le sénateur Greene : Merci beaucoup. Je remercie en particulier M. Walker de son exposé et des questions qu’il a soulevées et dont personne n’avait encore parlé à cette table, dans le contexte de ce rapport.

J’ai deux questions rapides. Premièrement, est-ce qu’il y a d’autres organisations comme la vôtre au Canada? Deuxièmement, auriez-vous une ou deux recommandations précises à faire au comité, pour les fins de notre rapport?

M. Walker : Merci, sénateur. En ce qui concerne la première question, je crois comprendre qu’on envisage, depuis quelques années, de créer au Canada un organisme semblable à la Fondation nationale pour la démocratie. Je ferais remarquer que cette fondation est un animal inusité aux États-Unis, car nous avons la chance de recevoir une affectation du Congrès. Ce sont donc les contribuables américains qui nous financent, mais la fondation est une institution à charte privée jouissant d’une autonomie considérable, ce qui est extrêmement important pour nous, car nous pouvons, année après année, défendre et appuyer les valeurs démocratiques et les droits de la personne dans le monde.

Pour ce qui est de dire ce qui importe que le Canada et d’autres démocraties gardent à l’esprit dans le contexte actuel, j’accorderais la priorité au besoin de trouver des moyens de réaffirmer les valeurs démocratiques et les droits de la personne. À cet égard, il me semble que les régimes autoritaires affichent très vigoureusement leurs propres penchants et leurs propres préférences à l’égard des valeurs autoritaires, y compris ceux qui cherchent à étouffer le débat sur certaines questions d’importance cruciale.

Je vous donnerai un autre exemple pour mettre les choses en contexte. Aux États-Unis, dans le domaine des arts et de la culture, Hollywood peine à savoir comment composer avec ses relations avec la Chine. Les revues spécialisées de Hollywood sont d’ailleurs les premières à écrire à ce sujet. Un nombre croissant d’analystes sérieux ont commencé à écrire sur la question.

J’ajouterais que si de puissantes institutions comme Hollywood peinent à maintenir les normes supérieures de liberté d’expression, on ne peut qu’imaginer à quel point il peut être difficile pour des institutions ou des personnes plus faibles de relever pareil défi.

En plus de souligner le besoin de réaffirmer les valeurs démocratiques et les droits de la personne, je pense qu’il faut absolument adopter une approche exhaustive. C’est donc dire que la société civile des démocraties doit renforcer sa capacité de réfléchir aux problèmes auxquels leur pays est confronté, y compris les manières plus subtiles et plus pernicieuses de détourner la discussion sur les questions devant faire l’objet d’un débat public. Il s’agit certainement là d’une question universelle qui concerne également le monde des médias.

Ce ne sont pas nécessairement des questions que l’on peut régler au moyen d’une loi. Je pense que l’Australie cherche à déterminer ce qu’elle fera à cet égard. Voilà qui donne à penser qu’il faut établir plus de normes volontaires sur une base convenue par tous au sein du milieu universitaire et du secteur des médias. Il faudrait, par exemple, que les universités et les institutions des médias fassent preuve de leadership pour discuter sérieusement de la manière dont ces secteurs affrontent les défis, comme leurs partenariats avec des gouvernements autoritaires qui peuvent sembler lucratifs, voire nécessaires, mais qui s’accompagnent toujours d’un coût. Cela fait partie du problème.

Nous commençons à nous attaquer au problème, mais je pense que la clé, c’est de lancer les discussions entre les secteurs et au sein des communautés pour agir de manière volontaire dans bien des cas au lieu de chercher à imposer une loi ou un règlement.

Le vice-président : Avant de clore la discussion, j’aimerais poser une question.

[Français]

Madame Careau, monsieur Joli-Cœur, le but de l’étude n’est pas seulement de parler de la culture, des œuvres culturelles et des artistes. Il faut déterminer notre impact du point de vue de la diplomatie culturelle et de nos travaux à l’extérieur du pays. Il faut essayer de mesurer les coûts et les occasions et voir quels sont les avantages que notre pays peut en retirer.

Madame Careau, vous nous avez dit que les coûts sont relativement élevés. De quelle façon cela profite-t-il au Canada? Notre image de marque, notre réputation, nos avantages futurs, y a-t-il un moyen de mesurer tout cela et montrer aux Canadiens que l’investissement comporte des avantages?

Mme Careau : Par exemple, cet été, nous étions à Salzbourg et à Cracovie et nous serons à Bruxelles, à Vienne, à Berlin et à Paris en mars prochain. Tout d’abord, nos réceptions se font sous le chapeau du gouvernement canadien. Évidemment, il y a beaucoup de balisage canadien. Nous amenons des gens de tous les domaines, pas uniquement des artistes. Cela peut être des gens des entreprises qui nous parrainent, comme Bombardier, Power, Paribas, des gens qui nous aident à aller en tournée. Pour l’OSM, la réalisation d’une tournée comme celle qui est prévue en Europe engendrera des coûts à hauteur de 2 millions de dollars. On ne s’attend pas à ce que le gouvernement canadien paie cette facture. Souvent, ce sont notre fondation et nos parrains qui le font. Le gouvernement canadien en bénéficie énormément. Un soir, comme récemment à New York, on a réuni 350 personnes autour d’un événement, dont 50 ambassadeurs de l’ONU, Mme Nikki Haley, Mme Chrystia Freeland, Mme Christine St-Pierre, des représentants des entreprises qui font du parrainage, comme BMO et Power Corporation du Canada et ainsi de suite. Ils étaient tous présents, ainsi que leurs invités américains.

Plus de la moitié des gens qui étaient présents étaient des Américains, et non des Canadiens. Donc, on favorise les échanges entre diverses entreprises canadiennes dans des secteurs autres que ceux de la culture et de la musique, tout comme des échanges politiques. Mme Haley discute avec le président de Power Corporation et le président de notre conseil d’administration. Elle échange avec d’autres commanditaires. Le gouvernement canadien en tire largement profit.

Dans le cadre de cette tournée, on n’a pas demandé un sou au gouvernement canadien. On a tout financé à même nos commanditaires, qui ont assumé les coûts de cette réception et ainsi de suite. Partout, et à Salzbourg aussi, le président de Bombardier Transport Europe-Asie et d’autres personnes de divers horizons assistent à la réception tenue sous l’égide du gouvernement canadien. Même l’ambassadrice m’a dit que c’est fantastique, parce qu’elle a la chance de rencontrer plein de gens qu’elle n’a pas l’occasion de rencontrer à Vienne. Le Canada en bénéficie tout le temps. Il n’y a jamais une occasion où on ne le fait pas sous l’égide du gouvernement canadien.

Parfois, on invite une délégation du Québec dans une ville comme Paris ou Bruxelles. Sinon, cela se passe sous l’égide de l’ambassadrice à Vienne, par exemple. Donc, le Canada en bénéficie tout le temps.

M. Joli-Cœur : Au-delà de ces événements, on n’est jamais à cette hauteur-là, mais on participe quand même à de grands événements internationaux comme ceux dont j’ai parlé.

Avant tout, grâce à son investissement dans l’Office national du film, le Canada retire l’avantage du partage de toutes les valeurs et de tous les enjeux que nos films reflètent dans le reste du monde. Sur notre plateforme de diffusion en ligne, on a près de 4 000 films accessibles gratuitement partout dans le monde. On a établi des partenariats avec Netflix, Amazon, YouTube et bien d’autres chaînes où des millions de nos films sont visionnés par des gens à l’extérieur du Canada qui comprennent les enjeux et les valeurs de notre pays. Il est difficile de mesurer quel est le retour sur l’investissement des 60 millions de dollars que le gouvernement canadien investit dans l’ONF, mais ces dizaines de millions de visionnements de films par année sont un reflet de la culture canadienne et de ses valeurs, c’est-à-dire de la façon dont on raconte les histoires canadiennes. Selon nous, le retour sur l’investissement, c’est le nombre de personnes qui regardent nos films. Ces millions de personnes à l’étranger, c’est notre moyen de mesurer notre succès.

Le vice-président : Merci.

[Traduction]

Monsieur Walker, je voudrais vous poser une question. Je pense que c’est un fait reconnu que la Chine, l’Arabie saoudite et la Russie cherchent à influencer nos démocraties, et personne ne met en doute les observations que vous avez formulées à ce sujet. Sans trop entrer dans votre situation, toutefois, si on observe les sondages, on constate que le monde se préoccupe de plus en plus de votre pays, craignant que certains ne cherchent à mettre à mal votre démocratie ou à en diminuer le dynamisme à l’échelle locale, sous toutes les formes et par tous les moyens.

Avez-vous quelque chose à répondre à cela? Avez-vous vous aussi l’impression que votre démocratie est menacée, peu ou prou, en raison de la manière dont les médias sont contrôlés et manipulés? Avez-vous une observation à formuler à ce sujet?

M. Walker : Je ne pense pas trop entrer dans les détails de l’affaire, sénateur, si ce n’est que pour dire que les médias de mon pays sont fortement stimulés et très actifs, d’une manière inimaginable en Chine ou en Russie, par exemple. Sachez que les problèmes auxquels nous sommes confrontés ici ont suscité toute une réaction de la société civile, de l’opposition politique et de la population. Il est fort possible que lors des prochains cycles électoraux, il y ait une réaction qui provoquera, d’un point de vue démocratique, la sorte de réaction qu’on n’observerait jamais dans les autres cas dont nous avons discuté plus tôt.

Il est vrai que les démocraties sont imparfaites. À l’heure actuelle, pas seulement aux États-Unis, mais partout dans le monde, un certain nombre de pays qui semblaient être dans des dispositions bien plus favorables il n’y a pas si longtemps traversent une période très difficile. Je demeure toutefois très optimiste, car je pense que l’attachement sous-jacent à ces valeurs fera sentir ses effets ici comme dans d’autres pays traversant des moments difficiles.

Le vice-président : Merci. J’espère que vous avez raison.

[Français]

Merci beaucoup de votre participation.

[Traduction]

Merci, monsieur Walker, d’avoir comparu afin de discuter librement d’une démocratie très ouverte et transparente.

[Français]

Je vous remercie beaucoup. À la prochaine!

(La séance est levée.)

Haut de page